CENT SOIXANTE-HUITIÈME JOURNÉE.
Lundi 1 Juillet 1946.
Audience du matin.
J’ai une déclaration à faire. Le Tribunal ordonne que toutes les preuves ou témoignages recueillis devant les commissions, et dont la Défense ou le Ministère Public désire faire usage, soient déposés comme preuves. Ces preuves figureront alors au procès-verbal des débats et pourront être soumises à toutes objections.
Il serait bon que les avocats des organisations commencent à constituer leurs livres de documents le plus tôt possible et fassent dès maintenant les demandes de traduction. C’est tout.Docteur Stahmer !
L’acte d’Accusation ne contient, au sujet de l’affaire de Katyn, que la remarque suivante : « En septembre 1941, 11.000 officiers polonais, prisonniers de guerre, furent tués dans les bois de Katyn à proximité de Smolensk ».
Le Ministère Public soviétique n’a donné des détails qu’au cours de l’audience du 14 février 1946. A ce moment-là a été déposé le document URSS-54. Ce document est un rapport officiel de la Commission extraordinaire d’État chargée de l’enquête officielle sur l’affaire de Katyn. Après l’audition des témoins, la Commission...
Docteur Stahmer, le Tribunal connaît le document et désire simplement que vous fassiez comparaître votre témoin.
Je voulais simplement ajouter ceci, à savoir que ce document comporte deux accusations : d’une part, que ces prisonniers polonais auraient été exécutés au cours de l’automne 1941 ; d’autre part, que l’exécution aurait eu lieu sur les ordres d’une autorité militaire allemande camouflée sous le nom d’État-Major du bataillon de génie 537...
Tout cela figure dans le document et je vous ai déjà dit que nous le connaissions. Veuillez citer vos preuves.
Je cite comme premier témoin le colonel Friedrich Ahrens.
Monsieur le Président, j’ai une prière à formuler avant l’audition du témoignage sur Katyn. Le Tribunal a décidé que trois témoins pourraient être entendus et a laissé entendre que, dans l’intérêt de l’équité, l’Accusation ne pourrait, elle non plus, citer plus de trois témoins, soit directement, soit par l’intermédiaire d’affidavits. C’est en vertu de ce principe que je serais reconnaissant à la Délégation soviétique d’indiquer, tout comme l’a fait la Défense, le nom de ses témoins avant le début de l’audition des preuves. La Défense a déjà indiqué le nom de ses témoins il y a plusieurs semaines ; malheureusement, elle est obligée de déplorer que jusqu’ici, le Ministère Public soviétique n’ait pas encore fait connaître, dans l’intérêt de l’égalité entre la Défense et le Ministère Public, le nom de ses témoins.
Général Rudenko, avez-vous l’intention de nous donner les noms des témoins ?
Oui, Monsieur le Président, nous avons fait savoir aujourd’hui au Secrétaire général du Tribunal que le Ministère Public soviétique a l’intention de citer trois témoins : le professeur Prosorovsky, chef de la commission d’expertise médico-légale, le citoyen bulgare Markov, professeur de médecine légale à l’Université de Sofia, qui était membre de la prétendue commission internationale créée par les Allemands, et enfin le professeur Basilevsky, qui remplaçait le maire de la ville de Smolensk au temps de l’occupation allemande. (Le témoin Ahrens vient à la barre.)
Témoin, veuillez indiquer votre nom.
Friedrich Ahrens.
Veuillez répéter ce serment après moi : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Témoin, avez-vous participé à la deuxième guerre mondiale en qualité d’officier de carrière de la Wehrmacht ?
Naturellement, j’ai participé à la deuxième guerre mondiale en tant qu’officier d’activé.
Quel était votre dernier grade ?
En dernier lieu, colonel.
Avez-vous été sur le front de l’Est ?
Oui.
En quelle qualité ?
Je commandais un régiment de transmissions de groupe d’armées.
Quelle était la mission de votre régiment ?
Le régiment de transmissions de groupe d’armées était chargé d’assurer et de maintenir les liaisons entre le groupe d’armées et les formations voisines ou subordonnées. Il était également chargé de préparer les liaisons nécessaires aux nouvelles opérations.
Votre régiment avait-il encore d’autres fonctions spéciales ?
Non, à l’exception du devoir de se défendre et de prendre toutes les dispositions nécessaires afin d’éviter une attaque par surprise et de se défendre avec les moyens dont il disposait pour éviter la prise du poste de commandement du régiment. Cela était particulièrement important pour un régiment de transmissions de groupe d’armées et pour son poste de commandement, parce que nous devions garder des documents très secrets à notre État-Major.
Votre régiment était le régiment de transmissions n° 537. Y avait-il également un bataillon de génie qui portât le même numéro ?
Pendant tout le temps que j’ai passé au groupe d’armées du centre, je n’ai jamais eu connaissance d’une unité portant le même numéro. Je ne pense pas qu’une telle unité ait existé.
Et de qui dépendiez-vous ?
Je dépendais directement de l’État-Major du groupe d’armées du centre et, pendant tout le temps que j’ai appartenu au groupe d’armées, j’étais sous les ordres du général Oberhäuser. Sur le plan définitif, le régiment, et plus précisément l’État-Major du régiment, avec sa première section, qui était à proximité immédiate de l’État-Major du régiment, dépendait à certaines périodes du commandant de Smolensk. Tous les ordres que j’ai reçus du commandant de Smolensk passaient par le général Oberhäuser, qui donnait son accord ou refusait l’utilisation du régiment. Je n’ai donc reçu d’ordres que du général Oberhäuser.
Où était placé votre État-Major ?
J’ai fait un croquis indiquant la situation exacte de notre État-Major à l’ouest de Smolensk.
Je vous fais présenter ce croquis. Voulez-vous déclarer s’il est bien de votre main ?
J’ai fait ce croquis de mémoire.
Je vous fais présenter également un deuxième croquis, et je vous prie de l’examiner. Voulez-vous me dire s’il reproduit exactement la situation telle qu’elle était.
Je me permettrai de donner âne explication très brève sur ce croquis. La grande tache rouge sur le côté droit représente la ville de Smolensk. A l’ouest de Smolensk et des deux côtés de la route qui mène à Vitebsk, se trouvait l’État-Major du groupe d’armées ainsi que le corps de la Luftwaffe, au sud de Krasnibor. Dans mon croquis j’ai indiqué l’endroit exact où était installé l’Etat-Major du groupe d’armées du centre.
La partie de mon croquis qui est encadrée de noir était occupée de façon très dense par des forces dépendant directement du groupe d’armées du centre. Dans cet espace, il n’y avait pour ainsi dire pas une maison qui fût libre. En ce qui concerne mon régiment, l’Etat-Major du régiment était cantonné dans le bois de Katyn. C’est, dans la grande forêt qui entoure Katyn, le bois figuré par une tache blanche, représentant environ un kilomètre carré. A la lisière sud de ce bois de Katyn, il y avait ce que l’on appelait le petit château du Dniepr, qui abritait l’État-Major du régiment. A deux kilomètres et demi à l’est de l’Etat-Major du régiment, il y avait la première compagnie du régiment qui s’occupait des services de transmissions du groupe d’armées : télétype, téléphone, et, à environ trois kilomètres à l’ouest de l’État-Major du régiment, il y avait la compagnie de radio. Dans un rayon d’environ un kilomètre autour de l’Etat-Major du régiment, il n’y avait pas de bâtiments. La maison qu’occupait l’État-Major était une grande maison à deux étages qui comportait environ quatorze à quinze pièces, avec plusieurs salles de bain, un cinéma, un stand de tir, des ; garages, etc., et qui se prêtait particulièrement bien à abriter l’Etat-Major d’un régiment, et le régiment a toujours gardé ce poste de commandement.
Y avait-il également des États-Majors supérieurs à proximité ?
Ceux que j’ai déjà mentionnés, c’est-à-dire celui du groupe d’armées, l’Etat-Major du corps de la Luftwaffe et quelques États-Majors de détachement et le plénipotentiaire des chemins de fer du groupe d’armées, qui se trouvait dans un train spécial à Gnesdovo.
Il a été dit ici qu’à proximité de l’endroit, où vous vous trouviez auraient eu lieu certains incidents mystérieux et suspects. Je vous prie de répondre avec le plus grand soin aux questions suivantes : Combien d’Allemands y avait-il dans cet État-Major et quelles étaient leurs fonctions ?
Dans mon État-Major, j’avais au début trois officiers, plus tard deux officiers, et environ 18 à 20 sous-officiers et hommes de troupe. Je n’avais que le minimum nécessaire à mon État-Major. Chacun de mes hommes était entièrement absorbé par son travail.
Aviez-vous du personnel russe dans votre État-Major ?
Oui, nous avions quatre volontaires et quelques femmes qui provenaient du voisinage immédiat de l’État-Major du régiment. Les volontaires sont restés en permanence auprès de l’État-Major du régiment, tandis que le personnel féminin changeait de temps à autre. Quelques-unes venaient de Smolensk et habitaient un bâtiment distinct de Etat-Major du régiment.
