CENT SOIXANTE-DIXIÈME JOURNÉE.
Mercredi 3 juillet 1946.

Audience du matin.

LE PRÉSIDENT

Le Dr Bergold a-t-il chargé un des avocats de le remplacer ? L’huissier audiencier a-t-il pu se mettre en rapport avec le Dr Bergold ?

L’HUISSIER AUDIENCIER

Non, Monsieur le Président.

Dr STAHMER

Monsieur le Président, nous avons fait savoir hier au Dr Bergold que sa présence était indispensable aujourd’hui au Tribunal. J’ai entendu dire également que le Secrétariat général lui en avait également fait part. Je ne peux malheureusement pas vous donner d’autres renseignements et, autant que je sache, aucun de nous n’a été chargé de le représenter.

LE PRÉSIDENT

Merci, Docteur Stahmer.

Dr STAHMER

Monsieur le Président, je vais cependant m’en occuper immédiatement afin de savoir s’il est arrivé et si je peux l’atteindre.

LE PRÉSIDENT

Très bien, Docteur Stahmer, je pense que le mieux serait que le Tribunal examine les différentes demandes de questionnaires, interrogatoires et documents, que vous-même et vos collègues désirez, je crois, présenter. Puis, si le Dr Bergold n’est pas arrivé entre temps, le Tribunal entendra ces témoins. Bien entendu, le Tribunal espère qu’il viendra, si toutefois cela lui est possible. Peut-être pourrez-vous vous mettre en rapports avec lui ; l’huissier audiencier devra également tenter de la joindre.

Dr STAHMER

Oui.

L’HUISSIER AUDIENCIER

Oui, Monsieur le Président.

PROFESSEUR Dr HERMANN JAURREISS (avocat adjoint de l’accusé Jodl)

Monsieur le Président, j’ai appris que le fils du Dr Bergold est rentré hier de captivité, d’une façon tout à fait inattendue. Son père s’est donc rendu chez lui, un peu à l’extérieur de Nuremberg. J’ai envoyé sa secrétaire chez lui en le priant de venir immédiatement et pense qu’il sera là d’ici une demi-heure environ.

LE PRÉSIDENT

Docteur Stahmer, vous avez quelques questionnaires, je crois, que vous désirez présenter comme preuves ?

Dr STAHMER

A la fin de l’exposé de mes preuves, j’avais encore quelques questionnaires à présenter, qui ne m’étaient pas encore parvenus à ce moment-là. Il s’agit d’abord du questionnaire Kammhuber. Kammhuber était général d’aviation et avait établi un plan d’organisation pour 1950. Il a été interrogé sur le but et la signification de cette étude, terminée le 2 mai 1938, et a déclaré — je puis brièvement exposer le contenu de sa déclaration — qu’une partie de son étude, portant sur des objectifs lointains, ne constituait qu’un exercice reposant sur des suppositions théoriques. La seconde partie, qui avait pour objectif final 1942 et prévoyait comme solution intermédiaire le 1er octobre 1938, constituait une proposition concrète pour l’organisation de l’aviation. Cette étude a été faite par le témoin, de sa propre initiative. Il ne sait pas si l’accusé Göring en a eu connaissance. Il ne le pense pas mais il suppose qu’il a dû exposer à Göring ses propositions concrètes pour l’organisation de l’aviation allemande. Tel est l’essentiel de la teneur de ce questionnaire que je dépose sous le numéro Gôring-54.

En outre, j’ai un autre questionnaire, qui émane du général Kurt Student ; ce questionnaire traite de l’attaque aérienne sur Rotterdam, en mai 1940. Il explique...

LE PRÉSIDENT

Avez-vous des copies de ces affidavits, ou plutôt de ces questionnaires ? Nous en avons une de celui de Student, que vous déposez maintenant, mais nous n’avons pas celui de Kammhuber.

Dr STAHMER

Je les ai remis au service de traduction, Monsieur le Président, pour les faire traduire. Je les avais donnés au service de traduction. Je vais essayer de voir ce qu’ils sont devenus. En tout cas, j’en avais les originaux.

LE PRÉSIDENT

Le Secrétaire général va s’en occuper. Et celui de Student ? Avez-vous fait une demande et a-t-elle été accordée ? Il ne figure pas sur ma liste.

Dr STAHMER

Oui, il a été accordé et le Ministère Public a même présenté un questionnaire contradictoire. Je crois...

LE PRÉSIDENT

Très bien.

Dr STAHMER

Je crois que, si je ne me trompe pas, le questionnaire Student a été autorisé par une décision du 14 février dernier.

Student parle donc de l’attaque aérienne sur Rotterdam en mai 1940, et il explique comment il est arrivé que, pendant les négociations de capitulation, des bombes ont encore été jetées sur Rotterdam. Ici encore je crois qu’il suffit d’exposer la teneur de ce questionnaire. La situation se présentait donc comme suit : « Des négociations de capitulation étaient imminentes ; d’autre part, une attaque aérienne avait été décidée. L’escadre engagée ne put pas être avisée à temps par télégramme. Des unités de l’Armée de terre firent des signaux, mais ils furent mal compris par un groupe...

LE PRÉSIDENT

Il semble que ce sujet ait déjà été traité au cours de l’exposé des preuves.

Dr STAHMER

En effet, on a parlé de cette affaire lors de l’exposé des preuves.

LE PRÉSIDENT

Dans ce cas, il n’y a aucune raison pour qu’on en donne lecture maintenant.

Dr STAHMER

Alors je déposerai ce document...

LE PRÉSIDENT

Oui, déposez-le comme preuve. Mais je veux dire qu’il est inutile que vous en donniez lecture.

Dr STAHMER

Très bien, Monsieur le Président. Ce sera donc le document Göring-53. Ensuite, j’ai un questionnaire du général d’aviation Koller que je dépose sous le numéro Gôring-55.

Monsieur le Président, je vous prie de m’autoriser à lire ces questions, en raison de l’importance que présentent les déclarations de ce témoin pour l’accusé.

« Première question

L’ex-Reichsmarschall Göring a-t-il jamais donné l’ordre de fusiller sans jugement les aviateurs ennemis dont les appareils avaient été abattus, ou de les remettre à la police (SD) ?

« Réponse

A ma connaissance, non. A ma connaissance le Rerchsmarschall n’a jamais donné un tel ordre.

« Deuxième question

L’ex-maréchal du Reich Gôring a-t-il participé à l’élaboration d’un ordre selon lequel des officiers d’aviation anglais évadés du Stalag III à Sagan en mars 1944 ont été fusillés par la police (SD) ?

« Réponse

Le général Korten m’a dit que l’aviation allemande, à savoir le Reichsmarschall et lui-même, le général Korten, n’avaient eu aucune part à cet ordre.

« Troisième question

L’ex-Reichsmarschall Göring n’a-t-il eu connaissance de l’ordre donné par Hitler et mentionné à la deuxième question qu’après son exécution ?

« Réponse

Le général Korten m’a dit que lui-même et le Reichsmarschall n’en avaient eu connaissance que par la suite.

« Quatrième question

A quelle date cet ordre fut-il donné par Hitler ?

« Réponse

Je n’en sais rien.

« Cinquième question

A quelle date ou à quelles dates fut-il exécuté ?

« Réponse

Je n’en sais rien.

« Sixième question

Savez-vous si l’ex-Reichsmarschall Göring a violemment critiqué l’exécution de ces 50 officiers de l’aviation anglaise ?

« Réponse

Le général Korten m’a dit que le Reichsmarschall avait été violemment indigné par ces exécutions.

« Septième question

Savez-vous si le Reichsmarschall Göring et son représentant à la Luftwaffe, le chef d’État-Major, se sont, à plusieurs reprises, élevés contre les mesures que Hitler avait ordonné de prendre à l’égard des aviateurs terroristes abattus ?

« Réponse

D’après des déclarations que m’avait faites le général Korten en juin 1944, c’est absolument exact. Je me souviens également d’avoir appris plus tard que le Reichsmarschall s’était plaint auprès du Führer des mesures prises par certains organismes du Parti et certains membres de la population contre ce que l’on appelait les aviateurs terroristes. Il avait pris pour motif le fait que quelques équipages avaient été malmenés.

« En mai 1945, le Reichsmarschall désapprouva violemment l’ordre donné par Hitler de remettre au SD les équipages de bombardiers abattus au cours des derniers mois et ceux qui seraient abattus à l’avenir.

« Au sujet des questions 1 à 7, je déclare à titre complémentaire :

« Pendant cette période, j’étais chef de l’État-Major directeur de la Luftwaffe. En février 1944, le Grand Quartier Général du Führer, l’OKW, le Reichsmarschall et son entourage personnel et le chef de l’Êtat-Major général de la Luftwaffe, le général Korten, avec deux ou trois officiers d’ordonnance, s’établirent à Berchtesgaden. Je devais rester avec l’Oberkommando de la Luftwaffe, c’est-à-dire avec tout l’ensemble de l’État-Major dit « Robinson », en Prusse orientale, étant donné que l’on s’attendait à un nouveau transport imminent du Grand Quartier Général du Fùhrer. Tout le système de transmission d’ordres pour la Luftwaffe devait passer par Robinson. Cette séparation, qui se prolongeait de semaine en semaine entre le Commandement en chef de la Luftwaffe (OKL) d’une part, et le chef d’État-Major général d’autre part, eut pour résultat que nous n’avions, en Prusse orientale, pas connaissance de beaucoup de choses qui étaient décidées à Berchtesgaden, même lorsqu’il s’agissait d’importantes décisions du Führer, ou que souvent nous en étions informés avec beaucoup de retard.

« Ce n’est qu’au début de juin, la semaine qui suivit la Pentecôte je crois, que moi-même et quelques officiers fûmes amenés à Berchtesgaden. Jusque là, et depuis février, je crois, je n’avais assisté qu’à une seule conférence à Berchtesgaden.

« Au sujet des questions 2 à 6, « Sagan », j’ai appris l’exécution, sur l’ordre du Führer, d’aviateurs évadés de Sagan par le général Korten, et je crois par le colonel Christian, presque simultanément. Mais je cois que c’est le général Korten qui, autant que je m’en souvienne, me mit le premier au courant, au cours d’une des longues conversations téléphoniques que nous avions chaque soir. Le général Korten se déclara tout à fait opposé à de telles mesures et me dit ce que je viens de déclarer sous les questions 2, 3 et 6. Cette conversation a dû avoir lieu vers la fin de mars ou au début d’avril. Je ne peux pas en indiquer la date exacte.

