CENT SOIXANTE-DIX-SEPTIÈME JOURNÉE.
Vendredi 12 juillet 1946.

Audience de l’après-midi.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal propose de poursuivre l’audience jusqu’à 4 heures, sans suspension.

Dr SAUTER

Messieurs, j’ai jusqu’à présent traité d’une manière générale les fonctions de l’accusé Funk. J’en viens maintenant à sa responsabilité pénale eu égard aux différents chefs d’accusation.

Le premier chef d’accusation traite de l’assistance à la prise du pouvoir par le Parti, c’est-à-dire de l’activité de l’accusé dans le Parti, de 1931 à la fin de 1932.

L’accusé Funk aurait provoqué la prise du pouvoir par les conspirateurs. C’est à ce point de vue de l’Accusation que nous examinerons l’activité de l’accusé Funk à partir du moment où il est entré au Parti, en juin 1931, jusqu’au moment de la prise du pouvoir, le 30 janvier 1933. Le Ministère Public soutient que Funk est entra au Parti, en juin 1931, jusqu’au moment de la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes. C’est exact. L’accusé Funk a déclaré et expliqué en détail, au cours de son interrogatoire, le 4 mai, qu’il a vu, à l’époque, dans la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes, la seule possibilité de sauver le peuple allemand d’une détresse spirituelle, économique et sociale. Le programme politique du Parti n’était, à son avis, pas clair et reposait en grande partie sur la propagande. Lui-même désirait faire valoir au sein du Parti ses propres conceptions en matière d’économie politique et espérait pouvoir travailler, à travers le Parti, à la prospérité du peuple allemand. Au cours de son interrogatoire, Funk a expliqué ses points de vue au Tribunal, de la manière la plus détaillée. Ils étaient fondés sur le principe de la propriété privée qui est inséparable de la reconnaissance de la diversité des capacités de rendement des invidivus. Funk demandait la reconnaissance de l’initiative privée et la responsabilité personnelle de l’esprit fécond d’entreprise, la libre concurrence et le nivellement des inégalités sociales. 11 s’efforçait d’apaiser la lutte de partis et de classes et de réaliser avec un gouvernement fort ayant toute autorité, toute responsabilité, une éducation politique unifiée du peuple. Par ses conversations avec Adolf Hitler et avec d’autres chefs du Parti, il acquit la conviction que ce dernier reconnaissait parfaitement ses principes et ses idées. Le fait d’avoir favorisé le Parti dans sa lutte pour le pouvoir ne peut pas, à son avis, lui être reproché. C’est précisément par les explications fournies au cours de ce Procès, que Funk a vu s’établir la preuve irréfutable que le Parti est arrivé au pouvoir par des moyens absolument légaux. Mais la façon dont Funk a favorisé le Parti ne peut pas être, suivant sa conviction, condamnée. Le rôle que l’Accusation lui attribue, à cette occasion, ne correspond pas à la réalité. L’activité de Funk est, en effet, en partie considérablement surestimée quant à son importance et, en partie, mal interprétée.

Les preuves présentées par le Ministère Public consistent essentiellement en des citations et des extraits de mémoires, en particulier du livre du Dr Ostreich : Walter Funk, une vie au service de l’Économie, qui a été présenté comme document au Tribunal sous le numéro PS-3505 (USA-653). L’élément essentiel de cette documentation est un programme de reconstruction économique qui figure à la page 81 de cet ouvrage, qui a été établi par l’accusation Funk et que l’Accusation désigne — je cite textuellement — comme « la déclaration officielle du Parti sur les questions économiques » et comme la « Bible économique de l’organisation du Parti ». Ce programme de reconstruction économique sert probablement aussi de base à une fausse affirmation qui figure à la page 3 de l’exposé écrit des charges suivant laquelle l’accusé Funk « a collaboré à l’élaboration du Programme, publié par le parti nazi et par le Führer ». Ce programme de reconstruction économique dont le texte a été lu au cours de l’interrogatoire de l’accusé Funk ne contenait vraiment rien d’extraordinaire ou de révolutionnaire et également rien de ce qui pût être considéré comme un trait caractéristique de l’idéologie nationale-socialiste. Le programme fait ressortir la nécessité de procurer du travail, d’instaurer un crédit productif sans risque d’inflation, la nécessité d’un assainissement des finances publiques ainsi que l’urgence de mesures de protection pour l’agriculture, pour la propriété urbaine immobilière et foncière, et d’une réorganisation des relations économiques avec l’étranger. Il s’agit d’un programme dont Funk a dit au cours de son interrogatoire qu’il pourrait être soutenu par n’importe quel parti ou gouvernement libéral et démocratique. L’accusé Funk regrette seulement que le Parti ne se soit pas complètement rallié à ces principes. Funk a eu constamment par la suite des difficultés et des différends avec divers services du Parti, particulièrement avec le Front du Travail, la chancellerie du Parti, Himmler et la plupart des Gauleiter, au sujet de ses principes économiques. Ce point a aussi été confirmé par le témoin Dr Landfried qui a dépeint en détail dans son questionnaire ces différends avec le Parti. Au sein du Parti, Funk passait pour un libéral qui se tenait en marge de lui. A l’époque, c’est-à-dire principalement en 1932, il a établi la liaison entre Hitler et quelques personnalités importantes de l’économie allemande. Il est également intervenu pour faire comprendre les idées nationales-socialistes et pour que l’économie appuyât le Parti. En raison de cette activité, il a été souvent considéré comme le conseiller économique de Hitler. Mais ce n’était pas une fonction du Parti ou un titre du Parti. Dans le document EC-440 (USA-874),

Funk déclare que Keppler, qui est devenu plus tard secrétaire d’État, était, de nombreuses années avant lui — Funk — considéré comme le conseiller économique du Führer. Par cette remarque, Funk entendait montrer que la qualification de conseiller économique du Führer avait également été attribuée officiellement à d’autres personnes.

Funk ne fut chargé à cette époque de tâches ressortissant au Parti que pour une très courte durée. Cette activité n’a eu en aucune façon une signification d’une importance quelconque, ce qui ressort du seul fait que l’activité de Funk dans le Parti a complètement cessé avec la prise du pouvoir. Dans les autres secteurs, comme le ravitaillement et l’agriculture, les finances, etc., les titulaires d’offices du Parti qui entrèrent au service de l’État comme ministres, secrétaires d’État, etc., conservèrent leurs fonctions dans le Parti, fonctions qui, en général, gagnèrent ensuite encore en importance. L’exclusion seule de l’accusé Funk de tout office du Parti, dès l’instant de la prise du pouvoir, montre sans équivoque que la direction du Parti n’attachait aucune valeur particulière à l’activité de Funk dans le Parti.

Le représentant soviétique du Ministère Public a, au cours du contre-interrogatoire de l’accusé, fait grief à ce dernier d’un article paru dans le journal Das Reich à l’occasion du 50e anniversaire de Funk (18 août 1940), URSS-450. Dans cet article, l’auteur, un économiste nommé le Dr Herle, fait ressortir que Funk « est devenu, comme intermédiaire entre le Parti et l’Économie, le promoteur d’une nouvelle attitude spirituelle de l’entreprise allemande ». A cela on peut dire que Funk n’a jamais contesté avoir considéré que sa mission consistait à réaliser la synthèse d’une économie, obligée d’un côté envers l’État et la communauté populaire, mais, de l’autre, fondée sur la propriété et l’initiative privées. Les buts et les idéaux politiques du national-socialisme ont été constamment reconnus et approuvés par Funk. Le peuple allemand s’est, comme l’ont prouvé différents plébiscites, rallié en majorité à ces buts et à ces idéaux. Funk, lui aussi, ne pouvait se douter que toute cette bonne volonté et cet effort vers un idéal si souvent invoqués par Hitler avec l’aide desquels il accéda au pouvoir, sombreraient plus tard dans le feu et le sang de la guerre et dans une insuffisance et une inhumanité inimaginables ! Funk a, lors de son interrogatoire, expressément attesté qu’il considérait la forme de gouvernement autoritaire, un État fort, un Gouvernement conscient de ses responsabilités, la communauté populaire sociale et une économie tenue à un effort social, comme les conditions préalables d’une liquidation de la crise spirituelle et économique que traversait alors le peuple allemand. Il a constamment et expressément mis en relief la primauté du politique sur l’économique.

Comme chef de la Presse du Gouvernement du Reich, il accéda le 30 janvier 1933 au poste d’État d’un directeur de ministère à la Chancellerie du Reich. L’orientation de la politique de presse passa pourtant au Dr Goebbels, un mois et demi seulement après, lorsque celui-ci fut nommé ministre de l’Éducation et de la Propagande. La section de la presse du Gouvernement du Reich, que Funk aurait dû diriger jusque là, fut absorbée par le ministère de la Propagande nouvellement fondé. Il ne conserva provisoirement que le rapport personnel de presse auprès du Président du Reich von Hindenburg et auprès du Chancelier du Reich Adolf Hitler, jusqu’à la mort de Hindenburg. Puis cette activité cessa elle aussi complètement. L’office de chef de la Presse du Gouvernement du Reich ne demeura donc que sur le papier. L’accusé Fritzsche l’a également et expressément confirmé comme témoin lors de son interrogatoire, le 28 juin.

J’en arrive, Messieurs, au deuxième point de l’Accusation, c’est-à-dire au renforcement du pouvoir du Gouvernement et du Parti dans le domaine en particulier de la persécution des Juifs dans les professions culturelles et au ministère de la Propagande du Reich. Vous trouverez ces explications dans l’exposé que vous avez sous les yeux, aux pages 17 à 24.

Quant à l’activité de l’accusé au ministère de la Propagande du Reich, le Ministère Public lui reproche ce qui suit :

« L’accusé Funk a participé, par son activité au ministère de la Propagande, au renforcement de la puissance des conjurés sur l’Allemagne, et il est particulièrement responsable de la persécution des dissidents et des Juifs, de la préparation psychologique du peuple à la guerre et de l’affaiblissement de la force de résistance et de la volonté de résistance des victimes choisies par les conspirateurs.

