CENT CINQUANTE-TROISIÈME JOURNÉE.
Mercredi 12 juin 1946.

Audience du matin.

(L’accusé Seyss-Inquart vient à la barre des témoins.)
L’HUISSIER AUDIENCIER (Colonel Charles W. Mays)

Plaise au Tribunal. Les accusés Jodl et Hess n’assisteront pas aux débats.

M. DEBENEST

Accusé, vous reconnaissez que des stocks extrêmement importants ont été dirigés vers l’Allemagne ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Parfaitement, c’est exact.

M. DEBENEST

Au sujet d’un autre système utilisé aux Pays-Bas pour le pillage, je voudrais vous soumettre un document qui démontre d’ailleurs que vous n’avez pas été le seul à participer à ce pillage, mais qu’il y a encore Göring et l’OKW. C’est le document F-868 qui devient RF-1530. Il s’agit d’un télétype qui vous est adressé par l’OKW et qui est signé Reinecke. Ce télétype est en date du 5 décembre 1940 ; il commence ainsi :

« Séance chez le Reichsmarschall, le 7 octobre 1940.

Réglementation de l’expédition ou de l’enlèvement de marchandises en provenance des Pays-Bas, par les membres de la Wehrmacht et des unités annexes.

En accord avec Monsieur le Reichsmarschall et Monsieur le Commissaire du Reich pour les territoires occupés des Pays-Bas, les dispositions en vigueur jusqu’à ce jour réglementant l’expédition et l’enlèvement de marchandises en provenance des Pays-Bas, sont abrogées. Les membres de la Wehrmacht et des unités et organisations annexes » — suivent les désignations — « ainsi que les autorités et membres des services employés aux Pays-Bas peuvent, dans le cadre des moyens dont ils disposent, expédier chez eux par la poste militaire, des colis d’un poids maximum de 1.000 grammes et ce, sans limitation de nombre. Dans la mesure où ces colis ne dépassent pas le poids de 250 grammes... »

Je ne lis pas la suite, il s’agit d’une question d’affranchissement.

« L’enlèvement de marchandises à l’occasion d’un congé ou de tout autre passage de la frontière n’est assujetti à aucune restriction... »

Cette réglementation a bien été arrêtée avec votre accord ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Le mot accord est peut-être fort dans ce cas. Il ne s’agit pas ici d’un pouvoir de réquisition, mais simplement de directives relatives au transport ; ces marchandises ne devaient pas être réquisitionnées d’une manière quelconque, mais il fallait les acheter. Le Reichsmarschall avait donné cet ordre et je devais le faire appliquer. Il s’agit d’un décret appelé « Schlepp-Erlass » ; cette réglementation permettait aux soldats rentrant des Pays-Bas d’emporter tout ce qu’ils avaient acheté. Plus tard, je fis appliquer cette réglementation aux civils, en accord avec le décret militaire. Je crois que cette mesure fut abrogée deux ans après, parce qu’elle favorisait particulièrement le marché noir.

M. DEBENEST

Je ne vous ai pas dit qu’il s’agissait d’une réquisition. Hier je vous ai dit qu’il y avait eu des réquisitions massives, vous m’avez répondu que c’était exact. Aujourd’hui, je vous dis — et je vous soumets ce document pour vous le démontrer — qu’il y avait également un autre moyen de pillage des produits des Pays-Bas.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, mais auparavant vous aviez parlé de réquisitions, et c’est cela que j’avais l’intention de mettre au point.

M. DEBENEST

J’en ai parlé hier, tout simplement ; passons. Voulez-vous me dire quelle était la destination du « Beauftragte für den Vierjahresplan » ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je ne me rappelle pas exactement le texte de l’ordonnance, mais je crois qu’on en a donné lecture ici. En tout cas, elle concernait l’organisation de l’ensemble des moyens économiques dans la sphère des intérêts du Reich, au profit de la politique allemande et, en temps de guerre, naturellement, au profit de l’économie de guerre.

M. DEBENEST

Qui a ordonné la liquidation des biens des francs-maçons ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je dois avouer que je ne le sais pas exactement. Mon attention fut attirée sur le fait, mais c’était déjà un fait accompli. J’imagine que cela procédait de Himmler, par l’intermédiaire de Heydrich.

M. DEBENEST

Mais je vais vous rafraîchir la mémoire. Je vous fais remettre le document F-865 qui deviendra RF-1531. Il s’agit d’une lettre qui émane de vous, n’est-ce pas ? En date du 11 mars 1944. Elle est bien signée de vous ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

C’est parfaitement exact.

M. DEBENEST

Bon. Vous vous exprimez ainsi dans cette lettre :

« Très honoré Docteur Lammers.

J’ai fait liquider dans les Pays-Bas les biens des francs-maçons. Étant donné que la liquidation a été faite par mes soins, donc par un service d’État, c’est, contrairement à ce qui se passe pour la liquidation entreprise par d’autres services, à Monsieur le ministre des Finances du Reich que revient le pouvoir de décider de l’utilisation ultérieure de ces revenus.

J’ai écrit aujourd’hui une lettre à Monsieur le ministre des Finances et je me permets de vous en adresser ci-joint une copie. Je vous prie de bien vouloir appuyer ma demande. »

Vous n’avez donc pas appris cette liquidation après qu’elle ait été faite puisque c’est vous qui l’avez faite cette liquidation ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je m’en tiens absolument à ce que j’ai dit tout à l’heure. Vous m’avez demandé qui l’avait ordonnée et j’ai compris que vous demandiez qui l’avait demandée dans le Reich. Ce n’est qu’après quelques mois que j’ai eu connaissance de l’ensemble de tous ces faits. Ensuite, je me suis chargé de la liquidation, les services compétents l’ont menée à bien, et j’ai écrit cette lettre. L’exécution m’en incombait donc.

M. DEBENEST

Vous aviez bien dit tout à l’heure — et j’ai bien compris la traduction qui m’a été faite — que vous ne l’aviez appris qu’après coup. Vous démentez vos déclarations, comme j’ai pu le constater hier à plusieurs reprises, lorsqu’on vous montre le document.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je n’ai pas compris. Est-ce une question que vous me posez ?

M. DEBENEST

II s’agit d’une constatation.

Est-ce que la liquidation des biens des francs-maçons a été importante ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Certainement. Je tiens seulement à dire qu’elle a été commencée par un autre service ; les biens ont été saisis et, ensuite, j’ai entrepris l’opération proprement dite et je l’ai fait exécuter par mes services.

M. DEBENEST

Aviez-vous prévu l’utilisation des sommes que produirait la liquidation ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

J’avais proposé que ces sommes fussent remises au Parti.

M. DEBENEST

Vous en aviez discuté antérieurement ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

J’avais également écrit une lettre à ce sujet. Je crois que l’annexe de la lettre que le Ministère Public vient de lire contient la proposition que ces sommes soient remises au Parti.

M. DEBENEST

N’avez-vous pas menacé le peuple des Pays-Bas de la famine à la suite des grèves de chemins de fer, en septembre 1944 ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

On peut considérer cela comme une menace, mais en tout cas, j’ai déclaré que c’était fort probable.

M. DEBENEST

Vous avez demandé aux secrétaires généraux de faire cesser cette grève ?

LE PRÉSIDENT

Monsieur Debenest, le Tribunal aimerait que vous approfondissiez davantage la question de savoir qui a ordonné la confiscation des biens.

Accusé, savez-vous qui a ordonné cette confiscation ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, parfaitement ; la saisie fut ordonnée par Heydrich et exécutée par la Police. Par la suite, un représentant du Parti commença à procéder à la liquidation, et à ce stade c’est moi qui la repris en mains et la confiai à mes services.

M. DEBENEST

A quelle date cette liquidation a-t-elle été ordonnée ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Dans les premiers mois. Cela s’est fait extrêmement vite ; c’était une affaire de semaines.

LE PRÉSIDENT

Une raison quelconque fut-elle donnée ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Les francs-maçons étaient considérés comme des ennemis du Reich selon l’ordonnance sur la saisie des biens des ennemis de l’État.

LE PRÉSIDENT

Cet ordre de Heydrich était-il un ordre écrit ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je ne puis pas le dire. Cet ordre fut transmis à la Police de sûreté et exécuté par son commandant. Je pense qu’il devait s’agir d’un télétype. Il est également possible que toute cette opération ait été prévue auparavant.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous dire que vous avez exécuté cet ordre sans l’avoir par écrit ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

J’ai reçu une notification de la Police de sûreté précisant que le RSHA était chargé de cette confiscation. Il est possible que cette notification ait été écrite mais elle peut aussi avoir été verbale. C’est à ce stade que j’ai repris l’affaire en mains.

M. DEBENEST

Quelles étaient les sommes sur lesquelles portait cette opération ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je crois que le total devait porter sur plus de 8.000.000 ou 9.000.000 de florins.

LE PRÉSIDENT

Vous avez dit, je crois, que vous aviez proposé que cette somme fût remise au Parti ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

J’ai demandé que ces 9.000.000 de florins fussent remis au Parti.

M. DEBENEST

Cela fut-il fait ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non, je n’ai pas reçu de décision. Ces biens doivent être restés aux Pays-Bas sous la forme de valeurs quelconques, probablement en bons du Trésor,

LE PRÉSIDENT

Vous étiez Commissaire du Reich pour les Pays-Bas. Qu’advint-il de ces sommes ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

L’argent fut déposé à un compte en banque, peut-être des bons du Trésor néerlandais furent-ils achetés. Il fut administré comme un fonds autonome et ne fut pas utilisé.

LE PRÉSIDENT

Tout cela se passait en 1940, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

La liquidation a dû se poursuivre jusqu’en 1942, et à partir de ce moment-là, l’argent resta déposé à un compte en banque.

LE PRÉSIDENT

Quelle était la banque ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je ne puis pas m’en souvenir, Monsieur le Président, mais il est certain que les Hollandais le savent.

LE PRÉSIDENT

Lorsque vous dites que cet argent a été confisqué dans les premiers mois, vous voulez parler de 1940 ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, immédiatement après l’entrée en Hollande.

LE PRÉSIDENT

Veuillez poursuivre, Monsieur Debenest.

M. DEBENEST

L’utilisation de cette liquidation a-t-elle été la même que l’utilisation de la liquidation des biens juifs ? Répondez.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

L’essentiel du produit de la liquidation des biens juifs fut transféré à l’administration des Biens et Pensions. Ce produit ne fut pas absorbé, mais il servit à couvrir certaines dépenses. Par exemple, ces fonds furent utilisés pour la création du camp de Vught. Le produit de la liquidation des biens juifs était de 400.000.000 de florins et même davantage, mais cette somme ne fut pas utilisée.

M. DEBENEST

En fait, quelle en a été l’utilisation précise ? Est-ce à des fins du Gouvernement allemand ou à d’autres fins ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Les biens juifs furent d’abord saisis. Ensuite, dans la mesure du possible, ils furent liquidés. Nous appelions cela l’aryanisation. Les produits de cette aryanisation furent réunis à l’administration des Biens et Pensions, mais dans l’ensemble...

M. DEBENEST

Je vous demande pardon, mais répondez plus directement sans nous raconter comment s’est effectuée la liquidation. Je vous parle de l’utilisation des sommes.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Ces sommes ne furent, dans l’ensemble, pas utilisées, mais je crois que 400.000.000 de florins ont été déposés à l’administration néerlandaise des Biens et Pensions, en partie en bons du Trésor hollandais et en partie sous leur forme originale. Seules, des sommes relativement minimes furent utilisées à des fins précises. Je crois que la somme la plus importante était les 14.000.000 de florins qui ont servi à la création du camp de Vught. J’ai attiré l’attention du ministre des Finances du Reich...

M. DEBENEST

Je vous demande pardon, mais je vous ai posé une question : cette liquidation a-t-elle été utilisée pour les besoins du Reich, oui ou non ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non, si l’on ne considère pas la création du camp de Vught comme une utilisation au profit du Reich ; mais cette somme fut utilisée dans ce but, précisément parce que le camp de Vught devait devenir un camp de rassemblement pour les Juifs.

M. DEBENEST

En somme, vous estimez que la constitution du camp de Vught était dans l’intérêt des Néerlandais ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Certainement. Les frais du camp de Vught, dans la mesure où j’en ai eu connaissance, furent couverts par les biens juifs — je crois qu’il s’agissait de 14.000.000 de florins — et cela parce que c’était un camp de rassemblement pour les Juifs. Ce n’est que par la suite que Himmler en fit un camp de concentration.

M. DEBENEST

C’est une opinion, le Tribunal appréciera. Mais, en ce qui concerne les biens des francs-maçons et l’utilisation des sommes qui provenaient de la liquidation, quelle a été la destination exacte ? Pour le Reich ou encore pour construire des camps de concentration pour les Néerlandais ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Ni l’un ni l’autre.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Debenest, il a déjà dit, assez clairement je crois, que les fonds avaient été déposés dans une banque inconnue, et qu’il s’agissait de 400.000.000 provenant des Juifs.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Monsieur le Président, je connais la banque. Les fortunes juives ont été déposées à l’administration des Biens et Pensions (Vermögensverwaltungs und Rentenanstalt).

M. DEBENEST

Bon. Eh bien, je vais vous faire remettre un document qui est une lettre. C’est le document F-864, qui deviendra le document RF-1532. Ce document précise la destination que vous donniez aux biens qui ont été ainsi liquidés.