« Au sujet des questions 1 à 7, « aviateurs terroristes » :

« Vers le début de juin 1944 — je croyais d’abord que c’était en juillet, mais cela devait être en juin — le général Korten m’informa que le Führer avait l’intention de donner l’ordre que les aviateurs terroristes fussent livrés à la fureur populaire. Nous en avons parlé à plusieurs reprises et nous étions tout à fait d’accord pour désapprouver de telles mesures. Certes, nous considérions comme inhumaines et absolument contraires au Droit international les agressions effectuées directement en piqué par l’aviation ennemie contre les civils, les femmes et les enfants, les rassemblements de personnes, les trains civils, les hôpitaux militaires, les écoles en promenade et les jardins d’enfants, contre nos équipages descendant en parachute, contre les paysans aux champs, mais nous ne pensions pas que l’ordre que le Führer se proposait de donner constituât une solution acceptable de ce grave problème. Nos arguments étaient que ces mesures s’opposaient aux usages de la guerre, au Droit international, qu’elles étaient en contradiction avec les conceptions militaires, qu’elles seraient une source de nombreux malentendus qui joueraient au détriment d’autres équipages ennemis et allemands et qui pourraient avoir des répercussions sur le moral de nos équipages. »

LE PRÉSIDENT

Docteur Stahmer, cela n’est-il pas de l’argumentation plutôt que l’exposé des faits ? Il n’est pas nécessaire de lire tous les arguments de ce témoin à ce sujet. Il ne traite pas de faits, et les détails...

Dr STAHMER

Monsieur le Président, ce sont là des faits dont il s’est entretenu avec le général Korten et qui les ont incités à désapprouver l’ordre qu’avait donné le Führer. Ce sont des motifs dont Korten et lui ont discuté...

LE PRÉSIDENT

Une partie de ce que vous avez lu constitue des faits sans aucun doute, mais ce que vous lisez maintenant n’est que la discussion de faits.

Dr STAHMER

Non, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Docteur Stahmer, vous pouvez certainement résumer la suite.

Dr STAHMER

Ce document, Monsieur le Président, est très important pour l’accusé parce qu’il traite précisément des points sur lesquels l’Accusation porte particulièrement et...

LE PRÉSIDENT

Je vous ai entendu dire que c’est très important et que c’est pour cela que vous l’avez lu. Dans la mesure où cela constitue la relation de faits, il est compréhensible que vous le disiez en détails ; mais quand il s’agit de la discussion de faits, il n’y a aucune raison que vous en donner lecture puisque l’argumentation d’un témoin n’est pas recevable par le Tribunal. Résumez ces arguments si vous le désirez ; vous avez lu les faits, résumez le reste. Dites-nous, si vous le désirez, ce qu’est cette argumentation.

Dr STAHMER

Très bien, Monsieur le Président. Le général Korten déclare en outre qu’il a eu en mains tous les documents concernant la question des aviateurs terroristes et l’exécution des aviateurs de la Royal Air Force, et après analyse de ces documents, il conclut que leur teneur est une preuve du fait qu’aussi bien l’OKW que le Reiehsmarschall Göring ont désapprouvé cet ordre et qu’ils ont fait tout leur possible pour éviter que des mesures de cet ordre, telles que Hitler les envisageait, fussent réalisées. Il fait particulièrement remarquer que l’un des documents comporte en marge une annotation disant qu’il n’était pas possible d’obtenir de réponse du Commandant en chef de la Luftwaffe, et il en conclut que le Reichsmarschall avait lui-même fait en sorte pour qu’aucune solution ne fût apportée à cette affaire définitivement.

Puis il traite d’un autre événement :

« Huitième question

Le Führer a-t-il fait à la Luftwaffe, pour la raison exposée à la question 5, au cours d’un rapport ’sur la situation et en présence de toutes les personnes, le reproche d’avoir conclu un pacte mutuel de lâcheté avec les aviateurs ennemis ?

« Réponse

Vers la première moitié du mois de mars 1945, Bormann avait présenté au Führer une note extraite de la presse alliée, disant en bref ce qui suit :

« L’équipage d’un avion de combat américain abattu peu de temps auparavant au-dessus de l’Allemagne avait été repris par les troupes américaines dans leur avance. Ils ont déclaré qu’ils savaient été maltraités par des membres de la population allemande, menacés de mort, et auraient été probablement lynchés si des soldats allemands ne les avaient libérés et pris sous leur protection ».

« Bormann prononça encore quelques paroles pour faire remarquer à Hitler que ceci confirmait que, dans des cas semblables, les soldats allemands intervenaient contre la population, et termina en disant à peu près ceci : « C’est ainsi qu’on vous obéit, mon Führer. »

« Le Führer s’en prit violemment à moi devant tous les participants à cette conférence et me dit entre autres : « La raison pour laquelle mes ordres ne sont pas exécutés, c’est la lâcheté de l’aviation allemande, car ces Messieurs de la Luftwaffe sont des lâches et ont peur que, à eux aussi, il leur arrive quelque chose. Ce n’est pas autre chose qu’un pacte de lâcheté conclu entre la Luftwaffe et les aviateurs américains. »

« J’en ai fait part au Reichsmarschall. Je ne sais pas si Hitler a jamais fait les mêmes déclarations au maréchal Göring personnellement, mais je le crois volontiers, car Hitler formulait souvent de tels reproches, et tout particulièrement à l’égard de la Luftwaffe, et dans les mêmes termes.

« Neuvième question

A quelle date eut lieu cette conversation ?

« Réponse

Je ne puis donner la date exacte.

« Dixième question

Le Führer a-t-il demandé à différentes reprises à l’ex-Reichsmarschall Göring de lui signaler le nom de l’officier de la Luftwaffe qui, en mai 1944, avait protégé de la fureur populaire un aviateur ennemi tombé sur Munich, et est-il exact que le Reichsmarschall, malgré les demandes renouvelées du Führer, n’ait donné aucun ordre en vue d’établir et de faire connaître au Führer le nom de cet officier ? »

Je peux résumer la réponse : II dit qu’il n’en a aucun souvenir personnel mais qu’on lui a rapporté qu’un officier de la Luftwaffe et un Ortsgruppenleiter se seraient interposés pour protéger cet équipage américain, et que l’Ortsgruppenleiter, qui était connu, aurait été fusillé sur l’ordre de Hitler, qu’il aurait également demandé le nom de l’officier aviateur, mais qu’il ne lui avait pas été donné. Il dit en outre que si le Reichsmarschall avait voulu le faire, il lui aurait été facile de connaître le nom de cet officier aviateur.

« Onzième question

La Luftwaffe a-t-elle, à la fin de la guerre, reçu l’ordre, à l’approche de l’ennemi, de détruire par bombardement le camp de Dachau ? En particulier cet ordre n’a-t-il pas été donné par le Gauleiter de Munich sous le code « Wolke » ? Était-il possible à un Gauleiter de donner un tel ordre à la Luftwaffe ? »

Ici encore je peux résumer la réponse : Le témoin affirme qu’il ne se souvient pas d’un tel ordre, et qu’en particulier il ne sait pas si le Gauleiter de Munich l’a donné. Le Gauleiter n’avait pas le pouvoir de le faire, et il ne pense pas qu’un chef supérieur de l’aviation aurait accepté de l’exécuter.

« Douzième question

Que savez-vous de l’attitude et de l’opinion du Reichsmarschall et de sa Luftwaffe à l’égard des aviateurs ennemis abattus ?

« Réponse

Abstraction faite de quelques observations faites sous le coup du mécontentement, l’attitude du maréchal a toujours été correcte et chevaleresque et conforme à la tradition des aviateurs de la première guerre mondiale à laquelle il avait pris part. Si une fois ou l’autre, pressé par le Führer et aux prises avec les difficultés de la défense aérienne, il lui est arrivé d’exprimer sa mauvaise humeur en termes peut-être brutaux, il les oubliait vite et je ne connais pas d’exemple que de telles déclarations se fussent traduites, chez le maréchal, en mesures rigoureuses ou incorrectes ou en ordres contre les membres des aviations ennemies.

« L’attitude de toute la Luftwaffe a également toujours été correcte et humaine. « Combattre d’une façon chevaleresque » était une question d’honneur chez les aviateurs allemands.

« Quelques exemples entre autres : Bien que le personnel navigant ait amèrement ressenti les attaques faites par l’ennemi au moyen de ses armes de bord contre nos aviateurs descendant en parachute... »

LE PRÉSIDENT

Docteur Stahmer, ce que vous êtes en train de lire constitue un commentaire, et non pas l’exposé de faits. C’est de l’argumentation.

Dr STAHMER

Il en arrive à un exemple dans lequel il i apporte comment...

LE PRÉSIDENT

Bien, passons-y alors.

Dr STAHMER

Oui. « Le service de sauvetage de la Luftwaffe dans la mer du Nord, dans toute la Manche et jusqu’à Brest et dans le golfe de Biscaye, dans l’Atlantique et dans la Méditerranée était le même pour les Allemands et pour l’adversaire. Les équipes de sauvetage, les embarcations et les avions de sauvetage se sont dépensés infatigablement et avec un esprit de sacrifice exemplaire, pans faire de distinction, dans le danger, entre amis et ennemis. Mais lorsque... »

LE PRÉSIDENT

Docteur Stahmer, ce ne sont pas des exemples, des faits particuliers, ce sont simplement des commentaires, déclarations d’ordre général qui ne sont en réalité que des arguments destinés à prouver que les Allemands se comportaient de façon chevaleresque.

Dr STAHMER

Il veut prouver par là l’esprit chevaleresque de l’aviation allemande.

LE PRÉSIDENT

Mais il ne prouve rien en faisant des déclarations d’ordre général.

Dr STAHMER

Non. Il dira plus loin combien ils en ont sauvé et combien il y avait parmi les rescapés d’ennemis et d’Allemands. Je pense que cela est tout de même très important pour juger de l’attitude de la Luftwaffe...

LE PRÉSIDENT

Docteur Stahmer, comme je viens de le dire, si vous voulez en venir au fait, si vous avez des chiffres, donnez-les.

