CENT CINQUANTE-SIXIÈME JOURNÉE.
Lundi 17 juin 1946.
Audience du matin.
Plaise au Tribunal. Les accusés Fritzsche et Speer n’assisteront pas aux débats ce matin.
Je vais m’occuper maintenant des événements de janvier 1933 et je tiens à dire que je ne réclamerai plus beaucoup de temps après cela. La suite de l’interrogatoire sera très brève, si bien que j’espère terminer dans la journée.
Témoin, vendredi vous avez déclaré au Tribunal que, lors de votre fameux entretien avec Hitler, le 4 janvier 1933, dans la maison de Schrœder, vous n’avez pas discuté de la formation du cabinet qui a été constitué le 30 janvier. De plus, vous avez déclaré que jusqu’au 22 janvier vous n’avez participé à aucun entretien politique. Le Ministère Public prétend néanmoins que vous avez usé de votre influence sur le Président du Reich en faveur de la nomination de Hitler à la Chancellerie du Reich le 30 janvier. Avez-vous vraiment exercé une influence dans ce sens sur Hindenburg ?
Avant de répondre à cette question, puis-je faire une courte rectification ? Votre Honneur m’a demandé vendredi la date de l’évacuation de Jérusalem. J’ai répondu que c’était en 1918. Votre Honneur disait 1917. C’est vous qui aviez raison. C’était bien en 1917. Je vous demande pardon.
En réponse à votre question, je dirai que je n’ai pas exercé une telle influence sur le Président du Reich, von Hindenburg ; mais même s’il en avait été ainsi, cela n’aurait eu aucun effet prépondérant sur la détermination du Président du Reich. La situation politique, comme nous le verrons, ne donnait au Président que le choix entre une violation de la constitution ou un cabinet présidé par Hitler.
En outre, et je l’ai déjà dit à la fin de la dernière audience, il ressort des événements historiques du mois de janvier, tels qu’ils sont retracés dans le document n° 9, aux pages 27 à 31, que durant tout le mois de janvier et jusqu’au 22 il y eut presque tous les jours des négociations auxquelles je n’ai point participé entre le Gouvernement du Reich et les partis ou entre les partis eux-mêmes ; et ces négociations portaient sur les possibilités de former une majorité au Reichstag. Toutes ces négociations n’eurent aucune suite. J’ai expliqué que le Chancelier du Reich, von Schleicher, s’efforça de trouver une majorité au Reichstag en créant une scission dans le Parti. Cette tentative échoua également le 20 janvier ; et l’opinion publique mondiale s’en rendit compte car ce jour-là le Chancelier du Reich fit déclarer au Reichstag qu’il n’attachait plus d’importance à la formation d’une majorité.
A ce propos, je dois attirer l’attention du Tribunal sur le document n° 9, dans le premier livre de documents. Je me contenterai d’en lire quelques brefs passages à la page 27. Je lis le titre : « 11 janvier, le Chancelier du Reich von Schleicher reçoit Dingeldey, chef du parti populaire allemand ».
A la page suivante, page 28, on voit que le 12 janvier l’espoir d’obtenir une scission dans le parti nazi grâce à Strasser n’avait pas encore été complètement abandonné. Je cite le début de la page :
« En même temps, on apprend aujourd’hui seulement que le Président du Reich a reçu la semaine passée Gregor Strasser pour un entretien. Strasser exprima clairement son intention de rester à l’arrière-plan pour le moment ; ce n’est que dans le cas d’un grave conflit inattendu entre Hitler et le président Schleicher que Strasser aurait à jouer un rôle particulier. »
Entre temps eurent lieu les élections de Lippe qui prouvèrent les progrès du parti national-socialiste.
Je cite au milieu du passage, en date du 15 janvier :
« La victoire électorale de la NSDAP ne dément pas seulement d’une manière surprenante les affirmations de l’opposition sur le déclin du mouvement national-socialiste, mais prouve également que la période de stagnation de la NSDAP est complètement terminée ; on assiste à un nouvel essor du mouvement. » Qu’il y eût des négociations en vue d’obtenir une majorité parlementaire est prouvé par les négociations de Schleicher avec le parti du centre, entreprises avec son chef, le prélat Dr Kaas.
Voici le dernier alinéa de la page 28 :
« Le Chancelier du Reich Schleicher reçoit le prélat Kaas, président du parti du centre, pour un long entretien.
« En ce qui concerne l’éventualité d’un remaniement ministériel, on laisse entendre dans les milieux gouvernementaux qu’une combinaison Strasser-Hugenberg-Stegerwald est possible, malgré les difficultés manifestes rencontrées par ces projets. On rapporte que le conseiller privé Hugenberg aurait demandé que ce ministère fût assuré d’une existence sans trouble pour une durée d’au moins un an. »
A la page suivante, n° 29, je voudrais citer les dix dernières lignes de la déclaration du secrétaire d’État Planck au conseil des anciens du Reichstag :
« D’après ces conversations, les nationaux-socialistes devaient assumer la direction et tenter de former avec tous les groupes, depuis les nationaux-socialistes jusqu’au centre, une coalition semblable à celle qui faillit se former à la fin de 1932. L’initiative de ces négociations, dans lesquelles le cabinet Schleicher n’est absolument pour rien, incombe à Hitler. Si l’on décide le 31 janvier de convoquer le Reichstag et que s’élève alors un conflit entre le Gouvernement et le Reichstag, ou si ce conflit se produit en raison d’autres circonstances, il faudra s’attendre très certainement à la proclamation de l’état d’exception, dont il a été souvent question. Dans ce cas, le Gouvernement dissoudra le Reichstag et fixera la date des nouvelles élections pour le début de l’automne. »
Je passe à la page suivante, page 30, dont je cite le premier paragraphe :
Docteur Kubuschok, le Tribunal ne croit pas qu’il soit nécessaire de lire tous ces détails. D’après ces en-têtes, on peut voir qu’il y eut des négociations politiques qui conduisirent à la prise du pouvoir par le parti national-socialiste. C’est bien ce que vous vouliez montrer ?
Je voudrais prouver que la formation du Gouvernement, le 30 janvier, fut la solution qui s’imposait, étant donné les événements politiques et parlementaires. C’est pourquoi il me paraît opportun de signaler les faits, les tentatives qui ont échoué, les autres possibilités qui se présentèrent et...
J’ai voulu dire que ces en-têtes étaient suffisamment explicites. Vous pouvez lire les en-têtes sans donner lecture de tous les détails. Par exemple, à la page 30, le passage relatif au 21 janvier indique l’essentiel. Il en est de même pour de nombreux autres en-têtes.
Très bien, Monsieur le Président. Me sera-t-il seulement permis de lire à la page 31 un passage relatant les circonstances historiques du renversement du chancelier Schleicher le 28 ? Au sujet de l’entretien décisif entre le Chancelier du Reich et le Président du Reich, voici la déclaration officielle :
« Le Chancelier du Reich von Schleicher a présenté aujourd’hui au Président du Reich son rapport sur la situation et lui a déclaré que le cabinet actuel ne représentait qu’une minorité ; il ne pourrait faire valoir son programme et son point de vue devant le Reichstag que si le Président du Reich permettait d’user des droits de dissolution. Le Président du Reich von Hindenburg a déclaré qu’il ne lui était pas possible, en raison des circonstances présentes, d’accepter cette proposition. Le Chancelier du Reich von Schleicher remit alors la démission collective du cabinet qui fut chargé d’expédier jusqu’à nouvel ordre les affaires courantes. »
Pour démontrer qu’il n’y avait pas pour Hitler de possibilité de former un Gouvernement parlementaire, je signale un passage qui ce trouve à la page 32 : « On déclare à nouveau d’une manière catégorique du côté national-socialiste que pour les nationaux-socialistes on ne peut envisager qu’un Gouvernement de Hitler. Toutes les tentatives dans un autre sens doivent être combattues avec la plus grande énergie. Il en est ainsi évidemment dans le cas d’un cabinet von Papen ; quant à un cabinet Schacht, il ne peut en être question ».
