CENT CINQUANTE-DEUXIÈME JOURNÉE.
Mardi 11 juin 1946.
Audience de l’après-midi.
(L’accusé Seyss-Inquart est à la barre des témoins.)Vous avez installé, dans les grandes villes et dans les provinces des Pays-Bas, des agents qui vous étaient directement subordonnés et auxquels vous avez donné des pleins pouvoirs. Ces agents n’étaient-ils pas des membres de la NSDAP ?
Puis-je vous prier de me dire ce que vous entendez par « agents » ? J’avais dans les provinces et dans les grandes villes des représentants allemands. Voulez-vous parler des Allemands ou des Néerlandais ?
Non, je veux parler de « Beauftragte » (délégués).
C’étaient des Allemands et je suppose qu’ils étaient tous du parti national-socialiste. Je n’en suis pas certain, mais c’est tout à fait possible. Je crois d’ailleurs que c’était le cas.
Eh bien, pour vous rafraîchir la mémoire, prenez donc le document PS-997 que je vous ai fait remettre ce matin, page 9 dans le texte français et allemand.
J’indique au Tribunal que ce matin je lui ai donné une référence inexacte. Ce document a été annoncé sous le numéro USA-708 ; c’est RF-122.
En haut de la page 9 vous écrivez : « La nomination de délégués a été prévue pour les provinces qui disposent d’une large autonomie administrative. La création de ces postes a été retardée car il fallait d’abord examiner la situation. On a reconnu maintenant que ces délégués devaient être moins des fonctionnaires que des hommes ayant une expérience politique. Nous avons donc demandé au Reichsleiter Bormann (État-Major Hess) par l’intermédiaire du Reichsamtsleiter Schmidt, des hommes venant presque tous du Parti. Ils sont actuellement en route et pourront être mis en fonctions dans les provinces dans quelques jours ». C’est bien cela, n’est-ce pas ?
Parfaitement, et cela confirme mon affirmation, suivant laquelle ils n’étaient pas tous membres du Parti.
C’est entendu, mais je conteste également qu’ils avaient été spécialement choisis.
Je n’avais pas besoin de bureaucrates d’administration, mais d’hommes qui connaissaient la vie politique et non pas la politique de parti. Oui, c’étaient des hommes ayant une expérience politique.
Sur quelle base avez-vous organisé les assemblées municipales et régionales ?
Monsieur Debenest, il semble au Tribunal — je ne sais pas si nous avons raison — qu’il serait peut-être préférable que vous marquiez une pause après chaque phrase et non après chaque mot.
Oui, Monsieur le Président.
Puis-je vous demander ce que vous entendez par assemblées municipales et régionales ? Nous appelons « assemblée » un corps constitué. Je n’ai pas institué de corps constitués pour diriger l’administration, mais des individus.
Mais aux Pays-Bas, dans les communes, il y avait une assemblée municipale ; appelez-la, si vous voulez, conseil municipal. Dans les provinces, une assemblée provinciale, ce que vous appelez conseil de province.
Je vous remercie, j’ai compris votre question. Les représentations provinciales et communales qui existaient auparavant ont été dissoutes par moi en 1941. Dans une ordonnance destinée aux communes et promulguée par moi, j’ai prévu des conseils de cette nature, mais je ne les ai jamais institués effectivement parce que la population néerlandaise ne collaborait pas et que, par conséquent, ces conseils municipaux eussent été des institutions purement fictives. Cette disposition de mon ordonnance sur les communes n’est jamais entrée en vigueur.
Mais sur quelle base cette ordonnance prévoyait-elle la réorganisation ?
Je ne peux pas me rappeler une base précise. Je suppose qu’elle est précisée dans la loi ; si toutefois elle a été prévue.
Eh bien, je vais vous poser la question d’une autre façon ; peut-être pourrez-vous y répondre. Avez-vous introduit, par vos ordonnances, le principe du chef ?
Parfaitement. J’ai appelé cela la « Einmann-Verantwortung », la responsabilité d’un seul homme, et je suis d’avis, qu’en temps de crise, la responsabilité individuelle est toujours une bonne chose.
Alors, il s’agit bien là du système appliqué en Allemagne ?
C’est exact ; ce n’était peut-être pas exactement le même, mais étant donné les circonstances, je le considérais comme bon. Je répète ma déclaration d’hier : nous avons commis une erreur ; l’erreur de considérer que l’autorité exercée par la puissance d’occupation était meilleure que celle que nous avons trouvée à notre arrivée.
L’introduction de ce principe avait une importance particulière ?
Évidemment, je devais avoir une idée précise. Il fallait avant tout que j’aie dans ces districts un homme qui fût responsable devant moi de l’administration, et non pas la majorité anonyme d’un corps représentatif.
Je vous fais remettre le document F-861 que je dépose sous le numéro RF-1524. Au dernier paragraphe, vous verrez l’importance qu’on y a attachée dans le Reich. C’est une lettre du ministre de l’Intérieur du Reich en date du 6 septembre 1941. Il est écrit : « Une importance particulière doit être accordée à l’ordonnance d’exécution parce qu’elle contient des précisions sur l’introduction du principe du chef dans l’administration communale néerlandaise. »
Oui, le ministre de l’Intérieur s’intéressait à cette mesure. Je voudrais simplement faire remarquer à ce sujet que le ministre de l’Intérieur n’a exercé aucune influence dans ce domaine, et d’autre part, que des pouvoirs plus étendus avaient été accordés en 1941 à au moins 80% des maires de communes ; ces maires étaient issus des partis démocratiques, et ils étaient par conséquent mes adversaires politiques.
Monsieur Debenest, n’avez-vous pas établi en posant ces questions au témoin, le fait qu’il a modifié, dans une mesure considérable, la forme du Gouvernement aux Pays-Bas, et qu’il y a introduit une forme de gouvernement différente. N’est-ce pas là tout ce qu’il vous faut pour développer l’argument qui est le vôtre ? Il semble que les détails ne soient pas tellement importants.
Je voulais simplement démontrer, Monsieur le Président, que contrairement à ce qu’a dit l’accusé il a cherché à imposer le système national-socialiste au peuple hollandais.
Oui, mais je pense qu’il l’a reconnu dans une large mesure. Il vient de dire qu’il avait institué ce qu’il appelle la responsabilité individuelle, ce qui n’est qu’une façon différente de désigner le « Principe du chef » et qu’il avait dissout différents organismes du Gouvernement néerlandais. Ce que je veux vous dire c’est simplement que, puisque ces faits ont été reconnus dans leurs grandes lignes, il est inutile d’entrer dans le détail et de considérer dans quelles proportions le Gouvernement néerlandais a été touché et de quelle manière il a été remplacé. Tout cela ne figure-t-il pas déjà dans un document présenté par l’accusé, le document PS-997 ?
A peu près, mais pas complètement.
La seule question est de savoir si ces détails sont vraiment très importants pour le Tribunal.
Je croyais que ces détails pouvaient avoir une certaine importance puisque les dirigeants du Reich eux-mêmes en attachaient une très grande et qu’en réalité tout cela faisait partie d’un plan qui était bien arrêté.
Le Tribunal est enclin à penser que vous avez déjà reçu toutes les réponses nécessaires à la démonstration que vous entendez faire. S’il y a des détails particuliers qui vous semblent importants pour le Tribunal, il va de soi que vous pouvez en faire état.
Dans quel but avez-vous centralisé la Police dans un directoire de police ?
Je répète encore une fois ce que j’ai déjà dit hier : la Police néerlandaise dépendant de trois ou quatre organismes : le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Justice et, je crois, le ministère de l’Armée également. Je considérais que dans l’intérêt d’une administration judicieuse de la Police, il était nécessaire de réunir ces différents organismes policiers en un seul et de les subordonner au ministère de la Justice.
N’avez-vous pas mis à la tête de cette Police comme directeur général un national-socialiste ?
Oui.
En somme, le but que vous poursuivez n’était-il pas de mettre les Pays-Bas aux mains de la NSDAP et par conséquent d’adapter l’organisation intérieure des Pays-Bas à celle du Reich ; en un mot, de faire ce que vous avez fait en quelque sorte en Autriche ?
