CENT SOIXANTE ET UNIÈME JOURNÉE.
Samedi 22 juin 1946.
Audience du matin.
Docteur von Lüdinghausen, le Tribunal voit que vous avez fait une requête supplémentaire concernant un nouveau témoin, l’ambassadeur François Poncet. et également quelques documents.
Oui, Monsieur le Président. Je voudrais, en ce qui concerne la demande d’audition de M. François Poncet, donner quelques explications : l’ambassadeur François Poncet a répondu à notre invitation qui lui est bien parvenue’ ; j’ai reçu sa lettre avant-hier par l’intermédiaire du Ministère Public français. Il ne s’agit que d’une copie, mais la Délégation du Ministère Public français m’a promis de produire devant le Tribunal l’original de cette lettre, et, comme le Ministère Public britannique, ne fait aucune objection à ce que cette lettre soit produite. Pour cela, la requête aux fins d’audition de ce témoin...
Vous parlez de l’emploi de la lettre ?
La comparution et l’audition du témoin deviennent superflues de ce fait, et il en est de même de la requête que j’avais formulée dans ce but.
Le Tribunal estime votre proposition acceptable, compte tenu cependant de la pertinence de cette lettre. En ce qui concerne les autres documents que vous demandez à produire, le Ministère Public a-t-il formulé des objections ?
Oui, dans deux cas, et j’ai supprimé de mon livre de documents ces deux documents que je voulais produire, sur objections du Ministère Public. Je les ai rayés et vous ne les trouverez plus dans mon livre de documents.
D’après le document que j’ai sous les yeux. le Ministère Public a élevé des objections contre trois de ces documents. Je ne sais si c’est exact.
Deux. Les numéros 93 et 101 de mes livres de documents ont soulevé des objections et je les ai abandonnés.
Bien. Je vous demande pardon ; je me suis trompé. Vous pouvez continuer.
Monsieur le Président, voulez-vous me permettre de faire une remarque préliminaire ? Jusqu’ici, je n’ai eu que la traduction du livre de documents n° 1 qui est prêt. Les autres documents n’ont pas encore été traduits ; néanmoins, je voudrais que vous m’autorisiez à produire les documents au fur et à mesure des questions que je poserai à mon client, en donnant évidemment les références et les numéros et même à en citer des passages, bien qu’ils ne soient pas traduits, afin que nous puissions respecter le lien entre les différentes questions, sous réserve de représenter les documents ultérieurement quand ils auront été traduits. Cela nous éviterait peut-être de perdre du temps.
Voulez-vous présenter les documents avant l’interrogatoire de l’accusé ?
Non, au cours de mon interrogatoire.
Vous vous proposez d’appeler l’accusé à la barre ?
Oui. (L’accusé von Neurath gagne la barre.)
Voulez-vous nous dire votre nom.
Constantin von Neurath.
Voulez-vous répéter ce serment après moi. « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien. » (L’accusé répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Monsieur von Neurath, voulez-vous nous donner un aperçu rapide sur votre origine, votre enfance et votre éducation.
Je suis né le 2 février 1873. La famille de mon père est une vieille famille de fonctionnaires, mon grand-père, mon bisaïeul, mon trisaïeul, ont été ministres de la Justice et des Affaires étrangères du royaume de Wurtemberg. La famille de ma mère est une famille aristocratique de Souabe, dont les ancêtres ont été pour la plupart officiers dans l’Armée impériale autrichienne. Jusqu’à ma douzième année j’ai été élevé à la campagne de la façon la plus simple et mes parents insistaient particulièrement sur le devoir de dire la vérité, sur le sentiment de la responsabilité, sur le patriotisme et sur un mode de vie chrétien allié à une tolérance chrétienne pour ceux qui professaient une autre foi.
Vous avez ensuite passé vos examens et fait des études, n’est-ce pas ? Où et quand ?
Après avoir fait mes études au lycée, j’ai étudié le droit à Tübingen et à Berlin, et j’ai passé mes deux examens d’État ès sciences juridiques.
Quelles sont les situations que vous avez occupées dans la fonction publique après la fin de vos études jusqu’au moment où vous avez été nommé ministre des Affaires étrangères ?
En 1901, je suis entré au ministère des Affaires étrangères du Reich ; j’ai commencé au service central à Berlin. En 1903, j’ai été affecté au consulat général à Londres ; après cela, je suis revenu au ministère des Affaires étrangères à Berlin où j’ai travaillé dans tous les services. En 1914...
Quand ?
En 1914.
Vous êtes resté onze ans à Londres ?
Oui, à peu près. Ensuite, j’ai été nommé conseiller d’ambassade à Constantinople. A la fin de 1916. j’ai donné ma démission du corps diplomatique à cause des divergences de vues qui me séparaient de la politique du Chancelier de l’empire, von Bethmann-Hollweg, et je suis devenu chef de cabinet du roi de Wurtemberg jusqu’à la révolution de la fin de 1918. En février 1919, le commissaire du peuple social-démocrate Ebert me demanda de revenir dans le corps diplomatique. Je l’ai fait, tout en me réservant mon attitude politique ’et suis devenu ministre au Danemark, où je commençai par essayer d’apaiser les divergences entre le Danemark et l’Allemagne sur la question du Schleswig. En décembre 1921, j’ai été nommé ambassadeur à Rome auprès du Quirinal, jusqu’en 1930. Là, j’ai assisté à la révolution fasciste avec ses événements sanglants et ses résultats. Au début, j’ai eu de vives divergences avec Mussolini, mais peu à peu elles se transformèrent en une confiance de sa part à mon égard.
Au cours de la première guerre mondiale, j’étais capitaine dans un régiment de grenadiers. J’ai obtenu, en décembre 1914, en raison de mon courage devant l’ennemi, la croix de fer de première classe. J’ai été blessé, à la suite de quoi j’ai été renvoyé à nouveau à mon poste à Constantinople.
Quelle est votre attitude à l’égard de l’Église et de la religion ?
Comme je l’ai déjà mentionné, j’ai été élevé dans le sens chrétien et j’ai toujours considéré l’Église et la morale chrétienne comme le fondement de l’État. J’ai toujours essayé auprès de Hitler de compromettre l’efficacité de l’anticléricalisme de certains milieux du Parti. Je suis toujours intervenu, quand ce m’était possible, contre les excès des organisations du Parti et de certaines personnes à l’égard de l’Église et des couvents.
Monsieur le Président, je voudrais ici me référer à une déclaration sous la foi du serment de Mgr Wurm, évêque de Stuttgart, concernant ce sujet. Cette déclaration sous serment se trouve sous le numéro 1 dans mon livre de documents n° 1 :
« J’ai fait la connaissance de M. von Neurath au moment de la lutte contre l’Église. J’ai cru pouvoir m’adresser à lui en tant que compatriote et en tant que descendant d’une famille fidèle à la cause de l’Église évangélique. Son père était membre du synode évangélique local. Cette confiance que j’avais en lui n’a d’ailleurs jamais été trompée. Il m’a reçu à plusieurs reprises et m’a permis d’avoir, à plusieurs reprises également, des conversations avec d’autres membres du Cabinet du Reich. En particulier à l’automne 1934 lorsque, en raison des agissements contraires au droit de l’évoque du Reich Ludwig Muller, du fait de ma résistance à la domination de l’Église par les « Chrétiens allemands », je fus obligé de démissionner de mon poste et que je fus interné dans mon appartement, il me permit d’avoir un entretien avec le ministre de l’Intérieur du Reich. le Dr Frick, et le ministre de là-Justice du Reich, le Dr Gùrtner, qui amena ma libération, la reconnaissance par l’État de ma fonction épiscopale, et un entretien à la Chancellerie du Reich qui entraîna le retrait de cette législation de l’évêque du Reich, qui était contraire au droit. Dans les périodes ultérieures de cette lutte contre l’Église, j’ai toujours trouvé auprès de lui un accueil amical et une compréhension totale pour tout ce qui concernait l’Église. »
Je voudrais ensuite me référer à une déclaration sous la foi du serment, qui porte le numéro 2 de mon livre de documents, et qui émane d’un vieil ami intime de l’accusé, l’avocat et notaire Manfred Zimmermann, de Berlin. De cette déclaration sous la foi du serment, je voudrais lire un court extrait.
Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de la lire en entier ; le Tribunal la prendra en considération.
J’y attachais de l’importance, parce que cette deuxième déclaration émane d’un homme qui connaît intimement l’accusé depuis quarante ans. Je voulais donc, en plus de la déclaration de l’archevêque Wurm, citer également les déclarations d’un homme qui connaissait la vie journalière de l’accusé. Mais si M. le Président croit qu’il n’est pas nécessaire de les lire ici, je me permettrai simplement de m’y référer.
J’ai dit qu’il n’était pas besoin de les lire en entier, mais vous pouvez attirer notre attention sur les passages essentiels.
