CENT SOIXANTE-QUINZIÈME JOURNÉE.
Mercredi 10 juillet 1946.

Audience du matin.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal siégera à huis clos cet après-midi ; il n’y aura pas de séance publique après 1 heure.

Dr THOMA

Monsieur le Président, je continuerai à traiter de la question de la légalité des ordonnances concernant la main-d’œuvre des territoires de l’Est, à la page 33 de ma plaidoirie.

Il en résulte donc le principe suivant reconnu par le Droit international : les mesures prises par l’occupant dans le territoire occupé sont légales dans la mesure où un principe reconnu de Droit international relatif à la guerre ne s’y oppose pas. On suppose donc chez l’occupant la possibilité d’exercer de manière illimitée les droits découlant de sa souveraineté territoriale. Selon l’interprétation unanime des spécialistes de Droit international, l’occupant agit en vertu d’un droit qui lui appartient en propre, garanti seulement par le Droit international, qui en détermine le contenu, dans l’intérêt de ses propres opérations de guerre ainsi que dans celui de la protection des populations civiles se trouvant dans le territoire occupé. Je citerai le manuel de Droit international de Heyland :

« Les habitants du territoire occupé ne doivent obéissance qu’à l’occupant et non plus à la Puissance souveraine ennemie ; la volonté de l’occupant est souveraine et déterminante dans le territoire occupé ; l’occupant exécute sa propre volonté. Ses intérêts propres déterminent exclusivement l’exercice de son droit de souveraineté ; il peut, par conséquent, agir contrairement aux intérêts de l’État ennemi. »

La possibilité d’engager par contrainte de la main-d’œuvre dans les territoires occupés n’est pas admise par l’article 52 du règlement de la guerre sur terre de La Haye. Ce règlement précise qu’il est permis d’exiger des services des habitants des territoires occupés ; la réquisition doit se limiter aux besoins de l’armée d’occupation, être en rapport avec les ressources du pays et être de telle nature qu’elle n’implique pas pour les populations l’obligation de participer aux opérations de guerre contre leur patrie. Il m’est absolument impossible de déceler dans cette disposition une interdiction d’embaucher par contrainte de la main-d’œuvre dans les territoires occupés ; je crois au contraire que l’on peut, sans plus, en déduire la possibilité d’admettre le service du travail obligatoire. L’utilisation dans l’économie de guerre correspond sans aucun doute aux nécessités de l’armée d’occupation, et, incontestablement, ne signifie pas, selon moi, une participation aux opérations de guerre. Le règlement de la guerre sur terre ne précise pas si les services ne peuvent être exigés que dans le pays même ou si ceux qui y sont astreints peuvent être transportés sur le territoire de la Puissance occupante pour y travailler. Le principe général est donc valable, qui permet à l’occupant l’exercice illimité de tous les droits découlant de sa souveraineté territoriale.

Si l’on admet, à juste titre, que le Droit international public relatif à la guerre doit tendre à l’humanisation de la guerre et à la limitation des droits des belligérants, et doit être développé dans ce sens, il faut d’autre part tenir compte du fait que la dure réalité de la guerre manifeste une tendance opposée.

LE PRÉSIDENT

Docteur Thoma, le Tribunal aimerait savoir si c’est votre opinion que les Conventions de La Haye autorisent la déportation des hommes, des femmes ou des enfants dans un autre pays pour les y faire travailler.

Dr THOMA

Monsieur le Président, je désire parler de l’interprétation de la Convention de La Haye, et je traite de la question de savoir si, pour les besoins de l’armée d’occupation, il est licite de procéder au transport des habitants du pays. J’ai défendu ici l’opinion selon laquelle des ouvriers peuvent également être envoyés dans le pays de l’occupant. Naturellement, je n’ai pas parlé des enfants ; je n’ai pas non plus parlé des Juifs ; je n’ai parlé que des hommes en état de travailler, obligés de travailler pour les besoins de l’armée d’occupation, et je défends, comme je l’ai dit, l’opinion selon laquelle il est licite de les envoyer dans le pays de l’occupant. Je soumets cette question à l’appréciation du Tribunal.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal aimerait savoir quelles sont les autorités de Droit international que vous pourriez citer à ce sujet.

Dr THOMA

Monsieur le Président, je ferai plus tard des citations, des citations précises et scientifiques sur ce sujet. J’ai déjà cité le manuel de Droit international de Heyiand édité par Stier-SomIo, et je ferai d’autres citations.

LE PRÉSIDENT

Pourriez-vous me dire en quelle langue est ce livre ?

Dr THOMA

En langue allemande, Monsieur le Président. Manuel de Droit international, édité chez Stier-SomIo en 1923.

La guerre d’aujourd’hui n’est plus du tout la guerre telle qu’on se la représentait en 1907 ; la guerre est devenue une guerre totale, une lutte d’extermination à la vie et à la mort, dans laquelle sont engagées les dernières et les plus secrètes forces physiques et morales du peuple, et dont la perte, comme le montre l’exemple de l’Allemagne, signifie la capitulation et la destruction totale de son existence en tant qu’État.

Dans ces conditions, peut-on soutenir qu’il ne fallait pas accorder à l’Allemagne, dans cette lutte pour la vie ou la mort, le droit-fondamental de la conservation de soi-même que reconnaît le Droit international public. (Manuel de Droit international public de Strupp, édité chez Stier-Somlo, Stuttgart, 1920, 3e partie : Le délit selon le Droit international public, page 128 et suiv.).

L’existence de l’État était sans aucun doute en jeu ; il y avait donc un état de nécessité qui justifiait la mobilisation obligatoire de la main-d’œuvre, même si le Droit international public ne l’avait pas autorisée. Ce fait se trouve fondé sur cette grande anomalie qui s’appelle la guerre ; le Droit international publie est abandonné aussitôt que l’état de guerre existe, dans l’intérêt du but même de la guerre : l’anéantissement de l’adversaire. (Strupp, op. cit., page 172) :

« Avec les progrès de la civilisation est intervenu un adoucissement toujours croissant de la conception suivant laquelle tout était autorisé dans la guerre jusqu’à l’anéantissement de l’adversaire ; toutefois les conventions sur la guerre constituent aujourd’hui encore un compromis entre les exigences de la nécessité militaire, avec la démesure qui en est le principe, et les considérations éclairées sur l’Humanité et la civilisation. Une chose est cependant certaine, c’est qu’on peut se prévaloir d’un état de nécessité réel même à l’égard du règlement de la guerre sur terre de La Haye. Au cours des délibérations qui précédèrent la rédaction de l’article 46 du règlement de la guerre sur terre, la séance plénière de la conférence déclara textuellement, sans qu’aucune opposition fût manifestée :

« Les restrictions sauraient entraver la liberté d’action des belligérants dans certaines éventualités extrêmes. Il est donc admis, pour les cas extrêmes, d’en appeler à l’état de nécessité. Le Droit international public reconnaît donc que l’agresseur lui-même puisse invoquer l’état de nécessité en cas de péril direct pour son existence. » (Strupp, page 170).

Au sujet de l’administration à l’Est, je désirerais ajouter, sans me référer exactement à tout ce que l’accusé a déclaré dans ses dépositions au sujet des charges présentées contre lui par le Ministère Public soviétique, et notamment au sujet des rapports des commissions d’État et des rapports Molotov (documents URSS-39, 41, 51, 89, procès-verbal du 16 avril 1946), que j’exprime l’espoir que le Tribunal appréciera à leur juste valeur les rectifications que l’accusé y a apportées.

Je passe à un autre sujet : Contrairement à ce qui est admis par le Ministère Public, Rosenberg n’a été en aucun cas l’inspirateur de la persécution des Juifs pas plus qu’il n’a été l’un des chefs ou des créateurs de la politique que poursuivront par la suite le Parti et le Reich allemand, ainsi que le prétend l’Accusation (Walsh, le 13 décembre 1945, procès-verbal, tome III, page 534). Rosenberg était incontestablement un antisémite convaincu qui a exprimé les raisons de ses convictions par la parole et dans ses écrits. Mais l’antisémitisme ne se trouve pas au premier plan de son activité. Dans son livre Sang et honneur, dans ses discours et ses articles de 1919 à 1933, un seul article sur soixante-quatre porte un titre se rapportant au judaïsme. Il en est de même pour les deux autres recueils de ses discours. Il avait les mêmes sentiments que ses ancêtres spirituels, le mystique maître Ekkehard, Goethe, Lagarde, Houston Stewart Chamberlain ; l’antisémitisme était pour lui un élément négatif. Son aspiration principale et positive était de proclamer une nouvelle attitude et une nouvelle culture allemande. C’est parce qu’il les voyait menacées après 1918 qu’il devint l’adversaire du judaïsme. Même des personnalités aussi diverses que von Papen, von Neurath, Raeder étaient d’avis que la « dénationalisation » par l’élément juif dans toute la vie publique était poussée à un degré tel qu’il fallait provoquer un changement. Mais ce qui me paraît particulièrement important c’est que son antisémitisme était de nature intellectuelle ; au Congrès du Parti de 1933, par exemple, il parla ouvertement d’une solution chevaleresque de la question juive. Nous n’avons jamais entendu Rosenberg faire des déclarations comme celles-ci :

« Nous devons anéantir les Juifs, partout où nous les trouvons ; nous allons entreprendre des opérations qui nous mèneront à un succès certain. Nous devons nous débarrasser de tout sentiment de compassion ». L’Accusation elle-même cite la déclaration suivante faite par Rosenberg pour préciser son programme : « Après l’élimination des Juifs de tous les postes officiels, mesure qui s’imposait de manière évidente, la question juive trouvera une solution définitive dans l’établissement de ghettos... » (Walsh, procès-verbal, tome III).

GÉNÉRAL R.A. RUDENKO (Procureur Général soviétique)

Monsieur le Président, je ne voudrais pas interrompre le défenseur ni abuser des instants du Tribunal, mais ce que je viens d’entendre me semble au delà de toute expression. Lorsque les conspirateurs fascistes assis au banc des accusés ont essayé d’exposer au Tribunal leurs opinions fascistes, ces déclarations ont été considérées comme non pertinentes et le Tribunal les a fait cesser. Il est encore plus inadmissible qu’un avocat utilise cette salle pour y prêcher une politique de haine. Car comment considérer autrement l’affirmation du Dr. Thoma, lorsqu’il déclare qu’il existe un antisémitisme noble et de nature intellectuelle dont le représentant était Rosenberg, lorsqu’il déclare que la proposition de Rosenberg de mettre tous les Juifs dans des ghettos était chevaleresque ? Je prie le Tribunal de remarquer que le Dr Thoma ne cite pas de déclarations des chefs nazis mais exprime sa propre opinion.

Je considère comme de mon devoir d’élever une protestation énergique contre l’utilisation par cet avocat du Tribunal Militaire International pour y faire de la propagande fasciste. Je prie le Tribunal de considérer ma déclaration et de prendre les mesures nécessaires.

Dr THOMA

Plaise au Tribunal, puis-je donner une réponse ?

LE PRÉSIDENT

Docteur Thoma, nous ne pensons pas qu’il soit nécessaire que vous vous arrêtiez. Le Tribunal estime qu’il peut certes exister différentes opinions sur certaines expressions utilisées dans votre argumentation ; mais ce n’est pas une raison pour interrompre votre exposé.

Dr THOMA

Je vous remercie.

Plaise au Tribunal. En réponse au général Rudenko je désire faire une seule déclaration : dans ma plaidoirie, je me suis efforcé de rester en contact permanent avec le Ministère Public. D’autre part, je désire déclarer que l’expression « solution chevaleresque de la question juive « n’est pas de moi ; elle est de Rosenberg qui l’a prononcée bien longtemps avant de se trouver ici au banc des accusés. Le Ministère Public a cité lui-même le programme de Rosenberg : « La question juive… ». C’est cela que je viens d’exposer.

Ce n’est pas un hasard si Rosenberg n’a pas pris part au boycott des Juifs en 1933, s’il n’a pas été mêlé à l’élaboration des lois raciales de 1933-1934-1935, etc. (retrait des droits civiques, interdiction de mariage, retrait du droit de vote, exclusion de tous les postes et de toutes les fonctions importantes). Il n’a pas non plus — il faut le souligner — pris part aux opérations contre les Juifs de 1938, ni à la destruction des synagogues ni aux manifestations d’antisémitisme.

Il n’était pas non plus celui qui tirait les ficelles dans la coulisse et commandait ou envoyait à l’action des comparses. Rosenberg fut sans aucun doute un disciple fidèle de Hitler dont il recueillait et transmettait les paroles. Ainsi : « La question juive ne sera résolue que lorsque le dernier Juif aura quitté l’Allemagne et le continent européen » ou le mot d’ordre de « l’extermination de la juiverie ».

Les expressions outrées appartenaient depuis toujours à l’arsenal de propagande nationale-socialiste. On peut à peine imaginer un discours de Hitler sans insultes à ses adversaires de l’intérieur ou de l’extérieur et sans menaces d’anéantissement. A chaque discours de Hitler répondait l’écho de millions de voix, de Goebbels au dernier orateur du Parti, dans une petite auberge de village ; les phrases et les mots qu’avait employés Hitler y revenaient, toujours exactement répétés, et cela non seulement dans tous les discours politiques, mais aussi dans la presse allemande, dans tous les éditoriaux et les autres articles, jusqu’à ce qu’arrivât après des semaines ou des mois un nouveau discours qui libérait un nouvel écho de même nature. Rosenberg n’a pas fait exception à cette règle. Il répétait comme tout le monde les paroles de Hitler, la « solution de la question juive » et même une fois « l’extermination de la Juiverie ». Il ne s’est probablement pas préoccupé, ni plus ni moins que la plupart des partisans de Hitler, du fait que toutes ces paroles étaient obscures et avaient un double sens inquiétant, qu’elles pouvaient signifier en effet une véritable émigration, mais aussi l’anéantissement et le massacre des Juifs.

Puis-je ajouter que Rosenberg, lors de son interrogatoire, a cité la déclaration du Premier britannique en 1943, suivant laquelle le militarisme prussien et le national-socialisme devaient être exterminés. Aucun Allemand n’a interprété cette déclaration au pied de la lettre — et il ne s’est pas trompé — pensant qu’elle signifiait l’extermination des nationaux-socialistes et des soldats allemands.

Sans que le peuple allemand l’ait su ni voulu, mais aussi sans que l’aient su ni voulu la plupart des chefs du Parti, un crime collectif fut, dès 1941, machiné et mis à exécution, crime tel qu’il laisse loin derrière lui tout ce que peuvent concevoir la raison et la morale humaines. La « question juive » subit une nouvelle évolution et aboutit à ce qu’on a appelé la « solution définitive ». Le Tribunal devra répondre à cette question : Rosenberg, le porte-parole le plus éminent du Parti, le ministre des Territoires occupés de l’Est, est-il aussi responsable du meurtre des Juifs, en particulier du meurtre des Juifs dans les pays de l’Est ? Est-il donc l’assassin des Juifs ? Ou bien doit-on reconnaître et lui accorder, que s’il est en vérité tout au bord de l’abîme, ce sont exclusivement des circonstances extérieures qui l’y ont conduit, circonstances qui sont en dehors de sa responsabilité et donc de sa culpabilité ?

