CENT SOIXANTE-SIXIÈME JOURNÉE.
Vendredi 28 juin 1946.
Audience du matin.
(L’accusé Fritzsche est à la barre des témoins.)Monsieur le Président, Messieurs. Au cours de l’audience d’hier, l’accusé Fritzsche nous a parlé de la manière dont il a aidé, dans le cadre des modestes moyens dont il disposait, les personnes qui faisaient l’objet de poursuites. Pour conclure sur l’ensemble de ces questions, je me propose de verser au dossier sous le numéro Fritzsche-6, une déclaration sous serment du comte Westarp, qui se trouve dans mon livre de documents 2, aux pages 23 à 25 ; ce document est daté du 15 juin 1946. Je prie le Tribunal de bien vouloir prendre acte de son contenu. De plus, je verse au dossier une autre déclaration sous la foi du serment, à laquelle je donne le numéro Fritzsche-8, qui émane d’une dame Krüger, de Berlin. Ce document ne figure pas encore dans mes livres de documents, mais cette personne m’en a remis le texte en anglais et en allemand ; ces deux versions sont authentifiées : par un notaire. J’attire l’attention du Tribunal sur le contenu de ce dernier document et en particulier sur les deux derniers alinéas. Il ressort de l’avant-dernier alinéa que Madame Krüger, partant d’un cas particulier, possède tout de même des connaissances générales sur l’activité de l’accusé Fritzsche. Le dernier alinéa est particulièrement intéressant : il concerne l’attitude générale de l’accusé Fritzsche au cours de sa vie. Là encore, j’attire l’attention du Tribunal sur l’ensemble du contenu de ce document, et le prie de bien vouloir en prendre acte. Enfin, sous ce rapport également, j’attire encore l’attention du Tribunal sur un document qui a déjà été cité à plusieurs reprises : la déclaration sous la foi du serment du Dr Scharping, qui constitue le document Fritzsche-2, qui se trouve dans le livre de documents 2, aux pages 6 à 15. Je me réfère ici, en particulier, au bas de la page 13 et au haut de la page 14.
Monsieur Fritzsche, je vous poserai à ce propos encore deux questions d’ordre général. Au cours de la dernière phase de la guerre, n’avez-vous pas essayé d’apprendre quelque chose sur le destin des Juifs en général ?
Oui, j’ai profité d’une occasion dont je parlerai plus tard encore brièvement. J’ai demandé à des collaborateurs de l’Obergruppenführer Glücks ce qui était arrivé aux Juifs à Oranienburg et à Sachsenhausen. La réponse a été très concise. Les Juifs étaient placés sous la protection spéciale du Reichsführer SS qui désirait faire d’eux une affaire sur le plan politique. Il les considérait comme des sortes d’otages et désirait qu’on ne touchât pas à un cheveu de leur tête.
Dans ce Procès, plusieurs témoins du Ministère Public ont affirmé que l’opinion publique allemande aurait été informée de ces assassinats. La question que je vous pose s’adresse surtout au journaliste que vous étiez et qui travaillait dans l’État national-socialiste ; d’après vos connaissances et les observations que vous avez pu faire, quelle a été l’attitude de la grande masse du peuple allemand à l’égard des Juifs ? Le peuple était-il au courant des assassinats des Juifs ? Répondez brièvement, je vous prie.
Je ne vous parlerai pas de tout ce qui a déjà été évoqué au cours de ce Procès. Je ne voudrais mentionner ici que quelques observations qui me paraissent importantes. Je passe sur la période qui a suivi la première guerre mondiale et au cours de laquelle certains sentiments antisémites étaient répandus en Allemagne. J’aimerais constater simplement qu’en 1933, au moment du boycottage des Juifs, organisé par la NSDAP, les sympathies du peuple allemand s’en allaient ouvertement vers les Juifs. Des années durant, le Parti, irrité, a essayé d’empêcher le public d’acheter dans les magasins juifs. En dernier lieu, on eut même recours à des menaces de sanctions. La promulgation des lois de Nuremberg représenta dans cette évolution une coupure décisive et profonde. Par ces lois, la lutte contre les Juifs dépassait pour la première fois le plan de l’agitation, c’est-à-dire dépassait le plan d’une agitation dont on pouvait encore s’écarter et passait sur le plan de la politique de l’État. A ce moment, une grande frayeur se répandit dans le peuple allemand car, dès lors, on avait introduit une division qui gagnait chaque famille. A ce moment-là, de nombreuses tragédies humaines qui avaient pris naissance se manifestaient à un très grand nombre de personnes, voire même à tous. Il n’y avait qu’une justification, une seule excuse et une seule explication à ces lois raciales, c’étaient l’affirmation et la pensée suivante ; cette séparation à laquelle on procède maintenant, même si elle est faite dans la douleur, mettra fin à cette agitation sauvage et effrénée et apportera la paix dans un domaine où un trouble constant a régné jusqu’ici. Lorsque les Juifs furent obligés de porter l’étoile, lorsqu’on leur interdit, par exemple, à Berlin, de s’asseoir dans les tramways, le public allemand prit très manifestement position en faveur des Juifs, et il arriva très fréquemment qu’on offrît ostensiblement des places assises aux Juifs. J’ai entendu à ce sujet plusieurs déclarations du Dr Goebbels qui était particulièrement indigné de cet effet inattendu de cette politique visant à isoler les Juifs.
Je suis fermement convaincu, en ma qualité de journaliste actif à ce moment, que le peuple allemand ne connaissait pas les assassinats en masse des Juifs. Tout ce qu’on prétendait n’était que des rumeurs, et les informations qui parvenaient de l’extérieur au peuple allemand était constamment démenties officiellement. Étant donné que je n’ai pas à ma disposition les documents en question, il ne m’est pas possible de citer de mémoire le détail de certains démentis, mais je me souviens avec une netteté particulière de l’un de ces cas. Cela se passait chez les Russes au moment où, après la reprise de Kharkov, on avait organisé un procès dans cette ville au cours duquel il avait, pour la première fois, été question d’exécutions par les gaz. Je me suis rendu chez Goebbels avec ces communiqués pour lui demander ce qu’il en était ; il me répondit qu’il voulait faire examiner la chose et qu’il voulait en discuter avec Himmler et Hitler. Le lendemain, il m’annonça un démenti, mais ce démenti ne fut pas publié officiellement sous prétexte que l’on désirait établir les faits plus clairement encore au cours d’un procès allemand. Mais le Dr Goebbels me déclara très nettement que les voitures à gaz mentionnées dans le procès de Kharkov étaient le produit de la fantaisie et qu’il n’y avait aucune preuve de leur existence.
Ce n’est pas en vain qu’on avait donné les ordres les plus rigoureux à ceux qui avaient pris part aux assassinats de garder le silence le plus absolu. Si le peuple allemand avait été informé de ces assassinats en masse, il est certain qu’il n’aurait plus voulu suivre Hitler. Peut-être le peuple allemand eût-il sacrifié 5.000.000 d’hommes pour une victoire, mais il n’aurait jamais voulu acheter une victoire par l’assassinat de 5.000.000 de personnes. Je voudrais déclarer encore que cet ordre d’assassinat donné par Hitler me semble être la fin de toute théorie raciale, de toute philosophie raciale et de toute propagande raciale, car, après cette catastrophe, toute autre représentation de la théorie raciale eût équivalu à la paternité intellectuelle d’autres assassinats. Une idéologie au nom de laquelle 5.000.0000 de personnes ont été assassinées ne doit pas survivre.
Je passe maintenant à un autre sujet. Le Ministère Public vous a accusé d’avoir poussé à des atrocités et d’avoir participé par votre propagande à chaque aspect du complot y compris le comportement anormal et inhumain. C’est pourquoi je dois également vous poser des questions sur les camps de concentration. Connaissiez-vous l’existence des camps de concentration ?
Oui. Leur création a fait, en 1933 je crois, l’objet d’une information officielle. Et plus tard, ils ont été mentionnés à plusieurs reprises dans des publications officielles.
Quel était, à votre avis, le but que l’on poursuivait à l’époque en créant ces camps ?
Pour autant que je m’en souvienne, on a indiqué à ce moment-là que ces camps étaient destinés à recevoir ceux que l’on ne pouvait empêcher de travailler contre l’État nouveau. On a expliqué ces camps par la situation anormale qui existait sur le plan de la politique intérieure : un centre impuissant, deux partis extrémistes forts, dont l’un venait d’arriver au pouvoir. La base juridique a été établie. Ce n’est que plus tard que l’on a entendu dire que des criminels de droit commun étaient aussi internés dans les camps de concentration, pour empêcher des récidives.
Saviez-vous quelque chose sur le nombre des camps de concentration qui, avec le temps, ont été créés ?
Avant la guerre, j’avais entendu parler de trois camps ; pendant la guerre, je supposais qu’il en existait cinq ou six. La carte qu’on a montrée ici et sur laquelle figuraient quantité de camps, a été pour moi une grande surprise.
Connaissiez-vous le nombre des détenus de ces camps ?
