CENT QUARANTE-NEUVIÈME JOURNÉE.
Vendredi 7 juin 1946.
Audience de l’après-midi.
Au cours de l’audience, vous avez fait une déposition très importante. Vous avez reconnu que les troupes de l’Armée rouge, en 1941, ont opposé à Viasma une résistance fanatique à l’invasion fasciste et que beaucoup de soldats sont tombés entre vos mains uniquement parce qu’ils étaient exténués de fatigue et incapables d’un mouvement. C’est, d’après vous, ce qui explique l’énorme mortalité des prisonniers de guerre soviétiques. Cela n’est-il pas exact ?
Oui, c’est exact en ce qui concerne les prisonniers, notamment dans la poche de Viasma.
Ne pensez-vous pas qu’il y eut, à votre connaissance, d’autres raisons qui expliquent l’énorme mortalité des prisonniers de guerre soviétiques ?
Je n’ai entendu parler d’aucune autre raison.
Pour rafraîchir un peu votre mémoire, je proposerai à votre attention un court extrait de notre document URSS-353. C’est une lettre de Rosenberg adressée au Commandant en chef de la Wehrmacht, c’est-à-dire transmise directement à l’OKW. Le document a été rédigé le 28 février 1942. Je voudrais attirer votre attention sur quelques courts passages de ce document. A la première page, je crois, les phrases suivantes sont soulignées :
« Le sort des prisonniers de guerre soviétiques en Allemagne est une tragédie de grande envergure... Un nombre considérable d’entre eux sont morts de faim ou par suite du mauvais temps. Des milliers sont également morts du typhus. »
Puis je passe quelques phrases et en arrive à la page suivante :
« Quelques commandants de camps intelligents ont adopté cette ligne de conduite avec quelque succès. » Il était question de la population acceptant de son plein gré de nourrir les prisonniers de guerre.
« Dans la majorité des cas, néanmoins, les commandants de camps avaient interdit à la population civile de ravitailler les prisonniers de guerre et ont préféré les laisser mourir de faim... De plus, dans de nombreux cas, des prisonniers qui ne pouvaient plus marcher en raison de leur faim et de leur épuisement ont été fusillés sous les yeux de la population civile horrifiée, et les cadavres abandonnés sur le bord de la route. »
Encore quelques lignes plus bas : « On pouvait entendre des réflexions semblables : « Plus il mourra de ces prisonniers, mieux « cela vaudra pour nous ».
Et, de nouveau, à la troisième page : « Il serait naïf de croire que la situation dans les camps de prisonniers de guerre pourrait être cachée au Gouvernement soviétique. La note circulaire de Molotov prouve clairement que le Gouvernement soviétique est parfaitement au courant des conditions décrites plus haut ».
Avez-vous trouvé les passages en question ?
Oui, je les ai trouvés.
Vous ne savez vraiment rien des raisons de cette énorme mortalité ?
Non. J’ai entendu parler de cette lettre pour la première fois devant ce Tribunal.
Accusé Jodl, je ne vous parle pas de la lettre. Je vous interroge sur les morts massives de prisonniers soviétiques. Vous n’en connaissez pas les raisons ?
Colonel Pokrovsky, ce document est-il signé ?
Monsieur le Président, il ne porte pas de signature. C’est un document saisi n° PS-081. Il fait partie des documents saisis par les États-Unis, qui nous ont été remis pour être présenté au Tribunal. (S’adressant à l’accusé.) Je n’ai pas entendu votre réponse, accusé ?
Je ne savais absolument rien des raisons de ces morts massives. En tout cas, les chiffres sont absolument faux ; cela, je le sais pertinemment, car je peux donner de mémoire approximativement les chiffres des prisonniers de guerre soviétiques capturés, et des survivants.
Bon. Nous allons envisager cette question sous un autre angle. Connaissez-vous le nom de von Graevenitz ?
Von Graevenitz ? Oui, ce nom m’est familier.
Travaillait-il à l’OKW ?
Il était, si ma mémoire est bonne, au service de l’administration générale de la Wehrmacht, sous les ordres du général Reinecke.
Cette fois-ci, vous ne vous trompez pas ; vous avez raison. Connaissez-vous le général Österreich ?
Non, je ne connais pas ce général.
Vous n’avez jamais entendu ce nom ?
Je ne m’en souviens pas.
Ce général était chef du département des prisonniers de guerre dans l’une de vos régions militaires. Vous vous rappellerez peut-être la déposition qu’a faite ce général sur la directive qu’il a reçue de Graevenitz, de l’OKW, relative aux prisonniers de guerre soviétiques ? Nous allons vous montrer le document URSS-151. A la page 5 du texte allemand vous trouverez, accusé, le passage sur lequel je veux attirer votre attention :
« A la fin de 1941 ou au début de 1942, j’ai été appelé à Berlin à plusieurs reprises pour assister à des conférences groupant les commandants chargés des prisonniers de guerre dans chaque région militaire. Le nouveau chef de l’organisation des prisonniers de guerre au Quartier Général de l’OKW, le général von Graevenitz, présidait la réunion. Au cours de la conférence, on a étudié la question du traitement à appliquer aux prisonniers de guerre soviétiques qui, par suite de blessures, d’épuisement ou de maladies, étaient dans l’incapacité de travailler et de vivre. Sur la proposition de Graevenitz, plusieurs officiers présents, parmi lesquels plusieurs médecins, ont donné leur opinion à ce sujet et ont déclaré que de ces prisonniers de guerre devaient être concentrés en un seul endroit, camp ou hôpital, et empoisonnés. A l’issue de cet entretien, Graevenitz publia un ordre tendant à ce que tous les prisonniers de guerre incapables de travailler et de vivre fussent tués par les soins du personnel médical. »
Étiez-vous au courant de tout cela ?
Je ne fus pas du tout mis au courant et ne peux rien dire au sujet de ce document. Il ne me concerne en rien et je ne sais pas si son contenu est exact, mais le général von Graevenitz le sait certainement. Je n’ai rien eu à voir avec les prisonniers de guerre. Cela concernait un autre service, celui du général Reinecke.
Von Graevenitz répond pour sa défense qu’il n’était qu’un agent d’exécution ; il appliqua cette directive de l’OKW et donna des instructions qui en tenaient compte, et vous déclarez ne rien savoir à leur sujet ?
Je n’ai pas dit cela. Le général von Graevenitz n’était pas mon subordonné. Je n’ai pas eu d’entretiens avec lui. Je l’ai peut-être rencontré deux fois dans toute ma vie. Je n’étais pas chargé des prisonniers de guerre et n’avait pas qualité pour m’occuper d’eux.
Très bien. Nous allons passer à un dernier groupe de questions. Il n’y en a que quelques-unes. L’accusé Keitel a déclaré, au cours de son interrogatoire ici, devant le Tribunal, ou plutôt au cours des interrogatoires préliminaires à ce Procès, que vous pourriez donner des renseignements précis sur les directives relatives à l’anéantissement de Leningrad et de Moscou. Vous avez dit au Tribunal que ces directives ont été données pour deux raisons. Premièrement, le général von Leeb avait signalé l’infiltration continuelle de la population de Leningrad vers les fronts de l’Ouest et du Sud ; en second lieu, ces mesures ont été prises en représailles des événements de Kiev. Est-ce bien exact ?
Il ne s’agissait pas de représailles à proprement parler, mais de la crainte justifiée que les événements qui s’étaient déroulés à Kiev se produisent également à Leningrad, et en troisième lieu, la radio soviétique nous avaient avertis qu’il en serait ainsi.
Bon. L’important pour moi est de savoir si, effectivement, cette directive résulte du rapport provenant du front de Leningrad et de l’affaire de Kiev. En est-il ainsi ?
Non, je n’ai pas lié les deux faits, mais effectivement les événements, tels qu’ils se sont produits, ont influencé la décision du Führer. Ce sont bien les raisons qu’il donna lui-même.