Vous indiquez d’abord au début de la lettre que le montant de la liquidation s’élevait jusqu’à ce moment, dites-vous, à 6.134.662 florins. Vous indiquez que cette somme se trouve à la Reichsstiftung des Pays-Bas. Il s’agit là d’une organisation allemande et non néerlandaise, que je sache. Vous indiquez par la suite l’affectation de différentes sommes...

LE PRÉSIDENT

Je crois que vous pouvez omettre les détails concernant le lieu de dépôt de ces sommes. Il précise que c’est dans une banque.

M. DEBENEST

C’est cela, Monsieur le Président ; je voudrais simplement lire les quelques lignes de la fin dans laquelle est précisé le but de l’affectation définitive :

« Je crois me conformer à vos intentions, en ce qui concerne les biens des francs-maçons, en admettant qu’ils devront également, comme nous l’avons décidé pour les biens juifs, être utilisés aux Pays-Bas pour des buts déterminés, suivant un accord à conclure entre nous. »

Par conséquent, votre intention était bien de leur donner la même destination qu’aux fortunes juives ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Ce n’est pas du tout cela qui est dit.

M. DEBENEST

C’est écrit, c’est encore mieux.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Leur destination est parfaitement claire. Le ministre des Finances du Reich voulait disposer des biens juifs. J’ai attiré son attention sur le fait qu’ils n’étaient pas encore disponibles et je lui ai suggéré de ne pas transférer ces sommes au Reich, mais d’attendre les événements.

M. DEBENEST

Vous lui proposiez bien de les utiliser dans le même but ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je lui ai proposé de les utiliser à des fins précises aux Pays-Bas, c’est-à-dire de ne pas envoyer ces biens en Allemagne, mais de les laisser aux Pays-Bas. Le but auquel ils étaient destinés n’était pas clair. Le ministre voulait que ces biens fussent transférés dans le Reich.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Debenest, je crois que vous pouvez passer.

M. DEBENEST

Je pensais justement laisser cela à l’appréciation du Tribunal.

Venons-en à cette question des grèves des chemins de fer. N’avez-vous pas demandé aux secrétaires généraux de faire cesser ces grèves ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

M. DEBENEST

N’avez-vous pas mis l’embargo sur les moyens de transport et le ravitaillement en cours de transport ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Parfaitement.

M. DEBENEST

C’est bien vous ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Certainement, je l’ai déclaré hier.

M. DEBENEST

Par conséquent, vous connaissiez bien à ce moment-là quelle était la situation alimentaire de la Hollande et quelles seraient par la suite les conséquences qui devaient fatalement résulter de la décision que vous preniez, décision d’une extrême gravité.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non, parce qu’en vérité le trafic était déjà interrompu par les réquisitions de la Wehrmacht. Il s’agissait de trouver un modus vivendi et, après satisfaction des besoins de la Wehrmacht, ce qui m’apparaissait le plus urgent, d’assurer le transport de vivres vers la Hollande. S’il n’y avait pas eu la grève des chemins de fer, j’aurais certainement pu obtenir de la Wehrmacht qu’elle renonçât à ces réquisitions ; ainsi, le trafic fluvial n’aurait-il pas été dérangé.

M. DEBENEST

Mais il ne s’agit pas de la Wehrmacht. Vous savez fort bien qu’au moment où vous avez mis l’embargo sur les bateaux, sur la flotte, vous savez fort bien que c’était l’époque où l’on transportait les vivres pour l’hiver vers la Hollande de l’Ouest.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, mais au moment où j’ai déclaré l’embargo, il n’y avait effectivement plus de trafic. Les quelques bateaux qui restaient avaient été saisis par la Wehrmacht avec les vivres qu’ils contenaient.

M. DEBENEST

Alors, votre décision était inutile ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non, parce que par ma décision j’ai obtenu de la Wehrmacht qu’elle se limitât à un délai très bref et qu’elle me donnât l’assurance qu’elle laisserait absolument intacts les bateaux désignés par moi.

M. DEBENEST

Combien de temps a duré cet embargo ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je crois que c’est entre le 15 et le 20 octobre que j’ai donné au chef du service de la circulation l’ordre de lever l’embargo. Pratiquement, cela dura quelques semaines de plus parce que l’organisation des transports néerlandais ne fonctionnait pas.

M. DEBENEST

Jusqu’à quelle date à peu près ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Cela peut avoir duré jusqu’à la mi-novembre.

M. DEBENEST

N’était-ce pas la période pendant laquelle se faisaient les plus gros transports ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

C’est exact. Nous pouvions, en novembre et en décembre, amener assez de vivres en Hollande pour que les six semaines de gel pussent être traversées sans difficultés. Et, en septembre, j’étais convaincu que j’aurais à ma disposition ces moyens de navigation en novembre et en décembre.

M. DEBENEST

Et en fait, vous les avez eus ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Malheureusement pas car, à la suite de la défection des services néerlandais des transports et d’autres circonstances dues à la guerre, nous ne pûmes pas disposer de ces possibilités.

M. DEBENEST

Vous saviez cependant fort bien que la décision que vous preniez était grave de conséquences ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

En septembre, la décision n’était pas aussi grave que le fait que la Wehrmacht avait, étant donné la grève des chemins de fer, absolument besoin des moyens de transport. Pour moi, qui avais à veiller aux intérêts du Reich, il n’y aurait pas eu d’accusation plus grave que de m’entendre dire par le peuple allemand que je n’avais pas fait l’impossible pour aider à gagner la guerre.

M. DEBENEST

Le Tribunal appréciera.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Debenest, n’avez-vous pas traité ce sujet hier ?

M. DEBENEST

Je ne pense pas, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

On a cependant parlé hier de l’embargo sur la navigation.

M. DEBENEST

Monsieur le Président, je crois n’avoir parlé hier que des réquisitions qui étaient faites ; j’ai abordé une question ou deux du domaine économique. Je ne pensais pas avoir traité cette question-là. Si je l’ai fait, je m’en excuse auprès du Tribunal. D’ailleurs, j’ai terminé. (Au témoin.) Quelle était la situation de la banque de Hollande, à votre arrivée en 1940 ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

La banque des Pays-Bas, en tant que banque d’émission, avait été édifiée à l’origine sur la base d’une banque privée ; le président en était M. Trip. L’État y exerçait probablement une certaine influence puisqu’il s’agissait d’une banque d’émission.

M. DEBENEST

Donnez-nous une explication plus brève.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Alors, elle ne correspondra pas à la vérité tout entière.

M. DEBENEST

L’encaisse-or n’égalait-elle pas le montant de l’émission des billets ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je crois que si, si j’en juge par la couverture-or et les réserves d’or. Effectivement, cette couverture-or était plus élevée que le montant des billets en circulation. La banque des Pays-Bas avait plus d’or et de monnaies d’or qu’elle n’émettait de billets.

M. DEBENEST

Et quelle était la situation au moment de la capitulation de l’Allemagne ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

A cette époque, il y avait quelques milliards de papier-monnaie en circulation, et probablement 23.000.000 de florins-or.

M. DEBENEST

Mais surtout des Reichsmark ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non, je dis 23.000.000 de florins-or ; le reste de la couverture était vraisemblablement en valeurs du Reich.

M. DEBENEST

N’est-ce pas vous qui avez ordonné l’abolition de la frontière des devises ? Répondez.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, c’est moi.

M. DEBENEST

Vous étiez complètement d’accord alors avec la nécessité d’abolir ces frontières ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

La proposition émanait de mes services. Je l’adoptai. M. Trip protesta. Je la transmis à Berlin. Le Reichsmarschall se décida en sa faveur. Le ministre Funk y était opposé. J’ai exécuté la proposition que j’avais faite et que le Reichsmarschall avait approuvée.

M. DEBENEST

Mais, personnellement, vous étiez d’accord ?

LE PRÉSIDENT

Qu’entendez-vous exactement par la « frontière des devises » dont vous parlez maintenant ? Nous voudrions savoir de quoi vous parlez.

M. DEBENEST

C’est la circulation libre des devises du Reich en Hollande. (Au témoin.) La Hollande n’a-t-elle pas dû encore payer des sommes importantes sous forme de contribution dite volontaire ? Notamment pour la guerre contre le bolchevisme ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je crois avoir expliqué très clairement cette affaire. Le Reich demanda, à un certain moment, 50.000.000 de mark comme contribution indirecte aux frais d’occupation pour la défense de la Hollande. En Hollande, nous appelions cela une contribution volontaire et cela pour des raisons évidemment politiques. En réalité, il s’agissait d’une exigence du Reich qu’il fallait payer d’une façon ou d’une autre. Je n’accuserai aucun Néerlandais d’avoir payé volontairement cette contribution.

M. DEBENEST

Vous étiez d’ailleurs d’accord avec ces mesures ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Parfaitement.

M. DEBENEST

Quelles ont été les conséquences financières et économiques provoquées par toutes ces mesures ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Les suites financières furent un accroissement très important de la circulation des billets de banque et du montant des comptes courants qui sont restés les mêmes, sous une forme quelconque, aussi bien dans le Reich que dans tous les pays occupés. En Hollande, nous appliquions un système, en France un autre. Les conséquences financières sont les mêmes, eu égard à la défaite du Reich ; si l’Allemagne n’avait pas perdu la guerre, la Hollande aurait aujourd’hui une créance de plus de 4.500.000.000 de florins vis-à-vis d’une Allemagne souveraine.

M. DEBENEST

Bon. Eh bien, prenez donc le document PS-997, que vous avez eu hier entre les mains. Je vais vous lire ce que vous pensiez de ces mesures ; page 14 du document français et 12 du texte allemand. C’est le grand rapport Seyss-Inquart, RF-122 (PS-997), page 14. Vous écrivez : « Cette réglementation » — à la sixième ligne — « cette réglementation dépasse largement toutes celles qui ont été établies jusqu’ici pour les économies des pays limitrophes, y compris celle du Protectorat... » Page 12 du texte allemand, 14 du texte français :

« ... et constitue véritablement le premier pas vers une union monétaire. Étant donné l’importance de cet accord qui, dans une certaine mesure, touche à l’indépendance de l’État néerlandais... » Et vous ajoutez : « ... Il est particulièrement important que cet accord ait été signé, de son propre gré, par le président Trip qui est extrêmement connu dans les milieux occidentaux de la banque et de la finance ».

Voilà quelle était votre appréciation sur ces mesures.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

C’est exact, mais je dois admettre aujourd’hui qu’à cette époque mon opinion était erronée, car sans cela j’accuserais trop vivement le président Trip. Ce qu’on lit ici ne se rapporte pas encore à la situation qui fut créée ultérieurement, quand la frontière des devises fut abolie. Il s’agissait simplement d’un accord relatif à l’acceptation réciproque et illimitée des billets par les deux banques d’émission. Je voudrais d’ailleurs insister sur les déclarations que j’ai faites à l’égard des qualités de M. Trip. A mon avis, le fait que M. Trip ait approuvé cet accord le rend conforme au Droit international.

M. DEBENEST

Mais vous avez bien précisé que cela touchait à l’indépendance du pays occupé ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

C’était un optimisme exagéré de mon exposé.

M. DEBENEST

Très bien. Le Tribunal appréciera. Vous avez envisagé la suppression des barrières douanières, d’autre part.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je n’ai pas compris la question.

M. DEBENEST

Vous n’attendez même pas que la traduction vous soit faite ; comment voulez-vous comprendre ?

Je dis : vous avez envisagé la suppression des barrières douanières.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Parfaitement.

M. DEBENEST

N’y avait-il pas aux Pays-Bas différents services chargés du pillage des œuvres d’art ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je ne puis pas appeler cela du pillage, mais ils étaient chargés de leur administration et de leur protection.

M. DEBENEST

C’est votre opinion personnelle. Cependant, il y avait plusieurs services.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Parfaitement.

M. DEBENEST

Vous connaissez particulièrement le service du Dr Mühlmann ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

M. DEBENEST

Qui l’a appelé aux Pays-Bas ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

J’ai envoyé Mühlmann pour me précéder aux Pays-Bas. Il devait installer mes services au point de vue des locaux.

M. DEBENEST

Ce n’était que pour installer vos services ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

A ce moment-là, uniquement pour installer mes services.

M. DEBENEST

Mais après ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Après, Mühlmann est reparti et revint quelque temps plus tard comme représentant d’un service du Plan de quatre ans, chargé de la protection des œuvres d’art. Cela se passait à peu près comme en Pologne :

M. DEBENEST

Qu’entendez-vous par « protection » ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Pratiquement, — je ne veux pas faire de longs discours à ce sujet — il avait pour mission de déterminer si, dans les biens saisis, se trouvaient des œuvres d’art et, le cas échéant, de les signaler à différents services du Reich.

M. DEBENEST

Signaler seulement ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, car l’achat en était effectué par la suite par les différents services eux-mêmes. J’imagine, ou plutôt je sais, qu’il s’occupait également du commerce privé d’œuvres d’art en qualité d’intermédiaire.

M. DEBENEST

Ne vous êtes-vous pas procuré vous-même des tableaux par son intermédiaire ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Si. Pas pour moi, mais dans les buts que j’ai définis hier.

