CENT CINQUANTE-TROISIÈME JOURNÉE.
Mercredi 12 juin 1946.

Audience de l’après-midi.

Dr STEINBAUER

Témoin, le représentant du Ministère Public français vous a demandé si vous étiez le représentant du Gouverneur Général Frank et si vous connaissiez Auschwitz. Pouvez-vous nous dire où est situé Auschwitz ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Auschwitz n’était pas dans le Gouvernement Général, mais dans le territoire attaché au Gau de Haute-Silésie.

Dr STEINBAUER

Je vous remercie. Ce même représentant du Ministère Public vous a soumis la déclaration d’une jeune fille de vingt ans, nommée Kunze, document PS-3584, déclaration suivant laquelle vous auriez adressé à plusieurs reprises des rapports à Himmler.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Hier soir, au moment où cette question m’a été exposée, j’étais assez fatigué et j’ai peut-être fait une déclaration qui contredisait quelque peu les faits exposés dans ce document : j’ai dit que certains rapports, mentionnés au paragraphe 3, ne me concernaient en aucune manière. Ce témoin prétend que j’aurais envoyé à Himmler des rapports sur la condition des Juifs, et cela par l’intermédiaire de la Police de sûreté. Ceci est un non-sens absolu, contredit par les résultats- Les commissaires du Reich n’étaient en aucune manière sous les ordres de Himmler en ce qui concerne la question juive. J’ai peut-être écrit à Himmler deux ou trois lettres relatives à des cas tout à fait individuels ; elles furent transmises par mes services aux services de Himmler mais elles n’ont jamais passé par la Police de sûreté.

Dr STEINBAUER

Cela suffit. On vous a, en outre, soumis une déclaration d’un Dr Karl Georg Schöngarth sur la question de l’exécution des otages.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, le Dr Schöngarth était le successeur, ou mieux le délégué de Rauter, et il est exact qu’il est venu me voir après avoir inspecté le lieu de l’attentat. Il me dit que Himmler demandait l’exécution de cinq cents véritables otages, personnages hollandais importants. Je fus épouvanté et Schöngarth me dit tout de suite qu’il n’en était absolument pas question. J’ai alors, certainement, répondu au Dr Schöngarth : « II faut pourtant faire quelque chose, il faut réagir ». Il me dit alors que plusieurs sentences de mort avaient été prononcées et devaient être mises à exécution dans les jours et les semaines à venir et qu’il proposait que ces gens soient exécutés immédiatement et que cela soit annoncé comme une réponse à cet attentat.

Dr STEINBAUER

Avez-vous — et les chefs de la Wehrmacht en Hollande ont-ils — adressé à la population des avertissements concernant la question des otages ainsi que le veut le Droit international ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je crois qu’il y a ici un document contenant un avertissement rédigé par moi contre le sabotage et dans lequel je menace, en cas d’infractions aux lois, de confisquer les propriétés et de faire participer la population aux services de surveillance.

Dr STEINBAUER

Puis-je attirer l’attention du Tribunal sur le fait que cet avertissement figure dans le document PS-1163 ? (Au témoin.) Je vous présente, d’autre part, un autre document : il s’agit là de l’interrogatoire d’un accusé, le général Christiansen, dans lequel il dit que c’est vous qui auriez donné l’ordre d’exécuter les otages.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je crois que ce n’est pas cela que dit le général Christiansen. Il admet avoir donné l’ordre mais il veut simplement dire que j’agissais pour ainsi dire dans la coulisse. J’ai exposé mon point de vue personnel, mais peut-être le témoin Wimmer pourra-t-il nous donner plus de détails sur ce sujet, car il assistait à cette conversation, comme le dit Christiansen lui-même.

Dr STEINBAUER

Hier soir encore, j’ai étudié cette question, car j’avais présente à l’esprit la décision prise par le Tribunal, qui a admis comme déclaration d’un témoin ce qui est en réalité l’interrogatoire d’un accusé. Il me semble que le paragraphe 21 du Statut a un sens différent. Je crois qu’un fragment tel que celui-ci ne peut pas avoir de valeur probatoire, car, en théorie, il serait possible que Christiansen soit maintenant condamné aux Pays-Bas par les Anglais pour avoir fait une déclaration inexacte. Je ne voudrais cependant pas faire perdre du temps au Tribunal, mais simplement attirer son attention sur une déclaration analogue du commissaire criminel Munt, que j’ai déjà déposée avec le document 77, pages 199. (Au témoin.) J’attirerai votre attention sur une autre question : le Ministère Public français a prétendu que les secrétaires généraux hollandais avaient été laissés en place par le Gouvernement néerlandais en tant qu’organes de gouvernement et que vous n’étiez en conséquence pas autorisé à empiéter sur la souveraineté des Pays-Bas. Qu’en pensez-vous ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je n’en sais rien et je pense d’ailleurs que la chose n’a aucune importance. Les Pays-Bas ont capitulé pour tout le territoire à l’exception de la Zélande. Les termes de la capitulation ne comprenaient que des questions militaires ; au point de vue civil, c’était une capitulation sans conditions et je crois qu’au point de vue du Droit international j’étais dans mon droit en prenant en mains le Gouvernement.

Dr STEINBAUER

Messieurs, puis-je présenter à ce sujet un document qui traite de cette question. Il s’agit d’un jugement du Tribunal suprême des Pays-Bas en date du 12 janvier 1942. Je me référerai, au point de vue juridique, à ce jugement au cours de mon exposé final. Ce document sera remis au Tribunal, certifié et en quatre langues, par l’intermédiaire du Ministère Public qui a donné son accord. Ce document porte le numéro 96. (Au témoin.) Le Ministère Public français a également prétendu que vous auriez fait procéder à des exécutions massives, à la déportation de Juifs et de travailleurs civils, afin de diminuer la puissance biologique de la population néerlandaise.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je crois que je pourrais citer des faits concrets qui montrent que mes intentions étaient opposées. Il est évident que dans une guerre la population subit des pertes et peut-être aurais-je pu, en prêtant une plus grande attention ou en exerçant une résistance plus forte, en éviter quelques-unes. Si cela n’a pas été, je le regrette sincèrement. Néanmoins, deux chiffres sont caractéristiques à cet égard : celui de la mortalité et celui de l’accroissement de la population. D’après les indications du service néerlandais de statistique, le chiffre de la mortalité en Hollande est monté jusqu’en 1944 de 9,5 à 10 pour mille, alors qu’entre 1914 et 1918 il avait passé du 12 pour mille à 17 pour mille, c’est-à-dire qu’il avait augmenté de 50 pour cent, bien que les Néerlandais eussent leur propre Gouvernement et ne fussent ni en guerre, ni soumis au blocus. L’augmentation de la population suivant les indications du service de statistique qui me furent communiquées en 1945, avait, entre 1914 et 1918 diminué de près de la moitié, alors que pendant l’année de mon administration, et jusqu’en 1944, l’augmentation de la population passa de 20 pour mille à près de 25 pour mille, ce qui représente une augmentation d’un bon quart. Certes, cela est dû en premier lieu à la volonté de vivre du peuple hollandais, mais c’est sûrement aussi la conséquence des mesures prises par mon administration civile.

Dr STEINBAUER

Pour prouver la véracité des dires de mon client, je désire présenter un rapport du service central de statistique des Pays-Bas. La réponse m’est parvenue par la voie du Secrétariat général, en allemand et en anglais, mais ce document n’est pas certifié conforme. L’original doit se trouver au Secrétariat général.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je voudrais faire remarquer que dans ces statistiques...

LE PRÉSIDENT

Docteur Steinbauer, de quoi tirez-vous la pertinence de ce document ?

Dr STEINBAUER

II a été prétendu dans l’Acte d’accusation, et également ici au cours des débats, que Seyss-Inquart avait l’intention de germaniser le peuple hollandais, de briser la résistance, et on le rend également responsable du mauvais état de santé de la population, de la baisse de la natalité et de l’augmentation de la mortalité. Toutes ces assertions figurent au rapport du Gouvernement néerlandais et ont été, en partie, présentées ici. C’est pourquoi, avec l’autorisation du Tribunal, j’ai posé la question au Gouvernement néerlandais. La réponse qui m’est parvenue va même au delà de ce que j’avais demandé, puisqu’elle comporte également le nombre des victimes de la guerre. Mais nous rendrons hommage à la vérité et présenterons le document tel que nous l’avons reçu.

LE PRÉSIDENT

Vous déposez donc ce document, vous le présentez comme preuve ?

Dr STEINBAUER

Je le dépose, tel que je l’ai reçu du Secrétariat général ; c’est le numéro 106.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je voudrais faire remarquer que le chiffre de la diminution du taux de la natalité entre 1914 et 1918 est plus faible dans ce document que dans le rapport que j’ai reçu en 1945.

Dr STEINBAUER

J’ai encore deux petites questions à vous poser au sujet de l’Autriche. Voici la première : le Ministère Public américain a déclaré que vous auriez donné à Mühlmann des notes pour Berchtesgaden. Pouvez-vous nous dire ce que contenaient ces notes ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui. C’était le résultat de la conversation que je venais d’avoir avec le Dr Schuschnigg ; elle contenait avant tout la décision, dont nous étions convenus, de faire appel au Dr Jury, au Dr Reinthaller et au Dr Fischböck et d’instituer des commissions de politique nationale au sein du front patriotique, toutes choses dont il avait été convenu et qu’Adolf Hitler n’avait eu aucune difficulté à obtenir pour les nationaux-socialistes à Berchtesgaden.

Dr STEINBAUER

Le Procureur américain vous a également demandé si vous saviez si, après l’Anschluss, des Autrichiens étaient morts dans des camps de concentration. Vous avez répondu que vous ne le saviez pas, mais qu’il y avait des gens qui étaient morts dans des camps de concentration autrichiens. Vous avez, dans cette salle, au cours des derniers mois, appris l’existence des camps de concentration. Prétendez-vous que ce sont les mêmes que ceux dont vous vouliez parler ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Absolument pas.

Dr STEINBAUER

Merci, cela suffit.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

J’ai d’ailleurs dit que j’avais entendu dire qu’il était possible que des Autrichiens fussent morts dans des camps de concentration allemands. Mais les camps de concentration autrichiens n’étaient en rien comparables avec ce que nous avons entendu dire ici des camps de concentration allemands.

Dr STEINBAUER

Merci. J’en ai terminé avec l’interrogatoire de ce témoin et, avec l’autorisation du Tribunal, j’appellerai le premier témoin sur la question autrichienne, le général Glaise-Horstenau.

M. BIDDLE (juge américain)

Témoin, vous avez dit que vous considériez que les lois de la guerre sur terre étaient tombées en désuétude. Vous souvenez-vous ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

M. BIDDLE

Considériez-vous qu’elles étaient toutes tombées en désuétude ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non.

