CENT SOIXANTE-SEIZIÈME JOURNÉE.
Jeudi 11 juillet 1946.

Audience de l’après-midi.

LE PRÉSIDENT

Docteur Pannenbecker !

Dr OTTO PANNENBECKER (avocat de l’accusé Frick)

Monsieur le Président, Messieurs. Le Ministère Public américain a, par la voix du Dr Kempner, mis à la charge de l’accusé Frick des actes punissables selon l’article 6, paragraphes a), b) et c) du Statut. Je voudrais d’abord approfondir la question de savoir si l’article 6 du Statut, avec son énumération d’actes répréhensibles, doit être considéré comme la norme déterminante du Droit pénal matériel qui établit d’une manière décisive et incontrôlable pour le Tribunal les actes qui doivent être considérés comme punissables, ou si l’article 6 du Statut n’est qu’une règle de procédure judiciaire sur la compétence de ce Tribunal pour des faits déterminés.

LE PRÉSIDENT

Peut-être serait-il préférable pour les interprètes, puisqu’il ne nous reste que deux heures, de ne pas faire d’interruption jusqu’à quatre heures.

Dr PANNENBECKER

Ce dernier point de vue a été mentionné lors de l’exposé des faits de l’Accusation, quand Sir Hartley-Shawcross a souligné que l’article 6 du Statut remplissait une lacune dans la procédure du Droit international, mais que le Droit pénal matériel qu’il fallait appliquer aux accusés avait déjà été réglementé auparavant par des lois positives. Il en est de même de la partie II du Statut qui débute par l’article 6 et porte en titre : « Compétence et principes généraux » ; on peut en déduire que l’article 6 veut réglementer la compétence procédurale de ce Tribunal pour certains groupes de crimes. L’exposé de Sir Hartley-Shawcross est dirigé contre l’objection qu’il est inadmissible et contraire au principe juridique fondamental de punir quelqu’un pour un fait qui n’était pas encore interdit au moment où il a été commis. Cette objection a pour fondement la conception que le Statut aurait créé un nouveau Droit pénal matériel avec effet rétroactif. Il faut examiner si la non-rétroactivité des lois pénales est un principe juridique si important qu’on ne puisse le violer. Je n’ai pas besoin d’exposer à ce Tribunal les raisons pour lesquelles ce principe juridique a été reconnu par tous les États civilisés comme condition et loi fondamentale de la justice. En face de cela, l’Accusation, dans son exposé, a reproché aux accusés d’avoir eux-mêmes continuellement ignoré le droit et la justice et en a conclu que les accusés de ce Procès ne pouvaient pas, en ce qui les concernait, faire appel à un tel principe juridique. Je ne crois cependant pas qu’un tel argument puisse être décisif dans ces débats. L’Accusation a répondu par la négative à la question, plus étendue encore, de savoir s’il n’aurait pas été plus juste de rendre la pareille et de ne pas donner aux accusés la possibilité de se défendre au cours d’une procédure judiciaire régulière. Cette attitude qui consiste à soumettre tout simplement les accusés à la force du vainqueur n’a sciemment pas été adoptée pour les raisons que le Ministère Public a exposées dans le détail. Sir Hartley-Shawcross a, au contraire, fait appel au Tribunal en le priant d’appliquer à cette procédure — et je cite —  :

« les principes incontestés de la coutume internationale ». Mais si l’on procède de cette façon, il faut aussi, d’après les mêmes principes juridiques,. examiner la question de savoir si les agissements portés à la charge des accusés doivent être considérés comme des crimes punissables selon les principes reconnus de la coutume internationale. Ce n’est pas un argument tiré de ces principes juridiques internationaux, lorsqu’on fait dépendre l’application d’un principe juridique aussi fondamental que la non-rétroactivité des lois pénales de la question de savoir si les accusés ont eux-mêmes tenu compte du droit ou de la justice. La décision mûrement réfléchie des Puissances signataires de soumettre le comportement des accusés à un examen judiciaire dans une procédure régulière et en considérant tous les principes juridiques de la coutume internationale, ne signifie donc pas seulement l’observation d’une procédure judiciaire avec toutes les garanties d’un examen loyal, mais aussi l’observation des principes fondamentaux d’une garantie juridique matérielle, et la non-rétroactivité des lois pénales fait partie de ces principes. A ce sujet, je peux ajouter que la décision du Gouvernement national-socialiste d’instituer, pour certains cas particuliers, l’effet rétroactif des lois pénales, a provoqué l’effroi dans tout le monde cultivé. Le Dr Stahmer en a déjà parlé. Cette atteinte portée à un tel principe juridique a alors été universellement condamnée comme une grave régression de la civilisation. Je prie encore le Tribunal de se souvenir que les forces d’occupation ont, comme l’une des premières. mesures visant à réparer les abus commis par les nationaux-socialistes dans le domaine du Droit, déclaré nulles les lois pénales rétroactives. Je crois qu’en cette occurrence des raisons essentielles poussent à regarder l’article 6 du Statut, conformément à son titre, comme une règle de compétence de ce Tribunal, d’autant plus que les Puissances signataires se sont déjà prononcées avec insistance pour un respect strict et absolu de la non-rétroactivité des lois pénales. Si l’on interprète l’article 6 comme définissant la compétence de ce Tribunal, ce dernier devrait non seulement décider par un examen personnel si l’état de fait posé par l’Accusation s’avère exact, mais éclaircir la question de droit de savoir s’il y a pour chaque cas particulier une loi pénale matérielle qui permette une sanction.

Un tel retour aux dispositions du Droit pénal matériel en vigueur au moment de l’action ne signifie pas l’impossibilité d’amener les accusés à rendre compte devant ce Tribunal de fautes punissables en toutes circonstances. Mais il en résulte une série de limitations qui seront pourtant mieux acceptées, d’après la Défense, que la violation d’un principe juridique aussi essentiel que la non-rétroactivité de lois pénales. J’estime donc qu’il est tout à fait possible, sans contredire la nécessité d’une juste peine pour de vrais crimes de guerre, d’interpréter l’article 6 du Statut conformément à son titre, c’est-à-dire comme une réglementation de la compétence de ce Tribunal dans ce Procès, mais non comme une nouvelle loi pénale matérielle. Les explications suivantes se réfèrent à la « conspiration » que le Dr Stahmer a traitée suffisamment pour que j’aie à y revenir. J’en arrive à la page 7 qui en est le résumé.

Partant de cette interprétation du Statut, l’édifice de l’Accusation sur la prétendue conspiration nécessite également une explication.

Cet édifice repose sur la conception juridique du Droit anglo-américain qui affirme autrement et plus largement que le Droit pénal matériel allemand la responsabilité de plusieurs personnes ; celui-ci comprend les règles juridiques auxquelles les accusés étaient soumis au moment de leur activité.

D’après les dispositions du Droit pénal allemand, quelqu’un peut être rendu responsable des actes coupables d’autrui lorsqu’il a pris part à un plan commun que d’autres ont exécuté ultérieurement. Mais le Droit pénal allemand donne une importance décisive à la constatation de la mesure dans laquelle les réalisations postérieures cadrent avec le plan commun ; de même qu’au sujet des crimes graves cités par l’Accusation devant ce Tribunal, la reconnaissance du caractère criminel de l’intention est la condition préliminaire d’une sanction, on ne peut charger un accusé des actes postérieurs d’exécution commis par les autres que dans la mesure où ces actes rentrent dans le cadre des projets ’approuvés par l’accusé. Un accusé qui a pris part à des projets précis ne peut être rendu responsable de plans postérieurs ou de réalisations qui dépassent, sans sa participation, les projets primitifs. Une responsabilité concernant les plans et réalisations postérieurs ne peut donc être fondée, selon le Droit allemand, que lorsqu’on prouve que l’accusé, qui n’a pas participé lui-même à des plans et actions postérieurs, a reconnu et approuvé leur développement et leur réalisation par sa participation primitive, en d’autres mots : qu’il les a prémédités. Revenons à l’exemple du Ministère Public : Quiconque prend part au projet de pillage d’une banque est responsable, si ce plan est réalisé, même s’il ne participe pas en personne à la réalisation. Mais l’intéressé n’est pas coupable d’assassinat si les réalisateurs décident ultérieurement, sans sa coopération, la mort du gardien, ou si l’un des auteurs abat sans que ce soit convenu le gardien qui le prend sur le fait. Quiconque n’a pas participé au projet d’un meurtre ne peut être condamné pour assassinat, à moins qu’on ne prouve qu’il a déjà prévu, en participant au projet de pillage d’une banque, un tel assassinat de gardien, et qu’il a malgré tout approuvé le pillage. Dans ce dernier cas, il aurait aussi prémédité le meurtre. La responsabilité pour les actes de l’auteur direct ou pour un développement postérieur et imprévu de projets plus restreints n’existe donc pas dans les dispositions du Droit pénal allemand, de sorte qu’une interprétation plus vaste correspondant à la notion de conspiration du Droit anglo-américain, qui ne vaut pas pour les accusés au moment de leur action, porterait atteinte au principe de la non-rétroactivité des lois pénales.

Le Statut ne pousse pas à interpréter qu’un accusé est également responsable des actes d’exécution qui dépassent sa participation à des plans concertés. La formule du Statut « en exécution d’un plan concerté », ne s’oppose pas à l’interpréter de telle sorte qu’il envisage une responsabilité pour des actes qui se sont produits dans le cadre du plan discuté. Dans de telles limites, l’hypothèse d’une responsabilité pour les activités d’autrui correspond à un précepte de justice ; au delà, elle violerait les principes essentiels du Droit.

C’est pourquoi la Défense estime que lorsqu’il s’agit des activités d’autrui, dont un accusé doit répondre, on n’a pas le droit de renoncer à fournir la preuve que ces actes d’exécution correspondaient aux intentions de l’accusé. Prenons un exemple : le fait qu’un accusé ait participé au réarmement, contrairement aux prescriptions du Traité de Versailles, ne permet pas de prétendre que cet accusé ait voulu la guerre d’agression, que d’autres ont préparée plus tard par le développement du plan de mobilisation du peuple allemand.

