CENT CINQUANTE-SIXIÈME JOURNÉE.
Lundi 17 juin 1946.
Audience de l’après-midi.
(L’accusé Von Papen est à la barre des témoins.)Tout à l’heure, on m’a posé une question au sujet des documents concernant les déclarations du Gouvernement du 1er mars 1933 et du 23 mars 1933. On peut trouver dans le document 12, page 53, des extraits de la déclaration du Gouvernement du 1er mars 1933, mais il ne s’agit que d’un court extrait et j’ai l’intention de soumettre toute la déclaration.
La déclaration du 23 mars 1933 est contenue dans le livre de documents, dans le document 12, aux pages 56 à 58, où elle ne figure également que par extraits. Cette déclaration a déjà été déposée in extenso sous la cote US-568. (Au témoin.) Le 2 novembre 1933, à l’occasion d’un discours fait à Essen avant le plébiscite sur le retrait de l’Allemagne de la Société des Nations, vous avez pris position et vous vous êtes déclaré d’accord avec l’attitude prise par le Gouvernement. Le Ministère Public en a tiré une conclusion défavorable pour vous.
Quelles sont les raisons qui, à cette époque, vous ont amené à prononcer ce discours ?
Le départ de la Société des Nations était une décision extraordinairement importante sur le plan de la politique extérieure. Nous désirions montrer au monde que ce départ ne devait pas signifier une modification dans nos méthodes de politique extérieure. C’est pourquoi Hindenburg et Hitler, dans des proclamations solennelles, ont insisté sur le fait que le peuple allemand devait, par un plébiscite, se prononcer sur la question et montrer que le départ de l’Allemagne de la Société des Nations devait simplement servir la cause de la Paix et de l’égalité des droits.
J’attire l’attention du Tribunal sur le document 60, page 167, et sur les documents 61 et 62 aux pages 147 à 152 du livre de documents. Il s’agit des déclarations de Hitler, du Gouvernement du Reich et de Hindenburg. Le sens de toutes ces déclarations est le suivant : il s’agit simplement d’un changement de méthodes et non pas d’un changement d’attitude. (Au témoin.) Vous étiez à ce moment-là Commissaire du Reich pour la réintégration du territoire de la Sarre. Quelle politique avez-vous poursuivie dans la question sarroise ?
Dans la question sarroise, j’ai toujours été en faveur d’une entente amicale avec la France ; je pensais qu’il fallait régler le problème sarrois sans plébiscite. Cette renonciation n’était pas due à des motifs égoïstes, car ce plébiscite était une victoire assurée à tous moments pour l’Allemagne ; mon offre constituait bien davantage un sacrifice volontaire en vue de cette entente. En même temps, je proposais que pour le retour des mines de la Sarre, on versât à la France une indemnité se montant à 900.000.000 de francs. Au reste, il convient d’ajouter encore que même après le départ de l’Allemagne de la Société des Nations, mon mandataire pour la question sarroise, le baron von Lersner, a toujours continué à négocier avec les organes de la Société des Nations dans le sens d’une compensation amicale au sujet de la Sarre. En été 1934, mon délégué a mené des négociations à ce sujet avec le ministre des Affaires étrangères de France, M. Barthou.
J’attire l’attention du Tribunal sur le document n° 59, à la page 145. Ce document reproduit une publication du témoin, dans laquelle il expose son point de vue sur la question sarroise. Le baron von Lersner, dans son questionnaire, — document 93, page 212, question 3 — a pris position en ce qui concerne la question sarroise. (Au témoin.) Y avait-il des indices quelconques montrant qu’après le départ de l’Allemagne de la Société des Nations la politique étrangère pacifique n’était que provisoire, adaptée au moment, et qu’on envisageait une politique plus agressive ?
Nullement. Notre départ de la Société des Nations ne constituait pour nous qu’un changement de méthodes. A cette époque, nous entretenions des négociations directes avec les grandes Puissances. J’ai insisté, au cours de nombreuses manifestations publiques, sur le fait que nous poursuivions une politique de paix et je me permets, à ce propos, d’attirer l’attention du Tribunal sur le document n° 56 que mon défenseur va présenter au Tribunal.
Ce document n° 56, à la page 44, contient un discours du témoin prononcé à Kottbus le 21 janvier 1934. Je prie le Tribunal d’en prendre acte. (Au témoin.) Avez-vous eu connaissance de mesures de réarmement quelconques qui eussent pu indiquer des intentions agressives pour l’avenir ?
II me semble que les débats devant ce Tribunal ont déjà montré que le réarmement effectif n’a commencé que bien plus tard. S’il se trouve que dès 1933 et 1934 Hitler a effectivement ordonné des mesures de réarmement, ces mesures ont été discutées par Hitler personnellement avec le ministre de la Défense du Reich et le ministre de l’Aviation. Quant à moi, je n’ai jamais été saisi de telles mesures. D’ailleurs, on a déjà constaté ici que le Conseil de la Défense du Reich, qui a été cité si souvent, n’était en 1933 et 1934 qu’un simple comité de spécialistes dirigés par un lieutenant-colonel.
Tout à l’heure, vous avez parlé des assurances que vous cherchiez à obtenir lors de la formation du Gouvernement de Hitler, en vue d’affaiblir l’influence du Parti. Comment ont évolué l’attitude de Hitler et l’influence du Parti au cours de Panne 1933 et au début de 1934 ?
Peu à peu, des rapports de confiance se sont établis entre Hitler et Hindenburg. Ceci amena la suppression du rapport commun qui avait été fixé alors. Un des facteurs décisif de cette évolution fut l’influence prise par Hitler sur le ministre de la Défense du Reich, Blomberg. Dès cette époque, en 1933, Hitler essayait d’exercer une influence déterminante sur l’Armée. Il voulait obtenir le renvoi du général von Hammerstein et son remplacement par le général von Reichenau qui passait pour être un ami du Parti. A ce moment-là, je réussis à convaincre le Président du Reich de ne pas donner suite à ce désir de Hitler et je lui recommandai de prendre le général von Fritsch.
Une autre raison de cette évolution fut l’incorporation du « Stahlhelm » — c’est-à-dire d’un groupe de la droite conservatrice — aux SA de la NSDAP. Puis, de nouveaux postes ministériels furent occupés par des membres du Parti. Hugenberg, le chef de la droite conservatrice, quitta son poste et les deux ministères importants qu’il administrait, l’Économie et l’Agriculture, passèrent aux mains des nationaux-socialistes. Mais, ce qui eut une influence décisive sur le plan psychologique, et cela je l’ai déjà dit, ce sont les élections du 5 mars car, à partir de ce moment-là, les gouvernements de tous les pays avaient une majorité nationale socialiste et c’est de là qu’une pression constante était exercée sur Hitler. Hitler s’appuya désormais sur le dynamisme du Parti et, dans une mesure toujours croissante, de partenaire prêt à des compromis, il devînt un autocrate qui les refusait tous.
J’attire l’attention du Tribunal sur la déclaration sous serment de l’ancien ministre Hugenberg, qui constitue le document 88, figurant aux pages 196 à 198 du livre de documents. J’indique également le document 13, aux pages 59 à 61 du livre de documents. Il s’agit de la déclaration sous serment du Dr Konrad Josten. (Au témoin.) Sur quoi devait être fondée votre position de vice-chancelier ?
En tant que vice-chancelier, j’étais censé remplacer le chancelier, mais sans attributions particulières. Très rapidement cependant, il s’avéra qu’il ne pouvait s’agir d’un remplacement, car Hitler traitait lui-même tous les problèmes. Le fait que je ne disposais d’aucun ressort ministériel affaiblissait ma position, car celle-ci ne reposait plus que sur la confiance de Hindenburg, confiance qui diminuait à mesure que la position de Hitler augmentait de poids.
Sur quoi s’appuyait, constitutionnellement, la position de Hitler dans le Cabinet du Reich ?
