CENT CINQUANTE-CINQUIÈME JOURNÉE.
Vendredi 14 juin 1946.

Audience de l’après-midi.

L’HUISSIER AUDIENCIER

Plaise au Tribunal, on m’annonce que les accusés Funk et Speer n’assisteront pas à l’audience.

(L’accusé von Papen reprend place à la barre.)
LE PRÉSIDENT

Oui, Docteur Kubuschok.

Dr KUBUSCHOK

Témoin, nous en étions restés précédemment à la façon dont avait pris naissance le jugement porté par le public sur votre personne. Continuez, s’il vous plaît, à nous exposer votre curriculum vitae.

ACCUSÉ VON PAPEN

J’ai parlé de la propagande développée à l’occasion de la première guerre mondiale, sur mon compte aux États-Unis. En vérité on ne s’est jamais donné la peine de vérifier si ces appréciations étaient justes ou fausses. Tout ce que j’ai pu faire de positif au cours de ces années-là ; à savoir que je me suis prononcé contre le sabotage, que j’ai lutté contre la guerre sous-marine, n’a jamais été reconnu.

Cette propagande, qui était une diffamation publique, a atteint son point culminant avec une brochure publiée à New-York en 1941 joliment intitulée : Thé Devil in Top Hat (le diable en haut de forme). Elle reprend sans aucune discrimination toutes ces sornettes et en ajoute d’autres. C’est ainsi qu’il s’est formé sur mon compte une sorte d’opinion publique et je crois pouvoir dire qu’il s’agit sans conteste d’une caricature de ma personne ; mes manières de voir et avant tout mes mobiles furent entre 1932 et 1945 systématiquement déformés.

Je prie le Tribunal de bien vouloir se rappeler ces contingences psychologiques au moment où je vais tenter de donner une image conforme à la vérité de mes pensées et de mes actions.

Après mon retour en Allemagne en 1916, je fis, c’était la guerre, mon devoir de soldat comme commandant et comme officier d’État-Major en France. En 1917, je fus nommé chef du service des opérations au groupe d’armées Falkenhayn en Turquie. Lorsque Falkenhayn fut rappelé je devins en 1918 chef d’État-Major de la IVe Armée ottomane, jusqu’à l’armistice.

Peut-être pourrais-je rappeler ici en deux mots un épisode à la suite duquel on a dit tant de mal de moi dans le monde, un épisode qui montre que j’ai pu agir utilement au profit de l’Humanité. Le 8 décembre 1918 après d’âpres controverses avec les quartiers généraux allemand et turc, je réussis à amener Falkenhayn à évacuer Jérusalem. Cette ville ne fut ni bombardée ni détruite par l’Armée britannique en raison de cette décision.

LE PRÉSIDENT

D’après la traduction j’ai compris qu’il s’agissait du 8 décembre 1918. Il doit s’agir de 1917 ?

Dr KUBUSCHOK

Non, Monsieur le Président, 1918.

ACCUSÉ VON PAPEN

Le 8 décembre 1918. Lorsqu’en novembre 1918, j’eus ensuite à négocier avec Ataturk le rapatriement des troupes allemandes la nouvelle nous parvint de l’effondrement des Armées allemandes et de l’abdication de l’Empereur. Ces faits ne signifiaient pas seulement pour moi la perte de la guerre, mais tout un monde s’effondrait pour moi. L’Empire allemand, après une évolution de mille années, s’effondrait et tout ce à quoi nous avions cru se trouvait relégué pour un avenir incertain.

Je me résolvais à tirer les conclusions de cette rupture. Rentre en Allemagne, je demandais et obtenais ma démission de l’Armée. Je regagnais ma petite patrie où je possédais une modeste propriété rurale. Là, sur cette terre ancestrale je me consacrais à des tâches locales. Bientôt mes amis paysans me confièrent l’administration de leur commune. Ils m’élirent bourgmestre d’honneur et en 1923 m’envoyèrent au Parlement de Prusse.

Lorsque je fus invité à le rejoindre je décidai non pas de me rallier à la droite, c’est-à-dire au parti national allemand, mais au parti du centre modéré et ce qui me décida ce fut ma conviction-dé pouvoir dans ce parti faire bien davantage pour l’égalité sociale qu’avec les conservateurs.

En même temps ce parti préconisait aussi dans sa façon de concevoir l’État des principes chrétiens. Les huit années où j’ai été membre du Parlement furent tout entières occupées par des luttes pour le relèvement intérieur et la consolidation de la République allemande. Membre du parti du centre j’ai pourtant soutenu le point de vue conservateur de mes électeurs paysans. J’aspirais à ce que ce parti qui était en Prusse coalisé avec la gauche se ralliât également à une coalition avec la droite. Je voulais ainsi aider à un compromis pour faire cesser les dissensions. d’où naquit à la vérité, le national-socialisme. C’est à cette époque que se placent également mes efforts en vue de faire cesser cette discrimination de l’Allemagne par de nombreux articles du Traité de Versailles, et cela en l’amenant à une meilleure entente avec le peuple français.

Je devins membre du Comité d’Études franco-allemand, comité-qui avait été fondé par le grand industriel luxembourgeois Meirisch et qui rassemblait quantité d’hommes éminents des deux pays, du côté français avec le fameux chef des « Gueules cassées » le colonel Picot. Je pris une part active aux congrès des milieux catholiques germano-français qui se tenaient tant à Paris qu’à Berlin. Tous mes efforts avaient pour but d’asseoir la paix européenne sur une profonde connaissance réciproque et sur la coopération de nos deux pays. Cette conviction se trouva encore renforcée quand en 1929, j’allais m’établir en Sarre qui à ce moment-là, se trouvait, comme on le sait sous contrôle international.

Lorsqu’on 1929, l’Allemagne accepta le Plan Young, je priais M. Stresemann de régler la question de la Sarre avec M. Briand sans plébiscite, parce que j’ai toujours été d’avis qu’un règlement sincère et bilatéral de cette question épineuse, laisserait moins de ressentiment et plus d’esprit de coopération que le verdict d’une campagne électorale menée de part et d’autre avec passion. Malheureusement il n’en fut pas ainsi.

En 1930, commença alors la grande crise économique mondiale qui atteignit de façon égale vainqueurs et vaincus. La structure démocratique et toute nouvelle de l’Allemagne n’était pas de taille à supporter une telle charge, et sous la pression d’une situation économique sans cesse plus critique et de tensions intérieures sans cesse grandissantes, on en arriva au mois de février 1932 à la formation du cabinet Papen.

Ici commencent des développements politiques que je suis heureux de pouvoir justifier devant ce Tribunal. Je voudrais encore adresser une simple prière à ce Tribunal. Le Haut Tribunal a décidé que les accusés devaient être brefs, parce que le maréchal Göring a épuisé entièrement l’histoire du national-socialisme. Je prie le Tribunal de considérer qu’ici je ne parlerai pas pour le national-socialisme ; ma défense sera celle de l’autre Allemagne.

Dr KUBUSCHOK

Au moment de l’audition du témoin, il sera aussi nécessaire d’insister sur les détails des événements de 1932 et sur l’activité du témoin comme Chancelier du Reich. L’accusation part du 1er juin 1932, époque de la nomination de M. von Papen comme Chancelier du Reich.

Le Ministère Public voit dans le ministère du chancelier une préparation au Gouvernement de Hitler. La Défense montrera que le Gouvernement Papen a soutenu de façon systématique un programme nouveau et absolument indépendant des idées du national-socialisme, un programme qui procédait des convictions politiques propres à von Papen, convictions auxquelles celui-ci est d’ailleurs resté fidèle par la suite.

LE PRÉSIDENT

Docteur Kubuschok, un avocat n’est pas habilité à faire de déclaration de cette sorte. Vous devez procéder à votre démonstration en questionnant le témoin et les questions doivent être telles qu’elles n’amènent pas les réponses, que la réponse ne soit pas suggérée. Vous nous rapportez ce que le témoin dira. Nous voulons l’entendre du témoin lui-même.

Dr KUBUSCHOK

Monsieur le Président, je voulais simplement souligner que cette période qui précède 1933 nous devons aussi la traiter et, je demande la compréhension bienveillante du. Tribunal. Nous...

LE PRÉSIDENT

Nous n’essayons pas de vous empêcher de-présenter vos preuves. Questionnez le témoin. Mais vous ne devez pas commenter vous-même les faits.

