CENT QUARANTE-NEUVIÈME JOURNÉE.
Vendredi 7 juin 1946.
Audience du matin.
(L’accusé Jodl est à la barre des témoins.)Le Tribunal suspendra l’audience cet après-midi pour siéger en huis-clos.
Le Tribunal siégera en audience publique demain matin de 10 heures à 1 heure.
Vous avez déclaré que vous étiez le chef de l’État-Major d’opérations des Forces armées ; c’était la section la plus importante de l’OKW, n’est-ce pas ?
Je n’ai pas compris la dernière partie de la phrase.
Je vous demande si l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht était la section principale de l’OKW ?
En raison de l’importance de son activité, on peut dire que l’État-Major d’opérations était un des départements les plus importants de l’OKW.
N’est-ce pas pour cette raison que vous remplaciez Keitel lorsqu’il était absent ?
Je ne le faisais guère que pour les questions ayant trait aux opérations ; pour les questions intéressant le ministère de la guerre, c’était l’officier le plus ancien et, en l’espèce, souvent l’amiral Canaris.
Vous niez avoir été le remplaçant de Keitel ?
Lorsque Keitel ne se trouvait pas au Quartier Général il va sans dire que le Führer me transmettait tout ce qu’il avait à dire à l’OKW, car j’étais le plus ancien officier après Keitel.
Vous souvenez-vous de la déposition du témoin Wagner qui a déclaré que soit Keitel, soit vous, représentiez l’OKW dans toutes les réunions d’État-Major importantes auxquelles assistait le témoin Wagner ? Vous rappelez-vous cette déposition du témoin ?
Je n’ai toujours pas compris cette question, à cause de la traduction.
C’est possible, je vais répéter. Le 13 mai, le témoin Wagner a déposé devant le Tribunal. Vous en souvenez-vous ?
Je me souviens du témoin Wagner. Il a attesté que le maréchal Keitel et moi assistions à toutes les conférences sur la situation, c’est indéniable.
Il a déclaré qu’y assistait soit le Feldmarschall Keitel soit le Generaloberst Jodl. Est-ce exact ? Sentez-vous la nuance ?
Dans 99 % des cas, nous y étions tous les deux.
Et bien, si l’on ne tient pas compte des considérations de forme et des circonstances, n’en peut-on pas conclure que c’est justement, vous Jodl, qui étiez aux yeux de Hitler, comme aux yeux de tout le corps des officiers, de toute la machine militaire allemande, le représentant de Keitel ?
Oui, dans certains cas où le Feldmarschall était absent pour des affaires de peu d’importance. Mais comme je pouvais toujours l’atteindre par téléphone pour les affaires importantes, cela ne s’est pratiquement jamais produit. Il n’était jamais malade, jamais en permission, tout au plus au Quartier Général à Berlin.
Je vais vous rappeler un fait que vous avez confirmé vous-même ici le 6 juin devant le Tribunal, en expliquant les raisons pour lesquelles vous avez signé le document RF-438. Vous avez dit que ce document n’était absolument pas du domaine de votre compétence. Il y était question de la déportation des Juifs du Danemark, et vous avez signé ce document bien que ce ne fût pas votre travail. Vous l’avez signé parce que Keitel n’était pas là à ce moment. Est-ce vrai ?
C’est absolument exact. C’était une affaire urgente, il était nécessaire de signer immédiatement.
Très bien. Nous pourrions trouver beaucoup de documents de ce genre, mais j’estime inutile de perdre du temps pour approfondir cette question.
Dites-moi, pouvons-nous considérer qu’il est exact que vous étiez au courant de ce qui se passait à l’OKW, que vous saviez très bien de quelles questions s’occupait l’OKW ?
Seulement dans une certaine mesure et dans certains cas. Je n’avais aucune idée de tout ce qui se déroulait dans les innombrables services de l’Armée à Berlin, c’était matériellement impossible. D’ailleurs, cela ne me concernait pas. J’ai déjà déclaré que mon temps était plus que rempli. J’avais plus de travail que je ne pouvais en faire.
Donc, vous m’obligez à revenir sur une question que je pensais avoir épuisée. Nous allons nous reporter à un nouveau document, que nous déposons maintenant sous le numéro URSS-476. Ce sont des extraits de la déposition de Keitel du 9 novembre 1945. On y trouve la déclaration suivante :
« Question
Était-il possible que le général Jodl convoquât une telle conférence sans que vous le sachiez ? »
Il s’agit d’une conférence à Reichenhall, Monsieur le Président.
« Réponse
Comme j’étais souvent en voyage, le Generaloberst Jodl était parfaitement en droit de convoquer une telle réunion, car il me représentait lorsque j’étais absent. »
Avez-vous trouvé le passage ? Vous l’avez lu ?
Colonel Pokrovsky, il vous est évidemment très difficile de saisir avec précision ces questions militaires. Mais c’est absolument ridicule. J’ai tout de même le droit d’interroger mes officiers d’État-Major. C’étaient les officiers de mon État-Major, qui ont travaillé avec moi à Reichenhall. J’ai tout de même le droit de m’adresser à eux, c’est ma tâche, la mission qui m’est confiée.
Il est absolument inutile d’élever tellement la voix.
Accusé Jodl, je pense que vous n’avez toujours pas répondu à deux de mes questions.
Premièrement, avez-vous lu ce document ? Je voudrais vous l’entendre dire. Avez-vous lu le passage que je viens de lire, à la page 1 ?
Oui. Le Feldmarschall Keitel déclare : « Comme j’étais souvent en voyage... »
Vous n’avez pas besoin de le lire, je l’ai déjà fait. Je voudrais seulement que vous me disiez si vous avez lu ce passage ou non ?
Oui, je l’ai lu, il est écrit : « Questionnez donc le Generaloberst Jodl... »
Non, vous lisez un peu plus loin que le passage qui m’intéresse pour le moment. Nous arriverons tout à l’heure à ce passage : « ... interrogez donc le Generaloberst Jodl... », tranquillisez-vous. Mais revenons au passage où il est dit que Keitel était souvent en voyage et que vous le représentiez. Est-ce vrai, oui ou non ? (Pas de réponse.)
Je n’entends pas de réponse.
J’ai déjà dit qu’il passait de temps à autre un jour sur le front, et qu’il allait assez souvent à Berlin pour quelques jours, mais il se trouvait précisément, dans ces cas-là, dans les services qui lui étaient subordonnés. Quant à moi, je restais seul avec mon État-Major d’opérations et dans mon État-Major je pouvais faire ce que je voulais. Mais, de toute la guerre, je n’ai jamais convoqué les représentants d’autres services pour une conférence en tant que représentant du maréchal Keitel. Je ne comprends rien à tout cela.
Vous avez beaucoup parlé, mais vous n’avez pas donné une réponse nette à la question simple et brève que je vous posais. Confirmez-vous ou non la déclaration de Keitel ? Il ne vous est pas difficile de répondre.
C’est exact pour le fond, mais les termes dans lesquels elle est rédigée sont ridicules.
Bien. Nous approfondirons plus tard. Il importe d’établir les faits.
Je présente au Tribunal un autre document, le document URSS-263. Vous allez maintenant avoir le plaisir de le lire vous-même, accusé. Ce sont les extraits de la déposition d’un autre officier avec lequel vous avez travaillé, le général Warlimont. Prenez connaissance du passage qui est coché dans votre document, et pendant que je vais le lire, à haute voix. Cela ira plus vite. La question qui a été posée à Warlimont est la suivante :
« Quand l’OKW a-t-il reçu pour la première fois l’ordre de préparer le plan d’agression contre l’Union Soviétique ? »
Je vois un passage encadré au crayon rouge, mais il s’agit là d’une déclaration de Warlimont sur l’organisation des services de l’OKW. Mais, à la page suivante, il y a quelque chose sur la préparation de l’agression contre l’Union Soviétique.
Vous avez trouvé maintenant ?
Oui.
Très bien.
« Quand l’État-Major de l’OKW a-t-il, pour la première fois, reçu mission de préparer l’agression contre l’Union Soviétique ?
Réponse de Warlimont :
« Personnellement, j’ai entendu parler de ce plan pour la première fois le 29 juillet 1940. Ce jour-là, le Generaloberst Jodl est arrivé par train spécial à Bad Reichenhall où se trouvait la section « L » de l’État-Major d’opérations. »
Avez-vous trouvé ce passage ?
Oui.
Monsieur le Président, je pense qu’il est inutile de donner lecture de la plus grande partie de la déposition de Warlimont, car il s’agit d’un fait connu, la réunion de cette conférence au cours de laquelle Jodl donna des instructions à ses collaborateurs pour la préparation du plan d’agression contre l’Union Soviétique. Ce document a déjà été admis par le Tribunal.
Warlimont déclare :
« Cette communication de Jodl, à laquelle nous n’étions absolument pas préparés, nous stupéfia. »
Avez-vous trouvé ce passage ? Examinez le document. Prenez-le en mains et regardez si c’est exact.
La transmission n’est-elle pas bonne ? Attendez un instant.
Je voulais simplement attirer l’attention du Tribunal sur le fait que la traduction et la transmission sont si mauvaises que je n’ai absolument rien compris. Je n’entends jamais que la moitié de la question. Je m’étonne même que l’accusé ait pu répondre.
Comprenez-vous mieux ? La traduction vous parvient-elle mieux maintenant ?
J’ai l’impression que la traduction elle-même est mauvaise et non pas seulement la transmission technique. On ne comprend souvent pas la question. Elle n’a aucun sens, comme me le dit aussi mon collègue le Dr Stahmer, et c’est bien difficile, naturellement, d’y répondre.
Enfin, continuons, et j’espère que cela s’améliorera.
