CENT SOIXANTE-CINQUIÈME JOURNÉE.
Jeudi 27 juin 1946.

Audience du matin.

(L’accusé Fritzsche est à la barre des témoins.)
L’HUISSIER AUDIENCIER (lieutenant-colonel James R. Gifford)

Plaise au Tribunal. Il m’est rapporté que l’accusé Ribbentrop, malade, n’assistera pas à l’audience.

Dr FRITZ

Monsieur le Président, Messieurs, tout d’abord une brève explication. Hier, à plusieurs reprises, j’ai cité le Ministère Public et désire le faire encore au cours de mon interrogatoire. Et je fais allusion aux explications qui ont été données à propos de Fritzsche par le capitaine Sprecher, au cours de l’audience du matin du 23 janvier 1946. M. Fritzsche, vous avez parlé hier de vos discours à la radio sur la propagande des Alliés ; une dernière question à ce propos ; avez-vous également essayé de diviser le front des Alliés par votre propagande ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Naturellement ; je l’ai essayé. J’ai exploité tous les contrastes idéologiques et politiques et toutes les divergences entre les différentes nations alliées. Je considérais que c’était une arme permise. Je désirais, à cette époque, une cassure entre les Alliés, tout autant que je désire aujourd’hui leur union, car l’Allemagne serait, de toute façon, la première victime de tout conflit.

Dr FRITZ

Vous êtes également accusé d’avoir aidé le raffermissement du contrôle nazi sur toute l’Allemagne. Vous êtes-vous élevé contre la démocratie ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Je n’ai jamais prêché la haine contre la démocratie en tant que telle. J’ai fait de la polémique contre la démocratie des trente-six partis, la démocratie qui régnait auparavant en Allemagne, la démocratie sous laquelle des groupes si importants sont restés impuissants, tels par exemple les deux partis marxistes. J’ai critiqué la démocratie étrangère seulement sur deux points : tout d’abord sur les éléments qui limitaient l’idée directrice d’une démocratie. Je crois qu’il serait superflu, et que cela amènerait peut-être des malentendus, d’énumérer cela aujourd’hui. En second lieu, je critiquais l’exigence des démocraties étrangères de nous octroyer aussi leur . forme gouvernementale. Cela me paraissait injustifié à cette époque, selon mes connaissances et mes informations.

Dr FRITZ

Considériez-vous donc que la dictature était la meilleure forme de Gouvernement ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Je voudrais m’expliquer clairement sur ce point : à cette époque, étant donné la situation et les besoins temporaires, oui. Aujourd’hui, naturellement, non. Quand la forme autoritaire d’un Gouvernement amène la catastrophe de l’assassinat de 5.000.000 d’hommes, je crois qu’elle est mauvaise, même en temps de nécessité. J’estime d’ailleurs que toute forme, même limitée, d’un contrôle démocratique, aurait rendu cette catastrophe impossible.

Dr FRITZ

On vous reproche, en outre, d’avoir propagé la doctrine de la race des seigneurs. Le Ministère Public vous le reproche indirectement. Qu’en est-il ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Jamais je n’ai propagé ou représenté la théorie de la race des seigneurs. J’ai évité cette expression. Je l’ai strictement interdite à la presse et à la radio allemandes pendant l’époque où je les ai dirigées. Je crois également que la notion de race des seigneurs a joué un rôle plus important dans la propagande anti-nationale-socialiste qu’en Allemagne même. J’ignore qui a inventé cette expression. Elle n’a été publiquement employée, pour autant que je le sache, que par des hommes tels que le Dr Ley qui, je dois le dire ouvertement et expressément, n’ont jamais été pris au sérieux par personne. D’une façon tacite, cette notion a joué un grand rôle auprès des SS en raison de son caractère exclusif au point de vue racial. Mais les hommes intelligents, pleins de tact, et connaissant quelque peu le monde, évitaient soigneusement l’emploi de ce terme.

Dr FRITZ

Monsieur le Président, je remets au Tribunal, à ce propos, un affldavit du Dr Scharping, en date du 17 mai 1946. Le Dr Scharping est resté jusqu’au dernier moment Regierungsrat au ministère de la Propagande. Je cite ici une seule phrase de cet affi-davit, page 13 :

« A ce propos, on peut expliquer également que Fritzsche s’est toujours opposé à la notion de race des seigneurs. Il a même expressément interdit l’utilisation de cette expression à la radio. » (Au témoin.) Mais, pour justifier cette prétention, le Ministère Public utilise une citation d’un de vos discours à la radio.

ACCUSÉ FRITZSCHE

La citation est exacte, mais je vous demande de la lire exactement. Dans cette citation, on repousse la notion de race des seigneurs pour le peuple juif et pour le peuple allemand. On ne peut pas se tromper.

Dr FRITZ

Monsieur le Président, ce passage se trouve dans l’exposé du capitaine Sprecher, texte anglais, pages 31-32 du procès-verbal. (Au témoin.) Vous n’avez pas seulement fait une propagande intérieure, mais également une propagande pour l’étranger. Quelle était la différence ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Dans mes discours à la radio, il n’y avait aucune différence. Avant le déclenchement des hostilités, j’ai légèrement différencié les discours pour l’Allemagne et ceux pour l’étranger, tout simplement parce que le public était différent, et que je présumais un niveau de connaissances préliminaires différent, Pendant la guerre, mes discours à la radio allemande ont également été transmis par des postes à ondes courtes. L’Allemagne et l’étranger pouvaient contrôler ce qui était hostile à l’Allemagne et à l’étranger. J’ai, en outre, pendant les douze années où j’ai parlé à la radio allemande, interdit que l’on traduisît mes discours, car il y avait toujours des différences de nuances. Des exposés écrits pouvaient être traduits, également des discours officiels, mais non pas des causeries superficielles et à moitié improvisées.

Dr FRITZ

Est-ce que vos discours à la radio destinés à l’étranger ont trouvé une critique internationale ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Oui, très souvent. Pendant la guerre, une voix s’élevait presque journellement d’un pays quelconque, et je rassemblais ces critiques. J’ai demandé qu’elles me soient accordées comme moyens de preuve, mais cette requête a été re jetée. A ma connaissance, on ne m’a pas fait dans ces critiques le reproche d’avoir excité à la guerre.

Dr FRITZ

Vous n’avez pas eu seulement une activité d’orateur de propagande, mais également d’organisateur. On vous reproche d’avoir participé à la création d’un instrument qui a joué un rôle important dans la prétendue conspiration. Le Ministère Public prétend à ce sujet que, pendant treize ans, vous avez aidé à créer les moyens de propagande dont s’est servi la conspiration. Avez-vous créé les organisations de presse de l’État national-socialiste ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Non, je n’ai pas créé cette organisation. Je n’ai pas non plus participé à sa création. Ses créateurs étaient le Dr Goebbels, le Dr Dietrich et le Reichsleiter Amann. Lorsque, au cours de l’hiver 1938, j’ai été nommé directeur du service de presse allemand, j’ai essayé de diminuer le poids des chaînes qui entravaient la presse allemande. Je l’ai essayé sur le plan matériel et personnel. Par exemple, j’ai ramené à la presse des centaines de rédacteurs qui avaient été renvoyés depuis 1933 ou 1934 parce qu’ils appartenaient à d’autres partis. Aujourd’hui, ils m’en voudront, mais, à cette époque, j’estimais que c’était bien. En outre, j’ai créé, en dehors des conférences officielles de presse dont les comptes rendus étaient très sévèrement contrôlés par mes supérieurs, ce que j’appelais des conférences ultérieures dans lesquelles je discutais plus librement avec les représentants des cinquante ou soixante journaux les plus importants tout ce qui touchait à leurs travaux. J’ai forgé la maxime suivante qui a souvent été employée :

« Vous pouvez critiquer tout ce que vous voulez dans les journaux allemands, si vous ne faites pas un titre de cette critique, mais si vous la formulez élégamment, en la dissimulant dans votre texte ». Et une foule de journalistes allemands des douze dernières années ont utilisé ce procédé. Je serais heureux si ce travail, qui était un travail caché, pouvait être actuellement inscrit à l’honneur de ces hommes qui, par leur seule confiance en ma personne, ont repris leur profession de journalistes. Je dois naturellement ajouter que la possibilité d’exercer une critique était tout de même limitée et non pas illimitée.

Dr FRITZ

Monsieur le Président, à cette occasion, je dépose devant le Tribunal, en accord avec le Ministère Public, un document portant le numéro Fritzsche-4. Il s’agit d’un extrait d’une lettre du général Dittmar qui commentait fréquemment, pendant la guerre, la situation militaire à la radio allemande, et qui est actuellement prisonnier des Anglais. M. Lidell-Hart, commentateur bien connu de la radio anglaise, a envoyé un extrait d’une lettre au Ministère Public britannique, et je désirerais citer brièvement ce mémoire qui m’a été remis. Puis-je citer ce passage ?

LE PRÉSIDENT

Je vous en prie.

Dr FRITZ

Dittmar écrit : « La possibilité d’exercer une critique dans les commentaires à la radio était essentiellement due au consentement implicite et à la protection de Hans Fritzsche, le chef des émissions politiques. Je crois que Fritzsche a été un adversaire secret du régime et qu’il se réjouissait de sa chance d’avoir trouvé un commentateur qui exprimait discrètement des idées proches des siennes et de nature à entraîner secrètement une diminution de la confiance dans le régime. »

Outre ce passage, je citerai un autre extrait de l’affidavit du Dr Scharping que j’ai déjà déposé sous le numéro Fritzsche-2, page 11 :

« Le personnel de la radio et les journalistes connaissaient parfaitement la tolérance de Fritzsche. Il se passait souvent, par exemple, lors de ces conférences, que Fritzsche eût un exemplaire du Völkischer Beobachter à la main et fît des remarques ironiques sur un article antisémite. Je me souviens qu’une fois il a exprimé une critique dans les termes suivants : « Un journal berlinois — et il montrait visiblement à tout le monde le Völkischer Beobachter qu’il brandissait — a, à nouveau, dans un article de fond, commis plus de deux gaffes à la fois. Peut-être l’auteur arrivera-t-il à trouver enfin le ton convenable. » Par de telles remarques ironiques, Fritzsche recueillait toujours l’adhésion de ses auditeurs ; mais ce n’était pas sans danger pour lui, car Goebbels lisait tous les jours les procès-verbaux de ces conférences de presse ».

