CENT SOIXANTE-QUATRIÈME JOURNÉE.
Mercredi 26 juin 1946.
Audience du matin.
(L’accusé von Neurath est à la barre des témoins.)Demain jeudi, le Tribunal ne siégera pas l’après-midi en audience publique, mais en chambre du conseil. Il siégera normalement demain de 10 heures à 13 heures et se retirera l’après-midi en chambre du conseil. Samedi matin, le Tribunal siégera en audience publique de 10 heures à 13 heures.
Monsieur le Président, on m’a fait remarquer, lorsque j’ai soumis hier le document URSS-494, que les copies de ce document n’avaient pas été soumises au Tribunal en nombre suffisant. Je m’en excuse et vous prie d’accepter les copies que je vais maintenant vous soumettre. (Au témoin.) Revenons, accusé, à votre avertissement du mois d’août 1939. Si je vous ai bien compris, vous avez déclaré au Tribunal que cet avertissement se rapportait à la situation militaire ; est-ce exact ?
Aucune tension politique n’avait surgi, en raison de la situation militaire, puisqu’il ne se passait encore rien.
Cela n’avait aucun rapport avec la situation militaire ? Bien. Vous reconnaissez que, par cet ordre ou par cet avertissement, vous avez institué le système des otages ?
Je n’ai pas compris la question.
Je vais la répéter. Je vous demande si vous reconnaissez que, par votre avertissement du mois d’août 1939 — c’est le document que je dépose sous le numéro URSS-490 — vous avez introduit le système des otages ?
Je ne vous ai pas compris.
C’est un défaut dû à la traduction ?
Oui, la traduction est défectueuse. Mais seulement pour la dernière phrase. Je n’ai pas compris cette dernière phrase.
Mais il me semble que le document vous est connu ?
Oui, mais je n’ai pas compris la dernière phrase de votre question.
Je vais m’efforcer d’exposer la question afin que vous compreniez. Dans le dernier paragraphe de cet ordre, il est dit : « La responsabilité pour tous les actes de sabotage incombe non seulement aux auteurs isolés, mais à toute la population tchèque ». Cela veut dire que ceux qui étaient coupables étaient punis, mais que des punitions étaient également instituées pour les innocents. Cet ordre a été le point de départ d’un système de représailles massives contre la population tchèque, n’est-ce pas ?
Nullement. Cela veut tout simplement dire que la responsabilité morale d’une action éventuelle reposerait sur le peuple tchèque.
Cet ordre n’a-t-il pas été appliqué à Lidice ? S’agissait-il là seulement d’une responsabilité morale ?
Oui.
Dans cet ordre, vous ; stipulez expressément : « Celui qui ne tiendra pas compte de ces nécessités sera considéré comme un ennemi du Reich ». En vérité, n’avez-vous pas puni les ennemis du Reich du seul fait que vous leur imposiez une responsabilité morale ?
Oui. Quiconque ne respectait pas les ordres était naturellement puni.
Voilà ce que je veux justement établir en vous posant cette question : avec cette proclamation du mois d’août 1939, vous avez inauguré le système de la terreur généralisée et des sanctions infligées aux innocents ?
Je ne sais pas comment vous pouvez tirer cette conclusion de cet avertissement.
Nous passons maintenant aux preuves qui viennent étayer ces déductions. Le rapport du Gouvernement tchécoslovaque qui a été présenté sous le numéro URSS-60 et qui est un bilan des crimes commis par vos collaborateurs et vous, nous en donne les raisons. Et vous continuez à opposer un démenti sans fondement à toutes les preuves qui ressortent de ce document. Je n’ai pas l’intention de discuter avec vous de ce document. Je vais vous lire maintenant quelques dépositions de témoins et vous demanderai de répondre si vous les confirmez ou bien les rejetez. Je lirai d’abord un extrait des dépositions de l’ancien ministre des Finances, Joseph Kalfus, en date du .8 novembre 1945. (Au Tribunal.) Messieurs, vous pourrez trouver ces extraits à la page 12 du texte anglais du document URSS-60. (Au témoin.) Kalfus a dit :
« Le système économique introduit par Neurath et, après lui, par d’autres organismes administratifs allemands, n’était, en gros, rien d’autre qu’un pillage systématiquement organisé. En ce qui concerne l’occupation des postes importants dans l’industrie et les finances tchèques, il faut noter qu’avec Neurath fut introduit un système économique qui occupa immédiatement les postes principaux de l’industrie : les usines Skoda, les fabriques d’armes de Brno, les aciéres de Vitkovice. Des banques importantes, la banque d’escompte de Bohême, la banque de l’Union bohémienne et beaucoup d’autres banques furent également occupées. » Confirmez-vous ces déclarations ?
J’ai parlé hier en détail et je me réfère à ma déposition d’hier. Je n’ai plus rien à ajouter.
Vous ne les confirmez donc pas ? C’est parfait.
Nullement.
L’ancien président tchèque, Richard Bienert, a déclaré, lors de l’interrogatoire du 8 novembre 1945... (Au Tribunal.) Monsieur le Président, cet extrait se trouve à la page 13 du texte anglais du document URSS-60. (Au témoin.) « Lorsque nous avons appris à le connaître, nous avons remarqué qu’il était impitoyable pour les Tchèques. Lorsque j’étais président de Bohême, je savais que c’était Neurath qui avait placé l’administration politique en Bohême et en Moravie sous le contrôle allemand, l’administration ainsi que les institutions locales... Je me souviens également que Neurath nomma des inspecteurs allemands à la place de Tchèques dans les écoles. Il ordonna de dissoudre les représentations locales. C’est à sa demande que les ouvriers tchèques ont été envoyés en Allemagne à partir d’avril 1939 pour travailler à la mise sur pied du potentiel de guerre allemand. Il ordonna de fermer les universités tchèques et de nombreuses écoles secondaires et primaires. Il fit dissoudre les sociétés de gymnastique tchèques telles que les Sokols, l’Orel, et fit confisquer leurs biens. Il fit fermer les maisons de repos et les camps de jeunes ouvriers et d’étudiants et prit toutes les dispositions afin de confisquer leurs biens. La Gestapo se livrait à des arrestations, aux ordres du Protecteur du Reich. J’ai personnellement été arrêté le 1er septembre 1939 ».
Vous ne confirmez pas non plus ces dépositions ?
Non, non. J’ai parlé en détail hier de tout ce qui est énuméré ici. Je n’ai pas l’intention de répéter tout cela. En outre, il me paraît curieux que ce soit justement M. Bienert, qui savait exactement ce que j’avais ordonné et quels étaient mes rapports avec la Gestapo, qui parle de cela.
Parfait. Voyons d’autres dépositions. L’ancien premier ministre du prétendu Protectorat, le Dr Krejci, lors de son interrogatoire du 8 novembre 1945, a dit. . . (Au Tribunal.) Monsieur le Président, cet extrait se trouve à la page 17 du texte anglais du document URSS-60. (Au témoin.) « Je sais » — disait Krejci — « que les sociétés de gymnastique ont été dissoutes par ordre du Protecteur du Reich, et leur matériel dévolu aux SS, aux SA, aux Jeunesses hitlériennes, etc. Le 1er septembre 1939, lorsque l’Armée allemande a attaqué la Pologne, des arrestations ont été opérées sur une vaste échelle et notamment d’officiers, d’intellectuels et de personnalités politiques marquantes. C’est la Gestapo qui opérait ces arrestations, mais elles ne pouvaient avoir lieu sans l’approbation du Protecteur du Reich. »
Je lis une autre citation à la Page suivante :
« En ce qui concerne la question juive, le protecteur du Reich obligeait les Gouvernements du Protectorat à agir contre les Juifs, mais comme cette pression n’atteignait pas le succès désiré, les Allemands ou la chancellerie du Protectorat commencèrent à persécuter les Juifs conformément aux lois de Nuremberg. Il en résulta que des dizaines de milliers de Juifs perdirent et la vie et leurs biens. »
Allez-vous encore contester cette déposition ?
En ce qui concerne les ordres dont vous avez parlé au début, qui touchent les sociétés de gymnastique, je dois dire que c’était là une mesure de police que je n’avais pas ordonnée ; et je répète, en outre, ce que j’ai déjà dit hier : les arrestations du début de la guerre ont été opérées par la Gestapo, sur ordre direct de Berlin, sans que j’en sache quoi que ce soit. Je n’ai été informé qu’après coup. Finalement, en ce qui concerne le problème juif, l’affirmation contenue dans cette accusation et selon laquelle j’aurais essayé de demander au Gouvernement du Protectorat d’appliquer les lois contre les Juifs est inexacte. C’est mon secrétaire d’État qui a parlé avec M. Elias et non moi. Je n’ai parlé à M. Hacha qu’à une occasion ultérieure, au moment où l’on a essayé d’introduire également les lois raciales contre les Tchèques. M. Hacha a protesté et, sous ma responsabilité, je lui ai dit qu’il n’avait pas à le faire. L’introduction des lois contre les Juifs résulte d’une ordonnance que j’ai signée, car, dès le début d’avril 1939, j’avais reçu des instructions pour introduire les lois contre les Juifs dans le Protectorat qui était incorporé dans le Reich. J’ai retardé cette introduction jusqu’au mois de juillet en faisant des enquêtes à Berlin afin de donner le temps aux Juifs de prendre leurs dispositions. Voilà les faits.
Dites-moi si vous connaissez le Dr Havelka.
Oui, je connais M. Havelka.
Il était au courant de vos pourparlers avec Hacha ?
Je ne sais pas dans quelle mesure il en avait connaissance. M. Havelka est venu une ou deux fois chez moi. Je crois qu’il était ministre des Transports.
C’est cela, c’est parfaitement exact. Il était ministre des Transports, mais auparavant il était le chef de la Chancellerie de Hacha.
