CENT SOIXANTIÈME JOURNÉE.
Vendredi 21 juin 1946.
Audience de l’après-midi.
Le Tribunal voudrait que les avocats lui indiquent les accords auxquels ils sont arrivés sur la répartition du temps pour leurs plaidoiries finales.
Je voudrais commencer par préciser, à propos de cette question, que les avocats avec lesquels, lors d’une audience en chambre du conseil, le Tribunal avait soulevé la question des plaidoiries, n’avaient pas fait part des décisions du Tribunal à l’ensemble de leurs confrères, parce qu’ils avaient retiré de cette réunion l’impression que le Tribunal ne limiterait pas le temps de la Défense. Lorsque j’ai présenté mes objections, je n’avais pas eu connaissance de ces entretiens, comme mes confrères qui s’étaient entretenus avec le Tribunal m’autorisent à le déclarer. Conformément au désir du Tribunal, les avocats des accusés ont commenté la décision prononcée le 13 juin 1946. Je suis chargé de soumettre au Tribunal le résultat des entretiens de la Défense et je me permets, sur ce point, de faire certaines réserves à propos de certains de mes confrères qui, les uns ne sont pas présents ou, d’autres, sont d’un avis différent sur l’estimation du temps nécessaire.
Les avocats pensent que la décision relative à la structure et à la durée des plaidoiries peut être, dans ce Procès exceptionnel, subordonnée aux exigences imposées à chaque avocat par l’accomplissement de sa tâche, compte tenu du droit universellement reconnu au Tribunal, dans le cadre de la direction des débats, d’éviter un abus éventuel de la liberté de parole. Ils estiment en outre qu’en raison de cette déclaration de principe et de la pratique adoptée par les tribunaux internationaux, le Tribunal comprendra et admettra que s’ils élèvent des objections contre une limitation préventive de la liberté de parole, ce fait ne saurait être a priori considéré comme un abus. Mais cette attitude de principe correspond, bien entendu, à l’intention des défenseurs de se soumettre aux directives et aux vœux du Tribunal dans la mesure où, en particulier, ce peut être conciliable avec une exacte compréhension du rôle de la Défense. A cet égard, les différents défenseurs ont été sollicités d’indiquer la durée qu’ils avaient envisagée pour leur plaidoirie. Le résultat de ces estimations est le suivant : conformément à la discipline que chaque défenseur s’impose à lui-même et en tenant compte des désirs du Tribunal, nous sommes arrivés à un total de vingt jours d’audience pleins.
Docteur Nelte, le Tribunal a demandé aux avocats de se répartir quatorze jours entre eux.
Je crois, Monsieur le Président, que les déclarations que je viens de faire sont de nature à exprimer qu’il paraît impossible d’appliquer ce principe. Si le Tribunal entend considérer ces quatorze jours d’audience comme un délai indiscutable, alors la Défense tout entière s’inclinera devant cette décision. Mais, si mes prévisions sont exactes, il sera absolument impossible d’arriver à une unité de la Défense, et le grave danger subsiste de voir les avocats qui plaideront les derniers, limités par le temps dans une mesure excessive.
Oui, le Tribunal comprend parfaitement que vous estimiez que ce délai de quatorze jours soit trop court, mais, comme je l’ai déjà dit, ce que le Tribunal a demandé, c’est une répartition du temps. Or, dans tout ce que vous avez dit, il n’est absolument pas question d’une répartition, qu’il s’agisse des quatorze jours ou des vingt jours que vous proposez.
Le délai de vingt jours, Monsieur le Président, a été établi sur la base de la durée probable des plaidoiries des différents avocats. Il serait par conséquent possible de dire, de toute façon, si le Tribunal admettait le délai de vingt jours, la durée probable des différentes plaidoiries. Mais il est pratiquement impossible de donner ce détail au Tribunal s’il ne s’agit que de quatorze jours. Vous pouvez être assuré, Monsieur le Président, que nous avons tous examiné consciencieusement cette question et que nous avons réfléchi à la façon dont nous pourrions arriver à répartir les difficultés entre nous. Mais une durée totale de vingt jours environ me paraît, sans que l’on puisse indiquer un maximum ou un minimum, absolument indispensable pour cette répartition. Il est possible, Monsieur le Président, qu’au cours des débats et des plaidoiries...
Docteur Nelte, comme je vous l’ai déjà indiqué, le Tribunal voulait connaître la répartition de votre temps. Je crois, si j’ai bien compris, que vous avez déjà fait une répartition, mais pour les vingt jours dont vous prétendez avoir besoin. Si vous avez fait une telle répartition, le Tribunal voudrait la connaître. Si vous n’en n’avez encore fait aucune, il voudrait que chaque avocat lui indique le temps qu’il pense utiliser. Si vous avez déjà une liste, le Tribunal désire que vous la lui présentiez.
Je possède ces données qui seront soumises au Tribunal. Il existe donc des données sur ce sujet. Néanmoins, certains de mes confrères ont déclaré que leurs indications ne valent qu’en prévoyant qu’un nombre donné de jours soit accordé. C’est là le point dont je disais tout à l’heure qu’il était, dans une certaine mesure, indéterminé. Mais nous étions tous d’avis que la décision du Tribunal ne pouvait être qu’une suggestion et non pas un maximum impératif dont il fallait se servir pour une répartition. J’espère, Monsieur le Président, que vos paroles doivent être ainsi interprétées, que le Tribunal délibérera encore sur la question de savoir si ce délai de quatorze jours ne pourrait pas être augmenté, conformément au temps que nous jugeons nécessaire.
Le Tribunal désire une répartition du temps entre les divers avocats. Voilà ce que le Tribunal a demandé et voilà ce qu’il veut. Nous vous prions de nous soumettre cette réponse par écrit maintenant, ou nous demanderons à chacun de vous de nous dire le temps qu’il compte utiliser pour sa plaidoirie.
Monsieur le Président, je crois pouvoir parler au nom de mes confrères en vous disant que nous remettrons au Tribunal le plan de cette répartition de nos plaidoiries.
Docteur Nelte, le Tribunal aimerait avoir cette répartition maintenant. Il a déjà déclaré avant-hier qu’il entendait avoir la réponse des avocats sur cette question de répartition cet après-midi à 14 heures. C’est ce que nous voudrions maintenant savoir.
Dans ce cas, je prie le Tribunal de bien vouloir entendre chacun des avocats, car je ne puis dire exactement de mémoire l’estimation de chacun d’eux.
Vous auriez pu faire mettre ces estimations par écrit ; si ce n’a pas été fait, je ne vois pas comment vous pourriez vous les rappeler. Peut-être pourriez-vous nous dire le temps que vous pensez utiliser vous-même ?
J’ai prévu sept heures pour moi. Mon confrère Horn, m’a dit six heures pour Ribbentrop.
Nous prendrons, si vous le voulez bien, chaque avocat à son tour. Docteur Stahmer ?
Sept heures.
Docteur Sauter ?
Puis-je parler pour le Dr Siemers et pour le Dr Kranzbühler, et demander de leur accorder huit heures à chacun ?
Pour Funk, six heures, et pour von Schirach, six heures.
Servatius, cinq heures pour Sauckel.
Attendez un instant, je vous prie. Je ne peux pas écrire aussi vite. Qui le Dr Horn voulait-il représenter ici et combien d’heures demandait-il ?
Le Dr Siemers et le Dr Kranzbühler : huit heures chacun.
Servatius, cinq heures pour Sauckel.
Pour Kaltenbrunner, environ quatre à cinq heures.
Docteur Marx, quatre heures pour Streicher.
Docteur Seidl, onze heures pour Hess et Frank ensemble.
Docteur Pannenbecker, cinq heures pour Frick.
Je me rappelle, d’après la liste que j’ai vue, que mon confrère Bergold voulait trois heures pour Bormann. M. Bergold n’est pas ici, mais je me rappelle qu’il a demandé trois heures pour sa plaidoirie.
Docteur Dix, cinq heures pour Schacht.
Docteur Exner, cinq heures pour Jodl.
Pour Papen, environ cinq heures.
Docteur Steinbauer, cinq heures pour le Dr Seyss-Inquart.
Docteur Flächsner, quatre heures pour Speer.
Je demande environ huit heures pour moi, Monsieur le Président.
Pour M. le professeur Jahrreiss qui va, avant les plaidoiries, traiter les points de droit, quatre heures.
De quoi parlera le professeur Jahrreiss ?
Le Tribunal avait autorisé le professeur Jahrreiss à traiter un ensemble de questions juridiques touchant au Droit international.
L’avocat de l’accusé Rosenberg a déclaré avoir besoin de huit heures.
Monsieur le Président, je vous prie de tenir compte du fait que le cas de Fritzsche n’a pas encore été traité. Je ne peux pas savoir exactement combien de temps il me faudra, mais je crois pouvoir me contenter de quatre heures environ.
Maintenant, Docteur Nelte, le Tribunal voudrait savoir si les avocats rédigeront au préalable leurs plaidoiries et en donneront ensuite lecture.
Dans la mesure où je suis bien informé, tous les avocats écriront au préalable le texte de leur plaidoirie. Il n’est pas encore précisé s’ils en donneront une lecture complète, s’ils n’en liront que des extraits ou s’ils en présenteront des parties.
Et ont-ils considéré la question de la traduction ? Nous avons déjà souligné qu’il serait beaucoup plus agréable pour les membres du Tribunal qui ne parlent pas l’allemand, d’avoir une traduction de la plaidoirie devant eux. Cela serait très utile, non seulement au Tribunal, mais aussi aux accusés.
Cette question n’est pas encore entièrement résolue, Monsieur le Président. Elle a fait l’objet d’entretiens de notre part, mais jusqu’ici il ne nous a pas encore été possible de nous mettre d’accord d’une façon décisive sur ces modalités-là. Nous croyons toutefois que le temps, qui presse maintenant, ne nous permettra pas de traduire nos manuscrits dans les quatre langues.
Les avocats n’ont aucun doute sur le fait que les plaidoiries, si elles sont soumises au service de traduction, ne seront évidemment pas communiquées à qui que ce soit avant qu’elles ne soient prononcées en fait. Elles ne seront communiquées par avance ni au Tribunal, ni aux Ministères Publics, ni à quiconque avant d’être lues, de sorte qu’elles seront confidentielles jusqu’à ce qu’elles soient prononcées.
D’autre part, je voudrais faire remarquer également qu’un grand nombre de ces plaidoiries seront retardées par le fait que d’autres défenseurs prononceront les leurs auparavant. De cette façon, au cours de ces quinze jours ou d’une période plus longue si le Tribunal est d’accord, un grand nombre de ces plaidoiries auront le temps d’être traduites, et les avocats seront alors en mesure d’estimer, si leurs plaidoiries sont rédigées par écrit, d’une manière presque absolue, le temps dont ils auront besoin pour les prononcer.
Je voudrais aussi attirer l’attention des avocats sur un point. Il y a vingt ou vingt et un accusés et, naturellement, toute une série de questions qui sont communes à tous les accusés. Il semble opportun au Tribunal que les avocats se partagent ces diverses questions entre eux, afin que chacun d’eux ne reparle pas d’une question déjà traitée par les autres. Nous appliquerons le système adopté pour le dépôt des moyens de preuves. Je ne sais pas si les avocats ont pris ce détail en considération en faisant l’estimation du temps dont ils avaient besoin. De toute façon, le Tribunal espère qu’ils examineront ces trois questions : 1. La question de savoir s’ils peuvent soumettre leur plaidoirie à la traduction afin d’aider le Tribunal ; 2. La question de savoir s’ils seront capables, lorsqu’ils auront rédigé leurs plaidoiries, de préciser exactement leur durée ; 3. De dire s’ils ne peuvent pas répartir certains sujets entre eux afin que les mêmes matières ne soient pas traitées plusieurs fois de suite.
