CENT SOIXANTE-TROISIÈME JOURNÉE.
Mardi 25 juin 1946.

Audience de l’après-midi.

(L’accusé von Neurath est à la barre des témoins.)
SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Accusé, il y a deux ou trois points que je voudrais éclaircir en ce qui concerne l’année 1935, avant de vous poser des questions.

Le 10 mars, l’Allemagne annonça la création d’une armée de l’air et le 16 mars vous avez, je crois, signé, entre autres la loi instituant le service militaire obligatoire. Vous nous avez expliqué tout cela et nous n’y reviendrons pas ; mais je voudrais simplement vous poser des questions au sujet de la loi secrète de défense du Reich du 21 mai 1935. Voudriez-vous vous reporter au commentaire qu’en a fait le général Thomas ?

C’est à la page 52 du livre de documents 12, Monsieur le Président, et environ à la page 71 du livre allemand.

LE PRÉSIDENT

N° 12 (a) ou 12 (b) ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

N° 12, Monsieur le Président. C’est l’original, page 52.

« L’institution d’un organisme centralisateur des autorités suprêmes du Reich, en cas de guerre, avait été envisagée dès avant 1933 au cours de nombreuses discussions et prévue par de nombreux ordres. Le principe en fut néanmoins profondément modifié par l’avènement des nationaux-socialistes et en particulier à la suite du décès du Président von Hindenburg. Les nouvelles dispositions furent établies par la loi de Défense du Reich du 21 mai 1935 qui ne devait être publiée qu’en cas de guerre mais dont les dispositions entraient déjà en vigueur pour les préparatifs de guerre. Comme cette loi déterminait les attributions de la Wehrmacht et des autres autorités du Reich en temps de guerre, elle constituait également le fondement de l’institution et de l’activité de l’économie de guerre. » (Document PS-2353.)

Et vous vous souvenez que le même jour l’accusé Schacht avait été nommé délégué général à l’Économie de guerre.

Aviez-vous compris à l’époque, accusé, que cette loi était le fondement de l’institution et de l’activité de l’économie de guerre ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Oui, mais seulement en cas de guerre, c’est-à-dire de mobilisation.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous voyez sur quoi j’insiste ; la loi avait déjà été déclarée valable pour les préparatifs de guerre. N’aviez-vous pas compris qu’elle constituait un grand pas en avant dans la préparation de la guerre ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Absolument pas. Ce n’était pas un grand pas en avant, mais simplement la mise au point des opérations nécessaires en cas de guerre. Dans tous les pays, il est nécessaire de prévoir, pour le cas d’une agression, une coordination entre les différentes autorités. Voilà ce que prévoit cette loi.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

C’est votre opinion. Mais à cette époque, jusqu’en mai 1935, est-il exact que le personnel du. ministère des Affaires étrangères d’Allemagne comportait beaucoup de diplomates ou de fonctionnaires de la vieille école et qu’il n’avait pas encore été envahi par les gens du service de Ribbentrop ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Oui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Avez-vous reçu des avertissements de votre propre personnel sur ce qui se passait en Autriche, sur la déclaration de réarmement, sur la création de l’Armée de l’air et sur l’introduction du service militaire obligatoire ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Je savais ce qui se passait en Autriche, comme vous avez pu le voir par le rapport qui a été présenté tout à l’heure. En ce qui concerne la reconstitution de la Wehrmacht, la décision en a été prise en conseil de cabinet et j’étais évidemment au courant.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui. Excusez-moi, je n’ai probablement pas mis l’accent nécessaire sur le mot ; quand je dis « avertissement », j’entends un véritable avertissement de la part de vos fonctionnaires sur les faits qui faisaient penser de l’Allemagne à l’étranger qu’elle était assoiffée de sang et préparait une guerre. Avez-vous reçu de tels avertissements ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Assurément non ; car cela n’était pas du tout le cas, et si on l’a affirmé à l’étranger, cela n’est pas une raison pour que c’eût été vrai.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Voudriez-vous vous reporter au document PS-3308 qui figure à la page 68 du livre de documents 12 (a) et aux pages 65 ou 66 du texte allemand, alinéa 4. Je vous en lirai les alinéas 4 et 5, rapportant ce que dit M. Paul Schmidt :

« 4. La tentative de putsch en Autriche et l’assassinat de Dollfuss, le 25 juillet 1934, ont gravement troublé les fonctionnaires de carrière du ministère des Affaires étrangères car ces événements discréditent l’Allemagne aux yeux du monde. Tout le monde savait que le putsch avait été organisé par le Parti et le fait que la tentative de putsch ait suivi d’aussi près l’épuration sanglante en Allemagne suggérait inévitablement une similitude entre les méthodes utilisées par les nazis en politique étrangère et à l’intérieur. L’inquiétude causée par les répercussions de la tentative de putsch fut bientôt accrue par le fait que ces événements ont contribué à la conclusion du Pacte consultatif franco-soviétique du 5 septembre 1934. Mesure défensive que les nazis n’ont pas considérée comme un avertissement. »

Accusé, est-il exact, comme le dit M. Schmidt, que la tentative de putsch et le meurtre de Dollfuss aient sérieusement troublé le personnel de carrière des Affaires étrangères ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Cela n’a pas fait que troubler les fonctionnaires de carrière de mes services mais aussi moi-même.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Prenons la dernière phrase :

« L’inquiétude causée par les répercussions de la tentative de putsch fut bientôt accrue par le fait que ces événements ont contribué à la conclusion du pacte consultatif franco-soviétique du 5 septembre 1934. Mesure défensive que les nazis n’ont pas considérée comme un avertissement. »

Est-il exact que, parmi votre personnel, l’inquiétude s’est accrue du fait que l’épuration sanglante en Allemagne et le putsch avaient inquiété la France et l’Union Soviétique en ce qui concerne leur attitude envers l’Allemagne, ce qui avait amené la signature du Pacte consultatif ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Non. C’est là une opinion personnelle de l’interprète Schmidt.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je regrette, accusé, mais ce n’est pas une opinion personnelle. Ce que dit l’interprète Schmidt, c’est que c’était là l’opinion du personnel expérimenté des Affaires étrangères. Voilà ce que je vous demande. N’a-t-il pas raison de dire que ce personnel expérimenté était préoccupé de l’influence exercée par les événements sur le pacte consultatif ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Absolument pas. Je ne peux que le repéter : cela n’avait pas le moindre rapport.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

A-t-il raison lorsqu’il dit dans sa dernière phrase que ce pacte n’a pas été considéré par les nazis comme un avertissement ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Je ne puis pas le dire, je n’en sais rien.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Regardez-maintenant le paragraphe suivant :

« L’annonce faite en mars de la constitution d’une armée de l’air allemande et de l’introduction du service militaire obligatoire fut suivie le 2 mai 1935 de la conclusion d’un pacte d’assistance mutuelle entre la France et l’Union Soviétique. Le personnel de carrière des Affaires étrangères considéra cela comme un nouvel et sérieux avertissement quant aux conséquences possibles de la politique étrangère de l’Allemagne ; mais les chefs nazis ne firent que raidir leur attitude envers les Puissances occidentales en déclarant qu’ils ne se laisseraient pas intimider. A cette époque, le personnel de carrière tout au moins exprima ses réserves au ministre des Affaires étrangères Neurath. J’ignore si Neurath, de son côté, transmit ces réserves à Hitler ». Voyons donc cela. Êtes-vous d’accord sur le fait que le personnel de carrière des Affaires étrangères considérait le pacte franco-soviétique comme un nouvel et très sérieux avertissement quant aux conséquences possibles de la politique étrangère de l’Allemagne ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Je ne sais pas au nom de quels fonctionnaires de carrière M. Schmidt s’exprime ainsi. Je n’ai jamais entendu dire que les fonctionnaires de carrière des Affaires étrangères aient fait à ce sujet quelque déclaration que ce soit.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

M. Schmidt dit ceci : « A cette époque, le personnel de carrière tout au moins exprima ses réserves au ministère des Affaires étrangères Neurath ». C’est bien vous.

ACCUSÉ VON NEURATH

Oui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Prétendez-vous que M. Schmidt qui, après tout, faisait partie du personnel de carrière, bien qu’il ait longtemps été interprète, prétendez-vous que M. Schmidt ne dit pas la vérité lorsqu’il dit que votre personnel vous a exprimé ses inquiétudes ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Mais bien sûr. Comment M. Schmidt, qui était à l’époque un petit fonctionnaire, peut-il savoir ce que m’ont dit des fonctionnaires de carrière qui étaient les plus hauts fonctionnaires du Ministère ? D’ailleurs, comment M. Schmidt peut-il en juger ? C’est une opinion gratuite. Je voudrais ajouter aussi que M. Schmidt a déclaré ici que cet affidavit, ou je ne sais quelle pièce, lui avait été soumis alors qu’il relevait d’une sérieuse maladie et qu’il ne savait plus lui-même quel en était exactement le contenu.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous pouvez être assuré, et le Tribunal me reprendra si je me trompe, que j’ai soumis ces paragraphes à M. Schmidt au moment où il témoignait devant le Tribunal et qu’il les a approuvés.

Voyons maintenant une autre déclaration à la fin du paragraphe 6 ; nous allons lire le paragraphe 6, car je veux vous poser une question sur la fin de ce passage :

« La rentrée des troupes allemandes en Rhénanie avait été précédée en février de préparatifs diplomatiques de la part des nazis. Un communiqué allemand du 21 février 1936 avait à nouveau affirmé que le Pacte d’assistance mutuelle franco-soviétique n’était pas compatible avec le Traité de Locarno ni avec le Pacte de la Société des Nations. Le même jour, Hitler déclara au cours d’une interview qu’il n’y avait pas de motifs réels de conflit entre l’Allemagne et la France. Étant donné les déclarations hostiles à la France de Mein Kampf, les circonstances étaient de nature à suggérer que l’on préparait le terrain pour justifier un acte futur. Je ne sais pas combien de temps à l’avance avait été décidée l’entrée en Rhénanie. Personnellement, j’étais au courant et j’en ai parlé environ deux ou trois semaines avant qu’elle ne se soit produite. Des craintes considérables avaient été exprimées particulièrement dans les milieux militaires au sujet des risques de cette entreprise. Des craintes analogues étaient ressenties par de nombreux membres des Affaires étrangères. Mais chacun savait aux Affaires étrangères que Neyrath était la seule personne des milieux gouvernementaux consultés par Hitler qui fût sûre que la Rhénanie pouvait être remilitarisée sans que se produisît aucune ’résistance armée de la part de la Grande-Bretagne et de la France. La position de Neurath pendant toute cette période était de nature à inciter Hitler à avoir plus confiance en Neurath que dans les diplomates de la vieille école, qu’il (Hitler) avait tendance à sous-estimer ».

Si donc ce petit fonctionnaire avait entendu parler de l’entrée des troupes en Rhénanie deux ou trois semaines avant qu’elle eût lieu, combien de temps auparavant en aviez-vous vous-même discuté ?