Ce point de l’Accusation fait découler la faute de l’accusé Funk presque exclusivement du fait qu’il occupait un poste de secrétaire d’Etat au ministère de la Propagande. L’exposé des preuves a cependant montré que Funk n’était pas chargé, dans son poste de secrétaire d’Etat, des tâches proprement dites de propagande. Funk n’a pas fait de discours à la radio ou dans les manifestations publiques. C’était le Dr Goebbels qui dirigeait personnellement la politique de presse depuis la fondation du ministère. Funk s’est cependant intéressé particulièrement aux vœux et aux doléances des journalistes. Il prenait la protection de la presse contre les abus des services officiels et s’efforçait de garantir à la presse une physionomie personnelle et un travail dans la conscience de ses responsabilités. C’est ce dont témoigne l’extrait du livre du Dr Paul Östreich : Walter Funk, une vie au service de l’économie, PS-3505 (USA-653), livre de documents Funk n° 4-b. Quelques expressions de Funk, au temps de son activité au ministère de la Propagande, comme par exemple, « La presse n’est pas un orgue de barbarie » ou « La presse ne doit pas être le bouc émissaire du Gouvernement » sont devenus des adages par la suite.

Comme secrétaire d’État, Funk n’avait essentiellement que des tâches administratives et économiques. Il dirigeait la gestion financière des nombreuses organisations et Instituts dépendant du ministère de la Propagande, tels, par exemple, la société de radiodiffusion du Reich et l’Office de propagande de l’économie allemande, des sociétés de production cinématographique appartenant à l’Etat, des théâtres et des orchestres, propriété de l’Etat, et des services de presse et journaux de l’Etat. Quant à l’art, il exerçait son activité, conformément à ses tendances artistiques propres, dans le domaine de la musique et du théâtre. Il y avait à la direction du ministère de la Propagande une séparation complète entre les tâches politiques d’un côté et les tâches administratives et économiques de l’autre. Tous les témoins entendus sont d’accord sur ce point. Le ministre Dr Goebbels dirigeait personnellement la propagande, avec, comme il va de soi, les pleins pouvoirs et sans aucune Ingérence extérieure. Il ne se taisait pas aider, pour cela, de son secrétaire d’Etat Funk, mais de ses vieux collaborateurs de l’organisation de propagande du Parti, qui, pour la plupart, avaient été mutés par ses soins, en union personnelle, au ministère de la Propagande nouvellement fondé. Funk, par contre, n’a appartenu ni avant la fondation du ministère ni après, à la section de propagande du Parti. L’affirmation de M. Messersmith dans sa déclaration sous serment, présentée sous la référence PS-1760 et selon laquelle Goebbels avait incorporé Funk dans l’organisation du Parti, est fausse et doit être attribuée manifestement au fait que Messersmith, qui était étranger, n’avait aucun aperçu de la répartition des attributions à l’intérieur du ministère de la Propagande et qu’en outre il identifiait apparemment l’activité de propagande du Parti avec la propagande du ministère d’Etat. Cette thèse est encore confirmée par le questionnaire que Messersmith a rempli le 7 mai 1946, à la demande de l’accusé Funk (livre de documents Funk, supplément n° 5). Il résulte de ce questionnaire que Messersmith ne peut pas indiquer s’il s’est entretenu assez souvent ou une fois seulement avec l’accusé Funk, qu’il ne sait plus que) a été le sujet de l’entretien et qu’il ne se souvient absolument plus en quelle qualité Funk assistait à cette rencontre. Avec des indications d’un témoin aussi vagues et aussi peu dignes de confiance, on ne peut naturellement rien prouver.

Pour prouver que Funk n’était pas Chargé du travail de propagande proprement dit, et comme l’accusé Göring l’a assuré ici, n’intervenait pas à côté de Goebbels, je me rapporte à la déclaration faite le 17 avril 1946 par l’ancien directeur de la Presse du Beich, Max Amann (voir livre de documents Funk, document n° 14). Le Ministère Public avait d’abord présenté une déclaration faite par ce témoin le 19 décembre 1945 (PS-3501) ; les Indications qui y sont données sont complétées et précisées pour les points essentiels dans la nouvelle déposition du 17 avril 1946. Dans cette nouvelle déposition qui a été faite en présence du Parquet et de la Défense, le témoin Amann déclare qu’à sa connaissance Funk n’avait, en tant que secrétaire d’État au ministère de la Propagande, rien à voir avec le travail de propagande proprement dit. Du reste, le témoin confirme les déclarations de l’accusé Funk, selon lesquelles il (Amann) ne connaissait pas personnellement la répartition des attributions ni l’organisation Intérieure du ministère et que ses indications ne reposaient que sur les communications d’autres personnes. Le témoin Heinz Kallus, par contre, a exercé lui-même une activité pendant quelques années comme fonctionnaire du ministère de la propagande. Dans les réponses qu’il a faites sous la fol du serment au questionnaire qui lui a été adressé (document Funk n° 18), Kallus confirme également que Funk s’est occupé essentiellement de questions administratives et financières. La même chose a aussi été affirmée ici devant le Tribunal par l’accusé Hans Fritzsche dans sa déposition des 27 et 28 juin.

Le Ministère Public a présenté dans l’exposé écrit des charges relevées contre l’accusé Funk, à la page 9, sous la référence PS-3566, la déclaration d’un SS-Scharführer Sigismund, pour prouver l’importance de la position que Funk est censé avoir occupée au ministère de la Propagande. Un fonctionnaire du ministère, du nom de Weinbrenner, a déclaré, dit-on, à ce SS-Scharführer, qu’on ne pouvait pas apprendre à qui le ministre Goebbels confierait le poste d’intendant général de la radiodiffusion, parce que Goebbels ne prenait la plupart des décisions d’importance qu’en accord avec le secrétaire d’Etat Funk. Mais c’était cependant une évidence de simple bon sens que le Dr Goebbels ne pouvait régler la question d’un titulaire du poste de direction de la radiodiffusion, sans prendre contact avec Funk, qui ét’ait président du conseil d’administration de la société de radiodiffusion du Reich ; cela ne démontre cependant en rien la nature et l’importance de l’activité de l’accusé FUnk, ni quoi que ce soit des fins qu’il poursuivait. Finalement, le Ministère Public n’a pu présenter qu’un seul document qui porte la signature de Funk, secrétaire d’Etat : la fixation d’un terme pour l’entrée en vigueur de l’ordonnance d’exécution de la loi du 9 novembre 1933 sur les chambres culturelles du Reich (PS-3505). Le Ministère Public en déduit une responsabilité ou, du moins, une part de responsabilité de l’accusé Funk dans toute la législation destinée au contrôle et à la synchronisation des professions culturelles. Cette conclusion apparaît erronée car, en faisant abstraction du tait qu’il ne s’agit ici que de l’établissement final d’une ordonnance d’exécution, c’est-à-dire d’une activité de pure forme, il faut quand même prêter attention au fait que cette loi fut décidée par le Cabinet du Reich auquel l’accusé Funk n’appartenait pas à cette époque.

Funk a déclaré, au cours de son interrogatoire, que pendant tout le temps de son activité au ministère de la Propagande, il n’a guère donné plus de trois signatures à la place du Dr Goebbels. D’ailleurs, l’accusé Fritzsche a déclaré ici, le 26 juin, au cours de sa déposition, que la situation de Hanke, qui fut pendant de nombreuses années le collaborateur et le représentant personnel du Dr Goebbels et qui fut, plus tard, secrétaire d’Etat et Gauleiter, correspondait beaucoup plus à la situation habituelle du secrétaire d’État de ce ministère qu’à celle de l’accusé Funk. Hanke réalisait également la liaison entre le ministre Goebbels et les chefs de service et les administrateurs du ministère, tâche exercée habituellement dans un ministère par le secrétaire d’Etat, mais qui n’échut jamais à l’accusé Funk, bien qu’il eût été secrétaire d’État.

La déclaration sous la foi du serment de l’ancien rédacteur en chef de la Frankfurter Zeitung, Albert Oeser (Funk n° 1) et celle de l’avocat Dr Karl Bosen (Funk n° 2) ainsi que le témoignage sous la foi du serment du témoin Heinz Kallus (livre de documents Funk, supplément n° 18) prouvent que l’accusé Funk prit énergiquement en mains, à son poste de secrétaire d’État du ministère de la Propagande, les intérêts des Juifs et d’autres personnes dont l’activité spirituelle ou artistique avait été entravée ou paralysée par la législation et la politique culturelle nationales-socialistes et qu’il l’avait tait en exposant sérieusement sa propre situation. Parmi les personnes pour lesquelles Funk est intervenu se trouvaient non seulement des rédacteurs juifs mais aussi de nombreux artistes allemands de premier plan, et le témoin Kallus (voir son questionnaire dans le livre de documents Funk n° 18) a nommé entre autres, à ce propos, les propriétaires juifs d’une grosse maison d’édition d’annuaires de Berlin auxquels Funk accorda l’autorisation de conserver leur entreprise malgré l’opposition considérable de la section compétente du ministère et du conseil de publicité de l’économie allemande. Le témoin Kallus déclare, en outre, que Funk, par son attitude envers les éléments culturels juifs, s’était rendu suspect auprès- du Dr Goebbels ainsi qu’auprès du directeur de la section de presse, un nommé Berndt, particulièrement connu pour son extrémisme. Le rédacteur en chef Oeser déclare expressément dans son affidavit (livre de documents Funk n° 1) qu’il a tait volontairement ces déclarations pour prouver la conduite humaine » de l’accusé Funk et cite par leur nom huit rédacteurs juifs de la Frankfurter Zeitung auxquels Funk donna l’autorisation de continuer à exercer leur profession. Oeser remarque encore à ce sujet : Il (Funk) prouva par là qu’il était capable de compréhension humaine. Jamais non plus je ne l’ai entendu faire de déclarations inhumaines au cours de nos conversations. Grâce à ses concessions, les hommes qu’ il étaient le plus en danger purent en partie avoir à nouveau la possibilité de recommencer à espérer et à travailler avec nous et de préparer, sans perte de traitement, leur Changement de profession et leur émigration.

« Oeser, journaliste réputé en matière économique qui s’opposa toujours au Parti d’une manière absolue, déclare expressément que Funk se mit en danger lui-même, sans aucun doute, par la position qu’il avait prise vis-à-vis des Juifs.

Au cours du contre-interrogatoire de l’accusé Funk, le Ministère Public a attiré l’attention sur l’affidavit d’un rédacteur, Franz Wolt, qu’il avait présenté, PS-3954 (USA-877). Ce témoin a déclaré qu’à son avis Funk n’avait peut-être pas établi ces autorisations exceptionnelles par sentiment humain, mais bien plutôt pour sauvegarder la bonne qualité de la Frankfurter Zeitung. L’auteur de l’affidavit faisait d’ailleurs lui-même partie des rédacteurs juifs qui avaient reçu de Funk l’autorisation de continuer à exercer leur profession. Cette supposition du témoin Wolt est en contradiction directe avec les déclarations positives du témoin Oeser. L’accusé Funk a, lui aussi, contesté cette opinion en soulignant qu’à l’époque des considérations de ce genre ne jouaient pas de rôle chez lui. Plus tard, lorsque la Frankfurter Zeitung devait être supprimée, il était, il est vrai, intervenu pour qu’elle continuât à paraître, et il l’avait lait pour des considérations pratiques parce que ce journal était bien considéré comme revue économique, surtout à l’étranger, et qu’en Allemagne il constituait la meilleure feuille commerciale. Mais cela ne change rien au fait que Funk soit à l’époque intervenu plusieurs fois et avec succès en faveur de Oeser et de ses collaborateurs et uniquement pour des raieans d’humanité.