M. DEBENEST

Oui. Vous avez aussi dit hier que vous aviez mis en sécurité de nombreuses œuvres d’art, notamment des tableaux. Dans quels buts avez-vous fait cela ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

J’ai mis en sécurité un grand nombre d’œuvres d’art simplement du fait de l’ordonnance sur la saisie des biens ennemis et juifs. Quant aux donations que j’ai mentionnées hier, par exemple les donations au musée d’art historique de Vienne, je crois avoir acheté trois ou quatre tableaux.

M. DEBENEST

Non, non, je vous demandais dans quels buts vous aviez mis en sécurité ces œuvres d’art.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Le but primitif de la réquisition, de la saisie des biens juifs et ennemis était de les mettre sous séquestre. Mais peu à peu, il devint évident que ces œuvres d’art seraient achetées par le Reich. Les trois ou quatre tableaux que j’ai pu acheter, je les ai achetés dans le but immédiat d’en faire don à certaines institutions du Reich, par exemple au musée d’art historique de Vienne.

M. DEBENEST

Mais il n’y avait pas là que des biens juifs ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

J’ai bien dit « juifs et ennemis », mais il ne s’agissait pas des biens ennemis d’une façon générale, seulement lorsqu’on avait pu prouver une attitude hostile au Reich. Dans ce cas, les biens étaient saisis.

M. DEBENEST

Eh bien, voilà ce que vous écrivez dans un document qui a déjà été déposé au Tribunal et que vous connaissez certainement. C’est le document F-824, déposé sous le numéro RF-1344. Vous connaissez ce document, c’est une lettre qui émane de vous, adressée au Dr Lammers. Cette lettre a trait à l’acquisition de tableaux qui a été faite pour le Führer ; et dans le paragraphe 3 du document en langue française, vous écrivez ceci :

« De la liste qui m’a été communiquée, je déduis que de cette manière un nombre relativement considérable de tableaux de valeur a été mis en sécurité, tableaux que le Führer a pu acquérir à des prix qui, d’après les constatations que j’ai pu faire dans le pays, doivent être considérés comme extrêmement bas. »

Vous ajoutez ensuite que le portrait de Rembrandt par lui-même a été retrouvé grâce à Mühlmann. Par conséquent, la mise en sécurité des œuvres d’art, c’était bien dans le but de permettre aux autorités du Reich de les emporter en Allemagne ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Il n’y a pas de doute. En ce qui concerne le portrait de Rembrandt, je voudrais simplement signaler qu’il est entré illégalement en Hollande et que c’est pour cela qu’il a été saisi.

M. DEBENEST

Fut-il emporté en Allemagne par des moyens légaux ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Pour le portrait de Rembrandt, je crois qu’il n’y a pas de doute. Il y a eu infraction à une prescription allemande.

M. DEBENEST

Vous vous êtes, en dehors des tableaux, procuré personnellement de nombreux objets d’art, des diamants, des pierreries, etc. ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je n’en ai pas connaissance.

M. DEBENEST

Vous n’en savez rien, mais savez-vous que vous avez une maison à Vienne, 3 Untergasse ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non, elle se trouve 15, Iglauer Strasse. Est-ce cela que vous voulez dire ?

M. DEBENEST

Est-ce que vous n’aviez pas en dépôt un certain nombre d’objets d’art provenant des Pays-Bas ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je n’en ai absolument pas connaissance.

M. DEBENEST

Bon, je passe alors. Qui a ordonné la confiscation des biens royaux ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Moi, personnellement.

M. DEBENEST

C’est vous qui en avez eu l’initiative ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Pas seulement l’initiative ; j’en ai pris la décision et je l’ai exécutée.

M. DEBENEST

Vous n’en êtes que l’exécutant ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

J’étais aussi l’exécutant.

M. DEBENEST

Mais je ne vous demande pas si vous avez été « aussi » ; j’ai bien précisé : vous n’en avez été que l’exécutant ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non, j’ai déclaré hier exactement pour quelles raisons je m’étais résolu à la saisie des biens royaux. Ensuite, j’ai procédé à cette saisie.

M. DEBENEST

Vous prétendez que c’est à la suite d’un discours de la reine. C’est bien ce que vous avez dit hier ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Parfaitement.

M. DEBENEST

Je vais vous donner connaissance du document F-828, que je dépose sous le numéro RF-1533. Ce document est une lettre du Reichsleiter Martin Bormann au ministre du Reich Dr Lammers, en date du 3 juillet 1941. Au début de la lettre, Bormann relate le discours de la reine de Hollande, et dans le dernier paragraphe, — celui qui a pour moi de l’importance — il est écrit :

« Le Führer a donc donné l’autorisation de confisquer les biens de la Maison royale néerlandaise, autorisation que le Commissaire du Reich lui avait déjà demandée auparavant. »

Estimez-vous encore que c’est en corrélation avec le discours prononcé par la reine ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je m’excuse, la transmission a été interrompue un moment.

M. DEBENEST

Oui, certainement, mais vous avez le document en mains en tout cas ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, je sais de quoi il s’agit.

M. DEBENEST

Certainement, vous le savez.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je ne me souviens absolument pas d’avoir fait une requête antérieure en ce sens. Vraiment, je ne me souviens pas. Il est possible que j’aie discuté un jour si l’on devait ou non saisir les biens royaux, mais, à vrai dire, je ne me suis souvenu de ma requête qu’au moment où ce discours a été prononcé. Ce n’était d’ailleurs pas le premier discours de la reine des Pays-Bas. Elle avait déjà parlé précédemment d’une façon analogue.

M. DEBENEST

C’est une explication. Le Tribunal appréciera.

Enfin, le pillage des Pays-Bas et la tentative de nazification et de germanisation de ce pays ne sont-elles pas le fait du gouvernement civil dont vous étiez le chef ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui et non. Je comprends parfaitement que les Néerlandais aient considéré notre attitude sur le plan économique comme du pillage ; mais du point de vue juridique, il ne me paraît pas en être ainsi. Je n’ai, en tout cas, pas germanisé les Pays-Bas.

M. DEBENEST

Voulez-vous prendre le document PS-997, page 26 du texte français et 22 du texte allemand, à la partie « Constatations ». C’est votre rapport. Vous l’avez en mains ? Je vais vous lire les constatations que vous y faites vous-même de votre activité, et celle-ci s’arrête au 18 juillet 1940 :

« 2. L’administration se trouve actuellement d’une façon suffisante et d’ailleurs progressive, sous la direction et le contrôle des autorités allemandes.

3. L’économie nationale et les communications sont remises en marche et adaptées à l’état de guerre. On a commencé la réalisation d’une vaste transformation de l’économie continentale, pour laquelle tous les préparatifs sont pratiquement achevés. Les stocks du pays sont à la disposition de l’économie de guerre du Reich. Les ressources financières » — c’était en 1940 — « sont, dans une large mesure, placées sous le contrôle du Reich, tout cela sur la base d’une large collaboration des Néerlandais. »

C’est bien cela que vous avez écrit ? C’était bien votre pensée ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Certainement. Je crois que le point 2 sera compris par toute autorité d’occupation. Le point 3 était une base pour la construction d’une nouvelle Europe.

M. DEBENEST

C’est un avis que le Tribunal appréciera. Je voudrais maintenant revenir brièvement à la question juive. Vous avez dit hier que vous aviez protesté contre le transport de 1.000 Juifs à Mauthausen ou Buchenwald, et qu’il n’y avait plus eu de transports vers ces camps. Mais pourquoi n’avez-vous pas protesté contre les transports vers Auschwitz ? Pensiez-vous que ce camp était bien différent des deux autres ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Bien entendu. Mauthausen et Buchenwald étaient des camps de concentration, alors qu’Auschwitz m’avait été signalé comme un camp de rassemblement où les Juifs resteraient jusqu’à ce que la guerre prenne fin ou qu’une autre décision soit prise.

M. DEBENEST

Avant de venir en Hollande, vous avez été l’adjoint du Gouverneur Général de Pologne ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Le remplaçant, pas l’adjoint.

M. DEBENEST

Encore mieux. Par conséquent, vous aviez entendu parler de ce camp ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

A cette époque, il n’y avait pas encore de camp à Auschwitz.

M. DEBENEST

Mais ne saviez-vous pas que les cendres de ces 1.000 Juifs envoyés à Buchenwald, à Mauthausen, furent expédiées à leur famille contre le paiement de 75 florins ? Et cela se passait en 1941. Ce qui ne vous a pas empêché par la suite de prendre d’autres mesures contre les Juifs, mesures qui conduisaient nécessairement à leur déportation ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Parce qu’à mes yeux, ces mesures appelées « évacuations » étaient quelque chose de tout à fait différent de la déportation ou de l’envoi dans un camp de concentration.

M. DEBENEST

Mais enfin, vous connaissiez le sort de ces Juifs qui avaient été ainsi transportés dans un camp ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Le sort, tel que nous le connaissons aujourd’hui, la plupart et le plus grand nombre d’entre nous ne le connaissait pas. J’ai dit hier quels étaient mes scrupules.

M. DEBENEST

C’est une opinion Vous avez parlé hier de représailles contre un journal de La Haye Vous avez dit...

LE PRÉSIDENT

Est-ce un point que vous avez déjà traité hier dans votre contre-interrogatoire ?

M. DEBENEST

Ce sont des questions qui m’ont été remises ce matin, à la suite de certaines déclarations faites hier par l’accusé. Autrement, j’aurais eu fini.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal estime que vous ne devez pas revenir sur cette question.

M. DEBENEST

Alors j’en ai fini, parce que toutes les questions se rapportent soit aux otages, soit...

Il y a cependant une question que je vais me permettre de poser, si le Tribunal m’y autorise, c’est une question sur l’inondation. Autrement, en ce qui concerne les autres questions, elles ont trait aux otages. Si le Tribunal le désire, je ne les poserai pas. Puis-je me permettre de poser la question sur l’inondation ?

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal estime que vous avez déjà traité hier la question de l’inondation.

M. DEBENEST

Alors, j’ai terminé.

LE PRÉSIDENT

L’audience est suspendue.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Le Tribunal lèvera l’audience cet après-midi à 5 heures moins le quart, pour siéger en Chambre du conseil.

M. DODD

Monsieur le Président, j’ai remarqué que l’avocat de l’accusé Kaltenbrunner est présent ce matin. J’ai compris qu’il devait contre-interroger l’accusé et je pense que nous gagnerions du temps s’il le faisait avant notre interrogatoire.

LE PRÉSIDENT

Oui.

Dr KURT KAUFFMANN (avocat de l’accusé Kaltenbrunner)

Je prie le Tribunal de m’excuser d’avoir été absent hier. J’avais une raison toute particulière, et les circonstances sont parfois plus fortes que la volonté. Je relève d’une sérieuse maladie dont j’ai souffert au cours des dernières années, et je ne me sentais pas très bien ; j’avais cependant la ferme intention d’assister à l’audience d’hier après-midi et j’avais tout préparé pour cela. Je vous prie respectueusement de bien vouloir m’en excuser.

LE PRÉSIDENT

Mais certainement Docteur Kauffmann, le Tribunal accepte votre déclaration.

Dr KAUFFMANN

Je vous remercie. Témoin, depuis quand connaissez-vous l’accusé Kaltenbrunner ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

J’ai fait la connaissance de Kaltenbrunner en 1935 ou dans les premiers mois de 1936, dans le cadre de l’organisation du « Langot ». C’était un service d’assistance, toléré par la Police, pour les familles nationales-socialistes dans le besoin.

Dr KAUFFMANN

Quel rôle joua Kaltenbrunner en Autriche avant l’Anschluss, en mars 1938 ? Appartenait-il aux éléments extrémistes ou aux modérés ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

On m’a dit à l’époque que Kaltenbrunner était assez apparenté aux SS ; mais il n’était pas le führer des SS illégales. C’était un ingénieur styrien.

Dr KAUFFMANN

Vous parlez de l’ingénieur Leopold ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non. J’ai parlé à plusieurs reprises de Kaltenbrunner avec Zernatto. Dans le Parti, nous l’appelions « le policier du 11 juillet » parce que son influence a pu empêcher les éléments extrémistes de commettre des excès tels que ceux qui se sont produits en juillet 1934.

Dr KAUFFMANN

Kaltenbrunner devint alors sous-secrétaire d’État en Autriche ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

Dr KAUFFMANN

L’idée de le nommer sous-secrétaire émanait-elle de milieux autrichiens ou bien de Himmler, de Hitler et de l’accusé Göring ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

A mon avis, c’est uniquement du côté de l’Autriche qu’est venue cette idée. Moi-même, je n’ai ni reçu, ni accepté des suggestions quelconques de la part du Reich quant à mon ministère. Le Parti, en Autriche, avait pensé à Kaltenbrunner, car nous voulions également dans la Police avoir un homme à nous.

Dr KAUFFMANN

Et quelles étaient pratiquement les charges qui lui incombaient en tant que sous-secrétaire d’État ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je crois qu’il ne fit rien en tant que sous-secrétaire d’État. C’est après la démission de Skubl que le président le nomma secrétaire d’État. Il avait en cette qualité des fonctions dans les domaines économique et administratif. Il n’avait aucune possibilité d’intervention dans le pouvoir exécutif. Lorsque je voulais, par exemple, faire libérer un homme, il fallait que Kaltenbrunner s’adressât au chef de la Police, et si celui-ci refusait, il fallait s’adresser à Heydrich.