Je voudrais que vous lisiez encore une phrase. C’est le passage où Warlimont indique à qui fut confiée l’exécution des officiers. Il déclare :
« Cette déclaration de Jodl... nous stupéfia. »
C’est à la même page, page 1, au milieu de la page ; vous avez trouvé ?
Non, je n’ai pas trouvé la phrase que vous venez de lire : « Cette déclaration de Jodl... »
Je vais commencer alors par la phrase précédente, peut-être trouverez-vous plus facilement : « A part moi, il a également ordonné à trois autres officiers supérieurs de venir se présenter... le colonel von Lossberg, le lieutenant-colonel von Falkenstein et le capitaine Junge... »
Avez-vous trouvé ?
Oui, oui, parfaitement.
« Cette déclaration de Jodl, à laquelle nous n’étions absolument pas préparés, nous stupéfia. »
Un peu plus loin : « Jodl déclara que le Führer avait décidé de préparer la guerre contre la Russie. Le Führer fonde sa décision sur le fait que la guerre avec la Russie doit éclater un jour ou l’autre et qu’il vaut mieux entreprendre cette campagne au cours de la guerre actuelle... », etc.
Avez-vous trouvé ?
Oui, oui, j’ai trouvé.
Très bien. Maintenant, je voudrais que vous lisiez encore un paragraphe du document URSS-476 qu’on vient déjà de vous présenter, à la première page. C’est le passage que vous aviez précédemment commencé à lire et sur lequel je vous avais dit que nous reviendrions.
On demande à Keitel s’il sait quelque chose au sujet de cette réunion, et il répond :
« Je ne sais rien de cela » — d’une agression contre l’Union Soviétique — « j’en ai entendu parler pour la première fois en prison. » Avez-vous trouvé ce passage ?
Je ne l’ai plus, mais je me rappelle l’avoir lu.
Je voudrais que vous ayez ce document sous les yeux.
Nous ne voulons pas qu’il y ait d’imprécision. Vous voyez qu’un peu plus bas il dit que, même, par la suite, vous ne lui avez pas fait de rapport sur cette conférence d’État-Major. Est-ce exact ? Le confirmez-vous ou non ? Keitel a-t-il déposé de façon correcte ?
Dans les milieux militaires, il n’y a pas de conférence à proprement parler. Cela existe dans les milieux parlementaires ou civils ; chez nous, on ne fait pas de conférence. Je peux parler à nos officiers d’État-Major aussi souvent que je le désire. Par conséquent...
Excusez-moi de vous interrompre. Vous ajouterez ensuite tout ce que vous voudrez. Je voudrais une réponse directe à ma question. Keitel a-t-il dit la vérité en déclarant que vous ne lui avez pas fait de rapport sur cette conférence ? Est-ce vrai ou non ?
Je ne lui ai sûrement pas fait de rapport sur la conférence elle-même, car cela n’avait aucune importance. Mais je crois bien lui avoir rendu compte de ce qu’avait dit le Führer, car c’était un événement d’une certaine importance ; il a, par la suite, écrit un mémorandum sur cette affaire. Par conséquent, il a certainement été mis au courant. En disant cela, je n’exprime qu’une hypothèse, mais une hypothèse sérieusement fondée.
Très bien, je suis parfaitement satisfait par votre réponse. Pour terminer mon premier groupe de questions, je vais vous poser une dernière question sur cette affaire : N’estimez-vous pas que, seul, le représentant du chef de l’OKW et non pas un quelconque collaborateur a pu prendre sous sa propre responsabilité, sans instructions de Keitel, à son insu, sans lui faire de rapport, même post factum, des décisions aussi importantes que la préparation d’un plan d’agression contre une puissance étrangère ?
M’avez-vous compris ?
Littéralement, j’ai compris votre question. Quant au sens, je n’en dirai pas autant. Vous avez tout d’abord introduit dans votre question une affirmation inexacte. Vous prétendez que je n’ai pas fait de rapport au maréchal Keitel sur les préparatifs d’agression contre un pays neutre. C’est là une affirmation gratuite que j’ai contestée hier sous la foi du serment. Il ne s’agissait pas, au cours de cette conférence, de l’agression contre l’Union Soviétique, il s’agissait, bien au contraire, d’une défense contre une éventuelle agression soviétique contre le bassin pétrolifère de Roumanie, et le document C-170, dans le journal de la Marine de guerre, fait état de cette menace d’agression.
C’est tout ce que vous voulez répondre ?
Je crois que cela suffit.
Très bien. Je ne veux pas discuter avec vous ; je veux simplement dire que nous avons deux preuves concernant cette conférence. D’abord votre déposition selon laquelle vous niez avoir préparé un plan d’agression contre l’Union Soviétique, puis la déposition d’un autre participant à cette conférence, Warlimont, qui déclare catégoriquement qu’il s’agissait de la préparation du plan d’agression contre l’Union Soviétique et que ces instructions les plongèrent tous dans la stupéfaction.
Je n’ai pas l’intention de m’occuper davantage de cette question, mais je voudrais vous demander...
Je peux vous expliquer la différence, si cela vous intéresse.
Non, cela ne m’intéresse pas en ce moment. Serait-il exact de dire que vous étiez le premier, ou l’un des premiers des officiers d’état-major de l’Allemagne de Hitler qui travaillaient à la préparation des mesures en vue de l’agression contre l’Union Soviétique dès l’été 1940.
Je voudrais entendre votre réponse là-dessus. Avez-vous bien compris ma question ?
Votre question est claire. Voici ma réponse : j’ai été probablement le premier à qui le Führer ait fait part de ses soucis concernant l’attitude politique de l’Union Soviétique. Mais je n’ai pas été le premier à avoir entrepris des préparatifs en vue d’une agression contre l’Union Soviétique. A ma vive surprise, j’ai appris ici même, par le témoin Paulus, que bien avant que nous nous en soyons occupés, selon les instructions reçues, on élaborait à l’État-Major de l’Armée de terre des projets d’agression contre l’Union Soviétique. Mais je ne peux pas dire exactement d’où cela pouvait venir. Peut-être le général Halder le sait-il ? Mais je ne puis formuler ici qu’une hypothèse.
Les hypothèses nous intéressent peu. Nous nous occupons plutôt des faits. Le 5 juin, avant-hier, vous avez déclaré que l’agression contre l’URSS par laquelle l’Allemagne a violé le Pacte de non-agression qu’elle avait conclu avec l’Union Soviétique avait le caractère d’une guerre préventive. C’est bien ce que vous avez dit ?
Oui. C’est ce que j’ai affirmé ; il s’agissait d’une guerre préventive.
Très bien, c’est votre point de vue. Vous souvenez-vous des dépositions de Milch, Raeder, Göring, Paulus et Keitel, qui ont déclaré avoir tous été opposés à une agression contre l’URSS ?
Je vais vous lire une phrase de la déposition de Keitel, ici, devant le Tribunal, pour que vous vous en souveniez mieux. Le général Rudenko, Procureur Général soviétique, a posé la question suivante, au cours du contre-interrogatoire de Keitel :
« Vous avez bien déclaré que vous avez été voir Hitler pour lui proposer de modifier ses plans concernant l’Union Soviétique ? »
Réponse de Keitel :
« Non seulement de modifier ce plan, mais de l’abandonner et de ne pas entreprendre de guerre contre l’Union Soviétique. »
Vous souvenez-vous de cette déposition de Keitel ?
Oui, je m’en souviens. Je connais aussi le mémorandum.
Très bien. Ne trouvez-vous pas étonnant que quelqu’un — vous, dans ce cas — qui essaie par tous les moyens de prouver qu’il n’était pas le remplaçant de Keitel affirme devant Hitler et ici devant le Tribunal qu’il était mieux informé que Keitel de la situation et qu’il pouvait donc se permettre de lancer des affirmations qui s’opposaient aux conceptions de Keitel, Paulus, Raeder, Göring et Milch ?
Je n’ai pas compris votre question.
Je vais vous l’expliquer de façon plus précise. Keitel ne voyait pas, semble-t-il, la nécessité de ce que vous appelez, vous, une guerre préventive. Toutes les personnes que j’ai interrogées ne voyaient pas davantage la nécessité de faire cette guerre. Ils ne croyaient pas que l’Union Soviétique voulût attaquer l’Allemagne. Et vous, vous prétendez que c’était une guerre préventive.
Avez-vous compris ma question maintenant ?
Oui, jai compris.
Très bien, voudriez-vous me donner une réponse ?
Oui, je peux faire une déclaration à ce sujet. Premièrement, on ne peut pas dire avec certitude quelle était exactement en février 1941 la position du maréchal Keitel vis-à-vis de cette question. Deuxièmement, le Commandant en chef de la Marine de guerre et le Commandant en chef de l’Armée de l’Air, malgré tout le respect que je leur dois, voyaient tout le problème du point de vue très particulier de la stratégie aérienne ou navale, et ils ne voyaient aucun danger de la part de la Marine ou de l’Aviation russe. Les opérations sur terre les intéressaient naturellement moins, et c’est ainsi que l’on peut expliquer que l’Armée de l’air et la Marine se soient opposées à ce projet, tandis que l’Armée de terre était plus encline à considérer le danger gigantesque qui se présentait. Cependant, il n’est personne, et moi y compris, qui n’ait averti le Führer d’une façon excessivement pressante de n’entreprendre cette expérience que si vraiment il n’y avait pas d’autre issue ; je ne veux pas me hasarder à dire s’il y a eu une possibilité politique que l’on n’ait pas épuisée. Je ne suis pas en mesure de le dire.
C’est très bien. Je suis satisfait par cette réponse, d’autant plus que vous appelez « expérience » la violation de ce Pacte et l’agression contre l’Union Soviétique Voulez-vous voir le document...
Colonel Pokrovsky, je crois que vous feriez mieux de vous abstenir de commentaires de ce genre. Vous êtes là pour poser des questions et non pas pour faire des commentaires.