Dr KUBUSCHOK

Témoin, voudriez-vous expliquer au Tribunal quelle était la situation en Allemagne lorsque Hindenburg vous appela, le 1er juin 1932, pour former un cabinet ?

ACCUSÉ VON PAPEN

Avant de répondre à cette question, je demande que l’on permette à l’un des derniers chanceliers du Reich, de faire une brève déclaration sur le Gouvernement présidé par lui. Si et dans quelle mesure la Charte du Tribunal est compatible avec la souveraineté du Reich et de ses divers Gouvernements, cette question sera exposée plus tard par l’un des avocats. Si le Ministère Public traite de mon activité de Chancelier du Reich en 1932, je suppose qu’il veut ainsi tracer un tableau conforme à la vérité historique et juger de ma personnalité dans son ensemble. Pour cette raison je me propose de me prononcer sur ce chef d’accusation. Toutefois, je dois déclarer ici de la façon la plus catégorique que ce Cabinet de 1932 a, selon sa conscience et avec la meilleure foi du monde, gouverné conformément à la constitution et en vertu des droits dévolus au président du Reich en cas de nécessité, à une époque de grave crise intérieure et économique.

C’est un fait historique que l’activité gouvernementale de mon cabinet ne serait même pas justifiable du moindre soupçon d’agissement criminel, comme cela est défini dans la Charte du Tribunal.

Cette constatation, Monsieur le Président, je crois devoir la faire pour défendre l’intégrité de mes collègues ministres, et avant tout celle du président du Reich, le Fedmarschall von Hindenburg, cette dernière grande figure historique qu’ait eue l’Allemagne. En ce qui concerne votre question, le Dr Brüning, mon prédécesseur à ces fonctions, était très estimé de nous tous, et nous l’avions accueilli avec beaucoup d’espoir. Mais à l’époque où il entra en fonctions, survint la grande crise économique, l’érection, pour des raisons politiques, de barrières douanières par l’étranger, l’interruption presque totale de la production et du commerce, pas de devises pour se procurer les matières premières nécessaires, chômage grandissant, la jeunesse est dans la rue, et la crise de l’économie mondiale aboutit à la faillite des banques. Gouverner, ce n’est plus possible que par décrets-lois, c’est-à-dire par le moyen d’actes législatifs unilatéraux du président du Reich. Les allocations de chômage vident les caisses, ce sont des dépenses improductives, qui ne constituent pas la solution du problème. A la suite de l’étendue du chômage, les partis radicaux s’accroissent. La division.politique du peuple allemand atteint son paroxysme. Aux dernières élections pour le Reichstag se présentent trente-deux partis.

Bien sûr, nous avions tous espéré après la guerre, pouvoir édifier en Allemagne, une démocratie classique. La démocratie britannique nous avait servi de modèle. Mais la constitution de Weimar avait donné au peuple allemand une foule de droits qui ne correspondaient pas à sa maturité politique. En 1932, il était depuis longtemps évident que la constitution de Weimar commettait l’erreur de ne conférer au Gouvernement qu’une autorité bien trop restreinte. Je rappelle que la constitution des gouvernements durait souvent pendant des semaines entières, parce que tous les partis voulaient y participer.

En Prusse, depuis 1919, la sociale-démocratie était au pouvoir. Elle se partageait en Prusse, avec le centre, les postes de direction. Un dualisme entre la Prusse, la plus importante des provinces, et le Reich d’autre part, s’affirmait de plus en plus. Mon vœu de voir Brüning revenir à la vieille structure bismarckienne, de le voir à la fois Chancelier du Reich et président du conseil de Prusse, de façon à ce que la politique de la plus grande des provinces fut coordonnée avec celle du Reich, fut décliné par Brüning.

Pendant toutes ces dernières années, rien ne fut fait pour canaliser le mouvement grandissant du national-socialisme c’est-à-dire pour endiguer le mouvement dans un lit de responsabilité politique. Tout ce chaos politique et la constation qu’il fallait faire quelque chose pour permettre au Gouvernement du Reich de gouverner, et rendre le Gouvernement plus indépendant, amena Hindenburg à décider la création d’un cabinet présidentiel indépendant des divers partis, un cabinet dirigé par des techniciens. Les membres de son cabinet étaient tous des techniciens. Von Neu-rath était un vieux diplomate, le ministre de l’Intérieur, Gayl, un vieux fonctionnaire de l’Administration, le ministre de l’Agriculture était directeur général de grosses coopératives agricoles, le ministre des Finances était directeur ministériel de son ministère, le directeur des chemins de fer, Eitz, avait été président d’une compagnie de chemins de fer et tout à l’avenant.

Dr KUBUSCHOK

Est-ce que l’intention de constituer un Gouvernement autoritaire incita les partis à lutter contre cette décision ?

ACCUSÉ VON PAPEN

Le maréchal Hindenburg avait eu une très grande confiance en Brüning ; mais il ne lui a pas pardonné de n’avoir pas réussi, au moment de la réélection de Hindenburg au poste de Président du Reich en 1932, à gagner les partis de droite, partis qui en 1925 avaient élu Hindenburg pour la première fois. A cette époque, en effet, Hindenburg avait été élu malgré l’opposition passionnée du centre et de la gauche. Cette fois-ci, en 1932, il devait être élu précisément par les partis de gauche qui l’avaient combattu et malgré la droite. A ce vieux grand soldat de la guerre mondiale, on avait opposé un soldat inconnu du Stahlhelm. Il va sans dire que cela a beaucoup peiné le Feldmarschall.

Je voudrais attirer l’attention du Tribunal sur le fait que lors de ces élections présidentielles de 1932, Hitler obtint déjà plus de 11.000.000 de voix, c’est-à-dire plus de 30 i/o de l’ensemble des voix allemandes exprimées.

Pourquoi le choix du Feldmarschall s’est porté sur moi comme Chancelier du Reich, je l’ignore. Je puis dire seulement que je n’ai pas bougé le petit doigt pour obtenir cette nomination. Les événements furent les suivants : je rapporte ces faits, Monsieur le Président simplement pour m’opposer au Ministère Public, qui considère la formation de ce cabinet comme le début d’une intrigue de la « Conspiracy ».

Le 26 mai 1932, je me trouvais sur mes terres dans la Sarre. Là, M. von Schleicher, le ministre de la Défense, me fit appeler et me pria de venir à Berlin. Le 27 au soir, j’arrive à Berlin ; le 28 je vais voir M. von Schleicher. M. von Schleicher me dit : « Il y a crise ministérielle, nous cherchons un chancelier ». Il parle avec moi de diverses personnalités, enfin il me dit « Le Président du Reich voudrait que ce soit vous ». Stupéfait, je réponds : « Comment, pourquoi ? » et demande le temps de réfléchir. Le lendemain je discute de la chose avec mes amis.

Le 30 je me rends à nouveau auprès de M. von Schleicher, et lui dis : « Je me suis décidé, je n’accepte pas le poste ». M. von Schleicher me dit : « II n’y a rien à faire, le Président du Reich le souhaite en tout état de cause. » Je réponds à M. von Schleicher « Le Président du Reich se fait probablement une idée fausse des forces politiques que je pourrais lui rallier, en vue de la constitution de ce Gouvernement. Il croit probablement que le centre me soutiendrait dans ma politique. Il ne saurait en être question. »

Dans l’après-midi, ce même jour, je vais voir le chef du parti du Centre ; je lui demande ce qu’il compte faire. Il me dit :

« M. von Papen, n’acceptez pas ce poste car le parti entrerait immédiatement en opposition avec vous. » Je lui réponds : « Je vous remercie, c’est bien ce que je pensais. » Là-dessus, je demande audience à Hindenburg, je lui expose la situation. Hindenburg se lève et me dit : « Je ne vous ai pas appelé pour me gagner avec vous l’appui d’un parti politique quelconque, je vous ai appelé parce que j’entends former un cabinet d’hommes indépendants. » Alors, il me rappela mes devoirs vis-à-vis de ma patrie, et comme je continuais à protester, il me dit : « Vous ne pouvez pas me laisser en plan, moi vieux soldat, lorsque j’ai besoin de vous. » Et je répondis « Dans ces conditions, je ne vous abandonnerai pas et j’accepte. »

Dr KUBUSCHOK

En preuve de cette discussion...

LE PRÉSIDENT

Docteur Kubuschok, le Tribunal pense qu’on pourrait traiter cette question avec un peu moins de détails. Les faits peuvent être exposés sans autant de détails.