La position constitutionnelle du chancelier dans le cabinet était fixée par l’article 56 de la Constitution, qui dit :
« Le chancelier détermine les grandes lignes de la politique et en porte la responsabilité devant le Reichstag ». Si la politique d’un ministre chargé d’un ressort ministériel n’est pas conforme aux directives du Chancelier du Reich, ce n’est pas le cabinet qui en décide par une décision prise à la majorité, mais le Chancelier du Reich seul. Et l’article 58 de la Constitution dispose : « Le Chancelier du Reich ne peut pas être mis en minorité par le cabinet pour des questions concernant des contradictions avec la politique qu’il a déterminée ».
A propos de cette question qui jusqu’alors, et même au cours de l’exposé des preuves, n’a pas été présentée d’une manière juridique exacte, j’attire l’attention du Tribunal sur le commentaire de la Constitution de Weimar, de Gerhard Anschùtz, qui constitue le document 22, figurant aux pages 80 et 81 du livre de documents. A la page 81, j’attire l’attention du Tribunal sur l’annexe n° 4 se rapportant à la l’article 56 de la Constitution. Cette annexe spécifie qu’en cas de différend sur l’application des principes de la politique, le Chancelier du Reich décide seul et que, sur ces questions de principe, il ne doit pas y avoir vote ni décision à la majorité. (Au témoin.) Quelles conclusions avez-vous cru devoir tirer de l’évolution des événements ?
Au milieu de l’année 1934, la tension intérieure s’accentua en Allemagne d’une manière croissante. Il en résulta une situation dans laquelle des concessions que nous avions faites en qualité de partenaires de la coalition n’amenaient pas un apaisement intérieur définitif, mais n’étaient considérées par le Parti que comme le début d’un nouveau mouvement révolutionnaire. Cela constituait visiblement un abandon du pacte de coalition qui avait été conclu le 30 janvier. Les objections que j’exprimai à plusieurs reprises au cabinet restèrent sans résultat. Si donc il n’y avait pas de possibilité de forcer le Chancelier du Reich à procéder à une modification de la politique de son cabinet, — et c’était, comme nous venons de l’exposer, impossible en vertu de la Constitution — il ne restait que la possibilité d’une démission ou celle de s’adresser à l’opinion publique. En offrant ma démission, je me privais de ma possibilité de parler. C’est pourquoi je décidai de parler, et de parler publiquement. Et je résolus de m’adresser au peuple allemand en traitant de problèmes fondamentaux. Si, comme le prétend le Ministère Public, j’avais été un opportuniste, je me serais tu et je serais resté à mon poste, ou j’aurais accepté un autre poste. Mais je décidai à ce moment-là de m’adresser à l’opinion publique en acceptant toutes les conséquences qui pourraient en résulter.
Le 17 juin 1934, vous avez prononcé ce discours à Marbourg. Que pensiez-vous pouvoir obtenir par ce moyen ?
Dans ce discours, je soumettais à Hitler, en vue d’une discussion et d’une décision, toutes les questions qui étaient importantes pour le maintien d’une politique raisonnable en Allemagne. Je m’élevais contre les prétentions d’un certain groupe ou d’un parti à constituer un monopole révolutionnaire ou national. Je m’élevais contre la violence et contre l’oppression, contre les tendances anti-chrétiennes et contre les prétentions à un totalitarisme sur le plan religieux ; je m’opposais à la suppression de toute critique ; je m’élevais contre l’oppression et l’uniformisation de l’esprit, contre la violation de principes fondamentaux du droit et contre l’inégalité devant les juges, contre le byzantinisme du Parti. Il était parfaitement clair pour moi que si l’on réussissait — et ne fût-ce que sur un seul point — à rompre le cercle de ce système qui constituait la base du système nazi, on réussirait à obliger ce système à revenir à l’ordre, par exemple, au rétablissement de la critique et de la liberté spirituelle.
Ce discours, dont l’importance a déjà été relevée par le Ministère Public, constitue le document 11, figurant à la page 40 du livre de documents. Je voudrais attirer l’attention sur le fait que le texte anglais comporte une faute d’impression : ce discours n’est pas du 7 juillet, comme l’indique la traduction, mais du 17 juin.
En raison de l’importance fondamentale de ce discours, qui, par sa position critique constitue quelque chose d’unique dans l’Histoire allemande depuis 1933, je me propose d’en lire quelques passages importants. J’attire l’attention du Tribunal sur la page 41 et je commence vers le milieu de cette page :
« Nous savons que les bruits, les rumeurs, doivent être tirés de l’ombre dans laquelle ils se réfugient. L’explication ouverte et virile convient mieux au peuple allemand que, par exemple, l’attitude hermétique d’une presse dont le ministre de l’Information et de la Propagande a dit qu’elle n’avait plus de visage. Ce défaut existe sans conteste. La presse devrait être là pour instruire le Gouvernement des insuffisances qui se sont révélées, des lieux où la corruption s’est nichée, où des fautes graves ont été commises, où des hommes incapables occupent des places qui ne leur reviennent pas, où des péchés sont commis contre l’esprit de la révolution allemande. Un service de renseignements secret ou anonyme, si bien organisé soit-il, ne pourra jamais remplacer la presse dans ce rôle. En effet, le rédacteur est sous la responsabilité de la loi et de sa conscience, les pourvoyeurs anonymes de renseignements, par contre, sont incontrôlables et exposés au danger du byzantinisme. Mais si les organes compétents de l’opinion publique n’éclaircissent pas suffisamment l’ombre pleine de mystère qui semble être étendue en ce moment sur l’âme du peuple allemand, c’est l’homme d’État lui-même qui doit intervenir et appeler les choses par leur nom. »
A la page 42, un peu après le milieu de la page :
« La vérité historique est que la nécessité d’un changement de direction fondamental a également été reconnue et favorisée par les hommes auxquels répugnait le changement par la voie d’un parti de masses. Le droit à un monopole révolutionnaire ou national pour certains groupes me paraît donc exagéré, d’autant plus qu’il gêne la communauté nationale. »
A la page 43, je cite une phrase qui se trouve à peu près au milieu de la page :
« On ne peut pas organiser tous les aspects de la vie, car on risque alors de la mécaniser. L’État est organisation ; la vie est développement. »
A la page 45, un peu après le milieu de la page :
« La prédominance d’un seul parti au lieu du système de plusieurs partis, heureusement disparu, me paraît, historiquement, être un état de transition qui ne se justifie qu’aussi longtemps que le changement de politique n’est pas assuré et que la nouvelle élite n’est pas entrée en fonctions. »
Sur la question religieuse, le témoin s’exprime à la page 46 de son discours, environ au milieu de la page :
« Mais on ne doit pas confondre l’État religieux, qui se base sur une croyance vivante en Dieu, avec l’État laïque, dans lequel des valeurs terrestres sont mises à la place de la croyance en l’au-delà et parées d’honneurs religieux. »
Environ cinq lignes plus bas :
« Certes, le respect extérieur à l’égard de la croyance religieuse est un progrès par rapport à l’attitude irrespectueuse d’un rationalisme dégénéré, mais nous ne devons pas oublier que la véritable religion est un lien avec Dieu et non un lien avec les moyens de remplacement qui ont été introduits dans la conscience des peuples précisément par la conception matérialiste de l’histoire d’un Karl Marx. Si maintenant de larges milieux exigent, précisément du point de vue de l’État totalitaire et de la fusion définitive de la nation, une base de croyance unifiée, ils ne doivent pas oublier que nous devons être heureux d’avoir une telle base dans le christianisme. »
La troisième ligne avant la fin de cette page :
« Je suis convaincu que la doctrine chrétienne représente simplement la forme religieuse de toute la pensée occidentale et que le réveil des forces religieuses peut à nouveau faire pénétrer dans le peuple allemand les valeurs chrétiennes dont toute la profondeur n’est même plus soupçonnée par une humanité ayant traversé le XIXe siècle. Nous lutterons pour décider si le nouveau Reich des Allemands sera chrétien ou se perdra dans un sectarisme ou un matérialisme semi-religieux. »
