CENT CINQUANTE-TROISIÈME JOURNÉE.
Mercredi 12 juin 1946.
Audience du matin.
(L’accusé Seyss-Inquart vient à la barre des témoins.)Plaise au Tribunal. Les accusés Jodl et Hess n’assisteront pas aux débats.
Accusé, vous reconnaissez que des stocks extrêmement importants ont été dirigés vers l’Allemagne ?
Parfaitement, c’est exact.
Au sujet d’un autre système utilisé aux Pays-Bas pour le pillage, je voudrais vous soumettre un document qui démontre d’ailleurs que vous n’avez pas été le seul à participer à ce pillage, mais qu’il y a encore Göring et l’OKW. C’est le document F-868 qui devient RF-1530. Il s’agit d’un télétype qui vous est adressé par l’OKW et qui est signé Reinecke. Ce télétype est en date du 5 décembre 1940 ; il commence ainsi :
« Séance chez le Reichsmarschall, le 7 octobre 1940.
Réglementation de l’expédition ou de l’enlèvement de marchandises en provenance des Pays-Bas, par les membres de la Wehrmacht et des unités annexes.
En accord avec Monsieur le Reichsmarschall et Monsieur le Commissaire du Reich pour les territoires occupés des Pays-Bas, les dispositions en vigueur jusqu’à ce jour réglementant l’expédition et l’enlèvement de marchandises en provenance des Pays-Bas, sont abrogées. Les membres de la Wehrmacht et des unités et organisations annexes » — suivent les désignations — « ainsi que les autorités et membres des services employés aux Pays-Bas peuvent, dans le cadre des moyens dont ils disposent, expédier chez eux par la poste militaire, des colis d’un poids maximum de 1.000 grammes et ce, sans limitation de nombre. Dans la mesure où ces colis ne dépassent pas le poids de 250 grammes... »
Je ne lis pas la suite, il s’agit d’une question d’affranchissement.
« L’enlèvement de marchandises à l’occasion d’un congé ou de tout autre passage de la frontière n’est assujetti à aucune restriction... »
Cette réglementation a bien été arrêtée avec votre accord ?
Le mot accord est peut-être fort dans ce cas. Il ne s’agit pas ici d’un pouvoir de réquisition, mais simplement de directives relatives au transport ; ces marchandises ne devaient pas être réquisitionnées d’une manière quelconque, mais il fallait les acheter. Le Reichsmarschall avait donné cet ordre et je devais le faire appliquer. Il s’agit d’un décret appelé « Schlepp-Erlass » ; cette réglementation permettait aux soldats rentrant des Pays-Bas d’emporter tout ce qu’ils avaient acheté. Plus tard, je fis appliquer cette réglementation aux civils, en accord avec le décret militaire. Je crois que cette mesure fut abrogée deux ans après, parce qu’elle favorisait particulièrement le marché noir.
Je ne vous ai pas dit qu’il s’agissait d’une réquisition. Hier je vous ai dit qu’il y avait eu des réquisitions massives, vous m’avez répondu que c’était exact. Aujourd’hui, je vous dis — et je vous soumets ce document pour vous le démontrer — qu’il y avait également un autre moyen de pillage des produits des Pays-Bas.
Oui, mais auparavant vous aviez parlé de réquisitions, et c’est cela que j’avais l’intention de mettre au point.
J’en ai parlé hier, tout simplement ; passons. Voulez-vous me dire quelle était la destination du « Beauftragte für den Vierjahresplan » ?
Je ne me rappelle pas exactement le texte de l’ordonnance, mais je crois qu’on en a donné lecture ici. En tout cas, elle concernait l’organisation de l’ensemble des moyens économiques dans la sphère des intérêts du Reich, au profit de la politique allemande et, en temps de guerre, naturellement, au profit de l’économie de guerre.
Qui a ordonné la liquidation des biens des francs-maçons ?
Je dois avouer que je ne le sais pas exactement. Mon attention fut attirée sur le fait, mais c’était déjà un fait accompli. J’imagine que cela procédait de Himmler, par l’intermédiaire de Heydrich.
Mais je vais vous rafraîchir la mémoire. Je vous fais remettre le document F-865 qui deviendra RF-1531. Il s’agit d’une lettre qui émane de vous, n’est-ce pas ? En date du 11 mars 1944. Elle est bien signée de vous ?
C’est parfaitement exact.
Bon. Vous vous exprimez ainsi dans cette lettre :
« Très honoré Docteur Lammers.
J’ai fait liquider dans les Pays-Bas les biens des francs-maçons. Étant donné que la liquidation a été faite par mes soins, donc par un service d’État, c’est, contrairement à ce qui se passe pour la liquidation entreprise par d’autres services, à Monsieur le ministre des Finances du Reich que revient le pouvoir de décider de l’utilisation ultérieure de ces revenus.
J’ai écrit aujourd’hui une lettre à Monsieur le ministre des Finances et je me permets de vous en adresser ci-joint une copie. Je vous prie de bien vouloir appuyer ma demande. »
Vous n’avez donc pas appris cette liquidation après qu’elle ait été faite puisque c’est vous qui l’avez faite cette liquidation ?
Je m’en tiens absolument à ce que j’ai dit tout à l’heure. Vous m’avez demandé qui l’avait ordonnée et j’ai compris que vous demandiez qui l’avait demandée dans le Reich. Ce n’est qu’après quelques mois que j’ai eu connaissance de l’ensemble de tous ces faits. Ensuite, je me suis chargé de la liquidation, les services compétents l’ont menée à bien, et j’ai écrit cette lettre. L’exécution m’en incombait donc.
Vous aviez bien dit tout à l’heure — et j’ai bien compris la traduction qui m’a été faite — que vous ne l’aviez appris qu’après coup. Vous démentez vos déclarations, comme j’ai pu le constater hier à plusieurs reprises, lorsqu’on vous montre le document.
Je n’ai pas compris. Est-ce une question que vous me posez ?
II s’agit d’une constatation.
Est-ce que la liquidation des biens des francs-maçons a été importante ?
Certainement. Je tiens seulement à dire qu’elle a été commencée par un autre service ; les biens ont été saisis et, ensuite, j’ai entrepris l’opération proprement dite et je l’ai fait exécuter par mes services.
Aviez-vous prévu l’utilisation des sommes que produirait la liquidation ?
J’avais proposé que ces sommes fussent remises au Parti.
Vous en aviez discuté antérieurement ?
J’avais également écrit une lettre à ce sujet. Je crois que l’annexe de la lettre que le Ministère Public vient de lire contient la proposition que ces sommes soient remises au Parti.
N’avez-vous pas menacé le peuple des Pays-Bas de la famine à la suite des grèves de chemins de fer, en septembre 1944 ?
On peut considérer cela comme une menace, mais en tout cas, j’ai déclaré que c’était fort probable.
Vous avez demandé aux secrétaires généraux de faire cesser cette grève ?
Monsieur Debenest, le Tribunal aimerait que vous approfondissiez davantage la question de savoir qui a ordonné la confiscation des biens.
Accusé, savez-vous qui a ordonné cette confiscation ?
Oui, parfaitement ; la saisie fut ordonnée par Heydrich et exécutée par la Police. Par la suite, un représentant du Parti commença à procéder à la liquidation, et à ce stade c’est moi qui la repris en mains et la confiai à mes services.
A quelle date cette liquidation a-t-elle été ordonnée ?
Dans les premiers mois. Cela s’est fait extrêmement vite ; c’était une affaire de semaines.
Une raison quelconque fut-elle donnée ?
Les francs-maçons étaient considérés comme des ennemis du Reich selon l’ordonnance sur la saisie des biens des ennemis de l’État.
Cet ordre de Heydrich était-il un ordre écrit ?
Je ne puis pas le dire. Cet ordre fut transmis à la Police de sûreté et exécuté par son commandant. Je pense qu’il devait s’agir d’un télétype. Il est également possible que toute cette opération ait été prévue auparavant.
Voulez-vous dire que vous avez exécuté cet ordre sans l’avoir par écrit ?
J’ai reçu une notification de la Police de sûreté précisant que le RSHA était chargé de cette confiscation. Il est possible que cette notification ait été écrite mais elle peut aussi avoir été verbale. C’est à ce stade que j’ai repris l’affaire en mains.
Quelles étaient les sommes sur lesquelles portait cette opération ?
Je crois que le total devait porter sur plus de 8.000.000 ou 9.000.000 de florins.
Vous avez dit, je crois, que vous aviez proposé que cette somme fût remise au Parti ?
J’ai demandé que ces 9.000.000 de florins fussent remis au Parti.
Cela fut-il fait ?
Non, je n’ai pas reçu de décision. Ces biens doivent être restés aux Pays-Bas sous la forme de valeurs quelconques, probablement en bons du Trésor,
Vous étiez Commissaire du Reich pour les Pays-Bas. Qu’advint-il de ces sommes ?
L’argent fut déposé à un compte en banque, peut-être des bons du Trésor néerlandais furent-ils achetés. Il fut administré comme un fonds autonome et ne fut pas utilisé.
Tout cela se passait en 1940, n’est-ce pas ?
La liquidation a dû se poursuivre jusqu’en 1942, et à partir de ce moment-là, l’argent resta déposé à un compte en banque.
Quelle était la banque ?
Je ne puis pas m’en souvenir, Monsieur le Président, mais il est certain que les Hollandais le savent.
Lorsque vous dites que cet argent a été confisqué dans les premiers mois, vous voulez parler de 1940 ?
Oui, immédiatement après l’entrée en Hollande.
Veuillez poursuivre, Monsieur Debenest.
L’utilisation de cette liquidation a-t-elle été la même que l’utilisation de la liquidation des biens juifs ? Répondez.
L’essentiel du produit de la liquidation des biens juifs fut transféré à l’administration des Biens et Pensions. Ce produit ne fut pas absorbé, mais il servit à couvrir certaines dépenses. Par exemple, ces fonds furent utilisés pour la création du camp de Vught. Le produit de la liquidation des biens juifs était de 400.000.000 de florins et même davantage, mais cette somme ne fut pas utilisée.
En fait, quelle en a été l’utilisation précise ? Est-ce à des fins du Gouvernement allemand ou à d’autres fins ?
Les biens juifs furent d’abord saisis. Ensuite, dans la mesure du possible, ils furent liquidés. Nous appelions cela l’aryanisation. Les produits de cette aryanisation furent réunis à l’administration des Biens et Pensions, mais dans l’ensemble...
Je vous demande pardon, mais répondez plus directement sans nous raconter comment s’est effectuée la liquidation. Je vous parle de l’utilisation des sommes.
Ces sommes ne furent, dans l’ensemble, pas utilisées, mais je crois que 400.000.000 de florins ont été déposés à l’administration néerlandaise des Biens et Pensions, en partie en bons du Trésor hollandais et en partie sous leur forme originale. Seules, des sommes relativement minimes furent utilisées à des fins précises. Je crois que la somme la plus importante était les 14.000.000 de florins qui ont servi à la création du camp de Vught. J’ai attiré l’attention du ministre des Finances du Reich...
Je vous demande pardon, mais je vous ai posé une question : cette liquidation a-t-elle été utilisée pour les besoins du Reich, oui ou non ?
Non, si l’on ne considère pas la création du camp de Vught comme une utilisation au profit du Reich ; mais cette somme fut utilisée dans ce but, précisément parce que le camp de Vught devait devenir un camp de rassemblement pour les Juifs.
En somme, vous estimez que la constitution du camp de Vught était dans l’intérêt des Néerlandais ?
Certainement. Les frais du camp de Vught, dans la mesure où j’en ai eu connaissance, furent couverts par les biens juifs — je crois qu’il s’agissait de 14.000.000 de florins — et cela parce que c’était un camp de rassemblement pour les Juifs. Ce n’est que par la suite que Himmler en fit un camp de concentration.
C’est une opinion, le Tribunal appréciera. Mais, en ce qui concerne les biens des francs-maçons et l’utilisation des sommes qui provenaient de la liquidation, quelle a été la destination exacte ? Pour le Reich ou encore pour construire des camps de concentration pour les Néerlandais ?
Ni l’un ni l’autre.
Monsieur Debenest, il a déjà dit, assez clairement je crois, que les fonds avaient été déposés dans une banque inconnue, et qu’il s’agissait de 400.000.000 provenant des Juifs.
Monsieur le Président, je connais la banque. Les fortunes juives ont été déposées à l’administration des Biens et Pensions (Vermögensverwaltungs und Rentenanstalt).
Bon. Eh bien, je vais vous faire remettre un document qui est une lettre. C’est le document F-864, qui deviendra le document RF-1532. Ce document précise la destination que vous donniez aux biens qui ont été ainsi liquidés.