Je crois pouvoir dire que Rosenberg n’a jamais travaillé, ni ouvertement, ni de manière détournée à l’anéantissement des Juifs, Sa retenue et sa modération ne furent certainement pas une simple tactique. Le glissement de l’antisémitisme vers des pratiques criminelles s’est effectué sans qu’il l’ait su et sans qu’il l’ait voulu. On peut aussi peu justifier sa condamnation comme assassin des Juifs par le seul fait qu’il ait prêché l’antisémitisme qu’on n’a le droit de rendre Rousseau et Mirabeau responsables des atrocités commises plus tard par la Révolution française. Malgré les apparences, on ne peut pas non plus l’inculper en raison de sa situation de ministre du Reich pour les Territoires occupés de l’Est. Comme nous l’avons déjà exposé, le « ministre responsable » ne peut pas être rendu responsable, sans plus, des délits commis dans son domaine ou sur son territoire. Il n’y a de responsabilité pénale, d’après le paragraphe 357 du Code pénal allemand, que dans le cas où un supérieur laisse sciemment commettre des actes répréhensibles par ses subordonnés et quand — cette précision est apportée par les commentaires — le supérieur se trouve en mesure d’empêcher cette action.

Je voudrais donc, sur la base des documents présentés à cet effet, discuter la question de sa responsabilité.

1. L’action contre les Juifs de Sluzk (document PS-1104). Le 27 octobre 1941, un bataillon de police, fort de quatre compagnies, fit à Sluzk un carnage effroyable parmi les Juifs de la ville, parce que le commandant avait reçu de ses supérieurs l’ordre de débarrasser la ville des Juifs, sans faire d’exception. Le commissaire régional éleva aussitôt une vive protestation, demanda qu’on suspendît immédiatement l’opération et, dans la mesure où cela fut possible, tint en échec, revolver au poing, les fonctionnaires de la Police ; il fit un rapport au Commissaire général en Ruthénie blanche, Kube, à Minsk, qui demanda au Commissaire du Reich de l’Ostland, Lohse, qu’une peine soit prononcée contre les officiers qui avaient participé à cette « cochonnerie sans nom ». Lohse en référa au ministère de l’Est, en demandant que des mesures immédiates soient prises en haut lieu. Le ministre des Territoires occupés de l’Est envoya tout le rapport au chef de la Police de sûreté et du SD, Heydrich, en le priant de donner suite à l’affaire.

Étant donné le système habile qui consistait à établir une police non responsable devant l’autorité administrative compétente, et qui n’était même pas tenue de faire des rapports, Rosenberg, dans ce cas comme dans d’autres du même genre, n’avait pas la possibilité de prendre des mesures. Il n’avait pas d’autorité sur la Police et pouvait espérer quo le fait d’avoir transmis le rapport à Heydrich suffirait pour faire cesser ces excès de la Police, qu’il croyait locaux. On peut déduire de l’indignation de tous les services administratifs devant les faits rapportés qu’ils ignoraient complètement que ce ne fussent pas là des excès locaux mais une opération ordonnée par Heydrich et Himmler. Ceux-ci n’en ayant pas revendiqué la responsabilité, Rosenberg ne pouvait pas non plus faire une semblable supposition.

2. C’est également d’octobre 1941 que date le document PS-3663 dans lequel le « ministre du Reich pour les Territoires occupés de l’Est, sous la signature « Par ordre, Dr Leibbrandt, ordonne au Commissaire du Reich pour l’Ostland de lui faire un rapport sur une réclamation émanant de l’Office central de la sécurité du Reich signalant que le Commissaire du Reich pour l’Ostland aurait interdit l’exécution des Juifs à Libau, à quoi le destinataire répondit :

« J’ai interdit l’exécution des Juifs à Libau parce que je ne pouvais pas assumer Ja responsabilité de la façon dont elle devait être réalisée ». Suit une demande de nouvelles instructions. Au sujet de ce document, qui est signé du chef de section Leibbrandt et ne prouve aucunement que l’accusé Rosenberg ait été au courant, il y a lieu d’indiquer brièvement ce qui suit : la suspension des exécutions de Juifs ne fait pas l’objet d’un reproche du ministre de l’Est, mais constitue simplement la transmission d’une plainte de l’Office central de la sécurité du Reich, accompagnée d’une demande de rapport. Il est probable que la plainte était fondée sur le fait que le Commissaire du Reich pour l’Ostland avait empiété sur les compétences de l’Office central de la sécurité du Reich, et c’est sans doute dans ce sens que le rapport a été demandé. Par une lettre du 18 décembre 1941, signée « Par ordre, Brautigam », le ministre de l’Est demande d’ailleurs au Commissaire du Reich pour l’Ostland de régler toutes les questions pouvant éventuellement survenir, directement avec les chefs supérieurs des SS et de la Police. Il est également faux de vouloir attribuer à Rosenberg l’initiale « R » figurant sur ce document, car le fait que Rosenberg ait eu connaissance de cet état de choses est plus que douteux au Ministère Public lui-même. Cet « R » n’émane pas de Rosenberg.

3. Le document PS-3428 se rapporte à une lettre du Commissaire général pour la Russie blanche au Commissaire du Reich pour l’Ostland. C’est un document bouleversant qui concerne l’extermination massive de Juifs en Ruthénie ; on ne peut toutefois en déduire pour l’accusation contre Rosenberg, car ces terribles événements ne pourraient lui être imputés que s’il en avait eu connaissance et si, contrairement a son devoir, il s’était abstenu d’intervenir. Aucun indice, ici non plus, ne prouve qu’il ait été au courant.

L’allégation selon laquelle ces documents auraient été découverts chez Rosenberg ne correspond pas aux faits, car ils étaient adressés au Commissaire du Reich à Riga.

4. Dans la « Note pour le Führer » du 18 décembre 1941 (document PS-001), l’accusé a fait la proposition suivante, que je dois citer textuellement : « Les attentats contre les membres de la Wehrmacht n’ont pas cessé, mais se poursuivent. On voit ici se dessiner un plan très net tendant à gêner la collaboration franco-allemande, à contraindre l’Allemagne à prendre des mesures de représailles et à provoquer ainsi une nouvelle résistance des Français à l’égard de l’Allemagne. Je propose au Führer de faire fusiller une centaine ou plus de banquiers, avocats, etc., juifs à la place de cent Français ».

Il ne m’appartient pas de parler ici de la légalité de l’exécution d’otages, mais un fait est certain : c’est que Rosenberg était convaincu que de telles mesures étaient licites. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre la suggestion ci-dessus et on ne peut certainement pas la juger comme une simple incitation au meurtre. Elle n’a d’ailleurs pas eu de suites ; dans sa réponse du 31 décembre 1941 faite au nom du Führer, Lammers ne revient que sur la proposition relative à l’utilisation d’habitations juives, et pas du tout sur l’exécution d’otages. Rosenberg n’en a pas reparlé non plus.

Je voudrais ajouter ici ce qui suit : le représentant du Ministère Public français a déclaré à l’accusé Rosenberg, alors à la barre des témoins, que c’était là un meurtre. Ce n’était pas un meurtre, Messieurs, parce qu’il n’y a pas eu d’exécution. Il n’y a pas non plus eu incitation au meurtre ; on ne peut inciter que quelqu’un qu’il est nécessaire de convaincre, mais lorsque le principal coupable est déjà décidé à tout, omni modo facturus, on ne peut plus l’inciter au meurtre, et le seul délit à considérer est la complicité, qui, en Droit allemand du moins, est un délit réprimé par des peines très faibles puisqu’il n’y a pas eu de suites.

Je voudrais précisément rappeler ici que Rosenberg a déclaré, au cours de son témoignage, que le Tribunal avait un jour condamné à mort un Commissaire général dans l’Est pour avoir extorqué des objets précieux à une famille juive et que la sentence avait été exécutée. Je voudrais que l’on ne considérât pas comme une argumentation tendancieuse de défenseur le fait de dire : « N’est-ce pas là la preuve lumineuse que Rosenberg répugnait à des actes criminels dirigés contre les Juifs ? »

5. Le document R-135 (URSS-289) concerne le rapport du Commissaire général pour la Ruthénie à Minsk, en date du 1er juin 1943, sur les événements de la prison de Minsk relatifs à des dents aurifiées, rapport adressé au Commissaire du Reich pour l’Ostland qui, violemment indigné, le transmit le 18 juin 1943.

Lors de sa déposition devant le Tribunal, le 16 avril 1946, l’accusé s’est déjà expliqué à ce sujet ; je voudrais rappeler brièvement les faits : rentré le 22 juin 1943 d’une tournée en Ukraine, il avait trouvé un grand nombre de notes relatives à des entretiens, beaucoup de lettres et surtout le décret du Führer en date du milieu de juin 1943, ordonnant à Rosenberg de ne pas se soucier des détails. M. Rosenberg n’a pas lu la lettre, mais il est obligé de supposer — il ne s’en souvient pas — que son bureau lui a présenté cette lettre ; au cours de l’examen de nombreuses pièces, on lui a probablement fait savoir qu’il y avait à nouveau un différend grave entre l’administration civile et la Police, à quoi Rosenberg a probablement répondu que l’on transmît au Gauleiter Meyer ou à l’agent de liaison aux fins de vérification. Sinon, les détails horribles seraient certainement demeurés dans la mémoire de Rosenberg.

Personne ne doute un seul instant que les crimes effroyables dont témoignent ces documents et tous les autres événements atroces qui n’apparaissent dans aucun document, mais n’en sont pas moins arrivés, réclament un châtiment ; personne ne conteste qu’il ne faut pas seulement châtier les petits valets des bourreaux, qui ont agi sur des ordres supérieurs, mais encore et surtout ceux qui ont donné ces ordres, ainsi que ceux qui sont responsables de ces méfaits. Rosenberg n’a pas ordonné que des Juifs fussent assassinés, la chose est bien établie ; est-il néanmoins responsable de ces meurtres effroyables ?

Aucune marque autographe de l’accusé n’a été relevée sur un seul des documents relatifs aux meurtres ; en outre, il n’a pu être établi dans aucun cas qu’il en ait même eu connaissance. Pouvons-nous frapper Rosenberg sur la base d’une connaissance présumée vraisemblable ? Rosenberg n’a aucunement l’intention de s’abriter avec lâcheté et hypocrisie, partie de cache-cache derrière ses subalternes et les fonctionnaires de son administration, mais souvenons-nous de l’habileté avec laquelle les exécutions de Juifs ont été dissimulées non seulement au public, mais même aux plus importants collaborateurs de Hitler. N’est-il pas possible, vraisemblable même, que l’on ait même et justement caché la vérité à Rosenberg ? Aucun chef de la NSDAP n’a exposé plus clairement ses pensées et ses desseins au grand jour que ne l’a fait l’écrivain Rosenberg ; d’aucun autre homme on ne savait de façon aussi certaine qu’il repousserait avec indignation tout acte inhumain et criminel.

Mais avançons d’un pas et supposons, en deuxième lieu, que Rosenberg ait eu pleine connaissance de cet immense crime — cela n’est pas prouvé, mais on pourrait le supposer, l’admettre — serait-il alors également responsable ? Nous savons que la répartition des compétences, et par conséquent des responsabilités dans les pays de l’Est, était établie de façon particulière et très habile. Tout l’ensemble de la Police avait été soustrait au domaine de Rosenberg, le poste le plus élevé était occupé par Himmler, avec Heydrich comme sous-ordre. Rosenberg n’avait régulièrement aucune idée et aucune connaissance de leurs ordres ni des dispositions qu’ils prenaient. Les chefs de la Police et les organismes de Police ne dépendaient, dans leur domaine, que de leurs supérieurs et n’étaient responsables que vis-à-vis d’eux. Il était absolument indifférent que Rosenberg eût ou non connaissance des mesures prises par la Police ; il ne pouvait pas plus y changer que n’importe quel autre citoyen du IIIe Reich. On pourrait rétorquer : il aurait pu émettre des protestations auprès de Himmler et de Hitler, il aurait pu émettre des protestations auprès de Himmler et de Hitler, il aurait pu démissionner. Naturellement, il aurait pu le faire. Mais il importe peu de savoir s’il aurait pu le faire ; ce qui importe est de savoir s’il avait des chances d’obtenir un résultat positif ; c’est-à-dire si cela aurait pu, de la sorte, éviter l’exécution. Car ce n’est que dans ce cas que l’on pourrait dire qu’il est responsable par omission et c’est seulement dans un cas semblable que l’on peut parler de causalité, sans laquelle une responsabilité pénale n’est pas concevable. On peut encore dire, en imaginant toujours que Rosenberg était au courant que, dans ce cas, il aurait au moins pu intervenir contre les Commissaires du Reich qui étaient visiblement mêlés à ces affaires. Nous savons que l’organisation administrative et la répartition des compétences dans l’Est étaient pour le moins obscures. Les Commissaires du Reich étaient, dans leur territoire, des souverains absolus qui décidaient eux-mêmes, en dernière instance, de l’exécution des otages et autres mesures de représailles de grande envergure. Et quels étaient les pouvoirs effectifs ? Lorsque le Commissaire du Reich n’était pas satisfait de Rosenberg — et il en était ainsi la plupart du temps — il s’adressait à Hitler. Quelqu’un peut-il croire sérieusement que Rosenberg, portant devant Hitler un différend avec Koch concernant l’exécution de Juifs, aurait eu raison ? Il manque par conséquent, à nouveau, cet élément de causalité qui serait absolument nécessaire pour une condamnation juste.

J’en viendrai maintenant à l’État-Major spécial de Rosenberg.

Il n’y a pas eu, au cours de ce Procès, moins de trois membres du Ministère Public pour porter contre Rosenberg l’accusation d’avoir volé systématiquement et en grande quantité, à l’Est et à l’Ouest, des œuvres d’art et du matériel scientifique (Storey, le 18 décembre 45 ; Gerthoffer, le 6 février 46, Smimov, le 15 février 46). Je traiterai d’abord de quelques exagérations et inexactitudes évidentes, telles que l’affirmation suivant laquelle l’activité de l’État-Major spécial s’exerçait à l’Ouest aussi bien sur la propriété privée que dans le domaine public, sans distinction (procès-verbal du 6 février 46, matinée, tome VII, page 59), ou que les œuvres d’art que l’Allemagne s’appropriait dépassaient les trésors réunis du Metropolitan Muséum de New-York, du British Muséum de Londres, du Louvre à Paris et de la Galerie Tretiakow. Je dois encore dénoncer l’inexactitude de l’affirmation suivant laquelle le « programme de pillage » de Rosenberg avait pour but de s’emparer, dans les pays occupés, de tous les trésors accumulés depuis des siècles dans les domaines de l’art et de la science. Enfin, l’Accusation oppose l’activité, de Rosenberg au pillage artistique des guerres précédentes. Jusqu’alors, l’amour-propre, la vanité, le goût et les penchants personnels de l’envahisseur avaient été les motifs de ces pillages, tandis que les nationaux-socialistes avaient, avant tout, l’intention criminelle d’amasser des réserves de valeurs (procès-verbal du 6 février 46, matinée, tome VII, page 72). Je pense qu’il n’est pas nécessaire de remonter aux pillages artistiques des temps révolus et jusqu’à Napoléon, car les conceptions et les règles du Droit international ont changé entre temps ; mais je voudrais cependant faire remarquer deux choses :

1. Combien, parmi les œuvres d’art célèbres qui se trouvent dans les galeries les plus célèbres du monde, y ont été amenées par les moyens de la guerre, et combien par des moyens pacifiques.