Je renvoie ensuite au document suivant, qui porte le chiffre 8. Toutes les éventualités relatives à la formation d’un Gouvernement y sont examinées en détail.
Accusé, quelle a été, en présence de cette situation politique, la réaction du chancelier von Schleicher ?
Le chancelier von Schleicher, après l’échec de ses tentatives en vue d’obtenir une scission du Parti et de former une majorité au Reichstag, demande au Président du Reich de lui donner pleins pouvoirs, ce qui constituait une violation de la Constitution. Ainsi, il demanda exactement ce que j’avais moi-même demandé au Président le 1er décembre 1932, comme la seule issue possible. Le Président avait accepté à ce moment-là, mais le général von Schleicher s’y était alors opposé.
Le 28 janvier, un entretien eut lieu au domicile de Ribbentrop ; y assistaient Göring, Meissner, Oskar von Hindenburg et vous-même. Cet entretien fut-il organisé par vous ? Qui en prit l’initiative ?
L’initiative de cet entretien du 22 janvier revient à Hitler. C’est sur sa demande que M. von Ribbentrop avait mis sa maison à notre disposition. Le Président du Reich désirait connaître l’opinion de Hitler sur la solution de la crise politique et les propositions qu’il pouvait faire. En conséquence, l’entretien du 22 janvier porta exclusivement sur les exigences formulées par les nationaux-socialistes, mais il n’y fut pas question de la formation du Gouvernement telle qu’elle eut lieu le 30 janvier.
Le 28 janvier, à midi, vous avez été chargé par le Président du Reich d’entamer des négociations en vue de la formation d’un nouveau Gouvernement. Quelles étaient d’après vous, les possibilités de former un Gouvernement étant donné la situation politique ?
La formation d’un Gouvernement s’appuyant sur une majorité parlementaire avait été abandonnée depuis le 20 janvier ; cette solution était impraticable. Hitler ne voulait ni prendre la tête d’un Gouvernement de ce genre, ni y participer.
En second lieu, soutenir encore le cabinet Schleicher en proclamant l’état d’exception et en ajournant le Reichstag au mépris de la Constitution, le Président du Reich s’y était refusé le 23. Il refusa les propositions qui lui furent faites, ainsi que nous le savons, dans ce sens ; parce que von Schleicher lui avait dit en décembre qu’une violation de la Constitution signifierait la guerre civile et que la guerre civile signifiait le chaos, « car, avait-il dit, je ne suis pas en mesure d’assurer le respect de la loi et de l’ordre avec le concours de l’Armée et de la Police ».
En troisième lieu, depuis que Hitler avait offert de participer à un cabinet présidentiel, c’était la seule solution qui restait ; toutes les forces et les partis qui avaient soutenu mon Gouvernement en 1932 étaient pour cette solution-là.
Quelles furent les instructions que le Président du Reich vous communiqua ?
Voici les instructions que me communiqua von Hindenburg : Proposition de former un Gouvernement sous la direction de Hitler, en restreignant autant que possible l’influence nationale-socialiste et dans le cadre de la Constitution.
Je tiens à ajouter qu’il était tout à fait exceptionnel que le Président du Reich chargeât de former un Gouvernement une personne qui ne devait pas prendre la tête de ce Gouvernement. Il eût été plus normal que Hindenburg chargea Hitler lui-même de former ce Gouvernement. Hindenburg me confia cette tâche parce qu’il désirait, dans la mesure du possible, limiter l’influence de Hitler dans ce Gouvernement.
Avec qui avez-vous négocié ?
J’ai eu des pourparlers avec les chefs des groupes de droite susceptibles de participer à la formation de ce cabinet. Il s’agit donc de la NSDAP, du parti populaire national allemand, des Casques d’acier et du parti populaire allemand.
Quelles furent, auprès du Président du Reich, vos suggestions pour la formation de ce nouveau cabinet ?
J’ai suggéré la seule solution possible, à savoir la formation d’un cabinet de coalition avec ces groupes.
Docteur Kubuschok, le Tribunal estime que l’accusé entre beaucoup trop dans les détails ; il a dit les raisons pour lesquelles le Président l’avait envoyé chercher et pour quelles raisons il n’y eut rien à faire. Voilà tout ce qui le concerne dans cette affaire. Ces explications données, il n’a pas besoin d’entrer dans d’autres détails.
Monsieur le Président, étant donné que le Ministère Public prétend que le fait seul d’avoir formé ce Gouvernement constitue un crime, il est nécessaire que l’accusé puisse montrer qu’il a essayé d’obtenir un certain nombre de garanties contre l’influence prépondérante de Hitler dans ce nouveau Gouvernement. Il est parfaitement pertinent.
Oui ; c’est bien ce que j’ai dit. Il a donné ces explications. L’accusé n’a pas besoin d’ajouter de détails à ces explications. J’ai noté tout à l’heure que le Président du Reich s’était adressé à lui afin de restreindre l’influence de Hitler. Mais maintenant il entre dans toutes sortes de détails.
Mais, Monsieur le Président, il veut montrer maintenant dans quelle mesure et de quelle manière il essaya de limiter l’influence de Hitler. C’est un point très important. Il va vous dire maintenant les garanties dont il a essayé de s’entourer en formant ce Gouvernement, le choix des personnalités, toutes les autres restrictions prévues afin d’empêcher Hitler de prendre une influence prépondérante. C’est un point très important destiné à réfuter les charges du Ministère Public.
L’accusé peut le faire très brièvement sans donner trop de détails. Voilà tout ce que désire le Tribunal.
Je serai très bref, Monsieur le Président. Les mesures de garantie que j’ai essayé de prendre en formant ce Gouvernement à la requête du Président du Reich furent les suivantes :
1° Un nombre très restreint de ministres nationaux-socialistes dans ce cabinet, seulement trois, y compris Hitler, sur un total de onze.
2° Les postes économiques les plus importants entre les mains de non nationaux-socialistes.
3° Les ministères devaient être occupés dans la mesure du possible par des techniciens.
4° Le chancelier Hitler et le vice-chancelier von Papen devaient présenter en commun leurs rapports à Hindenburg, afin d’éviter que Hitler ne prît une influence personnelle trop grande sur Hindenburg.
5° Je me suis efforcé de former un bloc parlementaire susceptible de contre-balancer les résultats politiques obtenus par le parti national-socialiste.
Dans quelle mesure le Président du Reich von Hindenburg a-t-il procédé lui-même au choix des membres du nouveau cabinet ?
Le Président du Reich se réserva le choix du ministre des Affaires étrangères et du ministre de la Défense du Reich. Le premier de ces deux postes importants a été occupé par von Neurath, en qui le Président du Reich avait particulièrement confiance. Quant au ministère de la Défense du Reich, il fut donné au général von Blomberg, qui jouissait également d’une confiance toute particulière de la part du Président. Comme nationaux-socialistes, il n’y eut dans ce cabinet que le ministre de l’Intérieur du Reich, Frick, dont l’activité en tant que ministre de l’Intérieur en Thuringe avait été tout à fait modérée, et un ministre sans portefeuille, qui devait devenir plus tard ministre de l’Intérieur de Prusse : Göring.
A ce propos, j’attire l’attention du Tribunal sur les numéros 87 et 97 du livre de documents 3, qui sont la déclaration sous serment de l’ancien ministre Alfred Hugenberg et l’interrogatoire de Freiherr von Lersner.
Quelle page du troisième livre de documents avez-vous dit ?
Aux pages 194 et 195, les déclarations de M. Hugenberg ; aux pages 210 et 212, celles de Lersner. Le Ministère Public prétend que le Gouvernement formé le 30 janvier avait entièrement adopté le programme de la NSDAP. Voulez-vous, témoin, nous expliquer les fondements de la politique de ce Gouvernement ?