M. BIDDLE

Lesquelles considériez-vous comme tombées en désuétude ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

J’étais d’avis que les stipulations contractuelles relatives à la protection de la population étaient dépassées par le développement de la technique des armes, car certaines mesures de guerre, telles que le blocus total, les bombardements de destruction, etc., sont particulièrement dirigés contre la population civile et ne peuvent donc être justifiées que si l’on considère la population civile comme un potentiel de guerre, de même que les troupes qui sont au front. Mais si c’est le cas, la population civile des pays occupés doit alors être considérée de la même manière.

M. BIDDLE

Et quand vous dites « considérée de la même manière », voulez-vous dire que l’Allemagne avait le droit d’utiliser la population pour aider à la guerre, pour fabriquer des munitions, etc. Est-ce là votre conclusion ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

C’est la conclusion que j’en tire, en effet.

M. BIDDLE

Quand avez-vous tiré cette conclusion ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je crois que c’est à peu près au moment de l’accroissement des bombardements aériens.

M. BIDDLE

Laissons l’accroissement des bombardements aériens, dites-moi seulement à quelle date.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Fin 1941, début 1942.

M. BIDDLE

Bien. Deux autres brèves questions : vous avez déclaré avoir dit au Führer que vous ne vouliez pas jouer le rôle du cheval de Troie. Est-ce exact ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

M. BIDDLE

Vous avait-il donc proposé de jouer ce rôle ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non, pas cela, mais je me rendais parfaitement compte de la difficulté de la situation ; je comprenais parfaitement que l’on pouvait, dans ce but, faire de moi un mauvais usage, que sous le couvert de ma présence au ministère on pouvait préparer une situation qui permît de renverser l’Autriche.

M. BIDDLE

Vous avez employé cette expression après avoir parié pendant quelque temps avec le Führer, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Au cours de la conversation, oui ; mais l’idée m’en était déjà venue auparavant. Je n’ai fait que l’exprimer au cours de cette conversation.

M. BIDDLE

Vous aviez déjà cette idée depuis quelque temps ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

M. BILDLE

Depuis que vous vous occupiez activement de cette question de l’Autriche, vous aviez, je suppose, cette idée en tête ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je voyais parfaitement la possibilité d’un désaccord sur cette question, et de différences d’appréciation.

M. BIDDLE

Vos actes pouvaient être mal compris ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

D’abord ; et, en second lieu, que mon activité pouvait être exploitée d’une manière que je ne prévoyais pas.

M. BIDDLE

Bien entendu, puisque vous représentiez les deux parties à la fois/et cela a toujours été une position délicate, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

C’est exact.

M. BIDDLE

Très bien. Venons-en à la question de la confiscation des biens appartenant aux ennemis de l’État. Vous avez fait cette déclaration, je présume, au titre de Commissaire du Reich ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

M. BIDDLE

Un décret du Führer vous en donnait-il le pouvoir ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

C’était une déclaration formelle qui était en vigueur dans le Reich, et si je n’ai pas reçu un ordre, j’ai néanmoins reçu des instructions...

M. BIDDLE

Un moment. Je ne vous ai pas interrogé sur l’application. Elle avait bien pour base un décret ? L’application eut lieu à la suite d’un décret ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

M. BIDDLE

Et ce décret s’appliquait à tous les pays occupés ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je ne crois pas. C’est moi-même qui, le premier, ai publié ce décret aux Pays-Bas. Les mesures prises aux Pays-Bas le furent à la suite de mes arrêtés.

M. BIDDLE

Je comprends. Je ne veux pas embrouiller. Cette opération fut exécutée à la suite d’un décret du Führer qui vous donnait les pouvoirs nécessaires. Est-ce cela ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Disons à la suite de directives.

M. BIDDLE

De directives du Führer ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

M. BIDDLE

Ces directives ont-elles été déposées comme preuve ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je ne crois pas.

M. BIDDLE

Bien. Dites-nous maintenant ce que contenaient ces directives.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

C’étaient des directives d’ordre général, prévoyant la confiscation des biens des personnes dont l’activité était contraire aux intérêts du Reich. J’avais déjà promulgué un décret similaire en Autriche. Le premier avait été promulgué en Allemagne même et avait servi de modèle.

M. BIDDLE

Vous étiez aux Pays-Bas le personnage à qui il appartenait entièrement de déterminer qui était ennemi du Reich et qui ne l’était pas. Le décret laissait bien cela à votre appréciation ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non, c’était, en fait, l’affaire de la Police et des tribunaux.

M. BIDDLE

Bien.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

J’exerçais simplement une influence.

M. BIDDLE

La Police n’avait pourtant pas recours aux tribunaux pour le déterminer avec certitude ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Non. Ou bien la Police décidait directement ou bien les gens étaient mis à la disposition du tribunal qui les jugeait alors pour des délits déterminés, et c’est sur la base de ce jugement que les biens étaient confisqués.

M. BIDDLE

C’est en application de ce décret que furent confisqués les biens des francs-maçons ? Quels autres biens de quels autres groupes furent-ils confisqués aux Pays-Bas en application de ces directives du Führer ? Je ne parle pas d’individus, mais des groupes.

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Je ne m’en souviens pas pour le moment, bien qu’il y ait eu quelques autres groupes.

M. BIDDLE

En fait — dites-moi si j’ai bien compris — c’était la Police qui décidait que tel individu ou tel groupement de personnes étaient, d’après leurs paroles ou leurs actes, des ennemis du Reich, à la suite de quoi on confisquait leurs biens. Est-ce cela ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, et le service qui décidait à l’époque était celui de Heydrich.

M. BIDDLE

Le service qui décidait était celui de Heydrich ?

ACCUSÉ SEYSS - INQUART

Et les services néerlandais exécutaient.

M. BIDDLE

Et vous exécutiez les décisions de Heydrich ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

J’ai exécuté les décisions de Heydrich dans le domaine des biens. La secte des étudiants de la Bible (Bibelforscher) était du nombre.

M. BIDDLE

Les étudiants de la Bible étaient aussi du nombre ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, également.

M. BIDDLE

Et leurs biens furent aussi confisqués, parce qu’ils étaient ennemis du Reich ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Ils ne devaient pas posséder grand-chose, mais tout ce qu’ils avaient fut confisqué parce qu’ils avaient refusé de participer à l’effort de guerre.

M. BIDDLE

Ils avaient refusé... Précisons, c’est intéressant. Les étudiants de la Bible avaient refusé de combattre ou de participer à l’effort de guerre allemand et c’est pourquoi leurs biens furent confisqués : c’est bien cela ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Pas tout à fait. Les étudiants de la Bible, en Allemagne, refusaient de servir dans l’Armée allemande. Ils y furent alors interdits, et ensuite, cette interdiction fut étendue à toutes les régions...

M. BIDDLE

Un moment, je vous prie. Je ne parle pas de cela. Je parle des Pays-Bas. Cela s’appliquait-il aux Pays-Bas ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui, mais les étudiants de la Bible n’ont pas été interdits au Pays-Bas parce qu’ils refusaient de servir dans l’Armée allemande, on les a interdits parce qu’on s’opposait à eux par principe.

M. BIDDLE

Ah, par principe. Ils étaient des pacifistes ; vous étiez donc contre eux et vous avez saisi leurs biens ?

ACCUSÉ SEYSS-INQUART

Oui.

LE PRÉSIDENT

L’accusé peut reprendre sa place. (Le témoin Glaise-Horstenait, vient à la barre.)

Voulez-vous donner votre nom ?

TÉMOIN EDMUND GLAISE-HORSTENAU

Edmund Glaise-Horstenau.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous répéter ce serment après moi :

« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)

Vous pouvez vous asseoir.

Dr STEINBAUER

Témoin, quel poste occupiez-vous sous la monarchie austro-hongroise ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Je suis né en 1882 à Braunau en Haute-Autriche. J’appartiens à une famille d’officiers d’origine française ; en 1918, j’étais commandant à l’État-Major du Grand Quartier Général autrichien, chargé des questions de politique et de presse

Dr STEINBAUER

Quel poste occupiez-vous dans la République autrichienne ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Après la défaite de 1918, j’entrai dans la vie civile comme directeur des archives à l’université, historien et écrivain. Je suis, entre autres, l’auteur d’une œuvre importante sur l’effondrement de la vieille Autriche…

Dr STEINBAUER

Excusez-moi de vous interrompre, mon Général, mais nous voulons simplement connaître votre situation officielle. Quels postes officiels avez-vous occupés sous la République ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Directeur des archives, puis, à partir du 11 juillet 1936, ministre dans le cabinet Schuschnigg comme garant de l’accord de juillet. En mars 1938, je suis entré dans le cabinet Seyss-Inquart.

En novembre 1939, je suis entré comme volontaire dans l’Armée allemande où j’ai occupé le poste peu glorieux d’inspecteur des sépultures ; puis, à partir de 1941, j’ai occupé un poste de diplomate militaire à Zagreb, sans commandement de troupes. En septembre 1944, je fus relevé de ce poste parce que, vieil Autrichien, j’étais formellement opposé à la terreur exercée par les Oustachis, et parce que j’aurais, paraît-il, traité de criminel Ante Pavelich, le chef de l’État nommé et choisi par nous, ce qui était peu diplomatique.

Dr STEINBAUER

Je vais vous poser quelques questions rapides ; il suffira que vous y répondiez brièvement. Le Tribunal ne veut pas de détails sur l’Anschluss lui-même, mais il voudrait savoir comment il a été réalisé. Aussi, je vous poserai cette question très brève : après le putsch de juillet 1934, avez-vous eu des relations quelconques avec le Chancelier Schuschnigg ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Oui.

Dr STEINBAUER

Quelle était alors la situation économique ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

La situation économique qui régnait alors peut être caractérisée par le chiffre moyen des chômeurs. Sur 6.000.000 d’habitants, il y avait 400.000 chômeurs, c’est-à-dire, avec leur famille, 1.000.000 de personnes plongées dans la misère du chômage.

Dr STEINBAUER

Quelles étaient alors les possibilités d’expansion de la sphère économique ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Je peux ouvertement et immédiatement dire que toutes les possibilités recevaient toujours une réponse négative. Quand l’Autriche demandait l’Anschluss, on répondait non. Si l’Autriche- voulait rappeler les Habsbourg, on répondait non. Si l’Autriche voulait, au moyen d’une union douanière allemande, étendre le domaine de son économie, on répondait non. Et quand de grands hommes comme Briand ou Tardieu parlaient d’une fédération danubienne, nous ne recevions que des rebuffades de nos voisins qui se complaisaient dans l’autarcie. C’est la tragédie autrichienne.