Rien de précis ; au début de la guerre, des informations de l’étranger ont parlé de millions de détenus. C’est alors qu’avec quelques journalistes, j’ai prié l’Obergruppenfuhrer Heydrich de parler devant la presse allemande et étrangère, et de se mettre à sa disposition en vue d’une discussion. C’est ce qu’il a fait, mais, à mon souvenir, il n’a pas indiqué le chiffre absolu des détenus. Il a fait une comparaison avec les détenus des prisons et des maisons d’arrêt avant le système en vigueur. Cette comparaison n’avait rien d’inquiétant. Cela se passait au cours de l’hiver 1940-1941.
N’aviez-vous aucun doute sur l’exactitude de ces chiffres ?
Pas à ce moment-là.
Saviez-vous quelque chose de la situation dans les camps de concentration ? Avez-vous eu l’occasion de parler avec un interné ?
Oui, en 1933 ou 1934 déjà, j’avais pu m’entretenir avec un journaliste qui avait été interné pendant plusieurs semaines à Oranienburg, dans l’ancien camp. Il m’a rapporté qu’il n’avait pas été lui-même torturé, mais qu’il avait vu et entendu comment d’autres avaient été frappés, et comment on leur avait intentionnellement écrasé les doigts entre les portes.
Avez-vous simplement pris connaissance de ces informations, sans rien faire ?
Au contraire. J’ai fait du tapage à ce sujet. Ce journaliste, si mes souvenirs sont exacts il s’appelait Stolzenberg, ne désirait pas être nommé. J’ai écrit trois lettres : l’une à Goebbels, qui me fit dire qu’il s’occuperait de la chose, une à Frick, ministre de l’Intérieur, et une autre à Göring, en sa qualité de président du conseil de Prusse. De hauts fonctionnaires de ces deux services m’ont téléphoné et m’ont déclaré qu’une enquête était en cours. Très peu de temps après, j’ai appris que cet ancien camp d’Oranienburg avait été dissous et que le commandant avait été condamné à mort. J’ai reçu cette information d’un M. von Lützow, qui était attaché de presse du chef d’alors de la Police d’État, Diels ou Diehi.
Est-ce qu’après ce premier succès de votre protestation contre ces faits, vous avez reçu d’autres informations sur des atrocités commises dans les camps de concentration ?
Non, je n’ai pas eu d’autre information sur les mauvais traitements, mais par contre j’ai souvent essayé de m’informer auprès de certaines personnes de la Gestapo ou du service de presse du Reichsführer SS. Tous ceux que j’interrogeais me déclaraient ceci : des « cochonneries » avaient été commises dans les premiers temps, c’est-à-dire en 1933 ou au début 1934, à une période où les camps de concentration étaient gardés par des SA sans profession, donc par des gens qui étaient à la disposition pendant toute la journée et parmi lesquels il n’y avait que très rarement de très bons éléments. On m’a déclaré, de plus, que le 30 juin avait sous ce rapport amené une épuration. Le 30 juin avait amené l’élimination des chefs SA et des Gauleiter qui avaient abusé de leur pouvoir. On m’a finalement déclaré que les camps de concentration étaient dès lors gardés par des SS qui étaient des gardes professionnels, par des administrateurs de profession, par des fonctionnaires de la Police qui étaient des professionnels, et par du personnel de l’administration pénitentiaire ; c’était une garantie contre tous les abus.
Avez-vous essayé d’obtenir des renseignements sur des individus internés dans un camp de concentration ?
Naturellement, je me suis informé de personnalités connues telles le pasteur Niemöller, Schuschnigg, ou le secrétaire particulier de Hess qui avait été arrêté et s’appelait Leipkin. On m’a toujours donné des renseignements rassurants.
Il peut s’agir là de cas exceptionnels, relatifs à des personnalités connues et en vue. N’avez-vous pas essayé de parler à d’autres personnes qui étaient internées dans un camp de concentration ?
Oui. En avril 1942, j’ai rencontré un ancien fonctionnaire du parti communiste qui s’appelait Reintgen. Je suis resté avec lui pendant six mois ; nous étions militaires tous deux et c’est pourquoi il m’a parlé très ouvertement et sans arrière-pensée. Il m’a décrit comment il avait été maltraité en 1933 : on l’avait frappé dans le dos. Ces mauvais traitements cessèrent ultérieurement. Cela corroborait mes propres observations.
Avez-vous visité des camps de concentration ?
Non, je ne suis jamais entré dans l’enceinte d’un camp de concentration. Par contre, à plusieurs reprises, au cours de l’hiver 1944-1945, je me suis rendu dans les bâtiments de l’administration situés à proximité du camp d’Oranienburg-Sachsenhausen. De plus, je me suis entretenu aussi souvent que cela m’a été possible avec des détenus, lorsque je les voyais sur le chemin du travail ou aux chantiers.
Avec qui vous êtes-vous entretenu à Oranienburg ?
Avec un collaborateur de l’Obergruppenführer Glücks, et à deux reprises aussi avec ce dernier. Ils me disaient que les informations étrangères sur les mauvais traitements étaient dénuées de fondement. Le traitement était non seulement humain, mais véritablement bon, étant donné que les détenus représentaient une main-d’œuvre précieuse. Je me suis entretenu plus en détail sur la durée du travail, car à ce moment-là un décret quelque peu stupide prévoyait la prolongation de la durée du travail. Le point de vue de Glücks était très raisonnable, suivant lequel une durée plus longue du travail n’avait pas pour résultat une augmentation de travail. C’était la raison pour laquelle on s’en était tenu à une durée quotidienne de huit à dix heures de travail. Il ne m’a pas parlé de l’extermination des détenus par le travail. C’est ici que j’en ai entendu parler pour la première fois.
Pouviez-vous poser directement des questions aux prisonniers ?
Tout d’abord, il y avait toujours un surveillant, et puis il y avait naturellement aussi une méfiance plus ou moins profonde de la part des détenus. Mais chaque fois que je posais des questions objectives, je recevais des réponses objectives. Le contenu de ces réponses, pour le résumer très brièvement, était toujours le suivant : les arrestations étaient injustes ; la nourriture, au fond, était meilleure qu’en prison. Et souvent j’entendais la phrase suivante : « Cela, au moins, nous évite d’être soldats ». Les armes que je voyais chez les gardiens étaient des fusils ou des revolvers, je n’ai pas vu de matraques.
Est-ce que les émissions de la radio étrangère n’ont pas fait naître en vous des soupçons toujours renouvelés sur les camps de concentration ?
Non, très longtemps cela n’a pas eu ce résultat chez moi, et cela pour des raisons que j’ai déjà données hier. Ce n’est qu’en avril 1945 que nous avons reçu les rapports des parlementaires anglais sur le cas de Buchenwald. Mais cela a eu lieu à une époque si tardive qu’il me paraît inutile de mentionner le détail des événements qui se sont déroulés au ministère de la Propagande, car cela ne ferait que perdre du temps.
Comment vous expliquez-vous le fait qu’indubitablement des crimes de la pire espèce ont été commis dans les camps de concentration et qu’on y a traité les gens de la manière la plus atroce ?
Je me trouve devant une énigme terrible depuis que j’ai entendu, au cours de ma captivité, les premiers renseignements authentiques sur ce point. Une partie seulement des choses atroces que l’on a constatées peut s’expliquer par le blocage des moyens de transport à la fin de la guerre. Le reste est plus que suffisant. Apparemment, les ordres d’exécuter des masses d’hommes en secret ont transformé d’une manière extraordinaire ceux qui étaient chargés de les exécuter.
Le Tribunal ignore si cette explication a la moindre valeur probatoire. Nous avons tout entendu sur cette question. Il nous a expliqué pourquoi il ne savait rien.
Monsieur le Président, je n’ai plus que deux questions à poser à l’accusé. Monsieur Fritzsche, on a dit ici que le peuple allemand connaissait en général les conditions des camps de concentration. Voulez-vous, à ce sujet, en tant que journaliste, nous donner votre point de vue et le motiver.
Ne nous l’a-t-il pas déjà dit ?
Non, excusez-moi, Monsieur le Président. J’avais posé la question au sujet de l’extermination des Juifs ; je lui avais demandé...
Vous lui demandez son opinion de journaliste ; je ne vois pas l’importance que cela peut avoir pour nous.
Je vous serais reconnaissant, Monsieur le Président, étant donné que c’est mon avant-dernière question, de me permettre de la poser. La réponse que j’attends de l’accusé me paraît de nature à donner au Tribunal certaines indications capables d’étayer son jugement.
Sur quoi doit-il formuler son opinion de journaliste ?
L’accusé Fritzsche veut mentionner ici quelques déclarations, par exemple celles du Dr Goebbels.
Très bien. Vous pouvez poser la question.
Avez-vous compris la question ?
Je crois qu’il y a eu ici une confusion. Je ne désirais pas ; rapporter maintenant des déclarations du Dr Goebbels. Je voulais le faire à propos d’un dernier ensemble de faits qui me paraissent plus importants que cette avant-dernière question.
