CENT CINQUANTE ET UNIÈME JOURNÉE.
Lundi 10 juin 1946.
Audience du matin.
Je donne la parole au défenseur de l’accusé Seyss-Inquart.
Monsieur le Président, Messieurs, j’ouvre l’interrogatoire avec les dernières paroles du Dr Schuschnigg lorsqu’il prit sa retraite de chancelier le 11 mars 1938 : « Que Dieu protège l’Autriche ». C’est une conjoncture de l’Histoire qu’au moment même où l’on traite ici de la question de l’Anschluss en liaison avec la personnalité de Seyss-Inquart, les quatre ministres des Affaires étrangères préparent les traités de paix sur les bases d’événements analogues. C’est pourquoi je prie le Tribunal de bien vouloir prêter attention à la lecture de mes documents relatifs à cette question et de me permettre de les citer un peu plus longuement que je n’en avais tout d’abord l’intention.
Avec l’autorisation du Tribunal, je commence par l’audition de l’accusé en qualité de témoin. (L’accusé est à la barre des témoins.)
Comment vous appelez-vous ?
Arthur Seyss-Inquart.
Veuillez répéter ce serment après moi : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je cèlerai ni n’ajouterai rien. » (Le témoin répète le serment.)
Asseyez-vous.
Témoin, quand et où êtes-vous né ?
Je suis né en 1892 dans l’enclave de langue allemande d’iglau, en Moravie. La Moravie était à cette époque une province de la monarchie austro-hongroise. C’est là et à OlmUtz, également en Moravie, que j’ai été élevé jusqu’à ma seizième année. Puis mes parents sont allés s’établir aux environs de Vienne. J’ai terminé mes études au lycée et j’ai fait mon Droit à l’Université de Vienne. En août 1914, j’ai été mobilisé.
Avez-vous été militaire pendant toute la guerre ?
Oui. J’ai servi dans les chasseurs impériaux tyroliens. J’ai fait la guerre en Russie, en Roumanie et en Italie. Pendant la guerre, à l’occasion de quelques permissions, j’ai passé mes derniers examens et, en 1917, j’ai été reçu docteur en droit. J’ai été blessé une fois, décoré à plusieurs reprises, trois fois pour courage devant l’ennemi.
Quelles impressions de jeunesse avez-vous conservées par la suite ?
Le seul fait important à noter ici est l’antagonisme des nationalités en Moravie entre Allemands et Tchèques. Les Allemands représentaient alors l’idée de l’État autrichien communautaire ; quant aux Tchèques, ils pratiquaient une politique essentiellement nationale. Mais il y a, je crois, quelque importance à attacher au fait que l’on est arrivé, en Moravie, à un équilibre linguistique.
Quelles impressions avez-vous rapportées ensuite de la guerre ?
A part l’expérience de la camaraderie du front, un de mes principaux souvenirs est la discussion, vers la fin de la guerre, sur les Quatorze Points du Président Wilson.
Dont le contenu essentiel concernait le droit de libre disposition des peuples ?
Il était clair pour nous que la réalisation de ces Quatorze Points signifiait la dissolution de la monarchie austro-hongroise. Nous, Allemands, y voyions une compensation en ce que l’accomplissement de ce droit de libre disposition permettrait aux territoires allemands héréditaires de pouvoir rentrer dans le sein du Reich, dont ils n’avaient été séparés qu’en 1865, c’est-à-dire à peine cinquante ans auparavant. C’est juste. Ces territoires héréditaires ont été créés par le Reich et, pendant les mille années de leur existence, ils avaient été durant neuf cent cinquante ans partie intégrante de l’Empire allemand.
Qu’avez-vous fait alors, après la guerre, lorsque vous êtes revenu du front ?
Je me suis voué à la profession d’avocat, je me suis établi en 1921, et j’ai constitué, avec le temps, une excellente étude.
Quelle était votre orientation politique ? Avez-vous été membre d’un parti politique quelconque ?
Je n’ai été membre d’aucun parti politique parce que je ne voulais pas me lier à la politique d’un parti. J’avais de bons amis dans tous les partis, chez les chrétiens-sociaux ainsi que chez les sociaux-démocrates. Mais les programmes des partis me paraissaient trop exclusifs et ne visaient que quelques groupes de la collectivité.
Avez-vous appartenu à des organisations politiques, par exemple au Volksbund germano-autrichien ?
Oui, j’ai été membre du bureau du Volksbund, car la seule idée politique que j’aie poursuivie depuis 1918 était celle du rattachement de l’Autriche au Reich. J’ai vécu la journée du 12 novembre 1918, lorsque l’Assemblée nationale provisoire décida, en vertu du droit de libre disposition, que « l’Autriche était une partie intégrante de la République allemande ». L’Assemblée constituante, six mois plus tard, confirma cette résolution. Le diktat de Saint-Germain interdisait l’Anschluss. Alors les « Länder » essayèrent de voter. Salzburg et le Tyrol votèrent pour l’Anschluss dans la proportion de 98% des votants. Le Dr Schuschnigg décrit cela dans son livre : « Trois fois l’Autriche ». La réplique à cela réside dans des tentatives sérieuses de partager l’Autriche entre ses voisins non-allemands, mais on n’a pas pu se mettre d’accord sur le partage du butin.
Puis-je me permettre de produire au Tribunal quelques documents concernant cette question, ou de renvoyer à ces mêmes documents dans mon livre de documents, et cela brièvement.
Le premier document auquel je donnerai le numéro SI-1, est à la page 2 du livre de documents et contient la proclamation des députés autrichiens-allemands après l’effondrement de la monarchie austro-hongroise le 21 octobre 1918. Il y est dit à la deuxième phrase :
« L’État autrichien-allemand revendique la souveraineté sur tout le territoire peuplé par les Allemands et particulièrement sur le pays des Sudètes. L’État autrichien-allemand s’opposera à toute annexion, par d’autres nations, de territoires peuplés de paysans, d’ouvriers et de bourgeois allemands. »
Sous le numéro de document 2, je produirai ensuite à la page 4 du livre de documents une résolution, mentionnée déjà par le témoin, de l’Assemblée nationale provisoire autrichienne du 12 novembre 1918, où il est dit : « L’Autriche allemande est une république démocratique. Tous les pouvoirs publics seront exercés par le peuple. L’Autriche allemande est partie intégrante de la République allemande ».
Le chef du parti le plus important de l’État à cette époque, le Dr Karl Renner, pour justifier cette loi, a pris la parole le 12 novembre et a dit ce qui suit... Il s’agit du document n° 3, page 6 : « Notre grand peuple est plongé dans la détresse et le malheur, notre peuple allemand de l’humanisme, dont la fierté a toujours été d’être nommé le peuple des poètes et des penseurs, notre peuple allemand qui a toujours proclamé l’amour entre les peuples, a sombré profondément dans le malheur. Mais précisément à cette heure où il serait si facile, si commode et peut-être aussi si séduisant de présenter sa note à part pour arracher, lui aussi, des avantages à la subtilité des ennemis, à l’heure présente, notre peuple ne veut connaître qu’une chose, dans toutes ses régions : c’est que nous sommes une seule race et une seule communauté liée par le destin ».
Sous le numéro de document 4, à la page 18...
A la page 8, voulez-vous dire ?
Page 8, pardon. C’est alors qu’eut lieu le plébiscite au Tyrol, le 24 avril 1921 : 145.302 voix pour, 1.805 voix contre l’Anschluss. A Salzbourg et dans la région, environnante, le 18 mai 1921, 98.546 voix se prononcèrent pour l’Anschluss et 877 contre.
Messieurs les juges, en produisant mes documents, j’ai déjà dit qu’à mon point de vue, trois éléments ont conduit à l’Anschluss :
1. La misère économique qui s’étend jusqu’à présent comme un fil rouge à travers l’Histoire entière ;
2. La désunion des partis démocratiques qui en résulte ;
3. L’attitude du monde extérieur et surtout des grandes Puissances vis-à-vis de notre petit pays.
Ces pensées, je les ai exprimées dans mon livre de documents et je voudrais maintenant, en ce qui concerne la détresse économique de l’époque, donner lecture du discours du 6 septembre 1919 du prélat Hauser, président de la Chambre des députés autrichienne. C’est à la page 14 de mon livre de documents. Il propose en tant que président de la Chambre des députés l’acceptation du Traité de Saint-Germain, avec les arguments suivants : « L’Assemblée nationale n’a pas le choix. Le pays et le peuple ont besoin d’une paix définitive qui leur rouvre le monde, moralement et économiquement, et qui soit susceptible de procurer de nouveau du travail aux masses de notre peuple, aussi bien dans le pays qu’à l’étranger ».
Puis, le deuxième paragraphe : « C’est aussi la raison pour laquelle l’Assemblée nationale n’a pas le choix parce que notre pays est tributaire des grandes Puissances, aussi bien pour son ravitaillement et son réapprovisionnement en charbon et en matières premières industrielles que pour la restauration de son crédit et de sa monnaie ».
C’est dans le même sens que les deux hommes d’État Seipel et Schober se sont exprimés. C’est le document n° 17. Seipel, qui est considéré comme l’homme d’État autrichien le plus éminent, a déclaré : « Mais jamais nous ne croirons résolue la question de l’Europe centrale tant que le grand État qui en occupe l’espace à proprement parler, le Reich allemand, ne participera pas à la résoudre ».
Je vais maintenant poursuivre l’audition du témoin et lui poser la question suivante : vous rappelez-vous encore l’état de choses qui régnait après 1927 ?
Grâce à la situation économique que vous venez de dépeindre, les Puissances appartenant à la Société des Nations ont toujours forcé l’Autriche à faire des déclarations, soit-disant volontaires, de renonciation à l’Anschluss, ce qui a provoqué des répercussions dans notre politique intérieure. Les Autrichiens qui, en 1918, étaient absolument résolus à pratiquer une politique parlementaire et démocratique, s’orientèrent vers les idées radicales de caractère autoritaire.