Dr STEINBAUER

C’est alors que se forma un parti pour lequel l’Anschluss était un des points principaux de son programme. Quelles étaient les méthodes de combat de ce parti ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

En 1918, le champion de l’Anschluss n’était autre que le parti social-démocrate, dont le chef était Otto Bauer qui, l’année précédente, avait déclaré que l’Anschluss était la seule solution possible pour le prolétariat autrichien. Plus tard, le parti national-socialiste passa au premier plan, bien que ce ne fut que vers 1930 qu’il fût unifié et passât complètement sous la direction d’Adolf Hitler.

Dr STEINBAUER

Qui était alors le chef de la NSDAP en Autriche ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Les chefs eux-mêmes ont changé souvent. Hitler cependant envoya en la personne du docteur... Comment s’appelait-il ?... Un Prussien... je ne me souviens pas de son nom, pour le moment.. .un inspecteur régional qui fut plus tard expulsé en 1933 par Dollfuss. Habicht, c’était le Dr Habicht.

Dr STEINBAUER

Après lui, il y eut le capitaine Leopold ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Après lui, le capitaine Leopold prit la direction du Parti.

Dr STEINBAUER

Quelle était l’attitude des nationaux-socialistes autrichiens vis-à-vis d’Adolf Hitler ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Ils considéraient qu’ils lui devaient une obéissance et une fidélité absolues.

Dr STEINBAUER

Lorsque fut conclu le fameux accord du 11 juillet 1936, vous avez fait la connaissance de Seyss-Inquart. Que vous a-t-il dit de ses buts politiques ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

J’ai fait la connaissance de Seyss-Inquart peu de temps avant cet accord, et je ne me souviens pas exactement de ce qu’il m’a dit de ses buts politiques ; en général, cela concordait avec les objectifs politiques qu’il atteignit plus tard.

Dr STEINBAUER

C’est-à-dire ? Brièvement.

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Le parti, non pas en tant qu’organisation, mais sous la forme de représentants de l’idéologie au sein du régime Dollfuss-Schuschnigg, du front patriotique, qui reconnaissaient l’État et la constitution de l’Autriche et désiraient obtenir la faveur, tout cela avec la bénédiction d’Adolf Hitler.

Dr STEINBAUER

Avez-vous personnellement traité ou parlé avec le Führer Adolf Hitler ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

En dehors des journées de mars 1938, j’ai eu trois fois l’occasion de parler à Adolf Hitler.

Dr STEINBAUER

Quand Seyss-Inquart est-il entré dans le Gouvernement ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

II est entré dans le Gouvernement après le 12 février 1938.

Dr STEINBAUER

A-t-il rendu visite à Adolf Hitler ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Autant que je m’en souvienne, il a rendu visite à Adolf Hitler le 17 février.

Dr STEINBAUER

A-t-il mis Schuschnigg et les autres membres du cabinet au courant de son entrevue avec Hitler ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Schuschnigg, certainement ; moi aussi.

Dr STEINBAUER

A-t-il collaboré à la préparation du plébiscite prévu pour le 13 mars 1938 ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

A ce moment, sans rien savoir du plébiscite, je suis parti le 6 pour une permission de quinze jours, de sorte que je ne peux vous donner aucune réponse exacte.

Dr STEINBAUER

Savez-vous si ce plébiscite a été décidé en conseil des ministres avec l’accord de Seyss-Inquart ou non. Vous en a-t-il parlé par la suite ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

A ma connaissance, aucun conseil des ministres n’a traité de la question du plébiscite.

Dr STEINBAUER

Les nationaux-socialistes étaient-ils d’accord pour le plébiscite ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Autant que j’aie pu le voir à mon retour de permission, absolument pas.

Dr STEINBAUER

Au moment où l’on apprit que Schuschnigg voulait faire procéder à un plébiscite où étiez-vous et qu’avez-vous appris ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Le 6 mars, comme je l’ai dit, j’étais parti en permission et le 7 je fis à Stuttgart une conférence prévue depuis longtemps. Sujet : « L’Europe centrale en l’an mil ».

Dr STEINBAUER

Les détails ne nous intéressent pas, parlez des faits.

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

J’ai fait ensuite une excursion de caractère privé à Landau dans le Palatinat, pour y rendre visite à des parents français. Là, Bürckel, à qui je n’avais rien dit de mon arrivée, vint me chercher, et chez lui j’entendis à la radio le discours de Schuschnigg à Innsbruck. Je compris immédiatement que ce projet de plébiscite amènerait, étant donné le caractère de Hitler, une violente réaction et je résolus de prendre immédiatement l’avion pour Vienne. Bürckel, qui devait régler cela, téléphona cependant à la Chancellerie du Reich et Hitler exprima le désir que je me rende à Berlin. J’ai exposé au magistrat instructeur américain les raisons qui me poussèrent à satisfaire à cette requête. Ce n’est que plus tard, ici même, que je compris pourquoi Hitler m’avait appelé à Berlin. J’appris de la bouche d’un témoin absolument indiscutable qu’il ne voulait pas que je retourne en Autriche : il savait que j’étais un ennemi de toute solution brutale. Dans la nuit du 9 au 10 mars, j’arrivai auprès de Hitler. Après une conversation de deux heures et demie qui n’avait pas pris de forme concrète, il n’avait pas encore pris de décision. Il me dit qu’il me ferait appeler dans le courant de la journée, à 11 heures du matin. En fait, il ne me fit appeler qu’à 8 heures du soir et essaya de me faire accepter deux projets pour Seyss-Inquart, l’un relatif à une demande de démission de Schuschnigg ; le second pour un discours radiodiffusé. Je déclarai que je ne pouvais pas apporter ces notes en Autriche moi-même, et je demandai qu’elles fussent expédiées par le courrier normal. Plus tard, Göring, qui était encore Feld-marschall, voulut me remettre un troisième projet qui contenait un télégramme demandant pour la seconde fois à Hitler de faire pénétrer des troupes allemandes en Autriche. Je voudrais dire tout de suite que ces projets — le troisième probablement aussi, autant que je sache — n’avaient aucune signification réelle. Tels furent les événements que je vécus le 11 à Berlin.

Dr STEINBAUER

Vous avez ensuite pris l’avion pour Vienne où vous avez rencontré Seyss-Inquart ? Qu’avez-vous fait avec lui en cette matinée critique du 11 mars ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Seyss-Inquart vint me chercher à l’aérodrome. Je le mis rapidement au courant des événements de Berlin et je lui dis aussi combien grandes étaient mes inquiétudes. Nous partîmes ensemble à 11 heures du matin, c’est-à-dire immédiatement après mon arrivée, et nous allâmes voir Schuschnigg. Tandis que Seyss-Inquart exposait à Schuschnigg les problèmes de politique intérieure qui avaient surgi et que je ne connaissais pas du fait de mon absence, je fis remarquer à Schuschnigg, qui était prêt à pleurer, les grands dangers de complications internationales qui pouvaient surgir, éventuellement même le danger d’une nouvelle guerre mondiale, et je le suppliai de céder et d’annuler le plébiscite prévu pour le dimanche suivant.

Dr STEINBAUER

Seyss-Inquart et vous-même avez-vous offert votre démission ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Je ne me souviens pas si j’ai été jusque là. Notre conversation fut relativement courte ; cependant, plus tard, vers 1 heure, nous lui avons offert notre démission. Je n’avais besoin pour cela ni d’un ordre de Hitler ni du chef des nationaux-socialistes, Klausner. Je m’étais décidé, dès le jeudi soir chez Bürckel, à me servir, dans l’affaire du plébiscite, de ce moyen traditionnel qu’est la démission d’un ministre, afin, peut-être, d’éviter le pire.

Dr STEINBAUER

Comment réagit Schuschnigg à votre proposition de faire reporter le plébiscite ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Schuschnigg a d’abord adopté une attitude très réservée. Vers 2 heures de l’après-midi, Guido Schmitt et Guido Zernatto — je n’ai pas besoin de rappeler qui ils étaient — s’efforcèrent de trouver un modus vivendi avec Seyss-Inquart. Je me tins à l’écart, car ma mission était déjà terminée depuis le 12 février.

Dr STEINBAUER

Que fit Seyss-Inquart dans l’après-midi ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Peu après cette discussion, qui n’avait abouti à aucun résultat, Schuschnigg hésitait encore. Il finit par déclarer que le plébiscite était reporté, comme on le lui demandait. Je croyais que le pire était passé. Peu après, Seyss-Inquart fut appelé au téléphone et revint, visiblement agité, en disant qu’on venait de lui faire savoir de Berlin que Hitler ne pouvait plus collaborer avec Schuschnigg et que Seyss-Inquart devait demander à lui succéder au poste de chancelier.

Seyss-Inquart m’invita à me rendre avec lui chez Schuschnigg. Pour des raisons de délicatesse, je refusai. Seyss-Inquart s’y rendit seul et peu de temps après. Nous eûmes alors une discussion qu’il me semble assez important de mentionner. Il pensait pouvoir obtenir le poste de chancelier et me dit, presque sur un ton de regret :

« Il va falloir que nous prenions avec nous les nazis et que nous constituions avec les catholiques et les groupes similaires une combinaison avec laquelle je puisse gouverner. Il avait l’intention de demander à Hitler un répit de cinq ans en ce qui concerne les questions de politique intérieure.

Dr STEINBAUER

Mais Hitler n’accepta pas et fit entrer ses troupes. On vous a alors présenté une loi. Vous étiez vice-chancelier. Avez-vous signé cette loi et pourquoi ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

J’ai signé cette loi. Je suis, entré dans le Gouvernement sur la demande de Keppler et j’ai signé cette loi. Ceci pour trois raisons : d’abord j’avais l’impression que l’Autriche était absolument isolée dans le monde, que personne ne remuerait un doigt pour nous ; deuxièmement, — je dois dire ici quelque chose qui a été dit à plusieurs reprises dans la presse de l’Allemagne du sud — sous l’impression de manifestation de rues de grande envergure que l’on appelle psychologie des foules ou autrement, cela n’en existait pas moins et il y avait d’énormes manifestations. Enfin, troisièmement, lorsque, sur le Ballhausplatz je pris la loi en main — je n’avais personnellement participé en aucune manière à son élaboration — les chars allemands passaient en bas. dans la rue. L’occupation du pays par Adolf Hitler était déjà terminée. Il s’agissait maintenant de plier ou de casser. L’Autriche aurait-elle voulu manifester une volonté différente que cela ne lui eût pas été possible. On incline facilement à dire de mon pays qu’il aurait dû se suicider par peur de la mort …

Dr STEINBAUER

Je vous remercie, mon général, cela suffit. Monsieur le Président, je n’ai plus de questions à poser au témoin.

Dr KUBUSCHOK

L’accord de juillet fut-il conclu sous la pression de l’Allemagne ou suivant un désir et des intérêts réciproques ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Il fut conclu suivant un désir et des intérêts réciproques.