Le témoin Kallus déclare enfin dans son questionnaire (page 3 du livre de documents Funk, supplément 4, n° 18) se rappeler plusieurs cas où Funk a fait en sorte que les Juifs puissent émigrer dans des conditions acceptables. Kallus confirme ainsi les déclarations du témoin Luise Funk (livre de documents Funk, document n° 3) selon lesquelles l’accusé Funk aurait souvent reçu pendant qu’il était secrétaire d’Etat au ministère de la Propagande, des lettres de remerciements de la part des Juifs qui quittaient l’Allemagne à l’époque, et qui remerciaient Funk d’avoir favorisé la liquidation de leurs affaires et de leur avoir obtenu l’autorisation d’emporter d’importantes valeurs à l’étranger. L’exposé des preuves a ainsi montré, en ce qui concerne le second point de l’Accusation, que Funk ne s’est rendu coupable, au sens de cette partie de l’Accusation, ni en raison de sa position officielle, ni en raison de ses agissements. Il a, dans la mesure de ses possibilités, secouru beaucoup de Juifs et beaucoup de ceux qui étaient entravés et paralysés dans leur activité intellectuelle ou par leur misère matérielle et spirituelle, au risque de compromettre par là sa propre situation.

Je saute, Messieurs, les détails de cet exposé sur ce point et je vous prie de bien vouloir en prendre connaissance. J’attire simplement votre attention sur certains passages.

On conclut à la culpabilité de l’accusé du fait qu’il occupait les fonctions de secrétaire d’État au ministère de la Propagande. Mais la présentation des preuves a montré que Funk, en sa qualité de secrétaire d’État, n’avait aucun rapport avec l’activité de propagande à proprement parler. Il ne faisait pas de discours à la radio ou dans des manifestations publiques. La politique de presse à cette époque était également et exclusivement dirigée par le Dr Goebbels en personne. Cependant, Funk s’est particulièrement occupé à cette époque des désirs et des plaintes des journalistes ; il a protégé la presse contre les abus des services officiels et s’est efforcé de donner à la presse un aspect personnel et la responsabilité de sa tâche. Ce point a été confirmé par une série de témoins auxquels je me suis référé dans les pages 17 à 24, notamment par les témoins Amann, Kallus, Fritzsche, Oeser et Rösen. Ces deux derniers, en particulier, ont affirmé et confirmé que Funk, en sa qualité de secrétaire d’État au ministère de la Propagande, s’est occupé activement des Juifs et de personnes poursuivies et paralysées par la législation et la politique culturelle nationales-socialistes et qui ne pouvaient, de ce fait, exercer leur activité culturelle et professionnelle. Funk s’est si fortement chargé de ces personnes qu’il mettait sa propre situation en danger et qu’il finissait par paraître suspect au ministère.

J’en viens, Messieurs, à un autre chapitre, au reproche qui est formulé à la page 24, sous le chiffre IV de l’exposé que vous avez sous les yeux : Funk aurait collaboré à la préparation des guerres d’agression, chapitre qui englobe le point IV de l’Accusation. On a reproché à l’accusé, et je cite textuellement : « d’avoir participé à la mobilisation de l’économie allemande en vue d’une guerre d’agression, alors qu’il avait entière connaissance des projets d’agression des conspirateurs ».

Comme preuve, l’Accusation souligne d’abord que le ministère de l’Économie avait été introduit dans le Plan de quatre ans par Göring comme « Haut Commandement de l’économie de guerre », puis placé sous les ordres de Funk. En outre, l’Accusation fait valoir que Funk avait été expressément chargé, en tant que délégué général à l’économie, de la mobilisation de l’économie allemande en cas de guerre, par la loi de Défense du Reich du 4 septembre 1938. L’affirmation du Ministère Public selon laquelle le ministère de l’Économie du Reich a été incorporé au Plan de quatre ans, avant d’être remis à Funk par Göring, est absolument exacte. Mais ce n’est pas le ministre de l’Économie du Reich Funk qui avait le Haut Commandement de l’Économie allemande, mais uniquement l’accusé Göring, qui était chargé du Plan de quatre ans. Funk devait s’en tenir à ses directives ; Göring l’a confirmé ici. En outre, les branches principales de la production — comme je l’ai exposé ailleurs — étaient dirigées par des délégués spéciaux dû Plan de quatre ans, qui étaient sous les ordres directs de Göring et qui recevaient leurs instructions de Göring et non pas de Funk. Le ministère de l’Économie du Reich n’était que le service qui exécutait les ordres du Plan de quatre ans. L’accusé Funk a souligné comme témoin, que certains services n’étaient soumis au contrôle du ministère de l’Économie du Reich que pour la forme, mais que de fait ils continuaient à travailler au Plan de quatre ans comme institutions indépendantes.

La situation de Funk en tant que délégué général à l’Économie a, dès le début, été fortement contestée. Au cours du contre-interrogatoire de l’accusé Funk, un document EC-255 a été produit, une lettre du ministre de la Guerre du Reich, von Blomberg, à Göring, en date du 29 novembre 1937, dans laquelle Blomberg propose de faire nommer également au poste de délégué général à l’Économie de guerre, l’accusé Funk qui venait d’être nommé, le 27 novembre 1937, au poste de ministre de l’Économie du Reich. Mais cette nomination n’a pas eu lieu. Göring se chargea d’abord lui-même du ministère de l’Économie du Reich et ne le transmit à l’accusé Funk qu’en février 1938, c’est-à-dire trois mois plus tard seulement. Le Haut Commandement de la Wehrmacht, c’est-à-dire l’État-Major économique qui dépendait du général Thomas dont il a souvent été question ici, exigea alors que le délégué général à l’Économie de guerre observât à l’avenir tous les ordres du Haut Commandement de la Wehrmacht en ce qui concernait toutes les questions relevant du ravitaillement de la Wehrmacht en temps de guerre. Dans cette lettre, EC-270 (USA-840), le Haut Commandement de la Wehrmacht, État-Major économique, exigeait le droit de pouvoir donner des directives au délégué général à l’Économie de guerre pour presque toutes les questions de son ressort. L’accusé Funk essaya, par un entretien avec le maréchal Göring et une lettre au ministre du Reich Lammers, de tirer au clair sa position de délégué général à l’Économie de guerre, il demanda à être sous les ordres directs de Hitler, en tant que délégué général à l’Économie, et à ne pas avoir à observer les instructions du Haut Commandement de la Wehrmacht. Göring et Lammers approuvèrent à cette époque le point de vue de Funk. Mais cela n’a rien à voir avec le fait — et je dois le souligner particulièrement — que Funk était sous les ordres de Göring, car toutes les autres autorités suprêmes du Reich et tous les autres ministres qui étaient sous les ordres directs du Führer étaient également tenus d’observer les. ordres du délégué au Plan de quatre ans, donc de Göring. Or, il est à noter que l’accusé Funk, d’après la deuxième loi de Défense du Reich en date du 4 septembre 1938, ne fut pas nommé délégué général à l’Économie de guerre, mais délégué général à l’Économie (sans le mot « guerre »), et que cette deuxième loi de Défense du Reich stipulait expressément que Funk devait obéir aux demandes du Haut Commandement de la Wehrmacht (OKW). Cela montre donc que le Haut Commandement a finalement obtenu gain de cause contre Funk. Mais les divers services économiques qui étaient subordonnés, conformément à ladite loi de Défense du Reich, au délégué général à l’Économie pour l’accomplissement de ses charges particulières, ne voulurent pas le reconnaître. Dans le procès-verbal soumis à Funk au cours du contre-interrogatoire, l’ancien secrétaire d’État, le Dr Hans Posse, remplaçant de Funk comme délégué général à l’Économie, PS-3894 (USA-843), a déclaré que le délégué général à l’Économie « n’entra jamais réellement en fonctions ». Les ministres et secrétaires d’État des divers services économiques tels que, Finances, Agriculture, Transports etc. souhaitaient, d’après la déposition de Posse, n’être pas subordonnés à Funk et protestèrent. Posse parle encore des divergences de Funk avec le Plan de quatre ans : il appelle ces conflits « la lutte pour le pouvoir », mais il n’entend par là rien d’autre que le droit de décision vis-à-vis des autres services économiques. Ce n’était donc pas une divergence entre Göring et Funk. C’est faux ; car il était tout à fait clair que Funk était aussi subordonné à Göring comme délégué général à l’Économie. Il s’agissait là d’un démêlé entre les secrétaires d’État. Les divers ressorts économiques déclarèrent qu’ils étaient subordonnés au délégué au Plan de quatre ans et refusèrent au délégué à l’Économie, lui-même subordonné au Plan de quatre ans, le droit de donner des instructions. Les secrétaires d’État au Plan de quatre ans soutinrent ces services dans leur manière de voir. Quelques mois déjà après le début de la guerre, ce manque de clarté et cet enchevêtrement des compétences furent le motif de la transmission de jure au responsable du Plan de quatre ans du pouvoir de donner des instructions, détenu par le délégué général à l’Économie, l’accusé Funk. A la question du représentant du Ministère Public qui lui demandait s’il n’avait pas coutume de discuter avec Funk des affaires importantes, Posse répondit : « Oui, mais il n’en sortait pas grand-chose ». Posse confirma que les pleins pouvoirs de Göring étaient beaucoup plus forts et que Göring a finalement entièrement supprimé la charge de délégué général à l’Économie. Cela se passait, d’après la déposition de l’accusé Funk, en décembre 1939, donc peu de mois après le début de la guerre. Il ne restait plus à Funk qu’un droit de décision purement formel. Le témoin Lammers a aussi confirmé ces faits devant ce Tribunal. La déclaration que l’accusé Göring a faite ici est exacte : le délégué général à l’Économie, à son avis, n’occupait que sur le papier un poste tel que celui de l’accusé Funk.