Je ne crois pas qu’on puisse dire cela. D’abord la politique de la NSB n’était pas celle de la NSDAP. Elle s’en distinguait de plusieurs manières. Ensuite, si j’avais voulu le faire, j’aurais pu nommer M.Mussert président du conseil, c’eût été plus simple. Cela s’explique simplement par le fait que j’ai peut-être utilisé d’une façon un peu schématique l’exemple du Reich pour créer aux Pays-Bas, en partie du moins, une administration qui me permette d’assurer la sécurité et le bon ordre. J’ai simplement prétendu hier que je n’avais forcé aucun Néerlandais à devenir national-socialiste. Je n’ai pas contesté qu’une certaine coordination avait été entreprise à la suite des erreurs que j’ai reconnues à plusieurs reprises.
Mais vous avez mis des membres de la NSB dans toutes les organisations administratives ? Dans des postes supérieurs ?
Pas exclusivement, mais je l’ai fait, car, en dernière analyse, je ne pouvais avoir confiance qu’en ceux-là ; tous les autres sabotaient mes ordonnances.
Vous avez parlé hier au Tribunal de la révocation des magistrats à la Cour de Leeuwarden. Voulez-vous à nouveau préciser les causes de cette révocation.
Ce n’étaient pas les magistrats mais les présidents de Tribunal. Le tribunal de province de Leeuwarden avait déclaré dans un jugement public que les Néerlandais qui étaient condamnés par les tribunaux néerlandais et entraient dans les prisons néerlandaises seraient envoyés dans des camps de concentration allemands, où ils seraient maltraités et exécutés. Ce tribunal ne se trouvait donc plus en mesure de condamner un Néerlandais. Cette déclaration du tribunal était fausse à mon avis. Je ne pense pas que les Néerlandais qui se trouvaient dans des prisons néerlandaises aient été envoyés dans des camps de concentration allemands pour y être exécutés. Entre temps, je tirai cette question au clair à la suite d’un rapport des juges d’Amsterdam, et je fis demander au tribunal de Leeuwarden par le secrétaire général à la Justice, de poursuivre son activité. Le tribunal de Leeuwarden s’y est refusé et, en conséquence, je l’ai dissous.
Eh bien, j’ai en mains le document « Le jugement ou l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Leeuwarden » et il n’est nullement question que les Néerlandais soient envoyés dans des camps de concentration pour être torturés ou massacrés. Il est simplement question que les magistrats de cette cour ne veulent pas que les détenus soient envoyés dans des camps de concentration à l’expiration de leur peine. Je vous fais remettre l’original. Vous pouvez vérifier. Ce document a été déposé déjà sous le numéro RF-931.
Je n’ai pas reçu la traduction allemande de ce document, ni l’original allemand.
Je vais vous lire le jugement sous le contrôle de la traduction. Vous pourrez donc rectifier : « Considérant que la Cour désire tenir compte du fait que depuis quelque temps diverses peines de détention infligées par les juges néerlandais sont contraires à l’intention du législateur et que les peines prononcées ont été exécutées d’une manière qui les aggrave à tel point qu’il est impossible au juge même qui prononce la peine de prévoir ou se faire une représentation même approximative... »
Pourquoi ne résumez-vous pas le document au témoin ? Vous pouvez indiquer le résultat du jugement.
Mais volontiers, Monsieur le Président, certainement. Ce jugement précise que les juges ne veulent plus condamner qu’à une peine donnant la détention définitive.
Avez-vous entendu la question, témoin ?
Oui, Monsieur le Président, mais pourquoi ne veulent-ils pas juger ? Pourquoi ne veulent-ils pas juger ? J’ai eu entre les mains la traduction allemande, et c’est sur cette traduction que je me suis basé, car je ne me rappelais plus la teneur de ce jugement ; je l’ai lu ici et je me souviens qu’il y était dit que ces détenus néerlandais seraient mis dans des camps de concentration allemands, qu’ils y seraient torturés et exécutés.
Cela n’apparaît pas dans le jugement que nous avons devant nous ; il n’est pas du tout question de cela.
C’est l’accusé qui prétend précisément que les juges ne veulent plus prononcer de tels jugements de façon que les gens ne soient pas envoyés dans des camps pour être exécutés ou tortures. Il n’est pas question du tout de cela dans le jugement. Il est simplement question que le tribunal ne veut pas prononcer de peine qui entraîne l’envoi des condamnés dans des camps de concentration, et je ne vois pas qu’il y ait dans ce jugement l’injure que semblait y voir l’accusé à sa personne.
J’ai maintenant le texte allemand et il dit : « Le tribunal désire tenir compte du fait que depuis un certain temps, certaines peines de prison ont été prononcées par les tribunaux et que ses criminels néerlandais du sexe masculin, contrairement aux prescriptions légales et contrairement aux intentions du juge et du législateur, ont été ou sont exécutés dans des camps d’une façon telle que la peine... » etc.
Ce sont les camps de concentration dont voulaient parler le tribunal. Cela se rapporte au fait que des détenus ont été extraits des prisons néerlandaises pour être mis dans des camps de concentration allemands.
Continuez, Monsieur Debenest.
Dans l’enseignement, n’avez-vous pas apporté des modifications profondes ?
J’ai institué une surveillance du plan d’études dans les écoles et exercé une influence sur la nomination des instituteurs, et notamment dans les institutions d’enseignement privé, très nombreuses dans les Pays-Bas ; les deux tiers des établissements d’enseignement des Pays-Bas étaient d’ordre privé ;
j’ai été forcé de le faire parce que dans ces écoles l’enseignement donné aux élèves était de tendance nettement anti-allemande. La surveillance était exercée par le ministère de l’Instruction publique néerlandais.
Vous avez ainsi empêché un grand nombre d’ecclésiastiques d’enseigner ?
Je ne crois pas. J’ai ordonné ou donné mon accord pour que soit ordonné que les ecclésiastiques ne soient pas directeurs d’école. En ce qui concerne le personnel enseignant religieux, j’ai donné mon accord pour que leurs appointements soient réduits d’un tiers. Ils ont pu continuer à enseigner avec les deux tiers de leur traitement, et avec l’argent ainsi économisé j’ai pu engager 4.000 jeunes instituteurs sans emploi.
A propos des instituteurs, n’avez-vous pas créé une école spéciale d’instituteurs ?
Non. Je pense que vous voulez parler des cours institués à Amersfoort pour ceux qui s’y présentaient volontairement.
Non ; je veux parler des instituteurs qui étaient obligés d’aller faire un stage de quelques mois en Allemagne avant leur nomination.
Je ne m’en souviens pas. Il s’agit peut-être d’instituteurs ou de professeurs chargés d’enseigner la langue allemande dans les écoles néerlandaises ? Là, il est bien possible que j’aie exigé qu’ils fissent au préalable un certain temps de stage en Allemagne pour être nommés.
Vous avez d’ailleurs rendu obligatoire l’étude de la langue allemande dans certaines classes ?
Dans la 7e classe, ainsi que dans la 8e , que j’avais instituée ; mais en même temps j’ai également fait renforcer l’enseignement de la langue néerlandaise afin de montrer par là que je ne voulais pas germaniser les Néerlandais mais simplement leur donner la possibilité d’apprendre l’allemand.
Mais cette possibilité, ils l’avaient déjà. On enseignait en même temps l’allemand, l’anglais et le français. Vous avez imposé l’enseignement de la langue allemande aux dépens des deux autres langues étrangères.
J’ai parlé des écoles élémentaires où l’enseignement de l’allemand n’avait pas encore été introduit. Il est possible que dans les écoles moyennes, dans les lycées, l’enseignement de l’allemand ait été renforcé au détriment du français et de l’anglais.
N’avez-vous pas ordonné la fermeture de plusieurs universités, et pourquoi ?
Je ne me souviens que de la fermeture de l’université de Leyde. Lorsqu’à la suite d’une de mes ordonnances, les professeurs juifs de cette institution eurent été licenciés, les étudiants de l’université de Leyde ont fait une grève prolongée, à la suite de quoi je l’ai fait fermer. Je ne me souviens pas d’avoir fermé une autre université que celle-là. L’université catholique de Nimègue et l’université calviniste d’Amsterdam ont, si j’ai bonne mémoire, cessé d’elles-mêmes leur activité.