Ma remarque se rapporte à la question suivante, Monsieur le Président. (A l’accusé.) Regardez le document PS-865. Avez-vous ce document ?
Oui, je l’ai.
Très bien. En réponse aux questions de votre avocat, vous avez déclaré que Lammers vous avait qualifié tout à fait par hasard de collaborateur de Rosenberg. Vous avez sous les yeux un document que je vais lire. Ce document est signé par Keitel ; c’est une lettre très secrète du 25 avril 1941. Elle est adressée à Rosenberg « A remettre en mains propres ». On y lit :
« Le chef de la Chancellerie a envoyé une copie du décret du Führer par lequel il vous a désigné comme plénipotentiaire pour l’étude générale des questions relatives au territoire de l’Est européen. Pour l’étude de ces questions du point de vue du Haut Commandement des Forces armées, je vous ai détaché le chef de l’État-Major d’opérations, le General der Artillerie Jodl, avec le Generalmajor Warlimont comme adjoint.
Qu’allez-vous répondre en ce qui concerne ce document ?
Vous souvenez-vous que vous et Warlimont qui vous représentait, avez été détachés par le Haut Commandement des Forces armées dès 1941 pour vous occuper des problèmes pratiques de l’expension hitlérienne vers l’Est, conformément aux directives de l’État-Major de Rosenberg ?
Avez-vous compris ma question ?
Tout ce que l’on peut dire à propos de cette affaire de pure forme, je l’ai déjà dit hier devant le Tribunal. M. le ministre Lammers a adressé à tous les ministères du Reich une lettre de la même teneur. Il a demandé à chaque ministère de nommer un représentant et un adjoint. Le Feldmarschall Keitel a naturellement envoyé les deux officiers qui se trouvaient au Quartier Général. Je n’ai jamais travaillé avec Rosenberg — ce n’était d’ailleurs pas nécessaire — à l’exception d’une unique conférence dont j’ai. d’ailleurs parlé hier. Seul le département de la Propagande a discuté la question des tracts avec le ministère des Territoires occupés de l’Est, ce qui va de soi, tout soldat le comprend.
Mais justement, en ce qui concerne les soldats : vous affirmez donc que vous vous occupiez uniquement des questions stratégiques et que vous n’aviez rien à voir dans les questions politiques ? Ai-je bien compris ?
J’ai déjà donné des explications hier : dans la mesure où la politique n’est pas un élément de la stratégie. Dans cette mesure-là, je pouvais évidemment y être impliqué ; car il n’y a pas de stratégie sans politique. C’est un élément de la stratégie. Mais étant donné que je n’étais pas le stratège, mais simplement le chef d’État-Major, je n’ai pas eu à m’en occuper directement.
Vous ne vous en occupiez pas ? Vous allez regarder le document URSS-477. Je vous demanderai de me dire si vous trouvez votre signature à la dernière page de ce document ?
Je vois la signature.
C’est une instruction sur l’organisation de la propagande en liaison avec le « Cas Barbarossa ». C’est bien cela ?
Oui.
Nierez-vous que dans cette directive vous posez directement la question, disant que l’URSS doit être anéantie en tant qu’État souverain ; considérez-vous cela comme une question purement militaire ? Vous qui, en tant qu’officier de l’État-Major général, n’aviez pas à vous occuper de questions politiques ?
Je n’ai pas trouvé le passage où il est dit que la Russie doit être détruite.
Vous avez raison, si vous ne vous attachez qu’à la forme. Ce n’est pas dit exactement dans ces termes. Je veux parler du sens général de cette directive. Voulez-vous considérer l’article d de cette instruction.
Oui, je connais le document.
Je vais en lire une phrase :
« Les tendances propagandistes dirigées dans le sens d’une désagrégation de l’Union Soviétique en États séparés, ne doivent pas être appliquées pour le moment. »
« Cependant il y a lieu d’éviter les termes tels que : Russie, Russes, armée russe et de les remplacer par : Union Soviétique, Peuples de l’Union Soviétique, Armée rouge et ainsi de suite. »
Que voulez-vous dire, au cas où vous auriez quelque chose à dire à ce sujet ?
Certes, j’ai quelque chose à dire à ce sujet.
Je vous en prie.
Comme il apparaît dans le titre même, il s’agit ici de l’administration de la propagande. Nous étions de simples écoliers en matière de propagande, aussi bien vis-à-vis des Anglo-Saxons que des Russes. Mais vous savez peut-être que la propagande est une chose absolument légale et qu’elle n’est absolument pas restreinte par les dispositions du Droit international. La question a été longuement débattue à Genève et toute restriction dans ce domaine par le Droit international a été rejetée. J’en ai déjà parlé au cours de mon interrogatoire préliminaire : dans le domaine de la propagande, je peux faire ce que bon me semble. Il n’y a pas de culpabilité criminelle ou internationale, en cette matière. Peut-être ignorez-vous que cette propagande devait être adaptée aux directives politiques du Führer, et c’est l’objet de ce document.
Je connais très bien les questions de propagande, je les ai étudiées pendant cinq années ; j’ai étudié aussi la vôtre. Là, les directives de propagande sont tout autres.
Vous avez préféré ne pas donner une réponse directe à la question posée. Ceci me satisfait d’ailleurs, puisque j’ai compris votre attitude à cet égard.
Il m’intéresserait maintenant de recevoir une réponse sur le point suivant : quel rôle jouait le ministère de la Propagande dans la publication de cette directive ? A-t-il participé à la préparation de cette directive ou bien n’a-t-elle été préparée que par vous et par l’OKW. M’avez-vous compris ?
Oui j’ai compris. Mon service de propagande travaillait à Berlin. Quant aux détails de l’exécution de son travail et de la collaboration de ce service pour un rapport comme celui-ci, tant avec le ministre Rosenberg qu’avec le ministère de la Propagande, je ne les connais pas. Le général von Wedel, chef de ce département, pourrait vous le dire. Tout ce que je sais, c’est que cela été fait avec l’accord du ministère Rosenberg, car j’attachais une grande importance à ce que nous n’allions pas chacun de notre côté mais à ce que nous travaillions d’accord avec les services civils compétents. Mais ce n’est que de la propagande, ce n’est pas une directive pour la destruction de la Russie. La propagande est une arme spirituelle.
Je n’ai pas l’intention de discuter ici pour savoir en quoi consiste la propagande et si vous en portez la responsabilité. Nous avons suffisamment d’autres questions à vous poser sans cela. Par conséquent, êtes-vous d’avis que ce document a été émis selon un plan défini, décidé en accord avec d’autres administrations ? C’est ce que j’ai compris ; en particulier après accord, par exemple, avec l’État-Major Rosenberg ?
Oui, je le crois, certainement.
Maintenant, je vais passer à une autre série de questions : Contestez-vous que le document qui relate la réunion chez Hitler le 27 mars 1941, traite de la Yougoslavie ? Est-ce que vous vous souvenez de cette conférence ?
Oui, je m’en souviens.
Contestez-vous que les documents parlant de cette conférence et des directives d’opérations contre la Yougoslavie, tous deux datés du 28 mars 1941, c’est-à-dire du lendemain de cette conférence, émanaient de l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht, c’est-à-dire de vous, personnellement ? Vous pouvez, si vous le voulez, consulter le document PS-1746 ; cela pourrait vous aider un peu à vous rappeler les événements.
Colonel Pokrovsky, j’espère que vous ne perdez pas de vue le fait que cette question a été abondamment traitée par M. Roberts, qui a interrogé le témoin à ce sujet ?
Monsieur le Président, si vous estimez que cette question est suffisamment éclaircie, je m’abstiendrai de la poser. Mais il me semble que, autant que je l’aie compris, il a envisagé la question d’un tout autre point de vue. Si toutefois vous estimez que la question est réglée, je vais y renoncer.
Je ne le sais pas encore, je voulais simplement attirer votre attention sur le fait que cette question a déjà été traitée à fond par M. Roberts. Je ne sais pas encore quel est le document dont vous parlez.
Très bien, Monsieur le Président. J’ai attiré l’attention de l’accusé sur deux documents concernant les directives d’opérations contre la Yougoslavie, du 28 mars, et le procès-verbal de la conférence. Les deux documents ont été soumis au Tribunal. Si vous estimez que la question est suffisamment éclaircie, ce n’est pas la peine de poser ces questions, mais cependant je pense qu’il y aurait matière à le faire.
Tout ce que le Tribunal désire est de savoir si vous allez soulever de nouvelles questions. Vous avez certainement assisté à l’interrogatoire par M. Roberts sur l’agression de la Yougoslavie. Je ne sais pas en quoi consistent ces documents du 28 mars 1941, ni ce que vous cherchez à en tirer. S’il y a quelque chose de vraiment neuf, vous pouvez certainement poser la question, sinon nous nous trouvons dans le cas déjà prévu par le Tribunal qui a décidé que deux contre-interrogatoires ne devaient pas avoir le même objet.
Si vous me permettez, Monsieur le Président, j’avais compris que Jodl voulait dire qu’à son point de vue...
C’est également ce que je vous demande...
C’est bien dans ce sens que j’ai compris les réponses de Jodl aux questions de M. Roberts, mais nous ne savons pas encore très bien quel est celui qui a dirigé les opérations contre la Yougoslavie. Je voudrais l’interroger seulement à ce sujet. Si le Tribunal estime que la question a été suffisamment éclaircie, je passerai, bien entendu, à autre chose.
Colonel Pokrovsky, le Tribunal n’est pas à même de se rendre compte de ce qu’il y a de nouveau dans cette méthode d’interrogatoire que vous utilisez. Et à moins que vous n’insistiez parce que vous estimez que c’est de première importance, il me semble que vous devriez passer à la question suivante.
