CENT SOIXANTE-HUITIÈME JOURNÉE.
Lundi 1 Juillet 1946.
Audience de l’après-midi.
(Le témoin von Eichborn est à la barre des témoins.)Je n’ai plus de questions à poser au témoin, Monsieur le Président.
Docteur Stahmer !
Témoin, savez-vous à qui appartenait ce petit château sur le Dniepr avant l’occupation allemande ? Savez-vous qui l’habitait ?
Je ne peux pas le dire avec certitude. Nous avions remarqué que ce petit château était particulièrement bien installé. Il était très bien construit, contenait deux salles de bains, un stand de tir et un cinéma. Nous en avions conclu certaines choses quand les événements eurent été connus, mais je ne sais rien au suiet du propriétaire précédent.
Le représentant du Ministère Public soviétique vous a présenté un document du 29 octobre 1941, intitulé : « Instructions pour les commandos du chef de la Police de sûreté à détacher dans les camps de base et les camps de passage ». Au sujet de ce document, je vous pose la question suivante : avez-vous eu personnellement l’occasion de connaître l’opinion du maréchal von Kluge, Commandant en chef du groupe d’armées du Centre, à propos de l’exécution des prisonniers de guerre ?
J’ai, par hasard, été témoin d’une conversation entre les Commandants en chef Bock et Kluge. Cette conversation a eu lieu environ trois ou quatre semaines avant le début de la campagne de Russie ; je ne peux pas en donner la date exacte. A ce moment-là, le maréchal von Bock était Commandant en chef du groupe d’armées du Centre, et le maréchal von Kluge était Commandant en chef de la 4e armée. Le groupe d’armées était à Poznan, la 46 armée à Varsovie.
Un jour, j’ai été appelé auprès de l’aide de camp du maréchal von Bock, le lieutenant-colonel comte Hardenberg. Il m’a chargé...
Docteur Stahmer, ces détails n’ont aucun caractère de pertinence ; tout ce que vous voulez connaître, c’est l’opinion de von Kluge.
La réponse ne m’est pas parvenue, Monsieur le Président. Je n’ai pas compris ce que vous avez dit.
Je disais que tous ces détails sur l’endroit où von Kluge a rencontré un autre Commandant en chef d’armée sont tout à fait dénués de pertinence. Tout ce que voulez savoir, c’est quelle était l’opinion de von Kluge à l’égard des assassinats de prisonniers. C’est tout n’est-ce pas ?
Oui. (Au témoin.) Répondez brièvement à cette question. Dites simplement ce qu’a dit von Kluge.
Au cours d’une conversation téléphonique, M. von Kluge a dit à M. von Bock que l’ordre prévoyant l’exécution de certains prisonniers ne pouvait pas être exécuté et était incompatible avec la discipline de la troupe. M. von Bock était du même avis et ils se sont entretenus pendant une demi-heure des mesures qu’ils se proposaient de prendre à ce sujet.
Selon le Ministère Public, l’exécution de ces 11.000 officiers polonais se serait produite en septembre 1941. Je vous demande maintenant ceci : estimez-vous étant donné les conditions locales, que de telles exécutions en masse et l’ensevelissement des corps aient pu avoir lieu à proximité du Quartier Général de votre État-Major, sans que vous en ayez eu connaissance ?
Les préparatifs pour le transfert du groupe d’armées à Smolensk étaient considérables. Nous avions engagé de nombreuses troupes de transmission afin d’avoir une bonne installation. L’ensemble du terrain était constamment utilisé pour la pose de câbles et de conduites. Il est absolument impossible qu’une telle chose ait pu avoir lieu, particulièrement sur ce terrain, sans que cela soit parvenu à la connaissance du régiment et, par là même, à ma propre connaissance.
Je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.
Le témoin peut se retirer.
Monsieur le Président, avant de citer le troisième témoin, le général Oberhäuser, je vous prie de me permettre de faire l’observation suivante : jusqu’ici, le Ministère Public avait simplement affirmé que c’était le régiment 537 qui avait procédé à ces exécutions sous la direction du colonel Ahrens. Aujourd’hui encore, le colonel Ahrens a été accusé de ce fait par le Ministère Public. Ensuite, cette accusation a été manifestement abandonnée et on a soutenu que si ce n’était pas Ahrens, c’était son prédécesseur, le colonel Bedenck, et que si ce n’était pas lui — c’est apparemment la troisième version — c’était le SD. La Défense s’était surtout attachée à réfuter l’affirmation selon laquelle le colonel Ahrens aurait accompli ce crime, et y est parvenue.
Étant donné ces nouvelles circonstances et la nouvelle attitude du Ministère Public, je me vois obligé de citer un quatrième témoin, le lieutenant Hodt, désigné aujourd’hui comme étant l’auteur du crime, qui appartenait dès le début à l’État-Major du régiment et qui, dès le mois de juillet, était le premier entré dans ce château du Dniepr avec le commando préparatoire. J’ai appris hier par hasard l’adresse du lieutenant Hodt. Il est" à Glûcksburg, près de Flensburg. Je prie le Tribunal de bien vouloir entendre encore ce témoin qui établira qu’il n’a pas non plus été procédé à de telles exécutions entre juillet et septembre.
Docteur Stahmer, le Tribunal prendra en considération votre requête au sujet de ce nouveau témoin, au cours de la suspension d’audience de trois heures et demie.
Je demande maintenant la comparution, à titre de témoin, du général Oberhäuser. (Le témoin vient à la barre.)
Veuillez décliner votre nom.
Eugen Oberhäuser.
Voulez-vous prêter ce serment après moi :
« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité, et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Mon général, quel poste occupiez-vous au cours de la guerre ?
J’étais chef du service de transmissions auprès du groupe d’armées du Nord pendant la campagne de Pologne ; pendant la campagne de l’Ouest, auprès du groupe d’armées B, et pendant la campagne de Russie, auprès du groupe d’armées du Centre.
Quand êtes-vous arrivé avec votre État-Major à proximité de Katyn ?
Vers le mois de septembre 1941.
Où était cantonné votre État-Major ?
Mon État-Major était cantonné à proximité immédiate du Commandant en chef du groupe d’armées, environ à douze kilomètres à l’ouest de Smolensk, à la hauteur de la gare de Krasnibor.
Le régiment 537 était-il sous votre commandement ?
Le régiment 537 était directement sous mes ordres.
Quelle étaient les missions de ce régiment ?
Ce régiment était chargé de réaliser la liaison par fil et par radio entre le Haut Commandement du groupe d’armées et les armées, certaines autres unités qui en dépendaient directement.
L’État-Major de ce régiment était-il cantonné à proximité de votre propre cantonnement ?
L’État-Major de ce régiment était cantonné environ à trois kilomètres à l’ouest de mon propre cantonnement ; peut-être y avait-il quatre kilomètres.
Pouvez-vous donner une indication plus précise sur la situation du Quartier Général de l’État-Major 537 ?
L’État-Major 537 était logé dans une très belle maison de bois de style russe. D’après ce qu’on nous a dit, elle avait été autrefois habitée par des commissaires. Elle surplombait le Dniepr et était un peu à l’écart de la route, à quatre cents ou cinq cents mètres environ et, de chez moi, à quatre kilomètres à l’ouest sur la route de Smolensk à Vitebsk.
Qui commandait ce régiment après la prise de Smolensk ?
Après la prise de Smolensk, c’était le colonel Bedenck qui commandait le régiment.
Pendant combien de temps ?
Jusqu’en novembre 1941 environ.
Qui lui a succédé ?
Son successeur était le colonel Ahrens.
Pendant combien de temps ?
Environ jusqu’en septembre peut-être seulement jusqu’en août 1943.
Êtes-vous également resté à proximité de Katyn pendant ce même temps ?
J’y suis resté jusqu’à l’évacuation et jusqu’au moment où le groupe d’armées a déplacé son Quartier Général plus à l’Ouest.
Quels étaient vos rapports avec les chefs de ce régiment ?
Mes rapports avec les chefs de ce régiment étaient extrêmement cordiaux, qu’il s’agisse de rapports de service ou de rapports privés. Cela provenait du fait que j’avais été le premier commandant de ce régiment, que je l’avais formé moi-même, et que j’y étais très attaché.