Très bien. Peut-être vous rappellerez-vous la date à laquelle l’OKW a reçu les renseignements de von Leeb. Dans le courant de quel mois ?
C’était, si j’ai bonne mémoire, dans les premiers jours de septembre.
Très bien. Peut-être vous rappellerez-vous la date de la prise de Kiev par les troupes allemandes. N’est-ce pas à la fin de mois de septembre 1941 ?
Si j’ai bonne mémoire, Kiev a été occupée à la fin d’août, approximativement le 25 août, mais je ne peux...
N’est-ce pas le 22 septembre ?
Cela est hors de la question. Nous avons un document ici, un rapport sur les événements de Kiev. Je ne me souviens pas de la date exacte. C’est le document PS-053 ; nous devons pouvoir trouver la date qui y figure.
C’est précisément ce document qui donne les dates du 23 et du 24 septembre. Admettons néanmoins que ces faits remontent au mois d’août. Vous souvenez-vous de la date à laquelle Hitler a déclaré que Leningrad devait être entièrement rasée ?
Je m’excuse, je me suis continuellement trompé au sujet de cette date. Ce document C-323, l’ordre du Führer, porte la date du 7 octobre. Évidemment, votre indication est juste. Je me suis trompé d’un mois. Effectivement, Kiev a été prise fin septembre et le rapport que nous avons reçu de von Leeb nous est parvenu dans les premiers jours du mois d’octobre. Je me suis trompé, je m’excuse.
Il n’y a pas de quoi, cela n’a pas grosse importance. Je voudrais simplement que vous vous rappeliez le moment où Hitler a déclaré pour la première fois d’une façon catégorique qu’il fallait effacer Leningrad de la surface de la terre ? Pour moi, c’est là le point important.
Vous faites, je présume, allusion au document de la Marine, celui de l’État-Major des opérations navales ?
Nous allons vous communiquer le document L-221 et vous verrez le passage où il est dit qu’au cours d’une conférence au Quartier Général du Führer, le 16 juillet 1941, la déclaration suivante a été faite : « Les Finlandais réclament la région de Leningrad. Le Führer veut entièrement raser Leningrad pour la donner ensuite aux Finlandais ». Avez-vous trouvé ce passage ?
Oui, j’ai trouvé le passage.
C’était le 16 juillet 1941, n’est-ce pas ?
Mais oui, ce document a été écrit le 16 juillet 1941.
C’était donc bien avant que vous receviez le rapport du front de Leningrad ?
Oui, c’était trois mois auparavant.
C’était également bien avant qu’il y eût pour la première fois des explosions et des incendies à Kiev. Cela est-il exact ?
Parfaitement exact.
Ce n’est manifestement pas au hasard que vous avez dit dans la directive rédigée par vous et dans vos déclarations devant le Tribunal que le Führer avait une fois de plus décidé de raser Leningrad. Ce n’était donc pas la première fois qu’il prenait cette décision ?
Non, cette décision — s’il s’agit bien d’une décision — et les déclarations faites à cette conférence, j’en ai entendu parler pour la première fois ici, devant le Tribunal. Je n’ai personnellement pas pris part à ces entretiens et je ne connais pas non plus les paroles qui ont été prononcées à cette occasion. J’ai dit que le Führer avait une fois de plus pris cette décision, en me basant sur l’ordre verbal qu’il avait donné au Commandant en chef de l’Armée quelques jours auparavant, sans doute un ou deux. Il est évident qu’il y avait déjà eu une conversation à ce sujet et que, dans cet ordre, je fais allusion à une lettre de l’OKH, du 18 septembre ; c’est ainsi que l’on doit comprendre l’expression « une fois de plus ». Je n’étais pas du tout au courant et c’est ici, devant le Tribunal, que j’ai entendu parler pour la première fois de cette conférence.
Très bien. Le Tribunal sera probablement en mesure de savoir la date précise à laquelle Hitler fit cette déclaration pour la première fois. Vous avez déclaré que vous ne saviez rien des représailles à l’égard des Juifs ?
Non.
Vous venez pourtant de faire allusion au document PS-053. (Le document est remis à l’accusé.) C’est un compte rendu de Koch, signé de sa main. Vous reconnaîtrez vous-même qu’il dit d’une façon très claire que Koch rendit la population civile responsable des incendies de Kiev et extermina la population juive de la ville, qu’il estime de 35.000 âmes, dont plus de la moitié étaient des femmes. C’est bien ce que dit ce rapport, n’est-ce pas ?
Je connais cela parfaitement ; j’ai trouvé ce document ici, à la salle de documentation, et je l’ai pris comme une excellente pièce à conviction relative aux événements de Kiev. Je ne le connaissais pas avant mon arrivée à Nuremberg ; il n’était jamais parvenu jusqu’à l’OKW. En tout cas, il n’était jamais passé entre mes mains. Je ne sais pas s’il a jamais été mis en circulation.
Vous n’avez pas su non plus si les Juifs avaient été exterminés ou pas, n’est-ce pas ?
Je le crois aisément aujourd’hui. Il ne peut plus y avoir de doute à ce sujet, le fait est prouvé.
Très bien. Dans le document présenté par votre avocat sous le numéro Jodl-3 (PS-1780), à la page 6 de votre livre de documents, dans la dernière inscription de cette page, il est dit : « Un grand nombre de généraux âgés vont quitter l’Armée ». Cela se trouve dans votre journal à la date du 3 février 1938. Vous en souvenez-vous ?
Oui, cela se trouve bien dans mon journal.
Faut-il comprendre que l’on pouvait quitter l’Armée à n’importe quel moment ? En d’autres termes : un général pouvait-il se retirer de l’Armée ou donner sa démission lorsqu’il le désirait ? Votre phrase le laisse entendre.
A cette époque, je crois que cela aurait été parfaitement possible. En 1938, il n’y avait pas d’ordre interdisant à un officier général de démissionner.
Bon. Dans le document Jodl-64 (AJ-11) qui a été présenté par votre avocat, nous trouvons un passage qui n’a pas été, pour une raison ou pour une autre, reproduit dans le dossier. Je voudrais le citer maintenant. C’est la déposition du général von Vormann qui déclare, sous la foi du serment, que le général von Hammerstein et vous, employiez fréquemment pour parler de Hitler des expressions telles que « criminel » et « charlatan ». Confirmez-vous la véracité de cette déposition ou bien Vormann a-t-il fait une erreur ?
Je crois vraiment en mon âme et conscience que Vormann a confondu deux choses. En parlant du Führer j’ai très souvent dit que je le considérais comme un charlatan, mais je n’avais aucune raison de le traiter de criminel. J’employais souvent l’expression « criminel », mais pas à l’égard de Hitler, que je ne connaissais même pas à cette époque. Je l’employais à l’égard de Röhm ; j’ai dit plusieurs fois qu’il était, à mon avis, un « criminel » et il est possible que Vormann ait fait ici une légère confusion. Quant à l’expression « charlatan », je l’ai souvent employée. Elle correspondait à mon opinion à cette époque.
C’est-à-dire que vous considériez Röhm comme un « criminel » et le Führer comme un « charlatan ». C’est bien cela ?
Oui, c’est exact. C’était à cette époque-là mon opinion, car je connaissais Röhm, mais Adolf Hitler, je ne le connaissais pas.
Bon. Alors comment expliquez-vous que vous ayez accepté des postes de premier plan dans la machine militaire du Reich, après l’arrivée au pouvoir d’un homme que vous appeliez vous-même un « charlatan » ?
Parce que j’arrivai, dans les années qui suivirent, tout au moins entre 1933 et 1938, à la conviction que Hitler n’était pas un charlatan mais une personnalité considérable qui atteignit cependant à la fin une grandeur infernale. Mais à cette époque, c’était vraiment une personnalité éminente.
Bon. Avez-vous reçu l’insigne d’or du Parti hitlérien ?