Ce personnel russe avait-il reçu de vous des consignes spéciales de secret ?
J’avais donné des consignes générales de secret pour l’État-Major du régiment, consignes qui ne touchaient pas seulement le personnel russe. J’ai déjà dit que l’obligation de garder secret tout ce qui se passait à l’État-Major était indispensable, parce que nous possédions non seulement les cartes du groupe d’armées, mais aussi celles des unités voisines desquelles on pouvait déduire facilement les intentions du groupe d’armées. C’est pourquoi il était de mon devoir de garder absolument secret ce matériel. En conséquence, j’avais fait interdire l’accès des pièces dans lesquelles se trouvait ce matériel. N’y avaient accès que les personnes qui avaient une autorisation spéciale, en général les officiers, mais aussi quelques sous-officiers et hommes de troupe assermentés.
Cette interdiction touchait quelles pièces ?
Cette interdiction se rapportait surtout à la pièce de celui qui était chargé des liaisons téléphoniques. Elle se rapportait aussi à la pièce que j’occupais, et partiellement, toutefois avec moins de rigueur, à celle de l’aide de camp. Toutes les autres pièces du bâtiment et tout le reste du terrain étaient libres d’accès.
Docteur Stahmer, en quoi le témoignage relatif à la situation de cet État-Major est-il pertinent ?
Monsieur le Président, il est dit dans le document soviétique que dans le bâtiment de cet État-Major tout se passait d’une manière particulièrement mystérieuse, et que le personnel russe avait été obligé par le colonel Ahrens de garder le secret le plus absolu, que les pièces étaient fermées à clé et qu’il n’était permis d’entrer dans les pièces qu’accompagné de sentinelles. C’est en considération de ce fait que j’ai posé ces questions pour montrer que ce qui se passait dans ce bâtiment peut être expliqué de façon toute naturelle si l’on considère les missions dont était chargé ce régiment, missions qui nécessitaient le secret. C’est la raison pour laquelle je posais ces questions.
Très bien.
D’ailleurs, je vais en avoir terminé de cette question. (Au témoin.) Le bois de Katyn était-il interdit et gardé par des sentinelles ?
Monsieur le Président, à ce propos, je ferai remarquer que l’on a également dit qu’avant l’arrivée du régiment, l’accès du bois était libre et qu’il n’avait été interdit que par le régiment. De ce fait, on tire également des conclusions défavorables au régiment.
Pour assurer la protection anti-aérienne de l’État-Major du régiment, j’avais interdit toute coupe de bois de chauffage à proximité de l’État-Major. Cet hiver-là, les corps de troupe abattaient des arbres partout où ils pouvaient. Le 22 janvier, nous avions eu une attaque aérienne assez grave qui avait démoli la moitié d’une maison. Étant donné l’exiguïté de l’espace dont nous disposions, il nous aurait été impossible de nous loger ailleurs, et j’ordonnai qu’on respectât ce bois, dont les essences diverses étaient assez clairsemées, afin qu’il pût nous servir d’abri. Mais, étant donné que je suis un adversaire des panneaux d’interdiction, j’informai les autres corps de troupe, sous forme de vers, d’avoir à ménager notre bois pour nous laisser un écran protecteur contre les avions. Mais le bois n’était pas interdit, et naturellement pas le chemin qui devait être laissé libre pour les courriers qui arrivaient fréquemment. Je ne faisais qu’envoyer de temps en temps des sentinelles dans le bois pour voir si les arbres n’étaient pas abattus.
Docteur Stahmer, au moment qui vous conviendra, vous voudrez bien nous indiquer les dates auxquelles cette unité a occupé ce Quartier Général et l’a quitté.
Certainement, Monsieur le Président. (Au témoin.) Quand votre unité a-t-elle occupé ce petit château du Dniepr ?
Autant que je sache, immédiatement après le départ des troupes de combat, en août 1941, ce bâtiment a été réquisitionné en même temps que les autres bâtiments du groupe d’armées et occupé par des commandements avancés. Far la suite, et pendant toute la période où j’y suis resté, jusqu’en août 1943, il est resté occupé par l’État-Major du régiment,
Donc, en août 1941, il y a d’abord eu un commandement avancé ?
Oui, autant que je le sache.
Quand l’État-Major est-il arrivé ?
Quelques semaines plus tard.
Et quel était alors le commandant du régiment ?
Mon prédécesseur était le colonel Bedenck.
Quand avez-vous pris le commandement du régiment ?
Je suis arrivé au groupe d’armées dans la seconde quinzaine du mois de novembre 1941, et après avoir été mis au courant et avoir reçu des consignes, j’ai pris le commandement du régiment le 30 novembre si je me souviens bien.
Bedenck vous a-t-il passé le commandement en bonne et due forme ?
Oui, cela a été fait dans les moindres détails, de façon extrêmement longue et minutieuse, étant donné les fonctions très étendues de ce régiment. Il se trouvait d’autre part que mon supérieur, le général Oberhäuser, s’attachait au plus haut point aux détails, et il s’est personnellement assuré avec beaucoup de minutie que j’étais en mesure d’assurer pleinement les missions imposées au régiment.
Le Ministère Public a avancé par ailleurs et considère comme suspect le fait qu’on ait tiré très souvent dans ce bois. Est-ce exact et comment cela s’explique-t-il ?
J’ai déjà dit qu’une des principales missions de cet État-Major de régiment consistait à tout préparer pour qu’il pût se défendre contre une attaque. Étant donné le personnel réduit dont je disposais, je devais veiller au plan de mon organisation afin de pouvoir, dans le temps le plus court, faire venir des commandos d’intervention. Ces commandos étaient entraînés au moyen d’une liaison par radio, et j’avais ordonné que l’on procédât à des exercices de défense et que l’on construisît des installations défensives autour de l’État-Major ; dans ces installations, on procédait à des exercices en commun avec les membres de l’État-Major du régiment. J’ai, pour ma part, commandé moi-même ces exercices au cours desquels on tirait, naturellement, ne serait-ce que parce que nous avions à nous préparer en vue de combats de nuit.
Il y aurait eu autour de votre État-Major et dans le même bâtiment une circulation très intense et, a-t-on dit, suspecte. Voudriez-vous dire rapidement ce qu’il en était de cette circulation ?
Il y avait une circulation extrêmement intense autour de l’État-Major du régiment, circulation qui augmenta encore au printemps 1941, quand je fis reconstruire la maison qui, je l’ai déclaré tout à l’heure, avait été détruite partiellement par une attaque aérienne ; les exercices que l’on pratiquait augmentaient le trafic. Les unités qui étaient en avant, à 300 ou 400 kilomètres de l’État-Major du régiment, ne devaient et ne pouvaient travailler qu’en contact direct avec l’État-Major du régiment.
Il y aurait également eu une circulation intense de camions, qui a été déclarée suspecte.
A l’exception de notre ravitaillement, qui était relativement peu important, les commandos auxquels j’ai fait allusion tout à l’heure étaient amenés en camion, ainsi que tout le matériel de construction dont j’avais besoin. Mais autrement, la circulation n’était pas extraordinairement intense.
Avez-vous appris qu’à environ 25 kilomètres à l’ouest de Smolensk se trouvaient trois camps soviétiques de prisonniers de guerre, dans lesquels se trouvaient à l’origine des Polonais, et qui avaient été abandonnés par les Russes à l’approche des Allemands en juillet 194l ?
A cette époque, je n’étais pas encore là, mais, pendant tout le temps que j’ai passé en Russie, je n’ai ni entendu parler ni vu de Polonais.
On prétend qu’un ordre aurait été transmis de Berlin en vue de faire fusiller les prisonniers de guerre polonais. Avez-vous eu connaissance d’un tel ordre ?
Non, je n’ai jamais entendu dire quoi que ce soit d’un tel ordre.
Avez-vous reçu un ordre de ce genre d’un autre service ?
J’ai déjà dit que je n’avais jamais entendu dire quoi que ce soit d’un tel ordre ; par conséquent, je ne l’ai pas reçu non plus.
Des Polonais ont-ils été fusillés sur vos ordres, directement sur vos ordres ?
Aucun Polonais n’a été fusillé sur mon ordre, et d’ailleurs personne n’a été fusillé sur mon ordre. Je n’ai jamais donné un tel ordre de ma vie.
C’est donc en novembre 1941 seulement que vous êtes arrivé. Avez-vous entendu dire que votre prédécesseur, le colonel Bedenck, ait pu prendre des mesures de ce genre ?
Je n’en ai pas entendu parler. Cependant, j’avais des relations si étroites avec les membres de mon État-Major, avec lesquels j’ai vécu pendant un an et neuf mois, je connaissais si bien mes hommes et ils me connaissaient si bien que je suis fermement convaincu que cette chose n’a pu être faite ni par mon prédécesseur ni par une personne quelconque appartenant à mon ancien régiment, car si tel avait été le cas, j’en aurais certainement entendu parler, ne serait-ce que par allusions.