Vous indiquez d’abord au début de la lettre que le montant de la liquidation s’élevait jusqu’à ce moment, dites-vous, à 6.134.662 florins. Vous indiquez que cette somme se trouve à la Reichsstiftung des Pays-Bas. Il s’agit là d’une organisation allemande et non néerlandaise, que je sache. Vous indiquez par la suite l’affectation de différentes sommes...
Je crois que vous pouvez omettre les détails concernant le lieu de dépôt de ces sommes. Il précise que c’est dans une banque.
C’est cela, Monsieur le Président ; je voudrais simplement lire les quelques lignes de la fin dans laquelle est précisé le but de l’affectation définitive :
« Je crois me conformer à vos intentions, en ce qui concerne les biens des francs-maçons, en admettant qu’ils devront également, comme nous l’avons décidé pour les biens juifs, être utilisés aux Pays-Bas pour des buts déterminés, suivant un accord à conclure entre nous. »
Par conséquent, votre intention était bien de leur donner la même destination qu’aux fortunes juives ?
Ce n’est pas du tout cela qui est dit.
C’est écrit, c’est encore mieux.
Leur destination est parfaitement claire. Le ministre des Finances du Reich voulait disposer des biens juifs. J’ai attiré son attention sur le fait qu’ils n’étaient pas encore disponibles et je lui ai suggéré de ne pas transférer ces sommes au Reich, mais d’attendre les événements.
Vous lui proposiez bien de les utiliser dans le même but ?
Je lui ai proposé de les utiliser à des fins précises aux Pays-Bas, c’est-à-dire de ne pas envoyer ces biens en Allemagne, mais de les laisser aux Pays-Bas. Le but auquel ils étaient destinés n’était pas clair. Le ministre voulait que ces biens fussent transférés dans le Reich.
Monsieur Debenest, je crois que vous pouvez passer.
Je pensais justement laisser cela à l’appréciation du Tribunal.
Venons-en à cette question des grèves des chemins de fer. N’avez-vous pas demandé aux secrétaires généraux de faire cesser ces grèves ?
Oui.
N’avez-vous pas mis l’embargo sur les moyens de transport et le ravitaillement en cours de transport ?
Parfaitement.
C’est bien vous ?
Certainement, je l’ai déclaré hier.
Par conséquent, vous connaissiez bien à ce moment-là quelle était la situation alimentaire de la Hollande et quelles seraient par la suite les conséquences qui devaient fatalement résulter de la décision que vous preniez, décision d’une extrême gravité.
Non, parce qu’en vérité le trafic était déjà interrompu par les réquisitions de la Wehrmacht. Il s’agissait de trouver un modus vivendi et, après satisfaction des besoins de la Wehrmacht, ce qui m’apparaissait le plus urgent, d’assurer le transport de vivres vers la Hollande. S’il n’y avait pas eu la grève des chemins de fer, j’aurais certainement pu obtenir de la Wehrmacht qu’elle renonçât à ces réquisitions ; ainsi, le trafic fluvial n’aurait-il pas été dérangé.
Mais il ne s’agit pas de la Wehrmacht. Vous savez fort bien qu’au moment où vous avez mis l’embargo sur les bateaux, sur la flotte, vous savez fort bien que c’était l’époque où l’on transportait les vivres pour l’hiver vers la Hollande de l’Ouest.
Oui, mais au moment où j’ai déclaré l’embargo, il n’y avait effectivement plus de trafic. Les quelques bateaux qui restaient avaient été saisis par la Wehrmacht avec les vivres qu’ils contenaient.
Alors, votre décision était inutile ?
Non, parce que par ma décision j’ai obtenu de la Wehrmacht qu’elle se limitât à un délai très bref et qu’elle me donnât l’assurance qu’elle laisserait absolument intacts les bateaux désignés par moi.
Combien de temps a duré cet embargo ?
Je crois que c’est entre le 15 et le 20 octobre que j’ai donné au chef du service de la circulation l’ordre de lever l’embargo. Pratiquement, cela dura quelques semaines de plus parce que l’organisation des transports néerlandais ne fonctionnait pas.
Jusqu’à quelle date à peu près ?
Cela peut avoir duré jusqu’à la mi-novembre.
N’était-ce pas la période pendant laquelle se faisaient les plus gros transports ?
C’est exact. Nous pouvions, en novembre et en décembre, amener assez de vivres en Hollande pour que les six semaines de gel pussent être traversées sans difficultés. Et, en septembre, j’étais convaincu que j’aurais à ma disposition ces moyens de navigation en novembre et en décembre.
Et en fait, vous les avez eus ?
Malheureusement pas car, à la suite de la défection des services néerlandais des transports et d’autres circonstances dues à la guerre, nous ne pûmes pas disposer de ces possibilités.
Vous saviez cependant fort bien que la décision que vous preniez était grave de conséquences ?
En septembre, la décision n’était pas aussi grave que le fait que la Wehrmacht avait, étant donné la grève des chemins de fer, absolument besoin des moyens de transport. Pour moi, qui avais à veiller aux intérêts du Reich, il n’y aurait pas eu d’accusation plus grave que de m’entendre dire par le peuple allemand que je n’avais pas fait l’impossible pour aider à gagner la guerre.
Le Tribunal appréciera.
Monsieur Debenest, n’avez-vous pas traité ce sujet hier ?
Je ne pense pas, Monsieur le Président.
On a cependant parlé hier de l’embargo sur la navigation.
Monsieur le Président, je crois n’avoir parlé hier que des réquisitions qui étaient faites ; j’ai abordé une question ou deux du domaine économique. Je ne pensais pas avoir traité cette question-là. Si je l’ai fait, je m’en excuse auprès du Tribunal. D’ailleurs, j’ai terminé. (Au témoin.) Quelle était la situation de la banque de Hollande, à votre arrivée en 1940 ?
La banque des Pays-Bas, en tant que banque d’émission, avait été édifiée à l’origine sur la base d’une banque privée ; le président en était M. Trip. L’État y exerçait probablement une certaine influence puisqu’il s’agissait d’une banque d’émission.
Donnez-nous une explication plus brève.
Alors, elle ne correspondra pas à la vérité tout entière.
L’encaisse-or n’égalait-elle pas le montant de l’émission des billets ?
Je crois que si, si j’en juge par la couverture-or et les réserves d’or. Effectivement, cette couverture-or était plus élevée que le montant des billets en circulation. La banque des Pays-Bas avait plus d’or et de monnaies d’or qu’elle n’émettait de billets.
Et quelle était la situation au moment de la capitulation de l’Allemagne ?
A cette époque, il y avait quelques milliards de papier-monnaie en circulation, et probablement 23.000.000 de florins-or.
Mais surtout des Reichsmark ?
Non, je dis 23.000.000 de florins-or ; le reste de la couverture était vraisemblablement en valeurs du Reich.
N’est-ce pas vous qui avez ordonné l’abolition de la frontière des devises ? Répondez.
Oui, c’est moi.
Vous étiez complètement d’accord alors avec la nécessité d’abolir ces frontières ?
La proposition émanait de mes services. Je l’adoptai. M. Trip protesta. Je la transmis à Berlin. Le Reichsmarschall se décida en sa faveur. Le ministre Funk y était opposé. J’ai exécuté la proposition que j’avais faite et que le Reichsmarschall avait approuvée.
Mais, personnellement, vous étiez d’accord ?
Qu’entendez-vous exactement par la « frontière des devises » dont vous parlez maintenant ? Nous voudrions savoir de quoi vous parlez.
C’est la circulation libre des devises du Reich en Hollande. (Au témoin.) La Hollande n’a-t-elle pas dû encore payer des sommes importantes sous forme de contribution dite volontaire ? Notamment pour la guerre contre le bolchevisme ?
Je crois avoir expliqué très clairement cette affaire. Le Reich demanda, à un certain moment, 50.000.000 de mark comme contribution indirecte aux frais d’occupation pour la défense de la Hollande. En Hollande, nous appelions cela une contribution volontaire et cela pour des raisons évidemment politiques. En réalité, il s’agissait d’une exigence du Reich qu’il fallait payer d’une façon ou d’une autre. Je n’accuserai aucun Néerlandais d’avoir payé volontairement cette contribution.
Vous étiez d’ailleurs d’accord avec ces mesures ?
Parfaitement.
Quelles ont été les conséquences financières et économiques provoquées par toutes ces mesures ?
Les suites financières furent un accroissement très important de la circulation des billets de banque et du montant des comptes courants qui sont restés les mêmes, sous une forme quelconque, aussi bien dans le Reich que dans tous les pays occupés. En Hollande, nous appliquions un système, en France un autre. Les conséquences financières sont les mêmes, eu égard à la défaite du Reich ; si l’Allemagne n’avait pas perdu la guerre, la Hollande aurait aujourd’hui une créance de plus de 4.500.000.000 de florins vis-à-vis d’une Allemagne souveraine.
Bon. Eh bien, prenez donc le document PS-997, que vous avez eu hier entre les mains. Je vais vous lire ce que vous pensiez de ces mesures ; page 14 du document français et 12 du texte allemand. C’est le grand rapport Seyss-Inquart, RF-122 (PS-997), page 14. Vous écrivez : « Cette réglementation » — à la sixième ligne — « cette réglementation dépasse largement toutes celles qui ont été établies jusqu’ici pour les économies des pays limitrophes, y compris celle du Protectorat... » Page 12 du texte allemand, 14 du texte français :
« ... et constitue véritablement le premier pas vers une union monétaire. Étant donné l’importance de cet accord qui, dans une certaine mesure, touche à l’indépendance de l’État néerlandais... » Et vous ajoutez : « ... Il est particulièrement important que cet accord ait été signé, de son propre gré, par le président Trip qui est extrêmement connu dans les milieux occidentaux de la banque et de la finance ».
Voilà quelle était votre appréciation sur ces mesures.
C’est exact, mais je dois admettre aujourd’hui qu’à cette époque mon opinion était erronée, car sans cela j’accuserais trop vivement le président Trip. Ce qu’on lit ici ne se rapporte pas encore à la situation qui fut créée ultérieurement, quand la frontière des devises fut abolie. Il s’agissait simplement d’un accord relatif à l’acceptation réciproque et illimitée des billets par les deux banques d’émission. Je voudrais d’ailleurs insister sur les déclarations que j’ai faites à l’égard des qualités de M. Trip. A mon avis, le fait que M. Trip ait approuvé cet accord le rend conforme au Droit international.
Mais vous avez bien précisé que cela touchait à l’indépendance du pays occupé ?
C’était un optimisme exagéré de mon exposé.
Très bien. Le Tribunal appréciera. Vous avez envisagé la suppression des barrières douanières, d’autre part.
Je n’ai pas compris la question.
Vous n’attendez même pas que la traduction vous soit faite ; comment voulez-vous comprendre ?
Je dis : vous avez envisagé la suppression des barrières douanières.
Parfaitement.
N’y avait-il pas aux Pays-Bas différents services chargés du pillage des œuvres d’art ?
Je ne puis pas appeler cela du pillage, mais ils étaient chargés de leur administration et de leur protection.
C’est votre opinion personnelle. Cependant, il y avait plusieurs services.
Parfaitement.
Vous connaissez particulièrement le service du Dr Mühlmann ?
Oui.
Qui l’a appelé aux Pays-Bas ?
J’ai envoyé Mühlmann pour me précéder aux Pays-Bas. Il devait installer mes services au point de vue des locaux.
Ce n’était que pour installer vos services ?
A ce moment-là, uniquement pour installer mes services.
Mais après ?
Après, Mühlmann est reparti et revint quelque temps plus tard comme représentant d’un service du Plan de quatre ans, chargé de la protection des œuvres d’art. Cela se passait à peu près comme en Pologne :
Qu’entendez-vous par « protection » ?
Pratiquement, — je ne veux pas faire de longs discours à ce sujet — il avait pour mission de déterminer si, dans les biens saisis, se trouvaient des œuvres d’art et, le cas échéant, de les signaler à différents services du Reich.
Signaler seulement ?
Oui, car l’achat en était effectué par la suite par les différents services eux-mêmes. J’imagine, ou plutôt je sais, qu’il s’occupait également du commerce privé d’œuvres d’art en qualité d’intermédiaire.
Ne vous êtes-vous pas procuré vous-même des tableaux par son intermédiaire ?
Si. Pas pour moi, mais dans les buts que j’ai définis hier.
Oui. Vous avez aussi dit hier que vous aviez mis en sécurité de nombreuses œuvres d’art, notamment des tableaux. Dans quels buts avez-vous fait cela ?
J’ai mis en sécurité un grand nombre d’œuvres d’art simplement du fait de l’ordonnance sur la saisie des biens ennemis et juifs. Quant aux donations que j’ai mentionnées hier, par exemple les donations au musée d’art historique de Vienne, je crois avoir acheté trois ou quatre tableaux.
