CENT SOIXANTE ET ONZIÈME JOURNÉE.
Vendredi 4 juillet 1946.

Audience de l’après-midi.

Dr EXNER

Monsieur le Président, je vais lire la lettre du 22 juin 1946 adressée au Tribunal Militaire International :

« Monsieur le Président,

« Lors du contre-interrogatoire du 6 juin 1946, le représentant du Ministère Public britannique a présenté à l’accusé Jodl le document C-139, sans doute en pensant que ce document donnait des renseignements sur l’occupation de la Rhénanie dès le 2 mai 1935. L’accusé Jodl a déclaré qu’il ne connaissait pas ce document. Après l’avoir examiné, il a pu constater qu’il ressort clairement du document même qu’en tous les cas, à l’Ouest, il n’y avait aucune action allemande envisagée. Il n’est question que de mesures défensives.

« En ce qui concerne l’opération « Schulung », il n’a jamais été informé dû théâtre sur lequel elle devait se dérouler. Il n’a pu exposer que des suppositions. L’accusé baron von Neurath lui a dit qu’en 1934, au cours de l’été, Mussolini avait massé quelques divisions au Brenner pour occuper le Tyrol du nord en cas d’Anschluss. Après cette communication, l’accusé Jodl a examiné à nouveau le document ; il suppose maintenant que, par ce document, on pensait préparer une opération pour repousser les Italiens au cas où ils attaqueraient sur le Brenner, mais il ne sait rien de la chose en elle-même. Toute la question ne concerne nullement l’accusé Jodl ; c’est pourquoi je ne veux pas revenir sur ce sujet au cours de l’audience. Mais il attache une grande importance au fait qu’on ne s’imagine pas qu’il aurait tenté de cacher quelque chose. »

Suivent les signatures :. « Dr Exner et Jodl ».

LE PRÉSIDENT

Très bien. Je donne maintenant la parole au Dr Stahmer.

Dr STAHMER

Monsieur le Président, je tiens à faire une observation préliminaire. J’ai encore à traiter la question de Katyn. Cette question n’a pu être comprise dans le livre que je vous ai fait parvenir, étant donné que nous n’en avons produit les preuves qu’avant-hier et lundi. Il me faut donc présenter les choses ainsi. Il s’agit d’explications très courtes. Les traducteurs en ont eu le texte entre les mains, mais je ne puis malheureusement pas en donner de traduction au Tribunal étant donné que l’affaire n’a été traitée qu’avant-hier et que je n’ai pu le faire plus tôt. Permettez-moi d’ajouter cela à mes documents. J’espère arriver à tout faire dans le temps que j’ai prévu.

LE PRÉSIDENT

Un instant ; deux traductions me parviennent sur le réseau anglais. Continuez, Docteur Stahmer.

Dr STAHMER

Dans le temps que j’avais prévu, Monsieur le Président, je n’avais pas envisagé la question de Katyn, mais j’espère cependant pouvoir arriver à terminer dans le temps qui m’a été précédemment imparti. Je pense pouvoir y parvenir en m’expliquant plus brièvement sur certains points.

Monsieur le Président, Messieurs. Ce Procès, d’une importance, d’une portée historique, politique et juridique telles que l’histoire du Droit n’en a jamais connues jusqu’à ce jour, cette action en justice qui n’intéresse pas seulement les accusés présents dans cette salle, mais qui est aussi de premier intérêt pour le peuple allemand, entre dans une nouvelle phase.

La parole est à la Défense.

La position du défenseur, dans ce Procès, est particulièrement difficile, car les forces respectives du Ministère Publie et de la Défense sont par trop inégales.

Il a été loisible au Ministère Public, plusieurs mois avant le début du Procès, d’explorer avec un état-major considérable de collaborateurs qualifiés tous les bureaux et toutes les archives du pays et de l’étranger et d’interroger des témoins sur tous les sujets : il était ainsi en mesure de présenter au Tribunal un matériel de documentation considérable.

D’autre part, la position de la Défense est aggravée du fait que la procédure anglo-américaine suivant laquelle se déroule ce Procès, ignore une modalité du Droit criminel allemand selon laquelle le Ministère Public a le devoir de fournir et de présenter à l’accusé des preuves à décharge...

LE PRÉSIDENT

Docteur Stahmer, permettez-moi de vous dire que la déclaration que vous venez de faire est fausse. Il n’existe pas de Droit procédural anglais particulier, mais le Ministère Public a pour habitude de mettre à la disposition de la Défense tous les témoins et tous les documents susceptibles de l’aider. C’est pourquoi votre affirmation est fausse, et je crois que la même pratique est en vigueur aux États-Unis.

Il est également faux de prétendre, comme vous venez de le faire, que la Défense a connu proportionnellement plus de difficultés que le Ministère Public. Car je suis certain que le Ministère Public a respecté, au cours de ce Procès, les mêmes règles qu’en Angleterre, en mettant à la disposition de la Défense tous les témoins et tous les documents susceptibles de lui être utiles, et les exemples sont nombreux au cours de ces débats de cas dans lesquels le Ministère Public a remis à la Défense des documents susceptibles d’être utiles à celle-ci.

Tous les documents présentés par la Défense au cours de ce Procès, ou presque tous les documents, ont été procurés après beaucoup de difficultés par le Ministère Public. Des enquêtes ont été poursuivies sur tout le territoire d’Allemagne et, je puis le dire, dans presque tout le monde, afin d’aider la Défense dans sa tâche.

Dr STAHMER

Monsieur le Président, je vous remercie de cette mise au point.

Après lecture de l’Acte d’accusation, le maréchal Göring déclara, répondant à M. le Président qui lui demandait s’il se déclarait coupable ou non : « Non coupable au sens de l’Acte d’accusation ».

Cette déclaration de l’accusé invite à considérer toutes les accusations portées par le Ministère Public. Mais l’accusé a déjà traité plusieurs points extrêmement importants pour sa défense au cours de son interrogatoire particulier. Il a pris position dans le détail sur les événements politiques et militaires, et a expliqué alors sans rien laisser dans l’ombre les motifs de son comportement, la genèse des événements et leur développement.

Je remercie le Tribunal d’avoir permis à l’accusé d’exposer ces choses avec ampleur, telles qu’il les a vues, senties et vécues. Car une description directement personnelle est propre elle seule à donner une idée juste des convictions intimes de l’accusé et à permettre un jugement sûr de sa personnalité. Et cette connaissance est absolument nécessaire si le Tribunal veut arriver à porter un jugement non seulement en accord avec le Droit objectif, mais conforme le plus possible à la personne de l’accusé.

Après que ce dernier se soit si complètement expliqué sur les faits qui lui sont reprochés, j’estime qu’il n’est pas indispensable de me poser chacune des questions à laquelle il a déjà donné les réponses souhaitables. Pour cette raison, je puis borner la défense aux explications suivantes : Nous sommes à un tournant historique de la plus extrême importance. Une époque se termine, qui était moins empreinte de l’idée de l’ordre que de celle de liberté. Cet effort vers la liberté a libéré des forces puissantes, si puissantes qu’à la fin on ne put pas les maîtriser. Les progrès extraordinaires que cette ère a apportés sans contredit dans le domaine scientifique et technique, nous avons dû les payer chèrement, au prix de l’ébranlement de toutes les organisations humaines, au prix de la perte de la paix du monde.