ACCUSÉ VON NEURATH

M. Schmidt doit avoir été un visionnaire car deux ou trois semaines auparavant je n’en savais encore rien moi-même. Je l’ai appris une semaine environ avant la décision de Hitler et s’il est écrit ici que tout le monde savait aux Affaires étrangères que j’étais la seule personne des milieux gouvernementaux à qui Hitler demandât des conseils et qui fût certain que la Rhénanie pourrait être remilitarisée sans que la Grande-Bretagne et la France manifestassent une opposition armée, j’ai finalement eu raison.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous avez eu raison... mais est-il vrai que vous ayez été la seule personne des milieux gouvernementaux qui estimât que la Rhénanie pût être occupée sans intervention de la Grande-Bretagne et de la France ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Je ne peux pas vous dire si j’étais le seul. En tous cas, j’en étais persuadé, du fait de ma connaissance des rapports internationaux.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

De toute façon et quelque limitées qu’aient été les connaissances de M. Schmidt, il connaissait très exactement votre opinion. N’a-t-il pas raison de dire dans sa dernière phrase que votre position à cette époque était de nature à inciter Hitler à avoir confiance en vous plutôt que dans les autres personnalités de la diplomatie antérieure au régime nazi, parce que vous l’encouragiez ? N’est-ce pas cela ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Je ne l’ai encouragé en aucune façon, mais je lui ai exposé la situation telle qu’elle se présentait à mon point de vue, et il s’est avéré par la suite que j’avais raison.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je voudrais maintenant que vous parliez d’un autre point se rapportant aux événements de 1936 ; nous en parlerons comme j’ai parlé de l’Autriche. Vous avez dit une ou deux fois que vous vous opposiez fortement à ce que l’on considère le traité du 11 juillet entre le Reich et l’Autriche comme un subterfuge ou une façade. C’est exact, n’est-ce pas ? Vous avez élevé une vive protestation contre cette opinion ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Oui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Savez-vous que Hitler avait donné aux Gauleiter de la NSDAP autrichienne des instructions pour continuer la lutte, au moment même où le traité était signé ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Non, je ne le sais pas.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Permettez-moi de vous le rappeler. Je ne voudrais pas avoir Pair d’avancer des faits qui ne soient pas exacts. C’est le livre de documents 12, page 97 Monsieur le Président. (A l’accusé.) C’est le rapport du Dr Rainer que le Tribunal a déjà pu voir. Voulez-vous voir la fin du paragraphe, où il est dit :

« L’accord du 11 juillet 1936 avait déjà été fortement influencé par les activités de ces deux personnalités légales. » (Ce sont l’accusé Seyss-Inquart et le colonel Glaise-Horstenau.) « Glaise-Horstenau avait été désigné au Führer par Papen comme homme de confiance. »

Au paragraphe suivant :

« A cette époque le Führer désirait voir les chefs du Parti... »

LE PRÉSIDENT

Sir David, avez-vous dit page 97 du livre de documents 12 ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, Monsieur le Président. C’est le troisième paragraphe, il commence par « A cette époque... »

LE PRÉSIDENT

Oui, je vois.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

« A cette époque, le Führer désirait voir les chefs du Parti en Autriche afin de leur faire part de son opinion sur l’attitude des nationaux-socialistes autrichiens. » (Document PS-812.)

LE PRÉSIDENT

Je crois que nous avons un autre paragraphe commençant par « A cette époque... » ; pourriez-vous nous donner une autre indication ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

C’est au milieu de la page, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Pour nous, c’est à la page 98.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

La pagination doit être différente, je m’excuse, Monsieur le Président, « A cette époque le Führer désirait voir les chefs du Parti en Autriche afin de leur faire part de son opinion sur l’attitude des nationaux-socialistes autrichiens. Entre temps, Hinterleitner avait été arrêté et avait nommé, pour lui succéder, le Dr Rainer » — c’est l’auteur de cette déclaration — « chef du Parti pour l’Autriche. Le 16 juillet 1936, le Dr Rainer et Globocznik se rendirent auprès du Führer à l’Obersalzberg où leur fut fait un exposé très clair de la situation et des désirs du Führer. Le 17 juillet 1936, tous les Gauleiter clandestins fuient réunis à Anif..., près de Salzbourg, où ils reçurent du Dr Rainer un rapport complet sur les déclarations du Führer et sur les instructions politiques pour la poursuite de la lutte. Ils reçurent également de Globocznik et de Hiedler des instructions pour l’organisation. »

Ne saviez-vous pas... Hitler n’avait-il pas dit à son ministre des Affaires étrangères, qui venait précisément de diriger les négociations en vue de la signature de ce traité, qu’il avait l’intention de donner aux Gauleiter clandestins des instructions sur la façon de continuer la lutte ? Ne vous en avait-il pas fait part ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Non, il ne m’en a pas fait part ; mais je crois me souvenir que c’est ce même M. Rainer qui a témoigné ici et qui a déclaré que Hitler l’avait convoqué, lui et d’autres Gauleiter, pour leur dire qu’à l’avenir ils devraient s’en tenir strictement aux accords de 1936. D’ailleurs, le document que vous venez de me présenter ne parle absolument pas de cette affaire.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Non, cela n’y est pas mentionné. Mais ce qui y est mentionné ce sont les instructions politiques pour la continuation de la lutte et les instructions d’organisation données par Globocznik. Vous ne saviez rien à ce sujet ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Non.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

II vous est assez difficile de juger de la sincérité de ce traité si vous ignorez les instructions données par Hitler au Parti clandestin d’Autriche, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Évidemment.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Considérons maintenant un ou deux autres points. J’aimerais que vous regardiez ce que dit M. Messersmith à la fin de 1925. Vous vous souvenez de cette déclaration ? (Je vais vous en donner la référence dans un moment.) Il y est dit :

« L’Europe ne veut pas renoncer à la fable suivant laquelle Neurath, Papen et Mackensen ne seraient pas des gens dangereux, mais des diplomates de la vieille école. Ils sont en fait les instruments serviles du régime et c’est précisément parce que le monde extérieur les considère comme inoffensifs que leur travail est plus efficace. Ils peuvent semer la discorde, simplement parce qu’ils disent qu’ils ne sont pas en sympathie avec le régime. »

Pouvez-vous nous citer, pour la période allant jusqu’à la date où M. Messersmith a fait cette déclaration, le 10 octobre 1935, une seule instruction de Hitler que vous n’ayez pas exécutée ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Je n’ai pas compris : une seule instruction... ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Monsieur le Président, je m’excuse, je n’ai pas donné la référence ; c’est le livre de documents 12, page 107. (Au témoin.) M. Messersmith dit que vous, l’accusé von Papen ainsi que von Mackensen étiez les instruments serviles du régime. Je vous demande si vous pourriez nous indiquer, jusqu’à la date où M. Messersmith a écrit ceci, le 10 octobre 1935, une seule instruction de Hitler que vous ayez refusé de mettre à exécution.

ACCUSÉ VON NEURATH

Non seulement une, mais beaucoup. J’ai déjà déclaré combien de fois je m’étais opposé à Hitler. J’ai déjà dit également ce que je pensais de la valeur de l’affidavit de M. Messersmith.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Accusé, je vous poserai la question d’une autre façon. Jusqu’au 10 octobre 1935, pouvez-vous dire au Tribunal quelle est la plus sérieuse mesure que Hitler vous a ordonné de prendre et à laquelle vous vous êtes opposé ; celle qui avait le plus d’importance, le plus de portée ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Pour l’instant... c’est une question à laquelle je ne peux pas répondre. Comment saurais-je quelle était l’affaire la plus sérieuse à laquelle je me sois opposé ? Je me suis opposé à toutes sortes de choses.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Si vous ne pouvez pas vous souvenir de ce que vous considériez comme le plus important, je ne vous importunerai pas davantage, mais je veux...

ACCUSÉ VON NEURATH

Mais exposez-moi simplement un fait ; mais faire, sans le moindre fondement, une allégation sans me donner la possibilité de la réfuter...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je vous avais demandé de nous le dire, mais je passerai maintenant à ce qu’a dit un autre diplomate américain. Je voudrais vous interroger sur le rapport de M. Bullitt, avec lequel je crois que vous êtes d’accord. C’est le document L-150, page 72 du livre de documents 12, Monsieur le Président. J’espère qu’il n’y a pas de différences de pagination. Page 72 de mon exemplaire.

LE PRÉSIDENT

Oui, c’est page 74.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, Monsieur le Président. 74, excusez-moi. (A l’accusé.) Après avoir dit qu’il avait eu un entretien avec vous, il dit : ’

« Von Neurath dit que la politique du Gouvernement allemand consistait à ne rien entreprendre en matière de politique étrangère jusqu’à ce que « la Rhénanie ait été digérée ». Il voulait dire par là que, jusqu’à ce que les fortifications allemandes aient été construites le long des frontières belge et française, le Gouvernement allemand ferait tout son possible pour prévenir plutôt que pour encourager un soulèvement des nazis en Autriche et poursuivrait une politique de calme envers la Tchécoslovaquie. « Dès que nos fortifications seront construites et que les pays de l’Europe centrale se seront rendu compte que la France ne peut pas pénétrer à loisir en territoire allemand, tous ces pays commenceront à avoir une conception différente de leur politique étrangère, et une nouvelle constellation se développera. »

Reconnaissez-vous avoir dit cela ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Oui, oui, certainement, j’ai déjà dit hier ou avant-hier avec précision ce que tout cela signifiait ; du reste il est indifférent .

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je voudrais savoir si vous êtes d’accord avec les conclusions que je propose, à savoir qu’aussitôt que vos fortifications seraient suffisamment en état le long de vos frontières de l’Ouest, vous essayeriez de réaliser l’Anschluss avec l’Autriche et de reprendre le pays des Sudètes à la Tchécoslovaquie. N’est-ce pas ce que cela veut dire ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Non, non, absolument pas. Cela ressort d’ailleurs très clairement. J’ai voulu dire par là, et j’ai dit, que ces pays, et notamment la Tchécoslovaquie et la France, modifieraient leur politique vis-à-vis de l’Allemagne, car ils ne pourraient plus la traverser aussi facilement.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Accusé, vous comprendez ce que je vous demande. Je crois m’être clairement exprimé : à l’époque où vous menaciez les Puissances occidentales de la remilitarisation de l’Allemagne et de la Rhénanie — c’était en 1935 et 1936 — vous donniez des assurances à l’Autriche comme Hitler l’a fait en 1935 ; et vous avez conclu le traité de 1936. Dès que vous avez eu digéré les premières mesures, vous vous êtes retourné contre l’Autriche et la Tchécoslovaquie en 1938. Je prétends que vous avez dit l’exacte vérité et que vous prophétisiez avec la précision d’une Cassandre. Je prétends que vous connaissiez parfaitement l’existence de telles intentions.

ACCUSÉ VON NEURATH

Quoi ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous dites que vous ne les connaissiez pas ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Non, absolument pas, absolument pas, absolument pas. C’est là une assertion de votre part qui n’est absolument pas prouvée.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je vois, bon. Nous n’en discuterons pas davantage, car nous avons encore à nous occuper d’une autre question avant d’en arriver à 1937.

Vous avez dit au Tribunal, non pas une fois mais à plusieurs reprises, que vous n’aviez pas approuvé l’attitude des nazis envers les Églises chrétiennes, leur politique d’oppression des Églises. Vous ai-je bien compris ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Oui, oui parfaitement.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous dites que vous vous êtes opposé et que vous êtes intervenu activement contre la persécution des Églises. Voulez-vous vous reporter au document PS-3758.

Monsieur le Président, ceci sera le document GB-516 vous le trouverez à la page 81 du livre de documents 12 (a). (A l’accusé.) C’est une note qui a dû être portée assez tôt, en 1936, dans le journal du ministère de la Justice du Reich :

« Le ministre des Affaires étrangères du Reich m’a adressé avec une note personnelle pour information confidentielle une lettre du cardinal secrétaire d’État Pacelli — c’est le Pape actuel — « adressée à notre ambassadeur, auprès du Vatican dans laquelle il demande une mesure de grâce envers le vicaire général Seelmeyer. Il fait remarquer à ce propos » — le ministre des Affaires étrangères — « qu’à la suite des graves accusations portées contre l’administration de la justice allemande par le Saint-Siège dans sa note du 29 janvier, il n’y a, à son avis, aucune raison de donner suite aux désirs du Vatican : il le recommande cependant puisque, pour des raisons de politique étrangère, il est important de ne pas laisser se refroidir les bonnes relations personnelles avec Pacelli. »

Accusé, voudriez-vous me signaler quelque chose qui montre que vous portiez le moindre intérêt personnel au sort du vicaire général Seelmayer ? Ou bien votre seule préoccupation était-elle de faire preuve d’une attitude ferme envers le Vatican, tant en maintenant vos bonnes relations avec le cardinal Pacelli ?

Dr VON LÜDINGHAUSEN

Ce document vient de m’être présenté. Je n’ai jamais eu l’occasion de le voir ni de m’informer de sa nature. Il n’a non plus jamais été question, que je sache, à ce Procès, d’un journal du ministre de la Justice du Reich ; et je ne sais donc pas non plus comment celui-ci a pu porter une telle note dans son journal. J’imagine qu’il s’agit là d’un passage qui a été détaché de son contexte et je ne puis absolument pas me rendre compte, et à plus forte raison l’accusé, de la signification de ce document. Je suis par conséquent obligé de protester contre cette question et contre le dépôt de ce document.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Ce document, qui a été saisi, est parfaitement en règle. C’est la copie du journal original du ministre de la Justice du Reich et il peut donc être utilisé contre l’accusé.