La conception du Ministère Public est absolument inexacte. Le programme sur lequel nous nous sommes mis d’accord le 30 janvier n’était pas le programme du parti nazi, mais le programme d’une coalition. Cela ressort clairement de la proclamation de ce Gouvernement adressée le 1er février au peuple allemand et, pour le prouver ici, je me permettrai de lire deux phrases de cette proclamation. Il est dit :
« Le Gouvernement national considérera que son premier devoir et sa tâche essentielle sont de rétablir l’unité spirituelle et politique de la nation. Le Gouvernement considère que le christianisme est le fondement de sa morale et que la famille est la cellule de notre peuple et de l’État : il protégera le christianisme et la famille. Le grave problème de la réorganisation de notre économie sera résolu grâce à deux vastes plans de quatre ans. »
Je me permettrai d’ajouter une phrase encore :
« Le Gouvernement est pleinement conscient de l’ampleur de sa tâche et de la nécessité qu’il y a à intervenir pour consolider et maintenir la paix dont le monde a plus besoin que jamais. »
Par ailleurs, ce programme de coalition qui est présenté ici par le Ministère Public comme le programme nazi, contenait d’autres points encore, les points suivants : maintien des « Länder » (pays) et du caractère fédéraliste du Reich allemand ; maintien du système juridique et de l’inamovibilité des juges ; préparation d’une réforme de la Constitution, garantie des droits des Églises chrétiennes et, avant tout, la suppression de la lutte des classes par la solution des problèmes sociaux. Cela signifiait le rétablissement d’une véritable communauté nationale.
Avez-vous tenté par vous-même de mettre en pratique vos conceptions politiques ?
J’ai fait, ainsi que mes amis politiques, tout ce qui était en mon pouvoir pour mettre en pratique les conceptions que j’avais introduites dans ce programme politique. L’essentiel me paraissait alors de créer à l’intérieur du pays un contre-poids au mouvement national-socialiste ; c’est pourquoi j’ai demandé aux chefs des partis de droite de renoncer aux anciens programmes de leurs partis et de se grouper dans une vaste organisation politique commune dont le but serait de lutter pour les principes que nous avions mis en avant. Les chefs des partis n’ont pas suivi ces suggestions. Les différences entre les partis étaient trop marquées et il n’y eut aucun changement.
Le seul résultat que j’obtins fut l’unité de vote des trois partis et, à la faveur de ce bloc électoral, j’ai présenté au pays dans de nombreux discours ce programme de coalition.
Je renvoie le Tribunal à un discours prononcé par le témoin le 11 février pour le bloc électoral. I] se trouve dans le document n° 12, aux pages 54 et 55. Je cite au milieu de la page 55 un très bref passage :
« Je vois dans le fait que le cabinet actuel du Reich n’est pas constitué par un seul parti ou mouvement, mais formé de divers groupes du mouvement national, d’hommes politiques indépendants et de techniciens, non pas un inconvénient, mais plutôt un avantage. »
Quels furent les points essentiels du programme de ce bloc électoral ? Vous avez exposé cela dans différents discours et, pour ne pas faire perdre de temps, je me contenterai de signaler au Tribunal le document n° 10 qui s’y rapporte et je vous demande d’expliquer brièvement votre position à l’égard de différentes questions, principalement la question sociale.
La question sociale évidemment était au premier plan de mes préoccupations, elle était la question primordiale. Notre tâche consistait à transformer les ouvriers animés d’un esprit de lutte de classes en citoyens satisfaits, ayant leurs existences et leurs foyers assurés. Je déclarai dans le discours inclus dans ce document qu’il y aurait toujours des différences en matière de propriété, mais que l’on ne pouvait pas admettre qu’une couche infime de la population possédât tout et que l’énorme majorité ne possédât rien. Et par-dessus tout, j’insistai plusieurs fois sur le fait que si nous réussissions à trouver une solution au problème social, nous participerions par là même et grandement au maintien de la paix en Europe.
Quel était votre programme de politique étrangère ?
Le programme était simple et se bornait au désir d’obtenir pacifiquement la suppression des discriminations établies à rencontre du peuple allemand et de sa souveraineté.
Quel était votre programme sur le plan religieux ?
Il ressort de tous mes discours que je concevais la régénération du peuple allemand dans un sens chrétien comme la condition préliminaire pour une solution du problème social et de toutes les autres questions. Je reviendrai plus tard sur ce point.
Je dépose comme preuve le document n° 10 que j’ai déjà cité ; je prie le Tribunal d’en prendre acte. Comme ce document contient une faute de traduction assez gênante parce qu’elle déforme le sens, à la page 39, et étant donné que la question de la dissolution des syndicats jouera un rôle important plus tard, j’aimerais lire à la page 39 un court alinéa qui commence au milieu de la page :
« Je reconnais que les syndicats ont fait beaucoup pour inculquer à la classe ouvrière le sentiment de l’honneur professionnel et la conscience de son état. Plusieurs syndicats, par exemple l’association des employés de commerce, ont obtenu des résultats remarquables dans ce domaine. Mais le concept de la lutte des classes a empêché une réforme véritable et un travail constructif dans ce sens.
« Les partis socialistes ont empêché les tentatives des syndicats d’améliorer le sort des travailleurs. Si les syndicats reconnaissent les signes du temps et abandonnent dans une grande mesure leur caractère politique, ils peuvent, dès à présent, constituer un solide pilier du nouvel ordre national. »
Voulez-vous, je vous prie, faire une déclaration sur les résultats des élections du 5 mars 1933.
A ce propos, j’aimerais attirer l’attention du Tribunal sur le numéro 98 qui contient un schéma des résultats des élections au cours des années en question.
Cette élection est extrêmement significative en raison des événements ultérieurs. Je déclarerai tout d’abord que cette élection fut véritablement libre, car les opérations eurent lieu avec la collaboration des anciens fonctionnaires de la République et la liberté de ces élections est prouvée également par le fait que les voix des communistes et des sociaux-démocrates n’ont pas diminué du tout. Personnellement, j’avais escompté un succès électoral pour la NSDAP. En novembre 1932, j’avais enlevé 36 sièges au Reichstag au parti national-socialiste et je m’attendais à ce que le parti national-socialiste regagnât quelques-uns de ces sièges. J’avais espéré aussi que mon propre bloc électoral aurait un grand succès. J’espérais que le peuple comprendrait la nécessité de créer un contre-poids. Cela ne se produisit pas...
Les chiffres sont suffisamment explicites pour nous. Nous pouvons nous faire une opinion d’après eux. Nous pouvons voir ces chiffres. Nous n’avons pas besoin d’explications et de commentaires à leur sujet. Nous avons à voir des sujets beaucoup plus importants.
Témoin, voulez-vous nous décrire les événements qui ont amené la loi sur les pleins pouvoirs du 23 mars 1933 ?
La loi conférant les pleins pouvoirs est née de la nécessité d’obtenir un laps de temps sans trouble pour la réalisation des mesures économiques. Il y avait eu tout d’abord des négociations avec le parti du centre pour obtenir une trêve de un an au parlement. Ces négociations échouèrent. D’où la nécessité de cette loi qui avait quelques précédents historiques. Le Ministère Public a tenu ce fait pour la preuve d’une conspiration. C’est pourquoi je me permettrai d’insister sur le fait que personnellement je me suis efforcé d’obtenir une certaine garantie en désirant maintenir le droit de veto au Président du Reich. Il ressort toutefois du procès-verbal de la séance de cabinet du 15 mars que le secrétaire d’État Meissner n’estima pas nécessaire la collaboration du Président du Reich.
J’attire l’attention du Tribunal sur le document n° 25, qui correspond au document USA-578. On y voit l’attitude de von Papen lors de cette séance du cabinet ainsi que la position dont il vient d’être question du secrétaire d’État Meissner.
« Meissner, sous-secrétaire d’État du cabinet présidentiel du cabinet du Président du Reich, son excellent collaborateur. »
J’attire l’attention du Tribunal sur le document n° 23 et cela parce que l’énumération des décrets-lois montre que, en raison de l’état d’exception qui régnait alors, il était impossible de gouverner au moyen de lois votées par le Reichstag, et que la loi conférant les pleins pouvoirs représentait un « Ersatz » de ces décrets-lois exceptionnels qui se succédaient sans interruption.