A la page 48, un peu après le milieu de cette page :
« Mais lorsqu’une révolution est faite, le Gouvernement ne représente que la communauté nationale et n’est jamais le représentant de groupes particuliers. »
Un peu plus bas, c’est à peu près à la dixième ligne avant la fin de cette page 48 :
« C’est pourquoi il n’est pas possible de se débarrasser de l’esprit sous prétexte d’intellectualisme. Une intelligence faible ou primitive ne suffit pas pour autoriser à la lutte contre l’intellectualisme et si nous nous plaignons aujourd’hui de nationaux-socialistes à 150%, il s’agit d’intellectuels déracinés, d’intellectuels qui voudraient contester le droit à l’existence d’hommes de science de renommée mondiale parce qu’ils ne possèdent pas le livret du Parti. »
A la page suivante, c’est-à-dire à la page 49, à la première ligne en haut :
« Que l’on ne dise pas que les hommes de pensée manquent de la vitalité sans laquelle aucun peuple ne peut être dirigé. Le véritable esprit est tellement vivant qu’il se sacrifie pour sa conviction. La confusion de la brutalité et de la vitalité mènerait à une idolâtrie de la force qui serait dangereuse pour une nation. »
En ce qui concerne l’égalité devant les juges, il en est question dans l’alinéa suivant dont je lis le dernier paragraphe :
« Ils s’opposent à l’égalité devant les juges qu’ils flétrissent comme une déviation libérale alors qu’elle est en réalité la condition nécessaire de tout jugement équitable. Ces gens oppriment cette base de l’État qui s’est appelée de tous temps — et non pas seulement dans l’ère libérale — l’équité. Leurs attaques se dirigent contre la sécurité et la liberté de la vie privée que l’homme allemand a acquise au cours de siècles de lutte opiniâtre. »
Et il parle, à l’alinéa suivant, contre le byzantinisme, (deuxième phrase) :
« Les grands hommes ne se font pas par la propagande, mais grandissent par leurs actions et sont reconnus par l’Histoire. Le byzantinisme, lui non plus, ne peut pas nous leurrer sur ces lois. »
En ce qui concerne l’éducation, il en traite dans l’alinéa suivant et je commence par la lecture de la deuxième phrase de cet alinéa :
« Mais on ne doit pas se faire d’illusions sur les limites biologiques et psychologiques de l’éducation. La contrainte, elle aussi, s’arrête devant la volonté d’affirmation de la vraie personnalité. Les réactions contre la contrainte sont dangereuses. En tant qu’ancien soldat, je sais que la discipline la plus stricte doit être complétée par certaines libertés. Même le bon soldat qui se soumet avec joie à une obéissance sans réserves, compte ses jours de service parce que le besoin de liberté est enraciné dans la nature humaine. L’application de la discipline militaire à la vie entière d’un peuple doit donc se tenir dans des limites qui ne contrarient pas les prédispositions humaines. »
A la page suivante — page 50 — je lirai la deuxième phrase du dernier alinéa :
« Il faudra qu’un jour le mouvement prenne fin et que surgisse un édifice social solide étayé par une législation indépendante et un pouvoir d’État incontesté. On ne peut rien créer au moyen d’un dynamisme éternel. L’Allemagne ne doit pas devenir un train vers l’inconnu dont personne ne sait quand il s’arrêtera. »
A la page suivante, je citerai — et ce sera la dernière citation — le premier alinéa :
« Le Gouvernement est bien renseigné sur tout ce qui, en fait de cupidité, manque de caractère, manque de loyauté, manque d’esprit chevaleresque et présomption, tente de se développer sous le couvert de la révolution allemande. Il ne se fait aucune illusion sur le fait que le riche trésor de confiance que lui a accordé le peuple allemand est menacé. Si l’on veut rester près du peuple, si l’on veut constituer l’union du peuple, on ne doit pas sous-estimer son intelligence, mais répondre à sa confiance et ne pas vouloir le mettre constamment en tutelle. Le peuple allemand sait que sa situation est grave, il ressent la détresse économique, il connaît exactement les défauts de certaines lois nées de la nécessité, il a le sens très net de la brutalité et de l’injustice, il sourit des tentatives maladroites faites pour le tromper par de belles couleurs. Aucune organisation et aucune propagande, si bonnes soient-elles, ne seront à elles seules capables, à la longue, de maintenir la confiance. C’est pour cela que j’ai considéré autrement que certains autres la vague de propagande contre les « critiqueurs ». Ce n’est pas par l’excitation de la jeunesse en particulier, ce n’est pas par des menaces contre les éléments indigents de la nation, mais seulement par une explication confiante avec le peuple que l’on peut accroître la confiance et la joie au travail. Le peuple sait que de lourds sacrifices lui sont demandés. Il les supportera et suivra le Führer avec une fidélité inébranlable, si on le laisse participer aux délibérations et aux actes et si l’on n’interprète pas chaque parole de critique comme une preuve de mauvaise volonté, et enfin si l’on ne considère pas les patriotes désespérés comme des ennemis de l’État. »
Quelles ont été, témoin, les répercussions du discours de Marbourg ?
Ce discours a été interdit à l’instigation du ministre de la Propagande, Goebbels. Un ou deux journaux seulement ont pu le reproduire, mais cela a suffi pour provoquer dans le pays et à l’étranger une certaine sensation. Lorsqu’on m’a informé de l’interdiction du ministère de la Propagande, je me suis rendu auprès du Chancelier du Reich et je lui ai présenté ma démission. Je lui ai dit : « Il est inadmissible que le vice-chancelier de votre Gouvernement soit obligé de se taire ; dans ce cas, il ne me reste rien d’autre à faire que de partir. »
Hitler m’a répondu :
« C’est une erreur du ministre de la Propagande ; je lui en parlerai et lui demanderai de lever cette interdiction. »
Il m’a ainsi tenu en haleine pendant plusieurs jours. Maintenant je sais qu’à ce moment-là déjà il me trompait ; car mon coaccusé Funk a déclaré que Hitler lui avait donné l’ordre de se rendre chez Hindenburg pour lui déclarer que le vice-chancelier aurait fait des déclarations contre la politique de Hitler et contre son cabinet et qu’il devait par conséquent être congédié. Puisque le témoin Gisevius a déclaré ici que M. von Papen se serait tu, qu’il aurait pu tout au moins mobiliser les diplomates, je me permettrai d’indiquer que le journal de M. Dodd fait ressortir très clairement que le monde extérieur a été parfaitement renseigné sur ce dernier appel que j’ai lancé.
A propos de la dernière observation faite par le témoin, j’attire l’attention du Tribunal sur le document 17, aux pages 71 et 72 — il s’agit du journal de Dodd — je vous demande pardon, dans le texte anglais ce document figure aux pages 69 et 70. Je cite le deuxième alinéa, première ligne :
« Une grande agitation règne maintenant dans toute l’Allemagne. » — auparavant il avait mentionné le discours de Marbourg — « Tous les Allemands âgés et cultivés sont fort satisfaits. »
Et, à la date du 21 juin, il rapporte que le discours a été télégraphié au New-York Times et que les journaux de Londres et de Paris impriment en bonne place « L’incident von Papen », comme il appelle le discours de Marbourg.
J’attire encore l’attention du Tribunal sur le début de la page 72, page 70 du texte anglais. En ce qui concerne les mesures prises par le Gouvernement contre le discours de Marbourg et sa publication, j’attire l’attention du Tribunal sur le document n° 15, page 66, déclaration sous serment de Westphal, de laquelle il ressort que la simple possession d’une copie du discours suffisait pour qu’on prît des mesures disciplinaires contre un fonctionnaire. (Au témoin.) Témoin, entre temps eurent lieu les événements du 30 juin 1934. Dans quelle mesure vous ont-ils touché personnellement ?
Le 30 juin dans la matinée, j’ai été appelé au téléphone par le ministre Göring, qui me priait de me rendre chez lui en vue d’un entretien.
