CENT SOIXANTE-SIXIÈME JOURNÉE.
Vendredi 28 juin 1946.
Audience de l’après-midi.
Accusé Fritzsche, on va vous remettre maintenant un extrait de votre discours du 5 juillet 1941, sur la résistance qu’ont rencontrée les troupes germano-fascistes au moment où elles ont pénétré en territoire soviétique. Il s’agit du document PS-3064 qui a déjà été présenté par la Défense. Prenez connaissance du dernier alinéa de la septième phrase. Je n’ai pas l’intention de le lire.
J’en ai pris connaissance.
Très bien. Vous reconnaissez que ce sont bien vos paroles ?
Oui, je l’admets et souligne à quel propos je l’ai fait.
Très bien. Je veux seulement vous demander la chose suivante : quand, dans vos discours, vous traitiez les peuples polonais et soviétique de races inférieures et que vous les insultiez, n’était-ce pas l’expression de la haine de l’Humanité ?
Je précise, Monsieur le Procureur, que je n’ai jamais traité le peuple russe et le peuple polonais de races inférieures.
Très bien. Je n’ai pas l’intention de discuter ; les documents parlent d’eux-mêmes. Je veux maintenant revenir aux déclarations de Hans Voss. C’est le document URSS-471, que j’ai déjà présenté. Lisez attentivement l’extrait n° 2 qui est souligné. Je cite :
« Fritzsche influençait l’opinion allemande et essayait de persuader les Allemands qu’ils étaient la race supérieure et que, pour cette raison, ils devaient gouverner les autres peuples comme des esclaves. »
Est-ce que cela correspond à la réalité ?
Non, cela ne correspond pas à la réalité. Au contraire, c’est tout l’opposé de la réalité.
Du moins est-ce contraire à ce que vous disiez plus haut ? Bien. Je vais alors vous poser la question suivante : connaissiez-vous le général Rainer Stahel, qui était commandant de la ville de Varsovie ?
Non, je ne connais pas ce nom.
Vous ne le connaissez pas ? Bien. On va vous donner maintenant le document URSS-473 ; c’est la déposition de Rainer Stahel en date du 15 septembre 1941. J’en lirai seulement le premier paragraphe qui est souligné dans votre exemplaire :
« Goebbels et Fritzsche prirent toutes les mesures nécessaires pour rendre populaire parmi les Allemands leur théorie de la race et les convaincre du fait qu’ils étaient la race des seigneurs et que les autres qui n’étaient que des races inférieures devaient leur être soumises. Pour convaincre les Allemands de cela et les obliger à croire à cette théorie, le ministère de la Propagande dirigé par Goebbels et Fritzsche a pris, avant et pendant la guerre, une grande quantité de films et publié des livres, des brochures, des journaux et toute une littérature, dans lesquels les auteurs essayaient de montrer la supériorité des Allemands sur les autres’ nations. Il faut dire également qu’en raison de l’activité de Goebbels et Fritzsche, la théorie raciale a pris une place importante dans la conscience populaire allemande. Au cours de la guerre, les officiers et soldats allemands qui obéissaient aux enseignements des dirigeants de la propagande allemande se sont laissés aller à des actes inhumains contre les populations pacifiques. »
Dites-moi, est-ce que Rainer Stahel a bien défini votre rôle dans la propagande raciste ?
Non. J’ajoute cette constatation que le niveau de cette déclaration est encore plus bas que celui de l’autre, et je serais heureux que l’un de ceux dont la déclaration à été produite ici sous cette forme puisse faire son apparition à la barre afin de donner des preuves de ce qu’il avance.
Je suppose qu’au cours des six mois de ces débats vous avez suffisamment entendu de dépositions ici. Très bien, nous allons continuer.
Non, je dois faire remarquer que je n’ai entendu aucun témoignage sur le sujet que l’on vient d’aborder ici.
J’espère que vous vous souvenez de la déposition du témoin Höss sur l’exécution de millions de gens.
(Pas de réponse.)
Je répète : j’espère que vous vous souvenez de la déposition du témoin Höss, commandant du camp d’Auschwitz, sur l’exécution de millions de gens ?
Je n’ai nullement oublié sa déposition ; elle n’est pas sortie une minute de ma mémoire.
Très bien. Je ne fais que vous la rappeler ; je n’ai pas l’intention de vous interroger à ce sujet. Je passe maintenant à la question de la propagande à propos de la préparation de guerres d’agression. Pour ne pas allonger cet interrogatoire, je mentionnerai une partie de votre propre déposition du 12 septembre 1945, qui a déjà été présentée au Tribunal sous le numéro URSS-474. Voulez-vous regarder l’extrait n° 2 ; il est souligné.
Je proteste avant la lecture de cette citation comme j’ai protesté contre tous les procès-verbaux, sur la base de ce que j’ai dit il y a quelques heures sur les conditions dans lesquelles ces procès-verbaux ont été établis.
Vous avez déjà donné ces explications au Tribunal qui appréciera. Ce document a été déposé et j’en lis une partie. Je vous prie d’en suivre le texte. Voyez l’extrait n° 2. Je lis :
« Pour justifier cet acte d’agression, Goebbels a donné l’ordre de mener contre l’Autriche une campagne hostile ; en particulier, il m’a chargé de découvrir dans les archives de vieux documents qui puissent accuser d’une façon quelconque le Gouvernement autrichien et de les publier dans la presse. Ces documents devaient avant tout prouver que le peuple autrichien désirait se réunir au peuple allemand et que les Autrichiens qui s’orientaient vers l’Allemagne seraient persécutés par le Gouvernement autrichien. Goebbels déclara en outre que la presse allemande avait à montrer que les Allemands vivant en Autriche étaient systématiquement persécutés par le Gouvernement autrichien et que ce Gouvernement avait pris des mesures de représailles massives. »
Et plus loin :
« Lorsque l’Allemagne a occupé la Tchécoslovaquie, la Belgique, le Danemark, la Pologne, la Norvège, les régions balkaniques, j’ai, sur l’ordre de Goebbels, organisé de semblables campagnes de diffamation. »
Général Rudenko, il vaudrait certainement mieux demander à l’accusé si, pour chacun des paragraphes, il a effectivement prononcé ces paroles plutôt que de lui lire les documents d’une seule traite.
Monsieur le Président, il ne me reste plus qu’un alinéa à lire ; j’ai l’intention de le faire et ensuite de lui poser une question.
Je ne fais pas d’objections à cela. Je vous suggérais seulement de lire paragraphe après paragraphe et de ne pas lui poser toutes les questions à la fois.
Très bien, Monsieur le Président, je procéderai ainsi. Je vous demande, accusé Fritzsche, si vous reconnaissez le paragraphe que je viens de lire à propos de l’Anschluss ?
Non. Je dois souligner que ce n’est pas ce que j’ai déclaré ; ce paragraphe contient les idées que le magistrat instructeur russe s’est faites sur mes déclarations. Il les a exprimées lui-même et me les a présentées afin que j’y appose ma signature.
Un instant. Qu’est-ce que vous contestez ? Prenons le premier paragraphe.
Monsieur le Président, je conteste tout et notamment ces expressions dont je ne me suis jamais servi moi-même ; lors de mes interrogatoires à Moscou, j’ai fait exactement les mêmes déclarations que celles que j’ai faites ici avant-hier, hier et aujourd’hui, ou que j’ai rapportées dans mon affidavit.
Prenez le premier paragraphe qui vient de vous être lu : « Pour justifier cet acte d’agression... » Est-ce qu’on vous a posé une question à ce sujet ? Y avez-vous répondu ?
Oui, dans beaucoup d’interrogatoires qui se prolongèrent souvent tard dans la nuit, on m’a posé de semblables questions et j’ai répondu en résumé à ces questions de la façon suivante : lors de l’action en Autriche, j’ai été convoqué, sans pouvoir pour l’instant préciser la date, par le Dr Goebbels. Le Dr Goebbels me déclara que le Gouvernement autrichien de Schuschnigg avait fait certains projets qui ont été suffisamment discutés ici : une crise gouvernementale était survenue, Seyss-Inquart avait pris le gouvernement en mains, un appel au secours était venu d’Autriche, les troupes étaient prêtes à marcher.
Est-ce que vous nous dites maintenant ce que vous avez répondu au magistrat instructeur russe, ou bien ce qui s’est passé véritablement en Allemagne au moment de l’Anschluss ?
Je rapporte ce que j’ai dit à l’officier russe qui m’interrogeait, et c’est exactement ce qui s’est passé au ministère de la Propagande pendant la journée en question.
Donc, vous prétendez que ce premier paragraphe est une invention ?
Non, je ne voudrais pas me servir de l’expression « invention », et je demande la permission de pouvoir dire quels sont les éléments exacts de ce paragraphe. Le premier élément est la campagne hostile contre le Gouvernement Schuschnigg. Il est exact que la presse allemande a déclenché une telle campagne au moment de sa démission ou peu de temps avant, car je ne puis le préciser pour l’instant. Est exacte également la mention de ce paragraphe disant que les persécutions des éléments germanophiles sous le régime de Schuschnigg devraient être présentées comme des cas particuliers. Voilà les éléments exacts.
Ainsi donc, vous confirmez ce que je viens de citer ?
Non, non, Monsieur le Procureur. Il y a une grande différence.
A votre point de vue. Mais je pense que vous ne nierez pas que vous ayez mené une propagande contre le Gouvernement autrichien ? C’est le sens principal de cette question.
Je dois le nier aussi, car cette propagande, ce n’est pas moi qui l’ai faite mais mon prédécesseur au service de la presse allemande.
Par conséquent, si je vous ai bien compris, vous niez votre participation personnelle à cette propagande, mais en fait vous ne niez pas que cette propagande ait eu lieu ?