Je me permets de corriger une erreur que je viens de commettre. En ce qui concerne Meissner, sa position est établie dans le document 91, USA-578. Le 21 mars 1933 parut un décret d’amnistie que le Ministère Public a présenté dans son exposé comme un fait sans précédent. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?
Le Ministère Public qualifie cette loi : « Approbation de l’assassinat politique ». Voici ce que j’ai à dire à ce sujet : Cette décision a été rendue par un décret-loi exceptionnel du Président du Reich et non pas du cabinet, et c’était la clôture naturelle d’une période révolutionnaire qui avait duré sept semaines. Le passé nous fournit de nombreux exemples de semblables décrets d’amnistie, par exemple la loi promulguée le 21 juillet 1922 par la jeune République allemande et dont les mesures d’amnistie s’appliquent également au meurtre.
J’attire l’attention du Tribunal sur le document n° 28, à la page 99 du livre de documents n° 1. Ce document contient la loi du 21 juillet 1922 qui met un terme à l’ère troublée des années 1920 et 1921. J’attire également l’attention du Tribunal sur la page 100 du document n° 28 qui contient la loi du 20 décembre 1932 qui a été mentionnée.
Le 23 mars a été publiée la loi sur les tribunaux d’exception. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?
Ces lois spéciales, ou plutôt les Ibis relatives à ces cours spéciales ne sont pas une véritable nouveauté. Moi-même, en tant que chancelier, j’avais pris une mesure semblable le 9 août 1932 et je m’étais appuyé sur une ordonnance du cabinet Brüning du 6 octobre 1931. Dans les périodes révolutionnaires, les délits de caractère politique doivent être légalement jugés de façon expéditive.
J’attire l’attention du Tribunal sur le document n° 27, à la page 89 du livre de documents n° 1, et en particulier sur l’introduction, au paragraphe 1, qui montre que ce décret-loi est fondé sur le décret-loi de Brüning de 1931.
Le 1er avril 1933 eut lieu le boycottage des Juifs. Était-ce là une mesure prise par le Gouvernement ? Y avez-vous participé dans une mesure quelconque ?
L’affirmation du Dr Goebbels selon laquelle le Gouvernement aurait donné son assentiment à ces mesures anti-juives est dénuée de tout fondement. Au contraire, sur la demande du Cabinet du Reich, Hitler fit les 10 et 12 mars des déclarations publiques que mon défenseur présentera au Tribunal. Le Ministère Public dit que le télégramme que j’ai envoyé le 25 à New-York est « un mensonge de grande envergure » ; tout ce que je puis dire c’est que cette allégation est dénuée de tout fondement. Les déclarations publiques de Hitler nous donnaient et devaient nous donner l’assurance que de tels excès ne se reproduiraient plus. C’est dans cette conviction que j’ai expédié ce télégramme. Il serait tout à fait incompréhensible que j’eusse envoyé le 25 un télégramme à New-York...
Docteur Kubuschok, je croyais que votre question était : l’accusé a-t-il participé à ces mesures ? Il parle depuis plusieurs minutes, mais je ne connais pas encore sa réponse. La question était : « Y avez-vous pris part » et je ne connais pas encore sa réponse.
J’ai dit que l’allégation de Goebbels selon laquelle le cabinet approuvait ce boycottage des Juifs était un mensonge.
Pourquoi ne pas répondre directement en disant si vous y avez participé ou non ?
Non, nous n’y avons pris aucune part.
Puis-je citer le document n° 33 page 113, une déclaration de Hitler du 10 mars. Ce sont les deux dernières lignes : « Les vexations à l’égard des personnes, les entraves à la circulation des automobiles ou à la vie commerciale vont cesser ».
A la même page 113, la dernière phrase de l’avant-dernier alinéa d’une déclaration de Hitler du 12 mars dit :
« Quiconque désormais se livrera à un acte individuel de nature à troubler la vie sociale ou commerciale agira sciemment contre le Gouvernement national. »
Docteur Kubuschok, je n’avais pas l’intention d’empêcher l’accusé de dire au Tribunal quelle fut son activité à propos du télégramme qu’il adressa au New-York Times, mais j’aimerais qu’il réponde d’abord à vôtre question. S’il a quelque chose à ajouter, il pourra le faire ensuite.
Voulez-vous, s’il vous plaît, revenir sur cette question relative au New-York Times ?
Tout ce que je puis ajouter, Monsieur le Président, c’est qu’il est inconcevable que j’aie pu envoyer ce télégramme à New-York le 25 avril en sachant que trois ou quatre jours plus tard il y aurait un nouveau boycottage des Juifs. C’est absolument insensé. Au reste, je me permets d’attirer votre attention sur le fait que, le même jour, M. von Neurath envoya un télégramme analogue au cardinal O’Connell.
Voulez-vous nous donner des détails sur votre position vis-à-vis du problème juif ?
Ma position sur le problème juif peut être caractérisée très brièvement. En ce qui concerne ce problème, j’ai eu ma vie durant la position qu’exige de. ses membres l’Église catholique. J’ai exposé mon point de vue sur la question raciale face à la doctrine nationale-socialiste dans un discours prononcé à Gleiwitz au cours de l’année 1933. Mon défenseur présentera ce document au Tribunal.
Il y avait néanmoins une question sans aucun rapport avec ma position à l’égard du problème juif, c’était celle de l’accaparement étranger, de l’influence trop grande de l’élément juif dans les domaines qui forment l’opinion publique d’un peuple, dans la presse, la littérature, le théâtre, le cinéma et en particulier le Droit. Il me semblait indubitable que cet accaparement étranger était malsain et qu’il convenait d’y remédier. Mais, je l’ai dit, cela n’avait absolument rien à voir avec la question raciale.
Je renvoie le Tribunal au document n° 16, à la page 68, qui contient un extrait du discours prononcé, comme l’accusé vient de le dire, par lui en 1934 à Gleiwitz :
« II n’y a certainement rien à dire contre les recherches raciales et l’eugénisme qui tendent à sauvegarder autant que possible la pureté des caractéristiques d’un peuple et à renforcer en même temps le sentiment d’appartenir à une communauté raciale. Cet amour de la race à laquelle on appartient ne devra jamais dégénérer en haine contre d’autres peuples et races. Il faut être catégorique sur ce point. L’eugénisme ne devra jamais entrer en conflit avec le christianisme car ce sont deux domaines différents mais qui ne s’opposent point. C’est le christianisme qui a fait des tribus germaniques un peuple allemand et il n’est vraiment pas nécessaire de fonder une nouvelle religion germano-nordique afin de reconnaître notre appartenance à cette race. »
Je signale également, à propos du deuxième problème soulevé par l’accusé, le document n° 29, à la page 103, l’extrait du 4 juillet du journal de M. Dodd. Je citerai maintenant le document n° 35, à la page 115, un article du Völkischer Beobachter du 19 août 1932. Le titre de cet article est le suivant : « Le Gouvernement Papen a inscrit la protection des Juifs sur son drapeau ».
C’était en août 1932 ? Où cela se trouve-t-il ?
C’est le document n° 35, page 115. Je viens de lire le titre de cet article du Völkischer Beobachter du 19 août 1932. Je répète : « Le Gouvernement Papen a inscrit la protection des Juifs sur son drapeau ». Le rapport traite de la déclaration faite à Berlin par M. Kareski, représentant du parti populaire juif. Kareski était à, la tête de la synagogue de Berlin. Il déclara à ce moment-là — je cite le dernier passage de cet article :
« Heureusement, la constitution de la République allemande protège encore la situation juridique des Juifs et le Gouvernement Papen a inscrit sur son drapeau la protection des Juifs. »
Dans la loi sur les services publics datant du 7 avril 1933, il y a certaines exceptions concernant les Juifs. Avez-vous fait quelque chose pour que ces exceptions concernant les Juifs, qui primitivement devaient être plus rigoureuses, fussent réduites à ce que l’on trouve dans cette loi ?
Puis-je ajouter quelque chose encore ? Je crois que vous avez oublié de mentionner le document n° 33 relatif à l’influence étrangère dans le domaine du droit allemand.