Un nouveau parti a été alors créé. Quel était-il ?
Alors eut lieu ce que l’on a appelé « l’incendie du Palais de Justice », une révolte des marxistes qui eut pour résultat le groupement des anti-marxistes en un Heimatschutz, une formation militante. C’est ainsi que l’uniforme fit son entrée dans la politique autrichienne. L’opposition entre marxistes et anti-marxistes fut de plus en plus violente. L’unique organisation au-dessus des partis était à cette époque le Volksbund germano-autrichien. Et l’idée de l’Anschluss a été l’unique pensée politique capable de maintenir la cohésion de tous les partis. Vers 1930 apparut le parti national-socialiste ouvrier allemand (NSDAP).
Quelle impression a fait ce parti sur vous, en liaison notamment, avec la prise du pouvoir dans le Reich ?
Je dirai franchement que l’impression produite par ce parti, vu l’état de choses habituel en Autriche, était plutôt étrange. Nous connaissions déjà l’uniforme, il est vrai, par le « Schutzbund » républicain des marxistes et par le « Heimatschutz ». Mais la NSDAP revêtait également de l’uniforme ses chefs politiques proprement dits, et instituait entre eux une hiérarchie. Quant à sa façon intransigeante de pratiquer la politique, elle ne correspondait en rien à notre façon de voir habituelle.
Quelles en étaient alors les raisons ?
Je veux dire que ce parti ne reconnaissait à aucun autre la moindre qualité et qu’il ne s’est jamais déclaré disposé à collaborer avec un autre parti.
Quels étaient, à votre avis, les succès positifs du Parti en Allemagne ?
Je crois qu’en Autriche la très forte influence exercée par le Parti, sans cesse croissante, provient de la volonté absolue indubitablement manifestée pour le rattachement. Je veux dire que ce radicalisme doit être imputé, par exemple, à l’obstruction faite à la réalisation de l’union douanière au profit des chefs démocratiques du Parti par la sentence arbitrale de La Haye.
N’étaient-ce pas aussi des raisons d’ordre économique qui ont valu tant de succès au parti national-socialiste ?
C’était ainsi : ce dont il était question dans le Reich et ce que l’on a entendu dire du Reich...
Accusé, je suppose que vous écoutez ce que dit le Dr Steinbauer. Mais vous lui répondez sans laisser aux interprètes le temps de traduire.
D’Autriche, on a suivi avec intérêt, à partir de 1933, d’une part, l’inobservation des discriminations créées par le « Diktat » de Versailles et, d’autre part, avant tout, la résorption du chômage. En Autriche aussi, il y avait à cette époque 10% de chômeurs parmi la population. C’est pourquoi les ouvriers autrichiens, notamment, espéraient en finir avec leur chômage, grâce à l’Anschluss, et les paysans autrichiens s’étaient très vivement intéressés au « Reichsnährstand » et à la réglementation du marché allemand.
Si je vous ai bien compris, c’est donc l’idée de l’Anschluss qui vous a conduit, vous aussi, au Parti. Je ne parlerai pas du programme du Parti dont il a été question si souvent ici ; je veux simplement vous demander : quand êtes-vous entré au parti national-socialiste ?
Je suis devenu membre du Parti d’une façon formelle le 13 mai 1938 et ma carte du Parti avait un numéro dépassant le chiffre de 7.000.000.
Avez-vous eu des rapports avec le Dr Dollfuss ?
J’ai fait la connaissance du Dr Dollfuss au lendemain de la guerre. Je savais qu’il voulait me faire membre de son cabinet en 1933 et, huit jours avant le 25 juillet 1934, j’ai eu, sur son invitation, une conférence avec lui.
Est-ce que, le 25 juillet 1934, vous avez participé d’une façon quelconque à l’assassinat du Chancelier fédéral Dr Dollfuss ?
Non, en aucune façon. Le Dr Dollfuss avait envisagé un autre entretien avec moi. Il aurait aimé connaître mon opinion quant aux mesures d’apaisement d’une situation devenue très radicale. Je n’avais pas caché au Dr Dollfuss qu’en Autriche il n’y avait plus de nationalistes, mais uniquement des nationaux-socialistes, et que les nationaux-socialistes ne faisaient que ce que Hitler commandait.
Je dois pourtant vous représenter, témoin, que le Ministère Public a produit aux débats une photographie où l’assassinat de Dollfuss est glorifié.
Oui, il s’agit de l’anniversaire de 1938. A cette cérémonie, on n’a même pas fait allusion à Dollfuss, car c’était une manifestation du Parti en l’honneur des sept membres des SS qui, au cours de cette tentative de putsch ou en liaison avec cette tentative, avaient été pendus. Aucun de nous n’a qualifié cette mort d’assassinat.
Après la mort de Dollfuss, le Dr Schuschnigg est devenu Chancelier fédéral. Quelles conséquences le parti national-socialiste a-t-il tirées de cet événement, autant que vous ayez pu le constater ?
Le parti national-socialiste était lui-même absolument démembré, désorganisé. Il s’est alors constitué un cercle restreint d’hommes auxquels je me suis rallié et qui, des événements du 25 juillet, ont tiré les conclusions suivantes :
1. Cela signifiait tout d’abord pour nous un grave danger. Je rappelle la conférence des hommes d’État à Stresa et les décisions prises contre l’Allemagne. Et bien que nous n’ayons jamais eu de souci quant à l’Italie, on devait se dire que, dans cette ambiance d’excitation, la moindre chose pouvait facilement conduire à la guerre. Et nous étions tous d’accord pour conclure que la tâche la plus essentielle des hommes d’État allemands devait être d’éviter une guerre.
En ce qui concerne les dates, nous en sommes maintenant à...
Pardon, je veux encore ajouter ceci : en matière de politique intérieure, l’idée de l’Anschluss a été très gravement compromise par les événements du 25 juillet. Nous avons réfléchi à ce qui pouvait arriver, et nous en sommes venus à la conclusion suivante : il faut que le Parti du Reich renonce à son immixtion dans le parti national-socialiste autrichien, car le parti autrichien ne constituait pas autre chose qu’un Anschluss anticipé. C’est pour cette raison qu’il faut autoriser les nationaux-socialistes à reprendre leur participation au mouvement et qu’il faut, avant tout, procéder à des élections pour établir la proportionnalité des forces en présence.
Ce qui m’intéresse, c’est ceci : avez-vous eu à cette époque, c’est-à-dire en 1936, des contacts quelconques avec des services du Reich ?
Je n’ai pas eu de relations avec des services du Reich.
Je vous remercie. Avez-vous...
C’est seulement — ainsi que M. le maréchal Göring l’a déjà dit — lorsque je devins conseiller d’État, que j’ai rencontré pour la première fois un dirigeant politique allemand.
Ce fut ?
Ce fut en juin ou juillet 1937.
Quelle a été votre position, en tant que conseiller d’État, vis-à-vis de la NSDAP autrichienne ?
Lorsque fut conclu l’accord du 11 juillet 1936, sans aucune participation de ma part, le Dr Schuschnigg me demanda, par l’intermédiaire du ministre Klees, de collaborer. J’entretenais des relations particulièrement étroites avec Zernatto, le Secrétaire général du Front patriotique. Sur la proposition de Zernatto et de ses amis, je devins conseiller d’État autrichien, et le Dr Schuschnigg me donna mission, par écrit, d’étudier les conditions préalables à envisager pour amener l’opposition nationale à collaborer. Pour remplir cette mission, il me fallait, évidemment, me mettre en rapport avec les nationaux-socialistes, car l’opposition nationaliste ne comprenait, certes, que des. nationaux-socialistes.
Qui était le chef du parti national-socialiste en Autriche ?
Le Parti, en Autriche, s’était illégalement reconstitué et c’est le capitaine Léopold qui en était le chef.
Étiez-vous en bons termes avec lui ?
Je n’ai pas pu m’entendre avec le capitaine Léopold. Il n’a pas compris ma politique. Il s’est imaginé, au contraire, que le Dr Schuschnigg, en vertu de l’accord du 11 juillet, se devait d’autoriser de nouveau le parti national-socialiste sous sa forme antérieure. Je ne lui ai guère parlé, pendant tout ce temps que deux ou trois fois au plus. Il exigeait que je lui fusse subordonné, ce que j’ai décliné.
Puis-je, en relation avec ces faits, me permettre d’attirer l’attention du Tribunal sur les documents suivants, sans avoir besoin de les lire ? Document n° 44, page 103 du livre de documents : c’est un extrait du document USA-583 (PS-3471) déjà présenté au Tribunal. Il s’agit ensuite du document n° 45, page 105 ; il porte le numéro USA-581 (PS-3473) ; puis du numéro 97, page 109, où Zernatto déclare expressément que Seyss-Inquart se tient à l’écart des aspirations de Léopold. Il est reproché à mon client, par le Ministère Public, d’avoir pratiqué un double jeu. Comme preuve contraire, j’ai demandé l’audition de l’ancien Gauleiter Siegfried Uiberreither, qui a été entendu ici. Je désirerais citer certains passages du questionnaire — c’est le document n° 59 — et donner lecture de certaines questions posées par le Ministère Public. Cela se trouve à la page 140 :
« Question
L’accusé Seyss-Inquart n’était-il pas en rapports constants avec le parti nazi illégal d’Autriche, bien avant que ce parti ne fût déclaré légal en février 1938 ?