Très bien, je continuerai, Monsieur le Président. (A l’accusé.) Votre avocat a présenté le document L-172, qui contient la phrase suivante, prononcée par vous dans un discours devant les Gauleiter, le 7 novembre 1943. Je vais lire cette phrase :
« Du dilemme de l’insuffisance de personnel est née l’idée d’utiliser plus pleinement les réserves de main-d’œuvre des régions occupées. »
Vous souvenez-vous de ce document ?
Je n’ai pas compris la question.
Je vais la répéter. Votre avocat a présenté un document sous le numéro L-172. C’est un discours que vous avez tenu devant les Gauleiter.
Qu’est-ce que c’est ? Vous ne pouvez pas entendre sans vos écouteurs. (Au Dr Exner.) Désirez-vous dire quelque chose ?
Je vous prie, Monsieur le Président, de considérer que la traduction est telle que réellement nous ne parvenons pas à la comprendre. Des membres de phrases nous parviennent qui n’ont aucun sens, du moins à notre avis. Je pense que ces messieurs sont de notre avis, et que l’accusé.. .
L’accusé n’a manifesté en aucune façon qu’il ne comprenait pas les questions qui lui sont posées ; il n’a pas protesté et il a répondu aux questions.
Comprenez-vous, accusé ?
Pour la plupart des questions, je les devine quant à l’essentiel ; du fait que je connais à fond le problème, c’est facile pour moi, mais je ne peux pas dire que j’aie la certitude...
Colonel Pokrovsky, voudriez-vous aller plus lentement, vous avez entendu ce qu’a dit le Dr Exner ?
Oui, j’entends bien, Monsieur le Président. Je crains que le débit de mon discours ne porte préjudice à l’interrogatoire, mais je vais essayer de parler plus lentement. (Au témoin.) Dans le discours prononcé devant les Gauleiter, le 7 novembre 1943, vous avez dit, entré autres, la phrase suivante. Je vais vous la lire :
« Du dilemme de l’insuffisance de personnel est née l’idée... »
Voudriez-vous nous indiquer à quelle page cela se trouve. Dans notre livre, nous n’avons pas encore un seul document en anglais. Nous n’avons pas reçu ce document-là en anglais.
C’est le document L-172, Monsieur le Président.
Colonel Pokrovsky, ce passage précis dont vous venez de citer une partie, a été l’objet d’une question de M. Roberts hier ; cela est certainement contraire à notre décision. Nous ne pouvons pas entendre deux fois de suite des questions portant sur le même point. Nous avons déjà noté ce passage.
Si je cite cette phrase, Monsieur le Président, ce n’est pas comme question posée au témoin mais simplement pour introduire la question qui va la suivre. Je la lui rappelle afin d’obtenir une réponse. La phrase ne doit pas être envisagée comme une question.
Voulez-vous donc répéter ce que vous avez dit, je vous prie ?
Monsieur le Président, on va présenter le document à l’accusé et, dès qu’il l’aura, je lui poserai la question. Pour gagner du temps...
Colonel Pokrovsky, nous désirons connaître la question, afin de nous rendre compte si elle n’a pas été déjà traitée par M. Roberts. Colonel Pokrovsky, le Tribunal vous a indiqué qu’il ne désirait pas vous entendre revenir sur des sujets déjà traités hier.
Si vous avez des questions nouvelles à poser, je vous en prie posez-les.
Aucune des questions que j’ai posées aujourd’hui n’est une répétition de questions déjà posées auparavant. C’est pourquoi, avec votre autorisation, je vais continuer et prier le témoin de regarder le document URSS-130 (document J-6). Il ressort de ces documents qu’ils ont été publiés avec le consentement de l’OKW. On y parle du service militaire dans les régions occupées de Carinthie et de Krain. Avez-vous trouvé ? Avez-vous trouvé le passage que je viens de lire, c’est-à-dire le décret traitant de l’instauration du service militaire dans les régions occupées de Carinthie et de Krain ?
Oui, parfaitement, le document commence par la phrase suivante...
Il commence par : « En accord avec l’OKW... » Avez-vous trouvé ?
Oui.
En tant que chef de l’État-Major d’opérations de l’Armée, vous ne pouviez pas ne pas savoir que la population des territoires occupés de Yougoslavie avait été appelée à servir dans l’Armée allemande ? Qu’avez-vous à dire au sujet de ce décret qui représente une violation flagrante du Droit international ? Avez-vous compris ma question ?
Oui. Je dirai simplement que je vois ce document pour la première fois. Je ne suis pas de l’OKW, je suis chef de l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht. Je n’ai jamais lu ce document pendant la guerre.
L’avez-vous lu maintenant ? Ne trouvez-vous pas que c’est une violation grossière du Droit international ?
Il faudrait pour cela procéder à un examen juridique plus précis. Je ne suis pas en mesure de le faire et c’est, à mon avis, sans intérêt pour le Tribunal.
Le 4 juin, vous avez déclaré au Tribunal que l’accord de La Haye et la Convention de Genève étaient vos livres de chevet.
Je vais vous faire passer le document PS-738. Il a été présenté au Tribunal le 20 mars sous le numéro USA-788. Avez-vous reçu le document ?
Il me semble que c’est le document 638 que vous venez de nous faire remettre, n’est-ce pas ?
Oui, je vous demande pardon, Monsieur le Président, c’est le document PS-638.
Colonel Pokrovsky, est-ce que le document que vous venez de nous remettre est J-6 ? Avez-vous l’intention de le déposer ?
Non, ce n’est pas un nouveau document. Il a déjà été présenté comme preuve.
Un instant ! Parlez-vous en ce moment du document PS-638 ou du document J-6 ?
Je parle du document PS-638 admis par le Tribunal comme document US.
Je faisais, moi, allusion au document J-6. Celui que j’ai sous les yeux, le document 638, le document yougoslave.
Le document dont vous parlez, Monsieur le Président, porte deux numéros, URSS-130 et J-6. Le second document a également deux numéros.
Ce n’est pas le deuxième qui m’intéresse pour le moment, je voudrais simplement savoir si vous déposez le premier document, ou si cela a déjà été fait.
Il a déjà été déposé, Monsieur le Président, par la Délégation soviétique. (Au témoin.) Vous avez probablement eu assez de temps pour lire ce document ?
Je le connais déjà par les débats.
C’est parfaitement exact. Je voudrais simplement vous rappeler que Göring a confirmé à deux reprises l’authenticité de ce document et n’a discuté que sur l’exactitude de certaines phrases. Je voudrais que vous me disiez comment s’accorde votre conception du Droit international avec la formation de bandes sous commandement allemand, revêtues de l’uniforme allemand, recrutées parmi la lie des criminels et à qui il était permis de piller, d’assassiner, de brûler et de violer, tout cela au cours des opérations militaires ? Avez-vous compris ma question ? Vous souvenez-vous que ces bandes ont effectivement été formées et qu’elles étaient dans les rangs des Forces armées du Reich. Vous souvenez-vous de la déposition du témoin von dem Bach-Zelewski le 7 janvier 1946, sur les brigades spéciales qui opéraient selon ces principes ?
Je ne sais vraiment pas d’où vous pouvez savoir que le Haut Commandement a donné son accord ; moi, en tout cas, je n’ai aucune connaissance de ces faits. Il ne s’agit là que d’une déclaration, de prétendus propos prêtés au Reichsmarschall ; je ne vois vraiment pas en quoi cela peut se rapporter avec ma personne.
Je vais essayer de vous faire mieux comprendre ces faits. Vous souvenez-vous qu’à la fin de 1941 et au début de 1942 fut créée une brigade spéciale qui devait agir contre les partisans ? Le premier commandant de cette brigade a été Dirlewanger, d’après la déclaration de von dem Bach-Zelewski interrogé le 7 janvier 1946. Vous en souvenez-vous ?
Non, je ne m’en souviens pas.
Non ? Alors, nous le prouverons sans avoir recours à votre déposition. Vous souvenez-vous que certaines unités de l’Armée yougoslave portaient un uniforme réglementaire, avec les insignes, les numéros de régiment et de division ? Vous souvenez-vous ? Comprenez-vous ma question ?
Oui, j’ai compris. Vous voulez peut-être parler du régiment Brandenburg.
Non, ce n’est pas cela. Je veux simplement vous rappeler que certaines unités de l’Armée yougoslave, bien qu’elles ne portassent pas les insignes distinctifs que vous attribuiez aux bandes de partisans, n’en sont pas moins désignées dans les documents officiels du Haut Commandement comme des « bandes », afin de justifier toutes les atrocités commises à leur égard. Ce n’est que dans le courrier très secret entre les officiers et l’État-Major, que l’on donnait l’indication exacte des divisions, brigades et régiments. Peut-être voudrez-vous également présenter ces faits comme l’observance du Droit international par le Haut Commandement allemand. M’avez-vous compris ?
Oui, j’ai bien compris.
Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet ?
Je peux simplement dire que votre assertion est inexacte.
Je vous demanderai d’être le plus bref possible.
Il me semble que j’ai été très bref. Nous avons toujours désigné les partisans yougoslaves comme des bandits, pour des raisons de propagande, sous le terme de « bandes » mais dans la pratique, nous avons constamment traité en prisonniers de guerre tous les combattants qui portaient l’uniforme. Il n’existe pas d’ordres ou d’ordonnances qui aient pu empêcher cela, sans cela il n’y aurait pas eu tant de prisonniers yougoslaves.
Je vous suis très reconnaissant d’avoir abordé la question des prisonniers. Vous avez déclaré, sous la foi du serment, qu’il n’y avait pas d’ordre interdisant de faire des prisonniers. Vous souvenez-vous de votre déposition ?
Non, il n’existe pas de dispositions du Droit international concernant l’éventualité d’une rébellion. Il n’y en a pas.
Non. Je vous ai simplement demandé de confirmer si j’ai reproduit de façon correcte la déposition que vous avez faite devant le Tribunal, et suivant laquelle il n’existait pas d’ordre prescrivant de ne pas faire de prisonniers. Avez-vous déclaré cela devant le Tribunal, oui ou non ?