Non, non, je vous demandais dans quels buts vous aviez mis en sécurité ces œuvres d’art.
Le but primitif de la réquisition, de la saisie des biens juifs et ennemis était de les mettre sous séquestre. Mais peu à peu, il devint évident que ces œuvres d’art seraient achetées par le Reich. Les trois ou quatre tableaux que j’ai pu acheter, je les ai achetés dans le but immédiat d’en faire don à certaines institutions du Reich, par exemple au musée d’art historique de Vienne.
Mais il n’y avait pas là que des biens juifs ?
J’ai bien dit « juifs et ennemis », mais il ne s’agissait pas des biens ennemis d’une façon générale, seulement lorsqu’on avait pu prouver une attitude hostile au Reich. Dans ce cas, les biens étaient saisis.
Eh bien, voilà ce que vous écrivez dans un document qui a déjà été déposé au Tribunal et que vous connaissez certainement. C’est le document F-824, déposé sous le numéro RF-1344. Vous connaissez ce document, c’est une lettre qui émane de vous, adressée au Dr Lammers. Cette lettre a trait à l’acquisition de tableaux qui a été faite pour le Führer ; et dans le paragraphe 3 du document en langue française, vous écrivez ceci :
« De la liste qui m’a été communiquée, je déduis que de cette manière un nombre relativement considérable de tableaux de valeur a été mis en sécurité, tableaux que le Führer a pu acquérir à des prix qui, d’après les constatations que j’ai pu faire dans le pays, doivent être considérés comme extrêmement bas. »
Vous ajoutez ensuite que le portrait de Rembrandt par lui-même a été retrouvé grâce à Mühlmann. Par conséquent, la mise en sécurité des œuvres d’art, c’était bien dans le but de permettre aux autorités du Reich de les emporter en Allemagne ?
Il n’y a pas de doute. En ce qui concerne le portrait de Rembrandt, je voudrais simplement signaler qu’il est entré illégalement en Hollande et que c’est pour cela qu’il a été saisi.
Fut-il emporté en Allemagne par des moyens légaux ?
Pour le portrait de Rembrandt, je crois qu’il n’y a pas de doute. Il y a eu infraction à une prescription allemande.
Vous vous êtes, en dehors des tableaux, procuré personnellement de nombreux objets d’art, des diamants, des pierreries, etc. ?
Je n’en ai pas connaissance.
Vous n’en savez rien, mais savez-vous que vous avez une maison à Vienne, 3 Untergasse ?
Non, elle se trouve 15, Iglauer Strasse. Est-ce cela que vous voulez dire ?
Est-ce que vous n’aviez pas en dépôt un certain nombre d’objets d’art provenant des Pays-Bas ?
Je n’en ai absolument pas connaissance.
Bon, je passe alors. Qui a ordonné la confiscation des biens royaux ?
Moi, personnellement.
C’est vous qui en avez eu l’initiative ?
Pas seulement l’initiative ; j’en ai pris la décision et je l’ai exécutée.
Vous n’en êtes que l’exécutant ?
J’étais aussi l’exécutant.
Mais je ne vous demande pas si vous avez été « aussi » ; j’ai bien précisé : vous n’en avez été que l’exécutant ?
Non, j’ai déclaré hier exactement pour quelles raisons je m’étais résolu à la saisie des biens royaux. Ensuite, j’ai procédé à cette saisie.
Vous prétendez que c’est à la suite d’un discours de la reine. C’est bien ce que vous avez dit hier ?
Parfaitement.
Je vais vous donner connaissance du document F-828, que je dépose sous le numéro RF-1533. Ce document est une lettre du Reichsleiter Martin Bormann au ministre du Reich Dr Lammers, en date du 3 juillet 1941. Au début de la lettre, Bormann relate le discours de la reine de Hollande, et dans le dernier paragraphe, — celui qui a pour moi de l’importance — il est écrit :
« Le Führer a donc donné l’autorisation de confisquer les biens de la Maison royale néerlandaise, autorisation que le Commissaire du Reich lui avait déjà demandée auparavant. »
Estimez-vous encore que c’est en corrélation avec le discours prononcé par la reine ?
Je m’excuse, la transmission a été interrompue un moment.
Oui, certainement, mais vous avez le document en mains en tout cas ?
Oui, je sais de quoi il s’agit.
Certainement, vous le savez.
Je ne me souviens absolument pas d’avoir fait une requête antérieure en ce sens. Vraiment, je ne me souviens pas. Il est possible que j’aie discuté un jour si l’on devait ou non saisir les biens royaux, mais, à vrai dire, je ne me suis souvenu de ma requête qu’au moment où ce discours a été prononcé. Ce n’était d’ailleurs pas le premier discours de la reine des Pays-Bas. Elle avait déjà parlé précédemment d’une façon analogue.
C’est une explication. Le Tribunal appréciera.
Enfin, le pillage des Pays-Bas et la tentative de nazification et de germanisation de ce pays ne sont-elles pas le fait du gouvernement civil dont vous étiez le chef ?
Oui et non. Je comprends parfaitement que les Néerlandais aient considéré notre attitude sur le plan économique comme du pillage ; mais du point de vue juridique, il ne me paraît pas en être ainsi. Je n’ai, en tout cas, pas germanisé les Pays-Bas.
Voulez-vous prendre le document PS-997, page 26 du texte français et 22 du texte allemand, à la partie « Constatations ». C’est votre rapport. Vous l’avez en mains ? Je vais vous lire les constatations que vous y faites vous-même de votre activité, et celle-ci s’arrête au 18 juillet 1940 :
« 2. L’administration se trouve actuellement d’une façon suffisante et d’ailleurs progressive, sous la direction et le contrôle des autorités allemandes.
3. L’économie nationale et les communications sont remises en marche et adaptées à l’état de guerre. On a commencé la réalisation d’une vaste transformation de l’économie continentale, pour laquelle tous les préparatifs sont pratiquement achevés. Les stocks du pays sont à la disposition de l’économie de guerre du Reich. Les ressources financières » — c’était en 1940 — « sont, dans une large mesure, placées sous le contrôle du Reich, tout cela sur la base d’une large collaboration des Néerlandais. »
C’est bien cela que vous avez écrit ? C’était bien votre pensée ?
Certainement. Je crois que le point 2 sera compris par toute autorité d’occupation. Le point 3 était une base pour la construction d’une nouvelle Europe.
C’est un avis que le Tribunal appréciera. Je voudrais maintenant revenir brièvement à la question juive. Vous avez dit hier que vous aviez protesté contre le transport de 1.000 Juifs à Mauthausen ou Buchenwald, et qu’il n’y avait plus eu de transports vers ces camps. Mais pourquoi n’avez-vous pas protesté contre les transports vers Auschwitz ? Pensiez-vous que ce camp était bien différent des deux autres ?
Bien entendu. Mauthausen et Buchenwald étaient des camps de concentration, alors qu’Auschwitz m’avait été signalé comme un camp de rassemblement où les Juifs resteraient jusqu’à ce que la guerre prenne fin ou qu’une autre décision soit prise.
Avant de venir en Hollande, vous avez été l’adjoint du Gouverneur Général de Pologne ?
Le remplaçant, pas l’adjoint.
Encore mieux. Par conséquent, vous aviez entendu parler de ce camp ?
A cette époque, il n’y avait pas encore de camp à Auschwitz.
Mais ne saviez-vous pas que les cendres de ces 1.000 Juifs envoyés à Buchenwald, à Mauthausen, furent expédiées à leur famille contre le paiement de 75 florins ? Et cela se passait en 1941. Ce qui ne vous a pas empêché par la suite de prendre d’autres mesures contre les Juifs, mesures qui conduisaient nécessairement à leur déportation ?
Parce qu’à mes yeux, ces mesures appelées « évacuations » étaient quelque chose de tout à fait différent de la déportation ou de l’envoi dans un camp de concentration.
Mais enfin, vous connaissiez le sort de ces Juifs qui avaient été ainsi transportés dans un camp ?
Le sort, tel que nous le connaissons aujourd’hui, la plupart et le plus grand nombre d’entre nous ne le connaissait pas. J’ai dit hier quels étaient mes scrupules.
C’est une opinion Vous avez parlé hier de représailles contre un journal de La Haye Vous avez dit...
Est-ce un point que vous avez déjà traité hier dans votre contre-interrogatoire ?
Ce sont des questions qui m’ont été remises ce matin, à la suite de certaines déclarations faites hier par l’accusé. Autrement, j’aurais eu fini.
Le Tribunal estime que vous ne devez pas revenir sur cette question.
Alors j’en ai fini, parce que toutes les questions se rapportent soit aux otages, soit...
Il y a cependant une question que je vais me permettre de poser, si le Tribunal m’y autorise, c’est une question sur l’inondation. Autrement, en ce qui concerne les autres questions, elles ont trait aux otages. Si le Tribunal le désire, je ne les poserai pas. Puis-je me permettre de poser la question sur l’inondation ?
Le Tribunal estime que vous avez déjà traité hier la question de l’inondation.
Alors, j’ai terminé.
L’audience est suspendue.
Le Tribunal lèvera l’audience cet après-midi à 5 heures moins le quart, pour siéger en Chambre du conseil.
Monsieur le Président, j’ai remarqué que l’avocat de l’accusé Kaltenbrunner est présent ce matin. J’ai compris qu’il devait contre-interroger l’accusé et je pense que nous gagnerions du temps s’il le faisait avant notre interrogatoire.
Oui.
Je prie le Tribunal de m’excuser d’avoir été absent hier. J’avais une raison toute particulière, et les circonstances sont parfois plus fortes que la volonté. Je relève d’une sérieuse maladie dont j’ai souffert au cours des dernières années, et je ne me sentais pas très bien ; j’avais cependant la ferme intention d’assister à l’audience d’hier après-midi et j’avais tout préparé pour cela. Je vous prie respectueusement de bien vouloir m’en excuser.
Mais certainement Docteur Kauffmann, le Tribunal accepte votre déclaration.
Je vous remercie. Témoin, depuis quand connaissez-vous l’accusé Kaltenbrunner ?
J’ai fait la connaissance de Kaltenbrunner en 1935 ou dans les premiers mois de 1936, dans le cadre de l’organisation du « Langot ». C’était un service d’assistance, toléré par la Police, pour les familles nationales-socialistes dans le besoin.
Quel rôle joua Kaltenbrunner en Autriche avant l’Anschluss, en mars 1938 ? Appartenait-il aux éléments extrémistes ou aux modérés ?
On m’a dit à l’époque que Kaltenbrunner était assez apparenté aux SS ; mais il n’était pas le führer des SS illégales. C’était un ingénieur styrien.
Vous parlez de l’ingénieur Leopold ?
Non. J’ai parlé à plusieurs reprises de Kaltenbrunner avec Zernatto. Dans le Parti, nous l’appelions « le policier du 11 juillet » parce que son influence a pu empêcher les éléments extrémistes de commettre des excès tels que ceux qui se sont produits en juillet 1934.
Kaltenbrunner devint alors sous-secrétaire d’État en Autriche ?
Oui.
L’idée de le nommer sous-secrétaire émanait-elle de milieux autrichiens ou bien de Himmler, de Hitler et de l’accusé Göring ?
A mon avis, c’est uniquement du côté de l’Autriche qu’est venue cette idée. Moi-même, je n’ai ni reçu, ni accepté des suggestions quelconques de la part du Reich quant à mon ministère. Le Parti, en Autriche, avait pensé à Kaltenbrunner, car nous voulions également dans la Police avoir un homme à nous.
Et quelles étaient pratiquement les charges qui lui incombaient en tant que sous-secrétaire d’État ?
Je crois qu’il ne fit rien en tant que sous-secrétaire d’État. C’est après la démission de Skubl que le président le nomma secrétaire d’État. Il avait en cette qualité des fonctions dans les domaines économique et administratif. Il n’avait aucune possibilité d’intervention dans le pouvoir exécutif. Lorsque je voulais, par exemple, faire libérer un homme, il fallait que Kaltenbrunner s’adressât au chef de la Police, et si celui-ci refusait, il fallait s’adresser à Heydrich.
Il est avéré qu’en 1943, Kaltenbrunner fut nommé chef du Reichssicherheitshauptamt. Il a prétendu ici avoir à plusieurs reprises tenté d’éluder cette nomination. Pouvez-vous nous donner des renseignements là-dessus ?
Je sais simplement qu’à la fin de novembre ou au début de décembre 1942, je me trouvais au Quartier Général. A cette occasion, je visitai également le Quartier Général de Himmler, et un de ses adjoints — je crois que c’était Wolf — me dit : « Le Reichsführer voudrait Kaltenbrunner pour le RSHA, mais Kaltenbrunner s’y refuse. On va le faire venir au Quartier Général pour quatre semaines et nous allons faire en sorte qu’il accepte tout de même ce poste ».
