CENT QUARANTE-HUITIÈME JOURNÉE.
Jeudi 6 juin 1946.

Audience de l’après-midi.

M. ROBERTS

Témoin, je n’ai plus que deux autres questions à vous poser, concernant l’agression contre les Pays-Bas. Voudriez-vous vous reporter à votre journal, document PS-1809, à la date du 8 mai 1940. Cela se trouve à la page 141 du livre de documents VII, page 115 du livre allemand. La citation elle-même se trouve à la page 143 du livre de documents VII. Je cite, au haut de la page :

« 8 mai : nouvelles alarmantes de Hollande, suppression des permissions, évacuation, barrages, mesures de mobilisation de toutes sortes ». Vous craigniez que les Hollandais ne prennent quelques mesures pour se défendre contre votre invasion ?

ACCUSÉ JODL

J’étais sûr que les Hollandais se défendraient contre l’Allemagne.

M. ROBERTS

Était-il alarmant de penser que les Hollandais vous avaient soupçonnés de violer accords et traités ?

ACCUSÉ JODL

Je n’ai pas compris la question.

M. ROBERTS

Je continue : « D’après certains rapports, les Anglais ont demandé la permission d’entrer en Hollande, mais les Hollandais ont refusé. D’après ces mêmes rapports, les mesures prises par les Hollandais ont dirigées à la fois contre la côte et contre nous. Il est impossible de se rendre parfaitement compte si les Hollandais collaborent avec les Anglais ou s’ils veulent réellement défendre leur neutralité contre le premier attaquant ».

Cela tend-il à montrer que vous ignoriez absolument que la neutralité hollandaise allait être violée ?

ACCUSÉ JODL

Cela ne ressort pas clairement de ma note. Il s’agit uniquement d’une courte argumentation faite sur la base des nombreux rapports reçus de Canaris ce jour-là ou le jour précédent. Si l’on voulait bien se rendre compte de quoi il s’agit, il faudrait avoir entre les mains les rapports précédant immédiatement cette note ; celle-ci se réfère aux derniers rapports et non aux milliers qui précédèrent.

M. ROBERTS

Donc, le 10 mai, sans aucune déclaration de guerre, ces trois petits États furent envahis par toute la machine de guerre de l’Allemagne ?

ACCUSÉ JODL

Le 10 mai, l’attaque fut lancée sur tout le front.

M. ROBERTS

Qu’avaient donc fait ces pays pour mériter les horreurs de l’invasion et les malheurs de l’occupation allemande ?

ACCUSÉ JODL

C’est là encore une question historique. J’ai déjà dit que, selon moi, l’Angleterre et la France les avaient obligés à renoncer à leur stricte neutralité. Telle était mon opinion.

M. ROBERTS

Leur seule faute était de se trouver sur vos routes aériennes et sous-marines ?

ACCUSÉ JODL

Non seulement ils étaient sur notre chemin, mais en tolérant certaines entreprises incompatibles avec leur neutralité, ils soutenaient l’Angleterre contre nous ; c’était là mon point de vue personnel.

M. ROBERTS

Avec la permission du Tribunal, j’aurais voulu poser encore une question à propos de la Norvège. Si je puis revenir sur ce point, je voudrais vous interroger au sujet d’une note qui figure dans votre journal PS-1809, page 143 du livre de documents VII. J’ignore la référence du texte allemand, mais ce doit être à peu près au même endroit. Je la lirai lentement :

« 13 mars : Le Führer ne donne pas encore d’ordre pour « W ». Il est encore en train de chercher une excuse ou une justification. » (pour employer vos propres termes). Le jour suivant : « 14 mars : le Führer n’a pas encore trouvé un motif pour l’exercice « Weser ».

Si vous aviez une excellente raison pour violer la neutralité norvégienne, pourquoi le Führer aurait-il été incapable d’en trouver une ?

ACCUSÉ JODL

Parce que le Führer considérait que pour cette entreprise, il fallait absolument avoir des preuves. Jusqu’alors il n’y avait eu que de fortes présomptions, mais nous n’avions réellement pas eu de preuves.

M. ROBERTS

Fort bien, j’abandonnerai maintenant cette question et j’en arrive à la Yougoslavie à propos de laquelle je n’ai que deux ou trois questions à vous poser. Je voudrais que vous regardiez le document PS-1746, page 127 du livre de documents VII, page 112 du livre allemand. Avant de nous occuper de ce document, témoin, savez-vous que la Yougoslavie avait également reçu des assurances de Hitler ?

ACCUSÉ JODL

Oui. Non seulement la Yougoslavie avait reçu des assurances de la part de Hitler, mais nous en avions également reçu du Gouvernement yougoslave qui, la veille, avait conclu un traité avec nous.

M. ROBERTS

Vous trouverez le document auquel je vais me référer. C’est une page qui porte la mention « Discussion ». L’avez-vous trouvée ?

ACCUSÉ JODL

Oui. « Discussion sur la question yougoslave ».

M. ROBERTS

Elle est datée du 27 mars 1941 ; veuillez vous reporter à la page 2 : « Le Führer est décidé, sans attendre les déclarations de loyalisme du nouveau Gouvernement, à procéder à tous les préparatifs pour détruire la puissance militaire et nationale de la Yougoslavie. Aucune enquête diplomatique ne sera menée, aucun ultimatum ne sera lancé. On tiendra compte des assurances du Gouvernement yougoslave, auxquelles on ne se fiera pas à l’avenir. L’attaque sera déclenchée dès que les unités et les moyens nécessaires seront prêts ; il importe que ce soit fait le plus rapidement possible ».

Je passe maintenant à la page 3 : « Au point de vue politique, il est particulièrement important que l’attaque contre la Yougoslavie soit exécutée avec une violence impitoyable et que la destruction militaire soit effectuée avec la rapidité de l’éclair ».

Je passe maintenant à la page 5 : « La tâche principale de l’Aviation consiste d’une part à commencer aussitôt que possible la destruction des installations de l’Aviation yougoslave et, d’autre part, à détruire la capitale, Belgrade, par vagues successives ».

Le Führer ne voulait même pas avertir la population civile une demi-heure à l’avance ?

ACCUSÉ JODL

Je ne sais pas si nous avions été avertis par le Gouvernement yougoslave, mais au moment du putsch, il procéda immédiatement à des préparatifs militaires et déploya ses forces le long de notre frontière.

M. ROBERTS

Puis-je vous demander ceci : l’honorable soldat que vous êtes approuve-t-il l’attaque d’une ville surpeuplée de civils, sans aucune déclaration de guerre, ou même sans un avertissement préalable d’une demi-heure ?

ACCUSÉ JODL

Je ne suis pas de cet avis ; j’ai déjà expliqué que moi-même et, une heure plus tard, le ministre des Affaires étrangères du Reich, avions proposé l’envoi d’un ultimatum.

M. ROBERTS

Lorsque vous avez perdu la supériorité aérienne et que l’on a pu vous frapper à votre tour, vous vous êtes récrié contre les « attaques terroristes » ?

ACCUSÉ JODL

Cette ville était en même temps le centre d’un gouvernement révolutionnaire, qui avait annulé un traité passé avec l’Allemagne et qui, à partir de ce moment, avait commencé sur tout le front des préparatifs de guerre contre l’Allemagne.

M. ROBERTS

Bien, je vais passer rapidement sur cet incident. Vous rappelez-vous comment vous l’avez qualifié dans les notes de votre conférence ? Ceci se trouve à la page 292 du livre VII et à la page 304 du livre allemand. Vous en parlez comme d’un « intermède ». Vous en souvenez-vous ? C’est le mot allemand « Zwischenspiel ». Est-ce ainsi que vous concevez un intermède ?

ACCUSÉ JODL

Pour être juridiquement exact, vous voulez parler de mon premier projet de conférence et non pas de ma conférence elle-même, que vous ne connaissez pas. Cependant, même dans ce premier projet, je ne me rappelle pas avoir parlé d’intermède.

M. ROBERTS

Combien de millions de civils ont-ils été, d’après vous, tués dès le premier mouvement de cet « intermède », à savoir le bombardement par surprise de Belgrade ?

ACCUSÉ JODL

Je ne puis vous le dire, mais certainement le dixième du nombre de tués qu’il y eut à Dresde, alors que vous aviez déjà gagné la guerre.

M. ROBERTS

Je passe maintenant à l’agression contre l’URSS. Hitler décida de l’attaquer en juillet 1940 ?

ACCUSÉ JODL

En juillet 1940, il n’avait pas encore pris cette décision.

M ROBERTS

Mais en tout cas (je ne tiens pas du tout à perdre du temps), nous savons que le 22 juin 1941, l’Allemagne a envahi l’Union Soviétique, contrairement au Pacte de non-agression qu’elle avait signé avec ce pays. C’est là un fait historique ?

ACCUSÉ JODL

Oui. L’attaque par surprise du 22 juin 1941 est un fait historique fondé sur le fait que les politiciens estimaient que l’Union Soviétique n’avait pas, elle, tenu les engagements découlant du Pacte.

M. ROBERTS

Témoin, avant de laisser tous ces sujets, je voudrais vous poser une dernière question. Ne pensez-vous pas que toutes ces ruptures de promesses déshonoreront le nom de l’Allemagne dans les siècles à venir ?

ACCUSÉ JODL

Cela se pourrait si une étude historique approfondie des documents russes pouvait établir clairement que la Russie n’avait pas l’intention d’exercer sur nous une pression politique ou de nous attaquer. Dans ce cas, oui ; autrement, non.

M. ROBERTS

Je voudrais maintenant aborder des sujets très différents, qui rentrent dans le cadre des chefs d’accusation 3 et 4. Je ne voudrais pas vous présenter de nouveau les documents que vous avez déjà lus tant de fois. Mais vous vous rappelez certainement l’ordre" « Barbarossa », document n° C-50, livre de documents VII, page 187, page 146 du livre allemand.

Il émanait de votre service, le Wehrmachtführungsstab ?

ACCUSÉ JODL

Oui.

M. ROBERTS

Convenez-vous qu’il s’agissait là d’un ordre honteux ?

ACCUSÉ JODL

J’en conviens. J’ai déjà dit qu’il n’y avait pas un seul soldat qui ne s’y soit opposé.

M. ROBERTS

Bien. Nous savons que le 17 juillet — c’est le document C-51, qui se trouve à la page 190 du livre VII et à la page 150 du livre allemand — le même service, le WFS, L, ordonna que l’ordre précédent soit détruit sans que sa validité en soit affectée. Quel était l’objet de la destruction de cet ordre ?

ACCUSÉ JODL

Malheureusement, je ne peux pas vous le dire. Je ne me souviens pas de cet ordre. Je ne pense pas l’avoir jamais vu, en tout cas pas avant ce Procès.

M. ROBERTS

Peut-être pouvez-vous le regarder, témoin ; c’est l’ordre C-51, page 190 du livre de documents VII, page 150 du texte allemand. Il émane du WFST, c’est-à-dire du Wehrmachtführungsstab, section L ; il y a un « Q » (Quartiermeister) entre parenthèses. C’est bien votre service ?

ACCUSÉ JODL

C’est une section du Wehrmachtführungsstab, de l’État-Major d’opérations.

M. ROBERTS

C’est signé Keitel.

