CENT CINQUANTE-QUATRIÈME JOURNÉE.
Jeudi 13 juin 1946.
Audience de l’après-midi.
Le Tribunal ne siégera pas samedi.
Je prie le Tribunal de m’autoriser à poser encore une question au témoin Schmidt, car j’avais oublié de le faire avant la suspension d’audience.
Oui.
Témoin, en novembre 1937, au cours d’une série de mesures prises contre le mouvement illégal, divers documents furent saisis, qui furent désignés sous le nom de « Papiers Tafs ». Ces papiers traitaient-ils de M. von Papen ?
Autant que je m’en souvienne, avec ces documents que nous appelions « Plan Tafs » furent découverts, à la suite l’un de l’autre, différents documents. Je crois pouvoir me souvenir que dans l’un de ces documents, Papen était nommé ; un attentat contre l’ambassadeur d’Allemagne à Vienne devait être à l’origine de troubles intérieurs en Autriche, troubles qui provoqueraient des mesures répressives de la part du Gouvernement, puis des mesures de la part du Gouvernement allemand. Je ne me rappelle pas les détails de toute cette affaire.
Merci.
Avec l’autorisation du Tribunal, je voudrais poser quelques questions au témoin. (Au témoin.) Docteur Schmidt quand, et à quelle occasion avez-vous fait la connaissance de M. von Neurath ?
J’ai fait la connaissance de M. von Neurath en novembre 1937 à Berlin, où il m’avait invité à lui rendre visite.
Pouvez-vous nous dire quelle était l’attitude de M. von Neurath, en sa qualité de ministre des Affaires étrangères, en ce qui concerne les relations du Reich allemand avec l’Autriche et particulièrement son attitude envers le traité du 11 juillet 1936 ?
Je voudrais encore ajouter que le Ministère Public prétend que M. von Neurath aurait conclu ce traité d’une manière trompeuse.
Au cours des rencontres peu nombreuses que j’ai eues avec M. von Neurath, il s’est toujours montré en faveur d’une Autriche indépendante et désirait une collaboration aussi étroite que possible avec l’Autriche, dans le domaine des relations extérieures ainsi que dans le domaine politique et militaire. Ces conversations ont toujours eu pour base l’accord du 11 juillet. Les différends ne portaient que sur l’interprétation de ce traité. Ainsi,
Neurath, qui représentait le Gouvernement allemand tendait à donner au traité son sens le plus strict, alors que, pour des raisons défensives, nous étions en faveur d’une autre interprétation. Dans tous les cas, Neurath était opposé à toute méthode de violence et son programme était à peu près le suivant : une Autriche autonome mais rapprochée de l’Allemagne le plus possible.
Quelle était l’attitude de M. von Neurath envers les milieux extrémistes du Parti en Allemagne, milieux qui poussaient à une politique d’intervention dans les affaires intérieures de l’Autriche ?
Ainsi que je viens de le dire, M. von Neurath était opposé à toutes les méthodes de violence ou d’intervention qui étaient celles du Parti illégal en Autriche. Je crois, d’après les entretiens que j’ai eus avec lui, pouvoir le prétendre avec certitude. Une preuve en est donnée par le fait qu’il désapprouvait entièrement l’activité du secrétaire d’État Keppler et de Veesenmeyer, qui furent les premiers pionniers de l’ordre nouveau dans le sud-est et d’abord en Autriche. Les expressions dont il se servit ne peuvent laisser subsister aucun doute sur son attitude.
Je n’ai pas d’autres questions à poser, Monsieur le Président.
Monsieur le Président, je vous prie de m’autoriser, en l’absence de mon confrère, le Dr Stahmer, à poser quelques questions au témoin, pour l’accusé Gôring.
Oui.
Témoin, vous avez déclaré tout à l’heure qu’en novembre 1937 vous avez fait une visite officielle à Berlin ?
Oui.
Avez-vous à cette occasion, parlé au Feldmarschall Göring ?
Oui.
Est-il exact qu’à ce moment déjà le maréchal Göring vous ait dit que la question autrichienne ne pouvait être résolue que par l’union complète des deux peuples frères, c’est-à-dire par l’union de l’Autriche à l’Allemagne, et que, de son côté, il ferait tout pour atteindre ce but ?
Il ne m’a pas dit les choses de cette façon-là. Certes, le Reichsmarschall me parla avec insistance d’une collaboration étroite avec l’Autriche et l’a demandée. Quant à une exigence concernant l’AnschIuss, il n’en fut, autant que je sache, pas :
•question. Je pourrais illustrer ce fait en disant que nous avons parlédes événements du 25 juillet 1934. J’ai exprimé l’idée que l’accord de juillet 1936 constituait le terme de cette évolution ; à ce propos le maréchal Göring déclara qu’il avait demandé des comptes au promoteur de cette affaire — je crois qu’il nomma Habicht et l’avait proscrit dans quelque endroit obscur de l’Allemagne. Il ressort de cette seule réflexion que nous n’avons pas pu parler de l’AnschIuss. L’ex-Reichmarschall rendit hommage à la politique inaugurée à la suite du 11 juillet, ce qui mettait un point final à celle suivie jusqu’à présent, et que l’on pouvait considérer comme un état de guerre, qui avait duré jusqu’au 11 juillet 1936.
Est-il exact que, le jour de l’AnschIuss, c’est-à-dire le matin du 12 mars 1938, Göring vous ait fait venir par avion à Berlin ?
Non, c’était le lundi ou le mardi. Cela devait être le 15 ou le 16.
A Berlin, vous a-t-il demandé si vous-même ou Schuschnigg aviez demandé à certaines puissances étrangères une aide militaire ?
Je ne me souviens pas de cette question.
Vous avez déclaré ce matin qu’avec l’AnschIuss, le national-socialisme était devenu une réalité en Autriche. Je vous demande : dès avant l’AnschIuss, le national-socialisme n’était-il pas une réalité politique ?
Il était certes une réalité politique, mais je voulais dire qu’il était devenu, disons la réalisation d’une politique, la constitution d’une force dans l’État.
Je crains que vous ne parliez un peu trop vite ; je ne sais pas ce qui s’est passé, mais vous feriez mieux de répéter, car les interprètes ne semblent pas avoir compris.
La question était la suivante : dès avant l’AnschIuss, le national-socialisme en Autriche n’était-il pas une réalité politique ? J’ai posé cette question parce que le témoin a dit ce matin que ce n’est qu’après l’entrée des troupes allemandes que le national-socialisme devint une réalité en Autriche.
J’entendais par « réalité politique » le fait que le national-socialisme avait pris en mains les pouvoirs de l’État, alors qu’auparavant, il était un parti interdit qui, d’ailleurs, à la suite de l’accord du 12 février, devait dans le cadre du front patriotique, assumer une part de la responsabilité politique. Je voulais donc faire ressortir la modification fondamentale que constitua pour le national-socialisme l’entrée des troupes allemandes en Autriche.
Une dernière question : après l’AnschIuss n’avez-vous pas dit à plusieurs reprises au Reichsmarschall qu’au moment de l’AnschIuss le front patriotique s’était écroulé comme un château de cartes ?
Il m’est difficile de me souvenir de déclarations isolées ; mais il est évident que le front patriotique devait s’écrouler avec le départ du chancelier. Le front patriotique était le centre de la résistance et la résistance s’était écroulée le 11 mars.
Je n’ai plus d’autres questions à poser.
Le Ministère Public désire-t-il procéder à un interrogatoire contradictoire ?
Docteur Schmidt, savez-vous quand l’accusé von Papen a proposé pour la première fois au chancelier Schuschnigg d’avoir une entrevue avec Hitler ?
C’est à la fin de l’automne 1937, peut-être en novembre, que von Papen proposa cette rencontre. Ces discussions restèrent sans résultat concret. Von Papen apporta l’invitation officielle le 6 ou le 7 février, au retour de sa visite à Hitler. C’est ce jour-là que j’ai entendu parler de cette invitation.
Voulez-vous nous dire aussi, si vous le savez, si oui ou non von Papen avait donné à Schuschnigg l’assurance que cette conversation ne porterait que sur des points précis et que l’on n’y traiterait que des questions sur lesquelles un accord avait déjà été réalisé entre Schuschnigg et von Papen.
Le chancelier fédéral lui-même avait demandé une délimitation précise des entretiens sur la base de l’accord du 11 juillet, et afin d’écarter définitivement les différends qui subsistaient. Cela avait été convenu entre Schuschnigg et von Papen.
Von Papen avait-il donné à Schuschnigg l’assurance que cette .rencontre se déroulerait d’une manière favorable pour l’Autriche ?
L’assurance ? Non ; mais Papen avait fait une déclaration suivant laquelle la situation était alors favorable. Il avait fait allusion aux circonstances créées le 4 février, et pensait qu’à la suite de ces événements, Hitler avait besoin d’un succès de politique extérieure. Le chancelier obtiendrait donc à peu de frais un succès certain.
Je voudrais maintenant tenter d’éclaircir le point suivant. Je pense que vous pourrez répondre brièvement, ce qui nous serait utile : vous-même et Schuschnigg, aviez l’impression qu’il serait avantageux pour vous et pour l’Autriche que vous assistiez à cette réunion ?
J’ai déjà dit que le chancelier n’était pas optimiste. On ne pouvait guère s’attendre à une amélioration de la situation, mais simplement chercher à aplanir les différends qui subsistaient.
La veille de votre départ pour Berchtesgaden vous avez eu une conversation avec un homme du nom de Hornbostel, le ministre. C’est bien cela ?
Oui.
Et le même soir, vous aviez déjà eu, vous et Schuschnigg, une conversation avec Seyss-Inquart ?
C’est possible. Au cours de ces journées il y eut de nombreuses conversations.
Peut-être puis-je vous aider. Ne vous souvenez-vous pas que Seyss-Inquart et Zernatto préparaient un mémorandum concernant les affaires de politique intérieure, cependant que vous et Hornbostel ou quelqu’un d’autre prépariez des papiers sur des questions de politique étrangère ?
Je n’ai pas compris.
Je parle du moment où vous et l’un des vôtres prépariez un mémorandum sur des questions de politique étrangère alors que Zernatto et Seyss-Inquart préparaient un papier sur des questions intérieures. Vous souvenez-vous ?
Oui.
Vous étiez inquiet, ce soir-là, au sujet de Seyss-Inquart ?
Oui.
Et pourquoi étiez-vous inquiet ? Quelle était la cause de votre inquiétude ? Que craigniez-vous de Seyss-Inquart ?
Les projets que j’avais vus avant mon départ et qui avaient été établis par Zernatto et Seyss-Inquart comme base des pourparlers de politique intérieure m’avaient tout-à-coup paru utopiques et politiquement inutilisables. J’avais l’impression que deux hommes étaient là à l’oeuvre, qui peut-être s’amusaient à faire travailler leur imagination, mais ne se rendaient pas compte de la gravité de la situation. On y formulait des distinctions entre l’idéologie nationale-socialiste autrichienne et le national-socialisme. Mais il n’existe pas de différence. Une idéologie nationale-socialiste autrichienne ne peut être que purement nationale-socialiste. Voilà les critiques que j’ai formulées.
Pensiez-vous qu’il fût, d’une façon quelconque, en relations avec Hitler et que cela pût être mauvais pour l’Autriche ? Je parle de Seyss-Inquart.
Non, je ne craignais pas à l’époque, qu’il existât un accord secret entre Hitler et Seyss-Inquart.
Lorsque vous êtes arrivé à Berchtesgaden, le lendemain, vous avez pu constater qu’une grande partie des sujets qui avaient été discutés entre Zernatto, vous-même, Seyss-Inquart et Schuschnigg, servaient de base aux exigences présentées par Hitler à Schuschnigg. Est-ce exact ?
Oui.
Et n’avez-vous pas été convaincu, du moins sur le moment, que Seyss-Inquart avait été en relations avec Hitler dès avant votre arrivée à Berchtesgaden et qu’il lui avait communiqué ces exigences de base ?