2. Je peux facilement admettre que le Ministère Public refuse d’attribuer à l’accusé Rosenberg, comme motif possible de ses actes, l’amour de l’art, la passion du collectionneur, car Rosenberg n’était certainement pas un pillard ni un voleur d’œuvres d’art. Il n’avait pas l’intention de s’approprier des œuvres d’art ni de les dérober pour un autre.

Quelle était la situation ? L’État-Major spécial de Rosenberg fonctionnait à l’Ouest et à l’Est ; il avait deux attributions :

1. Examiner les bibliothèques et les archives pour y rechercher les matériaux susceptibles d’être utilisés par la « grande École » du Parti dont la fondation était envisagée, de réquisitionner ces matériaux et de les transporter pour les soumettre à un examen.

2. Saisir les biens d’intérêt culturel possédés ou détenus par des Juifs ou laissés à l’abandon ou dont il n’était pas possible de déterminer clairement l’origine. L’Accusation dit que le vrai et le seul motif, le vrai et le seul but de cette « saisie », étaient le vol et le pillage et qu’il ne peut pas s’agir d’un simple projet de « mise à l’abri ». Le 20 août 1941, Rosenberg écrit au Commissaire du Reich pour l’Ostland qu’il désire interdire expressément que les biens d’intérêt culturel de toute nature soient enlevés de quelque endroit que ce soit sans l’autorisation du Commissaire du Reich (document PS-1015). En accord avec Rosenberg, le Commandement en chef de l’Armée de terre prit le 30 septembre 1942, une ordonnance (document PS-1015 n) stipulant :

« A part les cas d’exceptions dans lesquels il est urgent de mettre à l’abri des biens d’intérêt culturel en danger, on s’efforcera de les maintenir provisoirement en place. »

Plus loin, il est dit : « Les troupes et tous les bureaux militaires en fonction dans la zone des opérations devront continuer à épargner, dans la mesure de leurs possibilités, les monuments offrant un précieux intérêt culturel et les protéger des destructions et des dégradations. »

Dans le rapport intitulé « État-Major particulier des Beaux-Arts » (rapport d’activité sur la période d’octobre 1940 à juillet 1944, document PS-1015), il est dit que l’activité de l’État-Major particulier des Beaux-Arts se borne, dans les territoires occupés de l’Est, à l’enregistrement scientifique et photographique des collections officielles et que leur mise en sécurité a été effectuée en collaboration avec les organismes militaires et civils ; il y est encore dit qu’au cours de l’évacuation de ces territoires, plusieurs centaines d’icônes et de tableaux de valeur ont été sauvés avec le concours de certains groupes d’armées et amenées dans des dépôts du Reich.

Finalement, Rosenberg adressa le 12 juin 1942 une circulaire aux autorités suprêmes du Reich, disant :

« Dans les territoires occupés de l’Est, de nombreux services et personnalités ont été chargés de mettre en sécurité les biens d’intérêt culturel ; ils travaillent suivant des points de vue différents et de façon indépendante. Il est absolument indispensable pour l’administration de ces territoires de se faire une idée d’ensemble des biens de culture existants. En outre, il faut s’efforcer, en règle générale, de les laisser momentanément sur place. C’est pourquoi j’ai institué un service central de recensement et de mise à l’abri des biens d’intérêt culturel de l’Est, qui constitue une section spéciale de mon ministère. »

Rosenberg insistait donc sur le point de vue selon lequel les biens d’intérêt culturel devraient rester dans le pays et ce n’est qu’en raison de la retraite des Armées allemandes que quelques centaines d’icônes et de tableaux précieux ont été transportés en Allemagne.

Les biens d’intérêt culturel, meubles et immeubles, sont, en temps de guerre, exposés au danger de destruction comme tous les autres biens. Rosenberg a mis le holà aux destructions superflues, aux vols et aux détournements, il a centralisé la mise en sûreté des biens d’intérêt culturel et fait entreprendre le nécessaire à l’Est et à l’Ouest par son État-Major spécial (voir par exemple le rapport Abels sur la bibliothèque de Minsk, PS-076). Ceci correspond à une conception juridique absolument conforme au Droit international (voir Scholz, La propriété privée en territoire ennemi occupé et non occupé, Berlin 1919, page 36) selon laquelle l’occupant doit s’efforcer non seulement d’épargner, mais encore de mettre les biens d’intérêt culturel en sûreté et à l’abri, dans la mesure où les opérations de guerre le permettent ; bien plus, on considère que l’occupant a, vis-à-vis de la civilisation, le devoir de sauver les œuvres d’art particulièrement précieuses dans la zone des combats et d’en assurer la protection aussi complète que possible ; si les circonstances l’exigent, l’occupant peut, conformément au Droit international, avoir le droit et le devoir de transporter dans son propre pays, en vue de les mettre à l’abri, les objets d’une valeur scientifique ou artistique particulière. Cela ne constitue pas une saisie au sens de l’article 56, paragraphe 2 du Règlement de la guerre sur terre, car ce terme ne désigne que des actes dirigés contre la culture et non pas des mesures prises en sa faveur. (Voir Scholz, op. cit., page 37.)

Pour conclure, je renverrai au document PS-1109, rapport d’après lequel les instituts scientifiques qui avaient été sauvés devaient être aussitôt ramenés en Ukraine au moment où, comme on l’espérait, les troupes y rentreraient. Lire dans ce texte, vouloir trouver dans un texte aussi clair une intention de pillage, me semble absolument impossible.

Assurément, des biens d’intérêt culturel nombreux et importants ont été anéantis à l’Est par l’effet direct des opérations de guerre ou de destructions et de pillages délibérés. Ce serait pourtant méconnaître absolument la véritable situation et commettre une grande injustice que de porter ces pertes au compte de l’État-Major spécial et de son chef Rosenberg, car son action était précisément dirigée dans le sens opposé.

A l’Ouest (voir la déclaration du témoin Robert Scholz du 19 mai 1946, document Rosenberg 41), la situation était différente ; mais là non plus on ne peut, à mon avis, reprocher à l’accusé ni pillage ni vol d’œuvres d’art. Lorsque, au cours de l’été 1940, les Parisiens, à l’exception des Juifs, furent rentrés, on eut l’idée de rechercher les livres et les bibliothèques dans les appartements, maisons et châteaux restés à l’abandon et de transporter ce matériel scientifique en Allemagne dans la mesure où il présentait de l’intérêt. Différents services de la Wehrmacht firent savoir qu’il existait, surtout dans les châteaux juifs, des collections d’œuvres d’art dont on ne pouvait garantir qu’elles puissent être conservées sans dommage au cours de l’occupation. Rosenberg proposa alors que son État-Major spécial s’occupât de ces œuvres d’art et en prit soin, ce qui fît l’objet d’une ordonnance de Hitler. Qu’a fait l’État-Major spécial de ces œuvres d’art ? Il a établi un catalogue exact avec le nom du propriétaire de chaque tableau, il a photographié les œuvres d’art, les a expertisées scientifiquement, les a, le cas échéant, fait réparer par des spécialistes, il les a soigneusement emballées et envoyées dans les châteaux de Neuschwanstein et de Chiemsee en Bavière. Pour les mettre à l’abri des dangers aériens, il les a fait transporter ensuite dans une mine autrichienne désaffectée. Rosenberg attachait une importance toute particulière à ce que les objets pris en charge par l’État-Major spécial fussent conservés sous scellés et ne fussent pas mélangés avec les importantes acquisitions que Hitler avait faites pour la galerie qu’il envisageait de créer à Linz.

Était-ce là pillage, brigandage, vol ? Le pillage est l’enlèvement sans choix et délibéré d’objets à la faveur de la misère générale et du danger, le brigandage est la soustraction par la violence, le vol est la soustraction sans violence. Mais il faut toujours qu’ait existé l’intention préalable de s’approprier l’objet ou de le transmettre à un autre en violation du droit. Quelle était l’intention de Rosenberg ? Il n’a jamais nié que ses collaborateurs et lui espéraient que les tableaux resteraient en Allemagne, peut-être comme compensation ou comme gage pour les négociations de paix ; son intention était uniquement de réquisitionner les œuvres d’art et de les mettre en sûreté ; cela est demeuré évident jusqu’à la fin et aucune décision de principe n’a été prise au sujet de la destination que recevraient les objets réquisitionnés. Il est’ tout à fait certain que Rosenberg n’avait pas l’intention de s’approprier les objets ni de les transmettre à un autre de manière illégale. Si Rosenberg avait été un pillard d’œuvres d’art, il n’aurait sûrement pas fait le relevé précis de la date et du lieu de la réquisition et du nom du propriétaire. Par précaution, je voudrais encore attirer l’attention sur le fait que ces objets étaient demeurés à l’abandon, par suite de la fuite de leurs propriétaires, et que cette question ainsi que celle de leur prise de possession par Rosenberg ne doit pas être jugée d’après les circonstances normales mais en fonction des circonstances extraordinaires de la guerre. Quand le Ministère Public déclare que des œuvres d’art appartenant au domaine public ou constituant des biens privés ont été volés sans distinction, je voudrais répondre que n’ont été réquisitionnés que des biens juifs et, comme je l’ai déjà dit, laissés à l’abandon ; mais il n’est surtout pas exact de dire que des biens d’État aient été saisis. Enfin, il n’a pas agi par initiative personnelle mais exécuté des ordres émanant des autorités de l’État ; en dernier lieu, je ferai remarquer que Rosenberg a agi sans aucun motif égoïste : pas un seul tableau n’est devenu sa propriété personnelle ; il n’a pas gagné un seul mark dans ces transactions portant sur des millions. Tous les biens artistiques et culturels ont du reste été retrouvés. Je désire remercier le Ministère Public français ici qui a reconnu ce fait.

Göring a soutenu le travail de l’État-Major spécial, et comme il l’a indiqué, il a, avec l’approbation du Führer, « dérivé » quelques tableaux pour son usage personnel.

Rosenberg en était inquiet parce que l’État-Major spécial travaillait sous son nom et il déclara qu’il ne voulait absolument rien remettre, môme aux musées, que son rôle consistait simplement à enregistrer et à mettre en sûreté ; le Führer devait finalement décider du sort de ces œuvres d’art. Rosenberg ne pouvait rien entreprendre contre Göring, mais il chargea son homme de confiance, Robert Scholz, d’enregistrer exactement tout au moins ce qui avait été cédé à Göring et de lui en faire remettre quittance, ce qui fut fait. Il est donc certain que l’on ne peut reprocher à Rosenberg d’avoir eu l’intention de s’approprier ou de remettre à un tiers les objets d’art contre tout droit. Robert Scholz a également confirmé que Rosenberg avait interdit à tous ses collaborateurs d’acquérir quelque œuvre d’art ou bien d’intérêt culturel que ce fût, fût-ce à un prix déterminé officiellement. (Document Rosenberg n° 41.)

L’Accusation dit qu’à la suite de l’État-Major spécial Rosenberg une bande de vandales s’introduisit dans les musées d’Europe pour les piller à la façon des barbares. Si l’on pense à l’immense labeur d’inventaire, de classement, de restauration et d’estimation scientifique qui a été fourni et si, enfin, l’on se rend bien compte que tous ces objets précieux furent préservés avec le plus grand soin et supportèrent certainement mieux la guerre que si les autorités allemandes ne s’en étaient pas souciées, je crois que l’on peut alors, objectivement, parler de tout plutôt que de vandalisme.

LE PRÉSIDENT

Je crois que ce serait le moment de suspendre l’audience.

(L’audience est suspendue.)
Dr THOMA

On a encore reproché particulièrement à Rosenberg le pillage de mobilier ; il a, dit-on, vidé de leur contenu 79.000 demeures juives, dont 38.000 à Paris, pour l’envoyer en Allemagne. Incontestablement, ces mesures furent prises en faveur des sinistrés des bombardements aériens ; dans les villes détruites par la guerre aérienne, de nouvelles habitations furent aménagées pour les sans-abri. La limitation de ces réquisitions à la propriété juive correspondait à la mentalité nationale-socialiste ; elle est à coup sûr moralement condamnable. La question de la légalité des réquisitions en général est essentielle ; j’ai évité dans toutes mes déclarations, et je voudrais encore le faire ici, de soutenir une position, juridique très faible en invoquant les nécessités de la guerre ; car, comme l’a dit un spécialiste du Droit international :

« La nécessité est le levier qui permet de désarticuler les lois de la guerre ». Mais, dans ce cas précis, la justification de la nécessité d’État créée par la guerre n’est-elle pas évidente ? Les bombardements aériens n’ont-ils pas provoqué en Allemagne une extrême misère générale ? On pourrait objecter que l’on pouvait faire échec à la misère par une capitulation sans conditions. A mon avis, il n’est pas possible d’opposer aux arguments de l’accusé la possibilité d’une capitulation sans conditions, le sacrifice de sa propre existence ou l’indépendance du Reich et de ses intérêts personnels. La réquisition de la propriété privée ennemie était l’application d’un droit de réquisition dépassant les dispositions de lois de la guerre et justifié par la nécessité. J’ose affirmer que ces réquisitions mobilières, étant donné les dévastations commises par les bombardements sur l’Allemagne, ne contrevenaient pas « aux usages entre peuples civilisés », « aux lois de l’humanité » et « aux exigences de la conscience collective » (clause de Marten dans le préambule de l’accord relatif sur les lois et coutumes de la guerre sur terre, cf. Scholz, page 173).

Plaise au Tribunal. Je passerai maintenant à l’opération de Norvège. L’Accusation a désigné Rosenberg et Raeder comme les principaux conspirateurs de l’affaire de Norvège et, par la suite, à ce même propos, Rosenberg comme un « négociant en haute trahison ». L’opinion du Ministère Public et les allégations du Gouvernement norvégien actuel (rapport norvégien du 13 octobre 1945, document TC-56) tendent manifestement à prouver que Quisling et le bureau de politique extérieure du Parti, dirigé par Rosenberg, avaient tramé une conspiration pour faire la guerre à la Norvège. Je crois que pas une seule des accusations formulées jusqu’ici contre Rosenberg n’est moins fondée que celle-ci. Étant donné le peu de documents présentés au Tribunal, ce cas pourrait, à mon avis, être sans aucun doute élucidé en faveur de l’accusé.