ACCUSÉ JODL

Oui, mais je ne connais pas cet ordre ; je l’ai vu pour la première fois ici à Nuremberg, jamais avant. Je ne sais pas du tout de quoi il s’agit. J’ignore également quel est l’ordre qui était annulable. J’ai déjà déclaré que c’était le Feldmarschall Keitel qui s’occupait de la question des juridictions militaires, et qu’il se servait à cet effet de mon service, sans que je sois mis en cause.

M. ROBERTS

Et vous ne voyez pas la raison pour laquelle cet ordre devait être détruit ?

ACCUSÉ JODL

Non, je ne peux vous donner aucun renseignement là-dessus.

M. ROBERTS

Je passe au document C-52, qui n’a pas encore été déposé. Le Tribunal le trouvera à la page 191 du livre de documents VII. Je le dépose sous le numéro GB-485 ; c’est à la page 153 du livre de documents allemand. Témoin, c’est un autre ordre entre parenthèses. Est-ce là votre service ?

ACCUSÉ JODL

C’est le service avec lequel je collaborais pour toutes les questions stratégiques.

M. ROBERTS

Vous rappelez-vous cet ordre ?

ACCUSÉ JODL

Oui.

M. ROBERTS

Je pense que vous avez participé à son élaboration ?

ACCUSÉ JODL

Certainement, car c’est un ordre militaire interprétatif.

M. ROBERTS

Voudriez-vous regarder les paragraphes 6 et 7. Paragraphe 6 : « Étant donné la vaste étendue des territoires occupés à l’Est, les forces disponibles pour maintenir l’ordre ne seront suffisantes que si toute résistance est punie, non par des poursuites légales intentées contre les coupables, mais par la pratique d’un système de terreur exercé par les forces d’occupation, et tel qu’il supprimerait radicalement toute velléité de résister. Les commandants, avec les troupes dont ils disposent, seront tenus pour responsables du maintien de l’ordre dans leurs secteurs respectifs. Ils devront trouver les moyens de faire régner l’ordre dans les régions où ils sont chargés de la sécurité, non en demandant des renforts, mais en appliquant les mesures draconiennes appropriées. » N’est-ce pas un ordre terrible ?

ACCUSÉ JODL

Non, il n’est pas terrible du tout. Car le Droit international dispose que les habitants d’un territoire occupé doivent se conformer aux ordres et instructions de l’autorité occupante et que toute émeute et toute résistance contre l’Armée occupant le territoire sont interdites ; c’est ce que l’on nomme la guerre des partisans. Et le Droit international ne dit pas suivant quelles règles il faut les combattre. Le principe d’une telle lutte est : « Œil pour œil, dent pour dent », et ce principe n’est pas celui des seuls Allemands.

M. ROBERTS

Vous ne parlez pas de la « dent » et de l’« œil » de l’innocent ?

ACCUSÉ JODL

Il ne s’agit pas d’innocents. Il est dit expressément « qu’il supprimera radicalement toute velléité de résister ». Il s’agit de ceux qui résistent, c’est-à-dire des partisans.

M. ROBERTS

Je ne veux pas discuter de cela avec vous. Je conclus que vous approuvez cet ordre.

ACCUSÉ JODL

Je l’approuve parce que c’est une mesure justifiée, conforme au Droit international, et prise contre un mouvement de résistance étendu, dont les méthodes étaient peu avouables. Nous en avons la preuve.

M. ROBERTS

Bien. Passons maintenant à un tout autre sujet. Je voudrais en venir à l’ordre sur les commandos et déposer deux documents qui ne l’ont pas encore été jusqu’ici, pour retracer l’histoire de la promulgation de cet ordre dont je suppose qu’il a été rédigé dans vos services et sous votre contrôle. Voulez-vous, s’il vous plaît, donner au témoin le document PS-1266, que je dépose sous le numéro GB-486. Voici donc le premier document, qui est daté du 8 octobre 1942. C’est un mémorandum de la section « Q » du Wehrmachtführungsstab. Est-ce exact ?

ACCUSÉ JODL

Oui.

M. ROBERTS

Et c’était... c’est là l’ordre télégraphique que que vous mentionniez ?

ACCUSÉ JODL

Oui.

M. ROBERTS

Il est d’abord question de l’« enchaînement », ce qui ne nous intéresse pas ; puis, vient le texte de la déclaration radiodiffusée du 7 octobre 1942 :

« Tous les groupes terroristes et de sabotage anglais, ainsi que tous leurs complices, qui ne se conduisent pas comme des soldats mais comme des bandits, seront à l’avenir traités comme tels par les troupes allemandes et seront tués sans pitié dans le combat, quel que soit le lieu où on les découvrira. »

Naturellement, cet ordre ne veut pas dire grand-chose ? Il laisse supposer que les ennemis ne se conduisaient pas comme des soldats mais comme des bandits, et qu’ils doivent être tués sur-le-champ.

Second paragraphe : « Le chef adjoint de l’État-Major des opérations... » C’était Warlimont, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ JODL

C’était Warlimont, oui.

M. roberts

Bien. « ...a donné à « Q » la tâche urgente qui suit :

« 1. Rédaction de l’ordre : à l’instar de l’ordre « Barbarossa » qui a été promulgué dans le même temps, cet ordre doit également être rédigé (en coopération avec le service juridique de la Wehrmacht et le service du contre-espionnage) avec un grand soin et une grande attention. La distribution en sera faite aux Armées seulement, et de là sous la forme verbale. Il doit être détruit dès qu’on en aura pris connaissance. »

Quel était donc cet ordre, qui devait être rédigé avec tant de soin par le service juridique et le service du contre-espionnage ?

ACCUSÉ JODL

Je crois que c’est le document C-50 dont vous venez de parler. L’expression « ordre Barbarossa » n’est pas claire.

M. ROBERTS

Je vous remercie. « En ce qui concerne le contenu de cet ordre, il faudra tenir compte de ce qui suit : au cas où des prisonniers seraient, dans notre intérêt, incarcérés de façon temporaire, les personnes en question doivent être remises au SD par le service du contre-espionnage, après un examen approfondi auquel le SD doit également prendre part. Il ne faudra en aucun cas les placer dans un camp de prisonniers de guerre.

« Cet ordre doit avoir effet rétroactif à l’égard des gens de Norvège. »

Les « gens de Norvège » étaient les commandos britanniques qui avaient fait sauter une station d’énergie en Norvège ?

ACCUSÉ JODL

C’est possible, mais je n’en sais rien. Je n’ai jamais vu cela.

M. ROBERTS

Je pense que je pourrai vous remémorer la chose par la suite. Je ne lirai pas le document suivant ; il émane d’un certain Dr Huelle qui m’est inconnu ; je crois d’ailleurs qu’il n’est d’aucune utilité. Le document suivant (le troisième dans le livre du Tribunal) est daté du 9 octobre 1942. Il est signé par Warlimont. Il est daté du 9 octobre, témoin ?

ACCUSÉ JODL

Oui.

M. ROBERTS

Signé par Warlimont ?

ACCUSÉ JODL

Oui.

M. ROBERTS

Dans les deux premiers paragraphes, il fait l’exposé des faits que nous connaissons :

« Le Führer désire qu’un ordre soit promulgué qui précise la conduite à tenir par la Wehrmacht. Sur la demande de l’État-Major des opérations de la Wehrmacht, le service juridique de la Wehrmacht a rédigé l’ordre qu’on trouvera ci-joint :

« Vous êtes prié de procéder à un interrogatoire approfondi, si nécessaire, en ayant recours au Reichsführer SS. Nous nous référons à la discussion qui a eu lieu entre le chef du service de contre-espionnage et le chef adjoint de l’État-Major des opérations de la Wehrmacht. »

Le document suivant est le projet d’ordre rédigé par le service juridique. Il y est dit :

« Les membres des groupes terroristes et de sabotage de l’Armée britannique, qui violent délibérément les règles d’un combat honnête, seront traités comme des bandits ; ils seront exterminés sans merci, qu’ils combattent ou qu’ils fuient. Si, en cas de nécessité militaire, ils sont arrêtés temporairement, ou s’ils tombent aux mains allemandes en dehors de tout combat, ils devront comparaître devant un officier aux fins d’interrogatoire, puis être remis au SD. Il est absolument interdit de les interner dans un camp de prisonniers de guerre.

« Cet ordre ne doit être distribué qu’aux Armées. Sa transmission des Armées jusqu’au front ne doit se faire que verbalement. »

Vous rappelez-vous avoir eu une conversation téléphonique avec le chef du service juridique au sujet de cet ordre ?

ACCUSÉ JODL

Non, je ne me le rappelle pas.

M. ROBERTS

Veuillez alors regarder le document suivant, en date du 14 octobre 1942. Dans le même dossier, à la page suivante... Je m’excuse, c’est un mémorandum. Vous remarquerez que le titre original était « Actions de représailles contre les prisonniers de guerre ». Quelqu’un a barré ce titre et a mis à la place « Lutte contre les groupes de sabotage ennemis ». « Mémorandum (discussion téléphonique avec le chef du service juridique de la Wehrmacht) : celui-ci s’est entretenu téléphoniquement avec le chef de l’État-Major des opérations des Forces armées. »

C’est de vous qu’il s’agit ?

ACCUSÉ JODL

Oui.

M. ROBERTS

« Celui-ci » — c’est-à-dire vous-même — « déclara que le but du Führer était d’empêcher cette façon de faire la guerre (parachutage de petits détachements qui se rendent après avoir provoqué de grands dommages, tels qu’explosions, etc.) ». C’était là le but de l’ordre ?

ACCUSÉ JODL

Oui. Mais il avait pour but de réprimer des méthodes contraires au Droit international.

M. roberts

C’est probablement une question que ni vous ni moi n’avons à discuter. Mais je pourrais vous demander ceci : faites-vous une distinction entre un aviateur britannique qui bombarde d’en haut une station d’énergie, et un parachutiste britannique qui atterrit en uniforme et la fait sauter avec un explosif ? Voyez-vous là une distinction du point de vue du Droit international ?

ACCUSÉ JODL

Non. Je considère la destruction d’un objectif par une troupe de sabotage comme parfaitement admissible du point de vue du Droit international, mais je considère qu’il est inadmissible qu’au cours d’une telle opération l’on porte des vêtements civils sous l’uniforme et que l’on dissimule sous son aisselle un revolver qui part au moment où on lève les bras pour se rendre.

M. ROBERTS

Votre réponse ne tient pas compte du double aspect de la question. Je n’ai pas du tout l’intention de discuter avec vous, mais si vous considérez le problème, vous trouverez de nombreux cas dans lesquels ont été exécutés des gens qui ne portaient qu’un uniforme.

ACCUSÉ JODL

Je crois que ces cas étaient exceptionnels et que, du moins, ces gens-là étaient mélangés avec d’autres qui avaient des vêtements civils.

M. ROBERTS

Je ne discuterai pas avec vous. Il y a d’autres documents et il faudra peut-être les résumer quelquefois. Mais convenez-vous qu’un parachutiste en uniforme, sans vêtements civils, fusillé par le SD, soit ainsi victime d’un meurtre ? En convenez-vous ? Ou préférez-vous ne pas répondre à cette question ?

ACCUSÉ JODL

J’ai déjà dit que si un soldat en uniforme fait sauter ou détruit un objectif, je ne considère pas qu’il y a là une action contraire au Droit international ; c’est pour cette raison que je me suis opposé à l’ordre sur les commandos...