« Réponse
Non, personnellement, je n’ai pas connu Seyss-Inquart avant sa visite à Gratz. Dans les milieux nazis, il ne passait pas pour un membre du Parti. Je crois, mais je n’en suis pas sûr, qu’il n’a adhéré au parti nazi qu’après que celui-ci fut devenu légal. C’est la raison pour laquelle, personnellement, il rencontra une forte opposition de la part des cercles nazis illégaux. »
A la page 6 du même document, il est dit :
« Question
Est-ce que l’accusé n’a pas pratiqué un double jeu en raison, d’une part, de sa position légale dans le cabinet Schuschnigg, d’autre part, de sa collaboration avec l’ancien parti nazi illégal, dont l’activité fut légalisée jusqu’à un certain point par la suite, grâce aux efforts de l’accusé à Berehtesgaden en février 1938 ?
« Réponse
Je ne sais pas jusqu’à quel point il était en contact, avant le 12 février, avec les cercles nazis illégaux. Je l’ignore, parce que je n’étais pas à Vienne. Mais peu après le 18 février, ce ne fut plus un double jeu que de conserver le contact, mais au contraire son devoir. Schuschnigg lui-même avait eu des entretiens avec le chef des nazis d’alors : c’était Klausner, avant Léopold. »
Nous en venons donc à l’année 1938. Quelle situation politique avez-vous trouvée au début de cette année, en tant que conseiller d’État auprès du Gouvernement autrichien ?
Dans mes nombreux entretiens avec le Dr Schuschnigg, surtout au cours de mes conversations continuelles avec Zernatto, j’avais conçu le projet qui correspondait aux conclusions que j’avais tirées des événements du 25 juillet 1934 : à savoir qu’on devait amener le Reich et surtout Hitler à renoncer à toute immixtion dans la politique de l’Autriche par le canal du parti national-socialiste autrichien. Mais pour cela, il fallait que l’activité des nationaux-socialistes fût autorisée. Je n’entendais, par cela, nullement renoncer à l’Anschluss, mais j’étais pleinement convaincu qu’en Autriche une politique légale et sous la responsabilité des nationaux-socialistes autrichiens attirerait dans les rangs de ce parti, avec le temps, l’immense- majorité des masses autrichiennes, je veux parler des Allemands en Autriche, et qu’à, une telle manifestation de la volonté écrasante de la majorité, les Puissances composant la Société des Nations ne pourraient plus opposer la moindre résistance. Il fallait que l’essai fût tenté de déterminer Adolf Hitler à une telle politique, en faisant valoir qu’une Autriche indépendante et autonome soutenait la politique du Führer et l’égalité des droits du peuple allemand.
C’est à ce but que tendaient mes conversations avec le Reichsmarschall Göring et avec M. Hess. J’ai rendu compte au Dr Schuschnigg et à Zernatto du résultat de mes entretiens et leur ai recommandé de constituer un gouvernement de coalition par l’admission de ministres nationaux-socialistes au sein du cabinet, à la condition préalable, bien entendu, qu’Adolf Hitler donne les garanties nécessaires. Mes propositions n’ont eu d’écho ni d’un côté ni de l’autre, sans avoir été cependant nettement repoussées. Entre temps, les nationaux-socialistes autrichiens continuaient à se comporter d’une façon illégale. La Police est intervenue, des arrestations ont été opérées ; nous avons eu en Autriche trois camps de concentration ; bref, ce fut une sorte de prélude à la dénazification d’aujourd’hui.
Étiez-vous à Obersalzberg le 12 février 1938 ?
Non, mais je suis en situation de dire comment les choses se sont passées. Tout d’abord, le Parti revint à des tendances radicales. Au début de 1938, les tendances légitimistes en Autriche furent encouragées : c’est ainsi que les lois tendant à la restitution de leurs biens aux Habsbourg furent proposées au Conseil d’État. Pour cette raison, ma situation devint momentanément intenable ; je me suis retiré et j’en ai rendu compte à Zernatto et au secrétaire d’État Keppler qui avait été chargé officiellement, à Berlin, de diriger les affaires politiques avec l’Autriche. Vu le mandat qui m’avait été confié, je me sentais obligé d’en informer également Keppler. Moi-même, j’ai accepté une invitation du commissaire aux sports du Reich Tschammer-Osten, de me rendre à Garmisch-Partenkirchen. Là, j’y ai rencontré M. von Papen, sans avoir convenu d’un rendez-vous. Nous nous fîmes part de nos soucis réciproques et nous convînmes que les deux parties, aussi bien Hitler que le Gouvernement autrichien, c’est-à-dire le Dr Schuschnigg, devaient être averties qu’une décision non équivoque, dans le sens de mes propositions, était indispensable. Il va de soi qu’il fut alors question d’une participation des nationaux-socialistes au Gouvernement. Peut-être même a-t-on mentionné le ministère de l’Intérieur ; mon nom n’a certainement pas été prononcé, mais c’était celui qui venait à l’esprit, de chacun. Je n’ai été nullement informé du résultat des pourparlers entre M. von Papen et Hitler. Quant à moi, j’ai fait part à Zernatto de l’objet de mon entretien avec Papen. Zernatto se montra conciliant à mon égard, notamment quant à l’achèvement des comptes rendus concernant la politique populaire et qui avaient trait aux nationaux-socialistes. Il mit, dans ce but, des moyens à ma disposition ; je crois, ce fut le 10 février que j’appris par mes collaborateurs que Hitler avait invité le Dr Schuschnigg à Berchtesgaden. Le Dr Reiner faisait partie de mes familiers ainsi que le Dr Jury, le Dr Kaltenbrunner, Langot et quelques autres.
Est-ce que vous avez été informé de l’issue des conversations d’Obersalzberg ?
C’est Zernatto qui m’en parla le premier. Le 11 au soir, avant le départ de Schuschnigg pour Berchtesgaden, j’eus un entretien très poussé avec Schuschnigg et avec Zernatto. Nous tombâmes complètement d’accord quant à l’adjonction de nationaux-socialistes, tels que Jury, Reinthaller, et Fischböck, pour certaines fonctions officielles, mais non pour des postes de ministres. Je n’ai pas abordé la question ministérielle, parce que je n’avais aucune idée de la façon dont Adolf Hitler avait réagi aux propositions que j’avais faites à M. von Papen. Le 13 février, Zernatto m’a convoqué chez lui et m’a fait part du résultat qu’il avait appris, au sujet des entretiens de Berchtesgaden.
Je voudrais, à ce propos, attirer l’attention du Tribunal sur le document n° 48, page 111, dans lequel Zernatto dit ceci : « J’avais l’impression très nette que Seyss-Inquart ignorait le résultat de la conversation et de la teneur de la convention du 32 février ».
Témoin, en vertu de cet accord, vous êtes alors devenu ministre de l’Intérieur et de la Police ?
Oui, le 17 février.
Le 17 février 1938 ; et vous aviez pour mission d’établir et d’améliorer la liaison entre l’Autriche et le Reich ? Avez-vous eu aussi un entretien avec Hitler en personne ?
Oui. L’accord de Berchtesgaden du 12 février contenait la stipulation expresse que je devais être l’agent de liaison entre, d’une part, le Gouvernement autrichien et, d’autre part, les nationaux-socialistes autrichiens et le Reich allemand. Le contenu de ce procès-verbal qu’on m’avait communiqué me parut aussi peu satisfaisant qu’aléatoire. Il n’est pas douteux que ma nomination de ministre de l’Intérieur et de la Sécurité était, pour les nationaux-socialistes autrichiens, la notification, sinon le signal, qu’ils pouvaient compter, dans un temps proche, sur la réalisation de leurs vœux politiques. De plus, ils avaient obtenu l’autorisation de manifester ouvertement leurs convictions politiques, c’est-à-dire qu’ils avaient le droit de porter la Croix gammée et de saluer en levant la main. Mais, ce qui n’était pas permis, c’était l’organisation même, c’est-à-dire que mes amis nationaux-socialistes en Autriche n’avaient aucune possibilité de prendre légalement contact avec les nationaux-socialistes. Par cet accord, les vannes étaient ouvertes, sans qu’on eût songé à endiguer le courant. C’est pourquoi j’ai résolu de me rendre moi-même auprès d’Adolf Hitler afin de m’assurer si mon plan avait ou non son approbation. D’accord avec le Dr Schuschnigg, je suis parti muni d’un passeport diplomatique autrichien.
Quand avez-vous parlé à Hitler ?
Je viens de donner une fausse date. C’est le 16 février que j’ai été nommé ministre et c’est le 17 février que je suis parti pour Berlin. J’ai eu avec Hitler un entretien de plus de deux heures en tête-à-tête.
Le Ministère Public a souligné que j’avais salué Hitler la main levée. C’était permis en vertu de l’accord. Mais je prie le Ministère Public de reconnaître que, à chacune de mes auditions, j’ai déclaré spontanément que j’avais toujours, vis-à-vis de Hitler, insisté sur le fait que j’étais ministre autrichien et, comme tel, responsable vis-à-vis de l’Autriche. A l’issue de cet entretien, j’ai pris des notes au dos d’une lettre, en sténographie. Je les ai dictées à ma secrétaire, à la machine, quelques semaines plus tard et, à l’aide de ces notes, je voudrais rappeler ici la teneur de mon entretien avec Hitler. Mes déclarations...
Témoin, soyez bref, je vous en prie, ne mentionnez que les points essentiels.
Mais c’est précisément ce qui importe le plus, eu égard à mon entière responsabilité :
« La condition préalable, pour le Chancelier fédéral Dr Schuschnigg, est que je me place sur le terrain d’une Autriche autonome et indépendante, ce qui signifie : maintien de la Constitution, poursuite des buts envisagés, y compris le Reich ; libre orientation de la volonté en Autriche, autant que le permet la Constitution actuelle. Il faut que je sois, vis-à-vis du Dr Schuschnigg, la garantie vivante de la voie évolutionniste, dans le sens de ces déclarations (certes, oui.) et non le simple conducteur d’un cheval de Kulturkampf (oui). Pas d’aspiration totalitaire de la part du Parti et du Mouvement, ce qui signifie : réaliser l’idéologie nationale-socialiste en reconnaissant l’état de choses en Autriche et en en tenant compte, sans rien imposer par la violence. Le Parti ne disparaîtra pas d’emblée, c’est une collectivité ; pas de participation interdite ; s’abstenir de tendances hostiles envers l’État ; agir toujours légalement ; emprisonner quiconque y manquera ».