Oui.
Lors de son interrogatoire le 9 novembre de l’année dernière, Havelka a fait les déclarations suivantes, que l’on trouve aux pages 18 et 19 du texte anglais du document URSS-60. Je cite un passage :
« Quant à lui » — Neurath — « il ne s’intéressait pas au peuple tchécoslovaque. C’est pourquoi toutes les requêtes des membres du cabinet et du Dr Hacha qui défendaient les intérêts tchèques restaient généralement sans réponse. Cette remarque vaut pour les faits suivants : des arrestations d’officiers tchèques, d’intellectuels, de légionnaires tchèques de la première guerre mondiale et d’hommes politiques. Lors de l’attaque allemande contre la Pologne, 6.000 à 8.000 personnes furent arrêtées comme otages. Les Allemands prétendaient que c’était pour les protéger. La plupart de ces otages ne furent point interrogés et toutes les démarches entreprises à la chancellerie du Protecteur en faveur de ces malheureux furent vaines. Neurath, en sa qualité de seul représentant du Gouvernement du Reich sur le territoire du Protectorat de Bohême et de Moravie, porte la responsabilité de l’exécution de neuf étudiants, le 17 novembre 1939. »
Général Raginsky, ne vaudrait-il pas mieux, ce qui serait plus loyal pour l’accusé, lui poser une seule question à la fois ? Vous lisez de grands passages de ces documents qui contiennent beaucoup de questions. 11 vaudrait mieux, à propos de ces deux paragraphes, l’interroger sur ces arrestations d’officiers et lui demander si ces faits sont exacts ou non. Vous pourriez ensuite passer aux autres passages qui vous intéressent. Il est très difficile de répondre à plusieurs questions à la fois.
Monsieur le Président, il possède ces documents. Mais je prendrai vos observations en considération. J’aimerais mieux aborder la question des étudiants plus tard.
Vous confirmez, accusé, cette partie des dépositions que je viens de lire sur les otages ?
Je viens de parier, et j’ai déjà longuement abordé ce sujet hier de ces arrestations des. membres de la soi-disant « Vlajka », au début de 1939. J’ai dit et je le répète que ces arrestations ont été opérées par la Gestapo sans que j’en sois informé. Les affirmations de M. Havelka qui veulent que je n’aie entrepris aucune démarche en faveur de ces otages sont fausses. M. Havelka devrait savoir que je suis toujours intervenu en faveur de ces gens et que j’ai pu en faire libérer un grand nombre.
C’est bien. Passons à la question suivante. Un certain document a déjà été introduit plusieurs fois sous le numéro URSS-223 devant le Tribunal. C’est le journal de Frank.
Monsieur le Président, je ne veux pas parler de Karl Hermann Frank qui, par jugement, a été condamné à la peine capitale, mais de l’accusé Frank. Cette citation a déjà été lue, mais je voudrais à ce propos poser une question à l’accusé. La mention est la suivante : Lors de l’interview accordée à un correspondant du Völlkischer Beobachter en 1942, l’accusé Frank a dit que des affiches rouges avaient été apposées à Prague, indiquant que sept Tchèques avaient été exécutés. Il ajouta que s’il devait donner l’ordre de placarder des affiches semblables pour tous les Polonais fusillés, il n’y aurait pas suffisamment de bois en Pologne pour fabriquer le papier nécessaire.
Dites-moi s’il est vrai qu’à Prague on eût placardé de telles affiches rouges ?
Je l’ai dit hier. Et j’ai dit également que cette affiche portait indûment ma signature. Je ne l’avais pas vue auparavant. Il s’agit bien de cette affiche rouge.
Si vous ne l’avez pas vue auparavant, regardez-la.
Oui, je la connais bien.
Général Raginsky, il n’a pas dit qu’il ne l’avait pas vue, mais qu’on avait apposé ces affiches sans qu’il l’eût su.
Monsieur le Président, je reviendrai sur cette question. Mais je veux seulement établir maintenant que c’était justement ces affiches rouges que Frank décrivait dans son journal. Je dépose cette affiche devant le Tribunal sous le numéro URSS-489. Je voudrais lire cette déclaration. Elle est courte et ma citation sera brève. Son texte est le suivant :
« Avis
Malgré des avertissements réitérés, un groupe d’intellectuels tchèques, en collaboration avec les milieux d’émigrés à l’étranger, essaye depuis quelque temps, par des actes de résistance plus ou moins importants, de troubler l’ordre en Bohême et Moravie. On a pu établir que les instigateurs de ces actes de résistance se trouvent particulièrement dans les facultés tchèques. Du fait que le 28 octobre et le 15 novembre, ces éléments se sont permis de s’attaquer à des Allemands isolés, les facultés tchèques ont été fermées pour trois ans, neuf étudiants fusillés, un grand nombre de participants arrêtés. Prague 17 novembre 1939. Le Protecteur du Reich en Bohême-Moravie. Signé : Baron von Neurath. »
Vous prétendez que vous n’avez pas signé cette proclamation ?
Oui. Hier ou avant-hier, j’ai déjà dit comment cela s’était passé en mon absence.
Il n’est pas nécessaire de répéter ce que vous avez déjà dit. Je lirai les dépositions, en date du 26 septembre 1945, de Karl Hermann Frank, au sujet de cette question. Ces dépositions se trouvent aux pages 46 et 47 du texte russe. Le texte anglais vous sera remis. Karl Hermann Frank a déclaré, à propos de cette proclamation que je viens de lire :
« Ce document daté du 17 novembre 1939 a été signé par von Neurath qui n’a pas protesté contre l’exécution des neuf étudiants... »
Monsieur le Président, puis-je, au sujet de ce document, attirer votre attention sur un point ? Ce document n’est pas daté, et ma copie ne comporte aucune signature. On ne voit nullement qui en est l’auteur. Je voudrais tout de même protester contre la lecture de ce document.
Docteur von Lüdinghausen, ce document n’est pas certifié ?
Non, pas dans ma copie.
Bien...
Monsieur le Président, permettez-moi d’éclaircir ce malentendu. Le Dr Lüdinghausen possède le texte complet du document URSS-60, à savoir le texte anglais, qui est également celui, Monsieur le Président, que vous avez entre les mains. Ce document, qui a été cité par le Dr von Lüdinghausen, renferme un certificat établissant la validité de ce procès-verbal, et signé par le représentant du Gouvernement tchèque. Pour simplifier les débats, on a remis au Dr Lüdinghausen un autre exemplaire de ce procès-verbal des dépositions de Frank. Je confirme, et on peut facilement s’en rendre compte, que ce document est certifié. La date du 17 novembre 1939 est également mentionnée.
Puis-je tout simplement ajouter que, lorsque j’ai reçu de M. le colonel Ecer l’Acte d’accusation du Ministère Public tchécoslovaque, ce document ne comportait aucune annexe, sauf des textes de loi. Je me suis efforcé, puisqu’on se référait à de telles annexes, de me procurer ces documents, mais je n’ai reçu que l’annexe n° 2. Quant aux autres, je les ai reçus comme ce document.
Docteur Lüdinghausen, voulez-vous nous dire à quel document vous faites allusion ?
C’est le document URSS-60.
URSS-60 ? C’est le rapport tchèque, n’est-ce pas ?
Oui, il s’agit du rapport tchèque qui est très volumineux. A ce rapport sont jointes des annexes, et je répète que ces annexes ne m’ont pas été remises. Je me suis efforcé personnellement de les obtenir, mais je n’ai pu en recevoir qu’une seule, qui n’est pas identique à celle-ci. Ce document, je l’ai reçu plus tard, dans l’état même où l’on vient de me le transmettre à l’heure actuelle, c’est-à-dire sans en-tête, sans signature et sans date, et surtout sans certificat indiquant quand, où et par qui cette déclaration de Frank a été enregistrée.
Attendons ce que le général Raginsky dira sur ce point. Si je le comprends bien, il prétend qu’il existe un certificat authentifiant ce document, et qu’on ne vous en a donné qu’une copie qui ne porte peut-être ni la date ni la signature, mais qui est conforme au document certifié. C’est bien ce que vous avez dit, général Raginsky ?
Oui.
Pourriez-vous montrer au Dr Lüdinghausen le certificat et le document qui est certifié conforme ?
Parfaitement, Monsieur le Président. Le certificat se trouve à la page 44 du texte russe dans l’annexe au document URSS-60. Il est signé au nom du général Ecer par le colonel Novak. C’est le document que nous avons, en son temps, déposé devant le Tribunal.
Est-ce qu’il est vraiment nécessaire de gaspiller le temps du Tribunal pour ce document particulier ? Il me semble que nous perdons beaucoup de temps.
C’est important pourtant. Je ne peux pas examiner si c’est exact ? C’est bien mon droit, Monsieur le Président.
Je demandais au général Raginsky s’il persistait dans l’usage de ce document ? Cela en vaut-il la peine ?
Je crois, Monsieur le Président, que c’est inutile, d’autant plus qu’il a déjà été présenté au Tribunal il y a quelques mois et accepté comme preuve. Je ne comprends pas exactement l’objection du Dr von Lüdinghausen.
Pourquoi ne pas montrer au Dr von Lüdinghausen le certificat qui doit être joint au document que vous lui avez fourni ?
Bien sûr, Monsieur le Président. J’ai ce certificat en russe, puisque je lis le texte russe. Je peux le présenter au Dr Lûdinghausen. Le document original a été versé comme preuve et se trouve à la disposition du Tribunal.
N’y a-t-il pas une traduction allemande de ce certificat établissant la provenance de ce document ?
Je ne l’ai pas ici actuellement, mais je peux, au cours de la suspension, vous présenter le document original en langue allemande.