M. ROBERTS

Je m’en tiens à votre réponse et n’insisterai pas plus avant. Le document, que je ne lirai pas en entier, continue ainsi :

« Le chef de la section juridique de la Wehrmacht a déclaré que dans ces circonstances il fallait envisager la promulgation d’un ordre qui devait être publié.

« L’article 23 (c) de la Convention de La Haye, qui interdit de tuer ou de blesser un ennemi qui dépose les armes ou qui n’en a pas, s’il se rend sans conditions, nécessite quelques explications : lorsque cette Convention a été passée, on ne connaissait pas encore cette manière de faire la guerre et ses dispositions ne pouvaient pas s’y appliquer. »

Voilà pour le premier volume. Et maintenant...

ACCUSÉ JODL

Je voudrais faire un bref commentaire à propos de ce document. Je n’ai jamais vu aucun de ces papiers auparavant ; je les vois ici pour la première fois ; mais ils prouvent, mot pour mot, ce que je vous ai dit avant-hier sous la foi du serment, à savoir que de leur propre initiative, les membres de mon État-Major, ayant appris que le Führer demandait un ordre d’exécution, se livrèrent aux travaux préparatoires, en liaison avec le service juridique et le service des affaires extérieures, mais je n’ai jamais approuvé cela et n’ai jamais présenté aucun ordre à la signature du Führer.

M. ROBERTS

Je voudrais maintenant vous présenter un autre document, PS-1265, que je dépose sous le numéro GB-487. Le premier document de cette série est un télétype daté du 13 octobre et signé par Canaris. Est-ce exact, témoin ?

ACCUSÉ JODL

C’est, en effet, un télétype de Canaris.

M. ROBERTS

Oui, il est adressé à l’État-Major des opérations ; il s’agit du traitement des prisonniers de guerre : « En ce qui concerne les mesures à prendre en application de la note de l’OKW du 7 octobre 1942, l’attitude générale suivante doit être adoptée... » Si le numéro 1 n’a pas d’importance, le numéro 2 est capital : « Traitement des unités de sabotage. Les groupes de sabotage en uniforme sont des soldats et ont le droit d’être traités comme des prisonniers de guerre. Les unités de sabotage en civil ou en uniforme allemand n’ont pas le droit de demander à être traités comme des prisonniers de guerre ; ce sont des francs-tireurs ».

Vous en convenez, évidemment ? Le reste du document n’a pas une grande importance. Mais vous partagez le point de vue exprimé dans le paragraphe 2, en homme connaissant le Droit international ?

ACCUSÉ JODL

Le paragraphe 2 correspond exactement à mon opinion.

M. ROBERTS

Passons au document suivant. Je demanderai au Tribunal de bien vouloir se reporter au dernier document des trois, qui est intitulé : « Appel téléphonique, référence : lettre contre-espionnage à l’étranger, en date du 13 octobre 1942 ». C’est celle que je viens de lire : « Opinion du service juridique de la Wehrmacht ». C’est le paragraphe 2, c’est-à-dire la référence à l’opinion de Canaris, « Accord de principe ». « On pourrait cependant adhérer aux principes suivants en ce qui concerne certains cas particuliers : les méthodes de combat actuellement existantes, que nous avons l’intention de combattre, ne furent inaugurées que longtemps après la Convention de La Haye, en particulier avec le développement de la guerre aérienne. Une attention toute spéciale est attirée sur l’emploi massif de parachutistes dans des buts de sabotage. Quiconque commet, en tant que soldat, un acte de sabotage avec l’intention de se rendre ensuite sans combattre, n’agit pas comme un combattant honnête. Il méconnaît l’article 23 de la Convention de La Haye qui, lorsqu’elle a été promulguée, n’envisageait pas de telles méthodes. Cette violation réside dans l’intention de se rendre sans combat après la réussite de l’acte de sabotage. Cette conception, tendant à déclarer inadmissible l’activité des commandos de sabotage, doit être approuvée sans réserve, pourvu que nous l’appliquions également à nous-mêmes. »

Vos initiales apparaissent en haut de ce document ?

ACCUSÉ JODL

J’ai lu ce document. Il contient un point de Droit international, établi par le service juridique de la Wehrmacht qui est, sur ce point, d’accord avec le Führer. Il confirme effectivement le fait qu’une infraction aux dispositions du Droit international peut être commise lorsque l’on se met immédiatement en état d’arrestation après un acte de sabotage, évitant ainsi complètement le danger couru dans un acte de guerre. Cette interprétation est sujette à caution.

M. ROBERTS

Beaucoup de soldats courageaux ne se rendent-ils pas lorsqu’ils sont en état d’infériorité ? De nombreux Allemands se sont rendus à Tunis et à Bizerte. En quoi cela les mettait-il en dehors du Droit international ?

ACCUSÉ JODL

Oui, mais c’étaient des soldats faits prisonniers d’une façon normale, et le Führer l’a toujours reconnu. Il s’agit ici d’un point de Droit international, mais comme je vous l’ai dit, l’idée n’était pas de moi, je n’ai fait qu’en prendre note.

M. ROBERTS

Le document intermédiaire est une lettre signée de Lehmann, qui était le chef du service juridique de la Wehrmacht. Il ne fait que confirmer la conversation téléphonique que j’ai déjà lue, et je ne pense pas qu’il soit nécessaire de la relire. Elle se trouve devant l’accusé.

Le dernier de ces documents, qui date d’avant la promulgation de l’ordre, a déjà été présenté. Le Tribunal l’a donc vu. C’est le numéro PS-1263 (RF-365). Il se trouvait dans le livre de documents Jodl n° 2, page 104. Voudriez-vous regarder l’original, je vous prie.

Il y a une omission malheureuse à la page 110 du livre du Dr Exner. Je suis sûr qu’elle est involontaire. Voudriez-vous vous référer au document daté du 15 octobre 1942. Monsieur le Président, je crois que c’est le premier de votre livre. C’est à la page 110 du Dr Exner et je m’excuse auprès de lui, car je viens de découvrir à l’instant la note marginale qui m’était restée cachée jusqu’alors. Témoin, c’est une note qui a été signée par Warlimont, votre adjoint, le 15 octobre. Je pense que vous la trouverez dans le deuxième document de votre dossier. Je ne veux pas la relire, mais il y a : « La proposition du contre-espionnage à l’extérieur sera présentée dans l’appendice 1 ». Dans cet appendice, il est dit, sous la lettre « A », que « les troupes de sabotage sans uniformes seront traduites devant une cour martiale ». Vous avez dit « non ». Vous avez donné vos raisons ; je ne veux pas vous importuner outre mesure.

On lit, sous « B » : « Les membres des unités de sabotage qui sont en uniforme mais qui se rendent coupables d’activités déshonorantes doivent, après capture, être condamnés à la relégation ». Si vous passez au 15 octobre, vous voyez, juste au second paragraphe : « Le chef du service juridique a déclaré que l’ordre devait être rédigé de façon à préserver nos propres intérêts... »

Témoin, il est bien dit « propres intérêts » ?

ACCUSÉ JODL

« Propres intérêts », oui.

M. ROBERTS

« ...propres intérêts quant à la poursuite ultérieure de la guerre. Il voulait ainsi éviter les répercussions susceptibles de contrecarrer nos futures intentions. Le sabotage joue un rôle important dans la guerre totale. Nous avons nous-mêmes déjà fortement développé cette méthode de combat ». Et vous avez mis en note : « Mais les Anglais en font un plus large usage que nous ».

ACCUSÉ JODL

Oui, il est indiscutable que les Anglais en faisaient alors un usage beaucoup plus important que nous.

M. ROBERTS

Est-ce là une raison pour promulguer un ordre de ce genre, pour essayer de décourager les Anglais d’employer des groupes de sabotage ?

ACCUSÉ JODL

Non. Ce n’est certainement pas une raison C’est le refus de l’allégation d’après laquelle nous aurions fortement développé cette méthode de combat. D’où ma remarque :

« Les Anglais en font un plus large usage que nous ». Cela n’a naturellement rien à voir avec la raison pour laquelle cet ordre a été donné.

M. ROBERTS

Je ne veux pas m’étendre plus longuement sur ce document particulier ; cependant, n’avez-vous pas un document daté du 14 octobre avec : 1, 2, 3, 4, à la fin ; je crois que c’est sur une feuille volante.

ACCUSÉ JODL

Oui.

M. ROBERTS

Il y est dit :

« Pour empêcher l’ennemi de se servir de troupes de sabotage, les questions suivantes doivent être éclaircies avant de donner un ordre : 1. Avons-nous nous-mêmes l’intention de nous servir de troupes de sabotage, soit sur les arrières de l’ennemi, soit même derrière les lignes ? 2. Qui disposera de plus de troupes de sabotage, l’ennemi ou nous ? 3. Pouvons-nous poser ce principe : les troupes de sabotage sont hors la loi, elles doivent être exterminées sans merci ? 4. Attachons-nous de l’importance à l’arrestation préalable des membres du groupe en question, aux fins d’interrogatoire par le contre-espionnage, sans les tuer tout de suite ? »

Telles furent les considérations qui furent examinées dans votre service avant que cet ordre n’eût été promulgué.

ACCUSÉ JODL

Ce sont là des problèmes qui se présentèrent à l’État-Major, à la suite du rapport de la Wehrmacht. Heureusement, tous ces documents confirment l’absolue véracité de ce que j’ai dit il y a deux jours. L’État-Major, le service juridique et le service des Affaires étrangères se creusèrent la tête pour savoir comment ils rédigeraient l’ordre traduisant les additifs faits par le Führer au communiqué de la Wehrmacht. Ni eux, ni moi, n’arrivâmes à une conclusion et aucune proposition ne fut faite au Führer. Les choses en restèrent là. C’est ce que j’ai dit avant-hier et c’est ce que, fort heureusement, vous pouvez constater vous-même d’après la présentation de ces documents.

M. ROBERTS

Vous avez dit, je crois, qu’une partie de l’ordre du Führer vous dégoûtait ?

ACCUSÉ JODL

Oui.

M. ROBERTS

Et vous avez dit, au cours de votre interrogatoire, que la mise en circulation de cet ordre était l’une des choses qui choquaient le plus votre conscience, vos « convictions profondes », pour employer vos propres termes.

ACCUSÉ JODL

J’ai dit au cours de mon interrogatoire préliminaire que ce fut là un des rares ordres du Führer qu’en mon for intérieur je désapprouvais complètement.

M. ROBERTS

Vous dites que vous l’avez rejeté, mais ces jeunes gens n’en continuaient pas moins à être fusillés.

ACCUSÉ JODL

Je vous ai déjà expliqué en détail comment, dans la pratique, les généraux du front, vigoureusement soutenus par moi, ont interprété cet ordre de la façon la plus douce qu’il était possible de le faire ; et, effectivement, il y a eu très peu d’incidents de ce genre, et tous (en tout cas ceux dont j’ai eu connaissance) étaient pleinement justifiés, car les méthodes de combat employées par ces individus n’étaient pas celles d’honnêtes soldats.

M. ROBERTS

Vous parlez de vos « convictions profondes ». Je crois que Keitel a parlé de sa « conscience ». Mais aurions-nous entendu parler de ces « convictions » et de cette « conscience » si l’Allemagne n’avait pas perdu la guerre ?