Monsieur Fritzsche, une question à propos des explications du général Dittmar : vous posiez-vous en adversaire du système ? Ou bien comment le général Dittmar peut-il l’affirmer ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Je n’étais pas un adversaire du système. Il serait ridicule et déshonorant de vouloir l’affirmer aujourd’hui ; mais j’étais un adversaire farouche de tous les excès du système dont je pouvais me rendre compte. L’excès que je reconnaissais le plus facilement, car il appartenait à mon domaine, était le travestissement avantageux que l’on pratiquait sur toutes les nouvelles pendant la guerre. Le but de toute ma politique d’information était réaliste, et c’est ce que le général Dittmar veut dire dans ses explications. J’ai rencontré le général Dittmar en décembre 1942 ou en janvier 1943, au moment où la sixième armée était déjà encerclée à Stalingrad. Cet événement était officiellement tenu secret au peuple allemand. D’accord avec le général Dittmar, et contrairement à la défense que j’avais reçue, j’ai officiellement fait connaître que la sixième armée était encerclée à Stalingrad. L’événement fit sensation à l’époque. Dans les mois et les années qui ont suivi, j’ai toujours défendu le général Dittmar et sa façon réaliste de décrire la situation militaire contre les attaques du Parti, et également contre les attaques du ministère des Affaires étrangères qui appelaient sans cesse l’attention sur le fait que les conceptions froides de Dittmar exerçaient une mauvaise influence sur les Alliés de l’Allemagne.

Dans le cadre de ces efforts pour des informations réalistes — et je prie le Tribunal de m’autoriser à la décrire très brièvement — j’ai mené plus tard une lutte réellement désespérée contre la propagande irresponsable entreprise avec les armes miraculeuses. Un an après que le Dr Goebbels, pour la première fois, eût parlé d’armes miraculeuses en construction, j’ai cité pour la première fois seulement une nouvelle catégorie d’armes. Speer a cité ici le nom d’un SS-Standartenführer Berg qui, dans le cadre du ministère de la Propagande, aurait fait une propagande secrète pour les armes nouvelles. Il est l’auteur d’un article important du journal Dos Reich, portant le titre sensationnel : « Nous portons des secrets ». Je devais lutter contre de telles choses. Un autre exemple particulièrement marquant est le suivant : un membre des SS également, Hemau, écrivait, au moment du débarquement qui venait de réussir, un article dans lequel il disait que l’évacuation de la France était une ficelle mystérieuse de la direction des opérations allemandes dans le seul but de créer là possibilité d’une contre-offensive sévère. J’ai interdit cet article dans mon domaine. Je devais sans cesse lutter contre les rumeurs absurdes et propagées sous le manteau qui touchaient aux armes secrètes. Je l’ai fait publiquement et j’ai nettement pris position à la radio contre cette propagande.

D’un autre côté, je dois également indiquer que mes supérieurs, à chaque moment de la guerre, m’ont toujours fait quelques promesses justifiées, celles par exemple de quelque offensive militaire en préparation : une attaque de la Prusse Orientale vers le Sud, une attaque de Haute-Silésie vers la Vistule, une attaque de l’Alsace vers le Nord, etc. Accompagnant ces affirmations fouillées jusque dans les détails, il y avait encore ce que j’ai déjà cité hier brièvement : ces promesses politiques, ces explications du Dr Goebbels qui voulaient que des négociations de politique étrangère fussent, d’un côté ou de l’autre, menées avec l’adversaire.

Dr FRITZ

Autre question : qui dirigeait la politique de presse ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

La politique de presse était dirigée par le chef de la Presse du Reich, le Dr Dietrich. Il donnait ses instructions d’une façon très détaillée, en partie dans un texte bien déterminé que nous appelions le bulletin quotidien du che’f de la Presse du Reich. Très souvent également, il donnait même les textes des commentaires qui devaient être utilisés lors de la conférence de presse. Le Dr Dietrich était en général au Quartier Général du Führer et recevait directement ses instructions de Hitler. Les adjoints du Dr Dietrich étaient Stindermann et Lorenz.

Le second facteur déterminant de la politique de presse allemande était le Reichsleiter Amann qui se trouvait à la tête de l’organisation des éditeurs. Le troisième facteur en était le Dr Goebbels en sa qualité de ministre de la Propagande du Reich. Dietrich et Amann dépendaient de lui d’une façon formelle. En fait, tous deux étaient sur le même pied d’égalité que lui et je devais toujours naviguer, comparer ou coordonner entre ces trois personnages.

Dr FRITZ

Avez-vous créé l’organisation des informations de la presse ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Oui, j’ai créé cette organisation. Elle est de moi, en principe. Puisse me référer au point 17 de mon affidavit PS-3469 ? J’ai administré le service d’information de la presse de 1934 à 1938. J’étais fier qu’au début de la guerre l’adversaire reconnût lui-même le bon fonctionnement de cet organisme de renseignements. Mais, à cette époque, je n’étais plus le chef de cette section d’information. J’ai créé cette organisation comme spécialiste en temps de paix, sans songer le moins du monde à son utilisation en temps de guerre. Il est inexact, contrairement à la conclusion du Ministère Public, que j’aie déterminé la teneur de ces informations.

Dr FRITZ

Le Ministère Public prétend que le ministère de la Propagande a été l’officine de mensonges la plus fabuleuse de tous les temps. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Tout d’abord, je désire personnellement préciser très clairement ce qui suit. Je déclare sous la foi du serment que, dans les graves questions de la politique et de la direction des opérations, je n’ai commis aucune falsification et dit aucun mensonge en connaissance de cause. Je ne puis dire combien de fois j’ai moi-même été victime d’une falsification ou d’un mensonge à la lumière de ces débats. La même remarque vaut, dans la mesure où j’en suis informé, pour tous mes collaborateurs. Je ne voudrais donc nullement nier que mes collaborateurs et moi nous ayons été entraînés par une tendance, lors de l’utilisation de renseignements et de citations. Au cours d’une guerre, la propagande est malheureusement condamnée à ne travailler qu’avec de la peinture noire et blanche ; seuls de rares esprits dépassaient ce cadre tracé. Je crois que cette peinture noire et blanche est un luxe dont on n’a plus le droit de se servir.

Passons au ministère de la Propagande en tant que tel : je n’en puis apprécier qu’un douzième : le service que je dirigeais ; mais, à mon avis, il est erroné de croire que le ministère de la Propagande élaborait des milliers de petits mensonges. En général, on y travaillait assez proprement et assez honnêtement, et parfaitement au point de vue technique. Si nous avions menti sur des milliers de petites choses, l’adversaire en aurait fini bien plus rapidement avec nous qu’il ne l’a fait réellement. Mais ce qui est déterminant pour un tel organisme de renseignements, ce n’est pas le détail, c’est la fondation la plus profonde sur laquelle repose toute propagande. Ce qui importe, c’est la foi dans la propreté du Gouvernement en laquelle, d’une façon quelconque, chaque journaliste doit avoir confiance. Et cette base est ébranlée par ce que nous savons aujourd’hui des assassinats collectifs, des atrocités insensées. Elle est ébranlée également par le doute qui plane sur l’honnêteté du désir de paix de Hitler dont je ne puis aujourd’hui juger les détails.

Dr FRITZ

On a dit, au cours de ce Procès, qu’il n’y avait pas de prescriptions du Droit international sur l’utilisation de la propagande en temps de paix et en temps de guerre.

ACCUSÉ FRITZSCHE

Je sais parfaitement bien que le Droit international ne limite nullement la propagande et, en particulier, la propagande en temps de guerre. Je sais très bien également que seuls quelques traités isolés prévoient des clauses sur l’utilisation de la propagande, par exemple le Traité germano-polonais et le Traité germano-soviétique. Mais, durant toute ma vie de journaliste, j’ai souligné que le manque de clauses internationales relatives à la propagande ne donnait pas carte blanche pour le mensonge. J’ai toujours souligné la responsabilité morale du journaliste et de l’informateur. Je l’ai fait longuement avant la guerre dans une discussion avec Radio-Luxembourg, sur laquelle il serait trop long de revenir. Si je n’ai pas cherché la mort au mois de mai de l’année dernière, vous en trouverez une raison dans mon désir de me justifier, car je vivais dans un système qui. connaissait le pur idéalisme et le désir de millions de gens de se sacrifier, mais également le mensonge et la brutalité qui ne reculaient même pas devant un crime.

Dr FRITZ

Citez des exemples où vous vous sentiez trompé.

ACCUSÉ FRITZSCHE

Dans ce Procès, on a parlé, au début de la guerre contre la Pologne, de la nouvelle de l’attaque du poste émetteur de Gleiwitz. A cette époque, j’ai pleinement cru en l’exactitude des nouvelles officielles allemandes. Je n’ai pas à parler de cet incident. Au mois de décembre de l’année dernière, ici, à la prison de Nuremberg, j’ai appris par un entretien avec le Grand-Amiral Raeder que c’était réellement un sous-marin allemand qui avait coulé l’Athenia. Jusqu’alors, j’avais cru fermement à la véracité des renseignements officiels allemands selon lesquels aucun sous-marin allemand ne se trouvait aux environs du lieu de torpillage.