Hitler acquiesça, dans l’ensemble, et me dit : « Les vingt-cinq points importent peu ; il ne s’agit pas de proclamer un dogme ; ce qu’il faut, c’est parvenir à l’idéologie nationale-socialiste, en partant d’un germanisme intégral et de la conception d’une communauté allemande ».
Tel a été, en substance, le sujet de mon entretien avec Adolf Hitler, le 17 février, de midi à 2 h. 10.
Avez-vous...
Autant que j’aie compris le témoin, Monsieur le Président, il vient de dire qu’il a pris des notes sur son entretien avec Hitler et qu’il les a ensuite dictées à sa secrétaire. Je n’ai pu me rendre compte s’il en a donné lecture. Nous n’avons, en outre, jamais eu connaissance de telles notes, et j’estime que cela devrait être dûment mentionné au procès-verbal.
Docteur Steinbauer, l’accusé a-t-il ces notes ?
L’original de ces notes lui a été retiré lors de son arrestation.
Accusé, vous avez entendu ma question. Ces notes sont-elles en votre possession ?
L’original de cette note se trouvait parmi mes dossiers à Vienne. J’ai formulé la requête de faire procéder à des recherches dans mes dossiers pour voir si l’original s’y trouve. Une copie de la note qui se trouvait entre mes mains a été remise par moi, au Ministère Public, lors d’une de mes premières auditions. Elle se trouve dans les dossiers du Ministère Public. Je n’en ai ici que des copies, je n’ai pas l’original.
Une copie suffirait en l’occurrence.
J’en ai mis une copie à la disposition de la Défense.
Je vous l’ai rendue, témoin.
Mais vous pouvez présenter celle-ci.
Présentez-la vous-même, s’il vous plaît. (Le document est remis au Tribunal.)
Voulez-vous lui donner un numéro de dépôt, Docteur Steinbauer ?
Le numéro 61, afin de ne pas confondre avec les autres.
Très bien.
Monsieur le Président, je n’ai pas encore très bien compris, et mes collègues non plus, j’en suis sûr. Nous n’avons jamais eu de copie des notes que l’accusé prétend avoir rédigées lors de sa conférence avec Hitler, ou après. Nous n’avons rien de semblable dans nos archives. Et je voudrais m’assurer s’il prétend maintenant que la copie qu’il présente au Tribunal est une copie de l’original qu’il nous aurait remis selon ses dires.
Accusé, ai-je bien compris que le document que vous venez de remettre à votre avocat est une copie du document que vous prétendez avoir remis au Ministère Public pendant votre interrogatoire, et qui est une traduction des notes sténo-graphiques que vous aviez prises ?
Monsieur le Président, la note originale, je l’ai rédigée dans l’après-midi du 17 février. Quelques semaines plus tard, j’ai dicté à ma secrétaire, à la machine, ces notes prises en sténographie. J’en avais plusieurs copies. Une de ces copies, dont je disposais, a été présentée par mes soins au Ministère Public cet été, au cours d’un interrogatoire. Je viens d’en remettre une deuxième à mon défenseur. Ce sont des copies faites d’après l’original, quelques semaines après l’entretien. L’original se trouvait à Vienne dans mes dossiers secrets.
Très bien.
Peut-être pourrions-nous savoir à qui l’accusé avait remis ces notes, Monsieur le Président ; je voudrais les faire rechercher et faire en sorte qu’elles soient retrouvées.
Savez-vous qui, du Ministère Public, vous a alors interrogé ?
M. Dodd lui-même.
Nous ne les avons pas.
Monsieur le Président, le contenu est conforme à la déclaration volontaire que l’accusé...
Monsieur le Président, j’estime que le fait est assez important pour qu’il soit ici tiré au clair. J’ai le procès-verbal du premier interrogatoire que j’ai fait subir à cet accusé. Il en résulte manifestement qu’il s’est référé à ces notes. Mais il a dit nettement qu’il ne les avait pas, qu’il les avait laissées à Mondorf, avec d’autres documents, dans une serviette de cuir noir. Il m’a demandé d’essayer de mettre la main dessus. J’ai accepté. Mais nous n’avons jamais réussi à les retrouver. Voici le procès-verbal de l’interrogatoire.
Puis-je faire observer que je les ai reçues. J’ai reçu la serviette de cuir noir au Tribunal et la note était dedans. A l’interrogatoire suivant, j’en ai produit la copie.
Continuez, Docteur Steinbauer.
Je ferai remarquer que cela concorde essentiellement avec le document 49, page 113, et que l’accusé, aujourd’hui témoin, a aussi informé Schuschnigg du sujet de cet entretien, ainsi qu’il appert du document n° 65, page 158. Je vous demande maintenant, témoin, si Hitler était d’accord avec vos propositions ?
Il s’est exprimé affirmativement sur beaucoup de points ; sur d’autres, il a douté de l’approbation du Gouvernement autrichien. Mais l’impression générale a été que cette politique lui paraissait réalisable.
On vous a fait en outre grief, à ce sujet, d’avoir, en votre qualité de ministre de l’Intérieur et de la Police, soumis le pouvoir exécutif au contrôle des nazis ?
Je préférerais laisser à l’un de mes témoins, le Dr Scubl, le soin d’exposer cette question. Après la mort de Dollfuss, le Dr Scubl a été le principal homme de confiance du Gouvernement autrichien, et il me fut adjoint comme secrétaire d’Etat et inspecteur général de la Sûreté. Manifestement aussi dans le but de me contrôler. Je n’avais absolument rien à y objecter, et j’étais très satisfait d’avoir un technicien de cette valeur auprès de moi. Je tiens à mentionner brièvement que c’était à Scubl qu’incombait exclusivement l’exécutif. Je n’ai jamais donné d’ordres directement à la Police. Scubl tenait ses directives du Dr Schuschnigg ; c’est ce qui se passa notamment les 10 et 11 mars. Je n’ai pas introduit un seul national-socialiste dans la Police autrichienne.
Bien, cela suffit.
Pourrais-je encore en appeler à l’injonction officielle...
Je désire renvoyer maintenant à deux documents : les numéros 51, 52, aux pages 117 et 119 ; nous passons alors au deuxième livre de documents.
Le premier discours est un discours de l’accusé, en qualité de ministre, à ses agents, et le deuxième discours a été radiodiffusé à Linz. Nous arrivons maintenant aux jours critiques de mars.
Avez-vous été informé du projet de plébiscite de Schuschnigg et par qui ?
La veille du jour où le Dr Schuschnigg annonça à Innsbruck son projet de plébiscite, il me convoqua et m’en donna communication. Je lui ai alors demandé si ce projet était irrévocable. Il me l’a confirmé. Je lui ai exprimé mes craintes que cela puisse provoquer des difficultés. J’y ai cependant adhéré, lui promettant de l’aider dans la mesure du possible, ou à en assurer la réussite, ou à en obtenir un résultat utilisable, c’est-à-dire, pour les nationaux-socialistes également. J’étais avec eux, cela va de soi, en rapports constants puisque j’étais l’homme de liaison. A différentes réunions et au su de Schuschnigg et de Zernatto, j’ai pris la parole et j’ai fait l’exposé des questions traitées avec Hitler et de ce que je lui avais dit. J’ai évité toute possibilité de manifestations et, en qualité de ministre de l’Intérieur, j’ai interdit de telles démonstrations. Je mentionne en outre l’interdiction de toute assemblée que j’ai formulée de même que l’interdiction formelle d’une manifestation à Gratz, ainsi qu’il ressort du questionnaire du témoin Uiberreither.
Est-ce que vous avez eu une approbation quelconque de Schuschnigg ?
Non. Je remarquerai que le soir même, j’ai été abordé par le Dr Jury, qui avait eu vent d’une façon quelconque de ce projet de plébiscite. Je ne lui ai pas dit que j’avais approuvé le Dr Schuschnigg bien qu’en somme je n’eusse pas dû m’imposer cette discrétion, eu égard à ma qualité d’agent de liaison, résultant de l’accord du 12 février ; j’ai été discret.
Monsieur le Président, je pense qu’il serait peut-être temps de suspendre l’audience ?
Très bien, nous suspendons l’audience.
Nous en étions donc arrivés au plébiscite projeté par Schuschnigg. Ce plébiscite a été mentionné et nous en arrivons maintenant au 11 mars. Qu’avez-vous fait ce jour-là au cours de la matinée ?
Je dois observer que la veille, ou deux jours avant, après une conférence avec les nationaux-socialistes autrichiens, j’avais envoyé une lettre du Dr Schuschnigg dans laquelle je lui faisais part de la position que j’avais prise à l’égard de ce plébiscite, et cela déjà dans un sens négatif. La raison essentielle en était l’impossibilité de garantir un processus régulier parce qu’il ne s’agissait pas d’un véritable plébiscite légal dans le sens des lois d’État. De plus, ce plébiscite n’avait pas été décidé par le conseil des ministres, mais par le front patriotique, c’est-à-dire ordonné par le Parti qui en aurait aussi assuré l’exécution. Ma proposition tendait à obtenir un ajournement de ce plébiscite et à faire procéder à des élections normales, avec toutes les garanties légales d’usage en matière d’élections. Le soir du 10 mars, en présence du ministre des Affaires étrangères Schmidt, j’ai eu encore un long entretien avec le Dr Schuschnigg et nous tombâmes d’accord que le Gouvernement aussi bien que les gouvernements des « Länder » devaient être complétés par des nationaux-socialistes, qu’ainsi donc, pratiquement, serait constitué un gouvernement de coalition auquel cas les nationaux-socialistes eux aussi voteraient : oui. Ce n’est qu’au sujet de l’approbation du Parti à une participation qu’il y avait encore des divergences. J’en ai fait part aux nationaux-socialistes autrichiens, mais ils n’y portèrent pas grand intérêt, car, de Berlin, la nouvelle était arrivée que Hitler était opposé au plébiscite. On me dit que je recevrais le lendemain une lettre de Hitler.