Ce sont là des déductions, ce ne sont pas des preuves. Il vous dit ce qui, à son avis, aurait pu se passer.
Je lui ai demandé s’il en avait entendu parler par quelqu’un de son régiment.
II devait alors vous répondre « non », c’est-à-dire qu’il n’en a pas entendu parler, et non pas qu’il est convaincu que personne ne l’a fait.
Très bien. (Au témoin.) Après votre arrivée à Katyn, avez-vous remarqué que, dans le bois de Katyn, il y avait un tertre recouvrant une fosse ?
Peu de temps après mon arrivée — le pays était couvert de neige — mes soldats ont attiré mon attention sur le fait qu’à un endroit, sur une sorte de tertre, se trouvait une croix de bouleau. J’ai vu cette croix.
Au cours de l’année 1942 j’ai, à plusieurs reprises, entendu dire par mes soldats que des exécutions auraient eu lieu dans notre forêt, mais tout d’abord je n’y ai pas ajouté foi. Toutefois, en été 1942, un ordre du groupe d’armées du général von Harsdorff fit état de ces conversations. Il me dit qu’il en avait également entendu parler.
Ces bruits se sont-ils révélés exacts par la suite ?
Ils se sont révélés exacts par le plus grand des hasards, et j’ai pu constater qu’en effet il y avait là une sépulture. C’était au cours de l’hiver 1943, en janvier ou février. J’étais dans le bois et j’ai vu par hasard un loup. D’abord je n’ai pas cru qu’il s’agît d’un loup, mais ensuite j’ai suivi ses traces avec un spécialiste et nous avons vu que le loup avait creusé sur ce tertre surmonté d’une croix. J’ai fait constater de quels os il s’agissait. Les médecins m’ont dit qu’il s’agissait d’ossements humains. J’ai alors fait un rapport à l’officier chargé des sépultures parce que je croyais qu’il s’agissait d’une sépulture de combattants, car il y en avait plusieurs dans les environs immédiats.
Comment en est-on venu à procéder aux exhumations ?
Je ne connais pas les détails. Un jour, le professeur Dr Butz est venu me voir de la part du groupe d’armées du centre et m’a déclaré qu’il devait procéder à des fouilles dans mon bois, à la suite de certaines rumeurs, qu’il était chargé de m’informer à ce sujet. On procéda donc à ces fouilles dans. mon bois.
Le professeur Butz vous a-t-il donné plus tard des détails, sur le résultat de ces fouilles ?
Il me donnait des détails de temps à autre, et je me souviens qu’il m’avait dit avoir une preuve concluante au sujet de la date de ces exécutions. Il m’a montré entre autres des lettres dont je ne me souviens plus exactement ; cependant je me souviens d’une sorte de journal qu’il m’a communiqué et où, date après date, se suivaient des notes que je ne pouvais pas lire parce qu’elles étaient écrites en polonais. Il m’a déclaré qu’il s’agissait de notes prises par un officier polonais sur les mois écoulés ; ce journal s’arrêtait au printemps 1940 et on y exprimait la crainte que quelque chose de terrible se produisît. Tel était le sens de ces notes.
Vous a-t-il donné d’autres indications sur l’époque à laquelle, à son avis, ces exécutions avaient eu lieu ?
D’après les preuves qu’il avait trouvées, le professeur Butz était convaincu que ces exécutions avaient eu lieu au printemps de l’année 1940, et il a exprimé cette conviction à plusieurs reprises en ma présence et, plus tard encore, lorsque des commissions vinrent visiter ces sépultures et que je fus chargé de mettre ma maison à leur disposition pour les recevoir. Personnellement, je n’ai rien eu à faire avec les exhumations ni avec ces commissions. Tout ce que j’avais à faire était de mettre à la disposition la maison, avec les devoirs que comporte habituellement l’état de maître de maison,
On prétend qu’en mars 1943 on aurait amené des cadavres à Katyn sur des camions et qu’on les aurait enterrés dans ce bois. En savez-vous quelque chose ?
Non, je n’en sais rien.
Si c’eût été le cas, vous en seriez-vous obligatoirement aperçu ?
Oui, cela ne m’aurait pas échappé. Tout au moins mes officiers me l’auraient-ils signalé, car ils étaient en permanence au poste de commandement du régiment, alors que moi-même, en qualité de chef de corps, je me déplaçais souvent. L’officier qui, à cette époque, était là en permanence était le lieutenant Hodt. J’ai appris son adresse par une lettre reçue hier soir.
A-t-on utilisé des prisonniers russes pour ces exhumations ?
Autant que je m’en souvienne, oui.
Pouvez-vous indiquer leur nombre ?
Non, pas exactement ; je ne me suis plus occupé de ces exhumations parce que cette puanteur pestilentielle à proximité de notre maison provoquait chez nous un grand dégoût, mais je crois pouvoir l’estimer à 40 ou 50 personnes.
On prétend qu’ils auraient été fusillés plus tard ; en savez-vous quelque chose ?
Je n’en sais rien et n’en ai jamais entendu parler.
Je n’ai pas d’autres questions à poser, Monsieur le Président.
Mon colonel, vous avez personnellement pu parler une fois avec les habitants de la région sur les événements de l’an 1940 ?
Oui. Au début de 1943 habitait à environ 800 mètres de mon État-Major ’de régiment un couple russe. Ces gens étaient apiculteurs, je le suis moi-même et j’entrai en contact avec eux lorsque ces exhumations eurent lieu, à peu près au mois de mai 1943 ; je leur demandai, étant donné qu’ils se trouvaient à proximité immédiate des sépultures, s’ils savaient quand ces exécutions avaient eu lieu. Ces gens m’ont dit que cela avait eu lieu au printemps 1940 et qu’à la gare de Gnesdovo, il était arrivé, dans des wagons de cinquante tonnes, plus de deux cents Polonais en uniforme qui avaient été transportés dans le bosquet avec des camions. Ils auraient entendu de nombreux coups de feu et des cris.
L’accès de ce bois n’était-il pas alors interdit à la population ?
Votre question suggère la réponse. Je ne pense pas que vous puissiez poser de questions de ce genre.
Savez-vous si la population avait accès au bois ?
Le bois était entouré d’une clôture et, d’après les déclarations de la population, les civils n’y avaient pas accès à l’époque où les Russes étaient dans le pays. Sur mon croquis, le reste de cette clôture est indiqué par un trait noir.
Lorsque vous avez occupé ce petit château, avez-vous demandé à qui il appartenait précédemment ?
Oui, je me suis renseigné parce que cela m’intéressait. La maison était d’une construction très particulière ; il y avait une installation cinématographique, un stand de tir et cela m’intéressait. Mais je n’ai rien pu apprendre de précis à ce sujet pendant toute la durée de mon séjour là-bas.
A l’exception des fosses communes situées à proximité du petit château, a-t-on aussi trouvé d’autres fosses ?
Dans mon croquis, j’ai indiqué par des petits points d’autres tombes plus petites, contenant des cadavres en complète décomposition, des squelettes. C’étaient des fosses qui contenaient six à huit cadavres ou quelques-uns de plus, cadavres d’hommes et de femmes. Bien que n’étant pas spécialiste, je pus le reconnaître facilement parce que la plupart d’entre eux portaient des chaussures de caoutchouc en bon état de conservation et on a trouvé également des restes de sacs de dames.
Depuis combien de temps ces cadavres étaient-ils enterrés ?
Je ne sais pas exactement, mais je sais qu’ils étaient décomposés ; les os existaient encore, mais les squelettes n’étaient plus entiers.
Merci, c’est tout.
Monsieur le Président...
Docteur Laternser, vous connaissez la décision du Tribunal ?
Oui.
Dans ces conditions, vous n’avez pas le droit d’interroger ce témoin.
Monsieur le Président, je me proposais dans ce cas exceptionnel de vous prier...
Je viens de vous dire que vous deviez connaître la décision du Tribunal. Le Tribunal ne vous entendra pas. Nous avons déjà pris à plusieurs reprises des décisions à ce sujet, à la suite de vos objections. Le Tribunal ne vous entendra pas.
Monsieur le Président, l’affaire de Katyn est une des accusations les plus graves pesant contre le groupe que je défends.
Le Tribunal est parfaitement au courant des accusations relatives à l’affaire de Katyn, et il ne se propose pas de faire une exception pour vous entendre. Veuillez reprendre votre place.
Je dois déclarer, Monsieur le Président, que ceci constitue une grave restriction apportée à mes possibilités de défense.
Comme le sait fort bien le Dr Laternser, il a le droit de présenter une requête à la commission pour citer tous les témoins qui comparaissent si le témoignage se rapporte à la défense d’une des organisations qu’il représente. Je ne désire pas vous entendre pour le moment.
Monsieur le Président, la procédure que vous m’indiquez n’a pas de valeur pratique, je ne peux faire citer devant la commission tous les témoins qui comparaissent ici
Docteur Siemers, vous êtes l’avocat de l’accusé Dônitz ou de Raeder ?
