CENT SOIXANTE-QUATRIÈME JOURNÉE.
Mercredi 26 juin 1946.
Audience de l’après-midi.
(Le témoin Dieckhoff est à la barre des témoins.)Plaise au Tribunal. La première requête émane de l’accusé von Neurath et concerne M. François Poncet. Elle a déjà été discutée. La question est donc réglée.
La seconde est adressée par le Dr Marx pour l’accusé Streicher, aux fins d’admission d’un affidavit de Gassner, éditeur du Stürmer. Le témoin doit y traiter de l’extension et de la diffusion du Stürmer pendant la période de 1933 à 1935. Le Ministère Public a déjà déclaré au Tribunal qu’il ne pense pas que ce témoignage soit pertinent si l’on fait une requête pour faire comparaître le Dr Gassner comme témoin. Le Ministère Public est toujours du même avis. Il s’agit d’un. affidavit dont le Tribunal décidera de la pertinence, mais le Ministère Public ne comprend pas l’intérêt de ce moyen de preuve.
Le Dr Marx a-t-il quelque chose à dire sur ce point ?
Monsieur le Président, je viens de parler de cette question avec l’accusé Streicher qui m’a déclaré que le témoin que j’avais projeté de citer, M. Gassner, dont nous proposions un affidavit, ne serait en état de témoigner sur les mouvements du tirage du Stürmer que pour les années postérieures à 1941. Cela ne présente aucun intérêt pour la Défense. Je renonce donc à cet affidavit et je me réfère à ce que le témoin Hiemer a déclaré à ce sujet. Il n’est donc pas nécessaire de prendre cet affidavit en considération.
Monsieur le Président, la requête suivante est faite par le Dr Kranzbühler pour l’accusé Dönitz. C’est une requête aux fins d’examen et d’admission de l’affidavit de l’ancien juge de la Marine Jàckel, à la suite des révélations du contre-interrogatoire. Je pense qu’il serait opportun que le Ministère Public n’élève pas d’objections contre cette requête maintenant, et se réserve ce droit, lorsque le Dr Kranzbühler se servira de cet affidavit.
Il s’agit vraiment là d’un élément de preuve contraire ?
Oui, qui réfute des points soulevés par le contre-interrogatoire. Il est difficile de décider si nous devons formuler une objection définitive avant de connaître l’usage que le Dr Kranzbühler fera de cet affidavit. Je suis d’avis de n’élever pour l’instant aucune objection.
Ces requêtes, ainsi que les décisions du Tribunal qui autorisent des citations de témoins, sont toujours soumises à cette condition.
Monsieur le Président, nous n’élevons alors aucune objection pour le moment. Il y . a ensuite deux requêtes pour l’accusé von Neurath ; d’abord le compte rendu sténographique...
Toutes deux ont été retirées, n’est-ce pas ?
Vraiment ? Je n’en étais pas sûr.
Ensuite, le Dr Thoma fait une requête pour l’accusé Rosenberg, à propos de trois questions : un échange de lettres entre le Dr Ley et l’accusé, une lettre du Dr Strauber du 27 mai 1944 et enfin une note du conseiller ministériel, le Dr Beil. Monsieur le Président, le Ministère Public pense que ces questions ont déjà été réglées. Je ne sais pas si le Dr Thoma veut ajouter quelque chose à ce sujet ?
Je voudrais très brièvement revenir sur ce point, car une erreur s’est certainement glissée dans l’affaire du directeur ministériel Dr Beil. Il s’agit ici d’un questionnaire que j’ai envoyé au Dr Beil et qui ne m’est pas revenu. Je ne sais rien d’autre à ce sujet ; mais j’ai fait une requête dont on n’a pas encore parlé ici. J’avais demandé que des extraits du livre de Rosenberg Tradition et présent, ainsi que des extraits ; de nouveaux discours et de traductions, fussent insérés dans mon livre de documents. Ils traitent de conférences et d’entretiens de l’époque et de questions relatives à la communauté de vie des peuples européens, de la tolérance religieuse et de l’aspiration à une humanité idéale, etc. Je demande que ces extraits soient admis, mais je n’ai pas d’autre requête à formuler. En outre, je m’en remets entièrement à la décision du Tribunal.
Mais, si je vous ai bien compris, Docteur Thoma, vous ne nous avez rien dit des requêtes qui sont devant vous. Elles se rapportent à un échange de lettres entre Ley et l’accusé à l’automne 1944, à une déclaration du Dr Strauber, et enfin à une note de la main du Dr Beil. Vous ne vous êtes pas du tout référé à cela ?
Oui, c’est exact, je dois avouer que ces requêtes me sont complètement étrangères. Cette initiative en faveur de Rosenberg émane d’une tierce personne, car je n’en trouve pas trace. Il doit y avoir une erreur dans le mémorandum adressé au Tribunal. Je ne connais pas du tout ces requêtes.
Docteur Thoma, nous avons ces requêtes devant les yeux, et toutes sont signées de l’accusé Rosenberg et de vous-même.
Alors, cela a dû se passer il y a des mois, je ne puis m’en souvenir. Ceci est en date du 3 juin.
Vous ne les maintenez pas ?
La requête n° 3 est réglée. Je viens de relire ces requêtes et je m’en souviens. Je vous demanderai donc de décider de façon favorable pour l’accusé.
Monsieur le Président, les requêtes suivantes relatives à un certain nombre de documents émanent de l’accusé von Papen. Le Ministère Public n’a pas d’objection à formuler.
Sir David, un certain nombre d’entre eux, et notamment les numéros 3, 5 et 13, ont été ou acceptés ou refusés ?
Oui, je crois. Monsieur le Président, j’ai une note au sujet du numéro 13. Ce point a déjà été traité et ces documents figurent dans le livre de documents, et je ne pense pas qu’il faille encore en discuter.
Est-ce qu’ils sont tous dans le livre de documents ?
Je crois que oui, Monsieur le Président, J’ignore si le Dr Kubuschok est d’accord avec moi.
Très bien.
La requête suivante concerne l’accusé Bormann, aux fins d’admission d’un décret de Hitler et d’un décret promulgué par Bormann en 1944. Le Ministère Public n’a pas d’objection à formuler.
Je ne comprends pas très bien le sens de cette dernière requête. Peut-être pourriez-vous m’aider et me dire ce que cela signifie ?
Monsieur le Président, je l’ai, quant à moi, comprise ainsi : il faut lire « au SD » et non pas « du SD ». Il s’agit de l’appartenance des divers chefs nazis au SD, mais je crains, Monsieur le Président, que ma supposition ne trouve pas d’approbation.
Monsieur le Président, il s’agit d’une ordonnance de Bormann dans laquelle il interdit aux membres de sa chancellerie d’appartenir au SD. C’est une ordonnance de Bormann destinée à la Chancellerie du Parti.
Je vous remercie.
Les requêtes qui restent concernent l’accusé Göring. Il s’agit de l’admission d’un affidavit du baron von Gersdorff et d’un livre de Joseph Charpski. Monsieur le Président, mes collègues soviétiques ont déjà soumis à ce sujet une note au Tribunal le 20 juin dernier. Je ne propose pas de dire quelque chose d’autre à ce sujet. Le colonel Pokrowski est là, et vous pourrez l’entendre, Monsieur le Président.
Mais je crois que nous avions déjà pris une décision sur cette question ?
Je crois, Monsieur le Président.
Nous avons décidé le 9 juin, je crois, que l’accusé Göring pouvait citer trois témoins, soit en personne... Je pense qu’il vaut mieux que nous entendions le Dr Stahmer à ce sujet.
Monsieur le Président, j’ai compris la décision du Tribunal dans le sens suivant : j’avais fait une requête, aux fins de citation de cinq témoins. Le Tribunal a décidé que sur ces cinq témoins je n’en pourrai citer que trois.
C’est exact.
En ce qui concerne les affidavits, aucune décision n’a été prise, et c’est ainsi que je croyais que je n’étais nullement limité pour demander des affidavits, dans la mesure où le Tribunal l’estimait opportun.
Docteur Stahmer, après que le Tribunal eût pris cette décision de limiter le nombre de témoins à trois, n’avez-vous pas reçu une communication à laquelle vous avez répondu, je crois, en suggérant que vous seriez peut-être en mesure de vous passer de la citation effective des témoins à la barre, et que vous pourriez traiter toute la question par affidavit.
Oui, Monsieur le Président, j’ai reçu ce renseignement. C’est pourquoi j’en -ai parlé avec le Ministère Public soviétique. Nous ne sommes pas parvenus à un accord complet et c’est pour cela que j’ai adressé une requête écrite au Tribunal il y a quelques jours.
Oui, mais l’accord auquel vous vous êtes efforcé d’arriver ne portait que sur trois affidavits ? Ou était-ce plus de trois ?
Non, il s’agissait de la question qui n’avait pas fait l’objet d’un accord : celle de savoir si l’on me donnerait la possibilité de lire ici quelques-uns des affidavits.
Oui, je comprends. Docteur Stahmer, je pense que la situation est la suivante : à moins que vous ne soyez capable d’arriver à un accord avec le Ministère Public soviétique, il faudra que nous nous en tenions à notre décision précédente. Mais je suis persuadé que vous ferez d’autres efforts pour arriver à un accord avec le Ministère Public soviétique et que vous le ferez savoir au Tribunal.
Oui.
Puis-je mentionner encore trois documents, Monsieur le Président, qui ont tous trois trait au journal de l’amiral Assmann, qui a été déposé au cours des débats intéressant les accusés Dönitz et Raeder. Il s’agit de trois preuves. Le premier document est le D-879. Je pense qu’il serait opportun de lui ajouter une page qui aide à la compréhension du contexte. C’est pourquoi le Ministère Public demande le retrait du document GB-482 et son remplacement par les deux pages qui s’y trouvaient accompagnées d’une page de transition. Il ne s’agit donc que d’une page de transition, Monsieur le Président. Le deuxième document est le document D-881...
La Défense a-t-elle une objection quelconque à formuler ?
Je ne crois pas, Monsieur le Président, je n’en ai pas entendu parler.
A quoi se réfèrent ces documents ?
C’est le journal de l’amiral Assmann qui appartenait à l’État-Major de l’accusé Raeder.
Oui je vois.
Mais il s’agit simplement là de présenter ce document sous une forme convenable. Le deuxième document D-881 est un autre passage du même journal, daté du 23 février 1940. Monsieur le Président, j’avais promis de déposer ce document lorsque j’en ai parlé au cours du, contre-interrogatoire. Il est maintenant prêt. Je voudrais le déposer sous le numéro GB-457. Le troisième, qui a une situation identique, est le document D-892. Il est maintenant prêt et deviendra le numéro GB-476. Des copies sont préparées pour la Défense ; après que le Tribunal nous en aura donné l’autorisation, nous pourrons les lui remettre.
