CENT SOIXANTE-DIX-HUITIÈME JOURNÉE.
Lundi 15 juillet 1946.
Audience du matin.
L’accusé Ribbentrop n’assistera pas aux débats aujourd’hui.
Les représentants du Ministère Publie et de la Défense sont-ils d’avis que nous nous occupions à 14 heures des questionnaires et des affidavits qui nous sont parvenus depuis les dernières requêtes ?
Le Ministère Public est, sous réserve, de cet avis, Monsieur le Président.
Docteur Sauter, convient-il à la Défense que nous abordions cette question à 14 heures ?
Certainement, Monsieur le Président, j’informerai mes confrères que ces requêtes seront examinées à 2 heures cet après-midi.
Je m’associe à mon confrère le Dr Sauter. Cependant, ma plaidoirie risquerait d’être interrompue si nous le faisons à 14 heures. Je serais très reconnaissant au Tribunal de bien vouloir aborder cette discussion à la fin de la plaidoirie de mon confrère le Dr Sauter. Il me serait très désagréable d’être interrompu.
Mais certainement, Docteur Dix. Nous le ferons à la fin de la plaidoirie du Dr Sauter.
Puis-je avoir la parole, Monsieur le Président ?
Certainement, Docteur Sauter.
Messieurs, avant la suspension de l’audience, vendredi, j’ai décrit la position et l’attitude de l’accusé Funk à l’égard de la question juive, et, à ce propos, j’ai montré qu’à propos du décret sur l’exécution des ordonnances publié à la fin de l’année 1938, en vue de l’exclusion des Juifs de la vie économique, l’accusé Funk n’a jamais agi qu’en qualité de fonctionnaire du Reich, et conformément aux devoirs qu’il avait, de ce fait, à remplir. J’ai terminé vendredi dernier mes déclarations sur ce point par les mots suivants : La conscience du devoir d’un côté, et les sentiments humains de l’autre étaient les facteurs qui retenaient l’accusé à son poste et qui l’ont mis ainsi dans une situation dans laquelle on lui reproche aujourd’hui une activité criminelle.
Maintenant, Messieurs, je passe au dernier chapitre : il s’agit de peser la personnalité de l’accusé Funk, les mobiles qui l’ont fait agir, et ses actes. C’est pourquoi je traiterai des livraisons d’or à la Reichsbank par les SS. Je traiterai également de l’attitude de l’accusé Funk, à propos des camps de concentration. Les explications que je donne figurent à la page 58 de l’exposé que vous avez entre les mains.
Il est vraiment un côté particulièrement tragique dans la vie de l’accusé Funk : non seulement le destin le condamnait à édicter, en 1938, des ordonnances d’application de lois, qu’il avait, plus que personne, condamnées et repoussées dans son for intérieur, mais encore, une fois de plus, en 1942, il devait être mêlé d’une façon particulièrement terrible aux persécutions contre les Juifs ; et je pense ici au dépôt effectué à la Reichsbank par les SS, à cette affaire donc qui a fait l’objet d’un film qui nous a été présenté ici et qui avait été pris dans les chambres fortes de la succursale de la Reichsbank à Francfort, et à propos de laquelle deux témoins, le vice-président Emil Puhl et le conseiller de la Reichsbank Albert Thoms ont été entendus.
L’accusé Funk avait déjà été interrogé à ce sujet au cours des interrogatoires préliminaires, le 4 juin 1945 (document PS-2828). Il est vrai que des détails n’avaient pas été portés à sa connaissance et que Funk avait fait, à cette occasion, les mêmes déclarations qu’il a répétées ici devant le Tribunal, à savoir qu’il ne s’était occupé qu’à quelques rares occasions de cette affaire à laquelle il n’attachait aucune importance. Voilà la raison pour laquelle il ne pouvait, de prime abord, au cours des débats, se souvenir exactement de ces événements. Il n’en savait donc pas plus qu’il n’en avait dit précédemment. Toujours est-il qu’il devait compter avec le fait, Messieurs, qu’au cours des débats cette affaire serait évoquée lors du contre-interrogatoire. C’est en effet ce qu’a fait le Ministère Public américain, le 7 mai 1946, en produisant un affidavit du témoin Emil Puhl, vice-président de la Reichsbank, qui paraissait tout d’abord porter des accusations graves contre l’accusé Funk. On doit cependant noter que, depuis le début du Procès, l’accusé Funk s’est précisément toujours référé au témoin Puhl sur de nombreux points et que, depuis 1945, il a constamment demandé l’audition de ce témoin. Funk ne l’aurait certainement pas fait si sa conscience n’avait pas été tranquille et s’il avait dû s’attendre à ce que son propre témoin le chargeât de la façon la plus grave dans l’affaire des camps de concentration. Or, l’interrogatoire du témoin Emil Puhl devant le Tribunal a fait ressortir clairement qu’il n’était pas en mesure de maintenir d’une manière générale les accusations portées dans son affidavit contre la personne de Funk et les détails qu’il avait rapportés sur le dépôt effectué par les SS.