Dr KUBUSCHOK

Eh bien, nous allons agir en conséquence. A propos de la discussion avec le chef du Zentrum je renvoie au document n° 1, page 1, je présente la pièce n° 1 du livre de documents n° 1. (Au témoin.) Témoin, on vous a reproché d’avoir intrigué en quelque sorte contre Brüning. Y a-t-il quelque chose de vrai là-dedans ?

ACCUSÉ VON PAPEN

En aucune façon. J’ai déjà dit que j’avais personnellement pour le Dr Brüning, une estime considérable et que jusqu’au jour où M. von Schleicher me fit appeler, c’est-à-dire trois jours avant ma nomination, je n’avais jamais envisagé pouvoir être appelé à devenir le successeur de Brüning.

Dr KUBUSCHOK

Avez-vous parlé au préalable à Hitler du Gouvernement que vous alliez fonder ?

ACCUSÉ VON PAPEN

Non. C’est là une supposition absolument erronée de la part du Ministère Public. L’histoire de la NSDAP, par Volz, qui l’affirme, il s’agit du document PS-3463, est un travail purement personnel et vraisemblablement prescrit par Goebbels et son ministre. Je précise que sur le vœu du Président du Reich la constitution de mon Gouvernement devait s’imposer comme un fait accompli sans aucun pourparler avec un parti quelconque ou avec un chef de parti quelconque.

Dr KUBUSCHOK

N’avez-vous pas promis au préalable à Hitler la dissolution du Reichstag ?

ACCUSÉ VON PAPEN

Voilà également une assertion du Ministère Public qui ne correspond pas à la vérité. Je n’ai pas discuté au préalable la dissolution du Reichstag avec Hitler car le Reichstag fut dissout le 4 juin et je n’ai vu Hitler pour la première fois de ma vie que cinq ou six jours plus tard. La dissolution du Reichstag était en soi normale car le nouveau Gouvernement souhaitait pouvoir connaître l’opinion des électeurs sur le cours pris par les événements et sur le programme du Gouvernement.

Dr KUBUSCHOK

Quels étaient les buts politiques de votre cabinet ? Veuillez nous l’indiquer simplement à grands traits.

ACCUSÉ VON PAPEN

Le problème au centre de nos préoccupations était la question économique. La grande misère économique et le million et demi de jeunes chômeurs, les 6.000.000 à

7.000.000 de chômeurs totaux, les 12.000.000 à 13.000.000 de chômeurs partiels, tous les efforts des prédécesseurs pour remédier à ces problèmes, avec des solutions purement gouvernementales, étaient absolument insuffisants. Cela grevait les finances et sans donner de résultats. Le but de mon Gouvernement fut de ce fait de mettre en jeu l’économie privée pour arriver à une solution de ces problèmes. Nous voulions remettre en mouvement l’appareil de production. Avec un budget de 2.200.000.000 de Mark et en plus, au cours de l’année, arriver à occuper avec ce processus 1.750.000 ouvriers. Un tel programme n’aurait pu être discuté avec les partis. Le but politique que nous poursuivions était, en même temps que la réorganisation de l’économie, d’obtenir la collaboration pratique du plus fort des partis d’opposition, à savoir le parti national-socialiste.

Tel était le problème principal de la politique intérieure allemande. Et il en résultait à la vérité qu’avec les gouvernements nationaux-socialistes de Thuringe, de Brunswick et d’Oldenbourg, on pouvait procéder à cette tentative sans risquer des menées révolutionnaires. Je pouvais donc espérer, grâce à mon programme national et social, obtenir l’acceptation du Reichstag.

Dr KUBUSCHOK

A propos de la déclaration du Gouvernement je renvoie au document n° I, cote d’audience n° 1, pages 2 et 3. Vous avez dit tout à l’heure que la solution du problème social était la tâche principale de votre Gouvernement. Voudriez-vous indiquer brièvement comment vous envisagiez ce problème et comment vous avez essayé de le résoudre.

ACCUSÉ VON PAPEN

Je crois que dans aucun pays au monde le problème des rapports du capital et du travail ne s’est posé avec une telle acuité que chez nous, à la suite de l’industrialisation à outrance et de l’aliénation du sol. Les raisons en sont connues ; je n’ai pas besoin d’en parler. Mais l’une de ces raisons que l’on ignore généralement était l’inflation allemande, inflation qui avait détruit toutes les valeurs mobilières en Allemagne. Cette inflation avait enlevé leurs économies et leurs biens à la classe moyenne et à la classe ouvrière, la force vive de la nation et avait prolétarisé les ouvriers, les artisans, la classe moyenne.

Parallèlement à cette transformation sociale qui avait lieu en Allemagne, chez notre grand voisin, un nouvel ordre social était né, avec une société sans classes, un État totalitaire. Les puissances démocratiques dans le monde se défendaient contre l’exportation d’un tel système. Elles prenaient des mesures de sécurité dans le domaine économique, mais ces mesures de sécurité le « New Deal » et « Ottawa » affaiblissaient d’autant plus la position de l’Allemagne.

LE PRÉSIDENT

Docteur Kubuschok, j’espère que l’accusé se rend compte que tout cela est bien connu du Tribunal et que tous ces détails sont inutiles.

ACCUSÉ VON PAPEN

Je voulais simplement montrer au Tribunal que ce problème social était à la base de toute cette affaire aux développements historiques.

Dr KUBUSCHOK

Sur la question sociale se greffe également la question du développement du parti national-socialiste. C’est à la lumière de cet exposé que le témoin voudrait prendre position sur ce sujet par la suite. (Au témoin.) Témoin, vous avez déclaré précédemment que vous n’êtes pas entré en contact avec Hitler avant la constitution du Gouvernement. Quand avez-vous vu Hitler pour la première fois et quels accords avez-vous conclus avec lui à cette occasion ?

ACCUSÉ VON PAPEN

J’ai déjà dit avoir vu Hitler pour la première fois le 9 ou le 10 juin. Cet entretien avait pour but d’établir sous quelles conditions Hitler serait prêt à tolérer mon Gouvernement. Mon programme comportait tant de points intéressant le social qu’une acceptation de ce programme par le national-socialisme était très vraisemblable. La seule exigence de Hitler avant d’accepter un tel programme était la suppression de l’interdiction pour les SS de porter leur uniforme c’est-à-dire l’égalité politique avec les autres partis pour son parti. J’ai accepté à l’époque cette exigence d’autant plus facilement que l’interdiction des SS constituait une injustice manifeste de la part du Gouvernement Brüning. On avait interdit les SS, les SA, mais les formations en uniforme des socialistes et des communistes, à savoir le « Front rouge » et la « Bannière du Reich » n’avaient pas été interdites. Le résultat de ma promesse à Hitler fut que ce dernier s’engagea à accepter mon Gouvernement.

Dr KUBUSCHOK

Je voudrais simplement rectifier un lapsus du témoin. Il parlait de SS, mais voulait dire SA. Il n’y avait pas de SS à ce moment-là.

Je renvoie au document n° 1, page 3. Il s’agit là d’une déclaration du Président du Reich à propos de la levée de l’interdiction des SA. Le Président du Reich attire l’attention sur le fait qu’il a levé cette interdiction à la condition expresse que toute violence cesse à l’avenir. Il déclare, en outre, être résolu à sévir contre tout abus en se servant des moyens prévus par la constitution au cas où son attente ne se réaliserait pas. (Au témoin.) Voulez-vous, témoin, nous indiquer brièvement les efforts déployés par vous et le déroulement de la conférence de Lausanne, en juin 1932, qui eut une si grande influence sur le développement du mouvement national-socialiste.

ACCUSÉ VON PAPEN

Je vous prie de me permettre d’entrer dans quelques détails de cette conférence car son résultat a effectivement rapport avec le formidable accroissement du parti national-socialiste immédiatement après.

Cette conférence avait été préparée de longue date, on le sait. Elle devait abroger les réparations. Mais je m’étais rendu à Lausanne avec des projets bien plus vastes et de grands espoirs. La suppression des réparations était pour ainsi dire entendue « cause jugée » mais, par contre, ce à quoi il était nécessaire d’arriver, c’était de supprimer le malaise moral qui régnait en Allemagne, si l’Europe voulait retrouver son bien-être par l’ordre et la paix. Ce mécontentement avait plusieurs causes. L’Allemagne était devenue une nation de second ordre. D’importants attributs de sa souveraineté lui avaient été ravis. Pas de souveraineté militaire, la Rhénanie sans protection, le Corridor, la Sarre, etc. J’ai déjà décrit la situation économique. Cette misère économique et politique des conditions avait conduit au radicalisme et les extrémistes accroissaient le nombre de leurs voix à chaque élection. Si par conséquent une aide devait être apportée, non seulement la question des réparations devait être résolue, aide toute négative, mais encore une aide positive, une aide morale devait être fournie à l’Allemagne.