Vous rendiez-vous fréquemment à ce petit château sur le Dniepr ?
J’y allais très souvent. Je peux dire qu’en temps normal j’y allais une ou deux fois par semaine.
Les commandants du régiment vous rendaient-ils quelquefois visite ?
Ils venaient me voir plus souvent que je n’allais chez eux.
Saviez-vous qu’à proximité de Smolensk, à une distance d’environ vingt-cinq à quarante-cinq kilomètres à l’ouest, il y avait trois camps russes qui contenaient des prisonniers de guerre polonais...
Je n’en savais rien.
... tombés aux mains des Allemands ?
Je n’ai jamais rien entendu dire à ce sujet.
Un ordre a-t-il été donné — en provenance de Berlin — prescrivant de fusiller les officiers polonais prisonniers de guerre ?
Jamais un tel ordre n’a été donné.
Avez-vous peut-être donné vous-même un tel ordre ?
Je n’ai jamais donné un tel ordre.
Savez-vous si le colonel Bedenck ou le colonel Ahrens ont fait procéder à de telles exécutions ?
Je n’en suis pas informé, mais j’estime que c’est impossible.
Pourquoi ?
D’abord, parce qu’un ordre aussi important aurait nécessairement passé par moi, puisque j’étais le supérieur hiérarchique direct du régiment, et ensuite parce que si, pour une raison que je ne m’explique pas et par une voie qui m’est inconnue, un tel ordre avait été transmis au régiment, il est’certain que les chefs de ce régiment m’auraient immédiatement téléphoné ou seraient venus me voir pour me dire : « Mon général, voici ce qu’on nous demande, nous ne comprenons pas ».
Connaissez-vous le lieutenant Hodt ?
Je connais le lieutenant Hodt.
Quel était son poste au régiment 537 ?
Hodt occupait différentes fonctions dans le régiment. Le plus souvent, on l’envoyait en avant parce que c’était un officier particulièrement qualifié au point de vue technique, pour faire les préparatifs lorsqu’on déplaçait le Quartier Général. Il lui arrivait aussi de commander le détachement avancé de la compagnie dite « Betriebskompanie » qui installait les nouveaux postes de commandement ; enfin, il était également auprès du spécialiste des téléphones du régiment et chargé de tout ce qui concernait les communications et installations de téléphone et de télétype auprès du commandement du groupe d’armées. Enfin, il était parfois détaché à mon État-Major pour remplacer certains de mes officiers en permission.
A-t-il également commandé le détachement au moment de l’avance vers Katyn ?
Je ne peux pas le dire ; je peux simplement dire que le chef des transmissions de mon État-Major m’avait dit qu’on avait" envoyé un officier qui devait, en mon nom, puisque, à ce moment-là, j’étais encore dans l’ancien cantonnement, faire en sorte que tous les préparatifs soient pris comme je voulais qu’ils le fussent. Qui le régiment a envoyé à ce moment-là, je ne m’en souviens plus, mais il est parfaitement possible que ce fût le lieutenant Hodt.
Au moment de la prise de Smolensk qui, à ma connaissance, eut lieu vers le 20 juillet 1941, et jusqu’au moment du transfert de votre État-Major à Katyn, c’est-à-dire le 20 septembre, étiez-vous à Katyn ou dans les environs ?
J’étais dans les environs, à l’endroit où l’État-Major du groupe d’armées voulait s’établir, dans la forêt à l’ouest de Smolensk, dont Katyn faisait également partie.
Y êtes-vous allé à plusieurs reprises à cette époque ?
Trois ou quatre fois peut-être.
Avez-vous pu parler à Hodt à l’occasion ?
S’il était officier appartenant à l’État-Major du régiment, ce que je ne peux plus dire avec certitude, je lui ai certainement parlé. Mais, de toutes façons, je me suis entretenu avec l’officier que j’avais envoyé en avant et celui du régiment.
Avez-vous entendu dire qu’à ce moment-là des exécutions auraient eu lieu là-bas ?
Je n’en ai jamais entendu parler ; je n’ai jamais entendu dire quoi que ce soit à ce sujet, sauf en 1943, lorsqu’on a ouvert les fosses.
Disposiez-vous, et le régiment 537 disposait-il des moyens techniques, pistolets, munitions, etc., qui auraient permis de procéder à des exécutions d’une telle ampleur ?
Réglementairement, l’armement et la dotation en munitions étaient, puisque c’était un régiment de transmissions disposé à l’arrière, moins importants que ceux d’un régiment combattant. Une telle mission eût été pour le régiment quelque chose d’extraordinaire, car premièrement un régiment de transmissions avait des missions toutes différentes et, de plus, il n’aurait pas été en mesure, techniquement, de procéder à de telles exécutions en masse.
Connaissez-vous l’endroit où l’on a découvert plus tard les fosses ?
Je connais l’endroit parce que j’ai souvent passé, par là en voiture.
Pouvez-vous en donner une description plus détaillée ?
De la route Smolensk-Vitebsk, un chemin forestier passait à travers un terrain vallonné. C’était un terrain sablonneux couvert de buissons, de bruyères. On quittait la route principale et, par un chemin étroit, on allait de la route au petit château sur le Dniepr.
Les endroits où l’on a découvert les fosses plus tard étaient-ils déjà couverts de végétation au moment où vous êtes arrivé ?
Cet endroit était couvert de végétation, comme partout d’ailleurs, tous les alentours, et rien ne le distinguait du reste du terrain.
Étant donné la connaissance que vous avez des lieux, estimez-vous possible qu’à cet endroit aient été enterrés 11.000 Polonais qui auraient été exécutés entre juin et septembre 194l ?
J’estime que c’est impossible pour la simple raison que si le commandant du régiment l’avait su à ce moment-là, il n’aurait jamais choisi pour Quartier Général cet endroit situé à côté de 11.000 cadavres.
Savez-vous comment on a découvert les tombes ?
Je n’avais rien à faire avec cette question officiellement. J’ai seulement entendu dire que, par des habitants ou par quelqu’un d’autre, on avait appris que, des années auparavant, des exécutions en masse avaient eu lieu à cet endroit.
Par qui avez-vous appris cela ?
Probablement par le commandant du régiment lui-même, parce qu’il est probable qu’étant à proximité immédiate, il en a été informé plus tôt que moi, mais je ne puis pas m’en souvenir exactement.
On ne vous a pas signalé officiellement la découverte de ces fosses ?
Non, jamais.
Après l’ouverture de ces fosses, avez-vous parlé avec des membres allemands ou étrangers de la commission d’enquête ?
Je ne me suis jamais entretenu avec aucun membre de cette commission.
Je n’ai pas d’autres questions à poser, Monsieur le Président.
Colonel Smirnov ?
Témoin, vous êtes arrivé dans la région de Katyn au mois de septembre 1943 ?
1941 et non pas 1943.
Pardon, je voulais dire au mois de septembre 1941. C’est bien exact ?
Oui, septembre 1941.
Vous affirmez que vous ne saviez rien des camps de prisonniers de guerre polonais qui étaient tombés aux mains des troupes allemandes avec les autres prisonniers de guerre ?
Je n’ai jamais entendu dire que des prisonniers de guerre polonais fussent entre les mains des Allemands.
Oui, je comprends que cela n’ait pas eu de rapport avec les missions qui vous incombaient, en tant que commandant d’un régiment de transmissions ; mais peut-être avez-vous eu l’occasion d’être témoin de faits tels que le nettoyage par diverses troupes allemandes des régions boisées aux environs de la route Smolensk-Vitebsk afin de retrouver les prisonniers de guerre polonais qui s’étaient échappés des camps.
Je n’ai jamais entendu dire que des troupes aient été envoyées pour rattraper les prisonniers de guerre polonais évadés. J’entends dire cela pour la première fois ici.
Je vous prie de répondre à la question suivante : n’avez-vous pas vu des unités allemandes convoyer des prisonniers de guerre polonais que l’on avait pris dans les forêts ?
Je n’ai pas vu cela.