Je voudrais maintenant parler des différentes sortes de crimes dont on charge l’accusé Frick et, en premier, de l’assertion de l’Accusation selon laquelle l’accusé aurait pris part au projet et à la préparation de la guerre d’agression. En ce qui concerne la question de savoir si, d’après la conception juridique actuelle, la guerre d’agression est un crime, je me réfère, pour éviter les répétitions, aux explications du professeur Jahrreiss, que j’adopte pleinement au nom de l’accusé Frick.

D’après cet exposé convaincant, il n’y a qu’une possibilité de punir la collaboration à une guerre d’agression comme un crime susceptible d’être commis par des individus : on ne peut la punir que si, contrairement aux déclarations de Sir Hartley-Shawcross, le Statut peut être appliqué comme une règle du Droit pénal qui, le premier, et avec effet rétroactif, a fait de la guerre d’agression un crime pour les individus. D’un autre point de vue, si l’on envisage l’article 6 du Statut comme une règle de compétence de ce Tribunal, on est obligé de conclure, d’après la conception de la Défense, que le Tribunal est bien compétent pour juger des crimes contre la Paix, mais que la culpabilité, de chaque accusé n’en est pas pour autant prouvée ; il manque pour cela une condition : la possibilité d’établir que les accusés ont heurté une règle de la coutume internationale universellement établie ou du Droit international qui, au moment des faits, aurait fait un crime de la guerre d’agression, susceptible en tant que tel d’être punissable et dont un individu aurait pu se rendre coupable.

Car les hommes d’État ont négligé entre les deux guerres mondiales d’établir des prescriptions d’une valeur universelle, qui auraient pu établir clairement qu’on mettrait la corde au cou à tout individu qui, après le premier et effroyable massacre des peuples, organiserait une seconde guerre mondiale.

Les explications du Ministère Public déclarant que des prescriptions de cette sorte sont nécessaires dans le Droit international sont absolument convaincantes, mais cela ne change rien au fait que, malgré tout, ces règlements n’ont pas été élaborés à temps par les hommes d’État de l’époque. Une règle juridique qui manque ne peut pas être remplacée, après coup et de façon décousue, à l’occasion d’un cas particulier, par l’ouverture d’une procédure ou par le jugement d’un tribunal dont le rôle est d’appliquer le Droit universel, et non ses propres créations pour un cas spécial unique.

Je dois maintenant considérer les affirmations de fait du Ministère Public qui sont relatives à une participation de l’accusé Frick à l’établissement de projets et à la préparation de guerres d’agression. L’Accusation voit déjà une activité de cet ordre dans la première collaboration que Frick apporta au Parti jusqu’en 1933, pour porter Hitler au pouvoir. Le Ministère Public apprécie de la même façon l’activité ultérieure de Frick, après la prise du pouvoir par Hitler, quand il travaillait à affermir la puissance du Parti et de ses chefs par des mesures de politique intérieure, spécialement par sa participation aux mesures légales qui permirent de créer une Wehrmacht, contrairement aux clauses du Traité de Versailles, et, enfin, par sa collaboration à des mesures qui se trouvèrent être des préparatifs directs pour le cas d’une guerre.

Partant de la conception que seule une participation préméditée de l’accusé à la préparation de la guerre peut être prise en considération au point de vue du Droit pénal, j’en arrive alors à demander si le Ministère Public a fourni la preuve que l’accusé, en travaillant à la progression du Parti et en favorisant ses desseins, était conscient de préparer la guerre et de le vouloir, donc d’avoir lui-même exigé la guerre. A ce propos, l’Accusation a prétendu que Hitler et son parti avaient, dès le début, ouvertement eu l’intention d’amener, par la guerre, une transformation de la situation de l’Allemagne dans le domaine de la politique extérieure. S’appuyant sur cette assertion, le Ministère Public a exposé qu’on n’avait besoin d’aucune preuve spéciale, que chacun des accusés, en soutenant Hitler et son parti, avait collaboré consciemment à la préparation d’une guerre d’agression. Pour prouver que Hitler, avec son parti, avait, depuis le début, projeté une guerre d’agression, l’Accusation se reporte au programme du Parti qui se proposait comme l’un de ses buts de se débarrasser du Traité de Versailles. Mais rien ne dit, dans le programme du Parti, qu’un tel but eût dû être atteint par la force des armes. On ne peut, dans le programme du Parti, comme l’a également montré, entre autres, la déposition de l’accusé von Neurath, trouver de preuve de la préméditation, dès l’origine, d’une guerre d’agression. Il en va de même des publications officielles du Parti, dans la période qui précède l’accession de Hitler au pouvoir. Comme il ne faisait pas connaître, dans ses publications officielles, ses intentions d’obtenir par la force des armes des révisions du Traité de Versailles, le Parti a été autorisé même avant 1933 en dehors du territoire du Reich ; par exemple, en 1930, à Dantzig, avec l’assentiment du Haut Commissaire de la Société des Nations et du Résident général polonais.

Depuis son arrivée au Gouvernement, le 30 janvier 1933, Hitler a pris, en tant que chef responsable du Gouvernement, une position montrant sans équivoque ses buts et ses moyens en politique extérieure, aussi bien dans ses discours et entretiens officiels que dans ses entretiens privés. Toujours égal à lui-même, il a souligné depuis son arrivée au Gouvernement, chaque fois que l’occasion s’en présentait, sa volonté absolue de paix et son horreur de la guerre, et il a toujours défendu cette attitude avec des arguments convaincants. Il a toujours déclaré qu’il était décidé à obtenir certaines révisions du Traité de Versailles en employant uniquement des moyens pacifiques. Je n’ai pas besoin de répéter les citations des discours de Hitler qui ont déjà été lues par le Ministère Public pour prouver comment il a trompé le monde et le peuple qu’il gouvernait avec ses discours de paix. Et le monde, y compris le peuple allemand, a pris au sérieux ces déclarations que Hitler a toujours renouvelées en sa qualité de chef responsable du Gouvernement. Ceux qui mettaient en garde contre ces déclarations et étaient persuadés, de bonne heure déjà, que Hitler voulait la guerre, sont restés par contre dans le monde entier une minorité sans espoir.

Le Ministère Public a rappelé à différentes reprises cette croyance du monde, qui prenait au sérieux les protestations de paix de Hitler ; et la meilleure preuve de l’illusion de la paix, qu’avaient également les hommes d’État étrangers qui connaissaient le programme du Parti, réside probablement dans le fait que ces hommes d’État ont considérablement négligé l’armement contre la guerre d’agression de Hitler à laquelle quiconque n’était pas initié directement aux plans secrets de Hitler ne voulait croire sérieusement, ni en Allemagne, ni dans le monde. Quiconque avait en mains le programme du Parti n’a pas pu s’apercevoir au cours des vingt dernières années de la continuité de la préparation de la guerre d’agression, ni du fait de ce programme du Parti, ni du fait des discours farouches qui ont été prononcés avant 1933, au temps de l’opposition parlementaire. L’Accusation prétend, en outre, que si tout le monde n’a pas pu connaître les intentions guerrières de Hitler, cette intention de préparer la guerre d’agression aurait dû se manifester de façon évidente à l’inculpé Frick, en raison des tâches qu’il avait à remplir depuis le 30 janvier 1933, en sa qualité de ministre de l’Intérieur du Reich. Cette activité comprenait des mesures destinées à fortifier la puissance politique intérieure de Hitler et de son parti, et le Ministère Public a fait ressortir à ce propos la collaboration apportée par Frick aux dispositions légales qui détruisaient au Parlement et dans le pays l’opposition au système de gouvernement de Hitler. Il a souligné en outre les mesures légales par lesquelles on a fait disparaître la véritable autonomie des villes et des communes, et il a parlé finalement des mesures légales et administratives par lesquelles des adversaires du système national-socialiste ont été exclus de la participation aux affaires de l’État et de la vie économique. Le Ministère Public a fait ressortir que sans cette mesure Hitler n’aurait pas pu entreprendre une nouvelle guerre qui n’eût pu débuter sous d’heureux auspices qu’à condition que l’opposition dans le pays fût anéantie complètement et que l’on dressât la dictature absolue de Hitler. Mais entre toutes ces mesures que je viens de citer, il manque pourtant un lien immédiat pour la préparation d’une guerre. Ces mesures sans relation avec une guerre ultérieure avaient un sens et une signification en tant qu’éléments d’une politique intérieure nationale-socialiste, et il n’est pas prouvé qu’au delà d’elles l’accusé Frick eût été instruit des plans de Hitler, qui dépassaient les buts précités et qui tendaient, après un renforcement du pouvoir à l’intérieur, non pas à poursuivre les buts de la politique étrangère du Parti avec des moyens pacifiques, mais à les atteindre de force au moyen d’une guerre.

En constatant rétrospectivement que le renforcement de la puissance en matière de politique intérieure était pour Hitler une condition sine qua non de ses intentions guerrières, on n’est, par conséquent, pas plus avancé, à moins qu’on ne puisse prouver au surplus que Hitler n’a voulu obtenir dès le début la puissance en politique intérieure que comme un premier échelon pour conduire à la guerre, et que Frick l’a reconnu lorsqu’il a participé aux mesures de politique intérieure qui sont mises à sa charge. Au surplus, ces mesures qui sont d’ordre strictement interne, ne relèvent pas de la juridiction de ce Tribunal, conformément aux dispositions de son Statut.

Mais une telle preuve manque et il y a plutôt lieu d’admettre qu’en tant que fonctionnaire caractéristique de la politique intérieure, Frick a considéré ces mesures comme les actions autonomes d’une politique intérieure, qui ne devaient rien avoir affaire avec des solutions de force susceptibles d’intervenir en matière de politique étrangère.