LE PRÉSIDENT

Docteur von Lüdinghausen, vous pouvez consulter l’original.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Monsieur le Président, mes collègues américains me signalent que ce journal a déjà été utilisé ; des extraits en ont été déposés contre l’accusé von Schirach.

ACCUSÉ VON NEURATH

Mais, Monsieur le Président, je n’ai aucune objection...

Dr VON LÜDINGHAUSEN

Je n’ai absolument rien compris, Monsieur le Président, je regrette, je n’ai rien compris... J’entends maintenant.

LE PRÉSIDENT

Quand vous faites une objection, prenez soin de contrôler la bonne marche de votre appareil. Je disais que vous pouviez consulter le document original et l’on me dit maintenant que le document a déjà été utilisé. Rien ne s’oppose donc à ce qu’on le produise au contre-interrogatoire. C’est un document saisi et vous pouvez voir l’original.

Dr VON LÜDINGHAUSEN

Je ne le savais pas.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Ce que je vous dis, accusé, c’est que votre déclaration au ministre de la Justice ne montre aucune préoccupation quant à ce prêtre au sujet duquel la plainte avait été faite. Elle se préoccupe uniquement de vos relations avec le Vatican et le cardinal Pacelli.- Est-ce que cela n’est pas caractéristique de vos interventions en faveur des prêtres maltraités ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Je ne puis évidemment pas me souvenir de ce cas particulier, mais d’après cette note, mon attitude est parfaitement justifiée. J’ai dit, toujours d’après cette note, que nous n’avions pas de raisons de faire preuve d’une complaisance particulière après les attaques portées par le cardinal secrétaire d’État, ou le Pape, contre la justice allemande : mais qu’en ma qualité de ministre des Affaires étrangères je tenais à garder de bonnes relations avec Pacelli. Je ne comprends pas ce que vous voulez en conclure.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je ne voudrais pas empiéter sur le domaine de mes collègues soviétiques ; mais le rapport tchèque vous accuse d’avoir, ainsi que votre Gouvernement, fait preuve d’une indifférence complète devant les mauvais traitements infligés aux catholiques, aux protestants, à l’Église nationale tchèque et même à l’Église grecque de Tchécoslovaquie. Vous savez que toutes ces Églises ont souffert sous votre Protectorat. Êtes-vous d’accord avec moi sur ce point ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Non, en aucune façon.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je n’entrerai pas dans les détails. Je prétends simplement que vous ne vous préoccupiez guère des différentes Églises.

ACCUSÉ VON NEURATH

Voilà encore une assertion qui vous est personnelle et que vous ne pouvez pas prouver.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je voudrais simplement préciser un point. Vous souvenez-vous d’avoir ce matin parlé au Tribunal des excellentes relations que vous aviez avec l’archevêque de Prague ?

ACCUSÉ VON NEURATH

J’ai dit que j’étais en bonnes relations avec l’archevêque.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je voudrais que vous regardiez cette copie.

Monsieur le Président, ceci est une copie, mais le général Ecer m’assure qu’il peut obtenir du Gouvernement tchèque l’original de ce document. Je ne l’ai reçue il n’y a qu’une heure. Le général Ecer, qui arrive de Tchécoslovaquie, me dit qu’il s’en porte garant. J’aimerais que l’accusé en prenne connaissance. N’est-ce pas une lettre que vous avez reçue de l’archevêque de Prague ? C’est le document D-920 (GB-517), Monsieur le Président.

« Excellence et très honoré M. le Protecteur. Votre lettre m’a causé une telle douleur, puisque j’ai dû en déduire que Votre Excellence elle-même ne voulait me croire, que j’ai perdu connaissance et que j’ai dû appeler le professeur Jirasek, qui est resté une heure à mon chevet. Il reviendra aujourd’hui avec un spécialiste des maladies internes » — dont il donne le nom.

« Votre Excellence peut être convaincue que je ferai toujours tout mon possible pour lui être agréable ; je la prie cependant d’avoir pitié de moi et de ne pas me demander d’agir contre les lois de l’Église.

« Avec... » etc.

« Karl, cardinal Kaspar, m. p. prince archevêque. »

Vous souvenez-vous de cela ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Je ne peux pas dire à quoi cela se rapporte. Je n’en ai pas la moindre idée ; cela n’est pas indiqué et je ne peux pas vous dire à quoi cela se rapporte.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous ne vous souvenez pas que l’archevêque vous a écrit pour vous dire quelle était la maladie dont il souffrait et vous supplier de ne pas le forcer à contrevenir aux lois de l’Église ? Vous ne vous en souvenez pas du tout ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Non.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Très bien ; restons-en là. Je voudrais maintenant, avant que nous ne passions aux événements qui se sont passés plus tard, en 1937, vous demander ceci : vous vous souvenez d’avoir parlé hier du discours que vous avez prononcé, je crois, devant l’académie de Droit allemand ? Vous souvenez-vous de ce discours d’août 1937 ? Je peux vous donner une indication. Voudriez-vous le voir ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Non. Il suffit que vous me disiez où j’ai parlé.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous vous souvenez ? Je ne voulais que gagner du temps. Vous ne vous souvenez pas ? Je vais vous le faire soumettre.

C’est le discours du 29 août 1937 ; je vais vous en donner la référence dans un instant. Je voudrais vous demander ceci : vous dites : « L’unité de la volonté raciale et nationale réalisée par le national-socialisme avec une puissance sans précédent a rendu possible une politique étrangère qui a rompu les chaînes du Traité de Versailles ». Qu’entendez-vous par « unité de la volonté raciale réalisée par le national-socialisme ? »

ACCUSÉ VON NEURATH

Je voulais vraisemblablement dire par là que l’unité allemande était plus forte qu’avant mais je ne puis pas vous dire aujourd’hui exactement ce que je voulais dire par là. D’ailleurs, je ne faisais là que constater un fait.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui. Dites-moi maintenant ceci : c’était en août 1937 ; vous avez dit au Tribunal quel effet avaient produit sur vous Ies paroles de Hitler du 5 novembre 1937 et votre avocat a déposé une déclaration de la baronne von Ritter. Après ces paroles...

ACCUSÉ VON NEURATH

Au mois de novembre ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, novembre 1937.

ACCUSÉ VON NEURATH

En effet.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Après que ces paroles eurent produit cet effet sur vous, avec lesquelles des personnes qui avaient été présentes à la conférence Hossbach en avez-vous parlé ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Cette conférence n’eut pas lieu à Berchtesgaden ; c’est une erreur, c’était à Berlin.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je n’ai pas parlé de Berchtesgaden ; j’ai dit : la conférence Hossbach. Nous l’appelons conférence Hossbach parce que c’est Hossbach qui en a rédigé le procès-verbal.

ACCUSÉ VON NEURATH

J’ai déjà dit hier que j’avais parlé avec le général von Fritsch et le général Beck qui était alors chef de l’État-Major général. J’ai expliqué également que nous nous étions mis d’accord pour agir en commun contre les tendances que Hitler avait exprimés dans ce discours.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

En avez-vous parlé à Hitler ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Oui, c’était... J’ai dit hier, de façon détaillée, que je n’étais parvenu à parler à Hitler que le 14 ou le 15 janvier parce qu’il n’était pas à Berlin et que je ne pouvais pas le voir. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai donné ma démission.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

En avez-vous parlé à Göring ou Raeder ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Non.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je voudrais maintenant que vous me disiez un mot ou deux sur ce conseil secret de cabinet dont vous avez été nommé président après votre départ des Affaires étrangères. Voudriez-vous vous reporter aux premières phrases du procès-verbal de la réunion du 5 novembre ?

Monsieur le Président, c’est à la page 81 du livre de documents anglais n° 12 et à la page 93 du livre de documents allemand. Les deux premières phrases seulement, accusé :

« Le Führer déclara pour commencer que le sujet de la conférence d’aujourd’hui avait une si grande importance pour d’autres pays que la discussion s’en ferait certainement devant le conseil de cabinet au complet. Toutefois, en raison précisément de cette importance, il avait décidé de ne pas discuter cette affaire devant le cabinet entier. »

Ensuite, si vous voulez regarder la liste des présents, le Führer, le ministre de la Guerre, les trois commandants en chef, le ministre des Affaires étrangères.

Accusé, supposons qu’en février ou en mars 1938 Hitler ait désiré discuter de la question autrichienne devant le même conseil, le même nombre restreint de personnes, qui aurait remplacé les personnes présentes ce jour-là. A la place de von Blomberg et de von Fritsch, nous aurions eu l’accusé Keitel, en tant que chef de l’OKW et von Brauchitsch, à titre de Commandant en chef, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Oui, je crois.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Raeder et Göring auraient gardé leurs postes. L’accusé Ribbentrop vous aurait remplacé et vous auriez été président du conseil secret de cabinet ; Lammers était secrétaire de la Chancellerie et Goebbels aurait occupé un poste plus important comme ministre de la Propagande.

Je voudrais que vous regardiez maintenant quels étaient les gens qui formaient le comité secret de cabinet. Vous trouverez cela, Monsieur le Président, à la page 8 du livre de documents n° 12, page 7 du livre allemand.

Il y a l’accusé von Ribbentrop, l’accusé Göring, le représentant du Führer, Hess, le Dr Goebbels, le chef de la Chancellerie, Lammers, von Brauchitsch, Raeder et Keitel. Vous avez dit, si je vous ai bien compris, que ce conseil secret de cabinet n’avait pas d’existence réelle ? C’est bien cela ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Oui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Pourquoi receviez-vous des fonds spéciaux pour obtenir des informations diplomatiques, en qualité de chef du conseil secret de cabinet ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Je n’en ai pas reçu, j’aimerais bien savoir...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous n’en avez pas reçu ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Non.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Voyons donc le document PS-3945 ; c’est à la page 129 du livre de documents 12 (a), Monsieur le Président. Ce sera le numéro GB-518. C’est une lettre de Lammers adressée à vous le 28 août 1939 :

« Conformément à votre requête, j’ai fait remettre au conseiller Köppen la somme de 10.000 RM. qui avait été mise à votre disposition pour des dépenses spéciales se rapportant à l’obtention de renseignements diplomatiques.

« Je joins à la présente le projet d’une attestation justifiant ces dépenses, en vous priant de me faire parvenir cette attestation après exécution et au plus tard à la fin de l’exercice. »

Et si vous vous reportez à la page suivante, page 131, vous voyez qu’à la fin de mars, c’est-à-dire vers la fin de l’exercice, vous avez signé une attestation déclarant :

« Reçu 10.000 RM. de la Chancellerie du Reich pour dépenses spéciales se rapportant à l’obtention de renseignements diplomatiques. »

Voudriez-vous nous dire pourquoi vous receviez des fonds spéciaux en vue d’obtenir des renseignements diplomatiques ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Oui, cela je peux vous le dire. C’est une expression que j’ai employée à la demande de Lammers, qui disposait des caisses de la Chancellerie du Reich, afin d’obtenir les sommes nécessaires au paiement du salaire d’un secrétaire et d’un dactylographe. Je ne sais pas exactement vis-à-vis de quelle autorité, de quelle administration — c’était le ministère des Finances — il fallait que je justifie l’emploi de cette somme. Je n’avais pas un budget spécial et M. Lammers m’a demandé de me servir de cette expression. Cela ressort de cette attestation, qui se trouve là aussi.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je vais en venir aux autres lettres ; mais pourquoi fallait-il que les dépenses nécessaires à votre secrétariat et à votre dactylographe ne soient pas portées normalement ? Comme il ressort des pages 134 et 135... C’est aux pages 134 et 135, Monsieur le Président.