Dr KAUFFMANN

Il est avéré qu’en 1943, Kaltenbrunner fut nommé chef du Reichssicherheitshauptamt. Il a prétendu ici avoir à plusieurs reprises tenté d’éluder cette nomination. Pouvez-vous nous donner des renseignements là-dessus ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je sais simplement qu’à la fin de novembre ou au début de décembre 1942, je me trouvais au Quartier Général. A cette occasion, je visitai également le Quartier Général de Himmler, et un de ses adjoints — je crois que c’était Wolf — me dit : « Le Reichsführer voudrait Kaltenbrunner pour le RSHA, mais Kaltenbrunner s’y refuse. On va le faire venir au Quartier Général pour quatre semaines et nous allons faire en sorte qu’il accepte tout de même ce poste ».

Dr KAUFFMANN

Avez-vous un quelconque point de repère qui permette de dire que la raison réelle pour laquelle on voulait nommer Kaltenbrunner chef du RSHA, était de le charger d’organiser et de diriger un service de renseignements militaires et politiques ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Certains indices me donnent à penser qu’en ce qui concerne la Police de sûreté il n’avait pas les choses en mains aussi bien que Heydrich, et je connaissais des faits précis quant à son service de renseignements. A l’époque de Heydrich, le chef de ma Police de sûreté ne parlait que de celui-ci quand il demandait une décision à Berlin. Lorsque Kaltenbrunner vint, je ne me souviens pas qu’il en ait parlé, mais plutôt du RSHA et parfois de Müller. Personnellement, autant que je me souvienne, je n’ai parlé que deux fois à Kaltenbrunner de, questions de Police de sûreté. Une première fois, à propos du maintien du Dr Schuschnigg, question dont Kaltenbrunner a déjà parlé ici ; la seconde fois, parce qu’un de mes parents devait entrer dans un camp de concentration ; je me suis adressé à Kaltenbrunner parce qu’il était le seul homme que je connusse au RSHA et que je supposais qu’il y avait une influence. Je ne savais rien du cloisonnement des fonctions. Kaltenbrunner téléphona alors à Müller, mais d’une manière toute différente de celle à laquelle on peut s’attendre de la part d’un chef pour un subordonné.

J’ai des preuves positives de son activité parce que, dès 1944, j’ai collaboré étroitement avec lui. J’ai mis de la monnaie étrangère à la disposition de son service de renseignements à l’étranger ou, selon le cas, agi auprès des services compétents ; tout cela en accord avec le service central compétent.

Dr KAUFFMANN

Vous venez de parler de Müller. S’agit-il de Müller, le chef de la Gestapo ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

Dr KAUFFMANN

Aviez-vous l’impression que cet homme avait tous les pouvoirs en mains en ce qui concerne les questions de la Police d’État ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je ne puis vous dire que ceci, que Kaltenbrunner a dit devant moi à Müller au téléphone : « Comment allez-vous régler cette question ? »

Dr KAUFFMANN

Vous avez aussi reçu de la main de Kaltenbrunner des rapports militaires et politiques, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ seyss-inquart

Oui, à plusieurs reprises ; c’étaient des rapports tout à fait secrets qui n’étaient établis qu’en quatre exemplaires, je crois.

Dr KAUFFMANN

En était-il ainsi avant la nomination de Kaltenbrunner ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non, car c’est Kaltenbrunner qui a introduit l’usage de ces rapports à la fin de 1943 ou au début de 1944, si je m’en souviens bien.

Dr KAUFFMANN

Quelle différence existait-il entre ces rapports et ceux qui étaient précédemment établis par Canaris ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je ne connais pas les rapports de Canaris, ou tout au moins je ne les connais que partiellement. Je les connais par l’ancien RSHA.

Dr KAUFFMANN

Est-il exact que les rapports faits par Kaltenbrunner se faisaient surtout remarquer par une critique acerbe et inhabituelle de toutes les mesures officielles qui étaient prises ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, c’est exact. Avant tout, les rapports de Kaltenbrunner étaient objectifs, ils n’étaient pas destinés à des fins déterminées.

Dr KAUFFMANN

Quel était le volume de ces rapports ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je crois que ces rapports comprenaient quarante à soixante pages, parfois davantage ; ils paraissaient toutes les trois ou quatre semaines, autant que je sache. Cependant, il peut aussi y avoir eu des rapports spéciaux.

Dr KAUFFMANN

Savez-vous si ces rapports spéciaux ont été adressés à des formations militaires, ou bien si ces rapports dont vous parlez traitaient de la situation du point de vue militaire ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Les rapports dont je parle étaient surtout des rapports politiques, et ils étaient adressés directement au Führer. A propos de ces rapports, je me souviens qu’ils prenaient parti de façon particulièrement agressive vis-à-vis de la politique du Reich envers la Pologne et l’Église catholique, et qu’ils étaient écrits sur papier à en-tête du RSHA, ce qui me paraissait inexplicable.

Dr KAUFFMANN

Puisque vous parlez de ces critiques, voudriez-vous encore me répondre à ce sujet : quelle était la teneur de ces critiques qui portaient sur les questions de la vie publique dont vous venez de parler ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

En ce qui concerne la Pologne, il demandait très clairement que l’on accordât aux Polonais un État autonome, ou du moins que cela fût envisagé ; en ce qui concerne l’Église catholique, l’abolition de toutes les mesures, administratives et autres, qui avaient été prises, et qu’une liberté entière lui fût laissée, de même qu’à l’Église protestante.

Dr KAUFFMANN

Je n’ai pas d’autre question à poser. Merci.

M. DODD

Vous avez déclaré hier au Tribunal que vous êtes devenu membre du Parti en 1938 et que votre numéro de membre du Parti était de la catégorie des millions ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

7.000.000. Mon inscription officielle au Parti date du 13 mars 1938.

M. DODD

Bien. Lorsque vous dites « officielle », vous voulez dire, si je comprends bien, que vous l’étiez en fait, sinon officiellement, depuis un certain temps ; que vous payiez des cotisations et que vous accordiez votre appui au Parti. Est-ce exact ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Le premier point n’est pas exact. J’ai souscrit à partir de 1937 jusqu’à .. pardon, depuis l’automne 1932 jusqu’en 1933. Je me considérais intérieurement comme national-socialiste et comme un membre du Parti, mais sans avoir jamais fait de déclaration formelle d’engagement.

M. DODD

Étiez-vous membre du Steierischer Heimatschutz ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, depuis l’automne 1932.

M. DODD

Cette organisation fut prise en mains, pratiquement en totalité par le parti national-socialiste, à une époque où vous en étiez membre, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Cela devait se faire, mais ne fut pas réalisé. Il y avait un accord suivant lequel cette organisation devait être incorporée au Parti ; mais Munich ne le fit pas et les membres de cette organisation durent entrer individuellement dans le Parti.

M. DODD

Connaissez-vous le Dr Andréas Morsey ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Vous voulez dire Andreas Moser ? Je crois que c’était un avocat, mais je ne l’ai pas connu personnellement.

M. DODD

Savez-vous qu’il était aussi membre du Steierischer Heimatschutz ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non.

M. DODD

Vous souvenez-vous avoir eu une conversation le 7 mars 1938 avec lui, quelques jours avant l’Anschluss ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je ne me souviens plus.

M. DODD

Peut-être puis-je vous aider. Vous souvenez-vous lui avoir dit que vous étiez devenu membre du Steierischer Heimatschutz en 1932, peu avant l’interdiction de cette organisation ? (L’interprète a traduit « ... lui avoir dit que vous étiez le chef du Steierischer Heimatschutz... »)

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

C’est absolument impossible, le chef de cette organisation était Constantin Kammerhofer ; tous les Autrichiens le savaient.

M. DODD

Vous ne vous souvenez pas avoir eu une conversation au cours de laquelle vous avez dit ce que je viens de vous citer ? Déclarez-vous que vous n’avez pas dit cela, ou que vous ne vous souvenez pas de la conversation ? C’est ce que je voudrais savoir.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, je me souviens de cette conversation, mais je déclare qu’il est absolument impossible que j’aie dit être le chef du Steierischer Heimatschutz, puisque toute l’Autriche savait que Constantin Kammerhofer en était le chef. J’ai tout au plus pu lui dire que j’étais très lié avec Kammerhofer, ce qui était exact.

M. DODD

Je vais donc vous montrer la déclaration qu’il a faite au cours du procès contre le Dr Guido Schmidt. C’est le document PS-3992. Ce témoignage a été fait devant la Cour suprême à Vienne le 19 mars 1946, devant le juge Sucher. Nous déposons ce document sous le numéro USA-882. Voulez-vous regarder à la deuxième page, vous verrez une phrase qui commence par :

« Le 7 mars 1938, Seyss-Inquart me dit personnellement qu’il était entré dans cette organisation en 1932, c’est-à-dire au dernier moment, peu de temps avant que cette association ne fut interdite en 1933. » Ensuite il parle de Kammerhofer, que vous venez de nommer, et il dit à la phrase suivante :

« II » (Seyss-Inquart) « devint membre de cette organisation dans laquelle il fut reçu par l’ingénieur Pichler (Franz), de Waitz, et n’en sortit plus. »

Donc, lorsque vous dites que vous n’avez pas été membre de la NSDAP, cela peut être considéré comme vrai, mais l’assertion suivant laquelle vous n’auriez pas travaillé illégalement n’est pas exacte.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Le Dr Moser ne peut pas du tout savoir si j’ai travaillé illégalement ou non. Il base son affirmation sur la supposition que le Heimatschutz aurait fusionné avec la NSDAP ; mais ceci est absolument faux, le témoin Überreither pourra l’attester. Je m’en tiens absolument à mes déclarations précédentes.

M. DODD

Connaissez-vous un nommé Rainer ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, très bien. Le Dr Friedrich Rainer.

M. DODD

Vous avez demandé qu’il vienne témoigner ici en votre faveur ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

M. DODD

Mais que diriez-vous s’il disait que vous êtes devenu membre de la NSDAP lorsque le Steierischer Heimatschutz y fut incorporé ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je voudrais dire à ce sujet..

M. DODD

Avant que vous ne répondiez, je voudrais vous dire quelque chose qui pourra vous aider. Ce document a déjà été déposé et je suppose que vous l’avez vu. C’est le numéro PS-812.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, c’est une lettre, un rapport du Dr Rainer.

M. DODD

Vous savez donc ce qu’il a dit. Vous avez vu ce document n’est-ce pas ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

M. DODD

Vous admettez qu’il dit dans ce document que vous étiez membre de la NSDAP, du fait de votre appartenance au Steierischer Heimatschutz et que, pour ainsi dire, vous êtes entré au Parti au moment où cette organisation a été incorporée ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je voudrais vous dire que jusqu’à l’année 1938 j’étais de cet avis et que je ne savais pas ce qu’il en était. Mais en 1938, le Parti déclara formellement qu’il ne reconnaissait pas la fusion, que les membres du Steierischer Heimatschutz n’étaient pas membres du Parti et que les adhésions au Parti devaient se faire individuellement. Rainer le confirmera certainement.

M. DODD

Que vous ayez été, officiellement ou non, membre du Parti, dites-moi si vous reconnaissiez comme chef Klausner, qui était le chef du parti national-socialiste en Autriche, et si vous avez satisfait à ses demandes et obéi à ses ordres.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Comme chef en Autriche ou en Allemagne ?

M. DODD

En Autriche. Je parle de Klausner qui était en Autriche.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je savais très bien, et je reconnaissais, que Klausner assumait la direction du national-socialisme autrichien. Je ne reconnaissais pas Klausner comme mon chef politique. Ceci ressort du rapport même dont vous venez de parler à l’instant. Rainer y dit : « Seyss-Inquart reconnaissait l’autorité de Klausner pour les questions d’ordre politique qui n’étaient pas manifestement décisives ».

M. DODD

II dit exactement le contraire, si vous voulez regarder ce document.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Mais non.

M. DODD

Un moment. Regardez à la page 9 du texte allemand, sept lignes avant la fin. C’est à la page 7 du texte anglais.

« Les rapports entre Seyss-Inquart et Klausner étaient les suivants : Seyss-Inquart reconnaissait sans réserves la direction du Parti relativement au programme entier et, par là, il reconnaissait également Klausner comme chef du Parti. Il se plaçait donc expressément et littéralement, en qualité de membre du Parti, sous l’autorité de Klausner. »

Avez-vous trouvé cela ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je n’ai qu’un brouillon devant moi, mais il dit ensuite : « Il déclara d’autre part que, sur la base de l’accord de Berchtesgaden et plus particulièrement des déclarations qui lui avaient été faites par le Führer à l’occasion de sa visite de l’État-Major de Berlin, il était l’homme de confiance de la NSDAP illégale en Autriche, directement responsable devant le Führer, dans le cadre de ses fonctions politiques ».

Il y a, je crois, un autre passage dans lequel je déclare ne pas être subordonné à Klausner pour les questions politiques.

M. DODD

Bien, mais continuons. En tout cas, il est bien exact que vous avez reconnu de très bonne heure votre fidélité absolue à Hitler, et ceci longtemps avant l’Anschluss ? Vous reconnaissiez votre appartenance politique, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

On pourrait presque le dire. Je connaissais mal à l’époque la portée de l’expression « fidélité absolue », car je pensais alors que Hitler, lui aussi, voulait une révolution.