ACCUSÉ JODL

Nous aurions peut-être entendu parler des étranglés de Dieppe au cours d’un procès analogue.

M. ROBERTS

Il est déjà tard et je voudrais maintenant m’occuper de quelques exemples de la mise en vigueur de cet ordre, puisque vous dites qu’il a été appliqué quelquefois. Je voudrais d’abord me référer au document UK-57 que vous trouverez à la page 309 du livre de documents VII, page 344 de la copie allemande. C’est un rapport de Keitel :

« Le 16 septembre 1942 » — remarquez la date, c’est plus d’un mois avant l’entrée en vigueur de l’ordre sur les commandos — « dix Anglais et deux Norvégiens ont débarqué sur la côte norvégienne, portant l’uniforme des fusiliers de montagne britanniques, armés et équipés de pied en cap, transportant des exploisifs de tous genres.

« Après une marche pénible dans des régions montagneuses, ils firent sauter d’importantes installations du centre de Glomfjord, le 21 septembre. Une sentinelle allemande fut tuée au cours de cet incident ; Les ouvriers norvégiens furent menacés d’être chloroformés s’ils résistaient ; dans ce but, les Anglais étaient munis de seringues à morphine. Sept des participants furent arrêtés tandis que les autres s’enfuyaient en Suède. »

Suivent les noms des sept hommes arrêtés, que j’ai mentionnés en janvier dernier. Ils furent fusillés le 30 octobre 1942. Ils l’auraient été en application d’un ordre qui n’était cependant pas entré en vigueur au moment de l’opération.

Vous nous avez dit il n’y a pas longtemps qu’une station d’énergie était bien un objectif militaire. Ces hommes étaient en uniforme. Pouvez-vous justifier cela ?

ACCUSÉ JODL

Non, et je ne le ferai pas. Je considère que c’est absolument illégal, car cet ordre n’aurait pu avoir d’effet rétroactif. Mais je n’en ai rien su à cette époque. J’en ai lu les première et deuxième parties ici pour la première fois, la troisième en avril 1944.

M. ROBERTS

Il y a d’autres documents se rapportant à cette question. Je ne veux pas vous les présenter ; on en a déjà parlé et je veux observer la règle de non-cumul. Mais je vais d’abord vous poser une question.

Je pense qu’il avait été établi que toute action entreprise conformément à cet ordre du Führer devait être énoncée dans le communiqué de la Wehrmacht ?

ACCUSÉ JODL

Oui, on avait donné cet ordre.

M. ROBERTS

Je vais simplement vous donner lecture d’un communiqué de la Wehrmacht, document PS-526 (USA-502) à la page 15 du livre de documents VII (a), du 10 mai 1943 ; c’est la page 21 du texte allemand. C’est une note du service « Q » de votre État-Major :

« Le 30 mars 1943 à Toftefjord, un cotre ennemi a été signalé, l’ennemi l’a fait sauter. Équipage : 2 morts, 10 prisonniers. Le cotre fut envoyé de Scalloway (Shetland) par la Marine norvégienne. Armes : 2 mitrailleuses Colt, 2 mitrailleuses montées, 1 petit émetteur, 1 tonne d’explosifs... But : organisation d’actes de sabotage de points fortifiés, de batteries, de centres militaires, de ponts...

« Ordre du Führer exécuté par le SD. »

« Le communiqué de la Wehrmacht du 6 avril annonce ce qui suit : « En Norvège du Nord, un détachement de sabotage ennemi a été attaqué et détruit en approchant de la côte. »

Cela était faux ?

ACCUSÉ JODL

J’ai confirmé ce communiqué du 6 avril qui mentionnait l’action du commandant en Norvège. Cette brève formule émanait toujours du front. Quant à ce qui s’est passé effectivement, on en parle dans la note du 10 mai que je n’ai malheureusement jamais vue, car je me rendais ce jour-là à Bad Gastein pour me soigner d’une grave crise de goutte. Je n’ai donc vu pour la première fois ce document qu’ici, à Nuremberg. Je le regrette infiniment, car c’eût été un des quelques rares cas où j’aurais pu intervenir.

M. ROBERTS

Mais, témoin, l’action n’a pas eu lieu le 10 mai, mais le 6 avril ; regardez donc le dernier paragraphe : « Le communiqué de la Wehrmacht du 6 avril annonce ce qui suit : « Un détachement de sabotage ennemi a été attaqué et détruit en « approchant de la côte ».

Alors qu’en réalité ses membres ont été faits prisonniers puis abattus comme des chiens par le SD.

ACCUSÉ JODL

C’est ce que je viens de vous dire ; je n’ai rien su avant ce rapport du 6 avril. Toute cette affaire n’a été portée à notre connaissance que le 10 mai, à la suite de quoi le Wehrmachtführungsstab a rédigé cette note. L’enquête fut menée par le service de renseignements de Canaris, en collaboration avec son service de sécurité. Ce n’était pas le SD. Malheureusement, je ne connaissais pas les détails. Le service de renseignements était au courant. Je ne me suis occupé de la question que parce que j’avais à rédiger le communiqué. Autrement, je n’aurais jamais rien eu à faire avec l’ordre sur les commandos. J’en suis innocent.

M. ROBERTS

Je voudrais vous montrer encore un exemple, document PS-2610, dans le livre de documents VII (a), page 23 (page 41 du livre allemand). Je voudrais vous faire remarquer, témoin, que c’est le seul document sur lequel je m’appuie, car ce n’est pas un document saisi : c’est un rapport du service du Judge Advocate General, US Army. Il parle de 15 Américains qui furent fusillés conformément à cet ordre. Veuillez regarder la deuxième page :

« Dans la nuit du 22 mars 1944, deux officiers et treize soldats du bataillon de reconnaissance spéciale de l’Armée des USA, débarquèrent sur la côte italienne près de la station de Framura. Ces quinze hommes faisaient tous partie de l’Armée américaine et, au moment du débarquement, ils étaient tous en uniforme et ne portaient pas de vêtements civils. Leur mission était de détruire un tunnel de voie ferrée sur la grande ligne La Spezia-Gênes. Cette voie ferrée était utilisée par les troupes allemandes pour le ravitaillement de leurs armées de Cassino et de la tête de pont d’Anzio. »

Ce tunnel était bien un objectif militaire ?

ACCUSÉ JODL

Absolument.

M. ROBERTS

Ces quinze hommes furent fusillés conformément à l’ordre que vous aviez transmis le 19 octobre. Vous avez diffusé un ordre supplémentaire dont le dernier paragraphe, je crois, vous dégoûtait.

ACCUSÉ JODL

Il serait plus exact de dire : « Vous deviez diffuser ».

M. ROBERTS

Je vais revenir sur cette question dans un instant. Je n’ai pas à discuter avec vous J’ai des questions à poser.

Le général Dostler, qui a ordonné l’exécution de ces hommes a, lui aussi, été fusillé par décision d’un tribunal militaire.

Je vais maintenant passer...

ACCUSÉ JODL

Puis-je encore dire quelque chose au sujet de ce document ?

M. ROBERTS

Oui, tout ce que vous voudrez.

ACCUSÉ JODL

Je n’ai jamais eu connaissance de cet incident ; je n’en ai du moins aucun souvenir. Il n’a jamais été mentionné dans le communiqué de la Wehrmacht, car le général Dostler n’en a pas fait part à son chef direct le maréchal Kesselring qui, dans ce cas, aurait adopté une autre attitude.

M. ROBERTS

Pourquoi dites-vous que vous « deviez » diffuser cet ordre ? Aucun homme ne peut en obliger un autre à transmettre des ordres d’assassinat.

ACCUSÉ JODL

J’ai déjà donné de longues explications sur le fait que cet ordre ne pouvait pas être simplement considéré comme un ordre d’assassinat, mais que des doutes très sérieux et très justifiés pouvaient s’élever, quant au Droit international, sur le bien-fondé de cet ordre. Vous devriez d’ailleurs montrer la plus grande compréhension à l’égard de la situation délicate dans laquelle je me trouve actuellement et me suis trouvé pendant cinq ans et demi, sans pouvoir parler ni agir.

M. ROBERTS

Vous auriez pu refuser. Vous et les autres généraux auriez pu dire : « Nous sommes tous des soldats honorables et nous ne promulguerons ni ne transmettrons ces ordres ».

ACCUSÉ JODL

Certainement, dans d’autres conditions, cela eût été possible : d’abord si, à cette époque, je n’avais pas été en conflit avec le Führer, et ensuite si le ministre dé la Guerre britannique m’avait facilité davantage la tâche. Cependant, ces événements et la déclaration anglaise du 2 septembre mirent le Führer dans une colère contre laquelle je ne pouvais rien. Ce document est la meilleure preuve des tentatives que j’ai faites pour résister, car les menaces des punitions prévues dans certains cas s’appliquaient directement au mien.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Roberts, je pense qu’il serait bon de suspendre l’audience.

(L’audience est suspendue.)
M. ROBERTS

Je voudrais vous poser quelques questions au sujet de la déportation des Juifs danois. Voudriez-vous examiner un nouveau document, le D-547, que je dépose sous le numéro GB-488. C’est un document adressé par le commandant allemand au Danemark à l’État-Major des opérations de l’OKW, le 20 octobre 1943. Il se trouve avant le télétype qui a été déposé il y a deux jours.

« Le Führer a donné son accord de principe au télégramme du Dr Best, selon lequel la question juive au Danemark doit être résolue au plus tôt par la déportation.

« L’exécution de cette mesure doit se faire pendant que la loi martiale est encore en vigueur. On n’est pas certain de pouvoir fournir des forces de police suffisantes pour arrêter les Juifs et leur famille (6.000 personnes environ) dont la plupart vivent à Copenhague. L’Armée aurait à faire face à des tâches qui la dépasseraient.

« Je crois que les résultats de la déportation seront sérieux. Les livraisons de l’industrie d’armement en souffriront. Il faudra s’attendre à des troubles considérables. »

Et vous avez rédigé une note au verso :

« Je ne sais rien de cette affaire. Si une mesure politique doit être exécutée par le commandant au Danemark, l’OKW doit en être avisé par le ministère des Affaires étrangères. »

Est-ce exact ?

ACCUSÉ JODL

Oui. Je ne me serais plus souvenu de ce document, mais cette note a certainement été rédigée par moi. Elle prouve que, jusqu’à maintenant, je ne m’en souvenais pas, que cette question avait été discutée quelques jours auparavant au Danemark et que le commandant au Danemark avait élevé des objections. C’est pourquoi j’ai écrit : « Je n’en savais rien. Il s’agit d’une mesure politique, et si une mesure politique doit être prise au Danemark, le ministère des Affaires étrangères voudra bien nous en faire part ».

M. ROBERTS

J’ai omis un ou deux documents sans importance. Veuillez vous reporter au document daté du 1er octobre 1943. C’est le cinquième document dans le dossier, Monsieur le Président, n° D-547 en date du 1er octobre 1943. Il est adressé à l’OKW et provient du Danemark :

« Le plénipotentiaire du Reich au Danemark a fait le rapport suivant au ministère des Affaires étrangères du Reich :

1. L’arrestation des Juifs aura lieu dans la nuit du 1er au 2 octobre 1943. Le transport de Zélande s’effectuera par bateau.

2. A moins d’avis contraire, je n’ai pas l’intention de laisser publier cette action contre les Juifs, que ce soit par la presse ou par la radio.