ACCUSÉ VON NEURATH

Je viens justement de dire que...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Voulez-vous voir à la nage 134 la lettre que vous avez adressée à Larnmers : « Il est nécessaire, dans mon service, d’engager des dépenses spéciales qu’il ne me paraît pas recommandé de faire apparaître. »

Pourquoi n’était-il pas souhaitable de faire apparaître les dépenses concernant votre secrétaire et votre dactylographe ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Actuellement, -je n’en sais plus exactement la raison, mais en tous cas. en aucune façon je n’avais besoin de fonds pour obtenir des renseignements diplomatiques. Ce sont uniquement des frais de bureau, et plus loin, dans la lettre que vous m’avez...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Mais...

ACCUSÉ VON NEURATH

Laissez-moi finir, je vous prie.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Certainement.

ACCUSÉ VON NEURATH

Il y a là un rapport de mon secrétaire, dans lequel il dit qu’il faudrait... Non ce n’est pas cette lettre...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Si vous avez fini, je pense que vous alliez me dire ce que c’étaient des frais de bureau. Voudriez-vous regarder le document PS-3958, qui devient GB-519, Monsieur le Président. Il en ressort que vos dépenses de bureau apparaissent au budget normal. C’est une lettre qui vous est adressée, en date du 8 avril 1942.

LE PRÉSIDENT

Figure-t-elle dans le livre ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, Monsieur le Président, à la page 140. Je vous prie de m’excuser. (Au témoin.) C’est la lettre qui vous est adressée, et qui dit :

« Le ministre des Finances du Reich a consenti à ce que les demandes budgétaires que vous avez présentées pour l’exercice 1942 apparaissent au plan spécial 1. Je n’ai, par conséquent, pas d’objection à accorder les fonds nécessaires dès avant l’établissement du plan spécial 1, dans les limites des sommes suivantes, à savoir : pour les dépenses administratives personnelles, jusqu’à 28.500 RM ; pour les dépenses administratives officielles, jusqu’à 25.500 RM ; au total 54.000 RM. »

Ceci prévoyait vos dépenses de bureau et vos dépenses personnelles pour cette même période pour laquelle vous obteniez ces crédits supplémentaires.

Je prétends donc que les sommes de 10.000 RM que vous obteniez de temps en temps n’étaient pas consacrées à des dépenses de bureau et je vous prie de dire au Tribunal à quoi elles étaient destinées.

ACCUSÉ VON NEURATH

Je serai très content de l’apprendre également, car je ne le sais plus moi-même.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Cependant, voici les lettres et vous avez touché cet argent. Ne pouvez-vous pas dire au Tribunal pourquoi vous l’avez reçu ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Je ne peux pas vous le dire pour le moment. Peut-être pourrai-je vous le dire plus tard.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Peut-être pour obtenir des renseignements d’ordre diplomatique ; il est indiqué...

Monsieur le Président, le Dr von Lüdinghausen fait remarquer que la lettre dont je parle est datée de 1939. Bien entendu, il y a d’autres lettres, que je n’ai pas voulu présenter une à une au Tribunal. Mais il y a une autre lettre dans laquelle on parle d’un paiement effectué le 9 mars 1941 et une autre référence à un paiement effectué le 30 juin 1943. Ces documents se trouvent aux pages 133 et 134. Je m’excuse de ne pas avoir indiqué ces détails.

LE PRÉSIDENT

La lettre qui figure à la page 137 et qui se rapporte peut-être à cette affaire est signée « K ». Est-ce la personne qui avait fait les demandes précédentes ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui. Accusé, voudriez-vous vous y reporter. C’est le document PS-3945, une lettre du 14 juillet 1943 signée « K » :

« Au cours des démarches que j’ai effectuées au sujet de ces fonds spéciaux, les fonctionnaires qualifiés de la Chancellerie du Reich ont fait preuve d’une attitude particulièrement compréhensive et m’ont demandé de leur remettre une demande écrite de Votre Excellence. Sur mon objection que je ne voulais pas présenter une telle demande avant que le succès soit certain, ils m’ont demandé un petit délai en vue d’un nouvel échange de vues. Quelques jours plus tard, j’ai été averti que je pouvais soumettre la demande sans hésitation ; j’ai donc remis la lettre que j’avais gardée jusque-là. La somme demandée m’a été remise aujourd’hui et je l’ai fait figurer comme crédit à mon livre de caisse spécial. »

ACCUSÉ VON NEURATH

Oui, mais, néanmoins.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Ceci ne vous aide-t-il pas ? Pouvez-vous dire au Tribunal quelles étaient les dépenses spéciales pour l’obtention de renseignements d’ordre diplomatiques en vue desquelles vous avez reçu cet argent ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Je regrette infiniment, mais je ne puis absolument pas me souvenir de toute cette histoire. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que cette lettre est du 14 juillet 1943, époque à laquelle je n’exerçais plus aucune activité ; j’étais parti définitivement. Pour le moment, je ne m’en souviens pas.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

C’est bien étrange. Dans une autre lettre, le document n° PS-3958 du 18 janvier 1943, et d’autres lettres datant du 4 mars et du 20 avril, on trouve l’explication de la fin de votre séjour dans votre maison du 28 de la Rheinbabenallee et l’indication du moment où vos dépenses ont cessé et où vous vous êtes retiré à la campagne. Je voulais précisément vous poser quelques questions à propos de cette maison. Voulez-vous regarder l’affidavit de M. Geist, le consul américain. C’est le document PS-1759 (USA-420), Monsieur le Président. Je m’y suis référé ce matin. (Au témoin.) Le passage dont je voudrais que vous nous parliez est au milieu du paragraphe. C’est à la page 11 du texte anglais de l’affidavit, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Avez-vous le document isolé ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, Monsieur le Président, c’est au bas de la page 11. L’alinéa commence par :

« Un autre incident de la même nature s’est produit avec mon propriétaire... »

LE PRÉSIDENT

Oui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Si Votre Honneur veut descendre dix lignes plus bas, après avoir expliqué comment son propriétaire avait été contraint de céder sa maison aux SS, il poursuit :

« Je sais que, dans bien des cas, quand on jugeait nécessaire d’exercer une pression plus forte, l’acquéreur éventuel ou son agent se faisait accompagner par un SS ou un SA en uniforme. Je sais, parce que j’ai vécu dans le voisinage immédiat et que je connais les personnes en question, que le baron von Neurath, qui fut un moment ministre des Affaires étrangères d’Allemagne, a obtenu sa maison d’un Juif de cette manière. Il était mon voisin immédiat à Dahlem. La maison de von Neurath valait environ 250.000 dollars. » (Au témoin.) État-ce la maison du 23 Rheinbabenallee.

ACCUSÉ VON NEURATH

Oui, oui...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Qui l’a achetée pour vous, afin que le président de ce conseil secret de cabinet qui n’existait pas puisse l’utiliser comme résidence officielle ? Qui l’a achetée ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Je n’ai pas compris. Qui l’a... »

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Qui a acheté la maison du 23 Rheinbabenallee ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Je peux vous raconter cela : en 1937, lorsque Hitler fit construire les grands bâtiments de sa chancellerie, il me déclara un jour qu’il faudrait que je déménage de la maison que j’occupais alors derrière le ministère des Affaires étrangères : le jardin devait être annexé à la chancellerie et la maison détruite.

Il avait donné des instructions à l’administration du bâtiment pour qu’on me cherchât d’autres résidences. Cette administration me proposa plusieurs villas, dont des Juifs avaient été dépossédés, mais je les refusai. Force me fut donc de chercher moi-même. Mon médecin à qui, par hasard, je faisais part de mes difficultés, me dit qu’il en connaissait une à Dahlem ; il était également le médecin du propriétaire, qui était un lieutenant-colonel Glotz, le frère d’un de mes amis intimes. Je signalai cela à l’administration du bâtiment et lui demandai de se mettre en rapport avec ce monsieur. Ces pourparlers menés par l’administration du bâtiment aboutirent à un contrat de vente, au prix indiqué par M. Geist, pas en dollars mais en Mark ; à la demande du lieutenant-colonel Glotz, cette somme lui fut payée en espèces et j’ai pu obtenir du ministère des Finances qu’elle fût transférée en Suisse comme il l’avait demandé.

Je tiens à faire remarquer que j’étais encore ministre des Affaires étrangères à ce moment-là. Plus tard, je suis resté dans cette maison pour la bonne raison que je n’avais pas d’autre demeure. M. von Ribbentrop, mon successeur, s’était installé dans l’ancien palais de la présidence du Reich. En 1943, la maison fut détruite.

Pour le moment, je ne m’explique toujours pas à quoi étaient destinées ces sommes, si c’étaient des versements effectués par la trésorerie du Reich. Avec la meilleure volonté, je ne peux pas vous le dire exactement. En tout cas, les assertions de M. Geist sont absolument fausses, comme je viens de le dire. Je n’ai pas acheté cette maison à un Juif, mais à un chrétien, le lieutenant-colonel Glotz.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous dites que vous avez transféré l’argent en Suisse, à son compte ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Moi ? Oui, car M. Glotz allait en Suisse. Je crois d’ailleurs que sa femme n’était pas aryenne.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Bien. Je voudrais simplement lire la phrase suivante, après quoi nous laisserons ce document :

« Je sais également qu’Alfred Rosenberg, qui habitait dans la même rue, obtint une maison d’un Juif d’une façon semblable. »

Savez-vous quelque chose là-dessus ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Je ne sais absolument pas comment M. Rosenberg s’est procuré sa maison.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Accusé, passons maintenant à mars 1938. Peut-être pourrai-je résumer, si je vous ai bien compris. Vous savez que le Ministère Public fait état de votre réponse à l’ambassadeur britannique au sujet de l’Anschluss. Si je vous comprends bien, vous prétendez maintenant que votre réponse était inexacte, mais que vous l’avez faite à l’époque au mieux de vos informations ?

ACCUSÉ VON NEURATH

C’est parfaitement exact, c’est vrai. C’était une assertion inexacte, mais je n’étais pas mieux renseigné.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous prétendez que vous n’aviez, ni par Hitler ni par Göring, entendu parler de ces ultimatums qui ont été adressés d’abord à M. von Schuschnigg, puis à M. Miklas ? Vous n’en saviez rien ? Est-ce cela que vous prétendez ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Non. A ce moment-là, je n’en savais rien ; je ne l’ai appris qu’ultérieurement.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Monsieur le Président, je vais abandonner cette question ; nous n’allons pas entrer dans les détails. Nous en avons déjà parlé plusieurs fois et l’accusé ne conteste pas l’exactitude de ces affirmations.

LE PRÉSIDENT

J’aimerais savoir quand il a eu connaissance des événements réels ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je vous remercie, Monsieur le Président. Accusé, quand avez-vous appris ce qui s’était réellement passé ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Les détails, je ne les ai appris qu’ici lorsque m’a été soumis ce rapport du conseiller de légation Hewel ; j’avais bien entendu dire plus tôt qu’une pression avait été exercée sur M. Schuschnigg, mais c’est tout. Les détails exacts, je ne les ai appris qu’ici, à Nuremberg.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je voudrais simplement tirer cela au clair. Vous dites qu’entre le 11 mars et votre arrivée à Nuremberg vous n’aviez jamais entendu parler de la menace d’entrer en Autriche faite par l’accusé Göring, ou en son nom, par Keppler ou le général Muff ? Vous n’en avez jamais entendu parler ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Non, je n’en avais rien entendu dire.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je voudrais vous poser quelques questions au sujet des assurances que vous avez données à M. Mastny, le ministre tchécoslovaque à Berlin. Je voudrais que vous regardiez le document TC-27 que vous trouverez dans le livre de documents n° 12, page 123 ; le passage sur lequel je désire vous interroger est au sixième alinéa. Après un exposé d’une conversation avec l’accusé Göring sur la mobilisation tchécoslovaque, on lit :

« M. Mastny était en mesure de lui donner des assurances précises et formelles sous ce rapport » — c’est-à-dire sur la mobilisation tchèque — « et aujourd’hui » — c’est-à-dire le 12 mars — « il a parlé au baron von Neurath qui, entre autres, lui a donné l’assurance, au nom de M. Hitler, que l’Allemagne se considérait toujours comme liée par la Convention d’arbitrage germano-tchécoslovaque, signée à Locarno en octobre 1925. »

Vous avez dit au Tribunal, et nous en avons eu le témoignage par la baronne Ritter, que la rencontre du 5 novembre avait eu sur vous cet effet très pénible et vous avait provoqué une grave crise cardiaque. Une des questions qui ont été discutées à cette rencontre était l’attaque non seulement de l’Autriche, mais aussi de la Tchécoslovaquie, pour protéger le flanc de l’Allemagne. Pourquoi pensiez-vous le 12 mars que Hitler se considérait toujours comme lié par le Traité d’arbitrage germano-tchécoslovaque d’après lequel il devait soumettre tout différend avec la Tchécoslovaquie au Conseil de la Société des Nations ou à la cour de Justice internationale ? Comment pouviez-vous penser qu’il fût possible que Hitler soumît un différend avec la Tchécoslovaquie à l’un de ces deux organismes ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Je peux vous le dire très exactement. J’ai déjà déclaré hier que, le 11 au soir, Hitler, pour des raisons qui aujourd’hui encore, ne me sont pas tout à fait claires, m’a fait venir et m’a déclaré que l’entrée en Autriche allait se produire la nuit même ; sur mon observation que cela provoquerait une grande inquiétude en Tchécoslovaquie, il me déclara qu’il n’avait alors aucune intention envers la Tchécoslovaquie et qu’il était... qu’il espérait même que l’invasion ou l’occupation de l’Autriche améliorerait considérablement les rapports avec la Tchécoslovaquie.