M. DODD

Très bien. N’avez-vous rien eu à faire avec l’affaire Dollfuss en dehors de ce que vous avez dit au Tribunal ? Vous savez que Rainer le déclare dans le même document PS-812.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

M. DODD

Je crois qu’il est important que vous y répondiez. Vous ne l’avez pas fait au cours de votre interrogatoire, mais le document est déposé comme preuve et Rainer y dit que vous avez soutenu...

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je ne l’ai pas fait parce que Rainer doit venir témoigner. Il pourra dire sous la foi du serment sur quels faits il base ses déclarations. Je ne peux, quant à moi, que répondre par la négative.

M. DODD

Je comprends très bien et c’est une raison de plus pour que je vous interroge maintenant. Vous ne serez plus témoin pendant l’interrogatoire de Rainer et j’aimerais savoir ce que vous répondrez à l’assertion de Rainer, dans ce document, suivant laquelle vous auriez pris part au complot contre Dollfuss, le 25 juillet 1934.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

C’est absolument faux.

M. DODD

Très bien. A ce propos, il y a une autre question que nous allons, si possible, éclaircir maintenant. Vous n’avez pas l’intention de prétendre devant le Tribunal que les cérémonies — si je puis dire — commémorant l’assassinat de Dollfuss, n’avaient rien à voir avec Dollfuss au moment où elles eurent lieu ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je voudrais en effet susciter cette impression, car ces cérémonies avaient lieu en l’honneur des sept nationaux-socialistes qui avaient été pendus alors. A cette occasion, on ne pensait absolument pas, autant que je sache, à la mort de Dollfuss, mais au fait que les hommes de la Standarte 107 ou 108, je crois, avaient tenté de renverser un système qui, de l’avis des nationaux-socialistes, était hostile au Reich, et que sept d’entre eux avaient été pendus. Le fait que Dollfuss eût été tué à cette occasion ne fut pas mentionné au cours de la cérémonie.

M. DODD

Je ne dis pas qu’il le fut, mais ces cérémonies avaient certainement pour but de commémorer l’attentat contre Dollfuss. N’est-il pas un peu étrange de dire que ces faits n’avaient aucun rapport ?

ACCUSE SEYSS-INQUART

Non, car si Dollfuss n’avait pas été tué, les cérémonies auraient eu lieu de la même façon.

M. DODD

En êtes-vous certain ? Ne croyez-vous pas qu’ils n’auraient pas été pendus s’il n’avait pas été abattu ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

En tout cas, je suis certain qu’ils ont été pendus.

M. DODD

Vous avez été nommé conseiller d’État en 1937. Nous allons à nouveau parler un moment de Rainer et de son document. Vous savez que Rainer dit également que vous avez été nommé grâce à l’influence de Keppler et d’autres nazis autrichiens ainsi que de personnalités du Reich. Est-ce exact ? Ces personnes ont-elles influé sur votre nomination en 1937, ou Rainer se trompe-t-il encore sur ce point ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Absolument. Keppler n’a eu aucune influence sur ma nomination de secrétaire d’État.

M. DODD

Et, d’après vous, Rainer se trompe-t-il lorsqu’il prétend qu’ils ont exercé une influence ? Vous n’êtes pas d’accord sur cette déclaration, si je comprends bien ? Je voudrais éclaircir ce point.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

C’est absolument inexact.

M. DODD

Bien.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je fus nommé conseiller d’État parce que Zernatto en ’avait parlé avec un de mes amis et l’avait proposé à Schuschnigg. Une proposition de Keppler aurait vraisemblablement eu pour résultat d’empêcher ma nomination.

M. DODD

C’est donc un hasard et Schuschnigg ne vous a nommé que parce que quelqu’un lui avait parlé ? Et les nazis avec lesquels vous étiez familier à cette époque n’y eurent aucune part ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Ce n’est pas ce que je veux dire. J’ai parlé à Rainer de la possibilité de ma nomination au poste de conseiller d’État, parce que notre ami commun en avait précédemment discuté avec Zernatto. Ensuite, j’en ai discuté avec Rainer, mais il n’exerça aucune influence sur cette nomination.

M. DODD

Vous avez vu le document connu sous le nom de document Hossbach, n° USA-25 (PS-386), présenté au Tribunal il y a quelques mois. Vous souvenez-vous que Hitler ; au cours de cette allocution, rapportée par Hossbach, ait exposé des plans relatifs à l’Autriche ainsi qu’à la Tchécoslovaquie ? Vous en souvenez-vous ? Cela figure dans le document, je puis vous l’assurer.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

M. DODD

Cela se passait le 11 novembre 1937, non, excusez-moi, le 5 novembre 1937. Quand avez-vous entendu parler pour la première fois de cette réunion ? La toute première fois ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Ici, dans cette salle.

M. DODD

Vous souvenez-vous de la lettre que vous avez écrite le 11 novembre au Dr Jury ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

M. DODD

Vous en souvenez-vous bien ou aimeriez-vous en avoir une copie ? Je vais vous la présenter, nous en avons une. C’est un nouveau document, vous ne l’avez pas encore vu.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

J’en ai également un exemplaire.

M. DODD

C’est le PS-3396.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

C’est cela.

M. DODD

Que vouliez-vous dire lorsque vous écriviez à Jury, le 11 novembre 1937 : « Personnellement, je crois qu’il n’y aura pas de résultat visible avant le printemps. En attendant, j’ai reçu une nouvelle authentique de Linz... » Puis vous parlez d’un article de journal.

Je voudrais savoir ce que vous vouliez dire en parlant du printemps de 1938 ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Dans la situation qui régnait à l’époque en Autriche, il était clair que les conditions de politique intérieure ne pourraient pas être maintenues longtemps. Les nationaux-socialistes optimistes pensaient qu’au cours des semaines à venir Schuschnigg devrait se retirer, ou qu’il arriverait quelque chose. Je considérais avec plus d’attention la situation politique, et j’étais d’avis que la politique intérieure de l’Autriche ne pouvait évoluer qu’au printemps suivant, à savoir dans le sens d’une participation accrue des nationaux-socialistes. Quant à l’article de journal, c’est toute autre chose.

M. DODD

Cela ne m’intéresse vraiment pas, à moins que vous ne le considériez comme important dans votre réponse. Je voudrais revenir un peu en arrière. Vous commencez cette lettre en parlant d’une conversation avec M. Keppler. Celui-ci fut l’émissaire de Hitler les 11 et 12 mars lorsque l’Anschluss eut lieu. Est-ce exact ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

M. DODD

Et vous dites : « Les conversations d’aujourd’hui avec M. Keppler se sont poursuivies dans un grand calme ; aussi étaient-elles extrêmement instructives. Je ne crois pas cependant que les choses soient aussi mûres pour la discussion qu’elles ne le semblent dans le Reich et chez les nationaux ». Puis, vous continuez : « Je serais agréablement surpris si le début d’une solution pouvait être trouvé avant la fin de l’année ». Ce dont vous parliez réellement, c’était la livraison de l’Autriche au Reich ? Est-ce cela le « début de solution » ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non. D’abord, rien n’indique que mes conversations avec Keppler étaient secrètes. On dit simplement qu’elles étaient instructives.

M. DODD

Je vois ici : « dans un grand calme » ; je ne sais pas si cela signifie « secret ».

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Cela veut dire que nous nous sommes entretenus d’une façon tout à fait réaliste. Le Reich faisait une forte pression. Peut-être avons-nous dit qu’une certaine pression diplomatique aurait lieu, mais le but était d’assurer la participation des nationaux-socialistes au Gouvernement de l’Autriche, avec l’intention, d’ailleurs, d’obtenir l’Anschluss auquel nous aspirions. Le contenu du document Hossbach ne fut pas mentionné du tout. Je suis également persuadé que Keppler n’en avait pas la moindre idée. La position de Keppler auprès du Führer n’était d’ailleurs pas si solide.

M. DODD

Vous avez écrit à Keppler une autre lettre en janvier 1938 ; vous en souvenez-vous ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

M. DODD

Vous disiez que vous désiriez abandonner votre mandat ou votre poste ou votre responsabilité. Je ne sais pas l’expression précise.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

M. DODD

Quel est le mandat auquel Keppler se réfère dans sa lettre, que vous aviez reçue de Keppler ou de Göring ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non, il s’agissait du poste de conseiller d’État autrichien que je désirais abandonner, ainsi que la tâche d’examiner les possibilités d’entente nécessaires pour obtenir la collaboration de l’opposition nationale. Keppler ne m’avait pas confié de mandat du tout et je n’aurais guère pu en accepter un..

M. DODD

Vous connaissez le document qui a été déposé sous le numéro PS-3397 (USA-702). Keppler dit avoir informé Göring de la situation et que Göring lui aurait dit de vous maintenir à votre poste. Tel en est du moins le sens. Ma question est la suivante : pourquoi Göring s’intéressait-il à ce mandat si celui-ci ne concernait que votre poste de conseiller d’État en Autriche ? C’était vous qui dépendiez du Gouvernement autrichien et non pas Göring.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Pourriez-vous me montrer le document ?

M. DODD

Oui, certainement. Vous y verrez qu’on y parle aussi du Dr Jury, celui même dont nous avons parlé il y a quelques minutes et à qui vous avez écrit votre lettre du 11 novembre.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

De quel passage voulez-vous parler, Monsieur le Procureur ?

M. DODD

La question que je pose est la suivante : j’aimerais savoir pourquoi Keppler s’adressa à Göring pour lui présenter votre désir d’abandonner le poste que vous occupiez par rapport aux nazis ou, comme vous le dites, votre poste de conseiller d’État. Votre explication nous rend plus difficile encore la solution de ce problème. En quoi cela intéressait-il Göring ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

J’ai déclaré hier que j’avais été chargé par le Dr Schuschnigg d’étudier les conditions d’une collaboration avec l’opposition nationale. J’ai toujours dit à Schuschnigg que les nationaux-socialistes autrichiens n’accepteraient pas la moindre offre sans l’accord de Hitler. Au su de Zernatto et du Dr Schuschnigg, j’ai rendu visite à Göring et à Hess. Ils savaient l’un et l’autre que j’étais en rapport non seulement avec les nationaux-socialistes autrichiens mais aussi, par l’intermédiaire de Keppler, avec des personnalités du Reich. Ceux-ci le savaient aussi et y étaient intéressés. Si, tout à coup, je déclarais : « Fini, je ne m’occupe plus de rien », je considérais comme de mon devoir d’en informer les gens du Reich et de leur dire qu’ils ne comptent plus sur mon travail. Je crois que c’est tout naturel et qu’il est impossible de faire autrement.

M. DODD

Et votre lettre du 11 novembre à Jury fut écrite après votre rencontre avec Hess et Göring ? Bien entendu, puisque vous les aviez vus au mois de juillet 1937.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Mais oui, le maréchal Göring en a d’ailleurs déjà parlé.

M. DODD

Très bien. Je voudrais maintenant vous poser quelques petites questions sur votre rencontre avec von Papen à Garmisch. Si je vous comprends bien, elle fut l’effet d’un hasard et n’était pas prévue ? Vous y avez parlé de la possibilité de placer un membre du parti nazi au poste de ministre de la Sécurité. Ce que je voudrais également savoir, c’est si vous avez parlé de la possibilité d’un voyage de Schuschnigg à Berchtesgaden, ce qui, en fait, se produisit peu de temps après.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non. Nous n’avons pas parlé de questions techniques concernant une rencontre éventuelle entre Schuschnigg et Hitler, ou de questions de ce genre. Nous ne nous sommes pas demandés si nous pourrions aboutir par la voie diplomatique.

M. DODD

Vous n’en avez pas parlé du tout ? C’est cela que je veux savoir. Vous n’en avez pas discuté ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Nous n’avons pas parlé d’une rencontre éventuelle de ces deux chefs d’État, mais simplement de l’aspect matériel de notre plan.

M. DODD

Quand avez-vous entendu parler pour la première fois de cette proposition de rencontre entre Schuschnigg et Hitler, et par qui ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

J’en ai été informé le 10 février, je crois, par Rainer ou Globocznik ; on me dit que cette rencontre était envisagée. C’est à peu près au même moment que Zernatto me pria de venir à Vienne, mais il ne m’avait pas dit de quoi il s’agissait.

M. DODD

N’aviez-vous pas préparé pour Hitler des notes ou, si vous voulez, un mémorandum, qui devait constituer la base de ses discussions avec Schuschnigg à Berchtesgaden ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

J’ai rédigé une proposition écrite pour éclaircir la question. Je l’ai remise d’une part à Zernatto et d’autre part au Dr Rainer. Il est tout à fait possible que Rainer l’ait transmise au Reich et je n’y aurais d’ailleurs rien vu à redire.

M. DODD

Vous savez pourtant bien que Mühlmann fut envoyé cette nuit-là à Berchtesgaden par vous et par vos collaborateurs et qu’il s’y présenta devant Schuschnigg et von Papen, porteur de ce mémorandum. N’est-ce pas exact ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Le Dr Mühlmann...

M. DODD

Oui. Celui même dont vous avez dit qu’il était avec vous aux Pays-Bas et à Berchtesgaden.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Le Dr Mühlmann est allé à Berchtesgaden et était informé de ma dernière conversation avec le Dr Schuschnigg. Il en avait probablement pris note.