J’ai demandé à mon avocat de rassembler les passages les plus durs de mes discours sur l’affaire de l’Athenia et de les mettre dans mon livre de documents, c’est-à-dire de rassembler des éléments qui plaident contre moi mais qui, d’un autre côté, exposent clairement que je ne travaillais pas seul sur les renseignements officiels allemands et indiquent comment je recueillais les nouvelles qui soutenaient la version officielle allemande. C’est le fait, par exemple, qui n’a pas été communiqué officiellement et pouvait amener des doutes, que les débris de l’Athenia avaient été coulés le lendemain de la catastrophe par les coups d’un destroyer britannique ; c’est un fait qui est complètement normal en matière de navigation mais qui me paraissait, à l’époque, être une source de nouvelle méfiance. En outre, je me suis également servi de renseignements américains au sujet de cette même affaire. Mais la fausse nouvelle la plus impressionnante dont j’aie été victime datait des derniers jours de la guerre et je dois la décrire afin d’éclaircir cette affaire. Tandis que Berlin était encerclée par les armées russes, on informa les Berlinois que l’armée Wenk se trouvait en marche sur Berlin pour la délivrer et qu’on ne combattait plus sur le front de l’Ouest. La nouvelle précisait que Ribbentrop s’était rendu sur le front de l’Ouest et qu’il avait conclu un traité. On imprima alors des tracts dans Berlin encerclée avec le texte :

« Soldats de l’armée Wenk, les Berlinois savent que vous êtes déjà à Potsdam. Dépêchez-vous, venez vite, aidez-les ». Ces tracts furent imprimés à un moment où l’armée Wenk n’existait déjà plus et avait été capturée. Ils furent lancés probablement par mégarde sur Berlin pour donner une nouvelle confiance aux habitants de la ville. Cela se passait au moment où, d’après la déclaration de Speer, Hitler venait de dire à ses intimes qu’il ne valait plus la peine de faire quelque chose pour le reste du peuple allemand.

Dr FRITZ

Monsieur le Président, les deux discours radiodiffusés cités par Fritzsche à propos de l’affaire de l’Athenia. se trouvent dans le document Fritzsche n° 1 que j’ai déjà remis hier. Je me réfère tout simplement au contenu de ces discours.

Voulez-vous citer des exemples de mensonges que vous connaissiez et dont vous ne pensiez pas qu’ils constituaient des mensonges ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

L’action « V » en est un exemple. Le colonel, Britton, de l’armée britannique, avait proclamé cette action « V » (Victory Action) à la radio britannique. Le même soir, j’en parlais moi-même à la radio allemande pour déclarer innocemment :

« Nous ferons une action « V » et « V » signifie « Victoria ». Là-dessus, le colonel Britton me reproche de lui avoir volé son « V ». Je lui répondis que ce n’était pas le cas et que c’était moi qui avais trouvé le premier cette idée.

Dr FRITZ

Mais si vous croyiez tout simplement manier la vérité, pourquoi employiez-vous un langage si rude ? Pourquoi défendiez-vous d’écouter des émetteurs étrangers ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

J’ai déjà souligné dans mon affidavit qu’à mon avis la dureté de mon langage était toujours en deçà de celle de mes adversaires. L’interdiction d’écouter des postes étrangers a été promulguée contre ma volonté expresse. Pour moi, cette défense n’était gênante que dans mes discussions avec mes adversaires étrangers dans les pays différents, car avec cette interdiction de l’écoute, mon adversaire restait dans une sorte de pénombre. Je n’avais pas la possibilité de lui parler officiellement, mais je savais d’un autre côté que beaucoup de mes auditeurs l’avaient également écouté. Je dois dire ici que je suis toujours intervenu en faveur de jugements modérés dans les délits contre cette interdiction d’écouter les postes étrangers. A plusieurs reprises, des autorités judiciaires m’avaient demandé des renseignements en ma qualité de spécialiste. Je puis également souligner que j’ai créé, surtout après Stalingrad, un propre service d’écoute de la radiodiffusion russe afin de communiquer à leurs familles les noms des soldats allemands capturés à Stalingrad, car il me paraissait cruel de priver les familles d’une telle source d’information qui leur donnait des renseignements sur le sort de leurs proches parents.

En. outre, dans les questions d’interdiction d’écouter la radio étrangère, il n’y avait qu’une seule alternative, c’est-à-dire ou bien confisquer tous les postes de T. S. F. et réduire la radio allemande au silence — c’est ce que le Parti avait exigé à plusieurs reprises — ou bien interdire d’écouter les postes étrangers ; et c’est ainsi que cette interdiction me parut être le moindre mal.

En outre, il y avait tout de même la guerre et l’adversaire ne choisissait pas toujours non plus ses moyens. Je ne voudrais citer qu’un seul exemple : l’émetteur Gustav Siegfried II, qui au début de ses émissions, recherchait des auditeurs en Allemagne avec des descriptions que je ne désire pas caractériser plus en détail mais qui m’obligèrent à en interdire la réception dans mon propre poste d’écoute.

Dr FRITZ

On vous reproche d’avoir poussé une politique d’exploitation sans égard des territoires occupés. Le reconnaissez-vous ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Non. Le but de tout mon travail de propagande en Europe était et devait être de gagner les peuples européens à la cause allemande. Tout le reste eût été illogique. Toutes les émissions radiophoniques que j’ai dirigées dans toutes les langues européennes n’ont eu, pendant de longues années, qu’un seul but : gagner la collaboration volontaire, celle, en particulier, des territoires occupés, pour la lutte du Reich.

Dr FRITZ

Étiez-vous d’avis que l’administration allemande en territoires occupés procédât à un recrutement volontaire ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Au début, certainement, avec une seule exception, Koch en Ukraine. Autrement, à ma connaissance, toutes les administrations des territoires occupés ont recherché cette collaboration d’une façon plus ou moins adroite. J’ai vu alors les efforts gigantesques que les Alliés ont déployés afin de troubler cette politique de collaboration allemande qui était très dangereuse pour eux. J’ai vu ces efforts des Alliés d’abord par la propagande. Elle seule n’aurait pas suffi, mais je les ai vus ensuite avec d’autres moyens tels que les attentats et le sabotage. Là, ces efforts avaient un grand succès. Les attentats amenaient des représailles et les représailles suscitaient de nouveaux attentats. Je désire ne pas être mal compris ; ce que je vais dire n’a aucune acception cynique : en tant que propagandiste, je considérais le meurtre de Heydrich comme un petit succès, mais la destruction par les Allemands de Lidice comme un très grand succès pour les Alliés. Par conséquent, j’étais toujours, et je devais être, un adversaire de toutes les représailles.

Dr FRITZ

Est-ce que vous étiez au courant des représailles ? Comment les avez-vous traitées dans votre propagande ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Les faits de Lidice dont je viens de parler n’ont été portés à ma connaissance qu’après des mois, car, à ce moment-là, je me trouvais sur le front de l’Est. Je n’ai appris — et c’est significatif — que la destruction des maisons de cette ville et l’expulsion des habitants. C’est ici dans cette salle que j’ai appris l’exécution de tous les habitants. J’ai su également qu’on avait retenu des otages, mais je n’ai jamais eu connaissance de leur exécution. Les exécutions d’otages n’étaient publiées qu’en territoire occupé. Quand il y avait des exécutions, on me rapportait qu’il s’agissait de conspirateurs ou d’auteurs d’un attentat condamnés à mort. J’ignorais également le décret « Nacht und Nebel » ; par contre, j’ai appris que dans de nombreux cas des amendes avaient été infligées à des villes et des communes. Dans notre propagande, nous avons toujours attiré l’attention sur les raisons de ces amendes.

Dr FRITZ

Comment avez-vous décrit, dans votre propagande, le travail des administrations allemandes ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

J’ai toujours indiqué le travail constructif qui, malgré toutes les difficultés et toutes les résistances, avait été réalisé dans les territoires occupés ; et tout d’abord, le travail d’intensification de l’agriculture et l’augmentation de la production industrielle ; j’ai ensuite attiré l’attention sur l’approvisionnement des territoires occupés en vivres et, souvent — je voudrais le souligner expressément — sur l’approvisionnement qui venait des petites réserves allemandes. J’ai fait faire des rapports sur les créations d’écoles et j’ai reçu des rapports très impressionnants dont je me suis servi, par exemple, sur l’approvisionnement de villes comme Paris, malgré les attentats commis par l’adversaire sur les lignes de chemins de fer et sur les autres moyens de transport de ce ravitaillement. J’ai fait rassembler ces renseignements sous des rubriques précises, j’ai fait faire des discours et des séries de discours ; et. ces sources étaient innombrables. Je dois aussi souligner qu’à ma connaissance la mortalité des nourrissons n’a jamais atteint 80 % dans aucun territoire occupé par l’Allemagne. Nulle part il n’y avait de terres incultes, et il ne correspond nullement à la réalité de dire, comme l’a fait le Ministère Public dans un moment d’excitation, que l’Allemagne et les Allemands auraient bien vécu pendant cette guerre tandis que les territoires occupés étaient affamés. Ce n’est pas vrai.

Dr FRITZ

Que savez-vous des abus dans les territoires occupés ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Ils tenaient surtout au fait qu’on n’employait pas la population indigène dans l’administration et au manque de concessions politiques décisives dans les pays qui s’administraient eux-mêmes. Tout de suite après la campagne de France, j’avais moi-même exigé une grande charte européenne qui devait établir les droits fondamentaux des peuples européens. J’ai élaboré plusieurs mémorandums à ce sujet. Le Dr Goebbels les a reçus et les a présentés à Hitler. Lorsqu’on 1942 je décidai de revenir au ministère de la Propagande, le Dr Goebbels me donna, entre autres, la promesse que cette charte européenne serait finalement proclamée.