Mon programme visait au rétablissement de la souveraineté du Reich. Premièrement il fallait que le fameux paragraphe 231 du Traité de Versailles fut abrogé. C’était le paragraphe établissant la responsabilité exclusive de l’Allemagne dans la guerre. Les historiens de tous les pays avaient depuis longtemps établi que nous n’étions pas les seuls responsables.

En second lieu, il fallait nouer des relations confiantes avec la France.

LE PRÉSIDENT

Docteur Kubuschok, le Tribunal ne pense pas que ce soit très important.

ACCUSÉ VON PAPEN

Tout à fait brièvement je voudrais...

Dr KUBUSCHOK

Dans ce cas, me permettrez-vous de déclarer, je m’en tiens aux généralités, que les événements de 1932, tant en politique intérieure qu’extérieure, donnent la clé de cet accroissement du national-socialisme, qui a mené en fin de compte au 30 janvier 1933, et permettent de le juger.

Si nous traitons ici des différentes questions, il pourra se faire que nous y revenions lorsque nous parlerons des événements de 1933. Cela nous permettra je crois de gagner du temps. Je prie par conséquent le Tribunal de bien vouloir permettre une discussion-un peu plus détaillée des faits de cette époque.

ACCUSÉ VON PAPEN

Je serai aussi bref que possible, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Nous ferions bien de passer maintenant à 1933, comme vous le suggériez tout de suite. Ne proposiez-vous pas de passer maintenant à 1933 et si nécessaire de revenir à 1932.

Dr KUBUSCHOK

Non, je n’ai pas proposé cela. Je disais que la discussion des événements de 1932 constituait la clé du développement du parti national-socialiste et de la formation du Gouvernement de Hitler.

LE PRÉSIDENT

Mais l’accusé traite de ces événements de 1932 depuis déjà pas mal de temps. Il me semble que nous pourrions bien maintenant passer à ce qui se rapporte au parti national-socialiste.

ACCUSE VON PAPEN

J’y arrive tout de suite, Monsieur le Président. Je voulais simplement dire qu’à Lausanne j’ai exposé tous ces thèmes en m’efforçant de faire comprendre la situation intérieure de l’Allemagne. Je me suis entretenu avec le président du conseil français, Herriot, sur l’abrogation de ce fameux paragraphe. J’ai discuté avec lui d’un pacte consultatif, mais rien n’a été conclu pour des raisons que je n’ai pas l’intention de développer et en fin de compte les résultats de la conférence de Lausanne furent en tout cas négatifs, en ce sens que les élections qui suivirent en Allemagne...

Dr KUBUSCHOK

Quel fut le point de vue défendu par vous dans la question du réarmement ?

ACCUSÉ VON PAPEN

J’ai également précisé mon point de vue sur la question du réarmement qui jouait un rôle évidemment, en 1933 déjà, à Lausanne. J’en ai parlé au Premier ministre Mac Donald et à M. Herriot. Par la suite, dans un entretien avec M. Herriot, j’ai défini ce point de vue, tel qu’il est consigné. Il s’agit du document 55. Dans ce document je déclare qu’il ne s’agit pas d’un réarmement de l’Allemagne, et que c’est aux autres nations de tenir leur promesse en matière de désarmement. Il n’est pas question du réarmement allemand, mais d’une égalité de droits pour l’Allemagne, d’une égalité de traitement. Je me dispense de citer plus avant ce document. Il se trouve entre les mains du Tribunal, document n° 55.

Dr KUBUSCHOK

Je soumets ce document comme preuve sous le numéro 55 et je me réfère maintenant au document 1, qui a déjà été versé au dossier, page 9, et au document 6 que je soumets comme pièce n° 3 et je renvoie à la page 22.

ACCUSÉ VON PAPEN

A la fin de la conférence de Lausanne j’avais dit MM. Mac Donald et Herriot : « Vous devez m’octroyer un succès de politique étrangère, car mon Gouvernement est le dernier gouvernement bourgeois en Allemagne. Après moi des extrémistes de droite ou de gauche prendont le pouvoir. » Mais on ne voulait pas me croire et je suis rentré de Lausanne avec seulement un demi-succès.

LE PRÉSIDENT

Je crois que le moment est propice à une suspension d’audience.

(L’audience est suspendue.)
Dr KUBUSCHOK

Vous avez déclaré, témoin, que le résultat de la conférence de Lausanne ne correspondait pas aux espoirs que vous aviez fondés en elle. Pourquoi, malgré cela, avez-vous apposé votre signature sous l’accord de Lausanne ?

ACCUSÉ VON PAPEN

Je devais signer parce que sans cela la conférence échouait et l’Allemagne était placée en face d’un néant économique. D’autre part on se trouvait à la veille des élections au Reichstag et je devais essayer de tirer le maximum de la situation.

Dr KUBUSCHOK

A ce propos, je verse au dossier le document 7 qui devient la pièce Papen n° 4. Il s’agit d’une déclaration de Papen au journal de la province de Trêves, en date du 12 juillet 1932, et à propos de Lausanne, je me permets de citer un court passage de la fin de cet article. Papen déclarait :

« ... Mais pas plus que nous ne pouvons par un acte unilatéral retirer les signatures données depuis 1918 par les précédents gouvernements nous ne pouvons renier les engagements solennels pris au nom du peuple allemand... »

LE PRÉSIDENT

Quel est ce document ? Vous dites : document n° 7 ?

Dr KUBUSCHOK

Document n° 7, page 23, du livre de document n° 1.

LE PRÉSIDENT

Vous le soumettez comme pièce n° 4.

Dr KUBUSCHOK

Comme pièce n° 4 : « ... nous ne pouvons pas plus renier les engagements solennels pris au nom du peuple allemand par les partis qui se trouvaient au pouvoir à l’époque. Le gouvernement actuel avait tout simplement à liquider une situation qui avait été créée par tous les gouvernements précédents, depuis la signature du Traité de Versailles. A la question de savoir si cette situation peut être réglée par l’Allemagne en contestant la valeur de sa signature, et elle contreviendrait par là même aux règles adoptées par les états civilisés et à leurs lois, je dois répondre par un non catégorique. »

En citant ce passage, je me permets d’attirer votre attention sur le fait que cette prise de position, dirigée en particulier contre la propagande nationale-socialiste était, dans la conjoncture d’alors, particulièrement remarquable. (Au témoin.) Le 18 juillet 1932, le ministre de l’Intérieur du Reich prenait un arrêté interdisant toute manifestation, cela comme vous l’avez déjà indiqué, après avoir abrogé l’interdiction le 16 juin, pour les nazis de porter l’uniforme. Quelles ont été les raisons qui ont motivé cette nouvelle interdiction de toute manifestation ?

ACCUSÉ VON PAPEN

Les conditions posées par Hindenburg avant d’abroger cette interdiction pour les nazis de porter l’uniforme, n’avaient pas été respectées. Les réunions électorales avaient un caractère de plus en plus brutal et c’est ainsi que je me décidais à proposer au Président du Reich, cette interdiction de toute manifestation. A la différence de l’interdiction sur les uniformes, cette interdiction touchait également tous les partis. Elle s’appliquait non seulement aux SA, mais aussi aux formations de combat de tous les autres partis.

Dr KUBUSCHOK

J’en viens maintenant au 20 juillet 1932. Le Ministère Public caractérise votre attitude, à partir de cette date, comme celle d’un conspirateur. Le témoin Severing a également fait des déclarations détaillées à ce sujet. Qu’est-ce qui vous a incité à agir comme vous l’avez fait le 20 juillet 1932 ?

