CENT CINQUANTIÈME JOURNÉE.
Samedi 8 juin 1946.
Audience du matin.
Plaise au Tribunal. Les accusés Hess et Raeder n’assisteront pas aux débats d’aujourd’hui.
Eh ce qui concerne les requêtes présentées l’autre jour au sujet des témoins et des documents, je vais en parler dans l’ordre de leur présentation : La apremière requête est de Kaltenbrunner ; les trois témoins qu’il demande sont autorisés à comparaître : Tiefenbacher, Kanduth et Strupp.
La requête de l’accusé Schirach est rejetée.
Les requêtes des accusés Hess et Frank demandant la comparution du général Donovan sont rejetées.
Les requêtes des accusés Speer et Keitel sont accordées.
La requête de l’accusé Jodl pour demander un affidavit a été, je crois, accordée hier.
La requête de l’accusé Göring demandant la comparution de deux témoins, Stuckart et Burmath, est accordée, mais à condition que trois témoins seulement soient cités sur le sujet en question.
Au sujet de la requête de l’accusé Hess, le Tribunal déclare ce qui suit : la déclaration sous serment de l’ancien ambassadeur Gaus, du 17 mai 1946, est refusée, étant donné qu’elle ne correspond pas à la décision du 14 mai 1946 et qu’elle a simplement pour but de reproduire non seulement la substance mais encore le texte des traités secrets. Le contenu de cette déclaration n’a pas été authentifié, ni par la personne qui en a établi les copies, ni par la personne qui les a comparées à l’original. Ces copies ne sauraient être admises comme preuves et le Tribunal a déjà, à deux reprises, pris des décisions dans ce sens. Ce qui importe pour le problème dont nous débattons, ce n’est pas la forme des traités mais leur substance, et des preuves relatives à cette substance ont déjà été soumises au Tribunal par la voix de trois témoins. L’admission de cette déclaration sous serment n’ajouterait rien aux preuves qui ont déjà été soumises au Tribunal.
Il en est de même pour la proposition de faire comparaître Gaus, qui ne ferait que corroborer les preuves apportées relatives au contenu des traités, preuves contre lesquelles aucune objection n’est élevée.
La requête du 23 mai 1946, en vue de faire reconsidérer sa décision par le Tribunal, et la requête du 24 mai 1946 pour la comparution Gaus, sont par conséquent rejetées.
Il y a encore une autre question que le Tribunal se propose de traiter, et la voici : à l’avenir, les avocats des organisations que le Ministère Public a demandé au Tribunal de déclarer criminelles ne seront pas autorisés à interroger ou à contre-interroger d’autres témoins que les accusés de ce Tribunal. S’ils désirent interroger ou contre-interroger ces témoins, ils devront les citer devant les commissions siégeant actuellement pour recevoir les témoignages sur les questions touchant aux organisations. J’en ai terminé.
Puis-je présenter une autre requête en ce qui concerne le témoignage en faveur de Papen ? Le 6 juin, après en avoir discuté avec le Ministère Public, j’ai soumis une requête et le Secrétariat général m’a demandé de porter l’affaire devant le Tribunal.
Le prince Erbach-Schönberg a répondu à un questionnaire. Ses réponses sont, soit incomplètes, ou soit difficilement compréhensibles. Un complément d’informations est indispensable. Je propose que le prince Erbach-Schönberg qui se trouve à Gmunden, dans la zone américaine d’Autriche, soit cité ici afin d’être questionné à titre complémentaire, non pas devant le Tribunal, mais en présence du Ministère Public.
Mon confrère a reçu il y a quelques jours une lettre du comte Pfeil qui habite Bad Ischi, également en zone américaine d’Autriche, non loin de Gmunden où réside le prince Erbach-Schönberg. Cette lettre donne des indications détaillées sur les contacts de l’accusé Papen avec les conjurés du 20 juillet. Étant donné que cette question a été soulevée par le témoin Gisevius, la Défense se voit obligée, bien qu’elle n’y attache pas une importance particulière, de donner des explications complémentaires sur ce sujet. Ce témoignage pourra vraisemblablement être fourni sous la forme d’un affidavit. Je demande au Tribunal de bien vouloir faire comparaître le comte Pfeil en même temps que le prince Erbach-Schönberg afin qu’il puisse faire sa déclaration sous serment en présence du Ministère Public. La présence de ces deux témoins est indispensable parce que l’affaire Papen est à la veille d’être traitée et que nous ne pouvons pas résoudre ces questions par écrit.
Docteur Kubuschok, voudriez-vous attirer notre attention sur les points particuliers pour lesquels il vous semble que la déclaration sous serment du prince Erbach-Schônberg est incomplète ou erronée ?
Le prince Erbach avait répondu à une question antérieure que l’accusé von Papen avait le désir d’accomplir sa mission au moyen d’une évolution pacifique et non pas par la violence. Or, à une question ultérieure lui demandant si l’accusé Papen avait agi selon ces principes, il a répondu ce qui suit : « Tant que je fus auprès de lui, j’eus l’impression que l’accusé von Papen agissait selon ces principes, c’est-à-dire, l’établissement de rapports par des moyen pacifiques plutôt que par la violence ».
Cette dernière déclaration est en contradiction avec la première partie de la réponse. Du reste, cette dernière version est si peu conforme aux faits...
Prétendez-vous que cette réponse soit incomplète ou contradictoire ?
Oui, elle contient une contradiction. Dans la deuxième partie, il dit « plutôt que par la violence », ce qui est en contradiction avec la première partie de la réponse où il dit que Papen agissait selon ces principes.
La réponse que j’ai devant moi est rédigée comme suit : « Tant que je fus auprès de lui, j’eus l’impression que l’accusé von Papen agissait selon ces principes, c’est-à-dire qu’il s’efforçait d’établir des relations par des moyens pacifiques plutôt que par la violence ». Je n’y vois rien de contradictoire, en anglais tout au moins.
Le texte allemand dit « plutôt que par la violence », en anglais « rather than by force ». Le mot « rather » me gêne, et je considère qu’il y a là une contradiction ; il n’a pas la même signification, à savoir que c’est seulement sur le plan pacifique qu’il voulait établir des rapports, et non par la violence.
Cela veut dire la même chose, c’est-à-dire que l’accusé désirait établir des relations par des moyens pacifiques plutôt que par des moyens violents. Cela signifie « autrement que par la force ».
Je crains, que cette traduction puisse donner lieu à des malentendus et faire croire que l’accusé Papen ait néanmoins envisagé d’employer la force. Nous voulons au contraire essayer de prouver, conformément à la première réponse, qu’il a toujours refusé d’employer la force et n’en a jamais discuté. Si le Tribunal interprète l’interrogatoire de cette manière, je n’ai plus aucune raison d’ajouter une explication.
Cela ne peut pas avoir d’autre sens en anglais. Je ne sais pas ce que cela pourrait signifier en allemand.
En allemand, l’expression « plutôt que par la violence » pourrait être interprétée : « Je préfère les moyens pacifiques, mais s’il en était besoin, je pourrais recourir à la force ». Ce que nous voulons prouver, c’est que ces moyens non pacifiques n’ont jamais été envisagés.
Pour éviter toute complication, je voudrais assurer le Tribunal que le Ministère Public comprend cette réponse de la même manière que Votre Honneur. Nous n’envisagerions pas un seul instant que le prince Erbach ait pu donner une autre réponse que celle qu’a comprise le Tribunal.
La meilleure façon de résoudre la difficulté serait peut-être, si vous êtes d’accord, d’interpréter : « et non par la force. »
Il va sans dire, Monsieur le Président, qu’en ce cas, je suis d’accord. Je prierai simplement le Tribunal de bien vouloir décider si le comte Pfeil devra comparaître pour remettre sa déclaration sous serment.
C’est le deuxième témoin ?
Le deuxième témoin, le comte Pfeil qui a écrit la lettre que nous avons l’intention de présenter au Tribunal comme affidavit, car nous n’aurons pas le temps jusqu’au moment de l’admission des preuves d’obtenir de lui un affidavit.
Nous nous en occuperons dès que nous aurons entendu Sir David. Y a-t-il d’autres contradictions ou inexactitudes que vous désiriez signaler dans le contenu du questionnaire du prince Erbach.
Non.
La lettre du comte Pfeil a-t-elle été traduite ?
Non, elle n’est pas encore traduite, mais il s’agit d’une simple lettre dont nous ne pouvons pas prouver l’authenticité. C’est pourquoi nous voulons que cette preuve soit déposée sous la forme régulière d’un affidavit.
La lettre suffirait-elle si le Ministère Public était disposé à l’admettre ?
Oui, cela suffirait, car nous ne pourrions, au moyen d’un affidavit, rien prouver de plus qu’avec cette lettre.
Nous n’élevons aucune objection contre le dépôt de cette lettre.
Bien, je vous remercie, Sir David. Le questionnaire du prince Erbach-Schônberg sera donc modifié dans le sens que nous avons indiqué et la lettre du comte Friedrich Karl von Pfeil sera acceptée comme preuve.
Votre Honneur me permettra-t-il d’aborder une question qui a été soulevée mardi ? Votre Honneur se souviendra que l’accusé Jodl a déclaré qu’il n’avait pas été autorisé par le Ministère Public à mentionner un certain document. Un malentendu s’est élevé à ce sujet. Votre Honneur se souviendra qu’au début, alors que nous traitions de la question des affidavits et des demandes de comparution, j’avais élevé des objections contre les preuves relatives à la mise aux fers des prisonniers, car le Ministère Public n’avait pas fait état de la mise aux fers par les Allemands des prisonniers et que, par conséquent, il me semblait inutile d’en traiter plus avant.
M. Roberts, en présentant la question plus tard, adopta la même attitude. Il semble que l’on ait compris que mon objection portait également sur l’ordre de la Wehrmacht mentionné par l’accusé Jodl, ordre qu’il désirait présenter comme une réponse à un message radiodiffusé du ministère de la Guerre britannique. Je crois que je pourrais ajouter ceci : je ne désirais absolument pas élever d’objections contre le fait que l’accusé Jodl précisait le sens de cet ordre de la Wehrmacht qui faisait partie des préparatifs du Kommando-befehl et je l’ai dit à l’époque.