Docteur von Lûdinghausen, le Tribunal est informé que ce document a déjà été versé, accompagné du certificat du général Ecer attestant que ce document fait partie du rapport tchèque. Dans ces circonstances, le Tribunal autorise l’usage de ce document.
Monsieur le Président, j’ai encore une autre objection contre l’utilisation de ce document. La Défense a, comme vous le savez, le droit, lorsque des procès-verbaux d’interrogatoire ou des déclarations de témoins sont produits, de convoquer ces témoins pour les interroger. L’ancien secrétaire d’État Frank, qui a fait cette déclaration, ne compte plus, comme on le sait, au nombre des vivants. Je proteste donc pour cette raison contre l’utilisation de ce document.
Monsieur le Président...
Docteur von Lûdinghausen, ce document a été fourni et accepté comme preuve, alors que Frank vivait encore. C’est une raison pour l’accepter. Le document est recevable aux termes de l’article 21 du Statut et il a été admis en vertu de cet article. Aucune disposition n’autorise la Défense, contrairement à votre affirmation, à procéder au contre-interrogatoire de quiconque a fait un affidavit. Ce fait ne dépend que du pouvoir discrétionnaire du Tribunal. Et c’est pourquoi votre objection n’est pas recevable.
Monsieur le Président, je ne veux plus retenir davantage votre attention sur cet incident, mais je voudrais simplement dire que c’est une perte de temps, car le Dr Lûdinghausen a inséré dans son propre livre de documents quelques dépositions de ce même Frank. Je citerai quelques déclarations de Frank. Il s’agit toujours de cet avertissement dont nous avons déjà parlé, daté du 17 novembre 1939, et signé par von Neurath, qui ne protestait ni contre l’exécution des neuf étudiants, ni contre l’envoi de leurs camarades dans des camps de concentration. Il n’exigeait, en outre, aucune modification de ces dispositions législatives. Avez-vous entendu ces déclarations ?
Oui, je les ai lues.
Vous les niez ?
Mais très certainement. Je n’ai nullement eu la possibilité de le faire, car je n’étais pas à Prague et je ne pouvais par conséquent pas en avoir connaissance. Je n’ai ni signé ni transmis cet avertissement.
Parfait. Vous persistez à affirmer que la Police ne vous a jamais informé des arrestations qui étaient opérées et des autres mesures policières prises ? Vous le confirmez ?
Je n’ai pas dit qu’on ne m’informait jamais, mais que j’étais toujours averti après coup. J’apprenais toujours ces faits de source tchèque.
Mais la Police ne vous faisait-elle pas des rapports réguliers sur les événements les plus importants ?
Nullement, et surtout pas sur ce qu’elle projetait. Peut-être ultérieurement, oui, ou lorsque j’avais appris quelque chose du côté tchèque, et me renseignais auprès de la Police.
Bien. Je vous lirai un extrait des dépositions de Karl Hermann Frank du 7 mars 1946. Ces dépositions, je les ai présentées hier au Tribunal et j’ai également lu une partie de ce procès-verbal. Frank dit :
« Le Protecteur du Reich, von Neurath, s’est toujours fait rendre compte, tant par moi, en ma qualité de secrétaire d’État, que par le chef de la Police de sûreté, des événements les plus importants qui survenaient dans le Protectorat et intéressaient la Police de sûreté. C’est ainsi, par exemple, que Neurath a été informé des manifestations d’étudiants de novembre 1939, à la fois par mes soins et par le chef de la Police de sûreté. Il s’agissait alors d’un ordre direct de Hitler qui exigeait l’exécution des meneurs. Le nombre en fut établi par la Gestapo locale et communiqué au Protecteur du Reich. La détermination définitive de ce nombre était laissée dans ce cas à la Police d’État et à l’approbation du Protecteur du Reich. Von Neurath a approuvé cette action par la signature qu’il a apposée au bas de cette proclamation qui annonçait l’exécution de ces étudiants... J’ai soigneusement tenu von Neurath au courant de l’enquête et il a signé cette proclamation. S’il avait été d’accord pour modifier cette situation en atténuant par exemple la rigueur de la peine, ce qu’il pouvait parfaitement faire, j’aurais été obligé de me ranger à son avis. » (Au témoin.) Continuez-vous à contester ces déclarations ?
Je ne sais pas combien de fois il faudra que je vous répète que je ne me trouvais pas à Prague à cette époque. En outre, je ne sais pas sous quelle pression Frank a fait ses déclarations. La date n’est pas mentionnée, mais je crois que vous avez parlé du 7 avril, quelques jours avant son exécution.
J’attire l’attention du Tribunal sur le fait que vous modifiez les données d’une façon consciente. Je vous dis que ces dépositions ont été faites le 7 mars et non pas le 7 avril ou deux jours avant l’exécution, comme vous venez de le dire. Vous avez ce document devant vous et vous pouvez vous en rendre compte.
Bon, mettons le 7 mars. J’ai dit 7 avril parce que je n’avais pas vu cette date en haut du procès-verbal. Mais je crois vous avoir déjà dit trois fois que je ne pouvais rien savoir puisque je ne m’y trouvais pas.
Vous faites beaucoup de confusions. Vous vous êtes également trompé hier sur le nombre des étudiants abattus.
Je ne sais plus ce que j’ai dit hier ; mais je crois que je ne me suis pas trompé de beaucoup, peut-être d’un ou de deux, c’est tout.
Je vous rappellerai votre réponse à la question de Sir David qui vous avait présenté le document PS-3858 et dont il ressortait qu’après la fermeture des facultés il ne restait plus 18.000 étudiants.
Général Raginsky, est-il vraiment utile de revenir sur le contre-interrogatoire de Sir David ? Nous avons déjà dit que nous ne voulions pas entendre deux fois les mêmes explications sur un même sujet.
Monsieur le Président, je ne voulais pas revenir sur le même sujet et ne projetais pas de compléter le contre-interrogatoire que Sir David a parfaitement dirigé. Je voulais seulement établir la vérité. Quand l’accusé disait hier que le document présenté par Sir David comportait des erreurs, à savoir qu’il n’y avait à Prague que deux facultés et qu’en conséquence il n’a pu y avoir 12.000 étudiants arrêtés dans cette ville, ce n’est pas. conforme à la vérité car il ne s’agissait pas seulement de la fermeture de deux facultés de Prague, mais, sur la base du décret du 17 novembre 1939 que j’ai mentionné, les universités tchèques de Prague et de Brno, l’école technique de Brno, l’école technique tchèque à Prague devaient être fermées...
Mais, général Raginsky, nous avons déjà entendu tout cela hier. Nous ne voulons pas l’entendre une seconde fois. Nous avons entendu parler de la fermeture de l’université de Prague.
Bien, Monsieur le Président. Je ne veux que constater que ce ne sont pas deux universités qui ont été fermées, mais une dizaine de facultés. Je n’ai plus que quelques questions à poser à l’accusé. Vous aviez été décoré plusieurs fois par Hitler, comme vous l’avez dit vous-même et comme il ressort des documents ? Vous avez été décoré en particulier le 22 novembre 1942 de la Croix de fer pour faits d’armes ? Pour quels faits Hitler vous a-t-il décoré ?
Général Raginsky, nous avons déjà abordé ce sujet hier au cours du contre-interrogatoire de Sir David ou même au cours de l’interrogatoire principal, je crois. Nous avons parié de toutes ces décorations qui ont été remises à l’accusé.
Monsieur le Président, je ne veux pas revenir sur cette question de décorations, mais je voudrais seulement demander à l’accusé pourquoi il a reçu la Croix de fer de Hitler en 1942.
Bien, vous pouvez le lui demander.
Malheureusement, je ne puis pas vous le dire ; je ne sais pas à quels mérites l’attribuer. Le fait de conférer cette distinction de guerre était général, puisque tous les hauts fonctionnaires en service l’ont reçue.
Je n’insisterai pas sur votre réponse. Je constate seulement que vous avez été décoré en 1940 après avoir mené une action de terreur contre la population tchécoslovaque.
Je n’ai pas que je sache, exercé une semblable action.
Bien. Puisque vous ne comprenez pas, nous n’allons plus nous attarder. En février 1943, à l’occasion de votre anniversaire, plusieurs journaux influents ont publié des articles spéciaux qui vous étaient consacrés. Je ne veux pas présenter tous ces journaux au Tribunal ni en lire des extraits. Je ne veux lire que deux passages extraits d’un journal du 2 février 1943, le Fränkische Kurier. On va vous en remettre une photocopie et vous pourrez en suivre le texte. Je dépose ce journal sous le numéro URSS-495. On explique, à propos de votre anniversaire :
« Les événements de politique extérieure les plus marquants, qui ont suivi la prise du pouvoir, auxquels le baron von Neurath a pris une part importante eh sa qualité de ministre des Affaires étrangères et auxquels son nom restera à jamais lié, sont l’abandon de la Conférence du désarmement à Genève, la réincorporation de la Sarre au Reich, la dénonciation de l’accord de Locamo... »
Et, plus loin :
« Le ministre et Protecteur du Reich, le baron von Neurath, a été, à plusieurs reprises, décoré par le Fùhrer pour son travail méritoire. Il a reçu en particulier l’insigne en or du Parti, le titre de « Gruppenfùhrer SS », l’ordre de l’Aigle allemand et l’insigne en or des services pour son activité diplomatique pendant quarante ans.
En reconnaissance de ses services particuliers rendus dans l’accomplissement de sa tâche au cours de la guerre, le Fùhrer lui a accordé, en sa qualité de Protecteur du Reich en Bohême-Moravie, la croix des services de guerre de première classe. »
Cet article reproduit-il exactement les faits ?