Avez-vous un quelconque point de repère qui permette de dire que la raison réelle pour laquelle on voulait nommer Kaltenbrunner chef du RSHA, était de le charger d’organiser et de diriger un service de renseignements militaires et politiques ?
Certains indices me donnent à penser qu’en ce qui concerne la Police de sûreté il n’avait pas les choses en mains aussi bien que Heydrich, et je connaissais des faits précis quant à son service de renseignements. A l’époque de Heydrich, le chef de ma Police de sûreté ne parlait que de celui-ci quand il demandait une décision à Berlin. Lorsque Kaltenbrunner vint, je ne me souviens pas qu’il en ait parlé, mais plutôt du RSHA et parfois de Müller. Personnellement, autant que je me souvienne, je n’ai parlé que deux fois à Kaltenbrunner de, questions de Police de sûreté. Une première fois, à propos du maintien du Dr Schuschnigg, question dont Kaltenbrunner a déjà parlé ici ; la seconde fois, parce qu’un de mes parents devait entrer dans un camp de concentration ; je me suis adressé à Kaltenbrunner parce qu’il était le seul homme que je connusse au RSHA et que je supposais qu’il y avait une influence. Je ne savais rien du cloisonnement des fonctions. Kaltenbrunner téléphona alors à Müller, mais d’une manière toute différente de celle à laquelle on peut s’attendre de la part d’un chef pour un subordonné.
J’ai des preuves positives de son activité parce que, dès 1944, j’ai collaboré étroitement avec lui. J’ai mis de la monnaie étrangère à la disposition de son service de renseignements à l’étranger ou, selon le cas, agi auprès des services compétents ; tout cela en accord avec le service central compétent.
Vous venez de parler de Müller. S’agit-il de Müller, le chef de la Gestapo ?
Oui.
Aviez-vous l’impression que cet homme avait tous les pouvoirs en mains en ce qui concerne les questions de la Police d’État ?
Je ne puis vous dire que ceci, que Kaltenbrunner a dit devant moi à Müller au téléphone : « Comment allez-vous régler cette question ? »
Vous avez aussi reçu de la main de Kaltenbrunner des rapports militaires et politiques, n’est-ce pas ?
Oui, à plusieurs reprises ; c’étaient des rapports tout à fait secrets qui n’étaient établis qu’en quatre exemplaires, je crois.
En était-il ainsi avant la nomination de Kaltenbrunner ?
Non, car c’est Kaltenbrunner qui a introduit l’usage de ces rapports à la fin de 1943 ou au début de 1944, si je m’en souviens bien.
Quelle différence existait-il entre ces rapports et ceux qui étaient précédemment établis par Canaris ?
Je ne connais pas les rapports de Canaris, ou tout au moins je ne les connais que partiellement. Je les connais par l’ancien RSHA.
Est-il exact que les rapports faits par Kaltenbrunner se faisaient surtout remarquer par une critique acerbe et inhabituelle de toutes les mesures officielles qui étaient prises ?
Oui, c’est exact. Avant tout, les rapports de Kaltenbrunner étaient objectifs, ils n’étaient pas destinés à des fins déterminées.
Quel était le volume de ces rapports ?
Je crois que ces rapports comprenaient quarante à soixante pages, parfois davantage ; ils paraissaient toutes les trois ou quatre semaines, autant que je sache. Cependant, il peut aussi y avoir eu des rapports spéciaux.
Savez-vous si ces rapports spéciaux ont été adressés à des formations militaires, ou bien si ces rapports dont vous parlez traitaient de la situation du point de vue militaire ?
Les rapports dont je parle étaient surtout des rapports politiques, et ils étaient adressés directement au Führer. A propos de ces rapports, je me souviens qu’ils prenaient parti de façon particulièrement agressive vis-à-vis de la politique du Reich envers la Pologne et l’Église catholique, et qu’ils étaient écrits sur papier à en-tête du RSHA, ce qui me paraissait inexplicable.
Puisque vous parlez de ces critiques, voudriez-vous encore me répondre à ce sujet : quelle était la teneur de ces critiques qui portaient sur les questions de la vie publique dont vous venez de parler ?
En ce qui concerne la Pologne, il demandait très clairement que l’on accordât aux Polonais un État autonome, ou du moins que cela fût envisagé ; en ce qui concerne l’Église catholique, l’abolition de toutes les mesures, administratives et autres, qui avaient été prises, et qu’une liberté entière lui fût laissée, de même qu’à l’Église protestante.
Je n’ai pas d’autre question à poser. Merci.
Vous avez déclaré hier au Tribunal que vous êtes devenu membre du Parti en 1938 et que votre numéro de membre du Parti était de la catégorie des millions ?
7.000.000. Mon inscription officielle au Parti date du 13 mars 1938.
Bien. Lorsque vous dites « officielle », vous voulez dire, si je comprends bien, que vous l’étiez en fait, sinon officiellement, depuis un certain temps ; que vous payiez des cotisations et que vous accordiez votre appui au Parti. Est-ce exact ?
Le premier point n’est pas exact. J’ai souscrit à partir de 1937 jusqu’à .. pardon, depuis l’automne 1932 jusqu’en 1933. Je me considérais intérieurement comme national-socialiste et comme un membre du Parti, mais sans avoir jamais fait de déclaration formelle d’engagement.
Étiez-vous membre du Steierischer Heimatschutz ?
Oui, depuis l’automne 1932.
Cette organisation fut prise en mains, pratiquement en totalité par le parti national-socialiste, à une époque où vous en étiez membre, n’est-ce pas ?
Cela devait se faire, mais ne fut pas réalisé. Il y avait un accord suivant lequel cette organisation devait être incorporée au Parti ; mais Munich ne le fit pas et les membres de cette organisation durent entrer individuellement dans le Parti.
Connaissez-vous le Dr Andréas Morsey ?
Vous voulez dire Andreas Moser ? Je crois que c’était un avocat, mais je ne l’ai pas connu personnellement.
Savez-vous qu’il était aussi membre du Steierischer Heimatschutz ?
Non.
Vous souvenez-vous avoir eu une conversation le 7 mars 1938 avec lui, quelques jours avant l’Anschluss ?
Je ne me souviens plus.
Peut-être puis-je vous aider. Vous souvenez-vous lui avoir dit que vous étiez devenu membre du Steierischer Heimatschutz en 1932, peu avant l’interdiction de cette organisation ? (L’interprète a traduit « ... lui avoir dit que vous étiez le chef du Steierischer Heimatschutz... »)
C’est absolument impossible, le chef de cette organisation était Constantin Kammerhofer ; tous les Autrichiens le savaient.
Vous ne vous souvenez pas avoir eu une conversation au cours de laquelle vous avez dit ce que je viens de vous citer ? Déclarez-vous que vous n’avez pas dit cela, ou que vous ne vous souvenez pas de la conversation ? C’est ce que je voudrais savoir.
Oui, je me souviens de cette conversation, mais je déclare qu’il est absolument impossible que j’aie dit être le chef du Steierischer Heimatschutz, puisque toute l’Autriche savait que Constantin Kammerhofer en était le chef. J’ai tout au plus pu lui dire que j’étais très lié avec Kammerhofer, ce qui était exact.
Je vais donc vous montrer la déclaration qu’il a faite au cours du procès contre le Dr Guido Schmidt. C’est le document PS-3992. Ce témoignage a été fait devant la Cour suprême à Vienne le 19 mars 1946, devant le juge Sucher. Nous déposons ce document sous le numéro USA-882. Voulez-vous regarder à la deuxième page, vous verrez une phrase qui commence par :
« Le 7 mars 1938, Seyss-Inquart me dit personnellement qu’il était entré dans cette organisation en 1932, c’est-à-dire au dernier moment, peu de temps avant que cette association ne fut interdite en 1933. » Ensuite il parle de Kammerhofer, que vous venez de nommer, et il dit à la phrase suivante :
« II » (Seyss-Inquart) « devint membre de cette organisation dans laquelle il fut reçu par l’ingénieur Pichler (Franz), de Waitz, et n’en sortit plus. »
Donc, lorsque vous dites que vous n’avez pas été membre de la NSDAP, cela peut être considéré comme vrai, mais l’assertion suivant laquelle vous n’auriez pas travaillé illégalement n’est pas exacte.
Le Dr Moser ne peut pas du tout savoir si j’ai travaillé illégalement ou non. Il base son affirmation sur la supposition que le Heimatschutz aurait fusionné avec la NSDAP ; mais ceci est absolument faux, le témoin Überreither pourra l’attester. Je m’en tiens absolument à mes déclarations précédentes.
Connaissez-vous un nommé Rainer ?
Oui, très bien. Le Dr Friedrich Rainer.
Vous avez demandé qu’il vienne témoigner ici en votre faveur ?
Oui.
Mais que diriez-vous s’il disait que vous êtes devenu membre de la NSDAP lorsque le Steierischer Heimatschutz y fut incorporé ?
Je voudrais dire à ce sujet..
Avant que vous ne répondiez, je voudrais vous dire quelque chose qui pourra vous aider. Ce document a déjà été déposé et je suppose que vous l’avez vu. C’est le numéro PS-812.
Oui, c’est une lettre, un rapport du Dr Rainer.
Vous savez donc ce qu’il a dit. Vous avez vu ce document n’est-ce pas ?
Oui.
Vous admettez qu’il dit dans ce document que vous étiez membre de la NSDAP, du fait de votre appartenance au Steierischer Heimatschutz et que, pour ainsi dire, vous êtes entré au Parti au moment où cette organisation a été incorporée ?
Je voudrais vous dire que jusqu’à l’année 1938 j’étais de cet avis et que je ne savais pas ce qu’il en était. Mais en 1938, le Parti déclara formellement qu’il ne reconnaissait pas la fusion, que les membres du Steierischer Heimatschutz n’étaient pas membres du Parti et que les adhésions au Parti devaient se faire individuellement. Rainer le confirmera certainement.
Que vous ayez été, officiellement ou non, membre du Parti, dites-moi si vous reconnaissiez comme chef Klausner, qui était le chef du parti national-socialiste en Autriche, et si vous avez satisfait à ses demandes et obéi à ses ordres.
Comme chef en Autriche ou en Allemagne ?
En Autriche. Je parle de Klausner qui était en Autriche.
Je savais très bien, et je reconnaissais, que Klausner assumait la direction du national-socialisme autrichien. Je ne reconnaissais pas Klausner comme mon chef politique. Ceci ressort du rapport même dont vous venez de parler à l’instant. Rainer y dit : « Seyss-Inquart reconnaissait l’autorité de Klausner pour les questions d’ordre politique qui n’étaient pas manifestement décisives ».
II dit exactement le contraire, si vous voulez regarder ce document.
Mais non.
Un moment. Regardez à la page 9 du texte allemand, sept lignes avant la fin. C’est à la page 7 du texte anglais.
« Les rapports entre Seyss-Inquart et Klausner étaient les suivants : Seyss-Inquart reconnaissait sans réserves la direction du Parti relativement au programme entier et, par là, il reconnaissait également Klausner comme chef du Parti. Il se plaçait donc expressément et littéralement, en qualité de membre du Parti, sous l’autorité de Klausner. »
Avez-vous trouvé cela ?
Je n’ai qu’un brouillon devant moi, mais il dit ensuite : « Il déclara d’autre part que, sur la base de l’accord de Berchtesgaden et plus particulièrement des déclarations qui lui avaient été faites par le Führer à l’occasion de sa visite de l’État-Major de Berlin, il était l’homme de confiance de la NSDAP illégale en Autriche, directement responsable devant le Führer, dans le cadre de ses fonctions politiques ».
Il y a, je crois, un autre passage dans lequel je déclare ne pas être subordonné à Klausner pour les questions politiques.
Bien, mais continuons. En tout cas, il est bien exact que vous avez reconnu de très bonne heure votre fidélité absolue à Hitler, et ceci longtemps avant l’Anschluss ? Vous reconnaissiez votre appartenance politique, n’est-ce pas ?
On pourrait presque le dire. Je connaissais mal à l’époque la portée de l’expression « fidélité absolue », car je pensais alors que Hitler, lui aussi, voulait une révolution.
Très bien. N’avez-vous rien eu à faire avec l’affaire Dollfuss en dehors de ce que vous avez dit au Tribunal ? Vous savez que Rainer le déclare dans le même document PS-812.
Oui.
Je crois qu’il est important que vous y répondiez. Vous ne l’avez pas fait au cours de votre interrogatoire, mais le document est déposé comme preuve et Rainer y dit que vous avez soutenu...
Je ne l’ai pas fait parce que Rainer doit venir témoigner. Il pourra dire sous la foi du serment sur quels faits il base ses déclarations. Je ne peux, quant à moi, que répondre par la négative.