Dr KUBUSCHOK

Avez-vous eu, à cette époque et plus tard, des rapports de confiance mutuelle absolue avec le Chancelier Schuschnigg ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Jusqu’à l’hiver 1937-1938, nous avions l’un en l’autre une confiance absolue.

Dr KUBUSCHOK

Avez-vous jamais entendu dire que M. von Papen eût l’intention de pousser à la chute Chancelier Schuschnigg ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Je n’ai jamais rien entendu dire de semblable.

Dr KUBUSCHOK

Qu’appelait-on le fonds de secours « Langot » ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Le « Langot », le fonds de secours « Langot » était un fonds secret institué par le Gouvernement, d’une manière toute autrichienne, et ce n’est pas là une critique, afin d’aider les familles des nationaux-socialistes.

Dr KUBUSCHOK

Schuschnigg et le Gouvernement n’en avaient évidemment pas connaissance ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

L’un et l’autre en avaient connaissance et savaient parfaitement ce qu’était le « Langot ».

Dr KUBUSCHOK

Quelle était l’attitude de la NSDAP et particulièrement de Leopold vis-à-vis de M. von Papen ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

La NSDAP et Leopold étaient tout à fait hostiles à M. von Papen, tout d’abord parce qu’il était catholique, et ils n’avaient aucune confiance en lui dans aucun domaine.

Dr KUBUSCHOK

Je vous remercie.

LE PRÉSIDENT

Le Ministère Public désire-t-il procéder à un contre-interrogatoire ?

M. DODD

Connaissez-vous un certain général Muff ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Oui, très bien.

M. DODD

N’aviez-vous pas l’habitude de lui dire tout ce qui se passait au conseil des ministres d’Autriche ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Non.

M. DODD

Connaissez-vous Stephan Tauschitz, l’ambassadeur d’Autriche en Allemagne ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Pas davantage. Nous lui avons parlé ensemble de certaines questions, mais il eût été contraire à toutes mes traditions de soldat impérial de servir de mouchard.

M. DODD

Dans quel but pensez-vous que Bürckel vous ait emmené de Stuttgart à Berlin ?

TÉMOIN GLAISE -HORSTENAU

Je ne comprends pas, excusez-moi.

M. DODD

Quel était, à votre avis, le but de votre voyage de Stuttgart à Berlin en mars 1938, lorsque Hitler exprima le désir de vous voir ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Je ne suis pas parti de Stuttgart pour Berlin mais du Palatinat. Hitler m’a fait dire que je devais venir absolument. J’ai réfléchi, et j’ai finalement accepté, d’abord parce que je voulais savoir ce qui se passait à Berlin...

M. DODD

Un instant. Je voulais savoir quel était, selon vous, le but de ce voyage, au moment ou on vous conduisit à Berlin. Peu importe votre point de départ. Quel était le but de ce voyage, à votre avis ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

J’avais l’intention de répondre à l’invitation, à la demande de Hitler, afin de savoir ce qui se passait à Berlin.

M. DODD

Très bien. Vous avez dit au Tribunal que vous ne vous intéressiez qu’à une solution pacifique de la question. Lorsque vous avez reçu ce faux télégramme et le projet du discours radiodiffusé de Seyss-Inquart, pensiez-vous que vous vous conduisiez d’une façon loyale et pacifique envers l’Autriche ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Ces trois documents m’avaient fait acquérir la conviction profonde que si Schuschnigg reportait son plébiscite du dimanche, il serait encore possible d’envisager une solution pacifique.

M. DODD

Et que pensiez-vous faire de ce télégramme de ce faux télégramme demandant l’aide de Hitler sous prétexte de désordres ? Cela se passait plusieurs jours avant qu’ils n’eussent réellement lieu. Vous saviez que c’était un mensonge, un mensonge évident. Pourquoi avez-vous accepté de l’emporter en Autriche ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Je ne l’ai pas emporté. Cela a même causé une violente discussion entre le maréchal Göring et moi. Je ne l’ai pas emporté. Il a été remis à un courrier.

M. DODD

Vous nous l’avez dit, et nous avons ici vos notes disant que vous l’aviez emporté.

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Non, je n’ai jamais dit cela. Ce serait contraire à toute vérité. Je n’ai jamais ni noté ni dit que j’eusse emporté l’un de ces trois papiers ; j’ai, au contraire, bien spécifié que c’était par un courrier qu’ils avaient été emportés. Je voudrais attirer votre attention sur le fait que, suivant l’accord du 12 février, Seyss-Inquart avait le droit d’entrer en rapports avec les services du Parti et les services officiels du Reich.

M. DODD

En tout cas, vous saviez que ce télégramme était un piège, que ce soit vous ou Globocznik qui l’ait emporté. C’était bien un faux, n’est-ce pas ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Je ne me suis plus occupé de ce télégramme par la suite ; ce n’est que plusieurs mois plus tard que j’ai demandé à Seyss-Inquart si ce télégramme était jamais parti ; à quoi il me répondit qu’il n’était pas parti. J’ai déjà dit que ces trois documents n’avaient pas été utilisés.

M. DODD

Hitler ne vous les a cependant pas remis pour que vous les jetiez au panier ? Et lorsque vous avez accepté de les emporter, vous ne saviez pas qu’ils allaient trouver un emploi ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

C’était l’affaire de Seyss-Inquart qui, suivant l’accord de Berchtesgaden, était en contact avec les autorités du Reich et du Parti...

LE PRÉSIDENT

Témoin, voulez-vous essayer de répondre à la question au lieu de répondre à côté ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Certainement.

M. DODD

Je n’insisterai pas sur ce point. Il semblerait que vous ayez eu d’autres motifs, mais je n’insisterai pas.

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Je répondrais très volontiers si j’avais compris. Mais je n’ai pas compris la question.

M. DODD

Si vous ne comprenez pas, je ne pense pas qu’il soit utile d’insister.

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Je vous serais reconnaissant de bien vouloir répéter votre question.

M. DODD

Ce que je suggérais dans cette question c’est que vous étiez pour le moins au courant de ce faux télégramme, dont le projet, vous l’avez dit, vous avait été remis par Hitler ou Göring. Vous étiez alors ministre sans portefeuille du Gouvernement autrichien. Vous deviez savoir que ce télégramme était un faux. Et cependant vous étiez prêt à retourner en Autriche et à négocier avec Seyss-Inquart, sachant que ce télégramme avait été convenu et envoyé par un courrier.

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Ce télégramme avait perdu toute signification du fait que Schuschnigg avait reporté le plébiscite. J’ai dit expressément à Schuschnigg — laissant à Seyss-Inquart qui était à côté de moi, le soin d’être plus précis —  : « Si nous n’arrêtons pas le plébiscite, Hitler entrera avec ses troupes. » Voilà exactement ce que je dis à Schuschnigg.

M. DODD

Bon. Ce n’est pas de cela que je parle, mais je n’insisterai pas.

Vous souvenez-vous d’avoir déclaré qu’au moment où Göring téléphonait à Seyss-Inquart, vous aviez appris que l’accusé von Papen et Fritz Wiedemann étaient assis à côté de Göring à Berlin ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Je regrette, mais je ne l’ai appris qu’après la défaite, en 1945, et par Wiedemann.

M. DODD

J’aimerais bien savoir comment vous l’avez appris ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Je l’ai appris par le capitaine Wiedemann, que j’ai rencontré par hasard.

M. DODD

Très bien. Vous saviez que l’accusé von Papen écrivit un jour une lettre à Hitler disant que vous vouliez bien collaborer avec lui en ce qui concerne la question d’une union ou d’un Anschluss avec l’Allemagne ; c’était en 1936. Vous en souvenez-vous ? Cela a été déposé sous le numéro USA-67 (PS-2246). Désiriez-vous collaborer avec von Papen ?

TÉMOIN GLAISE-HORSTENAU

Je désirais collaborer à la normalisation des rapports entre les deux États ; par ailleurs, je ne connais pas ce document.

M. DODD

Je n’ai pas d’autres questions à poser.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous interroger le témoin à nouveau. Docteur Steinbauer ?

Dr STEINBAUER

Non.

LE PRÉSIDENT

Le témoin peut se retirer.

Nous allons suspendre l’audience.

(L’audience est suspendue.) (Le témoin Rainer vient à la barre.)
LE PRÉSIDENT

Voulez-vous me dire votre nom ?

TÉMOIN FRIEDRICH RAINER

Docteur Friedrich Rainer.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous répéter ce serment après moi :

« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)

Vous pouvez vous asseoir.

Dr STEINBAUER

Docteur Rainer, quelles étaient vos fonctions à la NSDAP et combien de temps les avez-vous remplies ?

TÉMOIN RAINER

Je suis membre de la NSDAP depuis le 10 octobre 1930. Jusqu’en 1934, je n’ai pas occupé de fonctions. Par la suite, je fus appelé à la Gauleitung par le Gauleiter de Carinthie, Klausner. A partir de 1936, j’ai travaillé à la Landesleitung (l’administration du Land). Le Landesleiter Leopold, à l’automne 1936, me démit de mes fonctions parce que nous avions des divergences de vues. En février 1938, Klausner me rappela à la Landesleitung comme conseiller politique. En mai 1938, le Führer me nomma Gauleiter de Salzbourg. Le 1er décembre 1941, je fus nommé en Carinthie. Telles furent mes fonctions politiques.

Dr STEINBAUER

Vous étiez donc en dernier lieu Gauleiter de Carinthie ?

TÉMOIN RAINER

Exactement.

Dr STEINBAUER

Vous connaissiez bien le parti national-socialiste, puisque vous y avez travaillé pendant de longues années ?

TÉMOIN RAINER

Oui, je connais bien les événements qui se sont produits depuis l’Anschluss.

Dr STEINBAUER

Quand avez-vous connu Seyss-Inquart ?

TÉMOIN RAINER

J’ai fait la connaissance de Seyss-Inquart au mois d’août 1935, et j’ai eu ce jour-là une conversation de quelques minutes avec lui. Quelques jours après, je fus arrêté et restai détenu par la Police autrichienne pendant six mois et demi. Après ma libération, en avril ou mai environ, je retrouvai Seyss-Inquart à Vienne et restai en relations avec lui.

Dr STEINBAUER

Était-il membre du Parti ?

TÉMOIN RAINER

Seyss-Inquart, à l’époque où le Parti était interdit, n’était pas membre de la NSDAP, mais du « Steierischer Heimatschutz ». Cette organisation fut, en 1933 je crois, à la suite d’un accord de ses chefs avec Habicht, incorporée à la NSDAP autrichienne. Après l’Anschluss, cette incorporation ne fut pas reconnue par le trésorier du Reich, Schwarz, et les membres du Steierischer Heimatschutz et parmi eux, je crois, le Dr Seyss-Inquart, durent faire une nouvelle demande d’entrée dans le Parti.