ACCUSÉ VON PAPEN

Mon attitude se justifiait par la nécessité de rétablir des conditions normales. J’avais reçu des informations relatives à une action concertée du service de police du ministère de l’Intérieur de Prusse et des communistes. La situation du Gouvernement du Reich à Berlin doit être tout particulièrement prise en considération en l’occurrence, car je ne sais si le Tribunal connaît son statut constitutionnel. Le Gouvernement du Reich à Berlin ne constituait pas un secteur jouissant de l’exterritorialité, comme Washington, DC, par exemple. Ce secteur était sous l’autorité de la Police d’État de Prusse. Ma propre surveillance, celle du Chancelier du Reich étaient confiée à la Police prussienne. En conséquence, si entre le ministère de la Police de Prusse et les communistes, il y avait collusion, la sécurité du Gouvernement du Reich était mise en danger. Cette action contre le Gouvernement de Prusse n’était en rien politique et nullement dirigée contre le socialisme ; il n’y eut pas non plus de nazification de la police républicaine comme l’a déclaré ici le témoin Severing. Les fonctionnaires, à l’exception de quelques hauts placés, restèrent tous en place. La situation, telle que je l’envisageais, je l’ai dépeinte le 20 juillet au soir dans une allocution radiophonique au peuple allemand. Le Tribunal la trouvera au document n° 1, page 4, je m’abstiendrai de la citer.

Dr KUBUSCHOK

J’attire maintenant l’attention du Tribunal sur le document n° 2 que je verse au dossier comme pièce n° 5 ; je renvoie à la page 15 où le témoin von Papen se prononce à la radio, sur la nécessité de ces mesures. (Au témoin.) Est-ce que votre intervention du 20 juillet a été considérée par la juridiction suprême de l’Allemagne, c’est-à-dire, le conseil d’État allemand et a-t-on pris une décision à ce sujet ?

ACCUSÉ VON PAPEN

Oui, le cabinet prussien a intenté un procès au Gouvernement du Reich devant le tribunal du Reich à Leipzig et alors la question fut examinée suivant les règles. Le jugement justifiait entièrement l’action entreprise par le Président du Reich. Il est donc impossible que le Ministère Public puisse qualifier cette action de « putsch ».

Dr KUBUSCHOK

J’attire l’attention du Tribunal sur le document n° 8 que je verse au dossier comme pièce n° 6, il s’agit d’un extrait... excusez-moi.

LE PRÉSIDENT

Docteur Kubuschok, est-il nécessaire que vous donniez aux documents des numéros d’exhibits qui s’écartent des numéros de ces documents ? Cela peut prêter à confusion. Chacun des documents porte en haut un numéro, par exemple 1, 2, 3 et ainsi de suite, et ils se suivent de façon correcte.

Dr KUBUSCHOK

C’est avec plaisir que je m’en tiendrai à la suggestion du Tribunal et que je conserverai les mêmes numéros. Ce document n° 5 portera donc également le numéro d’exhibit 5.

LE PRÉSIDENT

Cela prêterait moins à confusion, je crois si vous pouviez le faire.

Dr KUBUSCHOK

Oui, certainement, Monsieur le Président. Cette pièce n° 5 est constituée par un extrait de l’arrêt du conseil d’État en date du 25 octobre 1932. Au début de la page 19 figure le dispositif de l’arrêt où l’on dit expressément que l’ordonnance du Président du Reich, en date du 20 juillet 1932, est légale. (Au témoin.) Comment le Gouvernement prussien et en particulier le ministre-président Braun ont-ils réagi contre cet arrêt ?

ACCUSÉ VON PAPEN

Le Gouvernement de Prusse et le ministre-président ont formellement reconnu cet arrêt. C’est ce qui ressort de conversations que j’ai personnellement eues plus tard avec le ministre-président de Prusse, en octobre.

Dr KUBUSCHOK

Au sujet de l’attitude adoptée par le Gouvernement prussien, je verserai le document n° 86 qui figure au troisième volume de mon livre de documents qui, par suite de difficultés techniques, n’est pas encore entièrement traduit et de ce fait pas encore présenté. (Au témoin.) Témoin, le 29 juillet 1932, vous vous êtes prononcé de façon détaillée devant un représentant de l’United Press, sur la question du réarmement. Comme c’est une question extrêmement importante, dans votre cas, je vous prie de vous prononcer à ce sujet.

ACCUSÉ VON PAPEN

Je voudrais préciser mon point de vue sur la question des armements parce que ce point de vue est le même que celui que j’ai adopté à l’époque où j’étais vice-chancelier dans le Gouvernement Hitler. Je vous renvoie au document n° 1, mon interview à l’United Press et je cite un passage du document 86, une allocution radiodiffusée que j’ai prononcée le 12 septembre ; j’y déclare : « L’armement, nous voulons... »

Dr KUBUSCHOK

Peut-être, témoin, pourriez-vous en quelques mots nous en indiquer le contenu ?

ACCUSÉ VON PAPEN

Oui. Si le Tribunal veut bien prendre connaissance du document 86, qui est constitué par mon discours, il s’apercevra que je parlais en faveur du désarmement et de la paix. J’adressais un appel aux grandes puissances et leur disais — et là je cite la phrase —  :« Ces jours-ci, l’Allemagne entreprend un gigantesque effort par la mobilisation de ses dernières réserves intérieures, pour trouver du travail et créer un climat d’apaisement social. Ceci nous donne le droit de demander aux chefs d’État des grandes Puissances, de prendre de leur côté la décision de mettre fin à cet empoisonnement des relations extérieures que provoquaient des traités que l’on ne peut pas observer. »

Dr KUBUSCHOK

Le 31 juillet 1932, on a procédé aux élections pour le Reichstag. Je me permets tout d’abord de soumettre au Tribunal un schéma présentant les résultats des différentes consultations électorales entre les années 30 à 33. Il s’agit de la pièce n° 98 que je verse au dossier. Des chiffres, ressort l’évolution politique intérieure de l’Allemagne. (Au témoin.) Témoin, quel a été le résultat des élections et quelles sont les conclusions politiques que, vous avez tirées de ce résultat ?

ACCUSÉ VON PAPEN

La veille des élections, le 31 juillet j’ai parlé aux États-Unis et je déclarai : « Le monde ne se rend pas compte que l’Allemagne est à la veille d’une guerre civile. Le monde ne nous a pas aidés à Lausanne à surmonter nos difficultés et il est intolérable que quatorze ans après la fin de la guerre, il n’y ait pas encore égalité des droits pour nous. »

Les élections du 31 juillet apportèrent aux nationaux-socialistes une augmentation de voix de plus du double — de 6.400.000 à 13.700.000 — deux cent trente mandats au Reichstag contre cent dix précédemment. Les conclusions à tirer de ces résultats : on ne pouvait pas former une majorité, de l’extrême-droite à la sociale-démocratie, en laissant de côté la NSDAP, c’est-à-dire que le parti national-socialiste avait conquis la position-clé du Parlement.

Le Ministère Public attribue l’accroissement du nombre des voix nazies à l’abrogation de l’interdiction de porter l’uniforme c’est là une explication qui pèse vraiment trop peu. En fait l’inter diction de porter l’uniforme avait été levée entre le 16 juin et le 18 juillet et deux semaines déjà avant les élections, j’avais de nouveau décrété l’interdiction de toute manifestation. La vraie raison de l’accroissement des voix nazies fut la situation économique désespérée de l’Allemagne et la déception générale à la suite du demi-succès de politique extérieure à Lausanne.

Dr KUBUSCHOK

Quelles sont les conclusions que vous avez tirées de ces événements ?

ACCUSÉ VON PAPEN

Mes conclusions ne furent pas différentes de mon opinion antérieure. Le lendemain j’accordais une interview à l’Associated Press et dans cette interview, je déclarais au monde entier : « les nationaux-socialistes doivent répondre de la chose et quand ce sera fait, il faudrait procéder à une réforme de la constitution. »

Dr KUBUSCHOK

En ce qui concerne les événements historiques je me réfère à la pièce n° 1 déjà versée et en particulier aux pages 4, 5 et 6. (Au témoin.) Témoin, voulez-vous donner au tribunal un bref aperçu de vos négociations avec Hitler.

ACCUSÉ VON PAPEN

Pour lui faire part de mon opinion j’eus avec Hitler un long entretien le 12 août. Je soulignais la nécessité de sa participation. J’étais prêt à abandonner dans quelques mois le poste de chancelier si cette collaboration devait s’avérer féconde, et lorsqu’il aurait gagné la confiance de Hindenburg. Les partis de droite, comme on le sait, avaient soutenu mon Gouvernement. Le centre était dans l’opposition. Maintenant après les élections, le parti du centre veut voir Hitler devenir chancelier, mais celui-ci ne veut pas devenir le chef d’un Gouvernement de coalition.