Je présenterai ce document tout à l’heure, quand vous aurez répondu à la question que je viens de vous poser.
La loi sur les services publics du 7 avril 1933, je ne l’ai approuvée qu’à la condition qu’elle ne s’appliquât qu’aux fonctionnaires juifs entrés en fonction après 1918 car, après la guerre, il y eut en Allemagne une immigration massive en provenance de l’Est, particulièrement de Pologne qui, à ce moment-là, était très antisémite.
J’ai obtenu de Hindenburg qu’en aucun cas les anciens combattants ne tomberaient sous le coup de cette loi ; car mon point de vue a toujours été le suivant : un Allemand, quelle que soit sa race, qui a fait son devoir à l’égard de sa patrie, ne doit pas souffrir de restrictions de ses droits.
J’attire l’attention du Tribunal sur le document n° 33, page 114. C’est un rapport du ministère de la Justice, d’où il ressort que lors de la promulgation de la loi sur les services publics, 3.515 Juifs appartenaient aux barreaux allemands. En raison des atténuations mentionnées par l’accusé, 735 avocats anciens combattants et 1.383 autres avocats qui avaient été admis au barreau avant 1914 ne sont pas tombés sous le coup de la loi. Par conséquent, 2.158 avocats juifs demeurèrent, tandis que 923 durent abandonner leurs fonctions.
Voulez-vous, je vous prie, nous donner votre avis sur cette loi sur les services publics en général ?
Je crois qu’il était tout à fait normal que les nationaux-socialistes, comme membres de la coalition gouvernementale représentant plus de 50% des voix du peuple allemand, se vissent attribuer un certain nombre de postes dans les services publics.
Je me permettrai d’attirer votre attention sur le fait que les nationaux-socialistes ont, dans leur propagande, des années durant, mené une guerre par tous les moyens contre ce qu’ils appelaient les « bonzes » et l’on ne pouvait pas prévoir qu’eux-mêmes allaient par la suite commettre les mêmes abus.
Le moment serait indiqué pour suspendre l’audience.
Nous avons parlé tout à l’heure de la façon dont a été promulguée la loi sur les services publics qui, nous l’avons vu, correspondait jusqu’à un certain point aux aspirations nationales-socialistes. Pourquoi vous êtes-vous senti tenu d’insister sur la nécessité de certaines concessions, qui furent en fait accordées ?
J’étais convaincu à ce moment-là que cette réforme des services publics que nous pratiquions était essentielle. Je ne pouvais pas prévoir et deviner que le Parti devait, au cours des années suivantes, édicter des lois nouvelles dans ce domaine et, par là, ravager en quelque sorte les services publics.
Quelle fut votre position sur la dissolution des partis politiques ?
L’exclusion des partis politiques fut le résultat logique de l’acte conférant les pleins pouvoirs. Hitler avait demandé quatre ans pour réaliser les réformes envisagées. Le document 25 montre que j’avais demandé à Hitler de promulguer une nouvelle loi constitutionnelle fondamentale. Dans son discours du 23 mars, Hitler s’y engagea. Dans ce discours, il envisageait une réforme constitutionnelle établie par les organismes constitutionnels existants. Cette réforme, à mon avis, nous aurait donné de façon révolutionnaire une forme nouvelle et plus saine de Gouvernement parlementaire et démocratique. Au reste, je dois bien dire que je ne voyais aucun inconvénient à adopter provisoirement le régime d’un parti unique. N’avions-nous pas, à cet égard, d’excellents exemples dans d’autres pays ? En Turquie, au Portugal notamment, ce régime du parti unique fonctionnait parfaitement. Enfin, je me permets de signaler au Tribunal que, dans mon discours de Mar-bourg, le 17 juin 1934, j’ai critiqué cette situation et dit qu’il fallait la considérer comme une étape provisoire à laquelle une constitution rénovée devrait mettre un terme.
Quelle fut votre position vis-à-vis de la loi des Reichsstatthalter d’avril 1933 ? Veuillez nous dire également votre opinion sur la question du fédéralisme allemand ?
Cette question, Messieurs, a été soulevée par le Ministère Public dans l’intention de me convaincre de duplicité, de fausseté ou de tromperie. Le Ministère Public m’accuse, en ce qui concerne la structure fédéraliste de l’Allemagne, d’avoir eu, en 1932, un point de vue tout à fait différent de celui que j’émis en 1923. Mais quand bien même j’aurais changé d’avis au cours de cette année-là, je ne vois vraiment pas en quoi une opinion sur la question d’un Gouvernement fédéral ou central pourrait constituer un crime au sens de ce statut. En outre, je n’ai pas le moins du monde changé d’avis. Voici ce que je disais en 1932 : je reconnaissais les avantages d’un régime fédéral pour l’Allemagne et j’en souhaitais le maintien ; mais j’ai toujours souhaité, même en 1932, que nous puissions avoir une unité complète sur les points essentiels de la politique allemande. Il est absolument évident qu’un pays fédéral doit être gouverné en vertu de principes uniformes. Il ne s’agissait que de cela et ce fut le sens de mon intervention en Prusse le 20 juillet.
Si l’on connaît l’histoire de l’Allemagne, on sait que Bismarck a réussi à surmonter cette difficulté en faisant cumuler les charges de Chancelier du Reich et de président du Conseil de Prusse. Si bien qu’en désignant en 1933 des Reichsstatthalter dans les différents Länder, il s’agissait simplement d’assurer une ligne politique commune. En outre, les droits des Länder demeuraient intacts. Ils disposaient de leurs finances propres, de leurs juridictions, de leurs offices culturels et de leurs parlements particuliers.
A propos de la loi sur les Reichsstatthalter, j’attire l’attention du Tribunal sur le document 31 et notamment sur la page 111 dudit document. Du passage des œuvres de Pfundtner-Neubert, cité ici, il ressort que les pouvoirs des Lànder n’ont été abolis que par une loi ultérieure des Reichsstatthalter au cours de l’année 1935, alors que l’accusé von Papen n’était plus au Gouvernement.
Quelles sont les raisons pour lesquelles, le 7 avril 1933, vous avez donné votre démission du poste de président du Conseil de Prusse ?
Ma lettre à Hitler en date du 10 avril 1934 a été produite par le Ministère Public. Elle donne les raisons de ma démission. En Prusse, je l’ai déjà dit ici, j’avais déjà mis au point une ligne politique unifiée le 20 juillet. Par la loi sur les Reichsstatthalter, le Chancelier du Reich avait la possibilité d’être lui-même président du Conseil de Prusse ou de nommer à ce poste un délégué. Voilà comment mon rôle prit fin en Prusse. De plus, je voudrais attirer l’attention du Tribunal sur le fait suivant : les élections du 5 mars avaient donné, au parlement de Prusse également une forte majorité aux nationaux-socialistes. Le Landtag de Prusse se réunit et émit, bien entendu, le vœu d’avoir un président du Conseil prussien national-socialiste. Pour toutes ces raisons, je donnai ma démission.
Le Ministère Public vous accuse, en tant que catholique de premier plan, d’avoir assuré la domination nationale-socialiste sur le domaine de l’Église. Voulez-vous nous dire quelle fut votre position à l’égard de l’Église et nous décrire la situation de l’Église en Allemagne à cette époque ?
Ce point de l’Acte d’accusation, Messieurs, est pour moi le plus cruel de tous : celui d’avoir, en tant que catholique, contribué et participé à cette conspiration contre la paix du monde. Je vous prie en conséquence de m’autoriser en quelques mots à préciser ma position sur la question de l’Église.
Les catholiques en Allemagne s’étaient organisés dans le parti du centre. Avant 1918, le centre, parti modéré, s’était toujours efforcé de maintenir l’équilibre entre les partis de droite et de gauche.
Après la guerre, la situation se trouva profondément changée. Nous voyions alors le centre le plus souvent coalisé avec la gauche.