Le service du délégué général à l’Economie a naturellement travaillé en relations constantes avec les autres ressorts économiques, avec le Plan de quatre ans, avec l’Etat-Major économique auprès du Haut Commandement de la Wehrmacht, et avec le délégué général à l’Administration, c’est-à-dire le ministre de l’Intérieur du Reich. Comme preuve de ce qui précède, l’Accusation a présenté différents documents d’après lesquels les’ questions du financement d’une guerre, de la production de guerre, de la main-d’œuvre, ont été, entre autres choses, débattues au cours des séances en présence du délégué général adjoint à l’Economie et de son Etat-Major. A ce sujet le service du délégué général s’est aussi occupé de la question de l’emploi des prisonniers de guerre dans l’économie du pays, mais sur le plan purement théorique, Document EC-488 (USA-842). On ne voit pas pourquoi ce travail de l’État-Major général économique, qui devait être accompli déjà en temps de paix, dans l’éventualité d’une guerre, viendrait à la charge de l’accusé Funk. D’ailleurs, il ne s’est pas lui-même mêlé en détail dé toutes ces questions, jusqu’en août 1939. Mais toutes ces charges du délégué général à l’Économie étaient des préparatifs de guerre généraux et ne se rapportaient pas à une guerre précise. Quand en effet Funk, en août 1939, mit au point avec les autres ressorts économiques les projets en vue d’un passage de l’économie de paix à l’économie de guerre, le danger d’une guerre avec la Pologne était à son point culminant.

Pourtant, il ne se trouve nulle part dans les documents présentés par l’Accusation une seule preuve établissant que l’accusé Funk a su quelque chose des discussions et des préparatifs politiques et militaires qui avaient trait au projet d’une guerre et particulièrement d’une guerre d’agression de la part des Allemands. Funk ne fut jamais invité à de telles discussions. Il n’assistait pas, en particulier le 14 octobre 1938, à la discussion chez Göring, traitée en détail par l’Accusation à la page 24 de l’exposé écrit des charges (PS-1301). D’après l’exposé de l’Accusation, Göring se reporta pendant cette séance à un ordre de Hitler sur une augmentation extraordinaire des armements, et principalement des « armes agressives ». Le représentant de l’Accusation a déclaré à l’audience du 11 janvier 1946 que Göring adressa pendant la discussion à l’accusé Funk des paroles qui étaient « celles d’un homme qui était déjà parti en guerre ».

Plusieurs documents ont prouvé d’une façon non équivoque que l’accusé Funk n’a pas pris part à cette réunion, car il était à cette époque à Sofia pour mener des négociations économiques avec la Bulgarie. Ainsi cette preuve, qui devait visiblement être l’une des principales présentées par l’Accusation, se trouve-t-elle dépourvue de valeur. Lorsque Funk écrivit sa lettre du 25 août 1939 à Hitler à laquelle j’ai fait allusion ce matin, les Armées allemandes et les Armées polonaises étaient déjà complètement mobilisées, face à face. Il fut donc obligé d’agir de cette façon et ne put pas à ce moment-là arrêter les préparatifs. Ce fait a été confirmé par le témoin Kallus dans son journal présenté au livre Funk sous le numéro 18. A ce propos, l’accusé Funk a déclaré ici :

« Il était évidemment de mon devoir en tant que délégué général à l’Économie de faire tout mon possible pour éviter, en cas de guerre, des répercussions sur le secteur économique civil et, d’autre part, il était de mon devoir, en tant que président de la Reichsbank, d’augmenter le plus possible ses réserves d’or et de devises. »

Il poursuit textuellement :

« C’était déjà nécessaire en raison de la tension politique générale qui régnait alors, et cela aurait également été nécessaire au cas où l’on n’en serait pas venu à une guerre, mais seulement aux sanctions économiques auxquelles on pouvait alors s’attendre en raison de la situation politique tendue. »

De plus, Funk dit :

« Et il était encore de mon devoir, en tant que ministre de l’Économie du Reich, de tout faire pour augmenter la production. »

Voilà les déclarations de l’accusé Funk. A ce sujet, le témoin Puhl, vice-président de la Reichsbank, a fait connaître dans ses réponses au questionnaire du 1er mai que vous avez sous les yeux, que la position de la Reichsbank ne s’était pas sensiblement améliorée au cours des sept mois de la présidence de Funk qui précédèrent la guerre, et que la conversion des avoirs en or à l’étranger n’avait été accomplie depuis janvier 1939 que dans une mesure modeste. La politique prévoyante de la Reichsbank en matière d’or et de devises correspondait à une expérience longuement pratiquée. Ces déclarations de Puhl sont importantes pour la connaissance exacte des indications données par Funk en ce qui concerne la conversion en or des avoirs à l’étranger, qui se trouvent dans sa lettre à Hitler du 25 août 1939, qui a été citée à plusieurs reprises. Ces transactions auxquelles Funk fait allusion n’avaient, en réalité, du moins au moment où Funk était président de la Reichsbank, plus guère de sens. La façon exubérante dont s’exprime Funk dans cette lettre à Hitler en fait d’ailleurs paraître le contenu plus important qu’il ne l’était en réalité. Funk a expliqué ce fait au cours de son interrogatoire en disant que cette lettre était précisément une lettre privée de remerciements, qu’à cette époque tous les Allemands étaient dans le plus grand état de tension en raison des événements politiques qui agitaient l’Europe au plus haut point, et qu’au moment où sa patrie était en danger de guerre, il voulait faire savoir au Chancelier du Reich qu’il avait, lui aussi, fait son devoir. C’était la première fois, et c’est aussi resté la dernière, que Funk, en sa qualité de délégué général à l’Économie, jouait un rôle actif.

Je dois ajouter quelque chose ici en raison d’un procès-verbal que le Ministère Public a produit, après la présentation des preuves, sous le numéro PS-3787. C’est le procès-verbal de la deuxième réunion du conseil de Défense du Reich en date du 23 juin 1939. Lors de cette réunion du conseil de Défense du Reich qui avait eu lieu un peu plus de deux mois avant le déclenchement des hostilités, Funk, en sa qualité de délégué à l’Économie allemande, y a participé. Mais le procès-verbal, dans sa forme et sa rédaction, ne laisse pas subsister le moindre doute qu’il s’agissait là de préparatifs généraux, donc sur le plan théorique, pour le cas d’une guerre quelconque ; et en outre, pour apprécier ce procès-verbal, il faut admettre que pendant la guerre déclenchée trois mois plus tard, les tâches de l’accusé Funk, dans le secteur de la répartition de la main-d’œuvre, passèrent complètement entre les mains du Plan de quatre ans, car le délégué à l’Économie n’exista plus, peu après le déclenchement des hostilités, comme je l’ai déjà dit tout à l’heure. Au cours de son interrogatoire devant le tribunal, Funk a expliqué pourquoi il n’avait pas cru jusqu’au dernier moment à une guerre, et pourquoi il avait plutôt compté sur une solution du conflit polonais par les voies de la diplomatie. L’exactitude de cette déclaration est confirmée par les témoins Landfried, Posse et Puhl, donc les trois collaborateurs les plus intimes de l’accusé, dans les réponses aux questionnaires présentées au Tribunal comme moyen de preuve. (Funk n05 16 et 17, PS-3894.)

Le danger d’une guerre avec la Russie est apparu pour la première fois à Funk à l’occasion de la nomination de Rosenberg au poste de chargé d’affaires pour l’étude centrale des problèmes de l’Est européen, en avril 1941. Lammers et Rosenberg donnèrent à cette époque — nous nous en souvenons — à l’accusé Funk, les mêmes explications que celles qui ont été en général formulées devant le Tribunal par tous les témoins interrogés sur ce sujet. On lui donna comme raison des préparatifs d’une guerre avec la Russie soviétique que les Russes avaient concentré sur toute la frontière de fortes troupes, qu’ils étaient entrés en Bessarabie, et que Molotov, au cours des conversations relatives aux régions de la Baltique et des Balkans, avait émis des prétentions que l’Allemagne ne pouvait pas admettre. Comme Rosenberg déclarait que l’ordre de Hitler comprenait également des mesures économiques, Funk mit un directeur du ministère, le Dr Schlotterer, à la disposition de Rosenberg pour effectuer la liaison. Schlotterer prit par la suite la direction de la section économique au ministère Rosenberg et entra à l’État-Major de l’Économie de l’Est du Plan de quatre ans. Le ministère de l’Économie et Funk n’avaient pratiquement rien à voir dans ces questions. Ils s’occupaient simplement des questions qui agissaient sur l’économie intérieure allemande. Le ministère de l’Économie n’avait, en fait, aucun pouvoir de décision dans les Territoires occupés de l’Est.

Au cours de son contre-interrogatoire, on a soumis à l’accusé Funk, au sujet des préparatifs de guerre contre la Russie, un extrait d’un interrogatoire du 19 octobre 1945 qui a été déposé sous le numéro PS-3952 (USA-875). Au cours de cet interrogatoire, Funk déclara qu’à la fin avril 1941 l’accusé Hess lui avait demandé s’il avait entendu parler d’une guerre imminente contre la Russie. Funk répliqua, et je cite textuellement : « Je n’ai rien entendu dire de précis, mais il me semble que l’on parle de choses de ce genre ». Cette conversation entre deux initiés — comme l’étaient Hess et Funk à l’époque — à la fin du mois d’avril 1941, peut s’expliquer par le fait que Funk n’avait encore rien appris de plus précis ce jour-là sur les raisons de la mission confiée à Rosenberg, mais n’était au courant que par des suppositions et des bruits.

Une réunion avec Rosenberg eut lieu le 28 mai 1941 chez Funk (document PS-1031). Au cours de celle-ci, comme nous nous en souvenons, on discuta de la façon dont le problème monétaire devait être réglé dans l’Est au cas où l’on devait en arriver à une guerre avec la Russie et si ces territoires devaient être occupés par nos troupes. Messieurs, à mon avis, c’est un fait bien naturel que, sous la menace d’une guerre, même s’il s’agit d’une guerre défensive, les services responsables des questions monétaires discutent pour savoir, dans le cas de l’occupation de territoires ennemis, comment ces problèmes y seront réglés. Funk était opposé à toute réglementation qui pût donner lieu à des spéculations et il faisait du cours du change proposé pour le mark et le rouble un acte arbitraire. Il se rangea à l’avis de Rosenberg qui disait que les territoires russes devraient avoir des étalons nationaux propres, dès que les circonstances le permettraient. Il demanda d’ailleurs un nouvel examen de ces problèmes d’autant plus qu’on ne pouvait décider à l’avance le cours des événements. Là aussi Funk aborda l’affaire avec la prudence qui lui était particulière et s’efforça de trouver une solution qui créât de prime abord des conditions régulières. Si au cours de cette conversation il fut question (mais pas de la part de Funk) de devoir faire imprimer des roubles pour satisfaire les besoins les plus urgents en moyens de paiement, cela n’apparut à Funk — bien qu’il ne le proposait pas — ni inhabituel, ni criminel. Car lorsqu’un pays est entièrement démuni de moyens de paiement, il appartient d’en créer de nouveaux à la puissance qui est responsable du maintien d’une circulation monétaire normale. Pour Funk, il était sans la moindre importance de savoir qui fabriquerait des billets de banque. Ce qui était décisif pour lui était de savoir qui les mettrait en circulation, et en quelle quantité. D’ailleurs, la fabrication d’un nouveau billet de banque nécessitait une préparation de plusieurs mois, ce qui n’aurait permis d’envisager l’exécution de ce plan qui, comme je viens de dire, ne provenait pas de Funk, que pour une date bien plus éloignée. La guerre éclata effectivement bien peu de semaines après cet entretien. Que la guerre avec la Russie menaçât, l’accusé Funk le savait. Que l’Allemagne préparât depuis longtemps une telle guerre lui était tout aussi étranger que le fait que l’Allemagne attaquerait et ferait ainsi une guerre préventive.