L’exactitude de l’exposé que je viens de faire est attestée par le document n° 1, page 6, premier alinéa, dernière ligne. Je cite : « Kaas, chef du parti du centre, exige la résorption totale de la crise par l’incorporation dans le Gouvernement du Reich de l’ancienne opposition, devenue responsable. »

Je propose alors à Hitler d’entrer dans mon cabinet comme vice-chancelier et Hitler refuse. Le lendemain nous continuons à négocier en présence du Président du Reich. Hitler formule devant le Président du Reich l’exigence de participer avec son mouvement au Gouvernement, mais à la condition de devenir lui-même chancelier. C’est ce qui ressort du document cité à la page 6.

Dr KUBUSCHOK

II s’agit du document n° 1, page 6,Messieurs.

ACCUSÉ VON PAPEN

Le Président du Reich ne croyait pas devoir transférer la totalité des pouvoirs à Hitler et il rejeta cette proposition, ce qui fit échouer nos efforts pour faire participer le mouvement national-socialiste à un gouvernement responsable.

Dr KUBUSCHOK

L’accusé von Papen s’est prononcé à ce sujet dans un discours à Munich qui apparaît au livre de documents, pièce n° 1, pages 10 et 11. Après l’échec de ces négociations, les nationaux-socialistes manifestèrent une opposition très violente au Gouvernement. Est-ce que cela vous amena à changer quelque chose de votre politique ?

ACCUSÉ VON PAPEN

L’attitude d’opposition des nazis à mon Gouvernement n’a rien changé à mon attitude politique de principe. J’en ai parlé en détail le 28 août à Munster.

Dr KUBUSCHOK

Ce discours est contenu dans le document n° 1, pièce n° 1, page 7. Je vous renvoie également à cette page, à un passage contenant un jugement du Tribunal spécial de Beuthen. C’est là que fut prononcée la première condamnation à mort conformément à l’ordonnance du 9 août relative aux terroristes. Cette ordonnance que le Ministère Public veut imputer à l’accusé von Papen eut pour première conséquence la condamnation à mort de cinq nationaux-socialistes. (Au témoin.) Le 4 septembre, vous avez signé un décret-loi pour ranimer l’économie. Comme ce décret-loi est une des œuvres maîtresses de votre Gouvernement, en vue de résoudre la question économique, je vous prie de donner des détails à ce sujet.

ACCUSÉ VON PAPEN

J’ai déjà parlé de ce décret-loi et déclaré qu’il impliquait un programme représentant 2.200.000.000 de Reichsmark et visant à procurer du travail à 1.750.000 ouvriers.

Nous avons entrepris ce gigantesque effort sans augmenter d’un seul sou notre dette à l’étranger. Il s’agissait, permettez-moi de caractériser la chose par ces mots, d’une suprême mobilisation de nos dernières réserves d’énergie.

Le succès s’est déjà fait sentir le premier mois, où le nombre des chômeurs diminua de 123.000.

Dr KUBUSCHOK

En un mois dites-vous ?

ACCUSÉ VON PAPEN

En un mois.

Dr KUBUSCHOK

Est-ce que dans le cadre des efforts entrepris pour procurer du travail aux gens on s’efforça de réarmer ?

ACCUSÉ VON PAPEN

Nullement, mon Gouvernement n’a pas dépensé un sou pour l’armement.

Dr KUBUSCHOK

Les détails sur ce décret-loi sont contenus dans le document n° 1 aux pages 8 et 9. (Au témoin.) Pourquoi le 12 septembre a-t-on procédé à nouveau à la dissolution du Reichstag ? Que disiez-vous à ce sujet au soir de l’événement dans une allocution radiodiffusée ?

ACCUSÉ VON PAPEN

Le nouveau Reichstag se réunit conformément à la constitution. Mon Gouvernement, comme je l’ai expliqué, ne pouvait pas obtenir de majorité, et un autre Gouvernement sans Hitler était impossible. C’est pourquoi mes espoirs étaient bien justifiés de voir le Reichstag accorder à mon Gouvernement un délai pendant lequel il pourrait faire ses preuves, d’autant plus que j’avais présenté au Parlement un programme économique d’envergure décisif. Mais c’est alors que se place un épisode inattendu, inouï, une sorte de prostitution du parlement allemand. M. Göring, président du Reichstag allemand, donna la parole à la députée communiste Clara Zetkin qui attaqua à fond mon Gouvernement. Lorsque, en ma qualité de chancelier responsable de ce Gouvernement, je demandai la parole pour rendre compte de mes intentions, on me la refusa et le président du Reichstag fit procéder au vote d’une motion de méfiance, déposée par les communistes, les socialistes et les nationaux-socialistes.

Cette motion présentée de concert par les trois partis cités, montrait bien à la vérité ce qui devait arriver à l’Allemagne toutes les fois que ces trois partis gouverneraient ensemble, et montrait aussi à quel point il était nécessaire que j’essaie de ne pas repousser les nationaux-socialistes vers la gauche, mais de les attirer dans mon Gouvernement. J’étais forcé de poser sur la table l’ordre de dissolution du Reichstag et de m’éloigner.

Dr KUBUSCHOK

Le document n° 1, à la page 8, donne des indications sur ces faits historiques de même que le document n° 86 annoncé, mais pas encore présenté et ce à la page 192. (Au témoin.) Dans un discours à Munich, le 12 octobre, vous avez également parlé de la question de la révision de la constitution. Je vous prie de nous donner un bref aperçu des vues que vous avez défendues à cette occasion.

ACCUSÉ VON PAPEN

La révision de la constitution, comme je l’ai déjà mentionné, était un des buts les plus immédiats de mon Gouvernement. Je justifie cette révision dans le document n° 1 à la page 9. Cette réforme devait impliquer une réforme du système électoral, pour en finir avec cette multiplicité des partis, et elle devait également créer une première chambre. Avant tout, elle devait conférer au Gouvernement plus d’autorité et les moyens de gouverner plus que ne l’avait rendu possible la constitution de Weimar.

Dr KUBUSCHOK

A ces explications je voudrais ajouter que la réforme de la constitution que les circonstances commandaient d’abroger... que les mesures gouvernementales furent purement et simplement prises en vertu de l’article 48 du décret-loi. Jusqu’à quel point ce fut bien le cas, c’est ce qui ressort du document n° 4 qui donne un résumé de la masse des décrets-lois promulgués. (Au témoin.) Témoin, le 6 novembre 1932 eurent lieu les élections pour le Reichstag. Quel était le mot d’ordre électoral de votre Gouvernement ? Et quelles étaient vos vues sur le résultat de ces élections ?

ACCUSÉ VON PAPEN

Malheureusement, nous étions une fois de plus, obligés de procéder à des élections. Le programme de mon Gouvernement était le même qu’auparavant, c’est-à-dire, que nous voulions mettre sur pied un nouveau gouvernement, un gouvernement autoritaire agissant de concert avec un Parlement actif.

Dans mon appel aux électeurs, le 4 novembre, je m’adressais à Hitler et lui disais :

« C’est le caractère exclusif de votre mouvement, vos prétentions à tout ou rien, que le Président du Reich ne pouvait pas reconnaître qui l’ont amené à sa décision du 13 août. Aujourd’hui il ne s’agit pas de savoir si c’est tel ou tel chef de parti qui occupera le poste de chancelier qu’il s’appelle Brüning, Hitler ou Papen. Il y va de la nécessité de nous regrouper pour assurer l’existence du peuple allemand. »

J’escomptais à la suite de ces élections un tel affaiblissement des nationaux-socialistes contre lesquels je luttais, un affaiblissement tel que le parti serait dépossédé de sa positon-clé d’arbitre au parlement.

Dr KUBUSCHOK

Quel fut le résultat ?

ACCUSE VON PAPEN

Le résultat escompté ne fut pas obtenu. Les nationaux-socialistes perdirent bien trente-quatre sièges, mais cela ne fut pas suffisant pour les évincer de leur position-clé, car, de nouveau, la formation d’une majorité au Reichstag, depuis les socialistes jusqu’à l’extrême-droite, n’était possible qu’avec Hitler ; Sans lui, point de majorité. Pour nous mettre en mesure de continuer à gouverner conformément à la constitution, j’entamais encore une fois des négociations avec les partis et avec les nationaux-socialistes.

Dr KUBUSCHOK

Voulez-vous, je vous prie, nous donner un aperçu de ces négociations.

ACCUSÉ VON PAPEN

Ces négociations sont intéressantes et le Tribunal doit les connaître pour pouvoir juger les événements du 30 janvier 1933.