Je ne sais pas si le Ministère Public désire ajouter quelque chose. Le Tribunal a déclaré, je crois, en ce qui concerne cette question de limitation du temps, qu’il prenait en considération le fait que le Ministère Public ne prendrait que trois jours. Peut-être le Ministère Public pourrait-il nous dire si cette estimation est exacte ?
Oui, Monsieur le Président. Le Ministère Public ne demande pas plus de trois jours ; ce sera peut-être un peu moins. En tout cas, le Ministère Public ne demande pas davantage.
Je voudrais, Monsieur le Président, attirer votre attention sur un fait : je ne pense pas qu’on attende de nous de faire imprimer vingt jours de plaidoiries sur nos ronéotypes. Nous ne pouvons absolument pas assumer une telle charge. Un citoyen américain n’a, devant la Haute Cour, qu’une heure pour s’expliquer. La Défense elle-même s’est ouvertement amusée de la longueur du temps accordé. Il est vraiment exagéré d’utiliser un temps aussi considérable à cela. Et je tiens à protester contre le fait que nous consentirions à ronéotyper vingt jours de plaidoiries. C’est vraiment impossible.
Le Tribunal voudrait savoir si le Ministère. Public a l’intention de nous donner des copies de ses réquisitoires quand il les prononcera ?
En ce qui concerne le réquisitoire final de M. le Procureur Général, nous entendons et espérons en remettre des copies au Tribunal.
Des traductions également ?
Oui, ce sera fait aussi. Il y a encore un point que je voudrais souligner, Monsieur le Président. Le Dr Nelte a dit, je crois, que la traduction prendrait beaucoup de temps. En ce qui concerne la traduction en anglais, je sais que nos traducteurs ont traduit récemment en un jour, soixante-seize jours de débats. C’est pourquoi je pense que le Dr Nelte est à cet égard par trop pessimiste.
Le Tribunal délibérera sur ce point. Poursuivons maintenant le contre-interrogatoire.
Je pense, Monsieur le Président, que les photographies que je vous ai soumises ne sont pas très compréhensibles sans une explication. Je vais la donner brièvement. C’est une description de ces armoires à torture utilisées dans le camp pour les travailleurs étrangers, sur le terrain de l’atelier de blindage n° 4 et dans le camp russe qui était sordide et abandonné. Nous avons visité les dernières. Ce rapport fait sous la foi du serment s’exprime ainsi :
« La photographie A montre une armoire en acier qui a été réalisée spécialement aux usines Krupp pour torturer les travailleurs civils russes d’une manière qu’on ne peut décrire par des mots. Les femmes et les hommes étaient souvent enfermés dans un compartiment où aucun homme ne pouvait longtemps rester debout. Les mesures étaient les suivantes : hauteur, 1 m. 52 ; largeur, 40 à 50 cm. Fréquemment, deux personnes étaient compressées dans ce compartiment et foulées aux pieds. »
Je ne voudrais pas lire le reste. « La photographie B montre cette même armoire fermée ; la photographie C, l’armoire ouverte ; la photographie D montre le camp qui avait été choisi par la direction de Krupp pour loger les travailleurs russes. Les chambres avaient 2 mètres à 2 m. 50 de large, 5 mètres de long et 2 mètres de haut. Dans chaque chambre, il y avait près de seize personnes dans des lits doubles ». (Document USA-897.) Je pense que cela suffit.
Monsieur Justice Jackson, je pense qu’il faudrait lire les trois dernières lignes du second paragraphe qui commence par : « En haut de l’armoire... ».
Oui, je m’excuse. « En haut de l’armoire se trouvent quelques trous d’aération par où l’on versait, pendant les hivers glacés, de l’eau froide sur les victimes infortunées ».
Je pense qu’il faudrait lire également les trois dernières lignes de l’avant-dernier paragraphe qui se rapportent à ce que l’accusé a dit.
« Nous joignons deux lettres que le chef du camp Loewenkamp a fait sortir en fraude de la prison pour influencer le soussigné Höfer afin que celui-ci témoigne en sa faveur ». Peut-être devrais-je également lire le dernier paragraphe ?
« Le soussigné Dahm a vu personnellement comment, dans la seule nuit du nouvel an 1945, trois travailleurs civils russes, après avoir été frappés, ont été enfermés dans cette armoire, dont deux dans un compartiment. Deux de ces Russes durent rester pendant toute la nuit du nouvel an dans ce compartiment pendant qu’on versait de l’eau glacée sur eux. »
Je voudrais ajouter que nous avons environ une centaine de dépositions différentes et d’affidavits qui concernent les enquêtes entreprises dans ce camp. Je ne me propose pas de les déposer tous, étant donné que je pense que cela ferait double emploi. Je me contenterai d’un seul document, le D-313, qui devient USA-901. C’est une déclaration sous serment faite par un médecin.
Monsieur Justice Jackson, est-ce que ce camp dont vous parlez était un camp de concentration ?
Autant que je le comprenne, c’était un camp de prisonniers de guerre et un camp de travail. Il y avait à Essen des camps de travail et des camps de prisonniers de guerre.
Je n’ai pas du tout compris qu’il s’agit là d’un camp de concentration, mais je reconnais que la distinction est souvent un peu ardue à faire. Venons-en au document :
« Je soussigné Dr Apollinaire Gotowicki, médecin de l’Armée polonaise, déclare avoir été fait prisonnier par les Allemands le 3 janvier 1941. Je le suis resté jusqu’à l’arrivée des Américains. J’ai donné des soins médicaux aux Russes, aux Polonais et aux Français prisonniers de guerre, qui avaient été forcés de travailler dans différents ateliers des usines Krupp. J’ai personnellement visité le camp des prisonniers de guerre russes de la Raumastrasse à Essen, où il y avait près de 1.800 hommes. Dans une grande salle de ce camp, qui pouvait normalement contenir 200 hommes, on avait entassé pêle-mêle 300 à 400 hommes, d’une manière si désastreuse que l’on ne pouvait leur administrer aucun soin médical. Le sol était en ciment et les paillasses sur lesquelles ces hommes dormaient étaient pleines de poux et de punaises. Même les jours froids, la chambre n’était jamais chauffée et il me semblait, en tant que médecin, que cette situation était contraire à la dignité des êtres humains. Il était impossible de garder ce local propre, parce qu’il y avait tant d’hommes que l’on pouvait à peine bouger. Chaque jour, dix hommes au moins m’étaient amenés qui étaient couverts de bleus, conséquence des traitements qu’on leur infligeait en les frappant avec des matraques en caoutchouc, des matraques en acier ou des bâtons. Ils se roulaient à terre de douleur, et il m’était impossible de leur apporter la plus petite aide médicale. Malgré mes protestations renouvelées et les plaintes que j’avais formulées, il m’était impossible de protéger ces gens ou de leur donner un jour d’exemption de travail. Il m’était pénible de regarder comme ces hommes qui souffraient beaucoup étaient ainsi astreints à travailler à des tâches très pénibles. J’ai personnellement rencontré — et c’était même dangereux pour moi — des personnes de l’administration de Krupp et du conseil de direction, pour essayer d’avoir des secours. Ce m’était strictement interdit, car le camp était sous la direction des SS et de la Gestapo et, d’après les directives bien connues, je devais me taire si je ne voulais pas risquer d’être envoyé dans un camp de concentration. J’ai souvent apporté, et toutes les fois que je l’ai pu, mon propre pain à des ouvriers, bien que le pain fût rare même pour moi.
« A partir du début de 1941, non seulement les conditions ne se sont pas améliorées, mais elles sont devenues de plus en plus mauvaises. La nourriture consistait en une soupe à l’eau qui était sale et pleine de sable ; souvent, les prisonniers de guerre devaient manger des choux qui étaient mauvais et sentaient. J’ai pu voir tous les jours des gens qui mouraient lentement des suites de la famine ou des mauvais traitements. Les morts restaient souvent deux ou trois jours sur les paillasses, jusqu’à ce que leurs corps sentissent si mauvais que les prisonniers, leurs camarades, devaient les sortir et les enterrer eux-mêmes. Les récipients dans lesquels ils mangeaient servaient également pour leur toilette. Ces détenus étaient trop fatigués et trop épuisés par la faim pour se lever et sortir. ’Ils étaient réveillés à trois heures du matin. Il fallait se laver et manger dans les mêmes récipients ; cette pratique était générale. Et malgré cela, il m’était absolument impossible de les aider même d’une façon élémentaire afin de nous débarrasser des épidémies, des maladies et des cas de famine. On ne pouvait absolument pas faire accorder une aide médicale quelconque aux prisonniers. Je n’ai jamais reçu le moindre médicament. En 1941, j’étais seul pour assurer l’assistance médicale à ces gens, mais il était absolument impossible pour moi, du fait que j’étais seul,-de veiller sur tous. De plus, je n’avais presque pas de médicaments. Je ne savais même pas quoi faire avec 1.800 hommes qui venaient chaque jour pleurer et se plaindre auprès de moi. Je me suis moi-même souvent évanoui, et malgré cela je devais prendre tout cela sur moi et regarder comment ces hommes mouraient là-bas. On n’a jamais fait un rapport sur la mort de ces prisonniers de guerre. J’ai vu de mes propres yeux comment les prisonniers revenaient du travail chez Krupp, comment ils s’évanouissaient au cours de la marche, comment leurs camarades devaient les porter ou les faire monter sur des charrettes. C’était tout à fait habituel lors du retour au camp. Le travail qu’ils avaient à faire était très dur et dangereux et dans plusieurs cas les gens se coupaient les doigts, les mains ou les jambes. Ces accidents étaient très sérieux et quand les gens venaient me voir et me demandaient de les aider, je ne pouvais même pas le faire et je ne pouvais même pas leur accorder un jour ou deux d’exemption de travail, bien que j’en eusse souvent parlé au conseil de direction de Krupp pour lui demander la permission de le faire. A la fin de 1941 deux hommes mouraient chaque jour ; en 1942, trois ou quatre par jour. Je travaillais sous la direction du. Dr May, et j’ai souvent réussi à le faire venir au camp pour voir les conditions terribles dans lesquelles les gens vivaient et écouter leurs plaintes. Mais il n’était même pas possible pour lui d’obtenir l’aide médicale du Service de santé de la Wehrmacht ou de Krupp ou d’améliorer les conditions de traitement ou la nourriture.
« J’ai assisté à une conversation avec quelques femmes russes qui me dirent personnellement qu’elles étaient employées dans l’usine Krupp et qu’elles étaient frappées tous les jours de la façon la plus bestiale. La nourriture consistait en une soupe à l’eau qui était sale et absolument impossible à manger ; elle était si mauvaise qu’on la sentait à distance. Les vêtements étaient déchirés et en lambeaux. Aux pieds, elles avaient des torchons ou bien des sabots en bois. Le traitement, autant que je puisse en juger, était le même que celui des prisonniers de guerre russes. On les frappait chaque jour.
« De telles conditions durèrent pendant des années, depuis le début jusqu’au jour de l’arrivée des troupes américaines. Ces gens vivaient dans une grande anxiété et il était dangereux pour eux de décrire à quelqu’un les conditions dans lesquelles ils vivaient dans leur camp. Les directives étaient telles qu’ils pouvaient être assassinés par n’importe quel garde dés SS ou de la Gestapo qui les remarquaient. Quant à moi, en tant que médecin, je pouvais leur parler. Ils avaient confiance en moi et savaient qu’un Polonais ne trahirait jamais aucun d’entre eux. Signé : Dr Apollinaire Gotowicki. »
Vous avez expliqué que quelques-unes de ces conditions, à votre avis, étaient dues au fait qu’il y avait eu des bombardements aériens et que les logements des travailleurs et des prisonniers avaient été détruits.
C’est exact, mais cela n’indique pas encore que de telles conditions, si elles ont pu exister, doivent être généralisées.