De cette phrase et de l’assurance qu’il ne se produirait rien, j’ai déduit que les choses resteraient ce qu’elles étaient et que, bien entendu, nous étions toujours liés au traité de 1925. C’est donc en toute bonne foi que j’ai pu donner cette assurance à M. Mastny.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Aviez-vous confiance en la parole de Hitler le 12 mars ? Aviez-vous encore confiance en sa parole le 12 mars 1938 ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Oui, à cette époque encore.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je croyais que von Fritsch était un de vos amis, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Oui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous ne pensiez pas qu’il était coupable d’homosexualité, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Non, jamais.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Ne saviez-vous pas qu’en janvier 1938 il avait été victime d’une accusation semblable, montée de toutes pièces ?

LE PRÉSIDENT

Voudriez-vous répondre, au lieu de hocher la tête ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Oui, je le savais, j’avais appris que cette accusation avait été montée de toutes pièces, et j’ai pensé qu’elle l’avait été par la Gestapo, mais non pas par Hitler.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Ne saviez-vous pas que ces deux assertions ignobles sur le maréchal von Blomberg et sur le général von Fritsch avaient été inventées par les membres de la bande nazie qui étaient vos collègues au Gouvernement ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Je n’en connaissais pas les détails.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous vous souvenez qu’à l’époque de Munich, quand vous êtes rentré en activité pour un certain temps, le Président Bénès s’est référé à cette Convention d’arbitrage germano-tchécoslovaque, et que Hitler a rejeté cet appel. Vous en souvenez-vous ? C’était en septembre 1938.

ACCUSÉ VON NEURATH

Non, je n’en sais rien, car je n’étais plus en fonctions à ce moment-là et je n’ai pas eu à juger de ces questions. Je n’en sais rien.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous ne saviez donc pas. Cela a pourtant paru dans la presse allemande et dans la presse de tous les autres pays : il en a appelé à ce traité, mais Hitler a refusé de prendre cette demande en considération. Vous prétendez donc que vous pensiez de bonne foi, le 12 mars que Hitler respecterait cette convention d’arbitrage ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Oui, je n’avais aucune crainte à ce sujet.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Monsieur le Président, il serait peut-être temps de suspendre l’audience.

(L’audience est suspendue.)
SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Accusé, vous avez parlé hier du mémorandum du lieutenant général Friderici ; vous souvenez-vous que, dans ce mémorandum, il se réfère à un mémorandum, rédigé par vous sur la question du traitement à réserver à la Tchécoslovaquie ? J’aimerais que vous regardiez le document PS-3859 afin que le Tribunal puisse juger de votre attitude envers les Tchécoslovaques d’après votre propre rapport.

C’est à la page 107 du livre de documents 12 (a), Monsieur le Président.

D’abord, je vais lire votre lettre à Lammers, en date du 31 août 1940. Ceci sera le numéro GB-520. Vous écrivez : « Cher M. Lammers, je vous adresse ci-inclus le mémorandum dont je vous ai parlé dans ma lettre du 13 juillet 1940 au sujet de l’organisation future du pays de Bohèmes-Moravie. J’y joins un second mémorandum traitant de la même question, que mon secrétaire d’État K. H. Frank a établi indépendamment de moi, mais dont l’esprit aboutit au même résultat » — et je vous prie de noter ceci — « et avec lequel je suis absolument d’accord. Je vous prie de présenter ces deux mémorandums au Führer et de préparer une entrevue personnelle pour moi-même et pour le secrétaire d’État Frank.

« Ayant entendu dire de source privée que certains services du Parti et autres désirent soumettre des propositions au Führer en vue de séparer différentes parties du Protectorat placé sous mon autorité, sans que je connaisse ces projets dans le détail, je vous serais reconnaissant si vous pouviez faire en sorte que mon entrevue ait lieu assez tôt pour que, comme Protecteur du Reich compétent et spécialiste du problème tchécoslovaque, j’aie l’occasion, avec mon secrétaire d’État, de présenter mes opinions au Führer avant que toutes sortes de plans ne puissent lui être suggérés par d’autres personnes. »

Maintenant, je vais passer à ce que je considère comme l’essentiel de votre mémorandum qui se trouve à la page suivante. Prenons le premier paragraphe, section 1 :

« Toutes les considérations sur l’organisation future de la Bohême et de Moravie doivent être basées sur le but à assigner à ces territoires, du point de vue de la politique d’État et de la politique raciale. Du point de vue de la politique d’État, il ne peut y avoir qu’un seul but : incorporation complète dans le Grand Reich allemand. Du point de vue de la politique raciale : remplir ce territoire avec une population allemande. »

Ensuite, vous montrez la voie à suivre ; si vous voulez passer à la section II, au milieu du deuxième paragraphe, vous verrez un alinéa qui commence par (c’est en haut de la page 109, Monsieur le Président) :

« Ces 7.200.000 Tchèques, dont 3.400.000 résident dans les villes et dans les communes de plus de 2.000 habitants et 3.800.000 dans les communes de moins de 2.000 habitants et à la campagne, sont menés et influencés par une classe d’intellectuels beaucoup trop importante par rapport à l’importance du pays. Cette partie de la population a également essayé, plus ou moins ouvertement, après les changements constitutionnels qui sont intervenus dans le pays, de saboter, ou du moins de retarder les mesures nécessaires qui devaient faire évoluer le pays vers ce nouvel état de choses. Le reste de la population, c’est-à-dire les artisans, les paysans, les travailleurs, s’adapte beaucoup mieux aux nouvelles conditions. »

Voulez-vous maintenant passer au troisième paragraphe :

« Ce serait une grave erreur d’en déduire que le Gouvernement et la population ont fait preuve de cette attitude correcte parce qu’ils ont accepté en leur for intérieur la perte de l’indépendance de leur État et leur incorporation à la Grande Allemagne. L’Allemand est toujours considéré comme un intrus gênant, et le désir de revenir à l’ancien état de choses est toujours présent, même s’il n’est pas exprimé ouvertement.

« La population se soumet en gros aux nouvelles conditions, mais elle ne le fait que parce qu’elle est suffisamment raisonnable, ou parce qu’elle a peur des conséquences de sa désobéissance. Elle ne le fait certes pas par conviction. Cet état d’esprit subsistera longtemps encore. »

Je passe à la section III :

« Ceci étant, il faut prendre une décision sur ce qu’il convient de faire du peuple tchécoslovaque, pour parvenir aussi rapidement et aussi complètement que possible à la réalisation de cet objectif : incorporer le pays et y mettre des Allemands.

« La solution radicale et théoriquement la plus parfaite consisterait à évacuer tous les Tchèques du pays et à les remplacer par des Allemands. »

Puis, vous dites que « cela n’est pas possible parce qu’il n’y a pas assez d’Allemands pour remplir immédiatement le pays ». Si vous voulez passer à la seconde moitié du paragraphe 2, vous dites (ce sont les six dernières lignes de la page 110, Monsieur le Président) :

« En ce qui concerne les Tchèques, il serait préférable, d’une part, de garder, en les choisissant individuellement, ceux qui se prêteraient à être germanisés, et d’autre part, de se débarrasser des éléments inutilisables du point de vue racial ou hostiles au Reich (c’est-à-dire la classe intellectuelle qui s’est développée durant les vingt dernières années). Ce processus permettra de réaliser la germanisation de façon satisfaisante. »

Accusé, vous savez que l’Acte d’accusation de ce Procès vous impute, ainsi qu’à vos coaccusés, entre autres crimes, celui de génocide, c’est-à-dire l’extermination de groupes raciaux et nationaux, ou, comme le dit le livre bien connu du Pr Lemkin, « un plan coordonné de différentes actions visant à la destruction des bases essentielles de la vie de groupes nationaux, dans le but d’exterminer lesdits groupes ». Ce que vous vouliez faire, c’était vous débarrasser des professeurs, écrivains et artistes tchécoslovaques, que vous appeliez la classe intellectuelle, des gens qui auraient pu transmettre l’histoire et les traditions de la Tchécoslovaquie aux générations à venir. Voilà les gens que vous vouliez supprimer de la manière que vous exposez dans votre mémorandum. C’est bien cela n’est-ce pas ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Pas tout à fait. Il y a là...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Avant que vous ne répondiez, je voudrais savoir ce que vous vouliez dire dans le dernier passage que j’ai lu :

« ... se débarrasser des éléments inutilisables du point de vue racial ou hostiles au Reich (c’est-à-dire la classe intellectuelle qui s’est développée au cours des vingt dernières années) ». Pensiez-vous ce que vous disiez ? Disiez-vous la vérité en disant qu’il était nécessaire de se débarrasser de la classe intellectuelle ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Je ne puis dire qu’une seule chose : oui et non. Mais je voudrais dire d’abord que de ce rapport on peut déduire que le mémorandum a été écrit par Frank. J’y ai souscrit ; c’était le 31 août 1940. Le mémorandum qui me... Le mémorandum cité dans le rapport Friderici date, je crois, d’une époque ultérieure. Je ne le sais plus de mémoire maintenant.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je pense que vous allez trouver. Je vais vous montrer dans un instant la lettre de Ziemke qui reproduit le point de vue de Hitler. Je crois que vous verrez que c’est de ce mémorandum que s’est occupé Hitler. Je vous montrerai le mémorandum de Frank tout à l’heure. Je vous fais remarquer que vous dites à Lammers que vous aviez joint à votre mémorandum un autre document dont je vous lirai l’essentiel tout à l’heure, et qui est le mémorandum de Karl Hermann Frank. Mais ceci est...

ACCUSÉ VON NEURATH

Ils sont tous deux de Frank.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je vous montrerai... Non. Regardez votre propre lettre du 31 août : « Je vous adresse ci-inclus le mémorandum » et, un peu plus loin : « J’y joins un second mémorandum... que mon secrétaire d’État K. H. Frank a établi indépendamment de moi... et avec lequel je suis entièrement d’accord ». Je prétends que vous savez que c’est bien votre mémorandum auquel se réfère le document Friderici...

C’est à la page 132 du livre de documents 12, Monsieur le Président.

Le général Friderici dit :

« Après mûre réflexion, le Protecteur du Reich a exprimé dans un mémorandum son point de vue sur les différents plans. » Je prétends qu’il s’agit ici de votre mémorandum, de celui que vous avez envoyé à Lammers pour le faire soumettre à Hitler. Prétendez-vous réellement devant le Tribunal que ce mémorandum ne vient pas de vous ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Non, je ne veux pas l’affirmer, car pour l’instant je ne m’en souviens vraiment plus. Ce n’est pas moi qui l’ai rédigé, mais j’ai fait mien son contenu. Cela est d’ailleurs dans la lettre à Lammers.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Sa vous approuviez son contenu, que vouliez-vous dire quand vous disiez qu’il faudrait se débarrasser de la classe intellectuelle sinon que vous vouliez détruire l’intégrité nationale des Tchèques et chasser tous les gens qui pourraient perpétuer l’histoire, les traditions et le langage ? N’est-ce pas la raison pour laquelle vous vouliez expulser la classe intellectuelle ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Je n’ai jamais parlé d’extermination, mais la classe intellectuelle...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

J’ai dit « expulser ».