Les motifs les plus profonds de cette fatale évolution ont été à peine mentionnés jusqu’à présent dans cette salle. Pour comprendre convenablement les crimes et les erreurs graves sur lesquels porte l’accusation, il est toutefois indispensable d’éclairer également l’arrière-plan historique.

Déjà, M. le Procureur Général français a attiré l’attention sur le fait qu’il faut aller chercher les racines du national-socialisme dans une époque très reculée. Il est remonté jusqu’au début du siècle dernier. Dans les « Discours à la Nation allemande » de Fichte, il voit le premier pas dans le sens d’une mauvaise orientation du développement du caractère allemand. Fichte aurait prêché dans un esprit pangermaniste en voulant voir le monde considéré et organisé par les autres de la même manière qu’il se le représentait, lui, et aimait à le savoir constitué. Je ne comprends pas dans quelle mesure cela va au delà du vœu simplement humain de prendre part à la formation du destin commun. On ne peut critiquer de temps en temps à bon droit que la manière dont ces essais de participation sont entrepris.

Assez significative me semble, à cet égard, une déclaration d’un Suisse qui fait également commencer à Fichte le chemin des erreurs allemandes. Il ne lui reproche pas le pangermanisme, donc la volonté d’opprimer des peuples étrangers, mais ii lui reproche en fait d’avoir entrepris de réunir les Allemands en une nation unique. Ce qui eût constitué un essai inadmissible d’imitation des Français et des Anglais, alors qu’il eût convenu au génie de l’Allemagne de demeurer un peuple de peuples. A cette seule condition, elle eût pu s’acquitter de sa mission historique : être le noyau central d’une fédération européenne. Il n’est donc pas si simple de mettre Fichte seul à la base de cette évolution.

Si l’on veut s’efforcer de penser dans le sens de l’Histoire, on ne doit pas, dans un coup d’œil rétrospectif, en rester à Fichte. Car ses « Discours à la nation allemande » ne sont qu’une réponse à l’« Appel au Peuple » jeté au monde par la Révolution française. L’attitude de Napoléon 1er leur donna une réponse immédiate. Il faut remonter jusqu’au premier maillon de la chaîne des causes et des effets, et nous trouvons dans le moyen âge ce début d’aspiration à la liberté nationale et personnelle qui caractérise toute l’époque moderne.

Nous y voyons le jeu bigarré des courants et des combats nationalistes et impérialistes qui avait caractérisé l’Antiquité, maîtrisé par l’idée d’éternité de la seule Église chrétienne. Un ordre statique avait ainsi remplacé le dynamisme de l’époque ; d’après les enseignements de l’église, cet ordre était créé par Dieu lui-même et était donc « de grâce divine ». Il tendait à englober l’Humanité entière et à la conduire à la paix, au repos en Dieu. Les doctrinaires de l’Église du moyen âge tentèrent les premiers de soumettre la guerre à des principes juridiques. Celle-ci n’était auparavant qu’un événement naturel, considéré de la même façon que les maladies et les orages et qualifié fréquemment aussi de jugement de Dieu. Des hommes comme saint Augustin et saint Thomas d’Aquin s’insurgèrent contre cette conception et déclarèrent que l’on devait faire la différence entre une guerre juste et une guerre injuste. Ils le firent sur la base et dans le cadre de la foi chrétienne : les hommes ont reçu de Dieu la mission d’établir un ordre universel qui les réunisse tous sur le plan moral et selon lequel il puisse être ensuite donné réponse à la question de la justice ou de l’injustice d’une guerre.

Cette évolution vers une paix mondiale générale se tourna dans le sens opposé lorsque, avec la Renaissance et la Réforme les bases spirituelles de l’ordre du moyen âge furent ébranlées. La vie, qui inclinait auparavant à un calme statique, devint un mouvement toujours plus follement accéléré au cours des siècles et jusqu’à la catastrophe actuelle. L’individu, assoiffé de liberté, se débarrassa des liens ecclésiastiques et sociaux. L’État, se déclarant souverain, brisa l’ordre divin universel représenté par l’Église. Ne reconnaissant plus aucune autorité au-dessus de lui, il conquit sur cette terre tout l’espace vital qu’il put, aussi longtemps que la volonté plus forte d’un autre peuple ne lui imposa pas ’de frontière naturelle. Il n’y eut plus désormais de paix que dans l’équilibre naturel et fort instable des forces qui n’obéissaient qu’à leur propre loi.

Ainsi naquirent les grandes puissances mondiales comme l’Empire britannique, la Russie, les États-Unis et le puissant empire colonial français, dont l’espace vital représente aujourd’hui plus de la moitié de la surface terrestre totale.

Le Ministère Public a cité la théorie du délit de guerre émise par le juriste de Droit international Grotius ; cette théorie a échoué parce qu’elle contrecarrait de dynamisme de l’époque ; elle ne représentait d’ailleurs qu’une tentative pour conserver à la conception chrétienne de la guerre déjà mentionnée un fondement terrestre dans la vie. Cependant, on ne peut faire dériver un droit de la nature seule ; celle-ci ne connaît pas d’autre mesure commune que la force naturelle ; selon elle, seul le plus fort a, en fait, toujours raison. Démontrer que le Droit est une puissance indépendante et supérieure aux instincts naturels est possible en métaphysique uniquement. C’est pourquoi la théorie de Grotius cessa forcément d’exister au XVIIIe siècle, car une pensée uniquement terrestre ne pouvait réussir à trouver les critères d’une guerre juste.

Cette évolution de l’ordre ancien à la liberté nouvelle, c’est-à-dire au combat de tous contre tous, atteignit son sommet dans la grande Révolution française. En essayant de placer la raison humaine sur le trône de Dieu, on y tira les dernières conséquences de la sécularisation. Mais la raison humaine se révéla incapable d’établir un compromis entre les idéaux contradictoires de liberté, d’égalité et de fraternité, c’est-à-dire pratiquement d’exercer la justice.

Depuis lors, la question du droit adéquat préoccupe le monde. Toutes les théories socialistes ne sont que des essais de réponse à cette question. Les hommes cherchent à nouveau la sécurité et l’ordre, ayant été déçus par le revers de la médaille d’une trop grande liberté. Les uns voudraient revenir à la vérité divine chrétienne, les autres voudraient aller de l’avant afin "de permettre encore une fois à la raison humaine de dominer le problème. Les nationaux-socialistes, dont les chefs les plus révolutionnaires voulaient à la fois revenir beaucoup plus en arrière et aller beaucoup plus loin, jusqu’à la divinisation de la vie dans une pensée politico-biologique, ont été battus et se sont retirés de la lutte. Cependant la solution du problème de l’ordre mondial n’a pas encore été trouvée. Mais les puissances victorieuses espèrent s’en approcher en se désolidarisant des vaincus qu’ils considèrent comme des criminels, en les accusant et en les condamnant collectivement.

Où voulez-vous donc trouver la commune mesure qui permette de décider juridiquement du juste et de l’injuste ? Pour autant qu’elle est fournie par le Droit international jusqu’à présent en vigueur, il n’est besoin d’y rien ajouter. Je ne veux pas non plus critiquer le fait que le Statut de ce Tribunal a créé un tribunal particulier afin de porter un jugement définitif. Toutefois, je suis obligé de m’élever expressément contre cette pratique dans la mesure où elle tendrait à créer en fait un Droit nouveau, où elle menacerait de sanctionner des actes qui, au moment où ils furent commis, n’étaient pas punissables ou, tout au moins, passaient encore pour tels aux yeux de quelques-uns.