Je pense qu’on nous donnera également des copies ?
Naturellement, Monsieur le Président, nous n’attendons que l’acceptation du Tribunal.
Oui, Sir David, c’est fort bien. Et maintenant, nous allons nous occuper d’autre chose. Docteur Thoma ?
Monsieur le Président, je voulais saisir cette occasion pour produire devant le Tribunal le questionnaire de Robert Scholz, chef de l’État-Major spécial de Rosenberg. Il est traduit en français et en anglais. Je le remettrai au Tribunal sous le numéro 41. Je l’ai déjà montré à M. Dodd qui n’a pas fait d’objection.
Fort bien.
Monsieur le Président, je voulais avoir la certitude jusqu’à quel moment nous pouvons, après cette audience, remettre des affidavits et des documents, car ces jours derniers j’ai reçu deux affidavits et un document dont la pertinence n’a pas été constatée d’une manière définitive.-
Sir David, le Tribunal voudrait savoir à quel moment le Ministère Public et les avocats penseront régler ces questions en suspens ; il voudrait connaître aussi les preuves que les avocats ou les membres du Ministère Public ont l’intention d’apporter dans les débats.
Oui, Monsieur le Président, je n’ai pas encore eu l’occasion d’en discuter avec les avocats, mais je pense qu’à la fin du dépôt des preuves nous pourrons le faire. On peut admettre avec vraisemblance que nous en aurons terminé à la fin de cette semaine. Nous pourrons nous en occuper samedi matin ou lundi matin pour faciliter la tâche des avocats, si le Tribunal en décide ainsi.
Oui, le Tribunal espère que les avocats et les représentants du Ministère Public seront prêts, dès que seront terminées les dépositions individuelles, à s’occuper de toutes les questions complémentaires qui restent en suspens, et également à présenter toutes les requêtes qu’ils auront à formuler en vue d’une preuve contraire.
Oui, Monsieur le Président.
Je voudrais qu’on me comprenne bien. Nous nous attendons à ce que cette question soit traitée immédiatement après les dépositions. Cela correspond, je pense, au point de vue exprimé par le Dr Kraus sur les affidavits et les documents. Ce sera le document le plus opportun. Sir David, avez-vous une idée quelconque du temps que cela prendra ?
Monsieur le Président, je pense que cela ne nous prendra pas longtemps. La question sera réglée en deux jours environ, je pense. J’en ai déjà parlé avec M. Dodd et nous sommes tombés d’accord sur cette durée.
Deux jours au maximum ?
Oui, au maximum, Monsieur le Président,
Fort bien.
Témoin, depuis quand connaissez-vous M. von Neurath ?
Depuis 1913. J’ai fait sa connaissance lorsque je suis entré aux Affaires étrangères. Il était conseiller de légation à ce ministère. Je l’ai revu ultérieurement à Constantinople et j’ai eu affaire à lui à ce moment-là. Je ne l’ai pas revu depuis 1930.
En quelle qualité avez-vous eu affaire à M. von Neurath depuis 1930 ?
De 1930 à 1932, M. von Neurath a été ambassadeur à Londres, et je dirigeais moi-même au ministère des Affaires étrangères le service Angleterre-Amérique.
Quelle était à cette époque la collaboration entre le ministère des Affaires étrangères, donc vous, et M. von Neurath ? Il était ambassadeur à Londres à cette époque, n’est-ce pas ?
Notre collaboration était bonne.
Savez-vous quelque chose sur la nomination de M. von Neurath au poste de ministre des Affaires étrangères d’Allemagne ?
Je me rappelle que la majorité des fonctionnaires des Affaires étrangères étaient bouleversés du départ brusqué de Brüning dont la politique ferme et mesurée nous convenait. Nous n’étions d’accord avec ce changement que parce que M. von Neurath prenait la place de Brüning, et que nous savions que M. von Neurath était un homme de mesure et un diplomate expérimenté. En outre, nous savions qu’à Londres il avait représenté la politique de Brüning, et nous nous attendions à ce qu’il continuât la politique de ce dernier en sa qualité de ministre des Affaires étrangères. J’ai accueilli, le 2 juin, je crois, M. von Neurath à la gare, lors de son retour en Allemagne. De par nos conversations, j’avais l’impression qu’il quittait Londres à contre-cœur et qu’il se plierait aux désirs du Vieux Monsieur, c’est-à-dire du Président Hindenburg.
Quelles étaient vos fonctions à l’époque où vous avez collaboré avec M. von Neurath au ministère des Affaires étrangères ?
Je suis resté d’abord chef du service Angleterre-Amérique jusqu’en 1936. En avril 1936 j’ai pris la direction du service politique qui avait été rétabli. En juin, le secrétaire d’État von Bülow décéda et, en août 1936, je fus chargé de la direction des services du secrétariat d’État aux Affaires étrangères. J’ai rempli ces fonctions provisoires jusqu’en mars 1937, époque à laquelle j’ai été nommé ambassadeur à Washington.
Est-ce que M. von Neurath, en sa qualité de ministre des Affaires étrangères, a maintenu les anciens fonctionnaires du ministère ?
Il a maintenu les vieux fonctionnaires presque dans tous les services importants du ministère et des services étrangers. C’est ainsi, par exemple, que le secrétaire d’État von Bülow est resté quatre ans de plus dans ses fonctions, jusqu’à sa mort. Il avait envoyé l’ambassadeur von Hösch à Londres pour le remplacer ; à Rome, l’ambassadeur von Hassel ; à Paris, l’ambassadeur Köster, tous vieux fonctionnaires des services diplomatiques.
Pouvez-vous, de par vos expériences pendant votre activité, nous décrire les buts de la politique étrangère de von Neurath ?
M. von Neurath visait à entretenir de bonnes relations avec tous les États et à rétablir ainsi, peu à peu, l’équilibre de notre situation que nous avions perdu en 1919. C’était la même politique que celle de Stresemann et Brüning. M. von Neurath connaissait les difficultés de la situation en Allemagne. A différentes reprises, il m’en a parlé. Il ne se faisait aucune illusion à ce sujet et voyait les choses d’une façon réaliste. Sa tendance était de conserver la mesure.
Que savez-vous de l’entrée de M. von Neurath dans le Gouvernement que Hitler forma le 30 janvier 1933 ?
Je n’en sais que ce que le secrétaire d’État von Bülow m’a dit lorsque je suis rentré de congé à Berlin, au début de février 1933. Il en ressort que M. von Neurath n’a certainement pas participé à la formation du nouveau cabinet de Hitler ; en outre, il était malade à ce moment-là. Il avait entendu parler du projet de nommer Hitler Chancelier du Reich et de former un nouveau Gouvernement. Il désirait en parler au Président du Reich von Hindenburg afin de prendre certaines assurances, mais il vint trop tard et ne put faire ces réserves. Malgré cela, il a été maintenu à son poste de ministre des Affaires étrangères dans le nouveau cabinet, car il ne désirait pas se dérober au vœu du Président du Reich.
Savez-vous quelque chose sur l’attitude de M. von Neurath à l’égard de la politique intérieure nationale-socialiste ?
Je sais que M. von Neurath, immédiatement après le 30 janvier 1933, regardait avec beaucoup de souci l’évolution de la politique intérieure, car il sentait que c’était une charge énorme pour la politique étrangère. Lorsqu’en juin 1933, je vins le trouver à Londres, où il dirigeait la délégation allemande qui participait à une conférence, il m’exprima ses soucis ; mais il croyait que tout cela finirait par rentrer dans l’ordre, à l’image de ce qui s’était passé dans l’Italie fasciste, où les choses avaient débuté d’une façon sauvage pour se calmer par la suite. Il espérait qu’il en serait de même pour l’Allemagne.
J’en reviens maintenant à l’année 1936. La question principale qui domine cette année-là est le problème autrichien. Pouvez-vous nous dire quelle était l’attitude de M. von Neurath à l’égard de l’immixtion des milieux allemands dans la politique intérieure autrichienne ?
Oui, M. von Neurath croyait qu’une telle immixtion allemande dans les affaires autrichiennes était non seulement inadmissible mais nuisible. Il me l’a dit à plusieurs reprises. Il espérait une amélioration dans les relations économiques germano-autrichiennes, et il croyait ainsi améliorer également les relations politiques. Il ne désirait pas toucher à la souveraineté autrichienne. C’était également le but de l’accord du 11 juillet 1936 entre l’Allemagne et l’Autriche : renforcement économique de l’Autriche et, ainsi, rétablissement de bonnes relations politiques entre les deux pays.
Avant le mois de mars 1938, avez-vous eu connaissance de l’intention de Hitler d’annexer l’Autriche, au besoin par la force ?
Non.
Avant 1938, avez-vous jamais eu connaissance de l’intention de Hitler de régler la question des Sudètes par la force ou d’attaquer la Tchécoslovaquie ?
Non.
Et savez-vous si Hitler était complètement d’accord avec la politique pacifique que M. von Neurath a menée à l’égard de l’Autriche, de la Tchécoslovaquie et des autres pays européens, jusqu’en novembre 1937 ?
Jusqu’au départ de M. von Neurath, c’est-à-dire jusqu’en février 1938, j’ai toujours cru que Hitler avait été d’accord avec la politique pacifique de M. von Neurath, et je n’ai jamais entendu dire le contraire.
Connaissez-vous les idées, les pensées de M. von Neurath sur la question du réarmement, c’est-à-dire sur la question de l’acquisition de la liberté des armements de l’Allemagne en 1935 ?
Je sais que M. von Neurath partait du principe que l’Allemagne avait reçu dans la déclaration des Puissances de l’Ouest du 11 décembre 1932 le droit à l’égalité et que tous ses efforts en vue du désarmement avaient échoué. Il croyait indiscutablement que l’Allemagne avait le droit de réarmer.
Et je voudrais vous poser la même question au sujet de l’opinion et de l’attitude de M. von Neurath sur la remilitarisation de la zone démilitarisée de Rhénanie.
Je sais que M. von Neurath connaissait la gravité de cette question, car il savait que le problème de la remilitarisation de cette zone était lié au Traité de Locarno ; mais je sais qu’il voyait dans le Pacte franco-russe de 1935 une rupture du Traité de Locarno et de la ratification de ce traité, c’est-à-dire de sa mise en vigueur, il déduisait le droit pour l’Allemagne de rétablir sa souveraineté militaire en Rhénanie.