Dr STAHMER

« Parmi les milliers d’hommes sauvés par le service de sauvetage de l’aviation allemande, les membres des équipages d’avions ou de bateaux ennemis étaient de loin les plus nombreux. Sans pouvoir à l’instant donner de chiffres précis, j’estime, autant que je m’en souvienne, qu’ils constituaient 70 à 80% des rescapés ».

Plus loin, il dit : « Lorsque, au cours d’opérations de combat ou de reconnaissance, ou de toute autre manière, nos forces constataient la présence, à proximité des côtes ennemies ou à l’extérieur du rayon d’action de nos équipes de sauvetage, d’équipages en détresse, l’adversaire en était immédiatement informé afin qu’il pût se porter à leur secours ».

Viennent ensuite quelques questions qui ont été posées par le Ministère Public. La première était : Qu’avait à faire Kaltenbrunner...

LE PRÉSIDENT

Docteur Stahmer, il appartient au Ministère Public de lire ses questions s’il le désire.

Dr STAHMER

Ces questions n’ont pas d’intérêt pour moi...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Le Ministère Public ne désire pas donner lecture des questions.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal les lira. Vous vouliez les déposer comme preuves ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, nous allons les déposer comme preuves, mais nous ne désirons pas les lire.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

Dr STAHMER

J’ai déjà dit que ce document portait la cote Gôring-55. J’ai encore un dernier questionnaire à déposer.

LE PRÉSIDENT

Docteur Stahmer, vous savez probablement que le Tribunal se propose de lire tous ces documents. Il lira donc ces questionnaires et en tiendra compte, bien qu’ils n’aient pas été lus en séance. Vous les avez déposés comme preuves et le Tribunal vous serait reconnaissant d’abréger, dans la mesure du possible, la lecture de ces affidavits et de ces questionnaires.

Dr STAHMER

Oui, Monsieur le Président, j’agirai en conséquence. J’en arrive au questionnaire Hammerstein, que je dépose sous le numéro Gôring-52.

Monsieur le Président, je n’ai pas entre les mains l’original de ce document et je ne peux pour le moment en déposer qu’une copie certifiée conforme. Le questionnaire a été remis au Ministère Public ; il a également été traduit, mais il n’est pas possible de le trouver pour l’instant. Je pense que nous pourrons le retrouver bientôt. J’ai mis Sir David au courant. Le Ministère Public britannique en a déjà pris connaissance, il est déjà traduit.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous dire que l’original a été perdu ?

Dr STAHMER

Non, il a été égaré et je ne peux pas le trouver pour l’instant, mais nous l’avons reçu.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Monsieur le Président, nous n’avons aucune objection contre cet affidavit ; j’en ai une copie devant moi. Il porte sur des questions d’ordre général et, si je puis dire, je crois qu’il remplirait très exactement son but si le Dr Stahmer le déposait maintenant et que le Tribunal le prenne en considération en temps voulu,

LE PRÉSIDENT

Oui.

Dr STAHMER

Je déposerai l’original ces jours-ci. Il s’agit d’un questionnaire du juge de l’Etat-Major de la Luftwaffe, le Dr von Hammerstein. Pendant plusieurs années il a été juge suprême de la Luftwaffe et c’est en cette qualité qu’il avait, une fois par mois, un entretien avec l’accusé Göring. Il a pu apprécier l’attitude du maréchal Göring en sa qualité de Chef suprême du Tribunal. Il décrit en détails avec quel sérieux l’accusé Göring remplissait ses devoirs de Chef suprême du Tribunal. Il expose en outre comment le maréchal Göring se réservait les décisions dans toutes les questions importantes, comment il s’occupait de toutes les questions avec le plus grand soin, comment il tenait à ce que la discipline la plus rigoureuse fût observée par ses subordonnés. Il tenait en particulier à ce qu’ils fussent sévèrement punis si leur attitude envers la population civile avait été, d’une manière quelconque, contraire aux règlements, et particulièrement dans les lois de la guerre. Il expose en outre comment le maréchal Göring exigeait des punitions particulièrement sévères quand il s’agissait d’attentats commis sur des femmes, et comment, dans de nombreux décrets, il a rappelé que la considération envers les femmes était un élément essentiel du devoir de tout soldat, comment enfin, dans les cas les plus graves, il avait exigé la peine de mort quelle que soit la nationalité de la femme en cause. Dans deux cas, par exemple, il a modifié un jugement qui lui paraissait trop doux et il ne l’a confirmé que lorsque la condamnation à mort avait été prononcée...

LE PRESIDENT

Bien. Ce que vous venez de nous dire, Docteur Stahmer, nous a donné une idée de la teneur de l’affidavit. Vous nous avez dit que cet homme était juge suprême de la Luftwaffe et que les lois étaient strictement appliquées dans la Luftwaffe. Je suis certain que c’est là tout ce que vous vouliez dire en résumant.

Dr STAHMER

Oui, Monsieur le Président, mais je veux souligner un point essentiel : c’est qu’elles étaient appliquées sans égard à la nationalité de la femme. Dans un cas particulier, il s’agissait d’une femme russe...

LE PRÉSIDENT

C’est ce que je viens de dire : la loi était, strictement appliquée. Ce n’est qu’un exemple qui prouve comment elle était appliquée.

Dr STAHMER

Oui. J’ai exposé l’essentiel, Monsieur le Président, je renonce à la suite et je dépose le document.

LE PRÉSIDENT

Docteur Stahmer, le Tribunal estime que tout ceci n’est qu’une perte de temps et que, si la Défense ne se conforme pas au désir du Tribunal en déposant ces questionnaires et ces affidavits ou en donnant un résumé ou une description aussi brève que possible, le Tribunal devra décider que ces documents seront simplement déposés comme preuves sans qu’aucun commentaire soit fait à leur sujet.

Le moment approche où la Défense prononcera ses plaidoiries, et si ces documents contiennent quoi que ce soit d’important, les avocats pourront alors les commenter. D’autre part, le Tribunal se propose de prendre connaissance non seulement des témoignages oraux, mais également des documents déposés.

Dr STAHMER

Je dépose donc ce document sous le numéro 52, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Maintenant, à l’avocat de l’accusé von Ribbentrop. Docteur Horn, vous n’avez pas, je pense, d’affidavits ou d’interrogatoires à soumettre à l’approbation du Tribunal ?

Dr HORN

Je prie le Tribunal de bien vouloir m’autoriser à soumettre quatre dépositions sous serment. Il s’agit de la déposition d’un conseiller de légation, le Dr Eberhardt von Thadden, qui dépendait du service d’informations XIV du ministère des Affaires étrangères, service qui s’occupait de la question juive de’la coordination de la propagande antisémite à l’étranger avec d’autres services allemands.

LE PRÉSIDENT

Docteur Horn, avez-vous fait une demande pour déposer ces documents ?

Dr HORN

J’ai fait une demande écrite par l’intermédiaire de M. le Secrétaire général en vue de l’acceptation de ces affidavits, et on m’a confirmé ce matin qu’ils avaient été transmis au Ministère Public et au service de traduction. Je vous prie d’admettre cet affidavit sous le numéro Ribbentrop-319.

Le second affîdavit, pour la déposition duquel j’ai également fait une demande écrite à M. le Secrétaire général, émane d’un ancien plénipotentiaire, le Dr Best...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je m’excuse, mais je disais au Dr Hom que nous n’avions pas eu de copies de ces documents.

LE PRÉSIDENT

J’ai devant moi une liste de quatre affidavits, Thadden, Best, Ribbentrop et Schuize, qui n’ont pas été admis par le Tribunal. Aussi...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Votre Honneur, le Dr Hom m’en a parlé il y a un ou deux jours pour me demander si j’avais des objections à formuler contre leur traduction. Je lui ai dit que je ne m’opposais pas à ce qu’ils fussent traduits, mais je n’ai pas encore eu l’occasion de les voir.

LE PRÉSIDENT

Le mieux ne serait-il pas, puisqu’ils on été remis à la section de traduction, que le Dr Horn les dépose maintenant comme il en avait, je crois, l’intention, sous réserve de toute décision ultérieure relative à leur admissibilité ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui.

LE PRÉSIDENT

Très bien. Voulez-vous donc simplement nous donner leurs numéros ?

Dr HORN

Je dépose l’affidavit du Dr Best sous le numéro Ribbentrop-320. Je donnerai une brève explication concernant la production de cet affidavit. Au cours du contre-interrogatoire, on a soumis à mon client un document PS-2375. C’était un affidavit d’un colonel de la police, le Dr Rudolf Mildner. De cet affidavit, on a lu à mon client un extrait concernant le traitement des Juifs au Danemark. J’ai examiné par la suite ce document et constaté que deux documents portent ce numéro 2375. Le premier est une déclaration du Dr Mildner, qui n’a pas été faite sous la foi du serment. C’est dans cette déclaration qui n’a pas été faite sous la foi du serment que se trouve le passage qui a été lu par le Ministère Public lors du contre-interrogatoire de mon client. Sous le même numéro existe un affidavit, fait sous la foi du serment par le même Dr Mildner, dans lequel ce passage relatif à l’attitude de Ribbentrop sur la question juive ne figure pas. C’est pourquoi je me suis adressé au Dr Best qui avait été lui aussi chargé de problèmes relatifs à la question juive par Ribbentrop, ce qui est confirmé également par le Dr Mildner, et je me suis fait remettre cet affidavit 320, que je dépose maintenant au Tribunal.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

Dr HORN

En outre, au cours du contre-interrogatoire de mon client, ont été produits de très nombreux documents au sujet desquels il n’a pu faire que de très brèves déclarations, car il s’agit de documents très volumineux qu’il n’avait pour la plupart jamais vus. Je prie le Tribunal d’admettre quelques brèves déclarations de mon client au sujet de ces documents, sous la forme d’un affidavit auquel je donne le numéro Ribbentrop-321.

Ensuite, je vous prie de m’autoriser à prendre position au sujet d’un document. Il s’agit du document TC-75, une note de Ribbentrop à Hitler. Elle a été déposée par le Ministère Public sous une forme très abrégée. Lorsque l’original m’a été remis pour la première fois, la photocopie était absolument conforme à la copie présentée par le Ministère Public. Mais lorsque je me suis fait donner à nouveau ce numéro, je me suis aperçu qu’il s’agissait d’une photocopie de neuf pages. Je voudrais, dans ma plaidoirie, me référer au contenu de ce document et, pour ne pas abuser inutilement des instants du Tribunal, je le prie de bien vouloir m’autoriser à déposer ce document complet sous le numéro TC-75.