Je vous demande pardon. Mes écouteurs étaient mal branchés et je n’ai pas entendu votre réponse. Voulez-vous répéter votre réponse ?
C’est exact, mais je voudrais attirer l’attention du Tribunal sur le fait que. les circonstances qui sont décrites dans cet affidavit ne peuvent pas être généralisées, abstraction faite que je ne pense pas que les faits rapportés soient absolument exacts. Mais enfin, je n’ai aucune qualité pour le dire, car vous ne pouvez exiger de moi de connaître les camps de la firme Krupp.
Je voudrais encore une fois savoir si vous considériez comme opportun de rassembler des prisonniers de guerre et des travailleurs forcés à une telle proximité des objectifs militaires, comme c’était le cas pour ces prisonniers ?
Je ne voudrais pas avoir à vous dire différentes choses que tout Allemand a sur le cœur. Les objectifs militaires n’étaient pas attaqués. Les camps, donc, n’étaient jamais dans le voisinage d’objectifs militaires.
Vous ne considériez donc pas les, usines Krupp comme des objectifs militaires ?
Les camps n’étaient pas dans les usines Krupp. Ils étaient aux environs de la ville d’Essen. Dans le voisinage même des usines, il n’y avait en principe pas de camps, parce que nous pensions que ces usines seraient bombardées, et nous ne voulions pas que nos camps fussent détruits.
Est-ce que vous avez remarqué que l’une des photographies que j’ai déposées montre que le camp est voisin de l’usine ?
Je voudrais bien la voir encore une fois. (La photographie est remise à l’accusé.)
Sur cette photographie, je peux reconnaître en effet qu’il y a dans le fond une usine d’une certaine importance, mais cela ne change absolument rien à ma déclaration : nous avions établi nos camps presque exclusivement à l’extérieur des villes. Je ne sais pas si c’est le cas en l’espèce, et je ne peux même pas dire s’il s’agissait d’un camp ou simplement d’une baraque vestiaire ou d’une installation quelconque qui était nécessaire aux environs mêmes de l’usine. Et je continue à croire que ces armoires étaient des armoires à vêtements et que ce baraquement est l’une des innombrables baraques qui permettaient aux ouvriers de se changer avant et après le travail. Tout technicien allemand vous dira que ce sont des armoires à vêtements, et non pas des armoires spéciales, car c’est un objet d’utilité courante. D’ailleurs, il est explicable qu’il y ait des trous d’aération, car toute armoire à vêtements comporte des trous d’aération en bas et en haut.
En tant que ministre de la Production, vous aviez le plus grand intérêt à voir diminuer le pourcentage des malades chez les travailleurs, n’est-ce pas ?
J’avais un intérêt à ce que le rendement de la main-d’œuvre fût bon, et il va sans dire que la question sanitaire joua un rôle en la matière.
Pas seulement dans ce cas particulier. Le pourcentage des malades dans la main-d’œuvre est un facteur général de la production, n’est-ce pas ? N’est-ce pas un fait, pour quiconque s’occupe de production, que les deux plus grandes difficultés qui jouent sur l’aptitude au travail et le rendement sont la maladie et l’apprentissage rapide d’un ouvrier ? Ces deux facteurs ne firent-ils pas baisser la production ?
Ces deux facteurs nous inquiétaient effectivement, mais ils n’étaient pas aussi généralisés que vous semblez le dire. Les cas de maladies représentaient un pourcentage extrêmement bas et, à mon avis, à peu près normal. Néanmoins, les tracts qui étaient distribués par les avions ennemis invitaient les ouvriers à se faire porter malades, même quand ils ne l’étaient pas. Les tracts donnaient aux ouvriers des indications précises sur la façon de simuler une maladie. C’est contre cela que nous avons fait prendre des mesures par les services compétents, et je considère que ces mesures étaient justes.
Quelles étaient ces mesures ?
Je ne peux pas vous le dire dans le détail, parce que ce n’est pas moi qui ai pris ces mesures de rétorsion, qui n’étaient pas de ma compétence. Je crois savoir qu’elles sont dues à la collaboration du plénipotentiaire général à la main-d’œuvre et des services de la Police ou de l’État. La compétence appartenait aux services chargés de réprimer ces excès.
Si vous ne saviez pas quelles étaient ces mesures, comment pouvez-vous nous dire que vous les approuviez ? Nous en arrivons toujours à ce point mort : personne ne savait ce qui se passait. Vous saviez au moins que ces sanctions étaient très sévères.
Quand je dis que je suis d’accord, je ne veux pas ici me soustraire à une responsabilité, je veux simplement que vous compreniez qu’un ministre de la Production a des tâches considérables à accomplir, précisément lorsqu’il y a des attaques aériennes, et que je ne m’occupais des choses qui ne relevaient pas de ma compétence que lorsque des circonstances exceptionnelles et graves se présentaient et m’y contraignaient. Sans cela, j’étais ravi d’en avoir terminé avec mes propres tâches dont le domaine était loin d’être étroit. Je crois que si, en Grande-Bretagne, au moment des attaques aériennes allemandes, vous aviez demandé au ministre de la Production s’il partageait les soucis du ministre du Travail, ou s’il s’en préoccupait, ce ministre de la Production vous aurait dit à bon droit : « J’ai vraiment autre chose à faire, j’ai ma Production à maintenir ; que le ministre du Travail veille à ce que tout marche bien chez lui ». Et personne ne fera un grief au ministre de la Production anglais de ne s’être pas occupé des affaires du ministre du Travail.
La production était votre domaine. Voulez-vous prétendre que vous n’avez vu aucun rapport sur les conditions dans lesquelles se trouvaient les ouvriers employés dans la production, aucun rapport vous ayant permis de vous rendre compte qu’il y avait quelque chose qui ne marchait pas dans le pourcentage des malades ou dans les conditions générales des travailleurs ?
J’ai entendu tout cela au Plan central. Vous pouvez y trouver le reflet de ce que j’ai entendu. Il y a eu beaucoup de réunions, mais je ne peux pas vous dire ici dans le détail ce que j’ai appris moi-même, car ce sont là des choses qui étaient en dehors du cadre de mes compétences. Mais il va sans dire que lorsqu’on se trouve à un poste de direction de l’État, on a, malgré tout, une certaine connaissance des choses qui ne vous touchent pas directement et que l’on apprend les inconvénients qui surgissent dans les domaines voisins. Et les choses vont ainsi que l’on n’est pas obligé de remédier aux inconvénients en question et qu’on ne sait pas plus tard ce qu’il en était dans le détail. Vous ne pouvez pas me le reprocher. Si un point particulier vous intéresse, je suis prêt à vous donner des renseignements.
Bien. Supposons que ces conditions aient été portées à votre connaissance et qu’elles existaient. A qui vous seriez-vous adressé dans ce cas pour qu’on y remédiât ? Quel est le personnage du Gouvernement compétent en la matière ?
Dans des conditions normales, un ministre agirait de la façon suivante : il enverrait l’affaire pour attribution au service compétent. Je dois dire, quant à moi, que lorsque j’entendais parler de ce genre d’irrégularités, j’essayais d’y remédier en me mettant directement en rapport avec la personne compétente. C’était soit le Front du Travail, où j’avais un agent de liaison, ou Sauckel, que je touchais par mon service qui s’occupait de l’affectation de la main-d’œuvre. J’admettais, lorsque l’on ne me répondait pas, que l’affaire était réglée, car je ne pouvais pas évidemment m’attacher à toutes ces affaires et demander si le nécessaire avait été fait ou non.
Par conséquent, vous ne vous seriez pas adressé à Krupp ? Vous considérez qu’il n’était pas responsable de ces conditions ?
Au cours de mes inspections chez Krupp, il est certain que l’on a parlé des conditions qui étaient en général celles des ouvriers après les attaques aériennes. C’était évidemment un très gros souci pour nous ou pour la firme Krupp. J’étais très bien informé là-dessus. Mais je n’ai pas le souvenir qu’on m’ait dit que les ouvriers étrangers ou les prisonniers de guerre se trouvaient dans une situation particulièrement mauvaise. Passagèrement, ils ont tous connu une situation très primitive. Les ouvriers allemands vivaient dans des caves à cette époque, et six à huit personnes étaient souvent logées dans une toute petite cave.
Il y a quelque temps, vous avez déclaré que vous étiez, pour une part, responsable de ces conditions, en votre qualité de membre du Gouvernement. Je voudrais que vous vous expliquiez un peu plus à ce sujet. A quelle responsabilité faites-vous allusion lorsque vous dites que vous assumez une responsabilité en votre qualité de membre du Gouvernement ?
Vous faites allusion à la déclaration que j’ai faite hier et d’après laquelle...
Votre responsabilité générale. Que voulez-vous dire par cette responsabilité générale commune ?
Oui, à mon avis il y a deux responsabilités dans la vie publique. L’une concerne votre propre service. Vous êtes naturellement pleinement responsable dans ce domaine. En outre, je suis personnellement d’avis qu’il existe une responsabilité collective pour les questions absolument décisives, et que cette responsabilité collective doit exister dans la mesure où l’on est un des dirigeants, car qui, sans cela, doit porter la responsabilité du cours des événements, sinon les collaborateurs les plus proches d’un chef d’État ? Mais cette responsabilité collective ne peut exister que pour des questions de principe fondamentales. Elle n’est pas possible lorsqu’il s’agit du règlement de certains détails qui ont pu se produire dans les domaines de la compétence d’autres ministères ou d’autres services, car sans cela toute la discipline de la vie de l’État se trouve embrouillée. Personne ne saurait plus s’y retrouver. Et il importe que la responsabilité personnelle soit clairement et soigneusement délimitée pour chaque individu dans le domaine propre de son travail.
Si je vous comprends bien, vous considérez ainsi qu’en votre qualité d’ancien membre du Gouvernement et de dirigeant, vous endossez une responsabilité pour les grandes lignes de la politique de ce Gouvernement, mais non pour les détails de l’application de ces principes ? Ai-je correctement défini votre pensée ?
Oui.
J’en ai terminé avec ce contre-interrogatoire.
D’autres représentants du Ministère Public désirent-ils contre-interroger l’accusé ?
Accusé Speer, en donnant votre biographie et en répondant aux questions de M. Justice Jackson, vous avez omis certains détails qui me paraissent importants. A ce propos, je vais vous poser quelques questions.
J’ai omis certains points, les points précis que je ne voulais pas contester et qui se trouvent dans les documents, car j’aurais fort à faire si je devais soulever encore dans le détail tous ces divers points.
Je ne veux rappeler que certains faits, pour ne pas abuser des instants du Tribunal. Est-ce que je vous ai bien compris : outre votre fonction de ministre, vous avez été à diverses reprises l’architecte particulier de Hitler, après la mort du professeur Todt ? Avez-vous occupé ce poste ?
Oui.
Vous avez été inspecteur général des chaussées allemandes ?
Oui, mais seulement après la mort du Dr Todt.
Et puis aussi inspecteur général des Eaux et de l’Énergie ?
Oui.
Plénipotentiaire général à la Construction au Comité central du Plan de quatre ans ?
Oui, plénipotentiaire à la Construction.
Chef de l’organisation Todt ?
Oui.
Vous étiez le chef de l’Organisation de la technique du parti national-socialiste ?
Oui.
Le chef de l’Association des techniciens allemands nationaux-socialistes ?
Oui.
Outre ces postes, n’avez-vous pas occupé d’autres fonctions de direction ?
Oui. J’occupais environ dix à douze postes, mais je ne peux pas tous les énumérer ici.
Vous avez été l’un des dirigeants de la Chambre de Culture du Reich ?
Non, ce n’est pas exact. Je ne peux plus le dire exactement. Je crois que j’étais sénateur, ou quelque chose d’approchant.
Vous faisiez partie du Conseil de l’Académie des Beaux-Arts ? Vous étiez membre du Conseil de l’Académie des Arts plastiques ?