3. A moins d’avis contraire, j’ai l’intention de laisser intacts les biens des Juifs évacués, afin que leur confiscation ne passe pas pour constituer le motif de l’action. »

Ensuite, il est question des inconvénients de l’opération. Il y a cette question : « Le Reichsführer SS est-il au courant ? » et une réponse : « Le Reichsführer SS est au courant et il est d’accord ». Puis, figure une hôte au crayon de l’écriture de Jodl : « Le Führer est d’accord ». Est-ce bien votre écriture ?

ACCUSÉ JODL

C’est mon écriture, oui, mais cela se rapporte uniquement au passage qui stipule que les soldats danois internés devaient être relâchés.

M. ROBERTS

Oui.

ACCUSÉ JODL

Ce qui est important dans ce document, c’est que le commandant au Danemark y déclare qu’il n’a pas l’intention de saisir les biens des Juifs évacués. C’est lui qui, alors, exerçait le pouvoir exécutif.

M. ROBERTS

Avez-vous le document suivant de cette même série, du 2 octobre 1943, adressé du Danemark à l’OKW ? Je cite :

« L’action contre les Juifs s’est déroulée dans la nuit du 1er octobre ; elle a été assurée par la Police allemande ; elle s’est effectuée sans incidents. »

Voici le dernier document, daté du 3 octobre, adressé à l’État-Major de l’OKW :

« Selon la déclaration du plénipotentiaire du Reich, le Reichsführer SS a ordonné que lui seul, en sa qualité de responsable de l’action contre les Juifs, devait connaître le chiffre exact des personnes arrêtées. Le plénipotentiaire n’a donc donné aucun chiffre au commandant des troupes allemandes au Danemark. Deux cent trente-deux Juifs ont été remis à la Police et dirigés sur les points de rassemblement institués par le « Wach Bataillon » de Copenhague. »

Qu’était ce « Wach Bataillon » ?

ACCUSÉ JODL

Je ne puis pas le dire. Je ne connais pas sa composition. Peut-être était-ce une unité de Police ou une branche de l’Armée, je ne puis le dire avec certitude. En tout cas, c’était une unité de protection. Mais ma remarque : « Ceci ne nous intéresse absolument pas » est intéressante. Elle montre que cette affaire ne me concernait pas et que j’ai refusé d’y prendre part.

M. ROBERTS

Je me le demande. Vous dites que le « Wach Bataillon » aurait pu être une branche de l’Armée. Étiez-vous...

ACCUSÉ JODL

Ce n’est pas certain. Je n’ai pas l’intention de discuter indéfiniment là-dessus. Il y avait des « Wach Bataillon » dans l’Armée, mais la Police avait également des unités de protection. Le général von Hannecken doit avoir des renseignements à ce sujet.

M. ROBERTS

Mais est-ce que les « honnêtes soldats allemands » dont vous avez parlé hier étaient appelés à rassembler les Juifs qui tentaient de ne pas tomber aux mains des SS ?

ACCUSÉ JODL

Non ; il est dit ici : « ... elle a été assurée par la Police ». Je ne crois pas qu’une seule unité de la Wehrmacht se soit occupée de la déportation des Juifs. Je ne le crois pas ; la Wehrmacht s’y opposait.

M. ROBERTS

Vilaine besogne, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ JODL

Je ne crois pas que cela se soit jamais produit.

M. ROBERTS

Et ensuite votre note : « Ne nous intéresse absolument pas ». S’agissait-il d’une indifférence totale à l’égard du nombre de Juifs déportés ?

ACCUSÉ JODL

Il ne s’agit pas de cela. Cette note prouve qu’il y avait là une affaire politique qui, en tant que telle, ne m’intéressait pas. Mon attitude à l’égard du problème juif a, je crois, été déjà définie de façon précise.

M. ROBERTS

Où ces Juifs furent-ils envoyés ? A Auschwitz ?

ACCUSÉ JODL

Non. Le Ministère Public français en a parlé. Les Juifs dont nous parlons maintenant ont été envoyés à Theresienstadt. Les plus âgés y sont morts, mais tous les autres ont été bien traités ; ils recevaient des vivres et des vêtements. Ce renseignement a d’ailleurs été confirmé par le document du Gouvernement danois.

M. ROBERTS

Et vous le croyez ?

ACCUSÉ JODL

Je le crois, car le Gouvernement danois l’a confirmé ici, par la bouche du Ministère Public lui-même.

M. ROBERTS

Je voudrais maintenant aborder un autre sujet : celui du travail forcé.

N’avez-vous pas dit dans votre discours (voudriez-vous vous reporter aux notes qui s’y rapportent, pages 38 et 39, page 298 du livre de documents VII, le plus important. C’est le paragraphe qui commence à la page 38 de l’exemplaire du témoin. Il y a, je crois, une petite étiquette portant « 38 ». La trouvez-vous ?) :

« Le problème du manque de main-d’œuvre nous a poussés à utiliser plus à fond les réserves disponibles dans les territoires que nous occupons. Les bruits les plus contradictoires circulent à ce sujet. Je crois qu’en ce qui concerne la main-d’œuvre, on a déjà fait tout ce qu’il était possible de faire. Là où tout n’a pas été fait, il a été, semble-t-il, de bonne politique de faire abstraction de mesures de coercition et de s’assurer plutôt une aide économique.

« A mon avis, cependant, le moment est venu de prendre des mesures impitoyables au Danemark, en Hollande, en France et en Belgique, afin de forcer les milliers d’oisifs à effectuer les travaux de fortification dont l’importance est primordiale. Des ordres ont déjà été donnés dans ce sens. »

Vous vous souvenez de cela ?

ACCUSÉ JODL

Il est certain que j’ai écrit cela un jour.

M. ROBERTS

Ah ?

ACCUSÉ JODL

Mais cela ne veut pas dire que je l’aie dit.

M. ROBERTS

Mais les ordres nécessaires avaient été donnés aux civils des territoires occupés pour qu’ils travaillent aux fortifications allemandes ?

ACCUSÉ JODL

Le travail obligatoire a été institué dans la plupart des pays. Vous ne savez peut-être pas — mais je le déclare sous la foi du serment — qu’au Danemark, en Hollande, et aussi en Belgique, les entreprises locales ont embauché de la main-d’œuvre pour les fortifications, et que la population de ces pays en était particulièrement heureuse, car plus leur côte était fortifiée, moins il y avait de chances pour que l’invasion se produise dans leur voisinage. Ils avaient naturellement le plus grand intérêt à éviter une invasion dont ils prévoyaient l’effet destructeur. Ainsi, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, la population de ces pays a travaillé aux fortifications, souvent avec un enthousiasme extrême. C’est un fait.

M. ROBERTS

Je ne vous ai pas interrompu. Mais les ordres nécessaires n’ont-ils pas — comme il est dit dans la dernière phrase — été donnés pour obliger les personnes qui ne voulaient pas travailler à participer aux travaux de fortifications ? Je ne parle pas des volontaires, mais de ceux qui ne voulaient pas travailler.

ACCUSÉ JODL

Je comprends. Je ne connais pas les procédés employés dans le détail, car je ne m’en occupais pas. Mais je sais que des lois sur le travail obligatoire ont été introduites dans les pays occupés.

M. ROBERTS

Fort bien. Laissons cela, puisque c’est là tout ce que vous voulez dire.

Veuillez maintenant examiner un nouveau document, le PS-1383, que je dépose sous le numéro GB-489. C’est le compte rendu d’une discussion sur la situation militaire en cours, en date du 12 décembre 1942. Nous avons là les pages 65 et 66. C’est vous qui parlez :

« Le commandant militaire en France communique : « Le nombre des travailleurs français déportés dans le Reich depuis le 1er juin a dépassé maintenant 220.000. Il y a, en gros, 110.000 ouvriers spécialisés à Berlin. »

Combien, parmi ces 220.000 travailleurs, étaient des volontaires ?

ACCUSÉ JODL

Je ne peux pas le dire ; j’ai extrait cette citation d’un appendice annexé au rapport sur la situation en France. Sauckel a déjà expliqué que de vastes échanges de prisonniers de guerre et de travailleurs avaient été organisés.

M. ROBERTS

Je vais laisser cela. Je vous pose simplement deux questions sur Sagan, sur le Stalag Luft III.

Vous avez dit hier qu’après l’incident des exécutions de Sagan, vous pensiez que Hitler n’était plus « humain ». Vous avez bien dit cela ?

ACCUSÉ JODL

J’ai dit hier que j’avais alors l’impression qu’il s’écartait de tous les principes du Droit naturel.

M. ROBERTS

Et pensiez-vous qu’il était humain jusqu’à mars 1944 ?

ACCUSÉ JODL

Avant cette période, j’ignorais personnellement qu’il fût l’auteur d’incidents illégaux ou, tout au moins, répréhensibles du point de vue du Droit international. Tous ses ordres antérieurs étaient, autant que je sache, justifiables d’une façon ou d’une autre. C’étaient des mesures de représailles. Mais l’incident dont nous parlons ne constituait pas des représailles.

M. ROBERTS

Cela a été — le terme n’est pas trop fort, vous en conviendrez — le meurtre pur et simple de cinquante aviateurs ?

ACCUSÉ JODL

Je suis entièrement d’accord avec vous ; je considère que c’est un assassinat pur et simple.

M. ROBERTS

Comment pouviez-vous, vous, honnêtes généraux, continuer à servir un assassin avec une loyauté inébranlable ?

ACCUSÉ JODL

Après cet événement, je ne l’ai pas servi avec une fidélité sans réserve, mais j’ai fait tout mon possible pour éviter d’autres injustices.

M. ROBERTS

J’en viens maintenant à un tout autre sujet, celui des destructions en Norvège. Le document PS-754 n’a pas encore été versé au dossier et je le dépose sous le numéro GB-490. Ce document porte votre signature, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ JODL

Je connais ce document depuis longtemps ; il porte ma signature.

M. ROBERTS

Peut-être pourrais-je en lire quelques extraits au Tribunal. Ce document porte la date du 28 octobre 1944. Il émane de votre État-Major et la distribution s’en est faite ainsi : OKW, Commandant en chef en Norvège, Commissaire du Reich en Norvège et la Marine.

« En raison de la mauvaise volonté mise par la population norvégienne du Nord dans l’évacuation volontaire, le Führer a accepté les propositions du Commissaire du Reich et a ordonné que toute la population norvégienne se trouvant à l’est du fjord de Lyngen soit évacuée par la force, dans l’intérêt de sa propre sécurité, et que toutes les maisons soient brûlées ou détruites.

« Le Commandement suprême du nord de la Finlande est responsable de la bonne exécution de l’ordre du Führer. Ce n’est que par cette méthode que l’on peut empêcher que les Russes, disposant d’effectifs puissants et utilisant ces demeures et les connaissances topographiques des habitants, ne suivent nos opérations de retraite au cours de cet hiver et n’apparaissent bientôt devant nos positions de Lyngen. Il n’y a pas de sympathie à avoir pour la population civile. »

Lyngen se trouve tout à fait au nord de la Norvège, sur la côte orientale ?

ACCUSÉ JODL

Non, sur la côte nord, à l’endroit où la Finlande touche la région polaire ; il y a là une bande très étroite de territoire norvégien.