M. DODD

Ne saviez-vous pas ce qu’il avait fait ? Ne saviez-vous pas aussi que Schuschnigg ignorait — et c’est là ce qui est important — ce que Mühlmann faisait là-bas, en face de lui, avec les notes ou les conditions que vous aviez présentées à Schuschnigg la nuit précédente ? Schuschnigg ignorait tout cela, n’est-ce pas, lorsqu’il se rendit, en toute innocence, à Berchtesgaden ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je suis persuadé que le Dr Schuschnigg ne savait pas que Mühlmann était à Berchtesgaden. Sans doute avait-il informé Keppler qui, à son tour, avait informé le Führer. Le Dr Schuschnigg l’ignorait certainement. Lorsque je lui parlai, je ne savais pas moi-même que Mühlmann irait là-bas.

M. DODD

Quand avez-vous appris que Mühlmann irait ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Après la discussion avec le Dr Schuschnigg, je retournai à mon bureau. Il y avait là le Dr Rainer et peut-être quelqu’un d’autre. Je mis le Dr Rainer au courant de notre conversation ; peut-être Mühlmann était-il présent. Là-dessus, nous décidâmes — je dis « nous » parce que je ne veux pas faire exception pour moi — d’informer Keppler de la nature de cette conversation. Entre temps, le Dr Schuschnigg s’était vraisemblablement déjà rendu à la gare. Je n’avais d’ailleurs aucune raison de l’en informer immédiatement.

M. DODD

Ainsi, vous vouliez donc informer Hitler — si j’ai bien compris — de la nature des conversations de la nuit avec le Chancelier Schuschnigg ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je n’avais pas alors d’occasion ni de raison d’informer Schuschnigg du fait que Mühlmann irait là-bas.

M. DODD

Je sais que vous n’en avez peut-être pas vu la raison, mais ce que je veux tirer au clair, c’est le fait que vous vouliez que Hitler sût que vous aviez eu une conversation avec Schuschnigg, et qu’il sût ce que vous lui aviez dit.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

M. DODD

Pourquoi donc avez-vous fait connaître au chef d’un État étranger les conversations que vous aviez eues avec le chef de votre propre État, à qui vous deviez fidélité ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je n’y vois aucune trahison. Je mettais au courant les chefs des deux parties entre lesquelles je négociais.

M. DODD

Voulez-vous dire que vous pouviez à cette époque négocier entre votre pays et l’Allemagne sans mettre au courant votre propre chancelier ? Schuschnigg ignorait que vous aviez communiqué ces notes à Hitler. Parlez franchement !

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, le Dr Schuschnigg l’ignorait certainement, mais il savait parfaitement que j’étais en rapports permanents avec le Reich, par Keppler, et que je communiquais toujours au Reich les résultats de nos conversations, puisque aussi bien le Reich devait également prendre position. J’ai toujours dit qu’il n’y aurait pas d’entente dans le domaine de la politique intérieure si Hitler n’était pas d’accord. C’est un fait auquel on ne pouvait rien, que du point de vue moral cela eût été bien ou non, nous n’y pouvions rien changer ; sinon, il n’eût pas été possible de faire une politique d’entente.

M. DODD

Ce n’est pas la seule fois que vous n’avez pas agi tout à fait honnêtement avec Schuschnigg. Vous souvenez-vous de lui avoir donné votre parole d’honneur de ne pas communiquer les plans concernant le plébiscite ? Vous rappelez-vous la première fois qu’il vous en parla et vous demanda votre parole de ne rien dire, et que vous le lui avez promis ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

M. DODD

Après cette conversation, vous vous êtes rendu immédiatement à l’hôtel Regina. Vous souvenez-vous des questions de vos camarades et de vos réponses ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Monsieur le Procureur, je crois que vous venez de confondre deux événements. Ce n’est pas cette fois-là que j’allai à l’hôtel Regina, mais le 10 mars au soir, et c’était une tout autre affaire. Tout d’abord, le Dr Schuschnigg n’avait pas à me demander ma parole, car il m’avait désigné lui-même comme homme de liaison par l’accord du 12 février. Si j’avais su d’avance ce qu’il me demanderait, j’aurais refusé, car c’est en vertu de l’accord du 12 février que j’étais obligé de mettre le Reich immédiatement au courant des événements. J’ai tenu ma parole. Le même soir, Jury vint me voir. Il en avait eu connaissance d’autre part et je ne lui dis pas un seul mot qui pût lui laisser entendre que j’étais au courant. Le lendemain matin arriva Rainer. Ce n’est que vers midi que je pris part à ces négociations. Rainer déclare que c’était dans la matinée, mais c’était vers midi.

M. DODD

Très bien, j’accepte cette rectification quant à l’heure, mais je ne crois pas que ce soit très important.

ACCUSE SEYSS-INQUART

C’est très important à mon avis.

M. DODD

Comme vous voulez. J’aimerais vous lire ce que Rainer dit sur la façon dont vous avez tenu votre parole :

« Seyss-Inquart déclara qu’il n’était au courant que depuis quelques heures, mais qu’il ne pouvait pas en parler parce qu’il avait donné sa parole de garder le silence ; mais, au cours de la conversation, il laissa entendre que les informations illégales que nous avions reçues étaient basées sur la vérité et qu’en vue d’une nouvelle situation il avait coopéré avec les Landesleiter (chefs de régions) dès le début. »

Cela n’était certainement pas respecter un secret ni tenir sa parole, comme Schuschnigg et vous l’entendiez ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Dans ce cas, il était absolument impossible d’agir d’une autre façon. Il était près de midi, heure à laquelle expirait ma parole. Ces Messieurs étaient assis en face de moi et m’exposaient tous les détails ; je ne pouvais pourtant pas leur dire que tout cela n’était pas vrai, car je ne m’étais pas engagé vis-à-vis de Schuschnigg à mentir. Je me suis donc tu. Les autres en ont déduit qu’il en était probablement ainsi.

M. DODD

Vous saviez quand il fallait garder le silence et quand vous pouviez donner des explications pour faire comprendre à vos compagnons ce que Schuschnigg vous demandait de garder secret.

Quand avez-vous appris ce qui s’était véritablement passé à Berchtesgaden, les menaces proférées, et la façon terrible dont Schuschnigg y fut traité ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je l’appris par Zernatto. Je crois que c’était dès le 13 février. Puis, j’en entendis parler par le ministre des Affaires étrangères Schmidt et le Dr Schuschnigg me l’a également raconté en partie. Cela devait donc se passer le 13 ou le 14 février.

M. DODD

Vous avez donc pu vous faire une idée assez précise des menaces proférées à l’égard de Schuschnigg, et je crois que vous savez également que Keitel fut appelé là pour l’intimider par la menace d’une entrée des troupes avant le coucher du soleil. Vous étiez tout à fait au courant de ces événements, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je ne me souviens pas de l’histoire de Keitel, mais Schuschnigg m’a dit que les généraux étaient présents, dans le but manifeste d’exercer -une pression d’ordre militaire.

M. DODD

Vous saviez aussi que Hitler avait demandé que vous soyez membre du Gouvernement, au titre de ministre de la Sécurité. Schuschnigg vous l’a dit, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, je crois que Hitler désirait qu’on donne le ministère de l’Intérieur et de la Sécurité aux nationaux-socialistes. Schuschnigg donna son accord, et comme Hitler lui demandait qui il proposait, il donna mon nom. Mais tout cela, ce sont des bruits et je n’en connais pas les détails. En tout cas, cela se passa au cours de cette dramatique conversation.

M. DODD

Je crois que cela est assez important, car vous avez un témoin qui doit venir ici et qui assista à cette réunion : le Dr Schmidt. Voulez-vous dire au Tribunal que c’est Schuschnigg qui proposa votre nom et que ce n’est pas Hitler qui insista pour que vous soyez nommé ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je ne désire pas raconter des histoires au Tribunal mais simplement contribuer à éclaircir les dessous des événements, dans la mesure où le Statut le permet. Je déclare expressément que j’ai entendu dire qu’il en était ainsi. Si le Dr Schmidt y a assisté et déclare qu’il en était autrement, je le croirai sans réserves.

M. DODD

Pouvez-vous nous dire qui vous a dit cela ? Car nous avons une déclaration, sous la foi du serment, du Président Miklas, qui dit que c’était Hitler qui l’avait exigé. Nous savons que Schuschnigg a dit que c’était Hitler qui l’avait demandé, et le Dr Guido Schmidt vous le dira également. Qui vous a dit que c’était Schuschnigg qui l’avait demandé ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

C’est le Dr Mühlmann qui me l’a dit. Mais je tiens à faire remarquer que ce que vous dites est exact, Monsieur le Procureur, car ceci n’est qu’un détail de tactique. Si le Führer force Schuschnigg à désigner un ministre de l’Intérieur et qu’après un échange de paroles il ait, le premier, prononcé mon nom, je ne voudrais pas en tirer la moindre conclusion pour ma défense.

M. DODD

Bon. Je pense que ceci est très courageux. Le fait demeure que tout cela était préparé à l’avance. Vous saviez, ainsi que Hitler, que vous alliez être membre du Gouvernement, et que peu importait qui prononcerait votre nom le premier.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

C’est exact, mais je ne savais pas avec certitude que Hitler demanderait ce jour-là le ministère de l’Intérieur et me nommerait, car M. von Papen ne m’avait pas mis au courant du résultat de ses conversations avec Hitler. Je supposais simplement qu’il en était ainsi. Je n’étais pas à Berlin persona grata au point de penser que c’est précisément moi qui serais choisi.

M. DODD

Peu de jours après la conclusion de ce prétendu accord de Berchtesgaden, Hitler le viola, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Le 17 février, oui.

M. DODD

Ne l’avait-il pas déjà violé avant le 17 février ? Vous souvenez-vous qu’il nomma Klausner chef du Parti, bien qu’il fût tombé d’accord avec Schuschnigg pour ne pas le faire et ne pas autoriser la formation d’une organisation politique de ce genre ? Vous étiez au courant quand cela eut lieu ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Pardon, je crois avoir mal compris la première question. J’ai compris...

M. DODD

Elle est peut-être un peu embrouillée Ce qui importe est de savoir que quelques jours après cette rencontre à Berchtesgaden, Hitler nomma Klausner chef du parti nazi illégal en Autriche. C’est bien cela, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je crois que cela n’arriva qu’après le 17 février, car je demandai moi-même à Hitler de donner son accord à la nomination de Klausner comme chef des nazis en Autriche, car il était évident pour moi que pas un national-socialiste autrichien ne suivrait quelqu’un d’autre si Hitler n’était pas d’accord.

M. DODD

Admettriez-vous comme vraie la relation de Guido Zernatto, dont vous avez vous-même présenté le livre au Tribunal ? Admettriez-vous comme vrai son rapport des événements ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Certainement.

M. DODD

Il dit que cela se passa quelques jours seulement après la rencontre de Berchtesgaden ; je suppose que cela pouvait être le 17, mais c’est peu probable. N’était-ce pas avant que vous n’alliez à Berlin ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Qui a dit cela ? Moi ?

M. DODD

Zernatto.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non. J’ai vu Hitler pour la première fois de ma vie le 17 février, et je crois que Klausner n’était pas encore nommé à ce moment, car c’est moi qui demandai à Hitler de donner son accord pour que Klausner fût nommé chef des nationaux-socialistes autrichiens.

M. DODD

Vous le reconnaissez donc. C’est un point très important dans toutes vos négociations entre l’Autriche et l’Allemagne car si, comme le dit Zernatto, l’accord a été violé quelques jours après la réunion, c’est donc que vous saviez quand vous êtes allé à Berlin pour parler de ce cheval de Troie, que Hitler avait déjà commencé à agir illégalement en Autriche, si vraiment cette activité avait débuté avant votre arrivée.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je voudrais dire que cette activité illégale — qui n’était pas le fait de Hitler seul, mais aussi d’autres gens — n’a jamais cessé, et qu’il était dans mes intentions de donner à cette activité illégale une forme telle que nous puissions la contrôler depuis l’Autriche. C’est aussi ce que je répétais sans cesse à Schuschnigg : « Les nazis autrichiens ne feront rien sans Hitler ».

M. DODD

La question n’est pas là ; ne nous y arrêtons pas. Je veux vous poser une autre question à propos de votre rencontre avec Hitler. Vous connaissiez certainement, le 17, la façon abominable dont on avait traité Schuschnigg et Guido Schmidt à Berchtesgaden. Avez-vous dit quoi que ce fût à Hitler à ce propos au cours de la conversation de deux heures et demie que vous avez eue avec lui ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non, car je ne suis pas non plus responsable de la politique du « Vaterländische Front » vis-à-vis des nationaux-socialistes en 1934 ; ce n’était qu’une réaction contre l’oppression des nationaux-socialistes en Autriche.

M. DODD

Très bien. Passons au 8 mars. C’est le jour où Schuschnigg vous a parlé d’un plébiscite qu’il avait l’intention de faire quelques jours plus tard.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

M. DODD

C’est le 9 mars que vous avez écrit à Schuschnigg et que vous avez envoyé à Hitler une copie de votre lettre, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Parfaitement.