Nous avions simplement l’impression que la conversation avait pour base un projet qui avait également été étudié par des gens qui connaissaient la situation. Cette liste d’exigences était donc, en grande partie, basée sur les conventions. Seyss-Inquart-Zernatto. Nous ne connaissions pas auparavant l’ensemble de ce programme.
Vous-même et Schuschnigg représentiez ce jour-là l’Autriche à Berchtesgaden ?
Oui.
Hitler, von Papen, von Ribbentrop, Keitel, Sperrie et Reichenau représentaient l’Allemagne, n’est-ce pas ?
Oui.
Vous, von Papen et Schuschnigg étiez venus de la frontière à Berchtesgaden dans le même wagon de chemin de fer ?
Oui.
Pendant...
Je ne suis pas certain que Papen ait été dans la même voiture mais il y était au retour.
De toute façon il était dans le train, que ce soit la même voiture ou non ? N’est-il pas monté dans le train à la frontière et n’a-t-il pas continué le voyage avec Schuschnigg et vous ?
Il nous attendait à la frontière.
Je me trompe peut-être, mais ce que je voudrais connaître c’est la teneur de la conversation que Schuschnigg et vous avez eue avec von Papen, soit au moment où vous l’avez rencontré à la frontière, soit pendant le voyage. Vous souvenez-vous que von Papen vous ait dit : « Oh, à propos, il y aura là-haut quelques généraux ; j’espère que vous n’y verrez pas d’inconvénient ». Vous en souvenez-vous ?
Nous avons parlé de généraux en effet. Il avait dit à Schuschnigg — je ne me souviens plus si le nom de-Keitel fut mentionné — qu’il serait présent.
Il vous l’avait dit comme par hasard, et vous n’avez pas eu l’occasion de protester, n’est-ce pas. Jusqu’à ce moment-là vous ne saviez pas qu’il y aurait des militaires à cette conférence ?
Non ; jusqu’à ce moment-là nous n’en savions rien.
A quel moment de la journée êtes-vous arrivés à Berchtesgaden ? Le matin de bonne heure ou dans le courant de la matinée ? A quel moment de la journée ?
Dans le courant de la matinée.
Je voudrais que vous fassiez au Tribunal le mieux possible, le récit des événements de la journée. Nous avons entendu de nombreux témoignages sur cette réunion de Berchtesgaden et vous êtes ici le premier témoin à y avoir assisté. Ce n’est pas tout à fait exact, Keitel y assistait aussi... De toute façon vous avez participé à la discussion. Comment a-t-elle débuté ?
La conversation commença par un entretien entre Hitler et le chancelier fédéral Schuschnigg. Cette conversation eut lieu en tête-à-tête ; ni moi ni les autres n’étions donc présents. Plus tard on les fit entrer un à un. Puis il y eut également des conversations auxquelles n’assistait pas Hitler, avec le ministre des Affaires étrangères Ribbentrop et au cours desquelles furent discutés les points du programme qui nous avaient été présentés. Au cours de cette conversation, on supprima certaines exigences.
Pendant que Hitler et Schuschnigg parlaient entre eux, avec qui parliez-vous vous-même si toutefois vous parliez à quelqu’un ? Que faisiez-vous à ce moment-là ?
J’étais avec ceux que vous venez de nommer ; nous nous tenions, les uns dans le grand hall, les autres dans l’antichambre, près de la pièce où avait lieu la conversation à quatre.
Avez-vous parlé à Ribbentrop par exemple, pendant que Schuschnigg et Hitler s’entretenaient ?
Non.
Que se passait-il ? Avez-vous parlé avec Ribbentrop, et de quoi ?
Au cours de l’après-midi, nous avons parcouru avec Ribbentrop, — et je l’ai fait en partie seul — la liste des exigences et ces conversations ont donc porté en général sur le programme d’exigences qui nous avait été présenté.
Au cours de la matinée — je voudrais que vous vous en teniez exactement à l’horaire, afin que nous puissions avoir une vue exacte du déroulement des événements — au cours de la séance du matin entre Hitler et Schuschnigg, étiez-vous simplement assis à discuter de choses et d’autres, ou avez-vous eu avec Ribbentrop ou quelqu’un d’autre une conversation sur l’Allemagne et l’Autriche ?
Le matin, pas encore, car nous ne connaissions pas, moi du moins, le programme, et les discussions politiques ne pouvaient avoir lieu que sur la base des demandes présentées de part et d’autre.
Il y eut cependant des intervalles entre les différentes conférences ; n’avez-vous pas trouvé l’occasion de parler à Schuschnigg, pendant ces intervalles ?
Oui, au bout d’une heure environ le chancelier fédéral sortit et me donna un aperçu de la situation ;nous nous sommes entretenus...
Dites-nous ce qu’il vous a dit à ce moment-là ?
Il m’a d’abord décrit l’atmosphère, la violence de la discussion et le caractère d’ultimatum que présentaient les exigences allemandes.
Essayez de nous dire ce qu’il vous a dit. Qu’a-t-il dit de l’atmosphère et des conversations ? C’est cela que nous voudrions savoir.
Il commença par l’accueil qui lui avait été fait. Hitler lui avait reproché de ne pas être un Allemand et que l’Autriche ne menait pas une politique allemande. Il en avait toujours été ainsi, du temps des Habsbourg, il en tenait pour responsables les éléments catholiques autrichiens. L’Autriche avait toujours mis des bâtons dans les , roues à tous les mouvements nationalistes, et il en était toujours de même aujourd’hui. Là, Hitler mentionna le fait que l’Autriche n’avait pas quitté la Société des Nations. Puis il y eut une discussion extrêmement violente entre Hitler et Schuschnigg personnellement et le chancelier fédéral avait eu l’impression qu’il était personnellement l’objet des attaques de Hitler. Je ne me souviens plus des détails de cette conversation. D’après la description du chancelier fédéral, l’atmosphère en était extrêmement tendue.
Vous avez déjeuné vers midi, je suppose, ou peu de temps après ?
Après la conversation, vers midi ou midi et demi, nous avons déjeuné ensemble. Le ton était redevenu normal. La tempête s’était calmée entre temps.
Schuschnigg n’était-il pas un grand fumeur ?
Voulez-vous dire à ce moment-là ou bien... ?
A ce moment-là, oui.
Oui, il était grand fumeur.
Nous avons entendu dire qu’au cours de ces conversations il n’avait pas eu l’autorisation de fumer jusqu’au moment où vous avez demandé à Ribbentrop qu’on lui, permette de fumer une cigarette. Est-ce vrai ou est-ce une histoire ?
On nous avait dit qu’il ne fallait pas fumer en présence de Hitler. C’est exact. J’ai cherché une possibilité pour que le chancelier puisse fumer une cigarette. Que j’aie demandé à Ribbentrop, c’est possible, mais je ne m’en souviens pas. Ce détail est d’ailleurs sans aucune importance.
Très bien. Maintenant, au cours de cette conférence, Schuschnigg vous-a-t-il dit que Hitler insistait pour que Seyss-Inquart fût nommé ministre de la sûreté dans le Gouvernement ?
C’était un des points du programme d’exigences, oui.
Établi par Hitler ?
Oui.
A-t-il aussi demandé que Glaise-Horstenau devienne ministre des Forces armées ?
C’était le deuxième point des exigences.
A-t-il également demandé que certains étudiants qui avaient été renvoyés des universités autrichiennes y fussent réintégrés ?
En effet les étudiants devaient faire l’objet d’une mesure de grâce et être réintégrés dans les universités.
Et que certains fonctionnaires fussent replacés à leur poste ?
Oui, également.
En second lieu, que certains membres de la Police autrichienne qui avaient été renvoyés fussent aussi réintégrés dans leurs fonctions ?
Ceci figurait au chapitre « Mesures de grâce ». De même certains fonctionnaires appartenant aux services exécutifs devaient être remis en fonctions.
Y avait-il aussi des exigences relatives à des échanges monétaires et à une union douanière ?
Oui, certaines exigences économiques de ce genre furent discutées. L’expression « Union douanière » ne fut pas utilisée, mais certaines exigences se rapprochaient de cette idée.
Dès que Schuschnigg eut connaissance de ces demandes, vous saviez que la conférence dépassait les limites fixées par l’accord conclu entre von Papen et Schuschnigg ? Vous l’avez su immédiatement n’est-ce pas ?
Oui, le programme était plus étendu que nous ne pensions, c’est exact. Mais je ne sais pas si von Papen connaissait ce programme à l’avance. Je suppose que non.
Ce n’est pas ce que je vous demande, mais c’est bien, si vous voulez dire quelque chose en faveur de von Papen. Je vous demandais si vous n’aviez pas immédiatement dit à von Papen ou à Schuschnigg : « Ce n’était pas pour cela que nous étions venus ». N’avez-vous pas eu une conversation de ce genre pendant les intervalles de la conférence ?
Bien entendu, nous avons déclaré que les exigences allaient plus loin que nous l’avions supposé.
Qu’a dit von Papen ?
Nous avions l’impression que Papen lui-même était désagréablement surpris par certains points.
N’a-t-il pas suggéré néanmoins que vous donniez votre accord aux conditions posées par Hitler ?
Une fois que nous avons obtenu certaines concessions, Papen nous conseilla d’accepter les conditions finales puisque je pense, il fallait bien parvenir à un accord. Le chancelier fédéral lui-même donna sa parole parce qu’il ne voulait pas partir sans un résultat pour ne pas compromettre la position de l’Autriche.
Hitler ne donna-t-il pas son accord pour la dissolution du nouveau parti national-socialiste d’Autriche ? Il vous donna bien, ce jour-là, l’assurance qu’il le ferait ?
Oui.
Et qu’il rappellerait le Dr Tafs et Leopold les chefs du parti nazi en Autriche ?
Oui.
Et vous avez donné votre accord pour la nomination de Seyss-Inquart au poste de ministre de la sûreté ?
Le chancelier donna son accord à cette décision.
Et vous avez accepté de prendre des hommes comme Fischböck et Wolf dans le service de la presse autrichienne ?
Nous avons dû les prendre, oui. Fischböck au ministère du Commerce, Wolf au service de la presse. Quant à la forme sous laquelle cela devait être fait, elle ne fut pas précisée.
Et vous avez également accepté d’essayer d’admettre certains nationaux-socialistes au front patriotique, votre propre groupement politique ?
« Admettre certains nationaux-socialistes au front patriotique » ne correspond pas exactement à la situation. Il s’agissait d’incorporer l’opposition nationale — c’est-à-dire ceux que l’on désignait à l’époque comme les représentants de l’idéologie nationale-socialiste en Autriche — au front patriotique, pour assurer la collaboration de ce groupe tout entier à la vie politique de l’Autriche.
Bien. Hitler vous déclara que vous aviez jusqu’au 15 décembre pour accepter ses conditions. Je veux dire jusqu’au 15 février.
Oui.
Et il vous a dit que si vous ne le faisiez pas il utiliserait la force ?
L’ultimatum, était... Oui, c’était un ultimatum. Hitler avait déclaré qu’il avait eu l’intention de faire entrer ses troupes en Autriche dès février et qu’il avait encore fait une dernière tentative de conciliation.
Et les généraux ? Faisaient-ils des allées et venues pendant que la conférence avait lieu ? Des personnages comme l’accusé Keitel par exemple ?
Les généraux furent appelés à plusieurs reprises.
Schuschnigg et vous, aviez-vous peur ? Pensiez-vous que tout à coup on allait vous jeter en prison, ou vous abattre ?
Nous craignions d’être éventuellement empêchés de rentrer, oui, mais pas d’être fusillés.
Vous souvenez-vous que Schuschnigg vous ait dit en rentrant à Vienne, qu’il avait eu peur quand Keitel avait été appelé, qu’il croyait qu’il allait être fusillé ou qu’on allait lui faire quelque chose de terrible, et que vous avez dit à Schuschnigg que vous aussi vous aviez eu peur à ce moment-là que ce ne soit la fin, ou quelque chose de ce genre ?
Non, je ne m’en souviens pas. Il n’a jamais été question d’être fusillés, mais, comme je l’ai dit, nous avions peur. Le chancelier lui aussi pensait que peut-être, si les négociations n’aboutissaient pas, nous ne pourrions plus repartir.