Quoi qu’il en soit, je vous prie de répondre à ma question. Voulez-vous que je la répète ?
Je vous remercie. Je voudrais simplement rappeler brièvement ici ce que j’ai déjà dit à propos des assassinats. Il y avait de nombreuses rumeurs, mais ces rumeurs étaient démenties. Indubitablement, il y avait un mur de silence autour de ces atrocités, et l’observation qui me paraît importante, en ce qui concerne le domaine de mon activité, c’est qu’au RSHA et dans certains de ses services, il devait y avoir des bureaux qui travaillaient systématiquement à cacher ces atrocités, à empêcher qu’elles ne soient connues et à fournir des déclarations apaisantes et des démentis aux services qui représentaient l’opinion publique.
Je vous pose maintenant une dernière question d’ensemble : au cours de votre déposition, les déclarations que vous avez faites au sujet de Hitler et de sa politique sont très différentes de celles que vous avez données autrefois dans vos allocutions radiodiffusées, etc. Pouvez-vous, en quelques phrases, nous indiquer la date approximative et la raison de ce revirement d’opinion ?
Je vous prie de me permettre de le faire d’une manière tout à fait précise. La première étape sur la route de ce changement de conviction n’a pas été la défaite allemande, car le juste et l’injuste sont indépendants de la victoire ou de la défaite, mais le fait que Hitler voulait faire de cette défaite le suicide du peuple allemand, comme Speer nous l’a démontré d’une façon terrible, comme j’ai pu l’observer moi-même à Berlin au cours de la dernière phase de la lutte, alors que sous l’illusion d’une fausse espérance des gamins de 15, 14, 13 ou 12 ans étaient équipés d’armes individuelles contre les chars et envoyés au combat, cette jeunesse qui aurait pu être l’espoir d’une reconstruction. Hitler a fui dans la mort et a laissé l’ordre de continuer la lutte. Il a également laissé l’information officielle qu’il était mort au combat. J’ai appris qu’il s’était suicidé et c’est ainsi qu’à ma dernière émission du 2 mai 1945, j’ai lancé la nouvelle de ce suicide, car je voulais étouffer dans l’œuf la formation d’une légende de Hitler.
Au cours de ma captivité, j’ai appris par un de mes camarades, un commandant allemand du nom de Sforner, qu’il avait été arrêté par la Gestapo, qu’il avait été torturé pour lui arracher des aveux et qu’on avait même frappé sa femme devant ses yeux. Ce fut pour moi la seconde étape. La troisième a été constituée par un autre de mes camarades de captivité, le géographe universellement connu qu’est le général Niedermayer. Il m’a apporté la preuve que le prétexte donné par Hitler à l’attaque contre la Russie était faux, tout au moins pour une partie importante. Après un entretien avec l’interprète, il a pu me dire que Molotov n’avait nullement formulé de nouvelles exigences au cours de l’entretien décisif qu’il avait eu avec Ribbentrop en 1941, mais simplement demandé la réalisation des assurances données en 1939. Voilà qui faisait tomber une partie — je dis bien une partie — de nos motifs à prétendre que notre attaque de la Russie était destinée à prévenir une attaque russe contre nous.
La quatrième étape a été la démonstration apportée au cours de ces débats de l’assassinat de 5.000.000 de Juifs. J’en ai déjà parlé, mais je considère qu’il est de mon devoir de faire connaître une déclaration qu’a faite le Dr Goebbels en ma présence, le samedi 21 avril 1945. Le Dr Goebbels a, dans un état d’agitation extrême dû à la dernière percée décisive des Russes près de Berlin, prononcé les paroles suivantes : « Eh bien, le peuple allemand ne voulait pas autre chose. Il s’est décidé, dans un plébiscite, pour notre départ de la Société des Nations, et à une grande majorité contre la politique des concessions et pour une politique de l’honneur, de l’audace. Et c’est ainsi » — et telle fut la conclusion du Dr Goebbels — « que le peuple allemand a lui-même choisi la guerre qu’il vient maintenant de perdre ».
Ce sont les dernières paroles que j’ai entendu prononcer par le Dr Goebbels, et ces paroles sont fausses. Je déclare sous la foi de mon serment que le Dr Goebbels, jamais auparavant, n’avait attaché une telle importance à ce plébiscite. Jamais il ne lui avait prêté un tel sens ; c’est exactement le contraire qui est vrai. C’est justement ce plébiscite qui a encore donné une affirmation solennelle de la volonté de paix de Hitler et de ses collaborateurs. Voilà qui établit pour moi d’une manière certaine que Hitler, et tout au moins un certain nombre de ses collaborateurs, ont sciemment trompé le peuple sur certains points décisifs et fondamentaux de leur politique et — ce qui est moins important pour l’Histoire — m’ont également personnellement trompé.
Monsieur le Président, je n’ai plus de question à poser à l’accusé Fritzsche.
Un autre avocat désire-t-il poser des questions ?
Monsieur le témoin, avez-vous entendu dire et avez-vous constaté qu’au début de la création des camps de concentration, à côté des camps normaux il y avait ce que l’on appelait des « camps sauvages » qui avaient été créés par des chefs SA à l’insu des services compétents ?
Non, à ce moment-là je n’en ai pas entendu parler. C’est ici, dans cette salle, que j’ai entendu parler pour la première fois de cette différence.
Pouvez-vous, étant donné ce que vous savez aujourd’hui, préciser si les abus que vous avez décrits ont été commis dans cette catégorie de camps de concentration que l’on désigne sous le nom de « sauvages » ?
Je peux donner une réponse tout à fait précise à ce sujet. Les abus dont j’ai eu connaissance ont été commis dans l’ancien camp d’Oranienburg, qui était situé sur la route de Berlin. Je ne sais pas à quelle catégorie il appartenait. Mais on a fait cesser ces abus et j’ai déjà mentionné, au cours de ma déposition, que presque immédiatement après ma lettre adressée au président du conseil de Prusse, j’avais reçu un appel téléphonique d’un directeur du ministère ou d’un autre haut fonctionnaire, dans lequel on me promettait une enquête, promesse qui d’ailleurs a été tenue ; mais je ne me souviens pas qu’on m’ait donné une information définitive sur le résultat de cette enquête.
Je n’ai plus d’autre question à poser.
En juin 1934, la publication du discours prononcé à Marbourg par von Papen a été interdite. Est-il exact qu’à partir de ce moment-là toute manifestation de l’accusé von Papen ne pouvait être publiée qu’avec l’autorisation préalable du ministère de la Propagande ?
C’est exact, et même dans un sens plus étroit encore. La confiscation du discours de Marbourg a été motivée et je m’en souviens très bien — par Berndt qui devait devenir plus tard directeur de ministère. C’est lui qui a attiré l’attention de Goebbels sur ce discours. En ce qui concerne les publications ultérieures de Papen, on appliquait le principe selon lequel le ministère de la Propagande lui-même n’avait pas le droit d’autoriser la publication ; ces discours ou publications devaient être adressés soit au ministre lui-même, soit au Führer.
Au cours de votre déposition, vous avez fait allusion au fait que vous connaissiez l’accusé von Papen depuis longtemps. Vous avez fait sa connaissance lors d’une visite que vous avez faite en Turquie. A quelle époque ?
Je crois que c’était en janvier 1944.
Quel était le but de votre visite ?
J’ai prononcé un discours devant la colonie allemande d’Istamboul et d’Ankara, à l’occasion du 30 janvier.
Est-ce que M. von Papen a quelque chose à voir avec ce discours et avec cette cérémonie ?
Non, moins que rien. C’est Berlin qui m’a officiellement demandé d’inciter M. von Papen à ne pas partir ostensiblement en voyage à l’occasion de cette fête du 30 janvier, comme il le faisait habituellement. Je n’ai même pas essayé de faire changer M. von Papen d’avis, et c’est la raison pour laquelle il a quitté son cabinet à l’heure habituelle ce jour-là pour aller faire du ski.
Je vous remercie.
Monsieur le témoin, vous venez de déclarer qu’il vous avait été signalé qu’à la fin de l’année 1933 et au début de l’année 1934, des SA sans profession avaient été préposés à la garde de certains camps de concentration et que c’était cela qui expliquait probablement les abus qui s’étaient produits. Je n’ai qu’une seule question à vous poser : de qui avez-vous reçu ce rapport ?
Je l’ai reçu de celui qui était à ce moment-là chef de la presse ou attaché de presse du Reichsführer SS Himmler. Il s’appelait Gerhard Ratke.
Ratke ?
Ratke.
Je vous remercie.
Monsieur le témoin, vous avez déclaré avant-hier que l’accusé Funk n’avait rien à faire avec la propagande au ministère de la Propagande, mais qu’il était chargé surtout de tâches financières et administratives. Je voudrais vous prier de répondre encore à quelques questions qui ont trait à l’activité de l’accusé Funk au ministère de la Propagande. Vous savez, Monsieur le témoin, qu’il a existé au début un service de presse du Gouvernement du Reich. C’était là une institution officielle de l’État. Combien de temps ce service de presse a-t-il existé et qu’en est-il advenu ?