Voulez-vous répondre à la question suivante : vous étiez en bons rapports avec le colonel Ahrens, n’est-ce pas ?
J’ai été en bons rapports avec tous les chefs du régiment.
De plus, vous étiez son chef direct, n’est-ce pas ?
Oui.
Le lieutenant-colonel Ahrens a découvert les fosses communes dès la fin de 1941 ou au début de 1942. Vous a-t-il jamais fait part de cette découverte ?
Je ne crois pas que le colonel Ahrens ait découvert ces fosses en 1941. Je ne peux pas m’imaginer cela, et d’ailleurs je ne peux pas non plus comprendre que, s’il l’avait fait, il ne m’en ait rien dit.
De toute façon, vous maintenez que ni en 1942, ni en 1943, le colonel Ahrens ne vous a rien dit à ce sujet ?
Le colonel Ahrens ne m’en a jamais rien dit et il m’en aurait parlé s’il avait été au courant.
Vous avez fait à une question de la Défense la réponse suivante qui m’intéresse : vous avez déclaré que le régiment de transmissions n’avait pas suffisamment d’armes pour procéder à des exécutions. Que voulez-vous dire par là ? Quelles sont les armes qu’avait ce régiment et quel était leur nombre ?
Le régiment de transmissions était doté surtout de pistolets et de carabines. Il n’avait pas d’armes automatiques.
Des pistolets de quel calibre ?
C’étaient des pistolets parabellum dont le calibre est 7,65 je crois ; mais je ne saurais le dire exactement.
Des parabellum 7,65 ou bien y avait-il des pistolets Mauser ou d’autres armes ?
C’était variable. Les sous-officiers avaient, autant que je sache, de petits pistolets Mauser ; seuls, les officiers avaient des pistolets ; les hommes de troupe avaient, pour la plupart, des carabines.
Non, je voudrais que vous vous arrêtiez un peu sur ces pistolets. Vous dites qu’ils étaient du calibre 7,65 ?
Je ne peux, pour le moment, rien dire de précis sur le calibre. Je sais que le parabellum a un calibre de 7,65 ou un calibre voisin, mais je crois que le pistolet Mauser a un calibre un peu plus réduit.
Et le pistolet Walter ?
II y avait également des Walter. Je crois qu’ils avaient le même calibre que les Mauser. Le Walter est un petit pistolet de couleur noire, meilleur que le parabellum qui est plus lourd et plus difficile à manier.
Oui, c’est exact. Je vous prie de me dire si les sous-officiers de ce régiment avaient de ces petits pistolets ?
En règle générale, les sous-officiers avaient des pistolets et pas de carabines.
C’est bien clair. Peut-être pourriez-vous me dire encore de combien de pistolets environ disposait le régiment de transmissions ?
II est évident que je ne peux pas le dire maintenant, ici. Mais admettons que chaque sous -officier avait un pistolet...
II y avait combien de sous-officiers ? Combien y avait-il, au total, de pistolets dans le régiment, si l’on admet que chaque sous-officier en avait un ?
Dans tout le régiment, si l’on compte un pistolet par sous-officier, cela ferait, par compagnie :
15 X 10 = 150. Mais il est impossible maintenant de fixer un chiffre exact. Tout ce que je puis donner, c’est une indication.
Mais pourquoi pensez-vous que cent cinquante pistolets ne suffiraient pas pour une exécution en masse qui s’étendrait sur une période assez longue ? Sur quoi basez-vous une affirmation aussi catégorique ?
Parce qu’un régiment de transmissions appartenant à un groupe d’armées tel que le groupe d’armées du Centre, réparti sur un espace très vaste, n’est jamais réuni. Ce régiment était disséminé de Kolodov à Vitebsk en petites unités. Au poste central du régiment n’était réuni qu’un nombre d’hommes relativement restreint. Il n’y a donc jamais eu cent cinquante revolvers au même endroit.
L’unité principale du régiment de transmissions était bien dans la forêt de Katyn ?
Je n’ai pas compris la question.
Je dis : les unités principales de votre régiment étaient bien stationnées dans la forêt de Katyn ?
La V e compagnie était cantonnée entre le Quartier Général du régiment et le Haut Commandement du groupe d’armées, et réalisait les liaisons par téléphone et télétype du groupe d’armées. C’était donc la compagnie qui était la plus proche.
Encore une question. Les officiers de ce régiment étaient sans doute armés de pistolets et non pas de carabines ?
Les officiers n’avaient que des pistolets, et en général des petits pistolets. Il se peut aussi que l’un ou l’autre ait eu un parabellum.
C’est-à-dire un Walter ou un Mauser ?
Oui.
Vous alliez souvent à la petite villa où était cantonné l’État-Major du 537e régiment, n’est-ce pas ?
Oui, j’y allais au moins une fois par semaine, parfois deux.
Vous est-il arrivé de vous intéresser à la question de savoir pourquoi des soldats appartenant à d’autres unités venaient à la villa de Kosich-Gory ? Pourquoi on leur mettait des lits supplémentaires et on leur attribuait des rations supplémentaires de vivres et de boisson ?
Je ne pense pas qu’il y ait eu un nombre appréciable d’autres unités ou de personnes provenant d’autres unités. Je n’en sais rien.
Je ne parle pas d’un nombre considérable. Je dis vingt, quelquefois vingt-cinq hommes.
Lorsque le commandant du régiment convoquait les commandants de compagnies et de bataillons pour une réunion d’officiers, on voyait évidemment à ce moment-là quelques douzaines d’officiers que l’on ne voyait pas habituellement.
Non, je ne parle pas d’officiers appartenant à cette unité. Je voudrais vous poser une autre question : les soldats du régiment 537 portaient-ils le numéro du régiment sur leurs épaulettes ?
Autant que je m’en souvienne, ils portaient le numéro, mais au début de la guerre il était masqué par une bande. Je ne sais plus si, à ce moment-là, il était masqué ou non. En tout cas, à l’entrée du poste de commandement du régiment sur la route, il y avait un fanion noir-jaune-noir qui portait le chiffre 537.
Oui. Je parle de soldats qui venaient à la villa Kosich-Gory et ne portaient pas le chiffre 537 sur leurs épaulettes. Ne vous êtes-vous jamais demandé ce que venaient faire ces soldats aux mois de septembre et d’octobre 1941 ? Le commandant d’unité ne vous en a-t-il jamais fait part ?
Puis-je vous demander en quelle année ceci aurait eu lieu ? En 1941 ?
Oui, je parle de 1941.
Je ne crois pas qu’à ce moment-là il y ait eu à l’État-Major un trafic très intense de gens étrangers à l’unité, car on procédait alors seulement à l’installation et je ne peux pas imaginer que d’autres corps de troupes, même s’il ne s’était agi que de vingt à vingt-cinq hommes, y fussent venus. Personnellement, comme je l’ai dit tout à l’heure, je n’y venais qu’une ou deux fois par semaine, et cela à partir de septembre ou d’octobre seulement.
A partir de quelle date, au mois de septembre, avez-vous commencé à vous rendre une ou deux fois par semaine à cette villa ? Vous venez de dire septembre, mais à partir de quelle date ?
Je ne peux pas le dire. Le Haut Commandement du groupe d’armées s’est transféré dans cette région à la fin du mois de septembre, relativement peu de temps avant le début de la bataille de Viasma qui a commencé le 2 octobre. Il venait de Borossilov.
Ainsi donc, vous avez pratiquement pu aller pour la première fois à cette villa, soit à la fin du mois de septembre, soit au début du mois d’octobre 1941 ?
Ce n’est qu’à partir de cette date que le petit château fut définitivement occupé, car le régiment n’est pas venu beaucoup plus tôt que nous à cet endroit, pas beaucoup plus tôt que le Haut Commandement.
Colonel Smirnov, est-il vraiment nécessaire d’entrer dans toust ces détails ?
Monsieur le Président, je pose ces questions pour la raison suivante : dans un moment, nous interrogerons les témoins du Ministère Public soviétique sur le même sujet, et notamment la personne qui a dirigé l’expertise médico-légale. C’est pourquoi je demande au Tribunal de m’autoriser à poser une question au sujet de l’époque à laquelle le témoin est venu à la villa. C’est la dernière question que je voulais poser sur ce sujet.