Raeder.
A moins que les questions que vous vous proposez de poser portent de façon bien définie sur le cas de l’accusé Raeder, le Tribunal ne désire pas que l’interrogatoire de ce témoin se poursuive ; le problème a été entièrement examiné par le Dr Stahmer et le Dr Kranzbühler. Donc, à moins que les questions que vous désirez poser aient un intérêt particulier pour la défense de l’accusé Raeder, le Tribunal ne désire pas vous entendre.
Monsieur le Président, je supposais simplement que je pouvais poser des questions pour deux raisons : d’une part, parce que le Tribunal a déclaré lui-même que tous les accusés étaient compris dans le cadre du complot, et aussi parce que, suivant le Ministère Public, le Grand-Amiral Raeder est considéré comme membre des organisations déclarées criminelles, l’État-Major général et l’OKW. C’est la raison pour laquelle je voulais poser deux ou trois questions complémentaires.
Docteur Siemers, si certaines accusations devaient se rapporter au cas de Raeder, le Tribunal vous permettrait de poser des questions. Mais il n’y a pas d’accusation impliquant l’accusé Raeder dans l’affaire de Katyn.
Je remercie le Tribunal de cette déclaration.
Monsieur le Président, je vous prie de me permettre de poser encore une question. Je voudrais demander au Ministère Public à qui doit être imputée l’affaire de Katyn ?
Je n’ai pas l’intention de répondre à des questions de ce genre. Le Ministère Public peut maintenant interroger le témoin s’il le désire.
Témoin, dites-moi exactement à quelle époque vous vous trouviez dans la région de Smolensk ?
J’ai déjà répondu à cette question ; depuis la seconde moitié du mois de novembre 1941.
Je vous prie de me dire en outre où vous vous trouviez avant la seconde moitié de l’année 1941. Aviez-vous eu des rapports quelconques avec Katyn ou Smolensk ou généralement avec cette région ? Par exemple, y étiez-vous au mois de septembre ou octobre 194l ?
Non, je n’y étais pas.
Cela signifie donc que vous n’avez pas connaissance des événements qui se sont produits dans la forêt de Katyn en septembre ou en octobre 194l ?
Je n’y étais pas à cette époque. Mais j’ai dit...
Non, non, je vous pose une question très précise. Étiez-vous personnellement là-bas, avez-vous pu voir par vous-même ce qui. se passait ?
Il dit qu’il n’y était pas.
Non, je n’étais pas là.
Merci, Monsieur le Président. (Au témoin.) Peut-être vous souviendrez-vous du nom des ouvrières russes qui travaillaient dans la maison de campagne du bois de Katyn ?
Le personnel féminin ne travaillait pas dans différentes maisons, niais uniquement à la cuisine de notre petit château du Dniepr ; quant aux noms, je ne les connaissais pas du tout.
Donc, les travailleuses russes ne travaillaient que dans ce château qui était dans le bois de Katyn ? La maison de campagne dans laquelle était logé l’État-Major ?
Je crois que cette question n’a pas été bien traduite. Je ne l’ai pas comprise.
Je vous ai demandé si les ouvrières russes ne travaillaient que dans la propriété des collines de Kosig où était logé État-Major ? Est-ce exact ?
Ces femmes travaillaient auprès de l’État-Major du régiment comme filles de cuisine, dans notre propriété ; j’entends par là notre maison et les bâtiments annexes : l’écurie, le garage, les caves, le chauffage.
Je vais maintenant vous nommer quelques noms de membres de l’Armée allemande et je vous demanderai de me dire s’ils appartenaient à votre unité.
Le lieutenant Rex.
Le lieutenant Rex était mon aide de camp.
Voulez-vous me dire si avant votre arrivée à Katyn il se trouvait dans cette unité ?
Oui, il était déjà là avant moi.
Il était votre aide de camp ?
Oui, il était mon aide de camp.
Et le lieutenant Hodt ? Hodt ou Hoth ?
Hodt est exact, mais quelle question me posez-vous à ce sujet ?
Je vous demande si cet officier appartenait à votre unité ou non ?
Le lieutenant Hodt faisait partie du régiment.
C’est ce que je vous demande. Il appartenait au régiment que vous commandiez, à votre unité ?
Je n’ai pas dit par là qu’il faisait partie de l’État-Major du régiment ; il faisait partie du régiment. Le régiment était composé de trois bataillons...
Mais il habitait dans la même maison ?
Je n’en sais rien. Lorsque je suis arrivé, il n’habitait pas là. Il est venu, ou plutôt c’est moi qui l’ai fait venir...
Je vais vous citer quelques autres noms : le sous-officier Rosé, le soldat Giesecke, l’adjudant-chef Krimmenski, l’adjudant Lummert, un cuisinier qui s’appelait Gustav, étaient-ce là des militaires qui habitaient dans cette maison ?
Puis-je vous demander de nommer les noms séparément, je répondrai pour chacun d’eux.
Bien. L’adjudant Lummert ?
Oui.
Le sous-officier Rosé ?
Oui.
Le magasinier Giesecke... si je ne me trompe pas.
Cet homme s’appelait Giesecken.
Donc tous ces hommes appartenaient à votre unité ?
Oui.
Vous affirmez que vous ignoriez ce dont s’occupaient ces gens aux mois de septembre et octobre 1941 ?
Étant donné que je n’étais pas là, je ne peux pas le savoir avec certitude.
Nous allons suspendre l’audience.
Permettez-moi, Monsieur le Président, de poursuivre mon interrogatoire. Étant donné que le témoin a déclaré qu’il ne pouvait rien dire sur la période de septembre à octobre 1941, je me limiterai à poser quelques questions très brèves. (Au témoin.) Témoin, je voudrais que vous déterminiez la situation, par rapport à la route Smolensk-Vitebsk, de la maison et du bois ? Cette propriété était-elle très étendue ?
Mon croquis, que j’ai fait de mémoire, est environ au 1/100.000e . J’estime donc que les tombes sont à deux cents ou trois cents mètres à l’ouest du chemin qui conduisait à notre petit château du Dniepr, donc à deux cents ou trois cents mètres au sud de la route Smolensk-Vitebsk. Le château se trouvait donc à six cents mètres plus loin.
Voudriez-vous répéter cela ?
Au sud de la route Smolensk-Vitebsk, à environ quinze kilomètres à l’ouest de Smolensk, d’après mon croquis au l/l00.0006 , dans la mesure où un tel croquis, fait de mémoire, peut être précis, et à deux cents ou trois cents mètres au sud se trouvait l’endroit des tombes et six cents mètres plus au sud encore, à un tournant du Dniepr, se trouvait le Quartier Général de notre régiment, le château sur le Dniepr.
Donc votre résidence se trouvait à six cents mètres environ de la route Smolensk-Vitebsk ?
Non, cela n’est pas exact. J’ai dit...
Dites-moi, à peu près, quelle était la distance qui séparait la route de votre résidence ?
Je l’ai indiquée à l’instant dans ma déclaration. Les tombes se trouvaient à deux cents ou trois cents mètres et la maison à six cents mètres plus loin, c’est-à-dire environ à neuf cents ou mille mètres. Il pouvait n’y avoir que huit cents mètres, je ne le sais plus exactement, mais c’est environ la distance que donne le croquis.
Je n’y suis pas, colonel Smirnov, votre question est : quelle distance y avait-il de la route à ce que vous appelez la maison de campagne, n’est-ce pas ?
Non, Monsieur le Président, j’ai demandé quelle était la distance entre le château et la route Smolensk-Vitebsk ?
Qu’entendez-vous par « le château » ?
L’État-Major de l’unité allemande commandée par le témoin en 1941 était logé dans un petit château qui se trouvait non loin du Dniepr, à peu près à neuf cents mètres de la route. Les tombes étaient plus rapprochées de la route. Je voudrais savoir à quelle distance de la route se trouvaient ces tombes du bois de Katyn.
Vous voulez donc savoir quelle était la distance qui séparait la route de la maison où se trouvait le Quartier Général ? C’est bien cela ?
C’est exactement cela, Monsieur le Président. C’est cela que je veux savoir.
On m’a posé deux questions. 1. Quelle était la distance des tombes à la route ? 2. Quelle était la distance de la maison à la route ? Je réponds à nouveau. La maison se trouvait à huit cents ou mille mètres au sud de la route Vite’bsk-Smolensk.
Un instant. A l’origine, je ne vous ai posé qu’une question, au sujet de la maison. Vous avez répondu de vous-même au sujet des tombes. Je vous demande maintenant à quelle distance de la route Smolensk-Vitebsk se trouvaient les fosses ?
Deux cents ou trois cents mètres, peut-être trois cent cinquante.
Donc les fosses se trouvaient à deux cents ou trois cents mètres de la route reliant deux grandes villes ?
Oui, à deux cents ou trois cents mètres au sud de cette route qui était, à mon époque, la plus fréquentée que j’aie jamais vue en Russie.