Et l’école polytechnique de Delft ? Vous n’avez pas ordonné sa fermeture non plus ?
Oui, c’était une mesure temporaire ; elle a été rouverte par la suite, si j’ai bonne mémoire.
Et bien, et l’école supérieure catholique de commerce de Tilburg ?
Je ne m’en souviens pas.
C’était en 1943.
Je ne m’en souviens pas. Mais il est fort possible que pour une raison ou pour une autre elle ait été fermée. C’est vraisemblablement parce que l’enseignement qui s’y donnait paraissait mettre en danger les intérêts de la puissance d’occupation.
Est-il vraiment nécessaire d’entrer dans les détails. Si l’accusé dit qu’il a fermé une école sans en donner de raison valable, cela n’est-il pas suffisant pour développer votre argumentation ?
Certainement, Monsieur le Président. (Au témoin.) Cette école, ou plutôt cette université, à Leyde, vous avez tenté par la suite d’en faire une université nationale-socialiste ?
Si vous entendez par là la nomination de deux ou trois professeurs sur les 100 ou 50 professeurs, je répondrai oui. Je ne me souviens pas que d’autres mesures aient été prises. On m’a un jour suggéré l’idée de créer à Leyde une université où des étudiants allemands et néerlandais pourraient poursuivre des études qui seraient reconnues en Allemagne. Mais ce projet n’a jamais été réalisé.
Enfin vous reconnaissez que vous avez eu l’intention de créer cette école ?
Intention est peut-être trop dire ; on en a discuté l’idée. On avait eu une autre idée encore : nous avions aux Pays-Bas, dans l’Armée allemande, de nombreux étudiants des universités qui n’avaient pas pu, bien entendu, poursuivre leurs études. On avait envisagé, à l’époque, de faire des cours à l’université de Leyde destinés à ces étudiants, incorporés dans la Wehrmacht, cours qui devaient en quelque sorte leur permettre de poursuivre leurs études.
Je vais vous remettre un document, F-803, que je dépose sous le numéro RF-1525. Vous verrez, c’est un rapport du ministère de l’Éducation nationale des Pays-Bas, page 23 du texte français, page 16 du texte allemand. Je lirai le passage : « Des tentatives ont été faites pour faire de l’université de Leyde une université nationale-socialiste en y nommant des professeurs nationaux-socialistes ; cependant, ces tentatives ont échoué à la suite de l’attitude ferme des professeurs et des étudiants. Les professeurs ont même... »
Est-ce à la page 15 ?
C’est à la page 23 du texte français, au dernier paragraphe.
Qu’est-ce que c’est, Monsieur Debenest ?
C’est F-803.
Je ne vous demande pas le numéro du document ; je vous demande de quoi il parle.
J’ai indiqué au Tribunal qu’il s’agissait d’un rapport du ministère de l’Éducation des Pays-Bas.
A-t-il été nommé par l’accusé, ou était-il en fonctions avant la guerre ?
C’est le ministre actuel de l’Éducation nationale. Je me permets d’indiquer au Tribunal que je suis peut-être obligé d’entrer dans les détails, car lorsque l’Accusation française a été développée ici nous n’avions pas tous ces documents et le Gouvernement des Pays-Bas tient à ce que ces faits soient développés dans la mesure du possible. C’est ce que j’explique aujourd’hui ; je produis des documents émanant du Gouvernement hollandais.
C’est à la page 23 ?
A la page 23 du texte français, sixième ligne avant la fin du dernier paragraphe.
Oui.
« Des tentatives ont été faites pour faire de l’université de Leyde une université nationale-socialiste en y nommant des professeurs nationaux-socialistes. Cependant ces tentatives ont échoué à la suite de l’attitude ferme des professeurs et des étudiants. Les professeurs ont même présenté leur démission collective au mois de mai 1942, mais comme il n’y eut aucune réaction, ils l’ont présentée une seconde fois au mois de septembre de la même année. »
L’accusé a déjà dit cela ; vous parlez bien de l’université de Leyde ?
Oui, Monsieur le Président. Je crois que l’accusé, si j’ai bien compris, a dit qu’il avait été question de la création d’une école avec direction nationale-socialiste à Leyde, mas qu’il n’avait pas mis ce projet à exécution. Or, il résulte de ce document que ce n’est pas le fait de sa volonté mais le fait de l’attitude du personnel enseignant. C’était simplement ce que je voulais signaler.
Puis-je faire une remarque à ce sujet ?
Certainement.
La tentative de faire de Leyde une université nationale-socialiste apparaît seulement dans ce document ; personnellement, je m’en tiens à ma déclaration, c’est-à-dire que j’ai nommé deux ou au plus trois professeurs nationaux-socialistes. Cela ne suffisait pas à faire de cette université une université nationale-socialiste, mais ce document montre clairement quelle a été mon attitude. Je n’ai absolument rien fait à la suite de la démission collective des professeurs. La seconde manifestation n’eut pas plus de suites. S’il y a eu des arrestations par la suite, c’est simplement que certains professeurs nous étaient suspects pour d’autres motifs ; ils furent envoyés à Michelsgestel. C’était le camp de concentration où les détenus jouaient au golf.
En somme, c’est une coïncidence ?
Non, je ne veux pas le prétendre. Il est certain qu’après la deuxième manifestation, nous avons un peu surveillé ces messieurs.
N’avez-vous pas pris des mesures pour astreindre les étudiants au travail obligatoire ?
Je ne crois pas, du moins pendant la durée de leurs études ; car j’avais expressément arrêté des mesures d’exception en faveur de tous les étudiants. Je sais que les élèves des écoles professionnelles supérieures ont été exemptés. De même, les étudiants des universités en cours d’études et ceux qui avaient rempli les conditions requises pour y être admis n’ont pas non plus été astreints au travail obligatoire, autant que je m’en souvienne.
Eh bien, je vais vous donner rapidement lecture du paragraphe II de votre ordonnance. C’est l’ordonnance du 11 mars 1943, n° 27 :
« Tout étudiant qui, après l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, aura subi avec succès, dans un des enseignements énumérés au paragraphe I, soit un examen de fin d’études, soit un des examens déclarés équivalents par décision du Secrétaire général du ministère de l’Éducation, des sciences et de l’administration culturelle, est contraint de travailler pendant une période déterminée dans le cadre du travail obligatoire. »
C’est bien là votre ordonnance ?
Y parle-t-on du service du travail ?
Je n’ai pas le texte allemand. C’est l’ordonnance 27.
L’ordonnance 27 ? Pourrais-je vous prier de m’indiquer le paragraphe ?
Paragraphe 2.
C’est exact, il est dit :
« Les étudiants qui ont subi avec succès leur examen de fin d’études », c’est-à-dire qui ont terminé leurs études, leurs camarades du même âge avaient — comme je l’ai déjà dit hier — été convoqués entre temps pour le service de la main-d’œuvre et les étudiants ainsi favorisés devaient donc rattraper leur temps de service du travail, mais leurs études ne furent ni interrompues ni dérangées.
Par conséquent, les étudiants ont pu librement poursuivre leurs études ?
Je ne me souviens pas qu’on y ait apporté aucun empêchement.
Bon, veuillez regarder l’arrêté suivant n° 28. C’est un arrêté du Secrétaire général Van Damm. Ce arrête impose aux étudiants une déclaration de loyalisme.
Oui, c’est exact.
Quelles en ont été les conséquences ?
Je ne comprends pas comment elle a pu avoir des conséquences. Les universités étaient des centres d’activité anti-allemande. J’ai demandé aux étudiants d’observer les lois en vigueur dans les territoires occupés des Pays-Bas, de s’abstenir de toute activité dirigée contre l’Allemagne, la Wehrmacht ou les autorités néerlandaises, et de ne pas troubler l’ordre public dans les universités. Je ne comprends pas pourquoi un étudiant n’aurait pas pu signer cette déclaration. Ceux qui l’ont fait pouvaient continuer leurs études sans aucune difficulté, mais les professeurs néerlandais, désireux de saboter, leur refusèrent l’enseignement.