Après qu’une évolution révolutionnaire de plusieurs siècles fût venue à bout, morceau après morceau, de l’ancien ordre juridique universel et que l’autonomie des consciences individuelles eût ouvert en outre toutes grandes les portes de l’anarchie dans le domaine moral, on ne pouvait instaurer d’un seul coup un nouveau Droit au moyen d’un acte de violence. Ce fut précisément la cause essentielle de l’abâtardissement général du Droit — et les actes incriminés ici en découlent — que d’avoir désappris à distinguer la puissance du Droit. Le succès de tant de révolutions sur des princes, jadis légitimes de Droit divin, avait montré que la puissance pouvait sembler primer le Droit et le modifier à loisir. Comment, après cela, pouvait-on reconnaître un droit en dehors de celui de la force grâce à laquelle il savait s’imposer et se maintenir ? Ainsi, on en était arrivé à une relativité générale des convictions juridiques à ce qu’on a appelé le positivisme juridique qui ne ressemblait plus en rien à l’usuelle définition du Droit.

Peut-on croire que l’on considérera comme justes les peines prononcées, si l’accusé n’était pas le moins du monde en mesure de s’y attendre, parce que ces peines à l’époque n’étaient pas prévues, et qu’il croyait pouvoir faire découler le droit d’agir tout simplement des buts politiques qu’il s’était fixés ? A quoi sert-il de se reporter à la coutume, s’il est nécessaire d’abord de la retrouver ? Justice Jackson pense, à vrai dire, que de toute façon le régime nazi ne représentait pas a priori, un état légitime qui aurait poursuivi les buts légitimes d’un membre de la communauté internationale. Ce n’est que de ce point de vue qu’il faut comprendre l’accusation de conspiration qui sera discutée plus tard. En fait, elle précède de beaucoup le temps, comme toute la nature de l’argumentation de Justice Jackson. Il n’existait en dehors du Droit international positif pas plus de normes internationalement reconnues d’après lesquelles la légitimité d’États et de leurs buts eût pu être jugée, que de communauté internationale considérée comme telle. Les affirmations suivant lesquelles les aspirations des uns étaient légitimes, et illégitimes celles des autres, ne servaient qu’à la formation de fronts politiques, de même que les tentatives de flétrir les adversaires politiques en les dénonçant comme fauteurs de guerre. Mais en aucun cas elles n’ont créé le Droit.

Justice Jackson a déclaré avec juste raison qu’il aurait été au pouvoir des vainqueurs d’agir avec les vaincus selon leur bon plaisir. Cependant — dit-il — des sanctions sans une discrimination et une constatation définitive de la faute établies d’une façon loyale, seraient une atteinte à des promesses faites à différentes reprises et pèseraient lourdement sur la conscience américaine. C’est pourquoi il a lui-même proposé une procédure. Celle-ci devrait toutefois se différencier d’une procédure criminelle normale par le fait qu’elle n’encouragerait aucun jeu de la tactique habituelle d’obstruction et d’atermoiement des accusés. Toutefois, dit-il, la constatation de la faute ne doit se faire que sur là base d’un interrogatoire juste et loyal. Quand bien même les accusés seraient les premiers qui auraient à répondre devant la loi, en tant que chefs d’une nation vaincue, ils seraient également les premiers auxquels l’occasion serait donnée de, défendre leur vie « au nom du Droit ».

Si cette phrase a un sens, elle doit alors avoir également une importance pour l’établissement du Statut. En effet, elle n’aurait aucun sens si le Tribunal était astreint, sans égard au Droit international reconnu jusqu’ici et sans égard à la conviction du droit d’autres personnes, à s’en tenir exclusivement au Statut. Ce serait plutôt un jugement de pure violence, contre lequel il serait absurde de se défendre « au nom du Droit ».

Le Statut ne doit, par conséquent, être utilisé par le Tribunal que dans la mesure où ses prescriptions se laissent représenter comme le Droit, non seulement formellement, mais aussi matériellement et en bonne conscience. Le Statut lui-même dit que pour une atteinte à ses prescriptions, personne ne peut trouver d’excuse dans un ordre de son Gouvernement ou d’un supérieur. Il doit utiliser sa propre logique également contre lui-même, en permettant aux juges de contrôler l’accord de ses prescriptions avec les principes généraux de la pensée juridique. Finalement, en effet, le juge est beaucoup plus libre et indépendant vis-à-vis du législateur qu’un inférieur vis-à-vis de son supérieur ou le sujet d’un dictateur vis-à-vis de celui-ci.

Une autre question se pose : est-ce que réellement ces dispositions du Statut contredisent tellement le Droit précédent et général et particulièrement les idées de base de toute législation, que le Tribunal ne puisse les reconnaître et les appliquer comme Droit ? Pratiquement, le problème le plus grave consiste à décider si, en cas de conflit, le Statut ou bien l’adage juridique nulla pœna sine lege jouit de la priorité.

On a tenté de justifier l’exceptionnelle non-observation de cette règle dans le cas présent par le caractère de haute politique du Procès. Mais un tel motif est impossible à reconnaître. L’importance politique d’un procès se révèle d’habitude dans ses répercussions plus ou moins lointaines, mais non pas dans le cours de ses débats en influençant les normes de Droit que l’on doit y utiliser. Un juge doit rendre la justice, mais non pas faire de la politique. Tout d’abord, il n’est pas là pour réparer les fautes des hommes politiques. Il ne peut, par une loi rétroactive, infliger de peine dont la menace a été négligée en temps opportun, même s’il le fait d’ordinaire.

En effet, on doit s’en tenir au principe de la séparation des pouvoirs. A l’aide de ce principe, Montesquieu séparait le pouvoir unifié à l’origine du monarque absolu, en pouvoir législatif, administratif et judiciaire. Ces trois formes d’expression différentes de la domination de l’État devraient — au même rang — s’équilibrer et aider à se contrôler réciproquement. Ce système de la séparation des pouvoirs caractérise la nature de l’État juridique moderne. En forçant un peu, il est possible de définir les domaines du travail et de la compétence des trois formes d’expression différentes du pouvoir en disant que le législatif concerne l’avenir, l’administratif le présent et le judiciaire le passé.

La législation fixe les normes sur lesquelles ’doit se régler la vie. De temps à autre elles doivent être modifiées selon les fluctuations des conditions de la vie et adaptées à nouveau à ces dernières. Mais jusqu’alors elles restent en vigueur. Tant qu’une orientation simplement générale de la vie ne suffit pas, l’administration statue d’un cas à l’autre. Elle est aussi liée de son côté à certaines normes mais, dans le cadre ’de son appréciation conforme à son devoir, elle a, en principe, le champ libre pour s’accorder aux besoins variables chaque jour. L’idée d’adaptation est alors particulièrement importante pour elle comme pour le législateur politique.