Ce que vous venez de dire ne reproduit pas textuellement mon témoignage.
Une minute. Nous traiterons plus en détail la question dont je viens de parler. Mais dites-moi d’abord : avez-vous déclaré ici, sous la foi du serment, qu’il n’existait pas, dans l’Armée allemande, d’ordre prescrivant de ne pas faire de prisonniers ? Avez-vous dit cela ? M’avez-vous compris ?
Oui, je crois me souvenir. Je ne connais pas d’ordre prescrivant de ne pas faire de prisonniers de guerre.
Très bien. Je voudrais maintenant que vous m’aidiez à éclaircir une autre question. Il y a dans le procès-verbal une phrase suivant laquelle vous auriez considéré comme incorrect le fait d’interroger un prisonnier de guerre, une fois prise la décision de le fusiller. Est-ce exact ?
Oui. J’ai déclaré ici que, moralement et du point de vue humain, je désapprouvais cette phrase.
Très bien ; je voudrais maintenant que vous me disiez si vous vous souvenez qu’il existait dans l’Armée allemande une quatrième division de montagne. Vous avez été, je crois, en rapport direct avec elle pendant un certain temps. Cette division existait-elle ou non ?
Je ne me souviens pas qu’il y ait eu quatre divisions de montagne ; il y en avait bien davantage.
Je ne parle pas de quatre divisions. On vous a donné une mauvaise traduction. Je vous demande si vous vous souvenez de l’existence de la quatrième division de montagne.
Bien sûr ; je voulais en obtenir le commandement.
Très bien. Dans ce cas, vous vous souvenez peut-être aussi d’un officier de l’Armée allemande du nom de Kübler ? Il opérait en Yougoslavie.
Il y avait deux Kübler, un jeune et un plus âgé.
Il s’agit du Generalmajor Kübler. Je ne vous demanderai pas qui était Keitel, vous le savez mieux que moi.
Nous allons suspendre l’audience pour quelques instants.
Accusé Jodl, nous allons nous occuper maintenant de deux documents. Voulez-vous prendre le document URSS-132. Ce sont des instructions adressées à la 118e division. de chasseurs.
118e division de chasseurs.
On y lit :
« Instructions sur la conduite des troupes pendant les opérations. »
« Paragraphe 2. — Prisonniers. Quiconque aura manifestement pris part à la lutte contre l’Armée allemande et aura été fait prisonnier, sera fusillé après interrogatoire. »
Est-ce cela ? M’entendez-vous ?
Oui, c’est à peu près cela, pour cette phrase ; mais je voudrais avoir le document entier. Je ne peux rien tirer de cette seule phrase. Ce qui est décisif est ce qui précède ; cela ne figure pas ici.
Le titre est : « Instructions sur la conduite des troupes pendant les opérations ».
Passons maintenant au deuxième document. Il porte le cachet du 4e régiment des montagne et il est daté du 6 octobre 1943. Il contient des directives manuscrites de Keitel concernant le traitement des prisonniers. Je voudrais que vous examiniez le point 3. On lit à la deuxième partie de ce paragraphe :
« Les commandants d’unités, à partir du grade de commandant de division, sont autorisés à donner l’ordre de ne pas faire de prisonniers, c’est-à-dire que les prisonniers et la population civile de la zone de combat pourront être fusillés. »
Un moment, je vous prie. La traduction ne semble pas passer correctement. Peut-être parliez-vous un peu trop vite. Personnellement, j’ai entendu, mais je ne crois pas qu’elle soit parvenue aux accusés. Voudriez-vous répéter votre question ?
On lit au paragraphe 3 du document remis à la 4e division de montagne…
Nous avez-vous indiqué le numéro ?
Oui, Monsieur le Président, c’est le numéro URSS-470 ou J-127. (Au témoin.) Avez-vous trouvé le paragraphe 3, accusé Jodl ?
Oui, mais il est impossible d’appeler cela un document, ce n’est pas un document.
C’est un document sur la façon de traiter les prisonniers. Je ne sais pas ce que vous pouvez en penser, mais cela me paraît très clair.
Ce n’est pas un document original. C’est une traduction tout à fait fantaisiste. N’importe quel soldat jetterait cela à la corbeille à papier, c’est un faux ; mais je reconnais que cela peut venir de la stupidité de la traduction. A mon avis, tout cela est un non-sens absolu. L’en-tête porte : « IVe régiment de montagne », en chiffres romains. Nous l’écrivons en chiffres arabes. Jamais cela ne s’est appelé « Régiment de montagne ». Plus loin :
« Les commandants de la 4e division de montagne, section Ic, disposent, sous le numéro suivant de ce qui suit... ». Tout cela n’a pas de sens, absolument aucun sens. Ce n’est pas un document, c’est un chiffon de papier.
Je ne suis pas responsable de la traduction.
Le Tribunal aimerait voir l’original de ces documents. Ils ont été déposés, apparemment, sous les numéros URSS-132 et URSS-470. URSS-470 est-il un nouveau document ?
Non, Monsieur le Président, ce document a déjà été déposé. L’original figure au procès-verbal. Je présente maintenant simplement la copie de la traduction dont nous disposons. Les deux documents originaux ont été déposés récemment. Si vous le jugez nécessaire, nous pouvons nous procurer ces originaux une fois encore et les présenter à nouveau.
Un des secrétaires du Tribunal nous dit que le document URSS-470 n’a pas encore été déposé. Êtes-vous certain qu’il l’a été ?
Il y a peut-être là une erreur technique ; on m’a dit qu’ils avaient été déposés. Nous allons nous en assurer. Vous avez, je crois, Monsieur le Président, l’original du deuxième document.
Peut-être pourrai-je éclaircir le débat.
Colonel Pokrovsky, le Tribunal n’est pas certain de l’admissibilité de ce document 470. Pouvez-vous nous dire exactement ce qu’est ce document et dans quel but vous voulez le déposer maintenant. D’où provient-il ?
Je peux répondre avec précision à votre dernière question, mais je ne répondrai à la première que plus tard, car on est en train de faire des recherches.
Au bas de la deuxième page du document 470 figure un affidavit : « Cette copie est certifiée conforme en tous points au document original saisi pendant les opérations militaires, en juin 1944, à Pakracu, par l’Armée yougoslave de la libération nationale. L’original se trouve dans les archives de la Commission gouvernementale pour la recherche des crimes des occupants et de leurs complices, à Belgrade ». Il est daté du 4 janvier 1946 à Belgrade, et signé par le président de la Commission gouvernementale, le professeur Nedelkovitsch.
Je vais faire vérifier si le document a déjà été déposé, par quel membre de la Délégation soviétique et à quelle date. S’il ne l’a pas encore été — c’est un document saisi en langue allemande — nous ferons venir de Belgrade, soit le document original, soit une photocopie certifiée conforme, comme le Tribunal préférera. Puis, nous le déposerons comme preuve.
Je viens de recevoir le renseignement : ce document n’a pas encore été déposé ; il est donc présenté maintenant pour la première fois ; nous allons nous procurer l’original.
Colonel Pokrovsky, pour le moment, en ce qui concerne le document URSS-132 qui, d’après ce que je comprends, a déjà été déposé, le Tribunal voudrait en voir l’original parce que la copie dont nous disposons ne reproduit que deux paragraphes. C’est ce que disait l’accusé Jodl qui désirait voir le document en entier.
Le Tribunal désire avant tout que le document 132, qui a, je crois, déjà été déposé, soit soumis en entier à l’accusé, afin qu’il puisse se prononcer. En ce qui concerne le document 470 que vous déposez maintenant, le Tribunal désirerait que vous continuiez votre contre-interrogatoire sur ce document, à condition toutefois que tous en présentiez le plus rapidement possible l’original ou une photocopie de l’original, et que l’avocat de l’accusé puisse demander l’annulation de ce contre-interrogatoire s’il constate une différence essentielle entre la traduction en langue yougoslave présentée maintenant à l’accusé ou utilisée pour le contre-interrogatoire de l’accusé, et le document original.
Avez-vous compris ? Le Dr Exner également ?
Ce sera fait, Monsieur le Président.
Monsieur le Président, je pense qu’il ne faudrait pas autoriser dès maintenant la discussion de ce document. Il présente vraiment trop de lacunes. Il est impossible qu’il soit exact. On dit par exemple : « Le IVe régiment de montagne ». Le IV romain est faux. Plus loin : « Les commandants... dispose », ce qui n’est pas allemand. A la quatrième ligne...
Docteur Exner, le Tribunal voudrait savoir de quel document vous parlez. Est-ce le 470 ?
Oui, je voudrais simplement montrer que ce ne peut pas être un document authentique, parce qu’il est écrit en mauvais allemand. Par exemple, à la quatrième ligne on lit : « État-Major directeur de l’Armée. Haut Commandement de l’Armée de terre ». Or, l’État-Major directeur de l’Armée est rattaché à l’OKW et non pas au Haut Commandement de l’Armée de terre.
Puis, il manque une signature. Il y a bien sur la première page ; Keitel, Generaloberst, mais, à cette époque, il était déjà Feldmarschall. Ensuite, la signature fait partie de la citation. On lit : « L’OKW dispose ce qui suit », puis la citation, à laquelle appartient la signature de Keitel, alors que le document est censé émaner du 4e régiment de montagne et ne porte pas de signature de ce régiment. Je crois vraiment qu’il n’est pas raisonnable de discuter de ce document avant que nous ne disposions de l’original. Ainsi, à la page 2, on parle des commandants de la 6e , 7e , etc. Les chefs de compagnie ne sont pas des commandants ; ce n’est pas un militaire allemand qui a écrit cela.