Il existait un bureau de politique extérieure du Parti (APA) qui avait pour mission de renseigner les visiteurs étrangers sur le mouvement national-socialiste, de communiquer éventuellement des suggestions aux services officiels et, pour le reste, de constituer, au sein du Parti, une centrale se consacrant à la politique extérieure. L’intérêt particulier, et je peux bien dire la sympathie particulière des dirigeants du Parti et de l’État, allait aux États nordiques ; c’est précisément dans cette direction que l’APA portait tout son intérêt sur le terrain de la politique culturelle. La « Société nordique » déjà existante fut développée, la commémoration des grands savants et artistes nordiques fêtée en Allemagne, il y eut un grand festival de musique nordique, etc. Ces relations ne prirent un aspect proprement politique qu’avec l’apparition de Quisling, que Rosenberg avait vu pour la première fois en 1933 et ne revit qu’en 1939 — soit six ans plus tard — après la séance de la Société nordique à Lübeck ; il parla du danger de complications européennes et exprima la crainte que la Norvège ne fût entraînée dans le danger d’un conflit. Il craignait alors avant tout un partage de son pays tel que l’Union Soviétique en occupât le Nord et l’Angleterre le Sud. Quisling vint encore en décembre 1939 à Berlin rendre visite à Rosenberg. Celui-ci ménagea un entretien chez le Führer. Hitler déclara que ce qu’il préférait, c’était que la Norvège adoptât une attitude absolument neutre, qu’il n’avait pas l’intention d’étendre le théâtre d’opérations et d’entraîner d’autres nations dans le conflit, mais qu’il saurait cependant se défendre contre toute nouvelle tentative d’encerclement de l’Allemagne et toutes nouvelles menaces. Pour contrebalancer l’activité croissante de la propagande ennemie, un soutien financier fut accordé à Quisling pour son mouvement qui avait pour base l’idée des nations germaniques. L’étude, sur le plan militaire, des questions désormais envisagées, fut confiée à un État-Major militaire particulier ; Rosenberg devait se charger des questions politiques et désigna son collaborateur Scheidt pour le maintien des relations avec Quisling. Hagelin, homme de confiance norvégien de Quisling, transmit en janvier 1940 des nouvelles inquiétantes à Rosenberg sur une rupture de neutralité que l’on redoutait de la part du Gouvernement norvégien ; Rosenberg les transmit à Hitler.

Après l’incident de l’Altmark, Hagelin, qui était en relations avec les milieux gouvernementaux norvégiens, donna des avertissements plus pressants : les Alliés étudiaient déjà les possibilités de débarquement et de transports dans les ports norvégiens. Le Gouvernement norvégien, en tout cas, se contenterait de protestations écrites et Quisling faisait dire que tout retard apporté à la riposte allemande ferait courir des risques considérables. A nouveau Rosenberg transmit immédiatement ces avertissements à Hitler. S’il ne l’avait pas fait, il aurait très exactement trahi son pays. Le 9 avril 1940 eut lieu la riposte allemande, que Rosenberg. apprit, comme tout autre citoyen, par radio et par la presse. En dehors des informations mentionnées ci-dessus et que son devoir l’obligeait à donner, Rosenberg n’a participé ni aux préparatifs militaires, ni aux préparatifs diplomatiques.

S’il devait subsister un seul doute sur le fait que Rosenberg n’a joué dans l’affaire norvégienne que le rôle d’un agent de transmission auprès de Hitler, et non pas celui d’un inspirateur, d’un conjuré ou d’un traître, je voudrais me reporter à deux documents. D’abord au document n° C-65, qui est une note de Rosenberg concernant la visite de Quisling. C’est visiblement le rapport demandé par Hitler à Rosenberg sur Quisling. Si Rosenberg avait eu des relations plus intimes avec Quisling, il est certain qu’il en aurait volontiers informé Hitler. Il avait seulement connaissance d’un projet de « putsch » de Quisling aussi fantaisiste que pratiquement irréalisable, occupation à Oslo des postes centraux importants au cours d’une opération soudaine, soutenue par des Norvégiens particulièrement éprouvés et formés en Allemagne, puis appel à la flotte allemande par le Gouvernement norvégien nouvellement formé. Moins fantaisiste lui était apparue, certes, une communication faite auparavant par Quisling, d’après laquelle des officiers, dont on citait les noms, appartenant aux forces de l’Ouest, parcouraient la Norvège en qualité d’agents consulaires, déterminaient les profondeurs d’eau dans les ports de débarquement et s’informaient du gabarit des tunnels. C’était là le seul et le véritable motif de tout ce que Rosenberg entreprit dans l’affaire norvégienne.

Le deuxième document est le rapport concernant « Les préparatifs politiques de l’opération de Norvège », document PS-004 (GB-140). C’est un rapport de Rosenberg à Hess du 17 juin 1940. Dans ce rapport interne il ne se trouve rien non plus qui s’écarte de l’exposé de Rosenberg, auquel on peut ajouter foi, rien qui puisse donner à croire qu’il ait poussé à la guerre et se soit comporté en traître.

Rosenberg ne fut appelé à participer à aucune discussion politique ou militaire concernant la Norvège. Quel est donc le crime de Rosenberg ? Était-il criminel d’essayer d’« exercer une influence en Norvège » (TC-56) ou d’avoir eu connaissance des subsides donnés à Quisling par le ministre des Affaires étrangères ? Je voudrais, pour terminer, attirer l’attention sur le fait que, par la suite, après la réussite de l’opération, aucune espèce de charge ou de fonction ayant trait à la Norvège ne fut confiée à Rosenberg, et que la nomination même d’un Commissaire du Reich pour la Norvège se fit sans que l’on ait pris contact avec lui.

Je n’exposerai pas en détail le cas du ministre Goga, et je prie le Tribunal de le considérer comme traité.

Je passerai maintenant à la persécution des Églises. L’Accusation prétend que Rosenberg avait, avec Bormann, donné des ordres en vue des persécutions religieuses et entraîné les autres à prendre part à ces persécutions. Cependant, on ne connaît pas un seul ordre de ce genre. On a présenté uniquement des lettres de Bormann, adressées soit à Rosenberg, soit à d’autres services, et desquelles on ne peut en aucune façon tirer des charges contre Rosenberg. Bien plus, Rosenberg s’entendit faire des constants reproches à ce sujet, et en particulier une fois qu’il avait fait devant Hitler l’éloge d’un livre de l’évêque du Reich Müller, document PS-100 (USA-691). Une autre fois, parce qu’il avait chargé Monseigneur Müller d’élaborer des directives pour les cours d’instruction religieuse dans les écoles, document PS-098 (USA-350). Une autre fois encore, parce qu’il avait soutenu un ouvrage du général von Rabenau fortement imprégné de christianisme.

Rosenberg lui-même a déclaré, au cours de son témoignage (procès-verbal du 16 avril 1946, tome II, page 469), qu’il avait refusé de faire de la propagande en faveur de la rupture avec l’Église et qu’il n’avait jamais fait appel à l’action de la Police de l’État contre ses adversaires théologiques ou scientifiques, qu’en particulier il n’avait jamais employé la Police pour opprimer les adversaires de son Mythe. En décembre 1941 il a, en tant que ministre du Reich pour les Territoires occupés de l’Est, publié un édit de tolérance religieuse (documents PS-1517 et PS-294) ; Rosenberg n’avait rien à voir avec l’emprisonnement, la déportation des prêtres ni avec la persécution des Églises. Il ne prit aucune part non plus aux négociations sur le Concordat avec le Vatican, ni à la nomination de l’évêque protestant du Reich ; il ne participa pas non plus aux mesures anti-religieuses qui furent prises plus tard par la Police ; jamais il n’eut aucune part aux mesures administratives ou législatives prises à cette époque contre les Églises. Vouloir imaginer toute une conspiration visant à opprimer la religion par une politique de violence en se basant, à défaut de tout fondement, sur la pensée et les déclarations de Rosenberg dans le domaine philosophique et religieux est, à mon sens, absolument impossible. Le seul document qui eût pu être considéré dans ce sens (PS-130) a été retiré par le Ministère Public américain lui-même, avant que je n’aie été obligé d’indiquer qu’il s’agissait d’un pamphlet contre Rosenberg.

Son livre Le Mythe du XX e siècle, qui est censé avoir été écrit pour provoquer l’évolution des confessions vers un christianisme germanique, s’adresse d’ailleurs principalement à ceux qui ont déjà rompu avec les Églises. « Aucun Allemand conscient de ses responsabilités », y écrivait Rosenberg, « ne peut demander de quitter son Église à celui qui lui est encore attaché par la foi », (document Rosenberg-7, livre de documents 1, page 122). Une autre fois : « La science ne sera jamais capable de détrôner la vraie religion » (même document, page 125). Son ouvrage ne s’adresse pas à la génération croyante d’aujourd’hui, pour l’arrêter sur la voie de la vie intérieure dans laquelle elle est engagée, mais bien à ceux qui ont déjà rompu avec la croyance des Églises (document Rosenberg-7, livre de documents 1, page 125). Dans ses discours, il a défendu le point de vue que le Parti n’avait pas qualité pour régler les questions métaphysiques, pour nier l’immortalité, etc. Lorsqu’il fut chargé de surveiller l’éducation idéologique, il déclara expressément dans son discours du 22 février 1934 à Berlin : « Il n’est permis à aucun national-socialiste de discuter de questions religieuses sous l’uniforme de son mouvement », et a exprimé, en même temps, le désir de voir « toutes les bonnes volontés s’employer à un apaisement de la vie politique et spirituelle en Allemagne » (Rosenberg-7 a, livre de documents, page 130). Le fait que, là aussi, l’évolution se soit faite dans une tout autre direction ne dépendait ni de la volonté ni de l’activité de Rosenberg.

D’ailleurs, je n’ai besoin que de montrer en quelques mots qu’il s’agit ici encore du problème millénaire des relations entre la puissance de l’Église et celle dite temporelle. Lutte entre les rois, les empereurs et les papes au moyen âge ; la Révolution française et l’exécution des prêtres ; les conflits religieux sous Bismarck ; la promulgation des lois laïques de la République française avec Combes... (Le Président fait signe qu’il désire interrompre.)

Monsieur le Président, puis-je donner une explication ? Je voulais simplement dire que je n’avais pas l’intention de m’étendre plus longtemps sur le thème des persécutions religieuses ; j’en ai terminé et je passerai au thème de l’idéologie et de la politique générale.

L’idéologie et l’éducation n’auraient été que le moyen d’arriver au pouvoir et de consolider ce pouvoir ; l’unification de la pensée aurait constitué une part importante du programme de la conspiration ; l’organisation de la Wehrmacht n’aurait été possible qu’en fonction de l’éducation idéologique du peuple et du Parti. Voilà ce que dit le Ministère Public (Brudno, 9 janvier 1946). Et, accusant Rosenberg, le Ministère Public continue : les idées de Rosenberg ont constitué le fond du mouvement national-socialiste, la participation de Rosenberg, qui a formulé et diffusé l’idéologie nationale-socialiste, a joué un rôle déterminant dans la conspiration, dont elle a constitué la « technique philosophique ».

Je crois qu’en jugeant le cas Rosenberg, il faut se garder de se laisser entraîner par certains raisonnements simplistes et d’y succomber. Ceci s’applique avant tout à l’abus de la notion d’idéologie et à un usage confus de cette nation. En mettant les choses au mieux, c’était une philosophie politique, qui a accompagné les mesures politiques de Hitler et que Hitler a proclamée lui-même dans son livre Mein Kampf, mais non pas une idéologie prise au sens large. Certes, le national-socialisme s’efforçait de se créer une philosophie spirituelle et une idéologie propres, mais il était loin de les avoir encore dégagées.

Le Mythe du XX e siècle de Rosenberg est une tentative dans ce sens ; il constitue une profession de foi personnelle et ne peut avoir déterminé de mesures politiques ; sa philosophie ne peut donc pas non plus avoir constitué le fondement idéologique du national-socialisme. Absolument rien ne prouve non plus qu’il existe une ligne de pensée définie, une causalité spirituelle déterminée entre les conceptions de Rosenberg et les crimes prétendus ou réels. Si l’on veut bien se donner la peine de parcourir le Mythe, on se rendra immédiatement compte qu’il comporte certes une philosophie, au sens national-socialiste du mot, mais que ce serait une pure fiction de prétendre que ce livre contient l’exposé dogmatique d’un programme contestable, et qu’on y trouve la base de l’activité des chefs responsables du Reich au cours de cette guerre mondiale.

Une autre erreur du national-socialisme a peut-être été l’unification immodérée ; les hommes ont été uniformisés, la pensée a été uniformisée, il n’y avait plus qu’un type unique d’Allemand,

Il n’y avait soi-disant qu’une seule pensée nationale-socialiste et qu’une seule idéologie nationale-socialiste. Et cependant, comme il apparaît maintenant, les chefs étaient souvent en désaccord sur des questions essentielles ; je cite la question de la politique à l’Est. Dans ce cas également, on risque de se laisser aller à tout vouloir réduire à l’unité et à dire : une seule idée, une seule philosophie, une seule responsabilité, un crime, un châtiment. Une telle simplification, outre son caractère simpliste, constituerait à coup sûr une grave injustice envers l’accusé Rosenberg.

Enfin, lorsqu’on entend le Ministère Public s’élever contre « le christianisme germanique », contre le « mythe païen du sang » et clouer au pilori cette déclaration de Rosenberg : « Le sang nordique est le mystère qui a remplacé et vaincu les anciens sacrements », que l’on ferme un instant les yeux et on se croira en présence d’un tribunal de l’Inquisition, au moyen âge, qui va condamner Rosenberg l’hérétique aux flammes du bûcher. Pourtant rien ne peut être plus étranger au Tribunal que de laisser le champ libre à l’intolérance, puisque, aussi bien, malgré les efforts de certains représentants du Ministère Public, ce n’est pas sur les idéologies que doivent ici porter les débats, mais sur des crimes. Dans le cas de l’accusé Rosenberg, la question qui se pose est de savoir si son enseignement a préparé et encouragé des crimes. L’Accusation a présenté des arguments dans ce sens, mais n’a apporté aucune preuve. Il m’est possible, à moi, de prouver le contraire en m’en rapportant à l’activité de Rosenberg dans l’Est. S’il avait préconisé et proclamé des idées criminelles, il aurait eu là l’occasion, telle qu’aucun criminel n’en a jamais eu dans l’histoire du monde, de déployer une activité criminelle. J’ai expliqué en détail que nous nous .trouvions précisément en face du cas contraire. Si le représentant et le propagateur d’une idée a, dans l’occasion la plus extrême, agi de façon morale, sa doctrine ne peut en elle-même être ni immorale ni criminelle, et on ne peut en tout cas pas le condamner comme criminel à cause de cette doctrine. Rosenberg ne peut pas être rendu responsable d’actes criminels commis par des dévoyés qui prétendaient agir dans l’esprit national-socialiste. D’ailleurs les trois volumes des discours prononcés par Rosenberg au cours de huit années, et qui constituent l’application de ses théories, sont le témoignage d’un effort qui est tout à son honneur.

Si donc l’on abandonne cette fausse idée d’unité : un Parti, une philosophie, une idéologie, un crime, et on y est contraint car il est indiscutable que Rosenberg lui-même n’a pas suivi dans l’Est une politique d’extermination ou d’asservissement, il faut alors reconnaître que les ordres terribles donnés par le pouvoir exécutif central et la philosophie de Rosenberg n’appartiennent pas à la même réalité ; cette seule raison permet de réfuter toutes les conclusions de l’Accusation.