Par contre, le juge ne peut trancher d’après la finalité, mais il le doit selon le Droit. Son rôle n’est généralement pas de former, mais de juger. Il doit juger les actions accomplies et les conditions établies, si et dans quelles mesures elles correspondent aux normes et en particulier les conséquences juridiques qu’elles ont provoquées d’après ces dernières. Son regard s’attache donc surtout au passé. Dans la vie politique, toujours animée par l’homme politique tourné vers l’avenir, il est le pôle opiniâtrement opposé.

Il est sans doute lié par les lois édictées par la politique, mais il n’est pas que son organe exécutif. Il doit plutôt surveiller de son côté le législateur en vérifiant la constitutionnalité des lois. Il appartient naturellement aussi à cette vérification de rechercher si le principe de la séparation des pouvoirs a été respecté. Car, exactement comme le juge ne peut juger que de lege lata et doit laisser au légiste la décision de lege ferenda, ce dernier doit inversement ne pas empiéter sur la compétence du juge par des lois à effet rétroactif.

La critique de la justice dans l’État national-socialiste repose essentiellement sur le fait qu’il a renoncé au principe de la séparation des pouvoirs. En plaçant au-dessus de tout le principe politique du Führer, il empiétait arbitrairement sur la compétence juridique. Avec l’aide de la police et donc de l’administration, il arrêtait des gens sans mandat d’arrêt, simplement par prévention politique, ou en appréhendait à nouveau que le juge avait relâchés et mis en liberté. D’autre part, il retirait des coupables convaincus des mains de la justice pour des raisons politiques. Naturellement, la sécurité et la clarté du Droit ont ainsi été mises en grand péril.

Mais cet Etat national-socialiste n’a pas même osé rompre avant tout avec le principe nulla pœna sine lege . Il renonça strictement à soumettre ses mesures polleières à l’approbation des juges ; de même, actuellement, le Laenderrat de la zone américaine n’a pas confié l’exécution des jugements de dénazification au ministère de la Justice comme n’étant pas du ressort de la Justice, par trois lois, l’Etat national-socialiste a sans doute réalisé avec effet rétroactif la menace antérieure d’une aggravation de la pénalité, mais il n’a jamais fondé préalablement la culpabilité. Cela n’a pas résulté notamment de la possibilité d’une analogie pénale créée par l’article 2, a du Code pénal. Car cet article 2, a introduisit justement la menace de peine absolument sans effet rétroactif sur laquelle chacun pouvait se régler.

De plus, il y avait encore une certaine protection contre l’arbitraire des juges et la dissémination du Droit dans le fait que l’État national-socialiste reposait sur une conception idéologique très précise et que le juge devait respecter. Il y a bien longtemps, le professeur suisse de Droit, Fehr, de Berne, s’est étendu sur le rapport étroit entre le Droit et l’idéologie, dans son livre Droit et réalité. Regard sur le devenir et évolution des formes juridiques. Il disait textuellement :

« Sans conception idéologique, le Droit flotte dans le vide... Qui n’a pas de conception idéologique ne peut avoir non plus de conception de Droit... »

Fehr montrait que chaque juge, dans la mesure où la loi lui laisse le champ libre, tranche Individuellement en se basant sur sa conception idéologique. Sous le signe d’une conception libérale, cela finirait par mettre en danger l’unité et la sûreté du Droit. C’est justement pourquoi l’Etat libéral devait lier avec une sévérité particulière ses juges criminels à la lettre des paragraphes et leur Interdire l’analogie. Fehr attirait déjà l’attention sur les doutes apportés par ces simples jugements de cas prévus, où le coupable disparaît entièrement derrière son méfait. C’est pourquoi il s’est joint au courant de la jurisprudence dynamique ou à cette école dite du Droit libre pour un élargissement de la faculté qu’ont les juges de créer du Droit

Puis, comme c’est compréhensible après ce qui vient d’être dit, les Ëtats non libéraux, orientés vers une idéologie précise, ont pris la tête de ce mouvement. Après le refus par les marxistes de la justice libérale prétendue objective, comme d’une « justice bourgeoise de classe », l’Union Soviétique, d’abord, introduisit un droit de classe prolétarien qui renonçait consciemment à la pensée de l’égalité juridique universelle. Les nationaux-socialistes la suivirent en frappant conformément à leur conception raciste la formule suivante :

« Le Droit est ce qui profite au peuple, l’injustice ce qui lui nuit. A l’intérieur de ce solide cadre Idéologique, les dangers d’une analogie en Droit criminel, déjà plus restreints par l’article 2, a du Code pénal, ont été considérablement réduits.

Par contre, une conception idéologique fondamentale et précise du Statut n’est pas reconnaissable. Étant donné que ses signataires ont des conceptions idéologiques toutes différentes, il faudra, en ce qui le concerne, partir de l’idée libérale de la liberté de l’idéologie, comme on l’a fait jusqu’à présent pour le Droit international. Il faut que l’expression juridique nulla pœna sine lege lui soit particulièrement sacrée. Cela est prouvé d’ailleurs par le fait que le Conseil de contrôle pour l’Allemagne l’a de nouveau profondément imprimé à tous les Allemands, par la nouvelle suppression de l’analogie juridique de l’article 2, a du Code pénal.

Elle n’en serait que plus incompréhensible et plus Intolérable pour la conception allemande du Droit, si elle ne devait pas être valable pour des Allemands accusés de crimes de guerre. Le Statut est en lui-même déjà une loi d’exception, par le fait qu’il a été créé uniquement à l’intention des membres des puissances de l’Axe, en vertu d’un accord conclu pour un an seulement et qui peut être dénoncé après cette période. S’il supprimait en outre la maxime nulla pœna sine lege praevia sont restés dans le cadre de la légalité allemande, mais que le Gouvernement, et ce même pour des actes qui non seulement de l’État allemand souverain d’alors imposait comme une obligation, sous peine de poursuites judiciaires, alors on ne peut plus comprendre la conception selon laquelle le Tribunal serait lié à ce Statut.

Une vérification du but politique correspondant au Statut ne sert plus non plus. Justice Jackson a appelé le Statut et le Procès un pas vers la « certitude juridique que celui qui commence une guerre doit en supporter lui-même les conséquences ». Le commentateur américain, Walter Lippmann, a déclaré, d’autre part, que le système de la sécurité collective institué pour éviter la guerre s’était effondré. Personne n’avait, en effet, voulu aider à empêcher une guerre qui ne touchait pas directement, en déclarant la guerre à celui qui avait troublé la paix. Un tel moyen a été aussi néfaste pour la lutte contre la maladie ’de la guerre que cette dernière elle-même. En raison de l’échec de la méthode collective, s’est imposée, pendant la dernière guerre, aux adversaires de l’Allemagne, l’idée de bâtir à l’avenir la sécurité en rendant responsables les individus dont l’activité a troublé la paix. C’est ainsi qu’on en est venu au Procès de Nuremberg. De ce fait, on peut dire aujourd’hui rétrospectivement que pendant la deuxième guerre mondiale a eu lieu un développement révolutionnaire. Il a poussé l’Humanité au delà des frontières de ce qui représentait encore récemment le siècle moderne : les premiers pas, mais les pas essentiels pour un État mondial, ont été faits.