Très bien. Que faisait von Papen tandis que les généraux allaient et venaient ? A-t-il vu tout cela aussi bien que vous ?
Tout cela se passait après une discussion très animée et il est très difficile de dire, après huit ans, ce que faisait chacun.
Mais vous n’étiez pas très nombreux, six ou huit ? Formiez-vous un groupe ?
Cela changeait sans cesse. Nous n’étions pas toujours tous ensemble ; il y eut diverses combinaisons.
Je poserai ma question d’une manière différente : il n’est pas possible que von Papen n’ait pas vu les généraux ce jour-là, n’est-ce pas ?
Ce jour-là, il doit les avoir vus, quand nous étions là-bas.
Von Ribbentrop vous a dit que Hitler était de très mauvaise humeur ?
Nous étions tous d’accord là-dessus.
Et il insista aussi, bien entendu, pour que vous acceptiez les conditions, disant que c’était la meilleure chose à faire pour vous et pour Schuschnigg ?
En tous cas, Ribbentrop, à ce moment-là, ne contribua pas à faire pression. Il présentait les exigences allemandes, mais non pas sous une forme désagréable ou sous la forme d’une pression. Je l’ai d’ailleurs fait remarquer au chancelier.
La situation était donc la suivante : Ribbentrop jouait le rôle du personnage aimable, alors que Hitler de l’autre côté, jouait celui du personnage effrayant, et Schuschnigg et vous étiez renvoyés de l’un à l’autre.
J’avais l’impression que Ribbentrop n’était pas tout à fait au courant de l’affaire et qu’il était surtout très réservé pour cette raison.
Ceci est intéressant, mais ce n’est pas absolument nouveau. Mais n’est-il pas vrai qu’on jouait pour ainsi dire avec vous, entre le gentil Ribbentrop et le méchant Hitler ?
On ne peut pas dire cela. Ce n’est pas comme cela que la situation se présentait. Nous devions examiner le détail des négociations avec Ribbentrop. Hitler avait déclaré que nous devions discuter ces questions de détails avec les experts.
Peut-être ne vous en rendez-vous pas compte encore. Êtes-vous certain que cela ne se passait pas de cette manière, ou bien est-ce que vous ne vous en êtes pas encore rendu compte aujourd’hui ?
Au sujet de quoi ?
Au sujet de ce que je viens de dire, à savoir que vous étiez renvoyé du bon au méchant, et inversement.
Non.
Si vous ne me comprenez pas, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’approfondir cette question.
Jusqu’à quel moment êtes-vous resté a Berchtesgaden ce jour-là, et à quelle heure êtes-vous partis ?
En fin de soirée, il était peut-être entre 9 heures et 10 heures, si je me souviens bien.
Et lorsque vous êtes rentré à Vienne, avez-vous dit à Seyss-Inquart ce qui s’était passé à Berchtesgaden ?
Il y eut d’abord une conversation entre Zernatto et Seyss-Inquart, au cours de laquelle Zernatto mit Seyss-Inquart complètement au courant de la situation. Zernatto avait été informé par le chancelier fédéral et par moi-même. Ensuite, je me joignis à cet entretien, mais j’avais l’impression qu’il avait déjà fait la plus grande partie de son récit et que l’on ne parlait plus que de détails.
Vous avez dit au Tribunal ce matin que Seyss-Inquart vous avait dit qu’il voulait conserver une certaine indépendance à l’Autriche, ou un semblant d’indépendance en tout cas ;l’avez-vous cru, lorsqu’il vous a dit cela ?
Je ne peux vous répondre ni oui, ni non. Je le désapprouvais et ne me suis donc plus posé de questions quant aux conceptions politiques de Seyss-Inquart ; puisque je n’avais pas l’intention de faire partie du Gouvernement. Cette exigence était telle qu’il fallait la considérer comme très sérieuse.
Vous vous êtes servi de termes bien précis à ce moment-là ? N’avez-vous pas dit que vous vouliez rester fidèle et correct ?
J’ai déclaré alors que j’étais lié au chancelier Schuschnigg, que les lois de l’honneur et des convenances étaient toujours valables pour moi, et qu’en conséquence je me retirais avec lui.
N’avez-vous pas dit : « Je crois toujours aux lois de vérité et d’honnêteté ? »
Non. Que les lois de l’honneur et des convenances étaient toujours valables pour moi. J’avais suivi la même voie que le chancelier Schuschnigg et je partirais avec lui : il faut savoir quels étaient mes rapports avec le chancelier ; ceux qui les connaissent savent ce qu’ils représentaient et que je ne pouvais agir autrement.
Ce n’est pas cela que je veux dire.. J’essaie simplement de montrer que vous avez employé, en refusant de collaborer avec Seyss-Inquart, un langage qui laisserait entendre que vous ne le considériez pas comme honnête, ou comme étant digne de confiance.
Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Je donnais là, personnellement, les raisons pour lesquelles je refusais. Il y avait déjà une différence, n’est-ce pas, du fait que j’entretenais avec le chancelier des relations d’amitié.
Nous avons la déposition que vous avez faite à Vienne sous la foi du serment. Vous vous souvenez que vous avez déclaré là-bas devant le Tribunal que Seyss-Inquart avait participé à l’élimination de Schuschnigg par la force ?
Oui, j’ai déclaré que je ne pouvais pas faire partie d’un Gouvernement Seyss-Inquart, puisque, en fin de compte il était responsable pour une part de l’élimination du Gouvernement Schuschnigg. Puisque j’étais l’ami de Schuschnigg, je ne pouvais pas participer à ce Gouvernement.
Ce que je veux dire ; c’est ceci : connaissant Seyss-Inquart, et sachant qu’il avait des relations très étroites avec les nazis, et après l’expérience que vous aviez faite à Berchtesgaden, prétendez-vous sérieusement devant, le Tribunal que vous croyiez réellement Seyss-Inquart lorsqu’il vous disait qu’il voulait garder à l’Autriche une certaine indépendance ?
J’avais alors des doutes à cet égard, de même que j’en ai maintenant encore. Je ne connaissais pas ses intentions réelles.
Ce n’est pas non plus ce que je vous demande. Je vous demande ce que vous pensiez vous. Vous avez eu une conversation avec l’accusé von Papen, à propos de Seyss-Inquart, il y a quelques années de cela, n’est-ce pas ?
Oui.
Dites au Tribunal quand et où cette conversation eut lieu ?
J’ai rencontré von Papen — je crois que c’était à la fin de l’automne 1943 — en Turquie. Nous en vînmes à parler des événements du 11 mars 1938. Papen se livra alors à une violente critique de ces événements et de Seyss-Inquart, parce que, disait-il, celui-ci n’avait rien fait pour les intérêts de l’Autriche et que ces événements n’avaient même pas servi non plus les intérêts allemands. Il voulait exprimer par là ses critiques, et j’avais l’impression qu’il était opposé à un règlement par la force, c’est-à-dire à une solution telle qu’elle était intervenue.
Je voudrais que vous disiez au Tribunal ce que Papen vous a dit de Seyss-Inquart. C’était en 1943, je crois, et non pas en 1940 ? Au moment où vous étiez en Turquie, ainsi que von Papen.
Oui.
Je pourrais peut-être vous aider un peu si vous avez oublié, von Papen n’a-t-il pas dit qu’il ne voulait pas serrer la main de Seyss-Inquart ?
Oui, il l’a dit. Il a déclaré — c’était quelque temps après l’AnschIuss — qu’il aurait refusé de lui serrer la main, en considération de sa manière d’agir en 1938.
Et il a dit qu’il s’était conduit d’une façon impossible ? N’est-ce pas ce qu’a dit von Papen, ou à peu près ?
Oui, c’est bien ce qu’il a dit.
Qu’a-t-il dit d’autre ? Vous avez dit à Vienne que von Papen avait employé un langage extrêmement violent, pour qualifier Seyss-Inquart et sa conduite en mars 1938. Je crois qu’il serait intéressant pour le Tribunal que vous nous rapportiez exactement les paroles de von Papen. Il n’y a que trois ans que vous avez eu cette conversation avec Papen et vous ne vous en avez pas encore beaucoup parlé.
Il s’est exprimé d’une façon très violente, et a même porté un jugement selon lequel Seyss-Inquart n’avait pas défendu les intérêts des Autrichiens, n’avait rien fait pour assurer le destin de l’Autriche, c’est-à-dire pour sauvegarder l’individualité et les intérêts. Tel était le fond de la pensée de Papen. Sa seconde idée était que les intérêts allemands n’avaient pas non plus été servis ; il voulait dire par là, que certains intérêts justifiés du Reich avaient été présentés au monde d’une manière qui pouvait lui porter préjudice et qu’ainsi, les intérêts de la politique extérieure du Reich avait été lésés. Telle était la pensée qui était à la base de ce qu’il me dit. Je pense qu’il a fait des remarques analogues à d’autres personnes.
Je crains d’avoir oublié, en parlant de Berchtesgaden, de traiter un sujet qui me semble assez important. Vous souvenez-vous qu’à un moment — je pense que c’était peu avant la fin de la séance — Hitler s’est tourné vers von Papen et lui a dit : « Von Papen c’est vous qui m’avez donné la possibilité de devenir chancelier ; je ne l’oublierai jamais ». Avez-vous entendu Hitler dire cela à von Papen ce jour-là à Berchtesgaden ?
Oui, il a dit quelque chose de ce genre.
Et qu’a répondu von Papen ?
Je ne m’en souviens plus.
N’a-t-il pas dit : « Oui, mon Führer « , ou quelque chose de ce genre ?
Oui, je suppose. Il fallait bien qu’il réponde à cette déclaration.
Il ne l’a pas nié en tout cas ?
Je suppose que non, mais je ne me souviens plus de sa réponse. Je n’ai entendu que la question.
Ce soir-là, à Vienne lorsque les SS et les SA grimpaient par les fenêtres et par-dessus les portes de la chancellerie, Seyss-Inquart a-t-il fait quoi que ce fût pour les faire partir ?
Autant que je sache, je n’en sais rien, j’étais de l’autre côté.
Oui et la situation était très tendue, comme nous le savons. N’aviez-vous pas peur qu’il arrivât quelque chose à Schuschnigg ?
La situation était très tendue, oui.
Comment Schuschnigg et vous-même êtes-vous rentrés chez vous ce soir-là, en revenant de la chancellerie ?
Nous sommes partis dans trois voitures, dans l’une le chancelier, dans une autre le président et moi dans la troisième. Le départ fut escorté, organisé et accompagné par des hommes des SS.
Schuschnigg ne fut pas reconduit chez lui par Seyss-Inquart dans la voiture personnelle de celui-ci ? Il fut ramené chez lui par les SS ?
Non, ils sont partis ensemble en voiture. J’ai entendu Seyss-Inquart dire : « Je vais le raccompagner ». Je ne me souviens plus si c’était la voiture du chancelier ou celle de Seyss-Inquart, je sais simplement qu’ils sont partis ensemble en voiture.
Escortés par les SS ?
Non pas. Les SS ont... ; je ne sais pas s’ils étaient dans la voiture du chancelier. Ils nous ont escorté au départ, c’est-à-dire en sortant du bâtiment. Je crois qu^l n’y avait personne dans ma voiture, ni dans celle du président.
Ce n’est pas ce que vous avez dit au Tribunal de Vienne. Vous aviez dit : « Le Dr Schuschnigg et moi avons été reconduits à nos domiciles, escortés par des SS ».
Non, j’ai dit que les SS nous avaient escortés à notre départ du Ballhausplatz. Il y avait environ quarante hommes et ils ont dirigé le départ. Mais s’il en est resté dans la voiture, je n’en sais rien.
Très bien, peut-être pourrez-vous nous aider à éclaircir une autre question : lorsque Seyss-Inquart a prononcé son discours à la radio, il n’était pas membre du Gouvernement ?