Dr STEINBAUER

Par conséquent votre affirmation dans le fameux rapport Rainer est fausse ? Pour abréger, nous appellerons ce document « Rapport Rainer ».

TÉMOIN RAINER

Je ne savais pas encore à ce moment-là que l’incorporation au Parti n’avait pas été reconnue sous cette forme par le trésorier du Reich.

Dr STEINBAUER

Vous avez donc connu Seyss-Inquart, vous lui avez souvent parlé et il vous a certainement exposé ses idées sur la question de l’Anschluss ?

TÉMOIN RAINER

Oui.

Dr STEINBAUER

Quelles étaient ces idées ? Très brièvement, je vous prie ?

TÉMOIN RAINER

Ce n’était pas l’Anschluss, à cette époque, qui était l’objet de nos conversations. L’idée de l’Anschluss constituait un des points du programme de tous les partis autrichiens. C’était pour nous tous le but idéal. Mais ce qui importait à l’époque était d’orienter à nouveau l’État autrichien, vers l’Allemagne et de rétablir la paix intérieure. La difficulté résidait dans le fait que l’État institué par Dollfuss et Schuschnigg au mépris de la constitution démocratique ne laissait subsister que le système du Parti unique. Il était donc particulièrement difficile d’attirer la masse de l’opposition de l’aile nationale et de donner une forme légale à sa participation. Mais cette tâche pouvait, selon l’opinion de Seyss-Inquart et la mienne, être menée à bien sans nouvelle effusion de sang, et de manière pacifique. Pour peu que l’on fît preuve de bonne volonté réciproque et que l’on renonçât à tout extrémisme, cette solution semblait réalisable.

Dr STEINBAUER

C’est alors que fut réalisé l’accord du 11 juillet 1936 ?

TÉMOIN RAINER

Oui.

Dr STEINBAUER

Vous êtes alors allé voir Adolf Hitler afin de définir sa position vis-à-vis du Parti. Que vous a dit Adolf Hitler à cette époque ?

TÉMOIN RAINER

Quelques jours après le 11 juillet 1936, je fus convoqué à Berchtesgaden et j’étais chez Adolf Hitler le 16 ou le 17 juillet.

LE PRÉSIDENT

Je crois que vous pouvez parler un peu plus vite que vous ne le faites, témoin.

TÉMOIN RAINER

Le Führer tint des propos sévères et pressants et formula en termes très violents l’exigence que les nationaux-socialistes autrichiens respectassent de façon absolue l’accord du 11 juillet. Il critiqua les méthodes employées jusqu’alors, déclara qu’elles étaient « héroïques, certes, mais bêtes ». Il déclara que, si l’on continuait à appliquer ces méthodes, on en viendrait à des difficultés permanentes de politique étrangère. Il exigea que les nationaux-socialistes autrichiens se servissent des possibilités politiques existantes, et comme je lui demandais expressément si cela concernait aussi le front patriotique, il me répondit « oui ». Il était certain que l’atmosphère générale se détendrait avec le temps par l’amélioration des rapports entre les deux États allemands.

Dr STEINBAUER

II approuvait donc l’essentiel de la politique de Seyss-Inquart ?

TÉMOIN RAINER

Je vis dans les déclarations du Führer une confirmation de la justesse de nos vues.

Dr STEINBAUER

Seyss-Inquart a-t-il également été chef du Parti ?

TÉMOIN RAINER

Non, Seyss-Inquart n’a jamais été chef du Parti.

Dr STEINBAUER

S’est-il placé sous les ordres des chefs du parti national-socialiste autrichien, comme vous le dites dans votre lettre ?

TÉMOIN RAINER

Seyss-Inquart était membre de l’opposition nationale et en cette qualité il en reconnaissait les chefs. J’ai dit, dans la lettre en question, qu’il reconnaissait Klausner ; en effet, Klausner, après l’accord de Berchtesgaden, avait été nommé par le Führer chef des nationaux-socialistes autrichiens à la place de Leopold parce qu’il semblait qu’avec lui les événements se dérouleraient de façon calme, claire et franche. Sa collaboration semblait devoir assurer l’exécution de l’accord de Berchtesgaden. Seyss-Inquart, néanmoins, avait expressément déclaré qu’en sa qualité de garant de l’accord de Berchtesgaden et de ministre du Gouvernement Schuschnigg, il était indépendant de Klausner.

Dr STEINBAUER

Dites-moi, témoin, après l’accord du 12 février 1938 avez-vous rencontré, au cours d’un voyage en chemin de fer, Seyss-Inquart qui revenait de chez le Führer ?

TÉMOIN RAINER

Oui.

Dr STEINBAUER

Que vous a dit Seyss-Inquart de ses conversations avec le Führer ?

TÉMOIN RAINER

Seyss-Inquart était en wagon-lit, et nous étions assis dans son compartiment. Il avait à la main une feuille, je crois que c’était une enveloppe sur laquelle il avait pris des notes. Je me souviens qu’il me décrivit les formalités du début de cette entrevue : il avait déclaré au Führer qu’il venait en qualité de ministre autrichien lié par serment à la Constitution et responsable devant le Chancelier et le Président fédéral. Il saluait en Adolf Hitler le chef de tous les Allemands.

Il me raconta ensuite dans le détail certains points des entretiens, que je n’ai plus tous en mémoire. J’en retirai l’impression d’ensemble que cette conversation s’était déroulée dans de bonnes conditions, et je voyais aussi que cette conversation avait été menée en toute loyauté vis-à-vis du Chancelier Schuschnigg. Dans la mesure où je m’en souviens, l’Anschluss en tant que tel, n’avait même pas été envisagé.

Dr STEINBAUER

Vous souvenez-vous qu’il vous ait dit avoir déclaré à Hitler qu’il voulait être la garantie vivante de Schuschnigg et non pas jouer le rôle d’un cheval de Troie ?

TÉMOIN RAINER

Je ne dirais pas que c’étaient là exactement ses paroles. L’expression que le Dr Seyss-Inquart employait souvent était qu’il n’était pas le conducteur d’un cheval de Troie. Je me souviens aussi qu’à plusieurs reprises il a déclaré qu’il était la « vivante garantie » de l’application réciproque de l’accord de Berchtesgaden.

Dr STEINBAUER

A-t-il également déclaré qu’il était hostile à un Kulturkampf ?

TÉMOIN RAINER

Je ne crois pas pouvoir m’en souvenir. En tout cas, c’était bien son opinion et je suis certain qu’il en a parlé au Führer.

Dr STEINBAUER

Le Führer était-il d’accord avec ces propositions ?

TÉMOIN RAINER

J’avais l’impression qu’Adolf Hitler était pleinement d’accord avec les propositions du Dr Seyss-Inquart.

Dr STEINBAUER

Seyss-Inquart en a-t-il fait part à Schuschnigg ?

TÉMOIN RAINER

Je le suppose. En tout cas, il en avait exprimé l’intention.

Dr STEINBAUER

En a-t-il également fait part aux nationaux-socialistes autrichiens ?

TÉMOIN RAINER

Oui, car cela était particulièrement nécessaire. Seyss-Inquart prit la parole à une réunion de chefs du Parti qui eut lieu au début du mois de mars et insista sur le fait qu’Adolf Hitler souhaitait expressément qu’une évolution eût lieu et que l’on prît des mesures qui avaient peu de chance de satisfaire les extrémistes du Parti, à savoir la dissolution de l’organisation illégale.

Je crois également qu’au cours de grandes manifestations à Linz et à Graz il en a expressément fait état ; en effet, sa visite à Adolf Hitler à Berlin fut, aux yeux des nationaux-socialistes autrichiens, la première légitimation de son autorité.

Dr STEINBAUER

Vous avez écrit dans votre « Rapport Rainer » que Seyss-Inquart avait été mis au courant de la préparation de mesures révolutionnaires ?

TÉMOIN RAINER

Puis-je vous demander de quelles mesures révolutionnaires vous voulez parler ?

Dr STEINBAUER

Celles du 10 mars.

TÉMOIN RAINER

Je me permettrai, à ce propos, de vous rappeler quelque chose. L’expression « mesures révolutionnaires » est un peu trop forte. Les mesures qui furent prises étaient, dans l’ensemble, les suivantes : après le discours du Chancelier Schuschnigg à Innsbruck, le commandant Klausner était convaincu que toutes les bases d’entente sur le plan de la politique intérieure étaient désormais détruites et que ce discours ferait l’effet d’une étincelle sur un baril de poudre. Alors qu’auparavant nous nous étions consultés pour examiner dans quelles conditions il serait peut-être possible de voter « oui », tout cela était devenu, étant donné l’attitude des grandes masses, absolument impossible. Il fallait que la direction du parti national-socialiste prît nettement position.

Dans la même nuit, les nouveaux Gauleiter furent informés que le Parti n’était pas d’accord sur le plébiscite envisagé et que le mot d’ordre était à l’abstention. On faisait appel à la discipline la plus rigoureuse, car nous craignions que la température montât rapidement.

Le 10 mars, la propagande préparée de longue date par Zernatto entra en action et il y eut des conflits. Nous reçûmes aussi des informations selon lesquelles des groupes importants du Schutzbund, qui avait été interdit en 1934, avaient reçu des armes. Aussi donna-t-on l’ordre aux formations de se tenir prêtes et d’assurer la protection.

Tel était l’essentiel des mesures ordonnées le 10. En ce qui concerne l’état d’esprit qui régnait dans les provinces, je crois en avoir informé le Dr Seyss-Inquart dans l’après-midi ; mais je ne lui parlai probablement pas du détail de l’organisation des mesures.

Dr STEINBAUER

A-t-il favorisé cet état d’esprit ?

TÉMOIN RAINER

Non.

Dr STEINBAUER

A-t-il poussé aux manifestations ou les a-t-il empêchées ?

TÉMOIN RAINER

Non, il ne les a ni préconisées, ni ordonnées. Quant à les empêcher, cela n’était plus possible à ce stade.

Dr STEINBAUER

Que s’est-il passé le 11 au matin ?

TÉMOIN RAINER

Le 11 mars au matin, je travaillais dans le bureau du secrétaire d’État Jury, 1, Seitzergasse, je ne sais plus exactement à quoi. Vers midi, nous nous rencontrâmes avec le Dr Seyss-Inquart, Glaise-Horstenau et quelques autres dans le bureau du Dr Fischböck, et le Dr Seyss-Inquart nous parla des résultats de ses entretiens avec le Dr Schuschnigg. Le résultat de notre consultation fut la lettre adressée par les ministres et les conseillers d’État au Dr Schuschnigg demandant, dans un délai dont le terme était fixé à 2 heures de l’après-midi, l’ajournement du plébiscite anticonstitutionnel qui était envisagé et l’institution d’un nouveau plébiscite, conforme à la Constitution, quelques semaines plus tard ; faute de quoi, nous donnerions notre démission.