Une autre appréciation des faits ne résulte pas non plus des mesures qui concernaient directement le réarmement de l’Allemagne, c’est-à-dire le rétablissement du service militaire obligatoire et l’occupation de la zone démilitarisée de la Rhénanie. En sa qualité de ministre de l’Intérieur du Reich, l’accusé a promulgué des ordonnances de l’administration civile sur le recrutement militaire et, de ce fait, sa signature se trouve également au bas de la loi sur le recrutement elle-même. Mais ces mesures elles-mêmes ne permettaient pas de conclure à la préparation d’une guerre d’agression. Le rétablissement du service militaire obligatoire et la réoccupation par l’Armée allemande de la zone démilitarisée à l’Ouest ont été justifiés par Hitler lui-même devant ses collaborateurs et devant l’opinion publique mondiale par des arguments dont le bien-fondé a été reconnu en son temps dans une large mesure. De nombreux hommes d’État étrangers ont accordé foi aux protestations de paix bien fondées de Hitler une fois la première peur passée, et ils ont émis l’opinion qu’il n’y avait pas lieu de redouter sérieusement ses intentions belliqueuses. Il est certain que Hitler lui-même a déclaré le 23 novembre 1939 devant les commandants en chef de l’Armée — je me réfère au document PS-789 (USA-23) — qu’il avait créé la Wehrmacht pour faire la guerre avec elle. Mais Hitler a adroitement caché cette intention sous un autre argument que l’on a encore admis à ce moment en Allemagne et à l’étranger, et que les collaborateurs de son propre cabinet, qui n’étaient pas initiés à ses plans secrets, ont également adopté, ainsi que les débats l’ont prouvé. Et voilà pourquoi plusieurs accusés ont reconnu qu’ils ont approuvé le rétablissement de la Wehrmacht allemande, à l’encontre des prescriptions du Traité de Versailles, mais qu’ils ne voulaient pas la guerre et qu’ils n’ont pas considéré non plus leur collaboration comme une participation à des projets de guerres d’agression.

En ce qui concerne l’accusé Frick, la Défense estime que la preuve n’est pas faite que Hitler l’a informé de ses plans de guerre ; c’est pourquoi on ne peut pas retenir à sa charge comme une collaboration préméditée à des projets de guerre d’agression le fait qu’il ait participé à des mesures ayant eu pour but la restauration d’un droit souverain de la défense allemande. La situation est analogue quand on considère l’activité que l’accusé a déployée pour aménager d’une façon générale l’administration civile en prévision d’une guerre éventuelle : cette tâche a été confiée à l’accusé par la seconde loi sur la Défense du Reich, du 4 septembre 1938, qui faisait de Frick un délégué général à l’administration du Reich. Permettez-moi d’insister encore une fois sur le fait que c’est seulement cette seconde loi de Défense du Reich du 4 septembre 1938 qui créait le poste de délégué général à l’administration du Reich, qui ne figurait par conséquent pas encore dans la première loi de défense-dû 21 mai 1935.

A vrai dire, il existait déjà depuis longtemps, et cela même avant 1933, des conférences entre les administrateurs des divers-ministères sur le sujet « Défense du Reich » ; ils se réunissaient depuis 1933 à des intervalles irréguliers, sous le nom de Comité de Défense du Reich, ainsi que cela résulte des documents qui ont été présentés par l’Accusation. Ces pourparlers ne pouvaient pas être considérés comme une entente en vue d’une guerre d’agression : ils traitaient de questions générales relevant de la Défense du Reich, ainsi qu’on avait l’habitude de le faire dans d’autres pays. La première loi de Défense du Reich du 21 mai 1935 a resserré d’une façon plus stricte l’organisation de la défense du Reich, surtout en ce qui concernait la nomination d’un délégué général à l’Économie de guerre, et l’accusé Schacht a déjà expliqué en détail, lors de son audition, que ce poste ne devait pas servir à la préparation d’une guerre d’agression, conformément aux tâches et aux instructions énoncées dans la première loi sur la Défense du Reich, mais à l’organisation de l’économie pour la défense en cas d’une guerre d’agression imposée par d’autres nations. Il n’en est pas autrement du poste de délégué général à l’Administration du Reich, tel qu’il a été créé par la seconde loi de Défense du Reich du 4 septembre 1938, et qui a été confié à l’accusé Frick en raison de sa situation de ministre de l’Intérieur du Reich.

Ce poste rassemblait l’ensemble de l’organisation de toute l’administration civile dans le but de la défense du Reich. Si, d’après les documents qui ont été soumis à ce Tribunal, Hitler lui-même voulait déjà la guerre au moment où il édicta la seconde loi sur la défense du Reich, il est important, pour la défense de l’accusé, de savoir si Frick, à cette époque, pouvait avoir connaissance des intentions agressives de Hitler, d’après la loi elle-même, ses projets ou d’après d’autres documents ou informations qui avaient pu lui être communiqués à l’époque. La loi elle-même ne permet pas d’y reconnaître l’intention de Hitler de l’employer comme instrument de préparation d’une guerre d’agression, dans le domaine de la vie civile.

Les tâches qui étaient confiées à l’accusé Frick, en sa qualité de délégué général à l’Administration du Reich, avaient simplement pour objet une concentration de l’administration intérieure allemande pour le cas d’une guerre éventuelle ou d’une menace de guerre. La loi est ainsi rédigée, qu’il y est constamment question d’une défense du Reich en cas de guerre. Elle parle de l’« état de défense » et mentionne le cas d’une « menace par surprise des territoires du Reich » dans lequel des mesures particulières devaient être prises. Par contre, cette loi ne laisse apparaître aucune allusion ; conformément au principe qu’il avait maintes fois déclaré, Hitler ne révélait, même à ses proches collaborateurs, que ce dont ils avaient besoin pour leur propre travail ; ce principe fut toujours strictement observé. On ne peut pas supposer et il n’est nullement prouvé que, lorsque le ministère de l’Intérieur a été chargé de cette loi, on lui ait fait part d’autre chose que de la nécessité de prendre des dispositions à l’égard d’une menace subite contre le territoire du Reich. Cette menace, une attaque éventuelle d’autres États, imposait une concentration des pouvoirs de l’administration intérieure du pays.

Je n’ai pas besoin d’exposer en détail qu’une telle mesure ne peut pas être considérée comme une préparation préméditée d’une guerre d’agression puisqu’elle a été dépeinte aux services compétents de l’administration intérieure comme nécessaire à la défense du Reich contre la menace d’une attaque de la part d’un autre État. Hitler savait, en effet, simuler adroitement la dite menace d’attaque aux yeux de tous ceux qui ne devaient pas nécessairement connaître ses desseins secrets et qui devaient cependant comprendre les raisons de son réarmement et l’organisation de l’État pour le temps de guerre qu’il avait ordonnée.

Je m’expliquerai maintenant rapidement au sujet de quelques autres documents, qui ont pour objet l’activité de l’accusé Frick, en sa qualité de délégué général à l’Administration du Reich. Frick s’est expliqué sur ces fonctions dans un discours du 7 mars 1940, document PS-2608 (USA-714), et a déclaré que la préparation méthodique de l’administration pour le cas d’une guerre éventuelle était déjà entrée en vigueur en temps de paix par l’installation d’un délégué général à l’Administration du Reich. Ce discours ne fait que confirmer ce qui ressort du texte de la loi. Il en est de même du document PS-2986 (USA-409), un affidavit de l’accusé qui confirme la même chose.

Pour cette raison, le poste de délégué général à l’Administration du Reich, de même que le poste de délégué général à l’Économie et de chef de l’OKW, ne peuvent pas être désignés d’après cette loi comme formant un « triumvirat », chargé des pouvoirs gouvernementaux en Allemagne. On n’a jamais entendu parler, ni en Allemagne, ni à l’étranger, d’un gouvernement exercé par un tel triumvirat, et le témoin Lammers a, lui aussi, fait allusion aux tâches, absolument subalternes de ces hommes, qui se traduisaient sous forme d’ordonnances. Ces tâches n’avaient rien à voir avec la préparation d’une guerre d’agression.

Un autre domaine d’activité de l’accusé est également considéré par le Ministère Public comme participation à une guerre d’agression : le travail accompli par Frick en faveur de l’union pour le germanisme à l’étranger. Je me reporte aux documents Frick-4 et PS-3253 dont le dernier a été déposé sous le numéro GB-262. Il ressort de ces deux documents que Frick a soutenu cette union en tant qu’association pour l’entretien des relations culturelles avec les Allemands à l’étranger et pour encourager leurs aspirations culturelles. Mais ces documents ne font pas ressortir que Frick ait exercé une activité quelconque pour encourager les desseins d’une prétendue Cinquième colonne à l’étranger.

Un autre document, dont le Ministère Public a conclu que Frick avait donné son accord à une politique de guerre d’agression, est la déposition de Messersmith, PS-2385 (USA-68). Cet affidavit a été considéré comme inexact par différents accusés et, tout particulièrement, l’accusé Schacht, lors de son interrogatoire, a apporté la preuve qu’il ne peut absolument pas être exact sur différents points. Le Ministère Public n’a pu contre-interroger le témoin. Au nom de Frick, je proteste contre l’acceptation de l’affidavit, d’autant plus qu’un interrogatoire complémentaire du témoin sous forme de questionnaire écrit a eu pour résultat que son auteur a su éviter une réponse concrète en se dérobant derrière des considérations générales. La réponse au questionnaire prouve assez clairement que Messersmith n’est pas à même d’apporter des données précises et que, vraisemblablement, dans son affidavit il s’est lui-même trompé sur la qualité de sa mémoire. Je ne crois pas que son affidavit, qui est contradictoire sur certains points, puisse avoir une valeur quelconque pour étayer un jugement.