Quelle était la situation politique de l’époque ? Ne pouvait-on pas admettre qu’à plus ou moins longue échéance, on en serait arrivé à une solution pacifique de la question rhénane ?
Le développement, de fait, après le 7 mars 1936, a démontré que les Puissances de l’Ouest n’étaient pas d’accord avec cette remilitarisation, mais qu’elles ont très rapidement adopté le fait accompli. Je me suis rendu pendant quinze jours à Londres au cours de la deuxième moitié du mois de mars 1936, sur ordre de mon Gouvernement, et j’ai eu l’occasion d’en parler à beaucoup d’Anglais. J’ai trouvé répandue dans de très larges milieux l’idée qu’en ayant donné le droit d’égalité à l’Allemagne on ne pouvait pas lui refuser de remilitariser la Rhénanie. J’ai même trouvé dans certains milieux l’opinion qu’on se trouvait soulagé du fait que cette remilitarisation, qui devait venir tôt ou tard, se fût accomplie aussi rapidement et sans douleur.
Une dernière question encore. Que savez-vous de la démission de M. von Neurath de son poste de ministre des Affaires étrangères, en février 1936 ?
J’étais moi-même ambassadeur à Washington à cette époque, et j’ai été complètement surpris du départ subit du ministre des Affaires étrangères von Neurath. Je savais toutefois qu’il n’était pas d’accord avec un certain nombre de choses, et qu’à plusieurs reprises il avait demandé qu’on lui accordât sa démission. Je savais également qu’il était malade et qu’il avait une maladie de cœur. Je savais aussi qu’il avait fêté son 65e anniversaire et qu’il avait ainsi droit à sa retraite. Mais cette démission m’a surpris du fait que j’en ignorais les détails. J’ai beaucoup déploré le départ du ministre des Affaires étrangères à la politique pacifique duquel je faisais toute confiance. Je me souviens que les milieux officiels de Washington regrettaient le départ de M. von Neurath. Le sous-secrétaire d’État Summer Welles, quelques jours après ces faits, m’a parlé du départ de M. von Neurath et m’a dit que le Gouvernement américain considérait comme regrettable le départ de cet homme qui avait mené une politique mesurée.
Monsieur le Président, je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.
D’autres avocats désirent-ils poser des questions à ce témoin ?
Une seule question. Témoin, vous avez dit que lorsque M. von Neurath est devenu ministre des Affaires étrangères, vous vous attendiez à ce qu’il continuât, la politique de Stresemann et de Brüning. Après avoir pris possession de son poste, a-t-il, à votre connaissance, continué la politique de Brüning ?
Oui.
Je vous remercie.
Pour les mêmes raisons que j’ai déjà exposées à propos du dernier témoin, le Ministère Public désire épargner le temps du Tribunal en ne posant aucune question à ce témoin.
Le témoin peut se retirer. (Le témoin quitte la barre.)
Monsieur le Président, puis-je alors demander l’autorisation d’appeler le Dr Völckers, qui sera le troisième et le dernier de mes témoins ? (Le témoin gagne la barre.)
Voulez-vous nous dire votre nom ?
Hans Hermann Völckers.
Voulez-vous répéter ce serment après moi :
« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète la formule du serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Témoin, vous avez été par deux fois collaborateur personnel de M. von Neurath, au début de son activité de ministre des Affaires étrangères, et plus tard en sa qualité de Protecteur du Reich en Bohême et Moravie. Est-ce exact ?
Oui, depuis 1921 j’appartenais au ministère des Affaires étrangères et j’ai toujours été en poste à l’étranger. Au temps de Stresemann, je suis resté à Genève pendant quatre ans comme représentant permanent et consul général à la Société des Nations. En 1932, j’ai été appelé au ministère des Affaires étrangères et nommé collaborateur personnel du nouveau ministre, M. von Neurath. J’ai assumé ces fonctions pendant un an et, à ma demande, été envoyé comme conseiller d’ambassade à Madrid. J’ai été affecté ensuite comme ministre à La Havane et plus tard rappelé aux Affaires étrangères afin de devenir chef de cabinet et collaborateur personnel de M. von Neurath, qui avait été nommé, entre temps, Protecteur du Reich à Prague.
Est-ce que cette nomination en qualité de collaborateur personnel de M. von Neurath était fondée sur des relations personnelles ou uniquement sur des raisons de service ?
Uniquement sur des raisons de service. Je ne connaissais nullement M. von Neurath avant d’avoir été attaché à son cabinet à Berlin.
Quelle fut l’attitude des fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères lorsque M. von Neurath fut nommé ministre ?
J’avais l’impression que les fonctionnaires des Affaires étrangères étaient très satisfaits dans l’ensemble qu’un vieux diplomate eût pris, au regard de la situation intérieure difficile, la direction du ministère des Affaires étrangères. C’était un spécialiste. Ces fonctionnaires y voyaient l’assurance d’un développement calme de la politique étrangère, d’autant plus qu’on savait que M. von Neurath jouissait de la confiance particulière du Président von Hindenburg et, en raison de sa personnalité et de son calme, de la considération de tous les fonctionnaires des Affaires étrangères. Lorsque Hitler prit le pouvoir, j’ai eu l’impression que von Neurath était sceptique et réticent à son égard. Il n’appartenait pas au cercle intime de Hitler, et jamais, tant que je me suis trouvé près de lui, il n’a pris part aux conférences nocturnes que Hitler réunissait à la Chancellerie du Reich. Peu à peu, la pression sur les Affaires étrangères devint de plus en plus forte. L’organisation à l’étranger était créée et le bureau de Ribbentrop agissait en entreprise concurrente, en enrôlant quiconque avait fait un voyage à l’étranger. Ces gens rédigeaient des comptes rendus qui étaient directement adressés au Fûhrer sans passer par le contrôle du ministère des Affaires étrangères.
Plus tard, le chef de l’organisation à l’étranger fut muté comme commissaire aux Affaires étrangères et le prince Waldeck au service du personnel des Affaires étrangères. La pression devint alors si forte qu’on ne put plus réagir. Je crois que le fait que les Affaires étrangères aient tenu si longtemps comme un îlot et aient toujours échappé à la pression du Parti revient au mérite du ministre des Affaires étrangères d’alors et de son secrétaire d’État, von Bülow.
Quand les lois contre les Juifs ont été introduites au ministère des Affaires étrangères, je sais pertinemment que M. von Neurath a protégé ses fonctionnaires dans la mesure du possible. Pendant les deux dernières années de la guerre, j’étais à Stockholm en Suède et j’y ai rencontré d’anciens collègues avec lesquels j’étais resté en relations ; parmi eux figurait le directeur ministériel Richard Meier qui était chef du service de l’Est et qui avait dû démissionner. Il m’a raconté qu’il était très reconnaissant à M. von Neurath non seulement de lui avoir permis d’emmener à l’étranger sa famille et tous ses biens, mais de lui avoir envoyé sa pension mensuelle en couronnes suédoises.
Quelles ont été votre attitude et votre activité à Prague dans le Gouvernement du Protectorat ?
A Prague, mes fonctions dans le Protectorat étaient sensiblement les mêmes que celles que j’exerçais sept ans auparavant quand j’étais collaborateur personnel du ministre des Affaires étrangères à Berlin, avec cette seule différence qu’aux Affaires étrangères il y avait un service spécial du protocole et un chef du protocole tandis qu’à Prague je devais moi-même, car c’était mon activité principale, régler toutes les questions de protocole. Sous mes ordres se trouvait le bureau du Protecteur du Reich, qu’il ne faut pas confondre avec celui des hautes autorités avec lesquelles je n’avais rien à voir. Lorsque je suis arrivé à Prague au cours de l’été 1939, les services fonctionnaient déjà depuis quelques mois. Mon prédécesseur était von Kessel, conseiller de légation au ministère des Affaires étrangères. Appartenaient en outre au bureau du Protecteur du Reich deux autres fonctionnaires qui étaient sous mes ordres ainsi qu’un comte Waldburg, dont la mère était Tchèque et que le Protecteur avait appelé parce qu’il attendait beaucoup de ses relations avec les Tchèques. Le, bureau était compétent en dehors des affaires, courantes d’antichambre, de l’expédition du courrier et de l’examen des requêtes personnelles. Peu à peu, nous avons été amenés à créer un service spécial car, en raison des arrestations nombreuses, nous avons reçu un tel courrier adressé au Protecteur du Reich en personne que...
Docteur von Lüdinghausen, il me semble que tout cela est très éloigné du sujet qui nous intéresse. Tout ce que ce témoin a dit est cumulatif. Ces détails n’ont pas été soulevés par le contre-interrogatoire, et tout ce qu’il dit est à mon sens très éloigné de la question qui nous intéresse.
J’en ai d’ailleurs terminé et je désirais seulement montrer qu’il était capable de répondre, par ses propres connaissances, aux questions qui vont suivre. Que pouvez-vous dire, d’après votre propre expérience et vos observations, sur l’attitude de M. von Neurath vis-à-vis des Tchèques ?
Je ne puis donner que des impressions d’ordre général. Comme je l’ai déjà dit, je n’avais rien à voir avec l’activité propre des services. Je n’étais personnellement attaché à M. von Neurath que pour les questions intéressant le protocole et ses affaires personnelles. Je sais, parce qu’il me l’a raconté, qu’il a assumé les fonctions de Protecteur du Reich dans l’intention de traiter la population tchèque aussi justement et correctement que possible afin de trouver dans un apaisement des divergences une base solide pour une vie commune des deux peuples. Il m’a souvent répété qu’il avait été nommé Protecteur, qu’il devait donc protéger les Tchèques. Nous savions que le dernier ministre allemand à Prague, le Dr Eisenlohr, avait souvent rendu compte que le dernier Gouvernement tchécoslovaque était disposé, de son côté, à réaliser un Anschluss avec l’Allemagne. M. von Neurath, qui était un adversaire de la solution militaire, m’a raconté quand je suis venu à Prague — je crois que c’était en septembre 1938 — qu’il était opposé à la solution militaire et qu’il s’était rendu à Munich avec Göring pour en dissuader Hitler. Pratiquement, comme je l’ai toujours constaté au cours de la vie de tous les jours, M. von Neurath accordait une audience très large aux solliciteurs tchèques. Il avait beaucoup de compassion et de compréhension et examinait chaque cas particulier. On le savait très bien dans les milieux tchèques. Et comme nous avions la possibilité au bureau d’examiner personnellement et de présenter à notre chef toute requête émanant d’un particulier tchèque, on utilisait fréquemment cette voie, étant donné que les désirs et les demandes personnels pouvaient être ainsi examinés plus favorablement par un chef local, beaucoup plus favorablement que par l’autorité hiérarchique compétente. Cette tâche a d’ailleurs amené un conflit sévère...