On a beaucop débattu de cette question. Le chancelier fédéral avait démissionné dans l’après-midi. Le président fédéral n’avait pas encore accepté la démission ; donc il était encore chancelier, et par conséquent Seyss-Inquart était encore ministre. Je ne sais pas si la démission fut acceptée plus tard. D’aucuns disent que le président avait en pratique chargé le chancelier d’expédier les affaires courantes, et Seyss-Inquart avec lui. D’autres pensent au contraire, que cela n’a pas eu lieu. Seul le président fédéral lui-même pourrait répondre à cette question.
J’aimerais vous montrer, en qualité d’ancien membre du Gouvernement, un document dont vous pourrez peut-être nous dire si vous l’avez déjà vu. C’est le numéro PS-4015 qui devient USA-891. Il déclare que le président Miklas avait relevé de leurs fonctions, non seulement le chancelier Schuschnigg, mais aussi tous les membres du Gouvernement et secrétaires d’État et cela le 11 mars.
Oui.
Ceci signifie n’est-ce pas que Seyss-Inquart n’était plus en fonctions lorsqu’il prononça son discours à la radio ? Voilà notre point de vue. Est-ce le bon ?
Je crois que j’ai une grande pratique, de ces questions, car j’ai moi-même travaillé longtemps avec le président. Des documents de ce genre.
Dites-nous simplement si c’est vrai ou non. Notre opinion est-elle fondée ?
Cela ne doit pas obligatoirement être interprété dans ce sens. Des documents de ce genre arrivent à destination plusieurs jours après, car la routine administrative fait son chemin malgré les révolutions et en dépit de l’Histoire. Il faudrait donc voir comment les choses se sont passées en pratique. Je suppose que ce document a été publié bien après le 11 mars.
Seyss-Inquart s’est-il souvent servi du terme « cheval de Troie » dans les journées qui ont précédé les événements du 12 mars 1938 ? Cette expression lui était-elle familière ?
Il a déclaré à plusieurs reprises qu’il ne voulait pas être le conducteur du cheval de Troie. Il voulait par là exprimer sa loyauté et dire qu’il ne lui appartenait pas d’ouvrir la porte de derrière au national-socialisme.
Ne vous a-t-il jamais semblé qu’il protestait trop ?
Contre quoi ?
Pour prétendre qu’il n’était pas cheval de Troie ?
J’ai, entendu prononcer cette expression deux ou trois fois et par Zematto.
C’est tout.
Je n’ai qu’une courte question à poser, au sujet des événements dont il vient d’être question.
Témoin, Seyss-Inquart n’avait-il pas également placé des hommes du bataillon de la garde devant la chambre du ministre ?
Oui, il y avait des hommes.
A quelle heure eut lieu effectivement la démission de Schuschnigg ?
Il est assez difficile de dire comment cela s’est fait mais cela eût lieu au plus tard lorsque fut nommé le nouveau Gouvernement. Je pense qu’il était entre 9 heures et 10 heures. car le président avait mené de sérieuses négociations en vue du choix d’un nouveau chancelier. Je crois que c’était l’ancien chancelier le Dr Ender qui avait été proposé.
Je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.
Le témoin peut se retirer. (Le témoin quitte la barre.)
Avec la permission du Tribunal, j’appelle maintenant comme témoin le chef de la Police, le Dr Skubl. (Le témoin Skubl vient à la barre.)
Voulez-vous déclarer votre nom ?
Michael Skubl.
Voulez-vous répéter ce serment après moi :
« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Témoin, quelles étaient vos fonctions dans la République autrichienne ?
J’étais, en dernier lieu, chef de la Police à Vienne, et secrétaire d’État à la Sûreté publique. J’étais également inspecteur général des services exécutifs autrichiens.
Avez-vous été appelé à ce poste sur la proposition du Dr Dollfuss et muni d’instructions qu’il vous avait données avant sa mort ?
La veille de son assassinat, le 24 juillet, le Dr Dollfuss m’avait nommé inspecteur général de la Police. Je jouissais de toute sa confiance.
Peut-on dire aussi que vous étiez l’homme de confiance de son successeur, le Dr Schuschnigg ?
Oui.
Lorsque Seyss-Inquart devint ministre, lui avez-vous été adjoint en tant que secrétaire d’État, et en même temps en qualité d’inspecteur général ?
Oui, lorsque Seyss-Inquart fut nommé ministre de l’Intérieur et de la Sûreté, je lui fus adjoint comme secrétaire d’État. J’étais donc immédiatement sous ses ordres, alors que jusqu’à présent, j’avais eu comme chef direct le chancelier fédéral, en sa qualité de chef de la Sûreté.
La Police et la Gendarmerie étaient-elles pratiquement entre vos mains, ou entre les mains de Seyss-Inquart ?
Pratiquement, elles étaient entre mes mains.
Aviez-vous en particulier pour mission de lutter contre les mouvements illégaux ?
En ma qualité de chef de la Police et de secrétaire d’État à la Sûreté publique, il entrait évidemment dans mes attributions de lutter contre les mouvements illégaux, et tout particulièrement contre l’agression nationale-socialiste.
Avez-vous pu constater un rapport entre le Dr Seyss-Inquart et le putsch de juillet 1934, l’assassinat de Dollfuss ?
Non.
Quelle était son attitude de principe vis-à-vis du national-socialisme ?
Le Dr Seyss-Inquart se déclarait national-socialiste, mais autant que je le sache, ceux que l’on appelait les nationaux-socialistes à 120 % et 150 %, c’est-à-dire les chefs du mouvement illégal, ne le considéraient pas comme un national-socialiste à 100%, ils le considéraient néanmoins comme l’homme qui pouvait leur être utile sur l’échiquier du national-socialisme.
Si je vous comprends bien, il était plus mené que meneur.
J’ai toujours eu cette impression.
Dans quelle mesure collaboriez-vous avec Seyss-Inquart en sa qualité de ministre de l’Intérieur ?
Nous n’avons eu aucune difficulté et nous nous entendions parfaitement.
Avait-il une influence quelconque sur la Police ? A-t-il par exemple, incorporé des nationaux-socialistes à la Police ?
Non, cela n’a jamais été fait.
Aviez-vous l’occasion de faire des rapports directs au chancelier Schuschnigg, en passant par-dessus le ministre ?
Le chancelier Schuschnigg était chef du Gouvernement et, par conséquent, mon chef hiérarchique le plus élevé. Il était donc normal que je lui fasse des rapports régulièrement ainsi qu’à sa demande et que je reçoive des instructions de sa part.
Peu de temps après qu’il ait été nommé ministre, le Dr Seyss-Inquart s’est rendu en Allemagne auprès de Hitler. Je vous demande : ce voyage était-il officiel, ou secret ?
Il était officiel.
Qu’est-ce qui vous le fait dire ?
Ce voyage avait été annoncé. J’en avais connaissance et le chancelier fédéral Schuschnigg également, autant que je sache. Il est d’ailleurs évident qu’en sa qualité d’agent de liaison entre le Gouvernement autrichien et le Reich, il ait été obligé d’entrer en contact avec Hitler.
Lorsque Seyss-Inquart revint, a-t-il rendu compte de ses conversations avec Hitler ?
Oui. A son retour, je suis allé recevoir Seyss-Inquart à la gare, et je lui ai demandé comment s’était déroulé l’entretien avec Hitler ; Seyss-Inquart — encore sous l’impression de cette rencontre et de cette conversation — m’a fait part de ce qu’il avait dit au Führer. Je me souviens encore parfaitement des différents points. Seyss-Inquart avait dit au Chancelier du Reich :
« l. Monsieur le Chancelier du Reich, je suis ministre autrichien et en cette qualité j’ai prêté serment à la constitution autrichienne, c’est-à-dire à l’indépendance et à l’autonomie de l’Autriche.
« 2. Je suis croyant, je suis un catholique pratiquant je ne peux donc suivre une voie qui mènerait à un Kulturkampf.
« 3. J’arrive d’un pays dans lequel un régime totalitaire ne peut pas être envisagé. »
Malgré cela, le Reich a-t-il désigné un nouveau chef à la NSDAP illégale en Autriche ?
Oui, autant que je m’en souvienne, Klausner fut nommé chef régional le 21 février.
Lorsque le Dr Schuschnigg annonça son plébiscite, fit-il prendre des mesures de sécurité particulières ?
L’annonce du plébiscite fit naturellement l’effet d’une bombe auprès des nationaux-socialistes, non seulement en Autriche, mais aussi dans le Reich. Elle donna lieu à une activité fébrile et il fallut évidemment prendre les dispositions nécessaires. Cette activité particulière s’explique par le fait que les nationaux-socialistes devaient craindre, dans l’éventualité d’un plébiscite, de subir un grave échec ; les termes du plébiscite auraient en effet été approuvés par la grande majorité de la population autrichienne. Il est très intéressant à ce propos de se reporter à un article publié le 11 mars dans la Deutsch-Österreichische Tageszeitung et dans lequel apparaissait la crainte que ce plébiscite ouvrît la voie à une démocratisation de l’Autriche, à l’institution d’un front populaire et, par là, constituât un pas vers la bolchevisation. On pouvait en tirer la conclusion que les nationaux-socialistes autrichiens constituaient une minorité.
Nous en arrivons au jour mémorable du 11 mars 1938. Quand avez-vous appris en qualité de chef de la Police, que les troupes allemandes étaient entrées en Autriche ?
Le 11 mars fut évidemment une journée riche en activité et en événements, et nous en avions perdu toute notion du temps. Je sais que dans la soirée, on communiqua que les troupes allemandes avaient franchi la frontière ; cette information ne pouvait d’ailleurs être confirmée mais complétait les informations suivant lesquelles des mouvements de troupes inusités et alarmants avaient eu lieu à la frontière autrichienne.
Seyss-Inquart n’a-t-il pas déclaré à la radio après la démission de Schuschnigg, qu’afin d’éviter le désordre, il demandait à la population de rester calme, puisqu’il était toujours ministre de la Sécurité ?
Seyss-Inquart a fait à la radio cette déclaration.
Avez-vous pu constater qu’avant la démission de Schuschnigg, Seyss-Inquart ait donné des instructions, envoyé des télégrammes ou eu des conversations téléphoniques ou fait d’autres communications destinées à lui permettre de prendre le pouvoir ?
Comme j’ai pu le constater, Seyss-Inquart a eu, jusqu’au moment critique, une attitude très passive, ainsi que je l’ai déjà dit, il donnait en fait l’impression d’être plus un homme que l’on mène qu’un meneur et montrait des signes évidents d’embarras.
N’avez-vous pas vous-même, dans le courant de l’après-midi ou de la soirée, reçu du président Miklas, l’offre de prendre le poste de chancelier fédéral ?
Le chancelier fédéral Schuschnigg ne m’a fait appeler qu’en fin d’après-midi et m’a déclaré que l’Allemagne, c’est-à-dire Hitler, nous avait adressé un ultimatum suivant lequel il ne considérait pas comme suffisant que le plébiscite eût été décommandé mais exigeait la démission de Schuschnigg. Schuschnigg me déclara là-dessus qu’il était personnellement prêt à démissionner, mais qu’il ne pouvait pas exiger de son entourage qu’il acceptât la nomination de Seyss-Inquart comme chancelier. Il me dit qu’il avait une question à me poser, à savoir si j’étais prêt à assumer la charge de chancelier. Il faisait cela en accord avec le président fédéral qui, quelques instant plus tard, me fît la même proposition. Je refusai cette proposition, en considération du fait que ma nomination au poste du chancelier aurait signifié pour Hitler une déclaration de guerre ; en ma qualité de secrétaire d’État à la Sécurité publique, j’étais à la tête du front de défense contre l’agression nationale-socaliste, et en conséquence, personnellement opposé à Hitler. Si j’avais pris la chancellerie, Hitler aurait trouvé là l’occasion souhaitée de faire pénétrer ses troupes en Autriche. Ma présence à la chancellerie aurait signifié le début de la lutte contre l’invasion, il était évident que ce combat eût été livré en pure perte, étant donné la supériorité des forces allemandes en face de. l’Armée et de la Police autrichiennes.
Seyss-Inquart a donc formé son cabinet et vous a gardé comme secrétaire d’État. Pourquoi êtes-vous entré dans ce ministère ?