Ce service de presse existait depuis longtemps déjà. En tout cas, jusqu’en mars 1933, ce service a fait partie du ministère des Affaires étrangères, et à partir de ce moment-là il a été incorporé au ministère de la Propagande où il avait à répondre à deux besoins : d’abord, il devait être le service de presse de ce ministère et, en second lieu, il devait continuer à fonctionner comme service de presse du Gouvernement du Reich.
Monsieur le témoin, pouvez-vous me dire qui, à partir du mois de mars 1933, c’est-à-dire à partir de l’intégration du service de presse dans le ministère de la Propagande, en a été le chef et, pratiquement donc, le chef de l’ensemble de la presse. Était-ce Funk ou qui était-ce ?
Non, c’était le conseiller ministériel Jahnke, qui avait succédé au directeur Berndt. Puis on a divisé ce service de presse en trois parties : la presse allemande.
Cela ne m’intéresse pas. Tout ce qui m’intéresse, Monsieur le témoin, c’est de savoir si le chef de ce service a été l’accusé Funk ou bien s’il est exact qu’il n’avait plus rien à faire avec ce service.
Théoriquement, il en était le chef, mais il n’avait rien à voir au côté pratique de ce travail qui allait de Goebbels à Jahnke en passant par Hahnke.
Et plus tard, au directeur de ministère Berndt. Une autre question, Monsieur le témoin : qui, au ministère de la Propagande (je parle toujours de ce service officiel de l’État) a eu la direction de la politique de la presse ? Était-ce l’accusé Funk ou qui était-ce ? Je parle de la direction de la politique de la presse.
De tout temps, c’est le Dr Goebbels lui-même qui l’a assumée. Plus tard, cependant, ce fut le chef de la presse du Reich, le Dr Dietrich.
L’accusé Funk était secrétaire d’État au ministère de la Propagande, ou tout au moins il a porté ce titre de secrétaire d’État. Or, si l’on considère la chose d’une manière générale, j’aimerais savoir s’il a effectivement occupé les fonctions d’un secrétaire d’État ou si cette fonction de secrétaire d’État, c’est-à-dire de représentant régulier du ministre, a été occupée par une autre personne ?
II occupait naturellement la fonction d’un secrétaire d’État et il en avait également les pouvoirs, les honneurs que cela comportait et également le traitement. Mais le travail pratique était réparti tout autrement.
Comment cela ?
Je l’ai déjà dit. Pratiquement, Funk s’occupait de l’organisation et des finances, de ce que Ton peut vraiment appeler le grand trust culturel que l’on créait à ce moment-là. Tandis que la politique de fait de tous les jours était menée par le Dr Goebbels et Hahnke, son chef de service, qui succéda à Funk dans ses fonctions de secrétaire d’État.
J’ai encore une dernière question, Monsieur le témoin, qui se rapporte à un autre problème. Savez-vous comment le Dr Goebbels, en novembre 1938 ou plus tard, s’est exprimé au sujet de ces pogroms du 9 novembre 1938 contre les Juifs, à propos des questions qui, intéressent l’accusé Funk ?
Beaucoup plus tard, le Dr Goebbels a une fois déclaré en ma présence que l’on était bien obligé d’être radical de temps à autre, pour répondre aux paroles de Funk qui avait dit que l’on ne pouvait pas éliminer les Juifs de l’économie. Goebbels avait été obligé, à ce moment-là, de prouver à Funk que c’était tout de même une chose possible et il avait organisé les manifestations du 8 novembre.
A-t-il dit, à ce propos, qu’il avait prévu et dirigé cette action contre les Juifs, dont il était personnellement responsable, dans le but d’atteindre Funk et de le mettre devant le fait accompli ? S’est-il ainsi exprimé ?
C’est le sens de la réponse que je viens de donner.
Je vous remercie. Je n’ai pas d’autre question à poser.
Monsieur Fritzsche, vous avez entendu ici les lourds reproches qui ont été adressés à l’amiral Raeder à propos de cet article que le Vöikischer Beobachter a publié sous le titre « Churchill a coulé l’Athenia », dans son numéro du 23 octobre 1939. Monsieur le Président, c’est le document PS-3260 ou GB-218. (Au témoin.) Je voudrais vous poser quelques questions à propos de l’Athenia. Monsieur Fritzsche, quand le ministère de la Propagande a-t-il été informé du torpillage de l’Athenia, et par quel moyen ?
Je ne peux pas citer la date de mémoire, mais je sais que nous avons reçu cette information par radio, par conséquent par l’écoute d’un émetteur étranger quelconque.
Cette information par radio a été donnée probablement très peu de temps après le torpillage de l’Athenia ?
Indubitablement,
Le ministère de la Propagande s’est-il mis, à ce propos, en rapport avec le Haut Commandement de la Marine pour donner des détails sur ce torpillage ?
Oui, je l’ai fait personnellement parce que j’avais par hasard chez moi un officier de liaison avec le commandement de la Marine, qui était spécialiste de censure.
Avec qui êtes-vous entré en rapport au Haut Commandement de la Marine et qu’avez-vous appris ?
J’ai d’abord interrogé l’officier que je viens de mentionner. C’était le capitaine Hahn. C’est lui qui a alors téléphoné au Haut Commandement de la Marine. Il est vraisemblable que j’en ai fait de même. Si je me souviens bien, j’ai dû parler alors avec le capitaine de corvette Wolf.
Et que vous a dit le capitaine de corvette Wolf ?
A ce moment-là déjà, il m’a dit qu’il n’y avait aucun sous-marin allemand dans les parages en question.
Je vous rappelle que l’Athenia a été coulé le 4 septembre 1939. Qu’a fait le ministère de la Propagande après avoir appris du Haut Commandement de la Marine que ce n’était pas un sous-marin allemand qui avait fait ce torpillage ?
Cette information a été immédiatement publiée.
Monsieur Fritzsche, comment se fait-il que six à sept semaines plus tard on ait publié cet article : « Churchill a coulé l’Athenia », le 23 octobre 1939 ? Dois-je vous montrer cet article ?
Je vous remercie. Je me souviens particulièrement bien de cet incident, d’autant plus que j’ai fait quelques vérifications après avoir entendu la première allusion faite à cette question dans cette salle. Je sais que c’est Hitler en personne qui a exigé cette publication, et cela avec les détails les plus minutieux sur la manière de la rédiger. Cette requête nous est parvenue par deux voies différentes : d’une part, par un coup de téléphone du chef de la presse du Reich, le Dr Dietrich, et d’autre part, par un coup de téléphone du Dr Goebbels ou de l’un de ses adjoints. Je ne saurais le dire plus exactement. Cet ordre devait être transmis au Völkischer Beobachter , et c’est là que se place la circonstance qui explique pourquoi je me souviens des détails. Lorsque j’ai demandé à mon collaborateur d’informer le Völkischer Beobachter , il revint me dire que ce n’était plus nécessaire car le Völkischer Beobachter avait appris directement du Quartier Général tout ce qu’il était nécessaire qu’il sût.
Quand cet ordre a-t-il été édicté par Hitler ou par le Dr Goebbels ?
Je suppose que c’est la veille du jour de la publication de l’article.
Est-ce qu’un service quelconque du Haut Commandement de la Marine de guerre avait quelque chose à voir avec cet article ?
Pas à ma connaissance.
Avant la publication de cet article, en avez-vous parlé avec le Grand-Amiral Raeder ou l’avez-vous mis au courant de l’ordre donné par Hitler ?
Non. D’ailleurs, je crois que le Haut Commandement de la Marine de guerre n’a pas eu connaissance de cet article dont j’ai expliqué l’origine dans ses différentes phases.
Est-ce que vous avez pu vous entretenir avec le Haut Commandement de la Marine ou avec le Grand-Amiral Raeder lui-même sur l’affaire de l’Athenia ?
Ce n’est qu’ici, à la prison, que j’ai eu l’occasion de le faire.
Monsieur Fritzsche, est-il exact qu’en septembre 1939 on ait prétendu dans le Times qu’en Tchécoslovaquie 10.000 Tchèques, y compris le maire de Prague, auraient été assassinés ?
Je ne sais pas si cela a été publié dans le Times, mais certainement dans le News Chronicle.
Qu’a fait le ministère de la Propagande ?
Le ministère de la Propagande a fait venir à Prague des journalistes allemands et étrangers. Si je ne me trompe, un de ces journalistes étrangers qui est venu avec nous en avion à Prague est présent dans cette salle d’audience.
Et qu’ont constaté ces journalistes étrangers ?
Ils ont eu une entrevue avec le maire de Prague, qui avait à ce qu’on prétend été tué. Ils ont voyagé à travers le pays et fait des communiqués en conséquence.
Par conséquent, cette information s’est avérée entièrement dénuée de fondement ?