Je ne voudrais pas que le Tribunal pense que je désire faire quelque remarque que ce soit sur les éminents avocats qui assurent la défense de l’accusé Jodl, ou que j’aie prétendu que la Défense ait porté contre moi des accusations. Aussi ai-je pensé que le Tribunal voudrait bien m’autoriser à prendre quelques instants pour éclaircir le malentendu et pour déclarer qu’aucun de nous ne s’est senti atteint d’une manière quelconque par les remarques qui ont été faites.
L’admissibilité de ce document dépend-elle d’autre chose ?
Non, Monsieur le Président, je n’avais pas élevé d’objections contre la présentation de ce document et l’accusé Jodl a pleinement le droit de commenter cet ordre au cours de sa déposition. Je désirais simplement préciser la façon dont le malentendu avait surgi et montrer que je ne pensais pas que le Dr Exner et le Dr Jahrreiss eussent élevé une accusation non fondée contre moi.
Très bien.
Je vous remercie, Monsieur le Président.
Je voudrais poser une question au témoin. Témoin, on a reproché au maréchal Keitel que — et je cite : « au lieu de couvrir et de défendre ses officiers » c’est-à-dire ses subordonnés, « il les aurait menacés » et qu’il les aurait même menacés de les remettre à la Gestapo. Vous est-il possible de citer des faits relatifs à cette accusation qui prouvent que ce n’était pas le cas ?
Je peux dire à ce sujet que le maréchal Keitel s’est toujours montré un supérieur plein de sollicitude vis-à-vis des officiers de l’État-Major de l’Armée. En ce qui concerne le colonel Münch, par exemple, avec qui il entretenait des rapports étroits en raison de l’activité de ce dernier comme chef du département de l’organisation, il avait avec lui une attitude toute paternelle et regretta profondément sa mort héroïque sur le front de l’Est.
En ce qui me concerne personnellement, ainsi que le lieutenant-colonel Ziehrvogel, mon adjoint principal, nous avions en 1944, à la suite d’une divergence de vues avec l’État-Major du Reichsfùhrer SS, été accusés, dans une lettre envoyée par ce dernier au maréchal Keitel, de saboter les relations entre l’OKW et le Reichsfùhrer SS, ainsi que la conduite de la guerre. Le maréchal Keitel, dans sa réponse que j’ai vue personnellement, nous couvrit d’une manière absolue et déclara qu’il prenait la responsabilité entière de tout ce que les officiers qui lui étaient subordonnés pouvaient avoir fait.
Je vous remercie ; je n’ai plus de questions à poser.
Le Ministère Public désire-t-il procéder à un contre-interrogatoire.
Monsieur le Président, je n’ai pas l’intention de contre-interroger ce témoin. Naturellement, cela ne signifie pas que le Ministère Public admette le caractère véridique de ce témoignage. Mais toute la question des atrocités commises à l’Est a été traitée de manière si complète par les dépositions et les documents déposés que je crois qu’il serait inutile et fastidieux de procéder à un contre-interrogatoire.
Bien, Monsieur Roberts.
Il y a une autre question, Monsieur le Président : le Dr Laternser, afin de gagner du temps, a présenté une déclaration sous serment de ce témoin datant du 20 mai 1946. Bien entendu, Monsieur le Président, nous tenons à aider le Dr Laternser dans tous les efforts qu’il fait pour gagner du temps et nous n’élevons aucune objection contre la production de cet affidavit. Mais je ne sais pas exactement ce qu’est ce document, ni s’il a été déposé comme preuve — auquel cas il faudrait lui donner un numéro — ni s’il doit être soumis à la commission.
Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de lui donner un numéro de dépôt. On l’a présenté au témoin et celui-ci a confirmé l’exactitude de sa teneur. Le Dr Laternser pourra donc s’y référer par la suite.
Très bien, Monsieur le Président. Je propose donc que le Ministère Public puisse en recevoir des exemplaires.
Naturellement.
Monsieur le Président, M. Dodd me fait remarquer que nous n’avons pas encore vu cette déclaration sous serment et que nous ne connaissons pas son contenu, mais nous allons en avoir un exemplaire, et si cela est nécessaire, nous pourrons présenter d’autres requêtes.
Quand un affidavit est utilisé de cette manière et présenté à un témoin qui dépose à la barre, cet affidavit doit, bien entendu, être communiqué au Ministère Public afin que celui-ci en examine le contenu et puisse procéder à un contre-interrogatoire, s’il le désire.
Oui.
Cela n’a pas été fait dans le cas présent. La meilleure solution serait de communiquer cet affidavit au Ministère Public qui pourra, s’il le juge bon, le faire examiner devant la commission. Pensez-vous que cela soit nécessaire ? Peut-être pourriez-vous examiner rapidement cet affidavit et nous indiquer si vous désirez que ce témoin soit tenu à votre disposition.
Je suis entièrement de votre avis, Monsieur le Président.
Devons-nous faire rester le témoin à Nuremberg ?
Nous acceptons votre proposition, Monsieur le Président ; nous examinerons l’affidavit à la fin de la semaine et présenterons notre requête lundi, si cela est nécessaire.
Très bien. Dans ces conditions, le témoin peut se retirer. (Le témoin quitte la barre.)
Docteur Jahrreiss, désirez-vous appeler le témoin suivant ?
Avec la permission du Tribunal, je cite maintenant le commandant Bùchs. (Le témoin Büchs vient à la barre.) Veuillez décliner votre nom.
Herbert Büchs.
Veuillez répéter ce serment après moi : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Témoin, quelle était votre situation au cours des dernières années de la guerre ?
Je fus, à partir du 1er novembre 1943, et en qualité d’officier d’État-Major de l’Armée de l’air, attaché à l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht. J’étais aide de camp en second du général Jodl.
Et vous êtes resté à ce poste jusqu’à la fin de la guerre ?
Je suis resté à ce poste jusqu’à notre capture, le 23 mai 1945.
Témoin, voudriez-vous tenir compte de la lampe. Lorsque la lampe jaune s’allume cela indique que vous parlez trop vite ; voudriez-vous également essayer de marquer un arrêt après que les questions vous sont posées, avant d’y répondre ?
Parfaitement.
Pendant la période où vous étiez au Quartier Général du Führer, avez-vous vécu les déplacements de ce Quartier Général ?
J’ai été avec le quartier général en Prusse Orientale, puis à Berlin, et également à Berchtesgaden en 1944.
On a dit qu’il existait, au sein du Quartier Général du Führer, une coterie du Parti ?
Si je dois comprendre qu’il s’agit de certaines personnes, je nommerai Fegelem, Bormann et Burgdorff.
Peut-on dire qu’il s’agissait d’une coterie ?
Ces trois personnes étaient en rapports étroits aussi bien sur le plan personnel que sur le plan officiel et pouvaient donner cette impression.
Ces relations étroites personnelles et officielles se limitaient-elles à ces trois personnes eu s’étendaient-elles à d’autres ?
Ils n’étaient très liés qu’entre eux. J’ai également remarqué qu’ils exerçaient une influence très puissante sur Hitler lui-même.
Docteur Jahrreiss, voudriez-vous faire préciser au témoin le nom de ces trois personnes. Nous ne les avons pas bien entendus.
Mon commandant, voudriez-vous nous dire lentement le nom des trois personnes que vous venez de nommer.
Il s’agissait de : Fegelein, qui était officier de liaison de Himmler auprès de Hitler ; ensuite de Bormann, qui était chef de la chancellerie du Parti et qui représentait le Parti ; enfin, du général Burgdorff, qui était à la fois chef du bureau du personnel de l’Armée et aide de camp principal de la Wehrmacht auprès du Führer.
Le général Jodl avait-il des rapports de service avec chacun de ces trois messieurs ?
Je parlerai d’abord de Fegelein. En sa qualité d’officier de liaison de Himmler auprès du Führer, ce dernier le consultait sur toutes les questions d’équipement et de personnel des divisions de Waffen SS, lorsqu’il s’agissait d’engager ces divisions et que ces questions surgissaient au cours de conférences sur la situation militaire. A ce propos, il va sans dire qu’au cours de ces conférences il y eut de nombreux points de contact entre les attributions de Jodl et celles de Fegelein, mais à part cela, les rapports de service entre Jodl et Fegelein étaient extrêmement restreints.
Et avec Bormann ?
Vis-à-vis de Bormann, en tant que représentant du Parti, le général Jodl délimita toujours très rigoureusement le domaine de ses compétences militaires. Il rejeta toujours les plaintes et les reproches injustement adressés par le Parti à la Wehrmacht et les attaques de toutes sortes. Cela fut particulièrement sensible à l’époque où la guerre fut menée sur le territoire allemand et où il y eut de nombreux frottements avec les Gauleiter nommés commissaires à la défense du Reich. Je me souviens, par exemple, que le général Jodl renvoyait simplement à Bormann, après les avoir sommairement annotées, les lettres ou les réclamations que celui-ci lui avait adressées ; cela, afin d’exprimer son opinion. Quand il n’obtenait pas satisfaction de cette manière, il n’hésitait pas à informer le Führer de sa façon de voir et à obtenir de lui une décision sur le point litigieux.
Et le troisième, le général Burgdorff ?
En ce qui concerne le général Burgdorff, je crois que le général Jodl avait avec lui très peu de rapports de service, bien que Burgdorff fût chargé de discuter avec le Führer de la question importante de l’occupation des postes de commandants en chef et d’autres hauts officiers. J’ai précisément pu constater sur ce point que le général Burgdorff réglait avant tout ces questions directement avec le Führer, de sorte que le général Jodl ne pouvait exercer que peu d’influence en cette matière.
J’aimerais que vous me disiez, témoin, quels étaient les rapports personnels du général Jodl vis-à-vis de ces trois messieurs ?
Le général Jodl n’aimait pas Fegelein, parce qu’il avait, je crois, dès cette époque, constaté sa faiblesse de caractère. J’ai pu constater à plusieurs reprises qu’il avait appelé Fegelein et l’avait réprimandé.
Pour Bormann, je peux dire que le général Jodl n’avait aucun rapport avec lui, et je n’ai jamais remarqué qu’ils eussent des relations mutuelles autres que celles de leur service.
Je peux dire à propos du général Burgdorff ce que j’ai dit de Fegelein. Le général Jodl n’avait pas d’estime personnelle pour lui.