Docteur von Lüdinghausen, ce témoin fait des discours et vous ne lui posez aucune question.
Témoin, que savez-vous des rapports personnels et officiels de M. von Neurath avec le Président Hacha ?
A mon avis, les rapports de M. von Neurath avec le Président Hacha étaient très bons. Je crois, en outre, que ce n’était pas une pure manifestation extérieure, mais que M. von Neurath était très attaché au Président qu’il tenait pour un caractère élevé et propre et qui, dans les conditions...
Témoin quand vous voyez que le Dr von Lüdinghausen est satisfait de votre réponse, arrêtez-vous.
Oui.
Quels étaient les rapports de M. von Neurath et du secrétaire d’État Frank qui lui avait été adjoint ?
Leurs rapports étaient très mauvais. M. von Neurath, lors de ma prise de fonctions, m’avait déjà dit qu’il avait eu de grandes difficultés avec lui en raison de son attitude partisane et hostile aux Tchèques, en sa qualité d’Allemand des Sudètes, et qu’un Allemand ne pouvait pas comprendre. Il avait toujours espéré que Frank, qui n’était pas fonctionnaire mais une sorte d’outsider, suivrait peu à peu sa politique et s’adapterait au fonctionnarisme. Mais il n’en fut rien et j’ignore...
Témoin, pouvez-vous brièvement nous décrire les rapports des pouvoirs officiels de M. von Neurath et de Frank ?
M. von Neurath était le chef du secrétaire d’État. Le secrétaire d’État dirigeait l’administration intérieure ; c’était une grande administration. Le sous-secrétaire d’État von Burgsdorff qui, je crois, a été entendu ici, dépendait de lui. En dehors de sa qualité de secrétaire d’État, Frank était également Chef suprême de la Police et des SS.
Est-ce que M. von Neurath avait une influence sur cette branche de l’activité de Frank, c’est-à-dire celle où il exerçait les fonctions de Chef suprême des SS et de la Police ?
En pratique, étant donné la situation, il n’avait pas d’influence. Je ne sais pas s’il a existé au début une réglementation légale, mais pratiquement la Police, et par conséquent le secrétaire d’État avec ses mesures policières étaient complètement indépendants de M. von Neurath. Cela tenait également au fait que Himmler avait dans le Reich la direction de toute la Police et des SS et avait enlevé ces pouvoirs au ministère de l’Intérieur. Mais, pour autant que je me souvienne, j’ai vu en octobre 1939 une disposition législative prévoyant que la Police était indépendante et que M. von Neurath devait être informé après coup de toute mesure prise.
Vous voulez parler de l’ordonnance sur l’organisation de l’administration et de la Police de sûreté dans le Protectorat du 1er septembre 1939 ?
Oui, je crois. La première partie avait trait à l’administration, et la deuxième à la Police.
Monsieur le Président, puis-je rappeler que le texte de cette ordonnance se trouve dans mon livre de documents sous le numéro 149 ?
Il a été déposé comme preuve ?
Oui, mais je voulais le rappeler. Conformément à ces prescriptions, M.- von Neurath a-t-il au moins été informé après coup des mesures de police prises sur l’initiative de Frank ?
Le chef de la Police était un homme des SS du nom de Böhme. Il avait l’habitude de faire plusieurs fois par semaine son rapport à von Neurath, mais je ne pense pas qu’il l’informait des mesures de Police projetées. Nous n’en avons jamais entendu parler. Mais je ne sais pas s’il lui rendait compte ultérieurement des actions exécutées. J’ignore également s’il lui rendait compte de tout. Dans la plupart des cas, le Protecteur du Reich lui soumettait certaines requêtes de familles de Tchèques qui avaient été arrêtés, et Böhme faisait son rapport à leur sujet. C’est à cela, je crois, que se limitaient les informations ultérieures du Protecteur du Reich.
Lorsqu’il était ultérieurement informé de mesures de police semblables, M. von Neurath intervenait-il par un moyen quelconque pour demander de relâcher les gens arrêtés ou d’adoucir les mesures prises contre eux ?
Comme je l’ai déjà dit, nous avions créé dans le petit bureau du Protecteur du Reich un service spécial qui devait recevoir ces requêtes. Ce service, qui dépendait directement du Protecteur du Reich, faisait tout ce qui était en son pouvoir pour calmer les membres des familles et pour obtenir la mise en liberté des intéressés. C’était particulièrement difficile, car les services locaux de police et le secrétaire d’État Frank étaient hostiles à ces mesures. Le Protecteur du Reich s’adressait alors directement à Himmler et même au Fûhrer. Je me souviens d’une correspondance assez véhémente avec Himmler. Von Neurath s’est, de ce fait, fait annoncer à plusieurs reprises chez Hitler.
Pouvez-vous apprécier et nous dire dans quelle mesure M. von Neurath, en sa qualité de Protecteur du Reich, abstraction faite de la Police et des mesures policières était libre et indépendant de décider des mesures politiques et économiques ? Rédigeait-il ses ordonnances d’une manière indépendante ou dépendait-il au contraire des directives reçues de Berlin ?
Quand je suis arrivé à Prague, il y avait à côté des services du Protecteur du Reich toute une série d’autres services, par exemple un Commissaire du Reich pour l’Économie qui, comme je m’en souviens, étaient déjà entré en fonctions alors que le service du Protecteur du Reich n’existait pas encore. Il y avait aussi un délégué au Plan de quatre ans, un délégué de la Wehrmacht avec un important état-major. Les services du Parti n’étaient pas centralisés. Prague et le Nord dépendaient du Gauleiter Henlein dans le Gau des Sudètes, la Moravie dépendait du Gau du Bas-Danube et du Gauleiter, Dr Jury. L’Ouest appartenait à un troisième Gau. Tous ces Gauleiter essayèrent de leur côté...
Docteur, ce sont là des détails qui sont, de plus, absolument inutiles.
Savez-vous quelque chose de l’attitude de M. von Neurath sur les nombreux projets de germanisation des Tchèques ?
Non, je ne sais rien. Je me souviens simplement qu’au début M. von Neurath m’a dit — la guerre commençait — qu’il considérait toute cette destruction du Protectorat comme une solution transitoire et que, finalement, la paix déciderait du sort de la Tchécoslovaquie.
Comme vous devez vous en souvenir, il y a eu pour la première fois à Prague, à l’automne 1939, des manifestations à l’occasion du Jour de l’Indépendance de la Tchécoslovaquie, le 28 octobre 1939 ?
Je ne me souviens plus des détails. Il y a eu des démonstrations le jour de l’indépendance tchécoslovaque, en octobre ; c’était, je crois, place Wenze...
Que se passa-t-il quand un des étudiants blessés mourut et fut inhumé le 15 novembre ? Que savez-vous des manifestations d’étudiants qui ont eu lieu à ce sujet ? Et des mesures édictées immédiatement après ?
Lors des seconds troubles, il avait été prescrit de ne rien faire. On m’a raconté plus tard que les manifestations n’étaient dans l’ensemble pas très inquiétantes. Cependant Frank en avait rendu compte à Berlin : le Protecteur du Reich, Frank et le général Friderici furent appelés à Berlin pour en conférer avec le Fuhrer à la Chancellerie du Reich. J’ai accompagné le Protecteur du Reich. Chvaikovsky, le ministre tchèque à Berlin, fut également convié. J’étais là quand Hitler très excité sermonna le ministre d’une façon blessante pour ces faits dont il voulait rendre responsable le Gouvernement tchèque tout entier. Je ne me rappelle pas s’il a parlé également d’une fermeture des facultés, s’il a également menacé de faire arrêter ou fusiller des étudiants. La façon dont Hitler a traité le ministre tchèque nous a été très pénible. Celui-ci a quitté la salle sans dire un mot. Le sujet n’a plus été abordé et nous sommes passés à table pour le déjeuner. En prenant congé, Hitler dit à Frank qu’il désirait encore lui parler. M. von Neurath ne fut pas appelé et je me rappelle qu’en rentrant avec moi il m’en parla avec indignation. Le lendemain, j’ai fait le voyage de retour avec M. von Neurath, alors que Frank était déjà parti la veille pour Prague. Je me souviens, quand je suis arrivé au bureau à Prague, avoir vu une affiche rouge ordonnant, en raison des manifestations, l’exécution des meneurs, l’arrestation d’étudiants et la fermeture des universités. Le nom. de Neurath figurait au bas de ce document. Comme je ne savais pas du tout ce qui s’était passé à Prague, j’en ai été très surpris, puisque je n’avais pas entendu parler de ces mesures à Berlin. Je crus à une intrigue de Frank et me rendis immédiatement auprès de Neurath afin de lui en rendre compte. J’ai eu l’impression que M. von Neurath était péniblement touché et tout aussi surpris que moi-même de ne rien savoir. Peu après, Frank traversa la pièce pour se rendre dans le cabinet de M. von Neurath, portant l’affiche rouge sous le bras. Je ne sais pas s’il était venu de son propre chef ou si Neurath l’avait convoqué.
Après ces malheureux événements, von Neurath est-il intervenu pour faire relâcher les étudiants arrêtés ?
Oui, il est immédiatement intervenu. Mais il n’a pas réussi à obtenir la liste des étudiants arrêtés. Après de nombreuses demandes, le Gouvernement tchèque nous a fait parvenir une liste incomplète. Malgré cela, M. von Neurath est immédiatement intervenu pour la mise en liberté des étudiants et, au cours des mois qui ont suivi, il a eu de bons résultats.
Est-ce que vous savez quelque chose du placement et de l’emploi des étudiants qui, à la suite des troubles, et du fait de la fermeture des universités, se sont plus ou moins trouvés sans travail ?
Non, je ne sais rien ; je n’ai pas eu à m’occuper de cette affaire.
Savez-vous si M. von Neurath a demandé à plusieurs reprises à Hitler la réouverture des universités ?
Oui, je me souviens que M. Rosny, recteur de l’université tchèque que je connaissais bien, m’a adressé une prière en ce sens que j’ai transmise à M. von Neurath, qui s’est à nouveau efforcé d’obtenir la réouverture ; mais pour autant que je sache, les facultés sont restées fermées pendant tout le temps de notre séjour à Prague.