Docteur Exner, le Tribunal maintient sa décision, ce document peut être utilisé dès maintenant. Toutes les contestations portant sur les points que vous venez de soulever ou sur toute autre question pourront être élevées plus tard, quand le document aura été présenté et si vous désirez l’annulation du contre-interrogatoire.
Je comprends.
Le Tribunal estime que, pour gagner du temps, il serait plus avantageux de procéder maintenant au contre-interrogatoire sur ce document. Vous pourrez plus tard demander l’annulation de tout le contre-interrogatoire.
Très bien.
Voici maintenant, colonel Pokrovsky, l’original du document 132 qu’il faudrait présenter à l’accusé au cas où il aurait des observations à faire.
Les décisions du Tribunal seront exécutées. Nous allons présenter l’original. (Au témoin.) Avez-vous regardé le contenu de ce document ?
Oui, c’est un ordre de la 118e division de chasseurs.
Vous n’avez aucun doute sur l’authenticité de ce document ?
Non. C’est un ordre de la 118e division de chasseurs, il n’y a aucun doute à ce sujet. Seul le rapport entre la 118e division et moi-même m’est un mystère.
Peut-être admettrez-vous maintenant qu’il ne s’agit pas là d’un non-sens, mais d’une infamie. Voulez-vous développer votre témoignage dans ce sens ?
Je ne vous ai pas compris.
Accusé, quand vous avez été interrogé sur le paragraphe 2 du document URSS-132, vous avez déclaré que le document complet ne vous avait pas été présenté. Vous avez maintenant le document entier.
J’ai le document complet. Si je dois porter un jugement sur cet ordre de Kübler, il est à mon avis parfaitement en règle. Les doutes qui sont apparemment ceux de M. le Procureur portent sur le point 2 qui dit : « Quiconque aura manifestement pris part à la lutte contre l’Armée allemande et aura été fait prisonnier, devra être fusillé après interrogatoire ». Il s’agit évidemment non pas de troupes régulières mais de la population ; du moins je le suppose.
Le paragraphe 8 dit : « Attitude envers la population ». Cela est évidemment conforme au Droit international. Il distingue entre l’attitude envers une population hostile et l’attitude envers une population amicale.
Est-ce tout ce que vous aviez à dire ?
Oui, mais ainsi que je vous l’ai dit, je ne vois pas quel est le rapport entre l’ordre du général Kübler et moi-même ; je ne comprends pas.
Admettez-vous que la question des rapports avec la population ait été séparée et fasse l’objet d’un paragraphe distinct, le paragraphe n° 8 ? Est-ce bien cela ? Vous venez de vous y référer.
Oui, le paragraphe 8 concerne le traitement de la population.
Votre réponse me suffit. Passons à une autre série de questions.
Un moment.
Je voudrais, avec l’autorisation du Tribunal, élever une objection...
Un instant. Accusé, prétendez-vous que cet ordre lui-même contienne quoi que ce soit qui indique que les prisonniers dont il est question au paragraphe 2 ne sont pas des troupes régulières, comme vous dites.
A ce point de vue, le paragraphe n’est pas clair ; mais précisément le document suivant, présenté par M. le Procureur, pourrait donner la preuve des autres ordres qui ont été donnés. Personnellement, je ne pense pas que Kübler ait pu donner l’ordre de faire fusiller les troupes yougoslaves faites prisonnières au cours de combats réguliers. C’est impossible, et l’aurait-il fait que ce serait en violation des ordres de l’OKW allemand. Mais que puis-je dire au sujet d’un ordre du général Kübler ? Le mieux serait de le lui demander, puisqu’il vit.
Votre réponse à ma question est donc négative. Rien n’indique que les prisonniers mentionnés au paragraphe 2 n’appartiennent pas à des troupes régulières.
On ne peut pas le déduire du texte de cet ordre.
Je devrais peut-être attirer votre attention sur les mots figurant au-dessous de : « Instructions sur la conduite des troupes pendant les opérations » ?
De toutes façons, c’est là votre réponse pour l’ensemble du document ?
Puis-je vous prier de me donner une fois de plus l’original, ceci est une copie. (Le document est remis à l’accusé.)
Vous avez l’original devant vous. Avez-vous quelque chose à ajouter à ce que vous venez de dire ?
Je voulais ajouter que s’il est bien vrai que l’on parle ici du général Kübler, il n’est pas certain que cet ordre n’ait pas concerné une opération spéciale, le nettoyage des bandes occupant une région déterminée ; ces bandes n’étaient pas, à ce moment-là, considérées comme troupes régulières, mais comme des éléments de la population en révolte. C’est possible ; mais je ne peux pas répondre à toutes ces questions étant donné que je ne suis pas le général Kübler.
Vous pouvez passer au document 470.
Je prierai le Tribunal de me permettre d’apporter une correction à l’objection que j’ai élevée contre ce document.
De quel document parlez-vous ?
URSS-470.
Que voulez-vous dire à propos de ce document ?
J’ai déclaré que ce document était un non-sens parce qu’au premier abord, je le considérais comme un ordre allemand, mais je viens de constater qu’il s’agit sans aucun doute d’un ordre croate, car il est adressé à trois bataillons d’Oustachis. Dans cet ordre croate, le Commandant en chef croate rapporte à ses troupes les ordres qu’il aurait reçus de la 4e division de montagne allemande sur la façon de traiter les prisonniers. Il se rapporte à un ordre de Keitel qui est ici mal reproduit, mais qui, s’il était exact, devrait être immédiatement remis au défenseur du maréchal Keitel, car il est la meilleure preuve que l’attitude adoptée vis-à-vis des partisans en Yougoslavie était conforme au Droit international ; cela, s’il est exact. Ce n’est donc pas un ordre allemand, mais visiblement le projet ou la traduction d’un ordre croate, du 4e régiment croate de montagne ; mais les rapports entre le 4e régiment croate et le général ou l’accusé Jodl, me sont un mystère. Je ne comprends pas.
Continuez, colonel Pokrovsky.
Je vous demande, accusé, si vous étiez au courant d’une ordonnance de Keitel autorisant les commandants de division et les officiers plus élevés en grade à donner l’ordre de ne pas faire de prisonniers ? Êtes-vous au courant de cette ordonnance ?
Non, je n’en ai pas connaissance, et il n’est pas certain non plus que cet ordre ait été donné de cette manière. D’ailleurs, dans certains cas, cela est autorisé par le Droit international.
Très bien, je n’ai plus de questions à poser sur ce document ; peut-être le défenseur voudra-t-il poser d’autres questions quand le document original aura été remis au Tribunal.
Je passe à une autre série de questions. Si je ne me trompe pas, vous avez reconnu l’authenticité de vos notes sur le « Cas Vert », dans lesquelles il s’agit de l’organisation d’un incident à la frontière tchécoslovaque. Il y est dit de façon très claire que la préparation de cet incident serait confiée à l’Abwehr. Est-ce que j’interprète correctement le sens de cette note ?
Non. D’après la traduction que je viens d’entendre, il est complètement défiguré. Mais nous en avons déjà longuement discuté.
Pour faciliter la tâche de l’interprète, je vais poser cette question de façon plus simple : je crois que vous avez confirmé l’authenticité de ce document relatif à l’organisation d’un incident. C’est le document de la Défense Jodl-14.
Je ne crois pas que la traduction ait été transmise correctement.
Non. Je n’en ai absolument pas compris le sens.
Très bien, je vais répéter encore une fois. Vous ai-je bien compris lorsque vous avez dit que vous ne contestez pas l’authenticité du document Jodl-14 ?
S’il s’agit d’une lettre de moi au commandant Schmundt, c’est un document absolument authentique que j’ai rédigé moi-même.
A ce propos, je voudrais vous poser une question précise : confirmez-vous que la provocation que vous appelez l’organisation d’un incident avait pour buts : 1. De donner un prétexte à une agression contre la Tchécoslovaquie et 2. (pour nous servir des termes que vous avez employés le 4 juin) De rejeter la cause de la guerre sur un autre pays. C’étaient bien là les deux buts que vous poursuiviez lorsque vous proposiez de créer un incident ? Comprenez-vous la question ?
J’ai à peu près compris.
Pouvez-vous répondre ?
Oui, je puis vous répéter ma réponse d’hier.
Vous confirmez votre réponse d’hier ?
Naturellement, ce que je disais hier, je le maintiens aujourd’hui.
C’est très bien. Je voudrais que vous disiez au Tribunal tout ce que vous savez sur la fourniture d’armes à l’organisation des Allemands des Sudètes appelée « Henlein Korps ». Vous en avez déjà parlé brièvement au Tribunal. Vous avez dit qu’il y avait dans ce corps de nombreux officiers ; vous vous en souvenez ?
Oui, je me souviens.
Afin de vous aider, je vais vous montrer un document. C’est la déposition de Karl Hermann Frank, dans laquelle il confirme que le corps Henlein a reçu une certaine quantité d’armes. Savez-vous quelque chose à ce sujet ?
Je ne suis au courant de l’armement du corps Henlein qu’à partir du moment où il fut formé sur le territoire allemand. Qu’il y ait eu, ou s’il y a eu précédemment des armes envoyées en contrebande en Tchécoslovaquie pour les Allemands des Sudètes, si cela s’est produit et comment, je n’en sais absolument rien. Jamais la Wehrmacht ne s’est occupée de ces questions, de même qu’elle ne s’est pas occupée par la suite du Henlein Korps.
Savez-vous quelles sont les armes qui furent envoyées ? Étaient-elles d’origine allemande ?
Le fait que des armes aient été introduites en Tchécoslovaquie m’est absolument inconnu. Je n’étais pas contrebandier d’armes, j’étais officier d’État-Major général.
C’est justement pour cela que je vous le demande puisque vous avez dit que vous étiez au courant de la fourniture d’armes au Henlein Korps quand il est arrivé sur le territoire allemand ; je vous demande, en tant qu’officier d’État-Major général, si c’étaient des armes allemandes ou non ; vous devez le savoir.