Oui, je l’ai déjà reconnu et confirmé.
En quelle année l’avez-vous reçu ?
Le 30 janvier 1943.
C’est donc après être arrivé à la conclusion que Hitler n’était pas un « charlatan » ? Avez-vous entendu ma question ?
Oui. A cette époque-là je fus convaincu qu’il s’agissait, comme je l’ai dit tout à l’heure, d’une personnalité éminente, malgré les réserves qui s’imposaient.
Et après en être arrivé à cette conclusion, vous avez reçu l’insigne d’or du Parti ? Je vous remercie. Je n’ai pas d’autre question à poser au témoin, Monsieur le Président.
Je voudrais attirer l’attention du Tribunal sur le document URSS-151 que M. le colonel Pokrovsky vient de soumettre au témoin. Je prierai le Tribunal de n’admettre ce document que si le général Österreich peut être cité et interrogé contradictoirement. Voici les fondements de ma requête :
1. Le document présenté contient le titre « Aussagen » (déposition), mais nous ne voyons pas devant qui cette déposition a été faite.
2. Le document ne contient aucune indication du lieu où il a été rédigé.
3. Le document n’est pas une déclaration sous serment, bien que le dernier paragraphe dise qu’il a été rédigé de la main même du général Österreich ; il aurait dû être authentifié comme une « déclaration sous serment ».
En raison de la gravité de l’accusation formulée dans ce document contre l’administration des prisonniers de guerre, il me semble nécessaire d’ordonner que ce général comparaisse ici en personne.
Oui. Veuillez continuer.
Telles sont les raisons sur lesquelles je fonde ma requête et, en terminant, je me permets de faire observer que le général von Graevenitz n’est pas en vie ou, tout au moins, que l’on ne peut pas trouver sa trace. J’ai fait des recherches pour lui demander de venir témoigner en faveur de l’accusé Keitel, mais je n’ai pas réussi à le trouver.
C’est un fait que ce document a été présenté à titre de preuve au Tribunal, dès février ou mars.
Je ne m’en souviens pas, et d’autre part, — cela je le sais de façon sûre — ce document ne nous a pas été soumis par le service des archives. J’ai vu ce document aujourd’hui pour la première fois, mais peut-être que le colonel Pokrovsky pourra nous donner quelques précisions à ce sujet.
Le Tribunal prendra votre requête en considération.
Voulez-vous me permettre de vous faire encore observer que ce document a été rédigé le 28 décembre 1945 et que le général Österreich pourrait être retrouvé par le service même qui l’a interrogé à cette date.
Je pense pouvoir fournir une explication. Ce document a été présenté par le Ministère Public russe le 12 février 1946 et accepté comme preuve par le Tribunal.
Colonel Pokrovsky, un instant, s’il vous plaît. Avait-il été traduit auparavant en allemand ou bien a-t-il été lu à l’audience ?
Je viens de recevoir une note de notre section de documentation disant qu’il a été présenté par mes soins le 13 février, au moment de la présentation des preuves relatives aux prisonniers de guerre. Voilà tout ce que je sais. Je présume que ce document a été naturellement traduit en allemand à ce moment-là ; je n’ai pas de doute à ce sujet. On peut néanmoins très facilement s’en assurer.
Un avocat désire-t-il encore interroger le témoin ?
Je voudrais tout d’abord poser une question qui a été soulevée au cours de l’interrogatoire mené par la Défense et qui mérite, à mon sens, certains éclaircissements.
L’un des avocats a parlé des photographies montrant les atrocités commises dans les territoires occupés, que l’on a présentées ici, et vous avez dit alors que ces photographies étaient authentiques. Qu’avez-vous voulu dire par là ?
J’ai voulu dire qu’il ne s’agissait pas d’un de ces photo-montages dans lesquels les agents de propagande russes sont passés maîtres, d’après ma propre expérience. J’ai voulu dire qu’il s’agissait de photographies d’événements qui s’étaient effectivement produits. Mais j’ai voulu également dire que ces images ne constituaient pas des preuves permettant de se rendre compte s’il s’agissait véritablement d’atrocités, et enfin qu’elles ne montraient pas quels en avaient été les auteurs. Le fait qu’on les ait trouvées sur des Allemands pourrait même nous porter à croire qu’il s’agissait de photographies d’actes commis par l’ennemi, par les forces de Tito par exemple, ou peut-être par les Oustachis, Généralement, on ne prend pas de photographies des atrocités que l’on a pu commettre.
Oui. Le Ministère Public britannique a présenté un nouveau document, PS-754, sur les destructions opérées au cours de la retraite de Norvège. Pourquoi avez-vous écrit à propos de cet ordre purement militaire : « Le Führer avait donné son accord aux propositions du Commissaire du Reich pour les territoires occupés de Norvège et avait donné ses ordres en conséquence... » etc. Pourquoi avez-vous délibérément employé l’expression « propositions » etc. ?
Dans mes ordres aux chefs d’Armée, j’avais adopté une sorte de code secret. Lorsqu’un ordre résultait d’un accord entre l’OKW et le Führer, je commençais par les mots : « Le Führer a donné ordre... » Lorsqu’un ordre émanait du Führer lui-même, je commençais par un préambule qui énumérait les raisons données par le Führer et les arguments afférents. Après ce préambule, j’écrivais : « Le Führer, en conséquence, a donné ordre... » Si le Führer avait pris une décision à la suite d’une proposition émanant d’un service non militaire, j’ajoutais toujours en principe : « Le Führer, sur la proposition de tel ou tel service civil, a décidé... » Ainsi, les chefs militaires savaient exactement à quoi s’en tenir.
Avez-vous rédigé cet ordre (PS-754) sans opposer la moindre objection ou résistance ?
Cet ordre a été pris exactement de la même manière que l’ordre relatif aux commandos. L’un des adjoints civils du Führer m’avait annoncé que Terboven avait l’intention de demander audience au Führer. Il s’était trouvé en conflit avec les autorités de la Wehrmacht en Norvège au sujet de l’évacuation de la population civile du nord de la Norvège. L’adjoint civil me dit qu’il avait voulu me prévenir avant de se mettre en communication téléphonique avec Terboven. Je fis immédiatement procéder à une enquête par l’intermédiaire du personnel de mon État-Major auprès du Commandant en chef en Norvège et Finlande. J’appris que la Wehrmacht — le chef de la Wehrmacht en Norvège — avait refusé les propositions de Terboven qu’il n’estimait pas réalisables sur une telle échelle. Mais, entre temps, Terboven était entré en communication avec le Führer. Je fis part au Führer de mes objections et lui dis qu’en premier lieu cet ordre, ce projet de Terboven, n’était pas réalisable sur une semblable échelle et, en second lieu, qu’il n’était pas nécessaire de pratiquer cette opération sur une aussi vaste échelle. J’étais d’avis — et je l’ai dit au Führer — de laisser le général Rendulic juger lui-même des destructions qu’il voulait et devait entreprendre pour des raisons militaires. Mais le Führer, à l’instigation de Terboven, insista pour que cet ordre fût donné, en considération des arguments que je dus consigner sur le document. Mais cet ordre n’a certainement pas été exécuté dans toute son ampleur. C’est ce qui se dégage du rapport du Gouvernement norvégien et également de mes entretiens particuliers avec mon frère.
Passons maintenant à une autre question. A. propos de certains projets et de certaines propositions soumis au Führer, vous avez souvent formulé des objections et présenté des arguments. Il semble étonnant que chaque fois qu’il s’agissait de mesures contraires au Droit international vous n’ayez élevé aucune objection sur le plan du Droit international, ni sur le plan moral, mais que vous ayez formulé généralement des objections ayant un caractère pratique et fait valoir des considérations, d’opportunité. Pouvez-vous nous dire brièvement pourquoi vous agissiez ainsi ?