Bien, mais n’entrez pas dans les détails plus qu’il ne vous paraît absolument nécessaire.
Ainsi donc, au début de septembre, vous n’avez pas été dans cette villa dans la forêt de Katyn et vous ne pouviez pas y avoir été ?
Je ne m’en souviens plus exactement. Le commandant du régiment était allé reconnaître ce petit château pour son état-major. Je ne sais pas quand il y est entré. J’avais autre chose à faire et il est impossible que je le sache.
Je parle de vous personnellement. Vous n’avez pas pu, pratiquement, aller dans la première moitié de septembre ou même jusqu’au 20 septembre dans cette villa ?
Je ne crois pas.
Je n’ai plus d’autres questions à poser, Monsieur le Président.
Désirez-vous interroger à nouveau le témoin, Docteur Stahmer ?
Malheureusement, Monsieur le Président, je me vois obligé de revenir encore sur la question du temps parce qu’elle n’est pas ressortie d’une manière très claire de ce dernier interrogatoire. (Au témoin.) Quand le régiment 537 a-t-il pris possession de ce petit château ?
Je suppose que c’était au cours du mois de septembre.
Au début ou à la fin du mois de septembre ?
Plutôt vers la fin du mois de septembre.
Jusque là, il n’y avait donc que ce détachement précurseur ?
Oui, il y avait le détachement précurseur du régiment et les officiers que j’avais envoyés en avant.
Combien de sous-officiers y avait-il dans ce détachement ?
Je ne peux pas dire exactement ce que le régiment avait envoyé. Personnellement, j’avais envoyé un officier. D’une manière générale, on peut dire que le régiment ne peut pas en avoir envoyé beaucoup. En général, il en est ainsi : ce régiment devait encore occuper l’ancien poste de commandement à Borossilov et devait en même temps établir le nouveau poste. Par conséquent, au moment du regroupement, du bond comme l’on dit, d’un État-Major, il y a toujours un grand manque de personnel. L’ancien poste doit encore être occupé et le nouveau a besoin de main-d’œuvre pour l’installation. Donc, il y avait à ce moment-là, comme toujours dans de tels cas, trop peu de personnel.
Pourriez-vous indiquer approximativement l’effectif de ce détachement ?
Peut-être trente, quarante, ou cinquante hommes.
Des sous-officiers ?
Probablement un ou deux officiers, quelques sous-officiers et quelques hommes de troupe.
Le régiment était très dispersé, n’est-ce pas ?
Oui.
Sur quelle distance environ ?
II était réparti sur tout le terrain couvert par le groupe d’armées du Centre, disons par exemple Orel-Vitebsk ; ils étaient répartis dans tout cet espace.
Cela représente combien de kilomètres, à peu près ?
Plus de cinq cents kilomètres.
Connaissez-vous le général de la justice militaire, Conrad, du groupe d’armées du Centre ?
Oui.
Savez-vous si, en 1943, il a procédé à des interrogatoires de la population, sous la foi du serment, au sujet de l’époque à laquelle les officiers polonais avaient été exécutés dans la forêt de Katyn ?
Je n’en sais rien.
Je n’ai pas d’autres questions à poser, Monsieur le Président.
Y avait-il des Einsatzkommandos dans la région de Katyn à l’époque où vous vous y trouviez ?
Je n’en ai jamais entendu parler.
Avez-vous jamais entendu parler d’un ordre d’exécuter des commissaires soviétiques ?
J’en ai simplement entendu parler
A quel moment ?
Cela devait être au début de la campagne de Russie.
Avant le début de cette campagne ou après ?
Je ne me souviens pas en avoir entendu dire quoi que ce soit avant le début de la campagne.
Qui devait exécuter cet ordre ?
Les troupes de transmissions ne faisaient pas partie des troupes combattantes ; elles n’avaient donc absolument rien à faire avec cela et nous n’avons aucun rapport avec cet ordre.
Ce n’est pas ce que je vous ai demandé. Je vous ai demandé qui devait exécuter cet ordre ?
Je suppose qu’il s’agit des gens qui entraient en contact avec eux.
Alors, toute personne qui entrait en contact avec les commissaires soviétiques devait les exécuter ? C’est cela ?
Non, je suppose que cela concernait les unités combattantes elles-mêmes, celles qui étaient en première ligne et étaient les premières en contact avec l’ennemi. Cela ne pouvait, en fin de compte, concerner que le groupe d’armées. Le régiment de transmissions ne pouvait pas entrer en contact avec ces commissaires et c’est probablement la raison pour laquelle il n’a pas été mentionné dans cet ordre et n’en a pas été affecté.
Le témoin peut se retirer.
Monsieur le Président, je demande maintenant la comparution à la barre de l’ancien maire adjoint de Smolensk, le professeur d’astronomie Boris Bazilevsky. (Le témoin vient à la barre.)
Veuillez, je vous prie, donner votre nom.
Boris Bazilevsky.
Veuillez prêter serment sous cette forme :
« Moi, citoyen de l’Union Soviétique, cité comme témoin dans cette affaire, je promets solennellement et jure devant le Haut Tribunal de dire tout ce que je sais de cette affaire, de ne rien ajouter ni retrancher. » (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Permettez-moi, Monsieur le Président, de procéder à mon interrogatoire.
Certainement.
Dites-moi, témoin, quelles étaient vos fonctions avant l’occupation allemande dans la ville et la région de Smolensk, et où habitiez-vous ?
Avant l’occupation de Smolensk et de la région, j’habitais Smolensk...
Parlez beaucoup plus lentement, je vous prie.
... J’étais professeur à l’université de Smolensk, puis à l’institut pédagogique de cette ville. En même temps, j’étais directeur de l’Observatoire. Pendant dix ans, je fus doyen de la faculté de Physique et de Mathématiques et, au cours des dernières années, j’étais directeur adjoint de la section scientifique.
Combien de temps avez-vous habité à Smolensk avant l’occupation ?
Depuis 1919.
Connaissiez-vous ce qu’on a appelé la forêt de Katyn ?
Oui.
Parlez plus lentement, je vous prie.
En fait, c’était plutôt un bois ; c’était l’endroit favori des habitants de Smolensk qui venaient y passer les jours de fête et également leurs vacances d’été.
Ce bois de Katyn, avant le début de la guerre, constituait-il un terrain spécial ? Était-il gardé par des hommes en armes, par des chiens, ou était-il isolé d’une façon quelconque ?
Pendant les nombreuses années que j’ai habité Smolensk, l’accès de cet endroit n’a jamais été interdit. J’y suis personnellement allé très souvent, et les dernières fois en 1940 et au printemps de 1941. Dans cette forêt, se trouvait également un camp de pionniers. L’accès de cet endroit était donc parfaitement libre à tout le monde.
Je voudrais m’arrêter sur cette question. Ce camp de pionniers s’y trouvait en quelle année ?
Autant que je le sache, il s’y trouvait depuis de nombreuses années, et surtout en 1940...
Un instant. Professeur, voudriez-vous attendre une minute, s’il vous plaît ; lorsque vous voyez s’allumer la lampe jaune, cela veut dire que vous parlez trop vite, et lorsqu’on vous pose une question, marquez un temps avant de répondre. Comprenez-vous ?
Oui.
Je vous prie de répéter lentement votre réponse.
La dernière fois, d’après ce que je sais, le camp de pionniers de Smolensk se trouvait dans la forêt de Katyn en 1941.
Cette forêt de Katyn n’était donc pas particulièrement gardée en 1940 et 1941, c’est-à-dire avant le début de la guerre, et l’accès en était libre pour tous ? Vous parliez bien du printemps de 194l ?
Oui. Je confirme qu’il en était ainsi.
L’affirmez-vous comme témoin oculaire ou pour l’avoir entendu dire ?
Je l’affirme comme témoin oculaire.
Je vous prie maintenant de dire au Tribunal dans quelles circonstances vous êtes devenu le premier remplaçant du maire de la ville de Smolensk pendant l’occupation allemande. Parlez lentement, je vous prie.