Je comprends très bien et c’est une raison de plus pour que je vous interroge maintenant. Vous ne serez plus témoin pendant l’interrogatoire de Rainer et j’aimerais savoir ce que vous répondrez à l’assertion de Rainer, dans ce document, suivant laquelle vous auriez pris part au complot contre Dollfuss, le 25 juillet 1934.
C’est absolument faux.
Très bien. A ce propos, il y a une autre question que nous allons, si possible, éclaircir maintenant. Vous n’avez pas l’intention de prétendre devant le Tribunal que les cérémonies — si je puis dire — commémorant l’assassinat de Dollfuss, n’avaient rien à voir avec Dollfuss au moment où elles eurent lieu ?
Je voudrais en effet susciter cette impression, car ces cérémonies avaient lieu en l’honneur des sept nationaux-socialistes qui avaient été pendus alors. A cette occasion, on ne pensait absolument pas, autant que je sache, à la mort de Dollfuss, mais au fait que les hommes de la Standarte 107 ou 108, je crois, avaient tenté de renverser un système qui, de l’avis des nationaux-socialistes, était hostile au Reich, et que sept d’entre eux avaient été pendus. Le fait que Dollfuss eût été tué à cette occasion ne fut pas mentionné au cours de la cérémonie.
Je ne dis pas qu’il le fut, mais ces cérémonies avaient certainement pour but de commémorer l’attentat contre Dollfuss. N’est-il pas un peu étrange de dire que ces faits n’avaient aucun rapport ?
Non, car si Dollfuss n’avait pas été tué, les cérémonies auraient eu lieu de la même façon.
En êtes-vous certain ? Ne croyez-vous pas qu’ils n’auraient pas été pendus s’il n’avait pas été abattu ?
En tout cas, je suis certain qu’ils ont été pendus.
Vous avez été nommé conseiller d’État en 1937. Nous allons à nouveau parler un moment de Rainer et de son document. Vous savez que Rainer dit également que vous avez été nommé grâce à l’influence de Keppler et d’autres nazis autrichiens ainsi que de personnalités du Reich. Est-ce exact ? Ces personnes ont-elles influé sur votre nomination en 1937, ou Rainer se trompe-t-il encore sur ce point ?
Absolument. Keppler n’a eu aucune influence sur ma nomination de secrétaire d’État.
Et, d’après vous, Rainer se trompe-t-il lorsqu’il prétend qu’ils ont exercé une influence ? Vous n’êtes pas d’accord sur cette déclaration, si je comprends bien ? Je voudrais éclaircir ce point.
C’est absolument inexact.
Bien.
Je fus nommé conseiller d’État parce que Zernatto en ’avait parlé avec un de mes amis et l’avait proposé à Schuschnigg. Une proposition de Keppler aurait vraisemblablement eu pour résultat d’empêcher ma nomination.
C’est donc un hasard et Schuschnigg ne vous a nommé que parce que quelqu’un lui avait parlé ? Et les nazis avec lesquels vous étiez familier à cette époque n’y eurent aucune part ?
Ce n’est pas ce que je veux dire. J’ai parlé à Rainer de la possibilité de ma nomination au poste de conseiller d’État, parce que notre ami commun en avait précédemment discuté avec Zernatto. Ensuite, j’en ai discuté avec Rainer, mais il n’exerça aucune influence sur cette nomination.
Vous avez vu le document connu sous le nom de document Hossbach, n° USA-25 (PS-386), présenté au Tribunal il y a quelques mois. Vous souvenez-vous que Hitler ; au cours de cette allocution, rapportée par Hossbach, ait exposé des plans relatifs à l’Autriche ainsi qu’à la Tchécoslovaquie ? Vous en souvenez-vous ? Cela figure dans le document, je puis vous l’assurer.
Oui.
Cela se passait le 11 novembre 1937, non, excusez-moi, le 5 novembre 1937. Quand avez-vous entendu parler pour la première fois de cette réunion ? La toute première fois ?
Ici, dans cette salle.
Vous souvenez-vous de la lettre que vous avez écrite le 11 novembre au Dr Jury ?
Oui.
Vous en souvenez-vous bien ou aimeriez-vous en avoir une copie ? Je vais vous la présenter, nous en avons une. C’est un nouveau document, vous ne l’avez pas encore vu.
J’en ai également un exemplaire.
C’est le PS-3396.
C’est cela.
Que vouliez-vous dire lorsque vous écriviez à Jury, le 11 novembre 1937 : « Personnellement, je crois qu’il n’y aura pas de résultat visible avant le printemps. En attendant, j’ai reçu une nouvelle authentique de Linz... » Puis vous parlez d’un article de journal.
Je voudrais savoir ce que vous vouliez dire en parlant du printemps de 1938 ?
Dans la situation qui régnait à l’époque en Autriche, il était clair que les conditions de politique intérieure ne pourraient pas être maintenues longtemps. Les nationaux-socialistes optimistes pensaient qu’au cours des semaines à venir Schuschnigg devrait se retirer, ou qu’il arriverait quelque chose. Je considérais avec plus d’attention la situation politique, et j’étais d’avis que la politique intérieure de l’Autriche ne pouvait évoluer qu’au printemps suivant, à savoir dans le sens d’une participation accrue des nationaux-socialistes. Quant à l’article de journal, c’est toute autre chose.
Cela ne m’intéresse vraiment pas, à moins que vous ne le considériez comme important dans votre réponse. Je voudrais revenir un peu en arrière. Vous commencez cette lettre en parlant d’une conversation avec M. Keppler. Celui-ci fut l’émissaire de Hitler les 11 et 12 mars lorsque l’Anschluss eut lieu. Est-ce exact ?
Oui.
Et vous dites : « Les conversations d’aujourd’hui avec M. Keppler se sont poursuivies dans un grand calme ; aussi étaient-elles extrêmement instructives. Je ne crois pas cependant que les choses soient aussi mûres pour la discussion qu’elles ne le semblent dans le Reich et chez les nationaux ». Puis, vous continuez : « Je serais agréablement surpris si le début d’une solution pouvait être trouvé avant la fin de l’année ». Ce dont vous parliez réellement, c’était la livraison de l’Autriche au Reich ? Est-ce cela le « début de solution » ?
Non. D’abord, rien n’indique que mes conversations avec Keppler étaient secrètes. On dit simplement qu’elles étaient instructives.
Je vois ici : « dans un grand calme » ; je ne sais pas si cela signifie « secret ».
Cela veut dire que nous nous sommes entretenus d’une façon tout à fait réaliste. Le Reich faisait une forte pression. Peut-être avons-nous dit qu’une certaine pression diplomatique aurait lieu, mais le but était d’assurer la participation des nationaux-socialistes au Gouvernement de l’Autriche, avec l’intention, d’ailleurs, d’obtenir l’Anschluss auquel nous aspirions. Le contenu du document Hossbach ne fut pas mentionné du tout. Je suis également persuadé que Keppler n’en avait pas la moindre idée. La position de Keppler auprès du Führer n’était d’ailleurs pas si solide.
Vous avez écrit à Keppler une autre lettre en janvier 1938 ; vous en souvenez-vous ?
Oui.
Vous disiez que vous désiriez abandonner votre mandat ou votre poste ou votre responsabilité. Je ne sais pas l’expression précise.
Oui.
Quel est le mandat auquel Keppler se réfère dans sa lettre, que vous aviez reçue de Keppler ou de Göring ?
Non, il s’agissait du poste de conseiller d’État autrichien que je désirais abandonner, ainsi que la tâche d’examiner les possibilités d’entente nécessaires pour obtenir la collaboration de l’opposition nationale. Keppler ne m’avait pas confié de mandat du tout et je n’aurais guère pu en accepter un..
Vous connaissez le document qui a été déposé sous le numéro PS-3397 (USA-702). Keppler dit avoir informé Göring de la situation et que Göring lui aurait dit de vous maintenir à votre poste. Tel en est du moins le sens. Ma question est la suivante : pourquoi Göring s’intéressait-il à ce mandat si celui-ci ne concernait que votre poste de conseiller d’État en Autriche ? C’était vous qui dépendiez du Gouvernement autrichien et non pas Göring.
Pourriez-vous me montrer le document ?
Oui, certainement. Vous y verrez qu’on y parle aussi du Dr Jury, celui même dont nous avons parlé il y a quelques minutes et à qui vous avez écrit votre lettre du 11 novembre.
De quel passage voulez-vous parler, Monsieur le Procureur ?
La question que je pose est la suivante : j’aimerais savoir pourquoi Keppler s’adressa à Göring pour lui présenter votre désir d’abandonner le poste que vous occupiez par rapport aux nazis ou, comme vous le dites, votre poste de conseiller d’État. Votre explication nous rend plus difficile encore la solution de ce problème. En quoi cela intéressait-il Göring ?
J’ai déclaré hier que j’avais été chargé par le Dr Schuschnigg d’étudier les conditions d’une collaboration avec l’opposition nationale. J’ai toujours dit à Schuschnigg que les nationaux-socialistes autrichiens n’accepteraient pas la moindre offre sans l’accord de Hitler. Au su de Zernatto et du Dr Schuschnigg, j’ai rendu visite à Göring et à Hess. Ils savaient l’un et l’autre que j’étais en rapport non seulement avec les nationaux-socialistes autrichiens mais aussi, par l’intermédiaire de Keppler, avec des personnalités du Reich. Ceux-ci le savaient aussi et y étaient intéressés. Si, tout à coup, je déclarais : « Fini, je ne m’occupe plus de rien », je considérais comme de mon devoir d’en informer les gens du Reich et de leur dire qu’ils ne comptent plus sur mon travail. Je crois que c’est tout naturel et qu’il est impossible de faire autrement.
Et votre lettre du 11 novembre à Jury fut écrite après votre rencontre avec Hess et Göring ? Bien entendu, puisque vous les aviez vus au mois de juillet 1937.
Mais oui, le maréchal Göring en a d’ailleurs déjà parlé.
Très bien. Je voudrais maintenant vous poser quelques petites questions sur votre rencontre avec von Papen à Garmisch. Si je vous comprends bien, elle fut l’effet d’un hasard et n’était pas prévue ? Vous y avez parlé de la possibilité de placer un membre du parti nazi au poste de ministre de la Sécurité. Ce que je voudrais également savoir, c’est si vous avez parlé de la possibilité d’un voyage de Schuschnigg à Berchtesgaden, ce qui, en fait, se produisit peu de temps après.
Non. Nous n’avons pas parlé de questions techniques concernant une rencontre éventuelle entre Schuschnigg et Hitler, ou de questions de ce genre. Nous ne nous sommes pas demandés si nous pourrions aboutir par la voie diplomatique.
Vous n’en avez pas parlé du tout ? C’est cela que je veux savoir. Vous n’en avez pas discuté ?
Nous n’avons pas parlé d’une rencontre éventuelle de ces deux chefs d’État, mais simplement de l’aspect matériel de notre plan.
Quand avez-vous entendu parler pour la première fois de cette proposition de rencontre entre Schuschnigg et Hitler, et par qui ?
J’en ai été informé le 10 février, je crois, par Rainer ou Globocznik ; on me dit que cette rencontre était envisagée. C’est à peu près au même moment que Zernatto me pria de venir à Vienne, mais il ne m’avait pas dit de quoi il s’agissait.
N’aviez-vous pas préparé pour Hitler des notes ou, si vous voulez, un mémorandum, qui devait constituer la base de ses discussions avec Schuschnigg à Berchtesgaden ?
J’ai rédigé une proposition écrite pour éclaircir la question. Je l’ai remise d’une part à Zernatto et d’autre part au Dr Rainer. Il est tout à fait possible que Rainer l’ait transmise au Reich et je n’y aurais d’ailleurs rien vu à redire.
Vous savez pourtant bien que Mühlmann fut envoyé cette nuit-là à Berchtesgaden par vous et par vos collaborateurs et qu’il s’y présenta devant Schuschnigg et von Papen, porteur de ce mémorandum. N’est-ce pas exact ?
Le Dr Mühlmann...
Oui. Celui même dont vous avez dit qu’il était avec vous aux Pays-Bas et à Berchtesgaden.
Le Dr Mühlmann est allé à Berchtesgaden et était informé de ma dernière conversation avec le Dr Schuschnigg. Il en avait probablement pris note.
Ne saviez-vous pas ce qu’il avait fait ? Ne saviez-vous pas aussi que Schuschnigg ignorait — et c’est là ce qui est important — ce que Mühlmann faisait là-bas, en face de lui, avec les notes ou les conditions que vous aviez présentées à Schuschnigg la nuit précédente ? Schuschnigg ignorait tout cela, n’est-ce pas, lorsqu’il se rendit, en toute innocence, à Berchtesgaden ?