Je me suis déjà expliqué à ce sujet à propos des raisons que j’avais données lorsqu’il avait été question de rédiger une proposition tendant à dénoncer la Convention de Genève.
A savoir ?
C’était la seule manière d’avoir l’agrément du Führer.
Cela me suffit. Vous avez dit hier...
Monsieur le Président, je fais une objection uniquement en raison du temps que cette question risque de nous faire perdre. Le témoin a déjà répondu sur ce point hier. A mon avis, il ne pourrait que se répéter.
Il a été question aujourd’hui de cette conférence à Reichenhall. Voudriez-vous nous dire brièvement comment vous avez pu faire de telles déclarations à Reichenhall et comment les directives dont vous avez parlé aujourd’hui ont pu être prises à Reichenhall ?
J’ai déjà témoigné ici au sujet de l’entretien avec le Führer.
Oui. Il était seulement question des préparatifs...
Docteur Exner, l’accusé vient de vous dire qu’il a déjà témoigné sur ce point.
Oui, il a parlé de la conversation préliminaire, mais pas des entretiens proprement dits qui se déroulèrent à Reichenhall.
Non, en effet je n’ai pas encore parlé devant le Tribunal des entretiens proprement dits de Reichenhall.
Eh bien, soyez bref s’il vous plaît.
En ce qui concerne cet entretien de Reichenhall — c’est-à-dire les directives données au trois officiers de mon État-Major — Warlimont a présenté une version qui diffère de celle que je ferai moi-même. Il confond les époques auxquelles différents événements se sont produits. Cela n’a rien de surprenant, étant donné que du 20 juillet jusqu’au moment où il a été fait prisonnier, il est demeuré chez lui après une grave commotion cérébrale, dans un état d’amnésie totale. Jusqu’au moment où il a été fait prisonnier, il a été dans l’incapacité de servir. Le bien-fondé de mes allégations peut être facilement vérifié dans les éphémérides de l’État-Major de la Marine. Dans ce journal, il est dit que ces divisions allaient être envoyées à l’Est afin d’empêcher la Russie de s’emparer des champs pétrolifères de Roumanie.
Je voudrais faire une rectification sur un point qui a été présenté, me semble-t-il, d’une façon erronée par le Ministère Public soviétique. Celui-ci nous a dit que Göring et Keitel n’avaient pas considéré la guerre contre la Russie comme une guerre préventive. Il a été établi, lors de l’audience de l’après-midi du 15 mars, que Göring a également considéré la guerre contre la Russie comme une guerre préventive, et qu’il n’y eut de divergence d’opinion entre lui et le Führer qu’au sujet du choix du moment favorable pour le déclenchement de cette guerre préventive. Je sais que Keitel était absolument d’accord avec Göring sur ce point.
En outre, le représentant du Ministère Public russe a présenté un document (PS-683) ; j’ignore le numéro sous lequel il l’a déposé. Je ne comprends pas très bien dans quelle mesure ce document se rapporte au cas de Jodl et je me demande s’il ne s’agit pas d’une confusion dans la signature ; le document porte la signature « Joel », qui ne ressemble pas du tout à celle de l’accusé Jodl. Je tenais simplement à attirer l’attention du Tribunal sur ce point. Il y a peut-être là une simple confusion de noms. En outre, le Ministère Public a dit que l’accusé avait fait une remarque laissant à entendre que les partisans devaient être pendus la tête en bas, etc.
Docteur Exner, vous venez de faire au sujet de ce document une déclaration inopportune. Si vous aviez voulu prouver quelque chose, vous auriez dû interroger le témoin à ce sujet. Vous nous avez dit que ce document ne concernait nullement le témoin Jodl et que la signature était d’une autre personne, pourquoi ne l’avez-vous pas demandé directement au témoin ?
On m’informe que la preuve a déjà été apportée que ce document n’émanait pas de Jodl.
La transmission des traductions était mauvaise ce matin ; je n’ai pas entendu ce que l’on a pu dire à ce sujet. J’ignore s’il me sera possible de donner lecture à ce sujet d’un passage d’interrogatoire. Il s’agit simplement d’une question et d’une réponse qui se rapportent à cette remarque sur la pendaison des prisonniers, etc. Cela m’est-il possible ?
Oui, s’il s’agit d’un contre-interrogatoire.
M. le représentant du Ministère soviétique a soulevé la question de savoir si c’était au sujet de la directive sur les partisans que l’accusé avait déclaré que les partisans faits prisonniers au cours d’un combat devaient être écartelés. Il est dit dans cet interrogatoire :
« Question
Est-il vrai, oui ou non, que... »
Je dois dire qu’il s’agit du document Jodl-60 (AJ-7), page 189 du tome III de mon livre de documents. C’est un interrogatoire du général Buhle, qui a été fait en Amérique. Il y a ensuite :
« Question
D’après un compte rendu sténographique, vous avez pris part, le 1er décembre 1942, à une conférence sur la situation générale qui donna lieu à une longue discussion entre le Führer et Jodl au sujet de la lutte contre les partisans des régions de l’Est. Est-ce exact ?
« Réponse
J’ai participé à cet entretien, mais je ne me souviens plus exactement de la date... »
De quelle page avez-vous parlé, Docteur Exner ?
Monsieur le Président, c’est à la troisième page du troisième livre de documents, c’est-à-dire le troisième document du troisième livre.
C’est à la page 189. Je viens de lire la quatrième question, et je voudrais maintenant donner lecture de la question 5 :
« Question
Est-il exact ou non qu’à cette occasion Jodl a demandé au Führer de rapporter ce projet relatif à la lutte contre les partisans, projet qui avait été préparé dans son service ?
« Réponse
C’est exact.
« Question 6 . — Est-il exact ou non que dans ce projet la destruction des villages par le feu était expressément interdite ?
« Question 7 . — Est-il exact ou non que le Führer tint à ce que cette interdiction fût levée ?
« Réponse
Étant donné que je n’ai jamais eu entre les mains ce projet de directive, je ne sais pas d’une façon certaine si la destruction par le feu des villages était expressément interdite. On peut néanmoins le supposer, car je me souviens que le Führer s’est élevé contre certaines dispositions particulières de cet ordre et qu’il a exigé la destruction par le feu des villages.
« Question 8 . — Est-il exact ou non que le Führer avait également soulevé des objections contre le projet, car il désirait qu’aucune restriction ne fut imposée aux soldats qui se trouvaient directement aux prises avec les partisans. »
D’après le procès-verbal, Jodl a fait à ce sujet la remarque suivante :
« C’est en dehors de la question, car durant le combat ils peuvent faire ce qu’ils veulent, les pendre, les pendre par les pieds ou les écarteler, rien n’est dit à ce sujet dans le document. La seule restriction concerne les représailles après le combat dans les territoires où les partisans ont opéré... »
« Réponse
Il est exact que le Führer était foncièrement opposé à ces restrictions. L’observation de Jodl est exacte dans sa teneur. Je ne me souviens plus des termes exacts qu’il employa.
« Question 9. — Est-il exact ou non qu’à cette remarque tous les assistants » (c’est-à-dire le Führer, Keitel, Kranke et vous-même) « y compris le Führer, ont ri et que ce dernier a abandonné son point de vue ?
« Réponse
Il est probable que nous avons tous ri de la remarque de Jodl. Je ne saurais affirmer que le Führer ait ensuite effectivement abandonné son point de vue, mais cela me semble probable.
« Question 10. — Comment fallait-il donc interpréter les expressions « pendre », « pendre par les pieds, » « écarteler » ?
« Réponse
Les expressions « pendre », « pendre par les pieds », « écarteler » doivent être interprétées dans ces circonstances comme une remarque ironique et signifient simplement que d’après cette directive il ne fallait imposer aucune restriction aux soldats durant le combat.
« Question 11. — Pouvez-vous nous parler de la position adoptée en principe par Jodl sur les obligations de la Wehrmacht à l’égard du Droit international en temps de guerre ?