Seyss-Inquart m’a proposé de garder dans son Gouvernement le secrétariat d’État à la Sécurité publique, et j’ai accepté cette offre en espérant que Seyss-Inquart se rappellerait les conditions qu’il avait posées au Führer, à savoir qu’il serait le chancelier fédéral d’une Autriche indépendante. D’autre part, j’avais également le désir de garder en mains le commandement des forces de Police, afin, au cas où Seyss-Inquart rencontrerait des difficultés et dans la défense du point de vue de l’Autriche, de pouvoir lui apporter une aide. En somme pour être un point d’appui autrichien, une enclave autrichienne, dans le cabinet du chancelier fédéral autrichien Seyss-Inquart.
Seyss-Inquart a-t-il encore déclaré qu’il tenait à l’indépendance autrichienne ?
Il n’en a pas parlé de façon plus précise. Nous avons considéré que cela allait de soi.
Quand avez-vous démissionné et pourquoi ?
Dans la nuit du 11 au 12 mars, j’eus à assumer la tâche de recevoir à l’aérodrome, le Reichsführer SS Himmler, qui arrivait de Berlin. Himmler ne vint pas seul, mais avec une suite nombreuse. Je ne me souviens plus du nom de chacun ;Meissner. Meissner était un officier de marine autrichien, qui le 25 juillet, s’était joint aux nationaux-socialistes en révolte et, après l’échec de ce jour-là, s’était enfui en Allemagne. Il revenait maintenant sous la protection de Himmler. Ceci me sembla constituer une telle impossibilité que je décidai de ne pas continuer à leur accorder ma collaboration, et, lorsque le 12 au matin, j’arrivai à la chancellerie fédérale et que GlaiseHorstenau m’annonça la nouvelle surprenante que Himmler avait demandé ma démission, je lui répondis : « Cela ne lui coûtera pas cher, j’y suis décidé depuis ce matin. »
Il déclara donc au chancelier Seyss-Inquart que j’avais connaissance que Himmler demandait ma démission, que bien entendu, j’étais décidé à démissionner et le priais de prendre acte de ma démission.
Seyss-Inquart me répondit : « C’est exact que Himmler m’a demandé votre démission, mais je ne me laisserai rien imposer de l’extérieur. Il est peut-être préférable que vous disparaissiez pour quelques semaines, mais vous reviendrez ensuite, car j’attache une grande valeur à votre collaboration ». Je répondis que je n’en ferais rien, et le lendemain, je remis par écrit ma démission de chef de la Police et de secrétaire d’État, après avoir, le 12 au soir, remis mes fonctions à Kaltenbrunner qui m’avait été attaché comme chef politique de la Police.
Puis vous avez été interné et vous n’êtes pas retourné à Vienne jusqu’à ce jour ?
J’ai d’abord été gardé prisonnier à ma résidence officielle, sous la surveillance des SS et de la Police, et le 24 mai, deux fonctionnaires de la Gestapo de Kassel me conduisirent à Kassel ; on m’y désigna une résidence forcée, où je suis resté jusqu’à ma libération par les Alliés.
Je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin, Monsieur le Président. Peut-être pourrions-nous maintenant suspendre l’audience.
D’autres avocats désirent-ils poser des questions au témoin ? (Pas de réponse.) Le Ministère Public ?
Pas de questions, Monsieur le Président.
Le témoin peut se retirer. (Le témoin se retire.)
Monsieur le Président, puis-je appeler comme témoin le Dr Friedrich Wimmer ? (Le témoin vient à la barre.)
Voulez-vous donner votre nom ?
Docteur Friedrich Wimmer.
Voulez-vous repéter ce serment après moi. :
« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)
Avec l’audition du témoin Skubl j’ai terminé le chapitre des questions relatives à l’Autriche et je passe maintenant à la question néerlandaise.
Témoin, depuis juillet 1940 jusqu’en mai 1945 vous avez été commissaire général à l’administration intérieure et à la justice aux Pays-Bas ?
Oui.
En cette qualité, aviez-vous à vous occuper de l’administration intérieure et de la justice, de l’éducation, de la Santé publique, des archives, des musées et de la législation ?
Oui.
N’étiez-vous pas en même temps, le délégué du commissaire du Reich ?
En cas d’exception seulement.
Preniez-vous également part aux conférences de service hebdomadaires des commissaires généraux et des secrétaires généraux avec le commissaire du Reich ?
Oui.
Vous étiez donc parfaitement au courant des événements qui avaient lieu aux Pays-Bas ?
D’une façon générale, oui.
Je vous demande maintenant : la Police allemande était-elle un service dépendant du commissaire du Reich, ou n’était-elle pas plutôt indépendante vis-à-vis de lui et rattachée aux services centraux de Berlin ?
La Police allemande était un service autonome, distinct de ceux du commissaire du Reich et recevait des instructions aussi bien sur le plan administratif que sur le plan technique des services centraux du Reich.
Elle était donc subordonnée directement au Reichsführer SS, Himmler ?
Oui, elle était subordonnée directement à Himmler.
La Police allemande, en plus de ses attributions de maintien de l’ordre et de police régulière, avait-elle aux Pays-Bas des missions particulières ?
Elle avait de nombreuses missions particulières aux Pays-Bas.
Pouvez-vous nous les énumérer ?
Je ne pourrais pas les énumérer d’une façon complète, mais, par exemple, la lutte contre les mouvements de résistance aux Pays-Bas était exclusivement de son ressort ; de même, l’institution, l’administration et la surveillance des camps de concentration. Elle était aussi exclusivement chargée de séparer les Juifs de la population néerlandaise.
Passons, maintenant, nous passerons à l’administration interne. A la tête de chaque ancien ministère il y avait un secrétaire général, un Hollandais. Quand ils donnaient leur démission, étaient-ils poursuivis ?
Non, le commissaire du Reich, au moment d’entrer en fonction, avait fait savoir aux secrétaires généraux néerlandais que s’ils se sentaient heurtés d’une façon ou d’une autre par des ordonnances ou des exigences de la puissance occupante, ils devaient s’adresser à lui sans aucune crainte, lui faire part de leurs difficultés, et que, s’ils le désiraient, il pourrait les démettre de leurs fonctions et cela, sans qu’ils puissent s’attendre à aucun désagrément, de quelque nature qu’il soit ; sur le plan financier, ils recevraient des assurances et toucheraient leur retraite.
Le commissaire du Reich a-t-il également destitué des commissaires de province ?
I1 est exact qu’il ait également destitué des commissaires de province, mais je me souviens que dans deux cas au moins, ces changements avaient eu pour cause le décès du commissaire de province.
Et en ce qui concerne les maires ?
En ce qui concerne la nomination des maires, les mêmes principes étaient valables que pour tous les autres fonctionnaires des Pays-Bas. En effet, aux Pays-Bas, les maires ne sont pas, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des autres pays, des représentants élus, mais des fonctionnaires au sens le plus strict du mot. Ils étaient nommés par la Reine, même dans les petites communes. Étant donné que le chef de l’État n’était pas dans le pays, le commissaire du Reich s’est trouvé obligé de réglementer la nomination et le licenciement des maires et cela de telle manière qu’il s’était réservé les nominations aux postes les plus importants alors que la plus grande partie des autres nominations et licenciements était confiée aux secrétaires généraux néerlandais.
Si donc vous examinez aujourd’hui quelle était la situation, entre 1940 et 1945, dans l’administration des Pays-Bas, que pouvez-vous déclarer ?
Je crois pouvoir dire qu’à la fin de l’occupation allemande, l’immense majorité des fonctionnaires était à la place qu’elle occupait au moment de l’entrée des Allemands aux Pays-Bas.
On reproche à Seyss-Inquart d’avoir dissous les partis politiques. Quand et pourquoi cela a-t-il été fait ?
La dissolution des partis politiques a été rendue nécessaire par le fait que certains partis politiques affichaient pour le moins une attitude que la puissance occupante ne pouvait pas tolérer, surtout dans une période critique ; même en ne tenant pas compte du fait que dans un pays occupé, il est difficile, sinon impossible, de travailler avec des partis politiques. D’autre part, les services de renseignements fournissaient rapport sur rapport, selon lesquels se tramaient des conspirations de toute espèce et le commissaire du Reich s’est vu obligé de dissoudre les partis. Néanmoins, il ne supprima pas constitutionnellement les partis qui survécurent en tant qu’institutions.
Le Reich désirait réorganiser l’administration et diviser les Pays-Bas en cinq circonscriptions administratives à la place des anciennes provinces. Seyss-Inquart l’a-t-il fait ?
Le commissaire du Reich s’est toujours montré hostile à des suggestions de ce genre. Il pouvait le faire d’autant plus que l’administration néerlandaise était à un niveau très élevé ; le commissaire du Reich s’appuyait donc sur ce fait et sur les diverses assurances qui lui avaient été données sur le loyalisme de l’administration néerlandaise à l’égard de la puissance occupante.
Il y avait aux Pays-Bas un parti apparenté aux nationaux-socialistes, la NSB dirigée par Mussert ; ce parti, la NSB, a-t-il exercé une influence prédominante sur l’administration ?
La NSB en tant que parti n’avait aucune influence sur l’administration. En fait, il est arrivé que l’autorité occupante s’adressât — et c’est tout à fait compréhensible — à la NSB et la consultât dans certaines occasions. Je crois que n’importe quelle autorité d’occupation, aussi bien dans l’Histoire que de nos jours, ne s’adresserait pas aux partis et aux groupements qui adoptent une attitude hostile à son égard.
Le chef de la NSB, Mussert, n’a-t-il pas essayé de créer aux Pays-Bas une situation analogue à celle de la Norvège avec Quisling, c’est-à-dire de devenir président du conseil des ministres des Pays-Bas ?
Certes, Mussert poursuivait ce but et il en a exprimé l’intention à plusieurs reprises et avec insistance : d’ailleurs je dois dire que ce faisant il mettait le commissaire du Reich dans une situation désagréable.
En bref, le commissaire du Reich...
Le commissaire du Reich a toujours refusé.
Une autre question : Seyss-Inquart a-t-il exercé, dans le domaine religieux, une pression quelconque sur la population du territoire occupé ?
Non.
En ce qui concerne l’instruction a-t-il pris des ordonnances qui aient limité les droits des Néerlandais ?
Non.
N’a-t-il pas prêté son appui à la Croix-Rouge néerlandaise bien qu’il s’y trouvât des centres de résistance ?
Non seulement il a laissé à la Croix-Rouge la possibilité de continuer à fonctionner normalement, mais encore il lui a, comme vous le dites, prêté son appui. Sur le plan politique, il aurait eu bien des motifs pour intervenir, car on avait découvert des postes émetteurs clandestins qui fonctionnaient sous le contrôle de la Croix-Rouge.
C’étaient des centres de résistance ?
Oui.
On reproche ensuite à l’accusé d’être intervenu pour modifier la législation en vigueur, notamment en ce qui concerne la nationalité et le mariage. Vous dirigiez les services de la Justice. Que pouvez-vous dire brièvement à ce sujet ?
De telles interventions se sont en effet produites. Cependant elles ont eu lieu parce que, du point de vue de la Wehrmacht, en particulier, elles étaient nécessaires. En ce qui concerne la question de nationalité, il faut considérer que les Néerlandais qui étaient entrés dans l’Armée allemande voulaient recevoir l’assurance qu’ils obtiendraient la nationalité allemande. Mais le commissaire du Reich, qui pensait que l’obtention de la nationalité allemande ne devait pas leur porter préjudice dans leur pays, prit des dispositions — et cela figure dans l’ordonnance en question — pour que les Néerlandais qui recevraient la nationalité allemande conservent la nationalité néerlandaise afin qu’ils ne deviennent pas des étrangers pour leur peuple et pour leur nation d’origine.
En ce qui concerne les mariages, il s’est révélé nécessaire lorsque des soldats allemands, en particulier, voulaient épouser des Hollandaises, que l’autorisation des parents, ne soit pas refusée pour des raisons politiques. Cette question était d’une certaine importance, parce que, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des autres États, les parents exercent ce droit d’autorisation jusqu’à la trentième année de leur enfant.