Quant à la question de savoir si l’accusé Frick a pris part à certains préparatifs de la guerre d’agression, le Ministère Public a présenté à ce sujet le document D-44 (USA-428). Ce document fait ressortir que le ministère de l’Intérieur du Reieh, au cours de l’année 1933, a publié un arrêté prescrivant de ne pas faire de publications officielles sous une forme qui donnerait à l’étranger la possibilité de conclure à une violation du Traité de Versailles. Le document ne fait pas ressortir si cet arrêté devait couvrir les violations effectives du Traité ou s’il ne s’agissait que d’éviter de faire apparaître les violations du Traité.

Le problème est le même pour le document PS-1850 (USA-742). Il s’agit là du compte rendu d’une conversation entre la direction des SA et le ministre de la Reichswehr, qui proposait en 1933 aux SA de faire fixer par le ministre de l’Intérieur les possibilités du Reich pour la formation militaire des SA. Le document ne fait pas ressortir l’attitude du ministère de l’Intérieur à l’égard de cette proposition ; même s’il l’avait admise, cela ne prouverait pas autre chose que le ministère de l’Intérieur avait exigé la reconstitution de l’Armée allemande, ce qui est déjà largement prouvé.

Tous ces documents n’apportent donc pas la preuve que l’accusé Frick a vu des préparatifs de la guerre d’agression dans les mesures que Hitler avait imposées comme nécessaires à la défense du Reich.

Pendant la guerre, au cours de l’année 1941, peu de jours avant le début de la guerre contre l’Union Soviétique, une conversation a effectivement eu lieu entre l’accusé Rosenberg et les représentants des ministères, au sujet des mesures à prendre lors d’une occupation possible des territoires de l’Union Soviétique. Il ressort du document PS-1039 (USA-146), rapport de Rosenberg sur ces négociations, que ces dernières ont eu lieu avec le ministre du Reich Frick (secrétaire d’État Stuckart). Cette parenthèse prouve que le ministère de l’Intérieur était représenté à ces négociations par le secrétaire d’État Stuckart, de sorte que Frick n’y a pas personnellement pris part. Étant donné que les négociations ont eu lieu quelques jours avant le début de la guerre à l’Est, le document ne prouve pas que Frick lui-même ait été mis au courant avant le début de la guerre que, ainsi qu’on le sait bien, Hitler proclama comme une mesure nécessaire de défense contre une agression proche et inévitable de l’Union Soviétique. Au cours de ce Procès, il a été prouvé maintes fois combien Hitler savait tenir secrètes ses intentions d’agression et, d’une façon générale, le véritable but de ses mesures politiques : la guerre. Il a été prouvé comment il savait les dissimuler et comment, pendant des années, il a su justifier par mille motifs plus ou moins convaincants les mesures individuelles de sa politique d’agression.

Il existait un très petit noyau de collaborateurs que Hitler mettait au courant de ses plans de guerre, mais ces personnes n’étaient pas choisies selon leurs fonctions dans le cabinet ou suivant leur situation dans la hiérarchie du Parti, mais uniquement d’après le point de savoir si l’intéressé, du fait de ses propres fonctions dans le cadré des préparatifs de la guerre, devait connaître le caractère agressif de la politique générale de Hitler ou même le détail de ses agressions.

Le document PS-386 (USA-25), fait ressortir avec quelle force le principe du secret était gardé, même à l’égard des plus anciens membres du Parti et des hauts administrateurs des services les plus importants du Cabinet du Reich. Celui qui, comme le ministre de l’Intérieur, n’avait à prendre dans le cadre des préparatifs de guerre que des mesures qui pouvaient être considérées comme purement défensives n’était, en application du principe de Hitler, pas au courant de ses intentions d’agression. C’est pour ce motif que la présence de l’accusé Frick n’est mentionnée au cours d’aucune de ces conférences secrètes où Hitler faisait part, à un cercle d’hommes choisis, de ses plans de politique extérieure et de ses buts de guerre. Tout particulièrement dans le document PS-386 précité, Hitler a expressément spécifié et motivé cette exclusion du Cabinet du Reich comme centre de renseignements en la matière. Dans un autre compte rendu d’une conférence analogue, document L-79 (USA-27), il a donné comme motif complémentaire que quiconque ne devait savoir quoi que ce fût des plans de guerre, dans la mesure où ces plans .n’intéressaient pas directement son propre travail.

Non seulement, lors des conversations menées par Hitler avant le début de la guerre sur sa politique d’agression, le nom de l’accusé Frick manque sur la liste des présents, mais il en est encore de même pour les nombreuses conférences qui ont eu lieu pendant la guerre et qui traitaient des buts de guerre et des intentions agressives de Hitler. De même, l’accusé Frick n’a pas été mis au courant des agressions ultérieures ou n’a pas pris part à leur préparation, ainsi qu’il ressort des conférences faites par Hitler sur ses plans, et ainsi que le prouve la liste des personnes présentes, qui a été présentée au Tribunal.

Frick, pur spécialiste de l’administration intérieure et qui ne passait pas pour compétent dans les questions militaires et les questions de politique extérieure, avait assez de capacités pour l’adaptation de l’administration civile au cas d’une guerre éventuelle ; mais, selon Hitler, ses plans de politique extérieure et ses plans militaires ne le regardaient pas. Le Ministère Public n’en continue pas moins à prétendre que l’accusé Frick, après la conquête des territoires étrangers et après leur occupation, a fixé la politique administrative dans ces territoires et en est responsable. Et l’Accusation qualifie cette prétendue activité de l’accusé, en vertu de l’article 6, lettre a du Statut, de « participation à l’exécution de guerres d’agression ». D’après les exposés du Ministère Public, Frick aurait exercé sur les territoires occupés un « Overall Control » en particulier en sa qualité de chef du « service central » des territoires occupés.

En raison de ces mêmes fonctions, il serait également responsable de tous les crimes de guerre et crimes contre l’Humanité commis dans les territoires occupés et annexés, avant et pendant la guerre, jusqu’à la privation de son poste de ministre de l’Intérieur du Reich, le 20 avril 1943. C’est une question d’interprétation juridique que de savoir si son activité administrative dans les territoires occupés doit être considérée comme « réalisation de guerres d’agression » en vertu de l’article 6, paragraphe a du Statut ou si le caractère punissable n’entre en ligne de compte que du point de vue des crimes contre les lois de la guerre ou contre l’Humanité. Pour décider de cette question, il me paraît essentiel d’admettre qu’il n’appartient pas aux fonctionnaires d’une administration civile d’examiner après la fin des opérations de guerre si l’occupation est légale ou non suivant les règles du droit des gens. Un tel devoir de contrôlé constituerait pour le ressort de l’administration civile, aussi bien que pour le chef de l’administration, une extension de pouvoirs dont l’exercice ne peut pas être considéré comme contraire au Droit, en prenant pour base le fait que les territoires administrés depuis peu ou même depuis longtemps ont été annexés à rencontre des prescriptions du Droit international. Un tel contrôle n’existe pas dans la pratique de l’administration civile. Le Statut n’oblige pas non plus à adopter une telle interprétation, car il faut entendre par « réalisation de guerres d’agression », les opérations de guerre elles-mêmes et non l’administration civile ultérieure des territoires conquis. Une telle interprétation ne rendrait pas impossible le châtiment de crimes commis au cours de l’administration des territoires occupés. Ces crimes, en tant que crimes contre l’Humanité et contre les lois de la guerre sont, de toute façon, passibles d’une peine, conformément au Statut.

Il nous reste ensuite à déterminer pour quels territoires particuliers l’accusé Frick est responsable. Ce sont tout d’abord les territoires qui ont été incorporés conformément au Droit public dans l’union des États du Reich allemand et qui, pour cette raison, ont été appelés « territoires incorporés ». Ces territoires sont passés au Reich conformément au Droit public et ont été administrés par les ministères du Reich correspondants, en ce qui concerne l’administration intérieure, mais celle-ci seulement ; ils étaient donc sous l’autorité du ministère de l’Intérieur du Reich, si bien que l’accusé Frick porte, selon le Droit public, la responsabilité d’un ministre pour l’administration intérieure de ces territoires, jusqu’au mois d’août 1943. Il s’agissait essentiellement, en l’occurrence, des territoires de l’Est (Prusse occidentale, Posnan Dantzig), appelés « territoires incorporés de l’Est » qui, jusqu’au Traité de Versailles, avaient fait partie de l’ensemble des territoires du Reich allemand. A l’Est, le territoire de Memel fut traité de la même manière, de même qu’à l’Ouest le territoire d’Eupen-Malmédy et au Sud-Est le pays des Sudètes. D’autre part, l’Autriche fit également partie de l’ensemble des territoires du Reich allemand. Pour tous ces territoires, Frick a pris part aux mesures législatives et administratives par lesquelles s’est effectuée leur incorporation, et il porte pour l’administration intérieure de ces territoires la responsabilité habituelle d’un ministre de l’Intérieur, jusqu’au moment où il donna sa démission en août 1943.