J’aurais eu beaucoup à faire s’il m’avait fallu vérifier l’exactitude de tous les articles écrits par des journalistes. Ce que vous venez de lire n’exprime que l’opinion d’un journaliste, et rien d’autre.
Ce n’est pas la question. La question est de savoir si les faits sont correctement rapportés dans cet article. Vous pouvez répondre à cela.
Oui... Non .. .
Que voulez-vous dire ? Oui ou non ?
Ce qui est dit au sujet des décorations est exact, mais le reste ne l’est pas.
Je n’ai plus d’autres questions, Monsieur le Président.
Docteur Lûdinghausen, voulez-vous poser quelques questions à l’accusé ?
Monsieur le Président, hier après-midi j’avais le sentiment et l’impression, non sans raison, que M. von Neurath avait été fatigué par son interrogatoire précédent et qu’il n’était plus en état de répondre naturellement aux questions qui lui étaient posées. Cela n’est pas étonnant, si l’on tient compte que M. von Neurath a 74 ans et souffre de plus d’une assez grave affection cardiaque. Je me vois donc obligé de l’interroger sur quelques points particuliers du contre-interrogatoire d’hier.
Monsieur von Neurath, vous avez déclaré hier qu’en raison des excès commis en 1933 et plus tard par les SA et d’autres cercles radicaux, vous avez souvent protesté auprès de Hitler. Pourquoi vous êtes-vous rendu directement auprès de lui et n’avez pas exprimé vos doutes lors des séances du Cabinet qui, à cette époque, avaient encore lieu ?
J’avais déjà fait l’expérience à ce moment-là que Hitler ne supportait aucune contradiction et n’était accessible à aucune objection lorsqu’elles se manifestaient dans un cercle assez large, car il souffrait toujours du complexe de se trouver en face d’une opposition contre laquelle il devait se défendre. Il en était autrement lorsque l’on se trouvait seul à seul avec lui. Pendant les premières années tout au moins, il a été parfaitement accessible à des arguments raisonnables et il était possible d’obtenir des atténuations, des adoucissements aux mesures radicales qui avaient été prises.
Au surplus, je voudrais encore déclarer qu’après les excès dont il a justement été question dans l’affidavit de M. Geist, s’est tenue une séance de Cabinet au cours de laquelle différents ministres, dont des ministres non nazis, ont protesté vivement contre la répétition de tels faits. Hitler a été tout à fait accessible à ces objections et a déclaré que de tels excès ne devaient pas se répéter. Il a prononcé un discours peu de temps après, dans lequel il a répété cette assurance. Jusqu’au mois de juin 1934, il n’y a plus eu d’excès.
Mais en avril 1933, il y a eu, si je ne me trompe, le fameux boycottage des Juifs qui a duré vingt-quatre heures ?
Oui, c’était une exigence de M. Goebbels. Il n’y eut ni excès ni voies de fait à cette occasion ; tout s’est limité au boycottage. C’est, au surplus, une intervention que j’ai faite en commun avec M. von Papen auprès de Hitler et de Hindenburg qui fut la cause de cette absence d’excès. Une description parfaitement exacte de ces faits se trouve, si je me rappelle bien, dans un article du Times du mois d’avril 1933, qui se trouve également dans mon livre de documents.
Monsieur le Président, ce document a été produit dans mon livre de documents n° 9. A propos de ces documents, de ces arrestations, Sir David a notamment parlé hier de l’arrestation de l’écrivain bien connu von Ossietzski. Vous souvenez-vous que ce M. von Ossietzski avait déjà été condamné à une peine de détention prolongée par un tribunal allemand avant la prise du pouvoir ?
Oui, je m’en souviens après coup, et je me rappelle que M. von Ossietzski avait déjà été condamné pour trahison à une longue peine de réclusion avant la prise du pouvoir, je ne sais plus sous quel Gouvernement, par un tribunal du Reich. Il n’avait pas purgé cette peine et c’est pour cela qu’il fut à nouveau arrêté.
Je voudrais encore vous poser une question au sujet du rapport remis hier par le Ministère Public. C’est la lettre du directeur de ministère Köpke, en date du 31 mai 1934, D-868. Trouvez-vous dans ce rapport de M. Köpke, et dans les renseignements qu’il donne, une preuve de l’immixtion du ministère des Affaires étrangères dans le travail d’excitation des nazis autrichiens ?
Non, nullement. Il s’agit d’un rapport que le directeur de ministère Köpke m’a fait au sujet d’une visite de M. Wächter qu’il décrivait comme un Autrichien conscient de sa responsabilité. M. Wächter avait cherché une liaison avec le ministère des Affaires étrangères et. avec Hitler, afin d’indiquer les dangers qui résultaient du radicalisme croissant des nazis autrichiens. Le directeur du service politique, Köpke, conclut avec M. Wächter que ces craintes sont justifiées. Je crois qu’on ne peut nullement douter que mon point de vue ne fût identique à celui de M. Köpke, et j’ai envoyé ce rapport à Hitler afin d’attirer son attention.
Le Ministère Public, ou plutôt Sir David, a lu hier les deux rapports qui concernent votre attitude et celle de Frank à propos du problème tchèque. C’est le document PS-3859, lettre que vous avez envoyée le 31 août 1940 au chef de la Chancellerie du Reich, Lammers, afin de préparer votre rapport verbal à Hitler. Est-ce que ces deux rapports, notamment celui émanant de Frank, étaient identiques au mémoire mentionné dans le rapport de Friderici ?
Oui, ce sont apparemment les mêmes rapports.
Lors de votre interrogatoire au sujet du rapport Friderici, vous avez déclaré que ce mémorandum se rapportait à des projets des SS, de certains milieux du Parti et du Gauleiter du Bas-Danube, en vue de faire émigrer les Tchèques dans les territoires de l’Est. Vous avez dit, en outre, qu’afin d’éviter ces projets, à votre avis insensés, Frank aurait, sur vos instructions, élaboré ce mémorandum qui recommandait une solution moins radicale et qui, dans une certaine mesure, devait trouver plus tard l’approbation de Hitler. En réalité, rien ne se serait passé de ce que vous aviez prévu, et l’idée de l’assimilation avait, en pratique, été enterrée. Est-ce exact ?
Oui, c’est exact. Tous ces faits et l’élaboration de ce mémorandum sont bien difficiles à expliquer. On ne peut le comprendre que de par le développement politique intérieur ; les efforts entrepris par les Gauleiter en vue de diviser le Protectorat avaient été poussés très loin. Ils avaient envoyé des mémorandums et ils avaient M. Himmler derrière eux. Tous ces mémorandums proposaient une solution radicale du problème tout entier. Cela voulait dire, en d’autres termes, que l’on pouvait craindre que Hitler ne se rendît aux désirs des Gauleiter. Afin de m’y opposer, je devais faire des propositions dont je disais moi-même qu’elles étaient inexécutables, et j’ai tout d’abord adopté un point de vue qui put, par la suite, s’avérer absurde. Ce n’est qu’ainsi que vous pouvez expliquer l’élaboration de ces mémorandums. Je n’ai pas moi-même rédigé ce mémorandum, mais il a été fait par mon cabinet et en tout cas d’après mes directives. Ce n’était, et je désire encore insister sur ce point, qu’une manœuvre purement tactique afin d’avoir une voie d’accès auprès de Hitler dont je devais craindre qu’il ne donnât suite aux propositions radicales de Himmler et de ses amis. J’ai obtenu en fait de Hitler qu’il donnât un ordre strict — ce que je demandais — pour que l’on ne discutât plus ces plans ; seule la prétendue assimilation restait en cause qui ne pouvait se réaliser qu’au bout de plusieurs années. En fait, plus rien ne s’est passé, et tel était mon but.
L’ordonnance que le Ministère Public a produite hier et qui était adressée aux autorités allemandes du Protectorat à propos du règlement officiel du problème germano-tchèque, c’est le document 3862, en date du 27 juin 1941. A-t-elle quelque chose à voir avec ces mémorandums, cet entretien ou cette décision de Hitler ?
Mais évidemment, et je crois l’avoir déjà dit hier. L’année suivante, l’agitation reprit tout à coup en vue d’une telle germanisation et d’une division du Protectorat. Je me suis à nouveau élevé contre ces faits et interdit que cette question fût abordée, puisque la décision était prise.
Le document URSS-487 a été produit hier. C’est une lettre du chef de la Police de sûreté, adressé au secrétaire d’État Frank, le 21 juillet 1943, c’est-à-dire après votre départ. De ce document, le Ministère Public tire la conclusion qu’après un décret du 5 mai 1939 vous avez institué le chef du SD et de la Police de sûreté à Prague votre collaborateur politique. A-t-il eu une activité quelconque et laquelle ?
Non, justement pas. Il découle de cette lettre, en date du 21 juillet 1943, qu’il n’a jamais eu d’activité.
Monsieur le Président, il faut que je dise que la question n’est pas bien posée. Ce n’est pas un document de 1943, ni de 1942, mais du 21 juillet 1939.
Puis-je dire à ce sujet que cela n’a aucune espèce d’importance. Rien ne s’est fait et je n’ai pas nommé de collaborateur politique.
Quelles mesures ont été prises à la suite des deux documents PS-3851 et PS-3858 cités hier ici par le Ministère Public ? Ce sont des propositions de vos chefs de service pour l’utilisation de la main-d’œuvre étudiante devenue disponible du fait de la fermeture des facultés tchèques.
J’ai déjà dit hier qu’il devait probablement s’agir d’une proposition d’un collaborateur ; elle ne m’est même pas parvenue, puisqu’elle avait déjà été repoussée par mon sous-secrétaire d’État. Comment peut-on me rendre responsable d’un projet élaboré par un de mes collaborateurs ?