Karl Marx enseigne que le cours de l’Histoire et la réalité politique et sociale sont conditionnés par le jeu tout fortuit des forces matérialistes. Il est pour le moins douteux qu’il reconnaisse à côté de cela l’action individuelle des hommes et des idées. Rosenberg, en revanche, affirme avec énergie l’utilité et l’efficacité des grandes idées dans l’histoire des peuples, mais il n’oublie pas que tout événement de l’Histoire est la résultante de forces qui forment un tout. La volonté, les passions et l’intelligence des hommes convergent et conditionnent un processus historique imprévisible sur le plan humain. Comme je l’ai déjà dit, pas plus qu’on ne peut considérer les idées de Voltaire ou de Rousseau comme les causes de la Révolution française ou les mots de Liberté, Égalité, Fraternité comme les causes de la Terreur jacobine, et prétendre que Mirabeau et Sieyès ont voulu et préparé sous la forme d’un complot ce rêve sanglant, on ne peut rendre Rosenberg moralement responsable de ce que le nationalisme est devenu après une évolution de dix ans et le considérer comme un criminel. Je crois donc qu’il est aussi injuste que contraire à la vérité historique de considérer les résultats négatifs du national-socialisme d’une manière rétrospective, à la lumière de la terrible débâcle, comme faisant partie d’un plan préparé à l’avance et qui serait inspiré par les idées de Rosenberg.

Si l’on examine l’activité de Rosenberg, à l’erreur d’une unification qui ne correspond pas à la vérité s’ajoute celle de la mécanisation. Il n’y a ni robot ni histoire mécanique ; en fin de compte, l’accusation est construite de façon absolument négative. Elle voit l’accusé d’un point de vue polémique et est influencée par l’excitation des esprits qui caractérise notre époque. Il me faut encore m’élever en quelques mots contre cette déformation de la nature intellectuelle de l’accusé.

La mentalité de l’époque qui a suivi la première guerre mondiale, et celle de l’époque précédente déjà, au cours de laquelle se sont développées les idées de mon client, nous l’avons tous trop bien connue : déracinement des âmes et des esprits sous l’influence de la technique, attirance vers un esprit nouveau et une âme nouvelle. « Liberté » était le mot d’ordre de la jeunesse et « Renaissance » l’aiguillon de sa volonté. Sa nostalgie et son enthousiasme était « La Nature ». Ce sont les contrastes entre riches et pauvres, dont la jeunesse ressentait l’injustice, qui ont engagé les pensées et les désirs de cette génération sur les chemins de la politique ; cette injustice, la jeunesse cherche à y remédier par le socialisme et l’esprit de communauté nationale. En Allemagne, l’évolution vers la politique a été accélérée encore par la catastrophe nationale de 1918-1919 et par le Traité de Versailles dont elle ressentit également l’injustice. L’idée de continuer l’histoire allemande dans une alliance du nationalisme et du socialisme se développa inconsciemment dans le cœur de millions d’hommes, ainsi que l’a prouvé le succès extraordinaire et indiscutable du national-socialisme. Ses bases spirituelles étaient la volonté de s’affirmer à l’extérieur comme à l’intérieur et l’amour des concitoyens et de cette nation même qui, au cours de l’Histoire, avait déjà subi tant de souffrances et de malheurs.

Cette volonté de s’affirmer ainsi que l’amour de son propre peuple et tout le système idéologique national-socialiste se transformèrent inexplicablement en un furieux incendie ; les considérations les plus élémentaires de la raison disparurent, comme effacées par le délire : dans un aveuglement complet, tout fut mis en jeu et tout fut perdu.

Le cas de conscience que Rosenberg n’a jamais cessé de se poser est de savoir s’il aurait pu faire davantage pour la cause qu’il considérait comme juste et digne d’être défendue, alors qu’il a commis des omissions importantes, qu’il s’est montré insuffisant, et quelles sont les manifestations négatives qu’il aurait dû étudier de plus près, dans la mesure où elles lui étaient connues. De telles questions, que se pose tout homme abattu par le malheur, peuvent-elles constituer une preuve objective de sa culpabilité ? Je ne le crois pas.

Le Procureur Général français, M. de Menthon, a déclaré le 17 janvier 1946 (procès-verbal tome V, page 383), et je le cite :

« Nous nous trouvons bien devant une criminalité systématique, découlant directement et nécessairement d’une doctrine monstrueuse, servie avec une volonté délibérée par les dirigeants de l’Allemagne nazie. De la doctrine nationale-socialiste découle directement la perpétration immédiatement poursuivie du crime contre la Paix ».

Afin de réfuter cette assertion, il me faut brièvement exposer cette doctrine.

J’ai rangé l’idéologie nationale-socialiste — en accord, du reste, avec des constatations d’ordre scientifique — dans ce que l’on appelle le néo-romantisme. Ce mouvement déterminé par le destin et historiquement nécessaire, qui, depuis le début du siècle, parcourt le monde civilisé tout entier en réaction contre le rationalisme et l’âge du machinisme, se distingue de l’ancien romantisme en ce qu’il admet l’explication naturaliste et biologique de l’homme et de l’Histoire. Il est soutenu par une croyance solide dans la valeur et le sens de la vie et de toute la réalité. Il n’exalte ni le sentiment ni la raison, mais l’activité la plus profonde de l’homme, le cœur, la volonté, la foi. Cette philosophie porte un caractère national-socialiste en ce qu’elle souligne la signification mystérieuse des peuples et des races dans toute vie et toute activité humaines. Dans le peuple, dans la communauté du sang, de l’Histoire, de la culture, reposent les seules racines de la force. Ce n’est qu’en participant au mouvement et à la force populaires que l’individu sert sa race.

L’apport scientifique de Rosenberg à l’idéologie du peuple consiste dans son exposé de l’ascension et du déclin des grandes configurations historiques, qui trouvent leur source dans les peuples et les races et qui ont donné un style déterminé à tous les domaines de la langue, des mœurs, de l’art, de la religion, de la philosophie et de la politique. Le XXe siècle, selon Rosenberg, lutte pour l’indépendance de la personnalité humaine. D’après la conception de Rosenberg, le noyau en est constitué par le sens de l’honneur. Le mythe de l’honneur national est en même temps le mythe du sang, de la race, qui met en lumière et qui soutient la valeur suprême de l’honneur. La lutte pour cette valeur suprême de l’honneur est donc en même temps une lutte spirituelle avec d’autres systèmes et leurs valeurs. L’intuition s’oppose donc à l’intuition, la volonté à la volonté. Rosenberg s’exprime ainsi (Mythe, Introduction, pages 1 et 2) :

« L’Histoire et la mission de l’avenir ne représentent plus une lutte de classe contre classe, non plus un conflit entre le dogme religieux et d’autres dogmes, mais une lutte définitive entre sangs et sangs, races et races, peuples et peuples. Ce qui signifie : combat de valeurs spirituelles contre valeurs spirituelles. »

Il n’y a donc pas chez Rosenberg de génocide, comme l’affirme Raphaël Lemkin dans Axis rule occupied Europe, page 81, qui arrête cette même citation à « races et races, peuples et peuples », mais il y a combat de valeur spirituelle contre valeur spirituelle, donc un règlement d’ordre spirituel.

Je mentionne cette tendance spirituelle pour expliquer ce fait particulier au national-socialisme, que des considérations politiques raisonnables ont souvent cédé devant le pathétique de la volonté et de la foi. Ce danger est apparu de façon moins évidente chez Rosenberg qu’ailleurs. Du fait qu’il considère le « sol », c’est-à-dire la patrie et son Histoire, et la paysannerie, comme les principales sources populaires, il reste dans le domaine des réalités de la vie. Sans en avoir peut-être conscience lui-même, il a néanmoins été emporté par ce courant.

Il s’agit maintenant de savoir comment cette idéologie s’est manifestée dans la vie politique.

Il est évident que l’importance attachée à la volonté et à la foi donnait une acuité particulière aux exigences politiques. Les revendications politiques de l’Allemagne, après le Traité de Versailles, avaient pour but de restituer à la grande puissance allemande, paralysée, la liberté et l’égalité des droits parmi les peuples. Tel était déjà le but des hommes d’État allemands avant Hitler. Les autres grandes puissances montraient quelque hésitation à reconnaître de nouveau l’Allemagne comme une grande puissance. Rosenberg lutta pour vaincre ces hésitations. Son arme était la plume. Le Tribunal m’a autorisé à soumettre comme moyen de preuve un extrait des discours et des écrits de Rosenberg. J’ai présenté ceux-ci dans mon livre de documents n° 1, tome 2. Étant donné l’abondance de ce matériel, et puisque je désire m’en tenir à l’essentiel, j’en suis réduit à prier le Tribunal de prendre connaissance de mon livre de documents. Je voudrais en premier lieu attirer son attention sur les effets que ces œuvres ont produits sur la jeunesse allemande. Je me permets de rappeler les déclarations du témoin von Schirach à ce sujet. Je répète textuellement :

« Au cours des réunions de chefs de la jeunesse, où Rosenberg prenait la parole une fois par an, il choisissait le plus souvent de sujets éducatifs propres à former le caractère. Ainsi je me souviens qu’il a, par exemple, parlé de la solitude et de la camaraderie, de la personnalité et de l’honneur, etc. Au cours de ces réunions de chefs, il n’a pas prononcé de discours contre les Juifs. Autant que je me souvienne, il n’a pas non plus abordé la question religieuse devant les jeunes, tout au moins si je me souviens bien. Le plus souvent, je l’ai entendu parler de sujets tels que ceux que je viens de citer. »

Effectivement, l’attitude de la jeunesse allemande était meilleure qu’avant l’accession au pouvoir. L’oisiveté, mère de tous les vices, avait disparu. Le travail, l’accomplissement du devoir, l’aspiration vers l’idéal, l’amour de la patrie et la volonté d’avancer l’avaient remplacée. La fatalité a voulu qu’ici aussi la politique hitlérienne appliquât mal ces valeurs.

L’accusation formulée par le Ministère Public suivant laquelle Rosenberg aurait pris fait et cause pour une conspiration contre la paix, pour la haine des races, pour l’anéantissement des droits de l’homme, pour la tyrannie, pour le règne de la terreur, de la violence et de l’illégalité, pour un nationalisme et un ; militarisme sauvages, pour une race des seigneurs allemands, — conceptions qui appartiennent en propre au Ministère Public — il me suffirait de renvoyer aux extraits du Mythe du XX e siècle que l’Accusation elle-même a présentés comme preuve de ses affirmations pour la réfuter. A cet effet, je rappellerai les faits suivants : Pour prouver le caractère honnête de la lutte de Rosenberg pour la paix entre les peuples, je me réfère à son discours, tenu en novembre 1932 devant l’Académie royale de Rome (reproduit dans Sang et honneur, livre de documents 1, page 150). Rosenberg parle, dans son discours de Rome, de l’importance déterminante des quatre grandes puissances et s’écrie :

« Celui qui s’efforce sérieusement de faire de l’Europe l’unité organique d’un grand nombre d’États et non pas un agrégat brutal, celui-là est obligé d’admettre que les quatre grands nationalismes nous ont été donnés par le sort, et devra donc s’efforcer de permettre l’épanouissement de la force qui en rayonne. La destruction d’un de ces centres par une puissance quelconque n’aurait pas pour conséquence une « Europe », mais amènerait un chaos au sein duquel les autres centres de la culture devraient périr. Inversement, seul le rayonnement dans les directions où les quatre grandes forces ne se heurtent pas, permettrait le développement du dynamisme de la vie créatrice, d’une paix organique, et ne signifierait pas comme aujourd’hui un état de contrainte ; il garantirait en même temps aux petites nations une plus grande sécurité que cela ne semble possible aujourd’hui dans la lutte contre les forces élémentaires. »

Rosenberg est resté fidèle à cette ligne de conduite lorsqu’il a été chef de l’Office de politique étrangère du Parti. Malheureusement, il ne pouvait l’exprimer que par la parole. Aucun témoin dans cette salle n’a pu certifier que Rosenberg ait eu une influence effective sur la politique étrangère, qu’elle ait été dirigée par Neurath, par Ribbentrop, par Göring ou par Hitler lui-même. Son nom n’a été mentionné ni à propos de l’Autriche ni de la Tchécoslovaquie ni de la Pologne, ni de la Russie, et jamais on n’a pu lui reprocher d’avoir participé aux guerres d’agression. Toujours on le plaça devant le fait accompli. On ne lui confia de mission, dans la guerre contre l’Union Soviétique, que lorsque cette guerre était déjà devenue une certitude. Il n’a pas poussé à la campagne de Norvège, mais simplement, comme c’était son devoir, transmis des informations personnelles.

En ce qui concerne les discours et les écrits de Rosenberg sur la politique étrangère en général, il a défendu l’annexion des Autrichiens, exclus du Reich par la force, en se basant sur le droit des peuples à disposer librement d’eux-mêmes, droit que les Alliés avaient eux-mêmes proclamé. La révision du Traité de Versailles était une exigence de l’équité contre la violation de l’accord du 11 novembre 1918. L’exigence d’une armée pour l’Allemagne était, devant le non-désarmement des autres nations, une défense de l’égalité des droits promise solennellement.

Je passerai maintenant au point de l’accusation concernant la haine raciale. Les opinions de Rosenberg en matière raciale s’appuyaient sur les recherches raciales des savants de tous pays. Rosenberg a déclaré à plusieurs reprises — je me réfère une fois. encore au livre de documents 1, volume 2 — que ses exigences en matière de politique raciale n’étaient pas motivées par le mépris des races, mais par leur respect. Je cite la page 70 : « L’idée morale directrice d’une explication de l’histoire mondiale par les lois de l’hérédité s’applique à notre temps et à notre race ; elle s’accorde parfaitement avec le véritable esprit du mouvement eugéniste moderne envisagé du point de vue patriotique, c’est-à-dire le maintien et le développement des meilleures forces héréditaires, qu’elles soient de nature spirituelle, morale, intellectuelle ou corporelle au bénéfice de la patrie ; c’est le seul moyen d’assurer la pérennité de nos institutions ».

Ces paroles représentent l’idée qui préside aux exigences de Rosenberg ; toutefois, elles ne sont pas de lui, mais de Henry Fairield Osborn, professeur à l’Université de Columbia, à propos de l’œuvre de son éminent collègue Madison Grant : Le déclin de la grande race. Ces recherches conduisirent dans d’autres États, bien avant le IIIe Reich, à une législation eugéniste et à la loi américaine sur l’immigration, en date du 26 mai 1924, dont le but était d’endiguer fortement l’immigration provenant de l’Europe méridionale et orientale et de favoriser en revanche celle qui provenait de l’Europe septentrionale et occidentale.

Je crois qu’il est inutile de dire ici que je n’entends pas défendre, sous prétexte d’eugénisme, l’assassinat des aliénés en Allemagne. Rosenberg n’a d’ailleurs absolument rien à voir avec des mesures de ce genre.

L’accusé Rosenberg se préoccupait lui aussi de rendre le peuple allemand, et même la race aryenne, plus forts et plus fermes dans le domaine spirituel. C’est dans cet esprit qu’il faut considérer son idéologie, et particulièrement celle du Mythe du XXe siècle. En proclamant l’importance de la race dans l’Histoire, il n’avait pas pour but, je le répète, le mépris d’une race, mais bien le respect de la race, et c’est au peuple allemand qu’il demandait de reconnaître l’idée de race, et non aux autres peuples. Il considérait les peuples aryens comme les plus importants de l’Histoire. Et si, ce faisant, il a sous-estime la valeur d’autres races telles que la race sémite, il n’a néanmoins pas pensé au seul peuple allemand lorsqu’il chantait les louanges de la race aryenne, mais aux peuples européens en général. Je rappelle le discours qu’il a prononcé à Rome en novembre 1932.