Également.
Nous n’allons pas énumérer, pour épargner notre temps, toutes les autres fonctions que vous avez remplies. Vous rappelez-vous les déclarations que vous avez faites au colonel Rosenblith, le 14 novembre 1945 ?
Non, pas dans le détail.
Je vais vous rappeler une question et votre réponse, et vous demander si votre réponse a été fidèlement transcrite. A la question : « Reconnaissez-vous que dans son livre Mein Kampf, Hitler a très clairement exprimé ses plans d’agression contre les pays de l’Est et de l’Ouest, en particulier contre l’Union Soviétique ? », vous avez répondu : « Oui, je le reconnais ». Vous souvenez-vous ?
C’est bien possible, oui.
Et vous le confirmez encore maintenant ?
Non.
Vous ne le confirmez plus ?
Je dois dire qu’à ce moment-là j’ai eu honte de dire que je n’avais pas complètement lu Mein Kampf. Cela m’a semblé ridicule alors.
Très bien. Ne perdons pas notre temps sur ces questions. A ce moment, vous aviez honte de le confirmer. Avez-vous encore honte maintenant ? Laissons cela.
A ce moment, j’ai triché.
Vous avez triché à ce moment. Et maintenant ?
Non, vraiment pas.
C’est sans importance. Vous étiez un collaborateur de l’État-Major de Hess ?
Oui.
Au Front du Travail ?
Oui.
Bien. Au Front du Travail. Vous aviez un grade assez élevé dans le parti national-socialiste, comme vous l’avez dit aujourd’hui ?
Ce rang n’était pas très élevé. Il ne correspondait en aucune façon à la place que j’ai eue dans l’État.
Écoutez d’abord ma question, ensuite vous répondrez. Je répète : vous avez été collaborateur de l’État-Major de Hess. Vous avez collaboré au Front du Travail avec Ley, vous avez été un des chefs des ingénieurs du parti nazi. Vous aviez un rang... enfin élevé ou pas très élevé, cela n’a pas d’importance, dans le parti nazi. Hier, vous avez dit au Tribunal que vous étiez l’un des amis de Hitler. Et vous voulez nous dire que vous n’avez pas appris les plans et intentions de Hitler ailleurs que dans Mein Kampf ?
Je voudrais faire quelques déclarations à ce sujet. J’ai été en contact étroit avec Hitler et j’ai entendu ses opinions personnelles, et ces opinions personnelles ne donnèrent pas à conclure qu’il pouvait avoir certains plans tels que ceux qui apparaissent ici à la lumière des documents. J’ai été rassuré en 1939 de voir la conclusion d’un pacte de non-agression avec la Russie, et, en fin de compte, vos diplomates qui avaient probablement lu également Mein Kampf n’en ont pas moins conclu avec l’Allemagne ce pacte de non-agression. Ils étaient certainement plus intelligents que moi en matière politique.
Il ne s’agit pas présentement de considérer qui a lu Mein Kampf et qui ne l’a pas lu. Cela ne se rapporte pas à la question et n’intéresse pas le Tribunal. Vous affirmez que vous ne saviez rien des plans de Hitler ?
Oui.
Très bien. Dites-moi les tâches qui étaient les vôtres lorsque vous étiez au Service central de la technique dans le parti nazi.
Dans le Parti ?
Vous devez bien le savoir, c’est vous qui étiez directeur du Service central de la technique du parti nazi.
Je n’ai pris ce service qu’en 1942, et, en 1942, en pleine guerre, il n’y avait pas de tâche pour ce Service central de la technique à l’intérieur du parti national-socialiste. J’ai incorporé dans mon ministère les collaborateurs qui étaient dans cette administration et leur ai confié là des postes de fonctionnaires de l’État. Les déclarations du témoin Saur rapportées dans le livre de documents pourront vous éclairer là-dessus.
De quoi s’agit-il dans ce document de Saur ?
Ce document contient également un décret de la fin de 1942 dans lequel je décide le transfert de ces tâches à l’appareil de l’État.
Mais vous n’avez quand même pas répondu à ma question, et, pour ne pas perdre de temps, je vais vous lire ce qu’a répondu Saur à ce sujet, et vous allez me dire si c’est exact ou non. On lui a demandé quelles étaient les tâches du Service central de la technique à la NSDAP, et il a répondu :
« Les tâches du Service central de la technique consistaient à unifier les organisations techniques dans le but de servir les ingénieurs allemands dans les domaines scientifiques, professionnels et politiques. Est-ce que c’était une organisation politique ?
Non, c’était plutôt une organisation technique.
Une organisation technique qui s’occupait de questions politiques également ? Dans le livre de documents que votre avocat a présenté et qui a déjà été cité ici partiellement, il y a aussi des indications sur les principales tâches du Service central de la technique. Il ressort de ce document que cette organisation poursuivait le but de répandre les idées nationales-socialistes parmi ses membres, et que c’était aussi une organisation politique et non pas technique.
Où est ce passage ? Est-ce que je pourrais voir le document ?
Bien entendu. Nous avons ce document et allons le mettre à votre disposition. On va vous montrer également la structure de la Kreisleitung (direction du Kreis).
Non, j’avais compris qu’il s’agissait de mon livre de documents, du moins la traduction l’a dit, mais il s’agit là du livre de l’organisation du parti national-socialiste et...
Oui, c’est cela, c’est la structure de la NSDAP. C’est le document PS-1893 qui a été présenté par votre défenseur.
Oui, dans mon livre de documents, il est précisément écrit que le Service central de la technique du parti national-socialiste ne comportait pas de tâche politique. C’est ce que j’ai produit et tiré du manuel du parti national-socialiste. Je ne l’aurais pas inséré dans mon livre de documents si je n’avais pas eu l’impression précise qu’il ressortirait de cet extrait, contrairement à ce qui se passait dans tous les autres services, que le Service central de la technique avait une tâche non politique à l’intérieur du Parti.
L’Union nationale-socialiste des techniciens allemands n’était pas non plus une organisation politique ?
En aucune façon.
En aucune façon ? Mais dites-moi si les chefs de cette union pouvaient s’abstenir d’être membres du parti nazi ?
Ils n’avaient pas besoin d’en être membres, autant que je le sache. Je n’ai pas fait attention s’ils étaient membres ou non de ce Parti.
Nous pourrions suspendre maintenant.
Vous étiez un des dirigeants du Plan central. Vos tâches comprenaient-elles la recherche de nouvelles sources de matières premières ?
Je ne comprends pas le sens de la phrase.
L’une des tâches du Plan central consistait bien à rechercher de nouvelles sources de matières premières ?
Non, pas du tout.
Bien. Je vous lirai des extraits de votre livre de documents. Écoutez-moi, sans cela nous perdrons trop de temps. On dit, dans l’ordre du 22 avril 1942, sous la signature de Göring, livre de documents n° 1, page 14 du texte russe, page 17 du texte anglais, document Speer-7 :
« Pour assurer la prédominance de l’armement ordonnée par le Führer, pour coordonner toutes les demandes à adresser à l’ensemble de l’économie durant la guerre, ainsi que pour amener une parité entre le ravitaillement et les possibilités en matières premières et en produits finis, j’ordonne :
« 1. Dans le cadre du Plan de quatre ans, est créé un Comité central du Plan... »
Plus loin, le document mentionne les membres de ce Comité. La troisième partie de cet ordre de Göring énumère les différentes tâches. Je voudrais citer ce troisième paragraphe :
« C. La répartition des matières premières existantes, notamment du fer et des métaux, à tous les ayants droit. »
« B. La décision concernant la création des usines nouvelles pour la production de matières premières ou l’achèvement des usines existantes... »
Cela figure dans votre livre de documents.
Oui, mais il y a une différence. On m’a parlé de « sources de matières premières » et, sous cette expression « sources de matières premières », je comprends par exemple les gisements de charbon ou de minerai. Vous parlez dans ce paragraphe de la création d’usines nouvelles pour la production de matières premières. On veut dire par là, par exemple, la construction d’une usine de fabrication de l’acier ou de l’aluminium. C’est ce que j’ai déjà expliqué : le développement des sources de matières premières était important pour l’industrie. J’ai dit que je m’étais, en effet, occupé de cette activité.
Oui, ce serait difficile à contester : c’est écrit dans le document.
Non. Ce sont des expressions techniques qui, par la double traduction, ont sans doute été quelque peu déformées. Le sens du paragraphe est tout à fait clair. Chaque spécialiste pourra vous confirmer ce que je viens de dire. C’est la même activité...
Oui, le sens est clair. Dites-moi, est-ce par hasard que vous avez oublié Funk quand vous avez énuméré les divers membres du Comité central du Plan ?
Non, Funk n’a presque pas collaboré au Plan central. C’est pourquoi je ne l’ai pas mentionné. Ce n’est qu’en septembre 1943 qu’il est officiellement devenu membre de cet organisme. Mais, même à cette époque, il n’a pris part qu’à une ou deux séances, de sorte que son activité a été extrêmement réduite.
Je ne vous pose pas de question sur son activité, mais je vous demande si Funk était membre du Comité central du Plan.
Depuis septembre 1943.
Et est-ce par hasard que vous ne l’avez pas nommé ou avez-vous une raison particulière pour cela ?
Je n’ai nommé que les trois membres qui étaient présents depuis la fondation du Plan parce que je n’ai parlé que de la fondation du Comité central du Plan. L’erreur s’explique ainsi : je ne voulais pas abuser des instants du Tribunal avec un fait universellement connu.
Vous avez affirmé ici que vous vous occupiez en général de constructions pacifiques, que vous n’avez pas désiré être nommé ministre de l’Armement, que vous aviez des hésitations à ce sujet, etc. Vous l’affirmez toujours ?
Oui.
Je voudrais vous rappeler ce que vous avez dit aux représentants de l’industrie de la région rhénane. Vous vous souvenez de ce que vous leur avez dit ? Je vais vous lire un des passages de votre discours. Vous disiez alors :
« Au printemps 1942, je n’ai pas hésité longtemps. L’une après l’autre, les exigences du Führer étaient satisfaites par nos soins et constituaient un programme dont la réalisation avait paru impossible aux services compétents antérieurs ou liée à des conditions irréalisables. » (Document Speer n° 2.) Avez-vous prononcé ces paroles ?
Oui, mais cela n’a rien à voir avec ce que vous prétendez là. Je pense que les exigences dont on parle ici, permettez-moi de le dire, concernent les augmentations des armements de l’Armée. Celles-ci, je les ai acceptées. Il est par conséquent bien évident qu’à cette époque j’ai accepté sur-le-champ ma nomination au poste de ministre de l’Armement, et cela sans hésitation. Je ne l’ai jamais contesté. J’ai simplement dit que j’eusse préféré être architecte que ministre de l’Armement. Il me semble que vous pourrez me comprendre.
Maintenant, voyons ce que vous avez dit dans votre discours aux Gauleiter à Munich. Vous disiez :
« J’ai abandonné toute cette activité et, en conséquence, ma propre profession, l’architecture, afin de me donner entièrement à la solution des problèmes de la guerre. Le Führer l’attend de nous tous. » (Document PS-1435.) Est-ce que cela correspond à ce que vous disiez ici au Tribunal ?
Oui, je crois que c’est aussi en usage dans votre État.
Je ne vous pose pas de question sur notre État. Je vous demande si ce que vous avez dit aux Gauleiter correspond à ce que vous affirmez devant le Tribunal.
Je voulais arriver à vous faire comprendre — car vous paraissez ne pas le comprendre — qu’on accepte pendant la guerre un poste de ministre de l’Armement. Il va sans dire que la chose est nécessaire. Je ne comprends pas que vous ne le compreniez pas et que vous vouliez m’en faire grief.
Je vous ai parfaitement bien compris.
Très bien.