J’en viens à un autre point. Témoin, avez-vous entendu dire qu’au cours de la dernière phase de la guerre, on aurait envisagé de livrer à la fureur populaire certains aviateurs ennemis que l’on avait fait prisonniers ?
Oui, je me souviens qu’au printemps de 1944, à Berchtesgaden, le Führer, très agité, avait demandé que les aviateurs alliés qui avaient fait des atterrissages forcés en Allemagne ne fussent plus protégés contre la fureur populaire par la Wehrmacht. Cette exigence du Führer avait pour origine des informations selon lesquelles un Kreisleiter du Parti et un officier d’aviation avaient protégé un aviateur allié. Le Führer, indigné, demanda avec violence que des ordres fussent donnés en conséquence et que ces agissements cessent une fois pour toutes.
Cet ordre fut-il également adressé au général Jodl ?
Oui, cette exigence fut posée au cours d’une conférence sur la situation générale, à laquelle assistait également le général Jodl ; mais, à mon avis, le général Jodl ne prit aucune part à la préparation de cet ordre qui ne touchait pas directement le domaine militaire.
Le général Jodl n’a donc fait aucun commentaire ?
Comme toutes les autres personnes présentes, le général Jodl était hostile à cette exigence, et il fit tout son possible pour en dissuader le Führer. Il adopta d’ailleurs aussitôt une attitude critique qui se traduisit par la suite par l’exposé de quatre cas de violation du Droit international de la part d’aviateurs alliés.
II est mutile que je vous interroge sur ce point : ces faits sont prouvés par des documents. Était-il donc possible, lorsque Hitler formulait une exigence avec la fureur que vous venez de dire, d’adopter vis-à-vis de lui une attitude temporisatrice ?
Dans un cas de ce genre, quand le Führer présentait des- exigences dans un tel état d’irritation, il était impossible aux personnes à qui s’adressaient ces exigences de s’y opposer sur le moment ou de refuser à priori d’exécuter un tel ordre. Il ne restait rien d’autre, et c’est ce que faisait souvent le général Jodl, que de tenter de rechercher des documents, de demander leur opinion et leur avis à tous les services compétents, de réunir tout ce matériel, et au cours d’un moment de tranquillité plus favorable, de revenir sur la question avec le Führer afin de le dissuader de ses exigences extravagantes. Cela se traduisait par un long échange de correspondance au cours duquel les dossiers étaient renvoyés d’un service à l’autre, tout cela en vue de tirer l’affaire en longueur le plus possible, et si possible, de l’enterrer définitivement. Dans cette affaire des aviateurs terroristes, j’ai précisément l’impression que cette tactique réussit parfaitement, bien que le Führer, dont l’attention était périodiquement attirée sur cette question par de nouveaux rapports, eût insisté pour que son ordre fût exécuté.
Cet ordre n’a donc pas été donné ?
Je ne connais pas d’ordre de ce genre.
Pouvez-vous me mentionner un incident duquel on puisse déduire avec certitude qu’un tel ordre n’a pas été donné ?
Le Führer m’a fait personnellement, au mois d’août 1944, de très vifs reproches : à la suite d’une attaque aérienne sur Munich, Fegelein avait décrit à Hitler de façon frappante les attaques en piqué effectuées par les aviateurs alliés et lui avait signalé que deux aviateurs abattus par la défense anti-aérienne avaient sauté en parachute, avaient été faits prisonniers par un adjudant d’artillerie anti-aérienne et emmenés. Fegelein avait convoqué l’adjudant pour lui demander pourquoi il n’avait pas fusillé ces aviateurs, et celui-ci lui aurait répondu : « Parce que je n’avais pas d’ordres pour le faire ». Je fis alors remarquer qu’il n’existait pas d’ordre de ce genre. Hitler me fit à nouveau de très vifs reproches parce que les chefs de l’Armée n’avaient pas donné cet ordre, et demanda une fois de plus que son ordre fût exécuté.
Cela fut-il fait ?
Non. C’était au lendemain du 20 juillet ; il y avait la campagne de l’Ouest, et d’autres problèmes beaucoup plus urgents étaient à l’ordre du jour ; cela aidant, la question des aviateurs terroristes fut de nouveau enterrée.
Avez-vous connaissance, témoin, d’un incident qui se serait produit à Berlin, je crois en mars 1945, à la chancellerie ? Le Führer se serait à nouveau plaint que, malgré ses exigences, cet ordre n’eût pas été donné.
Je me souviens qu’en mars 1945 le Führer avait à nouveau parlé, d’une façon très vive, de cette question au général Koller qui était, à cette époque, chef d’État-Major de l’Armée de l’air. Je n’étais pas présent au début de cette discussion, mais je fus appelé et j’entendis le Führer dire qu’étant donné l’attitude de la Wehrmacht, et notamment de la Luftwaffe, il ne lui avait pas été possible de faire cesser le terrorisme des aviateurs alliés au-dessus de l’Allemagne, en prenant des mesures de représailles correspondantes...
Je vous remercie. Un instant, témoin... Vous dites que vous n’avez pas assisté à toute cette conférence.
Monsieur le Président, nous avons un questionnaire que nous désirons présenter au Tribunal. Il figure dans notre livre de documents, volume II, page 178. C’est la déclaration du général Koller, que le témoin vient de citer. Cette déclaration se trouve à la page 180 du livre de documents et mentionne au paragraphe 5 tous les détails de cette discussion extrêmement importante qui eut lieu à Berlin. Une partie de cette conversation seulement eut lieu dans le bureau du Führer, et pour le reste, dans d’autres pièces ; ainsi, la conversation avec Kaltenbrunner, celle avec Gôring, eut lieu au téléphone. Pour gagner du temps, je voudrais demander au Tribunal de m’autoriser à donner lecture de ce document dans sa totalité, bien que le témoin n’ait entendu qu’une partie de cette conversation. La dernière phrase, au sujet de Jodl, déclare... Je crois, Monsieur le Président, que nous gagnerions du temps si j’en donnais lecture dès maintenant.
Je donnerai d’abord lecture de la première question posée au général Koller, à la page 179. La première question posée au témoin était la suivante :
« Depuis quand êtes-vous chef de l’État-Major de la Luftwaffe ? »
Réponse, à la page suivante :
« J’ai été chef de l’État-Major des opérations aériennes du 1er septembre 1943 au 3 septembre 1944, et à partir du 23 novembre 1944, chef de l’État-Major général de la Luftwaffe. »
Question 5, qui nous" intéresse particulièrement, à la page 179 :
« Vous souvenez-vous que, vers le mois de mars 1945, dans l’abri de la Chancellerie du Reich, le Führer vous ait reproché, à vous-même et à la Luftwaffe, de ne pas avoir fait donner cet ordre ? »
Réponse, à la page 180 :
« Oui, je m’en souviens très exactement.
« a) Vers le début ou le milieu de mars 1945, au cours du rapport sur la situation, Bormann présenta au Führer une note extraite du bulletin de presse alliée. Cette note disait à peu près ceci :
« L’équipage d’un avion de combat américain abattu en Allemagne quelque temps auparavant avait été délivré par les troupes américaines au cours de leur avance. Il déclara avoir été maltraité par des habitants indignés, menacé de mort, et aurait probablement été exécuté si des soldats allemands ne l’avaient pas délivré et pris sous leur protection. »
« Bormann fit encore remarquer à Hitler, en quelques mots, que ceci confirmait qu’en pareil cas, les soldats intervenaient contre la population.
« b) Hitler, assez irrité, se tourna vers moi et me dit avec vivacité : « J’ai déjà ordonné une fois que ces équipages de bombardiers qui ont sauté en parachute ne soient pas protégés contre la population. Ces gens n’assassinent que les femmes et les enfants allemands. Il est incroyable que des soldats allemands prennent des mesures pour protéger des assassins contre leur propre peuple, qui agit avec une haine justifiée. Pourquoi mes ordres n’ont-ils pas été exécutés ? »
« Surpris par cette attaque, je répondis à peu près : Je ne connais aucun ordre de ce genre ; de plus, ce serait pratiquement impossible. »
« Hitler se tourna vers moi et me dit avec violence, en élevant la voix : « La raison pour laquelle mes ordres ne sont pas exécutés n’est pas autre que la lâcheté de la Luftwaffe ; parce que ces « messieurs de la Luftwaffe sont lâches et ont peur qu’il puisse aussi leur arriver quelque chose. Tout cela n’est qu’un pacte de « lâcheté entre la Luftwaffe et les aviateurs anglais et américains ».
« Hitler se tourna alors aussi vers Kaltenbrunner qui se trouvait être présent par hasard dans le fond de la pièce et, le regardant de temps à autre, il poursuivit : « J’ordonne donc que tous les équipages de bombardiers qui ont sauté en parachute au cours de ces derniers mois, ainsi que tous ceux qui se trouveront dans ce cas à l’avenir, soient immédiatement remis par la Luftwaffe au SD et liquidés par le SD. Quiconque n’exécutera pas mes « ordres ou interviendra contre la population sera puni de mort et devra être fusillé. »
« Hitler exprima encore d’une façon générale son indignation et son point de vue. Les officiers assemblés donnaient une impression générale de surprise et de réprobation.
« c) Quand l’exposé de la situation devant le Führer fut terminé, je demandai un entretien à Kaltenbrunner dans le couloir.
« Points essentiels :
« Koller
Il est impossible d’exécuter ces ordres ; la Luftwaffe ne s’y associera pas, moi en aucun cas, et je puis dire la même chose du Reichsmarschall. Il est absolument hors de question que la Luftwaffe y prête la main en aucune façon ».
« Kaltenbrunner
Le Führer se fait une idée complètement « fausse. Les fonctions du SD sont, elles aussi, mal comprises. Ces affaires ne regardent en rien le SD. D’ailleurs, aucun soldat allemand ne voudra faire ce que le Führer demande. Cela ne convient pas au soldat allemand. Il ne tue pas les prisonniers. Si quelques partisans fanatiques de M. Bormann essayent de le faire, le soldat allemand interviendra. Le Führer se fait une idée « complètement fausse de l’état d’esprit de nos soldats. D’ailleurs, je ne ferai personnellement rien non plus dans cette affaire. Je « n’en ai absolument pas l’intention. Nous devrons seulement voir « comment nous pouvons nous en sortir, sans quoi quelques-uns d’entre nous seront les premières victimes. Nous devons gagner « du temps. En tous cas, je vais quitter Berlin pour un certain temps.