C’est précisément ce que je vous demandais. Voulez-vous me dire maintenant : la forêt de Katyn était-elle une véritable forêt ou bien était-ce une sorte de parc ou de lande ?
Jusqu’à présent, je n’ai parlé que du bois de Katyn, bois qui est reproduit sur mon croquis, a environ un kilomètre carré de superficie. Cette forêt était composée d’arbres d’âges divers ; il y avait beaucoup de bouleaux et la forêt avait déjà été déboisée, je suppose à 30% ou 40% ; on le voyait aux troncs récemment coupés. Ce n’était absolument pas un parc. En tous cas rien ne permettait de le supposer. Des combats y avaient eu lieu, car on y voyait encore des tranchées, des trous d’obus individuels.
Bien, mais en tous cas la forêt de Katyn ne peut pas être appelée vraiment une forêt. Ce n’était qu’un bosquet relativement petit se trouvant dans le voisinage de la route de Smolensk à Vitebsk. C’est cela, n’est-ce pas ?
Non, ce n’est pas exact. C’est une forêt. Toute la forêt de Katyn est bien une forêt qui commence à notre petit bois et s’étend très loin. De toute cette forêt de Katyn, une partie était entourée d’une clôture ; c’est cette partie, d’un kilomètre carré de surface, que nous appelions le bois de Katyn. Mais il faisait partie de la forêt située au sud de la route. La forêt commençait avec notre petit bois et continuait vers l’ouest.
Les caractéristiques générales, de la forêt ne m’intéressent pas. Je voudrais que vous répondiez à cette courte question : les fosses communes se trouvaient-elles dans ce bois ?
Les fosses communes se trouvaient immédiatement à l’ouest de notre chemin ; à l’endroit où la forêt avait été déboisée et où de jeunes arbres avaient été replantés.
Cette partie du bois plantée de jeunes arbres se trouvait dans le voisinage de la route Smolensk-Vitebsk, n’est-ce pas ? C’est bien cela ?
A deux cents ou trois cents mètres au sud de la route Smolensk-Vitebsk, immédiatement à l’ouest du chemin conduisant de cette route à notre petit château sur le Dniepr. J’ai marqué cet endroit, sur mon croquis, par un gros point blanc.
Encore une question : savez-vous si la route Smolensk-Vitebsk existait déjà avant que les Allemands n’occupent le pays ou si elle a été construite au cours de l’occupation ?
Lorsque je suis arrivé en Russie à la fin de novembre 1941, tout était couvert de neige, mais j’ai eu plus tard l’impression que c’était une route plus ancienne, alors que la route Minsk-Moscou était de construction plus récente. C’était mon impression personnelle.
Bien. Dites-moi maintenant dans quelles circonstances ou plutôt quand avez-vous découvert pour la première fois la croix dans ce bois ?
Je ne puis fixer cette date exactement. Les soldats m’avaient raconté cela et, en passant à cet endroit, environ fin décembre 1941 ou début janvier 1942, j’ai vu cette petite croix émergeant de la neige.
Vous l’aviez donc découverte en 1941 ou au plus tard au début de 1942 ?
C’est ce que je viens de déclarer.
Bien. Je voudrais maintenant que vous déterminiez de façon précise la période à laquelle le loup vous amena à cet endroit. Était-ce en hiver ou en été ? Et en quelle année ?
C’était au début de l’année 1943.
Et autour de cette croix vous avez vu des ossements ?
Non. Je ne les vis pas tout de suite. Afin de voir si je ne m’étais pas trompé au sujet de ce loup — il me paraissait assez curieux de rencontrer un loup aussi près de Smolensk — j’ai observé les traces avec un chasseur et j’ai trouvé des traces d’enfouissement. Mais le sol était fortement gelé, il y avait de la neige, et je n’ai rien vu d’autre. Ce n’est que plus tard, au dégel, que mes hommes trouvèrent quelques ossements, mais cela se passait plusieurs mois plus tard, et c’est là que j’ai montré, à l’occasion, ces os à un médecin. Il m’a dit que c’étaient des ossements humains, et je lui ai répondu : « C’est probablement une tombe datant des combats et l’officier qui s’occupe des tombes des tués devrait s’en occuper comme nous le faisons pour toutes les autres tombes de tués ». C’est pourquoi j’en ai parlé à cet officier, mais seulement après la fonte des neiges.
Avez-vous eu l’occasion de voir vous-même les fosses communes de Katyn ?
Ouvertes ou auparavant ?
Ouvertes.
Lorsque les fosses ont été ouvertes, je devais passer constamment devant ces tombes qui se trouvaient à environ 30 mètres à l’ouest du chemin menant vers le petit château. Je ne pouvais donc pas passer par là sans avoir connaissance de ce qui s’y passait.
II y a une chose qui m’intéresse : vous pourriez peut-être vous rappeler quelle était l’épaisseur de la couche de terre qui recouvrait la masse des cadavres se trouvant dans ces fosses ?
Je l’ignore. J’ai déjà déclaré que cette puanteur qui durait depuis des semaines était tellement écœurante que, lorsque je passais par là, je fermais les vitres de ma voiture et passais le plus vite possible.
Oui, mais si rapidement que vous ayez regardé ces fosses, vous avez dû remarquer si la couche de terre qui recouvrait les cadavres était épaisse ou non, si elle était de l’ordre de quelques dizaines de centimètres ou de quelques mètres. Peut-être le professeur Butz vous a-t-il donné des informations à ce sujet ?
En tant que commandant d’un régiment de transmissions, j’opérais dans un territoire ayant environ la moitié de la superficie de l’Allemagne et j’étais souvent en route. Mon travail ne s’effectuait pas à mon poste de commandement, mais en général je me trouvais du lundi ou du mardi au samedi auprès des troupes. C’est pourquoi, lorsque je passais par là, je jetais un regard, mais les détails ne m’intéressaient pas et je n’en ai pas non plus parlé au professeur Butz. C’est pourquoi je ne m’en souviens plus exactement.
Des documents présentés par le Ministère Publie soviétique au Tribunal, il ressort que les cadavres étaient enterrés à une profondeur de un mètre et demi à deux mètres. Je voudrais savoir où vous pourriez trouver un loup capable de déterrer des ossements se trouvant à un mètre et demi ou deux mètres sous terre ?
Je n’ai pas trouvé ce loup, mais je l’ai vu.
Dites-moi je vous prie pourquoi, ayant découvert la croix et ayant appris l’existence des fosses en 1941, ne les avez-vous fait ouvrir qu’en 1943 ?
Ce n’était pas mon affaire, mais l’affaire du groupe d’armées. J’ai déjà déclaré que, au cours de l’année 1942, les bruits avaient pris de plus en plus de consistance. J’en ai entendu parler fréquemment et j’en ai parlé au colonel von Gersdorff, du groupe d’armées du centre, qui me fit comprendre qu’il était au courant. Là s’arrêtait ma mission. J’avais signalé ce que j’avais vu et entendu. En outre, toute cette affaire ne me regardait absolument pas et je ne m’en suis pas occupé. J’avais assez d’autres soucis.
J’ai une dernière question à vous poser. Dites-moi, je vous prie, quel est le couple avec lequel vous avez eu un entretien. Peut-être pouvez-vous vous rappeler le nom de ce couple qui vous a parlé des exécutions de la forêt de Katyn ?
Ce couple habitait à 800 mètres ou 1.000 mètres environ de l’embranchement du chemin qui menait à la route de Vitebsk. Je ne me souviens plus de leur nom.
Vous ne vous souvenez donc pas du nom de ce couple ?
Non, je ne m’en souviens pas.
Vous avez donc entendu parler des événements de Katyn par ce couple dont vous ne vous rappelez pas le nom. Avez-vous entendu dire quoi que ce soit par d’autres habitants ?
Voulez-vous, je vous prie, répéter la question ?
Vous n’avez donc entendu parler des événements de Katyn que par ce couple, dont vous ne vous rappelez pas le nom ? Vous n’avez rien appris par d’autres habitants de la région ?
Personnellement, je n’ai rien appris que par ce couple, alors que mes soldats m’ont rapporté ce que racontaient d’autres habitants.
Savez-vous qu’au moment de l’enquête sur l’affaire — ou plutôt la provocation de Katyn — des placards furent apposés par la Police allemande dans les rues de Smolensk, promettant une récompense à qui pourrait donner des indications sur Katyn. Cette proclamation portait la signature du lieutenant Voss.
Je n’ai pas vu personnellement cette proclamation. Je connais de nom le lieutenant Voss.
Une toute dernière question : connaissez-vous le rapport de la Commission extraordinaire d’État sur Katyn ?
Vous voulez parler du Livre Blanc russe ?
Non, je veux dire le rapport de la Commission extraordinaire d’État soviétique sur Katyn, un rapport soviétique.
Je l’ai lu, oui.
Vous savez également que vous êtes désigné par la Commission extraordinaire d’État comme l’une des personnes responsables des crimes commis à Katyn ?
On y parle d’un lieutenant-colonel Ames.
Je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin, Monsieur le Président.