Monsieur le Président, le passage que je voulais citer ici se trouve page 5 de cette déclaration sous la foi du serment, au paragraphe 5. Il commence ainsi :
« Constantin von Neurath, en raison de sa famille, de son éducation et de sa vie, est, sous tous les rapports, une personnalité très marquante... »
Je m’en tiendrai là. Je voudrais maintenant déposer devant le Tribunal les déclarations du prêtre Roller et du maire d’Enzweihingen, localité où se trouve la propriété de von Neurath. Vous les trouverez sous le numéro 24 dans mon livre de documents n° 1.
Monsieur von Neurath, quelle était votre attitude sur la question juive ?
Je n’ai jamais été antisémite. D’ailleurs, mes convictions chrétiennes et humanitaires m’en auraient -empêché. Une limitation de l’influence exagérée des Juifs dans tous les domaines de la culture et de l’administration, telle qu’elle s’était développée en Allemagne après la première guerre mondiale, me paraissait souhaitable. Mais je m’opposais à toutes les mesures de violence vis-à-vis des Juifs, aussi bien qu’à la propagande antisémite. Toute la politique raciste du parti national-socialiste, je la considérais comme fausse, et c’est la raison pour laquelle je l’ai combattue. Après l’entrée en vigueur des lois anti-juives, je me suis opposé à leur application et j’ai maintenu en fonctions, aussi longtemps que cela m’a été possible, les membres non aryens des Affaires étrangères. Ce n’est qu’après que le Parti eut obtenu le droit de décider de la nomination des fonctionnaires que j’ai été forcé de me borner à la défense de certaines personnalités. Dans beaucoup de cas, j’ai obtenu pour ces personnes la possibilité d’émigrer. Ce que l’on appelait les lois raciales a été conçu par un fanatique raciste du Parti. Malgré mes objections expresses, elles ont été adoptées à Nuremberg.
Je voudrais ici me référer à une déclaration-sous la foi du serment de l’ancien ambassadeur Dr Curt Pruefer, et en citer une courte phrase. Ce document se trouve sous le numéro 4 dans mon livre de documents. L’ambassadeur Pruefer était directeur ministériel au ministère des Affaires étrangères à l’époque où M. von Neurath était ministre des Affaires étrangères. Je voudrais en citer une brève phrase qui montre son attitude à l’égard des fonctionnaires qui professaient une autre foi que la sienne.
Ce passage se trouve à quelle page ?
Page 21 du texte allemand.
Oui, et 21 de notre texte ?
Oui.
« M. von Neurath est intervenu à plusieurs reprises en faveur de fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères qui, à cause de leur croyance, de leur race, ou de leur appartenance antérieure à d’autres partis, étaient persécutés par les nationaux-socialistes. C’est ainsi que jusqu’à la mort de Hindenburg, aussi longtemps que Neurath eut à s’occuper de questions concernant les fonctionnaires, un grand nombre de fonctionnaires juifs ou demi-juifs purent conserver leurs postes. Certains d’entre eux furent même affectés à des emplois. Ce n’est qu’après la mort de Hindenburg que la décision sur les questions de fonctionnaires fut enlevée au ministre du Reich et également aux autres chefs de départements par un décret du Führer, et dévolue au remplaçant du Führer. Sur ce terrain également, le radicalisme du Parti se fit jour et, particulièrement après la démission de Neurath, prit des formes de plus en plus aiguës. »
Quelle réponse était-ce ?
C’est une déclaration sous la foi du serment de l’ancien ambassadeur le Dr Curt Pruefer.
Oui, je le sais. Mais de quelle réponse s’agit-il ?
Je croîs, n° 4. C’est un affidavit, Monsieur le Président, ce n’est pas un questionnaire.
Oui, mais il y a des paragraphes dans notre copie.
Numéro 18. C’est la réponse à la question 18.
Je voudrais ensuite attirer l’attention du Tribunal sur un affidavit de la baronne Ritter, de Munich. La baronne Ritter est une parente assez éloignée de l’accusé ; c’est la veuve de l’ancien ministre de Bavière au Vatican. Elle connaît M. von Neurath depuis de longues années et elle est très au courant de sa façon de penser. C’est le numéro 3 de mon livre de documents et je voudrais citer un court passage de la page 3 :
« Cette même tolérance qu’il professait pour les confessions chrétiennes, M. von Neurath la manifestait aussi dans la question juive. Il a refusé d’une façon catégorique la politique raciste de Hitler. Pratiquement, il a pu, jusqu’à l’année 1937, empêcher le renvoi des fonctionnaires juifs de ses services. De plus, toutes les personnes de son entourage professionnel ou personnel qui tombaient sous le coup de la législation anti-juive ont bénéficié de son aide, toutes les fois qu’il l’a pu. Il a écarté d’elles les désavantages financiers ou autres auxquels elles étaient exposées. »
Monsieur von Neurath, quelle était votre attitude à l’égard des tendances et des mesures anti-juives de Hitler ?
Je voyais là un antisémitisme tel qu’il s’en manifestait assez fréquemment dans le peuple allemand, mais qui n’aurait pas d’effets pratiques. J’ai protesté auprès de Hitler contre tous les excès dont j’ai eu connaissance, et pas seulement pour des raisons de politique étrangère, et je lui ai demandé de retenir en particulier Goebbels et Himmler.
Je voudrais, à ce propos, ajouter une question : que saviez-vous de l’activité et des débordements de la Gestapo, des SA et des SS ? Je voudrais ici vous rappeler les déclarations du témoin Gisevius qu’on a entendu ici il y a quelque temps. Il a dit :
« Là-dessus, j’ai donné le plus de renseignements possible à l’un des collaborateurs les plus intimes d" ministre des Affaires étrangères... » — c’était vous — « ... le chef du protocole, le ministre von Bülow-Schwante, et d’après les informations que celui-ci m’a fait parvenir, il a plusieurs fois présenté ces éléments. Il s’agissait là de renseignements importants concernant les débordements dont les étrangers, en particulier, avaient été victimes. »
Cette déclaration de Gisevius prétendant que j’aurais eu connaissance, sur le plan général, des activités de la Gestapo par mon chef du bureau, est une assertion absolument inexacte. Du fait de mon service, j’entendais évidemment parler, dans les plaintes des ambassadeurs et des ministres, de brutalités et d’arrestations commises par les SA et par la Police, mais je ne savais rien de l’institution générale de la Gestapo et de son activité. Dans tous les cas dont j’ai eu connaissance, je suis intervenu auprès du ministre de l’Intérieur qui dirigeait la Gestapo et la Police, pour demander des éclaircissements et des sanctions contre les coupables.
Que saviez-vous ou qu’avez-vous appris sur les camps de concentration ? Quand avez-vous, pour la première fois, entendu parler de cette institution, et quand et par qui avez-vous été informé des conditions qui régnaient dans ces camps ?
Je connaissais l’institution de ce qu’on a appelé les camps de concentration depuis la guerre des Boers. L’existence de camps semblables en Allemagne fut portée à ma connaissance en 1934 ou 1935, lorsque des fonctionnaires de mon administration, et parmi eux précisément le chef du protocole cité par M. Gisevius, furent soudain arrêtés. Au cours des recherches que j’ai faites à leur sujet, j’ai constaté qu’ils avaient été envoyés dans ce qu’on a désigné sous le terme de camp de concentration. Je convoquai M. Himmler et M. Heydrich et leur fis des reproches ; il y eut sur ce point entre eux et moi de très vives divergences ; comme je m’étais aussi directement plaint auprès de Hitler, ces deux fonctionnaires furent libérés. Je leur ai alors demandé comment ils avaient été traités, et tous deux ont été unanimes à déclarer que le traitement dans leur camp de concentration, abstraction faite évidemment de la suppression de la liberté, n’avait pas été mauvais. Le camp de concentration dans lequel ils avaient été envoyés était le camp d’Oranienburg. Plus tard, j’ai également entendu parler de l’existence de Dachau et, en 1939, aussi de Buchenwald, et cela parce que les étudiants tchèques qui avaient été pris par Himmler avaient été envoyés à Buchenwald.
Mais je n’ai entendu parler pour la première fois qu’ici, à Nuremberg, du développement des camps de concentration, du traitement des internés, ou des camps d’extermination.
Par qui et quand avez-vous été nommé ministre des Affaires étrangères, et comment cette nomination est-elle intervenue ?
J’ai été nommé ministre des Affaires étrangères le 2 juin 1932 par le Président du Reich von Hindenburg. Hindenburg, dès 1929, après la mort de Stresemann, avait voulu me nommer ministre des Affaires étrangères ; à cette époque, j’avais refusé ce poste parce qu’étant donnée la proportion des partis au Reichstag, je ne voyais pas la possibilité de conduire une politique étrangère stable. Je n’étais membre d’aucun des trente partis allemands ; par conséquent, je n’aurais pu trouver aucune sorte d’appui dans le Reichstag d’alors. Mais Hindenburg reçut de moi la promesse d’obéir à son appel si la patrie était en danger.