Vous m’avez bien compris si vous entendez par propagande dans ce cas une énumération de toutes les mesures du Gouvernement Schuschnigg dirigées contre les intérêts allemands.
Très bien. Je vais vous lire maintenant le paragraphe suivant :
« Lorsque l’Allemagne a occupé la Tchécoslovaquie, la Belgique, le Danemark, la Pologne, la Norvège, les régions balkaniques, j’ai, sur l’ordre de Goebbels, organisé de semblables campagnes de diffamation. Dans chaque cas, j’ai recherché quelques vieux documents d’archives susceptibles de compromettre le Gouvernement de ces pays vis-à-vis de l’Allemagne, et les ai remplacés par mes commentaires pour tenter de justifier la pression de l’Allemagne. »
Vous le contestez ?
Oui, sous cette forme-là également.
Vous n’allez tout de même pas nier qu’une propagande hostile a été entreprise contre tous ces pays énumérés dans vos déclarations ?
Je nie le dernier paragraphe. J’admets la propagande ; quant aux différentes actions et à ma participation à ces actions, je les ai décrites en détail dans mon affidavit PS-3469.
Je n’ai plus l’intention de vous poser de questions à ce sujet, du fait que la chose est suffisamment claire dans votre propre déclaration du 7 janvier 1946, dans le document PS-3469 qui, pour l’essentiel, n’est pas en contradiction avec vos déclarations verbales. Est-ce exact ?
Je vois une contradiction importante. Mais l’affidavit PS-3469 est parfaitement exact.
Très bien. Je veux, pour compléter cela, lire la déposition de Ferdinand Schörner ; c’est le document URSS-472, que j’ai soumis au Tribunal. Je veux parler de l’extrait n° 3. Schörner dit :
« L’activité politique de Fritzsche au poste de commentateur officiel de la radio du Gouvernement avait, de même que l’activité du commentateur militaire, le général Dittmar, comme principale fonction de préparer la guerre mondiale contre les peuples démocratiques de façon à contribuer à la victoire des armes allemandes. Dans son activité qui a duré de nombreuses années, Fritzsche a eu pour méthode principale de tromper le peuple allemand. Je parle de cela parce que nous, soldats, sentions d’une façon particulièrement nette cette duperie et, en écoutant les mensonges de Fritzsche, nous savions quelle était la situation exacte sur le front, nous connaissions la situation exacte. La faute de gens tels que Fritzsche réside dans le fait qu’ils connaissaient la situation exacte mais que, sans tenir compte de cela, à cause des intentions criminelles du Gouvernement hitlérien, mentaient sciemment au peuple ou, d’après le proverbe allemand, « lui jetaient de la poudre aux yeux ».
Dites-moi, accusé Fritzsche, si cette activité de la propagande allemande correspond à la réalité ?
C’est une stupidité complète et je puis, pour partie, en apporter la preuve. M. Schörner dit ici que l’activité du général Dittmar, commentateur militaire, avait déclenché des guerres d’agression. Le général Dittmar a parlé pour la première fois à la radio au cours de l’hiver 1942-1943. Voilà un point. Il en est un deuxième : je n’ai jamais vu M. Schörner, je ne le connais pas et ne lui ai pas parlé. Je serais étonné qu’il puisse juger si, sciemment ou inconsciemment, je disais des mensonges. Mais je dois ajouter que lors des derniers jours de Berlin, j’ai reçu indirectement par le secrétaire d’État, Dr Naumann, une information du Feldmarschall Schörner me demandant de l’utiliser. Il m’informait qu’il se trouvait en Bohême avec une armée intacte ; qu’il pouvait, s’il le voulait, tenir ce territoire pendant un laps de temps indéterminé ; qu’à Berlin, nous ne devions avoir que du courage et qu’il pourrait même venir à notre secours.
Je ne sais pas si Schörner s’est réellement exprimé ainsi, mais je crois qu’il serait tout de même utile de citer le Feldmarschall Schörner comme témoin, afin de lui demander sur quoi il basait son jugement.
Le fait que vous ne connaissez pas Ferdinand Schörner n’enlève rien à cette déclaration et vous avez vous-même affirmé ici, devant le Tribunal, que beaucoup de gens vous connaissaient en Allemagne comme le représentant officiel du Gouvernement. Vous ne pouviez pas connaître tout le monde, n’est-ce pas ?
Permettez-moi, Monsieur le Procureur, d’attirer votre attention sur un manque de logique : celui qui ne me connaissait pas pouvait très bien juger ce que je disais, mais il ne pouvait formuler un jugement sur le point de savoir si je parlais de bonne ou de mauvaise foi. Vous-même devez certainement connaître cette différence ?
Encore une fois, vous parlez de votre participation propre, mais vous ne nierez pas le caractère mensonger de cette propagande allemande ?
Je ne puis à nouveau répondre oui à cette formule. Monsieur le Procureur, ce matin je vous ai donné une base pour les questions que l’on me poserait, en essayant de contribuer à éclaircir ces faits historiques et à établir où commencerait l’idéalisme pur et les fausses hypothèses. Mais ces choses sont maintenant confondues.
Je ne vous pose pas ces questions sur la base de ce que vous m’avez dit, mais sur la base de documents qui sont à la disposition du Ministère Public.
Passons à autre chose. Je voudrais vous demander si vous connaissez les documents concernant l’action « Grün » menée contre la Tchécoslovaquie, les documents concernant l’agression contre la Pologne, l’agression contre la Yougoslavie, et la propagande menée dans ce sens ?
Les documents du « Grün », par exemple, j’en ai entendu parler pour la première fois ici ; mais si vous les mettez à nouveau en rapport avec les mesures de propagande, il m’est bien difficile de distinguer ces deux choses. Peut-être vous rendrai-je service en disant que ni dans le cas de la Tchécoslovaquie, ni dans le cas de la Pologne, ni dans aucun autre cas, je n’ai connu les attaques allemandes plus de deux heures avant que le public allemand n’en fût informé.
Vous dites : une heure ou une heure et demie ? Bien.
Je ne voudrais pas me fixer sur une heure ou une heure et demie, mais je me souviens que dans le cas de la Russie, j’en ai été informé cinq ou six heures avant par le Dr Goebbels.
Très bien. Nous allons vous donner maintenant le document URSS-493 ; c’est votre discours à la radio sur l’agression contre la Pologne, qui a été fait le 29 août, et qui a déjà été présenté pour expliquer la raison de l’agression allemande contre la Pologne. C’était le 29 août. Je n’ai pas l’intention de le lire, mais le sens en est le suivant : dès le 29, vous disiez qu’à un moment donné des événements inattendus surgiraient. Vous avez pris connaissance de ce document ?
Oui.
Vous ne contestez pas avoir fait ce discours le 29 août 1939 ?
Mais non, je ne le nie pas ; mais je voudrais indiquer...
Pardon. Répondez d’abord à ma question et vous aurez ensuite la possibilité de donner des explications. C’était bien le 29 août ? Vous ne le niez pas ? Est-ce que vous croyiez personnellement à cette époque à l’impossibilité d’éviter une guerre avec la Pologne ?
Je ne puis vous dire si, à cette époque, je croyais inévitablement à la guerre. Je puis constater une chose, c’est que je ne croyais pas à une faute de l’Allemagne si, dans cet état de tension, une guerre devait avoir lieu.
Cela suffit.
Je vous demande de pouvoir ajouter que...
Oui, mais soyez bref.
Général Rudenko, laissez répondre cet homme.
Je vous en prie.
A ce moment, ce fut une satisfaction toute particulière pour moi de constater dans les semaines suivantes, dans la presse soviétique, que l’Union Soviétique et son Gouvernement partageaient la conception allemande de la responsabilité de la guerre.
Je pense qu’en ce moment il ne vous est pas nécessaire d’en parler. Je ne vous ai rien demandé à ce sujet. Je vais passer à une autre question. Le 9 avril 1940, vous avez fait un discours pour donner les raisons d’une occupation éventuelle de la Norvège. Nous allons vous donner quelques extraits de ce discours. Monsieur le Président, ce document porte le numéro URSS-496. Vous l’avez entre les mains, accusé Fritzsche ? C’est l’extrait n° 4 de ce document.
Non, je ne l’ai pas encore... Oui, j’ai trouvé, page 4.
Très bien, c’est exact. Je vais donc lire un petit passage de l’extrait n° 4 :
« Le fait pour les soldats allemands d’être obligés de faire leur devoir parce que les Anglais avaient violé la neutralité norvégienne ne relevait pas des opérations de guerre, mais confinait à une action du temps de paix. Personne n’a été blessé, aucune maison n’a été détruite, la vie a suivi son cours de tous les jours. »
C’était un mensonge. Le reconnaissez-vous ou le contestez-vous ?
Non, ce n’était pas un mensonge...
Ce n’était pas un mensonge ?
... car j’étais justement moi-même en Norvège à ce moment-là et l’avais constaté de mes yeux. Tout s’éclairera si vous permettez que je lise la phrase suivante ; il y est dit...
Attendez... Vous la lirez plus tard.
Général Rudenko, laissez cet homme s’expliquer. Il faut qu’il lise la phrase suivante afin d’expliquer celle-là.
Je vous en prie.