Avez-vous reçu cette lettre ?
Oui, j’ai reçu par un courrier une lettre de Hitler. Je crois pouvoir dire avec quelque certitude qu’à cette lettre était joint également un projet de télégramme demandant l’entrée de l’Armée allemande en Autriche. Mais je ne peux pas me rappeler s’il y avait également un projet de discours radiodiffusé.
Et alors, qu’avez-vous fait le matin, après avoir reçu cette lettre ?
Après avoir reçu cette lettre, je me suis rendu chez le Dr Schuschnigg avec le ministre Glaise. A 10 heures, nous étions à la chancellerie et j’ai communiqué franchement au Chancelier Schuschnigg le contenu total de cette lettre. En particulier, j’ai insisté sur le fait que, en cas de refus, Adolf Hitler comptait sur des troubles parmi les nationaux-socialistes autrichiens, et qu’il était prêt, en cas de troubles, à faire irruption en Autriche s’il recevait un appel au secours. J’ai donc attiré tout spécialement l’attention du Chancelier Schuschnigg sur la possibilité d’une telle évolution.
Lui avez-vous demandé une réponse ?
Dans la lettre, on indiquait un délai expirant à midi. Notre entretien ayant duré jusqu’à 11 h. 30 environ, j’ai prié le Chancelier Schuschnigg de me faire parvenir sa décision à 2 heures de l’après-midi. Je sais qu’entre temps, et déjà la veille, il avait fait prendre des mesures de sécurité par l’intermédiaire du Dr Scubl, mesures sur lesquelles je m’étais déclaré d’accord. On a mobilisé quelques classes de l’Armée autrichienne, la Police a été consignée partout, avec interdiction de sortir le soir.
Et que s’est-il passé dans l’après-midi du 11 mars ?
Je suis allé à la chancellerie avec le ministre Glaise à 2 heures de l’après-midi. Nous avons eu d’abord un entretien avec le Dr Schuschnigg. Le Chancelier Schuschnigg a refusé un ajournement de ce plébiscite. Presque au même moment, j’ai été appelé au téléphone. C’était le Feldmarschall Göring qui était à l’appareil. Le texte de cette conversation téléphonique est ici sous le numéro USA-76. Il y eut alors une sorte de surenchère réciproque. Apprenant que le Chancelier Schuschnigg refusait l’ajournement, le Feldmarschall Göring déclara, au nom du Reich, devoir exiger la démission de Schuschnigg, parce qu’il avait rompu l’accord du 12 février, et que le Reich n’avait pas confiance en lui. Le Dr Schuschnigg se déclara alors disposé à ajourner, mais non à démissionner. Là-dessus, le Feldmarschall a non seulement exigé la retraite de Schuschnigg, mais aussi ma nomination au poste de chancelier. Lors d’un entretien avec le Chancelier Schuschnigg à 3 h. 30 de l’après-midi, ce dernier déclara qu’il allait remettre au président fédéral la démission de tout le cabinet. Après cette déclaration, j’ai quitté la chancellerie, car je considérais ma fonction de médiateur dans le sens de l’accord du 12 février comme accomplie et parce que je ne voulais en aucune façon intervenir moi-même pour devenir chancelier fédéral.
Puis-je ici, à ce propos, appeler l’attention du Tribunal sur mon document 58, page 134. Il s’agit d’un extrait des conversations téléphoniques de Göring, au cours desquelles celui-ci demande des explications et où Seyss-Inquart s’exprime sur sa position vis-à-vis de la question Allemagne-Autriche. Il est dit ceci :
« Oui, il est d’avis que l’indépendance de l’Autriche doive subsister. »
Cela s’est bien passé en fin d’après-midi du 11 mars ?
Dans ces conversations téléphoniques il a été également proposé que la formation du Parti, la légion des émigrés, vînt en Autriche. Il ressort de ces mêmes conversations téléphoniques que je ne le voulais pas, et qu’au contraire, avant l’entrée en Autriche d’une formation quelconque, je voulais faire procéder à des élections ou à un plébiscite.
Au cours de l’après-midi, le secrétaire d’État Keppler est venu à Vienne. Il m’a demandé de le mettre au courant. Je suis ensuite retourné à la chancellerie. C’est alors que, de Berlin, je fus de nouveau mis en demeure d’intervenir personnellement auprès du président fédéral pour que je sois nommé chancelier. Je m’y suis toujours refusé.
Et qu’a fait le parti national-socialiste autrichien à ce moment-là ?
Le Parti, en Autriche, a commencé à faire des démonstrations. Les membres du Parti sont descendus dans la rue, ils ont rempli les rues. Étaient-ce uniquement des membres du Parti ou des comparses ? Quoi qu’il en soit, il en résulta une manifestation monstre contre le système et en faveur des nationaux-socialistes.
Quel était l’état d’esprit dans les Länder de la fédération ?
Je n’avais aucune liaison avec ces Länder ; ce n’est que très tard dans la nuit, ou même le lendemain, que j’ai appris que là, plus encore qu’à Vienne, de très grandes manifestations de foules s’étaient produites, qui s’étaient prononcées contre le front patriotique et pour les nationaux-socialistes.
Quels efforts le président Miklas a-t-il tentés pour remédier à cette situation ?
Je ne peux pas dire cela sur la base d’observations personnelles, car jusqu’à 8 heures du soir personne ne m’a absolument chargé de quoi que ce soit. On. ne m’a parlé ni de la fonction de chancelier, ni d’aucune autre possibilité de résoudre la question. J’ai entendu dire que le président voulait nommer chancelier le Dr Ender, du Vorarlberg, et moi vice-chancelier. Je crois que c’eût été là une proposition judicieuse, mais je ne pouvais en discuter, encore moins avec Berlin, parce qu’on ne m’en avait rien dit.
Et lorsque les événements se sont précipités et que Schuschnigg eut donné sa démission, avez-vous composé une liste pour un cabinet ?
Dans la soirée, il était devenu évident que le Chancelier Schuschnigg se retirerait et que le Reich ne tolérerait qu’un gouvernement national-socialiste. C’est pourquoi j’ai considéré comme de mon devoir, pour éviter toute surprise, de réfléchir sur les personnalités à pressentir. Je ferai observer que les propositions mentionnées dans les conversations téléphoniques ne m’ont été nullement transmises. J’ai choisi mes collaborateurs en toute liberté et, bien entendu, après en avoir référé aux nationaux-socialistes autrichiens. Parmi eux, se trouvaient également des gens d’obédience catholique, comme le professeur Mengin, le Dr Wolf et autres...
J’ai demandé au ministre des Affaires étrangères Schmidt de faire partie de notre cabinet. Il m’a demandé pourquoi. Je lui ai répondu que je voulais maintenir une Autriche autonome et indépendante et qu’il me fallait un ministre des Affaires étrangères qui eût des relations avec les Puissances occidentales. Schmidt a refusé en me faisant la remarque que c’était le Chancelier Schuschnigg qui l’avait introduit dans la carrière politique et qu’il resterait fidèle au Chancelier Schuschnigg.
J’aimerais produire à ce sujet quelques documents. Il s’agit du document n° 50, à la page 115, extrait de l’ouvrage de Zernatto sur l’attitude de Seyss-Inquart et de plus, à la page 125, document n° 54, également extrait du livre de Zernatto, où il est dit ceci :
« Seyss-Inquart n’est plus maître de l’évolution. »
Et ensuite, le document n° 62, à la page 149, dans lequel Zernatto mentionne un entretien avec Seyss-Inquart :
« Il me dit que, sur deux points essentiels, il serait intraitable : l’indépendance de l’Autriche, d’une part, et de l’autre, la possibilité pour l’élément conservateur-catholique de se développer librement. »
Nous en venons maintenant à une très importante question. Vous avez alors prononcé un discours radiodiffusé, dans lequel vous vous êtes désigné comme étant ministre, bien que Schuschnigg eût déjà donné sa démission.
La situation était celle-ci : la démission collective du cabinet n’a pas été acceptée par le président, ce qui revient à dire que nous sommes restés ministres, moi y compris. Lorsque le Dr Schuschnigg a prononcé son discours d’adieu, il n’a pas parlé de démission ni de démission collective. Il a simplement dit : « Nous cédons à la violence ». Il avait alors été question, entre le Président Miklas et le Dr Schuschnigg, que je ne serais pas expressément nommé chancelier, mais que le pouvoir exécutif me serait transmis au fur et à mesure de l’entrée des troupes allemandes. J’étais donc de facto à mon avis, ministre de l’Intérieur et des Affaires étrangères.
Le Ministère Public affirme que vous-même auriez exercé une pression sur le Président Miklas à propos de votre nomination ?
Je n’ai pas vu le président Miklas avant 9 ou 10 heures du soir, c’est-à-dire après le discours de Schuschnigg dans lequel il a déclaré : « Nous cédons à la violence ».
Je désirerais produire ce discours du Chancelier Schuschnigg du 11 mars 1938, sous le numéro 53, page 122, dans lequel il déclare :
« Monsieur le président m’a chargé de faire connaître au peuple autrichien que nous cédons devant la force. Ne voulant à aucun prix que le sang allemand coule, même à cette heure décisive, nous avons ordonné à notre Wehrmacht, au cas où l’entrée des troupes allemandes aurait lieu, l’ordre de se retirer sans opposer de résistance et d’attendre la décision au cours des heures qui suivront.
Témoin, le Ministère Public considère également comme une pression le fait que des détachements SS ont été alors appelés à la chancellerie. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?