ACCUSÉ VON NEURATH

Ah bien...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

C’est votre propre terme.

ACCUSÉ VON NEURATH

Les intellectuels représentaient le plus grand obstacle à la collaboration germano-tchèque, et si l’on voulait y parvenir, ce qui était le but de notre politique, il fallait que ces intellectuels, d’une façon ou d’une autre, soient éliminés, et surtout que leur influence soit réduite. C’était le sens de cet exposé.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous dites : « parvenir au but de notre politique », mais le but de votre politique était de détruire le peuple tchécoslovaque en tant que nation avec sa langue, son histoire, ses traditions, et de l’assimiler au Grand Reich allemand. C’était là votre politique, n’est-ce pas ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Ma politique consistait d’abord à assimiler les Tchèques dans la mesure du possible, mais en dernière analyse, cela n’aurait pas été réalisé après plusieurs générations. Il s’agissait d’abord d’établir une collaboration afin de maintenir l’ordre et le calme.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Avant de vous présenter le mémorandum de Frank, avec lequel vous vous êtes déclaré entièrement d’accord, voulez-vous regarder la section VII de votre propre mémorandum.

Monsieur le Président, c’est à la page 113 du livre de documents 12 (a).

Vous dites :

« Si l’on considère les tâches énormes qui incomberont à l’Allemagne, après une telle guerre victorieuse, chacun doit comprendre clairement qu’il est nécessaire d’utiliser les Allemands d’une manière rationnelle et économique. Il y a tellement de tâches à entreprendre au plus tôt et toutes à la fois, qu’il est absolument nécessaire de prévoir une utilisation prudente et réfléchie des Allemands aptes à les effectuer. Le Grand Reich allemand devra, dans une large mesure, utiliser les étrangers dans tous les domaines annexes, et se limiter à nommer des Allemands aux positions-clés et à prendre en mains les seules branches de l’administration publique pour lesquelles les intérêts du Reich en feront une nécessité absolue. »

Dans ce mémorandum, vous établissez les plans en vue du traitement à réserver aux Tchèques après la victoire allemande : ils devaient disparaître en tant que nation et être incorporés au Reich allemand. N’était-ce pas là votre intention ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Faire disparaître les Tchèques en tant que peuple était absolument impossible. Cela n’était pas possible ; mais ils devaient être incorporés plus étroitement au Reich, et c’est cela que j’entends par le terme « assimiler ». D’ailleurs, il est également dit dans ce mémorandum — plus haut, bien plus haut — que du point de vue racial, si l’on peut se servir de cette expression peu désirable, il y avait énormément d’Allemands en Tchécoslovaquie.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Voulez-vous maintenant tourner la page et regarder ce que dit le mémorandum de votre secrétaire d’État avec lequel vous étiez entièrement d’accord.

Monsieur le Président, cela figure à la page 115 de l’annexe n° 2. Le secrétaire d’État expose le problème et dit à la deuxième phrase :

« La question de savoir si le Protectorat, avec un Protecteur à sa tête, est capable de résoudre le problème tchèque et doit donc être maintenu, ou s’il devra faire place à un autre système, a été soulevée de plusieurs côtés et fait l’objet de ce mémorandum. Il a pour but : a) d’exposer la nature du problème tchèque ; b) d’analyser la forme actuelle sous laquelle il est actuellement résolu ; c) d’examiner, sous l’angle de leur opportunité, les modifications proposées, et enfin ;

d) d’exprimer une opinion indépendante sur l’ensemble du problème.

J’aimerais que vous examiniez l’opinion indépendante de votre secrétaire d’État, opinion avec laquelle vous étiez entièrement d’accord.

LE PRÉSIDENT

Ne devriez-vous pas lire les deux dernières lignes ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, Monsieur le Président, je m’excuse.

« De la décision que nous prendrons dépend la solution du problème tchèque. Nous en portons ainsi la responsabilité pour les siècles à venir. »

L’exposé de Frank proprement dit commence à la page 121, section D du mémorandum. Il commence en disant :

« Le but de la politique du Reich en Bohême-Moravie doit être la germanisation intégrale du territoire et de ses habitants. Pour y parvenir, deux possibilités se présentent :

« L’évacuation totale des Tchèques de Bohême-Moravie vers un territoire situé à l’extérieur du Reich, et la colonisation par des Allemands du territoire libéré ;

« II. Si on laisse subsister la majorité des Tchèques en Bohême-Moravie, appliquer de nombreuses méthodes tendant toutes vers la germanisation suivant un plan s’étendant sur plusieurs années :

1. L’assimilation des Tchèques assimilables du point de vue racial ;

2. L’évacuation des Tchèques non assimilables racialement et des intellectuels hostiles au Reich, ou le « traitement spécial » de tous ces éléments destructifs.

« III. La colonisation des territoires ainsi libérés par des éléments de sang allemand. »

Je voudrais que vous lisiez maintenant le passage où votre secrétaire d’État expose des suggestions concrètes en vue de sa politique de germanisation. Souvenez-vous que vous les approuviez entièrement, comme vous le dites dans votre lettre à Lammers.

Voulez-vous passer, Monsieur le Président, à la page 123, sous la rubrique « Jeunesse ». Modification fondamentale de l’éducation, anéantissement du mythe de l’Histoire tchèque. (Au témoin.) Voilà donc le premier point : détruire tout sentiment de leur histoire depuis l’époque de saint Wenceslas, il y a près de mille ans. Ceci est le premier point.

« Une éducation dirigée dans le sens du Reich ; aucun progrès possible sans une connaissance parfaite de l’allemand ; suppression des écoles secondaires, plus tard aussi, des écoles élémentaires ; plus d’universités tchèques, seulement par mesure transitoire, le « Collegium Bohemicum » à l’université allemande de Prague ; deux ans de service du travail obligatoire.

« Large politique agraire, création d’enclaves allemandes et, avant tout, extension des territoires allemands du Nord jusqu’aux faubourgs de Prague.

« Campagne contre la langue tchèque qui doit redevenir ce qu’elle était aux XVIIe et XVIIIe siècles, un dialecte, et disparaître complètement comme langue officielle.

« Mariage après examen racial préalable.

« Les Gaue limitrophes du Reich seront exclus des essais d’assimilation de la population.

« A côté d’une propagande permanente pour le germanisme et de l’octroi d’avantages dans ce but, méthodes de discipline très sévères, exil et traitement spécial pour tous les saboteurs. Principe :

« Zuckerbrot und Peitsche. » Qu’est-ce que « Zuckerbrot und Peitsche » ?

« Toutes ces méthodes ne peuvent réussir que si une seule autorité représentant le Reich avec un seul homme à sa tête, contrôle leur établissement, leur direction et leur exécution. La subordination directe du « Seigneur de la Bohême » au Führer met en relief le caractère politique de cette fonction et de ses devoirs et empêche que ce problème politique ne tombe au rang d’une question administrative. »

En d’autres termes, il était essentiel à cette politique que vous restiez à votre poste de Protecteur et Frank à celui de secrétaire d’État et que le Gauleiter du Bas-Danube ne puisse pas intervenir et’ proclamer Brno capitale de son Gau.

Accusé, dites-vous au Tribunal, comme vous l’avez dit au Dr Lammers, que vous étiez entièrement d’accord avec ces propositions que je qualifie d’immorales et d’effroyablement cruelles ? Êtes-vous d’accord avec cette proposition ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Non, je ne suis absolument pas d’accord.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Pourquoi donc avez-vous dit à Lammers que vous étiez d’accord ? Lorsque les choses allaient bien, pourquoi avez-vous dit à Lammers que vous étiez d’accord ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Par la suite, j’ai exposé au Führer mon point de vue à ce sujet. Il ressort, d’ailleurs clairement des déclarations que vous venez de lire que le premier mémorandum, lui aussi, a été rédigé par Frank qui en a ensuite rédigé un second ; et quand vous dites, à la fin, que le but à atteindre était que je reste Protecteur, je vous répondrai simplement que le but réel, s’ïl y en avait un, était que Frank devienne Protecteur. Mais aujourd’hui, je ne peux certes pas m’identifier avec ces déclarations, et je ne l’ai d’ailleurs pas fait à l’époque, lors de mon rapport au Führer. Cela ressort des déclarations que j’ai faites hier.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je ne m’occupe pas de votre témoignage d’hier, je m’intéresse à ce que vous avez écrit en 1940. Vous écriviez alors — je vais le relire, bien que je l’aie lu trois fois déjà :

« J’y joins un second mémorandum traitant de la même question, que mon secrétaire d’État K. H. Frank a établi indépendamment de moi, mais dont l’esprit aboutit au même résultat et avec lequel je suis absolument d’accord. »

Pourquoi avez-vous...

ACCUSÉ VON NEURATH

Je viens de vous dire, qu’aujourd’hui je ne suis plus d’accord avec ces déclarations et qu’au moment où j’ai fait mon rapport verbal au Führer, je n’ai pas soutenu ce mémorandum ; bien au contraire, je lui ai fait les propositions que j’ai exposées hier et pour lesquelles j’ai obtenu son accord.

LE PRÉSIDENT

Sir David, ces documents ont-ils été correctement copiés ? Dans la lettre du 31 août 1940, il y a une annotation dans la marge : « Annexe 1, annexe 2. »

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, en effet, Monsieur le Président. L’une est, comme je le prétends, le mémorandum de l’accusé, la seconde celui de Frank.

LE PRÉSIDENT

Oui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Et vous avez déclaré, accusé, que vous avez pris une autre position vis-à-vis du Führer ? Je prétends que ce n’est pas vrai. Il n’est pas vrai que vous ayez exprimé une autre opinion au Führer. Je vous le dis tout net, ce n’est pas vrai.

ACCUSÉ VON NEURATH

Dans ce cas, je regrette, et c’est vous qui mentez, car je dois tout de même savoir... je dois tout de même savoir si j’ai parlé au Führer. Je lui ai parlé personnellement en l’absence de Frank.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Lisons donc le rapport, votre rapport. C’est à la page 7, Monsieur le Président. Nous verrons si c’est vrai ou non.

LE PRÉSIDENT

Quelle page ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Page 7, document D-739 du même livre 12 (a) ; c’est la pièce GB-521. C’est un mémorandum secret du représentant du ministère des Affaires étrangères auprès du Protecteur du Reich en date du 5 octobre. (Au témoin.) Vous vous souvenez que votre lettre était datée du 31 août ? Le rapport déclare :

« En ce qui. concerne la réception du Protecteur du Reich et du secrétaire d’État Frank par le Führer, j’apprends de source sûre ce qui suit :

« Pour commencer, le ministre de la Justice Gürtner fit un rapport sur le mouvement de résistance tchèque, rapport au cours duquel il déclara que le premier procès des quatre principaux meneurs aurait lieu sous peu devant le Tribunal du peuple. Le Führer s’éleva contre cette procédure et déclara que les pelotons d’exécution étaient suffisants pour les insurgés et les rebelles tchèques et qu’il ne fallait pas créer de martyrs au moyen de jugements prononcés devant des tribunaux, comme le prouvaient les exemples d’Andreas Hofer et de Schlageter. Quel que soit le jugement, il serait considéré par les Tchèques comme une injustice. Puisque cette affaire avait pris une tournure judiciaire, il fallait s’en tenir là. Les procès devaient être retardés jusqu’après la guerre et alors, dans le bruit de la célébration de la victoire, les débats passeraient inaperçus. Seules, des peines de mort seraient prononcées, qui seraient commuées plus tard en emprisonnement à vie ou en déportation.

« En ce qui concerne l’avenir du Protectorat, le Führer a parlé des trois possibilités suivantes :

« 1. Maintien d’une autonomie tchèque, avec possibilité pour les Allemands d’habiter dans le Protectorat comme co-citoyens avec des droits égaux. Cette possibilité ne peut cependant être envisagée, car il faut toujours compter avec des machinations de la part des Tchèques.