J’ai tout d’abord essayé de résoudre la question des partis qui menaient l’opposition contre mon Gouvernement et les sociaux-démocrates et le parti du centre en particulier. Le centre adopte une attitude négative. Il désire un Gouvernement de majorité avec Hitler et M. Hitler ne veut pas gouverner avec des majorités parlementaires.Du document n° 2, à la page 13, ressort la position du centre.

Après que toute participation de Hitler à un gouvernement de majorité eut été exclue, je m’adressai encore une fois à Hitler, pour lui demander s’il était maintenant prêt à entrer dans mon gouvernement. Je le fis, conscient de mes responsabilités, par désir d’arriver à quelque résultat. C’est pourquoi j’écrivis ma lettre du 13 novembre 1932, le document D-633, présenté par le Ministère Public comme un document « dépourvu de dignité », parce qu’après tous mes échecs je m’adressais encore une fois à Hitler. Dans cette lettre donc, je lui disais :

« Je considérerais manquer à mon devoir si malgré tout je ne me tournais pas vers vous. Je suis d’avis que le chef d’un mouvement si important qui a tant mérité, je l’ai toujours reconnu, de sa patrie et du peuple, malgré toutes les critiques à formuler, ne devrait pas refuser un entretien avec un homme d’État responsable ».

Dr KUBUSCHOK

Le 8 novembre, vous vous êtes adressé encore une fois à la presse étrangère et avez parlé des questions de politique étrangère...

ACCUSÉ VON PAPEN

Puis-je vous interrompre !

Dr KUBUSCHOK

Je vous en prie.

ACCUSÉ VON PAPEN

Je voudrais encore ajouter en ce qui concerne le jugement porté sur cette lettre par le Ministère Public par M. Barrington, que c’est pourtant la coutume, dans tous les pays parlementaires, lorsque le chef du Gouvernement s’adresse à l’opposition pour obtenir sa collaboration, d’écrire au chef de cette opposition une lettre courtoise et amicale et de ne pas le traiter d’âne. Je ne sais donc pas pourquoi on a prétendu que ma lettre était dépourvue de dignité.

Dr KUBUSCHOK

Le 8 novembre, vous vous êtes adressé à la presse étrangère et vous avez parlé de la révision du Traité de Versailles. Voulez-vous brièvement mentionner quelles furent vos déclarations d’alors.

ACCUSÉ VON PAPEN

Je ne mentionne cette allocution aux représentants de la presse étrangère que pour montrer au Tribunal la fréquence des appels que j’ai adressés à l’étranger, des appels aux puissances victorieuses, leur demandant d’être prêtes à une réconciliation morale, car dans ce cas, Messieurs, les tendances radicales en Allemagne auraient cédé toutes seules.

Dr KUBUSCHOK

Cette allocution à la presse étrangère est contenue dans le document n° 1, page 11 et 12. (Au témoin.) Quelles furent les conséquences de l’échec de vos négociations avec les dirigeants des partis ?

ACCUSÉ VON PAPEN

L’échec de mes négociations avec les chefs des partis et avec Hitler amena ma démission le 17 novembre. Je fus chargé d’assurer les affaires courantes jusqu’à la formation du nouveau gouvernement.

Dr KUBUSCHOK

Quels efforts ont été entrepris par le Président du Reich après le retrait de votre Cabinet, en vue de la formation d’un nouveau gouvernement ?

ACCUSÉ VON PAPEN

Ma démission donna à nouveau au Président du Reich la possibilité d’essayer d’entreprendre la formation d’une nouvelle majorité parlementaire.

Il l’a tenté immédiatement. Le 18 novembre, il recevait les chefs de partis, depuis la droite jusqu’au centre et, le 19, Hitler. Le thème de ces négociations était le suivant : comment arriver à former un gouvernement de majorité parlementaire ? Il chargea Hitler de former un gouvernement de majorité. Hitler serait donc chancelier. Le 23 novembre, Gôring remet la réponse de Hitler à Hindenburg. Cette réponse est ainsi conçue : « Hitler ne peut pas assumer la charge de créer un gouvernement de majorité parlementaire ». Le 24, Hindenburg reçoit Monseigneur Kaas, chef du parti du centre, qui constate que Hitler n’a même pas essayé d’établir s’il était possible de former un gouvernement de majorité. Mais Monseigneur Kaas promet au Président du Reich d’essayer, une fois encore, de former un gouvernement de majorité. Le 25, il annonce à Hindenburg que sa tentative est restée sans résultat. Le chef de la fraction nationale-socialiste, à ce moment-là M. Frick, lui aurait déclaré que le Parti n’était pas intéressé à de telles négociations. Le résultat final : la formation d’un gouvernement de majorité avec Hitler était impossible.

Dr KUBUSCHOK

Y avait-il d’autres possibilités de coalition ?

ACCUSÉ VON PAPEN

Justement non. Il n’y avait que la possibilité d’un Cabinet comme j’en avais formé un, ou la constitution d’un gouvernement de majorité.

Dr KUBUSCHOK

Très bien. En ce qui concerne ces pourparlers, je renvoie au document n° 2, pages 14 et 15. (Au témoin.) Après l’échec des pourparlers entre le Président du Reich et les chefs de partis, le 1er décembre, eut lieu un entretien chez le Président du Reich, entre le général von Schleicher et vous-même. Cette rencontre est particulièrement importante pour l’évolution ultérieure de la situation politique, et empreinte d’un caractère historique manifeste. Je vous prie, par conséquent, de donner les plus amples détails sur cette entrevue.

ACCUSÉ VON PAPEN

Le Feldmarschall priait le général von Schleicher et moi-même de venir le trouver le 1er décembre pour un entretien. Je fais remarquer qu’entre M. von Schleicher et moi, il n’y avait eu au préalable aucun entretien sur les chances de pouvoir former un nouveau gouvernement. M. von Hindenburg nous a demandé de lui faire connaître notre avis. Voici ce que j’ai déclaré : « La tentative d’intégrer le mouvement nazi dans le gouvernement présidentiel de Hindenburg a échoué à deux reprises. Hitler décline également la formation d’un gouvernement de majorité. D’un autre côté, il pratique une politique d’opposition des plus violentes et s’efforce de faire rapporter par le Reichstag toutes les ordonnances prises par mon gouvernement. Si donc il n’est pas possible de former un gouvernement parlementaire ou de faire participer Hitler à notre gouvernement, à un gouvernement présidentiel, sans en faire un chancelier, il en résulte une situation d’exception qui demande des mesures exceptionnelles. Je propose la mise en vacances du parlement pour plusieurs mois, et l’élaboration immédiate d’un projet de réforme de la Constitution, en vue de soumettre ultérieurement cette réforme au Reichstag ou à une assemblée nationale. Cette proposition implique une violation de la Constitution. J’insiste sur le fait que je sais combien un grand soldat, un homme d’État, est attaché à la valeur d’un serment, mais je crois justifiée en conscience cette violation de la Constitution, étant donné la situation exceptionnelle. La Constitution allemande ne prévoit en effet aucun moyen de remédier à une telle situation. » Après quoi, M. von Schleicher prit la parole pour dire :

« Monsieur le Feldmarschall, j’ai un plan qui vous épargnerait la violation du serment que vous avez prêté à la Constitution, pour autant que vous soyez prêt à me confier le Gouvernement, à moi, von Schleicher. J’espère pouvoir constituer une majorité parlementaire au sein du Reichstag et cela, en provoquant une scission dans le mouvement national-socialiste. »

Pendant la discussion de ce plan, je remarquais qu’il me paraissait très douteux que l’on pût provoquer la scission du Parti, qui avait prêté serment à Hitler, et je rappelais au Feldmarschall qu’il devait se libérer de ces fragiles majorités parlementaires, et cela grâce à une réforme de base. Ces propositions étaient jetées par-dessus bord avec le projet Schleicher. La solution de Schleicher était provisoire, et très discutable au surplus.

Dr KUBUSCHOK

Quelle a été la décision du Président du Reich ?

ACCUSÉ VON PAPEN

La décision du Feldmarschall fut peut-être celle qu’il prit le plus difficilement de sa longue carrière. Sans autre justification il me dit :

« Je me décide pour la solution préconisée par M. von Papen et je vous demande d’entamer immédiatement des négociations en vue de la formation d’un gouvernement à qui je puisse confier la tâche impliquée par votre projet. »

L’entretien était terminé.