La phrase suivante dit : « Même là où des troupes norvégiennes ont résisté, stimulées par l’ancien Gouvernement norvégien... la population civile n’a presque pas été touchée, car les Norvégiens combattaient à l’extérieur des villes et des villages, etc. »
Très bien. Je vais maintenant vous présenter un autre document qui est un rapport officiel du Gouvernement norvégien. Par erreur dans mon livre de documents’, ce rapport est mentionné sous le numéro URSS-78. C’est le document PS-1800, présenté par le Ministère Public français sous le numéro RF-72. Écoutez, accusé Fritzsche, avec quel respect de la vérité vous avez décrit la situation en Norvège ; écoutez ce qu’en dit le Gouvernement norvégien. Je cite :
« L’agression de l’Allemagne contre la Norvège, le 9 avril 1940, a entraîné la Norvège dans la guerre pour la première fois depuis cent vingt-six ans. Pendant deux mois, la guerre a sévi sur son territoire, amenant des destructions estimées à 250.000.000 de couronnes. Plus de 40.000 maisons ont été endommagées ou détruites. Plus de 1.000 civils tués. »
Voilà quelle fut la situation réelle. Est-ce que vous reconnaissez que votre discours du 2 mai 1940 était, comme d’habitude, pavé de mensonges ?
Non, je ne l’admets pas. Je constate, Monsieur le Procureur, que lors de la production de cet extrait, vous n’avez pas tenu compte que dans l’introduction je voulais décrire ce que j’avais vu ; il s’agissait d’un voyage dans la vallée du Gulbran, qui allait jusqu’à Atta, je m’en souviens maintenant. Il n’est donc nullement contradictoire avec ma description que, d’après les constatations du Gouvernement norvégien, ces dommages et ces pertes aient été causés lors de cette action.
Je pense que la population et le Gouvernement norvégien portent suffisamment en eux-mêmes de traces de l’occupation des troupes fascistes. Le rapport du Gouvernement norvégien indique ce qui s’est passé exactement ; cela ne correspond pas à ce que vous essayiez de démontrer par votre propagande. Mais ce document est versé conformément au paragraphe 21 du Statut et je ne veux pas discuter avec vous là-dessus. Le Tribunal en prendra connaissance.
J’ai encore quelques questions concernant le cas de l’Athenia, qui a déjà été mentionné ici. Je ne vous poserai pas de questions de détails. Tous ces faits ont été suffisamment établis. Je vous demande simplement si vous reconnaissez maintenant qu’usant de calomnies, la propagande fasciste a, d’une façon mensongère, informé l’opinion publique allemande à propos de l’Athenia ?
J’ignore si la propagande fasciste l’a fait en Italie. Mais la propagande nationale-socialiste l’a fait de bonne foi, comme je l’ai décrit en détail.
Voilà une heure que je parle de ces événements et de ce qui a été établi. Persistez-vous à considérer que ces discours n’étaient pas mensongers ?
Non, je l’ai déjà admis et j’ai clairement expliqué comment j’ai pu prononcer ces paroles.
Très bien. Dans cette question, ce qui m’intéresse, c’est votre rôle personnel. Pourquoi est-ce justement vous qui, d’une façon si active, vous êtes fait remarquer à ce sujet, et pourquoi avez-vous été le premier à répandre ces mensonges ?
Je ne crois pas avoir été le premier à diffuser cette affaire, mais le fait est que j’ai parlé très souvent de l’Athenia sur la base de rapports officiels auxquels je faisais foi. J’en parlais parce que j’étais celui qui, au début de la guerre, parlait le soir à la radio.
Vous prétendez que la première mention de l’affaire de l’Athenia a été faite dans le Völkischer Beobachter , en octobre 1939 ?
Je ne l’ai jamais prétendu.
Bien ; alors je vous rappelle que vous avez déjà parlé de l’Athenia en septembre 1939. Est-ce exact ?
Naturellement. La question de...
Vous en avez donc parlé avant l’article du Völkischer Beobachter
De nombreuses semaines avant.
Donc, c’est vous qui, le premier, avez commencé à répandre ce bruit mensonger ?
Non, je ne peux pas l’établir, mais...
Très bien ; toujours sur le même sujet, encore une question : vous ne nierez pas qu’en 1940 vous avez continué à répandre cette version ? Je répète la question : vous n’allez pas nier qu’en 1940 vous avez continué à propager cette version de l’affaire ?
II appartient à toute propagande de répéter de bonnes choses, des choses efficaces, autant de fois que possible. J’ai déjà déclaré que ce n’est qu’ici, en décembre 1945 seulement, que j’ai appris par le Grand-Amiral Raeder que c’était bien un sous-marin allemand qui avait coulé l’Athenia.
Très bien. Je passerai maintenant à un groupe de questions concernant votre participation à la direction de la propagande dans la préparation de l’agression contre l’Union Soviétique. Vous prétendez que vous n’avez pas du tout été au courant de la préparation de l’agression contre l’Union Soviétique jusqu’au 22 juin 1941 à 5 heures du matin, c’est-à-dire au moment où les troupes allemandes avaient déjà pénétré sur le territoire soviétique. Au même moment, vous avez été convoqué par Ribbentrop au ministère des Affaires étrangères pour une conférence de presse. J’ai bien compris votre déclaration ?
Non, déjà quelques heures auparavant, la veille au soir donc, le Dr Goebbels avait réuni quelques chefs de service du ministère dans sa maison à Wannsee, leur avait communiqué ce fait et défendu de le diffuser et de téléphoner. C’est là que j’ai eu la première fois connaissance de ce fait.
Bien. Vous confirmez de la même façon que les buts des opérations de l’Allemagne contre l’URSS ne vous ont été connus que grâce à votre observation personnelle en 1942 ? Est-ce exact ?
Je ne sais pas ce que vous voulez dire par là. Ce matin, j’ai essayé d’expliquer que j’avais un doute sur-la véracité de quelques motifs officiels allemands concernant cette agression, et ce doute m’est venu depuis que je suis prisonnier. En outre, lors d’un interrogatoire à Moscou, j’ai souligné le fait qu’en 1942 je me suis rendu compte, peut-être même déjà en 1941 après le déclenchement des hostilités avec l’URSS, qu’on avait dû faire des préparatifs de toutes sortes déjà avant le 22 juin.
Je vous rappellerai un paragraphe de votre déclaration. C’est un document que vous avez reconnu comme exact. C’est le document PS-3469. Je lis au paragraphe 42 :
« Au début de 1942, étant soldat sur le front de l’Est, j’ai vu que de grands préparatifs avaient été faits jusqu’en Crimée pour l’occupation et l’administration de ces territoires. Et mes propres observations m’ont amené à la conclusion que les plans de guerre contre l’Union Soviétique avaient été préparés très longtemps avant qu’elle n’éclatât. »
Votre déclaration est exacte, n’est-ce pas ?
Oui.
Je n’ai plus de question à poser sur ce sujet. Mais je voudrais vous rappeler encore deux documents liés à la propagande menée en relation avec la préparation de l’agression contre l’Union Soviétique. J’entends par là le procès-verbal d’une conférence qui a eu lieu chez Hitler le 16 juillet 1941. C’est le document L-221, Monsieur le Président ; il a déjà été présenté. On va vous donner ce document tout de suite. Je cite deux paragraphes à la première page :
« Maintenant, il importe de ne pas dévoiler nos buts au monde entier. Ce n’est d’ailleurs pas nécessaire. L’essentiel pour nous est de savoir ce que nous voulons. Il n’est pas nécessaire de compliquer notre but par des explications inutiles. Des explications de ce genre s’avèrent inutiles, car nous pouvons faire tout ce que nos forces nous permettent, et rien au delà. »
Et plus loin :
« Les mobiles de notre activité doivent être expliqués au monde par des raisons tactiques. Nous devons agir ici comme nous l’avons fait pour la Norvège, la Hollande, le Danemark et la Belgique. Nous n’avons alors rien révélé de nos intentions, et nous ne saurions agir plus tard d’une façon plus prudente. »
Connaissiez-vous ces directives de Hitler ?
Non, je n’ai pas connaissance d’une telle directive, mais le fait d’avoir révélé ces directives et ces instructions au cours de ces débats était la raison, comme je l’ai déjà dit, de reconnaître que certaines bases de notre propagande étaient ébranlées.
Bien. Vous ignoriez aussi les directives données par la propagande à propos du « Cas Barbarossa » par l’OKW et signées par Jodl ?
Je ne puis le dire ainsi. Si je pouvais les voir, je pourrais le confirmer. Le « Cas Barbarossa », comme tel, n’a rien voulu dire pour moi jusqu’au début de ce Procès.
Monsieur le Président, c’est le document C-26. Il a déjà été présenté au Tribunal et je veux me reporter uniquement à ce qui concerne la question de la propagande. C’est le document URSS-477 ou C-26. Je vous citerai, accusé, un seul passage où il est dit :
« Pour l’instant, il n’y a pas lieu de développer une propagande en vue d’un morcellement de l’Union Soviétique en États particuliers. La propagande allemande doit s’exercer dans les différentes parties du territoire de l’Union Soviétique qui emploient la langue la plus répandue. Mais cela ne doit pas conduire à conclure de cette diversité de textes de propagande que nous projetons de démembrer l’Union Soviétique. »
Connaissiez-vous cette instruction ?
Je ne connaissais ni le document ni le contenu de la directive que vous venez de lire.
Mais j’espère que vous ne nierez pas qu’il y a eu une propagande de ce genre menée en Union Soviétique ?
Non. Pour autant que je pouvais observer la propagande qui se faisait en Union Soviétique, elle avait une tendance contraire. Elle essayait d’inciter les nationalités à l’autonomie ; l’Ukraine, la Ruthénie blanche, les Pays baltes, etc.
Très bien. Maintenant, je voudrais vous demander si, lorsque vous avez rencontré Rosenberg pour la première fois, vous avez été informé par lui des tâches de la propagande allemande à l’Est ?
Je doute d’avoir, avant ce Procès, parlé à M. Rosenberg, mais je crois que je l’ai déjà rencontré au cours d’une manifestation mondaine, mais je n’ai jamais eu de toute ma vie la moindre conversation officielle de service avec lui.