A ce moment-là, elle s’est avérée complètement inexacte, mais je dois ajouter que, depuis lundi de cette semaine et depuis les déclarations de M. von Neurath, j’ai compris qu’à l’ombre de ce net démenti qui a eu un effet considérable, une campagne d’arrestations a sévi en Tchécoslovaquie... Permettez-moi d’ajouter encore ceci. Il faut que j’éclaircisse ce point. Si...
Docteur Siemers, qu’est-ce que l’accusé Raeder a à voir avec ces faits ?
Je crois, Monsieur le Président, que cela constitue, dans une certaine mesure, un parallèle de l’article publié dans le Völkischer Beobachter , et que le Ministère Public a mentionné avec une insistance toute particulière et dont je ne comprends pas très bien les raisons.
Non, le Tribunal pense que cette preuve est irrecevable.
Monsieur Fritzsche, savez-vous quelle était l’attitude du Dr Goebbels à l’égard du Grand-Amiral Raeder ?
Les quelques déclarations qu’il a pu faire au sujet du Grand-Amiral Raeder permettaient de reconnaître que son attitude était un refus et il a justifié cette attitude à plusieurs occasions par l’attitude de refus qu’avait Raeder à l’égard du Parti et de ses désirs, et par l’attitude positive qu’il manifestait dans les questions qui concernaient l’Église et la protection des aumôniers de la Marine, contre toute intervention ou désir exprimés par le Parti.
Je vous remercie. Je n’ai pas d’autre question à poser.
Monsieur le témoin, vous avez mentionné tout à l’heure qu’un général Niedermayer avait assisté à l’entretien Ribbentrop-Molotov. D’où tenez-vous cette information ?
Votre question contient une erreur. Je n’ai pas dit que le général Niedermayer avait participé à cette entrevue, mais j’ai dit par contre — et je me vois obligé maintenant de m’exprimer plus exactement — que j’ai rencontré au cours de ma captivité ce général Niedermayer qui venait de passer des semaines et des mois dans une autre cellule en compagnie de l’interprète qui avait été utilisé au cours de la conversation entre Molotov et Ribbentrop.
Avez-vous appris le nom de cet interprète par le général Niedermayer ?
Naturellement, mais je ne l’ai pas retenu.
J’ai encore une question à vous poser. Après le dernier entretien du 30 août 1939 entre l’ambassadeur britannique Sir Nevile Henderson et von Ribbentrop qui était, à ce moment-là, ministre des Affaires étrangères, au cours duquel les conditions pour les bases de négociations avec la Pologne avaient été discutées, ces conditions étaient publiées le lendemain dans le Daily Telegraph . Mais l’édition qui contenait ces conditions a été sur-le-champ retirée de la circulation. Que savez-vous sur cet article ?
Je me permettrai tout d’abord de rectifier encore une erreur qui s’est glissée dans votre question. Le lendemain matin en question, le Daily Telegraph n’a pas publié les conditions ou la note en question, mais l’information qu’au cours de la nuit précédente le Gouvernement britannique avait conféré au sujet des conditions faites par l’Allemagne à la Pologne, qui avaient été transmises par l’ambassade britannique à Berlin. Il ressortait donc de cette note — en tout cas on ne pouvait pas l’interpréter autrement — que ces conditions avaient été présentées à Londres.
Je vous remercie.
Monsieur Fritzsche, vous avez déclaré hier que le Völfkischer Beobachter avait une liaison directe avec le Führer et le Quartier Général pendant la guerre. A quelle personnalité du Völfkischer Beobachter pensiez-vous à ce propos ?
Je songeais moins à des personnalités du Völfkischer Beobachter qu’à certaines personnalités du Quartier Général. Il s’agit du Dr Dietrich et de ses représentants, qui téléphonaient régulièrement et directement au Völkischer Beobachter.
Savez-vous que Rosenberg n’était plus rédacteur en chef du Vôikischer Beobachter depuis l’année 1937 ?
Je suis convaincu qu’il ne l’était auparavant que de nom.
Monsieur le témoin, pouvez-vous indiquer au Tribunal qui a été la cheville ouvrière des actions entreprises par le Parti, et je pense à l’incinération des livres, au boycottage d’avril 1933 et aux actions antisémites de novembre 1938 ?
Aujourd’hui, je suis fermement convaincu que c’était le Dr Goebbels.
Témoin, savez-vous que Goebbels, chaque fois que Hitler était présent à Berlin, était l’hôte de ce dernier ?
Ce n’est pas exact sous cette forme. Dans les années qui ont précédé la guerre, Goebbels ne voyait que très rarement Hitler.
J’ai encore une question : saviez-vous que Goebbels avait une ligne téléphonique directe qui le reliait à Hitler ?
Je l’entends pour la première fois.
Docteur Thoma, il est sans importance pour Rosenberg de savoir si Goebbels avait une ligne directe avec Hitler.
Monsieur le Président, je voulais simplement demander au témoin si Rosenberg avait une liaison téléphonique analogue avec Hitler.
Je ne connais pas l’installation téléphonique de Rosenberg, mais je sais et j’ai entendu dire souvent que Rosenberg allait très rarement chez Hitler.
Cela me suffit, je vous remercie.
Un autre avocat veut-il poser des questions ?
L’audience est suspendue.
Le Ministère Public désire-t-il procéder à un contre-interrogatoire ?
Accusé Fritzsche, je veux commencer votre interrogatoire en élucidant le rôle joué par la propagande allemande dans l’activité criminelle du Gouvernement hitlérien. Dites-moi, vous reconnaissez que la propagande allemande répandait les théories raciales et inculquait au peuple allemand le sentiment et les idées de la supériorité de la race allemande ? Vous l’admettez ?
Cette question comprend deux parties. Il me faut répondre à chacune d’elles. J’admets que la propagande allemande a répandu la théorie de la race, mais je nie que la propagande allemande ait répandu la théorie de la race des seigneurs.
Vous ne le reconnaissez pas ?
Non.
Parfait. Vous reconnaissez que la propagande allemande suscitait chez le peuple allemand la haine raciale contre les Juifs et poussait à la nécessité de leur extermination ?
Il y a là encore deux questions dans une seule. J’aurai donc deux réponses à donner.
Excusez-moi. Mais vous n’avez pas besoin de le souligner. Répondez simplement à ces deux questions, je vous prie.
J’avoue, comme je l’ai déjà fait dans ma réponse à la première question, que la propagande allemande a répandu la théorie de la race, mais je nie énergiquement que la propagande allemande ait préparé ou excité à l’assassinat massif des Juifs.
Mais vous ne niez pas que la propagande allemande ait suscité chez le peuple allemand la haine raciale contre les Juifs ? Vous ne le niez pas ?
Même cela, je ne puis l’affirmer sans limite. C’est pour cela qu’en répondant à la deuxième question j’ai employé une autre nuance. La propagande allemande — et je veux dire par-là la propagande officielle allemande — n’a jamais prêché la haine raciale, mais la théorie de la distinction raciale, ce qui est bien différent. Mais je vous avoue qu’il y avait une sorte de propagande allemande qui dépassait ce stade et prêchait une haine raciale pure et primitive.
Vous reconnaissez que l’activité de la propagande allemande était également dirigée contre les Églises ?
Non, cela aussi je dois le nier.
Vous prétendez que la propagande allemande n’était pas dirigée contre l’Église ?
C’est exactement ce que je voulais dire. La propagande officielle allemande ne s’est pas exercée contre les Églises. Par contre, pour éclaircir ce point, là encore il y eut une propagande illégale contre l’Église, et l’État et ses organismes, à l’époque de la lutte contre l’Église, ont fait certaines déclarations et commis certaines actions qui ont pu faire croire qu’ils participaient à cette lutte. Et je fais allusion aux procès sensationnels intentés à des ecclésiastiques à ce moment-là.
C’est parfait. Vous reconnaissez que la propagande menée par le Gouvernement hitlérien à propos du problème de l’élargissement de l’espace vital de l’Allemagne développait et cultivait chez le peuple allemand des visées militaristes ?
Cela encore je le nie d’une manière décisive.
Vous reconnaissez que la propagande allemande a utilisé la provocation, le mensonge et la calomnie afin de camoufler les plans d’agression du Gouvernement hitlérien ?
Monsieur le représentant du Ministère Public, il m’est particulièrement difficile de répondre à cette question après tout ce que j’ai volontairement déclaré hier. En essayant de résumer très brièvement, voici ce que j’aurai à dire : j’affirme que la propagande allemande, à l’occasion de chaque action, depuis l’occupation de la Rhénanie jusqu’à l’attaque contre l’Union Soviétique, a donné une description des faits qui donnait au peuple allemand l’impression du droit. Mais j’ai par ailleurs reconnu — et je le soulignais quand cela se produisait — que l’édifice de ces arguments reposait sur une base qui craquait par endroits.
C’est-à-dire sur une base de mensonges et de calomnies ?
Non, cette formule, je vous en demande pardon, ne me paraît pas assez objective.
Vous persistez à nier que la propagande allemande a eu recours au mensonge et à la calomnie ? Vous le niez ?
Oui, je le nie, en raison des connaissances profondes que j’avais de la propagande allemande, et je vous prie de m’autoriser à faire une brève déclaration à ce sujet.