Dr KUBUSCHOK

Et que fit alors M. von Schleicher ?

ACCUSÉ VON PAPEN

Je n’ai échangé que très peu de mots avec M. von Schleicher, et j’ai essayé de l’amener à se rallier à la décision prise par le Président du Reich. M. von Schleicher s’y refusa. Puis, j’entamais le soir même avec plusieurs de mes ministres des négociations en vue de la formation du nouveau gouvernement. Ces ministres me dirent : « Le plan est excellent, mais M. von Schleicher nous a déclaré qu’il y aura une guerre civile, et s’il y a une guerre civile, la Reichswehr ne sera pas en mesure de maintenir la paix dans le pays ». C’est alors que j’ai interrompu les pourparlers. J’ai réuni le Cabinet le lendemain matin, lui ai décrit la situation, et fait part de la décision de Hindenburg. Et je priai M. von Schleicher de dire dès lors au Cabinet pourquoi il estimait qu’il y aurait une guerre civile, et pourquoi la Reichswehr ne serait pas en mesure de maintenir l’ordre dans le’ pays. M. von Schleicher fit venir un de ses officiers de l’État-Major Général qui déclara au Cabinet que ce cas avait été examiné sur le plan pratique et sur le plan théorique, et qu’il s’était avéré que la Reichswehr et la Police n’étaient pas en mesure de maintenir l’ordre dans le pays. Je déclarai alors à ces messieurs :

« C’est là une situation nouvelle dont je dois rendre compte à M. le Président du Reich ». Je me rendis chez Hindenburg et lui rendis compte de la chose. M. von Hindenburg, profondément ému par cette déclaration, me dit : « Je suis un vieil homme et je ne peux pas supporter l’idée d’une quelconque guerre civile dans mon pays. Si M. von Schleicher est de cet avis, alors, à mon grand regret, je me vois obligé de retirer le mandat dont je vous avais chargé hier au soir ». C’est ainsi que M. von Schleicher fut nommé chancelier, en raison des prévisions dont il avait fait part au président du Reich au cours de l’entretien.

Dr KUBUSCHOK

M. von Schleicher vous a-t-il alors proposé le poste d’ambassadeur à Paris ?

ACCUSÉ VON PAPEN

M. von Schleicher, qui connaissait de longue date l’intérêt que je portais aux relations franco-allemandes, m’a demandé si je voulais devenir ambassadeur à Paris. Cela aurait parfaitement correspondu à mes aspirations, mais le Président du Reich s’est élevé là-contre.

LE PRÉSIDENT

Docteur Kubuschok, le Tribunal estime que cela nous entraîne à trop de détails. Tous ces faits sont historiques et nous ont déjà été rapportés pour la plupart.

Dr KUBUSCHOK

Nous passons maintenant à l’année 1933. Le 4 janvier, eut lieu un entretien entre Hitler et vous-même chez le banquier Schrœder. Le Ministère Public dépeint à proprement parler cet entretien comme le début d’une conspiration commune. Donnez au Tribunal, je vous prie, des détails sur ce qui fut à l’origine de cette entrevue.

ACCUSÉ VON PAPEN

Je me trouvais...

LE PRÉSIDENT

Docteur Kubuschok, pendant toute l’après-midi nous avons entendu parler des dessous de cette conférence. Nous pourrions peut-être entendre parler maintenant de la conférence elle-même.

Dr KUBUSCHOK

On reproche à l’accusé d’avoir été le promoteur des entretiens prétendument commencés le 4 janvier, qui ont amené la formation du Gouvernement du Reich le 30 janvier. Le rôle joué par von Papen en l’occurrence fut d’une importance décisive. C’est pourquoi j’estime vraiment nécessaire qu’il se prononce brièvement sur l’enchaînement de cet entretien.

LE PRÉSIDENT

Les négociations n’ont pas commencé le 4 janvier. L’accusé nous a dit il y a environ deux heures qu’elles avaient commencé le 12 août 1932. Les négociations ont donc commencé plus tôt.

ACCUSÉ VON PAPEN

Je pourrais peut-être, Monsieur le Président, dire rapidement de quoi il s’agit. Cet entretien du 4 janvier dont le Ministère Public prétend que j’aurais profité pour me liguer avec le national-socialisme, avait eu lieu sur l’initiative de Hitler. Au cours de cet entretien, rien ne fut discuté au sujet du renversement du Gouvernement Schleicher, et rien ne fut dit de la formation d’un Gouvernement par Hitler, comme il en fut formé un plus tard, le 30 janvier. Nous nous sommes simplement entretenus de la nécessité pour Hitler de se décider à prendre ses responsabilités, non pas en tant que chancelier, mais pour son parti. Et, Monsieur le Président, le fait que cet entretien n’a pas été mis en scène par mes soins ressort très clairement de la déclaration de M. von Schrœder dans la maison duquel eut lieu cet entretien.

Dr KUBUSCHOK

Ce qui ressort du document n° 9, page 26. (Au témoin.) On vous accuse, témoin, d’avoir discuté de plans pour le renversement du gouvernement Schleicher. Avez-vous caché cet entretien à M. von Schleicher ?

ACCUSÉ VON PAPEN

Tout au contraire, immédiatement après cet entretien à Cologne, j’ai écrit une lettre à M. von Schleicher, qui devait lui parvenir le lendemain. Et, rentré à Berlin, je me suis rendu immédiatement auprès de M. von Schleicher et lui ai expliqué ce dont il avait été discuté au cours de cet entretien. Après quoi, M. von Schleicher publia un communiqué officiel qui constitue le document n° 9.

Dr KUBUSCHOK

Numéro 9 a. Je soumets le document 9 a.

ACCUSÉ VON PAPEN

On y dit : « L’entrevue a démontré le manque absolu de bien-fondé des affirmations fournies par la presse à la suite de cette rencontre, relatives à de prétendues divergences de vue entre le Chancelier du Reich, von Schleicher, et M. von Papen. »

Dr KUBUSCHOK

Est-ce qu’alors, entre les 9 et 22 janvier, vous avez participé à des négociations politiques quelconques pour la formation d’un nouveau gouvernement ?

ACCUSÉ VON PAPEN

Non, entre le 9 et le 22 janvier, je n’ai participé à aucune discussion politique se rapportant à la formation d’un quelconque gouvernement.

Dr KUBUSCHOK

Voulez-vous, je vous prie, indiquer brièvement l’évolution de la situation politique entre les 10 et 21 janvier ?

ACCUSÉ VON PAPEN

Le Ministère Public prétend qu’entre temps, c’est-à-dire entre les 9 et 30 janvier, j’aurais été le promoteur principal du Gouvernement Hitler, formé le 30 janvier. Il ressort d’un tableau chronologique embrassant la période du 11 au 30 janvier, à quel point cette affirmation du Ministère Public est fausse. Je me vois obligé de citer quelques dates. Le 11 janvier, Hitler, est à Berlin. Il n’a vu ni Schleicher, ni Hugenberg, ni Papen, mais le Reichstag décide, par le conseil des Anciens, qu’il conviendrait d’accorder au Gouvernement de Schleicher un délai lui permettant de faire ses preuves. Le 13 janvier, Schleicher reçoit Hugenberg, le chef de la droite. Le 14 janvier, c’est Hindenburg qui reçoit Hugenberg. Nous verrons plus tard que pendant ces deux journées Hugenberg, le chef de la droite, négocia avec Schleicher son entrée dans le Cabinet, et non pas de la formation d’un gouvernement Hitler. Puis, ont lieu, le 15 janvier, les fameuses élections de Lippe, qui donnent au national-socialisme un élan nouveau. Le 20 janvier, le Reichstag — ou plutôt le conseil des Anciens — décide de reporter au 31 janvier la réunion du 24. Le secrétaire d’État du Gouvernement Schleicher déclare à ce sujet que le Gouvernement du Reich à l’intention d’éclaircir aussi rapidement que possible la situation politique. Mais le Gouvernement du Reich ne s’intéresse pas à des questions de majorité. Il en ressort que M. von Schleicher ne comptait plus sur la formation d’un gouvernement de majorité.

Dr KUBUSCHOK

Nous pouvons maintenant abandonner l’évolution politique générale et parler de votre activité personnelle.

LE PRÉSIDENT

Si vous êtes sur le point de traiter un nouveau sujet, nous ferions mieux de lever l’audience.

(L’audience sera reprise le 17 juin 1946 à 10 heures.)