Je crois que cela s’est produit après le discours d’adieu de Schuschnigg. J’ai vu alors dans les antichambres de dix à quinze jeunes gens en pantalons noirs et chemises blanches ; c’étaient donc des SS. J’avais l’impression qu’ils faisaient fonction de plantons et d’ordonnances au service du secrétaire d’État Keppler et des autres fonctionnaires. Lorsqu’ils se sont approchés des pièces où se tenaient le Chancelier Schuschnigg et le Président Miklas, j’ai fait venir des hommes de la garde autrichienne et je les ai postés en sentinelles devant ces pièces. Je précise que c’étaient des hommes d’élite, d’esprit patriotique et qui, selon nous, étaient supérieurement armés, alors que ces quelque quarante SS n’avaient peut-être que des pistolets. De plus, à cinquante pas de la chancellerie se trouvait la caserne du bataillon de la garde avec quelques centaines d’hommes d’élite bien armés. Si le Président Miklas et le Chancelier Schuschnigg n’avaient eu d’autres soucis que de savoir ce qui se passait dans la chancellerie et dans la rue, ils auraient pu facilement en finir avec cette affaire en alertant le bataillon de la garde.
Le Ministère Public a retenu contre vous un affidavit du Gauleiter de la Haute-Autriche, Eigruber, dans lequel il prétend qu’avant de devenir chancelier, vous aviez déjà ordonné la prise de pouvoir dans les différents Länder fédérés ?
C’est totalement inexact. Le Gauleiter de la Haute-Autriche ne prétend pas, d’ailleurs, m’avoir parlé. Je crois qu’il a dit simplement avoir reçu un télégramme signé de moi. Or, je n’ai envoyé ni télégramme, ni ordre verbal à qui que ce soit, et n’ai ordonné à aucun Gauleiter de prendre le pouvoir.
Plus tard, Globocznik m’a informé qu’il avait réalisé la prise du pouvoir. Il m’a dit cela dans les termes suivants :
« Vous savez, j’ai pris le pouvoir pour vous, et j’ai joué au Gouvernement, mais je ne vous ai rien dit car vous vous y seriez opposé. »
Parce que, dites-vous, vous vous y seriez opposé. Mais, entre temps, l’entrée en Autriche s’était effectuée, telle qu’elle a été décrite par l’accusé Göring. La population y était-elle opposée, était-elle contre cette entrée ? Quelle est votre opinion ?
On ne peut pas dire qu’il s’agissait d’une entrée, c’était un défilé des troupes allemandes parmi les acclamations de la foule. Il n’y a pas eu de village — même avec une population foncièrement catholique — où elles n’eussent été accueillies avec un enthousiasme délirant, et aucun quartier ouvrier où il n’en ait pas été de même. De plus, Schuschnigg, et moi étions complètement d’accord à ce sujet. Auparavant, en 1937, nous étions tombés d’accord quand j’avais dit que l’entrée des troupes allemandes en Autriche ne pourrait être entravée par autre chose que par les ovations de la population.
Je voudrais, à ce propos, attirer votre attention sur le document 37, à la page 86. Il s’agit d’une citation extraite de l’ouvrage de Sumner Welles, The Time for Décision.
Il reproduit une conversation entre le ministre des Affaires étrangères italien, le comte Ciano, et lui et voici ce qu’il dit :
« Avant l’occupation de l’Autriche, le Dr Schuschnigg s’est rendu à Rome. Il a reconnu ouvertement que, en cas d’occupation de l’Autriche par l’Allemagne, la majorité des Autrichiens feraient chorus et que les Autrichiens se joindraient comme un seul homme à l’Allemagne pour la lutte contre l’Italie, au cas où l’Italie enverrait des troupes contre l’Autriche en vue d’empêcher l’occupation. »
Nous passons maintenant, témoin, au jour suivant, au 12 mars. N’avez-vous pas eu à cette date une conversation téléphonique avec Hitler ?
Oui, c’est moi qui ai appelé le Führer au téléphone, et cela remonte à l’entrée des troupes en Autriche. J’ai omis de mentionner que la veille, à 7 heures, les négociations avaient soudain cessé. Tout le monde était dans l’attente. A 7 heures et demie, le secrétaire d’État Scubl vint annoncer que l’entrée des troupes allemandes avait effectivement commencé, d’après une information donnée par un poste-frontière. D’ailleurs, le Feldmarschall Göring l’avait déjà annoncé à plusieurs reprises. Persuadé qu’il en était ainsi, Schuschnigg a alors prononcé son discours d’adieu. Dès lors, le régime de front patriotique n’avait plus de raison d’être. Et je le déclare expressément, jusque là, je n’ai rien fait qui pût favoriser d’une façon quelconque la prise du contrôle en Autriche ou, plus exactement, la ratification du régime national-socialiste et la prise du pouvoir. Ce que j’ai pratiqué, c’est uniquement la médiation, dans le sens du traité du 12 février. Et, dès l’instant où le régime du front patriotique a dû abdiquer, je me suis considéré comme ayant la responsabilité d’agir et d’intervenir. J’ai d’abord prononcé un discours radiodiffusé, mais non dans le sens qui m’avait été prescrit dans la matinée. Car je n’ai pas parlé d’un gouvernement provisoire, mais me suis désigné comme ministre de l’Intérieur. Et ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai installé les SA et les SS comme police auxiliaire, et comme Schuschnigg, j’ai donné l’ordre de ne pas opposer de résistance à l’entrée des troupes. Par la suite, j’ai été nommé chancelier et mon ministère a été accepté. La même nuit, j’ai ramené le Dr Schuschnigg chez lui dans ma voiture, parce que je craignais qu’il ne lui arrivât quelque chose, tout au plus de la part de provocateurs, et j’ai prié le Dr Keppler d’insister auprès du Führer pour que l’entrée des troupes n’ait pas lieu. Le maréchal Göring s’est déjà exprimé ici à ce sujet. Dans la matinée, j’ai téléphoné une fois de plus au Führer et, l’ayant rencontré à l’aérodrome de Linz, alors que l’occupation était en pleine voie d’exécution, je lui ai demandé s’il ne serait pas possible que des troupes autrichiennes pénétrassent également en Allemagne, afin que, au moins symboliquement, l’égalité de droits fût sauvegardée. Le Führer y a consenti et, de fait, des formations autrichiennes sont entrées à Munich, à Berlin, et à d’autres endroits, en uniformes autrichiens.
Et comment vous êtes-vous représenté l’évolution ultérieure de la situation en votre qualité de nouveau chancelier ?
Le régime du front patriotique s’étant écroulé, je ne pouvais plus donner suite à mon intention de constituer un gouvernement de coalition. Il était pour moi de toute évidence qu’un gouvernement national-socialiste à forte tendance catholique devait prendre la direction des affaires, non sous la forme d’un Anschluss immédiat, mais, après des élections et un plébiscite, au moyen d’une union économique et tout au plus d’une union militaire avec le Reich allemand.
Monsieur le Président, j’aimerais à ce propos présenter un document de la plus haute importance, qui donne un aspect tout nouveau de l’origine de la loi sur l’Anschluss. C’est la déclaration sous serment de l’ancien secrétaire d’État à l’Intérieur, le Dr Stuckhardt, qui est détenu ici en prison. Je verse ce document au dossier, et je voudrais faire constater, en résumant, ce qui suit...
Où est ce document ?
Il n’est pas dans le livre de documents, parce qu’il ne m’est parvenu qu’ultérieurement et les traductions ne sont pas encore achevées. J’ai produit l’original au Tribunal. Je désire seulement, afin de prouver la connection, citer ce qu’a dit le témoin . . .
Vous lui donnez un numéro, n’est-ce pas ?
Oui, le numéro 92. Le témoin y dit :
« Peut-être Hitler deviendra-t-il président d’Autriche. Il ajoute qu’il a reçu de Frick, mission d’élaborer une loi en conséquence et qu’il a été soudainement appelé à Linz. »
Un instant, je vous prie, Docteur Steinbauer.
Au sujet de l’affaire de Hollande se trouvent également quelques affidavits qui ne sont pas encore parvenus ou viennent seulement d’arriver. Peut-être est-il plus opportun de ne présenter ces documents que lorsqu’ils auront été traduits.
Le Ministère Public aura aussi cet affidavit ?
Il l’a déjà, Monsieur le Président. Si vous me permettez de continuer, voici ce qu’il dit : il a été chargé à l’improviste, par Hitler à Linz, de préparer un projet de loi tendant à l’Anschluss direct et total, l’Autriche devant devenir un « Land » du Reich allemand, en quelque sorte comme la Bavière et les autres Länder. Conformément à l’ordre reçu, il s’est rendu à Vienne en avion après avoir élaboré ce projet et l’a présenté aux ministres réunis, en vue de l’adoption.
Je vais maintenant prouver, par la production de trois documents, l’impression que l’Anschluss a produite sur la population : en premier lieu, le numéro 30. Il décrit la fête organisée à l’occasion de la réception du Führer par le peuple de Vienne sur la plus grande place de la capitale, la Heldenplatz. A cette occasion, le 15 mars, le témoin a salué le Führer et lui a dit ceci :
« Ce qui a été l’objet d’une lutte de plusieurs siècles d’Histoire allemande, ce pourquoi d’innombrables millions d’Allemands, parmi les meilleurs, ont versé leur sang et fait le sacrifice de leur vie, ce qui a été le but suprême d’une lutte ardente, ce qui fut aux plus durs instants le dernier espoir, s’est aujourd’hui accompli : la Marche de l’Est a retrouvé sa patrie ! »
Hitler a alors donné l’ordre que la loi d’Anschluss soit sanctionnée par un plébiscite de la population autrichienne. Le résultat de ce vote a été porté à la connaissance du Tribunal par d’autres documents déjà présentés. Je me réfère seulement, en outre, à la position prise par les évêques catholiques — c’est le document n° 32, page 73 — et par le président fédéral d’alors, le Dr Karl Renner, vis-à-vis du plébiscite, le document n° 33, page 76. Quant à l’attitude des autres puissances à l’égard de l’Anschluss, je ferai citer le témoin Schmidt qui, certes, en sa qualité de ministre des Affaires étrangères, était qualifié. Je n’ai plus qu’un document à produire : c’est le document n° 38, page 89. C’est le discours aux Communes de l’ancien Président Chamberlain qui, interpellé sur l’Anschluss, a dit ceci :
« Rien n’aurait arrêté cet acte de la part de l’Allemagne, à moins que nous et d’autres, eussions été prêts à employer la force, afin de l’empêcher. »
Donc, l’Autriche est rattachée, elle est devenue une partie du Reich Grand Allemand, Seyss-Inquart est chancelier. Je vous demande ceci : êtes-vous resté chancelier ou avez-vous occupé une autre fonction officielle après la prise du pouvoir ?