Je demeure dans le cadre de la vérité historique en rappelant que l’anti-judaïsme n’est pas une invention du national-socialisme. La question juive est depuis des millénaires un problème mondial. Tissée d’éléments irrationnels, elle n’est, dans une certaine mesure, compréhensible que du point de vue de la Bible. Rosenberg était un antisémite convaincu et il a exprimé, par écrit et oralement, ses convictions et ce sur quoi il les fondait. J’ai déjà fait ressortir que des personnalités aussi différentes que celles de von Papen, von Neurath et Raeder s’étaient ralliées à l’opinion suivant laquelle toute la vie publique était à ce point saturée par l’élément juif qu’un changement était nécessaire. Cette situation, telle qu’elle se présentait dans la réalité, le fait que les Juifs d’Allemagne s’entendaient à répondre aux attaques selon la loi du talion, avaient envenimé le combat antisémite dès avant la prise du pouvoir.

Je désirais présenter au Tribunal un florilège de la littérature juive dirigée alors contre le sentiment national ; le Tribunal a déclaré que cette demande n’était pas pertinente ; puisque ces assertions n’ont pas encore été déposées comme preuves, je ne puis en parler. Mais c’est une injustice envers Rosenberg que de prétendre qu’une haine aveugle envers le peuple juif l’a poussé dans la voie de cette polémique contre les Juifs. Il s’appuyait sur des faits concrets prouvant l’activité de désagrégation des Juifs.

Il semblait que le programme du Parti, selon lequel les Juifs devaient recevoir le statut des étrangers, dût se réaliser. Sans doute Goebbels avait-il mené toute une journée le boycottage des magasins juifs. Mais Rosenberg a déclaré, à l’occasion de l’anniversaire du Traité de Versailles, dans son discours du 28 juin 1933 dans la salle des séances du Reichstag, à l’Opéra Kroll : « Il n’est pas nécessaire que, dans la capitale du Reich, 74 % des avocats soient Juifs et que les hôpitaux de Berlin aient 80 à 90 % de médecins juifs ; 30% d’avocats juifs suffiraient à Berlin ». Dans son discours au congrès du Parti en septembre 1933, Rosenberg a encore déclaré à ce sujet, je le cite :

« Le Gouvernement allemand a, d’une manière chevaleresque, excepté des pourcentages réglementaires les Juifs qui ont combattu sur le front pour l’Allemagne ou qui ont perdu un fils ou un père à la guerre » (livre de documents 1, page 153 a).

Dans son discours à l’Opéra Kroll, Rosenberg a expliqué, pour justifier ces mesures, qu’il ne s’agissait pas de discriminer tout un peuple, mais qu’il était nécessaire que la nouvelle génération allemande, qui avait connu la faim et la mendicité durant des années, se remît dorénavant au travail et mangeât à sa faim. Malgré son opposition acharnée aux Juifs, il n’a jamais voulu leur extermination mais il préconisait comme premier objectif l’exclusion des Juifs de la vie publique, c’est-à-dire de les soumettre au droit des étrangers et de leur accorder la même protection qu’aux étrangers. Il a accordé ainsi aux Juifs une participation, suivant un certain pourcentage, aux professions non politiques, participation qui a toujours dépassé de plusieurs multiples le pourcentage des Juifs dans la population allemande. D’ailleurs son but lointain était l’émigration des Juifs en dehors des pays habités par les peuples aryens. Il ne comprenait pas quelle perte considérable une telle émigration constituerait pour les peuples aryens eux-mêmes dans les domaines culturel, économique et politique. Mais il faudra toujours lui accorder qu’il pensait qu’une telle émigration des Juifs leur serait utile à eux-mêmes, d’abord parce qu’ils seraient ainsi enfin libérés de toutes les persécutions antisémites, et ensuite parce qu’ils pourraient vivre ainsi sur leur propre territoire et mener sans empêchements l’existence qui leur convenait.

La terrible tournure que la question juive a prise sous Hitler et que celui-ci justifiait comme une réaction contre la politique des émigrants, personne ne la déplore davantage que Rosenberg qui se fait à lui-même le reproche de n’avoir pas protesté contre l’attitude de Hitler, Himmler et Goebbels, comme il l’avait, fait contre l’accusation de Koch en Ukraine. Rosenberg n’hésite pas à déclarer non plus que la proposition qu’il a faite à Hitler de fusiller non pas cent Français mais cent Juifs en représailles des assassinats continuels de soldats allemands, était, bien qu’il crût au bien-fondé de cette mesure, une injustice née des circonstances du moment, parce qu’en considérant les choses d’un point de vue purement humain les conditions de base d’une telle proposition, c’est-à-dire une participation active des Juifs en question, n’existaient pas.

Je suis revenu encore une fois sur cette affaire parce que c’est à mon avis le seul cas où Rosenberg a souhaité que fussent exercées des représailles entraînant la mort de Juifs. Je dois même souligner vivement qu’il n’existe aucune preuve du fait que Rosenberg a été au courant de l’extermination de 5.000.000 de Juifs. L’Accusation lui reproche d’avoir préparé en 1944 un congrès antisémite international, que seuls les événements de la guerre ont empêché de voir le jour. Quel sens aurait pu avoir un tel congrès si Rosenberg avait su que la majorité des Juifs avaient été exterminés en Europe ?

Rosenberg n’avait aucune confiance dans la démocratie parce qu’elle avait pour conséquence en Allemagne un grand morcellement des partis, de très fréquents changements de gouvernements et parce que, finalement, elle rendait impossible la formation d’un gouvernement capable de travailler. Il n’avait non plus aucune confiance dans la démocratie parce que les puissances démocratiques, en dehors de l’Allemagne, n’appliquaient pas leurs principes démocratiques dans bien des cas où ils auraient joué en faveur de l’Allemagne : par exemple, en 1919, au sujet de la volonté de rattachement exprimée par l’Autriche et plus tard lors du plébiscite de Haute-Silésie. Mais Rosenberg ne se tournait pas pour cela vers la tyrannie. A la page 46 de ses commentaires sur le 25e point du programme du Parti, il déclare :

« Ce pouvoir central » — il veut parler de celui du Führer — « doit maintenir à titre consultatif les représentations populaires ainsi que les assemblées issues de la vie organique » (livre de documents 3, page 6). Et dans son discours de Marienburg, le 30 avril 1934, intitulé « l’État communautaire allemand », il déclarait que l’État national-socialiste devait être une monarchie reposant sur une base républicaine. Je cite :

« Considéré de ce point de vue, l’État n’est plus en lui-même une fin qu’il faut diviniser, ni le chef de l’État un César, un dieu ou un représentant de Dieu » (livre de documents 1, page 131).

Dans son discours sur le « Droit allemand » du 18 décembre 1934, Rosenberg a affirmé : « A nos yeux le Führer n’est jamais un chef tyrannique » (livre de documents 1, page 135). Ce n’est que par de telles déclarations qu’il était possible de protester contre l’évolution vers la tyrannie.

L’évolution a dépassé Rosenberg et a dégénéré. Rosenberg s’en est aperçu lui-même comme ministre de l’Est. Rosenberg était justement un idéaliste, mais il n’était pas l’homme sans scrupules qui poussait l’État ou le Führer au crime. C’est pourquoi je ne crois pas exacte l’accusation portée contre lui par M. Justice Jackson (page 8), selon laquelle Rosenberg aurait appartenu au groupe des hommes qui ont été en Allemagne « les symboles de la haine des races, du règne de la terreur et de la violence, de la démesure et de la cruauté de la puissance ».

Si l’on parcourt les écrits de Rosenberg, on y trouve au contraire des déclarations et des opinions qui donnent une impression de parfaite tolérance. Il dit, par exemple, dans son Mythe, en parlant de l’Église nationale qu’il voulait réaliser :

« Une Église allemande ne peut énoncer un dogme impératif auquel chacun de ses fidèles devrait croire sous peine de perdre son salut éternel. »

Dans le discours intitulé « L’idéologie et l’enseignement religieux », tenu le 5 novembre 1938 à l’université de Halle-Wittenberg,

11 réclamait la tolérance envers toutes les confessions et « un profond respect pour toute foi sincère », et dans ce discours « pour la liberté de pensée allemande » du 6 juillet 1935, il intervenait aussi en faveur de la liberté de conscience. Aucun document n’a été présenté dans lequel Rosenberg demandât que des poursuites pénales fussent exercées contre l’un de ses nombreux adversaires idéologiques, bien que leurs attaques violentes contre ses opinions eussent facilement pût l’y pousser.

On a également élevé contre Rosenberg l’accusation de militarisme et de « soldatisme ». Rosenberg était en fait un admirateur de l’état militaire et de la vie héroïque du soldat, mais aussi de la vie paysanne considérée comme base de la nation. Il soutenait d’une part la création d’une armée populaire, d’abord vis-à-vis de l’étranger pour faciliter les possibilités d’alliances de l’Allemagne, et d’autre part vis-à-vis du pays lui-même pour faciliter les possibilités d’entraînement et d’éducation physique du peuple. Mais il se défend d’avoir pensé à la conquête du monde. Je puis à ce sujet renvoyer à son discours intitulé « Du rôle mondial de l’Allemagne » du 30 octobre 1933. Il y offrait, à la suite du départ de l’Allemagne de la Société des Nations, une entente pacifique à la Russie soviétique (livre de documents 1, page 147). Je cite ce passage parce qu’il prouve également que le national-socialisme ne voulait pas s’immiscer dans les affaires intérieures des autres États :

« Nous sommes prêts à tout moment à maintenir des relations parfaitement correctes avec la Russie soviétique parce que, bien entendu, nous ne voulons pas nécessairement transposer une idéologie sur les plans de la politique extérieure et des relations entre les États ». Et, dans le même discours, il souligne le fait que l’adhésion à une idéologie qu’il nomme science des races « n’est pas un appel à la haine des races, mais au respect des races » (Sang et honneur, page 377).

M. Jackson a appelé le nationalisme de Rosenberg un nationalisme « sauvage ». Il était passionné. Mais Rosenberg voulait précisément éviter par là au peuple une lutte des classes qui menaçait son existence et, de plus, il faut dire, pour être bien compris...

LE PRÉSIDENT

Docteur Thoma, le Tribunal aimerait que vous finissiez votre exposé avant la suspension d’audience de midi. Peut-être vous serait-il possible d’en résumer quelques passages ?

Dr THOMA

Oui, Monsieur le Président, je vais tenter de le faire. J’en reviens à parler des assertions de M. Jackson selon lesquelles Rosenberg aurait fait preuve d’un nationalisme sauvage. Je voudrais simplement dire à ce sujet qu’un pareil nationalisme est un phénomène de compensation qui apparaît facilement chez un peuple vaincu. Quant au reproche d’anti-christianisme et de néopaganisme que l’on a fait à Rosenberg, j’en ai déjà parlé. En ce qui concerne l’expression « race des seigneurs », j’ai fait remarquer que ce mot n’a jamais figuré dans les écrits de Rosenberg. Pour le programme du Parti, j’ai dit que ce n’est pas Rosenberg qui en a établi le projet mais qu’il l’a simplement commenté et que ce qui importe n’est pas le contenu de ce programme mais bien ses résultats. J’ai fait remarquer que le témoin Funk avait déclaré que sa première activité et son premier programme de ministre n’étaient absolument pas une application du programme du Parti mais était simplement un programme démocrate et libéral. Le programme du Parti ne fut observé ni dans le sens négatif ni dans le sens positif. Il a simplement été déterminé, comme dans d’autres États, par la nécessité générale.

Messieurs, j’en reviens à l’accusation portée contre Rosenberg d’avoir été mandaté par le Führer pour exercer un contrôle sur toute l’éducation spirituelle et philosophique de la NSDAP. J’ai fait remarquer, au moment de la production de l’affidavit du Dr Eppe, que Rosenberg n’avait, à titre de directeur de cet office, aucun pouvoir exécutif et qu’il considérait que cet office avait pour mission d’éditer des publications scientifiques et artistiques, tels que les Cahiers mensuels du national-socialisme, dont le contenu politique et polémique le céda de plus en plus, à partir de 1933, à des questions historiques, culturelles et scientifiques. Toute la littérature qui a été déposée montre que Rosenberg n’a pas utilisé la mission qui lui avait été confiée pour semer la haine. L’essentiel de toute son œuvre, à partir de 1933, consista à approfondir et à pousser les talents positifs qui se révélaient. Enfin, j’ai expliqué que c’est précisément le service de politique étrangère qui avait pour tâche essentielle de guider et d’influencer les phénomènes culturels.

J’en arrive, Messieurs, au thème de « la morale, élément de l’accusation ». Je voudrais prier le Tribunal de considérer ce thème comme exposé, même si je ne le présente pas ; il s’agit des pages 82-a à 82-gf. Je prie le Tribunal de m’autoriser à ne pas en donner lecture et à les faire néanmoins figurer au procès-verbal. Je passerai maintenant à la conclusion...

LE PRÉSIDENT

Docteur Thoma, votre exposé sera considéré comme ayant été présenté intégralement au Tribunal. Même si vous le résumez, il figurera intégralement au procès-verbal. Le Tribunal en prendra connaissance.

Dr THOMA

Je vous remercie, Monsieur le Président. (Passages résumés par le Dr Thoma ou dont il n’a pas donné lecture)

De plus, l’Allemagne était, au centre de l’Europe, exposée depuis toujours A tant de dangers politiques et militaires que les milieux militaires allemands, surtout après, l’occupation de la Ruhr en 1929, ne pouvaient pas ne pas être particulièrement sensibles quant à leur amour-propre national. En tant qu’Allemand de la Baltique il avait été élevé dans un sentiment national qui attendait plus de l’affirmation de son caractère national et de son éducation militaire que des déceptions que lui avaient apportées jusqu’à présent les négociations internationales. Il était toujours prêt à une entente sur la base d’une représentation de droits égaux, document PS-003 (USA-603).

On a, en outre, toujours reproché à Rosenberg son anti-christianisme et son néo-pagisme Sans doute cette accusation n’a pas été élevée sur la base de ses principes, mais en raison des persécutions de la religion chrétienne sous toutes ses formes qui en ont été le résultat Rosenberg était un adversaire du christianisme sous les formes historiques — comme il le dit lui-même — qu’il a revêtues jusqu’à ce jour, de même qu’il l’était du judaïsme. Il voulait remplacer le christianisme par un sentiment religieux idéaliste, raciste et national qui aurait été une émanation du sang et du sol. Il, de ce fait, attaque, dans le domaine des idées, le christianisme et le judaïsme et il espérait que les Eglises chrétiennes dépériraient au sein du peuple allemand, mais il ne faut pas oublier de reconnaître à l’actif de Rosenberg qu’il n’a pas provoqué de persécutions violentes.

Il a mené cette lutte dans le domaine de l’esprit. Ici encore, de même qu’il réclamait la liberté de conscience pour lui-même, il défendait la liberté de conscience des autres, et il a souligné qu’avec son Mythe et son nouveau sentiment religieux il ne cherchait pas a égarer ceux qui croyaient en l’Eglise mais qu’il voulait procurer une nouvelle discipline intérieure a ceux qui avaient perdu la foi religieuse.