Vous souvenez-vous d’une organisation fasciste tchèque la Vlajka ? Je ne sais pas si je prononce le nom correctement.
Oui, mais je ne sais que très peu de choses à son sujet. De nombreuses protestations ; de fidélité nous sont parvenues de ses membres, mais je sais que du côté tchèque on nous avait informés que ces gens étaient en partie des criminels et ne valaient pas grand-chose. M. von Neurath était d’avis, d’une façon générale, que c’était une affaire intérieure tchèque et reconnaissait que ces gens désiraient collaborer avec nous. Mais il a repoussé cette collaboration et nous n’avons jamais répondu à ces adresses qui nous étaient parvenues. Je sais que...
En même temps que Protecteur du Reich, M. von Neurath était également membre du conseil de cabinet secret. Puisque vous vous occupiez de sa correspondance, saviez-vous si M. von Neurath avait une activité en cette qualité de président du conseil de cabinet secret ?
Non. Aussi longtemps que je suis resté à Prague, M. von Neurath n’a jamais exercé une telle activité. Au contraire, il m’a dit qu’au moment de sa nomination, Hitler lui avait déclaré qu’il ne devait pas s’imaginer que le conseil de cabinet serait un jour convoqué.
M. von Neurath était également membre du conseil de Défense du Reich. A-t-il, en cette qualité, exercé quelque activité à Prague ?
Non, je’ ne savais même pas qu’il était membre du conseil de Défense. Les ordonnances fondamentales concernant le Protectorat étaient souvent signées en conseil des ministres pour la Défense du Reich. Mais Neurath ne les a jamais signées ou contresignées.
M. von Neurath a été également Gruppenfûhrer honoraire des SS et, plus tard, Obergruppenfùhrer des SS. Pendant le temps qu’il était à Prague, a-t-il, à votre connaissance, porté cet uniforme ?
Il portait en principe son uniforme de ministre du Reich dans lequel on a fait un portrait de lui. Souvent il était en civil. Il est possible qu’il ait porté une fois un uniforme noir de SS lors d’une revue de troupes SS, mais je ne m’en souviens plus. Il ne l’a jamais porté à d’autres occasions.
Savez-vous quelque chose des circonstances et des raisons qui ont motivé le départ de M. von Neurath de Prague en septembre 1941 ?
Lorsque M. von Neurath fut appelé en septembre au Quartier Général, il était accompagné de ’son officier d’ordonnance. Je suis allé le chercher à l’aérodrome et il m’a raconté dans la voiture que Hitler était très monté contre les actes de sabotages dans le Protectorat et qu’il voulait y envoyer Heydrich afin de faire un exemple. Neurath avait déclaré qu’il ne désirait pas y participer et qu’il offrait sa démission. Hitler décida qu’il devait d’abord partir en congé. Il partit, en fait, les jours suivants.
Monsieur le Président, je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.
Puis-je, à la fin de mon exposé, me permettre d’exprimer un vœu ? Monsieur le Président, je n’ai pas encore pu produire tous mes documents parce que je n’en ai pas encore reçu les traductions. Puis-je me réserver le droit — il n’y en a pas beaucoup — de les présenter à la fin de l’exposé de mon confrère, le Dr Fritz ?
Vous n’avez pas besoin d’attendre la traduction. Vous pouvez les déposer maintenant en en donnant une liste avec les numéros.
Monsieur le Président, je ne les ai pas actuellement ici. Puis-je les déposer demain ou après-demain, quand le Dr Fritz en aura terminé ?
Certainement. Un avocat désire-t-il poser des questions ? Est-ce que le Ministère Public désire contre-interroger ?
Pour les raisons que j’ai déjà indiquées, le Ministère Public ne procédera pas au contre-interrogatoire de ce témoin. Puis-je me référer à une série de documents qui se trouvent dans notre livre de documents (b). C’est une collection d’ordonnances anti-juives prises dans le Protectorat. Elle vient du recueil d’ordonnances pour le Protectorat et le Ministère Public demande au Tribunal d’en prendre acte, étant donné que c’est une publication officielle. Les documents ont été classés pour permettre au Tribunal de les consulter plus facilement.
Le témoin peut se retirer. (Le témoin quitte la barre.)
Vos explications sont terminées, Docteur von Lüdinghausen ?
Nous allons suspendre l’audience.
La parole est à l’avocat de l’accusé Fritzsche.
Monsieur le Président, Messieurs, je me propose de présenter ainsi mes explications sur l’accusé Fritzsche : j’appellerai d’abord l’accusé Fritzsche à la barre des témoins et je citerai ensuite le témoin von Schir-meister. Au cours de ces deux auditions, je me propose de présenter au Tribunal quelques affidavits et de me référer à ces documents ou à ceux qui sont contenus dans mes deux livres de documents. Dans sa décision du 8 mars 1946, le Tribunal m’avait accordé deux témoins : d’abord, M. von Schirmeister et ensuite, le Dr Krieg et, en ce qui concerne les documents, les textes de toutes les allocutions prononcées à la radio par l’accusé Fritzsche entre les années 1932 à 1945, ainsi que les archives du Deutscher Schnelldienst au ministère de la Propagande. On m’avait accordé tous ces moyens de preuve, mais, en dépit des efforts de M. le secrétaire général, nous n’avons pu retrouver que le témoin von Schirmeister. Voilà pourquoi j’ai dû transformer la structure de l’exposé de mes preuves et prie le Tribunal de bien vouloir faire preuve d’indulgence si j’interroge l’accusé Fritzsche et M. von Schirmeister d’une façon un peu plus approfondie que je ne me l’étais proposé au préalable. Avec l’autorisation du Tribunal, j’appelle donc l’accusé Fritzsche à la barre des témoins. (L’accusé gagne la barre.)
Voulez-vous me dire votre nom ?
Hans Fritzsche.
Répétez ce serment après moi : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Monsieur Fritzsche, voulez-vous nous indiquer brièvement votre biographie jusqu’en 1933 ?
Je voudrais, à ce propos, me référer aux points 1 et 3 à 8 de mon affidavit PS-3469. Je puis, dans ces conditions, me borner à certains points particuliers.
Monsieur le Président, voulez-vous me permettre de faire observer, au début de cet interrogatoire, que mes deux livres de documents ne sont pas encore entièrement traduits. Cet affidavit que l’accusé vient de mentionner est également contenu dans le livre de documents du Ministère Public. Je ne sais pas si le Tribunal a ce livre de documents sous les yeux.
Vous pouvez continuer.
Je suis né le 21 avril 1900. Mon père était fonctionnaire. J’ai fait mes humanités au lycée et j’ai ensuite été mobilisé au cours de la première guerre mondiale. Je suis revenu aux études et j’ai étudié dans diverses universités la philosophie, l’histoire et l’économie politique. Après la première guerre mondiale, ma vie et mon travail ont été conditionnés par la misère de mon peuple. Nous appelions cette misère « Versailles ». On a suffisamment parlé devant ce Tribunal du Traité de Versailles. Je n’ai pas besoin d’ajouter quoi que ce soit à ce qui a déjà été dit ici.
Par conséquent, dans votre activité journalistique antérieure à 1933, vous aspiriez à une modification du Traité de Versailles ?
Bien entendu.
Tendiez-vous à cette modification par la guerre ?
Non, je m’efforçais de l’obtenir par les moyens du droit, la politique et du bon sens économique, qui étaient tous à ce moment du côté allemand. Un certain rétablissement de la puissance du Reich m’aurait paru souhaitable, parce que je voyais un danger de guerre dans son impuissance. Mais l’usage de la guerre pour obtenir la transformation du Traité de Versailles me paraissait impossible, pas souhaitable et inopportun. Et il en fut de même par la suite sous le Gouvernement de Hitler. Adolf Hitler donna précisément sur ce point-là deux assurances qui, pour moi et certainement pour des millions d’Allemands, ont été d’une importance capitale. La première était l’assurance : j’ai moi-même été simple soldat et je sais pour cela ce que la guerre signifie. La deuxième était la constatation : dans toutes les guerres sanglantes des dernières mille années, les vainqueurs n’ont pas atteint par leurs victoires le chiffre des sacrifices qu’ils ont consentis. Ces deux assurances faisaient sur les oreilles allemandes l’effet de serments sacrés constituant des obligations. Tout ce qui, dans la politique hitlérienne, s’opposait à ces deux assurances, était une trahison du peuple allemand.
Quand, comment et pourquoi êtes-vous devenu membre du parti national-socialiste ?
Je ne suis venu au Parti qu’après mon entrée au ministère de la Propagande. Je me réfère à ce propos aux points 9 à 13 de mon affidavit PS-3469. Je n’ai pas été au parti national-socialiste par son programme, ni par la lecture du livre de Hitler, Mein Kampf. Je n’y suis pas venu non plus du fait de la personnalité de Hitler dont on a évoqué ici même et à plusieurs reprises la force de suggestion que je n’ai pas éprouvée quant à moi. Je rejetais le radicalisme brutal des méthodes du Parti. Je ne l’aimais pas. Ce radicalisme brutal était en contradiction avec la pratique de toute ma vie et mon attitude personnelle. C’est en raison de cette pratique robuste que je suis arrivé en 1932 à un conflit avec le Parti. Je ne suis rentré dans ses rangs que lorsqu’il eut gagné incontestablement la majorité du peuple allemand. Il empêcha, à ce moment-là, le fractionnement du peuple allemand et lui apporta l’unité, après l’échec de la grande tentative de Brüning en vue d’un assainissement sur une base démocratique, dû à des résistances de politique étrangère et non à des résistances intérieures. Après que les cabinets présidentiels eurent échoué dans leur essai de donner une nouvelle structure au peuple, la nomination de Hitler au poste de Chancelier du Reich représentait un retour aux principes démocratiques.
On a beaucoup parlé de ces choses ici. Je prie le Tribunal de m’autoriser à évoquer une circonstance dont il n’a pas encore été question, à ma connaissance, et à laquelle j’accorde une certaine importance.