Je voudrais citer ici le télégramme par lequel le ministère des Affaires étrangères informait alors M. von Neurath que le Président du Reich désirait qu’il entrât dans le Gouvernement. C’est le procès-verbal d’un télégramme transmis téléphoniquement, qui a la teneur suivante — il se trouve sous le numéro 6 dans mon livre de documents :
« A déchiffrer personnellement par M. l’ambassadeur. Berlin, le 31 mai 1932. » II était adressé à Londres. « M. le Président du Reich vous prie, en se référant à vos déclarations antérieures, d’accepter la charge du ministère des Affaires étrangères dans le cabinet présidentiel en cours de formation, qui se composera de personnalités de la droite qui ne sont pas liées à des partis politiques et qui reposera moins sur le Reichstag que sur l’autorité du Président du Reich. Le Président du Reich vous adresse l’appel pressant de ne pas refuser vos services à la patrie dans cette heure difficile. Au cas où vous ne pourriez pas donner immédiatement une réponse affirmative, je vous prie d’arriver d’urgence. Bülow. »
Bülow était à ce moment-là secrétaire d’État au ministère des Affaires étrangères. Je me réfère ensuite à un passage d’une lettre du chef du département politique des Affaires étrangères au sujet de cette nomination de M. von Neurath au ministère des Affaires étrangères, qu’il adressait à cette époque-là à l’un de ses amis, le ministre Rumelin. L’auteur de cette lettre, le directeur ministériel Dr Köpke, pourra confirmer ici que cette lettre est conforme à l’original de celle qu’il a envoyée au ministre Rumelin. Je crois donc que je puis, pour le moment, renoncer à lire cette lettre. Ce document se trouve sous le numéro 8 dans mon livre de documents.
Est-ce que vous avez accepté le cœur léger cet appel du Président Hindenburg vous incitant à prendre ce poste particulièrement difficile à cette époque ?
Non, en aucune façon. Je n’avais aucune envie d’assumer la charge de ministre des Affaires étrangères. J’étais satisfait d’être ambassadeur à Londres, j’avais une position estimée auprès du Gouvernement et de la famille royale, et j’espérais pouvoir être utile aux deux pays, à l’Angleterre et à l’Allemagne. Mais je ne pouvais pas me dérober à un tel appel de Hindenburg. Même alors, même étant donné cet appel, je ne pris ma décision qu’après avoir eu une longue conversation avec lui, conversation au cours de laquelle je lui avais exposé les buts et ma conception de la politique étrangère de l’Allemagne. Je lui avais dit que je tenais absolument à obtenir l’égalité des droits pour l’Allemagne, mais par des moyens pacifiques, que je voulais également renforcer sa position dans le cadre des nations, et cela grâce à une souveraineté totale des Allemands sur les territoires allemands.
Je voudrais, à ce propos, attirer l’attention du Tribunal sur l’affidavit déjà cité de l’ancien ambassadeur Pruefer, qui se trouve sous le numéro 4 dans mon livre de documents, et je voudrais lire le paragraphe 7 qui traite de cet appel du Président von Hindenburg a l’accusé et qui se trouve dans mon livre de documents allemands, à la page 27.
« Dans les cercles des fonctionnaires supérieurs du ministère des Affaires étrangères, le fait était connu que, lorsqu’il fit de Hitler le Chancelier du Reich, Hindenburg y avait ajouté la condition expresse que Neurath gardât son poste de ministre des Affaires étrangères. Le baron von Neurath n’avait intrigué en rien pour occuper ce poste en 1932. Bien au contraire, dès 1929, lorsque Hindenburg lui avait proposé ce poste, il avait refusé en donnant comme raison que, du fait qu’il n’appartenait à aucun parti, il ne se sentait pas propre à diriger un ministère dans un État parlementaire. Ce n’est que lorsque le Président du Reich, von Hindenburg, qui était particulièrement estimé de M. von Neurath, forma en 1932 son premier cabinet présidentiel, que Neurath écarta ses scrupules et prit dans ce cabinet le poste de ministre des Affaires étrangères. »
Comment considériez-vous à cette époque la situation intérieure de l’Allemagne ?
Le développement des rapports des partis en 1932 était devenu si délicat qu’à mon avis il n’y avait plus que deux possibilités de gouverner : soit une participation du parti national-socialiste devenu très important numériquement, ou alors, si l’on voulait écarter ce résultat, la guerre civile. Les détails sur la constitution du Gouvernement en 1933 et la prise du pouvoir par Hitler ont été décrits abondamment ici par l’accusé von Papen.
Quel était votre jugement personnel et quelle était votre attitude envers Hitler et le national-socialisme en général, les idées nationales-socialistes et le Parti en particulier ?
Je ne connaissais pas personnellement Hitler. Les méthodes du Parti dans sa lutte pour le pouvoir me faisaient horreur. Les idées, je ne les connaissais pas dans leur détail. Quelques-unes me paraissaient bonnes, sur le plan social notamment. J’en considérais d’autres comme des phénomènes révolutionnaires qui s’affaibliraient peu à peu, comme je L’avais constaté au cours de la révolution en Allemagne en 1918 et en Italie. lors de la révolution fasciste. Dans l’ensemble, je n’avais aucune sympathie pour le national-socialisme. En tout cas, à ce moment. je considérais qu’un rôle décisif joué par Hitler et le parti national-socialiste dans la politique allemande et la conduite de cette politique sous la seule direction de Hitler étaient absurdes et non conformes à l’intérêt de la politique étrangère de l’Allemagne.
Je voudrais ici citer encore un passage de l’affidavit de l’ambassadeur Pluefer. dont il a déjà été question. C’est le numéro 4 de mon livre de documents qui se trouve page 28. Ce passage est intéressant dans la mesure où ce Pruefer était un fonctionnaire de son ministère : « Le baron von Neurath n’était pas un national-socialiste. Sur la base de son éducation et de sa tradition, il était même nettement hostile aux doctrines nationales-socialistes, dans la mesure où elles contenaient des maximes radicales et des principes de violence. Cette aversion, dont il ne se cachait nullement, portait surtout sur les excès des organismes du Parti contre des gens de croyances différentes, et tout particulièrement contre les Juifs ou les gens qui avaient du sang juif, et également sur l’ingérence générale du parti national-socialiste dans chaque manifestation vitale du peuple et de l’État allemands ; en d’autres termes, sur l’aspiration totalitaire, le principe du chef et, en un mot, la dictature. Le baron von Neurath, notamment dans les années 1936 à 1938, lorsque je le voyais très souvent, en ma qualité de chef du service du personnel et de la comptabilité, m’a très souvent dit, et à d’autres personnes en ma présence, et ce, sans équivoque, combien il était peiné et inquiet du développement rapide de la politique intérieure et extérieure de l’Allemagne. »
Monsieur le Président, je voudrais ensuite demander au Tribunal de prendre acte du questionnaire du comte Schwerin von Krosigk, ancien ministre des Finances du Reich, qui se trouve sous le numéro 25 dans mon livre de documents.
Étant donné vos idées et vos conceptions en matière de politique extérieure, quelle était votre attitude sur la question du Traité de Versailles et de la Société des Nations ?
Il faut chercher dans les stipulations insensées et impossibles du Traité de Versailles qui ont eu pour effet d’amener le désordre dans l’économie du monde entier, les racines du national-socialisme et également les origines de la deuxième guerre mondiale. Du fait qu’on avait lié ce Traité de Versailles à la Société des Nations et chargé celle-ci du maintien des prescriptions du Traité, le but fondamental de la Société des Nations, c’est-à-dire la fraternité des peuples et le maintien de la paix, devenait illusoire. Certes, le Statut prévoyait la possibilité d’une révision, mais l’Assemblée de la Société des Nations ne l’a pas utilisée. Après que les États-Unis eurent retiré leur participation, que la Russie et, plus tard, le Japon, furent demeurés en dehors de son activité, cette prétendue Société des Nations se composait seulement dans son écrasante majorité d’une assemblée intéressée au maintien du statu quo, tel qu’il avait été créé par le Traité de Versailles. Au lieu d’essayer d’éliminer petit à petit les tensions qui croissaient sans cesse, l’Assemblée des Nations ne tendit à rien d’autre qu’à ne rien vouloir changer à l’état existant. Or, un grand peuple qui avait le sens de l’honneur se trouvait mis en état d’infériorité par le Traité de Versailles : il ne pouvait le tolérer plus longtemps. Tout homme d’État avisé devait le reconnaître. Non seulement en Allemagne, mais même à l’étranger, bien des gens disaient que tout cela finirait mal, mais à Genève — le rendez-vous de politiciens éloquents et vaniteux — on ne tenait aucun compte de ces discours.