Funk ne fut mis au courant ni de l’invasion de l’Autriche, ni des pourparlers concernant le pays des Sudètes (en septembre et octobre 1938, il ne se trouvait même pas en Allemagne), ni de l’occupation de ce qui restait de la Tchécoslovaquie. Quant à la Pologne, il savait que le conflit était imminent, mais rien de plus. De même que pour la Russie. Mais, dans les deux cas, il en fut mis au courant peu de temps seulement avant la déclaration effective de la guerre. En ce qui concerne les guerres avec d’autres pays, Funk n’obtint aucun renseignement avant le début des hostilités, mais seulement après. Tous les faits que j’ai mentionnés permettent de se rendre compte que Funk ignorait les intentions de la politique extérieure de Hitler et n’étaient nullement au courant que Hitler préparât des guerres d’agression quelconques. Évidemment Funk s’est occupé, pendant l’été 1939, de transformer l’économie de temps de paix en économie éventuelle de guerre. Le fait cependant de préparer le peuple allemand à une guerre défensive et de prendre les mesures d’économie financière nécessaires à une guerre défensive était estimé par Funk non seulement comme faisant partie de son droit, mais aussi de son devoir, en tant que fonctionnaire du Reich. Le Ministère Public pense pouvoir passer outre à ces considérations, en qualifiant le Gouvernement du Reich ou le parti national-socialiste d’organisation de criminels qui aurait conspiré contre d’autres peuples et qui aurait eu uniquement pour tâche de préparer et de mener des guerres d’agression, d’asservir et de mettre en esclavage des peuples étrangers, de piller et de germaniser d’autres pays. Cette argumentation est boiteuse, étant donné que ces plans criminels n’ont été élaborés et exécutés que par Hitler lui-même et quelques individus de son entourage le plus direct, du genre d’un Goebbels, d’un Himmler ou d’un Bormann. D’après le résultat des preuves, on ne peut mettre en doute que même les plus hauts fonctionnaires de l’État, y compris Funk, ainsi que ceux de la Wehrmacht, n’étaient pas initiés à ces plans et que, bien plus, ces plans, d’après un système raffiné consistant à garder le secret, leur avaient été cachés. La comparaison avec les affiliations secrètes qui, dans d’autres États, se sont jointes à des organisations de criminels, comme par exemple le Ku-Klux-Klan en Amérique, ne peut, pour une autre raison, pas être faite. Le Ku-Klux-Klan, par exemple, avait dès le début été créé, sous la forme d’organisation secrète, dans le but d’exercer la terreur et le crime ; il fut, dès 1871, après une existence d’à peine six années, formellement interdit par un propre décret du Gouvernement américain, l’acte du Ku-Klux-Klan. Le Gouvernement a même, à l’époque, ordonné la loi martiale à son égard et l’a combattu par tous les moyens. C’était une association avec laquelle le Gouvernement et le Parlement des États-Unis de l’Amérique du Nord n’avaient jamais eu le moindre point commun. Il est bien évident qu’un homme tel que Funk n’aurait jamais adhéré à une société secrète de ce genre, à une telle organisation de criminels combattue par le Gouvernement. Le parti national-socialiste en Allemagne n’a, par contre, jamais été une organisation secrète, mais un parti reconnu par l’État, considéré et traité comme conforme à la loi ; par un décret spécial du Reich, l’union de ce parti avec l’État avait même été prononcé. Le chef de ce parti était depuis 1934 en même temps le Chef suprême élu du Reich et ce Chef suprême et son Gouvernement ont été de façon permanente depuis 1933 reconnus officiellement comme Gouvernement par le monde entier. Justement cette reconnaissance de Droit international de Hitler par tous les pays étrangers, reconnaissance qui, en partie, a même encore pu se maintenir pendant la deuxième guerre mondiale, n’a, pas plus en Funk que chez des millions d’autres Allemands, semé le doute sur la légalité du Gouvernement et, si de pareils doutes avaient dû s’élever, ils auraient été étouffés dans l’œuf ; et des millions de fonctionnaires et de soldats allemands ont cru, tout comme Funk, ne faire que leur devoir en ne faisant aucune réserve à la même reconnaissance de ce Chef suprême de l’État que lui accordaient tous les États du monde.

L’étranger, les hommes d’Etat, les Etats-majors, la presse et les services d’espionnage des autres pays, étaient certainement mieux informés sur les véritables buts de la politique allemande que le bourgeois allemand qui’ ne recevait aucun journal étranger, qui n’avait pas le droit d’écouter des postes étrangers s’il ne voulait pas aller en prison ou monter sur l’échafaud, qui vivait toute l’année isolé comme dans une prison et qui ne pouvait même plus avoir confiance en son voisin et en ses ainsi, souvent même pas en ses parents, ni discuter avec eux. Des ministres n’en savaient pas davantage, sur ces choses et sur les véritables plans de Hitler, que n’importe quel autre citoyen, et n’étaient souvent eux-mêmes mis au courant d’importants faits d’État que bien plus tard par les journaux ou la radio. Aurait-on pu concevoir l’idée que les Etats étrangers maintenaient leurs relations diplomatiques avec une organisation de criminels et que des personnalités diplomatiques de l’étranger reconnaissaient et rendaient visite à un homme dans lequel ils voyaient le chef d’une bande de conspirateurs ?

Funk n’a jamais nié, ainsi que je l’ai déjà mentionné, que dans ses projets et ses dispositions il a, bien entendu, pensé également à la possibilité de guerres que l’Allemagne aurait peut-être à faire un jour, exactement comme tout autre État-Major a le devoir de s’occuper de telles possibilités. Funk, en tant que ministre de l’Économie et président de la Reichsbank, avait d’ailleurs à ce moment-là toutes les raisons de penser à de telles possibilités, car la situation internationale était tellement tendue depuis la première guerre mondiale, et les oppositions d’intérêts de tous les peuples paraissaient souvent si considérables, que tout homme d’État était obligé de faire les préparatifs nécessaires pour une guerre s’il ne voulait pas s’exposer au reproche d’être négligent, voire de trahir les intérêts de son propre peuple. Une telle activité préparatoire ne signifiait rien de criminel en elle-même et Funk est persuadé que les ministres de l’Économie et les présidents des banques des autres pays ont fait durant toutes ces années des préparatifs semblables aux siens, en prévision d’une guerre, et qu’ils étaient même obligés d’agir ainsi. Il importe peu pour l’appréciation du point de vus du Droit pénal de l’affaire Funk de savoir si Funk a ordonné de son côté de tels préparatifs, mais exclusivement s’il savait que Hitler projetait des guerres d’agression et avait l’intention de faire de telles guerres d’agression en violation des accords conclus et au mépris du droit des gens. Mais Funk ne l’a pas su et ne l’a pas supposé, ainsi qu’il l’a affirmé sous la foi du serment. Il y avait avant tout, aussi, les continuelles affirmations de paix de Hitler qui ne lui ont pas permis d’envisager une telle possibilité. Il est vrai que nous savons aujourd’hui, du fait des événements qui, depuis, se sont déroulés, des constatations de ce Procès, que ces protestations de paix de Hitler, qu’il eut même encore sur les lèvres lorsqu’il s’est suicidé, n’étaient en réalité que mensonge et tromperie. Mais Funk croyait alors que ces affirmations de paix de Hitler étaient absolument vraies. L’idée ne lui est pas venue à ce moment que Hitler pouvait le tromper, lui et tout le peuple allemand. Funk, au contraire, a eu dans les paroles de Hitler la même confiance, et il est devenu la victime de cette tromperie, exactement comme tout le monde. Si l’on ne peut faire de reproches aux hommes d’État étrangers et aux généraux d’avoir ajouté foi aux affirmations de paix de Hitler, bien qu’ils aient été sûrement bien mieux informés du réarmement et des plans de l’Allemagne que Funk, on ne peut pas mettre actuellement à la charge de ce dernier, en la qualifiant de crime, la foi qu’il avait en son chef d’État.

Messieurs, je viens d’examiner le reproche que le Ministère Public a fait à Funk d’avoir projeté la guerre d’agression et j’en viens ainsi à un autre chapitre de l’Accusation qui se rapporte à l’activité de Funk dans les territoires occupés et au chapitre du travail forcé.