« Koller
Nous sommes donc d’accord sur l’essentiel. Le fait que vous quittiez Berlin est favorable. Mais nous devons trouver « un autre prétexte vis-à-vis du Führer, car il est possible qu’il « revienne à son ordre dés demain. Pour plus tard, si cela devait empirer, il faudrait envisager comment empêcher la chose ou ce qui peut nous arriver ».
« Sur ma proposition, on décida qu’aucun ordre ne serait donné par la Luftwaffe ou le SD dans le sens indiqué par le Führer. Personne ne serait livré au SD. Au cas où le Führer reviendrait de nouveau à son ordre, il faudrait tout d’abord empêcher toute action ultérieure par des explications comme celles-ci : les membres des équipages faits prisonniers précédemment ne sont pas détenus par la Luftwaffe, mais dispersés et aux ordres du BDE (commandant de l’armée de réserve). L’époque de la capture n’est pas connue du commandement central ; par conséquent, l’évaluation du nombre des prisonniers capturés au cours des derniers mois est difficile et demanderait beaucoup de temps. Les opérations "destinées à en effectuer le tri sans attirer l’attention devraient également être longuement préparées. Les équipages nouvellement faits prisonniers vont directement aux centres d’interrogatoires ; ceux-ci sont en cours de transfert en raison des opérations, les liaisons sont mauvaises. Il est donc nécessaire de discuter dans les détails et de s’entendre avec le SD. Afin de conserver l’apparence de discussions, l’officier I-c, de l’OKL, devrait rencontrer un délégué de Kaltenbrunner qu’il faudrait désigner au préalable.
« d) Après l’exposé de la situation devant le Führer, j’adressai la parole au Feldmarschall Keitel à l’entrée de l’abri, et lui dis : « L’ordre du Führer est aberrant ». (« C’est le moins qu’on puisse dire », interrompit Keitel). « La Luftwaffe ne ternira pas son blason. Cet ordre ne peut pas être exécuté. Je suis convaincu que le Reichsmarschall est entièrement de mon avis. Donner verbalement un tel ordre, et sous la menace d’un tel châtiment !
« S’il donne un ordre de ce genre, qu’il le signe de son propre nom ! Reste à savoir s’il sera exécuté ; en tout cas, pas par la « Luftwaffe. Par le SD non plus ; j’ai déjà parlé à Kaltenbrunner ».
« Le Feldmarschall Keitel
Alors il ne signera pas de tels « ordres et c’est toujours l’OKW qui doit s’en charger. Mais que « je sois damné si je donne un tel ordre ! »
« Koller
La Luftwaffe ne peut marcher en aucune façon. « Nous n’assumerons jamais une telle responsabilité ».
« Le Feldmarschall Keitel
« Vous avez raison. Moi non plus. « Il faut que je réfléchisse à ce que je peux faire, et comment ».
« La conversation fut interrompue parce que Keitel fut appelé au téléphone. Keitel était très contrarié par l’ordre du Führer.
« e) Après nous être rafraîchis dans un coin de l’abri, je dus, pour aller chercher mon vestiaire et sortir, traverser encore une fois l’antichambre de la salle de conférences. Par hasard, Hitler en sortait ; il donna un ordre à une ordonnance et m’appela au moment où je passais. La porte de la salle de conférence était ouverte, Ley était assis à la table. Hitler me dit : « Il faut que je revienne une fois de plus sur mon ordre. Vous devriez tous m’aider. Cela ne peut plus continuer ainsi. La Luftwaffe, ou alors « la défense du Reich, a manqué à son devoir. Que vais-je faire contre ces effroyables bombardements terroristes qui ne tuent que des femmes et des enfants allemands ? »
« Koller
La défense anti-aérienne et nos équipages font ce qu’ils peuvent et tout ce qui est humainement possible. L’insuffisance de notre armement aérien, la supériorité technique et numérique actuelle de l’ennemi ne peuvent être surmontées ou modifiées du jour au lendemain. Quand les unités de projecteurs seront enfin devenues plus puissantes, la situation aérienne en Allemagne nous sera plus favorable ».
« Hitler
Je ne peux pas attendre jusque là. Je ne peux pas prendre plus longtemps vis-à-vis du peuple allemand la responsabilité du maintien de cette situation. Si ces aviateurs se rendent compte qu’ils seront exterminés comme terroristes, ils réfléchiront avant de recommencer à nous survoler ».
« Keller
Cela n’améliorerait certainement pas la situation « aérienne, mais la ferait au contraire empirer ».
« Hitler
Non ; ce que les Japonais ont fait, voilà la vraie « solution ».
« Contrairement à son attitude au cours de la conférence, Hitler était maintenant calme. Il se montrait affable. Par expérience, nous savions qu’il était plus facile de lui parler en tête-à-tête qu’en présence de nombreuses personnes. Je pensai donc que l’occasion était bonne pour attaquer l’ensemble du problème et je déclarai : « Si je peux exprimer mon point de vue, je pense que cela n’est pas si simple. De telles mesures sont en contradiction si flagrante avec l’éducation, les sentiments, les idées de nos soldats, qu’elles ne peuvent pas être exécutées. On ne peut pas inculquer aux soldats les usages de la guerre et la correction, et leur ordonner ensuite de commettre des actes qui leur répugnent. Vous ne devez pas oublier, mon Führer, que les aviateurs ennemis exécutent des ordres et accomplissent leur devoir tout comme les nôtres. S’ils sont abattus ou font des atterrissages forcés, ils sont des prisonniers sans défense et sans armes. Quelle figure ferions-nous devant le monde ? Et les premières mesures de l’ennemi seraient de traiter nos équipages de la même façon. C’est une chose dont nous ne pouvons pas prendre la responsabilité vis-à-vis de nos hommes et de leurs familles. Toute la joie de « servir et la discipline s’effondreraient d’un seul coup ».
« Jusque là, le Führer ne m’avait pas interrompu. Après m’avoir regardé, il se tourna de côté et me donna l’impression d’être absent ; mais il m’avait écouté et il m’interrompit et me dit tranquillement, l’air sérieux : « La Luftwaffe a donc peur. Tout cela est très bien, mais je suis responsable de la protection du peuple allemand et je n’ai pas d’autres moyens ».
« Hitler fit demi-tour et rentra dans la salle de conférences.
« f) A mon arrivée au Quartier Général de la Luftwaffe (Kurfürst), je mis le colonel von Brauchitsch au courant des événements et lui ordonnai d’en informer le Reichsmarschall aussitôt que possible. Je ne pouvais pas toucher personnellement le Reichsmarschall à ce moment. Au cours de notre conversation, Brauchitsch exprima également sa réprobation envers l’ordre du Führer.
« g) Une ou deux heures plus tard environ, le Reichsmarschall me fit appeler et entama la conversation par ces mots : « Dites-moi, est-il devenu complètement fou ? » On voyait clairement de qui il voulait parler. Je rapportais une fois de plus au Reichsmarschall les principaux événements et la conversation que j’avais eue avec Kaltenbrunner et j’ajoutai : « Je n’exécuterai pas cet ordre ni aucun travail s’y rapportant. Je veillerai à agir de façon à gagner d’abord du temps et à éviter ensuite autant que possible qu’aucun de nous n’en subisse les conséquences. Peut-être, à la suite de la dernière conversation, le Führer ne reparlera-t-il plus de l’ordre qu’il a donné. S’il le fait cependant, ce sera très dur et il faudra que vous lui en parliez vous-même. Ce que le Führer a ordonné ne doit se produire en aucun cas ».
« Le Reichsmarschall exprima vivement son opposition à l’attitude de Hitler et m’approuva sur tous les points. Il m’ordonna d’agir comme je l’avais proposé, de l’informer sans délai le cas échéant, et termina la conversation par ces mots : « Tout cela est de la folie et ne peut pas être exécuté ».
« h) Les mesures contre les aviateurs alliés prévues par l’ordre du Führer cité plus haut, ne furent prises ni par la Luftwaffe ni par le SD. A mon avis, cet ordre n’a jamais été connu complètement par le BdE (commandant de l’armée de réserve), ni par ses services, car celui-ci n’assistait pas à la conférence du Führer, et l’ordre ne fut pas transmis par l’OKW.
« Hitler, par la suite, ne reparla de son ordre ni au Reichs-marschall, ni à moi, ni à mon adjoint. Je crois qu’il n’en reparla pas non plus à Kaltenbrunner. Il est vrai que je ne lui ai jamais reparié de cette affaire. Je ne quis juger si Hitler abandonna la question délibérément ou s’il l’oublia sous la pression des événements.
« i) Peut-être deux ou trois semaines plus tard, j’eus connaissance d’une directive de l’OKW, un télétype je crois, dans laquelle était mentionné, si je me souviens bien, le rapport qui avait provoqué l’incident. On y déclarait que le Führer avait exprimé son mécontentement de voir des soldats allemands intervenir contre leur propre peuple. Aucune mention n’était faite des points essentiels de l’ordre donné par Hitler. Si je me souviens bien, la directive était signée par Keitel et ne doit pas être considérée autrement que comme une couverture vis-à-vis du Führer.
« A mon avis, le général Jodl n’avait rien à voir avec toute cette affaire. »
Témoin, dans la mesure où vous avez assisté à cette conversation, le récit fait par le général Koller est-il exact ?
Je me souviens personnellement d’avoir entendu le Führer dire ceci : « Cela provient du fait que, pour les aviateurs, la guerre est basée sur un système d’assurance mutuelle : ne me fais rien, je ne te ferai rien ». Telle est la formule qui m’a frappé le plus, pour souligner ce qui vient d’être dit.
Je vous remercie, je n’ai plus de question à poser sur ce point.
Nous allons maintenant suspendre l’audience.
Témoin, je suppose que vous vous souvenez de l’installation des bureaux au Quartier Général du Führer ?
Oui, je m’en souviens encore.
Dans les bureaux du Führer, du Feldmarschall, des généraux et dans le vôtre, y avait-il des cartes aux murs ?
Oui ; en Prusse Orientale, et surtout au Quartier Général, le Führer avait, dans la grande salle de conférences, une carte topographique d’Allemagne, une carte politique de l’Europe, et il y avait des cartes semblables dans tous les autres bureaux.
Y avait-il aussi des cartes d’Allemagne ?
Oui.