Nous arrivons maintenant à un autre chapitre. C’est la question des tribunaux d’exception. Pouvez-vous nous dire comment étaient composés ces tribunaux d’exception, combien de temps et quand ils ont siégé ?
La création de tribunaux d’exception s’est révélée nécessaire à la suite d’une grève générale qui avait éclaté à Amsterdam. Il fallut établir une base juridique qui permît à l’avenir, de prévenir le déclenchement de grèves éventuelles, ou bien, si de telles grèves éclataient, de les combattre avec efficacité et sur la base d’une juridiction pré-établie.
Pour ce qui est de l’organisation de ces tribunaux d’exception, et des périodes où ils devaient fonctionner, cela figure avec précision dans l’ordonnance du commissaire du Reich. Si je dois répondre à votre question précise sur la composition de ces tribunaux d’exception, je dois dire, en me basant sur ma mémoire que, ces tribunaux étaient présidés par un juge et un juge qui répondait à toutes les conditions exigées d’un juge en Allemagne.
C’est donc l’essentiel. Si je vous ai bien compris, avant que ces tribunaux soient devenus des tribunaux de Police, ils étaient présidés par un magistrat ?
Oui.
Avez-vous connaissance du fait que Seyss-Inquart ait infligé des châtiments collectifs à certaines villes ou certaines communes ?
Le commissaire du Reich a en effet infligé des châtiments collectifs. Le plus important a été imposé à la ville d’Amsterdam à la suite de la grève générale qui vient d’être mentionnée. Ils ont été infligés à la suite d’une procédure basée sur des prescriptions en vigueur et prononcés par une décision administrative, c’est-à-dire par la Police.
Si je vous ai bien compris, ces châtiments collectifs étaient infligés lorsqu’il s’agissait seulement d’actions collectives — vous avez parlé de grève générale — et non pas d’actes individuels ?
Ces châtiments collectifs étaient infligés dans le cas d’infractions commises par une grande partie des habitants d’une commune.
Nous pouvons donc, je crois, en finir avec ce chapitre, cependant, vous ne m’avez pas dit combien de temps les tribunaux d’exception ont fonctionné.
Ces tribunaux ont siégé tant qu’a duré l’état d’exception de Police ou l’état d’exception administratif, c’est-à-dire pendant quinze jours. C’est d’ailleurs la seule fois que l’état d’exception a été proclamé par le commissaire du Reich dans les Pays-Bas, mis à part l’état d’exception proclamé après l’invasion.
Je passe maintenant à l’une des accusations les plus graves qui pèsent sur mon client : celle d’avoir fait fusiller des otages, en violation du Droit international ou d’avoir participé à leur exécution. Avec l’autorisation du Tribunal, je vais vous montrer deux documents qui ont été présentés, hier par le Ministère Public à mon client. L’un est une déclaration faite en qualité d’accusé par le général de la Luftwaffe Christiansen, en date du 20 février 1946 ; le deuxième est l’interrogatoire d’un accusé, haut fonctionnaire de la Police, le Dr Schöngarth. C’est le document F-886. Je vous prie de considérer ces documents et de me dire ce que vous connaissez de ces questions. Prenez votre temps : je vous rappelle que vous avez prêté serment et répondez selon votre conscience.
L’avez-vous lu ?
Non, pas encore.
Témoin, je vais vous aider. Avez-vous fini ?
Non, je n’ai pas encore complètement terminé ; mais je vous en prie...
Savez-vous qu’au mois d’août 1942, à la suite d’un sabotage à Rotterdam, des otages ont été fusillés ?
Oui.
Pourquoi ces otages ont-ils été fusillés ? Sur l’ordre de qui ?
Pour l’affaire de Rotterdam, je crois que l’on sait de quoi il s’agit. Il s’agit d’un attentat commis au moyen d’explosifs contre un train de permissionnaires de la Wehrmacht ; la Wehrmacht s’est alors adressée au commissaire du Reich et c’est pour cela...
Ce n’est pas une réponse à la question. La question était : qui a donné l’ordre ?
L’ordre de quoi ?
De fusiller les otages.
L’ordre d’exécution a été donné, je le crois du moins, par la Police.
Dans quelle mesure le commissaire du Reich était-il impliqué dans cette affaire ? Vous avez lu les accusations portées par Christiansen à ce sujet ?
La Wehrmacht s’est adressée au commissaire du Reich parce qu’il était d’usage que dans les circonstances graves, le commandant militaire et le commissaire du Reich s’entendent et examinent ensemble la question. Je me souviens que le commandant militaire est intervenu avec violence et a demandé que l’on fît un exemple afin que dans l’avenir de tels incidents ne se renouvellent pas. A la Wehrmacht, on estimait qu’il n’y avait pas d’autres moyens que l’exécution d’un grand nombre d’otages. Je ne me souviens plus aujourd’hui de leur nombre exact, mais le chiffre mentionné était, je crois d’environ 50. Je me souviens également que la Wehrmacht avait déclaré qu’elle ne pourrait y renoncer que si la Police lui donnait l’assurance qu’à l’aide du matériel en sa possession, elle était en mesure d’arrêter les coupables et si ces derniers étaient condamnés à une peine correspondante par un tribunal allemand ou un tribunal de la Wehrmacht.
La Wehrmacht fit également ressortir le fait que la résistance commençait à s’organiser plus fortement aux Pays-Bas ce qui se traduisait par de nombreux actes de sabotage et d’hostilité envers l’occupant. Je me souviens également que l’on fit remarquer que si les forces de la Wehrmacht et de la Police avaient été plus nombreuses, il aurait peut-être été possible d’éviter une mesure aussi rigoureuse. Mais les forces qui étaient alors disponibles aux Pays-Bas constituaient un minimum et étant donné la recrudescence des activités du mouvement de résistance, la situation de la Wehrmacht aux Pays-Bas aurait pu être gravement compromise.
Témoin, je vais vous poser quelques questions afin que nous allions plus vite. Vous avez déclaré que le commandant militaire était venu et avait déclaré qu’après cet attentat, il fallait fusiller les otages.
Oui.
Connaissez-vous un décret allemand prévoyant que les saboteurs dans les pays occupés de l’Ouest, ne devaient pas être jugés par les tribunaux mais livrés à la Police ?
Je ne crois pas que cela était déjà en vigueur à cette époque, en particulier si vous faites allusion au décret « Nacht und Nebel », qui a été pris plus tard. Je me souviens très bien qu’on a fait état d’une ordonnance, mais je crois qu’elle -n’était en vigueur que dans le secteur militaire. Je n’en connais donc pas le texte.
Savez-vous si le commissaire du Reich a fait usage de son influence afin de faire réduire le nombre des cinquante otages — ils n’étaient en réalité que vingt-cinq — à cinq ?
Oui, je le sais.
Savez-vous s’il y est parvenu ?
Il y est parvenu.
Et qu’il a en particulier obtenu que les pères de famille fussent épargnés ?
Oui.
Voici donc pour le premier cas. On vous en a présenté un deuxième : celui de la tentative d’attentat contre le chef supérieur des SS et de la Police, Rauter. Plus de cent cinquante personnes ont été fusillées comme otages. Avez-vous lu le document ?
En partie.
Lisez-le en entier, je vous prie.
Docteur Steinbauer, est-il nécessaire que le témoin lise tout ce document ; vous pouvez lui exposer les faits.
Oui.
Témoin, l’exécution d’otages fut exigée en représailles de l’attentat contre le chef des SS et de la Police ?
Oui.
Qui a pris cette ordonnance et qui l’a exécutée ?
Je connais cette affaire par ce que m’en a dit le chef de brigade Schöngarth. Il était chef de la Police de sûreté et s’est adressé à moi pour me demander pendant l’indisponibilité de Rauter, quel était son titre ; il devait signer une proclamation et y indiquer son titre ; c’est à cette occasion qu’il m’a parlé de cette affaire. Il m’a dit qu’il était entré en contact avec Berlin pour y demander quelles étaient les mesures de représailles que l’on jugeait nécessaires de prendre à la suite de l’attentat contre Rauter. Berlin demande l’exécution d’un grand nombre d’otages ; il m’a cité un chiffre, cinq cents environ mais plutôt plus, certainement pas moins de cinq cents. Puis il m’a dit qu’il s’était rendu chez le commissaire du Reich pour lui exposer les demandes de Berlin.
Veuillez vous exprimer d’une façon plus précise ; Berlin est grand et il y avait là-bas de nombreux services.
C’était le Reichsführer SS lui-même. Il est normal que lorsqu’il s’agit d’un des plus hauts fonctionnaires de la Police et des SS, ce soit le Reichsführer SS qui intervienne en personne et non pas un de ses services. Il m’a également dit qu’il avait exposé l’affaire au commissaire du Reich et que celui-ci qui, en fait, n’était pas compétent en la matière, lui avait demandé de dire au Reichsführer SS qu’il le priait, qu’il lui conseillait de renoncer à l’exécution d’un aussi grand nombre d’otages. Là-dessus — tout cela se passait évidemment par téléphone — le Reichsführer s’est déclaré prêt à réduire le chiffre et je crois qu’à la suite de plusieurs conversations téléphoniques, on aboutit finalement à un chiffre de deux cents ou cent cinquante — je ne le sais plus exactement — .
Je suis persuadé que, si le commissaire du Reich n’avait pas, par l’intermédiaire de Schöngarth, adressé cette prière et ce conseil, le chiffre fixé par Berlin aurait été maintenu. On peut donc dire à bon droit que, dans cette circonstance, plusieurs centaines de Néerlandais doivent la vie au commissaire du Reich.
Les personnes fusillées ont-elles été prises au hasard dans la rue ou s’agissait-il de gens qui avaient déjà été officiellement condamnés ?
Il va sans dire que sur ce point je ne puis que répéter ce qui m’a été dit à l’époque, par le Brigadeführer Schöngarth au cours de cette conversation. En tous cas, je n’ai aucune raison de croire qu’il m’ait dit quelque chose de faux. Il m’a dit que seuls entraient en considération des gens qui avaient déjà été condamnés, de sorte qu’il s’agissait simplement en somme d’une anticipation de l’exécution, et que si leur nombre n’était pas suffisant, on pourrait éventuellement prendre d’autres personnes déjà détenues et qui feraient avec certitude l’objet d’une condamnation à mort.
Je crois pouvoir là-dessus terminer ce chapitre, mais je voudrais encore vous demander : que s’est-il passé pour les otages emmenés à Buchenwald en représailles de l’affaire des Indes Néerlandaises ?
Après quelque temps, — je ne me rappelle plus exactement combien ils étaient — à la suite de plaintes relatives à leur traitement, ces otages ont été ramenés aux Pays-Bas pour la plupart — tous peut-être, je ne m’en souviens pas exactement — puis libérés en grande partie, non pas en bloc, mais peu à peu.
La petite localité de Putten a été détruite à la suite d’un acte de sabotage très important. Qui a ordonné la destruction ? Ceci a-t-il été fait sur l’ordre du commissaire du Reich. ou de quelqu’un d’autre ?
Comme il s’agissait, de même qu’à Rotterdam, d’une affaire strictement militaire, d’un attentat dirigé contre la Wehrmacht, c’est la Wehrmacht qui s’est occupée de la question. L’ordre a été donné par le commandant militaire et si j’ai bonne mémoire, le commissaire du Reich et moi tout au moins n’avons eu connaissance de l’affaire qu’après le fait accompli.
Je passe maintenant au chapitre suivant. Il s’agit de la lutte contre les « ennemis de l’État ». On a dit hier que les biens des francs-maçons et des Bibelforscher avaient été confisqués. Je voudrais vous demander, afin qu’il n’y ait pas de malentendu, s’il s’agissait uniquement des biens des organisations ou également des biens personnels des membres de ces organisations ? Par exemple, pour les francs-maçons, non seulement des biens des loges mais aussi de ceux de tous les francs-maçons pris individuellement.