En Prusse, cette alliance fut maintenue de 1918 jusqu’en 1932. Inconstestablement, le parti du centre eut le mérite d’assurer le maintien de la vie publique au cours des années qui suivirent la défaite ; mais cette alliance avec les nationaux-démocrates rendit impossible toute collaboration du centre et de la droite, en particulier sur les questions religieuses. Pour les questions de politique générale à l’intérieur du Parti, le centre fit une politique de compromis, contre-balançant les concessions que les autres partis faisaient sur le plan religieux. Que cette situation...
Docteur Kubuschok, en quoi ceci est-il pertinent ?
Le Ministère Public a déclaré : « Papen s’est servi de sa qualité de catholique de premier plan pour consolider le régime nazi. Il jouait double jeu. Ce double jeu est particulièrement manifeste et montre sa véritable personnalité. »
L’accusé veut expliquer quelle fut sa position à l’égard des questions religieuses depuis le début de sa carrière politique. Étant donné qu’il appartint tout d’abord au parti du centre, puis qu’il le quitta, il est nécessaire d’expliquer les divergences qui s’élevèrent entre les chefs du Parti et lui. Ensuite, nous.. .
Pourquoi est-il nécessaire d’entrer dans les menus détails ? Tout ce qu’il tient à prouver est certainement qu’il ne prêta pas assistance au parti nazi, n’est-ce pas ? Il était véritablement catholique et il veut nous démontrer qu’il n’aida point le parti nazi. Il n’a pas besoin d’entrer dans tous ces détails sur les influences catholiques et sur son rôle dans ce domaine.
Monsieur le Président, d’une façon générale, voudriez-vous me permettre d’ajouter que, pour l’accusé von Papen, notre intention est de prouver qu’il n’a jamais abandonné les principes auxquels il a adhéré au début de sa carrière. Voilà pourquoi il me paraît nécessaire d’examiner les conditions qui prévalaient à différentes périodes. Nous n’avons plus besoin de beaucoup de temps pour exposer les affaires de politique intérieure et nous passerons beaucoup plus rapidement sur les autres. Je crois néanmoins qu’afin de décrire la personnalité de l’accusé, je devrais donner un certain nombre de détails ; mais nous nous efforcerons, cela va sans dire, Monsieur le Président, d’éviter les points superflus et sans grosse importance.
Docteur Kubuschok, nous savons parfaitement que le cas de chacun de ces vingt et un accusés est différent des autres. Nous le savions, mais nous voulons que chaque cause soit présentée en toute équité, mais sans détails inutiles et fastidieux. Nous espérons que vous obtiendrez que l’accusé s’en tiendra aux points vraiment importants. Vous pouvez continuer.
Oui, Monsieur le Président. Nous ferons de notre mieux. (S’adressant à l’accusé.) Voulez-vous continuer, s’il vous plaît ?
J’en finirai avec cette question en disant simplement que mon opposition à l’intérieur du Parti, mon appel pour une entente avec les partis conservateurs, me firent passer pour un mauvais catholique. Un juge étranger, un juge non Allemand, ne peut pas savoir qu’à cette époque un catholique qui n’appartenait pas au parti du centre, mais qui adhérait aux partis de la droite, était considéré comme un mauvais catholique et un catholique de seconde zone. Voilà l’état d’esprit contre lequel je n’ai pas cessé de lutter.
Dans sa déclaration gouvernementale du 4 juillet 1932, von Papen faisait allusion au fait qu’à cette époque-là toute la vie sociale en Allemagne se ressentait des conséquences de la politique de coalition menée jusque là en Prusse. J’attire l’attention du Tribunal sur le document n° 1, page 2, et je cite la dernière partie de ce long premier paragraphe :
« La pensée athée et marxiste a déjà profondément pénétré toutes les sphères culturelles de la vie sociale en raison de la propension trop grande de toutes les forces chrétiennes de la nation au compromis. Ce n’est pas par des compromis sur la base de l’égalité que l’intégrité de la vie sociale peut être maintenue ou reconstruite. Il faut qu’une décision soit nettement prise pour savoir quelles forces sont désireuses d’organiser la nouvelle Allemagne en se basant sur les principes immuables de la doctrine chrétienne. »
Et je voudrais également attirer l’attention du Tribunal sur le document 37, page 119, un discours de l’accusé à Munich, le 1er mars 1933, dans lequel il développe les points de vue auxquels il vient de faire allusion.
Comment pensiez-vous que la situation de l’Église serait sauvegardée dans le nouveau Gouvernement et qu’avez-vous fait à ce sujet ?
Tout d’abord, j’ai demandé à Hitler de se prononcer nettement sur cette question, et il le fit catégoriquement. Dans l’exposé des discours que je prononçai à cette époque, on peut remarquer que je déclarai que la tâche primordiale et la plus importante était de modifier le programme nazi sur la question religieuse, car c’était là une condition indispensable pour la création d’un front commun des deux confessions chrétiennes dans cette coalition. En second lieu, je tentai d’assurer la situation politique de l’Église en lui donnant, grâce à la conclusion du Concordat, une liaison politique à l’étranger.
A ce sujet, j’attire l’attention du Tribunal sur le document n° 37, pages 119 et 120 — il y a là des extraits de divers discours du témoin — ainsi que sur le document 38 du tome I, au bas de la page 119. Il s’agit d’un discours prononcé à Dortmund en février 1933. L’accusé von Papen dit...
Nous avons ce document sous les yeux.
C’est le document 37, page 119.
Mais oui, mais oui, cela je l’ai compris. Je voulais simplement signaler qu’il suffisait que vous nous donniez la référence. En fait, vous en étiez au moment où il quitta le poste de président du Conseil de Prusse en 1934, et maintenant vous revenez à l’année 1933.
Il quitta son poste en Prusse en 1933. Puis-je attirer l’attention du Tribunal sur le discours qui se trouve à la page 120 ?
A-t-il quitté son poste en 1933 ou en 1934 ?
En 1933, Monsieur le Président, en 1933. J’attire l’attention du Tribunal sur ce discours et également à la page 120, sur une proclamation du Gouvernement du Reich du 1er février 1933. (S’adressant à l’accusé.) Comment le Concordat fut-il réalisé ?
Je répète : je voulais à tout prix assurer au Reich une base chrétienne. Voilà pourquoi j’ai proposé en avril 1933 à Hitler d’établir fermement les droits de l’Église dans un Concordat qui devait être suivi d’un accord avec l’Église protestante. Hitler, bien qu’il se heurtât à l’intérieur même de son Parti à des oppositions assez fortes, fut d’accord avec moi et c’est ainsi que fut conclu le Concordat. Le Ministère Public allègue que ce Concordat fut une manœuvre destinée à tromper. Je crois devoir attirer l’attention du Tribunal sur le fait que les personnages avec lesquels j’ai conclu ce Concordat étaient le secrétaire d’État Pacelli, le Pape actuel, qui connaissait personnellement l’Allemagne depuis treize ans, et Monseigneur Kaas qui avait été pendant longtemps président du parti du centre. Si ces deux hommes étaient d’accord pour conclure un Concordat, on ne peut vraiment pas dire qu’il se soit agi là d’une manœuvre destinée à tromper.
J’attire l’attention du Tribunal sur le document n0 39, page 121, et également sur le document 40, page 122, dont je voudrais donner un court extrait. Après avoir conclu ce Concordat, Hitler promulgua une ordonnance — milieu de la page 122 — qui est ainsi libellée :
« 1. Les organisations catholiques reconnues par le présent traité qui ont été dissoutes sans aucune instruction de la part du Gouvernement du Reich doivent être rétablies immédiatement.
« 2. Toutes les mesures de contrainte prises contre des membres du clergé et autres chefs de ces organisations catholiques sont annulées. Le rétablissement de mesures semblables est formellement interdit à l’avenir et sera puni conformément aux lois en vigueur. »
Je viens de faire cette citation pour prouver que ce n’est que par la suite que Hitler changea d’avis, probablement sous l’influence de son entourage immédiat.
J’attire maintenant l’attention du Tribunal sur le document n° 41, page 123. Il s’agit d’un télégramme de von Papen. Dans la traduction anglaise de ce télégramme, il y a une faute qui altère considérablement le sens. Au second paragraphe de ce télégramme il est dit : « Grâce à votre conception large et avisée d’homme d’État ». Mais la traduction anglaise porte « de sportif » (sportsmanlike) à la place « d’homme d’État » (Statesmanlike).