Bien. On va vous donner maintenant le document PS-1039. C’est un document de Rosenberg sur le travail préparatoire concernant les problèmes dans les régions de l’Est occupées. Ce document a déjà été présenté à Rosenberg et il ne l’a pas nié ; au contraire, il en a confirmé l’exactitude. Je voudrais que vous regardiez la deuxième citation qui est soulignée. Je ne la lirai pas pour ne pas allonger les débats. Dans cet extrait, il y est dit :
« En plus de ces pourparlers dont il vient d’être question plus haut, j’ai reçu tous les représentants responsables de la propagande, à savoir le directeur du ministère Fritzsche, l’ambassadeur Schmidt, l’intendant de la radio Glasmeier, le Dr Grothe de l’OKW, et d’autres. Sans rentrer dans les détails de l’orientation politique, je les ai informés confidentiellement de la situation, leur demandant de veiller à toute la terminologie et au vocabulaire employé dans la presse à ce sujet. Mon service centralise tous les travaux entrepris depuis longtemps en vue de régler les questions de l’Est que j’ai remises aux représentants de la propagande. »
Est-ce que Rosenberg a expliqué avec exactitude ces événements de 1941 qui avaient précédé l’agression contre l’Union Soviétique ?
Non. Je ne me souviens pas avoir été reçu à un moment quelconque par Rosenberg. Je n’ai nullement, avant le 22 juin, reçu une information de Rosenberg ou d’un de ses collaborateurs au sujet de l’attaque projetée contre l’URSS. Par contre, et cela pourrait peut-être éclaircir cette affaire, je me souviens qu’un collaborateur de Rosenberg est venu à plusieurs reprises chez moi ou auprès de mon collaborateur. Je ne retrouve pas son nom pour l’instant ; c’était le chef de son groupe de presse il était auparavant rédacteur au Völkischer Beobachter ... Oui, c’est le major Kranz. Il est venu à plusieurs reprises chez moi ou chez mes collaborateurs, et a exprimé certains désirs de Rosenberg sur des questions de propagande dans la presse, mais certainement pas avant le 22 juin sur ces questions.
C’est-à-dire que ce que mentionne ce rapport de l’accusé Rosenberg à votre propos est mensonger ?
Mensonger serait trop dire dans ce cas. Il se peut que cet entretien dont il parle se rapporte à une époque ultérieure ; je ne puis en juger puisque je n’ai pas lu tout le document. En outre, il est possible que Rosenberg n’ait pas été très exact dans ce rapport au sujet de la réception des représentants responsables de toute la propagande.
Bien. A ce sujet, je voudrais vous poser deux questions. D’abord, je me réfère à une déclaration écrite de Hans Voss, qui constitue le document URSS-471. Il se trouve entre vos mains. C’est l’extrait n° 3. L’avez-vous trouvé ?
Oui, je l’ai.
Voici ce dont témoigne l’amiral Voss : « Après la défaite des troupes allemandes à Stalingrad et avec le début de l’offensive générale soviétique sur le front de l’Est, Goebbels et Fritzsche s’efforcèrent d’organiser la propagande allemande de façon à aider effectivement Hitler à maîtriser la situation sur le front. Cette propagande fut fondée sur l’espoir que les Allemands pourraient tenir aussi longtemps que possible. On essaya de chasser l’angoisse de la population allemande, tandis qu’on diffusait des nouvelles calomnieuses sur les atrocités commises par les soldats russes et sur les intentions de l’Union Soviétique d’anéantir le peuple allemand.
« Pendant la dernière période de la guerre, Goebbels et Fritzsche, par leur propagande, essayèrent de nouveau de rendre service à Hitler et d’organiser la résistance contre les troupes soviétiques. »
Est-ce exact ?
C’est non seulement inexact, mais c’est de la stupidité.
Vous vous êtes servi, à plusieurs reprises, de cette terminologie ; c’est encore votre profession qui se retrouve dans ce que vous dites. Bien. Je voudrais que vous vous reportiez à votre déclaration du 12 septembre 1945. C’est le document URSS-474, extrait n° 3. Avez-vous trouvé ce passage ? Je citerai vos explications à ce sujet.
Ce ne sont pas là toutes mes déclarations. Mais de quel passage voulez-vous parler, Monsieur le Procureur ?
Je veux dire l’extrait n° 3 qui a été souligné et qui commence par les mots : « Comme nous étions liés à l’Union Soviétique par un traité... »
Oui, j’ai trouvé.
Lisez avec moi, je vous prie :
« Comme nous étions liés à l’Union Soviétique par un traité, l’agression militaire contre l’Union Soviétique a été préparée par l’Allemagne en secret. C’est pourquoi aucun travail de propagande n’a été fait pendant cette préparation de la guerre contre l’Union Soviétique. Une campagne anti-soviétique active faite par les organes de propagande allemands commença seulement après le début des hostilités sûr le front de l’Est. Dans le cas présent, il y a lieu d’indiquer que la tâche principale qui a été présentée par Goebbels à tout l’appareil de propagande, revenait au fait qu’il fallait justifier l’agression de l’Allemagne contre l’Union Soviétique.
« En tant que chef de la presse allemande et de la radiodiffusion, j’ai organisé une campagne anti-soviétique sur une grande échelle de façon à convaincre la population allemande que c’était l’Union Soviétique qui était responsable et non l’Allemagne. Il faut mentionner que nous n’avions pas de documents susceptibles de faire porter par l’Union Soviétique la responsabilité d’une attaque armée contre l’Allemagne. Dans mes discours radiodiffusés, j’ai fait tout mon possible pour effrayer les populations de l’Europe et leur démontrer les horreurs du bolchevisme, et pour leur déclarer que seule l’Allemagne fasciste était une digue pour les pays européens contre la ploutocratie anglo-américaine et contre l’impérialisme rouge. »
Le reconnaissez-vous ?
II y a en effet là quelques déclarations réelles que j’ai faites, mais elles ont été encore une fois déformées ; et, si je le puis, je citerai les bases réelles de ce que vous venez d’exposer. Je serai bref. Il est exact que j’ai déclaré à Moscou que la guerre contre l’Union Soviétique n’avait pas comporté de travail préparatoire de propagande parce que cette guerre est survenue à l’improviste. En outre, il est exact qu’après l’attaque contre l’URSS il était du devoir principal de la propagande allemande de justifier la nécessité de cette attaque, de souligner toujours et encore que nous n’avions fait que prévenir une attaque soviétique. De plus, il est exact que j’ai dit que la tâche suivante de la propagande consistait — et c’était presque la même chose — à exposer que ce n’était pas l’Allemagne mais la Russie qui était responsable de cette guerre. Malheureusement, on a omis dans le procès-verbal l’argument le plus important que je citais : la constatation que moi-même, et avec moi des millions d’Allemands, croyaient les indications officielles du Gouvernement allemand parce qu’il nous eût paru stupide et fou, lors d’une guerre à l’Ouest qui n’était pas encore terminée, que quelqu’un déclenchât de façon volontaire une guerre à l’Est. Et je continue : il est également exact que les documents du Livre Blanc que le ministère des Affaires étrangères a fait paraître étaient relativement rares. Il est également exact que la propagande allemande voulait inspirer à l’Europe la peur du bolchevisme et, finalement, il est exact que la propagande allemande soulignait toujours que l’Allemagne était la seule puissance capable d’endiguer la révolution mondiale soviétique.
Très bien. Maintenant, je voudrais que vous vous reportiez à l’extrait n° 4 de ce même document qui se trouve entre vos mains. Cet extrait concerne la propagande entreprise pour maintenir dans la population allemande la volonté de résister malgré l’évidence de la défaite allemande. Je voudrais vous lire ce passage n° 4 du document URSS-474 :
« Au début de 1943, j’ai essayé de confirmer à la radio que l’Allemagne disposait d’un armement tel que nos adversaires s’effondreraient devant lui. De plus, j’ai essayé d’inventer des données fictives sur les possibilités de l’armement d’après les chiffres que me donnait le ministre de l’Armement du Reich, Speer. »
Est-ce exact ?
Une partie est fausse ; l’autre partie, qui est exacte, est faussement exprimée. Pour commencer par la dernière, il est exact que des indications du ministère de l’Armement me parvenaient et me laissaient espérer le progrès. C’étaient, par exemple, des chiffres sur la production mensuelle d’avions, des chiffres sur la production d’avions de chasse particulièrement efficaces. Mais entre temps j’ai dû constater, en interrogeant Speer lui-même, que les chiffres que j’avais reçus étaient tous exacts, mais que les avions étaient ou bien mal employés — par exemple ils étaient employés pour l’offensive des Ardennes au lieu de servir à la protection de la patrie — ou bien qu’on ne pouvait les utiliser en raison du manque d’essence. La première moitié...
Vous rentrez trop dans les détails, accusé Fritzsche. Vous nous donnez des détails qui ont déjà été éclaircis et qui n’ont aucun rapport avec vous-même. Je voudrais vous présenter la déposition de l’accusé Speer qui a été interrogé par le Ministère Public soviétique le 14 novembre 1945. Je présente ce document sous le numéro URSS-492. Je voudrais lire seulement le passage de ce document qui concerne la conduite de la propagande pendant cette période. Je lis :
« En septembre 1944, j’ai écrit .une lettre au Dr Goebbels ». Puis je saute quelques lignes et je trouve : « Dans cette lettre, je prévenais Goebbels qu’il menait une propagande fausse sur le nouvel armement et, de ce fait, réveillait des espoirs inutiles parmi la population allemande. C’était une propagande secrète qui était menée par le Dr Goebbels dans le but de donner à la population allemande l’espoir d’une fin victorieuse de la guerre. »
Est-ce que cela correspond aux faits ?