Étant donné que j’étais fonctionnaire, je n’ai pas eu l’occasion de partir en temps utile, car je devais cacher une bibliothèque extrêmement précieuse et diverses installations appartenant à l’institut et qui avaient également beaucoup de valeur. Dans ces circonstances, je n’ai pu essayer de quitter la ville que le 15 au soir, mais je n’ai pas pu prendre le train ; je fixai donc mon départ au 16 au matin. Mais, dans la nuit du 15 au 16 juillet, Smolensk fut occupée par les troupes allemandes sans qu’on s’y attendît, les ponts sur le Dniepr avaient sauté et, par la force des circonstances, je me trouvai prisonnier.
Quelque temps après, le 20 juillet, à l’Observatoire où j’habitais en tant que directeur, je vis entrer un groupe de soldats allemands. Ils notèrent que j’étais le directeur de l’Observatoire et que je vivais là ainsi que le professeur de physique Efimov. Le soir du 20 juillet, deux officiers allemands vinrent me voir et m’emmenèrent à l’État-Major de l’unité qui avait occupé Smolensk ; après vérification de mes papiers et après une conversation assez brève, on me proposa de prendre le poste de maire. Je refusai, disant que j’étais professeur d’astronomie et que je n’avais pas l’expérience voulue pour ce genre de choses et que je ne pouvais pas prendre la responsabilité d’assumer une telle fonction. On me déclara de façon catégorique et même en me menaçant : « Nous obligerons toute l’intelligence russe à travailler ».
Si je comprends bien, les Allemands vous ont donc obligé, en vous menaçant, à remplacer le maire de cette ville ?
Ce n’est pas tout ; on m’indiqua à ce moment-là que, quelques jours plus tard, on m’appellerait à la Kommandantur. Le 25 juillet, je vis arriver chez moi, accompagné d’un gendarme allemand, un homme inconnu de moi, habillé en civil, et qui se présenta comme étant un avocat de Smolensk, du nom de Menschagin. Il me déclara qu’il venait au nom de la Kommandantur allemande et que je devais immédiatement m’y rendre avec lui...
Colonel Smirnov, vous passez beaucoup de temps sur la façon dont le témoin a été nommé maire de Smolensk.
Merci, Monsieur le Président, nous passerons donc à une autre question. (Au témoin.) Qui était le maire de Smolensk ?
C’était l’avocat Menschagin.
Quels étaient ses rapports avec les autorités allemandes et notamment avec la Kommandantur allemande de cette ville ?
II était en excellents rapports avec eux ; ces rapports devinrent de plus en plus étroits.
Peut-on dire que Menschagin jouissait de la confiance de l’administration allemande et que les Allemands lui confiaient même des secrets ?
Oui, c’est indubitable.
Savez-vous si, dans les environs de Smolensk, il y avait des prisonniers de guerre polonais ?
Oui.
Savez-vous à quoi ils étaient occupés ?
Colonel Smirnov, je ne sais pas ce que vous voulez prouver par là ; vous le savez sans doute, mais ne pourriez-vous pas en venir le plus vite possible au fait ?
Le témoin dit qu’il savait qu’il y avait des prisonniers de guerre polonais à Smolensk, et avec votre permission, je voudrais demander au témoin à quoi étaient occupés ces prisonniers de guerre. (Au témoin.) Témoin, je vous prie de répondre à cette question.
Bien, continuez.
Que faisaient les prisonniers de guerre polonais aux environs de Smolensk et à quelle époque était-ce ?
Au printemps 1941 et au début de l’été ils travaillaient à la reconstruction des routes Moscou-Minsk et Smolensk-Vitebsk.
Que savez-vous d’autre sur le sort réservé plus tard aux prisonniers de guerre polonais ?
Étant donné les fonctions que j’occupais à cette époque, je connus moi-même quelque temps auparavant le sort qui leur était réservé.
Je vous prie de le dire au Tribunal.
Le régime du camp de prisonniers de guerre russes, connu sous le nom de « Dulag 126 », était extrêmement sévère et les prisonniers de guerre mouraient par centaines chaque jour. Aussi ai-je essayé, autant que cela était en mon pouvoir, de libérer de ce camp tous ceux pour lesquels je pouvais trouver une raison valable. Bientôt j’appris que, dans ce camp, se trouvait le pédagogue bien connu à Smolensk, G. D. Schiglinsky.
Je m’adressai à Menschagin et lui demandai de faire une requête auprès de la Kommandantur allemande, et notamment auprès de M. von Schwetz, pour faire libérer Schiglinsky.
Je vous prie de ne pas vous attarder à des détails et de ne pas perdre trop de temps ; dites simplement au Tribunal ce que vous a déclaré alors Menschagin au cours de votre entretien.
Menschagin m’a répondu que si nous parvenions à en sauver un, des centaines d’autres n’en mourraient pas moins. Cependant, j’ai insisté, et Menschagin, après une certaine hésitation, accepta de transmettre ma requête à la Kommandantur allemande.
Peut-être pourriez-vous encore abréger et nous dire simplement ce que Menschagin vous a déclaré en revenant de la Kommandantur.
Deux jours plus tard, il me déclara que, à cause de ma demande, il se trouvait dans une situation désagréable ; von Schwetz avait refusé, se référant à une instruction émanant de Berlin prévoyant un régime très sévère pour les prisonniers de guerre.
Que vous a-t-il dit au sujet des prisonniers de guerre polonais ?
En ce qui les concernait, il me déclara que, s’il était prévu que les Russes devaient mourir d’eux-mêmes dans les camps, les Polonais, eux, devaient être exterminés.
Et quelle fut la suite de cet entretien ?
Je lui répondis en insistant : « Comment faut-il comprendre cela, de quoi s’agit-il ? » ; il me demanda de n’en parler à personne, sous aucun prétexte, car c’était un grand secret.
A quelle époque eut lieu cet entretien ? Dans quel mois, à quel moment du mois ?
Cet entretien a eu lieu au début de septembre, mais je ne me rappelle pas très exactement quel jour.
Mais vous vous souvenez que c’était au début de septembre ?
Oui.
Dans vos entretiens ultérieurs avec Menschagin, êtes-vous jamais revenu sur cette question des prisonniers de guerre polonais ?
Oui.
Quand était-ce ?
Environ deux semaines plus tard, c’est-à-dire fin septembre. Je n’ai pu m’empêcher de lui demander quel avait été le sort de ces prisonniers de guerre polonais.
D’abord Menschagin hésita, puis il me dit : « Leur sort est déjà liquidé ».
Vous a-t-il dit quelque chose au sujet du lieu où cela s’était produit ?
Oui. Il me déclara que von Schwetz lui avait dit que ces prisonniers avaient été fusillés dans le voisinage de Smolensk.
Mais il n’a pas mentionné le lieu exact ?
Il ne m’en a rien dit.
Avez-vous parlé à quelqu’un de cette exécution par les hitlériens de prisonniers de guerre polonais aux environs de Smolensk ?
J’en ai parlé au professeur Efimov, qui habitait avec moi et, de plus, quelques jours après, j’ai eu une conversation sur le même sujet avec le médecin du service sanitaire de la ville, le Dr Nikolsky, mais il s’avéra que Nikolsky connaissait déjà cet événement par une source que j’ignore.
Menschagin vous a-t-il dit quelque chose sur la raison de ces exécutions ?
Oui. Lorsqu’il me fit part de l’extermination des prisonniers, il insista sur la nécessité de tenir secrets ces événements afin d’éviter de grands ennuis. Il se mit aussi à m’expliquer les raisons pour lesquelles les Allemands avaient agi de la sorte à l’égard des prisonniers de guerre polonais. Il m’indiqua que c’était un des éléments de la ligne de conduite générale à l’égard des prisonniers de guerre polonais.
L’un ou l’autre des fonctionnaires de la Kommandantur allemande vous a-t-il parlé de cette extermination des Polonais ?
Oui, environ deux ou trois jours après.
Vous parlez trop vite, l’un et l’autre, et vous ne marquez pas de temps assez longs. Vous posez des questions alors que les réponses sont encore en train de nous parvenir. Attendez plus longtemps et parlez plus lentement.
Bien, Monsieur le Président.