Et des territoires limitrophes, sur lesquelles les camps de concentration et les établissements pénitentiaires étaient indiqués par des ronds bleus et rouges ?
Non, ni au Quartier Général de Prusse Orientale, ni à la Chancellerie du Reich à Berlin, ni au Berghof à Berchtesgaden, je n’ai vu de telles cartes.
Le 11 mai 1946, à 12 h. 30, la radio de Munich a publié la lettre d’un peintre qui prétendait avoir vu au Quartier Général du Führer des cartes qui ne pouvaient représenter rien d’autre que la localisation des camps de concentration. Est-ce possible ?
C’est absolument impossible.
Y a-t-il des indications plus détaillées...
Je ne croîs pas qu’il soit nécessaire de nous occuper des émissions de la radio de Munich. Nous n’avons aucune preuve relative aux émissions de Munich.
Vous m’avez mal compris, Monsieur le Président. Je n’ai pas demandé au témoin s’il l’avait entendu ; je voulais simplement montrer comment avait pu s’accréditer dans le public l’idée qu’il existait de telles cartes. Je vous remercie, je n’ai pas d’autres questions à poser.
Je voulais faire remarquer qu’il était inutile de s’y référer puisque cela n’a pas été déposé comme preuve. Il n’est pas nécessaire de parler de cette émission à laquelle vous faites allusion.
Commandant Bûchs, quand vous exerciez votre commandement au Quartier Général du Führer, assistiez-vous régulièrement aux discussions quotidiennes sur la situation ?
Oui, j’ai toujours pris part aux discussions sur la situation militaire, qui avaient lieu tous les jours.
Vous souvenez-vous si vous assistiez à la discussion du 27 janvier 1945, au cours de laquelle on examina ce qu’il fallait faire des 10.000 aviateurs prisonniers au camp de Sagan ?
Je me rappelle à peu près ce qui suit : Fegelein doit avoir traité de la question de l’évacuation de ce camp de prisonniers devant l’avance des troupes russes. On demanda aux officiers prisonniers s’ils voulaient rester dans le camp pour être remis à l’Armée russe, ou bien s’ils voulaient faire partie des convois d’évacuation de Silésie. Autant que je me souvienne, ils choisirent cette dernière solution, et je crois que la seule question qui fut discutée fut de savoir sous quelle forme ce transport serait réalisé.
Vous rappelez-vous quelles furent les propositions faites pour ce transport et par qui elles furent faites ?
Non. Je crois que le Führer déclara simplement que ces officiers prisonniers ne pouvaient pas être mieux traités que notre propre peuple. C’était à l’époque de l’évacuation de la Silésie et la situation de nos transports ne permettait pas l’évacuation de notre propre population par chemin de fer ou en grandes colonnes ; la population devait marcher sur les routes en plein hiver, et je crois me souvenir que le Führer dit alors : « Si ces officiers veulent être transportés, ils le seront exactement comme la population allemande, en marchant sur les routes ».
Au sujet de ces déclarations, Monsieur le Président, puis-je faire remarquer une erreur dans le procès-verbal. Au cours du contre-interrogatoire de l’accusé Gôring, le 20 mars 1946, a été déposé le document PS-3786 (USA-787) (Tome IX, page 593). Dans le texte allemand, on lit, après une discussion relative à la manière dont ils devaient être transportés, que le Führer aurait dit : « II faut qu’ils partent, même s’ils doivent marcher dans la boue (Dreek) » ; en fait, dans l’original, on dit : « Il faut qu’ils partent, même s’ils doivent marcher en colonne (im Treck) », ce qui est très différent. Je ne sais pas comment cette réflexion a été traduite dans le texte anglais, mais le sens en serait tout différent. Comme l’a dit le témoin, le Führer a déclaré : « Il faut qu’ils partent, même s’ils devaient marcher en colonne. »
Le Tribunal estime que le mieux serait de signaler ces erreurs de traduction au Secrétaire général et de les soumettre à la section de traduction.
Je voulais simplement signaler le fait. Témoin, au cours de cette discussion sur la question de l’évacuation, la réflexion suivante aurait été faite : « Il faut leur enlever leurs chaussures et leurs pantalons, afin qu’ils ne puissent pas courir dans la neige ». Vous souvenez-vous qui aurait fait cette remarque ?
Non, je ne me souviens pas. Cela me paraît d’ailleurs impossible.
Vous ne vous souvenez pas qu’une réflexion semblable ait été faite et par qui ?
Il est possible que Fegelein ait proposé une chose pareille, mais je ne me souviens pas.
D’après le procès-verbal, ce serait le Maréchal Gôring qui aurait fait cette réflexion.
Je considère que c’est impossible. Je dois dire ici que la prise de notes sténographiques présentait de grandes difficultés. Il arrivait à quatre ou six personnes de parler à la fois et très rapidement, de sorte que les sténographes ne pouvaient noter que ce qu’ils entendaient. Ils n’avaient pas le temps de regarder qui parlait, ni de s’assurer si c’était telle ou telle personne qui disait telle chose à tel moment. Il y avait une table autour de laquelle se tenaient parfois trente personnes, ce qui gênait le travail des sténographes.
Je n’ai pas d’autre question à poser.
Monsieur le Président, à ce point du Procès, je dois donner une explication. J’ai un certain nombre de questions importantes à poser au témoin, et il m’est impossible de le faire en raison de la décision prise aujourd’hui par le Tribunal. Je déclare que cette décision...
Docteur Laternser, vous aurez toutes possibilités de poser ces questions au témoin devant la commission.
Je vous demande de me permettre de terminer, Monsieur le Président. J’ai déclaré ne pas être en mesure de poser des questions au témoin à la suite de la décision prise aujourd’hui par le Tribunal. Je m’incline devant cette décision, mais je tiens à déclarer...
Il est inexact de dire que vous n’êtes pas en mesure de poser des questions. Vous ne pouvez pas les poser maintenant, mais il est inexact de dire que vous ne pouvez pas les poser. Vous pourrez poser vos questions au témoin devant la commission.
Il n’en subsiste pas moins, Monsieur le Président, un certain préjudice à l’égard de la Défense, du fait que les avocats des organisations n’ont pas la possibilité de présenter directement leurs preuves.
Le Tribunal a fait connaître sa décision.
Je regrette simplement, Monsieur le Président, que cette décision ait été prise sans qu’on en ait fait part au préalable à la Défense.
Je voudrais faire remarquer, à l’appui des déclarations de mon confrère, que je tiens à souligner...
A quel sujet, Docteur Löffler ?
Sur le sujet suivant : les témoins qui comparaissent aujourd’hui ne peuvent pas être interrogés, comme à l’habitude, par les avocats des organisations. C’est donc une limitation des possibilités de la Défense, car ces témoins sont pratiquement définitivement perdus pour nous.
Docteur Löffler, ni vous, ni le Dr Laternser, ne semblez avoir lu l’article 9 du Statut qui prévoit de quelle manière les requérants peuvent être représentés et entendus ; ceci pour les organisations. Le Tribunal, malgré de nombreuses difficultés, a fait venir à Nuremberg un très grand nombre de témoins et a institué des commissions spéciales pour les interroger. Il entendra, à un stage ultérieur des débats, certains d’entre eux. Le Tribunal a accordé toute son attention à cette question et ne désire pas vous entendre, ni d’autres avocats des organisations, élever de nouvelles objections.
Nous apprécions les motifs du Tribunal mais, du point de vue de la Défense, nous sommes obligés de faire remarquer que ces motifs, si fondés soient-ils en théorie, signifient pratiquement pour nous la perte de ces témoins. Je demanderai donc d’être autorisé à expliquer très brièvement au Tribunal pour quelle raison ces témoins sont perdus pour nous. Vous avez dit, Monsieur le Président, que ces témoins pourront être entendus par la commission. Or, ces témoins ne pourront pas être entendus par la commission, car le nombre des...
Docteur Lôffler, comme je vous l’ai déjà dit, le Tribunal a déjà examiné cette question, et il est possible qu’il l’examine à nouveau, mais il ne désire pas entendre de nouvelles objections à ce sujet. Cette question est laissée à son entière appréciation et le Tribunal s’est donné beaucoup de peine pour que puissent être entendues les personnes qui désirent l’être au sujet des organisations.
Le Tribunal ne désire plus vous entendre sur ce point.
Puis-je me permettre une suggestion...
Avez-vous entendu ce que j’ai dit ? Le Tribunal ne désire plus vous entendre sur ce sujet en ce moment.
Très bien.
Je n’ai que peu de questions à poser, Monsieur le Président. (Au témoin.) Vous ne semblez pas vous souvenir très bien de cette conférence.
De quelle conférence ?
De la conférence dont vous venez de parler, au sujet de l’évacuation des prisonnier de Sagan.
Je ne vois pas sur quel point mes souvenirs n’auraient pas été corrects.
Vous dites que vous ne vous souvenez pas qu’on ait dit que les prisonniers devaient marcher dans la neige sans chaussures.
Oui, c’est ce que j’ai dit.
Vous savez pourtant — je ne trouve pas l’endroit exact, je ne savais pas qu’on allait mentionner ce document — vous savez pourtant que cela figure au compte rendu sténographique.
C’est ce qu’on a dit.
Oui, et vous êtes d’accord avec moi sur le fait qu’il est peu probable que les sténographes eussent transcrit cette remarque si elle n’avait pas été faite ?
Oui.
Vous n’avez pas entendu cette réflexion ? Donc, vous ne savez pas qui l’a faite ?
C’est exact.
C’est tout ce que je voulais vous demander sur ce point.
Une autre question : au mois d’avril 1945, Fegelein, après le mariage de Hitler, devint son beau-frère ?
Oui.
Et deux jours après, Fegelein fut fusillé sur l’ordre de son nouveau beau-frère ?
Oui.
C’est tout.
Je n’ai plus de questions à poser au témoin.
Le témoin peut se retirer. (Le témoin quitte la barre.)
Avec la permission du Tribunal, j’appelle à la barre des témoins le Professeur Dr Schramm. (Le témoin vient à la barre.)
Quel est votre nom ?
Percy Ernst Schramm.
Voulez-vous répéter ce serment après moi : Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai toute la vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Témoin, faisiez-vous partie de l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht pendant la guerre ?
Oui, j’appartenais depuis mars 1943 à l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht.