Il est historiquement indéniable que la politique étrangère de l’Allemagne, sous tous les régimes qui ont précédé Hitler, a toujours tendu à la modification des clauses du Traité de Versailles par des moyens pacifiques. Cette politique était-elle également la politique de Hindenburg ou Hindenburg était-il favorable à une autre solution, par exemple à une solution de guerre, une solution de violence ?
Non, en aucune façon, et même pas si l’Allemagne avait possédé les moyens militaires pour le faire. Il me répétait constamment qu’il fallait éviter à tout prix une nouvelle guerre.
Monsieur le Président, je voudrais brièvement ici attirer l’attention du Tribunal et lui demander de prendre acte d’un passage d’un discours du 25 septembre 1928 du comte Bernstorff, représentant de l’Allemagne à la Société des Nations. Il se trouve dans mon livre de documents n° 2, page 34. La traduction n’en est pas encore prête, mais je pense qu’elle le sera lundi.
Je voudrais ensuite me référer et demander au Tribunal d’en prendre acte, à un extrait du discours du Chancelier du Reich Brüning, prononcé à Kiel le 19 mai 1936. C’est le numéro 36 de mon livre de documents n° 2. Je me réfère ensuite à un passage du discours du ministre des Affaires étrangères Curtius, successeur et ami du Chancelier du Reich Stresemann, mort peu de temps auparavant, discours que Curtius fit devant une assemblée de la Société des Nations.
Monsieur le Président, je disais au Dr Lüdinghausen que j’avais reçu le volume II. Je ne sais pas si les membres du Tribunal possèdent la traduction anglaise.
Je ne crois pas que nous l’ayons. Sir David, les membres du Ministère Public sont-ils d’accord sur l’admissibilité et la pertinence de ce document ?
Monsieur le Président, nous ne ferons aucune objection pour les courts passages, comme cela a déjà été fait auparavant. J’ai déjà expliqué la position du Ministère Public en ce qui concerne le Traité de Versailles et, tant que cette matière sera traitée dans les limites, nous n’avons aucune objection à formuler.
Docteur von Lüdinghausen, le Tribunal a décidé à diverses reprises que tous les documents qui tendent à prouver l’injustice du Traité de Versailles ne seront pas considérés comme des moyens de preuve. Comme le Ministère Public adopte cette attitude, le Tribunal ne pourra les considérer que comme des documents historiques, mais ils ne sont pas pertinents. Nous voulons savoir seulement si les accusés ont essayé de tourner le Traité de Versailles par la force et nous n’avons pas à discuter de son équité ou de son injustice.
Non, Monsieur le Président. Je ne l’ai pas du tout présenté pour adresser une critique du Traité de Versailles, mais bien au contraire pour prouver que même les Gouvernements antérieurs avaient poursuivi par des moyens pacifiques la même politique que mon client, en tant que ministre des Affaires étrangères, a poursuivie lui-même. Sous sa direction n’est intervenue aucune modification dans la politique extérieure de l’Allemagne et dans les rapports de ce pays avec les Puissances occidentales. Ce n’est donc pas du tout une critique en soi.
Très bien, mais toutes les déclarations que l’accusé a faites jusqu’à maintenant avaient trait à l’injustice du Traité de Versailles.
Oui, c’était son introduction générale mais, quant à moi, mon but ici était simplement de prouver la continuité de la politique allemande.
Quel était votre point de vue personnel sur la politique extérieure à suivre par l’Allemagne à propos des questions dont nous venons de parler ?
J’étais d’avis que la solution des divers problèmes politiques ne pouvait être obtenue que de façon pacifique et pas à pas. La condition préalable à cela était évidemment une égalité de droit totale pour l’Allemagne dans tous les domaines, c’est-à-dire également dans le domaine militaire. C’étaient, en outre, le rétablissement de la souveraineté dans la totalité des limites du Reich et la suppression de toute discrimination. Atteindre ce but était à mon avis la tâche primordiale de la politique étrangère allemande.
Monsieur le Président, je voudrais de nouveau me référer à l’affidavit déjà cité de l’ambassadeur Dr Pruefer, qui se trouve au numéro 4 de mon livre de documents et, avec la permission du Tribunal, je voudrais, afin de confirmer ce que vient de dire l’accusé, lire une partie du paragraphe portant le numéro 12 :
« La politique de Neurath était une politique de compréhension internationale et une politique de paix. Cette politique, en aucune façon, n’était contraire au fait que M. von Neurath, lui aussi, aspirait à une révision des clauses trop dures du Traité de Versailles. Il voulait cependant arriver à ce but par des négociations et en aucune façon par la violence. Toutes ses déclarations et toutes ses directives que j’ai entendues ou vues, en ma qualité de collaborateur, étaient toutes en ce sens. Le fait que le baron von Neurath se considérait comme un gardien de la paix ressort très bien, je pense, d’une déclaration qu’il a faite en démissionnant de son poste de ministre des Affaires étrangères. Il déclara à ce moment, devant un petit cercle de collaborateurs, que la guerre ne pouvait plus, dès lors, être évitée. Il voulait sans doute dire par là que la politique étrangère, à partir de ce moment, passerait de ses mains dans des mains plus légères. »
Monsieur von Neurath, vous étiez, par conséquent, absolument d’accord avec Hindenburg sur le rejet de tout recours à la violence, dans le but d’obtenir des modifications du Traité de Versailles ; vous considériez que l’on pouvait arriver à ce but, et vous étiez un adversaire résolu des complications guerrières que vous considériez comme un immense malheur, non seulement pour l’Allemagne, mais pour l’univers entier ?
Oui. L’Allemagne et le monde entier se trouvaient encore à ce moment dans la grande crise économique qui avait été engendrée par les décisions du Traité de Versailles. Toute nouvelle évolution dans le sens de la guerre ne pouvait conduire fatalement qu’à un immense malheur.
Quelques jours après avoir pris, le 2 juin 1932, vos fonctions de ministre des Affaires étrangères, ont commencé à Lausanne les réunions de la Conférence des Réparations, à laquelle vous avez pris part avec M. von Papen. Pouvez-vous nous dire en quelques mots quel était le but de cette conférence ?
Les contributions qui pesaient sur l’Allemagne de par le Traité de Versailles, et qui n’avaient jamais été fixées, devaient être formellement écartées ou fixées, notamment en ce qui concerne leur somme finale, et ce but a été atteint.
Est-ce que la Conférence du Désarmement ne siégeait pas à Genève à la même époque ?
Oui, ces négociations eurent lieu presque en même temps.
Monsieur le Président, je me permettrai à cette occasion d’indiquer brièvement, pour bien comprendre la situation générale, que la Conférence du Désarmement remonte à la décision de l’Assemblée de la Société des Nations du 25 septembre 1928, proclamant la relation étroite qui existait entre la sécurité internationale, c’est-à-dire la paix entre tous les États européens et la limitation des armements. Je voudrais mentionner ici le texte de la décision de la Société des Nations qui se trouve sous le numéro 33 de mon livre de documents, page 90 du livre de documents n° 2.
Pouvez-vous nous brosser un tableau rapide du développement de ces négociations sur le désarmement ?
Il est bien difficile d’en donner un bref aperçu. La Conférence du Désarmement avait été décidée par la Société des Nations, afin de pouvoir amener le désarmement de tous les États, tel qu’il était prévu à l’article 8, en contrepartie du désarmement allemand qui avait déjà été réalisé en 1927. Les négociations de la Conférence du Désarmement furent bientôt suspendues malgré l’objection présentée par les représentants de l’Allemagne. Les pourparlers qui avaient déjà eu lieu et cet ajournement même laissaient clairement apparaître à ce moment que les Puissances qui n’avaient pas désarmé n’étaient pas prêtes à agir pour leur propre désarmement selon les critères et selon les méthodes précédemment employés lors du désarmement de l’Allemagne. Une motion proposée par la Conférence s’avéra alors inacceptable par l’Allemagne et le représentant allemand reçut l’instruction de déclarer que l’Allemagne ne participerait pas aux travaux de la Conférence du Désarmement aussi longtemps que sa participation, fondée sur l’égalité des droits, aux résultats de la Conférence n’aurait pas été reconnue.
Je pense que nous pourrions suspendre l’audience.
Certainement, Monsieur le Président.
Monsieur le Président, je dois me référer, à propos de la question que je viens de poser, et à laquelle il m’a été répondu, à divers documents, dont je vous prie de bien vouloir prendre acte. Je présente ou ai présenté dans mon livre de documents n° 2, sous le numéro 40, des extraits du mémorandum allemand du 29 août 1939, des extraits d’une interview accordée par M. von Neurath à un représentant de l’agence télégraphique Wolff, le service officiel d’information allemand. Ils figurent dans mon livre de documents n° 2 sous le numéro 41. Ce sont ensuite des extraits d’une déclaration de M. von Neurath devant les représentants de la presse allemande le 30 septembre 1932, n° 45 du livre de documents n° 2. Des extraits d’une lettre de l’accusé adressée au président de la Conférence du Désarmement. C’est le numéro 43 dans mon livre de documents 2. Et, pour terminer, je voudrais encore mentionner un discours du représentant allemand à la Conférence du Désarmement à Genève, qui figure sous le numéro 39 de mon livre de documents : on peut y constater l’attitude de l’accusé et, en conséquence, le développement de la politique allemande à propos des négociations qui avaient repris le 16 à la Conférence du Désarmement.