L’expression « race des seigneurs », autant que je sache, n’apparaît nulle part dans les écrits de Rosenberg, parce qu’elle ne s’intègre pas à l’idéologie de Rosenberg, qui est issue de la race en tant que loi d’ordre général. C’est pourquoi Rosenberg ne parle des races nordique, méditerranéenne ou dinarique que par rapport a des races biologiquement différentes, c’est-à-dire non pas en leur appliquant un jugement de valeur, mais en considérant les réalités raciales, en tendant hommage à toute l’humanité européenne

En ce qui concerne le programme du Parti, ce n’est pas, contrairement aux affirmations du Ministère Public, Rosenberg qui l’a établi. Comme tant d’autres choses, la signification et les effets du programme du Parti ont été surestimés et exagérés. Une des premières actions du Gouvernement national-socialiste a été d’établir un programme de reconstruction, dont l’accusé Funk a dit que, pratiquement, tout autre gouvernement libéral au démocratique aurait pu l’accepter également Plutôt que de briser la servitude du capitalisme, on réclame le rétablissement d’une saine économie de la monnaie et du crédit. Je pourrais encore citer de nombreux exemples, notamment le programme de statut des étrangers pour les Juifs, qui n’a pas été applique Par la suite également, le programme du Parti n’a été observé ni dans le sens positif, ni dans le sens négatif. On s’est contenté de gouverner, comme dans d’autres pays, en se conformant aux nécessités du moment.

Toute l’idéologie de Rosenberg, journaliste et écrivain, s’est trouvée exacerbée et a constitué, selon l’Accusation, une menace pour la paix, du fait que Rosenberg avait été chargé par le Führer de superviser l’ensemble de l’éducation ; et de la formation idéologiques de la NSDAP. Comment a-t-il été amené à prendre ces fonctions ?

Partant des expériences acquises dans le travail d’éducation du Parti, le chef de l’organisation du Parti demanda à Rosenberg s’il ne voulait pas se charger de l’ensemble des questions spirituelles. Rosenberg y consentit, si tel était le désir du Führer. Sur ces entrefaites, Hitler le nomma, le 24 janvier 1934, chef du service en question. C’était un bureau du Parti qui n’avait aucun rapport avec l’école (comme on le suppose à tort). Le service n’avait aucun pouvoir pour donner des instructions aux administrations de l’État ; toute correspondance éventuelle avec celles-ci devait même passer par la Chancellerie du Parti. Le droit d’interdire des livres, etc., n’était pas prévu non plus. Il n’avait même pas le droit de donner des instructions au Parti et cela d’autant plus que les dirigeants de l’enseignement des organisations se trouvaient également placés sous les ordres de Retchsleiter (SA, SS, Jeunesses hitlériennes). Aussi, dès l’origine, Rosenberg n’a-t-il pas conçu son travail comme celui d’une police des esprits, mais comme une œuvre de direction, d’unification, comme le point de rencontre de l’expression et de la réalisation de la force de persuasion avec l’initiative objective et personnelle.

Dans les Gaue, il ne possédait pas de bureaux, même pas de représentants spéciaux ; il accepta que les chefs de l’éducation dans les Gaue fussent en même temps ses délégués afin d’être malgré tout en liaison avec l’éducation telle qu’elle était pratiquée dans le pays.

Le service eut à s’occuper, avec le temps, de nombreuses questions, mais son importance resta néanmoins limitée.

Il se divisait en différentes sections de travail : éducation et enseignement proprement dits, activité littéraire, sciences intellectuelles, culture et problèmes généraux. Afin de recueillir l’expérience acquise, Rosenberg convoquait environ deux fois par an ce qu’on appelait la Communauté de travail pour l’éducation du Mouvement". Les délégués à l’éducation de la direction politique et des différentes organisations y étaient représentés. Ils rendaient compte de leur travail et formulaient leurs désirs. S’inspirant de ces désirs, Rosenberg a fait de nombreux exposés dans les Gaue, sur des sujets appropriés ; il a également incité ses collaborateurs et toutes les organisations à traiter ces questions. Ce sont ces deux conférences de l’éducation que l’Accusation a citées (procès-verbal du 9 janvier 1946, tome V, p. 54) à cause de leur prétendue vaste influence sur les écoles publiques-, comme étant le signe d’une activité criminelle. Cette œuvre de redressement général trouve surtout son expression dans les périodiques publiés par les bureaux du service de Rosenberg : d’abord dans les N. S. M o n a t s-h e f t e (Cahiers mensuels du national-socialisme), dont le contenu, polémique et politique, perdit, après 1933, graduellement de son Importance au profit de questions d’ordre historique, culturel et scientifique. Die Kunst im deutschen Reich (L’art dans le Reich allemand) se bornait à présenter, le mieux possible et sans aucune analyse, les plus belles œuvres de l’art contemporain. Die Bucherkunde (La connaissance des livres) publiait tous les mois une vue d’ensemble des livres et de l’activité littéraire. La revue mensuelle M u s i k s’occupait surtout de l’art sérieux, cultivant les classiques allemands, sans faire preuve toutefois d’aucun parti-pris envers les nouveaux venus. La revue Germanisches Erbe (Le patrimoine allemand) rendait compte des recherches faites dans le domaine de l’histoire ancienne, tandis que Die deutsche Volkskunde (Le folklore allemand) était consacrée au théâtre, à la chanson populaire et aux mœurs régionales. Die deutsche Dramaturgie (La dramaturgie allemande) étudiait les problèmes et les tendances du théâtre contemporain.

En outre, il y avait des expositions spéciales consacrées à l’œuvre de grands artistes, organisées dans le palais des expositions de Rosenberg à Berlin, et des expositions de livres dans différentes villes.

Il n’est pas du tout exact, comme l’a déclaré ici le Ministère Public, que Rosenberg ait usé de ses fonctions pour semer la haine. L’essentiel de tout son travail, après 1933, a été consacré à approfondir et à aider largement les nouveaux talents réels. Le caractère polémique et politique de son activité s’est presque entièrement effacé au cours de ces sept années. S’il n’y avait pas les difficultés de langue, on pourrait en parcourant ses écrits et ses discours, constater chez Rosenberg un effort loyal, qu’il s’adressât à la jeunesse, aux techniciens, aux professeurs, aux juristes, aux travailleurs, aux femmes, à des réunions de recherches historiques ou à la société nordique.

Les chefs de ses bureaux ont favorisé la publication ou la création d’œuvres de valeur : classiques de la musique, histoire des races allemandes ouvrages de politique internationale, évolution de la demeure paysanne, etc. Dans les jours tourmentés que nous vivons, on veut tout ignorer de cet aspect d’une œuvre ; je ne fais d’ailleurs que l’effleurer, mais je souligne qu’à partir de 1933 elle est apparue de plus en plus comme la part la plus importante de l’activité de Rosenberg et qu’elle dénote son intention de se consacrer entièrement, plus tard, à l’étude et aux recherches scientifiques et culturelles. J’en reparlerai brièvement par la suite.

S’opposant à maints jugements, nécessaires à l’origine mais peut-être étroits dans l’appréciation de certaines personnalités, Rosenberg, parlant aux universités de Halle et de Munich a détendu aussi bien le droit de traiter les nouveaux problèmes de notre époque que l’indépendance de la pensée scientifique. Il a déclaré que nous devions nous sentir les frères spirituels de ces hommes qui, au moyen âge, ont brandi le drapeau de la recherche libre i (livre de documents 1, page 134). Dans une déclaration officielle, il s’est élevé contre les tentatives faites en vue d’identifier certaines théories scientifiques et physiques avec le Parti, en dénonçant cette menace de sectarisme. « Ce n’est pas la tâche du mouvement national-socialiste, a-t-il dit dans un discours sur Copernic et Kant, prononcé le 19 février 1939, que d’imposer à la science des prescriptions quelconques comme étant nécessairement liées à notre Idéologie » (livre de documents 1, page 173).

Lorsque apparut, à l’occasion des efforts culturels — par ailleurs louables — faits par le Front allemand du Travail (DAF), une tendance à la quantité (chiffres maxima de visiteurs, etc.), il se prononça sans ambages pour l’affirmation de l’individu. Il condamna cet était d’esprit dans un discours adressé à la jeunesse en disant : « L’art et la culture ne sont pas des articles de confection que l’on peut se procurer dans un grand magasin » (livre de documents 1, page 155). On lui reproche d’avoir empoisonné la jeunesse ; au contraire, il a demandé (livre de documents 1, page 161) que tous ceux qui étalent chargés de diriger des jeunes fissent preuve de compréhension en matière d’instruction et il a désapprouvé que l’on donnât des ordres sur le terrain spirituel.

A rencontre de tout collectivisme, il inculque à la jeunesse — comme on l’a déjà dit — à côté de la camaraderie, l’affirmation de l’individu et le droit à l’isolement.

Lorsque, à la suite de certaines expériences, de nombreuses critiques furent adressées au corps enseignant, Rosenberg craignit qu’un discrédit général n’en rejaillit sur la profession. Dans deux discours, il prit position contre ce danger : au cours d’une grande réunion, en octobre 1934, à Leipzig, et au Congrès de l’union du corps enseignant national-socialiste à Bayreuth (livre de documents 1, page 162) il déclara que le mouvement national-socialiste défendrait aussi bien l’honneur du corps enseignant qu’il avait défendu celui des autres professions.

Ces brèves remarques ont pour but d’exprimer que, dans le domaine de l’esprit, Rosenberg a défendu, par son œuvre de direction et d’unification, les valeurs culturelles ainsi ! que les droits de la personnalité, et cela par la conviction de son attitude et de ses arguments. Dans le Parti ce n’était un secret pour personne que cette activité s’opposait profondément à celle du ministre de la Propagande. De prime abord, Rosenberg avait considéré qu’il était malheureux d’avoir réuni en un seul ministère la culture et la propagande. Pour lui, l’art était une conviction, la propagande une activité tactique. Cet état de choses ne pouvait être modifié de prime abord et Rosenberg exprima sa position en ne participant à aucune des séances annuelles de l’assemblée culturelle du Reich, dans le ferme espoir de voir triompher un jour une autre opinion.

Bien des choses qu’a dites Rosenberg n’ont pas manqué leur effet et ont évité bien des erreurs. D’autres, très nombreuses et les plus importantes, n’arrivèrent pas à percer parce que les pouvoirs législatifs et exécutifs de l’Etat reposaient dans d’autres mains qui, en fin de compte, de par les conditions créées par la guerre et malgré tant d’esprit de sacrifice, déterminèrent non pas le développement de l’idéal national-socialiste, mais sa dégénérescence ; et cela dans une mesure que Rosenberg ne pouvait soupçonner.

Il était apparu que les bases nécessaires à la formation idéologique du Parti étaient insuffisantes ; aussi, dès 1935 environ, on chercha à créer un centre sérieux de recherches et d’études. On imagina sous le nom d’Ecole supérieure, une institution qui devait être une sorte d’université. Rosenberg considérait cette création comme l’œuvre de sa vie. Etant donné qu’il fallait plusieurs années pour se procurer le matériel d’études et choisir les personnalités, le Führer chargea Rosenberg, à la fin de janvier 1940, de continuer dans le cadre d’une mission officielle les travaux préliminaires qui avaient été entrepris. Contrairement à ce qu’affirme l’Accusation (procès-verbal du 9 janvier 1946, tome V, page 55), cette école supérieure n’avait rien à voir avec l’Etat-Major spécial Rosenberg,, dont on n’avait pas encore formé le projet.

M. Justice Jackson a exprimé, dans son exposé du 21 novembre 1945, le désir que ce Procès puisse être considéré par les générations futures comme la satisfaction des aspirations humaines vers la justice. M. Jackson a déclaré en outre que son accusation portait sur un comportement qui, dans son plan et ses intentions, était criminel du point de vue moral et du point de vue légal. Dans son rapport du 7 juin 1945, M. Justice Jackson a indiqué en outre que dans ce Procès devaient être punis les actes qui ont depuis toujours été considérés comme des crimes et que toute législation civilisée désigne comme tels. Le problème le plus délicat, la mission la plus élevée et la plus haute responsabilité se concentrent pour le Tribunal sur ce seul point : qu’est-ce que la justice dans ce Procès ?

Nous n’avons pas de code, nous n’avons même pas, si étrange que cela puisse paraître, de notions de morale bien déterminées sur les relations de paix et de guerre entre les peuples. C’est pourquoi l’Accusation a dû se contenter de termes généraux : « Conception civilisée du Droit », « conception traditionnelle de légalité », « conception juridique appuyée sur le bon sens en ce qui concerne la justice » ; elle a parlé de lois humaines et divines « (Mounier. le 7 février 1946, procès-verbal, tome VII, page 85) ; la Convention de La Haye se réfère dans son préambule aux lois de l’Humanité, et aux exigences de la conscience publique.

La base de la justice est, sans aucun doute la morale ; si donc nous voulons rechercher ce qu’est le mal parmi les peuples, ce qui contrevient à la conception, exprimée dans le Droit international, de justice parmi les peuples, il nous faut placer la question sur le terrain de la morale. On répondra : est moral ce que notre conscience nous désigne comme tel. Mais quelle est la raison première de la distinction morale, la jouissance et le bonheur de l’individu ou bien le progrès, la perfection, l’existence de l’individu, d’un peuple, de l’humanité ou bien la vertu, ou encore le devoir ? Comment reconnaîtrai- je le bien du mal ? Par intuition ou par expérience ou au moyen d’une doctrine autoritaire ou religieuse ? Où sont le bien et le mal dans les agissements de l’État, où sont le bien et le mal dans les relations des Etats et des peuples entre eux ? Y a-t-il une différence entre morale publique et morale privée ? L’État peut-il mal agir ? De saint Augustin à Hegel, en passant par Machiavel, Nietzsche, Tolstoï et les pacifistes, les réponses les plus diverses ont été données sur ce sujet à l’humanité. De plus, existe-t-il des lois morales bien déterminées députe les temps les plus reculés ou bien l’évolution des idéaux des peuples a-t-elle amené aussi une évolution de la morale ? Qu’en est-il aujourd’hui ?

J’ai déjà dit qu’à mon avis la guerre elle-même constitue une monstruosité et un crime de l’humanité contre elle-même et contre les lois de la vie. Mais c’est une question toute différente que de savoir si cette conviction a déjà pénétré la conscience de l’humanité. Nous nous sentons supérieurs à la morale d’autres peuples et d’autres époques et nous nous étonnons par exemple que les représentants les plus élevés de la morale grecque, tels que Platon ou Aristote, aient admis l’abandon des enfants et l’esclavage, ou qu’aujourd’hui encore, dans certaines parties de l’Afrique orientale, ce soient les pillages et le meurtre qui donnent à un homme le cachet de l’héroïsme ; d’autre part, on peut absolument concilier avec notre conception actuelle de la morale le fait que, pendant les guerres, des centaines de milliers d’hommes soient tués et que les acquisitions de la prospérité et de la culture humaines soient anéantis. Cela n’est considéré comme le mal ni moralement, ni légalement.