M. ROBERTS

Cet ordre fut exécuté d’après le rapport norvégien UK-79, que le Tribunal trouvera comme dernier document du petit livre. C’est le 7 (a), page 26 du rapport norvégien, au bas de la page :

« Par suite de l’avance des troupes russes et de la retraite des troupes allemandes dans le Finnmark, en octobre et novembre 1944, les Allemands ont pratiqué la poltique de la terre brûlée pour la première fois en Norvège. L’ordre fut donné d’évacuer la population civile et de détruire toutes les maisons, tous les moyens de transports et tous les stocks.

« A la suite de ces mesures, 30.000 maisons environ furent endommagées, sans compter 12.000 cabanes, ce qui représente un total d’environ 176.000.000 de couronnes. »

Le Tribunal trouvera à la page 62 une copie de l’ordre allemand, et à la page 63 une photographie des ruines d’un village de pêcheurs. Témoin, n’était-ce pas là un ordre cruel ?

ACCUSÉ JODL

Non, pas précisément. J’ai quelque chose à ajouter à ce sujet. Comme je l’ai toujours dit, cet ordre a été sollicité du Führer par le Commissaire du Reich Terboven. Il a été promulgué non par les militaires, mais malgré eux. D’autre part, cet ordre n’a pas été exécuté, sinon les villes de Kirkenes, Hammerfest et Alta n’existeraient plus aujourd’hui. Toutes ces villes se trouvent à l’est du fjord de Lyngen. Pratiquement, la rigueur de cet ordre a été atténuée par nos troupes, et avec mon accord. J’ai eu à ce sujet des conversations avec mon frère qui commandait en chef cette région et que je voulais faire citer comme témoin, car je m’attendais à ce que ce document fût produit, et cet ordre a été atténué à un point tel, qu’en fait on n’a détruit que ce qui était stratégique-ment nécessaire, comme il était prévu à l’article 23 de la Convention de La Haye. Si on avait agi autrement, il ne resterait plus aujourd’hui en Norvège du Nord ni une ville ni une maison. Et si vous parcourez cette région, vous pourrez constater que ces villes existent encore et ne sont pas détruites.

Le commandant de la Wehrmacht en Norvège a protesté énergiquement contre cette conception de Terboven, et j’ai transmis ces protestations au Führer avec une égale véhémence, ce qui ne l’empêcha pas de publier cet ordre. Retenus par nos sentiments humanitaires, nous n’avons exécuté ces ordres que dans la mesure où la situation militaire l’exigeait absolument. Tels sont les faits.

M. ROBERTS

Je crois que vous avez dit au cours de votre interrogatoire que votre frère s’était plaint de cet ordre ?

ACCUSÉ JODL

Oui. Cet ordre a provoqué chez lui une violente colère.

M. ROBERTS

Fort bien. Venons-en maintenant à deux documents concernant le traitement de la population civile norvégienne. Ils se trouvent dans votre livre de documents n° I, aux pages 99 et 100. Cela commence à vrai dire à la page 98. Ce sont des directives sur la conduite à tenir pour l’occupation du Danemark et de la Norvège. Ce sont des instructions aux troupes, leur enjoignant de traiter les habitants poliment et de se comporter avec la décence nécessaire. C’est bien cela ?

ACCUSÉ JODL

Oui, c’est exact.

M. ROBERTS

Il faut expliquer aux soldats que leur entrée en Norvège n’a d’autre but que la protection de ce pays et la sécurité de ses habitants. Cela figure à la page 99. C’est plutôt en euphémisme que cette description de l’invasion soudaine de la Norvège sans déclaration de guerre ?

ACCUSÉ JODL

Oui, mais au début elle s’est, dans l’ensemble, effectuée de façon très pacifique.

M. ROBERTS

A votre point de vue ?

ACCUSÉ JODL

Non, d’après les Norvégiens eux-mêmes. Les choses les plus extraordinaires...

M. ROBERTS

Nous avons vu, nous pouvons voir dans le rapport du Gouvernement norvégien, toutes les photographies de ces villes et villages détruits par les bombardements. Est-ce là votre conception d’une occupation pacifique ?

ACCUSÉ JODL

Ce qui a été bombardé le jour du débarquement ne vaut même pas la peine d’être mentionné : quelques batteries côtières et quelques fortifications, mais pas de villes. Des villages n’ont été détruits que plus tard, au cours des combats avec les brigades anglaises à Dombass et Lillehammer, mais rien n’a été détruit au moment de l’occupation même. Les Norvégiens se trouvaient alors sur les quais, les mains dans les poches, nous regardant avec beaucoup d’intérêt.

M. ROBERTS

Et naturellement, témoin, si vous aviez pu débarquer sans opposition aucune et occuper librement le pays, cela n’en aurait été que mieux pour vous. C’est évident ?

ACCUSÉ JODL

Bien sûr, cela eût été préférable. Et si Terboven n’était pas venu, les Norvégiens auraient mieux supporté l’occupation.

M. ROBERTS

Je voudrais maintenant que vous regardiez un passage de ce document qui, cela se comprend, n’a pas été lu. C’est l’annexe n° 5, Monsieur le Président, du numéro AJ-14, qui fut donné à ce document au moment de l’interrogatoire. J’en remets des copies au Tribunal, car il ne figure pas dans le livre de documents de Jodl.

Témoin, je puis considérer cette annexe comme « Principes généraux de l’attitude des troupes dans les régions occupées ». Je ne lis pas les quelques premiers paragraphes :

« Ce n’est qu’au cas où la population civile résisterait ou se rebellerait que les décisions suivantes peuvent être exécutées :

« 1. Si la population civile fait preuve de résistance ou si des attaques sont à redouter de sa part, on pourra, en principe, recourir à l’arrestation d’otages. Les arrestations ne doivent être effectuées que sur l’ordre d’un commandant de régiment ou d’un militaire d’un grade équivalent.

« En ce qui concerne l’entretien et la nourriture des otages, il ne faut pas oublier que ceux-ci ne sont pas emprisonnés pour crimes. Ils doivent être informés, ainsi que toute la population, qu’ils seront fusillés à la moindre manifestation d’hostilité. Cette exécution doit être préalablement autorisée par le commandant de division. »

Puis :

« La résistance armée de la part de la population civile doit être écrasée par la force des armes. »

Puis la dernière phrase :

« La peine de mort sera prononcée contre quiconque se sera rendu coupable de violence contre l’Armée allemande. Des tribunaux militaires siégeront immédiatement. Pouvant être nommés par le commandant du régiment, ils comprendront : un capitaine, un sergent, un caporal ; ils entendront des témoins et rédigeront le verdict par écrit. Ils pourront condamner à mort ou acquitter. La sentence sera exécutée aussitôt après confirmation par le commandant du régiment. Seront considérés comme actes de violence : sabotage, destruction des lignes de communications, démolition des lignes téléphoniques, etc. »

Ceci n’est-il pas quelque peu draconien ? Seulement la peine de mort ?

ACCUSÉ JODL

Toutes ces instructions sont entièrement conformes aux directives qui ont été rédigées en temps de paix par les experts du Droit international attachés au ministère des Affaires étrangères, et par les professeurs de droit allemands. Si on avait agi partout selon les principes et la procédure militaires que nous avions consacrés avant la guerre, tout eût été pour le mieux. Ces directives envisageaient la question des otages du point de vue du Droit international, et il n’y a aucun doute que ce système d’otages était admissible d’après le droit en vigueur en 1939.

M. ROBERTS

Puisque vous soulevez ce problème, j’estime que le Droit international n’a jamais légalisé l’exécution d’otages.

ACCUSÉ JODL

Oui, mais la prohibition n’en a jamais été expressément stipulée. Je crois que la question n’a pas été résolue. Dans nos instructions, même dans le « Livre militaire », le système des otages avait été établi depuis des années.

M. ROBERTS

C’est possible. Je ne veux pas discuter avec vous sur ce point. Je vous affirme que les Conventions de La Haye protègent la vie des civils dans les pays occupés, à moins, bien sûr, qu’ils ne se soient rendus coupables de crimes, et interdisent également le châtiment collectif des innocents. Si vous avez encore quelque chose à dire à ce sujet, je ne veux pas vous interrompre.

ACCUSÉ JODL

Je puis simplement dire pour résumer que chaque mot de ce texte est conforme aux directives applicables dans l’Armée allemande, lesquelles n’étaient pas illégales. Mais il fraudrait discuter ce problème avec des spécialistes du Droit international.

M. ROBERTS

Fort bien. Voulez-vous maintenant regarder le deuxième document se rapportant à la Norvège. C’est le D-582, Monsieur le Président ; c’est un nouveau document ; je le verse au dossier sous le numéro GB-491. Témoin, est-ce bien un document provenant de vos services ?

ACCUSÉ JODL

Oui, cela provient du Wehrmachtführungsstab, service du Quartiermeister.

M. ROBERTS

Le connaissez-vous ou non ?

ACCUSÉ JODL

Je ne m’en souviens pas, mais il y a là des notes écrites de ma main ; c’est donc certainement un document que j’ai vu.

M. ROBERTS

Où se trouvent donc ces notes, témoin ?

ACCUSÉ JODL

Elles sont au verso du dernier télétype.

M. ROBERTS

Ah ! Je vois ce que vous voulez dire. Voulez-vous prendre d’abord... J’avais oublié que vous aviez plus d’un document en mains. Prenez d’abord le document datant du 2 février 1945. Je crois que c’est le premier.

ACCUSÉ JODL

Ces notes ne sont pas de moi, si bien que je ne puis dire avec certitude si j’ai vu ce document.

M. ROBERTS

Regardez-le simplement et dites-moi si vous l’avez vu.

ACCUSÉ JODL

Je ne crois pas, je ne me souviens pas de l’avoir jamais lu.

M. ROBERTS

Dans ces conditions, je ne crois pas qu’il soit opportun de vous interroger sur ce document. Monsieur le Président, dans ce cas je demanderai à retirer ce document.

LE PRÉSIDENT

Je crois que l’accusé a dit qu’il émanait de ses services ?

M. ROBERTS

Oui, Monsieur le Président ; en effet, il l’a dit.

Témoin, vous voyez ce que dit ce document. Il date du 2 avril 1945.

ACCUSÉ JODL

Du 2 février.

M. ROBERTS

Oui, du 2 février. Il est question du rapport du commissaire Terboven au Führer. Il est dit :

« 1. Les responsables des tentatives de meurtre et de sabotage sont les éléments illégaux constitués par la majorité bourgeoise nationale et la minorité communiste, ainsi que les groupes isolés qui sont venus directement d’Angleterre ou de Suède.

« 2. La majorité nationale bourgeoise s’oppose à la minorité communiste quant à la conception des actes de sabotage et des meurtres, en particulier en ce qui concerne leur étendue et leur nature. Cette résistance est devenue de plus en plus faible au cours de l’année dernière.

« 3. Les personnalités officielles du Gouvernement exilé comme, par exemple, le prince Olaf, en sa qualité de soi-disant Commandant en chef des Forces armées norvégiennes et plusieurs autres, ont personnellement incité par leurs discours la population norvégienne à commettre des actes de sabotage. En conséquence, il y a là une très bonne occasion pour dénoncer tout partisan du Gouvernement exilé comme un complice par provocation.