En partie seulement. Il est exact que le Dr Goebbels a, en personne, fait de la propagande pendant plus d’une année avant l’emploi des premières armes V. D’un autre côté, Speer, lors de son interrogatoire, a déclaré ici qu’il connaissait maintenant la source réelle de la propagande en faveur des armes miraculeuses, c’est-à-dire le Standartenführer Schwarz van Berg. Le Dr Goebbels, pendant les derniers mois de l’année 1944, a essayé de limiter cette propagande en faveur des armes miraculeuses, qu’il avait lui-même lancée.
Maintenant, je voudrais vous rappeler votre rôle personnel dans la propagande qui a été menée en faveur de ces nouvelles armes afin d’agir d’une façon active contre les troupes alliées et de convaincre l’opinion allemande de la valeur de ces armes. Je voudrais vous présenter le document URSS-496. C’est votre discours à la radio du 1er juillet 1944.
En aurez-vous bientôt terminé ou vaut-il mieux suspendre l’audience maintenant ?
Je pense, Monsieur le Président, qu’il serait préférable de suspendre. J’ai besoin encore d’une demi-heure environ.
On vous a montré l’extrait n° 6 du document URSS-496. C’est votre discours du 1er juillet 1944. Je lis :
« Nous autres, Allemands, nous nous exprimons d’une façon très réservée sur l’effet des armes nouvelles. Nous savons que tôt ou tard la Grande-Bretagne rompra le silence par lequel elle voulait couvrir au début les résultats obtenus par les V-l. Nous avions raison. Les rapports reçus d’Angleterre au cours des derniers jours et surtout aujourd’hui prouvent que les effets de ces premières armes nouvelles ne sont que trop visibles. Il est d’ailleurs absolument déplacé que la Grande-Bretagne se plaigne d’une vague de haine qui déferlerait d’Allemagne contre les Iles Britanniques. A la cinquième année de la guerre, il est absolument inutile de parler de sentiments, quoique l’on puisse dire beaucoup à ce sujet. »
Vous reconnaissez, accusé Fritzsche, que par une telle propagande vous trompiez le peuple allemand en l’incitant à une résistance absolument inutile et sans raison ?
Au contraire ; dans ce cas, j’ai été beaucoup plus réservé et beaucoup plus réticent au sujet des résultats de l’utilisation de V-l que la presse allemande. D’ailleurs, la phrase qui suit immédiatement celle que vous avez citée dit ceci :
« Nous ne pouvons que répéter que le V-l est pour nous un moyen de briser la terreur ennemie ».
Maintenant, je veux vous rappeler, accusé, les déclarations que vous avez faites le 12 septembre 1945 au sujet de l’activité de l’organisation du « Werwolf ». C’est la pièce URSS-474, extrait n° 5. L’avez-vous trouvée ?
Oui, je l’ai trouvée.
Je vais le lire :
« A la fin de février 1945, le secrétaire d’État au ministère de la Propagande, le Dr Naumann, m’a soumis les instructions de Goebbels tendant à élaborer le plan de l’organisation d’un centre secret d’émission. A une question de savoir quelle était l’utilité de ce centre d’émission, Naumann a répondu que le Gouvernement allemand avait pris la décision de diriger dans l’illégalité les membres de la NSDAP et de former une organisation clandestine sous le nom de « Werwolf ». Naumann m’expliqua enfin que ce centre de radio que j’aurais à créer permettrait de diriger tous les groupes illégaux du Werwolf. »
Comme on le voit par vos déclarations, vous vous opposiez à la création d’un tel centre. Vous en avez parlé avec Goebbels. Mais ce centre d’émission fut néanmoins créé, et sa direction confiée à l’ancien directeur du service de la propagande du Reich, Schlesinger. Est-ce exact ?
Non, On confond deux choses ici. D’abord, le plan qui décrit dans l’alinéa que vous avez lu la création d’un émetteur du Werwolf prévoyait un émetteur mobile, mais cet émetteur n’a pas été créé. Par contre, et d’ailleurs en mon absence, le 1er avril 1945, sur instruction directe du Dr Goebbels, l’ancien émetteur national allemand est devenu un émetteur du Werwolf.
Je vais vous présenter, afin de ne pas discuter avec vous sur ce sujet, votre propre déclaration du 7 avril 1945. C’est le même document URSS-496, extrait n° 7. Avez-vous trouvé le passage ?
Oui.
Vous disiez alors à la radio :
« Cependant, grâce à sa suprématie en hommes et en matériel, l’ennemi a réussi à pénétrer de plus en plus profondément sur le territoire allemand, et actuellement il s’efforce de réaliser contre nous son programme d’anéantissement. »
Puis, un peu plus loin :
« Personne ne doit s’étonner si la soif des cœurs pour la vengeance ne demande pas de longue interruption. Elle s’élève comme une grande flamme et passe à l’action. Que personne ne s’étonne si, dans certains endroits déjà occupés, la population civile prend part à la lutte ou bien si, une fois l’occupation accomplie, la lutte est poursuivie par des personnes en civil, si, sans organisation, sans préparation et par le seul instinct de la conservation, s’est produit ce phénomène que nous nommons aujourd’hui le « Werwolf ». »
Que dites-vous maintenant ?
Bien que cette citation, elle aussi, soit arrachée de son contexte, je la reconnais parfaitement. Malheureusement, il y manque un passage où je parlais du Droit et où je disais :
« Le Droit est une chose très délicate. Il est ancré dans la tradition et dans la conscience morale. Actuellement il y a... »
Pardonnez-moi de vous interrompre. Je ne vous demande pas tant de détails. Je ne voulais établir qu’un seul fait, c’est celui que vous-expliquiez non seulement l’organisation du Werwolf, mais que vous appeliez les gens à en faire partie. Est-ce exact ?
C’est entièrement faux. Il ne s’agit pas là d’une propagande en faveur du Werwolf, mais simplement d’une justification pour des cas de Werwolf.
Bien, laissons cette question. Je veux maintenant vous demander si vous savez qui dirigeait l’organisation du Werwolf ?
On a déjà dit ici que c’était Bormann au sommet, mais il avait encore sous ses ordres un chef supérieur des SS dont je n’ai pas réussi à retrouver le nom au cours des interrogatoires que j’ai subis à Moscou. Mais j’ai connu un de ses collaborateurs, Gunter d’Alquen.
Bien. Avant de vous poser quelques dernières questions, je veux vous demander si, en fait, Rosenberg et Streicher n’avaient pas une plus grande influence sur la propagande allemande ?
Leur influence était particulièrement minime. La propagande officielle allemande n’était pas influencée du tout par Streicher, et quant à Rosenberg, cette influence était à peine perceptible.
Bien. J’ai quelques dernières questions à vous poser. Vous avez déclaré ici au Tribunal que, si vous aviez connu les ordres d’assassiner de Hitler, vous ne vous seriez pas rangé à ses côtés. Est-ce exact ?
Vous m’avez parfaitement bien compris.
Autrement dit, je dois comprendre que vous auriez, dans ce cas-là, agi contre Hitler ?
II est difficile de dire ce que j’aurais fait alors. C’est naturellement là une question à laquelle j’ai réfléchi souvent depuis.
Je vais vous demander autre chose : au début de 1942, comme vous l’avez déclaré au Tribunal, vous aviez reçu des informations selon lesquelles, en Ukraine occupée par les Allemands, se préparait dans une région une extermination des Juifs et des intellectuels ukrainiens, et seulement parce que c’étaient des Juifs et des intellectuels ukrainiens. Vous l’aviez appris, n’est-ce pas ? Vous en avez parlé, n’est-ce pas ?
C’est exact.
C’était au début ; en mai 1942, vous faisiez partie de la 6e armée. Dans cette 6e armée, vous aviez appris l’existence de l’ordre relatif au massacre des commissaires soviétiques, n’est-ce pas ?
Oui.
Vous pensiez que cet ordre sanglant ne devait pas être appliqué, n’est-ce pas ?
C’est exact.
Vous saviez que cet ordre émanait de Hitler ?
Oui, je pouvais me l’imaginer.
Donc, vous connaissiez en 1942 l’existence d’ordres de Hitler relatifs à des massacres, mais néanmoins vous marchiez à ses côtés ?
Vous comparez deux choses que l’on ne peut pas comparer, Monsieur le représentant du Ministère Public ; il y a une grande différence entre la question de savoir si les commissaires ne doivent pas être traités comme des prisonniers de guerre, ou si je donne l’ordre de tuer 5.000.000 de Juifs.
Cela signifie que vous considériez cet ordre comme possible et admissible, dans les conditions de la conduite de la guerre par l’Armée allemande. Je vous comprends bien ? C’est ainsi, si vous n’avez pas agi contre Hitler ?
Non, je considérais cet ordre comme une chose impossible et c’est la raison pour laquelle j’ai agi très activement contre lui. Mon attitude n’a pas été passive comme celle de tant d’autres.
Mais vous continuiez toujours à appuyer Hitler ?
Oui.
Une dernière question : dites-moi si, au cours de la guerre, vous avez eu l’occasion de faire connaissance avec les questions relatives à la guerre biologique ?
Jamais.
Vous connaissez le nom du commandant von Passavant ?
Ce nom m’est connu.
Il était le représentant de l’OKW au ministère de la Propagande, n’est-ce pas ?
Ce n’est pas exactement cela. Il était spécialiste de la radiodiffusion dans le cadre du service de propagande de l’OKW.
Maintenant, on va vous soumettre une copie de votre lettre du 19 octobre 1944, document URSS-484, sur laquelle figure votre signature ; elle est adressée au commandant von Passavant, de l’OKW. Je lis ce document qui est très court :
« Au commandant von Passavant, directeur de la radiodiffusion à l’OKW : Un auditeur, Gustav Otto, directeur d’une entreprise de Reichenberg, me fait parvenir ici un projet en vue d’une guerre biologique. Je vous le transmets, en vous demandant de le faire suivre à l’autorité compétente. Heil Hitler ! Fritzsche »
Vous vous souvenez de ce document ?