Lorsque je suis arrivé au parti national-socialiste, je ne croyais vraiment pas devenir membre d’un parti au sens réel de ce mot, car le parti national-socialiste ne possédait pas de théorie de parti au sens où les partis marxistes possédaient une théorie mûrie et élaborée. Tous les théoriciens du Parti étaient contestés. Les théories de Gottfried Feder avaient été interdites. Le théoricien Rosenberg a été et est resté jusqu’à la fin discuté au sein même du Parti. Le manque de théorie dans le Parti était si grand que l’impression même du programme, si restreint que fût le programme du Parti, fut interdite dans les journaux allemands. Oui, les journaux allemands, pendant les quelques années qui ont suivi 1933, se virent interdire de publier de leur propre chef des passages de Mein Kampf de Hitler. Je ne croyais pas, par conséquent, à ce moment, appartenir à un parti étroitement délimité, mais je considérais que j’adhérais à un mouvement, un mouvement qui réunissait dans son sein des contrastes tels que ceux de Ley et de Funk, ceux de Rosenberg et de l’évêque du Reich, un mouvement qui était absolument souple dans le choix de ses moyens, qui à un moment donné interdisait le travail des femmes et un autre jour préconisait ce même travail. Je croyais être membre d’un mouvement, parce que, au sein du parti national-socialiste, un groupe ne voyait dans le drapeau à croix gammée pas autre chose qu’une nouvelle combinaison, qu’un assemblage nouveau des couleurs noir, blanc et rouge, tandis qu’un autre groupe de ce même Parti y voyait le drapeau rouge avec une croix gammée. Et c’est ainsi qu’il existait des groupes entiers d’anciens nationalistes allemands ou d’anciens communistes au sein du parti national-socialiste. J’espérais, par conséquent, trouver dans ce mouvement extrêmement vaste, le forum d’une discussion spirituelle qui ne se déroulerait plus sous le signe de l’animosité criminelle qui avait régné en Allemagne jusque là, mais qui s’exprimerait précisément avec une certaine discipline et sous la primauté de l’idée nationale et sociale. Pour cette raison-là, j’ai toujours essayé de fondre mes conceptions politiques, mes scrupules et mes vœux personnels dans un compromis toujours nouveau. Je conseillais cette attitude à mes amis au cours de nombreuses conversations, lorsqu’ils se plaignaient d’avoir été malmenés avec leurs intérêts au moment de l’unification. Je suis arrivé à la conviction que des millions d’Allemands ne sont venus au Parti que pour cette raison et dans cette attente. Ils croyaient servir une bonne cause et ils étaient prêts, dans un idéalisme pur, à tout sacrifier à cette cause, fors leur honneur. J’ai dû me rendre compte, entre temps, que le Fùhrer avait accepté le sacrifice de ces idéalistes, qu’il l’a exploité économiquement et qu’il a souillé cet honneur par un assassinat dépassant le sens humain et sans exemple dans l’Histoire, par un crime qu’aucune nécessité de la guerre n’aurait pu justifier.
Le Ministère Public vous reproche avant 1933 et je cite : « ...d’avoir fait le serment habituel de fidélité sans conditions à Hitler ». Sans en déterminer la raison, le fait que vous ayez prêté ce serment est exact, n’est-ce pas ?
Oui. J’avais également prêté, à deux reprises, serment à la Constitution de Weimar en 1933 et 1938. Je voudrais ajouter quelque chose. Ce fut toujours et c’est encore ma conviction qu’aucun serment ne peut délier un homme de ses. devoirs humains en général. Personne ne doit être transformé par son serment en un instrument irresponsable. Mon serment n’aurait jamais pu me décider à exécuter un ordre si je l’avais reconnu criminel. Je n’ai jamais, dans toute ma vie, obéi aveuglément à qui que ce fût. C’est pourquoi je n’invoque pas le devoir d’obéissance à propos de chacune de mes actions.
Avez-vous tenu le serment que vous avez prêté ?
Oui. On ne m’a pas fait commettre d’action que j’eusse pu considérer comme criminelle ou comme une infraction à la loi écrite ou non écrite. Au reste, je n’ai pas prêté ce serment à Hitler, mais au peuple allemand.
Jusqu’à quand avez-vous tenu votre serment ?
Jusqu’au bout. Et contrairement à l’ordre qui m’avait été donné, je suis resté à Berlin. Lorsque Hitler et son entourage immédiat adoptèrent la fuite dans la mort ou la fuite vers l’Ouest, j’étais, à ma connaissance, le seul haut fonctionnaire à Berlin. J’ai réuni alors les fonctionnaires des services supérieurs qui avaient été abandonnés à leur sort et je les ai rassemblés dans les ruines de mon bureau. Hitler avait donné l’ordre de continuer la lutte. Le commandant de la place de Berlin était introuvable. Je me devais, en ma qualité de civil, d’offrir la capitulation au maréchal russe, Youkov. Au moment où je donnais des instructions aux parlementaires qui devaient traverser la ligne de feu, je vis le dernier officier de liaison de Hitler, le général Burgsdorff qui, obéissant aux ordres de Hitler, voulait m’exécuter. Malgré cela, la capitulation eut lieu ; elle a d’ailleurs été signée par le commandant de la place qu’on avait trouvé entre temps. Je crois donc que j’ai tenu mon serment, ce serment que j’avais prêté au peuple allemand, à travers la personne de Hitler.
Avez-vous eu des fonctions dans le Parti ?
Non.
Avez-vous été chef politique ?
Non.
Faisiez-vous partie des SS ou des SA ou de quelque autre organisation incriminée ?
Non.
Avez-vous pris part à un congrès du Parti ?
Non.
A l’une des fêtes du 9 novembre à Munich ?
Non.
Parlez-nous brièvement de vos fonctions et de votre travail entre 1933 et 1945.
Je voudrais également, à ce propos, me référer à mon affidavit PS-3469. Je peux par conséquent me borner à certains traits essentiels, et notamment à certaines explications qui compléteront ce qui n’est pas. dit dans mes déclarations sous serment,
Au moment de la prise du pouvoir par le national-socialisme, je suis resté ce que j’étais auparavant, c’est-à-dire rédacteur en chef du service radiophonique. C’était le nom du service d’informations de la radio allemande. J’y suis resté cinq années encore. Au mois de mai 1933, ce service radiophonique, qui faisait partie de la société radiophonique du Reich, fut incorporé au ministère de la Propagande et plus particulièrement à son service de la presse. Étant donné que j’étais un spécialiste des informations de presse, j’obtins bientôt de me voir confier la direction des agences d’informations d’abord des petites agences comme « Transozean », « Europa-Press » ou « Eildienst » et, ensuite celle du grand « Deutsches Nach-richtenbùro ». A ce moment-là, je n’avais pas d’ordres à donner à ces agences, car je n’étais moi-même encore qu’un employé du ministère et non un fonctionnaire ; je n’avais donc pas le droit de décision sur le contenu des dépêches. Je n’avais que la surveillance de l’organisation, mais je crois que mes conseils étaient appréciés. Pendant tout ce temps-là, j’ai également tenu des conférences sur le journalisme. En décembre 1938, je suis devenu directeur de la section « Presse allemande » et chef de service au ministère. Je me considérais moins comme un fonctionnaire que comme le journaliste que j’avais été depuis des dizaines d’années. J’ai conservé la direction du service de la presse allemande jusqu’au printemps 1942. A cette époque, je n’étais pas d’accord, notamment avec la politique de la presse optimiste de mon chef direct, le Dr Dietrich, qui était le chef de la Presse du Reich ; c’est pourquoi je m’engageai et partis pour le front de l’Est. A l’automne 1942, je fus rappelé par le Dr Goebbels. Le Dr Goebbels était d’accord avec les critiques que j’avais faites et qu’il connaissait. Il me proposa la direction du service de la radio dans son ministère. Je lui répondis que je ne pouvais revenir au ministère à moins d’avoir l’assurance qu’on cherchait une issue politique à la guerre et qu’on ne misait pas uniquement sur la victoire totale militaire que j’avais considérée depuis le premier jour de la guerre comme impossible. Je dis textuellement à ce moment-là au Dr Goebbels que je ne m’associerais pas sur le plan de la propagande à une lutte jusqu’à l’auto-destruction, telle que les Goths l’avaient entreprise au Vésuve. Le Dr Goebbels me répondit alors que Hitler et lui également recherchaient une fin politique de la guerre, sur la base d’une entente quelconque. Il me promit de m’informer s’il remarquait jamais que le Fuhrer changeât d’avis à cet égard. Le Dr Goebbels m’a répété cette promesse au cours de ces quelques mois, c’est-à-dire jusqu’à la fin de la guerre, et il m’a fait des allusions substantielles aux efforts politiques qui étaient en cours. J’ai aujourd’hui l’impression qu’il n’a pas tenu sa promesse. Je suis donc devenu chef du service de la radio au ministère de la Propagande et directeur de ministère.
Telles étaient donc vos fonctions administratives. Elles étaient moins connues de l’opinion publique que vos discours à la radio. Qu’en était-il ?
Depuis 1932, je parlais une fois par semaine de dix à quinze minutes, à quelques postes allemands et à l’émetteur national allemand. A partir du début de la guerre, j’ai parlé tous les jours à tous les postes émetteurs, pendant trois ou quatre mois je crois. Puis, j’ai parlé trois fois par semaine, puis deux fois par semaine, et enfin, de nouveau une fois par semaine. D’abord, ces discours et ces allocutions à la radio ne représentaient qu’une simple revue de presse ; c’était un ensemble de citations de journaux allemands et étrangers ; après le début de la guerre, ces discours se transformèrent évidemment en une polémique le plus souvent sur la base d’extraits de journaux étrangers et d’émissions radiophoniques étrangères.
Ces discours avaient-ils un caractère officiel ? Le Ministère Public prétend que vous étiez, bien entendu, subordonné au contrôle du ministère de la Propagande.
Ce n’est pas exact sous cette forme. Ces discours n’étaient pas des discours officiels. Il s’agissait, au début, de travaux exclusivement privés. A vrai dire, je ne pouvais pas empêcher par la suite que ces discours de caractère privé, qui émanaient d’un homme disposant d’une situation au ministère de la Propagande, ne prissent un caractère officieux.
Vous venez de parler de travaux de caractère privé qui ont revêtu ensuite un caractère officieux. Je vous demande quelques éclaircissements.
Avait-on le droit de critiquer vos discours ou risquait-on d’être arrêté ?
Non seulement on avait le droit d’exercer des critiques, mais on l’a exercé en fait. Je dispose d’une correspondance volumineuse, que j’ai échangée avec mes contradicteurs, avec ceux, tout au moins, qui signaient leurs lettres. Évidemment, il y avait aussi des critiques anonymes, mais, à ce propos, je voudrais signaler que ces critiques anonymes n’avaient généralement que des remarques générales à formuler. Après le début de la guerre, un parquet du sud de l’Allemagne et, ultérieurement, le ministère de la Justice, me proposèrent une certaine protection en admettant que mes discours étaient officiels ou officieux. On me proposa une constitution de partie civile d’office au cours de toutes les poursuites en diffamation. Je m’y suis expressément refusé et cela pour la raison dont j’ai fait usage à plusieurs reprises, et que j’ai d’ailleurs énoncée publiquement, en insistant sur le fait qu’il fallait bien que les gens pussent protester. S’il leur était interdit de se plaindre de l’État et du Gouvernement, il fallait au moins leur permettre d’exercer leurs critiques contre la presse, la radio et contre moi-même.