Je n’ai pas d’autre demande à formuler.

LE PRÉSIDENT

Docteur Horn, vous n’avez pas donné de numéro à ce dernier affidavit ?

Dr HORN

J’ai donné à ce document TC-75 le numéro Ribbentrop-322.

LE PRÉSIDENT

Bien.

Dr SIEMERS

Monsieur le Président, avec l’autorisation du Tribunal, je désirerais en terminer avec les points restés en suspens dans l’exposé de mes preuves. Il s’agit en premier lieu du témoin que m’a accordé le Tribunal, l’amiral Boehm. Le Tribunal se souviendra qu’il m’avait autorisé à faire comparaître ce témoin à la fin de l’exposé de mes preuves. Entre temps, et après m’être mis d’accord avec M. Elwyn Jones et Sir David, je me suis fait délivrer à Hambourg un affidavit de l’amiral Boehm afin d’éviter si possible un interrogatoire. J’ai remis cet affidavit à Sir David et M. Elwyn Jones, et ce dernier m’a fait savoir hier après-midi que Sir David était d’accord et renonçait au contre-interrogatoire. De mon côté, je me suis engagé à renoncer à l’interrogatoire et à me contenter de la présentation de cet affidavit et de sa lecture. Je crois que Sir David est d’accord ?

Je dépose donc cet affidavit de l’amiral Boehm sous le numéro Raeder-129. Il a été reçu à Hambourg le 13 juin 1946 par le Dr Sieveking, notaire.

LE PRÉSIDENT

Est-il nécessaire de le lire maintenant ?

Dr SIEMERS

Monsieur le Président, dans ce cas, je vous serais reconnaissant de m’autoriser à le lire, car il traite d’une question particulièrement importante. Le Haut Tribunal voudra bien se souvenir.. .

LE PRÉSIDENT

Mais je viens de vous dire, Docteur Siemers, qu’il serait préférable que vous vous limitiez aux parties les plus importantes et que vous résumiez ce qui l’est moins. Nous ne pouvons pas entendre la lecture de tous ces documents.

Dr SIEMERS

Le Tribunal voudra bien m’accorder que j’ai lu très peu de chose de tous mes autres documents. Si je tenais à lire une partie de celui-ci, c’est uniquement parce que la Délégation britannique, à la fin de son contre-interrogatoire, a déposé deux importants groupes de documents sous les numéros GB-464 et GB-465. Ces documents sont en rapport avec le document-clé du 22...

LE PRÉSIDENT

Docteur Siemers, vous pouvez certainement nous dire sur quoi porte cet affidavit. Nous en connaîtrons alors l’essentiel et ensuite vous pourriez attirer notre attention sur les points auxquels vous attachez le plus d’importance. Cela ne fait que prendre du temps de nous dire ce que le Ministère Public a déjà fait.

Dr SIEMERS

Je vous prie de m’excuser si j’ai été mal compris. C’était précisément mon intention.

Je ne lirai pas ce qui figure à l’affidavit sous le chiffre 1 et j’exposerai simplement qu’il s’agit d’un entretien qui eut lieu entre Raeder et le général Boehm au cours de l’été 1939, dans lequel Boehm dit à Raeder qu’il se faisait de graves soucis quant à l’évolution de la politique. Il lui demanda si lui, Raeder, avait attiré l’attention de Hitler sur ces graves dangers et sur le fait que la Marine allemande n’était pas en état de mener une guerre navale.

« Le Grand-Amiral me répondit qu’il en avait fait part à Hitler à plusieurs reprises et qu’il avait terminé son exposé à Hitler en déclarant que, dans une telle éventualité, la Marine allemande ne pouvait faire autre chose que de « mourir en beauté ».

Point II de l’affidavit de l’amiral Boehm :

« Le 22 août 1939, Hitler prononça un discours à Obersalzberg devant les chefs de la Wehrmacht. J’étais présent pendant tout le discours qui dura environ deux heures et demie. Cela avait lieu dans le bureau de Hitler... »

Je saute les points suivants et je continue :

« J’ai pris en note ce discours » — qui a été déposé au Tribunal sous le numéro Raeder-27 — « avec une grande exactitude, et je puis affirmer sous la foi du serment qu’il a été prononcé sous cette forme. Je confirme en particulier que toutes les idées et les paroles importantes sont contenues dans mon texte. Le Dr Siemers m’a soumis les rédactions de ce discours produites par le Ministère Public, c’est-à-dire les documents PS-798 et PS-1014. J’ai comparé mon texte avec les deux autres. »

Je saute à nouveau un paragraphe :

« Je déclare sous la foi du serment que les propos suivants, rapportés dans ces documents comme ayant été tenus par Hitler, ou bien n’ont pas été prononcés, ou bien l’ont été sous une forme et dans un sens différents. En ce qui concerne le document PS-798, le chiffre des pages concorde avec celui de la version présentée par Sir David Maxwell-Fyfe, qui m’a également été soumise ». Je rappelle au Tribunal qu’il s’agit d’un texte de dix pages portant le numéro GB-464. On y trouve la phrase : « Ensuite, nous traiterons du détail des questions militaires ». « Commentaire : Cette phrase n’a pas été utilisée. Il n’y a pas non plus de détails militaires dans le document PS-798.

« Lignes 7 à 10 : J’avais pris cette décision dès le printemps, mais j’ai pensé que je me tournerais d’abord, dans quelques années, contre les puissances de l’Ouest et ensuite seulement vers l’Est.

« Le texte de mes notes, page 1, lignes 5 à 8, est parfaitement exact. Hitler n’a jamais dit qu’il voulait d’abord se tourner contre les puissances de l’Ouest.

« Lignes 12 à 14 : Je voulais tout d’abord entretenir des relations acceptables avec la Pologne pour pouvoir d’abord combattre à l’Ouest ».

Je saute le point suivant. J’arrive ensuite à la page 2, lignes 15 à 18 : « II nous est facile de prendre des décisions. Nous n’avons rien à perdre, nous ne pouvons que gagner. Du fait de la limitation de nos ressources, notre situation économique est telle que nous ne pourrons plus tenir que quelques années ». « Commentaire : Le texte de mes notes, lignes 22 à 26, est absolument exact. La phrase : « Nous n’avons rien à perdre...

LE PRÉSIDENT

Docteur Siemers, en résumé, n’est-ce pas ceci : II y a deux ou trois versions de ce discours, et cet amiral dit que c’est la sienne qui est la bonne. Je crois que c’est en fin de compte ce qu’il veut dire : il ne pense pas que les autres versions soient exactes. Le Tribunal examinera les trois versions et les comparera à cet affidavit. Mais je ne vois pas la nécessité de nous en donner lecture pour le moment.

Dr SIEMERS

Très bien, je vous remercie, Monsieur le Président. Je vous prie de bien vouloir prendre acte des détails qui suivent. Je ferai simplement remarquer encore que l’amiral Boehm déclare expressément, sous la foi du serment, que la phrase fréquemment citée : « J’ai peur qu’à la dernière minute un salopard quelconque ne propose un plan de médiation » n’a jamais été prononcée par Hitler.

Au sujet du document PS-1014, je voudrais relever la phrase citée sept ou huit fois par le Ministère Public : « La destruction de la Pologne est la première des choses. Il s’agit d’anéantir toutes les forces vitales et non d’atteindre une certaine ligne ». Boehm dit à ce sujet ; Jamais il n’a été parlé de la destruction de la Pologne ou de l’anéantissement des forces vitales du peuple polonais, mais simplement de la destruction des forces militaires ». Je prie le Tribunal de bien vouloir prendre note de ces déclara-tons qui ont été notées très scrupuleusement, car elles sont à mon avis extrêmement importantes quant à l’appréciation de la valeur des preuves produites par le Ministère Public.

Sous le chiffre III, l’amiral Boehm a décrit la période pendant laquelle il était amiral commandant en Norvège. Ici aussi, je prie le Tribunal de bien vouloir en prendre connaissance. Il s’agit principalement de la lutte menée par Raeder et Boehm contre Terboven et contre l’administration civile allemande et contre les efforts en vue de conclure une paix avec la Norvège.

Monsieur le Président, après plusieurs semaines, le questionnaire Albrecht vient de m’arriver dans sa rédaction définitive. Je l’ai donné à traduire il y a quelques jours, mais je n’ai pas encore reçu la traduction. Le questionnaire avait été autorisé. Je le dépose sous la cote Raeder n° 128. Je prie également le Tribunal de bien vouloir prendre connaissance de ce questionnaire. Je mentionnerai simplement que l’amiral Albrecht fut, pendant plusieurs années, un des plus proches collaborateurs de Raeder. Cependant, il démissionna en octobre 1939. Il connaît les opinions de Raeder et sait comment a été dirigée la Marine de 1933 à 1938. Lui aussi confirme que Raeder n’a cessé de mettre en garde Hitler contre les complications possibles et que Hitler répétait toujours : « J’ai l’affaire en mains ; je ne laisserai pas aller les choses jusqu’à la guerre ».

Quant aux autres points, je prie le Tribunal de bien vouloir en prendre acte puisque c’est le désir qu’il a formulé.

Je ferai encore remarquer ceci : il y a encore un questionnaire de l’amiral Schutze. Mes efforts pour me procurer ce questionnaire datent de mars 1946. J’ai donné l’adresse. Le témoin est en retraite et se trouve à Hambourg-Blankenese. Malheureusement, jusqu’à présent, je n’ai pas pu faire en sorte, depuis mars, que ce questionnaire parvienne à Hambourg. Je serais particulièrement reconnaissant au Tribunal s’il voulait bien m’autoriser dans ces conditions, étant donné que je n’ai pas la possibilité de hâter les choses, à déposer ce questionnaire par la suite. Je ne sais pas quand il reviendra. Pour des motifs que je ne comprends pas, il a, dans l’intervalle, été envoyé à Washington, mais j’espère qu’il finira par revenir.

J’ai, en dernier lieu, Monsieur le Président...