Lorsque vous parliez devant les Gauleiter, vous ne saviez pas qu’un jour vous devriez répondre de vos paroles devant un Tribunal Militaire International.
Pardonnez-moi... Un instant, je vous prie, il me faut répondre quelque chose sur ce point. Il est parfaitement clair que je n’ai rien à dire. C’est évident du fait que vous avez extrait ce passage de mon livre de documents, sans quoi je me serais bien gardé de l’y insérer. J’espère que vous me considérez comme suffisamment intelligent pour avoir constitué mon livre de documents d’une manière correcte.
Mais le Ministère Public possède également ce document. Passons maintenant à la question suivante.
En réponse aux questions de votre défenseur, vous avez parlé des tâches de votre ministère. Sous ce rapport, je voudrais vous poser quelques questions. Vous vous souvenez du contenu de votre article « L’augmentation de la production » publié dans le journal Das Reich du 19 avril 1942. On va vous en donner une copie immédiatement. Monsieur le Président, je dépose cet article sous le numéro URSS-479.
Je vous rappelle brièvement comment vous y décrivez les principes de votre ministère :
« D’abord, il est impérieusement nécessaire de faire usage d’une manière énergique comportant les peines les plus sévères en cas d’infraction contre l’intérêt de l’État ; longues peines de réclusion ou peine de mort. Il faut gagner la guerre. » Avez-vous écrit cela ?
Un instant, puis-je vous prier de lire tout le paragraphe, vous avez sauté plusieurs phrases.
Je les ai laissées. Je vous poserai ultérieurement des questions sur ce point.
Mais il en ressort pourquoi la réclusion et la peine capitale étaient prévues ; c’est important, je pense. Je crois que vous devez citer le contexte pour avoir une idée exacte de la question.
Vous donnerez vos explication après, mais, pour le moment, écoutez bien les questions que je vous pose. Si vous voulez donner des explications sur cet article, vous les donnerez plus tard.
Non, non. Général Raginsky, le Tribunal préférerait avoir ces commentaires maintenant.
Si l’accusé veut donner des explications à ce propos, je suis prêt à les entendre.
Le texte que vous avez omis est le suivant : « Le Führer a ordonné, sur ma proposition, que les chefs d’entreprise, les employés, de même que les fonctionnaires et officiers qui tenteraient, en donnant de fausses informations, de se procurer du matériel ou de la main-d’œuvre, soient punis de lourdes peines de réclusion ou de la peine de mort. »
Les choses se passèrent ainsi : Lorsque je pris mes fonctions, les exigences présentées aux agences centrales étaient complétées par des demandes émanant des services secondaires. Beaucoup de ces services secondaires demandaient, de leur propre chef, un supplément, de sorte que les exigences qui m’arrivaient étaient considérables, incroyables. Il était impossible d’envisager un plan quelconque. Les demandes de cuivre, par exemple, que j’ai reçues en un an dépassaient la production annuelle du monde entier, du fait que ces demandes supplémentaires s’ajoutaient aux autres. Pour empêcher cela et éviter que je reçoive de fausses indications, j’ai envisagé pour ces fonctionnaires, officiers, chefs d’entreprise ou employés, une réglementation qui eût un effet intimidant. J’en ai également parlé dans mon discours aux Gauleiter et déclaré dans ce discours que cet arrêté devait avoir des conséquences telles que personne n’aurait l’idée de donner de fausses indications à l’autorité supérieure et que le but de cette réglementation serait ainsi atteint. Je pensais qu’il ne serait jamais nécessaire d’appliquer cet arrêté en pratique, car je ne croyais pas que ces chefs d’entreprises, employés, fonctionnaires et officiers eussent suffisamment de courage pour donner de fausses indications, s’ils risquaient de telles sanctions. Le fait est que la chose ne s’est jamais produite, mais les exigences en matériel et en main-d’œuvre que j’ai reçues s’en sont trouvées singulièrement diminuées.
Vous avez prétendu que vos tâches de ministre se limitaient à la production. Vous ai-je bien compris ?
La production de guerre et d’armement, oui.
Le ravitaillement de cette industrie en matières premières n’était pas de votre compétence ?
Non, seulement à partir de septembre 1943, lorsque je me suis occupé de toute la production. Il est exact que je devais m’occuper du cycle total : de la matière première jusqu’au produit terminé.
Dans la publication L’Allemagne en guerre de novembre 1943 — on vous montrera cet exemplaire que je dépose sous le numéro URSS-480 — on lit :
« Sur la base du décret du Führer du 2 septembre 1943 sur la concentration de l’économie de guerre et du décret du Reichsmarschall, délégué général au Plan de quatre ans et au Comité central du Plan du 4 septembre 1943, le ministre du Reich Speer assume la direction de toute l’économie de guerre, en qualité de ministre de l’Armement et de la Production de guerre. Il est seul compétent et responsable dans les domaines de l’organisation de la direction et de la production de l’Économie de guerre. »
Est-ce exact ? Je vous demande de me répondre très brièvement si c’est exact ou non ?
Ce n’est pas exprimé très correctement, parce que l’expression « économie de guerre » ne correspond pas tout à fait à celle d’« armement et production de guerre ». Ce passage n’a pas été rédigé par un spécialiste, mais je pense tout de même qu’il correspond en gros à ce que j’ai déclaré. J’avais dit que la production de guerre englobait la production totale.
Oui, mais vous étiez responsable depuis septembre 1943, non seulement de l’industrie de guerre, mais également de toute l’économie de guerre. Et ce sont là des choses bien différentes ?
Non, c’est justement là où est l’erreur : vous parlez dans ce texte d’industrie de guerre et d’économie de guerre. Ce dernier terme doit être pris au sens de production. C’est l’économie qui touche aux ouvriers et à l’industrie ; le terme est restrictif. Si l’on parle de « l’ensemble de la production de l’économie de guerre », on veut sans doute parler de la production, telle que la concevait l’auteur de ce texte, mais...
Vous avez dit ici qu’en acceptant le poste de ministre en 1942, vous aviez accepté une lourde succession. Exposez très brièvement la situation, à cette époque, des matières premières d’importance militaire, surtout des métaux d’alliage nécessaires à la production des munitions.
Général Raginsky, est-il nécessaire d’entrer dans ces détails ? N’est-il pas clair qu’un homme qui employait des millions d’ouvriers avait un travail considérable ? Quel but vous proposez-vous en posant cette question ?
Monsieur le Président, cette question en prépare une autre qui...
Quel est le but de votre interrogatoire ? Vous dites que vous voulez arriver à une autre question ? A quelle question ?
J’ai l’intention de prouver que l’accusé Speer a participé au pillage économique des régions occupées.
Alors posez-lui la question directement.
J’y arrivais justement. Vous reconnaissez que vous avez pris part au pillage économique des territoires occupés ?
Oui, à l’exploitation économique des régions occupées. Le mot pillage ne me semble pas indiqué. Je ne sais pas ce que l’on entend par « pillage des régions occupées ».
Pour compenser le déficit des matières premières d’importance militaire, vous préleviez des métaux d’alliage en Belgique, en France et dans d’autres pays occupés ?
Bien entendu, je ne l’ai pas fait moi-même mais j’y ai certainement pris part d’une façon quelconque. Je n’étais pas responsable de ces faits, mais j’ai certainement influé pour nous permettre de recevoir le plus de métal possible.
Votre réponse me satisfait, le Tribunal appréciera. Vous vous souvenez du décret de Hitler sur la concentration de l’économie de guerre, en date du 2 septembre ? Je le dépose sous le numéro URSS-482. Je n’ai pas l’intention de lire ce décret en entier, cela nous prendrait beaucoup trop de temps ; je me contenterai d’en citer quelques paragraphes. Cet ordre commence par la phrase suivante :
« Prenant en considération les besoins de la guerre qui rendent nécessaires une coordination plus étroite de toutes les forces économiques et leur utilisation concordante, j’ordonne pour la durée de la guerre... »
Paragraphe 2 :
« ... Les attributions du ministre de l’Économie du Reich dans les domaines des matières premières de la production de l’industrie et de la main-d’œuvre passeront au ministre du Reich pour l’Armement et les munitions. En raison du développement de ses fonctions, le ministre pour l’Armement et les munitions prend le titre de « ministre du Reich pour l’Armement et la Production de guerre ». Avez-vous regardé cet ordre ?
Oui, je le connais.
Je voudrais que vous disiez très brièvement, sur la base de cet ordre, quelle était la répartition des fonctions entre Funk et vous ?
Mais vous le voyez d’après le texte. Je m’occupais de la production totale, depuis les matières premières jusqu’aux produits finis. Funk s’occupait, lui, de toutes les questions économiques générales, par exemple : échange, circulation de l’argent, question des droits des actionnaires, commerce extérieur, etc...
Oui, c’est clair.
Je n’ai pas épuisé le sujet, ce n’est qu’un aperçu.
Cela me suffit. Sur la base de cet ordre, vous avez reçu pleins pouvoirs pour la régularisation de l’échange et du trafic des marchandises ?
Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.
Eh bien, pour ne pas perdre de temps, on va vous montrer un document qui a été signé par Funk et vous le 6 septembre 1943. Je dépose ce document sous le numéro URSS-483. Je lirai le premier point du premier paragraphe :
« Dans la mesure où la compétence du ministre de l’Économie dans le domaine du trafic de biens est fondée sur des prescriptions du droit public, ces pouvoirs seront exercés pendant la durée de la guerre par le ministre de l’Armement et de la Production de guerre du Reich. » Ainsi, votre rôle, au cours de la guerre, en votre qualité de chef de l’économie de guerre de l’Allemagne, était infiniment plus vaste que vous ne le dites, n’est-ce pas ?
Mais non, je n’ai pas essayé de vous dire autre chose, puisque je vous ai expliqué que le ministère de l’Armement, pendant la guerre, représentait le poste le plus important du Reich, puisque tout passait par ses services. Il me semble que j’ai fait là un tour suffisant du domaine de mon activité. Cette question de la circulation des biens est d’une importance bien secondaire. Je ne peux pas vous dire ce qu’on entend exactement par cette expression de « circulation des marchandises » ; c’est une expression technique qui ne m’est pas familière.
Oui, mais ce document est signé de votre main et vous dites maintenant que vous ne saviez pas ce qu’il prévoyait ? Mais vous l’avez signé avec Funk ?
Naturellement.
Comment était assurée la liaison entre votre ministère et le Front du Travail ? Y avait-il un lien quelconque :
Il y avait un agent de liaison entre le Front du Travail et moi-même, de même pour tous les autres services importants du Reich.
Voulez-vous m’indiquer le nom de ce fonctionnaire ?
C’était mon témoin Hupfauer qui devint plus tard chef de mon service central.
Vous avez déclaré que sous la rubrique économie de guerre n’entraient pas les entreprises de textiles ou travaillant l’aluminium, le bois, etc. Vous ai-je bien compris ? Avez-vous dit cela ?
Non, c’est une erreur ; ce passage a probablement été mal traduit.
Et comment faut-il vous comprendre ?
Je crois qu’il y a eu deux fautes de traduction. Tout d’abord, je n’ai pas parlé dans mes déclarations de l’économie de guerre, mais de l’armement, et j’ai dit que sous cette rubrique d’armement il fallait ranger aussi bien les entreprises de textiles que les entreprises travaillant le cuir, le bois, etc. L’armement et l’économie de guerre sont deux choses bien différentes.
Et l’industrie textile, vous l’excluez entièrement de l’armement ?
J’ai dit que différentes entreprises de textiles avaient été comprises dans l’armement, bien qu’effectivement elles n’eussent pas été des entreprises d’armement, au sens étroit du terme.
L’industrie textile ne produisait-elle pas des parachutes et des effets d’équipement destinés à l’Aviation ?