Les preuves que le Ministère Public a produites contre l’inculpé Funk sur le travail forcé ou le programme de « réduction en esclavage », ne sont que minimes. En substance, on le rend responsable de l’emploi par la contrainte d’ouvriers étrangers, pour la raison qu’il était, depuis l’automne 1943, membre du Comité central du Plan. Il participa pour la première fois, le 22 novembre 1943, à une séance de ce comité, donc à une époque assez avancée de la guerre ; mais, plus tard, il ne le fit que très rarement, ainsi que l’inculpé Speer l’a confirmé ici lors de son contre-interrogatoire et ainsi que cela résulte des procès-verbaux de cet organisme. Funk ne s’est absolument pas occupé des questions de main-d’œuvre, et je désire le souligner particulièrement, ni en sa qualité de ministre de l’Économie ni en celle de président de la Reichsbank. Par principe, il était opposé à une réquisition trop forte et, surtout, faite par la force, de travailleurs des territoires occupés, parce que cela dérangeait la vie économique et l’ordre social dans ces territoires. Les témoins Sauckel, Landfried et Hayler ont confirmé ce fait qui résulte également des observations personnelles de Funk, faites lors de la réunion chez Lammers du 11 juillet 1944, document PS-3819, qui a été cité ici à différentes reprises et où Funk s’est prononcé entre autres contres des razzias de travailleurs étrangers qui ne tenaient compte d’aucune considération. Si Funk a envoyé au Comité central du Plan des représentants de son ministère, c’était uniquement pour qu’ils prennent soin des attributions nécessaires de matières premières pour l’économie des biens de consommation et pour l’exportation, mais jamais pour la question des travailleurs étrangers à laquelle il n’était pas intéressé. Si le représentant du Ministère Public a présenté au témoin Hayler, au cours du contre-interrogatoire du 7 mai 1946, une déposition de Funk, faite par ce dernier lors de l’enquête préparatoire, du 22 octobre 1945 (PS-3544) et dans laquelle Funk déclarait, et je cite textuellement, « qu’il ne s’était pas cassé la tête » pour ces questions de main-d’œuvre, il convient du point de vue de la Défense de faire ressortir que Funk a déclaré dans la phrase suivante de ce procès-verbal, donc pour ainsi dire en même temps, qu’il avait toujours fait tout ce qui était en son pouvoir pour éviter une déportation de travailleurs de leur pays, par exemple de France. Cette seconde phrase, bien qu’elle n’ait pas été citée par le Ministère Public, est particulièrement importante parce qu’il en résulte clairement l’attitude négative de Funk à l’égard des mesures de contrainte dans l’emploi de la main-d’œuvre. L’accusé Speer a déclaré à l’audience du Tribunal du 20 juin que le Comité central du Plan n’a aucunement procédé à l’élaboration des plans pour l’emploi de la main-d’œuvre. Il n’y a eu que des pourparlers isolés sur des questions d’emploi de la main-d’œuvre. Mais les procès-verbaux qui contiennent les véritables résultats des pourparlers et des décisions du Comité central du Plan, n’ont pas fait l’objet de l’Accusation. Funk, qui n’a participé que peu de fois aux réunions du Comité central du Plan, n’a néanmoins jamais reçu les notes sténographiques, mais uniquement les procès-verbaux qui ne contenaient rien à ce sujet. Avant que Speer eût pris la direction de la production de guerre et avant que Sauckel ne fût nommé délégué général à la main-d’œuvre, c’est-à-dire avant 1942, les questions de la main-d’œuvre pour la production étaient traitées dans le cadre du Plan de quatre ans. Par la suite, aussi, les demandes de main-d’œuvre intervenaient essentiellement, comme l’a déclaré Speer, au cours des pourparlers directs entre l’Économie et les services de la main-d’œuvre. Lorsque Funk s’occupait encore de la production au ministère de l’Économie du Reich, sur les instructions du Plan de quatre ans, les questions de main-d’œuvre n’étaient pas réglées par le ministère de l’Économie du Reich, mais directement par les délégués généraux du Plan de quatre ans chargés des différentes branches de l’Économie, en accord avec le délégué général à la main-d’œuvre et avec ses services. Speer a remis cela au point à l’occasion du document Sauckel n° 12, ainsi que le fait que différentes branches de l’Économie sont énumérées dans ce document comme relevant du ministère de l’Économie, alors qu’elles n’en font pas partie, comme par exemple les travaux publics.

Le défenseur de Sauckel a déjà rectifié plusieurs autres points. Les différents services économiques, mentionnés dans ce document, n’ont également pas demandé de main-d’œuvre au ministère de l’Économie du Reich. Ils n’étaient d’ailleurs pas des services du ministère de l’Économie du Reich, mais ils appartenaient à ce que l’on appelle les Instances intermédiaires, c’est-à-dire aux autorités provinciales et aux directions des Gaue. Ce qui est important aussi, c’est la constatation que,, jusqu’en 1943, c’est-à-dire jusqu’à l’époque pendant laquelle Funk était compétent pour les questions de production, une grande partie des ouvriers étrangers venaient volontairement en Allemagne. Je m’en réfère pour cela au décret du ministre du Travail du Reich, en date du 30 juillet 1940, publié au livre de documents Funk n° 12, qui souligne expressément l’observation des engagements internationaux contractés.

Et finalement, il faut constater encore que Funk n’était plus chargé des questions de production au moment où il entra au Comité central du Plan et qu’il ne pouvait donc plus demander de main-d’œuvre. Par conséquent, il n’était plus intéressé à cette sphère d’activité du Comité central du Plan.

En ce qui concerne l’attitude de Funk à l’égard de l’économie des Territoires occupés et les mesures prises par lui pour le maintien d’une situation financière et économique ordonnée, je renvoie aux questionnaires Landfried (Funk n° 16) et Puhl (Funk n° 17) de même qu’aux dépositions des témoins Hayler, Neubacher et Seyss-Inquart. Je ne citerai qu’un document PS-2263, produit par le représentant du Ministère Public américain au cours du contre-interrogatoire de l’accusé Funk ; c’est une lettre du secrétaire d’Etat au ministère de l’Economie du Reich au Haut Commandement de la Wehrmacht, en date du 6 juin 1942, dans laquelle il est demandé que 100.000.000 de Relchsmark soient pris sur les fonds d’occupation pour les achats au marché noir en France de la société de matières premières Roges. Il s’agit, en ce qui concerne ces marchés, des achats effectués dans les territoires occupés sur les instructions des services du Plan de quatre ans. Mais ce sont justement les marchés contre lesquels Funk a élevé des objections. Les critiques auxquelles il se livra eurent finalement pour résultat de faire interdire complètement par le délégué du Plan de quatre ans (Göring) des achats de ça genre. Funk ne pouvait, on le sait, donner lui-même des instructions pour les Territoires occupés. De tels achats effectués sous le contrôle des autorités ne peuvent d’ailleurs être considérés de la même façon que les achats incontrôlés des différents services de l’Etat, du Parti et de la Wehrmacht contre lesquels Funk s’est toujours élevé (questionnaire Landfried, livre de documents Funk n° 16).

Pour résumer, on peut dire que la recherche des preuves a établi sans conteste que l’accusé Funk s’est, par les mesures les plus variées, constamment opposé à un pillage des territoires occupés et que ce n’est qu’au fait qu’il réussit à empêcher la dévaluation des monnaies dans les pays occupés que ceux-ci doivent d’avoir été préservés d’un préjudice qu’on ne peut absolument pas évaluer pour chaque cas particulier.

Ainsi Messieurs, je laisse ce chapitre de l’Accusation contre Funk et j’en viens maintenant à l’avant-dernier point de l’Accusation portée contre lui, c’est-à-dire à la question de sa participation à l’exclusion des Juifs de l’économie, en novembre et décembre 1938. C’est le troisième point de l’Accusation.

Messieurs, en raison du peu de temps dont nous disposons, je puis me dispenser de citer le détails de l’Accusation portée contre Funk : je vous renvoie à cet égard aux déclarations faites par Funk lui-même à ce sujet. Je dois pourtant revenir sur un problème qui m’apparaît comme le plus essentiel de toute l’accusation Funk, celui du reproche qui lui est fait d’avoir participé de façon ou d’autre aux persécutions des Juifs. Cette question me paraît être tout à fait déterminante pour placer l’accusé Funk dans le cadre du Procès actuel.

Messieurs, on n’a jamais, il est vrai, prétendu en Allemagne que Funk ait fait partie de ces antisémites fanatiques qui ont participé aux pogroms, qui les ont approuvés et en ont tiré profit. Funk a constamment désapprouvé d’une façon péremptoire des faits de ce genre et cela s’explique non seulement par ses dispositions naturelles et le milieu dans lequel il a été élevé, mais aussi par sa longue carrière de journaliste dans la branche de la presse qui traitait de politique économique et le mit ainsi en contact permanent avec les Juifs importants du monde économique. Les spécialistes savent et disent aujourd’hui encore à sa louange que Funk ,a toujours eu, dès cette époque une attitude exempte de tout antisémitisme et semblait plus favorable qu’hostile aux Juifs. Dans la vie de l’accusé Funk, il y a quelque chose de tragique dans le fait que malgré cela, précisément, le nom de Funk ait été à plusieurs reprises, au cours de ce Procès, rapproché des ordonnances de novembre 1938 par lesquelles on avait réalisé l’exclusion des Juifs de la vie économique. Qu’il le voulût ou non, toutes les questions se rapportant au traitement des Juifs dans la vie économique étaient de son ressort en sa qualité de ministre de l’Économie. En tant que fonctionnaire, il avait le devoir de publier les ordonnances d’application nécessaires.

C’est précisément ce qui a dû être très pénible pour l’accusé Funk, étant donné son penchant naturel à la tolérance. A cette époque, Funk était, depuis huit ans, fonctionnaire du ministère de la Propagande et du ministère de l’Economie nationale, et le Ministère Public n’a pu trouver, pour toute cette période, un seul cas où Funk aurait fait preuve d’une attitude antisémite, où il aurait prononcé un discours d’agitation contre les Juifs, pas un seul cas où il aurait prêché ou approuvé l’emploi de la violence, de la terreur et de l’injustice. Bien au contraire ; nous savons par les dépositions de divers témoins que pendant ces années, Funk est souvent intervenu en faveur de ses concitoyens juifs, qu’il s’est occupé d’eux et qu’il s’est efforcé d’adoucir des rigueurs, d’empêcher des excès et de sauver des existences, même lorsqu’il s’agissait de Juifs ou d’adversaires politiques. On ne doit donc pas s’étonner que cet homme, qui avait une grande expérience en matière économique, qui possédait une culture générale et un penchant marqué à la tolérance, fut frappé de la façon la plus douloureuse lorsqu’il dût voir, le 10 novembre 1938 à. Berlin, les ravages commis dans des maisons et des magasins juifs, et lorsqu’il reçut les unes après les autres, les nouvelles qui confirmaient que Goebbels et sa clique, profitant de l’irritation du peuple due à l’attentat commis à Paris par un Juif sur la personne d’un diplomate allemand, avaient organisé dans toute l’Allemagne de tels pogroms et que ces excès conduisaient non seulement à la destruction de nombreux biens juifs, mais aussi à l’assassinat de nombreux Juifs et à la persécution de plusieurs ; milliers de concitoyens innocents. L’affidavit de son conseiller ministériel Kallus (livre de documents Funk n° 15) du 9 décembre 1945 et la déclaration sous la foi du serment de Madame Luise Funk du 5 décembre 1945 (livre de documents Funk n° 3) démontrent clairement que Funk condamnait ces excès de la manière la plus formelle, qu’il les avait désignés devant le Dr Goebbels, dans un état de grande agitation, sous le terme de « cochonneries », qu’il a menacé de donner sa démission en cas de répétition et qu’il a déjà dit à cette époque en face du tout-puissant Dr Goebbels : « Il faut avoir honte d’être Allemand ».