Je vous prie de donner une explication qui se rapporte à la question que je vous ai posée.
Naturellement. Quand on voit les choses aujourd’hui, c’était bien le malheur du peuple allemand que sa propagande, justement à propos de détails contrôlables, fût si propre qu’on omît de remarquer que trois erreurs s’étaient glissées dans ses trois principes de base. Je ne pourrais être plus précis.
De quelles erreurs voulez-vous parler ?
La première, la foi en l’humanitarisme d’Adolf Hitler, détruite par l’assassinat de 5.000.000 de personnes, la deuxième, la foi en la propreté morale du système, détruite par les ordres sur les atrocités ; la troisième, la foi en la volonté décisive de paix d’Adolf Hitler, ébranlée par ce que nous avons entendu ici dans cette salle.
Bien. Nous reviendrons à nouveau sur ces questions lorsque nous parlerons de votre propre participation à la propagande allemande. Je veux maintenant vous demander la chose suivante : vous saviez, bien entendu, qu’au sein de l’OKW existait un service de propagande spécial dirigé par l’accusé Jodl ?
Je le savais ; mais c’est une erreur de votre part de croire que ce service dépendait de l’accusé Jodl. Ce service dépendait du général von Wedel et de son successeur, le Standartenführer Gunter d’Alquen.
Bien. Je n’ai pas l’intention, pour l’instant, d’élucider ce point. Autre chose m’intéresse. Quelles étaient les relations qui existaient entre le ministère de la Propagande et l’OKW ?
Je ne puis, d’une façon générale, rien dire des relations du ministère de la Propagande et de l’OKW. Par contre, je puis donner les indications les plus précises sur les relations du ministère de la Propagande et de ce service de propagande de l’OKW que vous venez de citer. Il y avait en permanence un représentant de ce service au ministère du Dr Goebbels ; il participait aux conférences ministérielles journalières, dont j’ai déjà parlé, et il faisait en général partie des intimes du Dr Goebbels.
Par qui étaient distribués les ordres et les missions de propagande destinés à l’OKW ?
Je ne puis me représenter les choses que d’une seule manière : les tâches de la propagande étaient formulées en accord avec les désirs du Dr Goebbels et les directives du chef de l’OKW, Keitel ou Jodl.
Quels étaient les rapports de la haute propagande allemande avec les mesures de propagande émanant de l’OKW ?
Je ne comprends pas le sens de la question.
Comment la propagande allemande était-elle utilisée par rapport aux mesures de propagande de l’OKW ?
On l’incorporait simplement, selon toute vraisemblance, dans les mesures de propagande de l’OKW, car le Dr Goebbels avait une personnalité si forte qu’il n’eût pas toléré une négligence dans ses directives de propagande.
Parfait. Je voudrais savoir maintenant quelles étaient les relations entre le ministère de la Propagande et le ministère des Affaires étrangères ?
Les relations ont été, à maintes reprises, légèrement tendues, mais, pendant les dernières années de la guerre, un représentant du ministère des Affaires étrangères a toujours pris part aux conférences du ministère de la Propagande.
Quel a été le rôle joué par le ministère des Affaires étrangères dans l’exécution des mesures de propagande qui touchaient notamment à la préparation et à l’exécution des guerres d’agression ?
Je vous répondrai ainsi : à chaque naissance d’une action ou d’une guerre, le ministère des Affaires étrangères ou l’un de ses représentants faisait son apparition avec un livre de documents préparé à l’avance, un livre blanc. L’élaboration de ces livres blancs m’est inconnue. En tous les cas, ils n’ont pas été élaborés au ministère de la Propagande et j’ai appris ultérieurement dans quelques cas, comment le ministère des Affaires étrangères les avait rédigés.
Il serait juste d’en déduire que le ministère des Affaires étrangères a pris une grande part dans l’élaboration des mesures et des consignes de propagande ? Est-ce exact ?
C’est exact sans aucun doute, et du fait que le ministre des Affaires étrangères s’était réservé le dernier mot en matière de politique étrangère et de propagande à l’étranger.
Vous pensez à l’accusé Ribbentrop lorsque vous parlez du ministre des Affaires étrangères ?
Naturellement.
C’est parfait. Vous confirmez que l’accusé Ribbentrop distribuait personnellement les tâches de propagande et faisait de la guerre contre l’Union Soviétique une guerre préventive ?
On ne peut pas répondre par oui ou par non à cette question, mais il faut décrire brièvement les faits. Le jour du début de la campagne de Russie, au matin, l’ex-ministre des Affaires étrangères, Ribbentrop, reçut la presse étrangère et la presse allemande. Il leur montra un livre blanc, leur brossa la situation dans un discours et conclut ainsi, sinon dans les termes, tout au moins en esprit : « Pour toutes ces raisons, l’Allemagne est contrainte d’attaquer l’Union Soviétique afin de prévenir une attaque de la part de la Russie. Je vous prie de décrire ainsi les faits ».
Je voulais justement établir que les tâches de la propagande avaient été distribuées par l’accusé Ribbentrop. Ce sont les circonstances que je voulais éclaircir. Vous le confirmez, n’est-ce pas ?
Je vous demande pardon. J’ai confirmé ce que j’ai dit. Votre dernière question portait sur la conclusion que vous avez donnée à mes paroles. Sur ce point, je ne suis pas d’accord.
Oui, mais vous aviez répondu auparavant à ma question précédente en décrivant le rôle décisif joué par l’accusé Ribbentrop dans les questions qui avaient trait à la propagande extérieure. C’est bien exact ?
C’est parfaitement exact.
C’est bien. Cela suffit pour cette question. Quelles étaient les relations entre le ministère de la Propagande et ce ministère pour les Territoires occupés de l’Est ? Pouvez-vous m’expliquer, à ce propos, comment ces deux ministères collaboraient et quelle était la liaison qui existait entre eux ?
II y avait un agent de liaison permanent qui appartenait au ministère des Territoires de l’Est et au ministère de la Propagande, et, en dehors de cela, il existait une institution qui avait été créée par les deux ministères et était également administrée en commun par eux. C’était l’institution « Vineta » qui faisait toute la propagande à l’Est.
Je comprends. Comment et par qui étaient élaborés les mots d’ordre de propagande destinés aux régions occupées de l’Est ? Quel en était l’auteur ?
Je ne puis le dire sous la foi du serment, car je ne le sais pas exactement ; mais je suppose qu’ils sont l’œuvre, suivant les directives de la propagande générale, du Dr Tauber, qui a déjà été nommé, et de ses collaborateurs de l’entreprise « Vineta ».
Bien. Mais vous savez sans doute et vous reconnaîtrez que le ministère de la Propagande exerçait une influence primordiale sur ces mesures ?
Incontestablement. Sans aucun doute, le ministère de, la Propagande avait la plus grande initiative et l’influence la plus forte.
C’est clair. Quelle influence avait l’accusé Bormann sur la propagande allemande ? Quel était le rôle qui lui incombait ?
Ce rôle est considérable. Je sais que l’on apprécie assez mal ici les déclarations faites sur les gens qui sont présumés morts, mais, dans l’intérêt de la vérité historique, je dois dire...
On ne sait pas encore si Bormann est mort ou non, mais, de toute manière, il est absent de ce banc des accusés. C’est pourquoi je vous prie de continuer.
L’influence de l’accusé Bormann était particulièrement forte non seulement dans tous les autres domaines, mais également dans celui de la propagande. Elle se manifestait ainsi : d’abord dans cette agitation générale du Parti, aux tendances radicales. Un télétype de Bormann adressé au Dr Goebbels et ainsi rédigé : « Je reçois des plaintes du Parti dans tel ou tel domaine... » était toujours une raison pour mettre le plus rapidement possible tout l’appareil du Dr Goebbels en branle.
En second lieu, le Dr Goebbels — je ne puis l’exprimer autrement ici sous la toi du serment — avait une véritable peur de Martin Bormann et, par crainte, il essayait de justifier ses actions devant Bormann afin que cela ne fût pas mal interprété par les éléments radicaux du Parti.
Vous pourrez peut-être m’indiquer les accusés présents qui n’ont pas été nommés au cours de mon contre-interrogatoire et qui ont pris une part active à la propagande, et sous quelle forme ? Peut-être vous est-il désagréable de dire quelque chose sur les accusés présents ?
Cela ne m’est pas agréable, mais je vous donne la réponse...
Je vous en prie.
Un service de l’accusé Kaltenbrunner a exercé une influence très salutaire sur la propagande allemande. J’ignore s’il en était personnellement à l’origine. Il s’agit des faits suivants : lors de la lutte que j’ai entreprise pour des informations réalistes, et dont j’ai parlé hier, j’ai toujours rencontré la résistance du Parti et du ministère des Affaires étrangères ; mais j’ai trouvé l’appui d’un service dont j’ignore le nom, qui dépendait du RSHA. Ce service donnait des informations sur l’état d’esprit populaire en Allemagne et diffusait ces rapports à divers services supérieurs du Reich. Dans ces rapports, on se félicitait toujours des nouvelles réalistes, système qui avait été combattu par les deux autres services cités tout à l’heure.