Dr FRITZ

Monsieur le Président, à ce propos, je voudrais citer un troisième passage du document Fritzsche-2, de l’affidavit Scharping, à la page 13. Je cite :

« Après l’occupation de différents pays européens, Fritzsche a élaboré pour les services d’information des directives de la portée suivante : les peuples européens devaient se réunir avec l’Allemagne dans une confédération d’États sur une base d’Égalité. Il me chargea de projeter dans ce sens une série d’exposés où ce point de vue jouerait le rôle prédominant et qui, en même temps, devaient donner aux différents services des instructions en vue d’une construction saine dans les territoires occupés. » (Au témoin.) Connaissez-vous ce que le Ministère Public a décrit ici sur l’activité de la Police dans les territoires occupés ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Non.

Dr FRITZ

A cette occasion, une autre question. J’ai déjà demandé au témoin Paulus quel avait été votre comportement après la réception de l’ordre sur les commissaires. Qu’en a-t-il été ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

J’ai eu connaissance de l’ordre de fusiller les commissaires russes prisonniers au début de mai 1942, lorsque je suis arrivé à la 6e armée. J’ai immédiatement protesté. J’ignore si cet ordre a été exécuté ou non. Le maréchal Paulus a certainement raison lorsqu’il déclare que l’exécution de cet ordre dans son secteur avait déjà été prévenue. Je croyais moi-même de mon devoir de faire annuler cet ordre comme tel, et j’ai obtenu ce résultat, lorsque la 6e armée, sur mon conseil, a transmis certaines protestations à l’OKW, ou à l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht. En outre, je suis convaincu que beaucoup de commandants d’armée ont agi comme ceux de la 6e armée et qu’ils n’ont pas exécuté cet ordre. A la suite de cela, il fut expressément rapporté.

Dr FRITZ

Le Ministère Public cite deux passages de votre discours radiodiffusé du 5 juillet 1941. Monsieur le Président, cela se trouve dans le procès-verbal anglais du capitaine Sprecher, aux pages 32 et 33. (Au témoin.) Le Ministère Public conclut de cette citation que vous auriez poussé à prendre des mesures sans aucun égard pour la population de l’Union Soviétique. Vous auriez également diffamé les populations de ce pays ?

LE PRÉSIDENT

Nous ne le trouvons pas ici, quel est le numéro PS ?

Dr FRITZ

C’est dans le procès-verbal, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Nous n’avons pas ce procès-verbal. Nous avons le livre de documents qui ne contient pas trente-trois pages, mais seulement trente et une ou trente-deux pages.

Dr FRITZ

Monsieur le Président, je puis indiquer le numéro : c’est le PS-3064 (USA-723), et...

LE PRÉSIDENT

C’est à la page 14 de notre livre. Vous avez dit 5 juillet ?

Dr FRITZ

5 juillet 1941.

LE PRÉSIDENT

J’ai le 7 et le 10 juillet, mais non le 5. A quelle page dans les notes sténographiques ?

Dr FRITZ

Texte anglais, pages 32 et 33 ; j’ai le procès-verbal anglais.

LE PRÉSIDENT

Il vaudrait mieux que vous le citiez.

Dr FRITZ

Je cite l’exposé du capitaine Sprecher :

« Comme il est possible de le tirer des lettres du front, de correspondants de guerre P. K. » — les PK sont les compagnies de propagande qui accompagnaient les armées dans leur progression — « et de déclarations de soldats permissionnaires, il ne s’agit pas dans cette guerre à l’Est d’un système politique qui en affronte un autre, d’une conception philosophique qui se dresse contre une autre, mais de la culture, de la civilisation et de la dignité humaine qui se sont élevées contre les principes diaboliques d’un monde inférieur. »

ACCUSÉ FRITZSCHE

Je tiens à préciser que je n’ai pas demandé par là que des mesures sans égards soient prises contre la population de l’Union Soviétique que je ne voulais pas non plus diffamer. Je me réfère au texte complet de l’allocution du 5 juillet ; je ne désire pas le lire, mais je prie qu’on m’autorise à le résumer brièvement.

Dr FRITZ

Monsieur le Président, dans mon livre de documents 1 — je ne sais pas si le Tribunal l’a déjà sous les yeux — se trouvent toutes les allocutions prononcées à la radio...

LE PRÉSIDENT

Nous ne l’avons pas.

Dr FRITZ

... toutes les allocutions prononcées à la radio par l’accusé Fritzsche dont le Ministère Public a cité des passages retenus à sa charge. J’en ai le texte complet dans ce livre.

LE PRÉSIDENT

On vient de me le donner. A quelle page se trouve-t-il ?

Dr FRITZ

Aux pages 8 à 14. Allocution du 5 juillet 1941. (Au témoin.) Voulez-vous continuer ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Puis-je en résumer brièvement le contenu. Je parlais des comptes rendus que le public allemand avait reçus sur ce que des soldats allemands avaient vu lors de leur avance en Union Soviétique et surtout sur les prisonniers internés dans les prisons de différentes villes. Je ne donnais pas une nouvelle description mais je rappelais seulement les rapports publiés à cette époque. J’en déduisais qu’il apparaissait maintenant combien la lutte était nécessaire contre un système où de telles atrocités étaient possibles. Quant aux peuples de l’Union Soviétique, j’utilisais expressément à leur propos des mots de sympathie et de compassion.

Dr FRITZ

Au même propos et avec la même intention, le Ministère Public cite une phrase d’un paragraphe de votre allocution radiodiffusée du 10 juillet 1941. Monsieur le Président, ce passage se trouve dans le livre de documents 1, discours du 10 juillet 1941. Le texte complet va de la page 14 à la page 19. (Au témoin.) Que dites-vous de ces reproches ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Ce que je viens de dire ressort plus clairement encore de cette citation et de tout ce discours. J’indiquais à nouveau les rapports déjà cités, j’indiquais les descriptions des correspondants étrangers et très ouvertement je communiquais l’opinion de Moscou sur ce point ? Je disais très franchement :

« Radio-Moscou reconnaît que ces atrocités sont des réalités, mais prétend que ces atrocités n’ont pas été commises par des Russes mais par des Allemands ». Devant cette attitude de Moscou, j’en appelai, si je puis ainsi m’exprimer, à l’opinion publique. Je citai comme témoins les millions de soldats allemands, leurs femmes, leurs mères, leurs pères. J’en appelai de façon solennelle aux habitants des territoires occupés dans lesquels les Allemands avaient exercé le pouvoir à cette époque-là, et où, comme je le disais, ils ne dépendaient que des lois morales de leur propre cœur. J’en tirai la conclusion que ces soldats allemands ne pouvaient pas avoir commis ces atrocités que Berlin et Moscou décrivaient de la même façon. Le Ministère Public prétend que ces tentatives pour mettre ces atrocités allemandes à la charge des Russes sont ridicules. Je ne crois pas que ce soit ridicule. Je crois, au contraire, que c’est tragique. Cela démontre clairement, à mon avis, toute l’honnêteté et l’honorabilité de la totalité de la direction des opérations allemandes. Et je crois, encore aujourd’hui, que le meurtre, les violences et les commandos spéciaux n’étaient qu’un corps étranger, une tumeur, dans le sein du peuple allemand et de sa Wehrmacht.

Dr FRITZ

Le Ministère Public cite enfin un passage de votre discours du 9 octobre 1941 dont on a déjà donné une citation. Monsieur le Président, il se trouve dans le livre de documents Fritzsche n° 1. Le texte complet figure aux pages 20 à 25, et les citations du Ministère Public sont réunies dans un document qui se trouve dans le livre de documents Fritzsche du Ministère Public. Le Tribunal pourra donc facilement faire la comparaison de ces deux documents. (Au témoin.) Le Ministère Public déduit de cette citation que vous aviez parlé avec enthousiasme de la politique des conspirateurs nazis dans l’exploitation impitoyable des territoires occupés. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Il n’est question d’une exploitation impitoyable ni dans la citation du Ministère Public, ni dans le reste du texte du discours du 9 octobre 1941. Je me réfère au paragraphe 39 de mon affidavit PS-3469 que le Ministère Public a cité loyalement.

Puis-je, en outre, résumer brièvement le sens de l’allocution que j’ai prononcée à ce moment-là ? C’était l’époque où l’Armée allemande étendait son occupation de la mer Noire au golfe de Biscaye. Je pensais à la, possibilité de prélever des biens sur ce territoire immense. Je disais que les possibilités de ce continent étaient telles qu’elles pouvaient couvrir les besoins de la guerre et de la paix. Et je déclarais que la famine, qui avait été tentée par le blocus de 1914 à 1918, ne devait pas être envisagée. Je parlais des possibilités de l’organisation de l’Europe qui pouvait déjà commencer en pleine guerre.

Dr FRITZ

En pleine guerre ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

... qui pouvait déjà commencer en pleine guerre et j’entendais par là une organisation des nations européennes sur un pied d’égalité. Il n’y a aucun doute : je ne songeais pas, à cette époque-là, à une exploitation impitoyable des territoires occupés, mais à la seule idée de les gagner sur le plan politique et économique, dès que l’orage de la guerre se serait éloigné.

Dr FRITZ

Monsieur le Président, j’en arrive maintenant à un autre sujet. Peut-être serait-il opportun de suspendre l’audience ?

LE PRÉSIDENT

Oui.

Dr THOMA

Monsieur le Président, je vous prie de bien vouloir autoriser mon client Rosenberg à ne pas assister aux débats d’aujourd’hui. J’ai, en effet, à m’entretenir avec lui.