Continuez donc, je vous prie, mais plus lentement.
Où en étais-je ?
Je vous demandais si vous aviez entendu parler de cet événement par l’un des fonctionnaires de la Kommandantur allemande ?
Oui, environ deux ou trois jours après ; en entrant dans le bureau de Menschagin, j’ai rencontré un interprète de la 7e division de la Kommandantur allemande qui s’occupait de l’administration russe et qui parlait avec Menschagin de cette question des prisonniers polonais. C’était un Balte.
Peut-être pourrez-vous nous dire brièvement ce qu’il vous dit ?
Au moment où j’entrais dans le bureau il était en train de dire que les Polonais étaient une nation inutile, que leur anéantissement servirait d’engrais et permettrait d’étendre l’espace vital de l’Allemagne.
Vous faites exactement ce que je vous disais tout à l’heure. Vous posez vos questions avant que la réponse nous soit parvenue.
Je vous prie de m’excuser, Monsieur le Président ; je vais parler plus lentement. (Au témoin.) Donc vous avez appris par Menschagin quelque chose de précis sur l’exécution des prisonniers polonais ?
Oui ; au moment où j’entrai dans le bureau, je fus témoin de cette conversation avec Hirschfeld ; je n’ai pas entendu le début de cet entretien, mais il était clair que la conversation roulait sur cet événement.
Quand Menschagin vous a parlé de l’exécution des prisonniers de guerre polonais, s’est-il référé aux paroles de von Schwetz ?
Oui. J’ai eu l’impression très nette qu’il parlait de von Schwetz. Mais je crois — et c’est ma conviction — qu’il en avait parlé à d’autres personnes de la Kommandantur.
A quelle époque a eu lieu cette conversation avec Menschagin ? Quand vous a-t-il dit que des prisonniers de guerre polonais avaient été anéantis dans la région de Smolensk ?
Fin septembre.
Je n’ai plus d’autres questions à poser au témoin, Monsieur le Président.
L’audience est levée.
Plaise au Tribunal. L’accusé Hess est absent.
Docteur Stahmer.
Témoin, pendant votre déposition, juste avant la suspension d’audience, vous lisiez votre témoignage, si j’ai bien vu. Est-ce exact ?
Je ne lisais rien du tout. J’ai seulement un plan de la salle d’audience entre les mains.
II me semblait que vous lisiez vos réponses. Comment expliquez-vous le fait que l’interprète eût déjà votre réponse entre les mains ?
Je ne sais pas de quelle façon les interprètes auraient pu, à l’avance, avoir mes réponses. Toutefois, la déposition que j’ai faite devant la commission, c’est-à-dire pendant l’interrogatoire préliminaire, est connue.
Connaissez-vous le petit château sur le Dniepr ? Ne m’avez-vous pas compris ? Connaissez-vous le petit château sur le Dniepr ?
Je ne sais pas de quelle villa vous voulez parler. 11 y a beaucoup de villas sur le Dniepr.
La maison qui était près de la forêt de Katyn, sur un escarpement, au-dessus du Dniepr.
Je ne comprends pas très bien de quelle maison il s’agit. Les rives du Dniepr sont très longues et je ne comprends pas votre question.
Savez-vous où se trouvaient les fosses de Katyn, les fosses dans lesquelles 11.000 officiers polonais avaient été enterrés ?
Je n’y suis pas allé. Je n’ai pas vu les tombes de Katyn.
N’avez-vous jamais été dans la forêt de Katyn ?
Comme je l’ai déjà dit, j’y suis allé très souvent.
Savez-vous où se trouvait cette fosse commune ?
Comment pourrais-je savoir où se trouvaient ces tombes puisque je n’ai pas pu y retourner depuis l’occupation ?
Comment savez-vous alors que le bois n’était pas entouré d’une clôture ?
Avant l’occupation du district de Smolensk par les troupes allemandes, comme je l’ai déjà dit, il n’y avait aucune clôture dans ce terrain. Mais j’ai entendu dire qu’après le début de l’occupation l’accès de la forêt fut interdit par la Kommandantur allemande.
Vous ne savez pas non plus que dans la forêt de Katyn se trouvait un sanatorium, une maison de repos pour la GPU ?
Je le sais très bien ; tous les habitants de Smolensk le savaient.
Vous savez donc exactement de quelle maison je parlais quand je vous ai posé ma question ?
Personnellement, je n’ai jamais été dans cette maison. L’accès en était réservé aux familles des employés du ministère de l’Intérieur. Quant aux autres personnes, elles n’avaient pas de raison ni de possibilité d’y aller.
Cette maison était donc fermée ?
Non, la maison n’était pas interdite aux étrangers, mais pourquoi des étrangers y seraient-ils allés puisqu’ils n’avaient rien à y faire et que ce n’était pas leur maison de repos. Le jardin était ouvert au public.
N’y avait-il pas de gardes ?
Je n’en ai jamais vu.
Le témoin russe qui vous a parlé de l’affaire des officiers polonais est-il encore en vie ?
L’avocat veut-il parler du maire Menschagin ?
Oui, quand voua lisiez votre témoignage, tout à l’heure, je n’ai pas pu suivre. Quel était le nom du maire ? Menschagin ? Est-il encore en vie ?
Menschagin est parti avec les troupes allemandes au moment de leur retraite, moi je suis resté et le sort de Menschagin m’est donc inconnu.
Docteur Stahmer, vous n’avez pas le droit de dire au témoin : « Quand vous lisiez votre témoignage », puisqu’il a nié l’avoir lu. Il n’y a d’ailleurs pas de preuve qu’il l’ait lu.
Ce témoin russe vous a-t-il dit que les officiers polonais venaient du camp de Kosielsk ?
Voulez-vous dire le camp de Kosielsk ?
Oui.
Le témoin n’a pas dit cela.
Connaissez-vous cette localité ?
Kosielsk ? Oui, je connais cet endroit. En août 1940, j’y ai passé mes vacances avec ma femme.
Savez-vous si des officiers polonais se trouvaient là dans un camp de prisonniers de guerre russes ?
Oui, je le sais.
Jusqu’à quelle époque ces prisonniers de guerre y sont-ils restés ?
Je ne peux le dire exactement, mais à la fin du mois d’août ils y étaient encore. Je peux le dire avec certitude.
Savez-vous si ce camp et ces internés sont tombés aux mains des Allemands ?
Personnellement, et par ma propre expérience, je n’en sais rien ; mais d’après la rumeur, il semble qu’il en ait été ainsi, mais je ne dis pas cela à titre de témoin. Personnellement, j’en ai seulement entendu parler.
Avez-vous appris si ces prisonniers sont restés dans ce camp ?
Oui, j’ai entendu dire qu’ils sont restés là et qu’ils ne pouvaient pas être évacués.
Avez-vous appris ce qui leur est advenu ?
J’ai déjà dit, dans mes réponses au Ministère Public, qu’ils ont été fusillés sur l’ordre du commandement allemand.
Où a eu lieu cette exécution ?
L’avocat de la Défense n’a pas, apparemment, entendu mes réponses. J’ai déjà dit que, suivant Menschagin, ils avaient été fusillés dans le voisinage de Smolensk, mais il n’a pas dit où.
De combien de prisonniers s’agissait-il ?
Je ne comprends pas bien la question. Voulez-vous dire suivant l’entretien avec Menschagin ?
Quel est le chiffre que Menschagin vous a cité ?
Menschagin ne m’a pas cité de chiffre.Je répète que cette conversation eut lieu dans les derniers jours de septembre 1941.
Pouvez-vous nous donner le nom d’un témoin qui ait assisté à cette exécution, qui l’ait vue ?
Je crois que ces exécutions ont été faites dans de telles circonstances qu’il aurait été difficile à aucun témoin russe d’y assister.
Témoin, vous devez répondre directement à cette question. On vous a demandé : « Pouvez-vous donner le nom ’de quelqu’un qui fût présent ? » Vous pouvez répondre à cela par oui ou par non et ensuite vous pouvez ajouter toute explication nécessaire.
Je suivrai vos instructions, Monsieur le Président.
Pouvez-vous donner le nom de quelqu’un qui ait vu les exécutions ?