Je voudrais encore poser une question sur le traité germano-autrichien du 11 juillet 1936. Est-il exact que vous ayez déclaré dans le rapport du Dr Rainer à Bürekel (document PS-812) qui a été précédemment déposé par le Ministère Public, que Hitler avait personnellement expliqué, immédiatement après la conclusion de ce traité, au Dr Rainer et au chef des nazis autrichiens Globocznik, que ce traité avait été conclu d’une façon particulièrement loyale et sincère et que les nationaux-socialistes autrichiens devaient s’y conformer strictement et régler sur ses stipulations leurs rapports avec le Gouvernement autrichien ?
Oui, c’est exact, et je crois me souvenir également — je l’ai déjà dit hier — que M. Rainer l’a déclaré ici à la barre.
Docteur von Lüdinghausen . . .
Une dernière question, Monsieur le Président...
L’accusé a répondu hier à cette question d’une façon parfaitement claire.
J’en ai immédiatement terminé : je ne voudrais poser qu’une seule question qui servira de conclusion à tout l’interrogatoire de mon client.
Le Ministère Public, et également Sir David, hier, vous ont reproché de n’avoir pas démissionné et d’être demeuré dans le Gouvernement, tout en n’étant pas, selon vos propres paroles, d’accord avec le régime nazi et ses méthodes et tout en considérant comme immorales et répréhensibles certaines choses qui avaient pu se produire. Voulez-vous, je vous prie vous expliquer encore sur ce point ?
J’ai indiqué dès le début que j’avais donné ma promesse à Hindenburg de rentrer dans le Gouvernement et d’y rester aussi longtemps que ce me serait possible, afin d’en éloigner l’emploi de la violence et de protéger l’Allemagne de tout conflit. C’était ma mission, et rien d’autre. Cette promesse donnée à Hindenburg, tout comme mon devoir et le sentiment de ma responsabilité vis-à-vis du peuple allemand d’empêcher autant que possible tout conflit, me liaient à ma tâche ; mes désirs personnels, qui étaient tout autres, devaient disparaître devant ces exigences.
Mon pouvoir et .mon influence en ma qualité de ministre des Affaires étrangères n’étaient pas si grands que j’eusse pu, dans un autre domaine, la politique intérieure par exemple, éviter des actions désastreuses et immorales. J’ai essayé dans beaucoup de cas d’exercer cette influence apaisante, et particulièrement dans la question juive. J’avais cru de mon devoir suprême de remplir ma tâche, de ne pas m’y dérober et de voir même si je pouvais agir dans d’autres domaines où survenaient des initiatives qui me déplaisaient profondément et heurtaient mes convictions. Il y a peut-être beaucoup de personnes qui sont d’un autre avis et qui ont une autre façon de voir les choses que moi-même. J’ai subi des attaques semblables, lorsque, après la révolution de 1919 je me suis mis à la disposition d’un cabinet social-démocrate. A ce moment aussi, on m’a attaqué de la façon la plus vive et on m’a fait les pires reproches.
Vous avez lutté avec vous-même ? Vous me l’avez souvent raconté ?
Oui, naturellement. Il n’est pas facile d’appartenir à un Gouvernement dont on n’accepte pas les tendances, et d’être rendu ultérieurement responsable de son fait.
Monsieur le Président, j’en ai ainsi terminé avec mon interrogatoire. Puis-je proposer de faire maintenant la suspension et de procéder ultérieurement à l’interrogatoire de mes témoins ?
L’audience est suspendue.
Docteur Horn, avez-vous des questions à poser ?
Monsieur le Président, je demande simplement l’autorisation pour mon client de ne pas assister aux audiences de cet après-midi et de demain afin que je puisse m’entretenir avec lui de questions importantes.
Vous êtes l’avocat de l’accusé von Ribbentrop ?
Oui, Monsieur le Président..
Oui, certainement.
Je vous remercie.
Monsieur le Président, au cours de l’audience d’hier après-midi le général Raginsky a posé la question de savoir si Rosenberg était intervenu dans la politique étrangère de Neurath. L’interprète vient de me dire qu’elle avait traduit par erreur : « Ribbentrop est intervenu dans la politique étrangère de Neurath. » Cette question n’a, par conséquent, pas reçu de réponse. C’est pourquoi je voudrais pouvoir, Monsieur le Président, demander à M. le baron von Neurath si Rosenberg s’est mêlé à sa politique étrangère.
Non, en aucune façon. Je n’ai jamais parlé à Rosenberg de questions de politique étrangère.
Je demanderai en outre une rectification du procès-verbal car la question qui avait été posée était non pas :
« Ribbentrop est-il intervenu dans la politique de von Neurath ? mais Rosenberg est-il intervenu dans la politique de von Neurath ? »
Oui, le procès-verbal sera rectifié.
Accusé, je voudrais vous poser quelques questions. Vous vous rappelez que la baronne von Ritte’r a dit... Je vais vous le lire exactement : « Quand M. von Neurath s’aperçût pour la première fois que les buts de Hitler, conformes à ses déclarations du 5 novembre 1937, seraient atteints par l’emploi de la violence vis-à-vis des États voisins, il fut tellement ébranlé qu’il en eut plusieurs attaques cardiaques. »
C’est une description exacte de ce que vous avez éprouvé à ce moment-là ? (Le témoin fait un signe affirmatif de la tête.) Vous nous avez dit que vous avez alors immédiatement parlé au général Beck et au général von Fritsch. Vous vous le rappelez ?
Oui.
Et je crois que vous avez dit à Sir David que vous n’aviez pas parlé à l’accusé Göring. Mais je vous demande maintenant si vous avez parlé de ces déclarations de Hitler à quelqu’un d’autre pendant les deux ou trois mois qui ont suivi ? En avez-vous parlé à quelqu’un au ministère des Affaires étrangères ?
J’en ai parlé avec mon secrétaire d’État.
Et à qui d’autre au ministère des Affaires étrangères ?
Avec personne d’autre, car Hitler m’avait demandé de garder le silence sur tous ces entretiens ; voilà pourquoi je n’en ai pas parlé avec mes subordonnés. Ils ne savaient rien, et ils ne pouvaient rien apprendre non plus des militaires.
En avez-vous parlé à l’accusé Papen quand vous l’avez rencontré par la suite ?
Non, je crois que je ne l’ai même pas vu à ce moment.
En avez-vous discuté avec quelqu’un avant votre démission ?
Non.
Une autre question encore. Vous avez reconnu, n’est-ce pas, que Himmler utilisait des méthodes que vous n’approuviez en aucune façon ?
Oui, mais petit à petit seulement. Il était impossible de le discerner au début.
C’est ce que je voulais savoir. Quand l’avez-vous réalisé pour la première fois ? A quelle époque environ avez-vous réalisé quelle sorte d’homme était Himmler ?
A vrai dire, il était très difficile de le savoir. Himmler avait deux visages, une véritable tête de Janus. Il était très difficile de connaître ses sentiments.
Je ne vous demande pas ce qu’il était. Essayez de vous rappeler le moment où vous l’avez su. Est-ce que vous le saviez en 1937, par exemple ? Ou en 1938 ? En 1938, vous le saviez certainement ?
En 1938, certainement, mais il m’est très difficile de vous donner une date précise en ce moment. Je ne peux pas donner de date précise.
Je ne veux pas une date exacte ; je vous reproche de l’avoir su avant que vous ne vous rendiez dans le Protectorat, Vous saviez ce que Himmler était avant de devenir Protecteur du Reich, n’est-ce pas ? Il n’y a pas de doute là-dessus, je pense ?
Oui, certainement.
Je vous remercie. C’est tout.
Vous êtes-vous parfois dressé contre la politique du Gouvernement hitlérien ?
La traduction ne m’est malheureusement pas parvenue.
Au cours de vos explications devant le Tribunal, vous avez déclaré que vous n’étiez d’accord avec la politique du Gouvernement hitlérien ni sur les questions particulières, ni sur les questions générales. Est-ce exact ?
Oui.
Est-ce qu’à un moment quelconque vous vous êtes élevé contre cette politique en exprimant que vous ne l’approuviez pas ?
Je l’ai fait plus d’une fois.
Comment avez-vous, fait ? Je parle d’une démarche officielle par la voie de la presse ou à l’occasion d’une réunion quelconque ?
Non, il était absolument impossible de se manifester dans la presse, ou de parler lors d’une réunion. C’était exclu. Je ne pouvais manifester mon opposition qu’à Hitler personnellement, et au début encore, qu’au sein du cabinet. Il n’y avait plus de liberté de la presse, pas plus qu’en Russie, pas plus qu’il n’y avait une liberté de réunion.
Je ne vous interroge pas sur la Russie, mais sur votre façon de vous comporter. Par conséquent, vous n’êtes pas intervenu ?
Non.
Et par conséquent, personne en Allemagne n’avait la possibilité de savoir et ne savait que vous n’étiez pas d’accord avec la politique du Gouvernement hitlérien ?
Je me suis toujours exprimé là-dessus et de façon non ambiguë, mais non dans des articles de journaux ou au cours de réunions. Mais, d’une façon générale, je me suis toujours exprimé avec précision.
Évidemment, mais en avez-vous parlé à Hitler personnellement ? C’est ce que vous avez dit ?
Non, je l’ai dit à qui voulait l’entendre, mais je ne pouvais pas le dire dans des réunions, dans des discours ou des articles de journaux. Je ne pouvais pas le faire.
Vous êtes resté dans le Gouvernement sans tenir compte du fait que vous n’étiez pas d’accord avec lui ? C’est bien cela ?
Précisément pour cela.
De façon à lutter contre cette politique ?
Oui.
Est-ce que vous avez eu connaissance des résultats de cette politique de résistance ?
Je n’ai pas compris.
Quels ont été les résultats de votre résistance à la politique du Gouvernement nazi ?