LE PRÉSIDENT

Oui, certainement.

(L’audience est suspendue.)
Dr FRITZ

Que saviez-vous du transport des Juifs émanant des régions occupées ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Je n’ai absolument rien su du transport des Juifs en général, mais j’ai entendu parler de l’arrestation de quelques personnes juives ou non.

Dr FRITZ

Que saviez-vous de la question du travail forcé qui a été traitée ici ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Je savais que des millions de travailleurs étrangers étaient occupés dans le Reich. Je ne les considérais pas comme des esclaves car je les voyais tous les, jours circuler librement dans les rues de toutes les villes.

Dr FRITZ

Que saviez-vous de leur traitement, de leurs salaires, de leur ravitaillement ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Mes collaborateurs ou moi nous recevions des informations des services de Sauckel et du Front du Travail. D’après ces communications, je me souviens que les ouvriers étrangers étaient à tous points de vue assimilés aux ouvriers allemands. Je me souviens, en outre, d’avoir entendu dire que les ouvriers de l’Est qui avaient été assez mal traités au début auraient obtenu des améliorations considérables dans leur traitement. J’ai entendu parler de plaintes sur le fait que les ouvriers étrangers auraient même été mieux traités que les ouvriers allemands et je me souviens particulièrement que les ouvriers étrangers arrivaient à envoyer de l’argent à leur famille, dans leur pays. J’ai fréquemment parlé à des ouvriers étrangers ; je n’ai jamais entendu des plaintes d’eux. Par contre, de par mes fonctions au ministère de la Propagande, j’ai entendu dire beaucoup de choses sur les mesures culturelles prises en faveur des ouvriers étrangers. Souvent, Sauckel et le Front du Travail allemand m’ont parlé d’organiser des émissions à la radio pour tel ou tel groupe d’ouvriers étrangers. De même, on m’a demandé de procurer des postes récepteurs aux camps d’ouvriers.

Dr FRITZ

Saviez-vous que la plupart n’était pas venus volontairement ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Précisément, c’est ce que je ne savais pas. Ici, au cours des débats, on a dit que Sauckel aurait un jour fait part de ce fait lors d’une conférence en disant qu’une très petite proportion était venue de son plein gré. C’est ce que j’ignorais absolument.

J’ai entendu les plaintes suivantes : d’abord, lors de l’embauchage, on aurait fait aux ouvriers des promesses exagérées qui n’avaient pu être ultérieurement tenues. Dans l’intérêt de ma propre propagande, j’ai élevé, quand j’ai appris ces faits, des objections auprès du service de propagande de mon ministère. En second lieu, je me souviens d’avoir entendu des doléances de Polonais surtout sur le fait que des ouvriers polonais auraient été licenciés par des entreprises ou des services particuliers.

Dr FRITZ

Sauckel a dit qu’il collaborait dans ce sens avec le ministère de la Propagande et qu’il y avait souvent des entretiens à ce sujet. Avez-vous pris part à ces conversations ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Non, je n’ai jamais pris part à ces conversations. Je crois n’avoir fait qu’ici la connaissance de Sauckel, mais il m’a rappelé une rencontre que nous aurions eue au printemps 1945 chez le Dr Goebbels à la suite d’une invitation.

Dr FRITZ

Aviez-vous quelque chose à voir d’une façon quelconque avec la propagande pour le recrutement des ouvriers étrangers dans les territoires occupés ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Non.

Dr FRITZ

Qu’aviez-vous à faire au point de vue propagande dans les régions occupées ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

La propagande dans les régions occupées ne dépendait pas de moi ; pas davantage la radio et la presse. Cette propagande était sous les ordres du Commissaire du Reich ou du Gouverneur ou du Commandant en chef militaire. De toute façon, j’ai pris une influence sur cette propagande dans les régions occupées et cela à deux, trois ou quatre reprises, parce que cette propagande dans les régions occupées était en contradiction avec les directives valables pour le Reich. Je m’en apercevais en général d’après les échos de l’étranger. Je me rappelle un cas qui avait provoqué une grande agitation. Au poste émetteur allemand de Paris, un certain Friedrich avait attaqué le pape. Je le fis renvoyer. Telle était mon influence en la matière ; Le Dr Goebbels jouissait de beaucoup plus d’influence sur la propagande dans les régions occupées grâce à ses services à l’étranger, à ses services de presse étrangère ou à ses officiers de liaison auprès de l’OKW.

Dr FRITZ

N’avez-vous jamais fait d’émissions radiophoniques dans les régions occupées ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Oui, de deux sortes différentes. Je vais vous donner un exemple de la première. Même si au temps de l’occupation allemande Radio-Paris était sous l’influence allemande, j’ai fait en sorte cependant de réserver les vieilles émissions allemandes en langue française Radio-Stuttgart. Je voulais par là exprimer clairement que l’occupation était une chose tout à fait provisoire et anormale. Et les conséquences de l’occupation n’ont rien à voir avec les conversations franco-allemandes qui ont lieu en,tre les deux pays. Deuxième exemple : j’ai fait procéder à des émissions allemandes, en espagnol et en portugais, sur trois postes du sud de la France, parce qu’elles étaient plus facilement audibles en Espagne et au Portugal. J’avais un accord avec ces émetteurs et le paiement était normal. Les négociations en vue de cet accord ont été menées par le ministère des Affaires étrangères.

Dr FRITZ

J’en arrive à une autre question : on vous reproche d’avoir proféré des paroles nettement antisémites. Étiez-vous antisémite et sous quelle forme avez-vous pris part à la propagande antisémite ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Je ne professais pas un antisémitisme tapageur. Le Ministère Public a prétendu que tous les accusés, moi compris, avaient crié : « Allemagne réveille-toi. Mort au Juif ». Je déclare sous la foi du serment que je n’ai jamais prononcé ce mot ou une phrase semblable. Je n’étais pas antisémite au sens des théories raciales ou des méthodes professées depuis Théodore Fritsch jusqu’à Julius Streicher. Le Ministère Public a prétendu que Streicher lui-même, le plus grand ennemi des Juifs de tous les temps, aurait à peine pu dépasser Fritzsche dans ses diffamations dirigées contre les Juifs. Je proteste là-contre. Je ne le mérite pas. Jamais je n’ai fait de propagande en parlant de meurtres rituels, de cabale ou autres secrets des Sages de Sion que j’ai considérés toute ma vie comme les fruits d’une agitation primitive. Je regrette infiniment pour des motifs humains d’avoir à vous faire une déclaration, mais je ne peux pas me taire, dans l’intérêt de la vérité : mes collaborateurs et moi, à la presse et à la radio, nous avons, sans exception, repoussé impitoyablement le Stùrmer. Eh treize ans, je ne l’ai jamais cité une fois dans mes revues de presse à la radio. On n’en parlait pas davantage dans la presse allemande. De mon temps, ses rédacteurs en chef ne faisaient pas partie de l’organisation professionnelle de la presse allemande. Son éditeur ne faisait pas non plus partie de l’organisation des éditeurs. Je ne sais pas ce qui s’est passé plus tard. Ainsi que je l’ai déjà dit dans mon affidavit, j’ai essayé deux fois de faire interdire le Stùrmer, je n’y suis pas arrivé. On me proposa la censure du Stùrmer ; j’ai refusé. Je voulais interdire le Stùrmer, pas seulement parce que la publication d’une seule de ses pages était la propagande anti-allemande la plus active qui eût jamais existé, mais je voulais arriver à le faire interdire aussi avant tout pour des questions de bon goût. Je voulais l’interdire comme une source de ce radicalisme contre lequel j’avais lutté dans tous les domaines. Le grand mystère dont on a tant parlé dans cette salle, le fait que le tirage du Stùrmer eût atteint un demi-million après 1933, peut être rapproché du mystère du développement subit des organisations telles que les SA par exemple. En 1933 le Parti ne recrutait plus de nouveaux membres et, de ce fait, beaucoup de gens cherchaient une affiliation. Puisqu’ils ne pouvaient plus appartenir directement au Parti, ils essayaient de rentrer dans ses organisations secondaires comme les SA, ou bien, ils voulaient prouver qu’ils adoptaient les idées nationales-socialistes en prenant un abonnement au Stùrmer. Dans ce sens je n’étais pas antisémite.

Par contre j’étais antisémite au sens suivant : je voulais que soit limitée l’influence toujours grandissante du judaïsme sur la politique allemande, l’économie et la culture après la première guerre mondiale. Une limitation telle que l’influence des Juifs correspondît au chiffre réel de ceux qui vivaient en Allemagne. Je l’ai dit officieusement et officiellement. Mais je n’ai jamais dirigé une propagande systématique pour en arriver là. Les déclarations antisémites que me reproche le Ministère Public ont un tout autre rapport. C’est le fait suivant : après la déclaration de la guerre, j’ai souvent remarqué qu’immédiatement après 1933 les émigrés juifs avaient déclaré les premiers qu’une guerre contre l’Allemagne nationale-socialiste était nécessaire : par exemple Emil Ludwig, Georg Bernhardt ou le Panser Tagblatt. Autant que je m’en souvienne, c’est l’unique raison pour laquelle j’ai pu faire des déclarations antisémites.

Je ne puis dire cela sans vous prier de me permettre d’ajouter encore quelque chose : ce n’est qu’au cours de ce Procès que j’ai appris qu’à l’automne 1939 il s’agissait d’une affaire beaucoup plus grave que celle de la question d’une ville ou d’une route à travers le Corridor ; et qu’en vérité on envisageait déjà un nouveau partage de la Pologne ; et c’est ici également, au cours de ces débats, que j’ai appris que Hitler avait brutalement confirmé les avertissements juifs par un ordre de meurtre. Si j’avais alors su ces deux choses, j’aurais décrit différemment le rôle de la propagande juive avant la guerre.