Le territoire de Bohême-Moravie était administré par son propre Gouvernement de protectorat et qualifié d’autonome par le décret d’institution du Protectorat (document PS-2119). En conséquence, il n’était pas contrôlé par le ministre de l’Intérieur du Reich. D’une manière analogue, il existait une administration indépendante du ministère de l’Intérieur du Reich dans les territoires polonais rassemblés sous la désignation de « Gouvernement Général », et placés sous l’autorité d’un Gouverneur Général. Contrairement à ce qui se passait pour les « territoires incorporés de l’Est », le ministère de l’Intérieur du Reich n’avait aucun droit de contrôle ni aucune attribution administrative à l’égard du Gouvernement Général (voir à ce propos le document PS-3079 qui contient le décret de Hitler sur l’administration des territoires polonais occupés). Ce fait est confirmé par de nombreux autres documents parmi lesquels le document URSS-223, le journal de Frank, dans lequel il déclare que, sur son territoire, aucun service central du Reich ne pouvait intervenir. Il en est de même pour tous les autres territoires occupés, dans lesquels une administration particulière a été instituée sous une forme juridique quelconque. Ces administrations particulières ne dépendaient pas des ministères correspondants du Reich mais étaient subordonnées au chef de l’administration du territoire en question qui était lui-même subordonné directement à Hitler. C’est vrai pour les territoires de la Russie soviétique occupés dont l’ensemble de l’administration était soumise à un ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est. Il en est de même pour la Norvège pour laquelle avait été nommé un Commissaire du Reich. Aux Pays-Bas un Commissaire du Reich avait été nommé d’une manière analogue et il était également indépendant du ministère de l’Intérieur du Reich et subordonné directement à Hitler. Au Luxembourg, en Alsace et en Lorraine, il y avait également des chefs de l’administration civile qui ne dépendaient pas du ministère de l’Intérieur du Reich, tandis qu’en Belgique et dans le nord de la France existait une administration militaire qui, elle non plus, ne dépendait pas du ministère de l’Intérieur du Reich. De même, les chefs administratifs des territoires occupés du sud-est de l’Europe étaient absolument indépendants du ministère de l’Intérieur du Reich.

Pour une partie des territoires occupés, le décret particulier portant création d’une administration civile propre stipule que le ministre de l’Intérieur du Reich est l’organe central, et le Ministère Public en a déduit une responsabilité de l’accusé Frick dans l’administration de tous les territoires occupés, comme on peut le lire dans l’Acte d’accusation.

Les tâches réelles du service central résultent de l’ordonnance portant création d’un office central pour la Norvège. C’est le document PS-3082 ou 24 dans le livre de documents Frick. Un autre exposé de ces tâches a été fourni par le témoin Dr Lammers. A cette époque, l’Office central avait en premier lieu le devoir de mettre, sur leur demande, du personnel à la disposition des chefs des administrations civiles dans les territoires occupés. Ainsi donc, lorsqu’on avait besoin d’un fonctionnaire civil pour un territoire quelconque, l’administration du territoire intéressé s’adressait à l’Office central du Reich, au ministère de l’Intérieur, qui mettait alors un fonctionnaire quelconque du Reich à la disposition du chef de l’administration civile. Le ministère de l’Intérieur du Reich était particulièrement indiqué pour cela, étant donné qu’il disposait du nombreux personnel de l’administration intérieure de l’Allemagne. Mais l’affectation d’un fonctionnaire de son propre service dans un autre service qui, à partir de ce moment-là, est seul à lui donner des instructions, ne fonde pas une responsabilité pour une activité ultérieure de cet employé dans son nouveau ressort, le ministère de l’Intérieur du Reich ne pouvant plus lui donner aucune instruction. Prenons un exemple : lorsque le ministère de la Justice cède l’un de ses fonctionnaires au ministère des Affaires étrangères, ce n’est naturellement qu’au ministère des Affaires étrangères que revient la responsabilité de l’activité ultérieure de cet employé, et non pas au ministre de la Justice qui l’a cédé. Cette activité de l’Office central ne justifie donc pas la supposition d’une responsabilité de Frick pour l’administration des territoires occupés.

Les demandes de fonctionnaires pour les territoires occupés étaient groupées au ministère de l’Intérieur du Reich. C’est ainsi qu’il ressort de la déposition du témoin Lammers — je fais une citation du document qui vient d’être indiqué, le numéro PS-3082 — « la coopération unifiée et réglée d’après les besoins de la Norvège, des autorités supérieures du Reich entre elles et avec le Commissaire du Reich. »

De même, les dépositions des accusés Rosenberg, Frank, Seyss-Inquart qui ont été chefs des administrations des territoires occupés n’ont, en aucun cas, permis de conclure à une coopération quelconque avec l’inculpé Frick, en sa qualité de ministre de l’Intérieur ou de chef de l’Office central de ce ministère. Or, l’Accusation s’est référée à plusieurs documents pour prouver que l’accusé Frick avait exercé un vaste contrôle sur tous les territoires occupés. Il ne ressort pourtant réellement de ces documents aucune activité administrative dépassant celle que je viens d’exposer. Le document PS-3304 prouve une activité administrative pour les territoires de l’Est annexés. Cela corrobore ce que j’ai exposé : pour leur administration intérieure, les territoires annexés de l’Est étaient soumis au ministère de l’Intérieur du Reich, par suite de leur incorporation, conforme au Droit public, dans l’ensemble des États du Reich allemand ; mais ce document ne se rapporte pas à l’administration des territoires occupés de l’Est, donc du Gouvernement Général, ou des territoires soviétiques occupés.

Le document PS-1039 (USA-146) qui a été également présenté prouve l’affectation de fonctionnaires d’administration du ressort du ministère de l’Intérieur du Reich au ministère du Reich pour les territoires occupés de l’Est ; c’est la tâche typique de l’Office central dont j’ai déjà parlé.

En outre, l’Accusation a produit des documents dont il ressort que le ministère de l’Intérieur du Reich a contribué à l’attribution de la naturalisation allemande. Ce fait ne démontre pas non plus la compétence administrative de l’accusé Frick pour ces territoires occupés, mais une activité caractéristique d’un ministre de l’Intérieur dont l’activité comporte les questions de nationalité allemande, même si elles concernent des individus vivant en dehors du territoire du Reich. On ne peut non plus conclure de cette activité du ministre de l’Intérieur portant sur des personnes déterminées des territoires occupés, à une vaste politique administrative et à une responsabilité générale de l’accusé Frick pour l’administration des territoires occupés.

En particulier dans les territoires occupés qui n’étaient pas incorporés au Reich, Frick n’avait aucun pouvoir ou compétence dans le domaine de la Police. Pour les territoires occupés, les tâches de la Police ont été données directement par Hitler à Himmler.

Voir le document PS-1997 (USA-319) qui est le décret de Hitler sur la sécurité policière des territoires de l’Est dont Himmler fut directement chargé. La même chose résulte du document PS-447 (USA-135) qui est un ordre de l’OKW, en date du 13 mars 1941, stipulant que le Reichsführer SS dans les territoires occupés de l’Est reçoit des tâches particulières pour l’exécution desquelles il agit de sa propre initiative et sous sa propre responsabilité. Il n’en est pas autrement pour les tâches d’ordre policier dans les autres territoires occupés ; elles étaient confiées au Reichsführer SS Himmler ou aux chefs supérieurs de SS et de la Police qui, disciplinairement, se trouvaient uniquement sous les ordres de Himmler, mais dans certains cas cependant relevaient des services du chef de l’administration civile en question, par exemple du Gouverneur Général de Pologne. Voir à ce propos dans le livre de documents Frick, le document n° 25, un extrait du journal de Frank (URSS-223). Ainsi, dans aucun cas, les tâches de la Police n’ont relevé dans les territoires occupés de la compétence de l’accusé Frick. Pour les crimes de guerre et les crimes contre l’Humanité, commis dans les territoires occupés, on ne saurait parler de responsabilité de l’accusé Frick, parce qu’il ne pouvait ni ordonner ni empêcher des crimes dans ces territoires.

Pour le territoire du Reich allemand, j’ai à examiner maintenant la responsabilité imputée par le Ministère Public à l’accusé Frick pour toutes les mesures de la Police, y compris celles de la Gestapo, ainsi que l’institution et l’administration des camps de concentration. Je dois me référer d’abord aux documents que j’ai présentés comme preuves et dont il résulte que la Police, y compris la police politique, relevait encore en 1933 de la compétence des divers pays composant le Reich, par conséquent de la Prusse, de la Bavière, etc. C’est pourquoi la Police secrète d’État et les camps de concentration ont été institués en Prusse et administrés par Göring, en sa qualité de ministre de l’Intérieur de Prusse. Les attributions de la police politique passèrent ensuite, en vertu d’une loi prussienne du 30 novembre 1933, au cabinet du ministre-président de Prusse, qui était également sous les ordres de Göring, de sorte que lors de la fusion du cabinet du ministre de l’Intérieur du Reich et du ministre de l’Intérieur de Prusse, au printemps de 1934, Frick ne prit pas en main les fonctions de la police politique en Prusse, mais que celles-ci, au contraire, demeurèrent entre les mains de Göring, en sa qualité de ministre-président. Une réglementation semblable était en vigueur dans les autres pays dans lesquels Himmler devint peu à peu spécialement chargé de la police politique.