« 2. Déportation des Tchèques et germanisation du territoire de Bohème-Moravie par des colons allemands. Cette possibilité ne peut pas non plus être envisagée, car son exécution demanderait cent ans.

« 3. Germanisation du territoire de Bohême-Moravie par la germanisation des Tchèques, c’est-à-dire par leur assimilation. Celle-ci serait possible pour la plus grande part du peuple tchèque. En seraient exclus les Tchèques sujets à des objections d’ordre racial, ou qui seraient de sentiments anti-allemands. Cette catégorie devrait être éliminée.

« Le Führer s’est décidé en faveur de la troisième possibilité. Il a donné des ordres, par l’intermédiaire du ministre du Reich Lammers, afin de mettre une fin à la multitude des plans concernant le partage du Protectorat. Enfin, le Führer a également décidé que, dans l’intérêt de l’uniformité de la politique tchèque, une autorité centrale du Reich pour toute la Bohême et la Moravie devait être maintenue à Prague.

« Le statut actuel du Protectorat est donc maintenu en vigueur. »

Regardez maintenant la dernière phrase :

« La décision du Führer suit les lignes des mémorandums soumis par le Protecteur et par le secrétaire d’État Frank. »

Accusé, bien que vous m’ayez répondu aussi violemment il y a quelques instants, ce document dit qu’après la réception du Protecteur du Reich et du secrétaire d’État — et c’est le représentant du ministère des Affaires étrangères qui l’a écrit — la décision du Führer suit les lignes des mémorandums présentés par vous et par votre secrétaire d’État Frank. Pourquoi disiez-vous que j’ai tort quand je dis qu’il est faux que le Führer ait suivi une autre politique. Cela est prouvé par le document.

ACCUSÉ VON NEURATH

Je répondrai ceci : tout d’abord, ce document montre qu’en ce qui concerne la question du Protectorat, le Führer parle de trois possibilités. Ce sont les trois possibilités que l’avais proposées et dont j’ai parlé hier. Ce document montre également, mais indirectement, qu’à l’origine, la raison de cette conférence avec le Führer était tout autre qu’une décision à prendre sur la question du Protectorat, puisque le ministre de la Justice y assistait. Il s’agissait d’une question juridique relative au traitement des membres du mouvement de résistance, et c’est la raison pour laquelle Frank s’était rendu à Berlin. Je m’étais moi-même rendu à Berlin auparavant et j’avais parlé au Führer, non pas de mémorandum que je n’avais pas en mains, mais d’une manière générale, des tendances et de l’avenir de notre politique dans le Protectorat, et je lui avais parlé des trois propositions qui sont contenues ici sous les numéros 1, 2 et 3. La phrase qui figure à la fin : « La décision du Führer a été prise dans le sens des propositions du Protecteur et du secrétaire d’État Frank », cette remarque est due à M. Ziemke ou à la personne qui a rédigé le document ; mais ce qui est la vérité, c’est ce que j’ai dit hier sur la politique, et même si je reconnais que dans la lettre à Lammers je me suis prononcé en faveur de ces documents, on n’en a pas tenu compte.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je voudrais vous rappeler que dans le passage de votre mémorandum auquel je me suis référé en dernier lieu, vous mettiez en premier plan, contrairement à Frank, l’organisation du Grand Reich allemand. J’interprète cela comme une-intention de votre part d’incorporer, dans le cas d’une victoire allemande, la partie tchèque de la Tchécoslovaquie au Reich allemand.

ACCUSÉ VON NEURATH

Non, je vous demande pardon, elle était déjà incorporée, et on dit expressément ici qu’elle devait demeurer à l’état de Protectorat mais avec une structure particulière.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Voulez-vous dire que votre politique, après cette période, c’est-à-dire après l’automne 1940, était favorable aux Tchèques ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Je crois que ma politique n’a pas changé, sauf quand il y avait de forts mouvements de résistance.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Comment se fait-il alors que vers le milieu de 1941 vous ayez interdit toutes discussions sur le problème germano-tchèque ? Pourquoi avez-vous interdit ces discussions ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Afin d’éviter que soient à nouveau soulevées les questions qui avaient été à l’origine du mémorandum, à savoir la séparation de certaines parties du Protectorat et leur rattachement au Bas-Danube ou au Pays des Sudètes et des transferts de population de grande envergure. C’était là le but de mon rapport au Führer, comme je l’ai dit hier, pour en finir une fois pour toutes avec cette discussion.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Mais vous avez aussi, vous avez en particulier interdit qu’aucune déclaration publique fût adressée à la population tchèque. Regardons le document PS-3862, page 126 du livre de documents 12 (a) (GB-522). Il a été distribué dans vos différents services et vous dites :

« Pour les raisons indiquées, j’ordonne qu’à l’avenir, à l’occasion de manifestations ou de publications de toutes sortes relatives au problème germano-tchèque, l’attention de la population soit plus que jamais dirigée vers la guerre et ses exigences et que soient mis en avant les devoirs du peuple tchèque pour la réalisation des obligations qui lui sont imposées par la guerre, conjointement avec le Grand Reich.

« Les autres questions concernant le problème germano-tchèque n’ont pas à être discutées en public pour l’instant. Je tiens à faire observer que, sans préjudice de mes ordres, le traitement administratif des questions relatives aux problèmes germano-tchèques ne sera modifié en rien. »

Puis, dans le dernier paragraphe :

« Les déclarations publiques concernant les questions politiques du Protectorat, et en particulier celles adressées à la population tchèque, sont de ma seule compétence et seront publiées par moi-même en temps utile. »

Pourquoi avez-vous interdit aussi sévèrement que des déclarations publiques fussent adressées à la population tchèque ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Ceci ne s’adresse pas seulement à la population tchèque, mais surtout aux Allemands, et cela justement pour... Il s’était produit un incident dont je ne me souviens plus — il y a là : « pour les raisons indiquées, j’ordonne... » — à l’occasion duquel on avait, une fois de plus, discuté de l’avenir du Protectorat, et c’est la raison pour laquelle j’ai proclamé cette interdiction.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je pense que vos propositions et celles de Frank parlent par elles-mêmes.

Je voudrais que vous m’aidiez sur un autre point : après la fermeture des universités, vous vous souvenez que la question de la situation des étudiants s’est posée. Il y avait à ce moment-là environ 18.000 étudiants qui ne pouvaient plus travailler puisqu’ils étaient...

ACCUSÉ VON NEURATH

Pardon, pardon, il n’y en avait pas autant, ils étaient tout au plus 1.800.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Non, permettez-moi, de vous dire que vous vous trompez, vous ou vos services. Suivant une note du groupe n° X de vos services :

« D’après les données dont je dispose, le nombre des étudiants affectés par cette fermeture des universités tchèques portant sur trois années — je pense que cela comprend les établissements d’enseignement supérieur — est de 18.998.

« Suivant les communiqués de la presse en date du 21 de ce mois, 1.200 personnes seulement ont été arrêtées après les événements du 15. »

Vos services disent, d’autre part, qu’après soustraction de ce chiffre, il en reste 17.800 auxquels il vous incombait de procurer du travail. C’est à la page 104 du document PS-3858 (GB-523).

ACCUSÉ VON NEURATH

Je ne veux pas contester ce chiffre établi par un de mes fonctionnaires. Il devait le savoir mieux que moi, mais je suis étonné que dans deux universités tchèques il y ait eu 18.000 étudiants pour une population totale de 7.000.000.

LE PRÉSIDENT

Ne vaudrait-il pas mieux vérifier sur l’original ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Certainement, Monsieur le Président. Cependant, il est clair que ces deux chiffres... Les chiffres indiquent : 18.998 dont il faut soustraire 1.200. Il reste 17.800. Si c’était 1.800, nous ne pourrions pas avoir le second chiffre.

Dr VON LÜDINGHAUSEN

II y a certainement une erreur quelque part, Monsieur le Président. Cela voudrait dire qu’il y avait plus d’étudiants dans les deux universités de Tchécoslovaquie qu’à Berlin à sa meilleure époque. Il y avait à Berlin 8.000 ou 9.000 étudiants au plus par an, et dans un pays de 7.000.000 d’habitants seulement il y aurait eu 18.000 étudiants pour deux universités ? Cela ne peut être exact.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Monsieur le Président, il peut s’agir de trois groupes d’âge : « D’après les données dont je dispose, le nombre des étudiants affectés par cette fermeture des universités tchèques, portant sur trois années, est de 18.000. » Il se peut que l’on ait compté le nombre des étudiants qui auraient été admis pendant deux ans, ajouté au chiffre des étudiants qui avaient déjà commencé leurs études.

Quoi qu’il en soit, c’est le chiffre et c’est le problème dont votre ministère s’est occupé’. Il se peut également que cela comprenne certains établissements d’enseignement supérieur, mais en tout état de cause, ce sont les documents de votre ministère et je voudrais savoir ce qui est advenu. Si j’ai bien compris, il s’agit d’un projet du Dr Dennier, qui était chef du groupe X de vos services, adressé à Burgsdorff, qui était son supérieur. Si je peux résumer, cette lettre du 21 novembre 1939 propose que les étudiants soient enrôlés de force et envoyés dans le Reich pour y travailler. Dans la lettre suivante, en date du 25 novembre — voyez le paragraphe 2 — Burgsdorff se réfère à X 119/39, c’est-à-dire au mémorandum de Dennier. Burgsdorff ne désire pas qu’ils se rendent dans le Reich, à cause du chômage qui y règne, et il propose qu’ils soient soumis au travail obligatoire sur les routes et les canaux de Tchécoslovaquie. Voilà les deux propositions qui émanaient de vos services.

Le deuxième document est le PS-3857 qui devient GB-524. (Au témoin.) Qu’est-il arrivé à ces malheureux étudiants ?

ACCUSÉ VON NEURATH

II n’est rien arrivé du tout.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

L’une ou l’autre de ces propositions du Dr Dennier pour le travail forcé dans le Reich, ou de Burgsdorff pour le travail forcé en Tchécoslovaquie, vous est-elle parvenue ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Ni l’une ni l’autre.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Vous ont-elles été soumises pour décision ? .

ACCUSÉ VON NEURATH

Je crois qu’elles m’ont été soumises, mais je ne peux le dire avec certitude.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Êtes-vous d’accord avec moi, ou peut-être pourrez-vous me corriger, pour dire que ceci était la première proposition — vous avez dit qu’elle n’avait pas été réalisée — mais la première proposition de travail obligatoire et elle émanait d’un fonctionnaire de vos services. Connaissez-vous un autre service du Reich qui ait proposé le travail obligatoire dès novembre 1939 ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Cela n’a aucun rapport, et d’ailleurs s’il vous arrive d’examiner toutes les propositions de vos subordonnés, vous trouverez peut-être, vous aussi, une proposition de ce genre que vous repousserez par la suite. Une proposition faite par un fonctionnaire subalterne ne signifie rien.

D’autre part, je puis peut-être éclaircir ce chiffre de 18.000. On dit ici :

« D’après les données dont je dispose, le nombre des étudiants affectés par cette fermeture des universités portant sur trois années est de 18.000. »

Par conséquent, c’est trois fois 6.000, ce qui fait un total approximatif de 18.000.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

J’avais déjà suggéré cette explication il y a dix minutes, accusé, mais je suis d’accord avec vous. Voilà un point sur lequel nous sommes d’accord.

Maintenant, vous comprenez ce que je veux dire : c’est que ces propositions ont été élaborées dans vos services parce qu’elles étaient tout à fait conformes aux propositions des mémorandums que je viens de lire au Tribunal, c’est-à-dire que, non seulement elles tendaient à supprimer les universités tchécoslovaques, mais aussi à introduire le travail forcé. Vous vous souvenez que ces points figuraient au mémorandum du secrétaire d’État ? Ce que je veux dire, c’est que dès le 21 novembre 1939 l’idée du travail obligatoire existait déjà dans vos services.