Le chemin de la Paix montré ici par Lippmann, on le saluera en principe volontiers, même si l’on a encore des doutes sur sa valeur absolue. Justice Jackson lui-même a encore exprimé des doutes sur le point de savoir si l’effet d’intimidation, résultant d’une sanction pénale, peut réellement empêcher à l’avenir des violations de la paix. Ne se décidera en effet à faire la guerre que celui qui croira être sûr de la victoire et qui, en conséquence, ne comptera pas sérieusement sur la sanction qui ne l’atteindra que dans le cas de sa défaite. C’est pourquoi l’importance éducative de ce Procès qui réside dans le renforcement de l’idée de Droit, semble plus forte que l’effet de crainte, qui peut être réalisé déjà par la menace de sanctions pour l’avenir. L’homme politique doit apprendre que le principe de la séparation des pouvoirs doit être respecté aussi de sa part et qu’il ne trouvera aucun juge disposé à réparer ultérieurement ses fautes en le punissant en exécution de lois également rétroactives. Une pareille sentence renforcerait considérablement la confiance dans la justice internationale qui, aujourd’hui encore, souffre du soupçon qu’elle pourrait être utilisée trop facilement dans des buts politiques. Par contre, elle serait obligée de souffrir d’une condamnation pour des faits dont le caractère répréhensible resterait douteux.

En conséquence, même pas la violation du précepte nulla pœna sine lege ne trouvera une justification au point de vue de l’opportunité politique. Mais on est obligé inversement de reconnaître que le renforcement de la foi dans l’inflexibilité du Droit, comme pôle reposant sur le dynamisme considérable des forces politiques, serait capable de servir au mieux la cause de la paix.

Ce résultat ne peut pas être mis en question par les considérations détaillées présentées par Messieurs les Procureurs.

Messieurs les Procureurs français ont fait ressortir qu’un Droit international vivant ne peut être imaginé sans une morale internationale et que la loi morale doit précéder toutes les prétentions à la liberté de l’individu et des nations. Assurément, ce sont là des vérités très dignes d’intérêt. Mais elles ne parlent, quand on y réfléchit bien, que pour mon point de vue, à savoir qu’on ne doit pas commencer à renforcer l’idée du Droit par sa violation.

Si Monsieur le Procureur Général français déclare qu’il n’existerait plus à l’avenir aucune croyance en la justice sans la punition des coupables principaux de l’Allemagne nazie, il est, dans le feu du discours, allé trop loin sans aucun doute. La justice ne provient pas de ce qu’on donne satisfaction à n’importe quel prix au sentiment blessé du Droit. Autrement, nous arriverions très vite aux simples représailles, à la chaîne sans fin des malheurs de la vendetta. Non, la justice exige la modération et l’appréciation des arguments et des contre-arguments. Et c’est déjà ici que le procédé unilatéral employé uniquement contre les ressortissants des Puissances de l’Axe viole l’idée de la justice. Mais il est impossible de justifier par elle une infraction commise contre elle, c’est-à-dire contre le précepte ordinairement et universellement reconnu nulla poena sine lege.

M. le Procureur Général anglais a désigné lui-même la possibilité de légiférer rétroactivement comme l’une des doctrines les plus subversives du Droit national-socialiste. Il pensait cependant que la possibilité donnée de punir une action flétrie auparavant comme un crime n’impliquait pas une transformation de la situation juridique, mais seulement son développement logique, qu’elle était donc admissible. Je ne veux certes pas critiquer l’institution du Tribunal qui est ainsi justifiée. Il s’agit plutôt de savoir si ce Tribunal doit condamner bien qu’il ne trouve aucune loi pénale qui eût menacé ces actions d’une peine quelconque au moment où elles ont été commises. Une réponse affirmative à cette question nous mènerait beaucoup plus loin que la doctrine juridique nationale-socialiste écartée d’une façon si tranchante par le premier représentant du Ministère Public anglais. Il n’a pas donné la moindre raison en sa faveur et semble donc l’avoir lui-même condamnée.

Du reste, il devrait être prêt à convenir que le Statut, s’il veut non seulement présumer du caractère punissable des actes qui sont de son ressort, mais éventuellement l’établir lui-même, devrait l’exprimer clairement et sans équivoque. La phrase en question de l’article 6 du Statut manque absolument d’une telle clarté. La teneur : « Les actes suivants ou l’un quelconque d’entre eux sont des crimes soumis à la juridiction du Tribunal », peut s’interpréter aussi bien dans le sens d’une simple règle de compétence que même, avec un effort, comme une prescription permettant d’établir le caractère punissable. Cette phrase ’doit, en tout cas, d’après la règle juridique in dubio pro reo, être interprétée en faveur de l’accusé. La phrase suivante : « ...et entraînant une responsabilité individuelle », de même que les prescriptions matérielles de Droit pénal citées dans les paragraphes qui suivent ne permettent aucun doute sur l’interprétation. Elles ne font que contenir des modifications relatives à une culpabilité déjà présupposée en elle-même.

Le Tribunal devra juger s’il les considère comme conciliables avec le principe nulla pœna sine lege praevia.

Cependant le point de vue de M. le Procureur américain est encore pour moi le plus difficile à comprendre. D’un côté, il réprouve avec véhémence l’arbitraire des nazis en matière de Droit ; d’autre part, il n’est pas prêt à se contenter de condamner l’accusé pour des faits qui, au moment où ils ont été commis, n’étaient pas simplement punissables, mais étaient déjà réellement frappés d’une peine. D’une part, il ne veut aucune exécution ou sanction sans qu’on ait réussi à établir la culpabilité d’une façon équitable ; d’autre part, il réclame la stricte application du Statut, même dans la mesure où il contient une doctrine juridique nouvelle susceptible de surprendre les accusés. D’une part, il voudrait que ce Procès apparaisse, aux yeux de la postérité, comme l’accomplissement des aspirations humaines à la justice ; d’autre part, devant les objections présentées contre le Statut, brusquement il se targue de la puissance des vainqueurs, qui n’ont d’ailleurs pas besoin de prendre tant de ménagements avec les accusés.

Il me semble qu’ici c’est un peu trop l’accusateur qui parle, ce que d’ailleurs, d’après ses propres paroles, il veut être uniquement. Pour l’accusateur, — en particulier dans la procédure anglo-américaine — le mot « Justice » a un tout autre sens que pour le juge et aussi pour les accusés.

Accusateur, Justice Jackson se sent aussi, incontestablement, à un degré non moins élevé, politicien. Pour lui, ce Procès ne doit pas servir uniquement à expier les Injustices passées, mais aussi et surtout à développer des règles de Droit et à donner force de loi, par une condamnation formant précédent à des règles juridiques, par lesquelles il espère renforcer le droit international pour empêcher une guerre future. Celui qui aborde une affaire avec tant de préjugés et d’Intentions vit dans un monde si différent de celui des accusés qu’entre les uns et l’autre on ne peut pas trouver de voie de conciliation.

En ce qui concerne le côté politique de ce Procès j’ai déjà exposé pourquoi il ne doit exercer aucune influence sur le développement de la procédure. Je voudrais seulement démontrer ici qu’une politique que des vainqueurs appliquent à des vaincus, qui peut donc être caractérisée comme une politique « de la résistance minima », s’est révélée une fois déjà, à savoir dans la question du désarmement en vertu du Traité de Versailles, un faux pas.