Je me rendis chez Göring qui me déclara qu’une révolution avait éclaté dans le Reich, une révolution des SA, que Hitler était à Munich pour réprimer la révolte et que lui, Göring, était chargé de rétablir l’ordre et le calme à Berlin. M. Göring me pria alors, dans l’intérêt de ma propre sécurité — c’est ainsi qu’il s’exprima — de me rendre à mon domicile et de m’y tenir. Je protestai très énergiquement contre cette invitation, mais M. Göring insista. En me rendant à mon domicile, je passai tout d’abord par mon bureau, à la vice-chancellerie. A mon arrivée, je vois que la vice-chancellerie est occupée par les SS, et on ne me permet que de me rendre dans mon bureau pour prendre possession de mes dossiers. Je me remets en route pour aller chez moi et j’y trouve une importante formation des SS. Le téléphone est coupé ainsi que la radio et je suis complètement coupé de tout contact avec le monde extérieur pendant trois jours.
Quelles mesures a-t-on prises contre vos collaborateurs ?
Les mesures prises contre mes collaborateurs ne m’ont évidemment été connues que le 3 juillet quand j’eus recouvré ma liberté. J’appris alors que M. von Bose, qui était mon attaché de presse, avait été abattu dans son bureau. J’appris que deux de mes secrétaires, M. von Tschirschky et un autre, avaient été emmenés dans un camp de concentration, et, quelques jours après, j’appris la mort de mon collaborateur et ami, M. Edgar Jung.
Avez-vous essayé de vous mettre en rapport avec le Président du Reich ?
Le troisième jour de ma claustration, je réussis enfin à obtenir une communication téléphonique avec Göring. J’exigeai qu’on me remît immédiatement en liberté. M. Göring s’excusa et me dit que ce n’était qu’à la suite d’une erreur que j’avais été gardé si longtemps aux arrêts. Je me rendis alors immédiatement à la Chancellerie du Reich. Là, je rencontre Hitler qui s’apprête à ouvrir une séance du cabinet. Je le prie de m’accorder une entrevue dans une autre pièce, et je refuse d’accepter son invitation à me faire participer à la séance du cabinet. Je lui dis :
« Ce qui est arrivé à un des membres de votre Gouvernement est si incroyable et si inouï qu’il ne peut y être fait qu’une seule réponse : la répétition de mon offre de démission, et cela immédiatement. »
M. Hitler essaie de me convaincre de rester. Il dit :
« Je vous déclarerai au cours de la séance du cabinet, et plus tard au Reichstag, comment tout cela est arrivé et pourquoi cela devait se passer de cette manière. »
Je lui dis alors :
« M. Hitler, il n’y a pas d’explications, il n’y a pas d’excuses à cela. Je demande une enquête immédiate sur tout ce qui a touché mes collaborateurs, et la constatation des faits. » Je lui demandai la publication immédiate de ma démission. M. Hitler dit — après avoir vu qu’il était impossible de me convaincre de rester — qu’il ne pouvait pas publier ma démission ; l’agitation dans le peuple allemand était trop grande et il ne pourrait publier cette démission que d’ici trois ou quatre semaines.
Après avoir quitté Hitler, j’essayai personnellement, ainsi que par un de mes secrétaires, d’entrer en rapports avec Hindenburg. Cela échoua. Mon secrétaire — je dois dire ici que M. von Hindenburg se trouvait à ce moment-là à Neudeck en Prusse Orientale — mon secrétaire, qui s’était rendu en Prusse Orientale, constata qu’il était impossible d’atteindre Hindenburg. Toutes les voies d’accès étaient barrées. Mes propres appels téléphoniques ne passaient pas.
Je me rends alors auprès de mon ami, le chef de la Wehrmacht, le général von Fritsch, et je lui dis : « Pourquoi la Wehrmacht n’intervient-elle pas ? La Wehrmacht est le seul facteur d’ordre que nous ayons encore dans le pays. Maintenant que le général von Schleicher et sa femme ont été assassinés, de même que d’autres officiers, il serait bon, à mon avis, que la Wehrmacht elle-même rétablisse l’ordre dans cette question ». M. von Fritsch me dit :
« Je ne peux agir que si je reçois un ordre du maréchal von Hindenburg. » Mais Hindenburg ne pouvait pas être atteint. Apparemment, il avait été informé par les autres du caractère absolument légal des événements qui s’étaient déroulés, et dont Hitler avait déclaré au Reichstag qu’ils étaient justifiés. Je n’ai pas non plus assisté à cette séance du Reichstag, comme l’a prétendu ici le témoin Gisevius et, entre le 30 juin et ma nomination pour l’Autriche, je n’ai participé à aucun acte du Gouvernement.
Je mentionnerai encore que pendant ces journées j’ai demandé au Chancelier du Reich de me faire remettre le cadavre de mon ami Bose ; on sait que la Gestapo a incinéré les cadavres des autres. J’ai réussi...
L’audience est suspendue.
Plaise au Tribunal. L’accusé Hess n’assistera pas à l’audience.
Continuez, s’il vous plaît. Vous étiez en train de répondre à la dernière question.
Pour en terminer avec cette question, je voudrais faire remarquer encore que j’ai réussi à faire inhumer solennellement la dépouille de mon ami Bose, et qu’à cette occasion j’ai prononcé une allocution sur sa tombe, dans laquelle j’insistais sur le fait qu’un jour viendrait où la justice serait faite.
J’attire l’attention du Tribunal sur le document n° 14, pages 62 et 63. Il s’agit d’un affidavit de mademoiselle Maria Bose, qui a été pendant, de longues années la secrétaire particulière du témoin. A la page 63, elle fait allusion à la cérémonie funéraire de Bose dont le témoin vient de parler.
D’autre part, je me réfère au document n° 19, pages 77 et 78 ; c’est l’affidavit de Schaffgotsch, qui décrit tout particulièrement les efforts faits par le témoin pour atteindre Hindenburg à Neudeck, et comment ceux-ci ont été sans succès. Document n° 19, pages 77 et 78. (Au témoin.) Témoin, on vous a alors offert le poste d’ambassadeur auprès du Vatican. Veuillez nous exposer les circonstances de cette nomination.
Il est exact que Hitler essaya de me maintenir dans son entourage et que huit jours environ après les événements dont il a été question, il m’envoya le secrétaire d’État Lammers, et me fit demander si je serais prêt à accepter le poste d’ambassadeur auprès du Vatican. Il va sans dire que j’ai repoussé cette suggestion, et je mentionne cela ici simplement parce que, quelques semaines plus tard, j’ai accepté un poste à Vienne, et ceci pour de tout autres raisons et afin de prouver qu’il m’était indifférent d’obtenir un poste. J’ai repoussé les suggestions de Hitler de la façon la plus catégorique.
J’attire l’attention du Tribunal sur le document n° 18, page 75’et 76 du livre de documents ; c’est un affidavit de Martha von Papen, épouse du témoin, qui décrit la visite que Lammers fit à cette époque à von Papen.
En ce qui concerne le thème traité par le témoin tout à l’heure, sa non-participation à la séance du Reichstag du 13 juillet, je cite le document 21, page 79 ; c’est un extrait du Völkischer Beobachter sur la séance du Reichstag. Les noms des ministres présents y sont mentionnés, le nom du témoin Papen n’y figure pas. (Au témoin.) Quand Hitler vous a-t-il demandé de partir comme ambassadeur extraordinaire à Vienne ?
Le jour de l’assassinat de Dollfuss, le 25 juillet 1934...
Un moment, je vous prie. Pouvez-vous me rappeler, Docteur Kubuschok, si l’on a posé une question quelconque au témoin Lammers au sujet de cette offre ?
Oui, on a posé une question au témoin Lammers. Au cours de son audition, il a été interrogé sur cette question.
Et qu’a-t-il répondu ?
Il a dit que Papen avait refusé.
Continuez, je vous prie.
Le 25 juillet, jour de l’assassinat de Dollfuss, pendant la nuit, je reçus un coup de téléphone de Hitler, me demandant de me rendre immédiatement à Vienne comme son ambassadeur. Je lui dis : « Comment cette étrange idée vous est-elle venue ? » Il m’informa de l’assassinat de Dollfuss, que j’ignorais encore à ce moment-là, et me dit : « Il est absolument nécessaire que quelqu’un prenne immédiatement les affaires là-bas, quelqu’un qui soit au courant de l’état des choses ». Je lui répondis qu’il m’était absolument impossible de prendre au téléphone une décision sur un sujet aussi important, et il me pria de me rendre aussitôt à Bayreuth pour en discuter -avec lui.