Non, naturellement je ne me souviens pas de ce document ; mais je déclare qu’il est indubitable que ce document est authentique.
Je vous pose la dernière question : ainsi, vous ; étiez favorable à la préparation et à l’exécution d’une guerre biologique de la part de l’Allemagne ? C’est bien cela ? Je n’ai plus de question à poser, Monsieur le Président.
Il me faut encore donner une réponse à la dernière question. Je précise que je n’étais nullement en faveur d’une guerre biologique, mais que la situation était telle que, chaque jour, je recevais des piles de plus en plus imposantes de lettres d’auditeurs que je devais transmettre aux services compétents. On ne me remettait que les lettres d’envoi rédigées en deux ou trois lignes, mais je ne prenais jamais connaissance des lettres elles-mêmes.
Docteur Fritz, voulez-vous procéder à un nouvel interrogatoire ?
Monsieur Fritzsche, au cours de l’interrogatoire contradictoire auquel a procédé M. le général Rudenko, on vous a reproché votre allocution radiodiffusée du 2 mai 1940 dans laquelle vous parlez de votre voyage en Norvège. Pouvez-vous dire exactement quand vous avez fait ce voyage ?
Je ne peux pas indiquer exactement la date, mais si je ne me trompe, c’était à la fin du mois d’avril.
On vous a présenté, lors de cet interrogatoire, un rapport officiel du Gouvernement norvégien sur les dommages de guerre, après l’occupation de la Norvège par l’Allemagne. On a dit ici que les combats qui ont causé ces dommages n’ont pu avoir lieu qu’après la fin de votre voyage. Est-ce exact ?
C’est parfaitement possible, mais je voudrais expliquer quelque chose : dans l’extrait qui a été lu par le représentant du Ministère Public russe, sans qu’il eût indiqué le début du texte, j’ai décrit exactement ce que j’ai vu dans des localités parfaitement désignées telles que Lillehammer et Godenthal. Ce sont quelques noms qui me reviennent en mémoire. Or, si l’on compare maintenant ces indications avec les indications données par le Gouvernement norvégien sur l’ensemble des dommages, cela revient à essayer de mesurer un liquide avec un mètre, ou inversement.
Une autre question encore : votre voyage a eu lieu avant ou après le débarquement britannique en Norvège ?
J’ai pu observer encore un combat avec des troupes britanniques, et si je ne me trompe, c’était au sud de la localité d’Ottar, dans le Buldrenthal.
Monsieur le Président, au cours de l’interrogatoire, le général Rudenko a présenté trois procès-verbaux d’interrogatoires : l’interrogatoire de Voss (URSS-471) ; l’interrogatoire de Schörner (URSS-472), et celui .de Stahel (URSS-473). Entre temps, j’ai pu examiner ces trois procès-verbaux et je prie le Tribunal de bien vouloir, lui aussi, les comparer. J’ai constaté que dans ces trois déclarations qui émanent de trois personnes différentes, une partie des réponses concordent textuellement. C’est ainsi par exemple...
Ce n’est pas au témoin qu’il faut poser ces questions. Vous nous présentez un argument nouveau qui doit être traité plus tard.
Oui, mais je voulais simplement présenter une requête, Monsieur le Président. Si ces trois procès-verbaux devaient être pris en considération dans vos délibérations, je demande qu’on veuille bien mettre à ma disposition au moins un de ces témoins, en vue d’un contre-interrogatoire.
Voulez-vous voir ces affidavits, ou voulez-vous que nous les examinions ou désirez-vous que les personnes qui ont fait ces dépositions sous serment soient citées ici comme témoin ? Que voulez-vous dire ?
C’est la dernière des deux possibilités, Monsieur le Président, que je voudrais me réserver. Je voudrais demander qu’on les fasse venir tous les trois.
Quant à moi, tout ce que je peux demander, c’est qu’on les fasse venir tous les trois.
Le Tribunal examinera votre requête.
Par ailleurs, je renonce à tout autre contre-interrogatoire.
Une question, accusé. Vous avez parlé de l’ordre des commissaires, et vous en avez parlé comme s’il s’agissait d’un ordre de ne pas considérer les commissaires comme des prisonniers de guerre. L’ordre ne contenait pas cela, n’est-ce pas ? Il stipulait de les tuer.
L’ordre dont j’ai pu prendre connaissance dans la 6e armée stipulait de fusiller les commissaires qui étaient faits prisonniers.
Oui, et c’est tout à fait différent du fait de ne pas les traiter en prisonniers de guerre. Vous avez répondu que vous supposiez que cet ordre des commissaires émanait de Hitler. C’est tout à fait différent de l’ordre prévoyant de ne pas traiter les commissaires comme des prisonniers de guerre ordinaires, ou de massacrer 5.000.000 de Juifs. On ne peut comparer les deux, n’est-ce pas ?
Je reconnais, dans ce cas, que l’expression dont je me suis servi dans la question des commissaires n’était pas correcte.
Une autre chose encore : le 23 octobre 1939, une fausse déclaration a été publiée dans les journaux allemands à propos de l’Athenia. C’est exact, n’est-ce pas ?
En octobre 1939 ? Pendant toute la durée des mois de septembre et d’octobre 1939, on a publié sur l’Athenia des indications inexactes aussi bien dans la presse allemande qu’à la radio allemande.
Oui, mais le 23 octobre 1939 a paru dans un journal allemand une déclaration particulièrement fausse selon laquelle l’Athenia avait été coulé sur l’ordre de Winston Churchill. Vous en avez entendu parler ?
Oui.
Et vous avez continué pendant quelque temps à parler à la radiodiffusion de cette supputation, n’est-ce pas ?
Évidemment, parce qu’à ce moment-là je supposais encore que c’était vrai...
C’est ce que je voulais vous demander. Vous aviez un officier de liaison de la Marine dans votre service, n’est-ce pas ?
Oui.
Quelles recherches avez-vous fait entreprendre ?
Cet officier de Marine n’était pas véritablement un officier de liaison de Haut Commandement de la Marine de guerre ; il était officier de censure pour l’ensemble de la Wehrmacht. Malgré cela, j’ai naturellement fait appel à ses services dans les questions touchant la Marine, et c’est lui que j’ai chargé à plusieurs reprises, ou que j’ai prié de s’informer de l’état de l’enquête sur l’Athenia, auprès du Haut Commandement de la Marine. Mais la réponse restait toujours la même : il n’y avait pas de sous-marin allemand à proximité de l’endroit de la catastrophe.
Vous prétendez que cet officier de liaison de la Marine de guerre vous a dit cela après le 23 octobre 1939 ?
Oui.
Et il a continué ultérieurement à vous donner la même version ?
Oui.
J’en ai terminé. Vous pouvez reprendre votre place au banc des accusés. Avec l’autorisation du Tribunal, j’appelle le témoin M. von Schirmeister. (Le témoin gagne la barre.)
Voulez-vous nous dire votre nom ?
Moritz von Schirmeister.
Voulez-vous répéter ce serment après moi :
« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Monsieur le témoin, avant le début de votre interrogatoire,, j’aimerais vous prier, dans toutes vos réponses, d’être aussi bref que possible. Voulez-vous, je vous prie, donner tout d’abord de très brèves indications biographiques pour que le Tribunal sache à qui il a affaire ?
J’appartiens à une famille d’officiers et de fonctionnaires ; après trois semestres d’études théologiques, j’ai été employé de banque pendant dix ans, dont cinq en Amérique du Sud. Puis, j’ai été rédacteur jusqu’au moment où j’ai été appelé à Berlin. Le 1er octobre 1931, je suis entré dans le Parti, j’ai été SS-Hauptsturmführer dans l’Allgemeine SS ; pendant la guerre, j’ai été mobilisé à quatre reprises. En dernier lieu, depuis le 31 juillet 1944 ; j’ai été capturé par les forces britanniques le 22 septembre 1944 ; depuis ce moment, je suis en Angleterre.
Lorsqu’il y a quelques jours je discutais avec vous le thème de votre interrogatoire, vous m’avez déclaré que l’attitude positive à l’égard du national-socialisme que vous avez eue autrefois ne vous empêchait nullement de faire une déclaration conforme à la vérité, est-ce exact ?
Je vous ai déjà dit que j’ai cru à cette idée, que je lui ai tout sacrifié, que j’ai, de ce fait, tout perdu aussi. Ce fut pour moi une chose très amère, mais je sais aujourd’hui que j’ai servi une cause qui n’était pas bonne. Je m’en suis complètement dégagé. Dans le camp où je suis en Angleterre, j’ai pu participer à la rééducation de mes camarades ; c’est là que j’ai eu l’autorisation de publier le journal du camp, et si je le pouvais, je participerais à la reconstruction d’une Allemagne démocratique.
Quand avez-vous fait la connaissance de l’accusé Fritzsche ?
Le 1er juillet 1938.
Qui étiez-vous à ce moment-là, et quelle était la fonction à laquelle vous deviez être appelé ?
J’étais rédacteur en chef à Braunschweig, et j’étais appelé au ministère de la Propagande pour devenir l’attaché de presse personnel du Dr Goebbels.
Et quelle est la fonction que vous avez effectivement occupée au ministère de la Propagande ?
Jusqu’au 1er juillet 1943, je suis resté l’attaché de presse personnel du Dr Goebbels, puis j’ai été attaché au secrétaire d’État le Dr Gutterer, jusqu’au 1er avril 1944. Je suis allé avec lui pendant trois mois encore à l’UFI, l’organisation mère de toutes les sociétés cinématographiques. Le 31 juillet 1944, je suis parti pour le front.
Vous étiez donc journellement avec le Dr Goebbels ?
Depuis le début de la guerre. Je me permettrai de décrire rapidement ce qui constituait l’essentiel de mon activité.