Il est cependant vrai que Funk s’est souvenu, après l’interrogatoire de Puhl — et j’ai déposé à ce sujet, le 17 juin 1946, uns rectification de sa déposition — avoir été interrogé en son temps par le ReichsFührer SS Himmler sur la possibilité de garder dans les coffres de la Reichsbank des objets de valeur qui avaient été saisis à l’Est par les SS. Funk a répondu affirmativement à la question de Himmler et lui a dit qu’il pourrait, le cas échéant, charger quelqu’un de discuter et régler l’affaire avec le vice-président Puhl. C’est tout ce que Funk a dit à Himmler en 1942, je crois, et ce qu’il a communiqué à cette occasion au vice-président Puhl, car c’était Puhl qui était effectivement chargé de la direction des affaires de la Reichsbank et qui, pour cette raison, était compétent pour traiter cette affaire.
Cette question du ReichsFührer SS Himmler ne comportait rien d’extraordinaire qui eût pu frapper Funk, car, à l’époque, pour autant que Funk en eût connaissance, les SS étaient chargés de la Police des territoires occupés de l’Est et, pour cette raison, ils devaient souvent confisquer des objets précieux, comme la Police ordinaire le faisait en Allemagne. De plus, en vertu des dispositions légales en vigueur dans les territoires occupés de l’Est, toutes les pièces d’or, devises, etc., devaient obligatoirement être déposées, et les dépôts ont été effectués à l’Est entre les mains des SS, car d’autres services publics n’avaient pas été institués à cet effet. Funk savait aussi que les camps de concentration dépendaient des SS et il estimait que les valeurs remises en dépôt par les SS à la Reichsbank n’étaient pas tellement différentes des valeurs qui, de toute façon, devaient obligatoirement être déposées par toute la population’. Enfin, il était bien connu que les SS prenaient part aux combats de l’Est tout autant que la Wehrmacht ; de même que celle-ci, les SS avaient aussi ramassé du butin dans les villes abandonnées et détruites de l’Est et l’avaient livré au Reich. Funk ne considérait donc pas comme quelque chose d’extraordinaire le fait que les SS possédassent de l’or et des devises et qu’ils vinssent les déposer conformément aux règlements.
Ce qui importe dans toute cette affaire, c’est de savoir si Funk a su ou vu que, parmi les objets apportés par les SS, se trouvaient aussi, en quantité considérable, des montures de lunettes et des dents en or ou autres objets de ce genre, qui leur étaient tombés entre les mains, non à la suite d’une réquisition réglementaire, mais par des voies criminelles. Si — et j’insiste, Messieurs, sur le conditionnel — on pouvait prouver à l’accusé Funk qu’il a vu de tels objets dans les dépôts des SS, on pourrait naturellement le surprendre. Mais nous avons entendu le témoin Puhl affirmer nettement que l’accusé Funk n’en avait aucune connaissance, et que le vice-président lui-même n’en savait pas davantage. En tout cas, Funk n’a jamais vu le détail et la quantité des objets en or apportés pour le compte des SS.
On a allégué contre Funk qu’il avait lui-même pénétré plusieurs fois dans les caves de la Reichsbank de Berlin, et on a cru pouvoir en déduire qu’il aurait dû voir les objets que les SS y avaient déposés. Cette conclusion est manifestement fausse ; car il a été établi par la présentation des preuves que, pendant toute la durée de la guerre, Funk n’a pénétré dans les caves de la Reichsbank que quelques rares fois pour montrer à des visiteurs importants, notamment à des étrangers, les lingots d’or qui y étaient déposés. Au cours de ces quelques rares visites dans les caves, il n’a jamais aperçu le détail de ce que les SS avaient déposé à sa banque. Ce fait est prouvé irréfutablement non seulement par la déclaration sous serment de l’accusé Funk lui-même, mais aussi par les témoignages verbaux du vice-président Puhl et du conseiller de la Reichsbank Thoms que vous avez entendus. Ce dernier témoin, présenté par le Ministère Public, et qui ne saurait faire l’objet de la moindre suspicion, a affirmé sous serment et volontairement que les objets de valeur appartenant aux SS étaient livrés dans des malles, des caisses et des sacs fermés, qu’ils étaient gardés ainsi, et que Funk n’a jamais été présent quand des employés de la banque triaient les contenus d’une malle ou d’une caisse, en dépôt dans les caves de la banque. Thoms, qui était chargé du contrôle de ces caves, n’y a jamais vu Funk. Funk n’a donc jamais ni connu l’importance que les dépôts avaient acquise peu à peu, ni su que, parmi ces dépôts, se trouvaient des bijoux, des perles et des pierres précieuses, des montures de lunettes et des dents en or. Il n’a jamais vu tout cela et jamais un de ses employés ne l’en a informé.