Je suis persuadé que le Dr Schuschnigg ne savait pas que Mühlmann était à Berchtesgaden. Sans doute avait-il informé Keppler qui, à son tour, avait informé le Führer. Le Dr Schuschnigg l’ignorait certainement. Lorsque je lui parlai, je ne savais pas moi-même que Mühlmann irait là-bas.
Quand avez-vous appris que Mühlmann irait ?
Après la discussion avec le Dr Schuschnigg, je retournai à mon bureau. Il y avait là le Dr Rainer et peut-être quelqu’un d’autre. Je mis le Dr Rainer au courant de notre conversation ; peut-être Mühlmann était-il présent. Là-dessus, nous décidâmes — je dis « nous » parce que je ne veux pas faire exception pour moi — d’informer Keppler de la nature de cette conversation. Entre temps, le Dr Schuschnigg s’était vraisemblablement déjà rendu à la gare. Je n’avais d’ailleurs aucune raison de l’en informer immédiatement.
Ainsi, vous vouliez donc informer Hitler — si j’ai bien compris — de la nature des conversations de la nuit avec le Chancelier Schuschnigg ?
Je n’avais pas alors d’occasion ni de raison d’informer Schuschnigg du fait que Mühlmann irait là-bas.
Je sais que vous n’en avez peut-être pas vu la raison, mais ce que je veux tirer au clair, c’est le fait que vous vouliez que Hitler sût que vous aviez eu une conversation avec Schuschnigg, et qu’il sût ce que vous lui aviez dit.
Oui.
Pourquoi donc avez-vous fait connaître au chef d’un État étranger les conversations que vous aviez eues avec le chef de votre propre État, à qui vous deviez fidélité ?
Je n’y vois aucune trahison. Je mettais au courant les chefs des deux parties entre lesquelles je négociais.
Voulez-vous dire que vous pouviez à cette époque négocier entre votre pays et l’Allemagne sans mettre au courant votre propre chancelier ? Schuschnigg ignorait que vous aviez communiqué ces notes à Hitler. Parlez franchement !
Oui, le Dr Schuschnigg l’ignorait certainement, mais il savait parfaitement que j’étais en rapports permanents avec le Reich, par Keppler, et que je communiquais toujours au Reich les résultats de nos conversations, puisque aussi bien le Reich devait également prendre position. J’ai toujours dit qu’il n’y aurait pas d’entente dans le domaine de la politique intérieure si Hitler n’était pas d’accord. C’est un fait auquel on ne pouvait rien, que du point de vue moral cela eût été bien ou non, nous n’y pouvions rien changer ; sinon, il n’eût pas été possible de faire une politique d’entente.
Ce n’est pas la seule fois que vous n’avez pas agi tout à fait honnêtement avec Schuschnigg. Vous souvenez-vous de lui avoir donné votre parole d’honneur de ne pas communiquer les plans concernant le plébiscite ? Vous rappelez-vous la première fois qu’il vous en parla et vous demanda votre parole de ne rien dire, et que vous le lui avez promis ?
Oui.
Après cette conversation, vous vous êtes rendu immédiatement à l’hôtel Regina. Vous souvenez-vous des questions de vos camarades et de vos réponses ?
Monsieur le Procureur, je crois que vous venez de confondre deux événements. Ce n’est pas cette fois-là que j’allai à l’hôtel Regina, mais le 10 mars au soir, et c’était une tout autre affaire. Tout d’abord, le Dr Schuschnigg n’avait pas à me demander ma parole, car il m’avait désigné lui-même comme homme de liaison par l’accord du 12 février. Si j’avais su d’avance ce qu’il me demanderait, j’aurais refusé, car c’est en vertu de l’accord du 12 février que j’étais obligé de mettre le Reich immédiatement au courant des événements. J’ai tenu ma parole. Le même soir, Jury vint me voir. Il en avait eu connaissance d’autre part et je ne lui dis pas un seul mot qui pût lui laisser entendre que j’étais au courant. Le lendemain matin arriva Rainer. Ce n’est que vers midi que je pris part à ces négociations. Rainer déclare que c’était dans la matinée, mais c’était vers midi.
Très bien, j’accepte cette rectification quant à l’heure, mais je ne crois pas que ce soit très important.
C’est très important à mon avis.
Comme vous voulez. J’aimerais vous lire ce que Rainer dit sur la façon dont vous avez tenu votre parole :
« Seyss-Inquart déclara qu’il n’était au courant que depuis quelques heures, mais qu’il ne pouvait pas en parler parce qu’il avait donné sa parole de garder le silence ; mais, au cours de la conversation, il laissa entendre que les informations illégales que nous avions reçues étaient basées sur la vérité et qu’en vue d’une nouvelle situation il avait coopéré avec les Landesleiter (chefs de régions) dès le début. »
Cela n’était certainement pas respecter un secret ni tenir sa parole, comme Schuschnigg et vous l’entendiez ?
Dans ce cas, il était absolument impossible d’agir d’une autre façon. Il était près de midi, heure à laquelle expirait ma parole. Ces Messieurs étaient assis en face de moi et m’exposaient tous les détails ; je ne pouvais pourtant pas leur dire que tout cela n’était pas vrai, car je ne m’étais pas engagé vis-à-vis de Schuschnigg à mentir. Je me suis donc tu. Les autres en ont déduit qu’il en était probablement ainsi.
Vous saviez quand il fallait garder le silence et quand vous pouviez donner des explications pour faire comprendre à vos compagnons ce que Schuschnigg vous demandait de garder secret.
Quand avez-vous appris ce qui s’était véritablement passé à Berchtesgaden, les menaces proférées, et la façon terrible dont Schuschnigg y fut traité ?
Je l’appris par Zernatto. Je crois que c’était dès le 13 février. Puis, j’en entendis parler par le ministre des Affaires étrangères Schmidt et le Dr Schuschnigg me l’a également raconté en partie. Cela devait donc se passer le 13 ou le 14 février.
Vous avez donc pu vous faire une idée assez précise des menaces proférées à l’égard de Schuschnigg, et je crois que vous savez également que Keitel fut appelé là pour l’intimider par la menace d’une entrée des troupes avant le coucher du soleil. Vous étiez tout à fait au courant de ces événements, n’est-ce pas ?
Je ne me souviens pas de l’histoire de Keitel, mais Schuschnigg m’a dit que les généraux étaient présents, dans le but manifeste d’exercer -une pression d’ordre militaire.
Vous saviez aussi que Hitler avait demandé que vous soyez membre du Gouvernement, au titre de ministre de la Sécurité. Schuschnigg vous l’a dit, n’est-ce pas ?
Oui, je crois que Hitler désirait qu’on donne le ministère de l’Intérieur et de la Sécurité aux nationaux-socialistes. Schuschnigg donna son accord, et comme Hitler lui demandait qui il proposait, il donna mon nom. Mais tout cela, ce sont des bruits et je n’en connais pas les détails. En tout cas, cela se passa au cours de cette dramatique conversation.
Je crois que cela est assez important, car vous avez un témoin qui doit venir ici et qui assista à cette réunion : le Dr Schmidt. Voulez-vous dire au Tribunal que c’est Schuschnigg qui proposa votre nom et que ce n’est pas Hitler qui insista pour que vous soyez nommé ?
Je ne désire pas raconter des histoires au Tribunal mais simplement contribuer à éclaircir les dessous des événements, dans la mesure où le Statut le permet. Je déclare expressément que j’ai entendu dire qu’il en était ainsi. Si le Dr Schmidt y a assisté et déclare qu’il en était autrement, je le croirai sans réserves.
Pouvez-vous nous dire qui vous a dit cela ? Car nous avons une déclaration, sous la foi du serment, du Président Miklas, qui dit que c’était Hitler qui l’avait exigé. Nous savons que Schuschnigg a dit que c’était Hitler qui l’avait demandé, et le Dr Guido Schmidt vous le dira également. Qui vous a dit que c’était Schuschnigg qui l’avait demandé ?
C’est le Dr Mühlmann qui me l’a dit. Mais je tiens à faire remarquer que ce que vous dites est exact, Monsieur le Procureur, car ceci n’est qu’un détail de tactique. Si le Führer force Schuschnigg à désigner un ministre de l’Intérieur et qu’après un échange de paroles il ait, le premier, prononcé mon nom, je ne voudrais pas en tirer la moindre conclusion pour ma défense.
Bon. Je pense que ceci est très courageux. Le fait demeure que tout cela était préparé à l’avance. Vous saviez, ainsi que Hitler, que vous alliez être membre du Gouvernement, et que peu importait qui prononcerait votre nom le premier.
C’est exact, mais je ne savais pas avec certitude que Hitler demanderait ce jour-là le ministère de l’Intérieur et me nommerait, car M. von Papen ne m’avait pas mis au courant du résultat de ses conversations avec Hitler. Je supposais simplement qu’il en était ainsi. Je n’étais pas à Berlin persona grata au point de penser que c’est précisément moi qui serais choisi.
Peu de jours après la conclusion de ce prétendu accord de Berchtesgaden, Hitler le viola, n’est-ce pas ?
Le 17 février, oui.
Ne l’avait-il pas déjà violé avant le 17 février ? Vous souvenez-vous qu’il nomma Klausner chef du Parti, bien qu’il fût tombé d’accord avec Schuschnigg pour ne pas le faire et ne pas autoriser la formation d’une organisation politique de ce genre ? Vous étiez au courant quand cela eut lieu ?
Pardon, je crois avoir mal compris la première question. J’ai compris...
Elle est peut-être un peu embrouillée Ce qui importe est de savoir que quelques jours après cette rencontre à Berchtesgaden, Hitler nomma Klausner chef du parti nazi illégal en Autriche. C’est bien cela, n’est-ce pas ?
Je crois que cela n’arriva qu’après le 17 février, car je demandai moi-même à Hitler de donner son accord à la nomination de Klausner comme chef des nazis en Autriche, car il était évident pour moi que pas un national-socialiste autrichien ne suivrait quelqu’un d’autre si Hitler n’était pas d’accord.
Admettriez-vous comme vraie la relation de Guido Zernatto, dont vous avez vous-même présenté le livre au Tribunal ? Admettriez-vous comme vrai son rapport des événements ?
Certainement.
Il dit que cela se passa quelques jours seulement après la rencontre de Berchtesgaden ; je suppose que cela pouvait être le 17, mais c’est peu probable. N’était-ce pas avant que vous n’alliez à Berlin ?
Qui a dit cela ? Moi ?
Zernatto.
Non. J’ai vu Hitler pour la première fois de ma vie le 17 février, et je crois que Klausner n’était pas encore nommé à ce moment, car c’est moi qui demandai à Hitler de donner son accord pour que Klausner fût nommé chef des nationaux-socialistes autrichiens.
Vous le reconnaissez donc. C’est un point très important dans toutes vos négociations entre l’Autriche et l’Allemagne car si, comme le dit Zernatto, l’accord a été violé quelques jours après la réunion, c’est donc que vous saviez quand vous êtes allé à Berlin pour parler de ce cheval de Troie, que Hitler avait déjà commencé à agir illégalement en Autriche, si vraiment cette activité avait débuté avant votre arrivée.
Je voudrais dire que cette activité illégale — qui n’était pas le fait de Hitler seul, mais aussi d’autres gens — n’a jamais cessé, et qu’il était dans mes intentions de donner à cette activité illégale une forme telle que nous puissions la contrôler depuis l’Autriche. C’est aussi ce que je répétais sans cesse à Schuschnigg : « Les nazis autrichiens ne feront rien sans Hitler ».
La question n’est pas là ; ne nous y arrêtons pas. Je veux vous poser une autre question à propos de votre rencontre avec Hitler. Vous connaissiez certainement, le 17, la façon abominable dont on avait traité Schuschnigg et Guido Schmidt à Berchtesgaden. Avez-vous dit quoi que ce fût à Hitler à ce propos au cours de la conversation de deux heures et demie que vous avez eue avec lui ?
Non, car je ne suis pas non plus responsable de la politique du « Vaterländische Front » vis-à-vis des nationaux-socialistes en 1934 ; ce n’était qu’une réaction contre l’oppression des nationaux-socialistes en Autriche.
Très bien. Passons au 8 mars. C’est le jour où Schuschnigg vous a parlé d’un plébiscite qu’il avait l’intention de faire quelques jours plus tard.
Oui.
C’est le 9 mars que vous avez écrit à Schuschnigg et que vous avez envoyé à Hitler une copie de votre lettre, n’est-ce pas ?
Parfaitement.
Aviez-vous dit à Schuschnigg que vous envoyiez à Hitler une copie de cette lettre par courrier ?
Je n’en sais rien, mais je n’ai pas eu le moindre scrupule à le faire, car après le 12 février 1938, je devais informer le Reich.