Je ne suis pas en mesure de vous donner le détail des effets qu’ont eus mes interventions.
En particulier, en ce qui concerne la question de l’agression. Vous étiez hostile à l’Anschluss de l’Autriche ?
Oui.
Le Gouvernement hitlérien a tout de même annexé l’Autriche.
J’ai clairement déclaré ici que Hitler a procédé à cette agression au tout dernier moment.
Vous étiez hostile à l’incorporation de la Tchécoslovaquie, n’est-ce pas ?
Oui.
Et le Gouvernement allemand s’est tout de même emparé de la Tchécoslovaquie.
Je n’étais même plus membre du Gouvernement à ce moment-là.
Mais en tant qu’homme politique dont on devait tenir compte, vous avez tout de même manifesté une opinion hostile à cet acte ?
Toujours.
Vous étiez hostile à l’agression contre la Pologne ?
Absolument.
L’Allemagne, cependant, s’est emparée de la Pologne ?
Je répète que je n’étais pas membre du Gouvernement et je n’ai appris cette nouvelle qu’au tout dernier moment.
Vous étiez hostile à l’agression contre l’Union Soviétique ?
A plus forte raison ; je voulais exactement le contraire. Je voulais une alliance entre l’Union Soviétique et l’Allemagne. Déjà en 19...
Et cependant l’Allemagne a attaqué d’Union Soviétique ?
Oui.
D’après vos explications, Hitler a dû avoir connaissance de votre opposition et de vos idées qui étaient contraires à sa politique ?
Il connaissait parfaitement mon attitude, et c’est pourquoi j’avais en 1938 demandé ma démission.
Savez-vous comment Hitler agissait avec ses ennemis politiques ?
Dans le Reich, oui.
Et en ce qui vous concerne, rien ne vous est arrivé, bien que vous fussiez dans l’opposition ?
Je n’ai pas compris la traduction.
En ce qui vous concerne, il ne vous est rien arrivé du fait que vous apparteniez à l’opposition ?
Non, mais je comptais toujours qu’il se produirait quelque chose.
Pouvez-vous me dire si Nevile Henderson dans son livre Faillite d’une mission décrit avec exactitude les faits qui vous concernent ? Croyez-vous que Henderson décrive de façon exacte les faits qui vous concernent ?
Je dois avouer que j’ai lu ce livre de Nevile Henderson, une fois, il y a trois ou quatre ans et que je ne me souviens pas exactement de ce qu’il dit de moi. J’en ai entendu citer quelques extraits de-ci dé-là, mais je ne puis vraiment pas dire exactement ce qu’il écrit à mon sujet.
Je suppose que vous connaissez les extraits que votre avocat a introduits dans son livre de documents ?
Oui, oui.
Ce qui est exprimé dans ces extraits qui vous concernent est-il exact ou non ?
Oui, je le suppose.
Par conséquent, c’est exact. Et ce qu’il dit à propos de votre appartenance au Parti est exact également ? Il écrit : « Le baron von. Neurath qui faisait partie du Gouvernement Hindenburg n’était pas membre du parti nazi ». Est-ce exact ?
Je n’étais pas membre du parti nazi, et cela je l’ai dit et répété ces derniers jours.
Plus loin, il écrit que « Neurath est ultérieurement devenu membre du parti nazi ».
J’ai déjà expliqué ce qu’il en était à cet égard. Après 1937, j’ai reçu l’insigne d’or du Parti sans mon...
Oui, nous avons déjà entendu cela. Mais, il est bien exact que vous êtes devenu plus tard membre du Parti comme le déclare Henderson ?
Non, je suis...
Cette déclaration est donc inexacte ?
J’ai reçu l’insigne d’or du Parti en même temps que Hitler me déclarait que cela ne constituait pour moi aucune obligation envers le Parti.
Nous avons déjà entendu cela. Par conséquent, dans la déclaration de Sir Nevile Henderson qui vous concerne, tout n’est pas exact à votre avis ?
Je l’ignore. J’ai dit qu’avec la meilleure volonté du monde, je ne pouvais me rappeler ce que Sir Nevile Henderson avait écrit à mon sujet.
J’ai une dernière question à vous poser à propos de votre mémorandum. Je n’ai pas parfaitement compris les explications que vous avez données à ce sujet à Sir David et ensuite à votre avocat. En transmettant les mémorandums de Frank ; vous aviez écrit dans une lettre adressée à Lammers que vous estimiez que ce mémorandum était parfaitement correct. C’est exact, n’est-ce pas ?
Oui, parfaitement, et je puis vous en donner les raisons...
Non, vous avez déjà donné ces raisons. Je voulais simplement préciser que vous l’avez effectivement écrit.
Je n’ai pas donné ici la raison pour laquelle j’avais écrit cela à Lammers ; la voici : c’était lui qui soumettait ces mémorandums au Fùhrer. Je devais donc écrire dans le même sens.
Il y a deux points sur lesquels je désire vous interroger. Le premier se rapporte à la lettre que vous avez écrite le 31 août 1940 (c’est la lettre à laquelle vient de se référer le général Nikitchenko). Vous vous rappelez cette lettre ?
Oui.
Et vous vous souvenez que vous avez dit dans cette lettre que vous étiez pleinement d’accord avec le mémorandum que votre secrétaire d’État Frank avait rédigé indépendamment de vous-même. Dans ce mémorandum, Frank dit :
« Une telle germanisation prévoit : 1° Le changement de nationalité des Tchèques aptes à devenir Allemands ; 2° L’Émigration des Tchèques inassimilables et des classes cultivées opposées au Reich et, éventuellement, le traitement spécial de tous ces éléments destructeurs. » .
Je vous demande maintenant ce que vous entendiez par traitement spécial ?
Dans la mesure où j’ai pu lire cette expression à cette époque, il est certain que je n’ai songé en aucune façon qu’il pouvait s’agir des « traitements spéciaux » tels qu’ils nous sont apparus à la lumière de ce Procès. Je n’étais pas d’accord avec l’attitude de Frank telle qu’elle s’exprimait dans ce rapport. J’avais tout simplement l’intention d’étouffer toute cette affaire et de la diriger sur une voie de garage. Par conséquent, le contenu de ces rapports était simplement destiné à expliquer la chose à Hitler dans son langage ou dans celui de Himmler ou d’autres gens afin de le détourner de ses résolutions.
N’était-ce pas un peu équivoque d’écrire à Lammers en lui demandant de présenter ce mémorandum à Hitler parce que vous étiez d’accord avec lui alors qu’en réalité vous ne l’étiez pas ?
Monsieur le Président, dans les circonstances du moment, il ne m’était pas possible d’écrire à Lammers que je n’avais pas l’intention d’exécuter le contenu de ce rapport. Mais je devais dire une bonne fois à Lammers qui allait le présenter à Hitler, que j’étais d’accord avec ses termes. Ensuite, par une intervention personnelle, avant la conférence avec Frank et Gùrtner dont il a été question ici, je me suis fait annoncer chez Hitler pour lui donner des explications directes.
Vous ne savez pas alors ce qu’on entendait par « traitement spécial » ?
Non ; en tous cas, à ce moment, je ne le savais pas.
Il y a maintenant une autre question que je voudrais vous poser. Vous vous souvenez, lorsque vous avez été appelé le 11 mars 1938, au moment de l’Anschluss, que vous avez écrit le 12 mars 1938 une lettre en réponse au mémorandum que vous aviez reçu du Gouvernement britannique par l’intermédiaire de Sir Nevile Henderson ? Vous connaissiez fort bien Sir Nevile Henderson, n’est-ce pas ?
Oui.
Dans votre lettre, vous dites ceci : « Il est faux que le Reich ait exercé une pression violente dans le sens de cette évolution. Ce n’est là qu’une simple assertion qui a été lancée plus tard par l’ancien Chancelier fédéral, et c’est invention de sa part que de dire que le Gouvernement allemand a présenté un ultimatum, au Président fédéral lui enjoignant de nommer un candidat éventuel pour le poste de Chancelier fédéral et de former un cabinet conforme aux propositions du Gouvernement allemand, faute de quoi l’invasion de l’Autriche par les forces allemandes aurait lieu ». (PS-3287.)
Vous dites ensuite que les choses se sont déroulées ainsi. Vous savez maintenant, n’est-ce pas, que vos déclarations dans cette lettre étaient parfaitement fausses ?
Je n’ai pas entendu la traduction.
Avez-vous au moins entendu une partie de la question que je vous ai posée ?
Malheureusement non.
Il est regrettable que vous ne l’ayez pas dit plus tôt. Vous vous souvenez que le 11 mars 1938 vous avez été convoqué en votre qualité de représentant des Affaires étrangères et vous venez de me dire que vous connaissiez très bien Sir Nevile Henderson ?
Oui.
Vous vous rappelez la lettre que vous avez écrite le 12 mars 1938 ?
Parfaitement.
Et vous avez répondu à Sir David Maxwell-Fyfe que vous admettiez que les déclarations que vous y faisiez étaient fausses ?
Inexactes ? Parfaitement. Pour partie. La chose est présentée d’une façon erronée.
Quelles démarches avez-vous faites pour vous rendre compte si elles étaient exactes ou non ?
Je n’ai appris que bien plus tard l’inexactitude de mes conceptions.
Ce n’est pas une réponse à ma question. Je vous demande quelles sont les démarches que vous avez faites pour vous rendre compte si vos déclarations étaient exactes ?
J’ai commencé par considérer à priori que l’explication qui m’était donnée par Hitler était exacte ; je ne pouvais pas la contrôler.
Pourquoi le pensiez-vous, puisqu’elle était en contradiction directe avec la déclaration du Gouvernement britannique ?
Je n’avais pas d’autre connaissance des événements qui s’étaient produits. Par conséquent, je ne pouvais dire que ce que je savais moi-même.