Vous avez nommé le service de Kaltenbrunner. Qui, parmi les accusés ici présents, pouvez-vous nommer encore ?
Aucun autre n’a joué le moindre rôle dans la propagande allemande.
L’accusé Hess ? Il est vrai qu’il n’assiste pas aujourd’hui aux débats. Mais avait-il une influence quelconque ?
Malheureusement non.
Pourquoi malheureusement ?
A l’époque où il était encore en fonctions, il avait une tâche très fertile : il dirigeait pour ainsi dire le grand service des plaintes pour toutes les erreurs de l’État et du Parti. Je souhaiterais...
C’est bien. N’insistons plus. Élucidons maintenant votre propre rôle et votre participation à l’activité de la propagande allemande. Je voudrais que vous disiez quels étaient vos rapports avec Goebbels. Vous en avez longuement parlé hier. Mais je voudrais que vous me répondiez brièvement.
La formule la plus brève est la suivante : des rapports personnels rares, mais, au cours des années, des rapports de service de plus en plus fréquents.
Bien. Vous connaissez le nom du Generalfeldmarschall Ferdinand Schörner ?
Le nom m’est connu.
Je voudrais lire quelques extraits de ses dépositions.
Messieurs, je dépose ce document sous le numéro URSS-472. Pour la commodité de la lecture, les passages que je vais citer sont soulignés au crayon rouge. Je lirai l’extrait n° 1. Je vous demande de suivre le texte :
« Chacun savait, comme moi-même, que Fritzsche était non seulement le plus proche compagnon de lutte de Goebbels, mais également son favori. Il a conquis la sympathie de Goebbels par le fait que, dans son activité politique, il le copiait souvent et citait souvent ses expressions. De son côté, dans ses déclarations écrites et orales, Goebbels se référait souvent aux dires et aux conclusions de Fritzsche et leur accordait l’importance des décisions du Gouvernement. » Est-ce que cela correspond aux faits ?
Puis-je vous demander la citation que vous venez de lire : 1, 2 ou 3 ?
Je vous ai dit la première.
D’après mon texte, la première citation dit :
« Chacun savait, comme moi-même, que Fritzsche était non seulement le plus proche compagnon de lutte de Goebbels, mais également son favori. »
C’est exact. C’est là ce que j’étais en train de citer, et je vous demande si cela correspond à la réalité ?
Je ne l’exprimerais pas de cette façon. Je crois que c’est une question de goût.
Je vous comprends.
Je dois encore ajouter quelque chose. L’expression « le compagnon de lutte le plus proche de Goebbels » est certainement fausse ; quant à « favori », je ne le crois pas.
Très bien. Passons. Vous jouissiez de la confiance entière de Goebbels et accomplissiez votre travail au sein du ministère de la Propagande avec les plus grands pouvoirs. Vous le reconnaissez ?
Certainement.
C’est parfait. Ainsi, ayant la confiance et de vastes pouvoirs, vous reflétiez dans vos déclarations les exigences du Gouvernement hitlérien et les appliquiez à la propagande allemande ?
Oui, exactement comme je l’ai indiqué hier.
Je lirai maintenant des passages de vos déclarations en date du 12 septembre 1945. Je dépose ce document sous le numéro URSS-474. Je cite l’extrait n° 1.
Puis-je vous demander qu’on me remette le document ?
Oui, bien entendu, on va vous le remettre. Le passage de l’extrait n° 1 est coché au crayon rouge. Je lis : « Au cours d’une très longue période, j’ai été l’un des dirigeants de la propagande allemande ».
J’omets un passage et continue :
« Il faut dire que Goebbels me considérait comme un national-socialiste convaincu et comme un journaliste émérite. C’est pourquoi je passais pour son homme de confiance au sein de la propagande allemande. »
Est-ce exact ? ,
Monsieur le Procureur, ce n’est pas exact. Je sais que j’ai signé ce procès-verbal, mais, au moment où je l’ai signé à Moscou, j’ai déclaré : « Vous pouvez faire ce que vous voulez de ce procès-verbal. Si vous le publiez, personne en Allemagne n’y accordera foi, aucun étranger intelligent non plus, car ce procès-verbal n’est pas conforme à mon langage ». Je déclare qu’on ne m’a posé sous cette forme aucune des questions qui sont dans ce procès-verbal et je déclare, en outre, que je n’ai donné sous cette forme aucune des réponses de ce procès-verbal. Je l’ai signé pour des raisons que j’exposerai si vous le désirez.
Vous ne confirmez donc pas ces déclarations ?
Non, seule la signature est authentique.
La signature seule ? C’est parfait. Nous allons donc nous souvenir que, dans cet extrait que je viens de lire et que vous rejetez, Goebbels vous considérait comme un national-socialiste convaincu et un journaliste émérite, et qu’au sein du ministère de la Propagande allemande vous étiez l’homme de confiance de Goebbels. C’est bien l’esprit de cette citation, n’est-ce pas ? Vous le reconnaissez ? Un instant, je vous prie...
Oui, mon général, j’admets ces faits.
Vous les reconnaissez ?
Oui.
Mais de quoi parlions-nous ? Vous confirmez ces déclarations ?
Je parle de l’ensemble du procès-verbal qui m’a été soumis.
Je vous interroge actuellement sur la citation que je viens de lire. Vous ne la rejetez pas ? Vous la reconnaissez ?
Je ne confirme pas la citation, mais je confirme à nouveau le contenu de ce que vous venez de dire en résumé.
C’est parfait ; cela ressort justement de cette citation, mais, sous ce rapport, je veux vous demander ou plutôt vous rappeler un extrait...
Un instant, s’il vous plaît. Qu’est-ce que vous disiez, accusé ? Vous dites que vous n’avez pas signé ce document ou que vous l’avez signé ?
Monsieur le Président, j’ai signé ce document quoique son contenu ne contînt pas mes déclarations.
Pourquoi l’avez-vous fait ?
J’ai donné cette signature après un internement en cellule de plusieurs mois particulièrement sévère.
J’ai donné cette signature parce qu’un de mes compagnons de prison m’avait dit qu’un tribunal prononçait une fois par mois des jugements sur la base de tels procès-verbaux et sans aucune instruction. J’espérais ainsi tout au moins faire l’objet d’un jugement et voir la fin de cet emprisonnement. Je désire, pour ne pas être mal interprété, souligner qu’aucune violence n’a été exercée et que j’ai été traité très humainement, même lorsque l’emprisonnement était particulièrement sévère.
Bien, mais vous ne supposiez sans doute pas, accusé Fritzsche, qu’après l’activité que vous aviez eue on vous mettrait dans une maison de repos. Vous deviez terminer dans une prison. Et une prison est une prison. Mais ceci n’est qu’une remarque en passant Je veux vous poser une autre question : vous dites que vous avez signé cette déclaration en 1945, en raison d’un régime sévère. Bien. Quand vous êtes arrivé à Nuremberg, vous y avez été interrogé par le général Alexandrov le 3 novembre 1945 ?
Oui.
C’est exact ? Parfait. Je rappellerai quelques-unes de vos réponses. On vous a demandé : « Avez-vous fait des déclarations le 12 septembre 1945 ? Vous en souvenez-vous ? »
Vous avez répondu : « J’ai été interrogé très souvent et je ne sais plus de quelle déposition il s’agit. »
Le général Alexandrov vous a présenté vos déclarations du 12 septembre 1945, et vous avez répondu : « Je connais ce document ». On vous a alors demandé : « Je vous demanderai de regarder ce document et de dire si vous vous rappelez ces déclarations ? » Et vous avez répondu : « Bien entendu ». « Confirmez-vous ce document qui vient de vous être confié et qui porte votre signature ? » Là encore vous avez répondu : « Bien entendu ».
Vous vous souvenez de ces déclarations que vous avez faites ici à Nuremberg ?
Dans la déclaration que vous avez citée, manquent tous les passages où je déclarais d’une façon répétée que ce procès-verbal m’avait été soumis entièrement rédigé pour y apposer ma signature. J’avais exprimé vingt ou trente désirs de modification. Quelques-uns ont été remplis, mais il manque le passage où je déclarais ici, à Nuremberg, que certaines tendances dans les réponses de ce procès-verbal étaient exactes, mais qu’aucune ne correspondait vraiment à mes réponses.
C’est parfait. Je vais maintenant vous rappeler un extrait de votre déclaration du 7 janvier 1946. Messieurs, c’est le document PS-3469. Il n’existe pas dans mon livre de documents parce qu’il a été présenté par le Ministère Public. C’est un passage très court. C’est le paragraphe 39 de vos déclarations :
« Une fois, le Dr Goebbels a essayé de soumettre mes textes à un examen préalable. J’ai repoussé cette exigence en disant que d’ordinaire je dictais un court résumé de mes discours avant de les prononcer et que je parlais presque entièrement en improvisant. Il renonça à son idée à la condition que je parlerais dorénavant sur des thèmes prévus à l’avance ». Est-ce exact ?