Monsieur von Neurath, dans les documents que je viens de présenter, vous insistez sur le fait que la question du désarmement devait être résolue uniquement par des méthodes pacifiques, à l’exclusion de tout emploi de la violence. Est-ce que cette tendance qui s’exprimait correspondait en fait à vos convictions et représentait la directive exclusive de votre politique ?
Oui. Pendant toute la durée de mes fonctions de ministre des Affaires étrangères, on n’a utilisé aucune méthode qui ne fût internationalement reconnue et autorisée.
Le 16, les négociations de la Conférence du Désarmement devaient reprendre. Quel fut le résultat de cette tentative devant la Conférence du Désarmement ?
Tout d’abord la Conférence du Désarmement s’enlisa. Puis, sur la proposition de l’Angleterre, on en arriva, en décembre 1932, à ce qu’on a appelé la Déclaration des Cinq Puissances. Elle reconnaissait la demande allemande de l’égalité des droits et la suppression des clauses discriminantes du Traité de Versailles. Après cette déclaration des puissances militaires, qui fut reconnue ultérieurement par la Conférence du Désarmement et le Conseil de la Société des Nations, l’égalité des droits de l’Allemagne était admise une fois pour toutes et dans tous les cas. C’est pourquoi l’Allemagne pouvait faire valoir son droit d’abandonner la partie V du Traité de Versailles en se référant à l’obligation de désarmer qu’avaient prises les cinq autres Puissances elles-mêmes. Cette déclaration des cinq Puissances prévoyait que l’Allemagne prendrait part de nouveau aux discussions de la Conférence du Désarmement.
Monsieur le Président, je dois mentionner le texte de la déclaration des cinq Puissances du 11 décembre 1932. Il se trouve sous le numéro 47 a dans mon livre de documents n° 2.
En outre, j’attire votre attention sur une déclaration de l’accusé dans le journal Heimatdienst relative à la reconnaissance de l’égalité des droits de l’Allemagne. Ce texte se trouve sous le numéro 48 dans mon livre de documents n° 2. C’est l’époque qui a précédé la prise du pouvoir.
En janvier 1933, Hitler fut nommé Chancelier du Reich. C’est ainsi qu’il prit le pouvoir avec la NSDAP. Avez-vous, lors de cette prise du pouvoir, collaboré d’une façon quelconque à la nomination. de Hitler au poste de Chancelier du Reich ?
Non. Lors de la nomination de Hitler en qualité de Chancelier du Reich, je n’ai pris part à aucun moment aux négociations. Personne, pas même le Président du Reich à cette époque, ni un chef du Parti, ne m’a demandé mon avis à ce sujet. Je n’avais aucune relation plus étroite avec un chef de parti quelconque, tout particulièrement avec les chefs du parti nazi. Du reste, Göring et Papen ont fait ici même à ce sujet des déclarations parfaitement exactes.
Quelles étaient vos pensées sur cette question de la nomination de Hitler au poste de Chancelier du Reich ? En d’autres termes, qu’avez-vous pensé de la prise du pouvoir par le Parti ?
J’avais de très vifs scrupules, ainsi que je l’ai dit dès le début ; étant donné la situation des partis et l’impossibilité de former un Gouvernement contre les nationaux-socialistes, il n’existait plus d’autre possibilité, si l’on ne voulait pas en arriver à une guerre civile dont le résultat n’eût laissé aucun doute avec le nombre écrasant des partisans de Hitler.
Ayant eu l’attitude que vous venez de nous décrire à l’instant, pour quelle raison êtes-vous donc resté dans le nouveau Gouvernement formé par Hitler ?
A la demande pressante du maréchal Hindenburg.
Je me reporte ici à l’affidavit de la baronne von Ritter, n° 3 de mon livre de documents n° 1 et, avec l’autorisation du Tribunal, je désire en lire un court passage :
« Lorsqu’on 1933 Hitler forma un nouveau Gouvernement, Hindenburg lui posa comme condition que Neurath demeurerait ministre des Affaires étrangères. En conséquence, Hindenburg pria Neurath de rester. Celui-ci, conformément à sa déclaration antérieure, remplit le désir de Hindenburg. Je sais que Neurath formula souvent des objections importantes, mais il estimait qu’il était de son devoir patriotique de rester. Je me souviens, à ce propos, d’une comparaison : un rocher qui se trouve au milieu d’une rivière peut diminuer la force des flots mais, au bord de la rivière, il est sans effet. Il disait fréquemment : « Si les Allemands s’étonnent que je « demeure dans ce Gouvernement et sous ce régime, ils penseront toujours au désavantage, sans réfléchir combien peut-être je pourrai « leur éviter de désagrément. Ils oublieront combien il faut de force « pour percer le mur des Myrmidons, pour atteindre Hitler. » La baronne von Ritter fait allusion ici au cercle étroit qui entourait Hitler.
Savez-vous pour quels motifs Hindenburg a demandé que vous demeuriez dans le cabinet de Hitler comme ministre des Affaires étrangères ?
Pour pouvoir continuer une politique extérieure pacifique. Étant donné sa nature impulsive, il pensait que je pourrais modérer Hitler et servir de frein à sa politique.
Hindenburg n’a-t-il pas posé comme condition de la nomination de Hitler au poste de Chancelier du Reich qu’il vous prenne dans son cabinet comme ministre des Affaires étrangères ?
Oui, c’est en effet ce qu’il m’a dit plus tard
Je vous demande de vous reporter à l’affidavit de l’ancien ambassadeur von Pruefer, n° 4 de mon livre de documents, dont je voudrais lire un court passage :
« Hindenburg conservait ses idées politiques en tant qu’elles étaient conservatrices... »
Cela se trouve à quelle page ?
C’est à la page 27. C’est le document n° 4 :
« Hindenburg conservait ses idées politiques en tant qu’elles étaient conservatrices. Il était à peu près du même avis que le baron von Neurath. Il était établi aux yeux de tous, comme de ceux qui connaissaient les circonstances, que ce n’était qu’avec répugnance et sous la forte pression du développement de la politique intérieure qu’il avait remis le pouvoir à Hitler. S’il tenait à ces faits et s’il avait même posé comme condition que son ancien conseiller de politique extérieure Neurath demeurât à son poste, ce fut sans aucun doute uniquement parce qu’il tenait à garder parmi ces forces nouvelles qui lui étaient certainement personnellement désagréables et antipathiques, un pôle fixe, au moins dans le domaine de la politique extérieure, c’est-à-dire pour la paix. »
Avez-vous parlé de la question avec Hindenburg et lui avez-vous exprimé votre répugnance et vos objections à entrer dans le cabinet formé par Hitler ?
Oui, je ne lui ai pas laissé là-dessus le moindre doute.
Qu’est-ce que Hindenburg vous a répondu alors ?
Il me répondit qu’il me fallait faire ce sacrifice, sans quoi il n’aurait plus une heure de tranquillité, et que Hitler n’avait aucune expérience en matière de politique extérieure.
Est-ce là-dessus seulement et pour ce motif que vous vous êtes décidé à entrer dans le cabinet de Hitler ?
Oui. M. le représentant du Ministère Public britannique, Sir David, lors de l’audience du 1er mars de cette année, a prétendu qu’en entrant dans ce cabinet de Hitler j’aurais vendu mon honneur et ma réputation. Je renonce à répondre à cette injure sévère.
Monsieur le Président, je me dois de citer encore une seule phrase du journal de l’ambassadeur Dodd 1933-1937. C’est le document n° 13 de mon livre de documents, et je voudrais citer le passage qui se trouve à la date du 6 avril 1934, à la page 100, c’est-à-dire à la page 55 de l’exemplaire allemand qui est ainsi rédigé. Cette observation de M. Dodd fait ressortir en particulier le point de vue de M. von Neurath :
« Il m’est pénible de constater que ces Allemands qui voient clair, connaissent si bien le monde et doivent travailler pour leur patrie, doivent se soumettre à l’ignorance et à la dictature de Hitler et de ses acolytes. »
Avez-vous, lors de ces conversations avec Hindenburg, promis à ce dernier de rester dans le cabinet aussi longtemps qu’il vous serait possible de conduire la politique extérieure sur des voies pacifiques et d’éviter tous les conflits armés éventuels, même si Hindenburg devait fermer les yeux ?
Oui. Il m’a fréquemment renouvelé ce dernier désir.
C’était sans doute aussi le motif pour lequel, après la mort de Hindenburg, vous êtes demeuré à votre poste ?