Vous aviez en mains la protestation du Gouvernement britannique, n’est-ce pas ?
Parfaitement.
Et vous connaissiez fort bien Sir Nevile Henderson ?
Oui.
Et vous avez ensuite écrit cette lettre qui allait à rencontre des déclarations faites par le Gouvernement britannique ? C’est bien cela ?
Oui.
Et vous n’avez fait aucune démarche vous permettant de contrôler si la version des faits telle que vous l’avait donnée Hitler était conforme à la vérité ? Voulez-vous me répondre ?
Mais comment aurais-je pu le faire ? Il n’y avait personne qui sût ce qu’il en était réellement. Je n’avais que les seuls éléments que Hitler m’avait prié de communiquer au ministère des Affaires étrangères ; le projet de note a été rédigé par les Affaires étrangères d’après les renseignements que j’avais reçus de Hitler. Je n’avais pas d’autre moyen d’expliquer les choses.
Il y avait cependant une foule d’autres personnes intéressées à cette affaire avec lesquelles vous eussiez pu entrer en contact. Mais vous n’en avez rien fait ?
Je ne puis que répéter que je n’avais pas de possibilité de me procurer d’autres renseignements. Personne, en dehors de Hitler, ne connaissait rien à cette affaire.
Prétendez-vous devant le Tribunal que Göring ne le savait pas ?
Il est possible que Göring l’ait su.
J’en ai terminé. L’accusé peut retourner au banc des accusés.
Monsieur le Président, je demande la permission de citer à la barre l’ancien directeur et chef des services politiques au ministère des Affaires étrangères, M. le Dr Köpke. (Le témoin gagne la barre.)
Voudriez-vous nous dire votre nom ?
Gerhard Köpke.
Voulez-vous répéter ce serment après moi :
« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète les termes du serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Depuis quand connaissez-vous M. von Neurath ?
Je connais M. von Neurath depuis plus de quarante ans. Sa vie est connue. Je pourrais par conséquent me borner à indiquer que nous avons collaboré tous deux lorsque nous étions vice-consuls à Londres, conseillers de légation au ministère des Affaires étrangères et, plus tard, après l’entrée au ministère de M. von Neurath, en 1932, jusqu’à ma démission en 1935. Entre temps, M. von Neurath a occupé des postes à Copenhague, Rome, Londres ; il est resté quelque temps sur ses terres et il est enfin parti pour Prague. Nous nous sommes vus à l’occasion de mes séjours à Berlin et nous correspondions assez régulièrement car nous étions de vieux amis. Pendant toute cette période, j’étais moi-même resté en fonctions au ministère des Affaires étrangères où j’étais, depuis 1921, directeur du service juridique. A partir de 1923, je suis devenu directeur des affaires politiques occidentales et je le suis resté jusqu’à mon départ du service. J’ai demandé volontairement ma démission à la fin de 1935.
Que savez-vous maintenant de l’attitude de principe de M. von Neurath sur les problèmes de politique intérieure et étrangère, mais seulement dans les grandes lignes ?
En matière de politique intérieure, M. von Neurath se rapprochait des cercles conservateurs, mais il n’a jamais été membre du parti conservateur. Par cette profession de foi conservatrice et par les qualités de son caractère, fidélité à son devoir et sécurité, il a réussi à obtenir la confiance du maréchal Hindenburg et l’a conservée sans interruption jusqu’à la mort de celui-ci. M. von Hindenburg considérait Neurath comme un diplomate plein de conscience, pondéré et sûr. Du reste, des hommes d’autres partis avaient également pleine confiance en lui. Je ne ferai que mentionner feu le Président du Reich Ebert qui rappela en son temps von Neurath aux Affaires étrangères.
Que savez-vous de la nomination de M. von Neurath au poste de ministre des Affaires étrangères, au cours de l’été 1932 ?
La nomination de M. von Neurath au poste de ministre des Affaires étrangères procédait d’un vœu personnel du Président du Reich von Hindenburg. Neurath n’est pas devenu ministre des Affaires étrangères dans le cadre du cabinet von Papen, mais il y est entré comme l’homme de confiance tout particulier du Président du Reich von Hindenburg.
Comment se fait-il que M. von Neurath soit resté ministre des Affaires étrangères dans le nouveau Gouvernement de Hitler ?
Autant que je sache, M. von Neurath n’est pas intervenu dans les négociations qui ont précédé la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes. Si mes souvenirs sont exacts, il souffrait, au cours de ces journées décisives, d’une affection cardiaque et était alité. Mais, encore une fois, s’il est devenu ministre des Affaires étrangères, c’est sur le vœu exprès de Hindenburg.
Pourriez-vous nous dire quelque chose sur l’attitude de M. von Neurath envers Hitler ?
En guise d’introduction, je voudrais faire observer qu’en ma qualité de témoin je ne peux rien dire que je n’aie directement observé moi-même. Je n’ai jamais pris part ou assisté à des conférences que M. von Neurath a pu avoir avec Hitler. Moi-même, je n’ai jamais eu de conversation de service avec Hitler. Mais, d’après les récits mêmes de Neurath et les renseignements que j’ai pu obtenir de personnalités importantes au cours de ces années, j’ai retiré l’impression que, tout au moins dans les premières années, Hitler traitait M. von Neurath avec politesse et déférence. Mais je ne puis dire dans quelle mesure ont pu jouer les égards de Hitler pour le Président du Reich, car Hitler savait combien Hindenburg estimait Neurath. En tous cas, Neurath n’a jamais été l’homme de confiance de Hitler et il n’appartenait pas au cercle étroit des intimes de Hitler, composé des puissants du Parti. Après la mort du Président von Hindenburg, Neurath est resté parce qu’il avait promis au Président du Reich de le faire. Par la suite, M. von Neurath a toujours essayé de faire valoir son influence modératrice et apaisante sur le Parti. Mais je sais, quant à moi, que lorsque les déceptions et les divergences d’opinion se sont multipliées, M. von Neurath a essayé à plusieurs reprises de se séparer de Hitler. A cet égard, j’ai en mémoire deux demandes de démission dont il m’a montré l’une d’entre elles. C’était une lettre manuscrite datée, je crois, du début de 1936, car j’étais déjà à la retraite à cette époque et j’avais rendu visite à M. von Neurath à titre purement amical et privé.
Pourriez-vous, très brièvement, nous tracer une esquisse de l’attitude de M. von Neurath vis-à-vis du parti national-socialiste ?
M. von Neurath était au début assez méfiant vis-à-vis du Parti et de ses dirigeants. A ma connaissance, cet homme qui avait passé une grande partie de sa vie à l’étranger ne connaissait personnellement aucun de ces messieurs. M. von Neurath était convaincu, en raison de son expérience dans le domaine diplomatique et en s’appuyant sur la position de confiance dont il jouissait auprès du Président du Reich, qu’il devait réussir à exercer et à faire valoir son influence dans le sens de la modération et de la compréhension qui étaient le sens même de sa politique. Vis-à-vis de moi — et je crois, également, vis-à-vis d’autres de mes collègues — Neurath a mentionné souvent l’expérience qu’il avait vécue à cet égard à Rome avec le fascisme. Il disait, à l’occasion, qu’il fallait laisser de tels éléments révolutionnaires à leur libre développement.
Ces têtes chaudes arriveraient d’elles-mêmes à la raison et au bon sens à condition qu’on leur donnât le temps et l’occasion d’utiliser leurs expériences à des postes de responsabilité.
Au reste, Neurath partageait également à cet égard l’opinion du secrétaire d’État de l’époque, von Bülow. Il a gardé auprès de lui jusqu’à sa mort ce secrétaire d’État du Chancelier du Reich Brüning, malgré les innombrables tentatives du Parti pour le chasser de son service. Au reste, je voudrais mentionner ici un petit détail qui avait pris alors pour nous, aux Affaires étrangères, une grande valeur. Lorsque le secrétaire d’État von Bülow, qui était unaniment aimé, est mort brusquement, Neurath a réussi à obtenir que Hitler assistât à la cérémonie funèbre qui devait avoir lieu à l’église du Kaiser Wilheim Gedächtnis. Les vieux fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères y voyaient avec joie et apaisement un signe de la forte influence qu’exerçait notre ministre sur le Parti. Cet événement, peut-être insignifiant en soi, se déroulait il y a dix ans aujourd’hui, jour pour jour.
En votre qualité de directeur de la section politique des Affaires étrangères, vous étiez l’un des collaborateurs les plus proches de M. von Neurath, et vous pouvez assurément nous dire quelles étaient les tendances fondamentales qui dominaient la politique étrangère de von Neurath.
L’attitude politique générale de Neurath se conformait à son caractère et à sa longue expérience acquise au cours de ses longues années de service diplomatique. Elle était orientée vers le compromis, l’expectative, la négociation. Toutes mesures de violence, toutes démarches définitives étaient contraires au caractère de M. von Neurath. Ce n’était pas un joueur et il n’avait pas non plus une nature de lutteur.
J’en viens maintenant à un certain nombre d’événements importants de politique étrangère qui se sont produits pendant que vous étiez sous les ordres de von Neurath à la tête de la section politique. En octobre 1933, l’Allemagne a quitté la Conférence du Désarmement et la Société des Nations. Je voudrais, à ce propos, vous poser la question suivante : y avait-il, à ce moment précis ou pour l’avenir, des raisons agressives quelconques motivant cet abandon par l’Allemagne de la Société des Nations et de cette Conférence ?