Oui, mais si vous vous reportez à la Convention de Genève, vous verrez qu’il n’est pas interdit d’employer des prisonniers de guerre à ce genre de travail. Le texte est là, je puis vous le dire.
Oui, et vous voulez nous convaincre que l’on peut fabriquer de la poudre sans cellulose et de cette façon vous réduisez les concepts d’industrie de guerre et de production de guerre ?
Non, vous avez tout à fait mal compris. Je voulais simplement fournir des éclaircissements sur l’expression « industrie d’armement » pour démontrer le plus clairement possible que cette expression moderne implique quelque chose d’infiniment différent de l’industrie des armements, telle que l’entend la Convention de Genève.
Bien. Vous nous avez parlé des objections que vous avez soulevées contre l’utilisation de la main-d’œuvre étrangère, les raisons de vos objections. Il était le chef du service de l’utilisation de la main-d’œuvre dans votre ministère. Votre défenseur l’a présenté. Je ne lirai qu’un seul paragraphe de ce témoignage et vous demande de confirmer si ce que Schmelter a dit est exact :
« Le ministre Speer a fait remarquer à plusieurs reprises que l’utilisation de la main-d’œuvre étrangère procurait de grandes difficultés au Reich dans le domaine du ravitaillement de ces travailleurs. » Était-ce la raison de vos instructions ?
Je pense que cette traduction n’est pas correcte. Je connais exactement le texte et le sens de cette déclaration et ce sens est parfaitement exact. Il s’agissait du problème suivant : si nous amenions de la nouvelle main-d’œuvre en Allemagne, il fallait lui donner les calories de base nécessaires pour nourrir un être humain. Ces calories de base, la main-d’œuvre allemande qui travaillait encore en Allemagne à ce moment-là devait les recevoir. C’est pourquoi j’épargnais des produits alimentaires si j’employais la main-d’œuvre allemande en Allemagne ; c’était la seule façon d’augmenter les calories supplémentaires, nécessaires aux travailleurs de force et au travail de longue durée. Tel est l’esprit de la déclaration de Schmelter.
Accusé Speer, vous ne voulez pas répondre directement à ma question.
Mais oui. Très volontiers.
Vous vous perdez dans des détails qui ne m’intéressent en rien. Je vous demande si j’ai exactement compris les déclarations rapportées dans le passage du témoignage de Schmelter que je viens de lire ?
Non, elles ont été mal traduites. Je voudrais avoir l’original allemand entre les mains.
L’original se trouve dans votre livre de documents. Je passerai maintenant à la question suivante...
Oui, mais il est nécessaire que vous me le montriez maintenant. Il me ’semble tout de même que je n’ai pas besoin, au cours d’un contre-interrogatoire du Ministère public russe, d’apporter mon livre de documents à la barre.
Vous devez lui donner ce document si vous l’avez.
Monsieur le Président, ce document figure au livre de documents produit par la Défense. L’original de ce livre a été déposé devant le Tribunal ; je ne possède moi-même que la traduction russe de l’affidavit de Schmelter qui a été remise hier au Tribunal.
Docteur Flächsner, est-ce que vous le possédez ?
Oui. (On remet le document au témoin.)
Merci.
A quelle page, s’il vous plaît ?
C’est à la page 129 du texte russe, la réponse à la question 13, dernier paragraphe.
Oui, on dit ici dans le texte allemand :
« A plusieurs reprises, il — c’est-à-dire Speer — attira l’attention sur le fait que la mise au travail d’ouvriers étrangers entraînerait de grosses difficultés dans la production et le stockage par le Reich de ravitaillement supplémentaire. » (Document Speer 38.)
J’ai déjà expliqué pourquoi c’était le cas. Et si vous n’en êtes pas convaincu, vous retrouverez encore les mêmes motifs au cours de la même déclaration.
Votre adjoint Schieber a répondu à la question de déterminer si Speer savait que les ouvriers que lui procurait Sauckel provenaient des régions occupées :
« Oui, c’était la question épineuse. Nous avons toujours dit que Sauckel ne ferait que créer des partisans s’il amenait de force en Allemagne une main-d’œuvre qui ne voulait pas y venir volontairement. » (Document Speer 37.)
A ce sujet, je prétends que vous n’avez pas seulement su que les ouvriers que l’on vous procurait pour vos usines avaient été amenés de force, mais encore que vous connaissiez les procédés de recrutement utilisés par Sauckel. Est-ce que vous le confirmez ?
Je savais qu’une partie de la main-d’œuvre amenée en Allemagne l’avait été contre sa volonté. Cela, je l’ai déjà dit. Mais, j’ai dit aussi que je considérais les résultats obtenus par ces mesures de recrutement forcé comme tout à fait douteux et inquiétants quant à la production dans les régions occupées. Je ne fais ici que répéter ce que j’ai déjà dit.
Il n’est pas nécessaire de répéter vos déclarations. Dites-moi, n’avez-vous pas insisté auprès de Sauckel sur une affectation d’ouvriers qu’il devait s"e procurer de force dans les pays occupés et d’un effectif supérieur à celui que vous lui aviez demandé auparavant ? Je vous rappellerai votre lettre adressée à Sauckel, pour abréger l’interrogatoire. Le 6 janvier 1944, vous avez écrit à Sauckel :
« Cher camarade Sauckel, je vous demande, conformément à votre promesse au Führer, de m’envoyer la main-d’œuvre afin que je puisse exécuter à temps les tâches qui m’ont été confiées par le Führer. En outre, il faut absolument que 70.000 ouvriers soient envoyés à l’organisation Todt, conformément à l’ordre 51 du Führer sur le « Mur de l’Atlantique ». Cette demande a été faite depuis plus de six mois, mais n’a pas encore été satisfaite. » (Document Speer 11.)
Le confirmez-vous ? Avez-vous écrit cette lettre à Sauckel ?
Oui, je le reconnais et j’ai même placé cette lettre dans mon livre de documents, et ce, pour les raisons suivantes : le 4 janvier 1944 avait eu lieu une conversation chez Hitler au cours de laquelle celui-ci avait donné l’ordre d’amener 3.000.000 d’ouvriers de France en Allemagne. Le jour même, je communiquai au général Studt qui était mon délégué en France qu’il devait d’abord envisager les moyens de couvrir les besoins en main-d’œuvre des « Sperrbetriebe » ou entreprises bloquées, avant de transporter des ouvriers en Allemagne. Deux jours plus tard, dans la lettre que vous avez ici entre les mains, je communiquais à Sauckel que mes besoins en France atteignaient 800.000 personnes pour les entreprises françaises et qu’en outre, des ouvriers faisaient encore défaut pour l’édification du « Mur de l’Atlantique » et que, par conséquent, il fallait d’abord s’occuper du recrutement de ces 800.000 là avant d’envisager le recrutement du million destiné à l’Allemagne. J’ai déjà expliqué hier qu’à la suite de ces deux lettres, les ordres donnés par Hitler ont été suspendus et que le but en était — le Commandant en chef militaire qui avait aussi reçu cette lettre l’a compris tout de suite — que la main-d’œuvre devait être d’abord utilisée en France même. C’était très important pour le Commandant en chef militaire.
Accusé Speer, saviez-vous que dans les usines de guerre qui se trouvaient sous votre direction travaillaient de force d’anciens internés qui avaient déjà purgé leur peine ? Le saviez-vous ?
Pendant l’exercice de mes fonctions, je ne l’ai pas su, mais je l’ai appris d’un document que l’on m’a présenté ici.
Vous ne le saviez pas ?
Oui. Je sais ce dont vous parlez. C’est dans la lettre de Schieber du 4 mai 1944 qui figure dans mon livre de documents, mais il est absolument impossible que ces détails me soient encore présents à la mémoire.
Vous ne vous le rappelez pas ? Et pourtant Schieber vous l’a rapporté dans une lettre du 7 mai 1944, adressée à vous personnellement. Il est donc impossible qu’en 1944, vous n’en ayez pas eu connaissance. Le fait que cette lettre soit incluse dans votre livre de documents ne modifie absolument en rien la situation.
Sur la base de cette lettre, j’ai écrit à Himmler précisément au sujet de la main-d’œuvre constituée par d’anciens condamnés qui avaient purgé leur peine. Je pourrai vous présenter cette lettre quand vous voudrez. J’ai renoncé à l’incorporer à mon livre de documents pour ne pas trop le charger. Mais il ressort clairement de cette lettre que j’ai prié Himmler de faire remettre ces ouvriers en liberté une fois qu’ils avaient accompli leur peine, tandis que Himmler insistait pour maintenir ces travailleurs en détention.
Vous vous souvenez de la lettre de l’OKW du 8 juillet 1943 concernant la main-d’œuvre pour les mines ? Vous souvenez-vous du contenu de cette lettre ?
Non.
Je vais vous le rappeler. Ce document a été présenté au Tribunal sous le numéro USA-455 et a été cité plus d’une fois ici. Étant donné cette circonstance, je pense que je puis me permettre de lire seulement les passages importants. Cette lettre mentionne un ordre du Führer prescrivant d’affecter 300.000 prisonniers de guerre soviétiques à l’industrie minière. Vous vous souvenez de ce fait ?
J’aurais aimé voir le document.
On va vous le montrer.
Sous le chiffre 2 on peut lire :
« Tous les prisonniers de guerre capturés après le 5 juillet 1943 devront être conduits dans les camps de l’OKW et de là être mis directement ou par d’autres organismes à la disposition du plénipotentiaire général à la main-d’œuvre pour être employés dans les usines de charbon. »
Ensuite, on dit au chiffre 4 :
« Les individus du sexe masculin, entre seize et cinquante-cinq ans, capturés au cours des combats de partisans dans la zone d’opérations, dans la zone des armées, dans les territoires des commissariats de l’Est ou du Gouvernement Général et des Balkans, seront considérés à l’avenir comme des prisonniers de guerre. La même prescription vaut pour les hommes des territoires de l’Est nouvellement conquis. Ils seront rassemblés dans les camps de prisonniers de guerre pour y être acheminés sur l’Allemagne et mis au travail. »
Cette lettre vous a été adressée. Vous saviez donc grâce à. quelles mesures inhumaines vous vous procuriez la main-d’œuvre pour les mines de charbon ? Vous le confirmez ?
Non, je ne le confirme pas.
Bien.
Je ne sais pas si vous voulez parler des prisonniers faits au cours de la lutte contre les partisans dans les régions occupées et qui devaient être employés dans les mines. Je considérais à ce moment que les soldats capturés au cours de la lutte contre les partisans, avaient été faits prisonniers au combat, et qu’un partisan pris au cours d’un combat était un prisonnier de guerre. Mais il me semble avoir entendu dire ici, précisément, que les prisonniers capturés dans les zones de partisans n’avaient pas été considérés comme prisonniers de guerre et traités comme tels. Il me semble que c’est précisément le contraire. Vous voyez bien ici que les prisonniers faits au cours de la lutte contre les partisans étaient considérés comme des prisonniers de guerre et traités comme tels.
Vos commentaires sur ce document ne m’intéressent pas. Je vous ai demandé si vous reconnaissiez que vous étiez au courant des méthodes utilisées pour le recrutement de la main-d’œuvre que vous employiez dans les mines, ce à quoi vous avez répondu que vous ne le reconnaissiez pas. J’estime que la question est close. Passons à la question suivante.
Le 4 janvier 1944, vous avez participé à une conférence chez Hitler au cours de laquelle a été discutée la question de l’utilisation de la main-d’œuvre pour l’année 1944. Vous avez déclaré alors qu’il vous faudrait 1.300.000 ouvriers de plus. On décida alors au cours de cette réunion que Sauckel devrait, au cours de l’année 1944, fournir pas moins de 4.000.000 d’ouvriers recrutés dans les régions occupées et que Himmler devait l’aider dans sa tâche de recrutement. Dans le procès-verbal de cette conférence, signé par Lammers, il est dit que les décisions ont été prises à l’unanimité des participants. Reconnaissez-vous, ayant participé à cette conférence comme ministre du Reich, que vous portez la responsabilité des déportations en Allemagne de millions de travailleurs ?