M. DODD

Aviez-vous dit à Schuschnigg que vous envoyiez à Hitler une copie de cette lettre par courrier ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je n’en sais rien, mais je n’ai pas eu le moindre scrupule à le faire, car après le 12 février 1938, je devais informer le Reich.

M. DODD

Mais, en tant que conseiller d’État de Schuschnigg, vous deviez certainement lui faire savoir que vous aviez fait parvenir à Hitler une copie de cette lettre très importante, et vous ne lui en avez rien dit, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

C’est possible, mais je crois que je l’ai peut-être dit à Zernatto. Je l’ai certainement mis au courant du fait que j’avais informé le Reich ; il n’y a pas de doute là-dessus.

M. DODD

Nous verrons bien. La nuit suivante, vous avez rencontré Schuschnigg, Schmidt et Skubl ; je crois que c’était à la chancellerie. Vous n’avez dit à aucun d’eux que vous étiez déjà entré en communication avec Hitler par courrier spécial. Vous souvenez-vous de cette rencontre ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je ne m’en souviens vraiment pas bien ; je ne me souviens que de la rencontre du 10 mars au soir. Mais c’est bien possible. Je crois que...

M. DODD

C’est la nuit où vous êtes allé à l’hôtel Regina et y avez vu Klausner. Immédiatement après cette réunion, vous êtes descendu dans la rue et vous avez vu vos compagnons. Leur avez-vous dit ce que vous avait dit Schuschnigg et ce que vous lui aviez dit quelques instants plus tôt, au cours de la réunion ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Le 10 mars ?

M. DODD

Oui, le 10.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, mais je n’ai rencontré qu’une indifférence étonnante.

M. DODD

Votre courrier était cependant revenu de Berlin. Globocznik était bien revenu de Berlin, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, Globocznik était revenu. Il me dit que Berlin désapprouvait ce plébiscite et que je recevrais le lendemain une lettre précisant la position de Hitler.

M. DODD

Au cours de cette même réunion à l’hôtel Regina, vous avez entendu Rainer donner des instructions pour mobiliser le Parti en Autriche afin qu’il soit prêt à manifester ou à prendre le pouvoir le lendemain. Vous étiez là lorsqu’il établit ces plans. Vous en souvenez-vous ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je crois que Rainer a beaucoup exagéré. Je me souviens seulement que Klausner a dit : « Demain, il faut que tout le monde reste en communication avec lui ». Il était évident que des manifestations pouvaient se produire ; c’était logique et tout le monde s’en rendait compte. Si cette situation n’était pas réglée tout de suite, il pouvait y avoir de sérieuses manifestations. Mais cela aussi, le Gouvernement le savait.

M. DODD

Je crois que nous pourrons passer rapidement si vous convenez avec moi que ces manifestations n’étaient absolument pas spontanées, comme je pensais que vous vouliez le faire croire au Tribunal, mais au contraire prévues par vos compagnons.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Que ces manifestations n’étaient pas spontanées ? Elles ne l’étaient certainement pas.

M. DODD

Elles ne l’étaient pas ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

La situation était de plus en plus tendue depuis le 8 mars.

M. DODD

Très bien. Lorsque Glaise-Horstenau revint de Berlin le lendemain matin, le 11 mars, il vous parla des événements militaires envisagés ou des bruits d’opération militaire qui circulaient à Berlin ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, et nous avons dit la même chose au Dr Schuschnigg.

M. DODD

Vous avez rendu visite à Schuschnigg et, le matin même, vous lui avez écrit une autre lettre.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Auparavant, avait eu lieu une conversation de près de deux heures, au cours de laquelle je lui donnai tous les détails. La lettre n’était qu’une confirmation.

M. DODD

Cette lettre était un ultimatum à Schuschnigg. Elle fut écrite par vous-même, sur les indications de votre supérieur politique, Klausner.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non. C’est ce qu’a prétendu Rainer. C’est encore une de ses assertions. Car si l’on peut parler d’un ultimatum, je l’avais déjà posé verbalement. En quittant le Dr Schuschnigg, je le priai de me donner une réponse pour 2 heures de l’après-midi, et en cas de refus, Glaise-Horstenau et moi-même serions contraints de démissionner. Mais je n’en avais encore absolument pas parlé à Klausner.

M. DODD

Si je comprends bien, tout ce que Rainer dit dans son rapport, le document PS-812, est faux, à vous entendre. Il dit également...

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Ce n’est pas faux, mais légèrement exagéré.

M. DODD

Très bien. Je voulais simplement connaître votre opinion parce que, je le répète, vous ne pourrez plus être entendu au moment où il déposera. Vous savez qu’il dit également avoir discuté avec vous de la prise du pouvoir, pour le cas où Schuschnigg aurait repoussé votre ultimatum. Est-ce vrai ou non ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je ne m’en souviens pas, je ne crois pas.

M. DODD

Que pensez-vous de la déclaration qu’il a faite, suivant laquelle vous auriez mentionné trois possibilités pour vous emparer de l’Autriche et la livrer à l’Allemagne ? Est-ce vrai ou non ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je crois que c’est une construction ultérieure de l’esprit de Rainer.

M. DODD

II faut donc que je vous interroge sur ce point, car je pense qu’il faut que nous connaissions votre opinion.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je vous en prie.

M. DODD

Rainer dit également que le télégramme, maintenant bien connu, adressé à Hitler et disant que la situation était mauvaise en Autriche, avait été en fait ramené de Berlin par Glaise-Horstenau. Il le déclare dans le même document. Qu’en pensez-vous ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Ce n’est pas tout à fait exact. La lettre de Hitler..

M. DODD

En quoi est-ce exact, si ce ne l’est pas tout à fait. Vous semblez dire qu’il y a là quelque chose de vrai.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

J’ai reçu la lettre de Hitler par un courrier et non pas par Glaise-Horstenau. Cette lettre contenait également le projet d’un télégramme.

M. DODD

Et c’est le télégramme dont vous parlait Göring au téléphone, le même dont Keppler parlait à Dietrich au téléphone ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non, ce télégramme était au moins deux fois aussi long et je l’ai délibérément rejeté.

M. DODD

Je vous interrogerai donc sur ce jour-là. L’allocution que vous avez prononcée à la radio, c’est sur les indications de Göring que vous l’avez faite, n’est-ce pas ? Il vous a dit...

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

II n’en est pas question. Cela ne m’aurait pas intéressé.

M. DODD

Regardez plutôt la transcription de sa conversation téléphonique avec vous. Il était 19 h. 57, ce soir-là, quand il vous dit de faire une déclaration au peuple. Trois minutes après, vous parliez à la radio. Que voulez-vous dire lorsque vous prétendez que ce n’est pas Göring qui vous a dit de le faire ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, mais Göring m’a demandé toute autre chose. Göring m’a demandé de déclarer la constitution d’un gouvernement provisoire et de prendre le pouvoir ; du moins, je le crois. J’ai pris la parole en qualité de ministre de l’Intérieur et de la Sûreté, et j’ai demandé au peuple de rester calme et de ne pas opposer de résistance à l’entrée des troupes allemandes ; exactement ce que Schuschnigg avait dit une demi-heure auparavant.

M. DODD

Et il ne vous a fallu que deux ou trois minutes pour vous rendre au microphone après avoir parlé à Göring ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

J’ai beaucoup parlé au maréchal Göring, et je ne veux pas le compromettre, ni moi non plus, par tout ce que nous avons fait ce jour-là à la suite de conversations téléphoniques. Je crois que je n’en ai à peu près rien fait.

M. DODD

Vous ne voulez pourtant pas dire que Göring ne s’intéressait pas au fait que vous vendiez l’Autriche à l’Allemagne ? Il s’intéressait certainement très vivement à ce qui se passait là-bas ce jour-là, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, mais l’expression « vendre » ne me semble pas être la bonne. Göring avait évidemment un grand intérêt à ce que cette affaire fût menée assez rondement.

M. DODD

Vous avez dit hier au Tribunal qu’il y avait environ 40 SS dans le bâtiment et que vous aviez pensé qu’ils étaient là parce que Miklas et Schuschnigg n’avaient rien fait pour les en retirer alors qu’ils auraient pu le faire très facilement. La vérité est que ’ c’est vous qui étiez ministre de la Sécurité et qui pouviez les faire partir.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non, ce n’était pas moi qui étais le maître à la Chancellerie fédérale. D’ailleurs, le Dr Skubl était là et il aurait suffi d’un mot de M. Miklas ou du Dr Schuschnigg pour que 300 hommes du bataillon de la garde vinssent assurer l’ordre. On ne pouvait tout de même pas me demander à moi, à ce moment-là, de marcher contre les nationaux-socialistes.

M. DODD

S’il suffisait d’un mot de leur part, il aurait suffi, de la vôtre, d’un geste du doigt pour les faire partir. Ces SS étaient de vos nationaux-socialistes, en dehors du fait que vous étiez chef de la Police.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je ne sais pas s’ils m’auraient obéi et, d’autre part, je n’avais pas autorité sur le bataillon de la garde parce qu’il faisait partie de l’Armée. Il est certain que j’aurais pu faire agir mon influence et que cela aurait peut-être servi. Mais les 40 hommes qui étaient là ne signifiaient rien à mes yeux.

M. DODD

Ils avaient entouré la place, n’est-ce pas ? Ils étaient non seulement dans le bâtiment, mais aussi au dehors et sur les toits des bâtiments voisins. Vous souvenez-vous de tout cela ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

II y avait à ce moment-là quelques milliers de nationaux-socialistes devant le bâtiment de la Chancellerie fédérale.

M. DODD

Reportons-nous plutôt à ce qu’en dit votre ami Rainer, qui doit venir témoigner pour vous. Avez-vous vu l’article — je pense qu’on peut appeler cela un article — qu’il écrivit sur cette nuit historique ? Le connaissez-vous ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, on peut même dire que c’est plus qu’un article.

M. DODD

II a appelé cela « Les heures d’une décision historique ». Le document porte le numéro PS-4004, Monsieur le Président, USA-883. (Au témoin.) Vous admettrez, je pense, que l’image donnée par Rainer est toute différente de celle que vous avez donnée au Tribunal, du moins si vous avez lu cet article, et vous dites que vous le connaissez. Il dit que Kaltenbrunner commandait 700 SS cette nuit-là et que Lukesch réunit 6.000 SA en une demi-heure. Ils avaient reçu l’ordre de se mettre en marche, d’occuper la Chancellerie fédérale et de tenir le Ring et le bâtiment jusqu’à ce que le Gouvernement national-socialiste fût proclamé. 40 SS, sous les ordres de l’adjoint de Kaltenbrunner, Rinner, avaient reçu l’ordre d’entrer par la force à la Chancellerie fédérale, de l’occuper, et ainsi de suite. Et vous aviez donné l’ordre — il dit que c’était vous — de laisser entrer Rinner. Cela est très important et je voudrais bien savoir ce que vous en pensez. Rinner commandait les 40 SS dont vous dites que quelqu’un d’autre aurait pu les faire partir. Voici ce qu’il dit :

« Il était 10 heures environ quand le commandant de la garde dit au Dr Seyss, ministre de la Sécurité, qui se trouvait justement dans notre pièce, qu’un homme accompagné de 40 autres, était au portail et demandait à entrer, disant qu’il avait des ordres supérieurs. J’expliquai rapidement au Dr Seyss que c’était Rinner et ses 40 hommes désignés pour occuper la Chancellerie. Le Dr Seyss donna l’ordre de faire monter Rinner. Je n’oublierai jamais ce moment-là. Escorté d’un immense garde du corps, Félix Rinner, le fameux champion de course autrichien... » etc.

Il était le premier Sturmführer national-socialiste à entrer au Quartier Général cette nuit-là, et vous êtes celui qui l’avez fait entrer.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

C’est un article de victoire écrit dans l’ivresse de la victoire ; je peux simplement dire que j’ai remarqué dans les couloirs ces nationaux-socialistes en pantalons noirs et chemises blanches, et que j’ai demandé ce qui se passait. Mais quant à cette description dramatique suivant laquelle j’aurais ouvert la porte, nous attendrons de voir si Rainer la confirmera.

M. DODD

Oui, je comprends. Nous l’attendons tout comme vous. Vous noterez qu’un peu plus loin il dit que, sous votre propre responsabilité, vous avez donné l’ordre d’ouvrir les grilles et de laisser entrer ces hommes. Vous dites que c’est faux. C’est tout ce que je voulais savoir.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non, je ne sais rien de tout cela.

M. DODD

Continuons donc. Il n’y a rien de vrai, je suppose, dans tout cet article de Rainer ou bien y a-t-il quelque chose que vous reconnaissiez comme vrai ? Vous savez qu’il témoignera pour vous.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je suis moi-même très intéressé par ce qu’il dira. Tout cela est une relation un peu poétique de ces événements. La base en est certainement exacte, mais l’allégresse de la victoire y a certainement beaucoup ajouté.

M. DODD

Je crois devoir vous dire, avant de vous poser une question, que Guido Schmidt, dans un témoignage que nous avons ici et que je serai heureux de vous présenter, déclare que la place était encerclé par ces SS et que vous saviez qu’ils étaient là. Qu’en pensez-vous ? Lui aussi doit témoigner pour vous.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

J’ai dit qu’il y avait quelques milliers de nationaux-socialistes autour de la chancellerie fédérale. Je ne sais pas s’il s’agissait de SS ou de SA. Il y avait même beaucoup de femmes parmi eux. Je n’avais pas eu connaissance de cette sorte d’ordre de mobilisation du Parti, mais j’avais dit au Dr Schuschnigg, dès le matin, que si nous n’arrivions pas à nous entendre, on pouvait s’attendre à de sérieuses manifestations de la part du Parti.