« Les mesures à venir ont donc pour but : a) de renforcer la volonté de combattre le sabotage en menaçant les classes dirigeantes du camp bourgeois ; b) d’augmenter ainsi de plus en plus les antagonismes entre bourgeois et communistes. »

Ensuite viennent les « suggestions ». Elles émanent vraisemblablement de vos services :

« 1. Les représentants particulièrement influents des classes industrielles ouvertement anti-allemandes et anti-nazies, doivent être fusillés sans jugement une fois établi le chef d’accusation de complicité par provocation, après avoir précisé qu’ils auront été condamnés à la suite d’enquêtes policières.

« 2. D’autres individus de ce genre doivent être envoyés en Allemagne pour travailler aux fortifications.

« 3. Dans le cas où les circonstances le permettront, le procès doit se dérouler devant un tribunal de la Police et des SS, avec exécution de la sentence de mort et publicité adéquate. »

Suivent d’autres suggestions qu’il est inutile de lire. Je passe à l’avant-dernier paragraphe :

« Le Führer n’a donné qu’un accord partiel à ces propositions. Surtout en ce qui concerne les mesures de protection contre les actes de sabotage, il a rejeté le système des otages. Il a rejeté l’exécution sans jugement des représentants norvégiens influents. »

Ceci est souligné au crayon bleu. Est-ce vous qui l’avez souligné ?

ACCUSÉ JODL

Non, ce n’est pas moi.

M. ROBERTS

Voyez-vous, témoin, voilà un document remarquable, voilà un exemple où vos services suggèrent ce que j’estime être des brutalités, au Führer qui, pour une fois, les rejette.

ACCUSÉ JODL

Je crois, Monsieur Roberts, que vous faites une petite erreur. On ne fait ici aucune proposition. Mais le Wehrmachtführungsstab communique au commandant militaire en Norvège ce que le Commissaire du Reich Terboven a dit au Führer. Il lui a d’abord parlé de la situation générale et lui a fait ensuite les propositions mentionnées ici ; et le Wehrmachtführungsstab qui avait certainement un représentant à cet entretien (je n’y étais pas) a immédiatement informé le commandant militaire des belles propositions faites par son ami Terboven. Voilà ce qui est arrivé. Ces propositions étaient trop outrées, même pour le Führer. Mais elles n’étaient pas nôtres.

M. ROBERTS

Fort bien, témoin. J’accepte vos explications et le Tribunal appréciera. Peut-être sont-elles acceptables. Le document est assez éloquent par lui-même.

LE PRÉSIDENT

Voudriez-vous lire le titre : « Orientation au sujet du rapport au Führer du Commissaire du Reich Terboven » ?

M. ROBERTS

Oui, c’est l’indication du sujet au début, n’est-ce pas témoin ? « Orientation au sujet du rapport au Führer du Commissaire du Reich Terboven ». Quelle orientation ? Celle de votre service ?

ACCUSÉ JODL

Orientation de la 20e armée de montagne, c’est-à-dire celle du général Böhm. Celui-ci est averti du rapport fait par le Commissaire du Reich Terboven au Führer, de façon à ce qu’il soit au courant des propositions faites par son ami. Autrement dit, ce n’est rien d’autre qu’un rapport sur ce que Terboven a dit au Führer. Je ne sais pas qui assistait à cette réunion, je n’y étais pas. Tout cela ne provient pas de moi je ne l’ai jamais vu.

M. ROBERTS

Voyons maintenant le deuxième document. Il est adressé par Terboven à Bormann, le 28 octobre 1944. Cela concerne l’évacuation de la région est de Lyngen. Je crois qu’il est inutile que je le lise.

Le document suivant, je crois que c’est le second, est un télétype du 6 avril 1945, envoyé par l’Oberführer SS Fehlis au Wehrmachtführungsstab : « Conformément aux instructions données par l’OKW le 29 mars 1945, les membres du mouvement de résistance norvégien qui se présentent en unités organisées et qui sont aisément reconnaissables grâce aux brassards et autres signes distinctifs, doivent être traités comme des prisonniers de guerre ».

Puis, le SS-Oberführer ajoute :

« Je considère que cet ordre est absolument intolérable. Je l’ai expliqué clairement au colonel Hass et au commandant Benze, du Wehrmachtführungsstab, qui ont séjourné ici. On a déjà vu en Norvège des groupes isolés d’hommes sans uniforme, mais jusqu’à présent, il n’y a pas encore eu d’engagement.

« Des enquêtes ont été faites à Londres pour savoir s’il y aurait une opposition en cas d’action de la Police allemande ou norvégienne. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de combat avec les partisans en Norvège. En une occasion, des membres d’une organisation militaire portant l’uniforme ont exigé, une fois prisonniers, d’être traités comme prisonniers de guerre. Si, en l’état actuel des choses, on donnait suite à cette demande, la conséquence en serait une reprise active du combat de la part de l’organisation militaire.

« Je vous prie donc d’obtenir l’annulation de cet ordre. »

Quant à vous, vous avez appuyé cette demande :

« L’objection est justifiée. La Norvège a son propre Gouvernement. Quiconque le combat est un rebelle. Tout autre est le cas des troupes norvégiennes qui ont été évacuées en Angleterre et qui sont de nouveau introduites dans la lutte, sous les ordres de l’Angleterre. »

C’est là votre note ?

ACCUSÉ JODL

Oui.

M. ROBERTS

C’est bien encore aujourd’hui votre opinion ?

ACCUSÉ JODL

Oui. Du point de vue du Droit international, j’estime que les membres d’un mouvement de résistance, agissant contre leur propre Gouvernement, n’ont pas à être considérés comme des troupes régulières, mais comme des émeutiers. Mais lorsque des soldats norvégiens viennent d’Angleterre pour se rendre en Norvège, ils font partie d’une formation régulière. Telle est encore aujourd’hui ma conception du Droit international.

M. ROBERTS

Qu’appelez-vous « leur propre Gouvernement » ? Le Gouvernement fantoche instauré par les Allemands ?

ACCUSÉ JODL

Il y avait alors le Gouvernement Quisling. En tout cas, en ce qui concerne le Droit international, nous occupions le pays, et nous avions légalement le pouvoir de faire des lois et d’en assurer l’exécution. C’est justifié du point de vue du Droit international et toute résistance a été considérée universellement comme une rébellion. Il en est de même pour nous aujourd’hui en Allemagne.

M. ROBERTS

Voyons maintenant très brièvement trois autres questions et j’en aurai fini.

Je voudrais parler d’abord de ce que vous avez dit à propos de la suggestion de Hitler d’abandonner la Convention de Genève. Vous avez dit que vous aviez pris une part active pour l’empêcher de renoncer à cette Convention ?

ACCUSÉ JODL

Oui.

M. ROBERTS

Voudriez-vous regarder un document qui a déjà été versé au dossier et qui est le C-158 (GB-209). Je crois que vous en avez des copies ; il ne figure pas dans le livre de documents. Il a été présenté lors du cas Dönitz. Il est intitulé : « Extraits des procès-verbaux de la conférence de Hitler du 19 février 1945 » : « Le Führer se demande si l’Allemagne doit ou non renoncer à la Convention de Genève. Étant donné que non seulement les Russes, mais encore les Puissances occidentales violent le Droit international par des actions contre la population sans défense et les quartiers d’habitation des villes, il semble opportun d’adopter le même procédé pour montrer à l’ennemi que nous sommes déterminés à combattre avec tous les moyens possibles pour notre existence et pour pousser notre peuple à résister jusqu’à l’extrême limite. Le Führer ordonne que le Commandant en chef de la Marine examine le pour et le contre de cette mesure et donne son opinion. »

Et ensuite, plus bas :

« Conférence de Hitler du 20 février :

« Le Commandant en chef de la Marine fit part au général Jodl et au représentant du ministre des Affaires étrangères au Quartier Général du Führer, Hewel, de ses vues sur la renonciation possible par l’Allemagne à la Convention de Genève. Du point de vue militaire, cette mesure n’est nullement fondée en ce qui concerne la conduite de la guerre sur mer. Au contraire, les inconvénients dépassent de beaucoup les avantages. Même du point de vue général, il semble au Commandant en chef de la Marine que cette mesure n’apporterait aucun avantage. Il vaudrait mieux exécuter sans prévenir les mesures considérées comme nécessaires, sans avertissement, et sauver la face à tout prix. Le chef du Wehrmachtführungsstab et l’ambassadeur Hewel expriment leur entière approbation. »

Vous avez dit, n’est-ce pas, que vous approuviez Raeder lorsqu’il disait : « Dénoncez la Convention de Genève, mais que le monde ne s’en aperçoive pas » ?

ACCUSÉ JODL

Il s’agit de Dönitz.

M. ROBERTS

Dönitz, oui, je m’excuse. Vous avez dit cela ?

ACCUSÉ JODL

Non ; tout ce qu’il y a, c’est, comme je l’ai déjà dit, une note de l’amiral Wagner au sujet d’un entretien dont il ressort simplement que le Grand-Amiral Dönitz aurait refusé, et qu’il aurait fait cette déclaration à la fin. C’est une observation que je ne puis m’expliquer que très difficilement aujourd’hui, car à cette époque la seule raison que nous avait donnée le Führer, était la nécessité d’empêcher les très nombreux soldats de l’Ouest de déserter, par suite de la propagande faite par l’ennemi au sujet du bon traitement qui leur serait réservé. Je ne puis expliquer cette remarque, qui n’est pas comprise dans le document que j’ai remis au Führer au sujet de l’attitude de la Marine. Il y avait une simple comparaison entre les avantages et les inconvénients. Ceux-ci étaient beaucoup plus grands. Cette affaire s’avérait impossible ; elle n’a donc pas été mise en pratique. Les témoins confirmeront ma déclaration.

M. ROBERTS

Je vais vous présenter un de vos propres documents, le D-606. Il n’a pas encore été versé au dossier. Je le dépose sous le numéro GB-492. Il porte bien votre signature ? Il parle des violations de la Convention de Genève. Voulez-vous confirmer tout d’abord qu’il porte bien votre signature ? Est-il signé de vous ? Je vous en prie, répondez à ma question : porte-t-il votre signature ?

ACCUSÉ JODL

Oui, il y a ma signature à la fin.

M. ROBERTS

Oui, c’est généralement là qu’on trouve une signature.

Ce document porte la date du 21 février 1945 et l’en-tête de vos services. Ensuite : « Notes sur le rapport présenté au Führer le 23 février, par l’intermédiaire du Wehrmachtführungsstab. Les questions suivantes devaient être examinées... » Monsieur le Président, je n’ai pas l’intention de le lire intégralement. Si le témoin veut me suivre, je suis tout prêt à lui lire les passages qu’il voudra. C’est une discussion concernant les avantages et inconvénients divers qui s’attachent à la répudiation de divers accords et conventions internationales. Je crois que je ne fais pas de tort au témoin si je dis que cet examen s’effectuait d’un point de vue utilitaire plutôt que moral.

ACCUSÉ JODL

C’est parfaitement exact, car il s’agissait pour moi simplement de réussir auprès du Führer, et c’est dans ce sens que ce document est rédigé.

M. ROBERTS

Eh bien, je voudrais lire le dernier paragraphe. Monsieur le Président, c’est l’avant-dernière page du document qui vous a été remis, tout à fait à la fin.