Si l’Accusation reproche donc à l’accusé d’avoir mal agi dans le sens moral, il lui appartient de convaincre le Tribunal en exposant les conditions exigées pour la condamnation des accusés à la suite des crimes commis, car, d’après la morale internationale existante, tuer quelqu’un en temps de guerre n’est pas un meurtre, au sens de la législation pénale et, d’autre part, les mesures prises par un État souverain en temps de guerre ou en temps de paix n’ont jamais été considérées comme des délits au sens de ces législations ou comme des actes immoraux punissables en vertu des conceptions juridiques de l’humanité civilisée. Le christianisme nous apprend qu’il faut rendre le bien pour le mal et aimer son ennemi : depuis 2.000 ans c’est une religion universelle ; mais beaucoup sourient, aujourd’hui encore, lorsqu’on veut appliquer ces principes aux relations mutuelles des peuples. Le Ministère Public veut satisfaire le désir de l’humanité de taire enfin peu à peu des progrès dans cette direction et il essaie de taire surgir de ce Procès des « règles évidentes », mais il commet l’erreur de vouloir taire des conceptions traditionnelles de légalité et des lois pénales civiles le contenu de la conscience publique qui n’existe pour ainsi dire pas encore et qu’on ne peut maintenant demander aux accusés d’observer.

Il est exact, sana doute, qu’il se produit aujourd’hui un revirement dans la pensée morale de l’humanité, une genèse nouvelle de la morale des peuples, et que le Procès qui se déroule devant ce Tribunal signifie un pas en avant dans ce monde’ nouveau. Mais il mie paraît douteux qu’il soit juste de faire pénétrer une nouvelle justice dans la conscience de l’humanité, en taisant des accusés un exemple.

Il est facile de parler de lois humaines et divines ou bien des exigences de la conscience publique, mais nous tombons dans le plus grand embarras lorsqu’il s’agit de répondre à cette question : de quelle nature est la morale privée, quel est son contenu, quand une action est-elle immorale d’après la morale privée ? Dans leur désarroi en face du bien et du mal, les uns se tournent vers la religion ; d’autres sont instruits par l’expérience et l’éducation ; d’autres enfin ont recours aux philosophes.

De plus en plus, l’Etat tend à assumer l’éducation morale de ses citoyens, non seulement au moyen des lois pénales, mais encore au moyen de l’éducation politique ou quel que soit le nom dont on désigne cette tendance. Non seulement l’Etat national-socialiste, mais tous les Etats autoritaires du monde marquent un gros point d’avance sur les États libéraux : ils ont inculqué à leurs citoyens des principes moraux de nature privée et publique. Ils se sont faits les hérauts de valeurs morales telles que la loyauté, l’honneur et la discipline. Il en résulte, pour les citoyens isolés, une plus grande facilité de réflexion sur la morale privée et publique et, marqués de l’empreinte de ces valeurs suprêmes, ils se sentent vis-à-vis d’elles marqués d’obligations précises. Le peuple allemand, résigné et fatigué par des luttes militaires et des ébranlements religieux continuels, a suivi volontiers le national-socialisme lorsque celui-ci a tait de son éthique un credo ; il s’est, lui aussi, lancé dans l’incertain, non dans l’idée d’apprendre ainsi comment tromper les hommes, les asservir, les voler, les tuer, les martyriser (Cf. Mounler, procès-verbal du 7 février 1946, tome VII, page 87), mais parce que, dans sa détresse matérielle et spirituelle, il avait besoin de s’élever moralement (de s’élever jusqu’à une autorité morale, et que rien d’autre ne lui était offert, en particulier par la conscience du monde libéral qui n’avait pas su faire penser les principes humanitaires dans le domaine des réalisations.

Les conceptions éthiques nazies furent enseignées aux Allemands comme le summum bonum, le souverain bien, et ils ont cru que cette notion était morale et bonne. Le national-socialisme est alors entré en conflit non seulement avec les idéologies mais encore avec les moyens d’action matériels d’autres Etats, parce qu’il ne pouvait trouver la formule qui résumât non seulement l’accomplissement du peuple allemand et de sa vie, mais encore les Intérêts vitaux et la justice pour tous les peuples du monde. Vouloir, à partir d’une notion éthique nationale aussi insuffisante, même en admettant qu’elle ait été détournée de son sens, construire un complot, en déduire un acte punissable, me semble impossible pour la simple raison qu’il n’existait pas encore de morale internationale qui soit unanimement reconnue et que l’égoïsme national illimité n’était pas encore détrôné et ne l’est pas encore en tant que ressort moral suprême de l’Etat.

On m’objectera : vous autres, Allemands, vous n’aviez qu’à penser et à agir d’après la doctrine de votre grand philosophe Kant, d’après l’impératif catégorique : agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse être érigée à chaque Instant en principe de législation universelle. Vous auriez alors pu et dû reconnaître que la doctrine nazie n’était pas viable du point de vue moral. A cela je répondrai avec le grand philosophe anglais Locke, parlant du bien et du mal (Essay concerning human undersitanding, tome II, chapitre 28, paragraphe 6) : « Dieu a fait en sorte que certaines actions amènent le bonheur général, maintiennent la société et récompensent celui même qui en est l’auteur. L’homme s’en aperçoit et les érige en règles pratiques. A cette règle sont liées des récompenses et des peines particulières, venant soit de Dieu (récompense et peine d’une importance et d’une durée infinie dans l’au-delà) soit des hommes (peines légales, approbation ou condamnation sociale, perte de l’honneur), ces biens et ces maux n’étant pas le résultat ni la suite naturelle des actions. Les hommes se’ réfèrent alors à ces règles ou à ces lois, c’est-à-dire aux lois divines, aux lois de l’État, à celles de la tradition ou du jugement privé, et ils en font la mesure de leurs actions ; ils apprécient la valeur morale de leurs actions suivant qu’elles se conforment ou non à ces règles. Du point de vue moral, le bien et le mal ne sont donc que la conformité ou la non-conformité des actes de notre volonté à une loi qui nous indique, à travers la volonté et la puissance du législateur, ce qui est bien et ce qui est mal ».

Le bien et le mal n’ont donc jamais été et ne sont encore aujourd’hui que ce que l’autorité veut ou ne veut pas. Depuis des siècles, le christianisme n’a pas inculqué aux seuls Allemands, mais bien à tous les peuples du monde, ce principe : « Tout homme est soumis à l’autorité qui a pouvoir sur lui ». Et l’autorité ne se meut pas en marge de la conscience et de la morale tant que des règles juridiques, des commandements précis et des convictions juridiques irréfutables ne s’opposent pas à l’épanouissement de l’égoïsme national.

Le souverain bien (summum bonum) en morale Internationale n’a pas encore reçu de caractère obligatoire au moyen d’un statut officiel ; aucune conception ne fait autorité pour la communauté des peuples. Au lieu de nous livrer ses réflexions sur la morale et la criminalité privées, l’Accusation aurait dû nous exposer les principes et les critères qu’elle a adoptés comme Droit coutumier international, mais elle ne l’a pas fait.

Je dois donc considérer le point de vue du Ministère Public au sujet de la responsabilité personnelle des hommes d’État quant à leurs actes, comme une philosophie complètement nouvelle et dangereuse dans ses conséquences.

Abstraction faite des abus commis par quelques-uns, et qui ne satisfont pas la morale la plus élémentaire, les conceptions morales du national-socialisme et les actes qui en résultent, dans la mesure où ils sont l’expression de la morale nationale-socialiste, ne représentent pas une cause qu’une assemblée humaine puisse juger, mais un événement de l’Histoire mondiale. « Le destin et la faute » de l’accusé Rosenberg ne sauraient pas non plus, en fin de compte, être jugés dans le cadre de ce Procès. Établir la responsabilité criminelle de cet accusé est la lourde tâche qui Incombe au Tribunal, mais il ne saurait et ne pourrait se prononcer sur sa responsabilité historique. Rosenberg, comme tous les hommes qui ont joué un rôle dans l’Histoire, a agi suivant son caractère et sa sensibilité et s’est peut-être, par là, rendu coupable devant l’Histoire, plus une certaine personnalité a de liberté d’action, plus clairement apparaissent le caractère limité et incomplet de tout acte humain et, de fautes de peu d’importance, naît précisément chez les personnalités historiques une puissance terrible, qui est une fatalité pour beaucoup et qui réserve un sombre destin à leur auteur.

Goethe a dit : « Celui qui agit n’a pas de conscience ; seul le contemplatif a une conscience. Cette constatation ne peut cependant pas constituer une interdiction d’agir efficacement suivant sa volonté et sa conscience, également et surtout lorsqu’il s’agit de sa patrie. Et nous savons tous que personne n’est en mesure d’atteindre réellement le bien vers lequel il tend. Comme son savoir, ses actions également ne sont que des choses imparfaites. Toutes les actions que nous entreprenons en tant qu’êtres libres constituent un empiétement sur les forces de l’univers, que nous ne sommes pas à même de concevoir au moyen de notre intelligence.

A une époque de grave tension en politique étrangère et de dissensions intérieures, Rosenberg a été placé dans le destin de son peuple. Il a lutté pour la pureté de la culture, la justice sociale et la dignité nationale, écartant avec passion tout ce qui se détournait de ces nobles valeurs ou les profanait consciemment. En matière de politique étrangère, il a cherché à réaliser une entente, surtout entre les quatre Puissances centrales du continent européen, en tenant compte des lourdes conséquences d’une défaite.

Il a travaillé dans la loyauté et le respect d’une personnalité qui semblait donner à ses pensées uns forme politique et une force croissante.

Après la victoire en politique intérieure, Rosenberg a été partisan de la suppression de la polémique et des formes employées au temps de la lutte, et d’une solution chevaleresque du problème juif — puisque, aussi bien ce problème existait — d’une large éducation spirituelle et culturelle du Parti, s’opposant, contrairement aux allégations du Ministère Public, à toute persécution religieuse. On ne peut certes pas lui faire grief d’avoir mis en lumière ses propres convictions religieuses et philosophiques.

L’application pratique d’un grand nombre de ses conceptions a été acceptée par les milieux compétents du Parti, mais il en fut de moins en moins tenu compte, surtout après le commencement de la guerre. Finalement — comme cela s’est avéré maintenant — elles ont souvent été déformées jusqu’à représenter l’opposé de ce pourquoi Rosenberg avait combattu.

Rosenberg, jusqu’au 17 juillet 1941, a été exclu de toute élaboration de lois gouvernementales. Du point de vue de la responsabilité personnelle, tous ses discours et ses articles antérieurs à cette date appartiennent à l’activité d’un publiciste non officiel, domaine qui doit bien rester ouvert à tout politicien ou homme de lettres — ce que le Tribunal a reconnu d’une façon générale, en ce qui concerne les déclarations des hommes d’État de tous les autres pays lorsqu’ils ne se trouvent pas en service officiel. Il est donc d’autant plus significatif que Rosenberg, même à titre privé, n’a jamais lancé d’appel à la guerre, ni en faveur d’aucune action violente ou inhumaine.

En sa qualité de ministre des territoires de l’Est, il a préconisé une solution large, qui tînt compte des légitimes aspirations nationales et culturelles des peuples d’Europe orientale. Lorsqu’il s’est enfin rendu compte qu’il était impossible de convaincre Hitler, il a demandé sa mise en congé. Que Rosenberg n’ait pu empêcher bien des choses terribles à l’Est, on ne peut légalement lui en faire grief. Il ne commandait ni à la Wehrmacht, ni à la Police, ni au service de la main-d’œuvre. Dans la mesure où il était au courant des excès ou des abus, il a fait ce qui était en son pouvoir pour les combattre. Rosenberg s’est efforcé, pendant près d’une année entière, d’obtenir que le recrutement des travailleurs se fît uniquement par volontariat. Plus tard, lors de l’appel de plusieurs classes, il a protesté contre tous les abus du pouvoir exécutif et n’a cessé de demander que l’on y remédiât. La réglementation du travail qu’il a édictée dans les territoires de l’Est, abstraction faite des besoins légitimes des forces d’occupation, était nécessaire pour créer l’ordre et empêcher aussi bien l’arbitraire que la dangereuse oisiveté, le sabotage croissant et les meurtres toujours plus nombreux. On était en temps de guerre et dans une zone de guerre et non pas au lendemain d’un armistice ou même de la capitulation finale.

Rosenberg, dans la mesure où il était au courant des faits et pouvait user de son influence, a combattu pour ses convictions. On ne peut lui faire grief de ce que des forces antagonistes aient été plus fortes que lui. On ne peut punir des crimes et châtier en même temps ceux qui les ont désapprouvés. Étant donnés les terribles ordres d’exterminations que l’on connaît aujourd’hui, on peut certes se demander si Rosenberg n’aurait pas pu s’y opposer bien davantage. Mais cette exigence suppose la connaissance préalable de faits, qui ne lui ont été révélés qu’après la défaite. Si on veut lui imputer une certaine négligence, il ne faut pourtant pas oublier qu’il se considérait comme étant au service du Reich dans sa lutte pour son existence et que le peuple allemand a subi, lui aussi, des blessures effroyables que Rosenberg non plus ne parvenait pas à considérer comme pleinement justifiées par la guerre.

Rosenberg a exécuté les missions dont le chargeait l’État, telles que les missions de l’Einsatzstab à l’Ouest et à l’Est, avec une intégrité rigoureuse, il a fait procéder à la réquisition des trésors artistiques et culturels sous réserve d’une décision définitive à prendre ultérieurement par l’autorité supérieure, et en identifiant le propriétaire dans la mesure du possible. Même en ce qui concerne l’utilisation d’habitations non occupées en faveur des sinistrés d’Allemagne, on avait établi des inventaires détaillés en vue d’indemniser ultérieurement les propriétaires.

Rosenberg, considéré dans l’ensemble de sa personnalité, a servi avec ferveur et amour un idéal de justice sociale et de dignité nationale. Pour cet idéal, il a combattu franchement et loyalement, il a été emprisonné, il lui a consacré sa vie. Il n’est pas venu au national-socialisme lorsque celui-ci offrait les possibilités d’une nouvelle carrière, mais lorsque la chose était dangereuse et exigeait uniquement des sacrifices. Dans ses discours d’après 1933, il a préconisé une vie intérieure plus profonde, une nouvelle formation culturelle, il a exalté les valeurs personnelles et le respect de tout travail honnête. Il a accepté les jours sombres de cette époque comme étant les phénomènes accessoires et malheureusement inévitables d’une révolution que l’on avait considérée par ailleurs avec joie comme accomplie sans effusion de sang ; ici encore, il n’en connaissait pas les détails secrets. Il était pleinement convaincu que les idées et les forces du bien triompheraient des insuffisances humaines. Pendant la guerre, il a fait son devoir en se mettant à la disposition du Reich.

A travers la révolution et la guerre, pendant vingt-cinq ans, il est lui-même resté propre et sans tache. C’est avec une profonde douleur qu’il à dû assister à la déformation progressive d’un grand idéal, entre des mains avides de puissance, et en 1944, au cours de réunions du Parti, il s’est élevé contre cet abus de pouvoir. Il a vu, avec effroi et dégoût, au cours des débats de ce Procès, comment l’idéal de sa vie avait été défiguré, mais il sait que ses aspirations, comme celles de millions d’autres Allemands, ont été honorables et sincères. Aujourd’hui encore, il garde la même attitude honorable, sincère et humainement sans reproches, et, par dessus les blessures infligées à tous les peuples et l’effondrement du Reich, il attend, rempli de douleur, la sentence d’un Tribunal équitable.

(L’audience sera reprise le 11 juillet 1946 à 10 heures.)