Alors, ceux qui n’ont pas souscrit à cette déclaration, que sont-ils devenus ?
Ils ont cessé d’être étudiants et lorsqu’ils appartenaient aux classes que j’avais convoquées pour le service du travail, ils ont été mobilisés dans le service du travail obligatoire.
Bon. N’avez-vous pas appliqué aux universités le système du « Führerprinzip » ?
Je ne crois pas que cela ait été fait d’une façon aussi stricte que dans les administrations communales, mais j’ai donné des pouvoirs plus étendus au recteur de l’université parce que je lui imposais des responsabilités plus grandes.
Très bien. Une certaine propagande nationale-socialiste n’a-t-elle pas eu lieu dans les écoles ?
Je crois qu’on n’aurait pas pu l’empêcher entièrement.
Les élèves, notamment, n’ont-ils pas dû visiter des expositions, assister à des conférences organisées par le Parti ou même par les services du Reich ?
Je ne sais pas, mais c’est bien possible.
En somme, vous êtes intervenu dans le domaine administratif, dans le domaine de l’enseignement, et vous êtes également intervenu, et toujours dans le même sens, dans la vie culturelle du peuple néerlandais ?
Parfaitement, dans la mesure où je l’ai précisé hier.
Vous avez en effet créé différentes chambres professionnelles, nous avez-vous dit ?
Oui.
Vous avez prétendu que l’admission dans ces chambres professionnelles n’était pas obligatoire et que vous n’aviez jamais imposé aux adhérents le paiement de leur cotisation.
Ce n’est pas exact. Il était obligatoire d’appartenir aux chambres professionnelles. Je suis d’ailleurs persuadé que les présidents de ces chambres exigeaient de leurs membres le paiement de leurs cotisations. J’ai refusé de conclure, du fait que l’un des membres n’avait pas payé ses cotisations, à son exclusion de la chambre professionnelle, et par là, de sa profession, ou au recouvrement des cotisations par voie de droit.
Mais, cependant, n’avez-vous pas le souvenir de difficultés qui se sont élevées à ce sujet avec le corps médical.
Je pensais précisément au corps médical. Certains milieux voulaient que les membres qui ne payaient pas leurs cotisations fussent exclus de la profession ou que ces cotisations fussent tout au moins recouvrées par voie de droit. J’ai dit à ces messieurs que, s’il ne leur était pas possible de persuader leurs membres de payer leurs cotisations, je ne le leur imposerai pas par la force.
Mais quels étaient ces milieux ?
Si vous vouliez me le dire, peut-être gagnerions-nous du temps ?
N’était-ce pas le NSB, par exemple ?
Mais à quel propos, je vous prie ?
N’aviez-vous pas dit vous-même que certains milieux avaient exigé le paiement de cotisations. Je vous demande quels milieux.
Vous voulez dire : lesquels de mes amis ou de mes collaborateurs ont insisté auprès de moi pour le paiement des cotisations ? Je ne comprends pas très bien le sens de la question que vous me posez.
Je vous demande simplement de préciser ce que vous entendez par « milieux ». C’est vous-même qui avez employé ce mot, à moins qu’il m’ait été mal transmis.
Milieux ?...
Monsieur Debenest, le Tribunal pense que vous prenez vraiment trop de temps pour tous ces détails. Nous avons passé tout l’après-midi à passer en revue les diverses mesures introduites par l’accusé aux Pays-Bas. Nous savons parfaitement, et il l’a reconnu, qu’il avait modifié tout l’appareil de l’administration des Pays-Bas.
N’avez-vous pas également participé à la persécution des Églises ?
Je ne sais pas si l’on peut considérer les mesures que j’ai prises comme constituant une persécution des Églises. J’ai pris des mesures relatives aux Églises.
Quelles mesures notamment ?
Je crois que la mesure que vous devez considérer comme la plus grave est la confiscation de différents couvents néerlandais et le fait qu’un de ces couvents ait été transformé en école allemande et le bâtiment de l’église abattu.
Vous avez prétendu hier que les prêtres ou un prêtre tout au moins, pouvaient visiter les camps de concentration. Est-ce exact ?
Non, je n’ai pas dit cela. J’ai simplement dit que dans le camp de rassemblement de Juifs de Westerborg, il y avait des Juifs de religion catholique et protestante qui, le dimanche, recevaient la visite d’un ecclésiastique venu de l’extérieur. Je ne crois pas que dans les camps de concentration dirigés par la Police allemande, on permettait aux ecclésiastiques de faire des visites ou d’entrer dans les camps.
Une question simplement, en ce qui concerne la presse. La presse a-t-elle conservé pendant l’occupation une certaine liberté ? Je dis une « certaine liberté ».
A mon avis, beaucoup trop peu de liberté. La presse était placée sous le contrôle assez sévère du ministère de la Propagande. Les rédacteurs étaient engagés sur avis favorable du ministère de la Propagande néerlandaise. Je crois qu’il est tout à fait compréhensible de la part d’une puissance occupante de ne prendre, pour un organe aussi important que la presse, que des gens dont l’attitude est positive ; mais j’aurais voulu quant à moi, qu’on leur donnât par la suite une plus grande liberté d’expression et je crois pouvoir dire que dans la mesure où j’ai pu exercer mon influence, cela s’est produit. Mais le Commissaire du Reich aux Pays-Bas lui-même n’était pas tout puissant.
Est-ce qu’il n’y a pas eu des mesures de représailles exercées contre certains journaux ?
Je ne sais pas exactement...
Nous pourrions aller un peu plus vite. Vous attendez trop longtemps entre la question et la réponse.
Je suis obligé de réfléchir d’abord à l’objet de la question. Quand on me pose à l’improviste des questions portant sur une activité de cinq ans, j’ai vraiment besoin de réfléchir aux détails de chaque cas particulier. Je peux évidemment dire non tout de suite, mais je suis sûr que ma réponse sera fausse.
Pour ce qui est de la question des représailles, je sais qu’une fois à La Haye on a fait sauter le bureau de la rédaction d’un journal ; c’est une mesure qu’avait prise la Police de sûreté ; il s’agissait du siège d’un groupe de propagande illégal.
Hier, vous avez parlé de la stérilisation des Juifs en Hollande. Qui a introduit cette mesure ?
Si vous dites « introduire », alors je pense pouvoir répondre à cette question avec exactitude. La Police de sûreté m’avait informé qu’un certain nombre de Juifs se faisaient stériliser par des médecins juifs et qu’elle avait, à la suite de cela, dispensé ces Juifs de toutes les mesures de restriction et du port de l’étoile juive. Il ne s’agissait pas de Juifs qui devaient par ailleurs être évacués, mais de ceux qui avaient dû rester sous certaines conditions aux Pays-Bas. Je chargeai le chef de ma section sanitaire d’examiner la question. Il m’informa que cette intervention était chez les femmes une opération grave. Sur ce, je demandai au chef supérieur des SS et de la Police de mettre fin à ce genre d’opération en ce qui concernait les femmes. Je reçus ensuite une protestation des Églises chrétiennes. Je leur répondis — je présume que la lettre figure dans votre dossier — en exposant les faits et en soulignant clairement qu’il n’était pas question d’user de contrainte. Ce fut tout. Comme je l’ai entendu dire, les Églises chrétiennes mirent les Juifs au courant de ma réponse et dès que ceux-ci furent assurés de ne pas subir de contrainte, ils ne se soumirent plus à l’opération. Je rendis même aux Juifs leurs biens. Ainsi se terminait l’affaire. Cependant, je dois dire aujourd’hui que, plus on s’éloigne de l’époque où elle eut lieu, moins on la comprend.
Mais est-ce vous qui avez eu l’idée de cette stérilisation ?
Non, le rapport m’en a été fait par la Police de sûreté.
C’est bien ; je vous soumettrai maintenant un document n° PS-3594 que je présente au Tribunal sous le numéro RF-1526. Il s’agit d’une déclaration faite sous serment par Hildegard Kunze, employée de l’Office central de la sûreté du Reich. Je lis le troisième paragraphe :
« Je me souviens que dans ce rapport, à moins que ce ne soit dans un autre, il — c’est-à-dire Seyss-Inquart — « suggérait de faire stériliser tous les Juifs autorisés par faveur spéciale à rester aux Pays-Bas. »
II s’agissait donc de services de Police ?