Oui.
Cela témoigne de la confiance dont vous jouissiez auprès de Goebbels ?
Il me faisait certainement confiance, et je ne l’ai pas nié.
C’est bien. Poursuivons. Dans ce même document que je viens de vous citer, c’est-à-dire votre déclaration du 7 janvier 1946, figure l’expression suivante au paragraphe 35. C’est la réponse donnée aux questions de votre avocat. Vous dites :
« Je suis devenu de plus en plus la seule autorité du ministère... » Cela correspond-il à la réalité ?
Je n’avais pas entendu la fin de la question, mais ce passage est correctement cité. C’est moi qui l’ai écrit.
Il correspond à la réalité ?
Parfaitement.
Vous reconnaissez donc que dans l’appareil de la propagande allemande vous occupiez la place la plus en vue ?
Non, ce n’est pas ma réponse précédente.
Je vous le demande maintenant.
J’admets que j’avais une position particulièrement influente à la radio allemande dont j’étais le directeur. Mais si vous me demandez à nouveau maintenant qui occupait le second rang dans tout l’appareil de la propagande, après le Dr Goebbels, je réponds : le Dr Dietrich, secrétaire d’État, ou le secrétaire d’État Dr Naumann.
Je vous demande pardon, je n’ai pas dit « la deuxième place », j’ai dit « la place la plus en vue ». Vous le contestez ?
Je n’ai rien à dire contre l’emploi du terme « en vue », mais cela ne change pas ma réponse.
Bien, l’expression « en vue » est plus forte encore. Dans cette même déclaration, en date du 7 janvier, vous dites, à l’alinéa 15 :
« Au cours de toute la période de 1933 à 1945, la section de la presse allemande avait pour tâche de contrôler la presse intérieure et de lui donner des directives... » Plus de 2.300 journaux quotidiens allemands étaient soumis à ce contrôle. Puis : « En exécutant le mandat qui m’avait été confié par le Dr Goebbels, mon domaine en vint à englober la totalité du système d’information pour la presse et la radio allemande... »
Est-ce exact ?
Je ne sais pas si la dernière phrase est correctement citée, mais j’ai parfaitement reconnu les premières. C’est mon affidavit PS-3469 qui correspond textuellement à la vérité.
Très bien. Vous avez organisé au sein du service de la presse allemande que vous dirigiez un service spécial, « le service rapide », qui fournissait à la presse allemande le matériel servant à la provocation. Vous le reconnaissez ?
Si vous êtes d’accord pour rayer le terme « provocation » et le remplacer par le terme « matériel de propagande », je suis d’accord.
C’est bien. Je pense que le Tribunal saura apprécier. Ne discutons pas. Maintenant, une dernière question à propos de cet ensemble : vos déclarations à la radio, « Hans Fritzsche vous parle », étaient considérées comme des émissions officielles du Gouvernement ?
J’ai déjà expliqué cela hier. En soi, c’étaient des travaux privés, mais les discours privés d’un directeur du ministère de la Propagande, qui est en même temps directeur de la radio allemande, sont, dès qu’ils sont diffusés, considérés non pas comme officiels, mais tout au moins comme officieux. Je devais d’ailleurs tenir compte de ce fait, et j’en ai tenu compte.
Bien. Je voudrais me référer de nouveau aux dépositions de Ferdinand Schörner que j’ai déjà déposées sous le numéro URSS-472. Je désire lire l’extrait n° 2. Vous l’avez trouvé, accusé Fritzsche ?
Oui.
Je lis...
Général Rudenko, le Tribunal aimerait voir la totalité de ce document et, en tout cas, les questions auxquelles correspondent ces réponses.
Monsieur le Président, il vous a été remis dans sa totalité.
Je comprends. Les extraits que nous avons ont seuls été traduits en anglais ?
C’est cela. Je lis le deuxième extrait : « Je sais que Fritzsche était un collaborateur estimé du ministère de la Propagande et qu’il était très populaire et aimé, tant dans les cercles nationaux-socialistes que dans le peuple allemand. Il a acquis cette renommée par ses éditoriaux hebdomadaires politiques et économiques qu’il prononçait à la radio sur la situation allemande. J’ai eu souvent l’occasion d’entendre les déclarations de Fritzsche, en temps de paix comme en temps de guerre. Empreintes de fidélité fanatique au Führer et au national-socialisme, je les considérais comme les directives du Parti et du Gouvernement. »
Vous êtes d’accord avec cette appréciation ?
Je n’ai pas d’objection à faire contre cette citation, et je déclare...
Général Rudenko, est-ce que le document a été rédigé sous la foi du serment ?
Ce document a été établi conformément aux règles de procédure légales de l’Union Soviétique.
Où a-t-il été établi ?
A Moscou.
L’auteur de cette déclaration était-il libre ou était-il détenu ?
A ce moment-là, il était prisonnier de guerre.
L’a-t-il signée ?
Bien entendu, il l’a signée.
Poursuivez, je vous prie.
Je vous remercie.
Je dois ajouter que j’ai appris que, dans certaines régions éloignées du front par exemple, ou dans les colonies allemandes à l’étranger, mes allocutions radiodiffusées servaient de boussole politique.
Je comprends. Je veux vous présenter encore un document. Messieurs, je dépose maintenant sous le numéro URSS-471 la déposition de Hans Voss. Accusé Fritzsche, connaissez-vous le nom du vice-amiral Hans Voss ?
Le nom m’est connu, mais non la personne.
Je vous demande pardon, Monsieur le Président. Je ne pense pas qu’une grande importance puisse être attachée au contenu du procès-verbal du Generalfeldmarschall Schörner. Mais je ne puis pas trouver en le lisant où il a été rédigé.
Le général Rudenko dit que ce document a été établi à Moscou ?
Mais cela ne découle pas du document, et je remarque que, dans ma photocopie, la signature du Feldmarschall n’apparaît pas. Je vois d’abord : « Signé » et, en marge, à droite, figure une signature autographe. Je ne sais si ce document peut être admis par le Tribunal.
Vous pouvez vous reporter à l’original.
Je parlais donc du document URSS-471. Ce sont les dépositions écrites de Hans Voss. J’attire votre attention sur l’extrait n° 1, qui est souligné. Je lis : « Dans son dévouement absolu à Hitler et au parti national-socialiste, Fritzsche leur a rendu de grands services pour la propagation du national-socialisme en Allemagne. » Est-ce conforme aux faits ?
Je n’ai pas la moindre protestation à formuler.
Ce qui signifie que vous êtes d’accord sur ce point ?
Comme je l’ai dit, je ne proteste pas. Mais je ne voudrais cependant pas me déclarer d’accord.
Mais vous ne le niez pas non plus ?
Non, je dis pour la troisième fois que je n’ai aucune protestation à formuler.
Bien. Je veux maintenant vous poser quelques questions sur votre attitude à propos de la théorie raciale. Vous avez abondamment répondu hier aux questions de votre défenseur. Je ne vous poserai donc que quelques questions et vous demanderai d’y répondre brièvement. Est-ce que vous étiez d’accord avec cette théorie raciale ?
Oui, exactement dans le sens que j’ai décrit et limité hier.
C’est bien. Le 6 février 1940, vous avez prononcé une allocution radiodiffusée sur la Pologne. C’est le document URSS-496. Je n’ai pas l’intention, Messieurs, de lire ce document, afin de ne pas faire de propagande autour de ces conceptions. Mais je voudrais remettre ce document à l’accusé afin qu’il en prenne connaissance et en lise l’extrait n° 1. Le passage est souligné au crayon rouge. Il s’agit de l’appréciation que vous portez sur le peuple polonais. Je voudrais que vous me parliez de ce discours.
Je ne puis, avec un extrait d’environ vingt lignes, reconnaître un discours radiodiffusé que j’aurais prononcé. Comme je l’ai dit hier, j’ai parlé plus de mille fois. Il serait donc utile de m’en remettre le texte afin que je puisse retrouver les idées exprimées.
Vous n’avez pas pris connaissance de ce document ? C’est le texte complet de l’allocution que vous avez prononcée le 6 février 1940 à l’émetteur national allemand.
C’est une erreur. Il s’agit là de vingt lignes qui commencent par les mots : « De gros efforts... »
C’est parfaitement exact. N’en citez pas plus. Il s’agit bien du document auquel je pense. Je vous demande si ce discours est de vous ?
C’est tout à fait possible, mais n’ayant sous les yeux que vingt lignes de ce discours, je ne puis confirmer que ce qui suit : oui, à cette époque, j’ai eu entre les mains les documents officiels allemands sur les atrocités commises contre des Allemands en Pologne. J’en ai été indigné et j’ai annoncé à la radio ce que j’avais vu dans ces documents.
Nous allons maintenant suspendre.
Bien.
Monsieur le Président, je voudrais simplement vous demander d’accorder à l’accusé Rosenberg l’autorisation de ne pas assister à l’audience de cet après-midi, car j’ai à l’entretenir de ma plaidoirie.
Oui.