Non, je ne peux pas donner le nom d’une personne qui y ait assisté personnellement.
Quelle est l’unité allemande qui aurait procédé à ces exécutions ?
Je ne peux pas répondre de façon précise. Il est logique d’admettre que c’était le bataillon du génie qui était stationné là ; mais évidemment je ne connaissais pas la situation exacte des troupes allemandes.
S’agissait-il des Polonais qui venaient du camp de Kosielsk ?
En général, on n’en a pas parlé à ce moment-là, mais je ne sache pas qu’il y ait eu d’autres prisonniers de guerre polonais que ceux qui avaient été auparavant à Kosielsk.
Avez-vous vu vous-même des officiers polonais ?
Je n’en ai pas vu moi-même, mais mes étudiants m’ont dit qu’ils les avaient vus en 1941.
Et où les ont-ils vus ?
Sur la route, où ils faisaient des réparations, au début de l’été 1941.
Dans quelle région ?
Dans la région de la route Moscou-Minsk, un peu à l’ouest de Smolensk.
Pouvez-vous dire si le commandement en chef russe a été informé que les prisonniers polonais du camp de Kosielsk étaient tombés aux mains des Allemands ?
Non, je n’en ai pas eu connaissance parlé à la Kommandantur
Ce n’était pas à la Kommandantur, mais dans le bureau de Menschagin. Il se nommait Hirschfeld.
Quelle était sa fonction ?
II était « Sonderführer » du 7e détachement de la Kommandantur allemande dans la ville de Smolensk.
Je n’ai pas d’autres questions à poser, Monsieur le Président — une ou deux autres seulement.Du fait de votre collaboration avec les autorités allemandes, avez-vous subi une sanction de la part du Gouvernement russe ?
Non, je n’ai pas subi de sanction.
Êtes-vous en liberté ?
Non seulement je suis en liberté mais, comme je l’ai dit, je suis toujours professeur de deux grandes écoles.
Par conséquent, vous êtes réintégré dans vos fonctions ?
Oui.
Colonel Smirnov, désirez-vous procéder à un nouvel interrogatoire ?
Non, Monsieur le Président, je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.
Témoin, savez-vous si l’homme dont le nom est, si je comprends bien, Menschagin, a lui-même été informé de ces choses, ou s’il en a eu une connaissance directe ?
Suivant Menschagin, il était clair qu’il avait appris cela lui-même à la Kommandantur par von Schwetz, qui en était le chef depuis le début de l’occupation.
Le témoin peut se retirer.
Monsieur le Président, je prie le Tribunal de m’autoriser à citer comme témoin Marko Antonov Markov, professeur à l’Université de Sofia, citoyen bulgare.
Êtes-vous l’interprète ?
Oui, Monsieur le Président.
Voulez-vous décliner votre nom ?
Ludomir Valeff.
Voulez-vous répéter ce serment après moi :
« Je jure devant Dieu et la Loi que j’interpréterai avec sincérité et au mieux de mes connaissances la déposition qui sera faite par le témoin ». (L’interprète répète le serment.)
Voulez-vous décliner votre nom complet ?
Docteur Marko An-tonov Markov.
Voulez-vous répéter ce serment après moi :
« Je jure, en qualité de témoin dans cette affaire, que je ne dirai que la vérité et que, instruit de ma responsabilité devant Dieu et devant la Loi, je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Monsieur le Président, avant que ce témoin ne soit examiné, je voudrais attirer l’attention du Tribunal sur le fait que le Dr Stahmer a posé au témoin précédent une question qui, si j’ai compris, était : « Comment se fait-il que les interprètes avaient les questions et les réponses à vos questions, si celles-ci ne se trouvaient pas devant vous ? » Ceci impliquait donc que le Dr Stahmer avait eu une information suivant laquelle les interprètes avaient devant eux les réponses aux questions. Je leur ai fait passer une note, et le lieutenant ’de service m’a répondu qu’aucun interprète n’avait les questions ni les réponses ; je crois qu’il faudrait que cela soit spécifié au procès-verbal.
Oui, je le pense aussi.
Cela m’a été communiqué au dehors, et c’est ainsi que je l’ai appris. Si ce n’est pas exact, je retire ce que j’ai dit. Cela m’a été dit au dehors, d’une source digne de foi, encore que je ne me souvienne pas de la personne qui m’a donné ce renseignement. Il faudra que je recherche.
Les avocats ne devraient pas faire de telles déclarations avant de les avoir vérifiées.
Puis-je commencer à interroger le témoin, Monsieur le Président ?
Oui.
Témoin, je vous prie de nous dire brièvement, sans perdre trop de temps avec des détails, dans quelles conditions vous avez été admis dans la prétendue Commission médicale internationale créée par les Allemands au mois d’avril 1943, pour l’examen des tombes des officiers polonais dans les bois de Katyn ?
Je vous prie, lorsque vous me répondrez, de marquer un temps entre la question que je vous pose et votre réponse.
C’était en avril 1943. Je travaillais à l’institut de médecine légale, où je travaille encore, quand je fus appelé au téléphone par le Dr Gjuroff.
Le témoin doit avoir terminé avant que l’interprète commence, sinon les deux voix nous parviennent ensemble par le microphone. L’interprète doit donc attendre que le témoin ait fini sa réponse avant de la répéter.
Donc le témoin disait, au moins autant que j’aie compris, qu’il a été appelé au téléphone en avril 1943.
Je fus appelé au téléphone par le Dr Gjuroff qui était secrétaire du Dr Filon", qui était alors Premier ministre de Bulgarie ; je fus averti que je devais participer, en qualité de représentant du Gouvernement bulgare, aux travaux d’une Commission médicale internationale qui avait pour mission de procéder à l’examen de cadavres découverts dans la forêt de Katyn, cadavres d’officiers polonais.
Comme je ne désirais pas y .aller, je répondis que je devais remplacer le directeur de l’institut, qui était alors en province. Le Dr Gjuroff me dit que, suivant un ordre du ministre des Affaires étrangères qui avait envoyé un télégramme, je devais précisément le remplacer à cette Commission. Gjuroff me dit de venir au ministère ; je lui demandai si je pouvais refuser d’obéir à cet ordre. Il me répondit que nous étions en état de guerre et que le Gouvernement pouvait envoyer qui il voulait, où et quand il l’estimait nécessaire. Gjuroff me conduisit au secrétaire principal du ministère des Affaires étrangères, Schuchmanoff ; celui-ci me confirma cet ordre et me dit qu’il s’agissait d’examiner les cadavres de milliers d’officiers polonais. Je répondis que l’examen de milliers de cadavres prendrait plusieurs mois, mais il m’a dit que les Allemands en avaient déjà exhumé un grand nombre et que je devais y aller avec d’autres membres de la Commission afin de voir ce qui avait déjà été fait et de signer, à titre de représentant de la Bulgarie, le procès-verbal dont le projet avait déjà été rédigé. Ensuite, on m’envoya à l’ambassade d’Allemagne au conseiller d’ambassade Mormann, qui arrangea les détails techniques du voyage. Ceci se passait le samedi ; le lundi 26 avril au matin, je pris l’avion pour Berlin ; là, je fus reçu par un fonctionnaire de l’ambassade de Bulgarie et mené à l’hôtel Adion.
Voulez-vous, je vous prie, répondre à la question suivante : Quels étaient les membres de cette prétendue Commission internationale et quand sont-ils partis pour Katyn ?
Le jour suivant, 27 avril, nous sommes restés à Berlin, et les autres membres de la Commission arrivèrent.
Qui étaient-ils ?