II s’agit ici de la fidélité de mémoire d’une sténodactylo, qui, en outre, n’affirme nullement l’identité du rapport imputé au paragraphe 3 et de celui qu’elle mentionnait au deuxième. Elle ne peut avoir vu un rapport de moi où j’aurais fait une telle proposition. La chose m’avait été annoncée par la Police de sûreté comme une mesure accomplie. C’est-à-dire comme une chose déjà accomplie, une chose en voie d’accomplissement.
Vous affirmez donc que ce n’est pas vous qui l’avez proposée, mais la Police ; mais, vous, vous l’avez quand même tolérée ?
J’ai toléré pendant quelque temps cette mesure à l’égard des Juifs du sexe masculin, c’est exact ; j’avais reçu l’assurance qu’aucune pression n’était exercée sur ces Juifs sous forme de menaces ni de représailles.
L’audience est suspendue pour 10 minutes.
Accusé, prétendez-vous que vous n’avez contraint personne à aller travailler en Allemagne ?
Au contraire, je crois que j’ai obligé environ 250.000 Hollandais à aller travailler en Allemagne. Je l’ai déjà dit hier.
C’est parfait alors, je ne veux pas m’étendre sur ce point. N’avez-vous pas introduit également certaines dispositions législatives en matière de nationalité ?
Vous voulez dire de nationalité des Hollandais ?
Certainement.
Oui, parfaitement.
Avez-vous participé à l’arrestation, à l’internement et à la déportation dans des camps de concentration en Allemagne de sujets hollandais, et comment ?
Me permettrez-vous de donner une brève explication sur cette question de nationalité ?
Certainement.
D’assez nombreux Hollandais s’étaient engagés dans les Waffen SS et le Führer avait l’intention de leur accorder la nationalité allemande. Ils auraient ainsi perdu la nationalité néerlandaise, ce qu’ils ne voulaient certainement pas. En conséquence, j’ai pris un décret suivant lequel l’acquisition de la nationalité allemande ne faisait pas perdre la nationalité néerlandaise pendant un an, délai pendant lequel l’intéressé pourrait prendre une décision. Ceci pour expliquer les motifs et le but de cet arrêté.
Je pose donc à nouveau la question que je vous ai posée tout à l’heure ; avez-vous participé à l’arrestation, à l’internement et à la déportation dans des camps de concentration de sujets hollandais, et dans quelles conditions ?
Le fait de mettre et de détenir une personne quelconque dans un camp de concentration est uniquement du ressort de la Police. Je ne me souviens pas d’un seul cas dans lequel j’aurais demandé à la Police d’emmener un sujet hollandais dans un camp de concentration allemand. Il est possible que j’aie demandé à la Police allemande d’emmener des Hollandais à Hertogenbosch ou à Amersfoort. En particulier à l’époque où les tribunaux néerlandais rendaient à l’égard des trafiquants du marché noir et des gens qui pratiquaient l’abattage clandestin des sentences trop douces, j’ai demandé qu’ils soient mis dans un camp de concentration pour deux ou trois mois.
Mais si vous avez en vue des cas précis, interrogez-moi, vous pouvez être certain que je vous répondrai dans toute la mesure où je me souviendrai.
Non, votre réponse me suffit. Avez-vous participé à la prise des otages et à leur exécution ?
J’ai dit hier que je ne me souvenais que d’un seul cas d’otages et que cela se passait en 1942 ; je vous ai dit dans quelle mesure j’y avais pris part. Ce que l’on a appelé les exécutions d’otages qui ont eu lieu à partir de juillet 1944, n’étaient pas des exécutions d’otages ; c’étaient des exécutions dont la Police avait été chargée par un ordre du Führer. Moi-même je n’ai jamais donné un seul ordre d’exécution individuelle. Mais je répète que, quand, par exemple, j’attirais l’attention de la Police sur un certain endroit de la Hollande en lui disant qu’un mouvement illégal de résistance s’y faisait remarquer et que je la chargeais d’étudier le cas, il est évident qu’elle pouvait arrêter des chefs de la résistance et des gens qui, sur la base de l’ordre donné par le Führer, pouvaient être exécutés. Mais je le répète : je devais m’acquitter de mes responsabilités, même dans la situation extrêmement difficile qui faisait que les coupables — je veux dire coupables au point de vue de la loi, et non moralement, car moralement j’aurais probablement agi comme eux — que les coupables ne passaient pas devant un tribunal.
En ce qui concerne les faits que vous avez signalés hier, il s’agit d’otages qui ont été fusillés à la suite d’un attentat sur la voie ferrée à Rotterdam ?
Oui.
Qui a désigné ces otages ?
Ils furent désignés par la Police de sûreté. Le chef supérieur des SS et de la Police m’en présenta la liste. Ainsi que je l’ai dit hier, je lui ai demandé pourquoi il avait précisément choisi ces personnes. Il m’expliqua pourquoi et, en revoyant la liste, je biffai les noms des pères de plusieurs enfants. En rendant la liste au chef de la Police, je le priai de tenir compte de mon point de vue dans l’exécution de ce décret ; de sorte que, par mon intervention, des pères de plusieurs enfants ne furent pas fusillés.
Combien d’otages ont été ainsi désignés ?
Je ne m’en souviens plus aujourd’hui. Il y en avait peut-être douze ou quinze. Il en est resté cinq. C’est le nombre auquel nous avons pu descendre, à partir du premier chiffre de 50 ou 25.
Je vais vous faire remettre un document sur la prise de ces otages. C’est le document F-886, qui devient RF-1527. C’est une déclaration du général Christiansen ou plutôt c’est une copie d’une déclaration du général Christiansen, extraite d’un affidavit du chef de la Délégation hollandaise. Voulez-vous prendre le quatrième paragraphe avant la fin de la première déclaration ?
Avez-vous l’original ?
Monsieur le Président, je signalais à l’instant que ce n’était qu’une copie d’une déclaration qui est extraite de l’affidavit du chef de la Délégation hollandaise. Mais nous pouvons, si le Tribunal l’exige, lui faire remettre l’original dès que nous l’aurons reçu.
Monsieur Debenest, il me semble qu’aucun certificat n’identifie cette copie.
Je croyais, Monsieur le Président, qu’il y avait un affidavit du représentant du Gouvernement hollandais à Nuremberg... Sur l’original... Je m’excuse, il n’a pas été reproduit, c’est exact ; mais l’original contient l’affidavit.
Que vous proposiez-vous de prouver au moyen de cet affidavit ? Y est-il question des otages ?
Mais certainement, Monsieur le Président. Il est même dit que c’est l’accusé qui a désigné lui-même les otages.
Au cours de quelle procédure a été établie cette déclaration sous serment ?
Monsieur le Président, c’est au cours de la procédure qui fut suivie dans les Pays-Bas contre le général Christiansen.
Comment ce document vous paraît-il recevable au point de vue du Statut ?
Monsieur le Président, je crois que nous avons déjà présenté des documents de ce genre en copies au Tribunal, en copies certifiées comme étant celles d’un original détenu dans le pays d’où il émane.
Si l’original à partir duquel votre copie est établie constitue un document recevable au titre du Statut, cela serait probablement possible, à condition qu’elle soit accompagnée d’un certificat d’authenticité établissant que c’est la copie d’un document admissible aux termes du Statut. Mais ce document est-il admissible aux termes du Statut ?
Monsieur le Président, je crois qu’il est recevable parce qu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’un affidavit et il s’agit d’un affidavit qui a été reçu dans des conditions régulières aux Pays-Bas.
Et vous n’en avez pas une version allemande ?
Si, Monsieur le Président. Ce document a été traduit en allemand. Je l’ai fait traduire en allemand.
Monsieur Debenest ce document semble être rédigé en hollandais et le général Christiansen qui a déposé était Allemand, n’est-ce pas ?
Non, Monsieur le Président ; l’affidavit déposé comme original est bien en langue hollandaise.
L’original est en hollandais ?
En hollandais, oui. Ce sont les renseignements que j’ai. L’original est bien en langue hollandaise.