« c) Propositions de l’OKW :

« En l’état actuel des choses, les inconvénients d’une renonciation aux restrictions qui ont été observées jusqu’ici, en dépassent de beaucoup les avantages. En 1914, c’était déjà une faute de déclarer solennellement la guerre à tous les États qui depuis longtemps désiraient la faire contre nous, assumant de ce chef toute la culpabilité de la guerre aux yeux de l’opinion mondiale. Ce fut également une faute que de laisser admettre que le passage nécessaire — remarquez le mot « nécessaire » — à travers la Belgique en 1914, était dû à notre fait. Ce serait de même aujourd’hui une erreur que de renoncer ouvertement aux obligations de Droit international que nous avons acceptées, faisant ainsi figure de coupables aux yeux du public mondial.

« L’adhésion aux obligations reconnues n’exige en aucune façon que nous nous imposions des restrictions propres à gêner la conduite de la guerre. Par exemple, si les Britanniques coulent un navire hôpital, ceci doit être utilisé dans un but de propagande, comme on l’a fait jusqu’à ce jour. Bien sûr, ceci ne nous empêche nullement de couler un navire hôpital anglais à titre de représailles et d’exprimer ensuite notre regret pour cette erreur, tout comme le font les Britanniques. »

Cela n’est pas très honorable ?

ACCUSÉ JODL

Tout ce que je puis répondre, c’est que c’était la seule méthode qui réussissait avec le Führer et c’est celle qui, en fait, a réussi. Si je lui avais présenté des arguments d’ordre juridique ou moral, il m’aurait dit : « Laissez-moi tranquille avec ces stupides bavardages », et il aurait certainement renoncé à la Convention. Mais mes propos l’ont amené à réfléchir, ce qui l’a empêché de réaliser son dessein. Vous pouvez croire qu’au bout de cinq ans et demi je connaissais mieux que personne la tactique à employer pour obtenir de bons résultats et en éviter de mauvais. Et j’en ai obtenu de bons.

M. ROBERTS

Mais voyez-vous, vous déplorez ici le fait qu’on ait dit la vérité en 1914. A cette époque, vous disiez que vous considériez les traités comme des chiffons de papier. Vous dites maintenant : « Quel dommage d’avoir dit la vérité en 1914 ; nous aurions dû mentir et nous aurions peut-être eu une meilleure réputation aux yeux de l’opinion mondiale ».

ACCUSÉ JODL

C’est une argumentation qui était très souvent utilisée par le Führer. Si on lui rabâchait ses arguments, cela le portait davantage à accepter les suggestions. Il fallait éviter qu’il rejette en bloc nos propositions dans un accès de rage et proclame immédiatement la renonciation. C’était la méthode qu’il fallait suivre ; lorsqu’on ne peut pas faire ouvertement le bien, il vaut toujours mieux le faire par des moyens détournés que de ne pas le faire du tout.

M. ROBERTS

J’en viens maintenant à un sujet tout à fait différent : étiez-vous un admirateur des principes du parti nazi ?

ACCUSÉ JODL

Non.

M. ROBERTS

Estimez-vous que c’est une fusion heureuse du parti nazi et de la Wehrmacht qui a permis la rénovation et la résurrection de l’Allemagne après 1933 ?

ACCUSÉ JODL

Cela aurait pu arriver et je l’ai espéré longtemps. Somme toute, ces rapports se sont améliorés, surtout au début de la guerre. Au début, ils étaient mauvais, très mauvais.

M. ROBERTS

Je lis maintenant votre discours L-172, à la page 290 du livre de documents VII. C’est à la page 6 de vos notes et à la page 203 du texte allemand :

« Il est inutile d’insister sur le fait que le mouvement national-socialiste marqua, dans sa lutte pour le pouvoir, la première étape de la libération extérieure des chaînes du Traité de Versailles. J’aimerais cependant faire remarquer combien tous les soldats qui réfléchissent réalisent clairement le rôle important qui a été joué par le mouvement national-socialiste dans le réveil de la combativité, la maturation de la force combative et le réarmement du peuple allemand. Malgré toutes ses vertus naturelles, la petite Reichswehr n’aurait jamais pu être à la hauteur de sa tâche, ne serait-ce qu’en raison de son rayon d’action limité. Ce à quoi le Führer tendait, et ce qu’il a heureusement réussi, c’était la fusion de ces deux forces. »

Cela représentait-il votre opinion ?

ACCUSÉ JODL

C’est une vérité historique indiscutable. Le mouvement a réussi cela, c’est certain.

M. ROBERTS

Fort bien. Je voudrais maintenant vous soumettre l’avant-dernier document. Il porte le numéro PS-1808. Je le dépose sous le numéro GB-493. Vous avez prononcé un discours devant votre État-Major après la tentative d’assassinat de Hitler. En voici le procès-verbal. Il a été prononcé le 24 juillet ?

ACCUSÉ JODL

Je n’ai jamais vu ce document. Je le vois pour la première fois. Je ne savais pas qu’on avait pris des notes.

M. ROBERTS

Procédons par ordre. N’avez-vous pas prononcé un discours peu de temps après la tentative d’assassinat de Hitler, le 24 juillet ?

ACCUSÉ JODL

Oui, et j’avais même un pansement sur la tête.

M. ROBERTS

Est-ce que ce document que vous avez sous les yeux provient de vos archives ? Regardez la couverture si c’est nécessaire.

ACCUSÉ JODL

Je le suppose. Le titre est : « Journal de guerre du Wehrmachtführungsstab ». Ce sont sans doute les notes du commandant Schramm.

M. ROBERTS

Laissez-moi me reporter au début de ces notes, et voyons si vous pourrez vous souvenir de ce que vous avez dit. N’avez-vous pas commencé en disant : « Le 20 juillet 1944 fut le jour le plus sombre que l’Histoire allemande ait connu jusqu’alors, et le restera certainement toujours » ?

ACCUSÉ JODL

Oui, c’est très possible.

M. ROBERTS

Pourquoi était-ce un jour si sombre pour l’Allemagne ? Parce que quelqu’un avait essayé d’assassiner un homme que vous reconnaissez maintenant pour un assassin ?

ACCUSÉ JODL

Au moment où je devais être tué lâchement par un de mes compagnons et plusieurs adversaires, comment aurai-je pu approuver cela ? Ce fut pour moi une chose terrible. Si cet homme avait tué Hitler avec un revolver et s’il s’était ensuite rendu, c’eût été entièrement différent. Quant à cette méthode, je considérais qu’elle était répugnante. J’ai parlé sous l’impression de ces événements qui furent les plus graves, et je maintiens ce que j’ai dit.

M. ROBERTS

Je ne veux pas discuter avec vous, mais enfin croyez-vous qu’il y ait quelque chose de plus terrible que le meurtre des cinquante soldats américains qui, débarqués en Italie du Nord pour y détruire des objectifs militaires, furent abattus comme des chiens ?

ACCUSÉ JODL

Cela aussi était un assassinat, il n’y a aucun doute à ce sujet. Mais ce n’est pas le rôle d’un soldat de juger son Commandant suprême. Que l’Histoire ou Dieu s’en charge.

M. ROBERTS

J’ai encore trois questions à vous poser. Monsieur le Président, je me propose de citer des extraits de la page 2 de ce document, vers la dixième ligne. « Le Führer... » Témoin, si je lis lentement, vous pourrez voir si vous les reconnaissez.

« Le Führer ignorait cela ainsi que bien d’autres choses, et maintenant les assassins désiraient l’éliminer, car c’était un despote. »

Vous souvenez-vous avoir dit cela ?

« Et cependant eux-mêmes savaient par expérience que le Führer n’était pas venu au pouvoir par la violence, mais porté par l’amour du peuple allemand. »

Vous vous souvenez avoir dit cela ?

ACCUSÉ JODL

Oui ; d’ailleurs, c’est exact. C’est l’amour du peuple allemand qui l’a porté au pouvoir, et j’ai vécu ces événements. Il était comme débordé par cet amour du peuple et des soldats allemands.

M. roberts

Porté par... Excusez-moi, je ne voulais pas vous interrompre. Vous avez terminé ?

ACCUSÉ JODL

J’ai terminé.

M. ROBERTS

Porté par l’amour du peuple allemand ? Et vous oubliez la Gestapo, les SS et les camps de concentration ? Vous vous en serviez contre vos adversaires ?

ACCUSÉ JODL

J’ai dit que, malheureusement, je ne savais presque rien de ces choses-là. Il est évident que tout cela prend un autre visage maintenant que nous connaissons ces événements.

M. ROBERTS

J’accepte votre réponse et vous présente mon dernier document. Monsieur le Président, c’est un nouveau document, PS-1776. Je le dépose sous le numéro GB-494. Voyons s’il porte votre signature ?

ACCUSÉ JODL

Oui.

M. ROBERTS

Bien ; vous avez dit au Tribunal que vous étiez hostile aux attaques terroristes. Voyons ce que dit ici ce document. Remarquez d’abord la date : 30 juin 1940. C’est juste après la défaite temporaire de la France.

« Chef du Wehrmachtführungsstab. Poursuite de la guerre contre l’Angleterre. Si les moyens politiques ne réussissent pas, il nous faudra broyer par la force la volonté de résistance de l’Angleterre :

« a) En faisant la guerre contre la métropole anglaise.

« b) En étendant la guerre tout autour.

« A propos de a) il y a trois possibilités : 1. Siège ; 2. Attaques terroristes contre les centres de population anglais ; 3. Débarquement de troupes. »

Je lis maintenant un exemple de prophétie historique :

« La victoire finale de l’Allemagne sur l’Angleterre est simplement une question de temps. »

Quelques paragraphes plus bas :

« Avec la propagande et les attaques terroristes temporaires (désignées comme actions de représailles), cet affaiblissement croissant du ravitaillement de l’Angleterre paralysera la volonté de résistance de son peuple, finira par la briser, et forcera ainsi son Gouvernement à capituler. Signé : Jodl. »

« Attaques terroristes contre les centres de population anglais ». Pourriez-vous nous dire quelque chose pour justifier cette phrase ?

ACCUSÉ JODL

Oui. Cette proposition, qui n’est en réalité qu’une note, prouve trois choses :

1. Que le 30 juin 1940, je ne savais absolument rien d’une intention ou d’une possibilité de conflit avec la Russie, car autrement je n’aurais pas écrit : « La victoire sur l’Angleterre n’est plus qu’une question de temps ».

2. Je reconnais avoir exprimé ici une idée qui fut plus tard reprise avec tant de bonheur par l’aviation anglo-américaine.

3. Cette pensée ne me vint à l’esprit qu’après les premières attaques anglaises contre la population civile allemande, attaques qui ont été poursuivies malgré les avertissements du Führer lui-même.

C’est un fait historique, confirmé par des documents, que le Führer a fait tout son possible pour éviter ces bombardements de la population. Mais, à ce moment-là déjà, il était clair qu’il ne réussirait pas.

M. ROBERTS

Bien. J’en ai fini, témoin. Vous remarquerez que tous les documents que j’ai déposés, à l’exception d’un rapport américain, étaient des documents allemands datant de l’époque de ces événements.

Devant tous ces documents, prétendez-vous encore que vous êtes un soldat honnête et un homme loyal ?

ACCUSÉ JODL

Non seulement je le soutiens, mais j’affirme que la présentation même de ces documents l’a prouvé de la manière la plus évidente.

LE PRÉSIDENT

L’audience est suspendue.

(L’audience sera reprise le 7 juin 1946 à 10 heures.)