Ce programme n’a jamais été exécuté.
Accusé Speer, nous prendrons beaucoup de temps si vous ne répondez pas à mes questions.
Général Raginsky, depuis le début de sa déposition l’accusé a admis qu’il savait que les prisonniers de guerre et d’autres travailleurs étaient amenés en Allemagne contre leur volonté. Il n’a jamais nié ce fait.
Oui, Monsieur le Président, mais il n’a pas répondu à la question de savoir s’il se reconnaissait responsable des conséquences des décisions prises à la conférence du 4 janvier ; c’est pourquoi je répéterai ma question. Je ne demande pas si Sauckel a exécuté ce programme. Ma question est la suivante : le 4 janvier, il fut décidé chez Hitler, en votre présence, que Sauckel déporterait 4.000.000 d’hommes en Allemagne avec le concours de Himmler. Vous avez pris part à cette conférence et, comme le montre le procès-verbal, tous les participants sont arrivés à un accord unanime. Reconnaissez-vous votre responsabilité ?
Oui, dans la mesure où interviennent mon activité et ma responsabilité. Je ne puis moi-même le déterminer, mais je suppose que le Tribunal décidera dans quelle mesure ma responsabilité est engagée.
Je vous lirai un passage du document soumis au Tribunal sous le numéro USA-184. Ce document mentionne l’ordre de Sauckel de recruter et de mobiliser les deux classes 1926 et 1927 dans toutes les régions de l’Est nouvellement occupées. Dans ce document, il est dit également :
« Monsieur le ministre de l’Armement et des Munitions a donné son accord sur cet ordre. »
Et le paragraphe suivant termine le document :
« Le recrutement et la mobilisation devront être entrepris et poursuivis sur un rythme rapide et par l’application de toutes les mesures nécessaires. »
Vous souvenez-vous d’un tel ordre ?
J’ai lu ce document ici et il est correct.
Passons à la question suivante. Vous avez dit ici que vous aviez beaucoup critiqué l’entourage immédiat de Hitler. Dites-moi un peu qui vous avez notamment critiqué ?
Je ne veux nommer personne.
Vous ne nommerez personne parce que vous n’avez critiqué personne ? C’est bien ainsi qu’il me faut vous comprendre ?
J’ai en effet critiqué plusieurs personnes, mais je ne pense pas qu’il soit indiqué que je les nomme ici.
Je n’insisterai pas pour que vous me donniez une réponse. Dites-moi, vos différends avec Hitler ont commencé au moment où vous avez été convaincu que l’Allemagne avait perdu la guerre ?
Je l’ai expliqué hier avec précision.
Vous avez beaucoup parlé ici de votre opposition à la destruction des industries dans l’Ouest du Reich avant la retraite de la Wehrmacht ; mais n’aviez-vous pas dans l’esprit l’idée que vous pourriez occuper ces régions à nouveau et que vous vouliez, en conséquence, ménager ces industries pour votre production ?
Non, le motif n’était pas là et j’ai déjà expliqué longuement hier que j’avais pris ce prétexte pour éviter des destructions. Si vous vous référez par exemple à mon mémoire sur les carburants, vous y verrez que je n’avais pas du tout idée que nous pourrions reconquérir ces territoires ; je savais que les chefs militaires, eux aussi, ne pensaient pas que nous pourrions conquérir la France, la Belgique et la Hollande en 1944. Il en était de même pour les régions de l’Est.
Je pense qu’il serait préférable que nous nous reportions au document, cela nous permettra d’aller plus vite. Dans le télégramme adressé aux Gauleiter, Bürckel, Wagner et autres, à la page 56 du volume premier de votre livre de documents, vous dites (document Speer 18) :
« Le Führer a déclaré que les régions que nous venons de perdre seront reconquises dans un proche avenir car, dans la conduite ultérieure de la guerre, l’occupation de ces régions a une grande importance pour l’armement et la production de guerre... »
Est-ce à peu près ce que vous dites ici ? Vous avez écrit tout autre chose.
Mais non, mon avocat l’a cité et déclaré hier. Je voudrais encore une fois avoir ce document entre les mains. Je ne sais pas s’il est nécessaire de donner encore une fois ces explications que j’ai fournies hier et qui ont duré dix minutes. Vous êtes libre d’accorder foi ou non à ma déclaration d’hier.
Accusé Speer, je ne voudrais pas vous demander de répéter ce que vous avez dit hier, si vous ne voulez pas répondre. Il serait préférable que nous passions à une autre question.
Général Raginsky, si vous lui posez une question qu’on lui a déjà soumise hier et à laquelle il a répondu, il est obligé de donner la même réponse, s’il veut donner une réponse logique.
Je pense qu’il n’est pas nécessaire de répéter la question d’hier, ce serait une perte de temps inutile. si l’accusé ne veut pas dire la vérité, je n’insisterai pas sur ce point.
Le témoin a déclaré : « J’ai répondu hier à cette question, en toute vérité. Si vous voulez que je recommence aujourd’hui, je vais le faire, mais cela prendra dix minutes ». Voilà ce qu’il vous a dit. C’est une réponse tout à fait admissible et correcte.
Bien. Je préfère passer à l’autre question. Pourquoi avez-vous expédié aux Gauleiter ce télégramme qui touchait la destruction des entreprises industrielles ?
Il n’était pas envoyé seulement aux Gauleiter mais à mes délégués ainsi qu’aux Gauleiter. Ceux-ci devaient être mis au courant parce que, de leur propre initiative, ils pouvaient procéder à ces destructions. Étant donné que les Gauleiter n’étaient pas sous mes ordres, il me fallait transmettre ce télégramme que j’avais rédigé à Bormann, auquel les Gauleiter étaient subordonnés.
Vous avez déclaré que Goebbels, Ley et Bormann soutenaient la politique de Hitler de « la terre brûlée ». Mais parmi les accusés qui sont sur ce banc, personne n’a soutenu Hitler dans cette voie ?
Autant que je sache, aucun de ceux qui sont assis à ce banc n’a soutenu la politique de la terre brûlée. Au contraire, j’ai vu Funk, par exemple, s’élever avec violence contre une telle politique.
Cette politique n’a été soutenue que par ceux qui sont morts maintenant.
Oui, et c’est peut-être pourquoi ils se sont suicidés : ils étaient favorables à cette politique et avaient en outre fait encore autre chose.
Votre avocat a versé au dossier du Tribunal diverses lettres adressées à Hitler au mois de mars 1945. Avez-vous perdu votre confiance en Hitler à la suite de ces lettres ?
J’ai déjà dit hier qu’il y avait eu de violentes controverses à la suite de cela et que Hitler désirait que je partisse en permission, en permission de longue durée, ce qui revenait pratiquement à me priver de mon poste. Mais, je ne voulais pas.
Oui, j’ai entendu cela. Mais cependant Hitler vous a chargé le 30 mars 1945 de la destruction totale des installations industrielles ?
Oui, il en était ainsi : je suis resté compétent pour la destruction ou la non-destruction des industries en Allemagne jusqu’au 19 mars 1945. Puis, un décret de Hitler présenté également au Tribunal décida que ces pouvoirs me seraient retirés et passeraient entre ses mains ; enfin, le 30 mars 1945, un décret que j’avais rédigé me donna à nouveau le droit de m’occuper des destructions. La chose importante, c’est que j’ai déposé les ordres que j’avais donnés sur la base des prérogatives que je détenais, et ces ordres font clairement ressortir que j’ai interdit les destructions. C’est ainsi que mon but a été atteint. Ce n’est pas le décret de Hitler qui est important, mais mon décret d’exécution. Il figure du reste parmi mes documents.
Après avoir reçu vos lettres, Hitler ne vous considérait pas comme un homme qui lui opposait une résistance ?
Au cours de la conversation que j’ai eue avec lui, Hitler m’a dit qu’il ne pouvait pas renoncer à moi, pour des raisons de politique intérieure et extérieure. C’étaient ses motifs. Je crois qu’il était un peu ébranlé dans la confiance qu’il m’accordait, car dans son testament il m’a nommé un successeur.
J’ai une dernière question à vous poser. En avril 1945, dans le studio de l’émetteur de Hambourg, vous avez rédigé un discours que vous vouliez prononcer, si Berlin était pris. Dans ce discours préparé qui n’a pas été prononcé, vous avez exigé la suppression du Werwolf et des organisations similaires. Qui était le chef de cette organisation du Werwolf ?
C’est le Reichsleiter Bormann qui dirigeait le Werwolf.
Mais encore, à part Bormann ?
Autant que je sache, il n’y avait que Bormann, car, et je ne puis vous le dire d’une façon plus précise, cette organisation du Werwolf lui était subordonnée.
Bien entendu. Si Bormann était vivant, on aurait appris que c’était Himmler qui assumait la direction du Werwolf ; je n’ai pas attendu de vous une autre réponse. Je n’ai plus de questions à poser.
Docteur Servatius, avez-vous des questions à poser sur des points qui ont été soulevés au cours du contre-interrogatoire ?
Oui, très peu de questions. Témoin, vous avez déclaré qu’à la suite des raids aériens, vous aviez informé la DAF et Sauckel des vides causés dans les entreprises ? C’est bien exact ?
Non, pas tout à fait sous cette forme. On m’a demandé si je recevais occasionnellement des rapports sur la situation et j’ai répondu par l’affirmative. J’ai transmis ces rapports à Sauckel ou à la DAF parce qu’ils étaient compétents en la matière.
Quel était le contenu de ces rapports adressés à Sauckel ?
Autant que je sache, j’ai déjà dit dans mon interrogatoire que je ne me rappelais pas avoir jamais reçu de tels rapports. La question était uniquement théorique. Qu’aurais-je fait si j’avais réellement reçu de tels rapports ? Certains m’ont certainement été transmis, mais je ne me souviens pas du détail de leur contenu.
Que fallait-il donc que Sauckel fasse ?
Sauckel ne pouvait rien faire contre les attaques aériennes.
Mais si vous lui faisiez parvenir des rapports, c’était pourtant dans le but de lui faire savoir que l’aide était nécessaire ?
Oui, ou bien s’il ne pouvait m’apporter aucune aide, pour me donner des renseignements sur la situation qui régnait dans son domaine et dont il était exactement informé.
En somme, il s’agissait pour lui de procurer de la main-d’œuvre ?
Non, il s’agissait aussi des conditions de travail. ’
Les conditions de travail ne pouvaient être améliorées que par la livraison de matériel, de ravitaillement, etc..
Bien entendu, mais à la fin, le plénipotentiaire à la main-d’œuvre était compétent pour les questions qui touchaient aux conditions de travail. Cela ressort clairement du décret signé par Göring. Il est évident qu’il y avait d’autres services qui étaient compétents pour rendre les conditions du travail irréprochables aux yeux de la main-d’œuvre.
Il ne s’agissait pas là de prendre un arrêté, mais de tenter une aide pratique ?
Après les bombardements aériens, aucune aide ne pouvait être apportée par le service central, étant donné que la plupart du temps les transports étaient interrompus et le téléphone coupé. On devait régler les problèmes sur place.
Ainsi, Sauckel ne pouvait faire parvenir aucune aide ?
Personnellement non, mais sur place il avait tout de même des services subordonnés chargés de ce travail.
Lorsqu’il avait besoin de quelque matériel, il devait en passer par vous, car tout était confisqué au profit de l’armement ?
Les matériaux de construction, il ne pouvait les obtenir que de moi et j’en ai mis à sa disposition le plus possible ; je voudrais dire ici que ce matériel n’était pas mis à la disposition de Sauckel, mais autant que je sache, en général à la disposition du Front du Travail qui s’occupait réellement de l’entretien des camps.