Et en quelle langue la déposition a-t-elle été faite ?
En langue hollandaise, avec traducteurs.
Oui, mais suivant quelle procédure ? Devant quelle Cour, par exemple ?
Je crois que c’est devant un tribunal militaire hollandais. Oui, devant un tribunal militaire hollandais.
Plaise au Tribunal...
Oui, Monsieur Dubost.
Ce document est extrait d’une procédure criminelle établie aux Pays-Bas contre le général Christiansen, à la requête du Gouvernement des Pays-Bas. Le ministre de la Justice des Pays-Bas nous a fait parvenir un extrait du procès-verbal qui a été recueilli aux Pays-Bas, dans les formes légales, dans la poursuite exercée contre le général Christiansen. Le texte a été établi par conséquent en langue hollandaise.
Cet affidavit est établi en hollandais. Le général Christiansen est-il Hollandais ?
Le général Christiansen est un Allemand.
S’il est allemand, pourquoi sa déposition serait-elle en hollandais, et si sa déposition n’a pas été faite en hollandais, pourquoi n’en avons-nous pas le texte allemand ? Nous avons ici un certificat du colonel qui doit représenter le Gouvernement hollandais, certificat attestant que le document est une copie authentique de la déposition du général Christiansen. Le document que nous avons est en hollandais, et si le général Christiansen a déposé en allemand, cela ne peut constituer une véritable copie de sa déposition et dépend de la traduction hollandaise. Qu’avez-vous à dire à cela ?
La déposition du général Christiansen a été reçue par l’intermédiaire d’un interprète, conformément aux règles de la procédure hollandaise, et transcrite en hollandais. Il n’est pas possible devant un tribunal hollandais de recevoir les procès-verbaux dans une langue étrangère. Les procès-verbaux sont établis dans la langue hollandaise.
Bien.
Monsieur le Président, puis-je dire quelques mots ? Je sais, parce que je suis en rapports avec le défenseur du général Christiansen, qu’une procédure a été intentée contre lui par un tribunal militaire anglais. J’ai des doutes en ce qui concerne ce document, étant donné qu’il n’est pas certifié conforme et que nous ne savons pas si l’interprète qui a traduit cela de l’allemand en hollandais était compétent. Ceci m’enlève en outre la possibilité, en tant que défenseur, d’entendre le général Christiansen au cours d’un contre-interrogatoire. Il me semble que la simple présentation de ce document limite considérablement les droits de la Défense.
Monsieur le Président, on m’indique que le général Christiansen est actuellement détenu à Arnhem par les autorités hollandaises.
Monsieur Debenest, le Tribunal admettra le document si vous obtenez un certificat du Tribunal qui a jugé le général Christiansen. Mais le certificat que vous avez en ce moment attestant que c’est une copie authentique, provient du colonel van... un nom qu’il m’est difficile de prononcer. Rien ne prouve, en dehors de sa propre affirmation, qu’il est un représentant du Gouvernement hollandais. Nous ne savons pas qui il est.
Certainement, Monsieur le Président ; mais nous nous procurerons l’original ultérieurement pour le remettre au Tribunal.
Bien. Veuillez donc nous soumettre l’original par la suite.
Van... est ici le représentant accrédité du Gouvernement hollandais, auprès de la Délégation française.
Monsieur le Président, je n’ai devant moi qu’une traduction française disant : « Christiansen n’est pas entendu ici comme témoin, mais comme accusé. Il n’est pas tenu de dire la vérité. Il peut raconter ce qu’il veut sans être considéré comme responsable ». Je crois que, pour ce seul motif, le document est à refuser.
Docteur Steinbauer, la raison pour laquelle le Tribunal est disposé à admettre le document quand il sera à sa disposition, est que l’article 21 du Statut stipule que les rapports, y compris les actes et documents, des comités institués par les Gouvernements alliés pour la recherche des crimes de guerre, seront déclarés recevables. C’est pour cette raison que le Tribunal considère ce document comme recevable, à condition toutefois que l’original lui en soit présenté. (A M. Debenest.) Vous allez donc faire en sorte de vous procurer une copie dûment authentifiée de ce document ?
Certainement, Monsieur le Président.
Puis-je commenter ce document ?
Voulez-vous attendre que je vous lise moi-même la partie sur laquelle je vais m’appuyer. C’est à la page 4 du texte français, le quatrième paragraphe avant la fin de la première déclaration, deuxième paragraphe de la page :
« Je crois me souvenir qu’à ce moment déjà Seyss-Inquart avait dit que cinq otages seraient fusillés. Je ne connaissais personne parmi les otages. Je n’ai pas désigné ces cinq hommes et je ne me suis pas occupé du tout de l’exécution. C’était une affaire de nature purement politique à laquelle j’ai été mêlé en tant que commandant militaire. »
Vous pouvez prendre position maintenant si vous le désirez.
Cette explication du général Christiansen, qu’il donne non comme témoin mais comme accusé, représente absolument mon point de vue. Au début du rapport, le général Christiansen dit que le maréchal Rundstedt et l’OKW lui ont donné l’ordre, par l’intermédiaire de son supérieur, de prendre des otages. Il dit en outre que, par son service juridique, il a fait publier une proclamation aux termes de laquelle les otages répondaient sur leur vie des nouveaux actes de sabotage. Il déclare que des sabotages se sont en effet produits à nouveau et qu’il s’est alors adressé au Haut Commandement à l’Ouest ou à l’OKW, qui lui a répondu d’avoir recours aux otages. Enfin, il dit qu’il m’a fait part de cet ordre, c’est-à-dire que l’ancien arrêté concernant les otages demeurait en vigueur. J’ai alors dit qu’il fallait en exécuter cinq ; je l’ai toujours prétendu. J’ai dit également qu’on devait en fusiller vingt-cinq et que je suis arrivé à traiter pour la vie des vingt autres.
Ce rapport est donc exact pour l’essentiel et concorde parfaitement avec ce que j’ai dit.
Mais il n’est pas question dans ce document de vingt-cinq otages : il est question simplement que c’est vous qui avez désigné les cinq otages. Prenez la page suivante, la déclaration du 5 mars 1946. Le général Christiansen déclare :
« Je me souviens maintenant que le lieutenant-colonel Kluter assistait également à cette conférence. Il y avait donc sept personnes. J’ai alors fait connaître l’ordre selon lequel les otages seraient tenus pour responsables et Seyss-Inquart déclara immédiatement qu’il fallait en prendre cinq. Vous demandez si c’était aussi simple que cela. Évidemment Seyss-Inquart avait les pouvoirs nécessaires. »
C’est donc vous encore qui avez désigné les otages.
La répétition de ces paroles ne change rien au fait que vingt-cinq otages avaient été demandés, comme les témoins vous le confirmeront demain et que j’ai fait en sorte que l’on n’en demandât plus que cinq, ainsi qu’au fait que tout cela était du ressort de la Wehrmacht et du chef supérieur des SS et de la Police, car la proclamation avait été établie au nom de ces deux organisations. En ma qualité de Commissaire du Reich, j’ai pris sur moi de diminuer le nombre des otages dans la mesure du possible. Mais le chiffre définitif a été fixé par le Commandant en chef militaire et par le chef supérieur et des SS et de la Police.
Monsieur Debenest, avez-vous lu le dernier paragraphe de l’affidavit, au bas de la page 4 ?
C’est exact, Monsieur le Président, je ne l’ai pas lu ; je vais le lire :
« Je vous prie de noter également qu’à cette conférence chez Seyss-Inquart, celui-ci s’est expressément réservé le droit de désigner les otages. »
Je ne peux rien dire d’autre que ce que j’ai déjà dit. Le choix des otages a vraisemblablement été fait par le chef supérieur des SS et de la Police selon les directives reçues du commandant militaire, ou plutôt même, de ses supérieurs hiérarchiques. Personnellement, je me suis réservé le droit, ou du moins j’ai demandé à voir la liste, car, en ma qualité de Commissaire du Reich, il m’intéressait de savoir qui serait choisi, et j’ai exercé mon influence dans le sens que je viens d’indiquer, à savoir l’exclusion des pères de familles nombreuses.