Comment se déroulèrent les pourparlers à Bayreuth ? Avez-vous posé des conditions pour accepter ce poste ?
Les pourparlers à Bayreuth se déroulèrent de la façon suivante : Hitler me représenta que j’étais la seule personne qu’il eût sous la main et qui fût capable de rétablir la situation en Autriche, car Hitler connaissait ma position vis-à-vis de ce problème, en raison des nombreuses protestations que j’avais formulées au cabinet contre le traitement infligé à l’Autriche. Il savait aussi que j’avais été un ami du Dr Dollfuss qui venait d’être assassiné, et que je connaissais M. von Schuschnigg. Je posai mes conditions et ces conditions étaient les suivantes : Rappel immédiat du Gauleiter du Parti qui, sur l’ordre de Hitler, se trouvait en Autriche, M. Habicht. Hitler pensait que s’il faisait cela, ce serait un aveu de sa culpabilité.
Le Gauleiter d’où ?
M. Habicht.
C’est ainsi que je compris son nom. De quel Gau était-il Gauleiter ?
Gauleiter est peut-être une expression erronée. Il avait été envoyé par Hitler en Autriche pour lui servir d’agent de liaison et y diriger les affaires des nationaux-socialistes autrichiens.
Témoin, peut-être pourriez-vous dire que son titre était « Landesleiter », ce qui peut correspondre au titre de Gauleiter en Allemagne.
Il était Landesleiter. C’était le titre des gens qui, à l’étranger, dirigeaient les organisations du Parti.
Hitler répondit que s’il retirait cet homme cela aurait l’air d’un aveu de sa responsabilité dans l’assassinat de Dollfuss. Je lui répondis que la responsabilité du Parti ou de ses services était une chose dont le monde entier était convaincu, et qu’il ne s’agissait plus pour moi que de faire cesser ces rapports. Je demandai en outre à Hitler une assurance écrite suivant laquelle la politique austro-allemande — ce qu’on a appelé vulgairement la politique de l’Anschluss — serait menée à l’avenir par voie d’évolution, et qu’il soit renoncé à toute mesure de violence et à toute agression. Hitler ordonna le rappel immédiat de ce Habicht et, pour la deuxième question, il me donna une assurance écrite. Je me déclarai alors prêt à entreprendre une action d’apaisement en Autriche, mais seulement jusqu’au moment où seraient rétablis des rapports normaux et amicaux. De là le titre que je portais plus tard en Autriche : « Ambassadeur en mission spéciale ».
Témoin, nous avons entendu parler de votre rupture politique avec Hitler après votre discours de Mar-burg, de votre démission du cabinet et de la façon dont vous avez été traité le 30 juin. Je voudrais que vous me disiez maintenant les raisons qui vous ont incité à accepter ce poste en Autriche, malgré les événements que vous venez de mentionner ?
Cette décision de me rendre en Autriche, le Ministère Public en a fait un grief particulièrement grave. Si l’on veut comprendre les motifs de ma décision, il est nécessaire de connaître l’histoire de l’Allemagne, et il convient de savoir que la question autrichienne est le problème central de la politique allemande. Le Dr Seyss-Inquart a parlé de façon très détaillée de cette question : je pourrai donc être extrêmement bref et je ne ferai qu’ajouter que, du côté allemand aussi, l’unité allemande pour laquelle nous combattions depuis trois cents ans constituait le but essentiel de notre politique nationale.
Avec le 30 juin, la coalition que j’avais créée le 30 janvier s’était effondrée. C’est un fait historique qu’en matière de politique intérieure mes intentions et mes vues avaient échoué. L’assassinat de Dollfuss faisait apparaître le danger de voir l’Allemagne subir un autre échec sur cette grande question de politique étrangère, la recherche de notre unité.
Tout cela était présent à mon esprit lorsque je pesais l’importante décision d’accéder à la demande de Hitler. S’il avait envoyé là-bas un homme du Parti, il était bien évident que tout espoir se trouverait perdu. S’il avait nommé un diplomate des Affaires étrangères, on pouvait admettre que ce fonctionnaire ne pourrait pas exercer une influence personnelle sur Hitler. Si l’on voulait donc sauver la situation, il fallait que ce fût quelqu’un qui, en tout état de cause, fût en mesure d’influencer Hitler, et quelqu’un qui fût, comme moi, indépendant, et qui suive sa ligne politique propre. Aujourd’hui comme alors, je vois clairement que beaucoup de mes amis n’ont pas compris ma décision et qu’ils l’ont considérée comme un manque de caractère. Je crois au contraire que cette décision est de celles dont chacun doit prendre la responsabilité vis-à-vis de sa propre conscience, sans égard à l’approbation ou à l’incompréhension des autres, et ma conscience me disait que je devais tout faire pour rétablir l’ordre, du moins sur ce point.
A propos des questions relatives à l’Autriche, j’attire l’attention du Tribunal sur l’ensemble des documents qui ont été présentés dans le cas précédent. Je voudrais simplement, à titre complémentaire, attirer l’attention sur le document n° 64, page 157, et sur le document 65, page 158, ainsi que sur le document n° 81, page 178. Le document que je viens de mentionner a déjà été déposé au moment du cas Seyss-Inquart ; il concerne la position prise par le Dr Renner, chancelier d’État, sur la question de l’Anschluss. Je voudrais simplement en citer les quatre dernières lignes, à la page 179 :
« En tant que social-démocrate, et donc que partisan du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, en ma qualité de premier Chancelier de la République d’Autriche allemande et d’ancien président de la délégation de Paix à Saint-Germain, je voterai « oui ».
J’ai présenté ce document ici parce que je voulais soutenir l’exposé de mon client qui a défini la question germano-autrichienne comme une question cruciale de part et d’autre, et que c’est ici qu’il importait de montrer qu’un homme d’État éminent comme le Dr Renner s’était, dans cette situation très délicate, déclaré en faveur de l’établissement de rapports d’amitié entre l’Allemagne et l’Autriche. (Au témoin.) Témoin, le 26 juillet, Hitler vous a adressé une lettre qui confirmait votre nomination d’ambassadeur extraordinaire à Vienne. Cette lettre a été mentionnée par le Ministère Public. Comment expliquez-vous la teneur de cette lettre ?
La teneur de cette lettre est facile à expliquer. Si je devais avoir une chance de rétablir des relations normales et amicales, si je voulais avoir une chance de me créer une position vis-à-vis du Gouvernement autrichien, il était nécessaire qu’après les événements du 30 juillet, une déclaration officielle de confiance eût lieu. Hitler devait déclarer dans cette lettre que ma tâche était une oeuvre d’apaisement et qu’il avait l’intention de renoncer à ses méthodes terroristes. Voilà ce qui est dit dans cette lettre, et si le Ministère Public estime que cette lettre a été un chef-d’œuvre d’ambiguïté, je considère cela comme absolument incompréhensible.
M. Messersmith prétend dans son affidavit, PS-2385, que de Vienne vous auriez mené une politique d’agression contre les États du sud-est de l’Europe, et cite les déclarations que vous auriez faites à l’occasion d’une visite qu’il vous a rendue.
« L’Europe du Sud-Est jusqu’à la Turquie constitue l’Hinterland de l’Allemagne, et j’ai été chargé de réaliser son incorporation. L’Autriche est le premier pays de ce programme. »
Avez-vous jamais fait une déclaration de ce genre ?
En automne 1934, je suis entré en fonctions à Vienne, et un des premiers collègues que je rencontrai fut M. Messersmith.
Jamais je n’ai eu mission de mener une politique telle que M. Messersmith la définit dans son affidavit et jamais je n’ai dit une chose pareille à M. Messersmith.
J’appelle l’attention du Tribunal sur le questionnaire Horthy, document 76, pages 172 et 173.