Le Freikorps Henlein, créé le 17 septembre dans la région de Hof et au nord de cette région, a, je crois, reçu d’anciennes armes autrichiennes, peut-être aussi allemandes ; mais, je crois que c’étaient des armes autrichiennes ; je ne le sais pas avec certitude.
Dans ce cas, il est inutile de répondre. Nous ne pouvons nous servir que de réponses précises portant sur des faits exacts. Nous allons vous faire remettre une photocopie de la carte du « Cas Vert ». Voyez le passage annoté. On y lit : « Pour le succès de l’opération, l’emploi de troupes parachutées dans le pays des Sudètes apportera une aide précieuse. »
L’accusé Keitel, interrogé le 6 avril 1946 sur ce passage du document, a déclaré que c’est vous qui pouviez donner les explications nécessaires.
Au sujet de ce paragraphe, je puis dire qu’il s’agit là d’un des éléments de la préparation par l’Armée d’un cas de guerre possible : il fallait soit bousculer les fortifications, soit nous les faire ouvrir par l’arrière, et pour le succès de cette opération accompagnée éventuellement de troupes parachutées, l’aide de la population des Sudètes et des transfuges appartenant à cette population pouvait être précieuse ; car il est évident que, sur les quelque 100.000 Allemands incorporés, aucun d’eux n’aurait dirigé ses armes contre nous, mais aurait au contraire sur-le-champ passé dans nos rangs. C’est ce qu’ils m’ont écrit personnellement même lorsqu’ils portaient l’uniforme tchèque. Ils auraient passé de notre côté. C’est bien ce que nous attendions et ce dont nous avions tenu compte dans nos projets militaires.
J’ai peur que vous n’ayez pas très bien compris, ou pas voulu comprendre, la question que je vous ai posée. Ce qui m’intéresse, c’est autre chose : confirmez-vous le fait qu’avant l’agression contre la Tchécoslovaquie vous ayez prévu diverses manœuvres de diversion en Tchécoslovaquie ? Voici ce qui m’intéresse ; répondez-moi par oui ou par non.
Tout d’abord, il n’y a pas eu d’agression contre la Tchécoslovaquie ; c’est une erreur historique. Ensuite, il s’agit ici d’un travail d’État-Major, préparé pour le cas d’une guerre éventuelle. Je ne peux rien vous dire d’autre.
Ce n’est pas une réponse à la question qui vous a été posée. On vous a demandé si, avant la guerre, avant la guerre éventuelle, vous avez préparé des manœuvres de diversion en Tchécoslovaquie. Pouvez-vous répondre ?
Non, je ne l’ai pas fait ; il faudrait interroger l’amiral Canaris. Je ne m’occupais pas de ce genre de questions.
Keitel nous conseillait de vous le demander, et vous nous conseillez de le demander à Canaris. Très bien.
J’ai maintenant une autre question à vous poser : étiez-vous au courant de l’union de toutes les forces favorables au fascisme et des bandes armées fascistes qui luttaient en Yougoslavie contre les Forces alliées ? Ou bien ne savez-vous rien à ce sujet ?
Vous voulez peut-être parler de l’organisation militaire placée sous les ordres du maréchal Tito. Oui, je la connais bien.
Non, je veux parler de l’organisation d’un front unique de toutes les bandes pro-fascistes, sous la direction du Haut Commandement allemand : les partisans de Neditch, de Mikhaïlovitch et d’autres, qui furent financées et soutenues par l’Allemagne et placées sous la direction du Haut Commandement allemand. En savez-vous quelque chose ou non ?
Je ne sais pas si vous pariez des Tchetniks qui se trouvaient sous les ordres du commandement italien. Nous avons toujours eu les plus grandes difficultés avec les Italiens à ce sujet. Il y avait aussi l’Oustacha ; c’étaient des Croates. Mais je ne connais pas d’autres pro-fascistes.
Très bien. Voulez-vous regarder maintenant le document URSS-288. Ce document a déjà été remis au Tribunal ; c’est une déposition du général Neditch. Deux ou trois phrases de ce document ont un rapport direct avec les questions que je vous ai posées. Neditch a déclaré sous la foi du serment quels étaient ceux qui avaient aidé et financé l’organisation de ces bandes. Il a nommé les représentants du Haut Commandement allemand et de la Gestapo qui l’ont aidé à rassembler ses troupes. Avez-vous trouvé ce passage ?
Oui, c’est exact. Neditch avait levé quelques troupes serbes, en effet ; je l’avais oublié. Il avait peut-être...
Vous vous en souvenez ?
Oui. Neditch avait une petite troupe, c’est exact, peut-être 5.000 à 6.000 hommes. C’étaient des Serbes.
Avez-vous financé cette entreprise ?
Non, je n’avais pas d’argent, je ne me suis pas occupé de ces choses-là.
Je ne parle pas de vos moyens personnels, mais des fonds du Gouvernement allemand.
Je ne peux pas vous le dire, je ne me suis jamais occupé de questions d’argent au cours de cette guerre.
Le Haut Commandement allemand a-t-il, oui ou non, contrôlé l’organisation de ces bandes ?
Je ne les ai pas organisées. Il est probable que le Commandant en chef pour le Sud-Est en a discuté avec Neditch, mais c’est une affaire purement personnelle pour Neditch d’avoir voulu appeler les Serbes au combat.
Je ne sais pas si c’est une affaire personnelle, mais ce qui m’importe c’est que vous confirmiez que de telles bandes aient été créées ; la façon dont Neditch les a organisées ne nous intéresse pas.
Je peux le confirmer. Il y avait environ 5.000 à 6.000 hommes appartenant au service d’ordre serbe.
C’est bien. Je vais vous présenter maintenant un autre document appartenant à la même série. C’est le rapport officiel du Gouvernemnt polonais au Tribunal Militaire de Nuremberg. Vous y trouverez certains renseignements précieux sur l’activité de la Cinquième colonne. Ils sont annotés sur votre exemplaire. Je vous demanderai de porter votre attention sur le paragraphe « B ». On y lit :
« En dehors des agents choisis parmi les jeunes gens et auxquels était confiée la tâche de collaborer avec la population civile allemande, il existait un groupe de chefs et d’instructeurs composé d’officiers qui sont arrivés en Pologne, munis de passeports en règle, plusieurs semaines avant le commencement des hostilités. »
En tant que chef direct de la section « Abwehr », savez-vous quelque chose de cette activité de la Cinquième colonne en Pologne ?
Il y a là deux petites erreurs de votre part, colonel Pokrovsky : d’abord l’Abwehr n’était pas sous mes ordres, mais sous ceux du chef de l’OKW ; ensuite, j’ai expliqué longuement hier que je ne me suis jamais occupé de la préparation de la guerre contre la Pologne, ni au point de vue opérations ni dans aucun autre domaine, car je commandais l’artillerie à Vienne, et à Brno. Ce que Canaris a pu faire à l’époque au sujet de la Pologne, je n’en sais absolument rien et je ne peux malheureusement vous donner aucun renseignement.
Bien. Passons à une autre série de questions. Vous avez été interrogé le 8 novembre par le représentant du Ministère Public soviétique qui vous a demandé si l’Allemagne, en attaquant l’Union Soviétique, poursuivait des buts de conquête. Vous souvenez-vous de cette question ?
Oui, très bien.
On va vous donner maintenant une copie de votre déposition. Vous avez répondu ceci : « Je reconnais que l’idée de l’accroissement de l’espace vital et celle de l’utilisation de l’économie russe pour les besoins de l’Allemagne ont joué un certain rôle. Mais ce n’était pas la cause principale de l’agression contre l’Union Soviétique ».
Vous vous souvenez d’avoir fait cette réponse ?
C’est possible ; je ne l’ai pas signée. En tout cas, j’ai dit que ce n’était pas là le motif principal.
Dans cette même réponse, vous avez dit également : « Il n’était pas dans nos intentions d’accroître constamment notre espace vital et de nous acquérir par là de nouveaux ennemis ». Vous semblez vous en souvenir ?
Oui.
Bien. Vous vous souviendrez peut-être également que le témoin Ohlendorf a confirmé devant le Tribunal que Himmler avait, dans un discours, dès avant le début de l’agression contre l’Union Soviétique, fixé un programme qui prévoyait l’anéantissement de 10.000.000 de Slaves et de Juifs dans l’Est ?
Je me souviens d’avoir entendu cette déclaration ici. Oui.
Sur la base de cette déclaration de Ohlendorf, ne voudriez-vous pas préciser un peu votre réponse à ma question, à savoir si l’Allemagne, en faisant la guerre à l’Union Soviétique, poursuivait des buts de conquête, voulait conquérir des territoires et en anéantir la population, afin de faire des pays ainsi libérés, selon les propres termes de Hitler, « un Eden pour les Allemands » ? N’était-ce pas cela ?
Quelles furent par la suite les intentions du Führer, je n’en sais rien, mais j’ai exposé hier dans tous leurs détails les motifs militaires et stratégiques qu’il nous a donnés et que de nombreuses informations confirmaient sans équivoque. Le motif principal était le sentiment du danger énorme qu’aurait constitué une avance russe. Ce fut là le point décisif.
Nous allons vous faire remettre maintenant le document C-57, qui a déjà été remis au Tribunal. Le soir du 5 avril 1946, ce document a été soumis à l’accusé Keitel sous le numéro URSS-336. Je vous demanderai de regarder les paragraphes 4 et 7 de ce document. Keitel a déclaré que vous pourriez donner des explications complémentaires au sujet de ce document. Le paragraphe 4 traite de la part active prise par l’Espagne à l’occupation de Gibraltar, en 1941. Voulez-vous me dire en quoi consistait la participation active de l’Espagne à l’occupation de Gibraltar ? Avez-vous trouvé le passage ?