Lorsque dans la nuit du 13 j’ai annoncé au Führer la loi sur l’Anschluss, j’en ai profité pour discuter immédiatement trois questions. Ce ne fut certes pas facile, car le Führer était très ému, et il pleurait. J’ai d’abord demandé qu’on accordât une indépendance relative au parti autrichien et qu’un Autrichien restât chef du Parti et, d’autre part, que l’Autriche obtînt une certaine indépendance, du point de vue administratif. A ma première requête, le Führer a répondu : « C’est possible ». A la deuxième, il a dit : « Oui, il y aura un Reichstatthalter ». Je me suis levé et j’ai alors prié le Führer de me laisser revenir à ma profession d’avocat. En troisième lieu, j’ai demandé que l’injuste taux du change de deux shillings pour un mark fût porté à un mark et demi. Le Führer l’a accepté. Le 15 mars, à l’occasion de la manifestation que je viens de mentionner, le Führer a donné au speaker de la radio l’ordre d’annoncer : « Vous allez entendre le Reichstatthalter Seyss-Inquart ». Ce fut en quelque sorte la première nouvelle de ma nomination de Reichstatthalter. Je l’ai donc été jusqu’à la fin du mois d’avril 1939.
Qui a été le véritable dirigeant de la politique en Autriche ?
C’est Bürckel qui a été envoyé immédiatement en Autriche avec la mission de réorganiser le Parti et de faire les préparatifs en vue du plébiscite. Cette immixtion de Bürckel et de ses collaborateurs, ainsi que différents projets trahissant une complète ignorance de la question et opposés aux conceptions autrichiennes, m’ont incité, le 8 avril, en présence de Bürckel, à faire remarquer au Führer les inconvénients de cette façon de procéder, et il a dit alors devant moi à Bürckel : « Bürckel, vous ne devez pas faire cela ; autrement, la joie éprouvée par les Autrichiens se transformerait en lassitude envers le Reich ».
Néanmoins, quelques semaines plus tard, Bürckel est devenu commissaire du Reich au Rattachement. Il a contrôlé le Parti, l’ensemble de la politique et de la propagande, y compris la politique envers l’Église, il avait, dans le domaine administratif, le droit de me donner des instructions.
Vous savez que le Ministère Public vous reproche la politique pratiquée en Autriche ultérieurement à l’Anschluss. Le premier reproche formulé est que, relativement à la question juive, vous auriez participé à ce traitement lamentable de la population juive ou que vous en seriez responsable. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?
Je ne peux nullement le nier, car dans mon ressort, en tant que chef de l’administration civile, j’ai pris des décrets qui touchaient cette question. Le problème juif, en soi, c’est Bürckel qui a voulu s’en charger et qui, dans un document produit ici, en fait une affaire concernant le rattachement.
Permettez-moi, à ce sujet, d’en référer à deux documents. L’un est le numéro 64, un décret, page 154. C’est le décret du Führer relatif à la nomination de Bürckel en tant que commissaire du Reich pour la réintégration de l’Autriche au Reich. J’attire spécialement l’attention sur l’article IV qui accorde à Bürckel, à rencontre du témoin, un droit de commandement étendu. Le second document est le numéro 67, page 163, déjà versé au dossier ; c’est le PS-2237. De ce volumineux document, je ne veux retenir qu’une chose : c’est que l’accusé n’a rien eu à voir, particulièrement en novembre 1936, avec le règlement de la question juive. Quant au comportement de l’accusé lui-même, une preuve m’en est fournie par un affidavit qui m’a été envoyé spontanément d’Australie. C’est le numéro 70, à la page 175. Le point de vue du Tribunal m’est bien connu, selon lequel le fait que tel ou tel accusé produit des lettres de Juifs, ne constitue pas une preuve d’importance, conformément au proverbe : « Une hirondelle ne fait pas le printemps ». Mais la raison pour laquelle je produis ce document se trouve au paragraphe 12, page 4, où le témoin, le Dr Walter Stricker, originaire d’une famille juive de Linz, très considérée, dit ceci :
« Après mon départ d’Autriche, j’ai entendu parler d’autres familles auxquelles le Dr Seyss-Inquart a porté aide de la même façon, et appris qu’en mai 1938, lorsque les persécutions étaient particulièrement acharnées, il protesta auprès du Gauleiter Bürckel. »
Il en résulte indubitablement que l’accusé n’a pas participé à cette politique radicale.
Témoin, vous savez, par l’exposé des charges du Ministère Public, qu’on vous reproche d’avoir pratiqué un double jeu. Quelle fut l’attitude du Parti à votre égard après l’Anschluss ?
Je sais que ce reproche est élevé et a été élevé contre moi. Il m’a été adressé également par les milieux radicaux du Parti et j’avoue franchement qu’il n’y a rien d’inexplicable à cela. J’ai fait la tentative de réunir deux groupes qui, ainsi que l’Histoire l’a prouvé, ne pouvaient être réunis. Il est évident que les ailes radicales de ces deux groupes devaient, étant donné l’impossibilité d’une telle réalisation, en arriver à se dire que celui qui en faisait l’essai ne pouvait honnêtement y croire. Mais il y a autre chose de plus important. La solution qui a été donnée à la question autrichienne n’était certes pas ma solution, mais précisément celle des radicaux du Parti et, à partir du 11 mars 1938, à 8 heures du soir, je l’ai simplement subie. En conséquence, rien n’est plus aisé que de dire que j’avais d’avance préparé cette solution et y avais participé, mais cela est faux. Ce n’est qu’à 8 heures du soir, après le désistement de Schuschnigg et du front patriotique, que je me suis placé sur ce terrain, car, du point de vue d’une politique réaliste, on ne pouvait faire autre chose. Il n’y avait plus d’autre puissance politique en Autriche que celle du national-socialisme, ou alors c’eût été la guerre civile. Moi-même, j’ai accueilli avec joie la loi sur l’Anschluss, et ma décision a été décisive pour tous mes collaborateurs. Le 13 mars, j’ai évidemment salué ce moment.
Il eût pu s’agir de savoir tout au plus si l’on pouvait éprouver quelques scrupules quant à la réalisation ; c’est une question que je me suis posée. En ce qui concerne la politique extérieure, je n’avais pas de scrupules à avoir, d’après toutes les informations que j’avais. La pièce devait être jouée dans le calme. Au point de vue de la politique intérieure, jamais il n’y avait eu un tel enthousiasme en Autriche. J’avais conscience que jamais un homme d’État autrichien ou un responsable n’avait eu derrière lui l’ensemble de la population comme je l’avais. Cela aussi était favorable et utile, car en réalité, c’est le Reich qui eût gouverné, et dans ces conditions, il était préférable qu’il en portât aussi la responsabilité à l’égard des autres Puissances.
L’accusé Kaltenbrunner m’a dît qu’à cette époque Heydrich faisait surveiller chacun de vos pas. Cela est-il exact ?
Parmi les gens qui se méfiaient de nous — c’est-à-dire de Kaltenbrunner et de moi — il fallait compter tout d’abord Heydrich. A la fin de 1937, il a rédigé un rapport secret qui m’a été communiqué plus tard. Il y disait que la solution de la question autrichienne dans le sens du Parti était inévitable, que le seul obstacle pouvait être la politique du conseiller d’État Seyss-Inquart, car il était susceptible de créer quelque chose comme un national-socialisme autrichien. Après l’Anschluss, on m’a gratifié de ce qu’on appelait un « Begleitkommando », une suite dont la tâche consistait simplement à rapporter à Heydrich tous mes faits et gestes. J’ai pu aussi peu m’y opposer qu’au fait que comme ministre de la Sécurité en Autriche, mes conversations téléphoniques étaient également écoutées.
Dites-moi, après avoir joué, soi-disant, un rôle prépondérant dans cette affaire, quelle récompense avez-vous obtenue ? Vous a-t-on fait cadeau de quelque terre ou d’une indemnité de quelques centaines de mille Mark ? Avez-vous reçu quelque chose de ce genre ?
Non ; d’ailleurs tout cela n’entrait pas en ligne de compte. Ma récompense résidait dans le fait que j’avais participé à la création de la plus Grande Allemagne.
Je vous pose une question concrète : n’avez-vous jamais reçu quoi que ce soit ?
Non. A mon cinquantième anniversaire...
On vous a décerné un titre ?
Vous faites allusion au titre de GruppenFührer SS ? Le 15 mars, j’ai été nommé Gruppenfuhrer SS, à titre honorifique ; je tiens à signaler que, d’une façon générale, je ne l’ai pas sollicité. Je n’ai pas subi d’épreuves, ni rien de ce genre. En général, ce titre honorifique n’implique pas l’appartenance aux SS. Il ne confère aucune attribution de commandement ou de pouvoir disciplinaire. Je l’ai appris lorsque je me suis plaint de Bürckel auprès de Himmler — la lettre est déposée au dossier — et lorsque j’ai porté plainte contre lui. Himmler m’a répondu qu’il n’avait aucun pouvoir disciplinaire sur Bürckel, car celui-ci n’était membre des SS qu’à titre honorifique. Moi-même, je n’ai...