LE PRÉSIDENT

Pardon, que voulez-vous dire par « été envoyé à Washington ? » Vous avez bien dit « Washington » ?

Dr SIEMERS

J’ai appris par le Secrétariat général que le questionnaire avait été envoyé à Washington, et ceci pour y trouver là-bas le témoin. Mais le témoin est à Hambourg-Blankenese. Malheureusement je n’ai pas la possibilité, malgré les efforts que j’ai faits depuis trois mois d’exercer une influence quelconque.

LE PRÉSIDENT

II n’est pas douteux que le Secrétaire général fasse tout son possible pour retrouver le témoin. Quelles sont les dates ? Vous dites qu’il y a trois mois que vous avez soumis ce questionnaire ? A-t-il été envoyé à Hambourg ou ailleurs ?

Dr SIEMERS

J’ai envoyé le questionnaire...

LE PRÉSIDENT

Vous devriez le savoir. Vous avez été en relations avec le Secrétaire général au cours de ces trois mois. Vous dites qu’il a été envoyé à Washington ? Avez-vous indiqué une adresse à Hambourg ? Quel est l’objet de votre réclamation ?

Dr SIEMERS

Monsieur le Président, je me suis mal fait comprendre. Je ne me suis pas plaint. J’ai exposé les faits afin de montrer pour quelles raisons le questionnaire n’est pas encore là et je vous ai prié de m’autoriser, lorsque ce questionnaire sera revenu, à le déposer, bien que mes preuves...

LE PRÉSIDENT

Je sais, c’est ce que vous venez de dire, mais le Tribunal voudrait savoir où le questionnaire a été envoyé en premier lieu, pourquoi il a été envoyé à Washington, pourquoi il n’a pas été envoyé à Hambourg, et ce que vous savez du fait prétendu selon lequel la personne qui devait répondre au questionnaire se trouvait à Hambourg.

Dr SIEMERS

Monsieur le Président, je suis moi-même de Hambourg et j’ai parlé au témoin au mois de novembre de l’année dernière. Lors de ma première demande au Secrétariat général, j’ai donné son adresse. Peut-être s’est-il alors produit un malentendu dans les services qui ont transmis le questionnaire. Peut-être a-t-on cherché ailleurs un témoin du nom de Schutze. Cela s’expliquerait puisque cet amiral s’appelle Otto Schutze ; c’est un nom très courant. Personnellement, on m’a simplement répondu que l’on recherchait le témoin, et de mon côté j’ai répondu qu’il était inutile de le rechercher.

M. DODD

Je pense que le Tribunal aurait intérêt à savoir que le Dr Siemers est revenu lui-même de Hambourg il y a quelques jours. Je crois qu’il s’est rendu à Hambourg deux ou trois fois depuis qu’il a demandé ce questionnaire. S’il sait où se trouve le témoin, il pouvait se rendre auprès d’un officier du Gouvernement militaire présenter ses questions et y faire répondre. Je crois qu’il n’est pas très juste de blâmer le Secrétaire général à ce propos.

Dr SIEMERS

Je regrette infiniment que M. Dodd se croie tenu de me reprocher d’être injuste envers le Secrétaire général. On m’a dit que je ne pouvais pas moi-même remettre un questionnaire au témoin. J’ai ramené de Hambourg le questionnaire destiné à l’amiral Albrecht, et ceci sur la demande du Secrétariat général, parce qu’on avait oublié d’y porter la formule du serment. Il me paraît tout à fait naturel, dans un cas semblable, de travailler en collaboration avec le Secrétariat général. Je ne comprends pas comment M. Dodd peut me faire le reproche de ne pas avoir rapporté ce questionnaire, puisque je l’ai remis.

LE PRÉSIDENT

Il me semble que nous perdons notre temps. Il vaudrait mieux demander un rapport au Secrétaire général.

Dr SIEMERS

Monsieur le Président, je crois que je ne me suis toujours pas fait comprendre. Je ne fais aucune réclamation, je demande simplement l’autorisation de déposer ce questionnaire par la suite.

LE PRÉSIDENT

Nous prendrons cela en considération et nous ne prendrons pas de décision avant d’avoir le rapport du Secrétaire général.

Dr SIEMERS

Monsieur le Président, je tiens encore à faire remarquer que deux demandes m’ont été accordées mais qu’elles n’ont pas été complètement exécutées. L’une est la demande concernant les documents de l’Amirauté britannique quant aux projets des Alliés en Scandinavie et en Finlande. Je voudrais simplement avoir l’assurance que le Tribunal a entre les mains la réponse bien connue du Foreign Office. La présentation des documents m’avait été accordée par le Tribunal, mais refusée par le Foreign Office. Puisqu’il n’a pas été parlé de cette question jusqu’à présent, j’aimerais, pour la bonne règle, que ce point soit éclairci.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal a, je crois, la communication du Foreign Office.

Dr SIEMERS

Mais ce n’est pas moi qui l’ai déposée, Monsieur le Président. Je ne sais donc pas sous quel numéro il se trouve dans les dossiers du Tribunal. Serait-il possible qu’un document...

LE PRÉSIDENT

Vous pouvez lui donner un numéro. Donnez-lui le numéro que vous estimez bon. Quel numéro lui donnez-vous ?

Dr SIEMERS

Puis-je déposer cette lettre sous le numéro Raeder-130 soit cet après-midi, soit au plus tard demain matin ?

LE PRÉSIDENT

Oui.

Dr SIEMERS

J’ai encore explimé le désir qu’on mette à ma disposition la première édition du livre de Hitler « Mein. Kampf ». Je tiens simplement à le mentionner ici. Autant que je sache, le Secrétariat général s’est efforcé, et je l’en remercie, de se procurer cette première édition, mais cela ne lui a pas été possible. Je rappelle que l’édition sur laquelle se base le Ministère Public date de l’année 1933 et ne saurait donc être une base pour les arguments du Ministère Public portant sur des événements antérieurs à 1933.

LE PRÉSIDENT

C’est une question d’argumentation.

Dr SIEMERS

Oui. Pendant mon absence, quatre documents ont été déposés par Sir David Maxwell-Fyfe. Autant que j’aie pu le constater, ces documents, qui émanent de l’amiral Assmann, ont été déposés avec l’observation que l’amiral Assmann faisait partie de l’État-Major du Grand-Amiral Raeder. Ceci figure également à plusieurs reprises dans les précédents procès-verbaux. Pour la bonne règle, je voudrais rectifier cette erreur. Assmann était dans un service qui s’occupait de questions historiques et n’avait rien à faire avec l’État-Major de Raeder. Ceci est en rapport. ..

LE PRÉSIDENT

Avez-vous la preuve des faits que vous avancez ? Le Ministère Public est-il prêt à les accepter ?

Dr SIEMERS

Je pense que Sir David ne me contredira pas.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Nous acceptons, Votre Honneur. Nous en avons déjà parlé au cours de l’exposé des preuves, et nous acceptons de considérer qu’il était à la section d’histoire de la Marine de l’Amirauté allemande. Loisque j’ai dit « État-Major » je parlais de façon générale et je ne voulais pas dire « État-Major d’opérations ».

LE PRÉSIDENT

Ne perdons donc plus de temps là-dessus.

Dr SIEMERS

En ce qui concerne ces quatre documents — D-879, D-881, D-892 et D-854 — je tiens encore à faire remarquer une chose, et je pense que, là encore, Sir David sera d’accord avec moi. Toutes les traductions anglaises portent le titre « Diary ».

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Votre Honneur, il s’agit simplement de savoir comment désigner cette compilation de l’amiral Assmann. Je suis tout disposé à ce qu’elle porte le même titre que l’original. Le Dr Siemers n’est pas d’accord sur le titre de « Journal » et déclare que c’est bien plutôt une table des matières. Le titre est à mon avis de peu d’importance.

LE PRÉSIDENT

Quelle importance cela a-t-il ? Appelons-le donc une table des matières. Est-ce là tout ce que vous vouliez régler ?

Dr SIEMERS

Monsieur le Président, c’est important en ce sens que de nombreux journaux ont été déposés ici sous la désignation anglaise « diary ». Il s’agissait là effectivement d’annotations de l’époque en question.

LE PRÉSIDENT

Sir David a dit qu’il retirait le mot « diary ». Appelez-le donc comme il vous plaît. Des questions techniques de ce genre ne font que nous faire perdre notre temps. Sir David est tout à fait d’accord avec vous et prêt à retirer le mot « diary ».

Dr SIEMERS

Bien.

LE PRÉSIDENT

Donc, c’est parfait, n’en parlons plus.

Dr SIEMERS

Je suis parfaitement d’accord, Monsieur le Président. Afin de ne pas abuser inutilement des instants du Tribunal, je n’ai pas fait état des nombreuses autres fautes de traduction. Au sujet du document Assmann, on verra dans ma plaidoirie quelle importance il faut attribuer à ce point. Pour les fautes de traduction, je me suis conformé au désir du Tribunal et les ai simplement communiquées au Secrétariat général,

LE PRÉSIDENT

S’il y a des erreurs de traduction, la question peut être réglée par l’intermédiaire du Secrétaire général avec la section de traduction.

Docteur Siemers, il est très déplacé pour un avocat dans votre situation de faire des déclarations de ce genre alors que vous ne pouvez apporter aucune preuve à l’appui. Vous savez parfaitement que, lorsqu’on a prétendu qu’il y avait des erreurs de traduction, ces questions ont toujours été réglées avec la section de traduction par l’intermédiaire du Secrétaire général, et que des corrections y ont été apportées. Prendre la parole maintenant, à ce stade du Procès, pour dire qu’il y a beaucoup d’erreurs de traduction, sans preuve, de votre propre autorité, me paraît une attitude tout à fait indigne d’un avocat. Tel est l’avis du Tribunal.

Dr SIEMERS

Monsieur le Président, je vous prie de m’excuser, mais je me suis peut-être mal exprimé. Je ne faisais pas de reproche à quiconque. Dans de nombreux documents, il est très explicable qu’il y ait des fautes, car le travail est considérable. Moi-même je fais des fautes et des erreurs et je regrette de m’être mal fait comprendre.