Docteur Kubuschok, avant de passer à l’affidavit Messersmith vous parliez, ou du moins l’accusé parlait d’une lettre ; cette lettre est-elle un document qui nous a été remis ?
Oui, la lettre a déjà été produite par le Ministère Public. Il s’agit de la lettre écrite à l’occasion de la nomination de l’accusé et elle porte le numéro PS-2799.
Si Votre Honneur a le livre de documents britannique n° 11, c’est à la page 37.
Merci.
Le témoin vient de traiter des affirmations émises par M. Messersmith dans son affidavit PS-2385. Cette même question, c’est-à-dire la visite de M. Messersmith à Papen, est évoquée dans l’autre affidavit de Messersmith, PS-1760. Je prie le Tribunal de remarquer que le texte concernant l’influence de l’Allemagne sur les États du sud-est de l’Europe est très différent dans les deux affidavits Messersmith. Comme je l’ai déjà mentionné dans la question posée tout à l’heure, M. Messersmith dit, dans le document PS-2385, que Papen aurait dit qu’il était chargé d’incorporer le sud-est de l’Europe au Reich. Par contre, l’observation du document PS-1760 est toute différente ; là, M. Messersmith déclare en effet que Papen aurait dit à cette occasion qu’il avait pour mission de faire en sorte que l’Europe du Sud-Est tout entière, jusqu’à la frontière turque, fût considérée comme l’Hinterland naturel de l’Allemagne et qu’il devait, par son activité, faciliter le contrôle économique de l’Allemagne sur tout l’ensemble de ce domaine. Par conséquent, dans un affidavit, l’incorporation ; dans l’autre, l’acquisition d’un contrôle économique. Je m’en tiendrai à cette dernière version de l’affidavit 1760, beaucoup moins importante, et je demanderai au témoin s’il a fait à l’époque la remarque suivante, à savoir que l’Europe du Sud-Est jusqu’à la frontière turque constituait l’Hinterland naturel de l’Allemagne et qu’il avait été chargé de faciliter le contrôle économique de l’Allemagne sur toute cette région. (Au témoin.) Témoin, avez-vous fait une telle déclaration ?
Peut-être serait-il utile au Tribunal de connaître les références des deux passages. Le passage du document PS-2385 se trouve dans le livre de documents 11 (a), le deuxième livre de documents, au bas de la page 24. Le passage du document PS-1760 se trouve dans le livre de documents 11, à la page 22, à peu près à un tiers de la page, et jusqu’au deuxième tiers de la même page.
Ce que j’ai réellement dit à M. Messersmith n’est peut-être pas si éloigné de la deuxième citation faite par mon avocat que semblerait l’indiquer la différence entre les deux déclarations de M. Messersmith. Il est parfaitement possible que nous ayons parlé de la question du sud-est de l’Europe et il est également vraisemblable que j’aie pu attirer l’attention de mon interlocuteur sur le fait que les questions économiques et politiques de ces territoires avaient pour la politique allemande comme pour l’Autriche une importance particulière ; l’expansion de notre commerce vers les Balkans était, en effet, un but absolument légitime. Je tenais Berlin au courant de tout ce que je pouvais apprendre à Vienne sur la politique des pays de l’Europe du Sud-Est, car cela appartenait évidemment à l’ensemble des tâches qu’avait à assumer l’ambassadeur à Vienne, mais pendant toute la période de mon activité à Vienne, je n’ai rien fait de plus qui puisse correspondre d’une façon quelconque à ce que M. Messersmith prétend ici. Au reste, je puis dire qu’il eût été extrêmement sot et contraire aux règles les plus élémentaires de la diplomatie qu’au cours d’un premier entretien avec un ambassadeur étranger, je lui fisse une déclaration de ce genre. Cela aurait fait sensation et j’aurais pu être assuré que le lendemain même le Gouvernement autrichien et le monde entier auraient été au courant.
A ce propos, je me réfère au questionnaire du prince Erbach, document 96, page 238. Les questions 8 et 9 ont trait à ce sujet. C’est la page 232 tu texte anglais.
Je pourrais peut-être ajouter, Mylord, que le Ministère Public est en possession de l’ensemble des rapports que j’ai faits de Vienne et ces rapports devraient prouver si telle était ma mission.
Au cours de votre activité à Vienne, avez-vous jamais été en pourparlers avec la Hongrie et la Pologne pour un partage de la Tchécoslovaquie ? M. Messersmith a fait une déclaration dans ce sens.
Non, je n’ai jamais fait cela. En ce qui concerne la politique du Reich en Tchécoslovaquie, seule était compétente notre représentation diplomatique à Prague.
Je me réfère au questionnaire Horthy, document 76, déjà déposé. Je me réfère en outre au document 68, page 162, qui est un rapport de Papen, daté du 31 août 1935 et adressé à Hitler. (Au témoin.) M. Messersmith, dans l’affidavit que nous avons mentionné, prétend encore que vous auriez déclaré au cours de cet entretien que vous étiez en Autriche pour saper et affaiblir le Gouvernement autrichien. Lui avez-vous fait une pareille déclaration ?
A propos de cet affîdavit, je voudrais soulever un point de principe. Si je peux employer des termes de diplomatie, je dirai que c’est là un document extrêmement surprenant. M. Messersmith a dit lui-même dans cet affidavit qu’au cours de ma première visite officielle il m’avait reçu avec une froideur glaciale. Ceci est absolument exact. Je savais parfaitement que M. Messersmith était l’adversaire le plus résolu du système nazi. A plus forte raison peut-on s’étonner de lire ici qu’à ma seconde visite j’aurais en quelque sorte ouvert mon cœur à M. Messersmith. De même, la formule citée ici suivant laquelle je serais venu pour saper et affaiblir le Gouvernement autrichien n’est, bien entendu, pas exacte, car une déclaration de ce genre aurait été vraisemblablement communiquée sans délai par M. Messersmith au Gouvernement autrichien, et cela aurait rendu impossible à priori toute ma politique d’apaisement et toute mon action diplomatique en Autriche.
Je voudrais me référer à ce propos aux déclarations de l’ancien ministre des Affaires étrangères autrichien, M. Schmidt, qui n’a jamais eu connaissance d’une semblable activité de ma part.
J’attire également l’attention du Tribunal sur les déclarations de M. Glaise-Horstenau à propos du cas Seyss-Inquart. M. Messersmith déclare en outre qu’au cours de votre entretien vous lui auriez déclaré avoir l’intention d’exploiter votre réputation de bon catholique auprès de certains Autrichiens, et notamment du cardinal Innitzer. Dans un autre passage de son affidavit, il déclare aussi que, sans le moindre remords et sans scrupules, vous auriez utilisé dans ce but la réputation de catholique ardente et dévouée de votre femme. Voulez-vous parler de ces déclarations de M. Messersmith ?
De toutes les accusations portées contre moi, c’est celle-ci qui me paraît la plus blessante. Je comprends qu’on critique la politique d’un diplomate ou qu’on la comprenne mal. Je ne comprends pas qu’on puisse reprocher à quelqu’un d’avoir utilisé ses propres convictions religieuses pour de bas marchandages politiques. Je comprends encore moins et je considère comme un manque de goût qu’on ait prétendu que j’aurais utilisé la foi religieuse de ma femme pour de telles affaires. Je me permets de laisser cela à l’appréciation du Tribunal.
Dans sa déclaration sous serment, M. Messersmith parle d’un document dont il ne nomme pas l’auteur ; c’est un document qui lui aurait été montré par le ministre des Affaires étrangères, Berger-Waldenegg, en janvier 1935, et dans lequel il serait question de votre conversation avec Hitler, Schacht et Neu-rath à l’occasion de votre visite à Berlin. Il aurait été décidé là qu’on éviterait une immixtion dans les affaires intérieures de l’Autriche pendant les deux années suivantes, et enfin le Dr Schacht aurait accordé une somme de 200.000 Mark par mois pour soutenir la politique des nationaux-socialistes en Autriche. Qu’avez-vous à dire sur ces déclarations de M. Messersmith ?