Je crois que cela suffit.
Docteur Steinbauer, si j’ai bien compris, l’accusé a dit qu’il avait reçu un poste subalterne pour faire des rapports à Heydrich. En quoi consistait ce poste subalterne ? L’avez-vous dit ?
Heydrich a fait un rapport secret contre moi. Non, pardon, Heydrich a créé un « Begleitkommando »...
Vous avez dit qu’en 1937, Heydrich avait fait un rapport secret sur l’Autriche dans lequel il disait que, sous réserve de la politique pratiquée par Seyss-Inquart, la solution était inévitable. N’était-ce pas la teneur essentielle ?
Je n’ai pas tout à fait compris.
Et j’ai compris après que vous aviez obtenu un poste subalterne, pour faire des rapports à Heydrich.
Non, Heydrich a envoyé quatre ou cinq de ses hommes auprès de moi, pour « m’accompagner » ; c’était une sorte de garde protectrice, et ces gardes avaient ordre de rapporter à Heydrich tout ce que je faisais.
Bien, je dois avoir mal compris la traduction.
Je puis donc dire, en résumé, qu’en dehors de votre nomination de Gruppenführer SS, vous n’avez été l’objet d’aucune distinction, exception faite de la promesse d’être nommé ministre du Reich dans le délai d’un an. Est-ce exact ?
Cette promesse m’a été faite à la fin d’avril 1938. Je reviens maintenant à une question du contre-interrogatoire du Reichsmarschall. Avant le 13 mars 1938, je n’ai pas reçu la moindre promesse du Reich pour quoi que ce soit, et je n’étais soumis à aucune obligation envers lui que ce soit à l’intérieur du Reich ni lié par aucun ordre.
Je clos donc le chapitre Autriche et vais maintenant effleurer brièvement la question de la Tchécoslovaquie.
On vous a reproché, en citant un télégramme de félicitations de Henlein au Führer, d’avoir participé activement à l’Anschluss de la Tchécoslovaquie ?
En ce qui concerne septembre 1938, je n’y ai participé d’aucune autre façon qu’en accueillant, en qualité de Reichstatthalter d’Autriche, les réfugiés qui affluaient des régions frontalières, que j’ai logés et dont j’ai assuré la subsistance en Autriche. J’ai connu personnellement Henlein et quelques autres dirigeants, sans me mêler à leur politique et sans connaître autrement leurs rapports avec le Reich.
Que pouvez-vous dire en ce qui concerne la Slovaquie ?
Les relations entre Vienne et Bratislava étaient déjà excellentes sous l’ancienne monarchie autrichienne. Moi-même, j’avais des parents à Bratislava. Nous nous connaissions donc, aussi bien les Slovaques que les Allemands. Nous connaissions en particulier les plaintes formulées par les Slovaques, qui voulaient que les promesses faites à Pittsburg n’eussent pas été tenues, et qu’ils n’eussent pas obtenu l’autonomie complète de la Tchécoslovaquie.
Le père Hlinka était le champion d’une autonomie totale, et on l’honore en Slovaquie comme un saint. Les trois quarts, au moins, de la population slovaque étaient derrière lui et il luttait pour l’indépendance à l’égard du Parlement de Prague et pour la langue d’État slovaque. Après le mois de mars 1938, ou, plus exactement, après le mois de septembre 1938, j’ai fait la connaissance de quelques politiciens slovaques, Sidor, le Dr Tiso, le Dr Churchansky et peut-être d’autres. Le Führer lui-même m’a demandé une fois de lui fournir des informations sur la situation en Slovaquie et de lui faire un rapport. J’ai chargé deux de mes collaborateurs, qui y avaient d’excellentes relations personnelles, de réunir tous les éléments nécessaires. En mars 1939, j’ai eu des conversations avec Sidor et le Dr Tiso, lorsqu’ils ont voulu s’entretenir avec moi de l’évolution possible de la situation entre Berlin et Prague et des conséquences éventuelles qui en découleraient pour la Slovaquie. C’est du moins ce que m’ont dit mes collaborateurs, qui m’avaient invité. Au cours de ces entretiens, il a été question de la possibilité d’un conflit Prague-Berlin, ainsi que du souci de l’intégrité du territoire slovaque, parce que le danger était à craindre que les Hongrois, et aussi les Polonais, ne profitassent d’une telle occasion pour occuper des parties du territoire slovaque. Ces messieurs voulaient obtenir des assurances sur les intentions de Berlin ; ils voulaient savoir comment ils devaient procéder pour maintenir l’intégrité de leur pays. Je me suis expliqué très franchement avec eux, mais non dans le sens d’une invitation à se déclarer indépendants, cette décision leur appartenant, mais en examinant la question de savoir s’il y avait des différends, des conflits d’intérêts entre la Slovaquie et l’Allemagne, et nous avons constaté que ce n’était pas le cas.
Je désirerais, à ce sujet, me référer à deux documents. L’un porte le numéro 71, et figure à la page 181 ; il y est fait allusion au traité de Pittsburg. Le second porte le numéro 72, a la page 183, et a été produit au Ministère Publie sous le numéro US-112, comme preuve de collusion entre l’accusé et les éléments slovaques. Témoin, je vous présente ce document ; vous le connaissez bien. C’est un rapport du vicomte Halifax du 21 mars 1939, qui était alors avec vous à Bratislava. Y étiez-vous présent ?
A cette occasion, le secrétaire d’État Keppler fut envoyé de Berlin à Vienne avec mission de poser quelques questions au Gouvernement slovaque, parce que Bürckel et moi avions refusé de nous en charger. C’est une des rares circonstances où je suis tombé d’accord avec Bürckel.
Comme chef de l’administration territoriale, il m’incombait de préparer la visite à Pressburg et il fut décidé que le secrétaire d’État Keppler se rendrait à Pressburg dans ma voiture. Bürckel et moi avons accompagné Keppler. Aucun général de la Wehrmacht allemande n’était présent ; d’ailleurs il n’y avait personne de la Wehrmacht. Le procès-verbal de cet entretien doit être exact.
Dans le document il est dit : « ... et cinq généraux allemands ».
C’est faux.
C’est faux. J’attire l’attention du Tribunal sur le fait que le ministre slovaque Sidor aussi bien que le futur président Monseigneur Tiso, tous deux d’accord, déclarent dans ce document n’avoir négocié qu’avec Bürckel. Le nom de Seyss-Inquart n’est même pas mentionné.
En résumé, je suis donc bien habilité à dire que, en ce qui concerne la Tchécoslovaquie ou la Slovaquie, aucun grief, dans le sens des chefs d’accusation, ne saurait vous être imputé ?
Je ne crois pas, en tout cas, en poursuivant la défense des intérêts du Reich allemand, avoir dépassé les limites admises dans de tels cas, lorsqu’il ne s’agit que de défendre les intérêts fondés en droit. Je n’ai en aucune façon participé, le 12 mars, lorsque le Dr Tiso .. .
Je vous remercie, cela suffit. En 1939, le 1er mai 1939, vous êtes devenu ministre sans portefeuille. Est-ce exact ?
Oui.
Avez-vous jamais assisté à une réunion du cabinet ou à une séance du Conseil secret de défense ?
Il ne s’en tenait plus.
Avez-vous exercé une influence quelconque sur la décision d’assaillir la Pologne ?
En aucune manière.
Lorsque la guerre a effectivement commencé contre la Pologne, avez-vous d’une façon quelconque fait connaître à Hitler votre pensée à ce sujet ?
Dans la deuxième semaine de septembre, j’ai envoyé une lettre à Hitler. J’espère que cette lettre, elle aussi, est parmi mes dossiers de Vienne. J’ai lu une copie de cette lettre il y a environ un an et demi et le contenu en est encore bien présent à ma mémoire. J’ai attiré l’attention de Hitler sur le fait qu’il ne régnait aucun enthousiasme parmi le peuple allemand, mais au contraire, la plus sérieuse crainte qu’il ne s’agisse d’une lutte à mort. J’ai donné libre cours à mon opinion selon laquelle la guerre ne mènerait à aucune solution sur le plan militaire, mais que le conflit devait être réglé sur le plan politique et que la base d’une telle solution était une alliance avec l’Union Soviétique, alliance qui, si possible, devait être complétée par une convention militaire ; ce faisant, il fallait tenir compte du fait que l’Union Soviétique ne renoncerait jamais à ses intérêts dans les Balkans, tout comme les Russes et la Russie tsariste, et que le panslavisme, lui aussi, jouait un rôle et que, par conséquent, avec les questions tchèques et polonaises, il fallait tenir compte de la Russie. J’ai considéré comme indispensable de maintenir absolument la ceinture d’États neutres. Alors, dans le secteur très étroit du front occidental, la guerre s’arrêterait d’elle-même ; par contre, la politique italienne ne devait pas être pratiquée aux frais de l’Allemagne, et il fallait, au contraire, arriver à une entente avec la Grèce et la Turquie. L’Angleterre ne pouvait être réduite à merci ni par la guerre aérienne, ni par la guerre sous-marine : il fallait attaquer les positions britanniques en Méditerranée pour forcer l’Angleterre à conclure la paix,
Avez-vous reçu une réponse du Führer à ce sujet ?
Non, je n’ai pas eu de réponse directe. Mais, dans une conversation, il a fait une fois une remarque qui faisait ressortir clairement qu’il avait eu ma lettre entre les mains. Il m’a dit : « Mais, je ne tiens pas du tout à détruire l’Empire britannique », ce qui laissait entendre, toutefois, qu’il avait mal compris ma lettre.
Monsieur le Président, je pense que, si le Tribunal est d’accord, on pourrait suspendre maintenant l’audience.