Le Ministère Public estime que Funk, en tant que président de la Reichsbank, devait forcément savoir ce qui se trouvait en dépôt dans sa propre banque, mais cette conclusion, elle aussi, est manifestement erronée, et ne tient point compte des conditions actuelles d’une banque centrale d’émission. Funk, qui était en même temps ministre de l’Économie, n’avait, en sa qualité de président de la Reichsbank, aucune raison de s’occuper d’un dépôt individuel, même s’il appartenait par hasard aux SS. En tant que président de la Reichsbank, il ne s’occupait pas non plus des dépôts d’autres clients de sa banque, car cela n’était pas de son ressort. Il a tout au plus, suivant un conseil de son vice-président, demandé une fois au Reichsführer SS Himmler si les valeurs des SS déposées à la Reichsbank pouvait être utilisées, c’est-à-dire dans le cadre des affaires normales traitées par la Reichsbank ; Himmler l’autorisa et Funk, de son côté, informa son vice-président Puhl de ce fait. Mais, en faisant cela, il n’avait en vue que des pièces d’or et des devises, c’est-à-dire toutes les valeurs qui, d’une manière générale, dans le Reich allemand, devaient être remis à la Reichsbank, qui pouvait et devait les utiliser. L’idée n’est jamais venue à Funk qu’il pouvait se trouver dans ce dépôt des dents en or et autres objets semblables provenant d’agissements criminels dans les camps de concentration. A son horreur, il ne l’a appris pour la première fois qu’au cours de ces débats, dans cette salle.
La seule chose, Messieurs, qui, de toutes les déclarations du témoin Puhl, semblait encore rester suspecte, était la question du secret, qui a joué un très grand rôle lors de l’audition des témoins. Le vice-président Puhl, dans son témoignage, a commencé par déclarer que Funk lui avait dit que l’affaire du dépôt des SS devait être gardée tout particulièrement secrète. Funk, par contre, l’a toujours contesté de la manière la plus catégorique et a affirmé sous la foi du serment ne s’être jamais entretenu avec Puhl sur un secret de cette nature. Il y avait donc deux dépositions contradictoires. Mais les données fournies par le vice-président Puhl sur ce point semblent contradictoires dès le début. Une fois, il dit que le fait d’avoir tenu cette affaire secrète n’a rien de remarquable car, après tout, le secret s’applique à tout ce qui se traite dans une banque. A une question particulière, Puhl déclara, à plusieurs reprises, qu’il n’avait nullement remarqué que Funk lui eût parlé de tenir quelque chose secret. Mais lorsque la déposition sous la foi du serment du témoin Thoms, en date du 8 mai 1946, a été lue et soumise au témoin Puhl, celui-ci a fini par déclarer, le 15 mai 1946, sous la foi de son serment, qu’il en ressortait clairement que le désir de garder le secret émanait des SS, que ceux-ci avaient tenu à ce que l’affaire fût réglée dans le secret et que les SS étaient à l’origine de la consigne du secret. C’est ainsi que s’est exprimé Puhl. A la fin de sa déposition, il a confirmé une fois de plus que la consigne du secret avait été établie et voulue par les SS.