Docteur Stahmer, voulez-vous procéder à un nouvel interrogatoire ?
Témoin, vous avez dit tout à l’heure que vous ignoriez à quel moment le lieutenant Hodt est venu rejoindre votre État-Major. Savez-vous à quel moment il a rejoint le régiment ?
Je sais qu’il appartenait au régiment pendant la campagne de Russie, depuis le début.
Il appartenait donc au régiment depuis le début de la campagne de Russie ?
Il appartenait au régiment depuis le début de la campagne de Russie.
Encore une question au sujet de votre entretien avec le professeur Butz. Le professeur Butz vous a-t-il dit à quel moment se terminait la correspondance qu’il avait trouvée ?
Il m’a parlé du printemps de 1940. Il m’a également montré ce journal. J’y ai jeté un coup d’œil et j’ai vu les dates, mais je ne me souviens plus des détails ni de quelles dates il s’agissait. Mais elles se terminaient également au printemps 1940.
On n’a donc pas trouvé de documents se rapportant à une période ultérieure ?
Le professeur Butz m’a dit qu’on n’avait pas trouvé de documents ou d’indices relatifs à une date ultérieure et m’a dit qu’il était convaincu que les exécutions avaient eu lieu au printemps 1940.
Monsieur le Président, je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.
Témoin, ne pourriez-vous pas vous rappeler d’une façon précise quand le professeur Butz vous a parlé de l’époque à laquelle il estimait que les cadavres avaient été ensevelis dans les fosses communes ?
Puis-je demander que la question me soit répétée ?
Quand le professeur Butz vous a-t-il parlé des fosses communes et affirmé que l’ensevelissement remontait au printemps de 1940 ?
J’ignore la date exacte, mais c’était au printemps 1943, avant que les exhumations aient eu lieu. Pardon, c’est à ce moment qu’il m’a déclaré qu’il avait entrepris l’exhumation et, pendant ces l’exhumations, il venait me voir de temps à autre. C’était donc au mois de mai ou fin avril. Au milieu du mois de mai, il m’a rapporté des détails sur les exhumations, et entre autres ce que je viens de déclarer ici. Je ne sais plus exactement quels sont les jours où le professeur Butz m’a rendu visite.
Si je vous ai bien compris, vous avez dit que le professeur Butz est venu à Katyn. Quand est-il arrivé ?
Le professeur Butz est venu me voir au printemps 1940 et m’a dit que, sur l’ordre du groupe d’armées, il devait procéder à des exhumations dans mon bois. Les exhumations eurent lieu, et au cours de...
Vous avez dit en 1940 ? Ou bien est-ce la traduction qui est mauvaise ? En 1940 ?
1943. Au printemps 1943. Au cours des semaines qui ont suivi le début de ces exhumations, le professeur Butz est venu me voir et m’a informé de ce qui se passait, c’est-à-dire qu’il s’en est entretenu avec moi et qu’il m’a dit ce que je viens de déclarer ici. Cela pouvait être à la mi-mai 1943.
De la déposition que vous avez faite en réponse aux questions de la Défense, j’ai compris que le professeur Butz affirmait, dès avant l’arrivée de la Commission, que les exécutions avaient eu lieu au printemps de l’année 1940. Est-ce exact ?
Puis-je répéter que le professeur Butz...
Il n’est pas nécessaire de répéter ce que vous avez déjà dit. Je ne vous demande simplement si c’est exact ou non ? Peut-être la traduction a-t-elle été mauvaise, ou peut-être votre première déclaration est-elle erronée ?
Je n’ai pas compris ce qu’on m’a demandé à l’instant ; c’est pourquoi je voulais répéter ma déclaration. Je ne sais pas ce que vous vouliez dire par votre dernière question. Puis-je vous demander de la répéter ?
Au début, lorsque vous avez été interrogé par la Défense, vous avez dit, si je vous ai bien compris, que le professeur Butz vous avait déclaré que les exécutions avaient eu lieu au printemps 1940, ceci avant l’arrivée sur les lieux de la Commission chargée de ces exhumations.
Non, je me suis mal fait comprendre. J’ai déclaré que le professeur Butz était venu me voir et m’avait dit qu’il devait procéder à des exhumations, puisqu’il s’agissait de mon bois. Les exhumations eurent lieu et, six ou huit semaines plus tard — il était venu me voir à plusieurs reprises entre temps — il vint me trouver et me déclara qu’il était convaincu, en raison des objets qu’il avait trouvés, de pouvoir déterminer l’époque des exécutions. Ces déclarations du professeur Butz eurent lieu environ à la mi-mai.
Vous n’étiez pas là personnellement au moment où ont été trouvés le journal et les autres documents que vous a montrés le professeur Butz ?
Non.
Vous ne savez donc pas d’où il tenait ce journal et ces autres documents ?
Non, je l’ignore.
Quand avez-vous signalé pour la première fois aux autorités supérieures que vous soupçonniez la présence d’une fosse commune à cet endroit ?
Au début, je n’avais pas de soupçons. J’ai déjà dit que des combats avaient eu lieu à cet endroit et que je n’avais attaché aucune importance à ce qu’on me racontait ; je n’y croyais pas. Je supposais qu’il s’agissait de tombes de héros morts au combat, comme il y en avait plusieurs dans le voisinage.
Vous ne répondez pas à ma question. Je vous ai demandé : quand avez-vous pour la première fois signalé aux autorités supérieures qu’il y avait une fosse à cet endroit ?
Au cours de l’été 1942, j’ai parlé au colonel von Gersdorff de ce que j’avais entendu raconter. Gersdorff me dit qu’il en avait lui aussi entendu parler, et notre entretien en resta là. Il ne pensait pas que ce soit exact, et en tout cas il n’y croyait guère. Je ne sais pas.
Plus tard, au printemps 1943, au moment du dégel, on m’amena les os qui avaient été trouvés, et c’est là que j’ai téléphoné à l’officier chargé des sépultures de guerre pour lui dire qu’il s’agissait vraisemblablement de tombes de combattants. C’était avant que le professeur Butz ne soit venu me voir.
N’avez-vous jamais fait de rapport écrit à ce sujet ?
Non, je n’en ai pas fait.
Jamais ?
Non, puisqu’en fait je n’avais rien à voir dans cette affaire.
Le témoin peut se retirer.
Je demande la comparution du second témoin, le lieutenant Reinhard von Eichbom.
Oui.
Voulez-vous, je vous prie, donner votre nom.
ReinhardivonEichbom.
Voulez-vous répéter ce serment après moi :
« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète la formule du serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Témoin, quelle est votre profession ?
Assesseur de tribunal.
Avez-vous été appelé dans la Wehrmacht pendant cette guerre ?
Oui, en août 1939.
Dans quelle unité ?
Au régiment de transmissions 537 de groupe d’armées.
Quel y était votre grade ?
Au moment de la déclaration de guerre, chef de section et sous-lieutenant.
Et à la fin de la guerre ?
Lieutenant.
Au cours de la guerre, avez-vous été sur le front de l’Est ?
Oui, depuis le début.
Avec votre régiment ?
Non, depuis 1940 à l’État-Major du groupe d’armées du Centre.
Outre ce régiment 537, y avait-il un régiment de pionniers 537 ?
Dans le ressort du groupe d’armées du centre, il n’existait pas de bataillon de pionniers 537.
A quel moment êtes-vous venu avec votre unité dans la région de Katyn ?
L’État-Major du groupe d’armées du Centre se transporta aux environs du 20 septembre vers Smolensk ou dans la région de Smolensk.
Où étiez-vous auparavant ?
Comment dois-je comprendre cette question ?
D’où veniez-vous ?
Nous venions de Borissov.
Un moment, le témoin a dit le 20 septembre ; il n’a pas indiqué l’année.
Le 20 septembre de quelle année ?
Le 20 septembre 1941.
Le régiment 537 s’y trouvait-il déjà ?
LIÉtat-Maj or du régiment 537 changeait toujours d’emplacement en même temps que le groupe d’armées et se transportait au même endroit. Des commandos avancés le précédaient pour préparer les installations de transmissions.
Où était logé l’État-Major ?
L’État-Major du régiment de transmissions de groupe d’armées 537 se trouvait dans ce qu’on appelait le château sur le Dniepr.
Et où avait été logé le commando chargé de préparer les installations ?
Ce commando doit avoir occupé ce même bâtiment, ou tout au moins une partie, afin de le réserver pour l’État-Major du régiment.
Savez-vous qui dirigeait ce commando ?
Le chef de ce commando était le lieutenant Hodt.
Quand ce commando préparatoire est-il venu à Katyn ?
Smolensk tomba aux environs du 17 juillet 1941. Comme le groupe d’armées désirait établir son Quartier Général à proximité immédiate de Smolensk, il s’attribua ce territoire aussitôt après la prise de Smolensk, après avoir choisi un quartier pour lui-même. Le commando préparatoire vint à la même époque, c’est-à-dire dans la deuxième moitié de juillet 1941.