Mais, en tant que conseiller d’État de Schuschnigg, vous deviez certainement lui faire savoir que vous aviez fait parvenir à Hitler une copie de cette lettre très importante, et vous ne lui en avez rien dit, n’est-ce pas ?
C’est possible, mais je crois que je l’ai peut-être dit à Zernatto. Je l’ai certainement mis au courant du fait que j’avais informé le Reich ; il n’y a pas de doute là-dessus.
Nous verrons bien. La nuit suivante, vous avez rencontré Schuschnigg, Schmidt et Skubl ; je crois que c’était à la chancellerie. Vous n’avez dit à aucun d’eux que vous étiez déjà entré en communication avec Hitler par courrier spécial. Vous souvenez-vous de cette rencontre ?
Je ne m’en souviens vraiment pas bien ; je ne me souviens que de la rencontre du 10 mars au soir. Mais c’est bien possible. Je crois que...
C’est la nuit où vous êtes allé à l’hôtel Regina et y avez vu Klausner. Immédiatement après cette réunion, vous êtes descendu dans la rue et vous avez vu vos compagnons. Leur avez-vous dit ce que vous avait dit Schuschnigg et ce que vous lui aviez dit quelques instants plus tôt, au cours de la réunion ?
Le 10 mars ?
Oui, le 10.
Oui, mais je n’ai rencontré qu’une indifférence étonnante.
Votre courrier était cependant revenu de Berlin. Globocznik était bien revenu de Berlin, n’est-ce pas ?
Oui, Globocznik était revenu. Il me dit que Berlin désapprouvait ce plébiscite et que je recevrais le lendemain une lettre précisant la position de Hitler.
Au cours de cette même réunion à l’hôtel Regina, vous avez entendu Rainer donner des instructions pour mobiliser le Parti en Autriche afin qu’il soit prêt à manifester ou à prendre le pouvoir le lendemain. Vous étiez là lorsqu’il établit ces plans. Vous en souvenez-vous ?
Je crois que Rainer a beaucoup exagéré. Je me souviens seulement que Klausner a dit : « Demain, il faut que tout le monde reste en communication avec lui ». Il était évident que des manifestations pouvaient se produire ; c’était logique et tout le monde s’en rendait compte. Si cette situation n’était pas réglée tout de suite, il pouvait y avoir de sérieuses manifestations. Mais cela aussi, le Gouvernement le savait.
Je crois que nous pourrons passer rapidement si vous convenez avec moi que ces manifestations n’étaient absolument pas spontanées, comme je pensais que vous vouliez le faire croire au Tribunal, mais au contraire prévues par vos compagnons.
Que ces manifestations n’étaient pas spontanées ? Elles ne l’étaient certainement pas.
Elles ne l’étaient pas ?
La situation était de plus en plus tendue depuis le 8 mars.
Très bien. Lorsque Glaise-Horstenau revint de Berlin le lendemain matin, le 11 mars, il vous parla des événements militaires envisagés ou des bruits d’opération militaire qui circulaient à Berlin ?
Oui, et nous avons dit la même chose au Dr Schuschnigg.
Vous avez rendu visite à Schuschnigg et, le matin même, vous lui avez écrit une autre lettre.
Auparavant, avait eu lieu une conversation de près de deux heures, au cours de laquelle je lui donnai tous les détails. La lettre n’était qu’une confirmation.
Cette lettre était un ultimatum à Schuschnigg. Elle fut écrite par vous-même, sur les indications de votre supérieur politique, Klausner.
Non. C’est ce qu’a prétendu Rainer. C’est encore une de ses assertions. Car si l’on peut parler d’un ultimatum, je l’avais déjà posé verbalement. En quittant le Dr Schuschnigg, je le priai de me donner une réponse pour 2 heures de l’après-midi, et en cas de refus, Glaise-Horstenau et moi-même serions contraints de démissionner. Mais je n’en avais encore absolument pas parlé à Klausner.
Si je comprends bien, tout ce que Rainer dit dans son rapport, le document PS-812, est faux, à vous entendre. Il dit également...
Ce n’est pas faux, mais légèrement exagéré.
Très bien. Je voulais simplement connaître votre opinion parce que, je le répète, vous ne pourrez plus être entendu au moment où il déposera. Vous savez qu’il dit également avoir discuté avec vous de la prise du pouvoir, pour le cas où Schuschnigg aurait repoussé votre ultimatum. Est-ce vrai ou non ?
Je ne m’en souviens pas, je ne crois pas.
Que pensez-vous de la déclaration qu’il a faite, suivant laquelle vous auriez mentionné trois possibilités pour vous emparer de l’Autriche et la livrer à l’Allemagne ? Est-ce vrai ou non ?
Je crois que c’est une construction ultérieure de l’esprit de Rainer.
II faut donc que je vous interroge sur ce point, car je pense qu’il faut que nous connaissions votre opinion.
Je vous en prie.
Rainer dit également que le télégramme, maintenant bien connu, adressé à Hitler et disant que la situation était mauvaise en Autriche, avait été en fait ramené de Berlin par Glaise-Horstenau. Il le déclare dans le même document. Qu’en pensez-vous ?
Ce n’est pas tout à fait exact. La lettre de Hitler..
En quoi est-ce exact, si ce ne l’est pas tout à fait. Vous semblez dire qu’il y a là quelque chose de vrai.
J’ai reçu la lettre de Hitler par un courrier et non pas par Glaise-Horstenau. Cette lettre contenait également le projet d’un télégramme.
Et c’est le télégramme dont vous parlait Göring au téléphone, le même dont Keppler parlait à Dietrich au téléphone ?
Non, ce télégramme était au moins deux fois aussi long et je l’ai délibérément rejeté.
Je vous interrogerai donc sur ce jour-là. L’allocution que vous avez prononcée à la radio, c’est sur les indications de Göring que vous l’avez faite, n’est-ce pas ? Il vous a dit...
II n’en est pas question. Cela ne m’aurait pas intéressé.
Regardez plutôt la transcription de sa conversation téléphonique avec vous. Il était 19 h. 57, ce soir-là, quand il vous dit de faire une déclaration au peuple. Trois minutes après, vous parliez à la radio. Que voulez-vous dire lorsque vous prétendez que ce n’est pas Göring qui vous a dit de le faire ?
Oui, mais Göring m’a demandé toute autre chose. Göring m’a demandé de déclarer la constitution d’un gouvernement provisoire et de prendre le pouvoir ; du moins, je le crois. J’ai pris la parole en qualité de ministre de l’Intérieur et de la Sûreté, et j’ai demandé au peuple de rester calme et de ne pas opposer de résistance à l’entrée des troupes allemandes ; exactement ce que Schuschnigg avait dit une demi-heure auparavant.
Et il ne vous a fallu que deux ou trois minutes pour vous rendre au microphone après avoir parlé à Göring ?
J’ai beaucoup parlé au maréchal Göring, et je ne veux pas le compromettre, ni moi non plus, par tout ce que nous avons fait ce jour-là à la suite de conversations téléphoniques. Je crois que je n’en ai à peu près rien fait.
Vous ne voulez pourtant pas dire que Göring ne s’intéressait pas au fait que vous vendiez l’Autriche à l’Allemagne ? Il s’intéressait certainement très vivement à ce qui se passait là-bas ce jour-là, n’est-ce pas ?
Oui, mais l’expression « vendre » ne me semble pas être la bonne. Göring avait évidemment un grand intérêt à ce que cette affaire fût menée assez rondement.
Vous avez dit hier au Tribunal qu’il y avait environ 40 SS dans le bâtiment et que vous aviez pensé qu’ils étaient là parce que Miklas et Schuschnigg n’avaient rien fait pour les en retirer alors qu’ils auraient pu le faire très facilement. La vérité est que ’ c’est vous qui étiez ministre de la Sécurité et qui pouviez les faire partir.
Non, ce n’était pas moi qui étais le maître à la Chancellerie fédérale. D’ailleurs, le Dr Skubl était là et il aurait suffi d’un mot de M. Miklas ou du Dr Schuschnigg pour que 300 hommes du bataillon de la garde vinssent assurer l’ordre. On ne pouvait tout de même pas me demander à moi, à ce moment-là, de marcher contre les nationaux-socialistes.
S’il suffisait d’un mot de leur part, il aurait suffi, de la vôtre, d’un geste du doigt pour les faire partir. Ces SS étaient de vos nationaux-socialistes, en dehors du fait que vous étiez chef de la Police.
Je ne sais pas s’ils m’auraient obéi et, d’autre part, je n’avais pas autorité sur le bataillon de la garde parce qu’il faisait partie de l’Armée. Il est certain que j’aurais pu faire agir mon influence et que cela aurait peut-être servi. Mais les 40 hommes qui étaient là ne signifiaient rien à mes yeux.
Ils avaient entouré la place, n’est-ce pas ? Ils étaient non seulement dans le bâtiment, mais aussi au dehors et sur les toits des bâtiments voisins. Vous souvenez-vous de tout cela ?
II y avait à ce moment-là quelques milliers de nationaux-socialistes devant le bâtiment de la Chancellerie fédérale.
Reportons-nous plutôt à ce qu’en dit votre ami Rainer, qui doit venir témoigner pour vous. Avez-vous vu l’article — je pense qu’on peut appeler cela un article — qu’il écrivit sur cette nuit historique ? Le connaissez-vous ?
Oui, on peut même dire que c’est plus qu’un article.
II a appelé cela « Les heures d’une décision historique ». Le document porte le numéro PS-4004, Monsieur le Président, USA-883. (Au témoin.) Vous admettrez, je pense, que l’image donnée par Rainer est toute différente de celle que vous avez donnée au Tribunal, du moins si vous avez lu cet article, et vous dites que vous le connaissez. Il dit que Kaltenbrunner commandait 700 SS cette nuit-là et que Lukesch réunit 6.000 SA en une demi-heure. Ils avaient reçu l’ordre de se mettre en marche, d’occuper la Chancellerie fédérale et de tenir le Ring et le bâtiment jusqu’à ce que le Gouvernement national-socialiste fût proclamé. 40 SS, sous les ordres de l’adjoint de Kaltenbrunner, Rinner, avaient reçu l’ordre d’entrer par la force à la Chancellerie fédérale, de l’occuper, et ainsi de suite. Et vous aviez donné l’ordre — il dit que c’était vous — de laisser entrer Rinner. Cela est très important et je voudrais bien savoir ce que vous en pensez. Rinner commandait les 40 SS dont vous dites que quelqu’un d’autre aurait pu les faire partir. Voici ce qu’il dit :
« Il était 10 heures environ quand le commandant de la garde dit au Dr Seyss, ministre de la Sécurité, qui se trouvait justement dans notre pièce, qu’un homme accompagné de 40 autres, était au portail et demandait à entrer, disant qu’il avait des ordres supérieurs. J’expliquai rapidement au Dr Seyss que c’était Rinner et ses 40 hommes désignés pour occuper la Chancellerie. Le Dr Seyss donna l’ordre de faire monter Rinner. Je n’oublierai jamais ce moment-là. Escorté d’un immense garde du corps, Félix Rinner, le fameux champion de course autrichien... » etc.
Il était le premier Sturmführer national-socialiste à entrer au Quartier Général cette nuit-là, et vous êtes celui qui l’avez fait entrer.
C’est un article de victoire écrit dans l’ivresse de la victoire ; je peux simplement dire que j’ai remarqué dans les couloirs ces nationaux-socialistes en pantalons noirs et chemises blanches, et que j’ai demandé ce qui se passait. Mais quant à cette description dramatique suivant laquelle j’aurais ouvert la porte, nous attendrons de voir si Rainer la confirmera.
Oui, je comprends. Nous l’attendons tout comme vous. Vous noterez qu’un peu plus loin il dit que, sous votre propre responsabilité, vous avez donné l’ordre d’ouvrir les grilles et de laisser entrer ces hommes. Vous dites que c’est faux. C’est tout ce que je voulais savoir.
Non, je ne sais rien de tout cela.
Continuons donc. Il n’y a rien de vrai, je suppose, dans tout cet article de Rainer ou bien y a-t-il quelque chose que vous reconnaissiez comme vrai ? Vous savez qu’il témoignera pour vous.
Je suis moi-même très intéressé par ce qu’il dira. Tout cela est une relation un peu poétique de ces événements. La base en est certainement exacte, mais l’allégresse de la victoire y a certainement beaucoup ajouté.
Je crois devoir vous dire, avant de vous poser une question, que Guido Schmidt, dans un témoignage que nous avons ici et que je serai heureux de vous présenter, déclare que la place était encerclé par ces SS et que vous saviez qu’ils étaient là. Qu’en pensez-vous ? Lui aussi doit témoigner pour vous.