Jusqu’à la fin ?
Oui, jusqu’à la fin, c’est-à-dire jusqu’au début de mai 1945.
Quelles fonctions y exerciez-vous ?
Pendant toute la période où j’ai appartenu à l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht, j’ai rédigé son journal de guerre.
Y avait-il un motif particulier pour que vous soyez chargé de ce travail ?
J’ai été appelé à ce poste parce que, dans la vie civile, je suis professeur d’histoire à l’université de Göttingen. On cherchait alors quelqu’un dont la compétence pût garantir la bonne exécution de cette tâche. Je fus donc nommé à ce poste par le général Jodl, sur la proposition du chef d’État-Major adjoint.
Si vous deviez rédiger un journal de guerre comme un historien peut désirer le faire, vous deviez avoir une connaissance très précise de ce qui se passait à l’État-Major ?
Oui. Je n’assistais pas aux conférences sur la situation, avec le Führer, ni aux discussions intérieures, mais, en revanche, j’assistais journellement aux conférences de l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht, et tous les documents importants sont passés par mon bureau au cours de ces deux années.
Je voudrais, témoin, puisque vous aviez, peut-être mieux que tout autre, une connaissance étendue de l’activité de l’État-Major de la Wehrmacht, que vous nous disiez ce que vous savez de l’étendue des activités du général Jodl ?
L’étendue des activités du général Jodl était immense. Je sais, par exemple, que 60.000 télétypes environ sont passés par le service des télétypes au cours de la seule année 1944 ; je le sais par l’officier chargé de leur expédition. A cela, s’ajoutait la correspondance par courrier, qui était encore plus considérable, ainsi que le courrier entre les services intérieurs. La plus grande partie de cette correspondance passait par le bureau du général Jodl. En outre, le général était compétent pour quatre théâtres d’opérations, c’est-à-dire : le Nord (Finlande-Norvège), l’Ouest (Hollande-Belgique-France), le Sud-Ouest (Afrique et Italie) et le Sud-Est.
Parlez plus lentement.
Le général avait pour tâche non seulement de se tenir au courant des événements au moyen des informations reçues, mais aussi d’assumer les fonctions de conseiller du Führer en matière d’opérations.
Si je vous ai bien compris, les quatre théâtres d’opérations que vous venez de mentionner étaient ce qu’on appelait les « théâtres d’opérations de l’OKW » ?
Exactement. L’Est dépendait en fait de l’État-Major de l’Armée de terre ; le général Jodl s’en occupait, car la grande difficulté consistait à évaluer l’intérêt que présentaient les différents théâtres d’opérations, par rapport au front de l’Est.
Ai-je bien compris, vous avez dit 60.000 télétypes dans l’année ?
Oui, 60.000 télétypes, je me souviens parfaitement. Je me souviens également du chiffre établi par mon secrétaire : 120 dossiers ont passé par le bureau du journal de guerre. Ils étaient de cette épaisseur. Ainsi, les documents qui passaient par mon bureau représentaient constamment une longueur d’environ douze mètres, ce qui correspond à 10.000, sinon à 100.000 feuilles de papier.
Peut-être pourriez-vous alors nous aider à résoudre une question à laquelle il a été fait allusion plusieurs fois sans que nous ayons jamais pu obtenir de réponse précise : savez-vous quelque chose au sujet de l’interdiction qu’aurait faite Hitler aux généraux de donner leur démission ?
Oui, je me souviens parfaitement d’un ordre donné au milieu de l’année 1944 qui rappelait, d’une manière très brutale, un ordre émis avant mon entrée en fonctions, en 1940 ou 1941. Cet ordre, qui représentait à peu près une page et demie dactylographiée, était rédigé sous une forme très énergique. Je me souviens très bien de son contenu car je m’en suis entretenu par la suite avec quelques camarades. Cet ordre disait que tous les commandants en chef (Oberbefehlshaber) et les commandants qui leur étaient subordonnés, avaient le droit de présenter des objections contre les mesures prises par le Commandement suprême, mais qu’ils devaient néanmoins exécuter ces ordres, c’est-à-dire agir contrairement à leurs intentions. L’ordre ajoutait qu’il serait absolument impossible qu’un commandant en chef donnât sa démission pour de tels motifs, puisque aussi bien il n’était pas possible au sous-officier dans la tranchée de donner sa démission à son commandant de compagnie, s’il n’était pas d’accord avec ses ordres. Ceci était, je le répète, si énergiquement exprimé, que nous en avons beaucoup discuté entre nous. A partir de ce moment-là, il n’y eut plus aucune possibilité pour un commandant en chef d’éluder un ordre donné par le Commandement suprême.
Professeur Schramm, puis-je vous prier de parler un peu plus lentement.
Cet ordre dont vous venez de nous indiquer le contenu, et pour lequel vous venez de préciser la date de sa version la plus énergique, s’appliquait-il également à un homme comme le général Jodl ?
Puisqu’il s’appliquait aux commandants en chef, il concernait, bien entendu, le général Jodl également.
J’en viens à une autre question. Le général Jodl a été qualifié de général politicien. Vous êtes civil et, qui plus est, professeur, et vous avez donc, je pense, le détachement nécessaire pour prendre position sur une pareille question et pour indiquer au Tribunal des faits qui lui permettront de porter un jugement. Pouvez-vous nous citer des faits qui puissent servir de base à un tel jugement ?
Si la question est de savoir si le général Jodl était un général de parti, je répondrai non, sans hésitation. Que les membres de son État-Major aient ou non appartenu au Parti, je pense que cela lui était absolument indifférent ; moi-même, bien que j’aie fait partie de l’État-Major pendant deux ans, j’ignore absolument quels étaient les officiers qui étaient inscrits au Parti. Cela avait si peu d’importance ! S’il s’agit de savoir si le général Jodl cherchait à exercer une influence politique, j’évoquerai une fois encore le travail considérable qui lui incombait et qui ne lui en aurait pas laissé le loisir. D’après tous mes documents, je puis dire que je ne me souviens d’aucune pièce de laquelle on aurait pu tirer cette conclusion. Tout ce que le général a traduit sur le papier — et, comme j’ai pu le voir, il y avait des milliers de papiers — se limitait toujours au domaine militaire et n’empiétait jamais sur les frontières de la politique. Pour être plus précis, je dirai même que je n’ai jamais vu dans mes dossiers, en deux ans, aucun exposé de nature politique, qui eût été rédigé à l’instigation du chef de l’État-Major d’opérations ou par lui-même.
Oui, mais peut-être avait-il un certain penchant pour les honneurs, de grandes ambitions, et, en dehors des documents...
Je puis vous répondre par un non très catégorique, car je sais, d’après son entourage et d’après les conversations que j’ai eues avec lui, que toutes ces histoires diplomatiques lui étaient extrêmement désagréables, qu’il n’aimait pas cela, car cela n’avait rien à faire avec son métier de soldat. D’autre part, son travail l’occupait suffisamment. Je n’ai jamais remarqué non plus qu’il fît preuve d’ambition ; car s’il avait été ambitieux, il n’aurait pas recherché le poste qui lui était le plus défavorable ; il y était exposé à la critique de ses inférieurs qui ne connaissaient pas les vraies raisons. Il fut très critiqué, et ses supérieurs même ne l’appréciaient pas à sa juste valeur. Personnellement, j’ai toujours trouvé étonnant, grotesque même, qu’au moment de la mort de Hitler, le général Jodl ne possédât guère plus de décorations allemandes que moi-même, qui n’étais que commandant de réserve. Je ne sais pas s’il possédait des décorations étrangères, je ne l’en ai jamais vu porter. Je n’ai donc rien remarqué qui soit chez lui le signe d’ambitions ou d’aspirations politiques.
On a parlé ici à plusieurs reprises d’une conférence que le général Jodl aurait faite, au cours de l’hiver 1943-1944, devant les Gauleiter. Savez-vous quelque chose de cette conférence ?
Oui, je me souviens très bien.
De quoi vous souvenez-vous exactement ?
Je voudrais dire d’abord que je m’en souviens très bien, car les pièces qui avaient servi à l’élaboration de ce discours m’ont été remises par la suite, pour le journal de guerre.
L’affaire était la suivante : le matériel destiné à ce discours fut rassemblé par différentes sections. On avait besoin d’une carte géante dont la préparation était très difficile car elle était plus grande que les bureaux dans lesquels nous travaillions. Ce discours devait être prononcé le 8 ou 9 novembre, à l’occasion de la réunion anuelle de Munich.
La raison particulière pour laquelle le général devait exceptionnellement parler devant un auditoire non militaire, était la suivante : en septembre 1943, la défection de l’Italie avait causé, sur le front méridional, une rupture de 4.000 kilomètres, de Marseille à Athènes. Nous avions réussi à combler cette brèche, mais ceux qui connaissaient la situation étaient fort inquiets.
Monsieur le Président, j’élève une objection contre l’exposition des motifs de ce discours. Ce discours es\ déposé comme preuve, et les raisons pour lesquelles il a été prononcé ne nous intéressent pas.
Le Tribunal approuve cette objection.
Témoin, voulez-vous continuer à parler.
Telle était la raison...
J’ai dit que le Tribunal approuvait l’objection de M. Roberts aux déclarations du témoin.
C’est un malentendu, excusez-moi, la traduction était mauvaise. (Au témoin.) Témoin, je vous présente maintenant un document déposé il y a deux jours par le Ministère Public, le document PS-1808. Voulez-vous regarder rapidement de quoi il s’agit. (On présente le document au témoin.)
Ce document figure-t-il parmi les documents Jodl ?
Non, ce document a été présenté il y a deux jours par le Ministère Public, au cours de son contre-interrogatoire.
J’ai présenté ce document séparément pendant l’interrogatoire contradictoire et je crains qu’il ne se trouve pas dans le livre. Ce document est un de ceux qui ont reçu un nouveau numéro GB, et il a été déposé séparément vers la fin de l’interrogatoire contradictoire ; c’est le numéro PS-1808.
Merci. Puis-je continuer ?
Continuez, Docteur Jahrreiss.
Témoin, est-ce votre signature qui figure en bas et à droite de l’avant-dernière page ?