Donc, de juillet 1941 jusqu’au 20 septembre 1941, le commando préparatoire s’y trouvait ?
Oui.
Et à partir du 20 septembre 1941, tout l’État-Major ?
Oui. Il se peut qu’une partie de l’Etat-Major soit venue plus tard, mais le gros arriva vers le 20 septembre.
Parlez-vous de l’État-Major du groupe d’armées ou de l’État-Major du régiment de transmissions ?
Je parle des deux États-Majors, car le transfert d’un État-Major aussi important que celui du groupe d’armées ne pouvait pas se faire en un seul jour ; cela demandait au moins deux ou trois jours. Puisqu’il avait pour tâche d’assurer les -liaisons, le régiment devait laisser une partie de son service à l’ancien Quartier Général, jusqu’à ce que tout l’Etat-Major soit transféré.
Où se trouvait logé le commando préparatoire ?
Ce commando était logé, au moins en partie, dans le petit château sur le Dniepr. D’autres éléments se trouvaient à proximité des endroits où les différentes compagnies furent logées par la suite, cela afin de les réserver au régiment jusqu’à ce que le gros ait été transféré.
Et l’État-Major du régiment 537 ?
Dans le château sur le Dniepr.
Pouvez-vous citer les noms des officiers qui appartenaient à l’État-Major ?
A cette époque, le lieutenant-colonel Bedenck commandait le régiment ; le lieutenant Rex était aide de camp, le lieutenant Hodt officier d’ordonnance, et un capitaine Schäfer spécialiste des transmissions téléphoniques. Il se peut qu’il y en ait eu un ou deux autres, mais je ne me souviens plus de leur nom.
Le témoin précédent a déjà parlé des missions de cet État-Major. Comment était contrôlée l’activité de l’État-Major du régiment ?
Le régiment, qui se composait de dix à douze compagnies, devait faire chaque soir un rapport indiquant quelles étaient les occupations des différentes compagnies. Cela était nécessaire afin que nous connaissions les éléments qui, le cas échéant, pouvaient être chargés de nouvelles tâches.
A quelle distance du château sur le Dniepr vous trouviez-vous logés ?
A environ quatre ou cinq kilomètres, je ne peux pas indiquer la distance avec précision, car je la parcourais toujours en voiture. Mais il devait y avoir quatre ou cinq kilomètres.
Veniez-vous souvent dans le château sur le Dniepr ?
En dehors du service, assez souvent, puisque je venais de ce régiment, que je connaissais tous les officiers et que nous étions amis.
Pouvez-vous donner des indications sur la nature et l’importance des allées et venues vers ce château ?
Si l’on veut apprécier l’importance du trafic, il faut distinguer entre les personnes et les objets. En ce qui concerne le personnel, les allées et venues étaient très importantes parce que le commandement du régiment devait être centralisé pour venir à bout de sa tâche. Aussi y avait-il un grand nombre de courriers. Les commandants de compagnie venaient aussi très souvent à l’État-Major. D’autre part, la circulation des voitures était assez importante — voitures légères et camions — parce que le régiment s’installait à demeure et que nous faisions des aménagements à l’intérieur de la maison.
Avez-vous entendu dire qu’à 25 ou 45 kilomètres à l’ouest de Smolensk se trouvaient trois camps russes d’officiers polonais prisonniers tombés aux mains des Allemands ?
Je n’ai jamais entendu parler de camps d’officiers polonais ou de camps de prisonniers polonais.
Votre groupe d’armées a-t-il reçu un rapport au sujet de la capture de prisonniers polonais ?
Non. Je l’aurais remarqué, car le nombre des prisonniers, et notamment des officiers, m’était signalé dans les rapports du soir des armées qui avaient fait ces prisonniers. Nous étions responsables de la transmission de ces rapports ; aussi les voyions-nous tous les soirs.
Vous n’avez jamais reçu d’informations de ce genre ?
Je n’ai jamais eu connaissance d’une telle information, ni par une armée qui me l’aurait signalée, ni par le groupe d’armées qui aurait dû la transmettre à l’OKH dans son rapport du soir.
Un tel rapport aurait-il pu aller à un autre service ou provenir d’un autre service ?
La voie hiérarchique était très stricte dans l’Armée, et les États-Majors veillaient scrupuleusement à ce qu’elle fût observée. On demandait toujours aux armées de donner avec précision les indications portées sur les formulaires, et notamment les indications au sujet des prisonniers.
Il est donc tout à fait impossible que si un tel nombre d’officiers était tombé aux mains d’une armée, elle ne l’ait pas signalé par la voie hiérarchique normale.
Vous avez dit tout à l’heure que vous étiez en relations particulièrement étroites avec les officiers du régiment. Avez-vous jamais entendu dire que, sous le colonel Bendenck ou le colonel Ahrens, à une époque quelconque, des officiers polonais prisonniers aient été fusillés dans la forêt de Katyn par le régiment 537 ?
Je connaissais presque tous les officiers du régiment parce que j’avais appartenu moi-même pendant plus d’un an à ce régiment, et mes rapports avec un certain nombre d’officiers étaient tels qu’ils me racontaient tout ce qui se passait, même en dehors du service ; il est tout à fait impossible qu’une affaire aussi importante ne me soit pas venue aux oreilles. Il est impossible, étant donné l’état d’esprit des officiers du régiment, qu’aucun ne soit venu immédiatement me raconter cela.
Avez-vous eu connaissance par votre service de tous les ordres d’opérations du régiment 537 ?
Les ordres d’opérations du régiment de transmissions de groupe d’armées étaient de deux sortes : ceux qui concernaient l’unique compagnie de radio, ceux concernant neuf compagnies de transmissions téléphoniques. A titre de spécialiste des communications téléphoniques, j’élaborais ces ordres et les soumettais à mon chef, le général Oberhäuser. Donc, tous les ordres transmis avaient soit été rédigés par moi, soit passé par moi.
Est-ce qu’à une époque quelconque l’ordre de fusiller des prisonniers polonais a passé par votre service ?
Ni nous-mêmes, ni aucun autre service n’avons pu donner un tel ordre au régiment. Jamais nous n’avons reçu une telle communication et nous n’avons, de quelque autre manière que ce soit, eu connaissance de tels faits.
Un tel ordre, suivant la voie hiérarchique, ne pouvait passer que par vous ?
Un tel ordre aurait eu pour effet de soustraire à la tâche principale du régiment, à savoir les transmissions, une grande partie de ses effectifs. Comme nous étions • très à court de spécialistes, nous devions savoir ce que faisait chaque homme du régiment. Il est tout à fait impossible qu’on ait pu prendre des hommes du régiment pour une telle opération sans que nous l’ayons su.
Je n’ai pas d’autres questions à poser.
Docteur Kranzbühler, qui représentez-vous ?
Le Grand-Amiral Dönitz.
Aucune accusation n’est portée contre le Grand-Amiral Dönitz dans cette affaire.
Monsieur le Président, les exhumations et la propagande à laquelle elles ont donné naissance ont eu lieu à une époque où le Grand-Amiral Dönitz était Commandant en chef de la Marine. Le Ministère Public affirme qu’il était alors membre du Cabinet et qu’il prit part à toutes les actions du Gouvernement. Je dois donc le considérer comme accusé dans toutes les questions en rapport avec l’affaire de Katyn.
Cela signifierait que nous devrions assister à l’interrogatoire de toutes les personnes qui ont été en relation avec le Gouvernement. Le Tribunal a déjà fait remarquer, à propos de l’amiral Raeder, que son cas n’était pas lié à cette affaire. Ce n’est que si le cas de l’un des accusés est en rapport direct avec cette affaire que les avocats de chacun des accusés pourront procéder à un contre-interrogatoire, en plus de l’interrogatoire effectué par celui des avocats qui a cité le témoin.
Si vous désirez faire une suggestion à l’avocat qui a cité le témoin, vous pouvez le faire, mais vous n’avez pas le droit. ..
Je demandais l’autorisation de poser deux ou trois questions...
Si vous avez des questions particulières à poser, vous pouvez les indiquer au Dr Stahmer qui les posera au témoin.
Monsieur le Président, je n’ai pas très bien compris ; dois-je proposer ces questions au Dr Stahmer ou bien...
Si vous ne pouvez pas le faire oralement, vous pouvez le faire par écrit. Vous pourrez également le faire plus tard. Mais je ne crois pas qu’il y ait des questions si délicates que vous ne puissiez les indiquer au Dr Stahmer.
Le Dr Stahmer peut également les poser, mais je pensais gagner du temps en les posant moi-même.
Je vous l’ai déjà dit : si vous avez des questions à poser, faites-les poser par le Dr Stahmer.
Merci, Monsieur le Président.
Entre temps, nous allons continuer par le contre-interrogatoire, et si vous avez des questions à poser, elles pourront l’être au cours du dernier interrogatoire.
Le Ministère Public désire-t-il contre-interroger ?
Témoin, je voudrais savoir quelles étaient vos occupations exactes en ce qui concerne vos fonctions. Vous étiez chargé des transmissions par télétype à l’Êtat-Major du groupe d’armées du Centre, non pas de transmissions par radio ?