J’ai dit qu’il y avait quelques milliers de nationaux-socialistes autour de la chancellerie fédérale. Je ne sais pas s’il s’agissait de SS ou de SA. Il y avait même beaucoup de femmes parmi eux. Je n’avais pas eu connaissance de cette sorte d’ordre de mobilisation du Parti, mais j’avais dit au Dr Schuschnigg, dès le matin, que si nous n’arrivions pas à nous entendre, on pouvait s’attendre à de sérieuses manifestations de la part du Parti.
Autre chose. Avez-vous dit au Tribunal, vous ai-je bien compris lorsque vous avez dit que Miklas avait démissionné sans que vous l’en ayez personnellement mis en demeure ? Le président Miklas était alors Bundespräsident d’Autriche. A-t-il démissionné sans que vous le lui demandiez ? Est-ce là votre témoignage ?
Ce que je lui demandais, c’était de signer la loi sur l’Anschluss. Il me répondit qu’il ne le ferait pas. Selon la Constitution, c’est à moi que devaient passer ses pouvoirs. Il ne voulait pas faire obstacle à l’évolution des événements. Je ne crois pas l’avoir invité à démissionner ; je lui demandais simplement de signer la loi.
Il a déclaré à Vienne, devant un Tribunal, que vous le lui auriez demandé. Vous souvenez-vous, ou avez-vous oublié, ou bien dites-vous que ce n’est pas vrai ?
Non ; je considère que c’est impossible, car je me souviens encore parfaitement qu’il me dit : « Je ne peux pas signer cette loi, mais je ne veux pas faire obstacle à l’évolution des événements. Si vous me confirmez qu’il est nécessaire que l’Anschluss ait lieu, je donnerai ma démission et vous aurez tous mes pouvoirs ». S’il a compris que je lui demandais de démissionner, je ne veux pas le contredire et rendre sa position plus difficile, car je reconnais avoir réalisé l’Anschluss.
Je vais donc déposer ce document ; vous pouvez le voir si vous le désirez. C’est son témoignage devant un Tribunal de Vienne, le 30 janvier 1946. C’est le document PS-3697, qui devient USA-884. Vous pouvez le voir s’il vous intéresse. Il s’explique précisément sur le point dont nous venons de parler et dit que vous avez beaucoup parlé, disant que cela vous était très pénible, mais que vous étiez obligé d’obéir aux ordres venant d’Allemagne et que, par conséquent, il devait démissionner. C’est à la page 17 du texte anglais du témoignage du Président Miklas.
Avez-vous écrit une lettre à Himmler ou, plutôt, n’avez-vous pas écrit deux lettres à Himmler à propos de Bürckel ? L’une de ces lettres est déposée comme preuve et je voudrais vous demander si vous vous souvenez de l’autre. Vous souvenez-vous de la lettre dans laquelle vous disiez à Himmler qu’il n’était pas vrai que vous vous occupiez de la déportation des Juifs et que vous aviez seulement insisté pour qu’ils soient remis aux hommes de Kaltenbrunner, au SD.
Je le connais, il a été présenté ici. Je sais, je l’ai vu ici, au Tribunal.
Je pense que vous l’avez vu, mais il n’a pas été déposé comme preuve. Je vais le faire.
Oui, mais la lettre est certainement exacte.
C’est le document PS-3398 qui devient USA-885. Vous dites dans cette lettre que vous avez donné des instructions afin que la déportation des Juifs n’ait lieu qu’avec l’accord du SD et par le SD et que vous ne pouviez pas autoriser les opérations arbitraires.
C’est exact. Dois-je prendre position vis-à-vis de ce document, Monsieur le Procureur ?
Je voudrais vous demander ceci : vous étiez donc au courant de la déportation des Juifs et c’est ce que j’avais déduit de votre interrogatoire. Vous étiez au courant et vous avez fait en sorte que ce soit le SD qui s’en occupe. C’est le seul point que je voudrais éclaircir, et je suppose que vous êtes d’accord.
Oui. Je savais, bien entendu, que quelques trains avaient été chargés de Juifs à Vienne et qu’on les avait emmenés en Pologne. Aucune disposition n’avait été prise et ces Juifs souffraient de grandes difficultés. Je me suis élevé contre cela, et comme Bürckel se plaignait, j’ai dit à Himmler : « Si l’on fait de telles opérations, qu’elles soient faites par le SD », parce que je supposais qu’elles seraient mieux préparées. Si je dis cela aujourd’hui, cela rend évidemment un son tragique et amer ; mais je pensais qu’on leur installerait au moins des camps provisoires. Je sais d’ailleurs, depuis le 9 novembre 1938, comment ces choses se passaient : le Parti commence, et ensuite c’est à l’État de prendre les choses en mains et de les mener à bien.
Vous saviez, en tout cas, que Kaltenbrunner déportait les Juifs d’Autriche, ou du moins qu’il en était chargé ?
Je ne me souviens pas de Kaltenbrunner à ce propos. Je crois que c’était l’œuvre du Parti seul, et que Kaltenbrunner ne s’en est pas occupé.
N’avez-vous pas dit que c’était le SD ? Et Kaltenbrunner n’en était-il pas à ce moment-là le chef en Autriche ?
J’ai dit qu’il en était chargé, mais ces transports n’ont pas été faits par Kaltenbrunner ; c’est Globocznik qui les dirigeait.
Ils étaient pourtant sous les ordres de Kaltenbrunner ? Il était alors chef de toute la Police en Autriche.
Il était plutôt chef de la Police de sûreté ; je ne pourrais pas dire à quel point il avait de l’influence. Je ne crois pas qu’elle était grande.
Depuis que vous êtes dans cette salle, vous avez pu constater qu’il avait une certaine influence. Vous savez maintenant que ces questions l’occupaient beaucoup.
Non.
Voulez-vous dire que vous n’avez pas entendu dire ici que Kaltenbrunner s’était occupé de la déportation des Juifs ?
C’est l’affaire de Kaltenbrunner. Je ne le sais pas par mes propres observations.
Je ne veux pas insister, mais ce n’est pas ce que je vous ai demandé. Je vous ai demandé si vous n’aviez pas entendu dire dans cette salle que Kaltenbrunner s’était beaucoup occupé des déportations de Juifs ?
Oui.
Bien. Vous appliquez cela à votre lettre, n’est-ce pas ? Et ne savez-vous pas maintenant qu’au moment où vous écriviez cette lettre, il s’occupait des déportations de Juifs ?
A mon avis, Kaltenbrunner n’avait rien à faire avec les déportations des Juifs dont on parle ici. C’étaient des opérations arbitraires exécutées par le Parti ou par le Gauleiter Globocznik.
Vous rappelez-vous quand vous avez reçu de Lammers les pouvoirs que vous aviez demandés pour la confiscation des biens en Autriche ?
Oui.
Avez-vous vu ces documents ? Ils sont nouveaux ce sont votre lettre à Lammers sa réponse et l’ordonnance prise à votre requête. Il y a trois documents.
Oui.
Votre lettre à Lammers, du 23 octobre 1938, est le document PS-3448 (USA-886). La réponse de Lammers est datée du 24 octobre 1938 ; c’est le numéro PS-3447 qui devient USA-887. L’ordre lui-même est le document PS-3450 qui devient USA-888. C’est bien la confiscation des biens juifs en Autriche que vous demandiez ?
Oui, j’ai déjà déclaré hier ou avant-hier que j’y avais pris part en prenant des arrêtés.
Allons-nous lever l’audience maintenant ?
Je peux terminer dans cinq minutes, Monsieur le Président.
Bien, continuez.
J’aimerais bien terminer et je crois que cela sera possible.
Accusé, quand avez-vous entendu parler pour la première fois des nombreux Autrichiens qui sont morts dans les camps de concentration depuis l’Anschluss ?
Des nombreux Autrichiens qui sont morts dans les camps de concentration ? C’est dans cette salle que j’en ai entendu parler pour la première fois. Quant aux nombreux Autrichiens qui étaient dans les camps, j’en ai peut-être entendu parler au cours de l’année 1943-1944. En 1938 et 1939, je savais que certains opposants adversaires politiques étaient internés dans des camps de concentration, mais qu’avec le temps on les relâchait, au moins en partie.
Ne savez-vous pas qu’ils trouvaient la mort à Buchenwald dès 1939 ? N’avez-vous pas connu certaines personnes dont vous avez appris la mort ? Réfléchissez une minute avant de répondre. N’avez-vous pas appris la mort, à Buchenwald, de gens qui étaient opposés à vos idées politiques ?
Je ne me souviens pas, Monsieur le Procureur.
Vous n’en avez jamais entendu dire un mot ?
Ce n’est pas ce que je veux dire. Citez-moi un nom et je vous dirai immédiatement ce qu’il en est.
Je sais que si je vous cite un nom vous me direz que vous en avez entendu parler ; mais je vous demande d’abord si vous ne saviez vraiment pas que certains d’entre eux mouraient dans ces camps ? C’est tout ce que je veux savoir. C’était pourtant bien connu en Autriche.
Je reconnaîtrai certainement qu’il est possible qu’on m’ait dit, dès 1938 ou 1939, que telle ou telle personne était morte dans un camp.
Et vous êtes resté fidèle aux nazis tout en sachant, pour le moins, qu’un grand nombre de vos compatriotes étaient jetés dans les camps de concentration ? Cela vous était égal ? Quoi que vous ayez pu penser avant l’Anschluss vous saviez certainement ce qui s’est passé après ?
II n’est pas question que j’aie su qu’il en mourait un grand nombre. Qu’il y en ait eu quelques-uns, cela ne m’aurait pas affecté particulièrement, car entre 1934 et 1938 il y avait eu au moins autant de nationaux-socialistes qui étaient morts dans les camps de concentration du Dr Dollfuss et du Front patriotique, c’est-à-dire de l’État autrichien.
Conviendrez-vous avec moi que la situation devint très mauvaise en Autriche après la prise du pouvoir par les nazis, que tout alla de mal en pis, et que vous le saviez, comme tout le monde en Autriche. Ou bien voulez-vous prétendre qu’elle s’était améliorée ?
Je vous dirai très franchement : naturellement, si vous écoutez aujourd’hui les chefs de l’opposition, c’était terrible. Mais quand on a vu vivre le peuple, jusqu’en 1939, on peut voir qu’il avait retrouvé sa vitalité, que le chômage avait disparu et qu’un esprit tout nouveau régnait. Mais la guerre rendit la situation impossible.
Une dernière question, si vous pouvez y répondre brièvement. Dois-je comprendre que vous acceptez la responsabilité de ce qui s’est passé en Pologne, de tout ce qu’on a prouvé s’y être passé ? Acceptez-vous la responsabilité commune avec Frank, puisque vous étiez son remplaçant ?
En premier lieu, cela ne peut se faire que pour la période où j’étais là-bas, et en cette qualité.
Bien entendu, je ne parle pas du moment où vous étiez déjà parti. Je parle du moment où vous étiez là-bas.
Et là seulement où j’ai exercé mes fonctions de remplaçant, et où j’ai eu connaissance de crimes sans m’élever contre eux.
Je voudrais simplement lire, pour qu’elle figure au procès-verbal, une phrase d’un document qui a déjà été déposé, le document PS-2233. A la première page, paragraphe 4, je voudrais lire la phrase suivante, car une partie seulement en a été lue par la Défense, mais pas tout le paragraphe. Cela figure au chiffre 3 :
« Les mesures de police et autres opérations tenues pour nécessaires seront entreprises sous la surveillance directe du chef de la Police de sûreté. Toute opération arbitraire devra être soigneusement évitée. »
Cette ordonnance a été prise à l’occasion de l’opération AB, à propos de laquelle le témoin a déposé. (Au témoin.) Ces pièces montrent, accusé, que vous étiez présent au moment où l’accusé Frank parla de l’opération AB et fit la déclaration que je viens de lire. Vous ne niez pas votre responsabilité pour tout ce qui s’est passé au cours de l’opération AB ? Vous étiez au courant ?
Je n’ai nié quoi que ce fût ni dans le cas de l’opération AB, ni autrement. J’ai parlé particulièrement de l’opération AB.
Monsieur le Président, le document PS-2233 (URSS-223) est maintenant déposé en français. Il avait déjà été déposé comme preuve et accepté par le Tribunal. Mais nous n’avions pas à ce moment-là le texte français. Il est maintenant entièrement traduit en français et je le présente au Tribunal. J’ai terminé mon interrogatoire.
Monsieur Dodd, vous dites que le document du 11 novembre 1937, PS-3369, est un nouveau document. Lui avez-vous donné un numéro ?
Je voulais le déposer, mais je crains l’avoir oublié. Il aura le numéro USA-889. C’est un nouveau document. Un moment, Monsieur le Président, je vais vérifier. Je voulais le déposer et je crains de l’avoir oublié. Il devient USA-889. C’était un nouveau document et j’avais l’intention de le déposer.
L’audience est suspendue. Nous siégerons à nouveau à 14 h. 10.