Oui. En outre, j’avais constaté entre temps que Hitler, en raison de son tempérament, faisait des démarches souvent inconsidérées et que la paix pouvait, de ce fait, être mise en danger. Mais, à plusieurs reprises, j’avais fait aussi l’expérience que, dans des cas semblables, mes objections étaient acceptées.
Le Ministère Public, ainsi que vous le savez, vous a particulièrement reproché d’avoir occupé le poste de ministre des Affaires étrangères dans le cabinet de Hitler et d’y être demeuré après la mort de Hindenburg.
Je ne peux absolument pas comprendre comment on peut me faire un reproche quelconque en la matière. Jamais je n’ai appartenu à un parti quelconque. Jamais je n’ai juré fidélité à un programme quelconque d’un parti et je n’ai pas non plus juré fidélité à des chefs de partis. J’ai servi sous le Gouvernement impérial. Le Gouvernement socialiste m’a demandé de rentrer dans le corps diplomatique et j’ai été nommé ministre et ambassadeur par ce Gouvernement. J’ai servi des Gouvernements démocratiques, socialistes et conservateurs. Sans adopter leurs propres programmes, j’ai souvent, en opposition avec les différents Gouvernements de partis, recherché uniquement les intérêts de ma patrie, en collaboration avec d’autres puissances. Il n’y avait pour moi aucune raison de ne pas me dresser contre Hitler et le Gouvernement nazi. Ce n’était qu’en qualité seulement de membre du Gouvernement qu’il était possible de mettre ces intentions à exécution avec quelque chance de succès. La liberté d’opinion et de la presse était interdite en Allemagne ou tout au moins restreinte. La liberté individuelle était en danger. Du reste, les choses n’étaient pas différentes dans les autres pays, et je pense à une participation à des Gouvernements de différents partis. Ce sont Reynaud, par exemple, ou Lord Vansittart, que je connais personnellement très bien et que j’ai vu comme sous-secrétaire d’État influent aussi bien dans un Gouvernement conservateur que dans un Gouvernement travailliste.
Pourquoi, après le 30 juin 1934 et les événements sanglants de ce jour, êtes-vous encore resté dans le Gouvernement ? Et pourquoi n’avez-vous pas donné votre démission ? Vous savez que le Ministère Public a formulé des reproches à d’autres accusés pour ce même fait.
Sans tenir compte de la description que Hitler nous a faite alors du putsch de Röhm, et dont il me fallait déduire qu’il s’agissait d’une révolte extrêmement dangereuse, j’avais déjà vu une série de révolutions, telle la révolution russe ou, comme je l’ai déjà dit, la révolution fasciste à Rome, et m’étais rendu compte que lors de révolutions semblables des innocents sont fréquemment obligés d’en souffrir. Je me basais sur l’attitude de Hindenburg à cette époque ; si j’avais voulu donner ma démission. Il ne m’aurait jamais autorisé.
Pour prouver que je prenais cette révolte au sérieux, ainsi que la description qu’en avait donnée Hitler, je voudrais vous dire brièvement que, ce jour-là, c’est-à-dire le 30 juin, j’avais invité à déjeuner un frère de l’empereur du Japon qui se trouvait à Berlin. A ce repas assistèrent également le général von Fritsch et un cercle d’autres officiers supérieurs et hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères. Le prince ne vint pas à notre repas, c’est-à-dire qu’il n’arriva qu’une heure après. Lorsque je lui en demandai la raison, j’appris que ma maison avait été entourée par les SS qui avaient arrêté le prince et l’avaient empêché de pénétrer chez moi. Quelques jours plus tard, le général von Fritsch demanda, après qu’il m’eût raconté les événements du côté militaire, si je savais que je figurais, comme lui-même, sur la liste de M. Röhm. Cette révolte n’était donc pas si anodine que le témoin Gisevius nous l’a déclaré ici.
Avant de vous décider à entrer dans le cabinet de Hitler, avez-vous parlé à Hitler des principes et des directives de politique extérieure que vous aviez l’intention de suivre ?
Oui, certes. Je lui ai dit que nos buts ne pouvaient être atteints que par voie de négociation et en tenant compte de la situation internationale. Qu’en tout cas cela demanderait beaucoup de patience. Hitler parut, le comprendre à l’époque, et j’ai eu la même impression au cours des années suivantes. Je suis convaincu qu’il était alors d’accord pour suivre ces directives et qu’il était sincère. Entre autres, il insistait toujours sur le fait qu’il savait ce qu’était la guerre et ne voulait pas en connaître une nouvelle.
Je prie à ce sujet le Tribunal de se reporter une fois de plus à la déclaration, sous la foi du serment, de l’ambassadeur Pruefer, n° 4 de mon livre de documents n° 1, et, avec son autorisation, je citerai le passage suivant :
« La politique de von Neurath était une politique de compréhension internationale et de paix. » C’est à la page 29. « Cette politique n’était aucunement en contradiction avec le fait que M. von Neurath aspirait à une révision des dures conditions du Traité de Versailles ; mais il voulait l’obtenir exclusivement par la voie des négociations et, en aucun cas, par des méthodes de force. »
Ensuite, à la même page...
N’avez-vous pas déjà lu cela ?
Oui, mais je voulais lire encore un autre passage.
« Je suis certain que le baron von Neurath, ainsi que les autres fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères, ne savaient rien de concret au sujet des plans éventuels d’emploi de la force que projetait Hitler. Au contraire, dans les premières années, on pouvait en général ajouter foi aux déclarations pacifiques répétées des chefs nationaux-socialistes. Je suis, pour ma part, -d’avis que dans les premières années ils ne désiraient pas du tout en arriver à une guerre. On croyait et espérait plutôt dans les cercles élevés du Parti, auxquels Neurath n’appartenait en rien, pouvoir cueillir les lauriers à bon prix en utilisant la tactique de bluff et de surprise qui avait jusque là été employée avec succès. La mégalomanie issue du succès, la croyance en leur propre destinée qui, sous l’effet d’un sycophantisme effréné, avait atteint la mystique et le sentiment de leurs propres infaillibilité et supériorité, ne tardèrent pas à amener Hitler et son entourage immédiat à compter la guerre au nombre de leurs moyens de puissance politique. Quant à nous, fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères, avec notre chef le baron von Neurath, nous n’avons pris connaissance de ce développement que peu à peu. Jusqu’au début de 1936 environ, très peu de fonctionnaires avaient été admis dans le Parti, qui considérait avec défiance et aigreur l’état-major des Affaires étrangères, y compris les membres du Parti récemment admis.
Docteur von Lüdinghausen tout cela n’est que de la discussion. Vous en avez trop lu.
C’est fini, Monsieur le Président. Avez-vous vu dans le programme du Parti une intention quelconque ou le désir d’un conflit avec d’autres puissances ?
Non. Contrairement aux allégations du Ministère Public qui n’atteindra pas la vérité par la répétition de ses affirmations, je n’ai pu, avec la meilleure volonté du monde, discerner aucune intention belliqueuse pour le cas où l’on ne serait pas parvenu à atteindre les buts par des voies pacifiques ; et je sais aussi d’après les différentes déclarations que m’a faites Hitler qu’au début de son Gouvernement, lui-même n’y pensait pas du tout. Il voulait avoir des rapports aussi étroits que possible avec l’Angleterre et avec la France pour arriver à des relations de paix stables pour les deux peuples en écartant la vieille inimitié. Ces derniers points, il me les a souvent confirmés, en particulier après le plébiscite de la Sarre, lorsqu’il déclara renoncer une fois pour toutes au retour de l’Alsace.
Le Ministère Public vous reproche tout particulièrement de n’avoir pu déduire des passages suivants du programme nazi que les nazis avaient des buts de politique extérieure particulièrement agressifs et qu’en conséquence ils désiraient en arriver à une guerre, et cela dès le début. Il y est dit :
« Nous demandons l’union de tous les Allemands, sur la base du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, pour former une grande Allemagne. Nous demandons l’égalité des droits pour le peuple allemand vis-à-vis des autres nations, la suppression des traités de Versailles et de Saint-Germain. »
Voulez-vous vous expliquer sur ce point ?
Avec la meilleure volonté du monde, je ne puis aujourd’hui reconnaître qu’il y ait dans cette phrase la moindre intention agressive. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un droit reconnu par le Droit international et la condition absolue d’un État moderne. Il reposait au moins en théorie sur le Traité de Versailles et, sur cette base, eurent lieu les plébiscites dans les régions frontières. Le rassemblement de tous les Allemands sur la base de ce principe reconnu était donc, au point de vue du Droit international et en matière de politique étrangère, un postulat politique parfaitement admissible. Le fait d’écarter les conditions humiliantes du Traité de Versailles par la voie d’une modification diplomatique était, en fait, le but principal de la politique extérieure allemande et, comme je l’ai dit déjà, du Gouvernement national-socialiste aussi bien que des gouvernements socialistes et bourgeois qui l’avaient précédé ; je ne vois pas comment on peut concevoir des intentions agressives chez un peuple qui essaye de se libérer de la charge d’un traité qui lui a été injustement imposé, et cela par des voies pacifiques. Je tiens encore à dire que c’est la politique extérieure que j’ai toujours représentée jusqu’au moment où, à la fin de 1937, je dus reconnaître que Hitler considérait que la guerre était un moyen d’imposer sa politique. Ainsi que je l’ai dit plus haut, il n’en avait jusque là jamais été question.