LE PRÉSIDENT

Tout le monde peut faire des fautes et chacun peut avoir une opinion différente en ce qui concerne les traductions. Mais vous savez, comme tous les autres avocats de la Défense, que ces erreurs — si ce sont des erreurs — seront corrigées dans la mesure du possible. Vous savez quelle est la marche à suivre, et c’est pourquoi, comme je viens de vous le dire, il est très déplacé de votre part de prétendre qu’il y a de nombreuses erreurs de traduction. Je ne veux plus en entendre parler.

L’audience est levée.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSDENT

Docteur Nelte, avez-vous des documents que vous désirez déposer comme preuves ?

Dr NELTE

Monsieur le Président, par une lettre du 1er juillet 1946, j’avais présenté trois affidavits, après les avoir soumis au préalable au Ministère Public.

Ces trois documents portent les cotes K-23, K-24 et K-25 ; je prie le Tribunal de les recevoir, puisque le Ministère Public, m’a dit Sir David, n’a aucune objection à élever contre leur présentation.

LE PRÉSIDENT

Sont-ils en cours de traduction ou sont-ils déjà traduits ?

Dr NELTE

Ils sont en cours de traduction ; je n’ai déposé au Tribunal que les documents originaux.

LE PRÉSIDENT

Fort bien, nous les acceptons donc comme preuves et nous les prendrons en considération.

Dr NELTE

Je vous remercie.

LE PRÉSIDENT

Docteur Kauffmann ?

Dr KURT KAUFFMANN (avocat de l’accusé Kaltenbrunner)

Monsieur le Président, j’ai quelques questionnaires que le Tribunal m’avait autorisé à présenter. J’ai numéroté les originaux et je me propose de les déposer maintenant. J’ai appris par la section de traduction que les exemplaires traduits n’ont pas encore été remis au Tribunal, mais je suppose que cela sera fait dans les jours à venir.

LE PRÉSIDENT

Oui.

Dr KAUFFMANN

J’aimerais exposer très brièvement, en peu de phrases, le contenu de ces documents, si le Tribunal le désire. Il s’agit donc de trois documents qui concernent la même question, à savoir la déposition du Président de la Croix-Rouge de Genève, le professeur Burckhardt ; la déposition du Dr Bachmann, délégué de la Croix-Rouge, et la déclaration du Dr Meyer, qui était également un représentant de la Croix-Rouge. Dans ces documents, les témoins que je viens de citer traitent des entretiens qu’ils ont eus en mars et avril 1945 avec l’accusé Kaltenbrunner. De plus, il en ressort que ces entretiens ont abouti à des accords, qui ont eu pour conséquence que des milliers d’enfants français, belges, hollandais, de femmes, etc., ont pu être rapatriés, que des prisonniers ont pu être libérés et que des détenus des camps de concentration ont pu rentrer chez eux. Il y est établi également que l’accusé Kaltenbrunner avait autorisé la visite du camp juif de Theresienstadt et avait également autorisé d’envoyer des médicaments et des produits alimentaires dans d’autres camps. Tout cela est indiqué en détails dans ces documents.

LE PRÉSIDENT

Quels numéros leur donnez-vous ?

Dr NELTE

L’affidavit du Dr Burckhardt porte le numéro Kal-tenbrunner-3. Ceux du Dr Meyer et du Dr Bachmann, les numéros Kaltenbrunner-4 et 5.

LE PRÉSIDENT

Oui.

Dr KAUFFMANN

Il y a un autre document : c’est le questionnaire rempli par l’ancien Gauleiter de Haute-Autriche, Eigruber, et qui constitue le document Kaltenbrunner-6. Je me contenterai de le citer. Ce témoin déclare entre autres choses que le camp de concentration de Mauthausen n’a pas été établi par Kaltenbrunner, comme l’a avancé le Ministère Public, et que Kaltenbrunner n’était pas responsable de la vie et du séjour des détenus dans les camps. Ceci est écrit en détails, et je ne me propose pas de le lire.

Le document suivant est le document Kaltenbrunner n° 7 ; c’est un questionnaire du baron von Eberstein ; je n’en lirai rien non plus. Je me permettrai simplement d’indiquer en une seule phrase que ce témoin déclare qu’il sait que les camps de Dachau et deux camps annexes ne devaient pas être rasés dans les derniers mois ou les deux dernières semaines de la guerre, comme l’a prétendu le Ministère Public, mais que ce plan avait été conçu exclusivement par le Gauleiter de Munich Giesler.

Un autre questionnaire rapporte les déclarations du témoin Wanneck. C’est le document Kaltenbrunner n° 8. J’aimerais tout particulièrement attirer l’attention du Tribunal sur ce document : c’est un document volumineux, dont je ne lirai rien, mais je crois pouvoir dire que cet homme connaît particulièrement bien la personne de l’accusé et qu’il connaît également l’ensemble du travail fourni par l’accusé au cours de nombreuses années. Ce témoin était lui-même pendant plusieurs années une personnalité importante du service de renseignements à l’étranger. Il connaît l’attitude de Kaltenbrunner en ce qui concerne la question du pouvoir exécutif. Il confirme que Kaltenbrunner s’était mis d’accord avec Himmler pour que Himmler gardât le pouvoir exécutif tandis que lui, Kaltenbrunner, exercerait surtout ses fonctions dans le domaine de l’ensemble du service de renseignements.

Enfin, Monsieur le Président, j’ai encore deux documents dont il n’a pas encore été question. Il faudrait d’abord que le Tribunal prenne une décision sur l’admissibilité de ces deux documents et décide si j’ai le droit de les déposer. Ce sont deux courtes lettres que j’ai reçues. L’une est une lettre du maire de la ville de Dachau du 4 avril 1946 ; le Tribunal se souviendra peut-être qu’au cours de l’exposé des preuves du Ministère Public, il a été dit à plusieurs reprises que la population des environs aurait eu connaissance des abus qui étaient commis dans le camp. Cet homme, qui a été nommé par les autorités américaines, fait état de sa propre expérience qui, à mon avis, constitue une réfutation du Ministère Public.

En rapport direct avec ce que je viens de dire, j’ai également une lettre du pasteur Niemoller, en date du 17 avril 1946. Il a également été à Dachau.

M. DODD

Monsieur le Président, ne vaudrait-il pas mieux que nous nous prononcions sur le premier affidavit avant de passer à celui de Niemoller ? Nous avons élevé une objection contre cet affidavit du maire de Dachau pour la raison que c’est une simple lettre ; nous n’avons pas eu la possibilité de poser des questions contradictoires ni même de l’interroger. Si on devait déposer toutes les lettres qui arrivent ici, nous en aurions des piles. Nous n’aimons pas à élever des objections pour des raisons purement techniques, quand il s’agit vraiment de quelque chose qui puisse être utile au Tribunal ; mais, d’autre part, nous ne pensons pas devoir nous priver de la possibilité de tirer cette question au clair en posant des questions à l’auteur de cette lettre.

LE PRÉSIDENT

S’agit-il de Schwalber ?

M. DODD

Oui, Monsieur le Président.

Dr KAUFFMANN

Je n’ai pas bien compris ce que vous disiez, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

M. Dodd disait que le Ministère Public élève une objection contre ce document Schwalber parce qu’il n’a pas eu la possibilité de lui poser des questions, soit en le citant comme témoin, soit en lui adressant un questionnaire. Il s’oppose donc à la présentation du document sous sa forme actuelle.

Dr KAUFFMANN

Oui, je comprends que cela pose un problème, mais le Tribunal a la possibilité d’apprécier librement la valeur probatoire de ce document. Peut-être pourrais-je présenter ces deux très brefs documents au Tribunal ? Autant que je sache, le Ministère Public connaît ces deux documents, car ils ont été au service de traduction et, il y a quelque temps, un représentant du Ministère Public m’a déclaré que, sans doute, on élèverait des objections contre ces lettres ; c’est pourquoi j’ai dit tout à l’heure que le Tribunal aurait tout d’abord à décider de l’admissibilité de ces documents.

LE PRÉSIDENT

Bien, Docteur Kauffmann, le mieux serait que le Tribunal lise le document et en décide. C’est ce que nous ferons.

Dr KAUFFMANN

Je vous remercie, Monsieur le Président.

M. DODD

J’aimerais également indiquer au Tribunal que notre position est la même en ce qui concerne la lettre de Niemoller.

LE PRÉSIDENT

Vous élevez donc une objection contre les deux documents ? Contre la lettre de Niemoller également ?

M. DODD

Oui, pour les mêmes raisons.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

Dr OTTO PANNENBECKER (avocat de l’accusé Frick)

Monsieur le Président, la réponse au questionnaire Messersmith n’a pas encore été déposée. Elle est arrivée entre temps et est déjà traduite, mais je crois que le Tribunal ne l’a pas encore reçue.

LE PRÉSIDENT

Pouvez-vous la déposer comme preuve et lui attribuer un numéro ?

Dr PANNENBECKER

C’est ce que Je voulais faire, mais je ne pensais pas que ce serait pour aujourd’hui ; aussi je ne puis dire de mémoire quel est le numéro de cette pièce ; je vous prie donc de me permettre de vous indiquer le numéro ultérieurement. Le voici ; je dépose ce document sous le numéro Frick-14. C’est la réponse à un questionnaire ; cette réponse est rédigée d’une manière analogue à celle des autres questionnaires remplis par Messersmith ; je m’y référerai dans ma plaidoirie, et il est inutile que j’en donne lecture.

Il me manque encore la réponse au questionnaire Konrad. Je prie le Tribunal de me permettre de la déposer dès qu’elle me sera parvenue.

LE PRÉSIDENT

Ce questionnaire vous a été accordé, n’est-ce pas ? Et il a été présenté au témoin ?

Dr PANNENBECKER

Oui.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

Dr PANNENBECKER

Merci.

LE PRÉSIDENT

Docteur Servatius.

Dr ROBERT SERVATIUS (avocat de l’accusé Sauckel et du Corps des chefs politiques)

Monsieur le Président, il y a encore quelques questionnaires à déposer. Je dépose le numéro 15, le questionnaire Darré.

LE PRÉSIDENT

Le questionnaire de qui était-ce ?