Pendant cette période, le ministre de l’Intérieur du Reich n’avait sur ces pays que le droit dit « de surveillance nationale », dont Frick a fait usage en donnant des directives générales et en édictant des réglementations légales. C’était là le seul point sur lequel Frick, en tant que ministre de l’Intérieur, pouvait exercer une influence sur la police politique et les camps de concentration. Afin d’empêcher la police politique de prendre des mesures arbitraires, Frick a utilisé cette possibilité autant que les circonstances le lui permettaient. C’était conforme à son attitude de principe ainsi que l’a montré le témoin Gisevius. Il a essayé, en édictant des lois et réglementant la procédure, de restreindre la pratique arbitraire de la police politique des pays. Je me réfère au document PS-779 que j’ai présenté comme preuve sous le numéro Frick-6. Il s’agit d’un décret du 12 avril 1934 qui contient une semblable disposition restrictive avec ce préambule caractéristique, et je cite : « Afin d’écarter les abus auxquels donnent lieu les arrestations de protection... » Suivent alors des directives envoyées aux Gouvernements des pays qui interdisent les arrestations par mesure de protection dans de nombreux cas où la Gestapo s’en était servi jusqu’alors de façon abusive. Dans ce combat entre Frick et les mesures arbitraires de la police politique de ces pays, c’était évidemment celle-ci qui avait le plus de souffle, car elle était sous la direction de Göring et de Himmler, dont l’influence dans le Parti était évidemment bien plus grande que celle du « bureaucrate Frick » comme l’appelait Hitler avec mépris. Pour cette raison, la police politique de ces pays a souvent, dans la pratique, peu observé les réglementations de Frick. Mais Frick n’est pas resté inactif devant cette situation : aussi longtemps qu’il a cru possible, par son intervention, de ramener dans des voies normales et soumises au droit, la sauvage activité de la police politique. Je renvoie au document PS-775, Frick n° 9 : c’est un mémorandum adressé par Frick à Hitler, il appelle clairement les choses par leur nom, parle d’insécurité juridique, de troubles et d’exaspérations et proteste violemment contre les mauvais usages du droit d’arrestation préventive par la police politique. Le même document prouve également que l’accusé a toujours pris le parti de l’Église au cours des luttes religieuses comme le montre le document Neurath n° 1. Le témoin Gisevius a fait allusion dans sa déposition à un autre mémorandum dont il avait lui-même rédigé le projet pour Frick ; il le représente comme une autre tentative de mettre un frein à l’activité arbitraire de la police politique des pays par une critique acerbe et en proposant un contrôle légal. Mais toutes ces tentatives n’ont eu aucun succès, car l’influence politique de Frick était trop minime et il ne pouvait rien faire contre Göring et Himmler. De plus, — et Frick ne pouvait à ce moment le reconnaître lui-même — l’activité de Göring et de Himmler correspondait dans l’essentiel à ce que Hitler lui-même voulait en réalité.

Les documents présentés par l’Accusation montrent donc, en corrélation avec les moyens de preuves présentés par la Défense, que Frick avait une certaine influence dans le domaine de la police politique et en ce qui concernait les arrestations préventives à une époque où la Police était encore du ressort des différents Etats. Mais ces preuves montrent aussi que le ressort de compétences de Frick, à cette époque, était très réduit et que, de plus, Frick ne faisait dans les limites de sa compétence que s’opposer à la terreur et à l’arbitraire de la Gestapo, qu’il combattait au moyen de directives générales et par de nombreuses protestations dans certains cas particuliers. Ainsi, on ne peut établir la conclusion que Frick ait participé d’une manière quelconque et de façon positive aux actes de terrorisme et aux abus de pouvoirs de la Gestapo.

Ultérieurement, la situation juridique s’est modifiée. Le décret de Hitler du 17 juin 1936, document PS-2073, livre de documents Frick n° 35, a concentré toutes les attributions policières pour l’ensemble du territoire du Reich entre les mains de Himmler dont les services furent, en principe, incorporés au ministère de l’Intérieur. Himmler portait le nom de Reichsführer SS et chef de la Police allemande au ministère de l’Intérieur. La question est alors de savoir si l’accusé Frick, en sa qualité de ministre de l’Intérieur, a reçu, à la suite de cette nouvelle réglementation, le pouvoir de donner des ordres et un droit effectif de donner des directives à la police politique, à ses services et à ses fonctionnaires. Lorsque Himmler, en raison de l’influence qu’il avait sur Hitler, fut nommé, selon son désir, chef de la Police de tout le Reich, il n’y avait pas, en Allemagne, de ministère proprement dit de la Police ou de la sûreté et il faut attribuer à cela le fait que la direction unique de la Police personnifiée par Himmler a été incorporée pour la forme au ministère de l’Intérieur. Himmler, cependant, devait être beaucoup plus qu’un chef de service du ministère de l’Intérieur. On a créé pour lui, et pour lui permettre d’arriver à ses fins, une situation entièrement nouvelle dans le Droit administratif allemand. Tout le domaine de la Police a été détaché des autres services du ministère de l’Intérieur et placé sous la direction particulière de Himmler, sous une nouvelle appellation officielle contenant, comme un service public, les mots « Reichsführer SS ». Cela donnait à Himmler la possibilité d’exercer une activité policière et étatique sous une dénomination qui caractérisait ses fonctions de Reichsführer SS et sa position de dignitaire du Parti. En cette qualité, il paraissait échapper à toute directive émanant d’un ministre d’État. Pour affirmer particulièrement son indépendance dans la hiérarchie administrative, il reçut d’emblée le droit de s’occuper dans son cabinet, comme un ministre, et sous sa propre responsabilité, des affaires de la Police ; ce fait résulte du décret de nomination PS-2073. Ce décret est précisément un exemple typique de l’enchevêtrement des compétences que Hitler affectionnait tant dans son système gouvernemental. Himmler était incorporé au ministère de l’Intérieur et, en tant que fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, « dépendait, en principe, des directives du ministre. Mais il était également chef indépendant de la Police avec le droit de présider, sous sa propre responsabilité, aux affaires policières et le droit par conséquent de passer outre aux directives de Frick. En outre, il pouvait faire bénéficier ses ordonnances de l’autorité que lui conférait sa position de Reichsführer SS, domaine dans. lequel Frick n’avait pas la parole. Dans le fonctionnement effectif de cette organisation embrouillée, l’influence importante de Himmler sur Hitler augmenta encore. Frick essaya bien, à plusieurs reprises, conformément à sa conviction, d’instaurer un appareil étatique normal à l’aide de directives générales destinées à contrecarrer l’arbitraire de la police politique. Il essaya encore, par le décret du 25 janvier 1938, de réduire la pratique des arrestations de protection ; il les interdit dans un certain nombre de cas où on en faisait un mauvais usage. Je renvoie au document PS-1723 (USA-206), dont un extrait se trouve dans le livre de documents Frick, au numéro 36. Il interdit la détention de protection comme mesure de remplacement ou mesure supplétive d’une condamnation judiciaire ; il interdit aux services moyens ou inférieurs de la Police de la prononcer ; il ordonna l’interrogatoire préalable obligatoire de l’inculpé, institua un examen régulier de la persistance des motifs ayant amené l’arrestation et interdit par principe de prononcer la détention de protection à l’égard d’étrangers, contre lesquels il ne laissa à la Police que le droit d’expulsion du territoire du Reich, en cas de manœuvres menaçant la sécurité de l’État.

On est tout naturellement tenté d’objecter que les gens de la Gestapo ne se sont pas souciés de toutes ces instructions de Frick et que Himmler et ses lieutenants ont exercé une domination absolue par la terreur et la violence. C’est exact et a été confirmé dans les détails par le témoin Gisevius.

Mais j’ai autre chose à dire pour la défense de Frick : montrer que Frick lui-même a désapprouvé de tels actes arbitraires et qu’il a essayé de s’y opposer dans la mesure de ses forces. Finalement, Hitler le lui a interdit aussi : il lui fit communiquer par Lammers — comme celui-ci l’a confirmé lors de son témoignage — qu’il ne devait pas s’occuper des affaires de la Police, que Himmler le faisait mieux seul et que la Police était en bonnes mains avec ce dernier.

C’est ainsi qu’à la fin Himmler a eu la Police complètement en mains. Il l’a aussi manifesté extérieurement, lorsque, avec l’accord de Hitler, il n’a plus accolé à la désignation de sa charge le complément « au ministère de l’Intérieur du Reich » et qu’il ne s’est plus appelé que « Reichsführer SS et chef de la Police allemande », comme le démontre également la déposition de Lammers. Je crois qu’étant donné cet état de choses, le problème d’une responsabilité pénale de l’inculpé Frick, du fait de la police politique et de ses mesures arbitraires, n’est pas établi lorsqu’on constate en fait que toute la Police était formellement incorporée, depuis 1938, au ministère de l’Intérieur du Reich. J’ai démontré, en effet, que Frick lui-même n’a pas participé à des actes arbitraires et qu’au contraire il a toujours essayé d’intervenir contre une telle pratique, de toutes ses forces, qui ne pouvaient cependant pas compter à côté de la personnalité et de l’influence de Himmler auprès de Hitler.

Pour rendre un jugement équitable, je demande que l’on considère les rapports réels des commandements et des forces et non le fait, purement extérieur, d’une incorporation de forme des tâches en question dans le ministère de l’Intérieur du Reich.

Le Ministère Public a parlé du document GB-528 et a déclaré que ce document prouvait que la police politique avait non seulement été formellement incorporée dans le ministère de la Police du Reich, mais que Frick en avait l’absolue responsabilité. En réalité, le document fait simplement ressortir que Frick, en tant que ministre de l’Intérieur, s’occupait de la procédure de la stérilisation des personnes atteintes de maladies héréditaires. Cette question n’avait rien à voir avec les questions de la police politique. Il n’y a pas non plus de faits qui prouvent la situation de Himmler au ministère de l’Intérieur.

A ce propos je dois encore donner quelques courtes explications sur l’affirmation du Ministère Public qui prétend que le décret de Hitler nommant Himmler chef de la Police allemande (document PS-2073) a été contresigné par Frick lui-même. Je crois que les rapports entre Frick et Himmler, que leurs relations différentes avec Hitler ont été suffisamment établis pour permettre de conclure que la nomination de Himmler fut prise uniquement à la suite d’un accord entre Hitler et Himmler, et que toute opposition de Frick eût été vaine. Il s’agit ici du même problème qui concerne tout accusé, c’est-à-dire du fait d’avoir en tant que chef de département, contresigné pour la forme un ordre émanant de Hitler, bien que ce chef de service n’eût aucune influence sur l’ordre et n’eût pas pu l’empêcher. Même sans avoir été contresigné par le ministre, l’ordre aurait eu plein effet, en Droit public, comme décret du Führer. J’ai à traiter maintenant de quelques documents que l’Accusation a interprétés comme dénotant une activité positive de l’accusé Frick dans le domaine de la police politique. Le document PS-3304, sur lequel l’Accusation a attiré l’attention, a déjà été traité par mes soins. Il concerne une ordonnance sur l’envoi d’un chef supérieur de la Police au Reichsstatthalter, dans les territoires de l’Est incorporés dans l’union des États allemands ; il traite donc de l’organisation administrative des services du Reichsstatthalter dans une partie du Reich. L’ordonnance précitée tombe donc dans le domaine de la compétence générale du ministre de l’Intérieur et n’indique pas pour cela une activité policière particulière. Cette ordonnance n’a, en outre, rien à voir avec des actes arbitraires quelconques de la Gestapo. Du même ordre est le décret du 20 septembre 1936, document PS-2245, sur l’emploi des commissaires de police auprès des administrations provinciales prussiennes, qui étaient également subordonnées au ministre de l’Intérieur du Reich, en tant qu’éléments de l’administration intérieure et générale du Reich. La nomination d’un commissaire de police auprès de l’autorité de l’administration générale de la province est une mesure de l’administration intérieure du Reich. Cette mesure également n’avait aucun rapport avec les actes arbitraires de la Gestapo, et, en particulier, elle ne prouve pas que l’accusé ait donné des instructions quelconques à la Gestapo.