M. DODD

Autre chose. Avez-vous dit au Tribunal, vous ai-je bien compris lorsque vous avez dit que Miklas avait démissionné sans que vous l’en ayez personnellement mis en demeure ? Le président Miklas était alors Bundespräsident d’Autriche. A-t-il démissionné sans que vous le lui demandiez ? Est-ce là votre témoignage ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Ce que je lui demandais, c’était de signer la loi sur l’Anschluss. Il me répondit qu’il ne le ferait pas. Selon la Constitution, c’est à moi que devaient passer ses pouvoirs. Il ne voulait pas faire obstacle à l’évolution des événements. Je ne crois pas l’avoir invité à démissionner ; je lui demandais simplement de signer la loi.

M. DODD

Il a déclaré à Vienne, devant un Tribunal, que vous le lui auriez demandé. Vous souvenez-vous, ou avez-vous oublié, ou bien dites-vous que ce n’est pas vrai ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non ; je considère que c’est impossible, car je me souviens encore parfaitement qu’il me dit : « Je ne peux pas signer cette loi, mais je ne veux pas faire obstacle à l’évolution des événements. Si vous me confirmez qu’il est nécessaire que l’Anschluss ait lieu, je donnerai ma démission et vous aurez tous mes pouvoirs ». S’il a compris que je lui demandais de démissionner, je ne veux pas le contredire et rendre sa position plus difficile, car je reconnais avoir réalisé l’Anschluss.

M. DODD

Je vais donc déposer ce document ; vous pouvez le voir si vous le désirez. C’est son témoignage devant un Tribunal de Vienne, le 30 janvier 1946. C’est le document PS-3697, qui devient USA-884. Vous pouvez le voir s’il vous intéresse. Il s’explique précisément sur le point dont nous venons de parler et dit que vous avez beaucoup parlé, disant que cela vous était très pénible, mais que vous étiez obligé d’obéir aux ordres venant d’Allemagne et que, par conséquent, il devait démissionner. C’est à la page 17 du texte anglais du témoignage du Président Miklas.

Avez-vous écrit une lettre à Himmler ou, plutôt, n’avez-vous pas écrit deux lettres à Himmler à propos de Bürckel ? L’une de ces lettres est déposée comme preuve et je voudrais vous demander si vous vous souvenez de l’autre. Vous souvenez-vous de la lettre dans laquelle vous disiez à Himmler qu’il n’était pas vrai que vous vous occupiez de la déportation des Juifs et que vous aviez seulement insisté pour qu’ils soient remis aux hommes de Kaltenbrunner, au SD.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je le connais, il a été présenté ici. Je sais, je l’ai vu ici, au Tribunal.

M. DODD

Je pense que vous l’avez vu, mais il n’a pas été déposé comme preuve. Je vais le faire.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, mais la lettre est certainement exacte.

M. DODD

C’est le document PS-3398 qui devient USA-885. Vous dites dans cette lettre que vous avez donné des instructions afin que la déportation des Juifs n’ait lieu qu’avec l’accord du SD et par le SD et que vous ne pouviez pas autoriser les opérations arbitraires.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

C’est exact. Dois-je prendre position vis-à-vis de ce document, Monsieur le Procureur ?

M. DODD

Je voudrais vous demander ceci : vous étiez donc au courant de la déportation des Juifs et c’est ce que j’avais déduit de votre interrogatoire. Vous étiez au courant et vous avez fait en sorte que ce soit le SD qui s’en occupe. C’est le seul point que je voudrais éclaircir, et je suppose que vous êtes d’accord.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui. Je savais, bien entendu, que quelques trains avaient été chargés de Juifs à Vienne et qu’on les avait emmenés en Pologne. Aucune disposition n’avait été prise et ces Juifs souffraient de grandes difficultés. Je me suis élevé contre cela, et comme Bürckel se plaignait, j’ai dit à Himmler : « Si l’on fait de telles opérations, qu’elles soient faites par le SD », parce que je supposais qu’elles seraient mieux préparées. Si je dis cela aujourd’hui, cela rend évidemment un son tragique et amer ; mais je pensais qu’on leur installerait au moins des camps provisoires. Je sais d’ailleurs, depuis le 9 novembre 1938, comment ces choses se passaient : le Parti commence, et ensuite c’est à l’État de prendre les choses en mains et de les mener à bien.

M. DODD

Vous saviez, en tout cas, que Kaltenbrunner déportait les Juifs d’Autriche, ou du moins qu’il en était chargé ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je ne me souviens pas de Kaltenbrunner à ce propos. Je crois que c’était l’œuvre du Parti seul, et que Kaltenbrunner ne s’en est pas occupé.

M. DODD

N’avez-vous pas dit que c’était le SD ? Et Kaltenbrunner n’en était-il pas à ce moment-là le chef en Autriche ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

J’ai dit qu’il en était chargé, mais ces transports n’ont pas été faits par Kaltenbrunner ; c’est Globocznik qui les dirigeait.

M. DODD

Ils étaient pourtant sous les ordres de Kaltenbrunner ? Il était alors chef de toute la Police en Autriche.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Il était plutôt chef de la Police de sûreté ; je ne pourrais pas dire à quel point il avait de l’influence. Je ne crois pas qu’elle était grande.

M. DODD

Depuis que vous êtes dans cette salle, vous avez pu constater qu’il avait une certaine influence. Vous savez maintenant que ces questions l’occupaient beaucoup.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non.

M. DODD

Voulez-vous dire que vous n’avez pas entendu dire ici que Kaltenbrunner s’était occupé de la déportation des Juifs ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

C’est l’affaire de Kaltenbrunner. Je ne le sais pas par mes propres observations.

M. DODD

Je ne veux pas insister, mais ce n’est pas ce que je vous ai demandé. Je vous ai demandé si vous n’aviez pas entendu dire dans cette salle que Kaltenbrunner s’était beaucoup occupé des déportations de Juifs ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

M. DODD

Bien. Vous appliquez cela à votre lettre, n’est-ce pas ? Et ne savez-vous pas maintenant qu’au moment où vous écriviez cette lettre, il s’occupait des déportations de Juifs ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

A mon avis, Kaltenbrunner n’avait rien à faire avec les déportations des Juifs dont on parle ici. C’étaient des opérations arbitraires exécutées par le Parti ou par le Gauleiter Globocznik.

M. DODD

Vous rappelez-vous quand vous avez reçu de Lammers les pouvoirs que vous aviez demandés pour la confiscation des biens en Autriche ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

M. DODD

Avez-vous vu ces documents ? Ils sont nouveaux ce sont votre lettre à Lammers sa réponse et l’ordonnance prise à votre requête. Il y a trois documents.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

M. DODD

Votre lettre à Lammers, du 23 octobre 1938, est le document PS-3448 (USA-886). La réponse de Lammers est datée du 24 octobre 1938 ; c’est le numéro PS-3447 qui devient USA-887. L’ordre lui-même est le document PS-3450 qui devient USA-888. C’est bien la confiscation des biens juifs en Autriche que vous demandiez ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, j’ai déjà déclaré hier ou avant-hier que j’y avais pris part en prenant des arrêtés.

LE PRÉSIDENT

Allons-nous lever l’audience maintenant ?

M. DODD

Je peux terminer dans cinq minutes, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Bien, continuez.

M. DODD

J’aimerais bien terminer et je crois que cela sera possible.

Accusé, quand avez-vous entendu parler pour la première fois des nombreux Autrichiens qui sont morts dans les camps de concentration depuis l’Anschluss ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Des nombreux Autrichiens qui sont morts dans les camps de concentration ? C’est dans cette salle que j’en ai entendu parler pour la première fois. Quant aux nombreux Autrichiens qui étaient dans les camps, j’en ai peut-être entendu parler au cours de l’année 1943-1944. En 1938 et 1939, je savais que certains opposants adversaires politiques étaient internés dans des camps de concentration, mais qu’avec le temps on les relâchait, au moins en partie.

M. DODD

Ne savez-vous pas qu’ils trouvaient la mort à Buchenwald dès 1939 ? N’avez-vous pas connu certaines personnes dont vous avez appris la mort ? Réfléchissez une minute avant de répondre. N’avez-vous pas appris la mort, à Buchenwald, de gens qui étaient opposés à vos idées politiques ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je ne me souviens pas, Monsieur le Procureur.

M. DODD

Vous n’en avez jamais entendu dire un mot ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Ce n’est pas ce que je veux dire. Citez-moi un nom et je vous dirai immédiatement ce qu’il en est.

M. DODD

Je sais que si je vous cite un nom vous me direz que vous en avez entendu parler ; mais je vous demande d’abord si vous ne saviez vraiment pas que certains d’entre eux mouraient dans ces camps ? C’est tout ce que je veux savoir. C’était pourtant bien connu en Autriche.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je reconnaîtrai certainement qu’il est possible qu’on m’ait dit, dès 1938 ou 1939, que telle ou telle personne était morte dans un camp.

M. DODD

Et vous êtes resté fidèle aux nazis tout en sachant, pour le moins, qu’un grand nombre de vos compatriotes étaient jetés dans les camps de concentration ? Cela vous était égal ? Quoi que vous ayez pu penser avant l’Anschluss vous saviez certainement ce qui s’est passé après ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

II n’est pas question que j’aie su qu’il en mourait un grand nombre. Qu’il y en ait eu quelques-uns, cela ne m’aurait pas affecté particulièrement, car entre 1934 et 1938 il y avait eu au moins autant de nationaux-socialistes qui étaient morts dans les camps de concentration du Dr Dollfuss et du Front patriotique, c’est-à-dire de l’État autrichien.

M. DODD

Conviendrez-vous avec moi que la situation devint très mauvaise en Autriche après la prise du pouvoir par les nazis, que tout alla de mal en pis, et que vous le saviez, comme tout le monde en Autriche. Ou bien voulez-vous prétendre qu’elle s’était améliorée ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je vous dirai très franchement : naturellement, si vous écoutez aujourd’hui les chefs de l’opposition, c’était terrible. Mais quand on a vu vivre le peuple, jusqu’en 1939, on peut voir qu’il avait retrouvé sa vitalité, que le chômage avait disparu et qu’un esprit tout nouveau régnait. Mais la guerre rendit la situation impossible.

M. DODD

Une dernière question, si vous pouvez y répondre brièvement. Dois-je comprendre que vous acceptez la responsabilité de ce qui s’est passé en Pologne, de tout ce qu’on a prouvé s’y être passé ? Acceptez-vous la responsabilité commune avec Frank, puisque vous étiez son remplaçant ?

ACCUSE SEYSS-INQUART

En premier lieu, cela ne peut se faire que pour la période où j’étais là-bas, et en cette qualité.

M. DODD

Bien entendu, je ne parle pas du moment où vous étiez déjà parti. Je parle du moment où vous étiez là-bas.

ACCUSE SEYSS-INQUART

Et là seulement où j’ai exercé mes fonctions de remplaçant, et où j’ai eu connaissance de crimes sans m’élever contre eux.

M. DODD

Je voudrais simplement lire, pour qu’elle figure au procès-verbal, une phrase d’un document qui a déjà été déposé, le document PS-2233. A la première page, paragraphe 4, je voudrais lire la phrase suivante, car une partie seulement en a été lue par la Défense, mais pas tout le paragraphe. Cela figure au chiffre 3 :

« Les mesures de police et autres opérations tenues pour nécessaires seront entreprises sous la surveillance directe du chef de la Police de sûreté. Toute opération arbitraire devra être soigneusement évitée. »

Cette ordonnance a été prise à l’occasion de l’opération AB, à propos de laquelle le témoin a déposé. (Au témoin.) Ces pièces montrent, accusé, que vous étiez présent au moment où l’accusé Frank parla de l’opération AB et fit la déclaration que je viens de lire. Vous ne niez pas votre responsabilité pour tout ce qui s’est passé au cours de l’opération AB ? Vous étiez au courant ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je n’ai nié quoi que ce fût ni dans le cas de l’opération AB, ni autrement. J’ai parlé particulièrement de l’opération AB.

M. DODD

Monsieur le Président, le document PS-2233 (URSS-223) est maintenant déposé en français. Il avait déjà été déposé comme preuve et accepté par le Tribunal. Mais nous n’avions pas à ce moment-là le texte français. Il est maintenant entièrement traduit en français et je le présente au Tribunal. J’ai terminé mon interrogatoire.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Dodd, vous dites que le document du 11 novembre 1937, PS-3369, est un nouveau document. Lui avez-vous donné un numéro ?

M. DODD

Je voulais le déposer, mais je crains l’avoir oublié. Il aura le numéro USA-889. C’est un nouveau document. Un moment, Monsieur le Président, je vais vérifier. Je voulais le déposer et je crains de l’avoir oublié. Il devient USA-889. C’était un nouveau document et j’avais l’intention de le déposer.

LE PRÉSIDENT

L’audience est suspendue. Nous siégerons à nouveau à 14 h. 10.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures 10.)