Je connais ce document depuis longtemps, mais il n’est signé par personne. Il me faut d’abord donner une explication sur ce document, dire de quoi il s’agit, afin qu’on ne le considère pas comme un ordre.
Je ne crois pas avoir dit que c’était un ordre.
Alors, c’est bien, car ce n’est pas un ordre. Je ne peux pas dire quelles étaient les intentions des gens qui ont établi ce document. C’est manifestement un projet que des officiers d’État-Major — appartenant probablement à ma section — ont préparé en collaboration avec l’officier des opérations de la Kriegsmarine attaché à mon État-Major pour le soumettre ensuite à l’examen de l’État-Major des opérations navales, tout cela en vertu du principe suivant lequel un officier d’État-Major doit toujours voir loin et faire des projets à longue échéance. C’est ainsi que des idées personnelles ont été mises sur le papier sans que personne en ait jamais eu connaissance.
Quelle était votre question, colonel Pokrovsky ?
J’ai posé une question à laquelle je n’ai pas eu de réponse. J’ai demandé à l’accusé s’il pouvait expliquer brièvement quel était le rôle actif qu’aurait joué l’Espagne dans le cas d’une occupation de Gibraltar en 1941 ?
Je ne peux pas faire de déclarations sur les pensées des autres ; je ne peux dire que ce qui avait été sérieusement envisagé en 1940 au sujet de l’Espagne. Mais au sujet de ce papier, je ne puis rien dire. Car à cette époque j’avais considéré cette affaire comme irréalisable. Je ne connais ce papier que depuis que je suis ici à Nuremberg ; je ne l’avais jamais vu auparavant.
Que ce plan ait pu être réalisé ou non, c’est une autre question. L’accusé Keitel n’en a pas moins déclaré que vous pourriez donner des éclaircissements sur ce document. Vous ne pouvez rien dire, dites-vous ?
Je viens de vous le dire à l’instant, c’est un travail préliminaire dû à de jeunes officiers d’État-Major et que j’ai vu ici pour la première fois dans la salle des documents avec le plus grand intérêt et quelque amusement. A l’époque, on ne me l’avait pas montré, car au bout de huit jours il était déjà visible que la situation serait modifiée.
Alors, vous ne savez rien non plus du corps expéditionnaire qui devait, par la Transcaucasie, gagner le golfe Persique, vers l’Irak, la Syrie et l’Egypte, dans le cas d’un effondrement de l’Union Soviétique ? Vous ne saviez rien non plus de ce projet ?
On n’y a jamais pensé d’une façon sérieuse. Bien au contraire, j’ai eu la plus belle discussion de ma vie avec le Führer parce que je ne voulais pas attaquer, à travers le Caucase, en direction de Bakou. Mais c’est dans le premier optimisme des grandes victoires de l’été que certains officiers d’État-Major avaient tiré de tels plans. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils sont là, pour avoir des idées. Quant aux décisions, elles sont prises par les gens plus âgés et plus calmes.
Ainsi, vous confirmez que les succès de l’Armée rouge ont provoqué l’échec de ces plans de grande envergure de l’Allemagne hitlérienne en vue d’envoyer un corps expéditionnaire vers l’Irak, la Syrie et l’Égypte ?
Si l’Union Soviétique avait été anéantie, nous aurions peut-être eu l’idée de continuer la guerre dans ce sens, mais jamais nous aurions eu l’idée, par exemple, d’attaquer la Turquie par les armes. Elle se serait volontairement rangée à nos côtés ; tel était le point de vue du Führer.
D’où savez-vous cela ?
D’où je sais cela ? Cela figure même dans le document, dans le journal de l’État-Major directeur de la Wehrmacht, documents qui sont ici au Tribunal. On peut y lire : « En cas de grands succès allemands, la Turquie se rangera sans aucun doute à nos côtés. J’ordonne qu’elle fasse l’objet d’une priorité toute spéciale pour les livraisons de munitions, d’armes et de chars ». Elle avait d’ailleurs émis des vœux de cet ordre et était très reconnaissante d’avoir reçu de nous d’excellents chars, tout armés. Le Führer n’aurait jamais fait cela s’il s’était attendu à voir la Turquie dans le camp adverse.
Passons à une autre série de questions. Dans la soirée du jour qui précédait la campagne de Russie eut lieu une conférence entre les représentants de l’OKW, de l’OKH ainsi que du RSHA. On discuta de la participation de la Sipo. Savez-vous quelque chose sur cette conférence dont a parlé ici le témoin Ohlendorf ?
Je n’en sais absolument rien. Je m’occupais de questions toutes différentes et je n’ai jamais eu avec le RSHA la moindre discussion ni le moindre rapport.
Connaissez-vous l’officier qui s’occupait de la section des prisonniers de guerre à l’OKW, Wilheim Scheidt ?
Oui, je le connais, c’était un collaborateur du général Scherff.
Connaissez-vous sa déposition, qui a été lue ici au Tribunal ? Elle figure, Monsieur le Président, au procès-verbal des débats du 7 janvier au matin (Tome IV, page 483). Il déclare que les pratiques criminelles qui consistaient à appliquer des sanctions aux pacifiques populations civiles étaient connues des officiers de l’État-Major d’opérations de l’Armée et de l’État-Major général de l’Armée de terre. Vous souvenez-vous ?
Je ne sais pas quels sont les termes qu’il a employés. Mais ni l’État-Major d’opérations de l’Armée ni moi n’avons jamais eu connaissance d’activités criminelles. Je les ai toujours désapprouvées et combattues, je l’ai suffisamment expliqué ici.
Si je comprends bien, vous niez avoir jamais eu connaissance des mesures criminelles de représailles envers la population civile. Voulez-vous dire que vous n’en saviez rien ?
Je suis, bien entendu, au courant de la lutte contre vos partisans. C’est évident. Je vous ai d’ailleurs montré deux instructions données à ce sujet par l’État-Major d’opérations.
Le témoin von dem Bach-Zelewski a déclaré le 7 janvier que le but réel de la lutte contre les partisans était l’anéantissement des Juifs et des Slaves, et que les méthodes de ce combat étaient connues du Haut Commandement. Niez-vous cela aussi ?
C’était peut-être l’intention de Bach-Zelewski. Ce n’était pas la mienne. Mes instructions étaient différentes. J’ai déjà déclaré hier qu’une telle intention n’avait absolument aucun sens. Le chiffre des partisans n’avait aucune importance dans la lutte immense entre l’Armée allemande et l’Armée soviétique. Il constituait pour cette question un pourcentage minime.
Vous souvenez-vous quand et dans quelles circonstances vous avez dit personnellement, au cours d’une conférence chez Hitler, que les armées allemandes avaient le droit d’agir avec les partisans comme ils le désiraient, de les soumettre à toutes sortes de tortures, de les écarteler, de les suspendre par les pieds, etc. ? Vous souvenez-vous d’avoir dit cela ?
Nous nous sommes longuement entretenus au cours des interrogatoires préliminaires, au sujet de ces idées qui sont plus comiques que sérieuses.
Peut-être pourriez-vous nous en parler ici avec moins de détails, mais en revanche de façon plus précise. Voulez-vous répondre à ma question ? Avez-vous prononcé cette phrase ou une phrase semblable et dans quelles circonstances ?
Je peux le dire brièvement : c’était le 1er décembre 1942. Comme s’en souvient sans doute le Tribunal, le 11 novembre avaient paru des prescriptions de l’État-Major d’opérations sur la lutte contre les partisans, prescriptions qui furent remplacées le 6 mai 1944 par une nouvelle édition. Dans ces prescriptions, données le 11 novembre, j’avais écrit la phrase suivante : « L’incendie de villages par mesure de représailles est interdit, car il a pour effet obligatoire de créer de nouveaux partisans ». Le projet de ce mémoire est resté plusieurs semaines chez le Führer. Il y objectait sans cesse que des instructions de ce genre mettraient une limite à la lutte impitoyable des troupes contre les partisans. Comme j’avais déjà, sans son autorisation, transmis ces instructions, et qu’il ne me la donnait toujours pas, je pris une décision, et alors qu’il me parlait de son expérience de combattant, de la lutte contre les communistes à Chemnitz, je lui dis, pour rompre enfin la glace : « Mon Führer, ce que les gens font au combat ne figure pas dans les instructions. Pour ma part, ils peuvent bien les écarteler ou les pendre par les pieds ». Si j’avais su que les Russes comprissent si mal l’ironie j’aurais ajouté : « ... les faire rôtir à la broche ». Voilà ce que j’ai dit, et j’ai ajouté : « Mais dans ces instructions, il s’agit de représailles après le combat, et cela, il faut l’interdire ». Là-dessus tous les officiers présents se sont mis à rire, le Führer aussi, et il me donna l’autorisation de transmettre les instructions. Ceci vous sera confirmé par la déposition d’un témoin, le général Buhle, qui était présent. Il est bien connu que depuis le XVIe siècle l’écartèlement, non plus que la pendaison par les pieds ne sont plus d’usage en Allemagne. Aussi cette réflexion ne pouvait-elle être qu’ironique.
Je demanderai au Tribunal de m’accorder encore une minute afin de terminer cette série de questions. Je n’en aurais pas pour plus d’une minute. (Au témoin.) Savez-vous que les troupes allemandes, qui probablement comprenaient l’ironie mieux que nous, et au vrai sens du mot, ont écartelé, ont pendu par les pieds et fait rôtir à la broche les prisonniers soviétiques ? Le savez-vous ?
Non seulement je ne le sais pas, mais je n’en crois rien.
Avec la permission du Tribunal je passerai au dernier groupe de questions après la suspension d’audience.
Pour combien de temps en aurez-vous encore, colonel Pokrovsky ?
Je n’ai plus que quelques questions à poser, et je ne pense pas en avoir pour longtemps.