Non ; dans la mesure où les circonstances telles que vous les avez révélées se présentaient à nos yeux de fonctionnaires du ministère, la situation était la suivante : personne au ministère n’a jamais songé à des plans ou préparatifs de guerre. Il s’agissait uniquement, en l’occurrence, d’une manifestation particulièrement significative du fait que l’Allemagne ne voulait plus se laisser faire et ne pouvait pas tolérer la situation qui lui était réservée, avec des droits et des devoirs différents de ceux des autres peuples. Nous n’avons vu dans la remilitarisation de la Rhénanie aucune intention agressive, ni au moment où elle est intervenue, ni pour l’avenir.
Ultérieurement, en 1935, l’Allemagne rétablit sa souveraineté militaire et, un an plus tard, eut lieu la remilitarisation de la zone démilitarisée de la Rhénanie. Je voudrais, à ce propos, vous citer une phrase d’une déclaration sous serment de Paul Schmidt, ancien ambassadeur et interprète du ministère des Affaires étrangères. Il s’exprime ainsi sur les événements du printemps 1935 :
« La conclusion d’un pacte d’assistance mutuelle entre la France et l’Union Soviétique a suivi, le 2 mai 1935, l’annonce de la création d’une armée de l’air allemande et de la réintroduction du service militaire obligatoire en mars 1935. »
Je voudrais maintenant que vous nous disiez très brièvement si vous pouvez nous donner une vue d’ensemble des événements historiques qui ont amené le retour de la souveraineté militaire en mars 1935 et l’occupation de la Rhénanie en mars 1936.
Je crois que...
Docteur von Lüdinghausen, nous avons déjà entendu les développements historiques dont vous parlez. Nous ne voulons pas les entendre à nouveau de la bouche de ce témoin.
Très brièvement, Monsieur le Président, les grands traits seulement. Je ne veux pas d’explications mais simplement mettre en évidence de façon précise la succession des événements.
Le Tribunal a les dates en mémoire, Docteur von Lüdinghausen. Nous les connaissons depuis quelques mois.
Bien. Si le Tribunal estime que ce n’est pas nécessaire à son information, je dois évidemment renoncer à ma question. J’en viens par conséquent...
Vous pouvez lui poser les questions que vous désirez. Mais vous lui avez dit : « Faites-nous un tableau des événements historiques à partir du 2 mai 1935 ». Or, nous les avons déjà entendus à maintes reprisés.
Monsieur le Président, je ne tenais qu’à ceci : on pourrait déduire de l’affidavit de M. Schmidt dont je viens de faire une citation...
Posez-lui la question que vous désiriez lui poser au sujet de cet affidavit.
Je vais ainsi formuler ma question : je viens de vous lire une phrase de M. Schmidt et de vous dire qu’il était possible d’en déduire que la conclusion de Pacte d’assistance franco-soviétique du 2 mai 1935 était la conséquence du rétablissement de la souveraineté militaire de l’Allemagne. Est-ce exact ou qu’en est-il réellement ?
Il m’est difficile en fait de répondre à cette question si l’on se contente d’opposer dans le temps ces deux événements. La conclusion du Pacte franco-soviétique est effectivement survenue le 2 mai 1935 et le rétablissement de la souveraineté militaire s’était produit en mars 1935. Mais les pourparlers en vue de la conclusion de ce pacte d’assistance ont une origine plus lointaine. Je voudrais rappeler ici que la période critique dans laquelle ces pourparlers sont entrés avant la restauration de la souveraineté militaire ressort clairement du rapport de la Commission française de l’Armée qui parle ouvertement d’une entente étroite entre les deux pays. C’était le 23 novembre 1934.
J’en viens maintenant à une autre question : je voudrais que vous me disiez si vous connaissiez l’opinion et le point de vue de M. von Neurath sur la question de l’Autriche, tout au moins de votre temps ?
Je connaissais le point de vue de M. von Neurath sur la question autrichienne bien longtemps avant le temps de notre collaboration, lorsqu’il était ministre, car en sa qualité d’Allemand du Sud, le problème devait l’intéresser tout particulièrement et je me souviens de maint entretien que j’ai eu avec lui au temps où j’étais encore vice-consul. Il avait l’intention de tout faire pour rendre les rapports plus étroits entre l’Allemagne et l’Autriche dans le domaine économique, et cela surtout dans l’intérêt de l’Autriche. Politiquement, des pactes entre les deux États devaient rétablir une orientation commune de la politique générale des deux pays, sans que l’indépendance de l’Autriche fût compromise. C’est la conviction que nous avions acquise au ministère des Affaires étrangères au cours des années qui avaient précédé son entrée en fonctions à la tête de ce ministère, à la suite d’une union douanière limitée au seul domaine économique. Le fait que cette tentative pouvait être jugée comme Anschluss sur le plan politique constituait un avertissement extrêmement redoutable pour tous ceux qui voulaient encore toucher à ce fer brûlant.
Pendant la durée de ses fonctions, Neurath a pensé ainsi, dans la mesure où j’en ai discuté ou ai travaillé avec lui. Je voudrais à ce propos dire que l’époque critique dans la question d’Autriche se place vraisemblablement après mon départ du service. Au reste, Hitler, à l’origine, a partagé la conception mesurée de Neurath. C’est ce qu’ont révélé en 1934, à Venise, les entretiens entre Hitler et Mussolini. Et il est tout à fait intéressant de noter les remarques que Hitler a faites à Sir John Simon à propos du problème de l’Anschluss, à l’occasion de pourparlers qui ont eu lieu à Berlin en mars 1935. A ce moment-là, Hitler s’exprima à peu près de la façon suivante vis-à-vis de l’homme d’État britannique : si les gens à Londres connaissaient aussi bien l’Autriche que Hitler lui-même, on le croirait lorsqu’il assure qu’il ne peut pas souhaiter augmenter encore les soucis économiques allemands par de nouveaux soucis économiques. L’Allemagne ne veut pas d’immixtion à l’intérieur de ce pays. Hitler sait fort bien qu’une intervention dans les affaires autrichiennes, même sur le désir du peuple autrichien, de procéder à l’Anschluss, ne pourrait être légalisée. Tel était à ce moment-là l’avis de Hitler. Neurath, lui aussi, repoussait tout espèce d’intervention dans les affaires intérieures de l’Autriche et condamnait très sévèrement dans les milieux du Parti les tentatives en faveur d’un soutien direct des nationaux-socialistes autrichiens. De mon temps, il s’est efforcé d’exclure absolument le ministère des Affaires étrangères de la lutte de politique intérieure qui se déroulait en Autriche.
Une autre question encore : jusqu’au début de 1936, jusqu’au moment de votre démission, a-t-il jamais été question, aux Affaires étrangères, d’une attaque contre la Tchécoslavoquie ou de la possibilité de ne pas respecter les traités existants avec la Tchécoslovaquie ?
Jamais ; ni l’un ni l’autre. Les rapports économiques et politiques avec la Tchécoslovaquie ont été absolument bons tant que je suis resté dans mon service. Nous n’aurions pas eu de raisons d’y changer quoi que ce fût.
Et maintenant, ma dernière question : pourriez-vous nous dire quelque chose de l’attitude de M. von Neurath dans la question raciale ?
Neurath était absolument hostile au point de vue du Parti sur cette question. Je voudrais à ce propos rappeler une anecdote que Neurath m’a racontée personnellement. Lorsque la législation juive était à la veille d’être promulguée, le ministre de la Justice Gürtner est venu voir M. von Neurath, très ému, pour lui dire qu’il avait averti Hitler et lui avait demandé eh vain de ne pas promulguer toute cette législation impossible. Il a demandé de la façon la plus pressante à M. von Neurath d’insister, en sa qualité de ministre des Affaires étrangères, auprès de Hitler, sur les dangers monstrueux que cette folie allait provoquer à l’étranger. Neurath me raconta qu’il avait fait cette démarche immédiatement mais que toutes ses tentatives avaient été vaines.
L’attitude personnelle de Neurath vis-à-vis du problème juif était tout à fait conciliante et raisonnable, conformément à sa personnalité bienveillante et à ses convictions religieuses. Je voudrais encore, entre autres exemples, citer un incident à ce sujet.
A Londres, à l’époque où nous étions ensemble, le médecin de l’ambassade, qui était juif, faisait partie du cercle étroit des amis de la famille Neurath. Lorsqu’il dut abandonner Londres, sans foyer et sans profession, au cours de la guerre mondiale, Neurath le reçut avec zèle et empressement comme un vieil ami. Lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères, M. von Neurath a toujours aidé ses collègues non aryens, bien que cela lui attirât mainte attaque des cercles du Parti et que ce ne fût pas toujours très facile.
Monsieur le Président, je n’ai pas d’autres questions à poser.
Y a-t-il des avocats qui désirent poser des questions au témoin ? Le Ministère Public désire-t-il interroger le témoin ?
Monsieur le Président, je pense que le Tribunal ne considère pas que le Ministère Public accepte sans restrictions les déclarations du témoin ; mais je crois qu’il n’est pas opportun, afin d’épargner notre temps, de procéder à un contre-interrogatoire. Je ne lui poserai donc pas de questions.
Un instant, Sir David. Vous serait-il agréable, ainsi qu’à la Défense, de discuter à 14 heures les requêtes supplémentaires concernant les documents et les témoins ?
Certainement, Monsieur le Président. Ce moment me convient parfaitement. Je pense qu’il n’y aura pas matière à longues discussions.
Je le pense également. C’est donc entendu. Le témoin peut se retirer. Docteur von Lüdinghausen, voulez-vous appeler votre témoin suivant ; nous voulons qu’il prête serment avant la suspension d’audience.
Puis-je vous prier par conséquent de bien vouloir faire comparaître M. le Docteur Dieckhoff, successeur de M. le Docteur Köpke. (Le témoin gagne la barre.)
Voulez-vous nous dire votre nom ?
Hans Heinrich Dieckhoff.
Voulez-vous répéter ce serment après moi :
« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)
L’audience est levée.