Dr FRITZ

Monsieur le Président, je vous prie à ce propos de vous référer au document Fritzsche n° 2 que je viens de déposer. Il s’agit de l’interrogatoire du Dr Scharping, aux pages 9 à 11. Il figure dans mon livre de documents n° 2. Je ne sais pas si le Tribunal a déjà le document entre les mains.

LE PRÉSIDENT

Oui, Docteur Fritz.

Dr FRITZ

Pages 9 à 11. Je vous renvoie au contenu. Le Ministère Public cite une page d’un livre de Müller sur le ministère de la Propagande. D’après ce livre, le ministère devait, entre autres, donner des éclaircissements sur la question juive. D’après la description du Ministère Public, on pourrait croire que c’était vous qui étiez chargé de cette tâche. Est-ce exact ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Non. La section judaïsme constituait une partie du service de la propagande qui, contrairement aux sections spécialisées ou aux services administratifs, exerçait une propagande active. Je n’ai jamais dirigé ce service de la propagande.

Dr FRITZ

Une question complémentaire : l’accusé Streicher a dit le 29 avril que le ministère de la Propagande avait publié une correspondance nationale-socialiste qui était adressée aussi au Stûrmer et qui comprenait plusieurs déclarations antisémites. Est-ce exact ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Non. La correspondance nationale-socialiste n’a pas été publiée par le ministère de la Propagande mais par le service de presse de la NSDAP. Mais je n’avais pas l’impression que la tendance propre du Stûrmer eût été caractérisée par des articles de la correspondance nationale-socialiste. De toute façon, il est possible que le Stûrmer ait publié quelques phrases de cette correspondance.

Dr FRITZ

Le Ministère Public a cité une partie de votre discours à la radio du 18 décembre 1941. Ce discours figure en entier dans mon livre de documents n° 1, de la page 26 à la page 32. Vous précisez que la destinée du judaïsme en Europe devient très pénible et que ce destin s’étendra à tout le nouveau monde. Le Ministère Public estime que c’est là une déclaration proclamant la confirmation de la poursuite contre les Juifs, Que pouvez-vous nous dire là-dessus ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

J’ai parlé dans ce discours du destin pénible du judaïsme en Europe. D’après ce que nous savons aujourd’hui, il est évident qu’il semble que j’aie voulu parler du meurtre des Juifs. Mais je ne connaissais pas les meurtres à ce moment-là, je ne pouvais donc pas y penser. Je ne pensais pas non plus à l’évacuation des Juifs, car elle n’a eu lieu, du moins à Berlin, qu’un an plus tard ou même un ou deux ans plus tard. Je pensais uniquement au fait d’écarter les Juifs de la politique et de l’économie. Cela explique l’emploi du mot « pénible » qui, dans l’autre sens, serait difficile à comprendre dans sa simplicité. Vous me demandez aussi pourquoi j’ai parlé à ce propos des Juifs en Amérique. La phrase citée par le Ministère Public est indissolublement liée à la déclaration qui précédait, aux termes de laquelle un conseil national juif avait envoyé au Président Roosevelt ses vœux d’une entrée dans la guerre. Je ne citais pas sans raison ces pensées maintenant plus compréhensibles. La plus grande partie de ce discours, environ les 9/10è, traitait de la commission d’enquête qui avait été instaurée aux États-Unis pour rechercher les causes de Pearl-Harbour.

LE PRÉSIDENT

De quelles pages pariez-vous en ce moment ?

Dr FRITZ

Livre de documents 1, Monsieur le Président, de la page 26 à la page 32.

LE PRÉSIDENT

Je voulais savoir si nous parlions de la page 31.

Dr FRITZ

L’affaire concerne l’ensemble du discours. Le Ministère Public n’a cité que le dernier paragraphe du discours. Voulez-vous continuer, Monsieur Fritzsche ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

J’ai conseillé dans ce discours, sur le ton de la polémique, non seulement d’enquêter pour savoir si les gardes de la Marine américaine avaient fait preuve d’inattention, mais également de contrôler si dans la politique américaine quelqu’un n’aurait pas eu intérêt à ce que la guerre eût lieu. Et je rappelai qu’une commission d’enquête du Sénat américain, vingt ans après la première guerre, avait cherché les motifs de l’entrée des États-Unis dans la guerre mondiale en 1917. Je disais textuellement :

« Cette commission du Sénat découvrit que Wilson, en entrant sciemment dans la guerre, fut la victime de quelques excitateurs. » Je déplorais...

LE PRÉSIDENT

La commission d’enquête américaine sur les motifs de l’entrée dans la Grande Guerre ? L’accusé ne va-t-il pas trop loin ?

Dr FRITZ

Monsieur le Président, je crois que l’accusé peut s’en tenir là. Mais il voulait prouver ainsi que cet extrait du dernier paragraphe cité par le Ministère Public pour le charger était privé de son contexte. C’est tout. (Au témoin.) Le Ministère Public cite en second lieu un passage d’une allocution que vous avez prononcée le 18 mars 1941. Le Ministère Public croit comprendre que vous y exigez aussi la persécution des Juifs. En outre, le Ministère Public prétend que c’est une preuve de votre propagande pour l’application du principe de la race des seigneurs.

Monsieur le Président, c’est un discours du 18 mars 1941 qui se trouve dans mon livre de documents n° 1, aux pages 2 à 7. De ce discours, le Ministère Public n’a cité qu’un paragraphe. Qu’en dites-vous ?

Je vous prie de le lire attentivement.

ACCUSÉ FRITZSCHE

Je ne désire pas lire ici cette citation. Mais on constatera que j’étais expressément d’accord avec Roosevelt lorsqu’il disait qu’il n’existait pas de race des seigneurs. J’ai éprouvé la justesse de cette phrase non seulement vis-à-vis du germanisme, mais aussi du judaïsme. Le Ministère Public a déduit de cette phrase que c’était là l’explication de faits qui s’étaient déjà passés au cours de la persécution des Juifs et l’annonce d’autres faits identiques. Je ne comprends pas cette conclusion, elle n’est fondée en rien.

LE PRÉSIDENT

Dans notre copie, il n’y a aucune date en haut de la page 2 du premier volume. Je vois très bien, c’est dans le texte. Où se trouve l’extrait que le Ministère Public a cité ?

Dr FRITZ

C’est le chiffre 5, au bas de la page 5, Monsieur le Président.

LE, PRÉSIDENT

Oui, très bien.

Dr FRITZ

Cela commence par les mots : « Mais la Couronne... » C’est la citation du Ministère Public. (Au témoin.) Troisième citation : le Ministère Public parle d’un de vos discours du 9 octobre 1941. Monsieur le Président, il figure en entier dans le livre de documents n° 1, aux pages 20 à 25. Le Ministère Public n’a cité, là aussi, qu’un seul passage. Dans ce paragraphe, vous parlez, Monsieur Fritzsche, d’une nouvelle vague de l’excitation internationale judéo-démocratico-bolchevique ; qu’en dites-vous ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Jai très peu de choses à dire là-dessus, Ce discours a été prononcé à l’automne 1941 au moment où le chef de la presse allemande avait déclaré que la victoire allemande à l’Est était décisive. J’avais mis en garde toute la presse allemande sur l’acceptation sans réserve de ces paroles. Je ne croyais pas que cette décision eût déjà été prise. Je proposais à tous les journaux allemands de parler d’une durée plus longue de la guerre. Dans ce discours, je voulais précisément diminuer les effets de l’annonce de cette victoire, et c’est peut-être la première fois en Allemagne que je citais dans un discours les trois facteurs qui devaient, plus tard, effectivement décider de la lutte à l’Est contre l’Allemagne : d’abord les partisans ; en second lieu, l’aide armée internationale et, enfin, la propagande. Cette partie seule a été citée par le Ministère Public : elle exprime, comme je l’ai déjà longuement dit, mes connaissances et mon point de vue à cette époque.

Dr FRITZ

Citation suivante : le Ministère Public a cité un passage de votre discours du 8 janvier 1944. L’ensemble de ce cours, le septième, Monsieur le Président, se trouve dans mon livre de documents n° 1, aux pages 40 à 45. (Au. témoin.) Vous dites dans ce discours que ce n’est pas une nouvelle forme de Gouvernement ou une nouvelle forme de socialisme qui a déclenché la guerre, mais la haine des Juifs et des ploutocrates. Comment en êtes-vous arrivé à prononcer ces paroles ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Je vous prie également ici de vous référer avant tout à ce que je viens de dire à l’instant et je tiens, en outre, à spécifier que je n’ai pas encouru cette grave accusation à la légère ou tout simplement en raison de mes menées. C’est ce que prouvent les faits. Si vous m’y autorisez, je puis peut-être vous expliquer brièvement ce déroulement des faits : le thème de l’allocution qui nous occupe était constitué par les divergences de vues entre les émigrés polonais de Moscou, non, de Londres, et le Gouvernement soviétique à Moscou. Il s’agissait d’exigences territoriales. Je citais alors textuellement le Times de Londres. Ce journal écrivait que la cession de certains territoires polonais à la Russie qui était exigée était tout de même un prix peu élevé et modeste de la garantie absolue accordée à la Pologne par l’Union Soviétique. Je me servais naturellement de ces déclarations du London Times, je puis bien le dire, pour me permettre par une polémique de faire des constatations. Et je disais : « Si le Times avait écrit cela en août 1939 comme s’il ne s’était agi que d’une ville ou d’une route, nous n’en serions jamais arrivés à la guerre ».