« Réponse
Je ne connais pas la position de principe de Jodl. Je sais seulement que Keitel, qui était notre supérieur hiérarchique immédiat, à Jodl et à moi, s’est toujours efforcé de respecter les règles du Droit international.
« Question 12. — Avez-vous jamais personnellement vu Jodl pousser le Führer à donner un ordre contraire au Droit international ?
« Réponse
Non. »
Aucune des questions auxquelles vous venez de faire allusion n’avait été soulevée au cours du contre-interrogatoire.
Vous êtes-vous occupé des prisonniers de guerre ?
Je n’avais en aucune façon à m’occuper des prisonniers de guerre. Cela concernait l’administration générale de la Wehrmacht.
Et maintenant, une dernière question. Le Ministère Public prétend — et au cours du contre-interrogatoire d’hier il a été affirmé à nouveau — qu’il y avait ou qu’il y avait eu un complot des chefs militaires et politiques ayant pour but une guerre d’agression et que vous faisiez partie de ce complot. Pourriez-vous, avant que nous terminions cet interrogatoire, nous dire encore quelques mots à ce sujet.
Il n’y a pas eu de complot...
Non, Docteur Exner, le Tribunal ne pense pas que cette question ait vraiment été soulevée au cours du contre-interrogatoire. En tout cas, l’accusé a déjà dit qu’il n’avait pas participé à un complot. Il est inutile de le faire à nouveau témoigner sur ce point.
Oui, Monsieur le Président, mais hier on a affirmé ici qu’il avait été étroitement lié au Parti et avec les membres du Parti, et cela se rapporte au complot. C’est pourquoi j’ai cru que je pouvais poser cette question.
Mais enfin, il a déjà dit qu’il ne faisait pas partie du complot.
Eh bien, dans ce cas, je n’ai plus de question à poser,
Monsieur le Président, je tiens simplement à m’associer à l’objection faite par le Dr Nelte à propos des déclarations du général von Österreich, en me basant sur les motifs invoqués par lui. C’est tout ce que j’avais à dire.
Accusé Jodl, vous avez parlé, avant-hier je crois, du nombre des divisions SS à la fin de la guerre. Vous en souvenez-vous ?
Oui.
Je crois que vous avez dit qu’il y avait 35 divisions à la fin de la guerre. Cela est-il exact : environ 35 ?
Si j’ai bonne mémoire, j’ai dit : entre 35 et 38.
Bien. Je voudrais que vous précisiez si vous faisiez alors uniquement allusion aux divisions de Waffen SS. Uniquement Waffen SS ?
Oui, uniquement Waffen SS. A vrai dire...
Faisaient-elles intégralement partie de l’Armée et dépendaient-elles de l’Armée ?
Du point de vue tactique, elles dépendaient des commandants en chef de la Wehrmacht, mais non pour la discipline. Dans ce domaine, leur supérieur était Himmler, même quand elles étaient engagées.
Étaient-elles sous l’autorité de Himmler uniquement pour la discipline ?
Il était également considéré pratiquement comme leur Commandant en chef. Un fait le prouve : Himmler n’avait de comptes à rendre à personne d’autre que le Führer en ce qui concernait l’état, les pertes et l’équipement de ces divisions.
Quand ces divisions ont-elles été intégrées dans la Wehrmacht ? Quand ? En quelle année ?
Elles ont été intégrées dans la Wehrmacht au début de la guerre, au moment de la campagne de Pologne.
Encore une autre question au sujet de la Russie. Je voudrais vérifier si j’ai bien compris votre point de vue. Vous craigniez une invasion de l’Allemagne par la Russie ? Est-ce exact ?
A un certain moment, je m’attendais soit à un chantage politique en raison de l’importance des troupes concentrées, soit à une attaque.
Accusé, s’il vous plaît, je vous demande si vous avez craint une attaque russe. Vous l’avez craint à un certain moment, n’est-ce pas ?
Oui, je la craignais.
Bien. A quel moment ? Quand donc ?
Cela a commencé...
Quand l’avez-vous craint ? A quel moment avez-vous, pour la première fois, craint cette attaque ?
J’ai eu cette crainte pour la première fois au cours de l’année 1940, à la suite des premiers entretiens que j’eus avec le Führer le 29 juin au Berghof.
Donc, du point de vue militaire, à partir de ce moment, il devenait nécessaire pour vous d’attaquer les premiers, n’est-ce pas ?
Après cette mise au point politique, oui ; auparavant, ce n’était qu’une simple supposition...
Comment avez-vous pu attendre une mise au point politique alors que vous redoutiez une attaque immédiate ?
C’est pour cette raison que, pour commencer, nous avons renforcé nos mesures de défense, et cela, jusqu’au printemps 1941. Mais, jusque là, nous n’avons pris que des mesures défensives. Ce n’est qu’en février 1941 que nous avons opéré des concentrations de troupes en vue d’une attaque.
Bien. Encore une autre question. Tout cela n’est pas très clair pour moi. En attendant cette attaque, étiez-vous alors d’avis que l’Allemagne devait prendre l’initiative des opérations ou non ? Quel était donc votre avis ? Vous avez vu ce danger, qu’avez-vous fait pour l’éviter ?
Sur ce problème-là, comme sur la plupart des autres, j’ai envoyé un mémorandum écrit au Führer dans lequel j’attirais son attention sur les extraordinaires conséquences que devait entraîner sur le plan militaire une telle décision. Je lui disais que l’on pouvait savoir comment commencerait la campagne, mais qu’aucune créature humaine ne pouvait prévoir quelle en serait la fin.
Nous avons déjà entendu tout cela. Je ne tiens pas à ce que vous recommenciez. Je voudrais en arriver à ceci : vous redoutiez une attaque de la part de la Russie. Si cela est bien vrai, pourquoi n’avez-vous pas conseillé que l’Allemagne attaque immédiatement ? Vous dites que vous aviez peur d’une attaque de la Russie et vous dites cependant que vous avez conseillé de ne pas pénétrer en Russie. Je ne comprends pas.
Non, non, ce n’est pas cela. Je n’ai pas déconseillé une attaque contre la Russie. J’ai simplement dit que s’il n’y avait pas d’autre solution et que si, sur le plan politique, il n’y avait vraiment pas moyen d’éviter ce danger, je ne voyais pas d’autre solution qu’une attaque préventive.
C’est tout. Je vous remercie.
L’accusé peut reprendre sa place au banc des accusés.
Docteur Exner ?
J’ai quatre témoins, Monsieur le Président, à présenter au Tribunal, mais je voudrais auparavant vous adresser une requête. Vu l’état de ma jambe, m’autoriserez-vous à confier l’interrogatoire de ces témoins à mon confrère le Dr Jahrreiss ?
Mais oui, certainement, Docteur Exner. Le Tribunal tient à ce que je vous dise qu’il autorise un autre avocat à interroger ces témoins à titre exceptionnel. En effet, notre règlement prévoit qu’un seul avocat a le droit de se présenter à l’audience pour le compte d’un accusé. Nous ferons une exception en votre faveur.
En ce cas, avec la permission du Tribunal, j’appellerai le premier témoin, le général baron Horst von Buttlar-Brandenfels.
Veuillez décliner votre nom, s’il vous plaît.
Baron Horst von Buttlar-Brandenfels.
Veuillez répéter ce serment après moi : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ».
Vous pouvez vous asseoir.
Témoin, avez-vous été à l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht pendant la guerre ?
Oui.
Depuis quand ?
J’ai été membre de l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht, du 1er janvier 1942 jusqu’au 15 novembre 1944.
Quel était votre poste ?
J’étais premier officier d’État-Major général de l’Armée de terre et je dirigeais le département des opérations de l’Armée de terre.
Je vais vous soumettre le document PS-823 (RF-359). Il figure au tome II du livre de documents Jodl, à la page 158. Je vous prie de bien vouloir le regarder.