Maintenant, accusé, je n’ai plus qu’un point à traiter, et comme il s’agit d’une question de fait, vous serez peut-être d’accord avec moi, après réflexion. Vous avez prétendu ce matin que l’université allemande de Prague avait été fermée après la fondation de la Tchécoslovaquie en 1919. C’est du moins ce que nous avons compris. Réfléchissez ; ne savez-vous pas qu’elle a continué à fonctionner et que plusieurs milliers d’étudiants ont suivi les cours de l’université allemande de Prague entre 1919 et 1939 ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Autant que je sache, c’était une branche allemande de l’université tchèque.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Mais elle a continué à fonctionner comme une université ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Oui, mais en tant qu’université tchèque.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, mais les étudiants allemands y suivaient des cours et pouvaient y passer leurs examens en allemand. Leur langue était autorisée. Des milliers de personnes venant d’Autriche et du Reich y venaient en tant qu’Allemands et passaient leurs examens en allemand.

ACCUSÉ VON NEURATH

Oui, la vieille université allemande, la Karlsuniversität avait été fermée par les Tchèques. Mais une division allemande avait subsisté ; c’est là que les Allemands faisaient leurs études et passaient leurs examens.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je crois que ce point est tiré au clair. Je ne discuterai pas sur des faits, mais vous ne contesterez pas qu’il y ait eu une université allemande que les étudiants allemands pouvaient fréquenter.

LE PRÉSIDENT

Le Ministère Public désire-t-il poursuivre le contre-interrogatoire ?

GÉNÉRAL RAGINSKY (Avocat Général soviétique)

Accusé, dites-moi, je vous prie, quand vous étiez ministre des Affaires étrangères, Ribbentrop a-t-il essayé d’intervenir dans le domaine des Affaires étrangères de l’Allemagne ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Est-ce une question ?

GÉNÉRAL RAGINSKY

Oui, c’est une question.

ACCUSÉ VON NEURATH

Oui.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Pouvez-vous me dire brièvement en quoi consistaient ces interventions ?

ACCUSÉ VON NEURATH

En ce qu’il exposait au Führer ses idées personnelles sur la politique extérieure, sans me donner l’occasion de les examiner.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Bien. Hier, vous avez dit ici qu’en 1936 vous aviez eu des divergences de vues avec Hitler et que le 27 juillet vous aviez demandé à être relevé de votre poste de ministre. Ce document a été déposé hier : mais n’avez-vous pas écrit à Hitler — je vais lire la dernière phrase de votre lettre qui dit :

« Encore que je ne sois plus ministre, je mettrai, si vous en manifestez le désir, mes services et mon expérience dans le domaine des Affaires étrangères, à votre disposition. »

Avez-vous écrit cela à Hitler ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Oui, oui.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Et vous avez tenu les promesses que vous aviez faites à Hitler : chaque fois qu’il était nécessaire de préparer les opérations agressives de Hitler en les couvrant par des agissements diplomatiques, comme cela eut lieu au moment de l’annexion du pays des Sudètes ou au moment de l’invasion de la Tchécoslovaquie, vous avez fait bénéficier Hitler de votre expérience ?

ACCUSÉ VON NEURATH

C’est une grave erreur, au contraire. Comme je l’ai exposé hier et aujourd’hui ici, Hitler m’a fait appeler une fois, au dernier moment, pendant les derniers jours avant l’AnschIuss de l’Autriche. C’est ainsi que s’est terminée mon activité. En 1938, je suis allé le voir de ma propre initiative, afin de l’empêcher de déclencher une guerre. Voilà quelle a été mon activité.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Cela, nous le savons déjà. Je voudrais encore vous poser une question au sujet du mémorandum Friderici, sans toutefois répéter ce qui a déjà été dit à ce sujet. Vous vous souvenez sans doute de ce mémorandum qui a été présenté au Tribunal tout récemment ? On lit, dans la dernière partie de ce mémorandum, à l’avant-dernier alinéa :

« Si la direction du Protectorat se trouvait dans des mains solides et qu’il fût uniquement administré suivant les principes énoncés dans le décret du Führer du 16 mars, le territoire de Bohême-Moravie deviendrait une partie intégrante du Reich. »

Est-ce pour cette raison que Hitler vous a désigné comme Protecteur ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Il n’en est pas question ; ce n’était pas du tout cela la raison. La raison, je l’ai exposée hier en détail.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Bien. Ne revenons pas sur les raisons ; vous les avez expliquées hier. En tout cas, vous niez avoir été la personne qui ait été chargée d’exécuter l’invasion de la Tchécoslovaquie ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Je ne peux répondre que non.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Reconnaissez-vous que vous étiez, dans le Protectorat, le seul représentant du Führer et du Gouvernement de l’Allemagne et que vous étiez immédiatement sous les ordres de Hitler ?

ACCUSÉ VON NEURATH

C’est exact. Cela se trouve dans le décret de Hitler.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Oui, cela y figure. Je ne lirai pas le décret afin de ne pas allonger les débats. Ce décret a déjà été présenté au Tribunal.

Reconnaissez-vous que toutes les autorités et tous les services administratifs du Reich dans le Protectorat se trouvaient sous vos ordres, à l’exception de la Wehrmacht ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Non, je regrette de devoir dire que c’est une erreur. Cela figure également dans ce même décret du 1er septembre 1939. Il y avait de nombreux organismes, de nombreuses autorités du Reich, qui ne dépendaient pas de moi, sans même parler de la Police.

GÉNÉRAL RAGINSKY

En ce qui concerne la Police, nous en parlerons plus particulièrement. Que considérez-vous donc comme une erreur ? Le fait que le décret ne le mentionne pas ? Ou bien l’interprétez-vous différemment ? Je vais vous lire alors le premier paragraphe du décret du 1er septembre 1939. On y dit :

« Toutes les autorités, organisations et services du Reich dans le Protectorat, à l’exception de la Wehrmacht, sont subordonnés au Protecteur. »

Paragraphe 2 :

« Le Protecteur exerce un contrôle sur toute l’administration autonome du Protectorat. »

Paragraphe 3 :

« L’autorité du Protecteur est compétente pour tous les services de l’administration du Reich, à l’exception de la Wehrmacht. »

Comme vous le voyez, il est dit de façon très nette que tous les organes de l’administration se trouvaient sous vos ordres et que vous étiez vous-même directement sous les ordres de Hitler.

ACCUSÉ VON NEURATH

Je le répète, les organes de l’administration, oui. Mais il y avait de nombreux autres organismes du Reich qui ne dépendaient pas de moi, par exemple le Plan de quatre ans.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Passons maintenant à la question de la compétence de la Police.

Vous avez déclaré hier au Tribunal, en réponse à une question de votre avocat, que le paragraphe 13 de ce décret du 1er septembre, signé par Göring, Frick et Lammers, vous était incompréhensible. Examinons d’autres paragraphes relatifs à la compétence de la Police : Paragraphe 11 :

« Les services de la Police de sûreté allemande dans le Protectorat de Bohême-Moravie ont pour mission de découvrir et de combattre toutes les menées hostiles à l’État ou au peuple sur le territoire du Protectorat ; de rassembler et d’apprécier les résultats des enquêtes, d’en informer le Protecteur et les autorités compétentes, de les tenir au courant de tous les événements importants et de les assister de leurs conseils. »

Le paragraphe 14 du même décret dit :

« Le ministre de l’Intérieur (Reichsführer SS et chef de la Police allemande) publie les ordonnances légales et administratives nécessaires à l’exécution de décret après s’être mis d’accord avec le Protecteur de Bohême-Moravie.

Selon ce décret, la Police et les SS étaient donc tenus de vous rendre compte de toutes les mesures prises, et, de plus, tous les actes administratifs et toutes les mesures légales ne pouvaient prendre effet qu’avec votre autorisation. Le reconnaissez-vous ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Non, ce n’est pas exact. En effet, il avait été à l’origine ordonné que je sois tenu au courant. Mais cela ne fut pas appliqué et M. Himmler l’interdit expressément. Quant à la deuxième disposition, suivant laquelle les mesures administratives ne devaient être prises qu’avec mon accord, elle n’a jamais été appliquée.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Vous le contestez donc ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Oui.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Je vous présenterai alors la déposition de Karl Hermann Frank du 7 mars 1946 sur cette question de la compétence de la Police. Je dépose ce document sous le numéro URSS-494.

LE PRÉSIDENT

Ce document figure-t-il également dans le livre de documents anglais ?

GÉNÉRAL RAGINSKY

Non, Monsieur le Président, le document que je présente maintenant est le document authentique, signé par Frank. (Au témoin.) Au cours de son interrogatoire, Karl Hermann Frank a déclaré ce qui suit : « Le décret sur l’établissement de l’administration allemande dans le Protectorat et sur la Police de sûreté prescrit que toutes les autorités et services allemands, à l’exclusion de la Wehrmacht, mais y compris tous les services de Police, sont officiellement subordonnés au Protecteur et doivent exécuter ses ordres. La Police de sûreté devait donc s’en tenir aux instructions politiques du Protecteur. Les ordres pour l’exécution d’opérations de Police d’État étaient en général donnés par le RSHA à Berlin et transmis par l’intermédiaire du chef de la Police de sûreté. Si le Protecteur désirait qu’une opération de police fût entreprise, il fallait qu’il demande l’accord du RSHA à Berlin, c’est-à-dire que la Police n’exécutait aucun ordre sans que celui-ci eût été confirmé par le RSHA à Berlin. Il en était de même pour les directives données par le chef supérieur des SS et de la Police au chef de la Police de sûreté, en ce qui concerne les opérations de la Police d’État.

J’attire particulièrement votre attention sur le paragraphe que je vais lire :

« Cette manière de procéder dans l’acheminement des ordres de service a subsisté pendant toute la durée du Protectorat et fut également adoptée par le Protecteur von Neurath. En général, le Protecteur avait la possibilité de donner des instructions à la Police d’État par l’intermédiaire du chef de la Police de sûreté, mais l’exécution des instructions dépendait de l’accord du RSHA (quand il s’agissait d’une opération de la Police d’État). Quant au SD, qui ne disposait pas de pouvoirs exécutifs, le droit pour le Protecteur de lui donner des instructions était plus étendu et ne dépendait pas toujours de l’approbation du RSHA. »

Confirmez-vous cette déposition de Frank ?

ACCUSÉ VON NEURATH

Non.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Bien.

ACCUSÉ VON NEURATH

J’attire votre attention sur une déclaration du même Frank dont j’ai eu connaissance et qui date de l’année dernière et dans laquelle il dit tout autre chose, à savoir que la Police ne dépendait pas du Protecteur mais du chef de la Police à Berlin, Himmler. Cette déposition doit se trouver également ici quelque part.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Ne vous inquiétez pas, je reviendrai sur cette déposition un peu plus tard.

Dites-moi qui était chargé des questions politiques dans votre service ?

ACCUSÉ VON NËURATH

J’avais en général plusieurs collaborateurs chargés des questions politiques.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Pour ne pas perdre de temps, je vais vous montrer un document assez court et vous demander de le lire avec moi. Il est daté du 21 juillet 1939. C’est une lettre du chef de la Police de sûreté adressée à Karl Hermann Frank secrétaire d’État et chef supérieur des SS et de la Police :

« Par décret du 5 mai 1939, le Protecteur de Bohême-Moravie a désigné le chef du SD et de la Police de sûreté Comme son collaborateur politique. J’ai pu constater que cet ordre n’avait, jusqu’ici, ni été publié ni été exécuté. Je vous prie de faire appliquer ce décret. Par ordre : signé, Dr Best. »

Vous souvenez-vous de ce décret ?

ACCUSÉ VON NËURATH

Pour l’instant je ne puis me souvenir de ce décret, mais je me souviens parfaitement que cela n’a jamais été exécuté, car je ne voulais pas de ce chef du SD comme collaborateur politique.

LE PRÉSIDENT

Il serait temps de lever l’audience.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Puis-je vous demander encore une minute pour en terminer avec cette question.

LE PRÉSIDENT

Certainement.

GÉNÉRAL RAGINSKY

N’avez-vous pas pris ce décret le 5 mai ?

ACCUSÉ VON NËURATH

Je ne peux plus vous le dire aujourd’hui... mais cela doit être exact. Je ne le conteste pas, je ne sais plus.

GÉNÉRAL RAGINSKY

Bien. Je vous remercie. Monsieur le Président, je pense que nous pouvons maintenant lever l’audience. Il me faudra demain à peu près quarante minutes encore.

(L’audience sera reprise le 26 juin 1946 à 10 heures.)