Quels étaient les services qui s’occupaient de cet entretien ? N’étiez-vous pas le service compétent en la matière pour les entreprises ?
Non, pas dans le sens où vous paraissez maintenant le comprendre. Vous voudriez bien entendre de moi que je m’occupais aussi des conditions de travail...
Ce sujet a déjà été complètement traité précédemment, Docteur Servatius.
Monsieur le Président, je crois que l’on n’a pas abordé cette question. On a traité hier de la question de l’administration propre. Il y avait un deuxième service qui s’occupait de l’entretien des entreprises : la commission de l’armement et l’inspection de l’armement, et il y avait une troisième possibilité pour le témoin Speer d’entrer en relations avec les entreprises : les ingénieurs de l’utilisation de la main-d’œuvre. Je voulais encore lui poser une question à ce sujet.
Je m’expliquerai volontiers.
Par les ingénieurs de l’utilisation de la main-d’œuvre, n’aviez-vous pas la possibilité d’apporter une amélioration aux conditions des entreprises ? Aviez-vous un pouvoir direct sur ces entreprises ?
Il faudrait que je vous expose le travail dont étaient chargés les ingénieurs de l’utilisation de la main-d’œuvre. Ils avaient un travail d’ingénieurs. Cela ressort de leur titre même.
Leur tâche était limitée à ce travail d’ingénieurs ?
Oui.
Je n’ai plus de questions à poser.
Monsieur le Président, je n’ai, à propos de ce contre-interrogatoire, que deux questions à poser.
Monsieur Speer, je me réfère à la réponse que vous avez faite à la fin de votre contre-interrogatoire, à M. Justice Jackson. Et il faut préciser : voulez-vous reconnaître, en endossant une responsabilité générale, une culpabilité pénale susceptible d’être chiffrée, ou bien voulez-vous prendre une responsabilité historique devant votre peuple et devant l’Histoire ?
Voilà une question à laquelle il est très difficile de répondre ; le Tribunal lui donnera sans doute une réponse dans son jugement. Je voulais simplement exprimer que dans un système autoritaire il existe aussi une responsabilité générale des chefs et qu’il est absolument inadmissible qu’après les catastrophes on se dérobe à cette responsabilité générale. Car si la guerre avait été gagnée, ces mêmes chefs auraient, vraisemblablement formulé des exigences sur la base de ces responsabilités. Dans quelle mesure ce fait est punissable au nom du droit ou de la morale, je ne puis le décider et je ne veux pas non plus le décider.
Je vous remercie. En second lieu, le Ministère Public américain vous a présenté une série de documents sur des événements qui se sont essentiellement, et je crois même exclusivement, déroulés dans l’entreprise Krupp. Si j’ai bien compris, vous avez dit que vous n’étiez pas au courant de ces événements ?
Je n’étais pas placé pour être au courant du détail de ces questions ; c’est pourquoi je ne puis porter de jugement sur ces documents.
Monsieur le Président, je n’ai pas d’autres questions à poser. Je dois simplement me réserver le droit, à propos de ces affidavits produits à la charge de mon client, — ceci n’est pas très clair pour moi — de contre-interroger éventuellement les personnes qui en sont les auteurs. Je regrette d’avoir éventuellement à le faire. Il s’agit d’événements dont je n’avais pas la moindre idée qu’ils pourraient être abordés ici.
Ensuite, Monsieur le Président, si vous m’accordez cinq minutes, j’en aurai terminé avec le dépôt de mes documents.
Docteur Flächsner, si vous désirez contre-interroger des témoins à propos de ces affidavits, vous devez faire une requête écrite et vous devez la faire rapidement. Car je crois qu’il n’y a plus que deux accusés à interroger. Si votre demande n’est pas bientôt présentée, il ne sera pas possible de trouver les témoins ou de les faire venir ici à temps.
Vous avez dit que vous aviez besoin encore de cinq minutes ?
Oui.
Je pense donc qu’il est préférable de continuer. Mais, Docteur Flächsner, le Tribunal voudrait d’abord poser une ou deux questions à l’accusé.
Accusé, vous avez dit que les prisonniers de guerre des pays de l’Ouest n’avaient pas été employés dans l’industrie de guerre et la fabrication de munitions, vous le rappelez-vous ?
Oui.
Y a-t-il eu des directives en ce sens ?
Oui.
Il y a eu des directives en ce sens ?
J’ai répondu sur la base de ce que je savais,, je ne puis pas fournir davantage de précisions. J’ai simplement rappelé des conversations que j’avais eues avec Keitel au sujet de cas individuels. Et dans ces cas individuels, Keitel, s’y est opposé. Je ne sais rien d’autre à ce sujet.
Vous n’avez jamais vu de règlements établissant cette différence ?
Non.
Et que se passait-il pour les civils en provenance des pays non occupés ? Ils étaient utilisés également, je crois, dans l’industrie de guerre ?
Les ouvriers étrangers ont été utilisés sans tenir compte d’un accord quelconque.
C’est ce que je voulais savoir. Autre sujet : vous avez dit que les camps de concentration avaient une « mauvaise réputation ». Si je me souviens bien, c’est cette expression que vous avez utilisée : « une mauvaise réputation ». Est-ce exact ?
Oui,
Qu’entendiez-vous par « mauvaise réputation » ? Quel genre de réputation était-ce, et pourquoi ?
C’est difficile à définir. En Allemagne, on savait qu’un séjour dans un camp de concentration était quelque-chose de désagréable. Je le savais comme les autres, mais je ne connaissais pas les détails.
Même si vous ne connaissiez pas les détails, le terme « désagréable » est un peu doux. N’y existait-il pas une réputation de brutalité et de châtiments corporels ? Est-ce cela que vous entendez par « mauvaise réputation » ? N’est-il pas plus exact de le dire ?
Non, sur la base de ce que nous savions, vous allez trop loin. Je supposais que, dans des cas individuels, il y avait peut-être des mauvais traitements, mais non que c’était la règle générale. Je n’en savais rien.
Ne saviez-vous pas que la brutalité et les châtiments corporels étaient utilisés si les internés ne se conformaient pas aux règlements ?
Non, je ne l’ai pas su sous cette forme. Il faut vous dire qu’à l’époque où j’étais ministre, aussi singulier que cela puisse paraître, j’étais plus tranquille sur la question du traitement des internés dans les camps de concentration qu’auparavant car je n’entendais dire que du bien de ces camps par les services officiels qui s’occupaient des camps de concentration. On disait qu’on allait améliorer la nourriture, etc.
Une autre question, J’ai été très intéressé par ce que vous avez dit à la fin au sujet de la responsabilité de tous les chefs pour les principes généraux et pour certains faits. De quels faits voulez-vous parler ? Voulez-vous parler de la poursuite de la guerre, par exemple ?
J’entends par fait primordial le déclenchement ou la fin de la guerre, par exemple.
Vous pensez donc que le début ou la fin d’une guerre sont des faits primordiaux qui entraînent la responsabilité des chefs ?
Oui.
Je vous remercie.
L’accusé peut reprendre sa place au banc-des accusés. (L’accusé quitte la barre.)
Vous pouvez en terminer ce soir, Docteur Flächsner ?
Oui, très volontiers. Poursuivant mon exposé d’hier, je voudrais déposer une lettre de Speer à Sauckel, du 28 janvier 1944, qui a été citée hier. Je lui donne le numéro, de dépôt 31. En outre, je dépose une autre lettre de Speer à Sauckel, du 11 mars 1944, sous le numéro 32. Ensuite, le décret portant exécution de l’ordre de destructions mentionné hier par l’accusé. Il figure à la page 81 du livre de documents anglais. Je lui donne le numéro 33. En outre, je voulais présenter sous le numéro 34 une lettre de Hitler à Speer, datée du 21 avril 1944.
Veuillez nous donner la date de la pièce 33 Vous avez dit page 81. Est-ce 81 de l’original, ce qui fait 85 du livre de documents anglais ?
Non, Monsieur le Président, il s’agissait du texte anglais.
Quelle est la date du document ?
Il s’agit d’un décret portant exécution d’un ordre du Fùhrer du 19 mars 1945.
Très bien.
Le document suivant, Monsieur le Président, figure à la page 55 du texte anglais et à la page 52 du texte original qui concorde avec le texte français. C’est une lettre déjà citée de Hitler à Speer confiant à Dorsch la construction de chasseurs, qui portera le numéro 34.
Maintenant, sous le numéro 36 — le 35 viendra plus tard — je présente le questionnaire du témoin Kehrl ; il est signé par le témoin Hans Kehrl. La signature est certifiée par un officier du camp, un représentant du Ministère Public et moi-même.
A quelle page figure la pièce 36 ?
Le document 36 se trouve à la page 105 de l’orignal, Monsieur le Président, A la page 113 du livre de documents n° 2, se trouve un extrait de l’interrogatoire du témoin Schieber que je présente sous le numéro 37. Il y figure en anglais et en allemand. Le procès-verbal est certifié par un représentant du Ministère Public et par moi-même. Dans le deuxième livre, à la page 127, le Tribunal trouvera l’interrogatoire du témoin Schmelter que je présente sous le numéro 38. Ce procès-verbal est également certifié conforme. A la page 136 du livre de documents n° 2, se trouvent les déclarations du témoin Hupfauer mentionné aujourd’hui ici. Ce sera le document 39. A la page 142 du livre de documents n° 2, le Tribunal trouvera le témoignage de Saur, qui reçoit le numéro 40. Il figure dans le texte anglais et allemand. Le procès-verbal anglais est certifié par la signature du représentant du Ministère Public et la mienne. A la page 148 de mon livre de documents n° 2, se trouve le questionnaire de Frank, c’est-à-dire le procès-verbal de l’interrogatoire de Frank effectué à Ludwigsburg par le Ministère Public et moi-même. Le procès-verbal est également certifié par le Ministère Public et moi-même.
C’est le numéro 41, n’est-ce pas ?
Oui, Monsieur le Président, c’est le numéro 41. A la page 153 du livre de documents, le Tribunal trouvera l’interrogatoire du témoin Rohland qui portera le numéro 42. Le procès-verbal anglais et allemand est certifié conforme, de la manière habituelle. A la page 165 du livre de documents, le Tribunal trouvera le compte rendu de l’interrogatoire du témoin Kempf effectué le 3 mai 1946 à Kransberg par le Ministère Public et moi. Ce procès-verbal est certifié conformément à l’usage. Il reçoit le numéro 43.
Combien avez-vous encore de documents ?
Deux encore. A la page 136 du livre de documents, vous trouverez le questionnaire concernant Guderian qui a été entendu à Hersbruck. Le procès-verbal anglais et allemand est certifié par le Ministère Public et par moi-même. C’est le numéro 44. A la page 181 du livre de documents, sous le numéro 45, le Tribunal trouvera l’interrogatoire du témoin Stahl, également en anglais et en allemand ; le procès-verbal est certifie par le Ministère Public et par moi-même.
Pour terminer, à la page 186 du livre de documents, vous trouverez le questionnaire de Karl Brandt qui est également certifié conforme par les autorités du camp. Il est en anglais et en allemand. Je le dépose sous le numéro 46.
C’est tout ?
C’est tout. Monsieur le Président ; l’accusé a cité un extrait d’un entretien chez le Führer, qui a duré du 3 au 5 janvier. Ce document n’est pas encore traduit et je vous prie de bien vouloir m’autoriser à le déposer plus tard. Le Ministère Public l’a déjà vu et -ne formule aucune objection contre sa présentation.
J’en ai ainsi terminé avec les documents que j’avais l’intention de déposer. Je crois que le Tribunal ne désire aucun commentaire sur les documents qui figurent dans le livre de documents, puisque le Ministère Public soviétique les a déjà présentés à grands traits.
J’en ai ainsi terminé avec mes explications sur l’accusé Speer.
L’audience est levée.