Oui, c’est un dossier que j’ai établi après l’attentat du 20 juillet 1944, pour déterminer ce qui s’était passé à l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht. Je tiens à faire remarquer qu’aucun membre de l’État-Major n’avait pris part à la conspiration. Cet exemplaire provient probablement des archives de la Guerre. La signature et les corrections ont été faites en partie par moi, en partie par mon secrétaire.
J’attire votre attention sur le cinquième de ces documents.
Oui.
Daté du 25 juillet. L’avez-vous ?
Oui, je l’ai.
Est-ce vous qui l’avez rédigé ?
Je l’ai rédigé personnellement.
Je vous prie de nous dire sur quelle base reposait ce travail.
Les officiers de l’État-Major furent appelés en hâte au mess pour une conférence. Nous apprîmes que le général désirait parler à son État-Major. Je reçus alors l’ordre de prendre des notes pour que les officiers qui ne pouvaient pas assister à la conférence fussent également informés des déclarations du général Jodi. Je me souviens parfaitement d’avoir, debout, noté quelques mots ; ce n’était donc pas un sténogramme car je ne connais pas la sténographie, et il ne m’était pas possible d’appeler un sténographe tout de suite.
Et c’est sur la base de ces notes que vous avez rédigé ce texte ?
Oui ; à la suite de cela, le lendemain probablement, j’ai reconstitué le mieux possible, sur la base de mes notes, ce qu’avait dit le général Jodi. Je ne suis pas tout à fait sûr d’avoir pu en rendre tout le détail : ces notes, que j’avais prises debout, étaient bien trop fragmentaires. Quant aux paroles qui furent exactement prononcées, je ne suis, à plus forte raison, pas absolument certain de les avoir reproduites. Je vois qu’il s’agit là d’une, deux, trois, quatre pages et demie, et il est évident que le discours était beaucoup plus long ; ce n’en est qu’une reproduction condensée.
Simplement une reproduction condensée ?
Oui.
Je voudrais avoir quelques détails sur les circonstances dans lesquelles le général Jodi a prononcé cette allocution dont nous n’avons pas exactement la teneur ici. C’était...
Votre Honneur, je me permets — afin de gagner du temps, une fois encore — de faire remarquer que ces questions ne sont absolument pas pertinentes. Nous connaissons le fait de l’attentat contre Hitler et nous savons que Jodi a parlé à son personnel. Je ne pense pas que l’exposé des circonstances soit pertinent.
Monsieur le Président. ..
Le Tribunal espère que vous allez traiter ce sujet brièvement.
Je vous remercie. Je vous prie, témoin, de vous exprimer très brièvement.
Le général Jodi apparut avec un bandeau blanc autour de la tête. Nous étions tous surpris qu’il se fût si vite remis des suites de l’attentat, car il se trouvait très près du lieu de l’explosion. Je dois dire que nous fûmes profondément impressionnés par l’énergie tendue avec laquelle il revenait devant son État-Major, et par son attitude morale vis-à-vis d’une telle tentative.
Je vous remercie. Monsieur le Président, je n’ai plus d’autres questions à poser.
D’autres membres de la Défense ont-ils des questions à poser au témoin ? Le Ministère Public ?
Je n’ai pas d’autres questions à poser, Monsieur le Président.
Le témoin peut se retirer. (Le témoin quitte la barre.)
Puis-je appeler le témoin suivant, le général Winter. (Le témoin vient à la barre.)
Voulez-vous décliner votre nom, je vous prie.
August Winter.
Voulez-vous répéter ce serment après moi : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète la formule du serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Témoin, avez-vous pris part au début de la campagne de Russie ?
Oui, j’y ai pris part en qualité de premier officier d’État-Major du groupe d’armées du maréchal von Rundstedt.
Puis-je vous demander, témoin, de marquer un léger temps d’arrêt après mes questions, et en général de parler un peu plus lentement.
Oui.
Vous étiez un personnage très important et qui avait de grandes responsabilités. Pouvez-vous me dire quels furent les motifs officiels que Hitler vous a donnés, à vous qui aviez de grosses responsabilités, de l’agression allemande contre l’Union Soviétique ?
Les raisons officielles qui m’ont été données en leur temps par le Commandant en chef et par mon supérieur hiérarchique, étaient que nous devions nous attendre à bref délai à une agression russe. C’était, en somme, une mesure préventive que nous prenions.
Vous avez alors pris part aux premiers combats de frontières ?
Oui, dans cet État-Major.
C’était dans le Sud ?
C’était en Ukraine, le groupe d’armées du Sud.
Après ces premières batailles, vous aviez acquis une certaine expérience et recueilli des impressions sur vos adversaires ?
Oui.
Cette expérience confirmait-elle la version officielle de la guerre préventive ?
L’impression qui régnait alors au commandement de notre groupe d’armées et que partageaient le Commandant en chef, mon commandant, moi-même et l’État-Major placé sous mes ordres, était que les motifs donnés pour cette campagne étaient exacts. Nous avions à l’époque l’impression subjective de nous heurter à une opération offensive en cours.
Pouviez-vous baser cette impression sur des faits ?
De nombreux faits, selon nous, confirmaient cette impression. Je les exposerai rapidement : tout d’abord, la puissance des troupes qui nous étaient opposées. Je ne me souviens plus des chiffres, mais elle était plus grande que celle qu’indiquaient nos ordres de marche. De plus, nous fûmes étonnés par de fortes concentrations de troupes tout près du front ; par le nombre inhabituel d’unités blindées, beaucoup plus grand que celui auquel nous nous attendions ; par la concentration d’un groupe relativement fort en face de la frontière hongroise, que nous ne pouvions pas nous expliquer sur le plan défensif. Je me souviens d’un fait particulièrement frappant ; nous trouvâmes dans les états-majors faits prisonniers au cours des huit premiers jours, un grand nombre de cartes reproduisant de vastes portions du territoire allemand ou ex-autrichien et, là non plus, nous ne pouvions pas faire concorder ce fait avec des intentions purement défensives. A cela s’ajoutaient d’autres observations de moindre importance.
Témoin, vous venez de citer comme particulièrement significative, à votre avis, l’existence de ces cartes que vous venez de décrire. Pour quelle raison ce fait est-il plus significatif que les autres ?
Il était particulièrement remarquable que les unités déployées sur le front russe fussent équipées de cartes s’étendant très loin au delà des limites d’une reconnaissance normale dans la défensive, même si l’on considère qu’au début d’une campagne des reconnaissances peuvent, éventuellement avoir lieu au delà des frontières.
On a discuté ici qu’à l’époque, nos troupes, après avoir pénétré dans certaines grandes villes d’Ukraine, avaient rencontré des difficultés considérables et s’étaient trouvées placées dans une situation très particulière. Savez-vous à quoi je fais allusion ?
Oui, je comprends. Ces difficultés ont pris des proportions énormes à mesure que nous nous approchions du Dnieper. Je pense que vous voulez parler des destructions à distance ou à retardement qui furent opérées sur une vaste échelle dans nos zones de combat de la région Kiev-Kharkov-Poltava. Ces destructions nous préoccupèrent beaucoup et nous forcèrent à prendre des contre-mesures.
Savez-vous si cela s’applique également à Odessa ?
J’ai entendu parler de destructions opérées à Odessa, mais je ne sais rien de précis.
Avez-vous des détails au sujet de Kharkov ?
Je peux parler de Kharkov d’une façon certaine, car il s’y est passé un fait qui nous décida à prendre des mesures exceptionnelles de sécurité.
Lors des combats à la limite ouest de Kharkov, qui avaient été assez longs et pénibles, l’État-Major d’une division dont je ne me rappelle pas le numéro, fut complètement anéanti par l’une de ces explosions à retardement. Cela nous amena à donner des ordres afin que soient prises des mesures exceptionnelles de sécurité dans tous les bâtiments qui devaient abriter des états-majors ou des autorités.
Témoin, avez-vous jamais vu, ou eu entre les mains, une carte russe sur laquelle fussent indiquées des destructions de ce genre ?
Non, je ne me souviens pas d’avoir vu une telle carte.
Autre chose : vous avez dit tout à l’heure que le maréchal von Rundstedt était votre Commandant en chef. Qui était votre chef direct ?
Le général von Sodenstem.
Si je me souviens bien, le maréchal von Rundstedt se retira à cette époque ou fut démis de ses fonctions ?
Après l’échec de la percée vers Rostov, en novembre 1941, le maréchal von Rundstedt, qui s’était vu refuser par l’OKH le repli du groupe de pointe, avait adressé à l’OKH, duquel nous dépendions, un rapport déclarant que si l’on n’accordait pas à son commandement une confiance suffisante, il se verrait contraint de demander au Führer la nomination d’un autre commandant en chef. Je me souviens parfaitement de cet événement, car j’avais rédigé moi-même le télégramme et le maréchal ajouta cette note de sa propre main. Ce message partit dans la soirée et, dans la même nuit, Hitler le relevait de ses fonctions.
On avait donc donné suite à sa demande ?
On avait donné suite à sa demande, mais cette affaire eut des répercussions car Hitler, quelques jours après cet incident, vint personnellement à Marioupol, en avion, pour se renseigner sur place sur la situation. A son retour, il passa par le Quartier Général du maréchal von Rundstedt à Pol-tava. Ils eurent là une conversation au cours de laquelle Hitler... — je ne puis pas vous dire d’une façon absolument certaine si j’ai personnellement assisté à cette scène ou si elle me fut racontée immédiatement après par l’aide de camp qui était alors le colonel Schmundt — Je répète donc : ils eurent une conversation au cours de laquelle Hitler reprocha au maréchal de l’avoir placé devant cette alternative. Il lui dit : « Je n’ai absolument pas l’intention de donner suite à l’avenir à de telles offres de démission. Quand j’ai pris une décision, la responsabilité m’en appartient. Moi non plus je ne suis pas en mesure de dire à mon supérieur immédiat, au Bon Dieu par exemple : « Je ne marche plus, je ne veux pas prendre cette responsabilité ». Nous considérâmes à l’époque que cette scène était essentiellement significative, et je puis dire que tous les ordres qui suivirent cette conversation confirmèrent cette impression.
Savez-vous, témoin, si Hitler revint par la suite sur cette décision de ne plus admettre cela à l’avenir ?
Il ne revint absolument pas sur sa décision ; absolument pas, car il y eut à deux reprises des ordres refusant ’formellement et à priori les offres de démission d’un commandant en chef ou d’un officier placé à un poste important qui déclarait qu’il ne pouvait pas assumer une responsabilité.