Faites-le très brièvement.
Pendant la guerre, j’étais chargé d’examiner tout le matériel qui nous provenait de la presse et de l’écoute des émetteurs étrangers. Je devais en fournir immédiatement des extraits au Dr Goebbels. Ces extraits constituaient, pour le Dr Goebbels, la base de ses directives touchant la propagande. C’est lui, qui donnait ses directives chaque matin. L’après-midi et le soir, je transmettais ces instructions aux différents services de la presse et de la radio, par téléphone, et c’est la raison pour laquelle, pendant la guerre, dans la mesure où ce n’étaient pas mes représentants qui le faisaient, je me trouvais dans l’appartement du Dr Goebbels, je prenais mes repas avec lui, passais la nuit dans sa résidence l’accompagnais au cours de ses voyages, etc.
Quelles étaient les fonctions de Fritzsche à ce moment-là ?
M. Fritzsche, à ce moment-là, était le représentant du chef du service de la presse du Reich.
Voulez-vous, je vous prie, décrire les fonctions de Fritzsche au ministère de la Propagande pour la période ultérieure, mais faites-le brièvement.
Je devais faire un stage dans le service de la presse du Reich. La situation dans ce service était très mauvaise. Le directeur, M. Berndt, avait une politique de brutalité. Il criait à tort et à travers, commandait, congédiait sans relâche les rédacteurs qui se trouvaient dans ce service. Les personnes qui y travaillaient n’étaient pas, en généra], à la hauteur de leur tâche ; la seule personne qui représentât une véritable valeur dans ce service a toujours été M. Fritzsche. Il était le seul spécialiste qui connût les difficultés et les besoins de la presse. D’une part, il avait à réparer la casse que faisait constamment M. Berndt et, d’un autre côté, il essayait dans le cadre de l’organisation de remplacer les mauvais rédacteurs par un personnel qui fût meilleur.
On peut donc dire que Fritzsche n’était pas venu dans ce ministère parce qu’il était envoyé par le Parti mais qu’il y était venu en tant que spécialiste ?
Il n’y est venu qu’en tant que spécialiste. Les membres du Parti de tendance extrémiste n’estimaient pas M. Fritzsche. Mais il est toujours demeuré par la suite le bon esprit de la presse.
Est-ce que Fritzsche, à ce moment-là, faisait partie des collaborateurs du ministère qui étaient reçus régulièrement par Goebbels pour les conférences ?
De telles conférences régulières n’avaient pas encore lieu à ce moment-là. En tout cas, M. Fritzsche n’en faisait pas partie.
On ne l’a fait venir à ces conférences que lorsqu’il est devenu chef de service ?
Oui, dans la mesure où ces conférences avaient déjà lieu à ce moment-là ; mais, en fait, cela n’a eu lieu qu’à partir du début de la guerre.
De quelle manière le Dr Goebbels avait-il l’habitude de s’entretenir avec ses collaborateurs ?
Depuis le commencement de la guerre, il y avait quotidiennement une conférence à 11 heures le matin, que le Dr Goebbels dirigeait lui-même, et au cours de laquelle il donnait toutes les instructions nécessaires en matière de propagande.
Combien y avait-il de participants à ces conférences de 11 heures du matin ?
Dans les premiers temps, c’est-à-dire jusqu’au début de la campagne de Russie, il y avait environ vingt personnes ; plus tard, ce cercle s’est étendu à environ cinquante personnes.
Est-ce qu’on discutait au cours de ces conférences ? Ou bien ces conférences consistaient-elles plutôt à distribuer des ordres ?
On n’a jamais discuté au cours de ces conférences. Tout d’abord, c’était l’officier de liaison de l’OKW qui donnait un aperçu sur la situation militaire ; le Dr Goebbels donnait alors ses instructions pour la propagande, tout particulièrement en ce qui concernait la presse, la radio, les actualités cinématographiques.
Qui dirigeait ces conférences en cas d’absence du Dr Goebbels ?
Normalement, c’était alors le secrétaire d’État.
Qui les dirigeait en l’absence de ce secrétaire d’État lui-même ?
Le plus souvent, c’était Fritzsche, mais parfois aussi le chef du service de la presse étrangère, ou bien du service étranger, mais le plus souvent c’était M. Fritzsche.
Est-ce que, dans ce cas, M. Fritzsche donnait des instructions journalières pour la propagande de sa propre initiative ? Que se passait-il ?
Non, lorsque le ministre n’était pas à Berlin, il demandait à être mis au courant de toutes les informations de la presse étrangère qui nous parvenaient. Il me donnait alors, ou à l’un de mes représentants, des instructions, tout comme il le faisait d’habitude au cours des conférences. Je devais transmettre ces instructions par téléphone. A Berlin, ces instructions étaient enregistrées par des sténographes et lues textuellement au cours des conférences comme instructions du ministre. D’ailleurs, cela doit ressortir des procès-verbaux. Il était toujours expressement stipulé qu’il s’agissait d’instructions du ministre.
Lorsque Fritzsche transmettait ces instructions écrites qui provenaient de Goebbels, essayait-il d’éclaircir des problèmes, qui n’étaient pas traités par Goebbels, en les faisant discuter ?
Lorsque Goebbels s’absentait de Berlin, il arrivait que les dernières informations ne lui parvenaient point. Dans ce cas, M. Fritzsche faisait discuter ces choses, il faisait peser le pour et le contre et donnait alors des instructions de sa propre initiative. Elles étaient fixées par écrit, le ministre les lisait lorsqu’il revenait ; il les approuvait alors ou les modifiait.
Mais il n’y avait pas seulement ces grandes conférences qui groupaient trente, quarante ou cinquante personnes au cours desquelles Goebbels donnait ses instructions ? Il y avait sans doute aussi des réunions plus intimes ?
Au cours de la matinée, les chefs de service venaient naturellement conférer avec le ministre sur des questions de service.
Est-ce qu’on faisait participer Fritzsche à ces entretiens d’un caractère plus intime ?
Généralement non. Le ministre profitait de ces conférences où étaient représentés tous les services pour résumer tout ce qu’il avait à dire sur la presse, les actualités et la radio. Les réunions où l’on discutait certains détails ne groupaient que les chefs de service qui ne s’intéressaient pas aux questions générales.
Quelle était la fréquence à laquelle on faisait appel à Fritzsche, par rapport au secrétaire d’État Hahnke, à Gutterer ou enfin au Dr Naumann ?
Les secrétaires d’État pouvaient toujours participer aux entretiens de caractère privé, et de même ceux qui étaient chargés de certains services et qui étaient présents en permanence. Quant à M. Fritzsche, il n’a assisté que très rarement à ces entretiens à caractère plus intime.
Quelles étaient les fonctions des douze chefs de service du ministère de la Propagande dont l’un était l’accusé Fritzsche ?
On pouvait répartir ces différents chefs de service de la manière suivante : il y avait, d’une part, les spécialistes, comme par exemple le directeur de la comptabilité, le Dr OU et, d’autre part, il y avait les membres du Parti, comme par exemple M. Berndt ; en ce qui concerne les questions de service, ils n’avaient pas grand-chose à dire. Ils n’avaient pas, en général, le pouvoir d’un chef de service dans un ministère. Il était généralement connu que le ministre se servait d’eux comme d’un instrument. Quand il n’avait plus besoin d’eux, il les renvoyait. Il n’en était pas seulement ainsi avec les chefs de service ; mais je rappellerai ici de quelle manière indigne il a chassé son secrétaire d’État Gutterer lorsqu’il en a eu assez de lui.
Le Ministère Public reproche à Fritzsche d’avoir, dans les agences d’information, et également en se servant de la radio, forgé un instrument qui a joué un rôle très important entre les mains de ceux qu’on appelle les conspirateurs en vue de l’exécution de leurs projets. Est-ce que l’organisation de la presse dans l’État national-socialiste peut être attribuée à Fritzsche ? Que pouvez-vous dire sur ce reproche qu’on lui adresse ?
Lorsque M. Fritzsche vint au ministère, le service était organisé depuis longtemps. Au demeurant, je puis dire aussi que le Dr Goebbels lui-même ne peut pas être considéré par le Ministère Public comme faisant partie des conspirateurs, étant donné qu’il ne poussait pas à la guerre, mais qu’il voyait sa tâche dans une conquête sans effusion de sang des différents pays.
Cette organisation, donc, était déjà sur pied lorsque Fritzsche fut chargé de la direction du service de la presse allemande au cours de l’hiver 1938-1939 ?
Oui, ce service était établi.
Fritzsche était-il indépendant dans la direction de ce service ? Et s’il ne l’était pas, de qui dépendait-il ?
M. Fritzsche, malheureusement, ne dépendait pas seulement du Dr Goebbels. Il était entre deux feux. Il y avait de l’autre côté encore le chef de la presse du Reich, le Dr Dietrich et, dans toute la presse allemande, on connaissait l’abîme qui séparait ces deux hommes. Le chef de la presse du Reich était, en tant que secrétaire d’État, il est vrai, intégré dans le ministère de la Propagande, mais, malgré cela, il exigeait le droit de pouvoir donner des instructions d’une manière autonome en tant que chef de la presse du Reich ; et lorsque le ministre et le chef de la presse du Reich n’étaient pas d’accord sur ce point, cela retombait toujours sur les épaules du malheureux chef de la presse du Reich, section de l’intérieur, Fritzsche.
Dans quel sens a-t-il exercé son activité ? A-t-il essayé d’être encore plus dur ; ou bien a-t-il essayé d’atténuer la tension existante ?