Comment prépariez-vous ces discours ? Étaient-ils rédigés au préalable et soumis à une censure ?
J’ai toujours refusé une censure préalable. Les matériaux étaient rassemblés avec beaucoup de soin. On les conservait dans des archives spéciales. J’ai demandé au Tribunal, qui me l’a accordée, la permission de les produire ici. Elles n’ont malheureusement pas été retrouvées. Ces matériaux se composaient de coupures de journaux, de dépêches des agences d’informations et de bulletins radiophoniques d’émetteurs étrangers. L’examen des questions douteuses était fait par un spécialiste de mon service. On esquissait à grands traits le discours sous forme de dictée. On agissait donc autrement que s’il se fût agi d’une dissertation. Chaque phrase n’était pas polie, car si chaque expression pèse dans un texte écrit, seule l’impression d’ensemble compte dans un discours prononcé de vive voix.
Vous travailliez donc au ministère de la Propagande. Le ministre était le Dr Goebbels, dont le nom a été souvent cité ici, à propos de ses diverses fonctions de ministre de la Propagande du Reich, de chef de la Propagande de la NSDAP, de délégué à la guerre totale, de Gauleiter de Berlin. En quelle de ces qualités avez-vous eu affaire à lui ?
Uniquement en sa qualité de ministre de la Propagande.
Étiez-vous son représentant ?
Non. Au cours des trente derniers mois, j’ai été chargé par lui des services de la radio et, en outre, de la direction de l’un des douze services de son ministère. Les secrétaires d’État représentaient le Dr Goebbels. Ce fut, en dernier lieu, le Dr Naumann qui lui a même succédé pendant un jour.
Est-ce que le Dr Goebbels était votre seul chef et votre chef direct ?
Non, entre lui et moi, il y a eu au début de nombreux services dont quelques-uns ont persisté jusqu’à la fin. C’est la première fois, ici, au banc des accusés, que je n’ai pas de chef de service.
Qui connaissiez-vous parmi les accusés ? Avec qui aviez-vous des rapports personnels ou de service ?
Après 1933, j’ai eu, deux ou trois fois, des rapports de service avec Funk qui était à ce moment-là secrétaire d’État au ministère de la Propagande et qui, d’une façon générale, s’occupait de questions économiques et d’organisation. J’ai discuté avec lui les plans financiers pour la réorganisation du système des informations. J’ai eu également un jour une conférence technique avec le Grand-Amiral Dönitz ; enfin, j’ai rendu visite à Seyss-Inquart à La Haye et à von Papen à Istamboul. Je ne connaissais les autres que de loin ; je ne les ai personnellement connus qu’à l’occasion de ce Procès.
Et Hitler ?
Je n’ai jamais eu de conversation avec lui. Par contre, cela va sans dire, je l’ai vu à plusieurs reprises au cours de ces douze années, au Reichstag, à l’occasion de grandes solennités ou de réceptions. Je suis allé une fois à son Quartier Général où j’ai été retenu à dîner avec de nombreux convives. Mais je n’ai reçu de directives de Hitler que par le Dr Dietridi ou son représentant, ou encore par le Dr Goebbels et par ses représentants successifs.
Quels étaient vos rapports avec le Dr Goebbels ? Étiez-vous souvent avec lui ?
Son ami ? Non, on ne peut le dire en aucune façon. Nos rapports étaient des rapports réservés, des rapports de service assez distants. Personnellement, je me suis rendu assez rarement chez lui et plus rarement assurément que d’autres de ses collaborateurs. Mais je croyais pouvoir observer qu’il me traitait avec plus de respect que tout autre de ses collaborateurs. C’est pourquoi je jouissais peut-être d’une situation d’exception. J’appréciais chez le Dr Goebbels son intelligence, son aptitude à modifier son point de vue lorsqu’on lui présentait des arguments qui étaient meilleurs que les siens. Je l’ai vu deux fois par an au cours des cinq premières années ; lorsque je suis devenu chef de service, je le voyais peut-être une fois par mois ; après le début de la guerre, je le voyais tous les jours dans le cadre d’une conférence réunissant trente à cinquante de ses collaborateurs. En outre, j’avais, une fois par semaine, une conférence sur certains sujets particuliers.
Nous en venons maintenant à la propagande. Pouvez-vous nous donner les grands traits de ce qu’était la propagande dans le Troisième Reich ?
Je vais l’essayer. Il y avait trois sortes de propagande. La première était l’œuvre de l’agitation inorganisée des fanatiques radicaux au sein même du Parti ; elle se révélait dans tous les domaines, dans le domaine de la religion, de la politique raciale, de l’art, de la politique générale et de la conduite de la guerre. Au sommet de cette agitation inorganisée se manifestait chaque jour davantage Martin Bormann. La seconde forme de propagande était la direction de la propagande du parti national-socialiste. C’était le Dr Goebbels qui la dirigeait. Elle essayait de donner forme de discussion à l’agitation des éléments radicaux dont j’ai parlé. La troisième forme était l’organisation d’État, c’est-à-dire le ministère de la Propagande du Reich.
Le Ministère Public avait prétendu au début que vous aviez également été chef de la radio à la direction de la Propagande du parti national-socialiste. De quoi s’agit-il ?
Le Ministère Public a retire cette accusation, faute de preuves. Il eût été plus exact de dire que cette assertion était fausse. Je me réfère au point 39 de mon affidavit, PS-3469. J’y précise, si j’ai bonne mémoire, qu’à l’opposé de tous mes prédécesseurs, je n’ai pas, en ma qualité de chef du service de la radio au ministère, été en même temps chef du service de la radio du Parti. J’élargis aujourd’hui’ cette déclaration en disant que je n’ai jamais rempli de fonction au sein du Parti.
On vous a fait grief d’avoir aidé le Dr Goebbels à précipiter le monde dans le bain de sang d’une guerre d’agression. Est-ce exact ? Est-ce que le Dr Goebbels vous a jamais parlé de plans d’agression ?
Non. On ne m’a jamais parlé de plans en vue d’une guerre d’agression. Ni le Dr Goebbels ni quiconque.
On a parlé plusieurs fois, au cours de ce Procès, de plusieurs conférences au cours desquelles auraient été discutés plusieurs plans d’agression, notamment d’attaques contre la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Norvège, la Russie. Est-ce que vous avez pris part à ces conférences ? Est-ce que vous en avez entendu parler ?
Je n’ai pris part à aucune de ces conférences. C’est ici, dans cette salle, que j’en ai entendu parler pour la première fois.
Si l’on ne parlait pas de plans d’agression avec vous, a-t-on, d’une façon générale, parlé d’une guerre ou d’une possibilité de guerre ?
Non, mais on a parlé de dangers de guerre, et cela après-1933. Ces dangers de guerre étaient conditionnés par le désarmement unilatéral d’un État au milieu d’autres États très fortement armés. Ce déséquilibre entre armement et désarmement était un appât pour une attaque. Dans la propagande allemande postérieure à 1933, cette assertion a été l’une des raisons fondamentales d’abord de l’exigence du désarmement des autres puissances, et enfin de l’exigence allemande d’une égalité des droits sur le plan de l’armement. Cela me paraissait absolument logique. Mais on n’a jamais parlé d’un danger de guerre sans qu’on ne parlât immédiatement de la volonté de paix allemande. Cela me paraissait honnête. En effet, au cours de l’été 1939, lorsque le danger de guerre se faisait de plus en plus menaçant, j’allais de plus en plus souvent -chez le Dr Goebbels. Je lui ai remis une série de petits mémorandums qui constituaient une contribution au service d’information. Il s’agissait d’analyses de l’opinion publique des pays occidentaux, et il s’en dégageait nettement que la Grande-Bretagne était résolue à la guerre au cas d’un conflit avec la Pologne. Je me souviens que le Dr Goebbels a été profondément impressionné lorsqu’un jour je lui ai adressé un mémorandum semblable ; il prit un air préoccupé et se décida à prendre l’avion aussitôt pour aller voir Hitler. Il me dit alors textuellement : « Croyez-moi, nous n’avons pas travaillé avec succès pendant six ans pour maintenant risquer le tout dans une guerre ». Au reste, à l’été 1939, je connaissais quelques-unes des nombreuses lacunes de l’armement allemand, telles qu’elles ont été évoquées à plusieurs reprises dans cette salle. C’est pourquoi j’étais persuadé que Hitler était honnête dans sa politique de paix. Si, dans ce Procès, des documents ont été produits d’où il ressort que Hitler pensait en lui-même autrement, ou agissait autrement, je ne puis m’en faire une opinion moi-même parce que les documents de la partie adverse ne sont pas encore publiés. Mais, s’il en était ainsi, comme le démontrent les documents produits ici, je dois constater que j’ai été trompé sur les buts de la politique allemande.
Monsieur le Président, au début de mon interrogatoire, j’ai déclaré que je n’avais pas réussi à réunir ici toutes les allocutions radiodiffusées de l’accusé Fritzsche. Je me suis efforcé personnellement d’intervenir auprès des services radio-phoniques allemands afin de réunir ici une partie de ces discours de 1939 à 1940. J’ai choisi certains passages de ces discours que je présente au Tribunal sous le numéro Fritzsche-1. Je voudrais, pour appuyer ce que l’accusé vient de dire, citer simplement une phrase du discours radiodiffusé du 15 novembre 1939 Je cite :
« La seule raison d’une guerre justifiable sur le plan moral, pour un peuple qui, dans son ensemble, est foncièrement pacifique, réside dans la menace, contre l’existence et la vie de ce peuple. »
Et l’accusé Fritzsche a conservé pendant la guerre cette ligne de conduite qu’il avait soulignée à son début. Pour le prouver, je voudrais citer un autre passage de ce même document : il s’agit du discours prononcé à la radio par Fritzsche le 23 juillet 1940. Je cite :
« Nous autres, Allemands, avons au cours de notre Histoire,, et surtout ces trente dernières années, versé assez de sang et de larmes et connu assez de souffrances humaines pour pouvoir contempler cela encore une fois. Nous savons ce que signifie la guerre et c’est pourquoi nous ne la voulons pas. C’est parce que le Fùhrer le sait et parce qu’il l’a vécu lui-même qu’il a offert la paix le 6 octobre et le 19 juillet. »
Avez-vous, d’une façon quelconque, eu affaire avec des préparatifs de guerre sur le plan spirituel ou sur le plan réel ?