A cette occasion, je tiens à spécifier que toutes ces citations font ressortir presque exclusivement les combinaisons des mots Juifs, ploutocrates, bolchevistes. Ce n’était pas la question de race qui était primordiale, mais la lutte idéologique telle qu’elle m’est apparue au cours de cette guerre.

Dr FRITZ

Le Ministère Public fait de quelques passages de votre discours du 13 janvier 1945 la citation suivante : l’ensemble de ce discours est contenu dans le livre de documents n° 1 aux pages 46 à 51. Le Ministère Public cite deux passages, à la page 50 de mon livre de documents, paragraphe 2. Dans cette citation, vous prétendez qu’une influence juive régnait sur la politique britannique. Comment en êtes-vous arrivé à une pareille conclusion ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

De cette citation, le Ministère Public a cru devoir conclure que c’était là une introduction à de nouvelles poursuites contre les Juifs et en fait à leur anéantissement. Ces conclusions, cependant, n’ont pas été justifiées ni dans leur teneur, ni dans leur esprit, ni dans leur rapport avec la citation. Je voudrais renoncer à vous décrire les faits même brièvement. Ils ressortent clairement de la lecture de l’allocution en question. De toute façon, je ne peux reconnaître que j’aie pu inciter à l’anéantissement des Juifs.

Dr FRITZ

Dans le cadre général des crimes contre l’Humanité, on vous reproche d’avoir diffamé les Juifs d’une manière provocante dont le résultat logique se traduisit par de nouvelles mesures. C’est pourquoi je dois vous interroger sur ce point : connaissiez-vous l’ordre de Hitler dont a parlé ici le témoin Höss, et aux termes duquel les Juifs devaient être assassinés ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Je déclare sous la foi du serment que je ne connaissais pas cet ordre. Si je l’avais connu, je n’aurais pas suivi une heure de plus celui qui l’avait donné. Je prétends que cet ordre et que toute cette action ont été, avec un soin particulier, cachés à mes collaborateurs et à moi-même, car j’étais sur le point de les découvrir.

Dr FRITZ

Avez-vous, quelquefois, reçu un avis vous disant qu’un certain nombre d’innocents avaient été tués ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Oui. En février-mars 1942, j’ai reçu une lettre d’un Führer SS d’Ukraine — je ne sais plus son nom — . Le contenu de cette lettre me disait que son auteur commandait une unité SS et avait reçu l’ordre de tuer les Juifs et l’élite intellectuelle qui se trouvaient dans son secteur. A la réception de cet ordre, il en aurait reçu un choc nerveux motivant son transport à l’hôpital. Il lui paraissait impossible de se plaindre par la voie hiérarchique. Il ne me connaissait pas, mais il avait confiance en moi. Peut-être pouvais-je lui venir en aide. Il me priait de ne pas donner son nom, étant donné que son silence répondait de sa vie.

Sans réfléchir davantage, j’appelai Heydrich au téléphone, après avoir reçu cette lettre. C’était l’Obergruppenführer qui était alors chef de la Gestapo ou du service central de la sécurité du Reich (RSHA). Je le connaissais à peine personnellement, mais il se déclara prêt à me recevoir. Je me rendis chez lui et lui posai la question sans fioritures : « Est-ce que vos SS sont là-bas pour pratiquer des exécutions massives » ? Heydrich se mit fort en colère et me répondit qu’il avait détaché des sections plus ou moins importantes des SS, destinées à faire la police ou assurer la sécurité des gens, auprès de plusieurs ministres ou commissaires du Reich, etc. Ces commandos avaient déjà maintes fois été mal utilisés ; peut-être était-ce une fois de plus le cas avec le commando mis à la disposition du Gauleiter Koch. Il me dit qu’il allait immédiatement prescrire une enquête.

L’après-midi suivant, Heydrich m’appela au téléphone, du Quartier Général, et me dit qu’effectivement cette action avait été entreprise sur les ordres de Koch. Koch s’était appuyé sur le Führer. Celui-ci n’avait pas encore pris. position, mais je devais encore en entendre parler. Deux jours plus tard, Heydrich me pria de lui rendre visite. Il me dit que Hitler avait expressément déclaré qu’il n’avait jamais donné un ordre semblable. Koch prétendait qu’il y avait un malentendu. Une enquête était en cours au sujet de Koch. En tous les cas, Heydrich me déclara que l’action ne serait pas poursuivie. Je me souviens tout particulièrement d’une phrase qui est tombée au cours de cette conversation, d’une déclaration de Heydrich : « Croyez-moi, Monsieur Fritzsche, celui qui a la réputation d’être cruel n’a pas besoin de l’être ; il peut être humain ».

Peu après, je demandai mon affectation au commandement de la 6e armée et partis pour l’Ukraine.

LE PRÉSIDENT

Un instant, je n’ai pas compris cette dernière phrase. Heydrich a dit : « Croyez-moi, Monsieur Fritzsche... » et ensuite ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Je puis répéter : « Celui qui a la réputation d’être cruel n’a pas besoin de l’être ; il peut être humain ».

LE PRÉSIDENT

Oui. Et vous avez dit que vous étiez allé à la 6e armée ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Peu après, j’ai été incorporé...

Dr FRITZ

Il a ajouté, Monsieur le Président, que peu après cette conversation avec Heydrich, il a lui-même — c’est l’accusé Fritzsche qui parle — été mobilisé et incorporé. Il avait demandé à être affecté à la 6e armée qui était en Ukraine.

LE PRÉSIDENT

A quelle date ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Février-mars 1942.

Dr FRITZ

Lorsque vous serviez en Ukraine, avez-vous tenté de contrôler les données de Heydrich ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Je n’avais aucun pouvoir officiel pour cela mais, en tant qu’ancien journaliste, j’ai fait évidemment des enquêtes de mon propre chef. Tout d’abord à Kiev, au poste émetteur allemand qui était installé. Voici les résultats : oui, il y a eu quelques exécutions après la destruction de quelques pâtés de maisons à Kiev, au cours de laquelle de nombreux soldats allemands avaient trouvé la mort. Mais ces exécutions ont eu lieu après un jugement rendu par un tribunal militaire. Ensuite, je suis allé de-ci dé-là dans la région entre Kiev et Poltava. La plupart du temps seul. J’ai trouvé une population pacifique : aucun signe de terrorisme. J’ai moi-même été très bien reçu. A Poltava, j’ai demandé à des officiers et à des soldats ce qu’il en était : on m’a répondu à nouveau : oui, il y a eu quelques jugements rendus par les tribunaux militaires. Motif : sabotage.

Je suis alors allé à Kharkov même voir le commando SS et j’ai parlé avec le Sturmführer Rexiach qui m’a dit qu’il n’y avait pas eu d’exécutions. Il m’a montré la prison. Elle contenait environ cinquante personnes, pas davantage. J’ai demandé où étaient les camps. Il m’a dit qu’il n’y en avait pas. Ensuite, je suis allé voir une famille ukrainienne et j’ai interrogé un chef de culture allemand. Le résultat a toujours été le même : il n’y a pas eu d’exécutions.

C’est pourquoi j’ai acquis la certitude qu’il s’agissait d’une tentative isolée qui n’avait pas été exécutée.

Dr FRITZ

Est-ce qu’avant cette lettre d’un chef SS d’Ukraine vous n’aviez eu aucun doute, du fait par exemple des émissions des Alliés que vous écoutiez certainement ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

J’écoutais, en effet, les émissions des Alliés. Je faisais en particulier rassembler les rapports sur les atrocités et je les sortais du paquet imposant que représentaient tous les jours les émissions des Alliés. Je faisais procéder à des enquêtes.

Dr FRITZ

Mais qui faisait ces enquêtes ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Le personnage compétent, l’Oberregierungsrat Körber, chef du service des nouvelles de presse, ou un de ses collaborateurs, ou bien moi-même.

Dr FRITZ

Où demandiez-vous des renseignements ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

En général au service principal de la sécurité du Reich (RSHA), car dans la plupart des cas ces nouvelles rapportaient que des atrocités avaient été commises par des membres des SS ou de la Gestapo.

Dr FRITZ

Mais à laquelle des nombreuses directions de ce service vous adressiez-vous ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

On se renseignait auprès de toute personne compétente, et je n’ai pas le moindre doute qu’on ait demandé des explications au nommé Eichmann, dont on a parlé ici, au cours de ce Procès. On se renseignait, en outre, auprès du Sturm-bannführer Spengler ou de son adjoint von Kielpinsky. Tous deux appartenaient au service, qui fut dirigé plus tard par Ohlendorf qui a été cité ici comme témoin. Fréquemment aussi, on s’adressait au services extérieurs du RSHA, aux formations de police d’État, quand il s’agissait d’informations touchant à certaines régions définies.

Dr FRITZ

Quelles réponses receviez-vous ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

On nous répondait toujours ou bien que ces nouvelles étaient tout à fait fausses et inventées de toutes pièces, ou bien qu’elles reposaient sur telle ou telle base légale. Fréquemment, on nous donnait des chiffres et des détails qui étaient désarmants.

Dr FRITZ

Avez-vous des données écrites là-dessus ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Oui. Les questions et les réponses les plus importantes étaient couchées par écrit, partiellement même ronéotypées et diffusées dans les différents services à l’intérieur et à l’extérieur du ministère de la Propagande. Tout ce matériel était rassemblé dans le service des archives dont j’ai déjà parlé ici. J’avais obtenu l’autorisation de faire état de ces archives, mais elles n’ont pas été retrouvées.

Dr FRITZ

Avez-vous accordé foi à ces réponses ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Oui, car c’étaient là des renseignements qui émanaient de sources officielles et, en outre, j’avais fréquemment pu constater l’exactitude frappante des renseignements qui émanaient de ces services.