Si Justice Jackson renonce vraiment à un simple acte de pouvoir et est vraiment disposé — quoi qu’il n’en ait pas besoin — à suivre une procédure judiciaire et à s’y soumettre, il doit alors renoncer également à présenter des arguments qui n’entrent pas dans une procédure judiciaire. Une chose hybride qui n’est ni un acte de puissance ni un procès au sens coutumier du mot — même si l’on essaye de trouver une position moyenne sur la désignation de procès politique — une telle chose hybride, dis-je, est un non-sens. Bien sûr, l’Histoire a déjà vu de ces procès politiques aussi peu clairs. Je rappelle seulement la condamnation de Louis XVI par l’Assemblée Nationale française. Mais il était clair que, dans ce cas, la réunion du corps des juges, comme la procédure employée, n’avalent rien de juridique mais ne constituaient qu’un acte de puissance révolutionnaire, et que les discussions ne servaient qu’à se donner le courage de l’accomplir. Mais Ici, ce sont les juristes les plus éminents des puissances victorieuses qui ont été chargés de cette procédure. On leur a sans doute donné,, dans le Statut fondamental, une certaine direction à suivre mais on a, pour le reste, tait la plus large confiance à leur pouvoir d’appréciation judiciaire. Il ne peut être douteux que les hommes politiques n’ont appelé ici les juges que pour leur confier un travail dont ils ne seraient pas venus à bout eux-mêmes. Les juges auront maintenant à se servir de leur propre compétence pour décider si et dans quelle mesure il leur est possible de s’acquitter de leur mandat. Les hommes politiques devront, de leur côté, prendre la décision finale.

De tous les arguments de Justice Jackson, je n’ai pu en retenir un seul qui puisse déterminer le Tribunal à sanctionner des agissements qui n’étaient absolument pas punissables au moment où Us ont été commis. C’est pourquoi je ne vais, dans la suite de ma plaidoirie, prendre position sur les détails de l’accusation qu’en partant de la situation Juridique qui valait à l’époque des faits en question.

De tous les griefs reprochés aux accusés, celui de conspiration est le plus étendu dans le temps et par les objets qu’il embrasse. En sa qualité de professeur de Droit pénal à l’Université, le professeur Exner s’est particulièrement occupé de l’importance de cette idée pour notre Procès. Pour éviter un double exposé, le professeur Exner, agissant pour épargner notre temps, a mis le résultat de ses recherches à ma disposition pour les utiliser au mieux. D’accord avec lui, je fournirai sur ce point les explications suivantes : Le concept de conspiration appartient au vocabulaire juridique anglo-américain. Mais là-bas, il n’est nullement indiscuté ; bien plus, il est à remarquer que bien des fois on a soutenu en Angleterre l’opinion que ce concept était suranné : « It has been said that in England this law has become entirely disused ». Le concept de la conspiration, dans le sens où l’Accusation l’emploie est de toute façon inconnu du Droit allemand. Je voudrais donc, au début de mes courtes considérations juridiques, poser deux questions litigieuses :

1° Une procédure pénale qui veut représenter la justice a-t-elle le droit d’user de concepts juridiques qui sont absolument étrangers et ont toujours été étrangers aux accusés et à la pensée juridique de leur peuple ?

2° Comment est-ce conciliable avec la phrase nullum crimen sine lege praevia, que le Procureur Général anglais a reconnue comme étant un principe fondamental d’une administration civilisée de la justice pénale ? Peut-on affirmer honnêtement que déjà avant l’année 1939, non seulement le déchaînement d’une guerre contraire au Droit était reconnu comme un agissement punissable individuellement, mais que la « conspiration » en vue de déchaîner des guerres de ce genre était également punissable ?

La réponse affirmative à cette question par l’Accusation a provoqué l’étonnement, et cela non seulement en Allemagne. Un malentendu doit être éclairci sous ce rapport. On a affirmé que l’État national-socialiste a lui-même promulgué des lois pénales qui contredisent le principe nullum crimen sine lege ; les accusés ne seraient donc pas fondés à se réclamer de lui. Je n’ai nullement l’intention de défendre la législation nationale-socialiste, mais l’honnêteté commande de dire que c’est une erreur. Le IIIe Reich, comme je l’ai déjà mentionné plus haut, a promulgué trois lois qui élèvent rétroactivement la peine dont un acte est passible, en prévoyant la peine de mort pour des faits qui, au moment où ils avaient été commis, n’étaient punis que de peines privatives de liberté. Mais, en aucun cas, un acte jusque là impuni n’a été déclaré punissable avec rétroactivité ni un fait qui, en son temps, n’était pas un chef d’accusation transformé rétroactivement en chef d’accusation. C’est justement de ce cas qu’il s’agit ici. Seul le Statut, que je prends ici comme base, a prescrit d’employer le concept de « conspiration ». Je ne poursuis pas plus loin l’examen des questions litigieuses. Il en ressort cependant que si ce concept doit être appliqué à des Allemands, il ne doit l’être qu’avec toutes les limitations que réclame l’équité.

La « conspiration » signifie, d’après le Droit anglo-américain, l’accord de plusieurs personnes en vue de commettre des crimes Black l’a défini dans le Law Dictionnary 1933 : « A combination or an agreement between two or more persons for açcomplishing an unlawful end or a lawful end by unlawful means ». Nous voyons toujours revenir de semblables définitions. La caractéristique est constituée par les deux points : « l’agreement » et le « Common plan ». L’« Agreement » signifie un accord formel ou tacite. Si quelques personnes poursuivent le même but indépendamment l’une de l’autre, ce n’est pas une « conspiration ». Il ne suffit donc pas que le plan leur soit commun à toutes, elles doivent avoir conscience de la communauté et chacune doit accepter volontairement le plan comme le sien. Déjà, le mot conspirer indique que chacun est d’accord en toute volonté et en toute conscience. Celui qui collabore contraint et forcé n’est pas un conspirateur, car la contrainte ne connaît aucun « agreement », mais, tout au plus, une assistance extérieure. Si donc quelqu’un impose sa volonté aux autres, ce n’est pas une conspiration. Par conséquent, une conspiration avec un dictateur à la tête est un contresens en soi. Le dictateur ne conspire pas avec sa suite, il ne conclut aucun « agreement » avec eux, il dicte.

Ce que savent et veulent les conspirateurs tend vers un plan commun. La teneur de ce plan peut être des plus diverses. Dans le Droit anglais, par exemple, il y a une « conspiration » en vue d’un assassinat, d’une escroquerie, d’une extorsion, une fausse accusation dans certains délits d’ordre économique. Dans tous ces cas, la « conspiration » est traitée comme une infraction d’une nature spéciale, et pour cette raison les conspirateurs sont coupables de conspiration sans égard au fait qu’ils ont commis en réalité ou non un assassinat, une escroquerie ou s’ils ont fait seulement une tentative pour commettre un acte de ce genre. Dans la terminologie allemande, nous dirions : la conspiration est un des cas où la préparation d’un crime est déjà punissable. Il y a des choses semblables dans le Droit pénal allemand. Est coupable celui qui participe à une association qui tend à commettre des crimes contre la vie humaine. L’article 49, b prévoit la punition d’un « délit de préparation d’homicide », même si cet acte n’a pas été commis. Dans un certain sens, on peut aussi mentionner ici l’article 129. La participation à un complot contre l’État est punissable également dans le cas où l’acte n’a pas été commis. Mais si cet acte est commis, alors chacun sera puni suivant son degré de culpabilité. Si le conspirateur isolé n’est impliqué ni comme auteur, ni comme instigateur ou participant à ce crime concret, il pourra seulement être accusé de participation à un complot contre l’État, mais non de ce crime.