Seuls les biens des organisations ont été confisqués, jamais des biens individuels. Si de tels cas ont pu se produire, cela est le fait d’abus individuels, mais je ne me souviens-pas qu’il y ait jamais eu de tels abus.
Les Juifs néerlandais étaient également considérés comme des ennemis de l’État. Vous l’avez déjà dit mais je vous le demande encore une fois : qui était compétent pour la question juive aux Pays-Bas ?
La compétence en ce qui concerne le traitement des Juifs aux Pays-Bas a été dès l’origine revendiquée par la Police.
Nous avons de nombreuses ordonnances qui portent le nom de Seyss-Inquart et qui constituent des atteintes aux droits des Juifs. Vous rappelez-vous à quel moment a été instaurée la législation anti-juive, et sous quelle forme ?
L’évolution en a été, en bref, la suivante : Seyss-Inquart était absolument hostile à l’idée que soit soulevée la question juive aux Pays-Bas ; au cours d’une des premières conférences de service du commissaire du Reich, l’ordre fut donné de ne pas s’occuper de cette question.
Après un certain temps, quelques mois peut-être, le commissaire -du Reich déclara qu’il avait reçu de Berlin l’ordre d’aborder la question juive et cela parce qu’aux Pays-Bas, dans de nombreux mouvements et de nombreuses opérations, que l’on ne pouvait guère qualifier que de conspirations, des Juifs étaient impliqués en nombre relativement élevé. En outre, si la guerre devait durer plus longtemps, on pouvait s’attendre à ce que les Juifs, qui en raison du traitement qu’ils avaient subi, n’étaient évidemment pas "les amis des Allemands et ne pouvaient pas l’être, devinssent dangereux et que l’on soit donc obligé de les considérer comme des ennemis, sinon dans le sens littéral du mot, du moins pratiquement. C’est après beaucoup d’hésitations que le commissaire du Reich s’est décidé à appliquer ces directives, bien qu’au cours de la conférence, il ait fait remarquer qu’il ne pouvait pas s’y soustraire, car il ne lui était pas possible de prendre une telle responsabilité. Si j’ai bonne mémoire on doit pouvoir s’en assurer dans le bulletin des ordonnances du commissaire du Reich. On commença par déterminer les fortunes juives ; puis on interdit que les domestiques allemands travaillent dans des maisons juives ; cela avait été demandé particulièrement par la Police car des informations de tout ordre pouvaient être colportées de cette manière. Puis, quand Berlin se montra plus insistant, le commissaire du Reich se décida à prendre une ordonnance décrétant un recensement des Juifs. On avait fait particulièrement ’ ressortir le fait qu’il fallait au moins savoir où se trouvaient les Juifs car c’était le seul moyen d’établir une surveillance et un contrôle de Police. Ces mesures étaient en elles-mêmes très bénignes par rapport à celles qui avaient été appliquées jusque là dans le Reich. Puis la pression s’accrut. Je ne sais pas si c’était l’œuvre de Heydrich et s’il était déjà aux Pays-Bas. Je ne l’ai personnellement jamais vu ; je sais seulement que deux fois au moins il rendit visite au commissaire du Reich aux Pays-Bas. En tout état de cause, une pression fut exercée en 1941, mais surtout en 1942, pour que la question fût traitée d’une façon plus approfondie. Le commissaire du Reich pensait qu’il pourrait satisfaire à ces exigences en concentrant les Juifs sur un seul point des Pays-Bas où il serait plus facile de les surveiller, et c’est à ce moment-là que l’on pensa à utiliser dans ce but un, deux ou trois quartiers d’Amsterdam où ils auraient été logés. Cela allait évidemment de pair avec la nécessité de faire déménager un certain nombre de Néerlandais non Juifs, puisque, à cette époque les Juifs n’étaient pas encore entièrement isolés. Les Hollandais et les Juifs ne vivaient pas entièrement séparés.
Docteur Steinbauer, toutes ces déclarations du témoin figurent dans le décret et l’accusé nous en a déjà parlé. Je n’y vois aucune différence.
Oui.
Quel est ,1e but de cette déclaration ?
Monsieur le Président, c’est une question tellement importante que je voudrais que le témoin confirme d’une façon très brève ce qu’a dit l’accusé.
J’en ai presque terminé.
Je vais donc résumer. Est-il exact que l’on voulait grouper les Juifs dans un ghetto à Amsterdam ?
Oui.
Est-il exact que Heydrich demandait l’évacuation des Juifs ?
Oui.
Est-il exact que le commissaire du Reich a fait tous ses efforts pour que cette déportation soit effectuée d’une manière plus humaine, dans la mesure où cela était possible ?
Oui.
Je crois en avoir ainsi terminé avec ce chapitre. Il y a également eu des camps de concentration aux Pays-Bas. Savez-vous que Seyss-Inquart a fait visiter ces camps par des commissions d’enquête judiciaires et a fait supprimer les abus qui y régnaient ?
Oui, non seulement dans les camps de concentration mais dans tous les camps du même genre.
A la fin de 1944 et en 1945 eut lieu une opération de grande envergure pour la déportation de toute la population mâle de la Hollande en état de porter les armes. Cette opération était-elle le fait du commissaire du Reich ou d’un autre service ?
C’était une opération commandée par le Reich et en premier lieu par la Wehrmacht.
Pourquoi cette opération a-t-elle eu lieu ?
Elle a eu lieu parce que, dans la situation critique qui régnait alors, on était inquiet de voir rester aux Pays-Bas la population en état de porter les armes : d’abord parce qu’une grande partie des prisonniers de guerre qui avaient été libérés sur ordre du Führer en 1940, étaient, pour la plupart, revenus aux Pays-Bas, et une partie d’entre eux y étaient restés. Ensuite, les mouvements de résistance s’étaient développés d’une façon importante et on déclara que, du point de vue militaire, on ne pouvait plus prendre la responsabilité de laisser subsister aux Pays-Bas la population en état de porter les armes.
Afin d’atténuer les effets de cette opération, le commissaire du Reich a-t-il délivré des certificats d’exemption (Freistellungsscheine) ?
Oui.
Certains n’ont-ils pas également été soustraits à cette opération par le service du travail ?
A ma connaissance, oui, mais je n’ai pas de renseignements détaillés à ce sujet.
Savez-vous ce qui est arrivé aux diamants réquisitionnés après la bataille d’Arnhem ?
Ces diamants furent mis en sûreté, sous le feu de l’artillerie, par un service allemand — je crois que c’était l’inspection économique — et, un peu plus tard, emportés à Berlin. Je n’ai su qu’après la capitulation qu’ils avaient été ramenés de Berlin à Amsterdam.
Comment étaient administrées les finances ? Se montrait-on économe des revenus de l’impôt ou bien en était-on prodigue ?
Je ne suis pas compétent pour en parler, mais le commissaire général aux finances et à l’économie pourrait donner là-dessus des renseignements plus autorisés et plus précis. Dans la mesure où j’ai pu me faire une opinion...
S’il n’est pas compétent, je ne vois pas pourquoi il en parlerait.
Monsieur le Président, il n’a pas été possible de toucher le témoin Fischböck. En qualité de délégué du commissaire du Reich, le témoin doit quand même connaître les grandes lignes. Je vais lui poser quelques questions de détail. (Au témoin.) Le commissaire du Reich a-t-il fait d’importantes économies sur son budget et les a-t-il fait déposer à un compte spécial ?
Oui.
Vous ne savez probablement rien du contrôle des devises ?
Non.
Comment se passait, du point de vue administratif, la réquisition des matières premières, des produits, fabriqués et du ravitaillement, dans le secteur civil ?
Cela était réglé par des ordonnances qui paraissaient au recueil des ordonnances du commissaire du Reich. On peut les y voir. Les demandes du Reich étaient communiquées au commissaire du Reich qui les transmettait aux services néerlandais compétents, qui, à leur tour, en assuraient l’exécution
Ce n’étaient donc pas des services allemands, mais des services dirigés par les secrétaires généraux néerlandais ?
Oui, une ordonnance leur avait donné les pouvoirs nécessaires.
Le commissaire du Reich ou ses services ont-ils fait enlever quoi que ce soit dans les grands musées ?
Je n’ai pas très bien compris, d’où ?
Des musées nationaux ?
Non, je ne connais pas de cas de ce genre. J’aurais dû le savoir, parce que les musées étaient de mon ressort.
C’est justement pourquoi je vous le demande. Des archives quelconques ont-elles été emportées.
D’une façon générale, non, mais il y a eu un échange d’archives, qui avait déjà fait l’objet de discussions avant la guerre ; cet échange a été élaboré pendant l’occupation. Il y eut donc un échange d’archives avec la « Hausarchiv » et également entre d’autres archives néerlandaises et allemandes. Pour être exact, je dois dire que ces échanges se sont faits selon le principe dit de « l’origine ».
Était-il possible que chacun réquisitionne ce qu’il désirait ou existait-il une certaine réglementation ?
Il existait une réglementation qui a été encore renforcée au cours de la dernière année, je crois, par une ordonnance particulièrement sévère du commissaire du Reich. Elle mettait en garde, de la façon la plus sévère ceux qui avaient outrepassé ou tenté d’outrepasser ces règlements. Seuls deux organismes avaient, suivant cette ordonnance, le droit de pocéder à des réquisitions de leur propre autorité, c’étaient la Wehrmacht et la Police.
Je reviendrai brièvement pour terminer à l’opération entreprise par la Wehrmacht ; j’entends par là la déportation de toute la population en état de porter les armes. Cette opération a-t-elle été interrompue au début de l’hiver ?
Elle a été interrompue sur mon intervention personnelle, au nom du commissaire du Reich, auprès du général Student qui commandait alors le groupe d’armées duquel dépendaient les Pays-Bas.
Enfin, une dernière question : vous souvenez-vous de la bibliothèque juive de Rosenthaliana ?
Oui.
Qu’en est-il advenu ?
Je crois qu’elle est restée aux Pays-Bas.
Ne devait-elle pas être transformée ?
Oui, on en avait eu l’intention, mais comme cette bibliothèque appartenait au domaine public, à la municipalité d’Amsterdam, le commissaire du Reidi ordonna, sur ma proposition, que cette bibliothèque reste aux Pays-Bas.
Monsieur le Président, j’ai terminé l’interrogatoire du témoin.
D’autres avocats désirent-ils interroger le témoin ?
Le Ministère Public désire-t-il contre-interroger ?
Témoin, vous avez été choisi pour exercer les fonctions de commissaire général aux Pays-Bas par Seyss-Inquart lui-même ?
Oui.
Vous connaissiez Seyss-Inquart depuis plusieurs années ?
Parfaitement.
N’étiez-vous pas un de ses collaborateurs depuis 1938 ?
Oui.
Est-il vrai que, durant l’occupation des Pays-Bas, un grand nombre de membres de la NSB et d’éléments proallemands ont été nommés non seulement dans des fonctions dirigeantes mais encore dans des fonctions subalternes de la Police néerlandaise, et qu’ils étaient chargés d’exécuter des ordres des autorités d’occupation tels que l’arrestation d’Israélites, de membres de la résistance et d’otages ?
Je peux en effet confirmer que des membres de la NSB et de groupements pro-allemands aient été nommés à des fonctions dirigeantes ou subalternes par le commissaire du Reich. Mais leur proportion, par rapport à l’ensemble des fonctionnaires néerlandais et aux employés du secteur public, ne dépassait pas, je crois, même à la fin de l’occupation, le pourcentage qu’ils représentaient dans l’ensemble de la population néerlandaise.
Je vous ai bien précisé dans la Police, répondez sur ce point.
Vous ne voulez parler que de la Police ?
Je vous ai dit : la Police.
Oui, je suis au courant, mais je ne crois pas que les membres des groupements pro-allemands aient reçu des missions particulières ; je crois plutôt qu’ils recevaient les. mêmes ordres que les autres fonctionnaires. Je ne peux cependant rien dire de précis, j’avais très peu affaire avec la Police.
Lorsque des fonctionnaires de la Police néerlandaise se sont refusés à exécuter des ordres qui leur étaient donnés par les autorités d’occupation et qu’ils ont quitté leur poste, les autorités allemandes n’ont-elles pas pris comme otages des. membres de leur famille, des femmes, des enfants, par exemple ?