Du reste, je ne désire pas faire de polémique à propos de la déclaration personnelle du général Christiansen. Nous avons collaboré d’excellente façon. C’est au Tribunal de décider si c’est ma déclaration qui est inexacte ou si c’est lui qui se trompe.
C’est bien ce que je pensais. Vous prétendez donc que c’est le seul cas dans lequel vous êtes intervenu dans les prises et les exécutions d’otages ?
Je crois que oui.
Avez-vous été au courant de l’exécution des otages à la suite de l’attentat commis sur Rauter ?
J’ai dit hier ce que j’en savais. Je ne connaissais pas les chiffres. Je savais que l’on avait procédé à des exécutions d’hommes qui, en raison de leur attitude, et suivant les ordres du Führer devaient être exécutés par la Police de sûreté. Je n’ai connu les chiffres que plus tard.
Par conséquent, vous n’êtes intervenu en aucune façon dans cette question d’exécution d’otages ?
Non, je ne peux pas dire cela, car j’ai longuement parlé de la question avec le représentant du chef supérieur des SS et de la Police pour décider de ce que nous devions faire dans un cas comme celui-là, car c’était une affaire très sérieuse ; j’ai déjà dit hier que j’avais donné mon accord pour qu’il procédât à ces exécutions. J’ai déjà dit qu’au point où l’on en était je ne pouvais pas le contredire, ni l’empêcher d’exécuter.
Ce chef de la Police, qui était-ce ?
Le Dr Schöngarth.
Que pensez-vous du Dr Schöngarth ?
Je ne crois pas que le Dr Schöngarth était un homme particulièrement dur ni qu’il ait mis un grand zèle à cette affaire ; elle lui était certainement très désagréable.
Mais c’est un homme en qui on peut avoir confiance ?
J’avais confiance en lui alors qu’il exerçait ses fonctions.
Bon. Je vais alors vous communiquer un document. C’est le document F-879 que je dépose sous le numéro RF-1528. (Au Tribunal.) J’indique au Tribunal qu’il s’agit encore là d’une copie d’un procès-verbal qui a été reçu par le service des crimes de guerre à Amsterdam. Cette copie est signée des personnes qui ont été entendues et elle est assortie en même temps d’un affidavit, comme dans le cas précédent. Là également, si le Tribunal le désire, je me mets à sa disposition pour lui procurer l’original.
Très bien. Vous ferez en sorte comme pour le document précédent, de nous soumettre l’original ou tout au moins de l’obtenir par une autorité gouvernementale.
C’est entendu, Monsieur le Président. (Au témoin.) Accusé, voulez-vous prendre la déclaration du Dr Schöngarth, à la page 5 du document français ; c’est la troisième déclaration... cinquième paragraphe... Vous l’avez trouvée ?
Oui.
Voici ce que dit le Dr Schöngarth : « Après l’enquête, je me rendis personnellement chez le Dr Seyss-Inquart, Commissaire du Reich aux Pays-Bas, avec qui je discutai de l’affaire. Seyss-Inquart me donna alors l’ordre d’aggraver les mesures de représailles en exécutant deux cents prisonniers condamnés à mort, à titre de sanction. Cette exécution avait pour but d’intimider la population. Par un avis public, il fut annoncé qu’un grand nombre de personnes seraient exécutées à cause de cet attentat. »
En tout cas, ceci confirme qu’il s’agit ici d’exécution de Hollandais comme il dit, qui avaient été condamnés à mort, c’est-à-dire que, dans le sens de l’ordre du Führer, ils auraient, pour avoir participé à des actes de sabotage ou autres, été exécutés de toute façon. C’est là le premier et le plus important. La question est de savoir si le chiffre de deux cents a été cité et si c’est moi qui l’ai demandé. Je maintiens ce que j’ai déclaré au sujet des déclarations de mes anciens collaborateurs ;
mais je maintiens aussi mon point de vue, à savoir que je n’aurais absolument pas eu la possibilité de donner un tel ordre au Dr Schöngarth, étant donné qu’il n’était pas sous mes ordres, dans ce domaine. En tout cas, j’ai déclaré que dans ce cas il fallait prendre des mesures sévères. C’est tout à fait exact. Quant au chiffre de deux cents, je crois même que c’était deux cent trente, je ne l’ai connu que par la suite. La proclamation dont il parle est signée du Dr Schöngarth.
Vous n’avez pas dit « des mesures sévères" Vous avez dit « des mesures de représailles aggravées ». Ce n’est pas tout à fait la même chose.
Je n’ai pas compris votre question.
Je répète : vous n’avez pas dit « des mesures sévères », mais « des mesures de représailles aggravées ».
Ces mesures sévères devaient évidemment avoir pour résultat d’intimider la population ; mais il ne s’agissait pas de représailles, c’est-à-dire de l’exécution de gens qui ne seraient pas du tout entrés en ligne de compte pour être exécutés.
II me semble que ce document est pourtant clair. Il s’agit de « mesures de représailles » à la suite de l’attentat contre Rauter.
Et qui ont été appliquées de telle façon qu’on a procédé à des exécutions qui auraient eu lieu de toute façon, puisqu’il précise ici qu’il s’agit de condamnés à mort.
Voulez-vous répéter vos explications. La traduction n’est pas parvenue.
II s’agit ici de l’exécution de gens qui auraient de toute façon été exécutés puisqu’ils avaient déjà été condamnés à mort, ainsi qu’on le dit dans le paragraphe suivant.
Vous l’avez déjà dit il y a un instant. Je l’ai noté il y a cinq minutes. Le document parle par lui-même, Monsieur Debenest.
Oui, Monsieur le Président. (Au témoin.) Vous avez dit hier également qu’il n’avait été fusillé aucun otage au camp d’otages de Michelsgestel ?
Je n’en sais rien.
Cependant vous l’avez dit hier. Prétendez-vous encore que personne n’a été fusillé ?
Accusé, veuillez répondre. Ne vous contentez pas de faire un signe de tête. Cela ne passe pas par le microphone.
Je veux simplement dire que je ne me souviens d’aucun cas de ce genre. Peut-être est-ce arrivé une fois, mais je ne m’en souviens pas.
Vous ne niez pas qu’il ait pu en être fusillé ?
Il peut y avoir eu des motifs précis qui auraient exigé une exécution ; mais pour ma part, je ne me souviens d’aucun cas de ce genre.
Les otages qui étaient ainsi exécutés étaient-ils tous des condamnés à mort ?
Je n’en sais rien, étant donné que j’ignore si quelqu’un a été fusillé.
Dans le cas de l’exécution des otages de Rotterdam, l’un d’entre eux ne fut-il pas arrêté la veille et fusillé le lendemain ?
Je n’en sais rien. Je vois ici dans ce document qu’il est question d’otages de Michelsgestel, mais je ne me souviens pas que l’on ait pris des otages de ce camp. Mais dans ce cas, ce serait possible, car c’était vraiment là une affaire d’otages.
Je ne vous demande pas justement si l’on a pris des otages dans le camp de Michelsgestel ; je vous demande si dans le cas de l’exécution des otages de Rotterdam on n’a pas arrêté, la veille de l’exécution, un otage qui a été fusillé le lendemain ?
Je n’en sais rien.
Je vais vous donner son nom ; peut-être cela vous aidera-t-il à vous souvenir. Le baron Schimmelpfennig.
Autant que je me souvienne, le baron Schimmelpfennig était de la Zélande ; mais je n’en sais pas davantage.
Vous ne pouvez pas dire dans quelles conditions il a été arrêté, et pourquoi ?
Non, je sais seulement qu’un certain baron Schimmelpfennig se trouvait parmi les cinq otages qui furent fusillés.
Vous reconnaissez bien qu’il y a eu de nombreuses exécutions qui ont suivi l’institution de la justice sommaire aux Pays-Bas, institution qui émane de vous ?
Non, certainement pas, car ces exécutions, faites au milieu de 1944, n’avaient pas pour origine mes arrêtés ni les tribunaux sommaires, mais un ordre direct du Führer.
Vous prétendez qu’il n’y a eu aucune exécution en vertu de votre ordonnance du 1er mai 1943 ?