Or, dans ce Procès, les accusateurs vont plus loin. Ils veulent condamner en certaines circonstances les conspirateurs pour des faits isolés auxquels ils n’ont pas participé. Pour citer tout de suite l’exemple le plus caractéristique : ils veulent également rendre un conspirateur responsable d’un crime qui a été commis avant son entrée dans le complot.

Je n’ai pas pu, avec la faible documentation à ma disposition, démontrer que ce fait est fondé en Droit anglais ou américain. Il est toutefois certain que ces conclusions sont en contradiction flagrante avec le Droit pénal allemand. En effet, pour celui-ri le principe prévaut, qui semble naturel et qui n’est contesté par personne, qu’on peut seulement être rendu responsable d’un acte qu’on a réellement commis ou auquel on a, tout au moins, participé.

Regardons maintenant le Statut : il prévoit deux cas punissables et qui relèvent de la compétence du Tribunal :

1. Suivant l’article 6, a, la participation à un plan concerté ou à un complot en vue de commettre un crime contre la Paix. Est considéré comme tel l’établissement des plans, la préparation, le déclenchement et la conduite d’une guerre d’agression ou d’une guerre résultant de la violation de traités internationaux et de garanties internationales. Il est frappant qu’on applique sans autre forme un concept de Droit pénal et privé en usage en Angleterre et en Amérique, à des faits internationaux. Le Statut le fait en traitant des personnes qui ont établi les plans ou déclenché des guerres illégales comme des gangsters qui ont participé à une agression dans la rue. C’est une hardiesse juridique car dans ce cas, entre chaque individu et l’exécution de son acte, se trouve placé l’État souverain, ce qui enlève tout fondement à la comparaison avec les faits banals à l’intérieur d’un État. Le concept de conspiration est inconnu jusqu’à ce jour en Droit international.

2. Suivant l’article 6, dernier alinéa, du Statut, les personnes participant à un complot ou à un plan concerté en vue de commettre des crimes contre la Paix, le droit de la guerre ou l’Humanité, sont responsables de tous les actes commis par l’un ou l’autre des membres pour la réalisation de ce plan. Or, ce cas est fondamentalement différent de celui mentionné au numéro 1. Cela ne signifie pas une peine pour le crime de conspiration, mais la responsabilité pour l’acte personnel d’un autre conspirateur. En d’autres termes, le complot n’est pas ici un fait délictueux spécial, mais une forme de part de culpabilité dans les actes des conspirateurs. Le juge Jackson a présenté l’exemple suivant : quand un brigand appartenant à un trio de malfaiteurs concertés assomme la victime, tous ont une part de responsabilité dans le meurtre.

Ce cas cité au numéro 2 est de la plus grande importance pour notre Procès. Le conspirateur isolé devra être puni pour des actes qu’il n’a pas commis lui-même mais qu’un autre conjuré a commis. Un accusé qui n’aura rien eu à voir dans l’extermination des Juifs, devra être puni pour ce crime contre l’Humanité, simplement parce qu’il a participé à un complot.

La question de principe se pose ainsi : est-ce que des principes de responsabilité qui vont au delà des nôtres doivent être appliqués dans ce Procès ? L’article 6 du Statut dit : tous les conspirateurs sont responsables d’un acte que n’importe quel conspirateur commet « en ’exécution de ce plan ». Ces paroles sont décisives pour l’interprétation. A mon avis, le sens de ces mots est le suivant : les autres conspirateurs sont responsables de tous les actes de leurs camarades qui se situent dans le cadre du plan commun, c’est-à-dire qui ont été conçus conjointement, voulus conjointement ou, tout au moins, acceptés par eux. Quelques exemples : a) A, B, C, D, pénètrent par effraction dans une villa après s’être concertés ; ils y rencontrent une jeune fille. A, la viole, B, C, D, ne peuvent être rendus responsables de ce viol. En effet, lorsqu’il a commis cet acte, A ne se trouvait pas dans l’« exécution du plan », mais à l’occasion de l’exécution du plan ; son acte ne rentre pas dans l’exécution de ce plan, mais il a agi seulement à l’occasion ’de cette exécution. Cela ne devrait pas être contesté ; mais c’est une chose très importante car il en ressort clairement que l’on ne peut parler de responsabilité pour tous les actes des conspirateurs.

b) Au cours de leur perquisition dans la villa, B et C ont une discussion au sujet d’un objet du butin. B abat C. Cet acte, lui non plus, ne rentre pas dans l’exécution du plan, il lui est étranger A et D ne sont pas responsables de cet acte de violence.

c.) Au cours de la visite de la villa, les cambrioleurs sont surpris par le propriétaire. D le tue. Ici, la chose dépend de la situation particulière qui se présente dans ce cas.

Revenons à l’exemple des trois voleurs donné par le juge Jackson et dont l’un abat la victime. Pour des gangsters américains, il doit être absolument normal que les différents membres de la bande sachent qu’une telle éventualité n’est pas exclue et qu’ils soient prêts à en accepter les conséquences. Si le cas se présente ainsi, ils doivent, d’après notre conception, être considérés comme coauteurs ou complices du meurtre. Dans cet état de choses, il n’y aurait rien à objecter à la solution du juge Jackson. Mais si le cas se présente autrement, si l’issue meurtrière n’a pas été prévue par les autres, si elle était même peut-être imprévisible parce que les complices supposaient que les habitants étaient en voyage, par exemple, la responsabilité des complices est alors exclue. Car ils ne sont responsables que de ce qui arrive dans le cadre de « l’exécution du plan ». Mais on ne peut faire rentrer dans le cadre du plan concerté que ce qui a été envisagé comme possible et approuvé par ceux qui l’ont élaboré. Toutes les autres voies d’exécution sont étrangères au plan.

Ce qu’il y a de trompeur dans l’exemple présenté par le juge Jackson, c’est le fait que d’une décision qui est valable pour le « cas normal » de son exemple lumineux qui met en scène des brigands de la rue, il tire un principe général qui ne vaut plus pour les autres situation. D’après tout cela, on ne pourrait accuser de complicité d’un acte séparé que les conspirateurs qui ont prévu et approuvé l’acte de leur camarade.

Un précepte juridique qui étend la responsabilité des conspirateurs à des cas où leur faute personnelle n’est pas en jeu, est étranger au Droit allemand. Qu’il se trouve ou non dans le Droit anglo-saxon, son application dans notre Procès rendrait en tout cas punissables des actes qui étaient jusqu’à présent impunis. Cela serait en contradiction formelle avec le principe nullum crimen sine lege praevia, principe qui a été expressément reconnu par l’Accusation anglaise. En face des faits, l’article 6 permet donc deux interprétations, mais c’est celle qui n’est pas en contradiction avec le principe, qui doit être considérée comme conforme à l’intention de ceux qui l’ont conçu.