C’était, Messieurs, la juste indignation d’un homme qui s’était occupé depuis des années, avec beaucoup de zèle, d’atténuer les mesures prises contre les Juifs et les adversaires politiques et qui avait reçu pour cette activité de nombreuses lettres de remerciements qui, pendant des années, avait lutté pour éviter toute forme de terreur, pour garantir son droit à chaque citoyen, pour donner un essor à la vie économique allemande, et dont tous les efforts avaient été brisés en une nuit par le fanatisme brutal d’un Dr Goebbels.

Lors de sa déposition, Funk a lui-même décrit d’une manière vivante comment il avait été poussé à maintes reprises par le Dr Goebbels et par le Dr Ley, depuis qu’il exerçait les fonctions de ministre de l’Économie, c’est-à-dire depuis février 1938, à exclure les Juifs de la vie économique ainsi qu’on les avait exclus, dès 1933, de la vie culturelle. Le témoin Hayler a déclaré ici que Himmler aussi avait fait ce reproche à Funk ; Funk lui-même nous a décrit dans sa déposition les difficultés qui avaient surgi au cours de ces armées avec les équipes fanatisées des usines, qui parfois ne voulaient plus continuer à travailler avec les chefs juifs des entreprises ou qui n’osaient plus continuer à travailler avec eux ; comment, sous la pression de ces conditions, de nombreux Juifs propriétaires d’entreprises furent alors amenés à les céder, souvent à vil prix, à des personnes que le ministre de l’Économie, Funk, considérait comme complètement inaptes à leur acquisition et à leur direction. Sans cesse, Funk essayait d’enrayer ce développement irrésistible ; il s’efforçait sans relâche de diminuer au moins le rythme de ce procédé d’aryanisation, de pourvoir à un dédommagement approprié et équitable des propriétaires juifs des entreprises et de leur permettre d’émigrer d’Allemagne en emportant leurs biens. Mais, de jour en jour, Funk dut se rendre compte qu’il était trop faible pour arrêter ce développement et que les éléments radicaux de l’entourage du Dr Goebbels et du Dr Ley l’emportaient de plus en plus et que, ce faisant, ils pouvaient malheureusement même se réclamer de l’autorité de Hitler. Ce dernier a été poussé par quelques conseillers irresponsables, qui ne se trouvent pas aujourd’hui parmi les accusés, à traiter de la question juive d’une manière de plus en plus radicale. Au milieu de cette lutte menée d’une part par le Dr Funk et d’autres personnes raisonnables, et d’autre part par Goebbels et Ley, éclatèrent les événements du 9 novembre 1938 qui, comme Goebbels l’a admis plus tard devant Fritzsche, étaient directement dirigés aussi contre la personne de l’accusé Funk, qui devait ainsi être mis devant le fait accompli. Et grâce à cette action du mois de novembre 1938, le Dr Goebbels atteignit en effet son but, comme l’a confirmé le témoin Landfried. Goebbels pouvait alors se réclamer d’une ordonnance, émanant de Hitler en personne, qui voulait que les Juifs fussent maintenant complètement exclus de la vie économique de l’Allemagne, bien que Funk, en sa qualité de ministre intéressé, n’eût cessé de souligner l’importance des relations avec l’étranger dont le Reich allemand et son économie ne pouvaient se passer.

Les ordres nécessaires à l’exécution de ce programme furent donnés par Göring en sa qualité de délégué au Plan de quatre ans, et sur instructions directes de Hitler. Il est vrai que Funk n’avait jamais douté que Göring ne fut lui aussi, jusqu’à un certain point, qu’un instrument, car il avait toujours connu Göring pour s’être constamment opposé auparavant à un radicalisme exagéré dans la question juive. Cette manière de voir de Funk était partagée par une grande partie du peuple allemand, et par la suite elle s’avéra justifiée au cours de la tragique réunion organisée par Göring le 12 novembre 1938 (PS-1816). On a utilisé ici ce document à plusieurs reprises. Lors d’une réunion qui a précédé celle du 12 novembre 1938, Göring a critiqué sévèrement les actes de terreur qui s’étaient produits et a déclaré aux Gauleiter présents qu’il rendrait personnellement responsable chaque Gauleiter de tous les actes de violence qui se produiraient dans son Gau. Mais à quoi cela servait-il ?

Goebbels, au cours de la deuxième séance dont vous avez le procès-verbal (PS-1816), imposa quand même ses exigences radicales, et d’après l’évolution de cette réunion, Funk acquit la conviction qu’il n’était plus possible d’empêcher l’exclusion absolue des Juifs de la vie économique allemande, étant donné que le fanatisme des cercles dirigeants était allé trop loin. Funk comprit alors qu’il faudrait maintenant prendre des mesures légales pour accorder aux Juifs une protection contre la terreur renouvelée, le pillage et les actes de violence, et pour leur faire obtenir, pour le moins et, dans une certaine mesure, des dédommagements appropriés. C’est dans ce sens que Funk, lors de la réunion précitée de Göring, le 12 novembre 1938, a tenté à nouveau de faire des efforts, et c’est à ces efforts de l’accusé Funk, qui furent alors soutenus par Göring, que l’on doit, comme le démontre le procès-verbal, la réouverture des magasins juifs, le fait que le déroulement de toute cette affaire fut soustrait à l’arbitraire des organisations locales et eut lieu dans tout le Reich sur des bases légales et le fait, enfin, que ce déroulement fut réparti à des dates déterminées, pour gagner du temps dans l’exécution de toute cette action. En relisant attentivement le procès-verbal de la séance de Göring du 12 novembre 1938, on constatera, malgré sa teneur inexacte et incomplète, qu’il existe cependant des points de repère précis qui prouvent cette influence modératrice de Funk, son insistance, rapportée dans le procès-verbal, pour que soient rouverts les magasins juifs, sa proposition de laisser au moins leurs titres aux Juifs et son attitude à l’égard de l’exigence de Heydrich d’enfermer les Juifs dans des ghettos. C’est un fait prouvé par le procès-verbal du 12 novembre 1938, que Funk combattit cette proposition de Heydrich et dit textuellement : « On n’a pas besoin de ghettos ; les Juifs n’auront qu’à se resserrer un peu entre eux. On pourrait régler, sans envisager de ghettos, la question de 3.000.000 de Juifs qui vivent au milieu de 70.000.000 d’Allemands ». Funk voulait donc épargner aux Juifs l’internement dans des ghettos. En vérité, Funk n’a pas pu imposer complètement son point de vue à ce moment-là. Par exemple, sa proposition de laisser aux Juifs leurs valeurs et titres a été repoussée, bien que Funk eût fait observer — et cela ressort également du procès-verbal — que l’utilisation des titres juifs inonderait brusquement le marché allemand des capitaux du fait de l’afflux de ces titres qui atteindraient une valeur d’un demi-milliard susceptible d’entraîner des conséquences fâcheuses pour la bourse allemande. Mais, Messieurs, ce qui importe pour le jugement de l’accusé Funk, ce n’est pas le résultat, mais son effort manifeste de sauver pour les Juifs ce qui pouvait encore l’être, étant donné les circonstances, et nous ne devons pas perdre de vue que dans toutes ces mesures Funk n’agissait qu’en sa qualité de ministre de l’Économie, partant de fonctionnaire, qui s’occupait uniquement d’ordonner les mesures nécessaires à l’exécution de l’ordre que Göring, en sa qualité de délégué au Plan de quatre ans, avait donné sur les instructions de Hitler. Funk se trouvait en l’occurrence exactement dans la même situation forcée que, par exemple, le comte Schwerin-Krosigk, ministre des Finances du Reich, qui dut à la même époque prendre les mesures d’exécution en vue du versement de l’amende d’un milliard de Reichsmark-imposée aux Juifs, ou que les ministres de la Justice et de l’Intérieur du Reich, qui ordonnèrent tous deux des mesures d’exécution analogues dans leur domaine respectif.

Il appartiendra au Tribunal de trancher le principe de la délicate question de Droit qui consiste à savoir si le fonctionnaire d’un État dont le Gouvernement est reconnu comme légal par tous les Gouvernements du monde devient passible de sanctions pénales en appliquant une loi — je souligne, Messieurs, une loi — conforme à la législation de cet État. C’est là, Messieurs, un problème de Droit bien différent de la question traitée par l’Accusation et par le Statut, de savoir si l’ordre officiel d’un supérieur constitue une excuse absolutoire ou non.

Je voudrais ajouter ce qui suit : en principe, je ne m’occuperai pas de cette dernière question, je la laisse à d’autres. Je ne m’occuperai que de la question de savoir si un fonctionnaire se rend coupable en exécutant une loi régulièrement promulguée par un État qui est reconnu comme légal par tout le monde. Ce problème est entièrement différent de celui dont traite le Statut.

Messieurs, je dois faire les remarques suivantes au fur et à mesure de mes explications : je continue au bas de la page 50 ; notre sens inné du Droit approuve entièrement qu’un citoyen, un fonctionnaire ou même un soldat ne puisse, en invoquant un ordre officiel reçu d’un supérieur, tenter de se justifier lorsque cet ordre a trait à une action nettement illégale, et notamment à un crime, et lorsque le subordonné, en jugeant la situation et en tenant compte de l’ensemble des circonstances, reconnaît ou devrait reconnaître, que cet ordre reçu est contraire au Droit. Cette dernière condition posée, en d’autres termes — et je puis les ajouter — si l’ordre officiel d’un supérieur contrevient ostensiblement au Droit, on acceptera de façon générale que le subordonné ne bénéficie pas du droit de se justifier en invoquant un ordre officiel émanant d’un supérieur et en prétendant qu’il n’a fait que l’exécuter. A cet égard, cette disposition du Statut du Tribunal n’apporte, en somme, aucune innovation importante, mais simplement la confirmation et le développement des principes de Droit qui, à des degrés divers, sont actuellement reconnus dans le Droit pénal de la plupart des pays civilisés. Il est vrai qu’une certaine prudence est ici de mise, car d’un autre côté il ne faut pas oublier que l’obéissance à l’égard des ordres de l’autorité supérieure est et doit rester à la base de l’administration gouvernementale de tous les pays, si l’on veut assurer le fonctionnement normal de l’appareil administratif ; et il peut être très dangereux qu’un fonctionnaire soit amené à décider lui-même s’il doit rester fidèle au serment prêté.