Dois-je lire tout le document ?
Non, je voudrais simplement que vous y jetiez un coup d’œil. Quel est l’auteur de ce document ?
Ce document a été rédigé par l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht, département « QU », groupe de l’administration.
Par qui a-t-il été signé ?
Il a été signé par mes soins.
Par vous. Dans quelle mesure ce document concerne-t-il l’accusé Jodl ?
Il n’a absolument rien à voir avec l’accusé Jodl.
Veuillez considérer maintenant les signatures qui se trouvent dans le coin, en haut, à droite de la première page ; il y a une signature que l’on pourrait prendre pour un « J ».
Cela doit être une erreur. Cette initiale est exactement la même que celle qui se trouve en bas, en tête de la signature de la notice écrite. C’est l’initiale du chef de la « Quartiermeisterabteilung », le colonel Polleck.
Le colonel Polleck.
Si vous regardez à la page 2, vous trouverez dans le bas deux signatures. La première doit être celle du rapporteur ; je ne peux l’identifier avec certitude. Je crois pouvoir l’attribuer au conseiller supérieur d’administration Niehments.
Vous parlez de l’initiale après laquelle on trouve les chiffres 4 ou 9 de la date ?
Je parle de celle du haut.
Celle du haut ?
Celle du haut. Celle du bas constitue le paraphe du colonel Polleck. Ce document, après avoir été soumis au chef de l’OKW, m’a été retourné. Il a été paraphé une seconde fois par moi en haut de la page et marqué aux lettres de la « Quartiermeisterabteilung », c’est-à-dire aux lettres « QU » soulignées. Ensuite, il a été encore une fois paraphé par le chef de ce bureau et marqué « Groupe de l’administration ». Enfin, la personne qui s’était occupée de la question l’a paraphé encore une fois. En outre, je voudrais également insister sur le fait que tout cela se rapporte aux prisonniers de guerre et que c’était là un domaine qui n’était pas du tout de la compétence du général Jodl. A l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht, nous avions le service du « Quartiermeister » et le service de l’organisation qui, bien que dépendant de l’État-Major, s’occupaient de questions qui...
Un instant, témoin, je ne vois pas d’inconvénient à ce que vous nous fassiez un cours, mais je voudrais que vous en veniez au fait. Il y a des notes en marge de ce document, les voyez-vous ?
Oui.
Est-ce qu’il n’y en a pas une de la main de Jodl ?
Non, il s’agit là de la lettre K, initiale du Feldmarschall Keitel.
Mais le Ministère Public français prétend qu’il s’agit ici de remarques de Jodl sur cette question des prisonniers de guerre ; et si je vous ai bien compris, vous prétendez que c’est absolument impossible pour des raisons de compétence ?
En plus du fait qu’il n’y a pas de notes de la main de Jodl sur ce document, il est peu probable que Jodl ait jamais eu connaissance de cette affaire, étant donné la façon dont elle a été traitée.
N’est-il pas vrai, témoin, que ce département « QU » dépendait de Jodl ?
Oui, c’est exact. Mais au département « QU » ainsi qu’au département « ORG », il y avait plusieurs domaines dont le général ne s’occupait pas et qui étaient dirigés par les chefs des départements seuls ou par le chef de l’OKW en personne, par l’intermédiaire du chef adjoint.
Vous dites que la question des prisonniers de guerre était comprise dans ces attributions ? Est-ce exact ?
Entre autres questions, celle des prisonniers de guerre.
Quelles autres tâches assumait ce département « QU » ?
La principale tâche de la subdivision « QU. 1 » était uniquement l’approvisionnement ; elle surveillait également le ravitaillement des différents théâtres d’opérations, quand ce ravitaillement incombait directement à l’OKW. La seconde s’occupait principalement de l’administration militaire et la troisième de questions générales, par exemple celle des prisonniers de guerre, les problèmes du Droit international et autres.
J’ai encore une question d’ordre administratif à vous poser. Tous les départements de l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht se trouvaient-ils au Quartier Général du Führer ?
Non ; par exemple, nous avions le département « ORG », celui de l’organisation, qui n’était pas logé au Quartier Général mais dans les environs de Berlin.
Si je vous ai bien compris, les affaires du département « QU » passaient, si je puis m’exprimer ainsi, par-dessus Jodl et étaient réglées par le chef de l’OKW ?
Pas toujours, mais dans un certain nombre de cas.
La question des prisonniers de guerre était de ces cas ?
La question des prisonniers de guerre, certainement.
Je vous remercie. Quel était le poste que vous occupiez au début de la guerre, témoin ?
Au début de la guerre, j’étais officier d’État-Major général en second, affecté à la direction centrale de l’État-Major général de l’Armée de terre.
Voudriez-vous parler un peu plus lentement, s’il vous plaît. Et quelles étaient alors vos attributions ?
Mon département s’occupait de pourvoir les postes du Haut Commandement en cas de mobilisation.
Ceux des officiers d’État-Major de l’OKW également ?
Également, mais oui.
Mon général, savez-vous qui, le 1er octobre 1939, devait être, en cas de mobilisation, chef de l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht ?
Ce poste devait être occupé, en cas de mobilisation au cours de l’année suivante, par le général von Sodenstern.
Dois-je comprendre que si la guerre avait éclaté après le 1er octobre, — disons, par exemple, le 5 ou le 6 octobre — Jodl n’aurait pas été chef de l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht ?
Je ne suis pas tout à fait sûr de la date à laquelle commençait, pour la question mobilisation, l’année 1939-1940 ; à partir de quelle date exactement devait...
Monsieur le Président, je me permets de contester la pertinence de cette déposition. Malgré tout l’intérêt que présentent ces questions, elles ne me semblent pas se rapporter le moins du monde aux affaires en cours.
Je ne comprends pas du tout la pertinence de cette déposition.
Monsieur le Président, si le Ministère Public a raison de prétendre que l’accusé Jodl appartenait à un groupe de conspirateurs qui visait à la conquête du monde et si, comme l’Accusation le dit, ce groupe de conspirateurs obtint le contrôle de la machine gouvernementale allemande pour atteindre ses buts, il devait, en ce cas, y avoir une particularité dans l’organisation gouvernementale pour que les conspirateurs fussent périodiquement changés. A ce point de vue, je crois que le Tribunal doit prendre ce fait en considération.
L’accusé n’a-t-il pas donné, sans qu’il soit besoin d’un contre-interrogatoire, les dates de ses mutations ? Il s’est rendu à Vienne à une certaine date, en est revenu à une autre. Il n’y a aucune contestation à ce sujet.
Monsieur le Président, il s’agit d’une question toute différente. L’accusé Jodl a déclaré qu’il était prévu que si la mobilisation était décrétée avant le 1er octobre, il devait être chef de l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht et devait en ce cas quitter Vienne pour Berlin. Maintenant, le témoin dit que cela ne devait avoir lieu que jusqu’à l’expiration d’une certaine date du plan de mobilisation et que l’année suivante, un autre aurait pris sa place si la guerre avait seulement éclaté quatorze jours plus tard. Je pense...
Cela est assurément bien faible comme argument, Docteur Jahrreiss. Vous nous présentez là une conjecture sur ce qui aurait eu lieu si quelque chose d’autre s’était produit. Cela ne nous avance guère.
Monsieur le Président, ce témoignage ne porte pas sur une simple conjecture. Le témoin a dit que la personne qui occupait ce poste éminent n’était placée là qu’en vertu d’un roulement basé sur la date. Ce fait méritait bien d’être signalé.
Puis-je continuer, Monsieur le Président ?
Non. En vue d’éviter une perte de temps et d’accélérer les débats, le Tribunal décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre cette question.
Témoin, si je vous interroge maintenant sur une activité particulière à laquelle vous venez de faire allusion, c’est que je suppose que vous avez à son sujet des connaissances spéciales. Est-il vrai que vous vous êtes officiellement occupé de la suppression des partisans ?