Il y a des personnes qui se sont retirées de la conspiration et d’autres qui y sont venues plus tard. Une question se pose alors : quel cas fait-on de la responsabilité pour des actes commis par des gens qui, à ce moment, n’appartenaient pas au cercle des conspirateurs ? L’Accusation semble être de l’avis suivant : quand quelqu’un adhère à une conspiration, il approuve tous les actes que l’un de ces conspirateurs a commis auparavant au cours de l’exécution du plan commun. Cette affirmation vient du Droit civil qui sanctionne l’approbation ultérieure d’un contrat d’affaire, mais elle est étrangère au Droit pénal. Dans le Statut, il n’y a rien de semblable, car le plan commun, au cours de l’exécution duquel l’acte a été accompli, n’est commun qu’aux anciens membres. Même si l’on voit, dans le fait d’entrer dans une conspiration, l’approbation des actes précédents, cela n’implique pas cependant l’approbation d’un crime commis et, à plus forte raison, pas la participation à ce crime. Celui qui se joint plus tard à une conspiration est étranger à ses actes passés. De même, lorsqu’on se retire d’une conspiration, on ne peut être rendu responsable que de ce qui s’est passé au moment où on en faisait partie, même si le résultat de cet événement apparaît après que l’on s’en est retiré. Toute autre conception reviendrait à une loi ex-post facto.

Les vingt-deux accusés ont-ils participé à une conspiration telle que l’entend l’Accusation ? C’est-à-dire à une conspiration en vue de commettre des crimes contre la Paix, le droit de la guerre et l’Humanité ?

Si une telle conspiration avait eu lieu, Hitler en eût été le chef, personne ne met cela en doute. On n’a pas manqué de relever qu’une conspiration dirigée par un dictateur est une contradiction en soi. Hitler aurait bien ri si on lui avait dit après coup qu’il s’était entendu avec ses ministres, ses dirigeants du Parti et ses généraux et avait conclu avec eux un « agreement », décidant de faire telle ou telle guerre ou de la faire par tel ou tel moyen. Il était son propre maître. Il ne s’agissait pas pour lui de s’entendre avec ces gens, mais de faire exécuter ses décisions par eux, qu’ils les eussent approuvées ou non. Mais ces considérations juridiques mises à part, et d’un point de vue purement objectif l’entourage de Hitler ressemblait à toute autre chose qu’à une communauté de conspirateurs, comme l’Accusation se l’était imaginé avant l’exposé des preuves. Exception faite d’une petite clique du Parti, une atmosphère de méfiance l’entourait. Il n’avait confiance ni dans le « club défaitiste » de ses ministres, ni dans ses généraux. Il en était ainsi déjà avant la guerre, et des témoins ont décrit avec une précision émouvante ce qui se passait autour de lui pendant la guerre. Le système raffiné du secret fit que les projets et les intentions du Führer restaient cachés à son entourage le plus longtemps possible, de sorte que ses plus proches collaborateurs ont toujours été surpris par les événements ; bien mieux, ils en ont appris avec horreur certains détails au cours de ce Procès seulement. Ce système du secret a isolé en outre les différents collaborateurs, puisque la main gauche devait ignorer ce que faisait la droite. Est-ce là une conspiration ? En réalité, Hitler se plaignit à l’occasion du fait que les généraux conspiraient contre lui et, chose surprenante, il employa cette expression à l’égard de ceux qu’on accuse précisément aujourd’hui d’avoir conspiré avec lui. Au cours de l’exposé des preuves on a, de façon répétée, parlé de conspirations, mais de conspirations contre Hitler. Il est d’ailleurs, du point de vue purement psychologique, pour le moins fort improbable que les deux douzaines d’hommes que l’Accusation a choisis parmi les survivants du IIIe Reich et placés sur le banc des accusés, aient formé une bande de conspirateurs dans le sens de l’Accusation. En effet, ce groupe d’hommes manque absolument d’homogénéité en ce qui concerne leur façon de penser, leurs origines, leur degré d’instruction, leur situation et leurs fonctions sociales ; et les accusés, en partie, n’ont fait connaissance les uns des autres que sur ce banc.

L’Accusation considère le Parti, avec ses organisations, comme le noyau autour duquel se serait formée la conspiration. Mais qu’on songe donc aux différentes opinions de chacun en ce qui concerne ce point-là aussi. Plusieurs n’ont pas du tout appartenu au Parti, ou sont restés longtemps avant d’y adhérer, et très peu seulement y ont joué un rôle réel. Certains occupaient des postes de premier plan dans le Parti et ses organisations et consacraient tout leur travail aux buts de ses organisations, tandis que d’autres faisaient tout leur possible pour maintenir leur sphère d’activité à l’écart des influences du Parti et des SS. La NSDAP a été fondée en un temps où l’État était totalement impuissant et le peuple unanimement las de la guerre, en un temps où vraiment aucun homme raisonnable ne pensait à une deuxième guerre, ni même à une guerre d’agression.

Mais peut-être les accusés avaient-ils des buts qui auraient pu être atteints sans guerre ? Certes, le rêve de tout bon Allemand était l’union avec le Reich de tous les territoires allemands limitrophes : la Sarre, l’Autriche, Memel, Dantzig et, espoir plus lointain, le pays des Sudètes. Tous ces territoires avaient autrefois appartenu au Reich allemand, tous lui seraient revenus dès 1919 si le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, qui avait été solennellement promis, avait été appliqué. Mais les buts des aspirations allemandes pouvaient être atteints par des voies pacifiques. En fait, ils ont été atteints sans un coup de feu, sans un coup d’épée, à la seule exception de Dantzig qui, avec un tant soit peu de patience de la part du Führer et de bonne volonté de la part des Polonais, aurait suivi la même voie pacifique. Mais ils ne voulaient pas d’une guerre, ils ne croyaient pas à une guerre. On croyait Hitler capable d’un bluff de grand style, mais non de la catastrophe d’une guerre. Je ne peux donc pas croire à une conspiration ayant pour objet de commettre des crimes contre la Paix et les lois de la guerre.

Je n’ajouterai que deux points d’intérêt général : Le premier point, d’abord, concerne l’attitude de Göring immédiatement avant l’ouverture des hostilités. Il était alors le confident de Hitler, le second personnage de l’État, et il est maintenant le principal des accusés. S’il y avait eu vraiment à cette époque une conspiration ayant pour objet la conduite de guerres offensives, il aurait eu la seconde place dans cette conspiration ; mais c’est justement lui qui, dans les derniers jours d’août 1939, a déployé tous ses efforts pour empêcher l’attaque contre la Pologne et même s’est efforcé, à l’insu de Hitler, de maintenir la paix. Comment est-ce compatible avec une conspiration en vue de guerres d’agression ? Il n’était pas d’accord non plus pour faire la guerre à la Russie et l’a déconseillée au Führer d’une manière pressante.

En second lieu, s’il y avait eu une conspiration en vue de commettre des crimes de guerre, la guerre aurait été faite dès le début avec une absence totale de scrupules et au mépris des lois de la guerre. C’est l’inverse qui s’est produit. Précisément, dans les premières années de la guerre, chose incontestée, le Droit international a été, en gros, respecté de part et d’autre. Précisément au début, on s’est efforcé de mener le combat d’une manière correcte et chevaleresque. Si la preuve en est nécessaire, il suffit de jeter un regard sur les instructions données par l’OKW sur la conduite des troupes en Norvège, en Belgique et en Hollande.

LE PRÉSIDENT

L’audience est levée.

(L’audience sera reprise le 5 juillet 1946 à 10 heures.)