J’en viens à un autre point. Si je suis bien renseigné, vous avez encore été plus tard, au cours de la guerre, à l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht ?
Le 15 novembre 1944, j’ai été nommé successeur du général Warlimont, qui était tombé malade ; j’ai pris mon poste le 15 novembre 1944. Ma nomination date du 1er décembre 1944.
Témoin, assistiez-vous régulièrement aux conférences sur la situation chez le Führer ?
Sur les sept jours de la semaine, j’assistais en moyenne cinq fois à ces conférences.
On a beaucoup parlé ici de ces conférences sur la situation ; il s’y est passé beaucoup de choses qui sont importantes pour ce Procès. Cependant, jusqu’à ce jour, nous n’avons pas pu nous faire une idée très claire de ce qu’étaient réellement ces conférences. Pouvez-vous nous dire, par exemple, ce qu’elles étaient techniquement, quelle était leur durée, le nombre des participants ?
Ces conférences sur la situation avaient lieu régulièrement dans l’après-midi devant une assistance assez importante. La nuit, à 2 heures, avait lieu une deuxième confé-renée, au cours de laquelle de jeunes officiers de l’État-Major de l’OKH faisaient leur rapport sur la situation à l’Est, et de l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht sur la situation à l’Ouest.
Monsieur le Président, afin de gagner du temps, je présenterai une nouvelle requête : l’accusé Jodl a déjà parlé de ces conférences et personne n’a demandé de contre-interrogatoire sur ce sujet ; je suppose donc que sa déposition a été acceptée. Je crois que c’est là une simple répétition d’un point que personne ne conteste.
Le Tribunal ne désire pas entendre de déposition de nature générale ou particulière au sujet de ces conférences, à moins que vous n’ayez quelque chose de spécial a démontrer à leur endroit.
Oui, Monsieur le Président. Puis-je demander à cette occasion si l’objection du représentant du Ministère Public signifie qu’une déclaration qui n’a pas fait l’objet d’un contre-interrogatoire doit être considérée comme admise ? Je ne sais pas si je me suis bien expliqué. L’objection du Ministère Public s’appuie manifestement sur la supposition que...
Je ne pense pas que vous deviez en tirer une règle définitive, mais le général Jodl a parlé d’une manière générale de ces conférences et il n’a pas été contre-interrogé sur ce point. Je considère donc qu’il est absolument inutile d’interroger d’autres témoins sur la nature de ces conférences.
Merci.
Témoin, il est également possible dans la vie militaire qu’un officier soit d’un avis opposé à l’ordre qu’il reçoit ?
Oui.
A-t-il alors la possibilité d’exprimer son opinion par écrit ?
Cette possibilité existait dans l’Armée allemande — si je me souviens bien — depuis Moltke. Par une décision de Hitler — ce devait être au cours de l’hiver 1938-1939 — elle fut annulée. On interdit aux chefs et officiers d’État-Major de consigner par écrit leurs opinions divergentes.
Pour qu’il n’y ait pas de difficultés dans la traduction, voudriez-vous expliquer le mot « aktenkundig » ?
Il n’était pas possible d’insérer dans les actes officiels rédigés dans un état-major ou dans les journaux de guerre, une note disant que le chef n’était pas d’accord avec les ordres donnés par ses chefs hiérarchiques.
Cette possibilité fut supprimée ?
Cette possibilité existait auparavant, mais elle fut retirée en 1938.
Merci. Je vais maintenant vous présenter le document D-606. C’est un document qui a été présenté il y a deux jours par le Ministère Public au cours de son contre-interrogatoire. Je ne connais pas son numéro de dépôt. Peut-être...
C’est le numéro GB-292 (PS-3606), Monsieur le Président. Je l’ai déposé séparément au cours du contre-interrogatoire. Il figure dans votre livre.
Continuez, Docteur Jahrreiss.
Témoin, connaissez-vous ce document ?
Je connais ce document. Il porte mes références.
L’avez-vous rédigé vous-même ?
Non, ce document a été rédigé personnellement par le général Jodl. Je vois d’ailleurs un blanc au paragraphe 11 et je ne sais pas s’il est tout à fait complet. Le document comprend un projet qui n’est pas joint ici, mais je vois qu’il en est question dans le dossier de mon service de l’intendance. Le troisième exemplaire devrait avoir été scellé et joint au même dossier. Ce projet avait été rédigé dans mon état-major sous la responsabilité du général Jodl, au moment où Hitler avait agité la question de l’abandon par l’Allemagne de la Convention de Genève, immédiatement après l’attaque sur Dresde. Il envisageait de faire état de tous les arguments qui pourraient dissuader le Führer de prendre une telle décision, c’est-à-dire d’abandonner la Convention de Genève. Ce document a été rédigé du point de vue du Droit international et du point de vue psychologique, c’est-à-dire de l’effet de cette mesure sur les troupes ennemies ainsi que sur les nôtres. C’est moi-même qui m’en occupais alors. Le jour suivant, mon chef, le général Jodl, me reçut avec ce document dont je n’ai pas encore vérifié le contenu maintenant, et me dit qu’il était absolument d’accord sur l’idée qu’il exprimait mais qu’il s’était vu obligé de faire élaborer le projet d’une façon plus rigoureuse, de le mettre en concordance avec les documents de la Kriegsmarine, et de le présenter à Hitler sous une forme telle que son succès soit garanti. Il ne devait pas se produire que cette idée fût réalisée.
Je vous remercie. Monsieur le Président, je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.
D’autres membres de la Défense ont-ils des questions à poser ?
Monsieur le Président, je vous prie de me permettre de demander si l’interdiction relative aux interrogatoires s’applique également à ce témoin ; je voudrais faire remarquer que ce témoin fait partie du groupe des accusés de l’OKW et de l’État-Major.
Je ne sais pas s’il l’est ou non, mais peu importe. Vous pourrez l’interroger vous-même devant la commission. Je veux dire que vous pourrez le faire comparaître devant la commission.
Je voulais simplement éclaircir cette question.
Docteur Laternser, si certains de vos témoins ne résident pas à Nuremberg, vous pouvez les retenir à Nuremberg pour les faire interroger devant la commission.
Votre Honneur, je voudrais seulement poser une question. (Au témoin.) Vous avez dit que l’Allemagne avait attaqué l’Union Soviétique en rompant le Pacte de non-agression, parce qu’elle craignait une attaque de la part de cette dernière.
Je tiens à préciser une fois de plus que cette raison nous a été donnée par notre Commandant en chef, à nous qui étions officiers d’Êtat-Major d’un groupe d’armées qui marchait sur l’Ukraine.
Très bien. Nous savons maintenant, d’après les témoignages portés devant le Tribunal, que Hitler avait décidé au cours du mois de juillet 1940, d’attaquer l’Union Soviétique et que, le 18 décembre 1940 — document PS-446, page 53 du livre 7 — Hitler déclara que la Wehrmacht devait être prête à abattre l’Union Soviétique au cours d’une seule campagne-éclair. Nous savons aujourd’hui que cette attaque n’eut lieu que le 22 juin. Il ne semble donc pas que les chefs de l’Allemagne eussent vraiment craint que la Russie, ou plutôt l’Union Soviétique, ne rompît ce Pacte de non-agression.
Témoin, vous avez été contraint de prendre des mesures de représailles en Ukraine, n’est-ce pas ?
II n’y a pas eu de représailles de la part des troupes, du moins dans la zone d’opérations. Je ne me souviens pas que des cas semblables se soient présentés.
Quelles mesures avez-vous prises contre la résistance de la population ?
Pendant toute la campagne du groupe d’armées Sud, il n’y eut pas, dans la zone d’opérations, de résistance de la part de la population en Ukraine. Il y eut simplement à l’arrière des engagements contre des unités russes isolées. Ce n’est que plus tard que j’eus connaissance d’une résistance de la part de certains éléments de la population, au moment où la zone d’opérations était déjà limitée à l’arrière par les commissariats politiques du Reich.
Vous n’étiez plus là à cette époque ?
Le commandement auquel j’appartenais fut retiré du front à la fin de janvier ou au début de février 1943. Il était alors limité vers l’arrière par le Dnieper.
Le témoin peut se retirer. (Le témoin quitte la barre.)
Monsieur le Président, pour conclure, je n’ai que deux questionnaires à présenter et je voudrais lire quelques lignes qui ont été oubliées.
C’est d’abord le questionnaire AJ-8, de Waizenegger. Je prie le Tribunal de bien vouloir en prendre connaissance. Puis, AJ-6, un questionnaire de Brudermùller pour lequel j’exprime la même requête. En ce qui concerne le dernier, AJ-12, qui est une déclaration du général Greiffenberg, je voudrais en lire l’essentiel. Il s’agit de l’agression contre la Yougoslavie et de savoir si, après le putsch de Simovitch, la Yougoslavie aurait pris position contre nous. Ce document figure au troisième volume de mon livre de documents, page 211. Le putsch avait donc eu lieu et l’on se demandait si la Yougoslavie constituait une menace immédiate.
« Question
Est-il vrai que la Yougoslavie commença, aussitôt après le coup d’État de l’Armée, à envoyer des troupes sur toutes ses frontières ?
« Réponse
Je ne connais que le front qui faisait face à la 12e armée allemande, en position sur la frontière bulgare. Là, les Yougoslaves avaient fait monter des troupes à la frontière.
« Question
Est-il vrai que l’armée List, dont vous étiez alors le chef, avait l’ordre, avant le coup d’État yougoslave, de respecter strictement la neutralité de la Yougoslavie lors de l’attaque imminente contre la Grèce, et que les trains de ravitaillement eux-mêmes n’avaient pas le droit de transiter par le territoire yougoslave ?
« Réponse
Je peux certifier que les ordres les plus sévères avaient été donnés afin que fût respectée la neutralité de la Yougoslavie.
« Question
Des violations quelconques de ces ordres sont-elles venues, à votre connaissance ?
« Réponse
Non. »
Messieurs, il manque encore quelques questionnaires. Je ne sais pas s’ils arriveront plus tard. Je me réserve le droit de les produire le cas échéant. Pour le reste, j’en ai terminé de mon exposé.
Lundi, le Tribunal entendra la présentation du cas Seyss-Inquart, n’est-ce pas ? L’audience est levée.