Mais, Messieurs, dans le cas qui nous occupe ici, il s’agit d’autre chose : il s’agit de l’obéissance du citoyen, et particulièrement du fonctionnaire, tel que Funk à cette époque, à des lois de son pays qui, selon les dispositions constitutionnelles du pays en question, ont été promulguées de façon régulière.

Si nous voulons arriver, dans cette question délicate, à une réponse qui soit juste et exacte — question qui, à mon avis, n’a pas encore été traitée dans la littérature — il sera utile de faire entièrement abstraction des conditions allemandes et du Procès actuel et de se poser la question de savoir comment ce problème serait à résoudre si un fonctionnaire d’un autre État, c’est-à-dire d’un État non-allemand, appliquait une loi. Supposons, par exemple, qu’un État étranger quelconque, comportant une minorité, promulgue une loi correspondant aux prescriptions de s.a constitution — ce sont toujours les conditions préliminaires — stipulant que les ressortissants de cette minorité sont à expulser du territoire de ce pays ou encore que la fortune de ces ressortissants est à confisquer au profit de l’État, ou encore que les importantes exploitations rurales appartenant à ces ressortissants doivent revenir à l’État ou être partagées entre d’autres citoyens. Est-ce que, en prenant cet exemple, le fonctionnaire de ce pays commet réellement un crime quand il exécute cette prescription législative ? Est-ce que le fonctionnaire, qui est compétent pour exécuter cette loi, en vertu des stipulations juridiques de son État, a réellement le devoir ou a-t-il seulement le droit de refuser d’obéir à cette loi en alléguant par exemple que, d’après sa conviction personnelle, la loi en question constitue un crime contre l’Humanité. Je me demande si, dans un tels cas, un État quelconque accorderait seulement à ses fonctionnaires la possibilité de vérifier si la loi promulguée est en contradiction avec les principes de l’Humanité ou avec les normes fluctuantes du Droit international ? Quel État tolérerait qu’avec cette justification ses fonctionnaires refusent d’exécuter une loi promulguée ?

Prenons un autre exemple : supposons qu’une loi d’un Gouvernement décide de doter l’Armée de certaines armes nouvelles ou de construire, d’autres navires de guerre ou de prendre des mesures préparatoires quelconques en cas de guerre. Un seul fonctionnaire aurait-il le droit, de se refuser à exécuter la loi ou même à saboter son exécution, sous prétexte que, selon ses conceptions personnelles en matière de Droit international, il s’agit d’une guerre d’agression, donc d’un crime contre le Droit international ?

C’est le Tribunal qui aura à trancher ces questions juridiques. Mais, pour sa défense, Funk peut citer le fait qu’en raison de son idéologie et son passé, il lui a certainement été extrêmement dur de promulguer ces ordonnances d’application tout en croyant qu’en agissant ainsi il remplissait son devoir de fonctionnaire.

A ce propos, il faut se souvenir de la circulaire publiée par Funk le 6 février 1939 (document PS-3498), rapportée à la page 19 de l’exposé des charges, où il souligne à ses fonctionnaires qu’ils ont le devoir — et je cite textuellement — « d’assurer une application irréprochable à tous points de vue » et où il décline déjà, sans s’en rendre compte, toute responsabilité concernant ces mesures, en déclarant expressément, et je cite à nouveau textuellement : « Les dispositions que je prendrai, en accord avec les instructions du délégué au Plan de quatre ans, détermineront la mesure et le rythme de l’application des pleins pouvoirs qui touchent au Plan de quatre ans ». Cette indication donnée par l’accusé Funk sur les dispositions légales du Plan de quatre ans, qui était autorisé à promulguer des lois, provient du besoin de l’accusé d’exprimer formellement et solennellement et pour l’avenir qu’il était, en ce qui concernait le décret relatif aux ordonnances d’application de l’année 1938, en fin de compte la victime de son devoir d’obéissance envers l’État, la victime de sa fidélité envers les lois de cet État auquel il avait prêté serment d’allégeance.

C’est précisément dans cette circulaire de Funk du 6 février 1939 que je viens de mentionner (exposé écrit, page 19) que se dessine déjà clairement cette crise de conscience qui s’empara de Funk à cette époque, sans qu’il se fût lui-même rendu coupable, cette crise de conscience qui, lors de son interrogatoire par un officier américain, le 22 octobre 1945, provoqua un choc nerveux complet, de sorte que ne pouvant plus contenir ses larmes, Funk déclara à l’officier chargé de l’interrogatoire : « Oui, je suis coupable ; c’est alors que j’aurais dû démissionner ». C’est cette même crise de conscience qui se traduisit par les paroles citées qui a exercé son emprise sur l’accusé pendant tous les débats devant le Tribunal, et nous nous souvenons que Funk, lors de l’audience du 6 mai 1946, lorsque nous en sommes venus à traiter de cette question, était tellement ému qu’il pouvait à peine continuer à parler et qu’il finit par déclarer ici, devant vous, Messieurs, qu’à cet instant, il avait eu clairement conscience que c’était à partir de là, c’est-à-dire des atrocités de novembre 1938, que le destin funeste avait pris son cours et qu’il allait conduire jusqu’aux actes horribles et terrifiants que nous avons entendu traiter ici, dont il avait eu partiellement connaissance au cours de sa captivité et qui se terminaient à Auschwitz. Lors de son interrogatoire du 22 octobre 1945, il aurait — et ce sont les propres paroles qu’il a prononcées ici, le 6 mai — éprouvé une honte profonde et une lourde responsabilité devant lui-même. Il éprouve la même chose aujourd’hui encore, mais il a placé plus haut que ses propres sentiments et la voix de sa conscience la volonté de l’État et les lois de l’État, et il se sentait obligé envers l’État en sa qualité de fonctionnaire. Il s’était considéré comme d’autant plus obligé, que ces mesures légales étaient justement nécessaires pour la protection des Juifs, pour les protéger contre une absence complète de garanties légales et contre l’arbitraire et la violence. Voilà les paroles de Funk où il a, suivant la vérité, exprimé ses sentiments.

Aujourd’hui encore, Messieurs, Funk ressent, comme particulièrement tragique, le fait que ce soit précisément lui qui soit chargé de ces choses, lui qui n’a jamais prononcé une parole de haine contre un Juif, qui, au contraire, a toujours agi dans le sens de la tolérance et de l’égalité de droits, même vis-à-vis des Juifs, partout où il l’a pu.

Si Funk, lors de son interrogatoire du 22 octobre 1945, a dit à un officier américain : « Je suis coupable », on ne doit pas du tout examiner ici si l’accusé a jamais songé, d’une manière quelconque, à une culpabilité criminelle ou seulement à une certaine culpabilité morale qu’il voyait dans le fait qu’il était resté dans une fonction qui l’obligeait à appliquer des lois contraires à sa propre conviction. Funk n’était pas en mesure de se former lui-même un jugement sur cette difficile question juridique qui consistait à déterminer si un fonctionnaire d’un État généralement reconnu en Droit international, pouvait se rendre coupable s’il ne faisait qu’exécuter les lois de cet État qui étaient constitutionnellement promulguées. L’accusé Funk ne voyait pas la culpabilité dont il vous a parlé dans le fait qu’il avait promulgué des ordonnances d’application en novembre 1938 ; il était obligé de la faire, en sa qualité de fonctionnaire. En revanche, il voyait beaucoup plus sa culpabilité dans le fait d’être resté membre du Gouvernement, bien qu’il réprouvât comme insupportables les actes de terreur qui se déroulaient et qu’il abhorrait, et cette crise de conscience dont il a parlé lors de son interrogatoire n’a pas surgi parce qu’il agissait d’après les lois qu’il considérait comme nécessaires en raison des circonstances, mais parce que, en raison de ses scrupules, il n’avait pas, dans cette situation difficile, suivi la voix de sa conscience et ne s’était pas démis de ses fonctions de ministre. Mais sa décision de rester en fonction malgré ses scrupules d’ordre sentimental n’était certainement pas due, et c’est le fait important sur lequel je me permets d’insister, Messieurs, à des considérations d’ordre matériel ; car, grâce à sa renommée de journaliste et grâce à ses capacités dans ce domaine, il lui était facile de trouver une autre situation convenable.

Pourtant, bien des choses indiquent que l’accusé fut retenu dans ses fonctions avant tout par l’idée que rien ne serait amélioré par sa démission, qu’au contraire un successeur incapable et fanatique rendrait l’administration encore bien plus radicale, alors qu’il pouvait espérer adoucir bien des malheurs en restant en fonction. Cette considération qui, en première ligne, peut avoir guidé l’accusé Funk, était sûrement exacte jusqu’à un certain point. Son secrétaire d’État, le Dr Landfried a déclaré, dans sa déposition, que, par la suite, Funk a exprimé à plusieurs reprises ses scrupules sérieux sur cette action anti-juive de novembre 1938 et s’est désolidarisé très nettement de tous ces excès et de ces violations des lois que différents services avaient commis lors de leur application. En face de Landfried, son homme de confiance, Funk pouvait parler ouvertement, et il s’est souvent plaint auprès de lui qu’il ne fut pas en son pouvoir d’éviter de tels abus. Mais, disait-il à Landfried — et je cite textuellement —  : « Nous autres, du ministère de l’Économie, nous devons tout spécialement veiller à ce que personne ne s’enrichisse d’une façon injustifiée aux dépens des Juifs, lors de l’aryanisation des entreprises, c’est-à-dire lors de leur transfert entre des mains non juives ».

Et le conseiller ministériel Kallus, dans sa déposition du 19 avril 1946, a décrit les différentes mesures que Funk avait prises à ce moment dans l’intérêt des Juifs propriétaires d’entreprises, et Kallus nous a aussi relaté que Funk, en tant que ministre de l’Économie, s’était même personnellement efforcé d’assurer l’application correcte de ses ordonnances par les autorités subordonnées.

Vous voyez donc, Messieurs, que la conscience du devoir d’un côté, et le sentiment humain de l’autre, étaient les facteurs qui retenaient l’accusé à son poste et qui l’ont mis ainsi dans une situation dans laquelle on lui reproche aujourd’hui une activité criminelle. Monsieur le Président, j’en viens à un nouveau chapitre ; il me reste encore quinze pages, voulez-vous suspendre, maintenant, Monsieur le Président ? Il est 4 heures moins six.

LE PRÉSIDENT

Pouvez-vous terminer dans le délai ?

Dr SAUTER

Il y a encore quinze pages, disons huit à dix minutes... Mais, si je compte bien, il me faut encore une demi-heure environ, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Nous allons suspendre maintenant.

(L’audience sera reprise le 15 juillet 1946, à 10 heures.)