Les exécutions ne furent pas faites à la suite de l’institution des tribunaux sommaires prévus par ces arrêtés et qui en prévoyaient les violations. Il est possible que le chef supérieur des SS et de la Police se soit appuyé sur cet arrêté pour fonder ses propres décisions.
Mais ce chef de la Police, vous prétendez toujours que vous n’aviez aucun pouvoir sur lui ?
Je n’avais pas la possibilité de lui donner des ordres, mais il est certain que nous travaillions en collaboration étroite.
II vous consultait donc pour les mesures de représailles ?
Non, comment cela ?
Toutes les mesures de représailles n’ont-elles pas été prises avec votre accord ?
Les mesures de représailles ainsi que ses proclamations étaient de son ressort. La plupart du temps, je n’en avais pas connaissance, ou par la suite seulement. Il n’y a eu de ma part aucun arrêté concernant ces mesures. Je ne puis que vous répéter que c’était là l’exécution d’un ordre de Hitler transmis à la Police par Himmler.
Étiez-vous partisan de ces mesures de représailles ?
II est bien évident qu’il fallait agir contre les mouvements de résistance, les sabotages, etc. Il n’y avait pas d’autre moyen d’intervention que de faire arrêter les gens par la police, de les faire juger par le chef supérieur des SS et de la Police et de les faire exécuter par la Police. Je ne pouvais pas me dresser contre ces mesures. Vous pouvez interpréter cela comme un accord de ma part. J’aurais préféré, pour ma part, qu’ils passent devant des tribunaux.
Certainement. Je vais vous faire remettre le document F-860. C’est une lettre que je dépose sous le numéro RF-1529. Il s’agit d’une lettre qui émane de vous, en date du 30 novembre 1942, et est adressée au Dr Lammers. Je passe sur la première partie... Je m’excuse, j’ai oublié d’indiquer au Tribunal que les originaux ne sont pas au dossier. Ce sont des photocopies. Mais je possède un affidavit que je vais remettre au Tribunal.
Bien, Monsieur Debenest. Inutile de nous donner cet affidavit. Nous avons la photocopie.
Je passe alors les deux premières pages du document français. Vous écrivez :
« L’élaboration de la loi martiale de la Police a eu lieu conformément à une lettre du Reichsführer SS. Je crois m’être conformé à tous les désirs qui y sont exprimés. Cependant, je ne voudrais pas que le Tribunal fût placé sous l’autorité du chef supérieur des SS et de la Police, car cela signifierait pour les Néerlandais une limitation de l’autorité du Commissaire du Reich, autorité dont l’importance particulière réside dans le fait que le Commissaire du Reich est désigné par les ordonnances du Führer comme le garant des intérêts du Reich. J’ai néanmoins accordé moi-même au chef supérieur des SS et de la Police tous les pouvoirs qui lui sont nécessaires pour administrer les tribunaux. Je pense que cette loi martiale de police peut être un instrument utile et peut, dans une certaine mesure, constituer un exemple pour d’autres réglementations. »
Vous aviez donc une autorité sur le chef de la Police ?
J’avais autorité sur les tribunaux sommaires et non pas sur le chef supérieur des SS et de la Police. Je suis resté le chef suprême des tribunaux, même en état d’exception, mais je ne pouvais donner aucun ordre à la Police ; les tribunaux sommaires de Hollande ont été en activité tout au plus quinze jours.
Ce qui est certain, néanmoins, c’est qu’il s’agissait là de tribunaux d’exception et que vous en avez chargé le chef de la Police.
Oui, c’est exact, mais dans la mesure où il s’agissait de tribunaux sommaires de Police pour les cas d’exception. Je suis responsable de ce qu’ont fait les tribunaux sommaires de Police à cette époque. C’était à la suite de la grève générale de mai 1943.
Nous sommes bien d’accord. Vous avez confié précisément ces tribunaux d’exception à la Police. Je vous fais remettre maintenant le document PS-3430. Ce document est le recueil des discours que vous avez prononcés pendant l’occupation des Pays-Bas. Voulez-vous prendre...
Monsieur Debenest, est-ce là la seule référence que vous faites à ce document 860 ?
Oui, Monsieur le Président. Je n’ai pris que la deuxième partie, la première partie s’appliquant à la Police.
Ne pensez-vous pas que c’est là imposer une tâche bien lourde à la section de traduction ? Il y a là dix-huit pages.
Monsieur le Président, je suis entièrement d’accord. Je pensais utiliser ce document pour l’organisation de la Police qui comprend le premier sujet que j’ai visé, et je n’ai pas cru devoir le faire tout à l’heure pour ne pas prolonger les débats.
Je voulais simplement dire que si vous avez l’intention de n’utiliser qu’une petite partie de ce document, il ne semble pas nécessaire d’en faire traduire dix-huit pages par la section de traduction qui a déjà beaucoup de travail.
En voici un autre, F-803, qui a bien plus de dix-huit pages et dont vous avez fait peu d’usage.
Veuillez poursuivre, cependant.
Je sais bien, Monsieur le Président. Si je ne l’ai pas utilisé davantage, c’est parce que le Tribunal a estimé que c’étaient des détails qu’il importait peu de lui faire connaître. C’est là tout simplement la raison.
Je serais vraiment surpris qu’il y ait des passages importants à chacune des dix-huit pages. En tout cas, veuillez poursuivre.
Bon, nous allons passer maintenant à une autre matière. A votre arrivée en Hollande, ce pays ne possédait-il pas des stocks importants de denrées alimentaires et de matières premières ?
II y en avait beaucoup en effet. La quantité en était extraordinaire.
Des réquisitions importantes n’ont-elles pas été faites dans les premières années de l’occupation ?
Si. D’après un arrêté du Plan de quatre ans, tous les stocks furent réquisitionnés et l’on établit des réserves pour six mois aux Pays-Bas ; le Reich s’étant engagé à subvenir à tous les besoins futurs.
Vous prétendez alors que ces stocks étaient destinés à la population hollandaise ?
Certainement.
Certainement ?. Bon. Voulez-vous alors prendre le document que je vous ai remis ce matin... PS-997, pages 9 et 10 ?
Ai-je ce document ?
Pages 12 du texte français et page 11 du texte allemand. Vous écrivez : « Les stocks de matières premières ont été saisis et, avec l’accord du Generalfeldmarschall, répartis de telle sorte que les Néerlandais puissent, au moyen de ces matières premières, assurer le maintien de leur économie pendant six mois : les répartitions seront faites sur les mêmes bases que dans le Reich. Ce même principe d’égalité de traitement sera appliqué au ravitaillement. On a pu assurer au Reich des stocks importants de matières premières, par exemple 70.000 tonnes de graisse industrielle représentant à peu près la moitié de la quantité manquant au Reich. »
Je crois que cela concorde avec ce que je viens de dire.
Je croyais que vous aviez dit que ces stocks étaient à la disposition du peuple néerlandais et non du Reich.
Non. Ou alors cela a été mal transmis. J’ai dit que les stocks ont été réquisitionnés et qu’on a laissé des réserves pour six mois et que les besoins futurs devaient être couverts par le Reich dans la même proportion que les besoins de l’économie allemande. Mais à l’origine les stocks ont été réquisitionnés par le Reich.
Bon, c’était la traduction qui n’était pas parvenue. Vous avez reçu des plaintes fréquentes contre ces réquisitions ?
Oui.
Quelles mesures avez-vous prises ?
J’ai fait remarquer aux personnes qui sont venues me voir, au Secrétaire général Hirschfeld et à d’autres secrétaires généraux, que c’était là un ordre strict du Plan de quatre ans. J’ai peut-être, dans un cas ou dans l’autre, transmis les plaintes au Plan de quatre ans, quand le retrait des stocks me paraissait trop important.
En dehors des réquisitions, n’y avait-il pas des achats massifs qui étaient effectués pour le compte du Reich ?
Oui.
Pouvons-nous suspendre l’audience maintenant Monsieur Debenest ? En avez-vous pour longtemps encore ?
Monsieur le Président, tout dépendra de la longueur des réponses de l’accusé, mais je pense qu’en une demi-heure ou trois quarts d’heure au maximum j’en aurai terminé.
Bien. Alors nous allons suspendre l’audience.