Dr STEINBAUER

Qu’arriva-t-il par la suite ? Schuschnigg recula la date du plébiscite. Comment l’avez-vous appris ?

TÉMOIN RAINER

Oui, Schuschnigg ajourna le plébiscite, mais il se refusa à en instituer un nouveau et chargea le ministre de la Sécurité, le Dr Seyss-Inquart, de prendre des mesures sévères. Cette solution fut communiquée par téléphone à la Chancellerie du Reich à Berlin dans l’après-midi, et provoqua de la part du Reich une déclaration selon laquelle cette solution, qui n’était qu’une demi-mesure, ne pouvait plus être acceptée. C’est ainsi que commença, à ma connaissance, l’intervention du Reich.

Dr STEINBAUER

Cette intervention n’avait-elle pas déjà eu lieu du fait que Glaise-Horstenau, comme on l’a dit ou un courrier, avait apporté un message d’Adolf Hitler à Vienne ?

TÉMOIN RAINER

Je pensais qu’un certain nombre de documents que Globocznik m’avait montrés à midi et qui étaient destinés à la Landesleitung avaient été apportés par Glaise-Horstenau qui était arrivé de Berlin dans la matinée. Je n’appris que plus tard que c’est un courrier qui s’en était chargé. A mon avis, cela ne constituait pas une intervention du Reich.

Dr STEINBAUER

Y avait-il effectivement entre le Parti et le Reich d’une part, et Seyss-Inquart d’autre part, une collaboration ?

TÉMOIN RAINER

Si par « collaboration » vous entendez « conspiration », je répondrai résolument non. Néanmoins, on réalisait la collaboration envisagée par l’accord de Berchtesgaden.

Dr STEINBAUER

Klausner donna-t-il l’ordre au Parti d’agir en toute liberté d’action et de s’emparer du pouvoir ?

TÉMOIN RAINER

Le Parti avait reçu l’ordre formel d’Adolf Hitler de ne prendre aucune mesure de caractère révolutionnaire. Cet ordre avait été confirmé par Keppler dans les premiers jours de mars et le ministre des Affaires étrangères Ribbentrop avait encore rappelé Keppler qui était déjà dans l’avion pour insister sur le fait.. .

LE PRÉSIDENT

Docteur Steinbauer, votre question portait, me semble-t-il, sur l’activité de Klausner, et le témoin nous parle de celle de quantité d’autres personnes.

Dr STEINBAUER

Oui. (Au témoin.) Je vous ai demandé quand Klausner avait donné aux Gauleiter l’ordre de prendre le pouvoir ?

TÉMOIN RAINER

Cet ordre fut donné par Klausner dans la soirée du 11 mars.

Dr STEINBAUER

Seyss-Inquart était-il d’accord sur cette mesure ?

TÉMOIN RAINER

Seyss-Inquart n’en fut informé que quelque temps après.

Dr STEINBAUER

Le Gauleiter de Haute-Autriche, Eigruber, a déclaré dans un affidavit qu’il avait reçu un télégramme dans lequel on lui donnait le titre de Landeshauptmann. Savez-vous quelque chose à ce sujet ?

TÉMOIN RAINER

Je ne sais rien à propos de ce télégramme. Je sais que l’ordre de Klausner fut téléphoné depuis le 1, Seitzergasse. Ce soir là, Globocznik fit également des appels téléphoniques depuis la Chancellerie fédérale. J’imagine que Eigruber veut parler d’une de ces conversations téléphoniques.

Dr STEINBAUER

Savez-vous si Globocznik, qui fut plus tard Gauleiter de Vienne, vous a dit, avant cette période d’illégalité, qu’il avait abusé du nom de Seyss-Inquart pour prendre le pouvoir ?

TÉMOIN RAINER

Globocznik m’a raconté que plusieurs demandes d’informations étaient arrivées à la Chancellerie fédérale, qu’elles lui avaient été transmises au téléphone et qu’il ne lui avait pas toujours été possible de donner son nom. Je sais en particulier que cela s’est passé pour Salzbourg.

Dr STEINBAUER

Dans le rapport Rainer, vous avez fait une observation relative à une « position auxiliaire » le 25 juillet ; le Ministère Public y voit un rapport avec le meurtre du Chancelier Dollfuss.

TÉMOIN RAINER

Cette observation se rapporte à une conversation au cours de laquelle Seys-Inquart m’avait dit qu’il avait craint pendant quelques jours, après le 25 juillet, que son nom fût compromis à l’occasion de ces événements. Mais après quelques jours, il s’était avéré qu’il n’en était rien. A la suite de cela, il mit son influence au service de l’apaisement des esprits, et se fit, je crois, le défenseur de certains.

Dr STEINBAUER

C’est cela que vous appeliez une « position auxiliaire » ?

TÉMOIN RAINER

Oui.

Dr STEINBAUER

Savez-vous si le Dr Miklas, Président fédéral, aurait été en butte à une pression de la part des nationaux-socialistes autrichiens afin qu’il nomme Seyss-Inquart ?

TÉMOIN RAINER

Les pourparlers qui occupèrent toute la fin de l’après-midi et la soirée furent menés sous une certaine pression. Pratiquement, la transformation était un fait accompli dans toute l’Autriche. La chute du cabinet Schuschnigg libéra une avalanche formidable et cela se fit sentir au cours des pourparlers.

Dr STEINBAUER

Vous voulez donc dire qu’il y eut une pression des faits, mais non pas physiquement, sur la personne du Président fédéral ?

TÉMOIN RAINER

Il n’en saurait être question.

Dr STEINBAUER

Comment expliquez-vous alors que 40 SS fussent entrés à la chancellerie et l’eussent occupée ?

TÉMOIN RAINER

Il ne saurait être question d’une occupation par les SS. Lorsque vers 8 heures du soir, Miklas se fut refusé une seconde fois à nommer chancelier un national-socialiste, Keppler a déclaré qu’il n’y aurait pas, à 8 heures, comme cela avait été dit auparavant, une marche sur Vienne. Il exprimait simplement des craintes quant à la sécurité des négociateurs. En fait, il régnait, comme on disait en Autriche, un vertige général et la situation semblait extrêmement peu sûre. L’immeuble de la Chancellerie fédérale était occupé par la Police et la garde et mis en état de défense. Je fis part de cette situation à la Landesleitung, la priant de prendre des mesures de protection afin que des actes inconsidérés ne déclenchent pas un immense malheur. Dans le cadre des mesures prises en conséquence, vint se présenter, vers 10 heures du soir, je crois, un chef de SS en civil qui déclara avoir été envoyé avec ses hommes pour assurer la protection des négociateurs. Seyss-Inquart considéra cette mesure de protection comme inutile, mais je le priai de prendre cette mesure en considération et il autorisa alors la garde ou la Police à laisser entrer ces hommes dans la cour de la Chancellerie fédérale. Aucune pression n’a été exercée, aucun incident, n’a eu lieu. C’était simplement une mesure de précaution.

Dr STEINBAUER

Je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.

Dr SERVATIUS

Témoin, vous étiez Gauleiter de Carinthie. Aviez-vous, au cours de la guerre, des pouvoirs administratifs sur le territoire italien limitrophe ?

TÉMOIN RAINER

Oui, je fus nommé, en septembre 1943, haut commissaire pour la zone d’opérations de la côte Adriatique ; j’avais mon siège à Trieste et six provinces sous mes ordres.

Dr SERVATIUS

Y avez-vous recruté des travailleurs étrangers pour le travail en Allemagne ?

TÉMOIN RAINER

Oui.

Dr SERVATIUS

De quelle manière cela se passait-il ?

TÉMOIN RAINER

Par la voie du recrutement, c’est-à-dire sans exercer de contrainte, car depuis des dizaines d’années ces ouvriers étaient habitués à aller travailler dans le Nord.

Dr SERVATIUS

Ces ouvriers travaillaient-ils dans votre Gau ?

TÉMOIN RAINER

Ils furent pour la plupart employés dans mon Gau, mais également dans les autres pays alpins.

Dr SERVATIUS

Quelles étaient les conditions de vie de ces ouvriers dans votre Gau ?

TÉMOIN RAINER

Les conditions de vie étaient les conditions générales et normales du moment.

Dr SERVATIUS

Où ces gens étaient-ils logés, dans des camps ? Avez-vous vu de ces camps ?

TÉMOIN RAINER

Ils étaient logés chez leurs employeurs ; là où ils étaient très nombreux, dans des camps administrés par le consulat italien et par le Front du Travail allemand.

Dr SERVATIUS

Le front du travail s’est-il, en pratique, occupé de ces questions ?

TÉMOIN RAINER

Oui. Il y était tenu par un accord, dont j’avais été informé, et fit beaucoup d’efforts pour s’acquitter de cette tâche.

Dr SERVATIUS

Avez-vous personnellement visité de ces camps ?

TÉMOIN RAINER

Oui. J’ai visité des camps à plusieurs reprises et j’y ai constaté que les conditions de vie étaient normales et bonnes ; dans certaines industries telles que l’industrie hydraulique, les conditions étaient même exceptionnellement bonnes.

Dr SERVATIUS

Pouvez-vous nous donner les noms de ces camps ?

TÉMOIN RAINER

Le camp établi près du barrage de Münd an der Drau m’avait fait une très bonne impression ; de même le camp de Schwabeck.

Dr SERVATIUS

Comment se comportèrent les ouvriers étrangers à la fin de la guerre ? Y eut-il des désordres ?

TÉMOIN RAINER

Non, étant donné le nombre important d’ouvriers dans mon petit Gau, je m’inquiétais pour leur ravitaillement. Leurs rapports avec la population étaient bons car le Carinthien est d’un naturel débonnaire et sociable. J’ai vu moi-même des ouvriers français, qui avaient déjà été rassemblés par les Anglais dans des camps, en vue de leur retour, retourner chez leurs paysans pour y attendre plutôt que dans les camps.

Dr SERVATIUS

Le parti national-socialiste était-il fortement représenté en Carinthie ?

TÉMOIN RAINER

Oui. Il y avait tant de nationaux-socialistes en Carinthie que Schuschnigg avait dit un jour : « Des fils de fer barbelés autour du pays et le camp de concentration serait chose faite ».

Dr SERVATIUS

Mais les rapports avec les ouvriers étrangers étaient bons ?

TÉMOIN RAINER

Oui, naturellement

Dr SERVATIUS

Je n’ai pas d’autres questions à poser.

M. DODD

Témoin, à quel moment en êtes-vous venu à la conclusion que l’accusé Seyss-Inquart n’était pas membre du Parti, comme vous l’avez dit dans votre rapport ? Quand avez-vous changé d’avis à ce sujet ?