Quel fut l’effet produit à l’étranger par la prise du pouvoir en Allemagne par Hitler ?
On sentit tout de suite que la situation se tendait qu’il y avait une méfiance à l’encontre du nouveau Gouvernement. L’antagonisme était absolument facile à constater. J’en ai subi surtout les conséquences, lors de la conférence économique de Londres en 1933 lorsque j’ai eu l’occasion de parler avec une foule de vieux amis et de membres d’autres délégations, et de me mettre parfaitement au courant de cette modification dans l’état d’esprit. Le résultat pratique de cet état d’esprit fut surtout une grande réserve dans les négociations, tout particulièrement lorsque recommença la Conférence du Désarmement.
Monsieur le Président, je tiens ici à me reporter à une lettre qui porte le numéro 11 de mon livre de documents. C’est un rapport de M. von Neurath au Président du Reich von Hindenburg, envoyé lors de la conférence de Londres et daté du 19 juin 1933. Je pense que je peux en citer un court passage, page 47 :
« Malheureusement, il me faut dire que les impressions reçues ici m’inquiètent beaucoup. Sur la foi des rapports de nos chefs de mission, je m’attendais à des aspects pénibles, à des conditions troubles et à un mauvais jugement de la part de l’étranger. Cependant, malgré toutes mes craintes, j’avais espéré que les choses ne seraient que provisoires et que beaucoup de difficultés s’aplaniraient. Mais mes craintes se sont déclarées plus justifiées que mes espérances. J’ai à peine reconnu Londres. J’y ai trouvé un état d’esprit, surtout dans le monde britannique et aussi dans les milieux internationaux, qui montrait une réserve du point de vue politique et psychologique à l’égard de l’Allemagne que nous ne saurions prendre trop au sérieux. »
Les négociations reprirent au Comité central de la Conférence du Désarmement, au cours de l’hiver 1933-1934. Pouvez-vous nous en décrire brièvement le cours ? C’est important pour les événements ultérieurs.
Les négociations se déroulèrent à cette époque sur la base d’un plan français du 14 novembre 1932. Ce plan envisageait — ce qui était assez surprenant — la transformation des armées de métier en armées à service à court terme car, d’après l’opinion présentée par le délégué français, seules les armées à service à court terme avaient le caractère d’une armée défensive tandis que les armées de métier se composant de soldats de carrière étaient à considérer comme des armées offensives. Ce point de vue de la France était parfaitement nouveau, et non seulement le contraire du point de vue qu’on avait toujours eu en France, mais il était aussi en contradiction avec les conditions prévues dans le Traité de Versailles pour le désarmement de l’Allemagne. Cela signifiait donc que l’Allemagne, que cette proposition visait sans doute, devait supprimer son armée permanente de 100.000 hommes. En outre, la France donna à connaître qu’avec ce nouveau plan elle n’avait pas l’intention de désarmer. C’est ce qu’affirma le représentant français, M. Paul Boncour, lors de la séance du 8 février 1933. La France, maintint ce point de vue lors des délibérations qui suivirent sur le programme de travail qu’avait présenté l’Angleterre, le 30 janvier 1933 et par lequel elle se proposait de hâter les pourparlers de la Conférence. Cette tentative de hâter les choses, qui proposait de concilier les tendances divergentes des Puissances, échoua, du fait de l’attitude intransigeante de la France. On apporta alors une modification au programme pour essayer de vaincre ces difficultés et on discuta d’abord de la question des effectifs des armées.
Je présente à ce sujet un document, en priant le Tribunal de bien vouloir en prendre acte. Il s’agit du document n° 49, dans mon livre de documents n° 2. Il contient des extraits du programme de travail anglais du 30 janvier 1933. Voici, en outre, des extraits de mes documents 46 et 47 de mon livre de documents n° 2. Ce sont des extraits du plan français en vue d’uniformiser le système des armées continentales. Voici enfin le numéro 47 de mon livre de documents n° 2, qui contient des extraits du discours de M. von Neurath lors de l’Assemblée de la Société des Nations du 7 décembre 1932 où avaient eu lieu jusqu’à cette époque les négociations en question. Quelle était donc l’attitude de la Conférence du Désarmement vis-à-vis du désarmement, c’est-à-dire la réduction des forces armées ?
Il me faut ici me référer largement à des notes, car il n’est pas possible de me rappeler les détails, motions et décisions. Il m’est impossible de les avoir dans la tête. C’est une question qui est tellement étendue que je ne puis faire autrement que me référer à des notes.
Docteur Lüdinghausen, nous avons passé toute la matinée à cet interrogatoire et ne sommes pas encore arrivés à 1933. Le Tribunal estime que vous détaillez trop. Comme je l’ai déjà dit, beaucoup de vos efforts tendant à démontrer que le Traité de Versailles était une injustice, ce qui n’est pas pertinent.
Monsieur le Président, si vous me le permettez, je voudrais vous répondre que je ne veux pas prouver les injustices du Traité de Versailles, mais il me faut...
Bien. Voulez-vous continuer votre interrogatoire. Nous estimons que vous rentrez par trop dans les détails.
Très bien. M. von Neurath, qu’a-t-on fait pour reprendre les négociations ? Le 16 mars, le Président du Conseil des ministres anglais a soumis un nouveau plan...
Nous n’avons rien à voir à ce programme de désarmement.
Monsieur le Président, il me faut bien montrer quel était l’état d’esprit de base pour pouvoir expliquer ensuite les motifs que l’on nous a reprochés depuis, pour lesquels nous nous sommes retirés de la Société des Nations. C’est à l’automne 1933 que l’Allemagne s’en est retirée...
Il n’y a aucune accusation contre von Neurath portant sur le point qu’il aurait influencé le Gouvernement allemand pour le faire quitter la Société des Nations.
C’est pourtant ainsi. Je ne puis expliquer le retrait de l’Allemagne de la Société des Nations qu’en me référant aux événements antérieurs. Je ne puis pas le dire en trois mots. Il me faut pourtant développer comment la situation a peu à peu amené le Gouvernement allemand à n’avoir plus autre chose à faire qu’à quitter la Conférence du Désarmement et la Société des Nations ; car ce sont là les facteurs qui expliquent la décision de réarmer, prise par le Gouvernement allemand, décision qui nous a été reprochée plus tard. Dans l’Histoire et dans la politique, les événements, les décisions, les négociations, sont toujours la conséquence de ce qui a précédé. Dans le cours des circonstances politiques, nous avons en effet affaire à un développement qui a duré plusieurs années, et non pas à des décisions ou événements spontanés. Je ne peux pas dire ici qu’il s’agit d’un ordre militaire et dire que cet ordre avait son fondement dans un ordre de l’adversaire. Il me faut ici décrire comment...
Nous n’avons pas besoin de toutes ces explications. Nous voulons simplement que vous continuiez. J’attire votre attention sur le fait que vous avez employé toute la matinée et n’êtes pas encore arrivé à 1933.
Monsieur le Président, je veux essayer de m’expliquer brièvement jusqu’à cette époque du retrait de la Société des Nations et de la Conférence du Désarmement. Les négociations, ainsi que je l’ai dit, ont duré toute l’année jusqu’à l’été 1933. A l’automne, il y a eu à nouveau une séance de la Conférence du Désarmement au cours de laquelle on reprit plus ou moins les mêmes sujets. Il résulta de cette conférence que les Puissances de l’Ouest repoussaient définitivement le désarmement. Ce fut le motif pour lequel nous nous retirions d’abord de la Conférence du Désarmement, car nous estimions qu’un travail utile n’y était plus possible. Puis nous nous sommes aussi retirés immédiatement de la Société des Nations après avoir constaté son impuissance dans les domaines les plus variés. Voilà brièvement le cours des événements qui nous ont amenés à notre retrait de la Société des Nations. J’ai exposé à ce moment dans un discours les motifs qui nous ont décidés à agir ainsi : mon défenseur pourrait peut-être vous le soumettre.
De quelle date parlez-vous, Monsieur von Neurath ?
Du 16 octobre 1933. Dans ce discours adressé à la presse étrangère, j’ai expliqué que le retrait de la Conférence du Désarmement et de la Société des Nations ne signifiait en aucun cas que l’Allemagne ne voulût plus prendre part à des négociations avec les autres Puissances et surtout avec les Puissances de l’Ouest.