Il n’en est pas autrement avec les documents que l’Accusation a interprétés comme une participation de l’accusé à l’institution et à l’administration des camps de concentration ou comme un acquiescement aux méthodes de terreur de la Gestapo. Dans son exposé du 22 novembre 1945, l’Accusation s’est référée au document PS-2533 qu’elle a interprété comme preuve d’un acquiescement donné à ces institutions par l’accusé Frick. Je n’ai pas besoin d’insister sur le contenu du document. Il s’agit d’un article de l’accusé Frank dans la revue de l’Académie de Droit allemand, qua l’Accusation a attribué par erreur à Frick. Un autre document n’a pas une force probante suffisante pour pouvoir être utilisé dans un jugement. Je veux parler du document PS-2513, n° 235, qui contient un extrait d’un discours que Frick aurait prononcé en 1927 Mais l’extrait de ce discours est tiré d’un journal social-démocrate de province, un petit journal hostile à Frick, dont le correspondant ne disposait d’aucun exemplaire authentique du discours et nous connaissons tous les erreurs et les malentendus que l’on trouve souvent dans de tels comptes rendus résumés, dont la teneur ne peut être vérifiée par l’orateur lui-même. Ce document, d’après lequel Frick aurait dit que l’Histoire ne doit pas être seulement écrite avec des bulletins de vote mais avec du sang et le fer, ne saurait être considéré comme une source sûre. L’Accusation a présenté encore le document PS-1643 (USA-173). Il se rapporte à des négociations sur l’expropriation de terrains pour agrandir l’aire du camp de concentration d’Auschwitz. L’administration générale intérieure est toujours compétente pour les expropriations et c’est pour cette raison qu’on a fait venir un fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, qui a cependant déclaré — feuille 2 de la traduction anglaise du document — qu’il n’avait pas les pouvoirs nécessaires pour disposer de la propriété des terrains. Ce document ne permet donc pas de conclure à une activité politique et policière quelconque de l’inculpé ou à un acquiescement donné à la pratique des camps de concentration. Le Ministère Public, à ce propos, a finalement indiqué que l’accusé Frick avait visité lui-même les camps de concentration d’Oranienburg et de Dachau. L’accusé ne conteste pas la visite à Oranienburg, qui, d’après le témoignage de Höss, a eu lieu en 1938. A cette époque, le cadre extérieur du camp était en général celui d’un terrain d’exercices militaires, comme l’a confirmé le témoin Höss lui-même. Dans tous les cas, à cette époque, un visiteur officiel ne ’pouvait rien remarquer des meurtres, des mauvais traitements et autres crimes semblables ; de sorte qu’une visite ne peut constituer un argument décisif prouvant la connaissance de crimes dans les camps de concentration.

Le camp de concentration de Dachau n’a, par contre, jamais été visité par Frick, contrairement au témoignage de Blaha. Je renvoie, à ce propos, à la déclaration de Gillhuber qui accompagnait toujours Frick au cours de ses déplacements et aurait dû avoir connaissance d’une telle visite, si elle avait eu lieu. Je puis encore indiquer que les deux autres personnes accompagnant constamment Frick ont été également proposées comme témoins par mes soins, mais que leur témoignage n’a pas été jugé nécessaire par le Tribunal, conformément à l’avis du Ministère Public. La raison donnée fut que le témoignage d’une seule de ces personnes suffisait.

Pour conclure ce chapitre, j’ai encore à examiner une affirmation du Ministère Public selon laquelle Frick aurait été le chef de l’Office principal de la sûreté du Reich (RSHA). Je renvoie au témoignage d’Ohlendorf, qui a déclaré au Tribunal que le RSHA était une création de Himmler. Celui-ci avait réuni dans ce service ses tâches de Police d’État et ses fonctions de Reichsführer SS, avec lesquelles Frick n’avait aucun rapport et à l’égard desquelles il avait encore moins de pouvoirs. Seul Himmler en personne était chef de ce service.

Je dois insister, en outre, sur les reproches faits à l’accusé Frick à propos de la persécution des personnes de race juive. Frick a participé aux mesures légales, en particulier aux lois de Nuremberg, et à des mesures administratives qu’il considérait comme l’expression de la politique raciale du national-socialisme. Par contre, il n’est pas prouvé que Frick ait participé lui-même aux mesures relatives à l’anéantissement ou qu’il ait eu connaissance de ces mesures exécutées par Himmler et ses organismes sur l’ordre direct de Hitler et gardées strictement secrètes vis-à-vis de tous ceux qui ne participaient pas eux-mêmes à ces événements effrayants.

On reproche encore à l’accusé, à propos de son activité de ministre de l’Intérieur, d’avoir participé à l’assassinat de malades et d’aliénés. L’instruction fondamentale de Hitler est contenue dans le document PS-630 (USA-342) : le document montre que Hitler n’a pas fait parvenir d’ordonnance correspondante à un service d’État quelconque, mais seulement à Bühler et au Dr Brandt, qui étaient absolument étrangers à l’appareil des ministères. D’ailleurs, Hitler n’a pas, de son côté, signé officiellement, en tant que Fürher et Chancelier du Reich ; ce qui était contraire à tout règlement, mais il s’est servi de son papier à lettres personnel, portant l’en-tête « Adolf Hitler ». Il en résulte donc, comme l’a confirmé le témoin Lammers, que Hitler n’a pas chargé de ces mesures le ministère de l’Intérieur ou un autre service. d’État, mais deux membres du Parti-Par ailleurs, sa lettre ne portait que l’insigne du Parti.

Les documents déposés par le Ministère Public prouvent, par contre, que des réclamations sont aussi parvenues au Ministère de l’Intérieur, mais elles ne prouvent pas que Frick, contrairement au document PS-630, ait participé aux mesures d’anéantissement ou qu’il eût pu les empêcher.

Après avoir été suspendu de ses fonctions de ministre de l’Intérieur, Frick fut nommé, le 20 août 1943, Protecteur du Reich en Bohême-Moravie. Il fut chargé là d’une mission dont les limites étaient, dès le début, nettement déterminées.

Je renvoie au document PS-3443 (URSS-60) et au livre de documents Frick, sous le numéro 29, au document PS-1366 — que j’ai présenté sous le numéro Frick-5 a — et à la déposition du témoin Lammers. Les fonctions du Protecteur du Reich consistaient primitivement en la représentation centralisée de l’autorité du Reich dans le Protectorat. Mais, en réalité, les pleins pouvoirs passèrent de plus en plus au secrétaire d’État du Protectorat, Frank. Avec la nomination de Frick, en août 1943, un décret du Fürher, qui ne fut pas publié, remit formellement les pouvoirs administratifs à Frank qui, à partir de cette date, porta le titre de « ministre d’État allemand en Bohême-Moravie ». Le « Reichsprotektor » garda essentiellement le droit de représentation et d’amnistie et l’Accusation ne prétend pas et ne prouve pas que Frick ait abusé de ces droits. Par contre, Frank, en tant que « ministre d’État allemand », recevait, selon le décret du Fürher précité, directement ses ordres de Hitler, qui l’avait nommé lui-même et dont il recevait des instructions, sans passer par l’intermédiaire de Frick, et sans que ce dernier fût autorisé à exercer une influence quelconque. Devant cet état de choses, le document PS-3589 (USA-720) ne peut être porté à la charge de l’accusé Frick.

J’en arrive au reproche de l’Accusation selon lequel Frick serait responsable de certains crimes du fait de son appartenance à certaines organisations.

Le Ministère Public a présenté les SS comme une de ces organisations à laquelle pourtant Frick n’a jamais appartenu. Il n’a donc pas été général des SS comme le soutient l’Accusation. Je veux croire qu’il n’y a là qu’une erreur de sa part. Elle n’a d’ailleurs produit aucune preuve à cet égard. De même, Frick n’a jamais été membre des SA, comme l’indique à tort le tableau énumérant les organisations dont les accusés ont fait partie. Ici encore, il n’existe aucune preuve. D’autre part, l’Accusation a désigné Frick du nom de Chef suprême de la Gestapo et l’a donc considéré comme un membre de cette organisation, prétendant que la Gestapo, depuis la nomination de Himmler comme chef de la Police allemande en 1936, avait été officiellement- incorporée au ministère de l’Intérieur du Reich. Mais la Gestapo avait son propre chef en la personne de Himmler, qui était seul à lui donner des ordres, et le fait que Himmler ait été officiellement subordonné au ministre de l’Intérieur ne signifie pas que ce dernier ait été membre de l’organisation commandée par Himmler seul. L’accusé Frick, en sa qualité de Reichsleiter, se voit reprocher, en outre, d’avoir appartenu au corps des chefs politiques. Il appartiendra à mon confrère préposé à la défense de cette organisation d’en approfondir le caractère. En ce qui concerne l’accusé Frick, il me suffit d’indiquer qu’il occupait une position officielle de Reichsleiter en sa qualité de président de la section du Reichstag de la NSDAP. Étant donné que le Reichstag lui-même n’avait plus, depuis 1933, de signification politique, comme il est inutile que je l’expose plus en détail, cette fonction de Frick n’avait rien de comparable à la situation des Reichsleiter qui administraient d’importants ressorts politiques. Enfin, Frick, en tant que ministre du Reich, était également membre du Gouvernement du Reich. Pour ce qui est du caractère et des attributions de cette organisation, je me réfère à nouveau, en premier lieu, aux explications que donnera ultérieurement mon confrère chargé de la défense de cette organisation. Je rappelle uniquement ici les déclarations de Lammers et de Gisevius, ainsi que l’extrait du livre de ce témoin que j’ai versé sous le numéro Frick-13, afin de montrer la situation et la compétence du Cabinet du Reich à l’égard des procédés dictatoriaux de Hitler.