TÉMOIN RAINER

Je n’ai appris qu’assez tard, après l’Anschluss qu’il n’était pas membre du Parti. Je ne peux plus indiquer l’année exacte.

M. DODD

Mais c’est peu de temps après avoir écrit votre rapport que vous vous êtes aperçu que ce que vous aviez écrit n’était pas exact ? Vous aviez mal compris ?

TÉMOIN RAINER

J’ai essayé, dans ce rapport, de présenter certaines choses sous un jour favorable au Dr Seyss-Inquart, car je ne voulais pas appuyer l’accusation contre le Dr Seyss-Inquart.

M. DODD

Ce n’est pas ce que je vous demande. Je vous demande s’il est exact que peu de temps après avoir écrit cette lettre, vous vous êtes rendu compte du fait que vous vous étiez trompé en disant que Seyss-Inquart avait été membre du Parti ? Je pense que vous pouvez répondre directement, sans faire de longues déclarations ?

TÉMOIN RAINER

Je ne crois pas que je l’aie constaté peu de temps après.

M. DODD

Quand était-ce alors ? C’est tout ce que nous voulons savoir. Si vous avez jamais reçu une information quelconque à ce sujet, quand l’avez-vous reçue ?

TÉMOIN RAINER

Je ne peux plus vous le dire ; cela ne me parut pas tellement important sur le moment.

M. DODD

Très bien. Quand avez-vous changé d’avis, ou quand vous êtes-vous aperçu que vous vous étiez trompé en disant que Seyss-Inquart était au courant des manifestations qui devaient avoir lieu à Vienne et avait participé à leur préparation ? Quand vous êtes-vous aperçu que c’était une erreur ou une fausse information ?

TÉMOIN RAINER

Je n’ai pas connaissance que le Dr Seyss-Inquart ait pris part à des manifestations à Vienne.

M. DODD

Ce n’est pas ce que j’ai dit. Peut-être m’avez-vous mal compris. Tournez-vous et peut-être que si vous me regardez cela ira mieux. Vous avez déclaré au Tribunal, en réponse à une question posée par le Dr Steinbauer, que Seyss-Inquart n’avait pas provoqué les manifestations et qu’il ne pouvait plus les empêcher à ce stade. Mais ce que le Dr Steinbauer vous demandait, c’est si ce que vous avez dit dans votre lettre au sujet de sa participation aux plans était vrai. Vous rappelez-vous ce que vous disiez dans votre rapport, au sujet de Seyss-Inquart et de sa participation ?

TÉMOIN RAINER

Je n’ai plus en mémoire les détails de mon rapport.

M. DODD

Voudriez-vous le voir ?

TÉMOIN RAINER

Oui, s’il vous plaît.

M. DODD

Et attendant, nous pouvons procéder à d’autres éclaircissements. Vous nous avez donné un affidavit au mois de novembre, et juré qu’il était véridique. C’est bien exact ?

TÉMOIN RAINER

J’ai expressément déclaré à ce propos que je m’étais basé en partie sur des informations de personnes dignes de foi et que j’ai reçu ultérieurement des informations dont j’ai pu déduire que tous les faits n’avaient pas été présentés avec exactitude. Je l’ai déclaré expressément et j’ai fait mentionner au procès-verbal que j’avais rédigé ce rapport avec un certain parti pris. J’ai également fait ajouter une annexe à ma déclaration sous serment.

M. DODD

Un moment, je vous prie. Le 15 novembre 1945, ici, à Nuremberg, vous avez, sous la foi du serment, fait cette déclaration dans laquelle vous confirmez les faits mentionnés dans ce rapport et déclarez que tous ces faits sont exacts, au mieux de votre connaissance. Quelles sont les informations que vous avez reçues depuis le 15 novembre qui vous permettent de faire aujourd’hui, devant le Tribunal des déclarations contraires à ce rapport, et de qui émanent ces informations ?

TÉMOIN RAINER

Je dois déclarer à ce sujet que je maintiens aujourd’hui le point de vue que j’avais adopté le 15 novembre.

M. DODD

Ce rapport est-il, ou non, véridique dans sa totalité, comme vous nous l’avez dit le 15 novembre ?

TÉMOIN RAINER

Ce rapport ne doit pas être pris à la lettre. Partiellement, il s’appuie en partie sur des déclarations indirectes, je l’ai rédigé en toute bonne foi et au mieux de mes connaissances sur la situation qui régnait, je crois, en juillet 1939, avec un certain parti pris.

M. DODD

Mais au mois de novembre, vous nous avez dit qu’il était exact ?

TÉMOIN RAINER

Je n’ai pas dit cela. J’ai dit expressément …

M. DODD

Je vous montrerai votre affidavit. Il figure à la suite du document que vous avez entre les mains. Reconnaissez-vous votre signature ? Avez-vous juré qu’il était exact ?

TÉMOIN RAINER

J’ai fait une déclaration formelle à ce sujet et, par précaution, j’ai rédigé ensuite une petite note et nous avons longuement discuté de la manière dont seraient formulées ces réserves.

M. DODD

Voulez-vous répondre à ma question ? Est-ce là l’affidavit que vous avez donné sous la foi du serment le 15 novembre 1945, ici, à Nuremberg ? Oui ou non ?

TÉMOIN RAINER

Oui.

M. DODD

Dans cet affidavit, vous déclarez que vous confirmez que « les faits qui sont à la base des lettres et des rapports ci-dessus sont exacts, au mieux de ma connaissance et en toute bonne foi ». Vous déclarez également que vous avez lu les lettres et le rapport.

Cet affidavit est-il exact ? Avez-vous dit la vérité lorsqu’au mois de novembre vous nous avez fait ces déclarations sous la foi du serment ?

TÉMOIN RAINER

Cet affidavit est exact, mais je demande que les déclarations que j’ai faites en annexe et dont il a été dressé procès-verbal ou qui ont tout au moins été sténographiées, y soient ajoutées.

M. DODD

Pourquoi n’avez-vous pas demandé que tout ce que vous aviez à dire au sujet de ce rapport soit inclus dans l’affidavit, si cela n’était pas entièrement exact ? Vous avez prêté serment. Avez-vous demandé que l’on ajoute ou que l’on change quelque chose ?

TÉMOIN RAINER

Je considérais cette déclaration comme une confirmation de l’authenticité des documents qui m’étaient présentés. Le procès-verbal de mes déclarations représentait mon opinion sur leur contenu. Par mesure de prudence, j’ai déclaré que je désirais que l’on consignât certaines réserves. Ce fut formulé par l’un des messieurs qui m’interrogeait, au moyen de l’expression « au mieux de ma connaissance et en toute bonne foi ». Il me déclara que cette formule exprimait toutes les réserves que je pouvais formuler, que c’était chez vous la méthode habituelle.

M. DODD

Faites-vous sérieusement cette déclaration au Tribunal, au sujet de cet affidavit ?

TÉMOIN RAINER

Je suis parfaitement sérieux ; je n’ai rien à cacher.

M. DODD

Peut-être pouvons-nous mettre un peu plus de clarté sur le genre de rapports que vous faisiez. J’ai ici un autre document que vous n’avez pas vu. Vous avez fait un discours en 1942. C’est le document PS-4005, qui devient USA-890. Je vais vous en faire remettre un exemplaire, USA-890.

Vous souvenez-vous du discours que vous avez prononcé le 11 mars 1942 à Klagenfurt devant les chefs politiques, et les porteurs des insignes d’honneur et de l’ordre du sang du Gau de Carinthie ? Vous y avez exposé toute l’histoire des événements de mars 1938. Vous souvenez-vous de ce discours ?

TÉMOIN RAINER

Oui, j’ai prononcé un discours de ce genre.

M. DODD

Regardons-le, alors. Disiez-vous la vérité le jour où vous faisiez ce discours ?

TÉMOIN RAINER

J’ai présenté les événements sous une forme telle que mon auditoire puisse les comprendre.

M. DODD

Disiez-vous la vérité, en prononçant ce discours ? Je ne vous demande pas si vous lui donniez une forme intéressante ; je vous demande si vous disiez la vérité ?

TÉMOIN RAINER

Je crois avoir dit la vérité ; mais je crois aussi qu’il y a bien des choses que je connaissais pas avec exactitude.

M. DODD

Voyons donc d’un peu plus près ce que vous disiez en 1942 de ce rapport. C’est le document PS-812. Si vous vous portez à la page 8 de votre texte, je vais essayer de trouver pour vous la phrase qui commence par : « Ce n’est qu’en collaboration avec nous, avec Jury et plusieurs collaborateurs de Leopold... » C’est à la page 2 du texte anglais, vers le milieu de la page. Avez-vous trouvé ?

TÉMOIN RAINER

Page 18 du texte allemand ?

M. DODD

J’ai dit page 8.

TÉMOIN RAINER

Oui.

M. DODD

« Ce n’est qu’en collaboration avec nous, avec Jury et plusieurs collaborateurs de Leopold, et aussi avec le consentement de Leopold, que l’on parvint à obtenir la nomination de Seyss-Inquart au poste de conseiller d’État. De plus en plus, Seyss-Inquart se révélait un négociateur adroit. Nous savions que c’était lui représenterait au mieux les intérêts du mouvement sur la scène politique. Il s’était toujours soumis sans restrictions à l’autorité de Klausner. Il s’était toujours considéré comme le délégué de Klausner et avait toujours loyalement suivi les instructions de Klausner. Avec la nomination de Seyss-Inquart au poste de conseiller d’État, nous avons trouvé une nouvelle possibilité d’entamer d’autres négociations. A cette époque, se présentait un certain nombre de situations grotesques. Par l’appareil politique, nous étions informés des événements dans le camp de Schuschnigg ; par Keppler, nous étions reliés à Ribbentrop, Göring et Himmler. »

Avez-vous prononcé ces paroles dans votre discours, telles qu’elles figurent dans le texte ? Comment voulez-vous concilier cela avec ce que vous avez dit au Tribunal au sujet du rapport à Bürckel ?

TÉMOIN RAINER

Je ne sais pas d’où vient ce compte rendu. Je voudrais avoir l’occasion,

M. DODD

Je vais vous le dire, c’est un document saisi, qui a été trouvé dans des dossiers. Vous n’avez pas à vous en inquiéter. Ce que je veux savoir, c’est si oui ou non vous reconnaissez avoir prononcé ce discours et avoir dit cela au moment où vous le prononciez.

TÉMOIN RAINER

J’ai prononcé ce discours, mais je déclare expressément que ce que j’ai dit aujourd’hui à ce sujet, sous la foi du serment, est exact. Il s’agissait là d’une représentation à grands traits destinée à un auditoire particulier ; elle ne peut pas être prise à la lettre au même titre que les déclarations que je fais aujourd’hui, en pleine conscience de ma responsabilité.

M. DODD

Vous ne parlez donc pas aujourd’hui pour un auditoire particulier ?