Dr FRITZ

Que voulez-vous dire par là ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Je puis vous donner un exemple : La première action de propagande de la guerre, par exemple, est la nouvelle lancée par Varsovie de la destruction de l’image de la Vierge Noire de Tschenstochau. Cette nouvelle a fait son chemin dans le monde entier. Nous avons amené des journalistes allemands et étrangers à Tschenstochau et ils ont pu se convaincre que le fait était inexact. Mais il me faut être de bonne foi et déclarer que je voulais, à propos de cette question de mon défenseur, vous donner un exemple précis qui s’est présenté il y a deux ou trois jours dans cette salle et qui m’a beaucoup surpris. Le journal anglais News Chromcie avait publié le 24 septembre 1939...

LE PRÉSIDENT

Quelle est la valeur probatoire d’un article du News Chronicle de 1939 ?

Dr FRITZ

L’accusé veut prouver au Tribunal qu’il devait constater que de nombreuses nouvelles lancées par l’étranger sur les atrocités allemandes étaient fausses en fait, de sorte...

LE PRÉSIDENT

Nous n’avons pas besoin de détails sur ce point. Il n’y a aucun doute sur le fait qu’il y a fréquemment eu des comptes rendus qui n’étaient pas absolument exacts. Nous ne désirons pas que vous vous perdiez dans des détails.

ACCUSÉ FRITZSCHE

Je voulais simplement faire allusion à une nouvelle qui démontre comment une chose à laquelle le monde croyait a pu être démentie, et comment, à l’ombre de ce démenti, qui était passé inaperçu à l’opinion publique allemande, une vague d’arrestations déferla, ou quelque chose de semblable.

LE PRÉSIDENT

Il peut citer des faits, mais il n’a pas besoin d’entrer dans les détails d’un article de journal particulier.

Dr FRITZ

Monsieur Fritzsche, avez-vous constaté une seule fois l’inexactitude des nouvelles émanant de l’étranger ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Cela arrivait très fréquemment...

Dr FRITZ

Soyez bref, Monsieur Fritzsche.

ACCUSÉ FRITZSCHE

Un de mes collaborateurs a assemblé, sous le titre « 107 mensonges en huit semaines de guerre », un matériel édifiant. Je voudrais n’en citer qu’une seule phrase. L’accumulation de tant de fausses nouvelles de l’adversaire me fit éprouver un juste sentiment de la supériorité morale de mes communiqués, et ce sentiment fut la base de mon travail ultérieur qui, sans cela, serait inexplicable.

Dr FRITZ

Ne pensiez-vous pas que de fausses nouvelles pouvaient se propager au début de la guerre ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Non, je n’ai pas eu cette idée. Ces informations étaient trop fréquentes au début. J’ai pu le constater plus tard où elles me concernaient moi-même en partie.

Dr FRITZ

Que voulez-vous dire par vous-même ? Je vous demande de vous expliquer brièvement.

ACCUSÉ FRITZSCHE

Parmi ces affirmations, un tract de la propagande ennemie destiné au front me reprochait d’avoir reçu 600.000 couronnes suédoises...

LE PRÉSIDENT

De quoi parle-t-il maintenant ? Quel est le but de cette question ?

Dr FRITZ

Il veut donner un exemple de fausse nouvelle de la propagande ennemie qui le concernait personnellement. Il voulait le dire très brièvement.

LE PRÉSIDENT

Comme je l’ai déjà dit, il n’y a aucun doute que des erreurs se sont glissées dans la presse étrangère, comme dans toute presse. Nous ne pouvons approfondir cette sorte de question.

Dr FRITZ

Je continue et passe à une autre question. (Au témoin.) N’aviez-vous pas, en votre qualité de spécialiste en matière de nouvelles de presse, le sentiment qu’il n’y a pas de fumée sans feu ? Ne pensiez-vous pas qu’il y avait quelque chose d’exact dans les nouvelles publiées par l’ennemi sur les assassinats attribués aux Allemands ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

En tant que spécialiste des nouvelles, je n’avais en rien ce sentiment. J’ai toujours évoqué et sans cesse rappelé officiellement une fausse nouvelle de la première guerre mondiale ; je vous prie de m’autoriser à la rappeler brièvement ici, car elle fait partie des bases de la propagande que je menais.

LE PRÉSIDENT

Non, j’ai déjà fait remarquer que nous supposons que de nombreuses erreurs on été commises. Il est inutile de revenir sur des détails.

Dr FRITZ

Je passe à une autre question. (Au témoin.) Vous saviez certainement que les Juifs étaient transportés hors du Reich. Vous deviez tout de même remarquer qu’ils disparaissaient de la circulation ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Oui, en effet, je l’ai remarqué, quoique tout cela se fût produit d’une façon progressive. J’entendais dire là-dessus ce que le Dr Goebbels avait déclaré au cours d’une conférence des ministres. En sa qualité de Gauleiter de Berlin, il avait exigé le transport des Juifs.

Dr FRITZ

Mais, à votre avis, où étaient-ils transportés ? Que vous a-t-on dit là-dessus ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Le Dr Goebbels m’a dit qu’ils étaient transportés dans des camps qui leur étaient réservés en Pologne. Jamais on n’a prétendu ou même supposé qu’ils étaient enfermés dans des camps de concentration ou qu’ils étaient assassinés.

Dr FRITZ

Est-ce que vous vous êtes renseigné sur ces prétendus dépôts où se trouvaient les Juifs ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Bien entendu, j’ai essayé de me renseigner moi-même ; j’ai, par exemple, appris quelque chose d’un de mes anciens collaborateurs, qui faisait partie de l’administration du Gouvernement Général en Pologne et qui jouait le rôle d’un sous-préfet dans la région de Biala-Podlaska. Il me disait que son arrondissement était devenu uniquement juif. Il m’a décrit souvent l’arrivée, l’installation de ces gens qu’on avait transportés. Il parlait des difficultés de la répartition des Juifs entre l’artisanat et les plantations. Toutes ses descriptions étaient empreintes d’esprit humanitaire, et il me disait que chez lui les Juifs étaient mieux que dans le Reich.

Dr FRITZ

Comment s’appelait cette personne ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

L’Oberregierungsrat Hubert Kùhl.

Dr FRITZ

Avez-vous entendu dire des choses défavorables sur les Juifs déportés ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Oui, le Sturmbannführer Radke, de l’État-Major du Reichsführer SS, a signalé en décembre 1942, je crois, que le taux de la mortalité des Juifs dans les ghettos de l’Est était anormalement élevé, du fait que des intellectuels avaient été affectés à des travaux manuels. Il y avait eu aussi quelques cas de typhus exanthématique.

En outre, le Dr Tauber, qui était le chef du service juif de la section propagande en 1941, me rendit compte, si je me souviens bien, que lors de l’occupation de Lemberg et de Kovno, on en était arrivé à des pogroms contre les Juifs, sous l’influence de la population indigène. Il m’assura en même temps qu’on était intervenu du côté allemand ; malgré cela, ces faits ont amené de ma part une critique violente, bien que ces faits paraissent minimes en comparaison de ce que nous savons maintenant. J’ai adressé cette critique à mes supérieurs, et surtout au Dr Goebbels, à mes collaborateurs, aux membres de la Gestapo et du Parti. J’ai toujours insisté sur la nécessité juridique, morale et politique de la protection que nous devions à ces Juifs qui nous étaient confiés.

Dr FRITZ

Avez-vous entendu quoi que ce soit sur le destin des Juifs ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Souvent des Juifs s’adressaient à moi, ou leurs parents et amis, à propos de dommages subis ou d’arrestations dont ils avaient été l’objet. Des aryens le faisaient également, car mon nom était officiellement connu. J’ai toujours fait ce que j’ai pu pour aider ces gens en m’adressant à de nombreux services, par exemple le service principal de la sécurité du Reich (RSHA), la direction du personnel de mon ministère, les Gauleiter, les ministres, etc.

Dr FRITZ

Pourquoi vous adressiez-vous à tant de services différents ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Parce qu’il y avait beaucoup de demandes, et si mon nom servait trop souvent dans le même service, je perdais très rapidement de l’influence.

Dr FRITZ

Avez-vous quelquefois repoussé ces demandes ?

ACCUSÉ FRITZSCHE

Non, en aucun cas. Et je tiens tout particulièrement à le spécifier, car on a publié dans la presse une lettre qui m’avait été adressée ici à la prison et qui ne m’a pas été communiquée, dans laquelle une femme prétend que j’aurais refusé une demande de grâce. Je me rappelle parfaitement ce cas, et tiens simplement à vous dire brièvement que, dans ce cas, j’ai rendu à ce sujet une visite toute spéciale au ministre de la Justice du Reich...

LE PRÉSIDENT

Cela suffit puisqu’il a déclaré qu’il ne repoussait pas ces demandes. Nous ne voulons pas continuer à perdre notre temps avec quiconque lui adresse du courrier. En avez-vous encore pour longtemps, Docteur Fritz ?

Dr FRITZ

Je pense en avoir terminé avec l’ensemble de mes explications sur l’accusé Fritzsche dans le courant de la matinée de demain. Monsieur le Président, j’ai entendu dire qu’il n’y avait pas d’audience publique cet après-midi ?

LE PRÉSIDENT

Oui.

Dr FRITZ

... sinon j’aurais pu en terminer ce soir avec mes explications. J’espère avoir fini demain d’entendre l’accusé comme témoin, et je pense pouvoir interroger le témoin von Schirmeister. Je crois que je pourrai conclure demain à midi.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal l’espère également car, comme je l’ai déjà dit, nous ne désirons pas que vous entriez à ce point dans les détails. Le Tribunal estime que vous détaillez beaucoup trop et nous voudrions que vous traitiez ce sujet de façon plus générale.

(L’audience sera. reprise le 28 juin 1946 à 10 heures.)