Monsieur le Président, des extraits de ce discours se trouvent au numéro 59 de mon livre de document. Je renonce à en donner lecture comme j’avais voulu le faire, puisqu’il s’agit là du même sujet — compte tenu du fait qu’il est un peu plus détaillé — dont vient de parler M. von Neurath. En rapport avec cela, il me faut attirer l’attention sur les documents que j’ai présentés et qui couvrent la période entière que nous avons omise, pour que vous ayez une idée de la façon dont les faits se sont déroulés jusqu’à la mi-octobre.
A ce propos, je dois mentionner aussi le document 56. C’est un discours de von Neurath adressé à la presse étrangère ; puis une déclaration de Hitler au peuple allemand, n° 58 ; le document n° 59, dont je viens de vous parler ; le mémorandum allemand sur la question de l’armement et de l’égalité des droits, du 18 décembre 1933, document n° 61. Puis le document n° 62, une interview accordée par M. von Neurath au représentant berlinois du New-York Times, le 29 décembre 1933 ; la réponse allemande au mémoire français du 1er janvier 1934, n° 64 de mon livre de documents n° 3 ; le mémoire allemand du 13 mars 1934, n° 67 ; le discours du président de la Conférence du Désarmement, Sir Nevile Henderson, du 10 avril 1934, n° 68 ; et, enfin, l’aide-mémoire du Gouvernement du Reich à la suite du mémorandum anglais sur le désarmement, du 16 avril, n° 69.
J’entends à l’instant que j’ai dit un faux prénom. C’était Arthur Henderson.
Monsieur von Neurath, vers la mi-avril 1934 se produisit un événement important. Voulez-vous nous dire quelque chose à ce sujet car cette déclaration, cette note, causa une modification complète de la politique européenne.
C’était une note française adressée au Gouvernement britannique en réponse à une question anglaise et à un mémoire allemand du 13 mars 1934, dans lequel on parlait de la continuation des négociations. On peut en trouver les détails dans le discours prononcé devant la presse berlinoise, dont on a fait mention tout à l’heure. Mais cette note française fit que les efforts en vue d’une réglementation de la question du désarmement se heurtèrent une fois de plus au « non » catégorique du Gouvernement français.
Je voudrais me référer à différents documents que j’ai présentés dans mon livre de document n° 3 ; le numéro 66 : c’est un extrait d’un discours du Président du Conseil des ministres de Belgique, le comte Broqueville, de mars 1934 ; un extrait du journal de l’ambassadeur Dodd, n° 63 ; ensuite le numéro 70 : c’est un extrait de la note, dont on vient de parler, adressée par le Gouvernement français au Gouvernement britannique, le 17 avril 1934 ; le discours du ministre des Affaires étrangères von Neurath devant les représentants de la presse berlinoise commentant la note française est le numéro 74 de mon livre de documents. Enfin, pour terminer, encore un extrait du discours du délégué américain à la Conférence du Désarmement, Norman Davis, du 29 mai 1934. Comment pouvez-vous expliquer cette modification de la politique européenne à laquelle j’ai fait allusion ?
Avez-vous donné le numéro ?
Le dernier, Monsieur le Président ?
Oui.
Numéro 76.
Bien. Continuez.
Avant de répondre à cette question, peut-être pourrais-je traiter d’un autre sujet. Le Ministère Public m’a lu un discours du 23 septembre 1939, que Hitler avait adressé aux Commandants en chef de l’Armée, et dans lequel il parle des mesures politiques et administratives qui avaient précédé la guerre.
Vous avez dit le 23 septembre ?
Le 23 septembre 1939. Le Ministère Public voit dans le fait que l’Allemagne s’est retirée de la Conférence du Désarmement et de la Société des Nations, un signe des intentions agressives existant déjà à cette époque, et il me le reproche.
Ainsi que je l’ai souligné à plusieurs reprises déjà, jusqu’en 1937, on n’a jamais parlé d’intentions agressives ni de préparatifs pour une guerre d’agression. Hitler a tenu le discours dont parle le Ministère Public six ans après ces événements et un an et demi après l’abandon de mon poste de ministre des Affaires étrangères. Il est clair que pour un homme comme Hitler, ces événements, dans un moment semblable, surtout après la fin victorieuse de la campagne de Pologne, se présentaient autrement qu’ils n’étaient en réalité. Mais il est aussi difficile d’apprécier ces événements après coup — donc avant la date de ce discours — que de juger aujourd’hui la politique extérieure allemande. On doit au contraire les considérer sous l’angle sous lequel ils se sont effectivement produits -à l’époque.
Je veux maintenant répondre à la question posée : à mon avis, les motifs résidaient d’abord plus ou moins dans le fait que le cours des négociations diplomatiques qui avaient eu lieu, antérieurement, avait montré que l’Angleterre et l’Italie n’étaient plus tout à fait d’accord avec la France, et n’étaient plus non plus tout à fait prêtes à appuyer l’attitude rigide de la France sur la question de l’égalité des droits de l’Allemagne.
Dans une note adressée à la Conférence du Désarmement, le 14 avril 1934, les États neutres étaient également du même avis : le Danemark, l’Espagne, la Suède, la Norvège et la Suisse. Ces pays ne partageaient plus le point de vue français. La France craignait certainement, à cette époque, de se trouver isolée et de se trouver ainsi devant le danger de ne plus pouvoir faire valoir son refus de tout réarmement de son Armée. Moi-même, si j’ai bonne mémoire, j’ai traité cette attitude de la France dans mon discours du 27 avril 1934 qui a déjà été mentionné et au cours duquel j’ai précisé le point de vue allemand à cet égard.
Quelles ont été les conséquences de cette note française du 17 avril sur l’attitude de la politique étrangère française ?
Peu de jours après l’envoi de cette note, le ministre des Affaires étrangères d’alors, M. Louis Barthou, entreprit un voyage à l’Est, à Varsovie, et à Prague. Ainsi qu’on devait bientôt le constater, le but de ce voyage en Pologne et en Tchécoslovaquie consistait à préparer le terrain pour la reprise des relations diplomatiques entre ces pays, les autres pays de la Petite Entente et l’Union Soviétique. Il devait ouvrir aussi la voie à l’introduction de la Russie comme partenaire dans la politique européenne. Les efforts de Barthou furent couronnés de succès. La Pologne, la Tchécoslovaquie et la Roumanie reprirent les relations diplomatiques avec la Russie et, au cours d’un second voyage, Barthou obtint l’accord de tous les États de la Petite Entente en vue d’un pacte de l’Est proposé par la France et la Russie.
Est-ce que ce n’est pas en même temps que des négociations conduisirent à un pacte à l’Est qui devait plus tard constituer un instrument dirigé contre l’Allemagne ?
Oui, je viens d’en parler. On rédigea et présenta un Pacte de l’Est que nous aurions, en principe, admis. Mais il échoua, car nous devions assumer des obligations que nous n’aurions pas pu tenir plus tard, en particulier l’obligation d’assistance à l’occasion de tout conflit qui surgirait entre les nations de l’Est. Nous n’étions pas en mesure de remplir ces obligations. C’est pourquoi ce Pacte de l’Est échoua.
A propos des déclarations du témoin, je mentionne les trois documents qui figurent dans mon livre de documents n° 3 : le document n° 72, qui est un communiqué officiel sur les conversations qu’a eues à Varsovie le ministre des Affaires étrangères français le 24 avril 1934 ; le numéro 74, un communiqué officiel sur les conversations du ministre des Affaires étrangères français à Prague, le 27 avril 1934 ; et un extrait du discours du ministre des Affaires étrangères français du 30 mai 1934, n° 77.
Quelle fut la politique que vous avez alors suivie après la rupture assez brutale des négociations entraînée par cette note française ?
Nous avons, quant à nous, d’abord essayé de négocier successivement avec les Puissances la reconnaissance pratique de l’égalité des droits et d’obtenir un accord général entre les peuples pour arriver à maintenir un véritable état de paix durable. J’avais alors donné l’ordre aux missions allemandes à l’étranger d’avoir des conversations à ce sujet avec les Gouvernements intéressés. Hitler s’était décidé, afin que les négociations reprissent leur cours, à accepter une invitation de Mussolini pour une conversation amicale à Venise. Le but de cette rencontre était, ainsi que Mussolini l’a dit plus tard, de tenter d’éclaircir l’horizon européen qui commençait à s’assombrir. Quelques jours après son retour de Venise, Hitler fit un discours important dans lequel il confirmait les désirs de paix de l’Allemagne.
A ce propos, Monsieur le Président, je me réfère au document 80 de mon livre de document n° am21061946 z3. C’est un extrait du discours de Hitler à Géra, le 17 juin 1934 ; ce n’est que la partie qui intéresse la politique extérieure. Monsieur le Président, voulez-vous lever l’audience ?
Docteur von Lüdinghausen, le Tribunal espère que lorsque vous continuerez lundi, vous pourrez moins détailler cette histoire politique qui est connue de tout le monde et en particulier du Tribunal qui l’a déjà entendue à maintes reprises.
Je m’y emploierai, Monsieur le Président.