J’ai déjà dit que M. Fritzsche était le seul véritable spécialiste du service d’information qui travaillait dans ce service de presse. Il connaissait les besoins et les soucis de la presse. Il savait qu’un rédacteur ne pouvait travailler que lorsqu’on lui laissait une certaine liberté, et c’est ainsi que, toujours et à chaque occasion, il s’est employé pour obtenir un relâchement de ces entraves. Il a fait certainement bien plus qu’on n’a pu s’en rendre compte à l’extérieur, car le ministre prenait toujours sa décision propre et le monde extérieur ne voyait que ce que désirait obtenir le ministre.
Pensez-vous qu’il ait répondu à la question ?
Le Dr Goebbels avait-il des critiques à adresser à la presse ? La presse ne lui paraissait-elle pas trop modérée ? Très brièvement, je vous prie.
La presse ne lui paraissait pas assez violente, et pas assez têtue.
Quelle était l’attitude de Fritzsche à l’égard de ces exigences, tant en ce qui concerne les journalistes individuels qu’en ce qui concerne les journaux eux-mêmes ?
Sans répit, et à chaque occasion, tant dans les conférences dirigées par le ministre que dans des réunions privées, il s’est employé pour la presse et pour les journalistes et il a essayé de défendre leur point de vue devant le ministre.
Pouvez-vous indiquer le nom. de quelques journalistes et de quelques journaux qu’il a essayé de protéger ?
Pourquoi mentionner ici des noms de journalistes et de journaux ? Ces détails sont superflus.
Monsieur le Président, permettez-moi tout au moins alors de présenter à ce propos une déclaration sous la foi du serment à laquelle je donne le numéro Fritzsche-5, contenue dans mon livre de documents n° 2, à la page 22. Ce document est signé par le chef de la rédaction de la Frankfurter Zeitung qui s’appelle le Dr Wendelin Hecht. J’aimerais citer brièvement ce document.
« En vue d’une présentation auprès du Tribunal Militaire International à Nuremberg, je déclare par la présente et sous la foi du serment ce qui suit :
« 1. Il est vrai que l’accusé M. Hans Fritzsche a contribué à protéger pendant plusieurs années la Frankfurter Zeitung contre une interdiction, en ne faisant pas transmettre certains de ses exemplaires au Quartier Général du Führer.
« 2. A l’occasion de nombreuses attaques dirigées contre la Frankfurter Zeitung en raison de son attitude politique, l’accusé Hans Fritzsche s’est employé à plusieurs reprises en faveur du maintien de l’activité de la Frankfurter Zeitung. Leutkirch, le é mars 1946. Signé : Dr Wendelin Hecht. »
Quelles étaient, excepté Goebbels, les personnalités influentes au ministère de la Propagande ?
Après le départ du secrétaire d’État Hahnke, il n’y a eu qu’un seul personnage au ministère de la Propagande qui eût une influence véritable sur le ministre, un seul avec qui le Dr Goebbels eût des rapports personnels : c’était son futur secrétaire d’État, le Dr Naumann, qui, à ce moment-là, était son attaché de presse particulier.
Fritzsche s’est-il adressé souvent à vous pour connaître certains détails des intentions du ministre que ce dernier ne lui donnait pas.
Très souvent même, car M. Fritzsche savait que j’avais fréquemment des conversations particulières avec le ministre et il se plaignait toujours d’être sans renseignements précis. Il me demandait si je ne pouvais pas, à l’occasion de telle ou telle affaire, lui donner l’opinion du ministre et j’ai pu l’aider dans la mesure où je pouvais lui procurer des invitations privées chez le Dr Goebbels à qui je parlais des difficultés contre lesquelles avait à lutter M. Fritzsche.
Goebbels a-t-il pris la radiodiffusion sous son contrôle très sévère.
La radiodiffusion était, pendant la guerre, l’instrument de propagande le plus important de Goebbels. Aucun service n’a été pris sous un contrôle aussi sévère que la radiodiffusion. Au cours des séances qu’il dirigeait, il réglait les moindres détails, même les programmes artistiques.
Cela me suffit, Monsieur le témoin. Fritzsche était-il vraiment le dirigeant de la radiodiffusion allemande qu’il avait l’air d’être ?
En aucune manière. C’était le Dr Goebbels lui-même qui la dirigeait. D’ailleurs, là aussi, M. Fritzsche était entre deux chaises car le ministère des Affaires étrangères présentait des exigences à propos des émissions pour l’étranger.
Est-ce que Fritzsche paraissait trop mou aux yeux de Goebbels, dans ces émissions radiodiffusées ?
Moi-même, et sur l’ordre du ministre, j’ai dû adresser des remontrances à M. Fritzsche parce que ses allocutions étaient trop molles.
Goebbels a-t-il eu également l’occasion d’exprimer des louanges à son sujet, et s’il l’a fait, de quelle manière l’a-t-il fait ?
Lorsque le ministre, ce qui arrivait souvent, louait M. Fritzsche...
Je ne crois pas que les louanges que Goebbels lui adressaient puissent nous intéresser.
Une autre question alors. L’accusé Fritzsche contredisait-il le ministre ?
M. Fritzsche était l’un des seuls ou l’un des rares du ministère de la Propagande à contredire le ministre, tant pendant les conférences que dans son appartement. Il était toujours calme et décidé, et souvent il obtenait un certain effet.
Monsieur le Président, je me permets ici de me référer à un document mentionné à plusieurs reprises déjà. C’est l’affidavit de Scharping, qui est le document Fritzsche n° 2, à la page 7 et 8 de mon livre de documents n° 2. Je me permettrai de citer textuellement une seule phrase. Je cite :
« Dans ce que l’on appelait les conférences du ministre, c’était exclusivement Fritzsche qui contredisait Goebbels dans lés questions politiques. »
Monsieur le témoin, qui était responsable des fausses nouvelles ou des nouvelles exagérées parues dans la presse allemande au cours de la crise des Sudètes ?
C’était Alfred Ingemar Bemdt qui était chef du service. C’est lui qui, à ce moment-là, a travaillé pendant des nuits entières, avec des cartes d’état-major, des bottins et qui a fabriqué de fausses nouvelles concernant les Sudètes. M. Fritzsche a suivi cela avec souci. Il est venu chez moi une fois et m’a demandé : « Où allons-nous, est-ce que nous ne serons pas entraînés dans une guerre ? Si nous savions seulement ce que veulent ceux d’en haut et si nous savions tout ce qu’il y a derrière ces affaires ? »
A ce propos, une autre question encore : Est-ce que, sur les actions militaires et politiques qui devaient être réalisées, le ministre Goebbels a pris conseil au préalable de l’accusé Fritzsche ?
Non seulement il n’a pas consulté Fritzsche, mais il n’a consulté personne. Le ministre ne tenait jamais de semblables conseils.
Fritzsche prétend n’avoir eu connaissance que beaucoup plus tard du rôle qu’avait joué Goebbels dans l’origine des excès antisémites de novembre 1938, et il en aurait eu connaissance à la suite d’une déclaration faite par Goebbels lui-même. Cela ne paraît pas très vraisemblable, parce que tout de même l’accusé Fritzsche était un des collaborateurs les plus étroits de Goebbels. Pouvez-vous nous dire quelque chose à ce sujet ?
En 1938, aucun de nous, au ministère, ne savait que Goebbels était l’auteur de ces mesures. Cette nuit-là, le Dr Goebbels n’était pas à Berlin. Si mes souvenirs sont exacts, il s’était rendu chez le Führer peu de temps avant et il se trouvait encore en Allemagne du Sud. La conversation à laquelle vous venez de faire allusion n’a eu lieu que pendant la guerre, au milieu de la guerre, à Lanke, qui était une des résidences du ministre, à l’occasion d’une réunion à laquelle participait M. Fritzsche. A ce moment-là, quelqu’un a demandé au ministre quelles étaient les circonstances exactes qui avaient accompagné ces excès de novembre 1938. A ce sujet, le Dr Goebbels déclara que la direction de l’économie nationale-socialiste était arrivée à la conviction qu’une élimination des Juifs de l’économie allemande ne pouvait plus être poursuivie...
Monsieur le témoin, excusez-moi, mais cela suffit, parce que nous en avons déjà entendu parler aujourd’hui. Une autre question : est-ce que Fritzsche s’est encore entretenu plus tard avec vous en juin 1940, au sujet de son attitude de principe à l’égard de la question juive ?
En mai ou en juin 1944, j’ai parlé à Fritzsche chez lui et lui ai dit que le jour où ces excès avaient eu lieu, il m’avait déclaré : « Schirmeister, est-ce qu’un honnête homme peut participer à de telles choses ? » M. Fritzsche m’a dit alors : « Vous savez que j’ai toujours été, il est vrai, un ennemi des Juifs, mais seulement dans le sens où une partie des Juifs l’étaient eux-mêmes ». Il a cité un. journal juif, je crois que c’était la C. V. Zeitung.
Cela me suffit, Monsieur le témoin. Comment alors peut-on expliquer les déclarations antisémites de Fritzsche dans plusieurs de ses allocutipns radiodiffusées ?
Ces déclarations étaient ordonnées par le ministre. Nous avions vu dans la presse britannique qu’en Grande-Bretagne une certaine tendance antisémite allait croissant. Une loi anglaise a d’ailleurs arrêté ce mouvement dans la presse britannique. Or, le ministre voulait avoir un dénominateur commun sur lequel nous pourrions centrer notre propagande à l’étranger. Ce dénominateur commun était le Juif. Pour soutenir la propagande à l’étranger par l’intérieur. M. Fritzsche reçut des instructions lui demandant de traiter ce problème pour l’intérieur du pays, dans quelques-unes de ses conférences.
Combien de temps croyez-vous encore devoir utiliser pour en finir avec l’accusé Fritzsche ?
Je crois qu’il me faudra au maximum trois quarts d’heure, Monsieur le Président.
Bien. Après cela, le Tribunal abordera le cas de l’accusé Bormann jusqu’à 13 heures demain.