Il s’agit vraisemblablement, d’après les déclarations de M. Messersmith, du rapport d’un agent de renseignements que le ministre des Affaires étrangères d’Autriche aurait reçu au sujet de ma visite à Berlin. La teneur de ce rapport est fausse dans son ensemble. L’inexactitude du passage concernant le Dr Schacht a déjà fait l’objet d’une déposition du Dr Schacht. Mais ce rapport contient une part de vérité : il y avait à cette époque en Autriche ce que l’on a appelé un fonds de secours, qui était administré par un M. Langot. On a déjà dit ici, à la barre des témoins, que cette œuvre de soutien matériel, destinée aux femmes et aux enfants des nationaux-socialistes autrichiens émigrés en Allemagne, existait avec l’accord de la Police et du Gouvernement autrichiens. Mais, personnellement, je n’ai ni prié M. Schacht de mettre des deniers publics au service de ce fonds de soutien, ni donné moi-même de tels fonds. Ces fonds étaient vraisemblablement donnés en Allemagne par le Parti.
Je me réfère à ce propos à la déposition du témoin Glaise-Horstenau qui a déclaré ici que le Gouvernement autrichien, avait connaissance du fonds de soutien Langot. M. Messersmith croit, d’après une information reçue du ministre des Affaires étrangères autrichien Berger-Waldenegg, pouvoir reproduire une déclaration que vous auriez faite au début de 1935. Vous auriez dit :
« Oui, vous avez maintenant vos amis français et anglais, et vous pourrez conserver un peu plus longtemps votre indépendance ». Avez-vous prononcé une telle déclaration ?
Une telle déclaration n’aurait pas été seulement absurde sur le plan diplomatique, mais elle aurait été impossible, car elle aurait signifié la fin normale de toute activité diplomatique. En aucun cas cette collaboration ou cette activité dont M. Messersmith a dit qu’elle avait été couronnée de succès pendant de longues années, n’était compatible politiquement avec un aveu aussi public de mon intention de ne laisser son indépendance à l’Autriche que peu de temps encore.
M. Messersmith dit encore dans son affidavit que vous auriez donné publiquement l’assurance que vous désiriez vous débarrasser de certains membres du Gouvernement autrichien et, entre autres, du Chancelier Schuschnigg. Est-ce exact ?
C’est le contraire qui est exact. Je n’ai jamais aspiré à écarter le Chancelier Schuschnigg du pouvoir ; bien au contraire, je me suis efforcé de lui donner confiance dans ma politique qui était une politique de réconciliation. Je considérais M. von Schuschnigg comme un patriote autrichien sincère, mais aussi comme un homme qui ne reniait en aucune façon son appartenance à l’Allemagne et, en dépit de bien des divergences d’objectifs, ce germanisme qui était le sien a toujours constitué une base extrêmement favorable à notre coopération. Au reste, je puis ajouter simplement que quand un diplomate souhaite qu’un changement se produise dans le Gouvernement auprès duquel il est accrédité, il ne le proclame pas sur la place publique.
Le Ministère Public considère votre rapport à Hitler du 12 mai 1935 comme une preuve de votre intention d’inciter Schuschnigg à faire entrer les nationaux-socialistes dans le Gouvernement. C’est le document USA-64, dans mon livre de documents n° 66, pages 159 et 160. Quelles étaient vos véritables intentions ?
A propos de ce document, il faut que je m’explique d’une façon un peu plus détaillée. Ce rapport a été écrit huit mois après le meurtre de Dollfuss, c’est-à-dire à une époque dont le Ministère Public lui-même reconnaît qu’au cours des deux premières années, j’avais eu l’ordre de rester absolument passif. Lorsque ce rapport fut écrit, nous avons appris que Starhemberg menait, de concert avec Mussolini, une politique qui apportait les plus graves obstacles à une réconciliation avec l’Allemagne. Aussi proposai-je à Hitler d’intervenir énergiquement : je lui proposai de jouer contre Starhemberg la carte de Schuschnigg et des éléments chrétiens-sociaux opposés à une dictature de la Heimwehr, et cela en lui proposant un accord définitif sur les intérêts de l’Allemagne et de l’Autriche. Il est dit dans ce rapport que si l’Allemagne reconnaît l’indépendance nationale de l’Autriche et s’engage à ne pas exercer d’influence sur l’opposition nationale autrichienne, c’est-à-dire sur les nazis, cela devrait aboutir à une coalition entre ces deux forces. Il s’ensuivrait que l’Allemagne participerait au Pacte danubien, c’est-à-dire qu’elle envisagerait un règlement pacifique de l’ensemble de la situation européenne.
Vous venez de dire que vous vous efforciez de faire une politique honnête de règlement des intérêts ?
Docteur Kubuschok, le Tribunal voudrait comprendre plus clairement ce que l’accusé a voulu dire dans la déclaration qu’il vient de faire.
On me dit précisément que la traduction anglaise a été mal retransmise. Désirez-vous, Monsieur le Président, que l’accusé répète toute sa réponse ?
Oui, certainement. Ce serait le mieux. Je ne pense d’ailleurs pas que la traduction anglaise ait été mal retransmise.
Témoin, voulez-vous répondre encore une fois, mais un peu plus lentement afin que les interprètes n’aient pas de difficultés.
Lorsque ce rapport fut écrit, nous avions des renseignements selon lesquels Starhemberg, qui était le chef de la Heimwehr, avait l’intention de s’allier à Mussolini en vue d’une politique qui combattrait à l’avenir toutes les tendances pro-allemandes en Autriche. Pour nous opposer à ces manœuvres du prince Starhemberg, je suggérai à Hitler de proposer à Schuschnigg qu’au lieu de faire une coalition avec la Heimwehr il s’allie aux éléments chrétiens-sociaux qui n’étaient pas hostiles à une réconciliation de l’Allemagne et de l’Autriche. Afin d’inciter Schuschnigg à accepter une telle coalition, Hitler lui aurait proposé un règlement définitif des intérêts de l’Allemagne et de l’Autriche. En d’autres termes, Hitler devait lui dire : « L’Allemagne reconnaît l’indépendance nationale de l’Autriche et s’engage en outre à ne pas s’immiscer à l’avenir dans les affaires intérieures de l’Autriche ». Je dis en outre à Hitler que si nous arrivions à réaliser cet apaisement, c’est-à-dire à avoir avec l’Autriche des relations d’amitié, il nous serait même possible alors d’adhérer au Pacte danubien. C’était donc la combinaison des Français, des Italiens, des Tchécoslovaques, qui avaient toujours préconisé un pacte des Puissances danubiennes incluant l’Autriche. Nous étions, en Allemagne, opposés à la politique de ces Puissances parce que nous craignions que si l’Autriche adhérait à un pacte danubien, elle se détacherait définitivement de l’Allemagne. Mais si nos rapports s’amélioraient avec l’Autriche, si nous devenions bons amis, nous pouvions — disais-je à Hitler — adhérer à ce pacte danubien et, par là, réaliser quelque chose d’essentiellement constructif en faveur d’un apaisement européen.
Vous n’oubliez pas les espoirs que vous avez exprimés ce matin ?
Vous venez de déclarer que vous vous efforciez de faire une politique honnête d’équilibre d’intérêts. Est-il exact que vous ayez incité Hitler à faire dans son discours au Reichstag du 21 mai 1936 une déclaration en faveur de l’indépendance de l’Autriche ?
Oui, c’est absolument exact, car cette déclaration était la condition nécessaire du retour à des relations normales et de l’établissement, par voie d’évolution, d’un équilibre d’intérêts. En effet, notre politique commune ne pouvait être entreprise que par l’Autriche. Il était interdit à l’Autriche, par le Traité de paix de Saint-Germain et les Protocoles de Genève, de se rapprocher de l’Allemagne. Si donc l’Autriche voulait prendre une initiative pour améliorer ses rapports avec l’Allemagne, il était nécessaire que nous reconnaissions au préalable sa souveraineté.
Je voudrais faire remarquer une erreur de traduction : dans la traduction anglaise, le mot « évolution » prononcé par l’accusé a été traduit par « révolution ». (Au témoin.) Veuillez vous prononcer sur le traité du 11 juillet 1936.