Oui, mon département se vit confier, vers la fin de l’été 1942, la direction de la lutte contre les partisans et mon service, à partir de cette époque, eut à s’occuper des principes tactiques à employer dans cette lutte.
Connaissez-vous la notice sur la suppression des partisans, publiée en mai 1944 ?
Oui, cette notice a été rédigée dans mon service.
Était-ce la première à ce sujet, ou bien y avait-il des instructions antérieures sur la lutte contre les partisans ?
Oui. A l’automne 1942, il avait été publié une courte et incomplète directive relative à la lutte contre les partisans. A cette époque, nous manquions relativement d’expérience ; étant donné que ces sortes de combats n’avaient pas été prévus en temps de paix, nous devions donc attendre d’être au courant.
A ce sujet, ce qui m’intéresse tout particulièrement, c’est la lutte contre les partisans à l’Est et dans le Sud-Est, lutte qui, d’après le Ministère Public, avait un but tout à fait précis. Est-il exact de parler, ainsi qu’il a été fait ici à plusieurs reprises, d’une guerre de partisans ?
C’est exact si l’on considère l’importance et le danger que revêtait cette lutte, étant donné sa localisation dans le temps et dans l’espace.
Cela signifie-t-il que les caractéristiques de cette lutte dépassaient les conceptions antérieures de la lutte des francs-tireurs ?
Par l’étendue, oui. Par les méthodes, non.
Qu’entendez-vous par l’étendue ?
J’entends par étendue l’espace territorial considérable sur lequel s’est déroulée cette lutte des partisans.
Était-elle exceptionnelle au point de vue territorial ou bien au point de vue des participants ?
Cette lutte était exceptionnelle en raison de son extension territoriale et également en raison du nombre d’hommes qui y participaient.
Savez-vous, témoin, s’il y avait beaucoup de Juifs dans ces bandes de partisans à l’Est et dans le Sud-Est ?
Je ne me souviens pas, sur les centaines de rapports que j’ai reçus sur la lutte des partisans, qu’il y eût été fait mention de Juifs. S’il est possible qu’il y eut des Juifs dans ces bandes ; ce ne fut que dans une très faible proportion.
Mais on a prétendu ici que cette lutte contre les partisans a été menée à seule fin d’exterminer les Juifs ; est-ce vrai ?
Je n’ai jamais rien entendu à ce sujet.
Ou bien d’exterminer les Slaves ?
Pas davantage. Je n’ai pas entendu la moindre allusion à ce sujet. Cela aurait été en contradiction formelle avec les intentions des chefs militaires.
Pourquoi ?
Le commandement militaire avait tout particulièrement intérêt à voir une contrée pacifiée et une population au labeur derrière chacun des fronts, et toute mesure qui tendait à ce but était toujours bien accueillie par les autorités militaires. Tout soldat que nous devions employer à la lutte contre les partisans faisait défaut sur le front.
La politique menée dans l’Est fut-elle conforme aux désirs et aux buts de la Wehrmacht ?
Ce ne fut indiscutablement pas le cas, car la Wehrmacht aurait désiré une tout autre politique dans l’Est, afin de renforcer ses unités de volontaires. Nous avons nous-mêmes essayé, avec nos propres méthodes, d’obtenir sans verser de sang une pacification du pays et même des bandes de partisans. Il y eut d’importantes campagnes de propagande entreprises en vue d’inciter les partisans à abandonner leur lutte. Dans certains cas, il y eut des négociations particulières avec certaines bandes de partisans et, bien qu’elles restèrent limitées à quelques occasions et périodes favorables, elles furent, pour la plupart, couronnées de succès.
Connaissez-vous le général von Pannewitz ?
Oui. Le général von Pannewitz commandait la 1re division de cosaques.
A quel moment, s’il vous plaît ?
Sans doute au cours de l’année 1943.
Est-il exact que ce général, en tant que commandant de la 1re division cosaque, division de volontaires, se plaignit une fois auprès de l’OKW des difficultés qu’il avait dans son unité ?
Oui. Le général von Pannewitz est un vieux camarade de régiment et il me rendit visite au Quartier Général et à cette occasion — c’était durant l’été 1943 ou peut-être l’automne — me donna des détails sur l’état du recrutement de ses troupes et sur les difficultés qu’il rencontrait en raison surtout de la politique du Gouvernement dans l’Est qui affectait le moral de ses troupes. Il se plaignit alors tout particulièrement de la politique gouvernementale qui ne fournissait pas un but national à sa division ; il se plaignit également des difficultés que rencontraient les membres de sa division qui se trouvaient en partie sur le point de s’établir comme colons.
Jodl s’est-il occupé de l’affaire ?
Oui. Après cette visite, je lui rendis compte du sujet de notre conversation et lui demandai d’user de son influence dans l’intérêt de nos unités de volontaires.
De son influence sur qui ?
De son influence sur le Führer.
Vous m’avez pourtant dit que ce n’était pas de la compétence de Jodl.
Le général Jodl...
Quel intérêt voyez-vous à cette question qui a trait à un certain général qui commandait une division de cosaques et qui avait des difficultés avec le moral de ses hommes ? Quel intérêt avec les débats ?
C’était là une question préliminaire. J’en arrive maintenant à la question essentielle que j’allais justement poser au témoin, à savoir la question de la répartition des compétences et des responsabilités. (S’adressant au témoin.) Général...
Quel rapport cette question préliminaire peut-elle avoir avec la question essentielle ? Comment la visite de ce général peut-elle avoir un rapport avec cela ? Quelle est la question essentielle ?
Monsieur le Président, si je donne la raison pour laquelle je pose la question, le témoin comprendra la réponse que j’attends de lui. Sa réponse sera ainsi dirigée.
C’est chose assez courante ici.
Oui, mais je ne voulais pas commettre cette erreur.
Bon. Continuez, Docteur Jahrreiss. Le Tribunal désire simplement que vous ne preniez pas trop de temps pour ces questions préliminaires qui conduisent à des questions essentielles.
Je m’excuse, mais je n’ai pas bien compris.
Je dis que le Tribunal espère que vous ne prendrez pas trop de temps pour les questions préliminaires avant vos questions essentielles.
Monsieur le Président, je suis en mesure d’abréger considérablement l’audition du témoin, car j’ai en ma possession une déposition écrite de ce témoin.
Docteur Laternser, pourquoi vous présentez-vous au microphone ?
Je pensais que le Dr Jahrreiss avait terminé, qu’il n’avait plus de question à poser au témoin.
Monsieur le Président, c’est un malentendu. Le témoin, en somme, a répondu à ma question.
Il a répondu ? Vraiment ?
Oui, il a répondu. J’aurais simplement désiré qu’il s’étendît un peu plus, mais...
Alors, vous avez terminé votre interrogatoire ?
Oui, je n’ai plus de question à poser au témoin.
Je peux abréger considérablement l’audition du témoin, car j’ai entre les mains un affidavit qu’il a signé le 20 mai 1946. Si on me le permet, je le présenterai au Tribunal et lui lirai cette déclaration sous serment. Mais afin que l’on ne puisse pas me reprocher de n’avoir pas fait certifier les faits alors que le témoin se trouvait dans la salle d’audience, je vais demander au témoin si le contenu de sa déclaration sous serment du 20 mai 1946 est exact.
Témoin, le contenu de cet affidavit du 20 mai 1946 que l’on m’a remis, est-il exact ?
Oui, le contenu en est exact.
Témoin, connaissez-vous le général Heu-singer ?
Oui, je le connais.
Dans son accusation contre l’État-Major général, le Ministère Public a présenté un affidavit n° 20, PS-3717 (USA-564) ; à la page 2, paragraphe 4, ce général fait la déclaration suivante : « J’ai toujours été intimement convaincu que le traitement de la population civile dans les zones d’opérations et les méthodes employées dans la lutte contre les partisans dans les territoires occupés ont fourni aux autorités supérieures, tant militaires que politiques, une occasion favorable pour atteindre leurs objectifs qui étaient de venir à bout des Slaves et des Juifs ».