En dehors de moi, il y avait les personnalités suivantes : le Dr Birkie, médecin-légiste du ministère de la Justice roumain, et premier assistant à l’institut de médecine légale et de criminologie de Bucarest ; le Dr Miloslawitch, professeur de médecine et de criminologie à l’université de Zagreb, qui représentait la Croatie ; le professeur Palmieri, professeur de médecine et de criminologie à l’université de Naples ; le Dr Orsos, professeur de médecine légale et. de criminologie à l’université de Budapest ; le Dr Subik, professeur d’anatomie pathologique à l’université de Bratislava et chef du service de santé de Slovaquie ; le Dr Hajek, professeur de médecine et de criminologie, qui représentait le Protectorat de Bohême et Moravie ; le professeur Naville, professeur de médecine légale à l’université de Genève, représentant la Suisse ; le Dr Speleers, professeur à l’université de Gand, qui représentait la Belgique ; le Dr De Burlett, professeur d’anatomie à l’université de Groningue, qui représentait la Hollande ; le Dr Tramsen, directeur adjoint de l’institut de médecine légale de l’université de Copenhague, qui représentait le Danemark ; le Dr Saxen, professeur d’anatomie pathologique à l’université d’Helsinki.
Pendant toute la durée du travail de la Commission, le Dr Costeduat fit défaut. Il avait déclaré ne pouvoir y assister que comme représentant personnel du Président Lavai. Il y avait également le professeur Piga, de Madrid ; c’était un homme très âgé qui ne prit pas part au travail de la Commission. Plus tard, on nous dit qu’il était tombé malade à la suite de ce long voyage.
Toutes ces personnes sont-elles allées à Katyn ?
Toutes ces personnes vinrent à Katyn, à l’exception du professeur Piga.
Qui, en dehors des membres de la Commission, est encore allé à Katyn avec vous ?
Le 28, nous partîmes de l’aérodrome de Tempelhof, à Berlin, pour Katyn. Il y avait deux avions contenant chacun 15 à 20 personnes.
Peut-être pouvez-vous nous dire brièvement qui vous accompagnait ?
II y avait avec nous le directeur Dietz, qui nous avait reçus et nous accompagnait. Il représentait le ministère de la Santé publique ; il y avait aussi des représentants de la presse, ainsi que deux représentants du ministère des Affaires étrangères.
J’interromps votre réponse à cette question et vous demanderai maintenant quand cette Commission arriva à Katyn ?
La Commission arriva à Smolensk le 28 avril dans la soirée.
Combien de jours de travail la Commission passa-t-elle à Smolensk ? J’insiste, sur « jours de travail ».
Nous ne sommes restés à Smolensk que deux jours, le 29 et le 30 avril 1943 ; le 1er mai dans la matinée nous avons quitté Smolensk.
Combien de fois les membres de la Commission ont-ils visité personnellement les fosses de la forêt de Katyn ?
Nous sommes allés deux fois dans la forêt de Katyn, le matin du 29 et le matin du 30 avril.
Combien d’heures avez-vous passées à chaque fois près des fosses ?
Je ne crois pas que nous y soyons restés plus de trois ou quatre heures à chaque fois.
Les membres de la Commission ont-ils été présents au moins une fois au moment de l’ouverture de l’une des tombes ?
Aucune nouvelle tombe ne fut ouverte en notre présence ; on nous montra seulement plusieurs tombes qui avaient été déjà ouvertes avant notre arrivée.
On ne vous a donc montré que des tombes ouvertes près desquelles étaient étendus les cadavres ?
C’est exact. Près de ces tombes ouvertes étaient étendus des corps déjà exhumés.
Les conditions nécessaires aux membres de la Commission pour procéder à un examen objectif scientifique ont-elles été remplies ?
La seule part de notre activité qui pût être considérée comme pur examen médico-légal scientifique fut l’autopsie effectuée par certains membres de la Commission, qui étaient eux-mêmes des spécialistes de médecine légale. Mais sept ou huit d’entre eux seulement étaient qualifiés pour cet examen, et, autant que je m’en souvienne, huit cadavres seulement furent autopsiés. Chacun d’entre nous fit l’autopsie d’un cadavre, à l’exception du professeur Hajek qui en autopsia deux. Le reste de notre activité pendant ces deux jours offrit le caractère d’un rapide examen sous direction allemande. C’était une sorte de promenade au cours de laquelle nous avons vu les tombes ouvertes, ainsi qu’une maison de campagne située à quelques kilomètres de la forêt de Katyn où, dans des vitrines, se trouvaient des papiers et différents objets ; on nous dit que ces papiers et ces objets avaient été trouvés dans les vêtements des cadavres exhumés.
Avez-vous vu personnellement comment ces papiers ont été découverts, ou vous ont-ils été montrés quand ils étaient déjà dans leurs vitrines ?
Les documents que nous avons vus dans les vitrines avaient été déjà trouvés avant notre arrivée.
Avez-vous été autorisés à faire des recherches sur ces documents, à examiner, par exemple, si ces papiers avaient été imprégnés par les acides provenant de la décomposition des cadavres, ou avez-vous pu effectuer d’autres examens scientifiques ?
Nous n’avons effectué aucun examen de ces papiers ; comme je l’ai déjà dit, ces papiers étaient exposés dans des vitrines et nous ne les avons même pas touchés.
Je voudrais que vous répondiez néanmoins brièvement par oui ou par non à une question que je vous ai déjà posée : les conditions nécessaires pour les membres de la Commission à un examen scientifique et objectif ont-elles été remplies ?
A mon avis, ces conditions de travail ne pouvaient en aucune façon être qualifiées de scientifiques et d’objectives. La seule chose qui ait eu le caractère d’un examen scientifique fut l’autopsie que j’ai faite.
Vous ai-je bien compris ? Sur. les 11.000 corps découverts, huit seulement furent autopsiés par les membres de la Commission ?
Parfaitement.
Je vous prie de répondre à la question suivante : Dans quel état étaient ces cadavres ? Je voudrais que vous décriviez l’état dans lequel ils étaient, ainsi que l’état des organes internes, des tissus, etc.
Je ne peux juger de l’état des cadavres de la forêt de Katyn que d’après l’état du cadavre que j’ai autopsié moi-même. L’état de ce cadavre était, autant que j’ai pu en juger, le même que celui de tous les autres. La peau était encore bien conservée, elle était, par endroits, semblable à du cuir d’une couleur brun-rouge et, sur certaines parties, les vêtements avaient laissé des marques bleues ; les ongles et les cheveux, dans la plupart des cas, étaient déjà tombés ; dans la nuque du cadavre dont j’ai fait l’autopsie il y avait un trou, provenant d’un coup de feu. Une subsistait du cerveau qu’une bouillie informe ; les muscles étaient encore si bien conservés qu’on pouvait voir les tendons du cœur et de ses valvules ; les organes internes étaient, dans l’ensemble, bien conservés. Mais, bien entendu, ils étaient séchés, déplacés, de couleur sombre. L’estomac présentait des traces de contenu. Une partie de la graisse s’était transformée en cire. Nous avons été frappés par le fait que, même en tirant brutalement sur les membres, on ne pouvait les détacher du corps.
J’ai dicté sur place un procès-verbal de mes observations. Un procès-verbal similaire fut dicté par ceux des membres de la Corn-mission qui avaient fait une autopsie. Ce procès-verbal a plus tard été publié par les Allemands sous le numéro 827 dans le livre qu’ils ont édité.
Je voudrais que vous répondiez à la question suivante : les examens de médecine légale ont-ils confirmé le fait que les cadavres se trouvaient déjà dans les tombes depuis trois ans ?
Je ne peux répondre à cette question qu’en jugeant d’après le cadavre que j’ai autopsié moi-même, comme je l’ai déjà dit ; l’état de ce cadavre était caractéristique de l’état moyen des cadavres de la forêt de Katyn. Ce corps était loin d’être décomposé puisque la graisse commençait seulement à se transformer en cire ; à mon avis, ces cadavres étaient enterrés depuis une période beaucoup plus courte que trois ans. Je considérais que ce cadavre que j’avais autopsié n’avait pas été enterré plus d’un an ou un an et demi auparavant.
Si l’on considère donc que vous vous basez sur l’expérience que vous avez acquise en Bulgarie, c’est-à-dire dans un pays situé au sud de Katyn, et dans lequel la décomposition se produit en conséquence au bout d’un temps plus court, on peut conclure que les cadavres extraits des fosses de Katyn ne sont pas restés plus d’un an et demi sous terre. Vous ai-je bien compris ?
Oui, très bien ; j’ai eu l’impression qu’ils n’avaient pas été enterrés plus d’un an ou un an et demi auparavant.
Le Tribunal suspend l’audience.