TÉMOIN RAINER

C’est exact.

M. DODD

Tournons une page et voyons ce que vous disiez au sujet de Papen et de la conférence. Vous dites là comment vous receviez des informations, comment vous vous êtes rencontrés à la Ringstrasse, etc. : « Papen avait été expressément chargé de s’occuper en secret des préparatifs de cette conférence. En Autriche, seuls Schuschnigg, Schmidt et Zernatto étaient au courant. Ils pensaient que de notre côté, seul Papen en était informé. Papen également, croyait être le seul au courant, mais nous l’étions aussi et avions eu des conversations avec Seyss-Inquart à ce sujet ». Il s’agit de la conférence de Berchtesgaden. Disiez-vous la vérité lorsque vous prononciez ce discours en 1942 ? Ou était-ce là encore une représentation à grands traits pour un auditoire déterminé ?

TÉMOIN RAINER

Je ne peux pas aujourd’hui comparer ce document à une reproduction exacte de ce que j’ai dit alors.

M. DODD

Pourquoi pas ? C’était en 1942. Vous ne vous souvenez pas ? Voulez-vous dire que vous ne savez pas si vous disiez la vérité ou non, ou que vous ne savez pas si vous avez prononcé ces paroles ?

TÉMOIN RAINER

A ce moment-là, je parlais devant des gens simples, en Carinthie, et je...

M. DODD

Leur mentiez-vous ou leur disiez-vous la vérité ?

TÉMOIN RAINER

Non, mais je parlais devant ces gens autrement que lorsque je dois me prononcer sur des points précis devant un tribunal et sous la foi du serment. Il me semble absolument impossible que l’on veuille aujourd’hui me faire confirmer des points de détail d’un discours que j’ai prononcé il y a quatre ans.

LE PRÉSIDENT

Avez-vous eu une réponse ? Il ne répond pas à votre question.

M. DODD

Non, Monsieur le Président, il ne répond pas à ma question. (Au témoin.) Je vous ai demandé si, oui ou non, vous avez fait ces déclarations ce jour-là et, dans le cas où vous les avez faites, si elles étaient vraies. Vous pouvez répondre très simplement, nous n’avons pas besoin d’une longue réponse. Vous avez déjà lu ce document, vous m’avez entendu le lire ; maintenant, je vous prie de nous donner une réponse. Vous n’avez pas besoin de le relire, vous l’avez déjà lu, et je vous l’ai lu. Était-ce exact, et l’avez-vous dit ?

TÉMOIN RAINER

Certains détails ne sont pas exacts.

M. DODD

Mais est-ce vrai d’une manière générale ? Est-il exact que Papen fût informé de cette conférence, que Seyss-Inquart en fût informé également, et cela longtemps avant qu’elle eût lieu ou peu de temps avant ? C’est cela que nous voulons savoir.

TÉMOIN RAINER

Lorsque nous nous sommes réunis à Garmisch-Partenkirchen au moment des championnats d’hiver, nous avons rencontré...

M. DODD

Un moment. Vous ne répondez pas du tout à ma question ; cela, c’est le paragraphe suivant ou la phrase suivante que vous venez de lire. Je le connais et je vous interrogerai sur la conférence de Garmisch. Je vous demande maintenant si ce que vous avez dit au sujet de von Papen et de Seyss-Inquart est exact, et c’est tout ce que je veux savoir.

TÉMOIN RAINER

Il est exact qu’à cette époque, nous étions informés de l’intention d’entamer une conversation.

M. DODD

Et que Seyss-Inquart en était informé.

Continuons maintenant et essayons de trouver quelque chose au sujet de la conférence de Garmisch. Vous aviez été invité là-bas aux Jeux Olympiques, dites-vous, et vous avez eu une réunion avec Papen et Seyss-Inquart. Ils ont mené des négociations, puis vous êtes allé à Berlin. Maintenant, allons un peu plus loin et nous trouvons des choses intéressantes. Nous n’avons pas, pour le moment, le temps de tout lire. Je voudrais maintenant vous poser des questions sur ce que vous prétendez avoir préparé.

« Nous avions déjà préparé ce qui suit... » Vous parlez ensuite « le Schuschnigg et de la conférence qui allait se tenir. Cela se trouve au verso de la page 9 de votre texte, et à la page 5 du texte anglais, dernier paragraphe. Vous dites :

« Nous avions déjà préparé ce qui suit : le dernier résultat des conversations m’avait été communiqué par Seyss-Inquart dans un local de la Kämtnerstrasse. J’ai demandé au téléphone le numéro où l’on pouvait joindre Globus à Berlin... »

Pour l’information du Tribunal, Globus est bien Globocznik. C’est bien le même ?

TÉMOIN RAINER

Oui.

M. DODD

« ... et je lui ai communiqué le résultat négatif de la conversation. J’ai pu parler tout à fait ouvertement avec Globus. Nous avions un code secret pour chaque nom et nous parlions dans un dialecte terrible de sorte que personne ne pouvait nous comprendre. Globus rédigea immédiatement cette communication par écrit... Entre temps, Keppler s’était rendu en wagon-lit à Munich... »

Puis, deux ou trois phrases plus loin :

« Ensuite, je donnai des instructions à Mühlmann, un membre du Parti qui s’était révélé un excellent homme de liaison avec les services du Gouvernement dans le Reich. Il partit pour Salzbourg dans le même train que Schuschnigg. Tandis que Schuschnigg faisait décrocher sa voiture à Salzbourg pour y passer la nuit et repartir le lendemain en auto pour l’Obersalzberg, Mühlmann continuait et arriva à Berchtesgaden. Keppler et lui arrivèrent avant Schuschnigg chez le Führer et purent tout lui dire. Schuschnigg arriva le matin, fut reçu et s’aperçut avec une surprise sans bornes que le Führer reprenait immédiatement les négociations au point où, la veille, les négociations avec Seyss-Inquart avaient été interrompues sans résultat. Le Führer ne mena pas les négociations comme Schuschnigg le pensait. Il se montra exigeant. Schuschnigg fut traité d’une manière qu’on ne peut absolument pas se représenter. Le Führer l’empoigna, cria, lui reprocha toutes les saletés qu’il avait commises au cours des années précédentes. Schuschnigg était devenu grand fumeur. Nous avions des liaisons, jusqu’à sa chambre à coucher, nous étions au courant de son genre de vie ; il fumait cinquante, soixante cigarettes. Là, en présence du Führer, il ne pouvait pas fumer ; il n’en avait pas non plus la force. Ribbentrop m’a dit qu’il avait vraiment eu pitié de Schuschnigg. Il était au garde-à-vous devant le Führer, les mains sur la couture de son pantalon et ne disait plus que : « Jawohl ».

Que pensez-vous de cela ? Vous avez dit tout cela dans votre discours. Était-ce la vérité ? Jusqu’à ce point, vous avez lu avec moi. Avez-vous dit cela, oui ou non, et est-ce exact ?

TÉMOIN RAINER

Les événements, tels que je les ai décrits ici, sont exacts dans les grandes lignes. Certaines expressions que je lis ici ne sont pas de moi. Sur ce point, cet écrit a dû être complété par quelqu’un d’autre. Si les événements sont exacts dans le détail, je ne peux pas le dire avec certitude car beaucoup d’entre eux ne se sont pas déroulés en ma présence.

M. DODD

Je voulais simplement savoir si vous l’aviez dit. C’est tout ; continuons. Vous avez également dit : « Avant le début de la conversation avec Schuschnigg, Schmidt s’approcha de Ribbentrop et lui dit : « Pourriez-vous permettre au chancelier de fumer « une cigarette », ce qui fut fait ».

Quelques pages plus loin, voici quelque chose de plus important. C’est à la page 13...

LE PRÉSIDENT

Monsieur Dodd, pensez-vous finir ce soir ? Nous devons suspendre l’audience à 5 heures moins le quart.

M. DODD

Je n’en ai plus que pour deux minutes, Monsieur le Président. Je ne pense pas que cela soit plus long. Il n’y a plus que deux passages du discours. (Au témoin.) Dans ce discours vous avez parlé à votre auditoire du jour où Seyss-Inquart vint a une réunion et vous dit qu’il avait donné sa parole d’honneur de ne pas parler du plébiscite. Vous savez ce que vous avez dit ce jour-là à vos auditeurs. Vous allez le trouver... Je peux vous assurer que c’est dans le texte, et nous gagnerons du temps si vous me croyez. C’est à la page 13 du texte anglais. Vous dites :

« Nous demandâmes à Seyss-Inquart : « Est-ce vrai ? » Et Seyss-Inquart répondit : « Je suis tenu au silence par ma parole d’honneur, « mais agissons comme si c’était vrai ». C’était un diplomate » — ceci est de vous — « L’affaire était désormais claire pour nous ».

Il vous fit savoir, n’est-ce pas, que Schuschnigg lui avait parlé du plébiscite ? Ne pouvez-vous pas répondre à ma question sans... Vous ne trouverez pas la réponse sur cette page.

TÉMOIN RAINER

La description des faits concorde avec ma mémoire.

M. DODD

Une dernière question et j’en aurai terminé. Vous avez également dit à votre auditoire que dans la nuit du jeudi 10 au vendredi 11 mars, tous les Gauleiter étaient à Vienne, en attendant les nouvelles :

« Le 10 mars, nous avons donné l’ordre aux SA et SS, à Lukesch et à Kaltenbrunner, de mettre sur pied la moitié des effectifs à partir de vendredi. Les meilleurs éléments devaient rester armés, à leurs cantonnements, pour le cas d’une guerre civile. »

Avez-vous dit cela ?

TÉMOIN RAINER

Avec des armes et dans des baraquements ? Non, ce n’est pas possible. D’après les instructions données à ce moment-là, et je ne pense pas l’avoir raconté autrement, la moitié des effectifs devait rester rassemblés chez eux, c’est-à-dire aux lieux de réunion. Il ne peut pas être question de baraquements ; quant aux armes, nous n’en avions pour ainsi dire pas.

M. DODD

Savez-vous que presque tout ce que vous dites dans ce discours figure, avec simplement un peu plus de détails, dans le rapport que vous avez adressé à Bürckel. La vérité est que dans l’un et l’autre cas, vous disiez ce que vous croyiez être la vérité. Voilà ce qui est vrai. Lorsque vous faisiez votre rapport à Bürckel et lorsque vous prononciez ce discours devant les chefs politiques et les porteurs de l’ordre du sang, vous disiez ce que vous croyiez être la vérité, et ce qui, d’ailleurs, vous le savez très bien, est la vérité.

TÉMOIN RAINER

Je ne peux pas reconnaître cela comme authentique.

M. DODD

Je n’ai plus de questions à poser, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

L’audience est levée.

(L’audience sera reprise le 13 juin à 10 heures.)