Dr SERVATIUS

C’est un questionnaire adressé à Darré, ministre de l’Agriculture, du Ravitaillement. Il traite de questions qui ont en partie été soulevées ici au cours des débats. J’aimerais attirer votre attention sur certains points, en particulier sur la question de savoir quelle était l’attitude générale de Sauckel, et particulièrement envers Himmler, envers les conceptions de Himmler. Il insiste sur le fait qu’il y avait une opposition formelle entre Himmler et Sauckel. Il mentionne un cas, dont il a été le témoin, dans une usine de Thuringe, qui dépendait directement de Sauckel, et il dit que la liberté des ouvriers était si grande qu’ils travaillaient encore pendant la journée chez les paysans, et que leur situation était presque trop bonne. Il parle en outre d’une violente discussion qui eut lieu entre Sauckel et Himmler, en présence du Führer, au sujet du traitement des ouvriers : Sauckel aurait déclaré à Himmler qu’il ne dépendait que du Führer et administrativement du Reichs-marschall, et qu’il n’avait aucun compte à rendre à Himmler.

Il y a un autre questionnaire du ministre du Travail Seldte ; ce questionnaire m’a déjà été accordé et je le dépose sous le numéro 16. Je n’en ferai ressortir que quelques points : le témoin exprime son opinion sur les fonctions de Sauckel et celles du Dr Ley. Il dit que Sauckel avait des fonctions d’État, tandis que Ley s’occupait des fonctions sociales et humaines telles que le contrôle des questions sociales ; puis il traite des inspections et des contrôles, et il dit que les différents services de contrôle de la main-d’œuvre, des assurances contre les accidents, de l’hygiène, existaient déjà auparavant et avaient continué à fonctionner sous la responsabilité du ministère du Travail.

Vient ensuite le questionnaire du docteur en médecine, Voss, que je dépose sous le numéro Sauckel-17. Je désire déposer l’original, que je n’ai pas sous la main pour l’instant. Il était médecin d’un camp et parle des conditions de vie dans les camps, des problèmes particuliers qui ont surgi après les attaques aériennes et de l’activité d’assistance du Front du Travail. Il ne parle pas seulement des camps dont il s’est occupé mais, d’une manière générale, de la situation dans d’autres camps. Ses déclarations sont en contradiction avec ce qui a été dit ici par le Dr Jäger.

Le document suivant, que je dépose sous le numéro 18, et qui émane du Dr Ludwig Scharmann, donne les renseignements analogues pour le domaine dans lequel il exerçait son activité, et ces déclarations sont également en contradiction absolue avec celles faites ici par le Dr Jäger.

J’en ai ainsi terminé avec tous les questionnaires que le Tribunal m’avait autorisé à présenter. J’ai présenté des demandes pour plusieurs autres documents, mais aucune décision n’a encore été prise à leur sujet ; il s’agit en particulier de lois et de dispositions analogues que je me propose de déposer à titre complémentaire.

LE PRÉSIDENT

Docteur Servatius, le Tribunal aimerait que vous les présentiez maintenant, parce qu’il désire en terminer aujourd’hui de façon définitive avec les preuves présentées par la Défense.

Dr SERVATIUS

Il s’agit d’un décret de Sauckel sur le rapatriement de travailleurs étrangers, malades ou nécessitant des soins ; il en ressort que les ouvriers qui tombaient malades étaient rapatriés et que les délégués de la Croix-Rouge devaient les accompagner. Cette loi se trouve dans le recueil officiel qui a déjà été déposé comme preuve ; je donnerai par la suite le numéro exact de dépôt. Dans le livre de documents annexe, cette pièce portera le numéro 99.

Vient ensuite le document n° 100, extrait du journal du travail du Reich, déjà déposé, lui aussi, comme preuve. Ce document concerne le contrôle des installations sanitaires dans les camps et des mesures d’hygiène, et traite des accusations qui ont été portées sur les conditions du logement dans les camps.

Il y a ensuite le document 101, qui est un aide-mémoire pour les prisonniers français en congé, se rapportant à l’amélioration de leur statut par la « transformation ». Je déposerai ce document et lui donnerai un numéro ; c’est pour le moment le document 101.

Suivent les numéros 102 et 103 ; ce sont deux lois contenues dans le recueil officiel du Reichsgesetzblatt. Il s’agit là de dispositions sur le travail obligatoire ; ce sont l’ordonnance sur le travail d’urgence, que je déposerai sous le numéro 102, et l’ordonnance sur le travail obligatoire, qui portera le numéro 103.

J’ai trouvé dans le document PS-4006 un certain nombre de dispositions importantes pour moi. Je viens cependant d’apprendre que le Ministère Public doit les présenter, ce qui me permet d’y renoncer.

J’ai encore reçu une déclaration sous la foi du serment, d’un certain comte Spreti qui, depuis le début de la campagne de Russie, avait travaillé dans l’Est comme agent recruteur. En substance, ce document déclare qu’à partir de l’entrée en fonctions de Sauckel, des modifications radicales intervinrent. Ce document est court et je le tiens pour important parce que, jusqu’ici, nous n’avons jamais entendu le témoignage d’un agent recruteur.

J’avais encore l’intention de déposer sous le numéro 109 une liste...

COLONEL PHILLIMORE

Monsieur le Président, en ce qui concerne cet affidavit, on m’a informé que le Ministère Public n’en a pas eu connaissance ; il serait donc souhaitable qu’il ne soit accepté que les réserves qui ont été faites dans les cas précédents.

LE PRÉSIDENT

Oui, certainement. Cet affidavit est-il celui du comte von Spreti ?

Dr SERVATIUS

Oui.

COLONEL PHILLIMORE

Oui, Votre Honneur.

Dr SERVATIUS

Je me proposais de déposer sous le numéro 109 une liste de toutes les ordonnances de Sauckel qui permette d’avoir une vue d’ensemble du grand soin qu’il prenait à s’occuper des moindres détails. Cette liste ne comporte que les titres.

LE PRÉSIDENT

Très bien. Avez-vous donné un numéro à ]’affidavit du comte von Spreti ?

Dr SERVATIUS

Dans le livre de documents, il porte le numéro 108.

Je lui donnerai un numéro de dépôt en même temps qu’aux autres documents.

Les documents 110, 111, 112...

LE PRÉSIDENT

Docteur Servatius, ne nous donnez-vous pas maintenant les numéros de dépôt ?

Dr SERVATIUS

Je ne peux pas le faire, car je n’ai pas les originaux ici et ce sont en partie des collections officielles qui ont déjà été déposées.

LE PRÉSIDENT

Oui, mais dans le cas de l’accusé Sauckel, comme d’ailleurs pour tous les autres accusés, les pièces déposées en son nom devraient recevoir un numéro dans une série consécutive établie par l’avocat lui-même, qui dépose les pièces ; cela ne doit pas dépendre du fait qu’il a ou non l’original devant lui.

Dr SERVATIUS

Dans ce cas, je peux lui donner un numéro de dépôt ; le document 108 portera le numéro 18.

LE PRÉSIDENT

Quel numéro avez-vous dit ?

Dr SERVATIUS

Pièce n° 18.

LE PRÉSIDENT

Peut-être le mieux serait-il que vous examiniez soigneusement vos documents et que vous en donniez ensuite la liste exacte au Secrétariat général, en indiquant le numéro de chaque document.

Dr SERVATIUS

Très bien. Dans l’annexe figurent, sous les numéros 110, 111 et 112, trois lois relatives au poste du Commissaire à la Défense du Reich, qui a été mentionné à propos du recrutement de la main-d’œuvre ; le Commissaire à la Défense du Reich est, en l’occurrence, le Gauleiter mentionné dans le cas de Speer à propos de l’industrie d’armement ; ce sont simplement les textes de lois, afin qu’on puisse s’y référer.

Après l’exposé du cas de Speer, je me suis fait remettre par les témoins Hildebrandt et Stothfang, qui ont été entendus ici, des affidavits qui traitent de la mesure dans laquelle Sauckel avait à se conformer aux instructions de Speer, et exposent les rapports entre les deux services. Le Ministère Public n’a pas encore pris position au sujet de ces documents, et je crois qu’il serait bon...

M. DODD

Nous laisserons volontiers présenter cet affidavit, Monsieur le Président ; nous n’avons aucune objection et, en fait, si le Dr Servatius ne l’avait pas déposé, nous avions l’intention de le faire nous-mêmes.

LE PRÉSIDENT

Très bien ; bien entendu, le Tribunal considère comme irrégulier qu’un témoin qui a été cité et a déposé ici, qui a été contre-interrogé et interrogé à nouveau par tous les avocats qui désiraient le faire soit admis à faire de nouvelles déclarations ; mais, si vous êtes d’accord sur ce point, le Tribunal acceptera, à titre exceptionnel.

M. DODD

Naturellement, Monsieur le Président, j’admets le bien-fondé de l’observation du Tribunal en ce qui concerne les affidavits établis par des témoins déjà entendus ici ; mais il se trouve que des questions assez importantes n’avaient pas été examinées lors de la présence du témoin. Le Tribunal constatera que cet affi-davit lui sera utile pour juger de la responsabilité respective de Speer et de Sauckel dans leur programme de travail obligatoire. Autrement, je n’insisterais pas, mais je pense qu’il sera utile au Tribunal.

Dr HANS FLACHSNER (avocat de l’accusé Speer)

Monsieur le Président, je n’élèverais pas d’objections de principe à la production de cet affidavit si je n’étais pas, en l’occurrence, convaincu qu’en recevant cette déclaration nous allons entamer un ensemble de problèmes qui nécessitent des éclaircissements ultérieurs. Je ne connais le texte de cet affidavit que depuis ce matin et j’ai acquis la conviction qu’il serait tout au moins nécessaire d’en contrôler la teneur. En conséquence, je crois que, s’il importe, dans la mesure du possible, d’abréger les débats, il serait bon, dans le cas présent, de s’en tenir à la règle générale et de ne pas admettre de déclarations provenant de témoins déjà entendus ici. Dans ce cas précis où il s’agit de publications dont traite l’affidavit, il suffirait de déposer comme preuves ces publications, pour que l’affaire soit tout à fait claire ; par conséquent, cet affidavit est absolument inutile.

LE PRÉSIDENT

Désirez-vous répondre à cette objection ?

Dr SERVATIUS

Monsieur le Président, cet affidavit complète en fait les dispositions contenues dans le document 4 006 que le Ministère Public se propose de présenter ; mais je ne savais pas qu’il voulût le faire. Il s’agit ici, en pratique, d’une question qui a été soulevée par l’interrogatoire de Speer, à savoir quelle était l’importance du ministère de Speer par rapport au service de Sauckel, lequel des deux était le plus puissant, lequel ordonnait et lequel obéissait. Ceci ressortira des documents.