Non, M. le Procureur se trompe, j’étais chargé des transmissions téléphoniques, et non pas des transmissions par radio.
C’est précisément ce que je vous demandais ; la traduction a dû être mauvaise. Vous vous occupiez donc des transmissions téléphoniques ?
Oui, c’est exact.
Étaient-ce des télégrammes chiffrés ou des télégrammes ordinaires ?
Les attributions d’un spécialiste des questions téléphoniques dans un groupe d’armées consistaient à assurer les transmissions téléphoniques...
Les attributions d’ordre général ne m’intéressent pas. Je voudrais savoir s’il s’agissait de télégrammes chiffrés, de télégrammes secrets ou bien du service postal ordinaire de l’armée qui n’était pas secret ?
Il y avait deux sortes de télégrammes : des télégrammes en clair et des télégrammes secrets.
Les télégrammes secrets passaient-ils également par vos mains ?
Les deux catégories passaient par moi.
Donc toutes les communications entre la Wehrmacht, les unités de la Wehrmacht et les autorités supérieures de police passaient par vous ?
Le spécialiste des transmissions avait communication de tous les télégrammes importants, et particulièrement des télégrammes secrets.
Donc, et je vous pose encore une fois la question directement : toute la correspondance entre les autorités de police et les unités de la Wehrmacht passaient bien par vous ?
Je dois préciser que toute la correspondance ne passait pas par le chef du service des transmissions téléphoniques, mais uniquement les télétypes secrets importants ; donc pas l’ensemble de la correspondance qui pouvait se faire par lettres, par courrier ordinaire.
Bien. Savez-vous qu’en septembre et en octobre 1941 se trouvaient à Smolensk des unités spéciales qui étaient chargées, en liaison étroite avec l’Armée, de procéder au « nettoyage » des camps et à l’extermination des prisonniers ?
Monsieur le Président, je dois protester de la façon la plus énergique contre l’interrogatoire de ce témoin. Cet interrogatoire ne peut avoir pour but que d’établir les rapports entre l’État-Major et l’OKW d’une part, et d’éventuels commandos du SD d’autre part. Ils constituent donc une accusation portée contre l’État-Major et l’OKW, et si je ne suis pas autorisé, en tant que défenseur de l’État-Major et de l’OKW, à poser des questions, cette disposition doit, pour des raisons d’équité, être appliquée au Ministère Public.
Permettez-moi, Monsieur le Président, de donner un bref éclaircissement.
La question est pertinente, colonel Smirnov.
Comment ?
La question est pertinente, vous pouvez poser la question.
Témoin, je voudrais vous poser la question suivante : puisque toute la correspondance et tous les télétypes secrets passaient par vous, avez-vous également trouvé parmi ces télétypes des rapports émanant de l’« Einsatzgruppe B », le premier commando ? Ou bien sur des rapports du commando spécial qui se préparait pour une époque plus favorable et se tenait à l’époque à Smolensk ? Ou encore du commando spécial « Moscou » qui devait procéder aux assassinats en masse à Moscou ? L’un et l’autre se trouvaient à Smolensk.
Je n’ai pas eu connaissance de telles informations ; mais je suis en mesure de donner une explication au représentant du Ministère Public. Lorsque de tels commandos étaient employés dans le ressort du groupe d’armées du centre, ces commandos avaient des services de transmissions spéciaux par radio. Ce n’est que plus tard, au cours de la campagne de Russie, que ces services disposèrent, également de transmissions par télétypes pour lesquelles ils utilisaient le réseau du groupe d’armées. Mais cela se passait plus tard.
Donc, en septembre et en octobre 1941, aucun télégramme n’a passé par vos mains qui soit en provenance de ces unités spéciales chargées par les autorités supérieures de la Police d’effecteur des opérations spéciales en commun avec les unités de l’Armée ?
C’est exact ; il n’y avait pas encore à l’époque de services ni de liaisons par télétypes pour ces commandos spéciaux, si toutefois ils se trouvaient déjà dans le territoire.
Monsieur le Président, ce document a déjà été présenté au Tribunal en même temps que le rapport de la Commission extraordinaire d’État, sous le numéro URSS-3, mais je pense qu’il serait bon, si le Tribunal le désire, de remettre au Tribunal et à la Défense la photocopie d’une annexe au rapport de la Commission extraordinaire d’État.
Si le Tribunal veut bien se reporter à la page 2 de ce document, il verra que le commando spécial « Moscou » et l’Einsatzgruppe B se trouvaient à Smolensk. A la page 1, il est dit que ces unités, en coopération avec des détachements de la Wehrmacht, devaient procéder à des exterminations en masse dans les camps. Si le Tribunal m’y autorise, je présenterai le document tout de suite.
Colonel Smirnov, c’est là une affaire d’argumentation. Bien entendu, nous prendrons acte de tout ce qu’a publié le Gouvernement soviétique. J’ai cru comprendre que vous disiez que ce document faisait partie de la communication ou du rapport du Gouvernement soviétique.
Oui, Monsieur le Président, mais je voudrais déposer un document original allemand, un document secret qui déclare que deux importants commandos ont été envoyés dans la région de Smolensk, avec mission de procéder à des exterminations en masse dans les camps. Ils devaient, à cette occasion, être rattachés à des unités de la Wehrmacht et collaborer avec elles.
Colonel Smirnov, le document que vous venez de nous remettre fait-il partie du rapport URSS-3 ?
Oui, Monsieur le Président, c’est une partie du rapport qui porte le numéro URSS-3. Le titre en est :
« Directives spéciales du Gouvernement de Hitler concernant l’extermination massive’ des prisonniers de guerre ». Je demande au Tribunal l’autorisation — bien que le rapport entier ait été présenté — de déposer le document original. On y dit que ces unités spéciales étaient à Smolensk et devaient, en coopération avec l’Armée, procéder à des exterminations massives dans les camps.
Oui, colonel Smirnov, ce document a déjà été déposé, si le Tribunal est bien informé.
Je vous remercie, Monsieur le Président. (Au. témoin.) On peut donc admettre comme établi que la correspondance de ces unités spéciales, leurs télégrammes, ne passaient pas par vous ?
II l’a déjà dit deux fois.
Comment pouvez-vous affirmer avec une telle assurance qu’il n’existait pas de rapports concernant l’assassinat de Polonais ? L’assassinat des prisonniers de guerre polonais constituait une opération spéciale dont le compte rendu devait passer par vous ? Est-ce exact ?
J’ai répondu au représentant du Ministère Public... non, au Dr Stahmer, que si de tels assassinats avaient eu lieu dans le territoire du régiment 537, j’en aurais eu connaissance sans aucun doute. Je n’ai jamais prétendu ce qu’essaie de me faire dire maintenant le représentant du Ministère Public...
Colonel Smirnov, le Tribunal estime qu’il serait préférable que vous donniez lecture de cet extrait du document allemand au Tribunal pour qu’il puisse être inscrit au procès-verbal.
Dans ce document, Monsieur le Président...
Poursuivez, colonel Smirnov.
Je vous remercie, Monsieur le Président. Ce document est daté de Berlin, 29 octobre 1941. Il a pour entête : « Le chef de la Police de sûreté et du SD » et porte la mention :
« Secret d’État, ordre spécial n° 14 ». Il renvoie aux instructions des 17 juillet et 12 septembre 1941.
Je citerai quelque phrases et commencerai par la première : « Je vous adresse en annexe les instructions relatives au nettoyage des camps de prisonniers de guerre et des camps de passage occupés par des prisonniers civils et militaires soviétiques situés dans la zone de l’arrière des armées...
« Ces directives ont été élaborées en accord avec l’OKH. L’OKH en a informé les commandants militaires de la zone de l’arrière des armées, ainsi que les commandants régionaux des prisonniers de guerre et les commandants des camps de passage.
« Les groupes spéciaux (Einsatzgruppen) constitueront immédiatement, sous le commandement d’un chef SS, des commandos, dont l’effectif variera selon l’importance des camps se trouvant dans leur ressort. Ces commandos commenceront immédiatement à exercer leur activité dans les camps. »
J’interromps ici cette citation et je cite le dernier paragraphe :
« Je souligne notamment que les ordres d’opérations numéros 8 et 14, ainsi que les dispositions complémentaires, doivent être détruits immédiatement en cas de danger. »
Je termine ici cette citation et ne donnerai lecture que de la liste des destinataires. A la page 2, je citerai un passage concernant la région de Smolensk. On y dit qu’à Smolensk était stationné l’Einsatzgruppe B, composé de Sonderkomman.dos 7-a, 7-b, 8 et 9. En outre, se trouvait déjà à Smolensk le Sonderkommando dénommé un peu prématurément par ses chefs « Sonderkommando Moscou ». Tel est le contenu de ce document, Monsieur le Président.
Le Tribunal demande que le document tout entier soit traduit.
Nous allons maintenant ajourner l’audience jusqu’à 2 h. 5.