A la page suivante, je signale le télégramme adressé par von Papen à l’évêque de Trêves. Se rapportant également aux questions soulevées ici, je voudrais mentionner quelques dépositions sous la foi du serment. Le document 43, page 127, est un affidavit fait par le baron von Twickel. Cette déclaration remplace celle que devait faire feu le cardinal von Galen. Le cardinal von Galen avait accepté de signer une déclaration en faveur de l’accusé, mais il est mort avant d’avoir pu la rédiger. Le baron von Twickel, qui s’était entretenu à ce sujet avec le cardinal Galen, a transcrit les détails de ces entretiens dans son affidavit, document 43, à la page 127.
J’attire tout particulièrement l’attention du Tribunal sur le document 52 que le Tribunal trouvera à la page 139. C’est la déclaration sous la foi du serment de l’abbé Schmitt, de l’Abbaye bénédictine de Grüssau, qui fut de longues années le conseiller spirituel de l’accusé. Dans l’avant-dernier alinéa de la page 139, il exprime son avis sur la question du Concordat comme suit :
« M. von Papen fut profondément bouleversé par la conduite déloyale du Gouvernement allemand qui devint manifeste peu après la conclusion du Concordat. Il me parla fréquemment et longuement de sa grande inquiétude à ce sujet et rechercha tous les moyens possibles pour mettre fin à ces violations. Je peux également certifier par ma propre expérience qu’il s’est personnellement et activement occupé de faire respecter le Concordat en faveur de l’Église. »
Accusé, en dehors du Concordat, avez-vous pris des mesures pour la réalisation de vos idées sur la politique de l’Église ?
Oui. Le 15 juin 1933, j’ai créé à Berlin une organisation que nous avons appelée « Croix et aigle ». Un peu plus tard, j’ai fondé l’Union des travailleurs catholiques allemands. Dans ces deux organisations, il s’agissait, en dehors des partis catholiques, de rassembler les forces catholiques. Cette Union de travailleurs avait pour tâche essentielle de recueillir les plaintes et de me les communiquer, afin que je pusse, si possible, agir en conséquence.
Le Ministère Public vous reproche d’avoir dissous cette Union des catholiques allemands et d’avoir, par là, violé vous-même le Concordat. Qu’avez-vous à dire à cela ?
Non seulement le Ministère Public m’accuse en ces termes, mais il décrit la période qui suivit le Concordat comme « le développement caractéristique de la politique religieuse des conspirateurs auxquels Papen donna son appui ».
L’accusation de sabotage du Concordat portée contre moi par le Ministère Public est monstrueuse. Elle est basée sur la dissolution de cette Union de travailleurs dont je viens de parler. Les documents prouvent que cette organisation avait déjà été étouffée à la suite du putsch de Röhm le 30 juin 1934 et que sa dissolution ultérieure par moi-même ne fut en somme qu’une simple formalité. En outre, cette Union de travailleurs ne concernait nullement le Concordat. Il s’agissait d’une communauté politique qui ne bénéficiait pas de la protection du Concordat.
J’attire l’attention du Tribunal sur le document 45, page 129. Il y a là un échange de télégrammes entre Hitler et Hindenburg relatifs à l’apaisement de l’Église évangélique.
En ce qui concerne l’Union des travailleurs catholiques, j’attire l’attention du Tribunal sur le document 47, pages 130, 131 et 132. On y trouvera une déclaration sous serment faite par le responsable de cette organisation, le comte Roderich Thun. Je cite le second alinéa, à la page 131, où il parle de sa dissolution :
« Le 30 juin 1934, le bureau de l’Union des catholiques allemands fut envahi par des agents de la Gestapo qui saisirent et emportèrent les dossiers. Je fus moi-même arrêté. »
Le fait qu’à la suite de ces mesures la dissolution ne fut qu’une simple formalité, est attesté dans le dernier alinéa de la page 131 :
« Même après ma libération, qui eut lieu quelque temps après, les dossiers confisqués ne furent pas restitués. En raison de l’attitude prise par les autorités du Parti, on ne pouvait plus envisager une reprise de l’activité de l’organisation. En fait, toute activité fut rendue impossible à l’Union des travailleurs catholiques étant donné que la seule personnalité qui eût pu se charger des interventions sans cesse nécessaires, M. von Papen, n’était plus là en raison de son départ pour Vienne. La seule question qui se posait encore pour la direction était de savoir comment prendrait officiellement fin l’activité de l’Union qui avait déjà pratiquement cessé. Mais on pouvait redouter qu’en cas de dissolution forcée officiellement annoncée, les nombreux catholiques qui s’étaient fait remarquer par leur travail au sein de l’organisation soient poursuivis. Afin de parer à ce danger, la dissolution fut prononcée par la direction même de l’Union des catholiques allemands. »
Voici enfin la dernière phrase de cet alinéa :
« Afin de préserver les intérêts catholiques dans la mesure du possible, l’avis de dissolution ne manqua pas de mentionner le fait que les autorités officielles et Hitler lui-même s’étaient solennellement engagés à protéger les intérêts chrétiens et ecclésiastiques. »
Pourriez-vous me rappeler la date à laquelle l’accusé von Papen partit pour Vienne ?
Le 15 août 1934, il se rendit à Vienne. Il y fut nommé à la fin de juillet 1934. (S’adressant à l’accusé.) Durant l’été 1934, il devint évident que le parti national-socialiste sabotait le Concordat et que les assurances de Hitler n’étaient pas tenues. Comment expliquez-vous la conduite de Hitler à cet égard ?
Je crois qu’à cette époque Hitler était personnellement désireux de maintenir la paix religieuse ; mais que les éléments extrémistes de son Parti ne le souhaitaient pas et que particulièrement Goebbels et Bormann incitaient sans cesse Hitler à violer les assurances données à l’Église. Contre ces violations, j’ai souvent et fréquemment élevé des protestations auprès de Hitler et, dans mon discours de Marbourg, j’ai stigmatisé publiquement ces violations. J’ai déclaré ce jour-là : « Comment pourrions-nous réaliser notre mission historique en Europe si nous nous rayions nous-mêmes de la liste des peuples chrétiens. »
J’attire l’attention du Tribunal et je le prie d’en prendre acte, sur le document 85, à la page 186. Il s’agit de l’affidavit du Dr Glasebock, ancien chef du Front des catholiques conservateurs d’Allemagne.
Témoin, le 14 mars 1937, le Pape Pie XI, dans son encyclique « Mit brennender Sorge », a exprimé son angoisse mortelle et protesté solennellement contre l’interprétation et les violations du Concordat. Le Ministère Public prétend que, si vous aviez été de bonne foi en donnant les assurances contenues dans le Concordat, vous auriez dû à ce moment-là résigner les hautes fonctions que vous occupiez. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?
En quoi ma démission aurait-elle amélioré la situation ? Sauf en ce qui concerne les affaires d’Autriche, je n’exerçais plus la moindre influence politique sur Hitler. Quitter mon poste en Autriche, je ne m’en sentais pas le droit, parce que j’étais convaincu que, précisément dans cette période critique de 1937, il était extrêmement important pour moi d’y rester. Nous verrons d’ailleurs pourquoi tout à l’heure.
Le Ministère Public prétend qu’en raison de cette Encyclique du Pape, certainement justifiée, j’aurais dû quitter mon poste ; mais je me permettrai de demander alors : que fit l’Église ? Le nonce du Pape n’a pas été rappelé de Berlin et l’évêque, Monseigneur Berning, qui représentait les intérêts catholiques au Conseil d’État n’a pas donné sa démission de ce Conseil. Cette attitude était parfaitement justifiée car, à l’époque, nous espérions tous une évolution à l’intérieur du pays.