LE PRÉSIDENT

Mais vous-même et le Ministère Public avez eu la possibilité de contre-interroger Speer alors qu’il était à la barre des témoins, et vous auriez pu alors éclaircir tout ce qui vous semblait obscur.

Dr SERVATIUS

Oui, certes, mais à ce moment-là je ne connaissais pas l’ensemble des circonstances.

M. DODD

Monsieur le Président, je ne désire pas insister particulièrement et, si le Tribunal devait avoir quelques doutes, je ne tiens pas à rester sur ma position. Je pensais qu’il pourrait être utile, mais en fait il n’a pas une telle importance, et si cela devait soulever de nouvelles questions, je pense que nous pouvons l’abandonner.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal considère comme irrégulier de présenter, au moyen d’affidavits, de nouveaux témoignages provenant d’une personne déjà entendue ici et, étant donné l’objection présentée au nom de l’accusé Speer, il ne peut recevoir ce témoignage.

Dr SERVATIUS

Dans ce cas, je retire ma demande. Ceci termine la présentation de mes preuves. Il manque encore les questionnaires des témoins Letsch et Bichenbach ; mais je n’ai plus l’espoir de les recevoir.

Dr GUSTAV STEINBAUER (avocat de l’accusé Seyss-Inquart)

Monsieur le Président, j’ai à présenter quatre documents qui m’ont été transmis par le Secrétariat général ; ils ont été acceptés par le Tribunal et sont également connus du Ministère Public. Malheureusement, ils ne sont pas encore entièrement traduits.

Le premier document contient des questions et des réponses de M. Dirk Hannema, directeur du musée Boymans, à Rotterdam, au sujet de prétendus pillages d’oeuvres d’art. Ce document portera le numéro 108, et je présente l’original anglais et hollandais.

Le document suivant est un exemplaire du journal Nieuwe Rottbrdamsche Courant, daté du 17 mai 1942. Il y a l’original et une traduction allemande ; c’est un avis relatif à des exécutions d’otages. Je dépose ce document original sous le numéro 109. Le document suivant est également un exemplaire de ce journal, date du 10 août 1942, et contient également une proclamation relative à l’exécution d’otages. J’aimerais faire remarquer que cette proclamation a été faite sur les ordres du général Christiansen, et qu’elle est contresignée par le chef supérieur des SS et de la police Reuter. Elle portera le numéro 110.

Le document suivant, qui ne m’a été remis qu’hier par le Secrétariat général, et sous la forme d’une copie, est le questionnaire rempli par le général de cavalerie von Kleffel. Il était, du 27 mars 1945 au 8 avril 1945, représentant du Commandant en chef de la 25e armée en Hollande. Il confirme que le Commissaire du Reich Seyss-Inquart, dans une lettre adressée au Führer, a demandé la cessation des hostilités pour éviter que le pays n’en souffre gravement et pour empêcher également la famine. Ce document portera le numéro 111 dans mon livre de documents. Il est présenté avec l’assentiment du Tribunal et je le prie de le recevoir comme preuve.

Aujourd’hui, le Secrétariat général m’a fait parvenir deux affi-davits : l’un provient de l’ancien commandant du secteur de défense de Scheveningue, Erwm Tschoppe. Il témoigne de l’attitude de l’accusé à l’égard de l’évacuation du secteur côtier. Étant donné le peu de temps dont je disposais, je n’ai pas encore pu remettre ce document, ni d’ailleurs le document suivant, au Ministère Public, mais je l’ai informé de leur existence. Le second est également une...

LE PRÉSIDENT

Docteur Steinbauer, ces documents, si je comprends bien, n’ont pas encore été présentés au Ministère Public ?

Dr STEINBAUER

Non.

LE PRÉSIDENT

Un moment ; ils n’ont pas été approuvés par le Tribunal et la question qui se pose est de savoir s’ils sont très volumineux, car il me semble que la section de traduction soit surchargée de documents très longs.

Dr STEINBAUER

Ce document est court, mais il me paraît important, parce qu’il établit comment, dans cette situation difficile, l’accusé s’est chargé des intérêts de la population hollandaise.

LE PRÉSIDENT

Si ce document est bref et si vous voulez le communiquer au Ministère Public, il pourra être traduit et admis, sous réserve de toutes objections.

Dr STEINBAUER

Merci. Il en est de même en ce qui concerne le second document qui m’est parvenu aujourd’hui ; c’est un affidavit de Adalbert Joppich, qui était président du Tribunal suprême allemand aux Pays-Bas. Il donne une très brève déclaration sur l’attitude de l’accusé dans les questions juridiques se rapportant à la population hollandaise.

Je prie le Tribunal de bien vouloir accepter également ce document à titre de preuve ; naturellement, je remettrai la traduction de ce document au Ministère Public avec la copie de l’original.

LE PRÉSIDENT

Quel numéro lui avez-vous donné ?

Dr STEINBAUER

Le document Tschoppe portera le numéro 112 et le document Adalbert Joppich, le numéro 113. Il ne manque plus que les affidavits de Bolle, du Dr Reuter, de Voeikers et de Lindhorst-Hormann, qui ont été autorisés par le Tribunal. Le Secrétariat général et moi-même nous efforçons d’obtenir ces déclarations, mais, jusqu’à ce jour, nous n’avons pu établir le domicile que de Bolle. Enfin, je me permets de prier le Tribunal de recevoir deux demandes que j’ai faites par écrit. La première se rapporte à la carte de membre de la NSDAP de l’accusé, qui lui a été enlevée lorsqu’il a été arrêté, et doit se trouver avec les documents personnels qui sont en la possession du Tribunal. J’avais déjà fait cette demande il y a quelques semaines, mais cela a été perdu de vue de part et d’autre.

LE PRÉSIDENT

Naturellement, vous ne voulez pas dire qu’elle se trouve en possession du Tribunal ; je pense que vous voulez parler des autorités militaires ?

Dr STEINBAUER

Oui, j’entends le service qui s’occupe des prisonniers.

LE PRÉSIDENT

Bien, il n’y a pas de doute qu’ils ne puissent vous la remettre. Quel était l’autre document ?

Dr STEINBAUER

Oui, Monsieur le Président, au cours du contre-interrogatoire...

COLONEL PHILLIMORE

Monsieur le Président, je ne voudrais pas faire perdre son temps au Tribunal, mais cette carte de membre aurait pu être demandée il y a plusieurs mois ; il en est de même pour les documents que l’avocat vient de déposer. Nous ne les avons pas vus. Je ne sais pas ce que l’on se propose de prouver au moyen de cette carte, mais nous allons avoir beaucoup de difficultés pour l’obtenir ici, et de même ces documents donnent beaucoup de travail à la section de traduction.

LE PRÉSIDENT

En quoi cette carte est-elle importante ? Je suppose que l’accusé se souvient de la date de son entrée au Parti ?

Dr STEINBAUER

Elle est importante parce que, suivant la loi sur les criminels de guerre qui vient d’être promulguée en Autriche, tous les membres dont la carte porte un numéro supérieur à 6.500.000 ne sont pas considérés comme « combattants de la première heure » ou comme illégaux. Seyss-Inquart a déclaré ici, à la barre des témoins...

LE PRÉSIDENT

Cela n’a rien à voir avec ce Tribunal. Il se peut que ce soit important pour un autre procès, devant un autre tribunal, mais non pas devant celui-ci.

Dr STEINBAUER

Oui. Ce n’est que dans la mesure où le Ministère Public a affirmé que l’accusé aurait été membre de la NSDAP dès 1931. Mais je ne veux faire aucune difficulté ; je pensais simplement que cette carte devait peut-être se trouver parmi les effets personnels qui ont été retirés à l’accusé et que l’on pourrait vérifier.

LE PRÉSIDENT

Oui. Mais a-t-il nié avoir appartenu au Parti depuis 193l ?

Dr STEINBAUER

Oui. Il prétend n’être devenu membre officiellement qu’à partir du 13 mars 1938.

LE PRÉSIDENT

Ah oui, officiellement. Je m’en souviens en effet. Mais il était membre du parti nazi autrichien depuis bien plus longtemps que cela, si je me souviens bien ?

M. DODD

Nous admettons, Monsieur le Président, que la carte prouverait qu’il est devenu membre du Parti à la date indiquée, dans la mesure où la carte a une importance. Je suis certain que c’est cela que montrera la carte, et si cela peut être de quelque utilité à l’avocat, nous acceptons volontiers.

Dr STEINBAUER

Ma dernière demande est la suivante : au cours de l’interrogatoire contradictoire a été présenté un document par lequel une secrétaire de la police, âgée de 18 ans, Hildegard Kunze, atteste que mon client aurait été à l’origine de la stérilisation de Juifs hollandais. Seyss-Inquart prétend n’avoir jamais écrit directement à la police ; en revanche, il dit avoir, dans trois lettres adressées directement à Himmler, protesté contre le traitement des Juifs, et, dans l’une de ces trois lettres, avait parlé des stérilisations. C’est probablement de cette manière qu’elle en aurait eu connaissance, parce que Himmler a dû adresser l’original ou la copie de cette lettre au RSHA. Mon client m’a demandé de tenter, dans cette question très importante, d’obtenir que ces trois lettres écrites à Himmler soient déposées ici pour réfuter les charges présentées par le témoin Hildegard Kunze. Je ne me cache pas qu’il sera difficile de trouver ces lettres parmi les nombreux documents du RSHA.

LE PRÉSIDENT

Avez-vous présenté à ce sujet une demande écrite ?

Dr STEINBAUER

J’ai fait cette demande par écrit.

LE PRÉSIDENT

Avez-vous indiqué les dates auxquelles ces lettres ont été écrites ?

Dr STEINBAUER

Oui, tout ce que j’ai pu établir quant aux dates et au destinataire est mentionné dans ma demande.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal prendra votre requête en considération, mais vous devez comprendre qu’une demande de ce genre représente beaucoup de travail.

Dr STEINBAUER

Je ne me cache nullement les difficultés qu’entraînera cette demande. Je n’ai pas d’autres demandes à présenter au Tribunal.

LE PRÉSIDENT

Nous allons suspendre l’audience.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)