Je voudrais vous demander de nous expliquer comment le général Heusinger a pu arriver à cette conviction ?
J’ai travaillé en étroite collaboration avec le général Heusinger et je me suis souvent entretenu avec lui des questions relatives à la lutte contre les partisans.
Oui.
Il ne m’a jamais dit quoi que ce fût de nature à confirmer cette opinion et je ne peux pas non plus comprendre comment il a pu faire cette déclaration qui est absolument contraire aux conceptions fondamentales de l’autorité militaire sur la façon de conduire la lutte contre les partisans.
Merci. Pourquoi la responsabilité générale de la lutte contre les partisans à l’Est en 1943 et en Italie à la fin de 1943, au début de 1944, a-t-elle été transférée à Himmler par ordre du Führer ?
Le Führer avait toujours été d’avis que la lutte contre les partisans était, en premier lieu, l’affaire de la Police et que les forces de Police étaient plus capables de se charger de cette besogne que les hommes — dont beaucoup étaient trop âgés — des forces de sécurité de l’Armée, que nous pouvions détacher pour cette tâche. Dans quelle mesure Himmler tenait par là à augmenter sa puissance, cela, je l’ignore. J’ignore également dans quelle mesure son influence sur le Führer a agi pour parvenir à cette fin.
Quelle fut l’attitude de l’OKW et, en particulier, de l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht, à l’égard de cet ordre du Führer ?
Il faut bien préciser tout d’abord que dans la zone des opérations, il n’y eut aucun changement. Cette zone demeura jusqu’à la fin — même en ce qui concerne la lutte contre les partisans — sous l’autorité des commandants en chef. Pour les autres régions, l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht n’était pas opposé à un changement, car nous espérions que le Reichsführer SS utiliserait dans ces régions une partie de ses réserves dont les effectifs nous étaient en partie inconnus ; nous espérions ainsi avoir des forces supplémentaires pour le front.
Vous rappelez-vous, témoin, que le Commandant en chef pour le Sud-Ouest ait demandé instamment à ce que cette mesure ne le frappât point, c’est-à-dire que son autorité dans la lutte contre les partisans ne fût pas transférée à Himmler ?
Je me suis plusieurs fois entretenu par téléphone de ces questions avec le général Westphal, et il est bien possible qu’il ait fait une suggestion dans ce sens.
En avez-vous parlé vous-même au Commandant en chef pour le Sud-Ouest ?
Avec le chef ?
Oui, avec le chef. Avant la guerre, ainsi que vous venez de le déclarer, vous étiez au département central de l’État-Major général de l’Armée de terre et, autant que je le sache, on s’occupait également dans ce service des nominations aux postes de commandements supérieurs de l’Armée. Je veux vous demander d’après quels principes les chefs d’armée et de groupe d’armées étaient choisis ?
Ces nominations étaient faites d’après la compétence et l’ancienneté, et les postes occupés en temps de paix servaient à fixer les postes à occuper en cas de mobilisation.
Ces postes de commandants en chef étaient-ils attribués en vertu de considérations strictement militaires ?
Ces nominations étaient faites uniquement en vertu de considérations militaires, et certains officiers en retraite qui avaient, j’en suis convaincu, quitté l’Armée en raison d’une pression politique, étaient réintégrés et placés à des postes de confiance en cas de mobilisation. Je pourrais vous citer, par exemple, le général von Leeb, le général von Kressenstein, le général von Kleist le Generaloberst von Hammerstein.
Et les officiers que vous venez de citer étaient à la retraite avant la déclaration de guerre, mais il était prévu qu’en cas de guerre ils occuperaient néanmoins des postes de commandement importants ?
Parfaitement.
Le département central qui s’occupait de pourvoir ces postes savait-il que les chefs militaires avaient formé un groupement ayant l’intention de déclencher des guerres d’agression et, dans ces guerres d’agression, de ne tenir aucun compte du Droit international ?
Dans le département central, nous ne savions rien de la constitution d’un tel groupement. Peut-être puis-je dire à ce sujet qu’au cours des années 1937 à 1939 un grand nombre d’officiers de l’État-Major général vinrent nous rendre visite, au lieutenant-colonel von Zielberg et à moi-même, qui étions administrateurs du personnel des officiers d’État-Major, et nous parlèrent. Le plus grand nombre étaient chefs d’État-Major de corps d’armée, d’armée, ou de groupe d’armées, et étaient donc conseillers confidentiels et responsables de commandants d’unités et de commandants en chef. Ces officiers, comme les commandants, avaient déjà combattu au cours de la première guerre mondiale ; ils nous avaient toujours déclaré qu’il fallait absolument éviter une seconde guerre au peuple allemand. Malgré leur satisfaction positive à chaque succès du Führer, ils conservaient une certaine inquiétude au sujet de sa politique et en particulier au sujet du réarmement rapide de l’Armée, qui rendait difficile tout travail sérieux. Après les négociations de Munich, la confiance augmenta considérablement et les officiers étaient généralement convaincus que le Führer continuerait avec succès à maintenir la paix.
Quelle a été l’attitude des officiers supérieurs vis-à-vis de Hitler, après l’accord de Munich ?
Après l’accord de Munich, j’ai conclu, de mes conversations avec les officiers de l’État-Major, qu’ils étaient en général convaincus que le Führer continuerait, grâce à la politique qu’il menait, à maintenir la paix. Je me souviens que le 25 ou le 26 août encore, je vis le Führer à son Quartier Général à Zossen, en conversation avec le lieutenant-colonel von Zielberg et plusieurs autres officiers. A ce moment-là, tous ces officiers étaient encore persuadés qu’il n’y aurait pas de guerre et que, pour permettre au Führer d’atteindre ses objectifs politiques, il fallait simplement conserver des troupes prêtes afin qu’une démobilisation n’entraînât point une catastrophe politique.
Je crois que cela suffit pour cette question. Passons maintenant à l’offensive des Ardennes, en décembre 1944. Quand commencèrent les préparatifs en vue de cette offensive ?
Autant que je me souvienne...
En quoi cela peut-il avoir de l’importance au bout de cinq années de guerre environ ?
Monsieur le Président, je voulais demander au témoin de nous dire quels officiers supérieurs ont eu connaissance de cette offensive et à quelle date. Il est en effet important de savoir à quel degré était poussée la collaboration entre les membres de ce groupement. Je vous demande l’autorisation de poser cette question, c’est l’avant-dernière ; celle que je viens de mentionner est la dernière.
Très bien. Continuez.
Quand commencèrent les préparatifs en vue de l’offensive des Ardennes ?
Pour autant que je puisse m’en souvenir, les premiers préparatifs furent entrepris approximativement au mois de septembre 1944.
Quand les commandants en chef ont-ils été avisés ? Les commandants en chef qui n’avaient pas à participer à cette offensive ont-ils également été avisés avant son déclenchement ?
A la dernière question, je peux répondre non. Pour la première, je ne peux pas donner de date, mais je sais parfaitement que dans la zone prévue comme base de départ de cette offensive, il y avait déjà eu des mouvements de troupes ordonnés par la Direction suprême, avant que le Commandant en chef responsable à l’Ouest en fût informé ; il s’adressa à nous plusieurs fois pour demander des explications au sujet de ces mouvements de troupes.
Le Commandant en chef à l’Ouest n’avait pas été informé à l’avance des mouvements et des transports de divisions qui avaient lieu dans son secteur en vue d’une offensive qu’il devait ensuite diriger ?
Tout simplement. Par la suite, évidemment, il devait être informé.
Je vous remercie. Je n’ai pas d’autres questions à poser.
L’audience est suspendue.