Le traité du 11 juillet a été représenté par Sir David comme une manœuvre de tromperie, comme une tentative sournoise en vue de placer le Gouvernement autrichien devant de nouvelles difficultés, de le miner en y introduisant des germanophiles tels que Glaise-Horstenau ou le ministre des Affaires étrangères Schmidt. Cette interprétation du traité est fausse et ne peut être, à mon avis, soutenue du point de vue historique. Je crois d’ailleurs que cela ressort des dépositions qui ont été faites ici et des déclarations du ministre des Affaires étrangères d’Autriche.
Cet accord a été le résultat des efforts que j’ai poursuivis pendant deux ans pour rétablir des relations normales entre les deux États frères. Il était souhaité par les deux Gouvernements et non pas seulement par le Gouvernement allemand ; le Chancelier Schuschnigg l’a reconnu lui-même et cela ressort d’un de mes rapports du 1er septembre 1936 qui traite d’un discours fait par Schuschnigg aux ouvriers autrichiens. Pourquoi le Gouvernement autrichien aurait-il conclu un tel pacte ? Il n’y était pas contraint s’il n’avait pas désiré lui-même rendre normales et amicales ses relations avec le Reich. C’est précisément pour cela que j’avais demandé à Hitler de déclarer dans son discours au Reichstag qu’il reconnaissait la souveraineté de l’Autriche. Cet accord ne devait en aucune façon signifier une renonciation à une union ultérieure à laquelle nous aspirions tous, mais il reconnaissait la liberté d’action totale de l’Autriche. Mais le but de la réunion des deux États devait maintenant être poursuivi par la voie normale de l’évolution.
Cela correspondait d’ailleurs à l’arrangement que j’avais passé le 26 juillet avec Hitler. Ce traité comportait une deuxième partie qui n’a pas été publiée ; elle contenait tous les éléments nécessaires à un apaisement, une amnistie, un règlement de nos rapports de presse et la suppression de ce que l’on avait appelé la « barrière des mille Mark ». C’était la barrière établie par Hitler pour les voyages en Autriche : tout Allemand qui désirait se rendre en Autriche devait payer 1.000 Mark. Cette barrière fut levée. D’autre part, M. Schuschnigg promettait, dans cette partie du traité qui n’était pas publiée, de faire appel à la collaboration d’hommes en qui il avait confiance, mais qui appartenaient à l’opposition nationale. Il nous semblait que cette incorporation de l’opposition autrichienne dans le jeu parlementaire en Autriche était la condition nécessaire de toute solution pacifique. En d’autres termes, le Parti devait peu à peu sortir de son illégalité et devenir un facteur légal.
M. Messersmith — si je puis encore l’ajouter — a déclaré de façon erronée dans son affidavit que la deuxième partie de ce traité contenait une clause d’après laquelle plusieurs personnalités qui avaient la confiance du chancelier seraient appelées au sein du cabinet. C’est évidemment une erreur dans la pensée de M. Messersmith car il ne s’agissait pas de personnalités possédant la confiance de Hitler, mais de personnalités possédant la confiance de Schuschnigg. Cet accord avait été passé par Schuschnigg. En outre, M. Messersmith déclare à propos de ce traité que la première pénétration des Allemands nationaux dans le Gouvernement autrichien fut obtenue par la nomination du Dr Guido Schmidt comme secrétaire d’État aux Affaires étrangères. C’est absolument inexact. Le Dr Schmidt était un Autrichien, il défendait les intérêts de l’Autriche et il était tout à fait normal qu’il en fût ainsi. Jamais, du côté allemand, il n’a été fait la moindre démarche pour faire nommer le Dr Schmidt ministre des Affaires étrangères.
Dans l’ensemble, l’opinion publique mondiale a considéré à cette époque cet accord comme un instrument de paix et comme un progrès considérable. Il a été réservé au Ministère Public de le représenter comme une manœuvre de tromperie.
Je me réfère à l’affidavit du prince Erbach, document 96, pages 233 et 234 du livre de documents anglais. Les questions 4 à 7 et les questions 12 et 13 traitent des questions que nous venons de discuter. (Au témoin.) Après la conclusion de l’accord de juillet, avez-vous considéré que votre mission en Autriche était terminée ?
Oui, j’ai considéré que ma tâche était terminée et ma demande de démission le prouve, demande que j’ai adressée à Hitler le 16 juillet 1936.
Je me réfère au document 71, page 165, du livre de documents n° 2. Je cite le début :
« Le 26 juillet 1934, vous avez proposé au défunt Feldmarschall de m’envoyer à Vienne en mission temporaire en vue de rétablir des relations normales et amicales. L’accord signé le 11 juillet marque un progrès décisif dans ce sens. »
Dans la suite du document, l’accusé demande son rappel. Je cite l’avant-dernier alinéa :
« Bien que la « question allemande » exige encore à l’avenir, et particulièrement en raison des difficultés inouïes que nous avons rencontrées jusqu’à ce jour, d’être examinée avec beaucoup de soin et d’attention, je voudrais aujourd’hui, au terme de la mission dont vous aviez fixé l’échéance, remettre ma charge entre vos mains. »
Le Ministère Public a déposé le rapport adressé à Hitler le 1er septembre 1936, document PS-2246, et vous reproche d’avoir pris contact avec les chefs illégaux du mouvement national-socialiste autrichien et d’avoir ainsi essayé d’introduire cette opposition dans le front patriotique, ainsi que d’avoir voulu transformer le régime Sdiuschnigg.
J’ai écrit dans le rapport en question :
« Les progrès de l’amélioration des rapports avec l’Allemagne se heurtent actuellement à l’inertie du ministère de la Sécurité où se trouvent les vieux fonctionnaires opposés au national-socialisme. Des changements de personnel seraient urgents. »
Si donc j’ai employé dans ce rapport l’expression « changement du régime », cela veut dire « changement de personnel ». D’ailleurs dans la phrase suivante je fais allusion aux pourparlers économiques qui vont avoir lieu prochainement. Il en ressort clairement qu’il ne s’agit pas là d’écarter Schuschnigg. Au reste, ce rapport parle de la gravité de la situation dans le bassin danubien et fait des propositions en vue d’une solution pacifique.
Si le Ministère Public me reproche d’avoir eu des rapports avec l’opposition nationale-socialiste bien que le traité de juillet, exclût une immixtion dans les affaires intérieures de l’Autriche, je répondrai que j’étais habilité à prendre ce contact du fait que je devais constater si, et dans quelle mesure, M. von Schuschnigg tenait sa promesse de faire appel à des membres de l’opposition nationaliste en qui il avait confiance. Dans quelle mesure l’opposition nationale-socialiste s’est-elle soumise au traité du 11 juillet, cela est prouvé par la déclaration de Leopold de janvier 1937 que M. Messersmith mentionne dans son propre affidavit.
Je me réfère au document 75, page 171, qui contient cette note de Leopold ; il est identique au document USA-57. Le texte anglais comporte une erreur de traduction à la cinquième ligne avant la fin : le mot « Anschluss » a été traduit « annexion ». (Au témoin.) Témoin, qu’avez-vous à dire de cette proposition de Leopold ?
Ces propositions de Leopold font ressortir ce qui suit : la direction des nationaux-socialistes autrichiens accepte d’une façon générale la politique précisée par l’accord de juillet. Elle reconnaît qu’à l’avenir la question de l’AnschIuss sera une affaire intérieure de la politique autrichienne qui devra être résolue par le Gouvernement autrichien. Elle propose que cette solution soit traitée par voie d’évolution par le Gouvernement autrichien et le Parti. En faveur de cette solution, par le fait que, étant donné la reconnaissance de la souveraineté de l’Autriche, cette question ne constituera pas à l’avenir un danger dans le domaine de la politique étrangère, c’est-à-dire que l’accord de juillet a été compris par les nationaux-socialistes autrichiens, qu’ils l’ont approuvé et qu’ils sont prêts à suivre une voie légale, en commun avec le Gouvernement autrichien.
L’audience est suspendue.