Je ne m’en souviens pas.
Dans aucun cas ?
Que les membres de la famille des policiers aient été arrêtés ?
Oui, de ceux qui n’exécutaient pas les ordres des autorités allemandes ?
Non, je ne me souviens pas.
C’est très bien. Eh bien, peut-être vous rappelez-vous que des membres de la famille de citoyens néerlandais qui offraient de la résistance d’une manière ou d’une autre, aient été arrêtés comme otages ?
Oui, j’en ai entendu parler.
Il y a eu des otages arrêtés dans ces cas, par exemple ? Il y a donc eu des otages arrêtés ?
Vous dites « des otages ». Appliquez-vous également cette expression aux cas où les personnes en question ne devaient pas s’attendre à ce qu’il leur en coûtât la vie ?
Jusqu’ici, c’est moi qui vous pose les questions et c’est vous qui répondez. N’avez-vous pas reçu par exemple des protestations du Sénat de l’université d’Amsterdam contre le fait que la femme et les enfants d’un professeur de cette université avaient été arrêtés comme otages ?
Je ne m’en souviens pas, mais il est possible qu’une telle plainte soit parvenue aux services de l’éducation de mon commissariat général.
Vous ne niez pas le fait, en tout cas ?
Je ne puis pas le contester absolument,.. mais je n’en sais rien.
Une autre question : à la suite de la déclaration de loyauté qui fut imposée aux étudiants, ceux qui refusèrent ne furent-ils pas obligés de se présenter aussitôt pour se faire recenser pour le service du travail et ne furent-ils pas déportés en Allemagne sans attendre l’appel dé leur classe ?
Parfaitement, mais pas au service du travail (Arbeitsdienst). Vous voulez parler de l’utilisation de la main-d’œuvre (Arbeitseinsatz) ?
Peu importe, ils furent déportés en Allemagne pour ce fait ?
Oui, sur l’ordre du chef supérieur des SS et de la Police.
N’est-il pas exact que des réformes profondes et nombreuses ont été introduites par le commissaire du Reich dans toutes les activités de la vie du peuple néerlandais et que ces réformes étaient contraires à la constitution ?
Non, on ne peut pas le prétendre.
Mais il y a eu des réformes cependant ?
Assurément ; celles qui étaient dictées par les nécessités de la guerre et conditionnées par l’occupation. J’ajouterai en troisième lieu, qu’elles étaient nécessitées par l’absence de tout chef d’État et de tout gouvernement.
Monsieur Debenest ne vaudrait-il pas mieux poser au témoin des questions précises plutôt que des questions d’ordre général qui lui donnent l’occasion de s’étendre outre mesure ?
Oui, Monsieur le Président. (Au témoin.) L’administration civile aux Pays-Bas jouissait-elle d’une certaine liberté ?
Oui et même d’une liberté assez étendue.
Je vais vous donner lecture d’un passage du rapport de l’accusé Seyss-Inquart. C’est un rapport rédigé le 19 juillet 1940. Vous me direz si vous maintenez encore la réponse que vous venez de faire. Voici ce qu’écrit Seyss-Inquart :
« L’administration, » — il s’agit de l’administration aux Pays-Bas — « se trouve actuellement d’une façon suffisante et d’ailleurs progressive sous la direction et le contrôle des autorités allemandes. »
Est-ce que la réponse que vous venez de faire à l’instant concorde avec ce qu’écrit Seyss-Inquart ?
Si le rapport du Dr Seyss-Inquart dit que la direction était aux mains des Allemands, il semble que cela semble simplement dire que les autorités allemandes exerçaient une certaine surveillance. Il est bien évident que les autorités d’occupation allemandes devaient assurer un contrôle, une surveillance sur les juridictions néerlandaises et sur toutes les activités importantes du Gouvernement et de l’administration. Il n’était pas possible, si tout était dans l’ordre, de promulguer des ordonnances ou des décrets importants sans l’approbation de la puissance occupante.
Cela me suffit, le Tribunal appréciera votre réponse au regard du document.
Voulez-vous expliquer pourquoi un gouvernement civil a été institué aux Pays-Bas, alors qu’il ne l’a pas été dans d’autres pays, tels que la Belgique, par exemple ?
Je n’en connais pas la véritable raison, mais d’après ce que j’ai entendu dire et que j’ai pu constater moi-même, la principale raison en était que l’Allemagne attachait une très grande importance à l’établissement de bons rapports avec les Pays-Bas, et il faut croire que le Gouvernement du Reich pensait que cela serait plus facile à l’aide d’hommes appartenant à l’administration civile qu’au moyen de la Wehrmacht.
Précisément, ne poursuivait-on pas là, un but politique qui était de mettre ce pays aux mains des nationaux-socialistes pour réaliser une sorte de fédération germanique, d’États germaniques ?
Dans la mesure où j’ai parlé de ces questions avec le commissaire du Reich, celui-ci était d’avis que le peuple néerlandais constituait une unité nationale autonome et devait par conséquent disposer d’un état indépendant et souverain. Le fait qu’au temps de l’occupation le commissaire du Reich et l’administration allemande aient eu des rapports plus étroits avec les groupements et les partis pro-allemands me semble tout naturel, et je n’ai pas besoin d’en donner les raisons. Mais le fait que les Pays-Bas, qui plus est, à une époque d’occupation militaire, n’aient pas délibérément adopté l’idéologie de la puissance occupante^ cela, le Commissaire du Reich — comme tout homme capable de juger sainement des événements — s’en rendait parfaitement compte.
Vous avez dit tout à l’heure, si j’ai bien compris, que le commissaire du Reich ne voulait pas obliger les secrétaires généraux hollandais à prendre des décisions qui soient contraires à leur conscience, et que s’ils étaient gênés ils pourraient demander leur démission. C’est bien cela que vous avez dit ?
Oui c’est cela.
A-t-il révoqué des secrétaires généraux qui ne lui avaient pas demandé leur démission ?
Il y a une seule exception et c’est celle du secrétaire général Spitzen. Il était secrétaire général au ministère des voies navigables, il n’avait pas suivi un ordre du commissaire du Reich et malgré cela n’avait pas donné sa démission.
De quel secrétaire général s’agissait-il ? Quel département ?13 juin 46
Le ministère des Voies navigables, qui s’occupait des voies navigables, des polders, des cours d’eau, et de toutes les voies navigables intérieures.
C’est le seul cas que vous connaissiez ?
Oui, c’est le seul cas dont j’aie connaissance.
C’est en quelle année ?
Je crois que c’était.. . c’était certainement en 1944, en été, pour être précis.
Ne vous souvenez-vous pas de la révocation du secrétaire général à la Défense nationale, M. Ringeling ?
La révocation du secrétaire général à la Défense nationale n’a pas été effectuée par le commissaire du Reich ; mais par le commandant militaire, car toutes les questions militaires étaient, d’après un ordre du Führer, de la compétence du commandant militaire.
Pourquoi fut-il congédié ?
Je l’ignore.
Essayez de rassembler vos souvenirs à l’aide du rapport de Seyss-Inquart, et nous verrons si c’est en accord avec le commandant militaire. Voici ce qu’écrit l’accusé :
« L’un des secrétaires généraux chercha... »
Monsieur Debenest, il semble que le témoin n’en sache rien.
Il dit qu’il ne connaît pas les raisons, Monsieur le Président, mais il ajoute — il avait ajouté précédemment — que c’était en accord avec l’autorité militaire.
Mais il a dit que c’était une question qui était de la compétence des autorités militaires et qu’il n’en savait rien. Voilà ce qu’il a dit.
L’ensemble des questions intéressant le ministère de la Défense nationale était de la compétence du commandant militaire ; il est tout à fait normal que tout ce qui se passait sur le plan militaire ou dépendait de l’autorité militaire aux Pays-Bas fût dirigé par ce ministère, et il est normal que dans ce domaine l’autorité militaire allemande fût compétente.
Si vous avez un document qui prouve que ce soit Seyss-Inquart qui ait révoqué cet homme, je pense que vous. pouvez le lui soumettre.
Je voulais simplement dire que la réponse qu’il donnait était inexacte, et ceci en donnant lecture de quatre lignes du document.
C’est ce que je dis, si vous avez un document qui prouve que ce soit Seyss-Inquart qui ait révoqué cet homme vous pouvez le lui présenter.
C’est ce que je me proposais de faire, Monsieur le Président.
Alors faites-le, présentez-le lui.
Je n’ai pas l’original en allemand, je l’ai remis hier soir au secrétaire du Tribunal.
Lisez-le lui, Monsieur Debenest. Lisez-le lui.
C’est ce que je vais faire Monsieur le Président. (Au témoin.) Voici ce qu’écrit Seyss-Inquart :
« Un secrétaire général chercha à faire appel à l’autorité de Winkelmann » — Winkelmann était le commandant militaire — « pour la question de la continuation du travail des usines d’armement pour la Wehrmacht, mais ce fonctionnaire fut immédiatement révoqué. »
Je n’ai pas compris, je vous demande pardon. Voulez-vous répéter s’il vous plait les deux dernières phrases.
« ... A propos de la question de la continuation du travail des usines d’armement pour la Wehrmacht. Mais ce fonctionnaire fut immédiatement révoqué. »
Mais on ne dit pas que c’est le commissaire du Reich qui a révoqué ce fonctionnaire ?
Il est certain qu’on ne dit pas que c’est le commissaire du Reich, mais il n’en résulte pas moins que dans ce rapport le commissaire du Reich indique que lorsqu’un fonctionnaire, quel qu’il soit, n’obéit pas aux ordres qui lui sont donnés, il est démis de ses fonctions, et il cite en exemple ce cas.
Mais il s’agit ici du secteur militaire. Ce que j’ai dit ne vaut que pour le secteur civil, c’est-à-dire pour le ressort du commissaire du Reich. Il est tout à fait normal et possible que, dans un rapport à Hitler, le commissaire du Reich parle également d’autres affaires puisqu’il était le responsable des intérêts du Reich. Il rendait également compte au Führer de questions autres que celles qui étaient exclusivement de son ressort. On ne dit pas non plus si par « fonctionnaire », on entend précisément le secrétaire général à la Défense nationale.
Bon, passons sur cette question, alors.
N’avez-vous pas exigé du secrétaire général à l’Enseignement qu’il mît les laboratoires Kamerlingh-Honesse, à Leyde, à la disposition des autorités allemandes pour les recherches sur l’énergie atomique ?
Dans les Pays-Bas seulement, pas en Allemagne.
Mais si ce n’était pas pour l’Allemagne, le secrétaire général à l’Education avait toute latitude pour décider lui-même, vous n’aviez pas besoin d’intervenir ?
C’était une mesure allemande qui avait été exigée par le Reich, et qui fut exécutée de telle manière que tout le matériel, les machines restaient aux Pays-Bas, et que des savants allemands devaient avoir l’occasion d’y faire leurs recherches sur place. Je ne pense d’ailleurs pas qu’il se soit agi de questions atomiques. Qui a dit cela ?
Vous dites que d’importantes bibliothèques publiques et privées n’ont pas été confisquées ni transportées dans le Reich ; vous l’avez dit tout à l’heure, c’est bien exact ?
A l’instant ? Mais il n’a pas été question de bibliothèques.
Mais tout à l’heure, quand l’avocat de Seyss-Inquart vous interrogeait, vous avez bien dit — à moins que j’ai mal compris — qu’il n’avait pas été transporté dans le Reich de bibliothèques provenant des Pays-Bas ?
Non je n’ai pas dit cela. Pourriez-vous me montrer cela dans le procès-verbal.
Alors c’est sans doute une erreur. Les professeurs de l’université d’Amsterdam ne furent-ils pas menacés de la peine de mort s’ils demandaient leur démission, et cela par vous-même ?
Non seulement je n’ai jamais formulé une telle menace, mais je n’ai jamais entendu parler de rien de tel. Il est absolument impossible que qui que ce soit ait jamais formulé une telle menace.
L’audience est levée.