J’attire l’attention du Tribunal sur le document 48 à la page 133. Ce document a déjà été déposé sous le numéro USA-356. Il se trouve dans mon livre de documents à la page 133. Il s’agit d’une allocution du Pape Pie XII, le 2 juin 1945 :
« Il faut reconnaître cependant que le Concordat, au cours des années qui suivirent, procura quelques avantages, ou tout au moins qu’il permit d’éviter des maux plus grands encore. En fait, malgré les violations auxquelles il fut soumis, il donna aux catholiques une base légale de défense, un bastion dans lequel ils purent se retrancher pour résister le plus longtemps possible aux persécutions religieuses qui croissaient sans cesse. »
Une conséquence pratique du Concordat apparaît dans le document 49, page 134 de mon livre de documents. Il a déjà été déposé sous le numéro USA-685. C’est une lettre adressée par l’adjoint du Führer au ministre chargé des affaires culturelles au sujet de la dissolution des facultés de théologie dans les universités. Je cite le dernier alinéa de cette lettre :
« En ce cas, il faudra, comme vous l’avez exposé dans votre lettre, prendre en considération les stipulations du Concordat et les accords confessionnels. Pour les facultés qui ne sont pas mentionnées expressément dans le Concordat et dans les accords confessionnels, celle par exemple de Munich et quelques autres, on peut procéder à leur suppression. Il en va de même pour les facultés de théologie de l’ « Ostmark » (Autriche), à Vienne et à Gratz. » (S’adressant à l’accusé.) Au cours des années suivantes, le droit de s’exprimer publiquement sur les questions religieuses fut presque entièrement supprimé puisque, en violation flagrante du Concordat, les journaux catholiques et même les bulletins paroissiaux furent, dans une large mesure, interdits. Qu’avez-vous fait contre ces mesures ?
Il me parut nécessaire, lorsque la presse catholique fut entièrement jugulée, de faire quelque chose pour arriver à maintenir la libre discussion et la lutte contre les tendances hostiles à l’Église. Je me suis souvent entretenu de cette question avec l’évêque Hudal, éminent prélat à Rome. Mon défenseur présentera au Tribunal un ouvrage écrit par cet évêque en 1936. Ce livre contient, outre mes sévères critiques des tendances anti-religieuses, une appréciation objective des idées sociales positives du national-socialisme. Ce livre est tout à fait significatif car on y voit une personnalité aussi éminente de l’Église tenter en cette année 1936 une synthèse de la pensée chrétienne et de ce qu’il y avait de sain dans les doctrines nationales-socialistes.
Quelle importance attribuez-vous à cet ouvrage vis-à-vis des accusations du Ministère Public ?
Voici pourquoi je considère que ce livre est très pertinent : le Ministère Public adopte une position facile. En raison de la fin criminelle du national-socialisme, il jette un blâme sur les premières années de son développement et tous les hommes aux intentions pures qui ont essayé de donner à ce mouvement un caractère positif et constructif sont stigmatisés comme des criminels.
Dans ce livre écrit en 1936, un éminent prélat fait entendre sa voix et, de sa propre autorité, fait une tentative pour améliorer la situation. Aujourd’hui, nous savons bien que toutes ces tentatives ont échoué et qu’un monde s’est effondré. Mais est-il juste d’accuser pour cela de crimes des millions de personnes, parce qu’elles ont cru alors pouvoir parvenir à quelque chose de bien ?
J’attire l’attention du Tribunal sur des extraits du livre de Monseigneur Hudal, document 36, page 116, et le prie de prendre acte de ce document. Je renvoie également, à propos de la question que l’accusé vient d’aborder : l’attitude des signataires ecclésiastiques à l’égard d’une synthèse de doctrines, au document 50, page 135. C’est un appel fait par le cardinal Innitzer en faveur et à la demande des évêques autrichiens.
Accusé, vous avez dit que le livre de Monseigneur Hudal avait pour but d’amener Hitler à modifier son attitude. Comment Hitler a-t-il accueilli cet ouvrage de l’évêque ?
Je crois que Hitler fut tout d’abord frappé par ce livre ; puis les tendances anti-chrétiennes de son entourage prirent une fois de plus le dessus et le convainquirent qu’il était extrêmement dangereux d’autoriser la publication d’un tel livre en Allemagne. Ce livre avait été imprimé en Autriche et devait, par conséquent, avoir une autorisation de diffusion en Allemagne. Tout ce que je pus obtenir, ce fut l’admission de 2.000 exemplaires qu’il voulait distribuer aux dirigeants du Parti afin qu’ils pussent étudier la question.
Avez-vous pu constater que la politique étrangère du Reich était poursuivie selon des principes admis lors de la constitution du Gouvernement ?
Oui, tant que j’ai été membre de ce cabinet, cette politique a été poursuivie selon les principes admis. Je citerai le pacte d’amitié avec la Pologne qui fut conclu à ce moment-là et qui était un accord important en faveur de la paix. Il fut conclu par Hitler, bien qu’il fût très impopulaire en raison de la question du couloir polonais. Je mentionnerai également le Pacte à Quatre, conclu durant l’été 1933, qui confirmait le Traité de Locarno, ainsi que le Pacte Kellogg. Je citerai la visite de M. Eden en janvier 1934 ; nous lui avions proposé de démilitariser les SA et les SS. Nous avons essayé ainsi d’arriver à détruire cette défiance vis-à-vis de l’Allemagne, et cela par des moyens pacifiques. A mon avis, les grandes Puissances ont commis une erreur gigantesque en ne se montrant pas plus compréhensives à l’égard de l’Allemagne et en ne l’aidant pas durant cette période ; ce qui déchaîna les tendances extrémistes.
Le 14 octobre 1933, l’Allemagne se retira de la Conférence du Désarmement. Ce départ ne constitua-t-il pas un abandon de la politique dont vous venez de parler ?
Le départ de l’Allemagne de la Conférence du Désarmement ne constitua nullement un abandon de nos principes de politique antérieurs. Le départ de la Conférence du Désarmement eut lieu parce que les assurances qui nous avaient été formellement données le 11 décembre 1932 concernant l’égalité des droits nous fuient alors retirées.
Docteur Kubuschok, pouvez-vous me dire si l’accusé prétend que les principes adoptés en 1933 sont contenus dans un document quelconque ?
Oui, la proclamation du Gouvernement du Reich du 1er février 1933 contient les principes politiques du nouveau cabinet. Ces principes sont complétés par une déclaration du Gouvernement du Reich en date du 23 mars 1933. Cette déclaration a été faite à propos de l’acte établissant les pleins pouvoirs.
Pourriez-vous me donner la référence du premier document que vous avez cité ?
Monsieur le Président, je vous demande la permission ’de vous donner cette référence après la suspension d’audience. (S’adressant à l’accusé.) Quels furent les motifs du départ de l’Allemagne de la Société des Nations et quelle fut votre attitude à cet égard ?
Le départ de l’Allemagne de la Société des Nations a été une question très controversée. Personnellement, je voulais que l’Allemagne demeurât au sein de la Société des Nations. Je me souviens d’avoir fait, la veille du jour où Hitler se décida à cette démarche, le voyage de Munich pour l’inciter à -rester à la Société des Nations. J’étais d’avis qu’il y aurait eu avantage pour nous à rester à la Société des Nations, où nous pouvions entretenir de très bonnes relations qui remontaient à l’époque de Stresemann. Néanmoins, si nous la quittions, c’était probablement une manœuvre tactique, dans la mesure où nous pouvions espérer que des négociations directes avec les grandes Puissances pourraient être plus fécondes. En outre, il ressort d’un entretien de M. von Neurath avec l’ambassadeur Bullitt (document Z-150), que M. von Neurath a proposé à l’ambassadeur américain la constitution d’une nouvelle Société des Nations dans laquelle l’Allemagne était toute disposée à entrer.
J’attire l’attention du Tribunal sur l’interrogatoire de Lersner (document 93). Dans la question n° 5, le témoin parle du voyage dé l’accusé von Papen à Munich. C’est à la page 213 du document 93.
Et maintenant, Monsieur le Président, j’ai à poser une question un peu longue peut-être, et je me demande s’il ne vaudrait pas mieux suspendre l’audience maintenant.
L’audience est levée.