Ceci dit, l’accusé Frick se présente comme une personnalité qui a certainement exercé une action politique en vue d’amener Hitler au pouvoir et qui, ce but atteint, eut pendant quelque temps une influence prépondérante sur la politique intérieure. Mais toutes les mesures prises par Frick avaient un but de politique intérieure : elles ne devaient aucunement être liées à une politique étrangère visant à une guerre d’agression et encore moins à des crimes contre l’Humanité commis à l’appui de crimes contre la paix ou contre les lois de la guerre ; et c’est seulement dans ces cas que le Tribunal, conformément à l’article 6 du Statut, serait à même de prononcer un jugement, comme le Ministère Public l’a d’ailleurs exposé lui-même. Lorsque Frick se rendit compte, par la suite, que la politique empruntait une voie qu’il ne pouvait plus approuver, il s’efforça de mettre en œuvre toute son influence pour amener un changement. Mais il dut alors constater, de plus en plus, que Hitler n’écoutait pas ses plaintes et ses représentations ; il dut, au contraire, se rendre compte qu’il s’aliénait ainsi la confiance de Hitler, qui préférait se laisser conseiller par Himmler et ceux qui pensaient comme lui, si bien que finalement, à partir de 1937, Hitler cessa de recevoir Frick lorsque ce dernier voulait lui présenter des doléances. Frick renonça alors à ces tentatives, vouées à l’insuccès, en vue d’amener un changement dans la situation. Cette situation n’aurait même pas été modifiée par sa démission, qu’il offrit vainement à plusieurs reprises, comme il ressort de la présentation des preuves. Ainsi, la tragédie de Frick provient de ce qu’il est devenu prisonnier d’un système dont il a accompagné les premiers pas avec enthousiasme et dont il s’était autrement imaginé l’évolution. Un fait qui me semble important pour juger sa personnalité et son activité, c’est que l’exposé des charges, poursuivi pendant de longs mois, n’a pas apporté la preuve d’une participation personnelle de l’accusé à un crime quelconque.

Ce n’est pas sans raison que John Gunther, dans le livre Inside Europe que j’ai présenté au Tribunal comme preuve, désigne précisément l’accusé Frick le « seul nazi honnête » ; dans le même passage, Gunther le qualifie plus loin de « bureaucrate 100 ° /e ». Hitler lui-même l’a souvent appelé le « raccommodeur de paragraphes », car, fait caractéristique, Frick n’a pas rencontré Hitler dans une quelconque réunion populaire, mais dans son bureau de la police de Munich, en 1923.

Cet homme fut enthousiasmé par le pouvoir de suggestion, si inaccessible pour lui, d’un Hitler dont les grands mots parlaient à sa sensibilité, à son sens de l’honneur et à son patriotisme. Ce fut Hitler qui le rendit fier de pouvoir collaborer au relèvement de la nation allemande, qui, en s’appuyant sur une Armée forte, devait être en mesure de jouer dans la politique internationale un rôle actif quoique pacifique. Mais ce fut également Hitler qui sut persuader au bourgeois Frick que son programme était le seul moyen d’éviter une domination bolchevique en Allemagne et lui inspirer des paroles fausses, des faits déformés et des artifices de propagande, auxquels se sont laissés prendre même des hommes d’une plus grande envergure spirituelle, qui ont été entraînés par le pouvoir de suggestion d’un Hitler, sans comprendre à temps qu’ils s’étaient rendus à la volonté de persuasion d’un criminel, prêt à détruire les piliers de la civilisation pour parvenir à ses fins, et qui, finalement, allait abandonner l’Allemagne dans un immense champ de décombres spirituels et matériels. Que ce Procès, par une sentence équitable et juste, puisse aider à en effacer les traces !

LE PRÉSIDENT

Docteur Marx, vous avez la parole.

Dr HANNS MARX (avocat de l’accusé Streicher)

Monsieur le Président, Messieurs je commence ma plaidoirie en faveur de l’accusé Julius Streicher. Lorsque, en mai de l’année passée, les derniers combats de la plus grande et plus terrible guerre de tous les temps ont cessé, le peuple allemand ne se releva que lentement du trouble dans lequel l’avaient mis, pour la plus grande partie, les derniers mois de la guerre. Il avait, comme tous les peuples européens, souffert terriblement pendant des années ; mais les derniers mois, tout particulièrement avec leur grêle de bombes, avaient presque dépassé les possibilités humaines, aussi bien du peuple que du pays. A cette terreur vint s’ajouter la certitude que la guerre était perdue et la crainte d’un destin incertain qu’apporterait l’occupation. Et lorsque enfin l’époque de la première terreur fut passée, lorsque le peuple allemand recommença lentement à respirer une terreur paralysante se répandit à nouveau. Par la presse et la radio, par les journaux et les films, on apprit les actes terroristes qui s’étaient passés à l’Est, dans les steppes et les camps de concentration. L’Allemagne apprit que des êtres, des hommes de son sang, avaient assassiné et anéanti des millions et des millions de Juifs innocents. Instinctivement, la plupart sentirent que ces actes constitueraient la plus lourde charge dans les reproches que le monde ferait à l’Allemagne.

La question de savoir si le peuple allemand dans son ensemble avait su et approuvé ces actes est la question primordiale. Elle constitue la pierre de touche qui doit décider si oui ou non l’Allemagne se retrouvera jamais sur un pied d’égalité dans le cercle culturel et vital du monde. Comme pour chaque faute commise se pose ici aussi la question de la recherche du coupable. Qui avait commandé ces actes d’atrocité, accompli des faits aussi inimaginables, des actes qui, dans l’Histoire, même dans les temps les plus reculés, ne trouvaient pas leurs pareils ?

Parmi toutes ces questions et discussions arriva la nouvelle que l’ex-Gauleiter de Franconie, le rédacteur du Stûrmer, l’accusé actuel Julius Streicher, était tombé entre les mains des troupes américaines. D’après le commentaire que cette nouvelle suscita dans les journaux publiés uniquement par les forces d’occupation, ainsi que par les nouvelles données à la radio, il apparut que le monde était d’avis qu’avec Julius Streicher était. arrêté non seulement un des nombreux propagandistes antisémites du IIIe Reich, mais tout simplement l’ennemi n° 1 des Juifs.

Le point de vue prépondérant dans le monde était officiellement celui-ci : dans la personne de Julius Streicher, on avait saisi non seulement le propagandiste actif de la persécution des Juifs et de leur anéantissement, mais Streicher avait pris aussi la part la plus considérable à l’exécution des actes d’anéantissement. Il aurait, d’après ce que l’on disait, non seulement été celui qui haïssait le plus les Juifs et qui prêchait le plus leur extermination, mais c’était surtout à son influence directe qu’il fallait attribuer la destruction du judaïsme européen.

C’est seulement à ce point de vue que l’on peut expliquer la présence de Julius Streicher sur le banc des accusés parmi les plus grands responsables du système national-socialiste. Car ni par lui-même, ni par sa personnalité, ni par ses fonctions et sa position modeste, il ne fait partie du groupe de ceux qui ont dirigé la NSDAP ou joué un rôle décisif.

Ce point de vue fut, à l’origine, partagé aussi par le Ministère Public, qui F écarta assez rapidement, car l’exposé des charges écrit ne reprochait déjà plus à l’accusé Streicher d’avoir pris part directement aux meurtres massifs et monstrueux, mais déclarait plutôt que, moins que tous les autres accusés, Streicher ne pouvait être chargé d’une culpabilité directe ; seules, sa propagande et son action par la parole et par la plume, lui étaient reprochées.

Dans le détail, les chefs d’accusation relevés contre l’accusé Streicher peuvent ainsi se résumer ;

1. Avoir aidé à la prise du pouvoir et fortifié la puissance de la NSDAP après son entrée dans le Gouvernement.

2. Préparation de guerres d’agression par la propagande sur la persécution des Juifs.

3. Préparation morale et psychologique et encouragement à la haine du Juif : a) du peuple allemand ; b) de la jeunesse allemande ; c) des destructeurs actifs du judaïsme.

Sans Julius Streicher, pas d’Auschwitz, pas de Mauthausen, pas de Maïdanek, pas de Lublin. C’est ainsi que l’on peut résumer l’Accusation.

En ce qui concerne le point 1 de l’accusation, l’accusé ne nie pas avoir soutenu et encouragé de toutes ses forces dès le début, la prise du pouvoir ultérieure par le Parti. Cette aide consistait à mettre à la disposition d’Adolf Hitler un mouvement qu’il avait lui-même créé en Franconie dans les années qui ont suivi la première guerre mondiale, mouvement qui était très réduit et se limitait au sud de la Bavière ; en outre, après la sortie de Hitler de la forteresse de Landsberg, il s’aboucha à nouveau avec lui et adopta, avec la plus grande ferveur, dans les temps qui suivirent, ses idées et ses buts.

LE PRÉSIDENT

Je crois qu’il est temps de lever l’audience.

(L’audience sera reprise le 12 juillet 1946 à 10 heures.)