Directement, non ; mais indirectement, peut-être. J’ai préconisé le désarmement des autres, ensuite l’égalité des armements pour l’Allemagne ; j’ai préconisé également la structure défensive du peuple allemand. L’expression que je viens d’employer risque de prêter à confusion. Je voudrais m’expliquer. Je veux surtout parler de son aptitude à sa propre défense. On a toujours promis au peuple allemand, et souvent par ma bouche, que le rétablissement de sa souveraineté militaire ne pourrait servir qu’à des fins défensives.
Où et quand avez-vous exprimé ces pensées ?
Dans le cadre modeste de mes allocutions hebdomadaires à la radio, qui étaient, à l’occasion, accompagnées de quelques remarques. Je suis un patriote, mais je me sens libre de tout esprit chauvin, c’est-à-dire de tout nationalisme exagéré. En ma qualité d’historien, je me rendais bien compte à ce moment, et surtout dans l’Europe si étroite, que le vieux nationalisme qui nous était venu du passé représentait un anachronisme et qu’il était en contradiction avec les pratiques et les armes modernes. Je croyais à ce moment en la doctrine de Hitler, et j’y voyais certains éléments d’une nouvelle entente entre les peuples. Une phrase de cette doctrine qui a été souvent répétée me frappait notamment : « Seul, le nationalisme d’un peuple peut comprendre le nationalisme d’un autre peuple ». Aujourd’hui seulement j’ai compris que sur le plan idéologique et notamment, bien entendu, du fait du développement ultérieur des armes, le temps du nationalisme est révolu, si les hommes ne veulent pas se suicider, et que le temps de l’internationalisme est venu pour le meilleur et pour le pire. Mais à ce moment-là, le nationalisme ne passait pas pour un crime ; tout le monde était nationaliste. Aujourd’hui, il y a encore des nationalistes, et je l’étais moi-même.
Mais le Ministère Public insiste sur le fait qu’avant toute attaque une campagne de presse était organisée en Allemagne, dans le but d’affaiblir la victime d’une attaque projetée et de préparer psychologiquement le peuple allemand à cette nouvelle action. Si le Ministère Publie en fait état sans se référer à votre action personnelle et sans vous faire grief d’avoir directement organisé ces campagnes de presse, il met néanmoins en évidence d’une façon très nette votre liaison avec la pratique de ces campagnes de presse. Qu’avez-vous donc à dire sur votre rôle dans cette lutte de journalistes ?
Je voudrais dire d’abord que j’ai décrit en détail ces activités de propagande dans les points 23 à 33 de mon affidavit PS-3469, depuis l’occupation de la Rhénanie jusqu’à l’attaque contre l’Union Soviétique. Ces descriptions contiennent également des données sur l’importance et l’envergure de ma participation à ces activités de presse et de propagande. Mais je voudrais ajouter que cette description de mon affidavit ne contient aucune allusion à des questions de droit. Je ne donne aucun fondement politique. Je voudrais insister expressément pour dire que, dans tous les cas et dans toutes mes actions, je croyais représenter une bonne cause et le bon droit. Cela me conduirait trop loin si je voulais le préciser à propos de chaque point soulevé, d’autant plus que dans beaucoup de ces cas il en a déjà été question ici. J’espère et je suppose que le Ministère Public me posera encore des questions à ce sujet. Quels qu’aient été les faits dans les cas isolés, à chaque instant, depuis l’Anschluss de l’Autriche jusqu’à l’attaque contre la Russie, on m’a donné, et, par là même, à l’opinion publique allemande, des informations qui ne pouvaient laisser subsister le moindre doute sur la légitimité, la nécessité urgente de l’action qu’entreprenait l’Allemagne. Et en ma qualité de seul survivant des informateurs de l’opinion publique allemande, je considère de mon devoir de me prêter à tout examen touchant à la justesse de mes affirmations qui sont d’une importance toute particulière pour l’opinion publique allemande.
On parle dans votre affidavit de quelques titres de journaux qui semblent typiques de la tension qui a existé avant certaines actions. Qu’avez-vous à dire à cela ?
Ces titres proviennent sans exception du Völkischer Beobachter. Ils m’ont été soumis, et il va sans dire que je devais apprécier leur justesse ; mais je voudrais insister sur le fait que le Völkischer Beobachter n’était pas une indication du résultat de ma politique de presse. Le Völkischer Beobachter avait généralement des liaisons directes et personnelles avec le Quartier Général et Hitler. Les produits typiques de ma politique de presse, je les vois dans des journaux tels que la Deutsche Allgemeine Zeitung, les Mun.chen.er Neuesten Nachrichten et le Hamburger Fremdenblatt, pour n’en citer que quelques-uns.
Le Ministère Public estime que, dans votre propagande à l’intérieur, vous excitiez à la guerre dans la mesure où vous essayiez d’éveiller dans l’esprit du peuple allemand des sentiments hostiles à d’autres peuples de l’Europe et du monde. Par exemple, le capitaine Sprecher a dit dans son exposé que vous aviez créé la « haine contre les peuples de l’Union Soviétique » et une « atmosphère de déraison et de haine ». Vous auriez excité les Allemands à une haine aveugle. L’avez-vous fait ?
Non, je ne l’ai pas fait. Je n’ai pas essayé d’éveiller la haine contre les Anglais, les Français, les Américains et les Russes. Il n’y a pas un mot de cette sorte dans les mille discours que j’ai pu prononcer devant le microphone. Bien, sûr, j’ai entamé d’âpres polémiques avec des Gouvernements, avec des membres de Gouvernements, avec des systèmes de Gouvernement, mais je n’ai jamais prêché la haine d’une façon générale ou simplement essayé de susciter la haine de façon indirecte comme cela a été le cas — je m’excuse de donner un exemple pris dans cette salle d’audience — au moment où ici un film a été projeté et les paroles suivantes prononcées : « Vous pouvez voir ici des Allemands rire de Yougoslaves pendus ». Je n’ai jamais essayé de susciter une haine de cette façon générale et je voudrais insister sur le fait que, pendant des années, nous n’avons jamais répondu aux déclarations hostiles au national-socialisme que certains pays neutres avaient formulées à l’époque.
Avez-vous été invité par vos supérieurs à marquer votre propagande du signe de la haine ou de l’excitation à la haine ?
Oui, cela s’est produit souvent. Mais on n’exigeait pas de moi de diriger ces excitations contre des peuples ou de susciter la haine contre des peuples. C’était absolument interdit, car nous voulions nous gagner les peuples. On exigeait de moi d’éveiller de la haine contre des personnalités isolées et contre des systèmes.
Qui l’exigeait ?
Le Dr Goebbels et le Dr Dietrich, et tous deux généralement sur l’ordre direct de Hitler. On me reprochait toujours de ne susciter par la radio et la presse allemande aucune espèce de haine contre Roosevelt, Churchill ou Staline, et au contraire de rendre ces trois personnalités populaires en disant que c’étaient des hommes capables. Voilà pourquoi il a été interdit pendant des années à la presse allemande de mentionner ces trois noms d’une façon générale sauf dans des cas d’espèce et si une autorisation préalable m’en avait été donnée avec un emploi bien déterminé.
Vous prétendez donc que vous n’avez pas suivi ces ordres qui vous avaient été donnés pour faire de votre propagande une excitation à la haine ?
Je voudrais dire exactement ce que j’ai fait. Lorsque les reproches du Dr Goebbels et du Dr Dietrich se multipliaient, je faisais réunir toutes les caricatures des première et deuxième guerres mondiales qui venaient d’Angleterre, des États-Unis et de France, et quelques-unes aussi de Russie. Je faisais réunir, en outre, tous les films de propagande anti-allemande sur lesquels j’avais pu mettre la main. Enfin, au cours d’une réunion qui durait de cinq à six heures, je présentais ces caricatures et ces films à des speakers de la radio ou à des journalistes allemands. Je ne prononçais moi-même que quelques paroles d’introduction d’une durée de deux ou trois minutes. Il est bien possible que j’aie suscité de la haine par ces présentations de caricatures et de films, mais je voudrais laisser au Tribunal le soin de juger si, en temps de guerre, ces moyens sont propres à susciter la haine. En tout cas, le Dr Goebbels déclara par la suite qu’il n’était pas content et que nous étions des incapables.
Je voudrais ajouter une explication : j’aurais pu avoir un autre moyen d’exécuter l’ordre qui m’avait été donné et d’exciter la haine ; non pas un moyen, mais une série de moyens. C’eût été, pour ne prendre qu’un exemple, une publication allemande dont les deux derniers volumes auraient été analogues à la série de Tarzan — aventures très populaires en Allemagne — qui étaient nettement anti-allemands. Je crois que je n’ai pas besoin d’en dire plus long ici. Mais je n’ai jamais utilisé de tels produits de la propagande anti-allemande de jadis. Et j’ai sciemment ignoré de semblables méthodes.
Si vous dites que vous avez renoncé à utiliser la haine et l’excitation dans votre propagande, comment avez-vous effectivement fait de la propagande en temps de guerre ?
Au cours de cette guerre, j’ai fait de la propagande exclusivement avec les concepts de la nécessité d’obligation de lutter. J’ai toujours dépeint sous des couleurs très sombres les suites d’une défaite et, systématiquement, j’ai cité la presse et la radio des pays ennemis. J’ai toujours parlé des exigences de l’ennemi après une capitulation sans conditions. J’ai souvent employé le terme d’un super-Versailles et, j’insiste, j’ai parlé d’une guerre perdue avec un pessimisme exagéré. Mais, évidemment, je ne suis pas à même de comparer avec la réalité d’aujourd’hui.
Mais n’avez-vous pas déduit des émissions radio-phoniques de l’adversaire que la lutte des Alliés n’était pas orientée contre le peuple allemand, mais seulement contre ses chefs ? Est-ce que vous l’avez caché au peuple allemand ?
Au contraire. Je ne le lui ai jamais caché ; et je l’ai toujours dit. Seulement, j’ai ajouté que ce n’était pas croyable. J’ai employé par exemple le procédé qui consistait à citer le texte même d’une déclaration de guerre du moyen âge dans laquelle il était déjà dit que la guerre était faite au roi de France, mais qu’on voulait apporter la liberté au peuple français.
Avez-vous essayé...
Je crois qu’il serait opportun de lever l’audience.