Ainsi, Messieurs, la contradiction initiale entre les dires de l’accusé Funk et ceux du témoin Puhl sur ce point se trouve-t-elle entièrement écartée en faveur de l’accusé. Puhl n’est pas arrivé lui-même à maintenir sa première déclaration selon laquelle ce serait Funk qui aurait ordonné le silence sur ces dépôts des SS ; il faut donc en déduire que la déclaration de l’accusé Funk est également exacte sur ce point et mérite d’être retenue, car dès le début, il a déclaré en toute exactitude, sous la foi du serment, qu’il avait lui-même tout ignoré d’une telle obligation de garder le secret et qu’il n’en avait rien dit non plus à Puhl. Funk n’avait du reste aucune raison de parler à Puhl d’une consigne particulière de silence, étant donné que Funk estimait, de toute évidence, qu’il s’agissait uniquement de valeurs qui devaient être remises en dépôt, qui devaient être réquisitionnées et qui faisaient partie des affaires régulières et légales de la Reichsbank, sans distinguer si les objets à délivrer se trouvaient appartenir à un interné de camp de concentration ou à une personne libre. La vraie raison pour laquelle les SS ont insisté auprès du vice-président Puhl en vue du secret de l’opération, et la raison, d’autre part, pour laquelle le dépôt a été effectué sous le nom d’emprunt de Melmer et non pas sous celui des SS n’ont pas été éclaircies par la présentation des preuves, et le Ministère Public, de son côté, ne s’est pas attaché à faire élucider ce point. Quoi qu’il en soit, le silence exigé par les SS n’a, de toute évidence, pas frappé le vice-président Puhl, non plus que le témoin Thoms, qui d’ailleurs n’a pris aucune part à cette affaire, et nous a confirmé que cette consigne n’avait rien d’extraordinaire. Un fait, Messieurs, est cependant certain : on n’a aucunement dissimulé au nombreux personnel de la Reichsbank de quels objets particuliers il s’agissait ; au contraire, Puhl avait chargé son propre personnel de la Reichsbank de trier les arrivages d’objets de valeur et de les mettre en dépôt dans les établissements de prêts sur gage. Des douzaines d’employés de la Reichsbank qui pénétraient régulièrement dans les chambres du Trésor pouvaient donc voir les objets ; et la caisse principale du Reich, qui était un institut distinct de la Reichsbank, a opéré la réalisation des objets en or de la façon la plus régulière et la plus officielle, avec le ministère des Finances du Reich. L’accusé Funk ignore aujourd’hui encore si des accords ont eu lieu entre le ministre des Finances du Reich et le ReichsFührer SS Himmler sur les arrangements financiers avec le Reich, de même que leur nature ; il ne s’est jamais intéressé à la question qui, du reste ne le regardait pas.
Tous ces faits constatés par la production des preuves établissent irréfutablement que Funk lui-même ignorait tout de « la question et que le vice-président Puhl et le conseiller de la Reichsbank Thoms ne songeaient à aucun mal, bien que Thoms eût au moins vu le détail de ce dépôt.
Pour cette raison, il n’est pas nécessaire d’approfondir davantage la question de savoir si les déclarations préliminaires de Puhl sur le dépôt fait par les SS ne devraient pas être acceptées avec une certaine réserve, étant donné qu’il apparaissait nettement, du moins par son affidavit, que Puhl avait le désir, bien compréhensible, de charger son président Funk de toute la responsabilité, afin de se soustraire lui-même à ses propres responsabilités devant la constatation désagréable qu’il fit au cours de sa captivité, quand on lui déclara que les objets en or des SS se composaient pour la plupart de montures de lunettes et de dents en or provenant des victimes des camps de concentration. Au début, Puhl n’avait manifestement songé à aucun mal dans toute cette affaire. En ce qui le concernait, la question était une opération ordinaire de la Reichsbank pour le compte du Reich, qu’il avait traitée exactement comme il le faisait par exemple pour les objets en or et les devises réquisitionnées qui provenaient des douanes, du contrôle des devises ou d’autres administrations de l’État, Messieurs, on peut apprécier comme on le veut la responsabilité du vice-président Puhl, mais ces faits échappent à la responsabilité de l’accusé Funk. Celui-ci, par la suite, n’a eu que deux ou trois entretiens brefs et sans importance avec Puhl au sujet de ces dépôts d’or, en vue de faire procéder à la réalisation régulière des devises et des pièces d’or déposées. Du reste, Funk ne s’est pas du tout préoccupé de toute cette affaire. Il a été encore moins au courant que Puhl, et il n’est pas sans importance de constater que Puhl a déclaré ici, sous serment, qu’il n’aurait pas laissé verser les objets d’or en dépôt à la Reichsbank s’il avait su que ces objets avaient été enlevés par les SS de façon criminelle aux détenus des camps de concentration. Si Puhl lui-même ignorait ces faits et ne les soupçonnait pas, Funk pouvait encore moins les connaître, et lorsque Puhl a déposé initialement que la Reichsbank avait accepté les objets d’or et les avait réalisés avec l’aide du personnel de la Reichsbank, « au vu et au su de Funk », il a, pour le moins, induit en erreur le Ministère Public de façon flagrante. Lorsque plus tard, au cours de sa détention, Puhl a eu connaissance des faits véritables, il a dû avoir des remords, tout comme Funk, bien que celui-ci ait été innocent en cette affaire. Finalement, Puhl a déclaré sous serment que lui non plus n’aurait pas toléré de semblables opérations et que, s’il avait su que ces objets de valeur provenaient des victimes des camps de concentration et avait connu le genre d’objets dont il s’agissait, il en aurait parlé aussi bien à la direction de la Reichsbank qu’au président Funk.
J’en arrive, par conséquent, à la fin de ce chapitre, au résultat suivant : la Reichsbank a, en effet, traité, pour le compte du Reich, des affaires dont les éléments provenaient d’agissements criminels des SS ; mais Funk n’en a rien su. S’il avait connu l’état réel des choses, il n’aurait pas toléré de telles opérations. Il ne peut, par conséquent, en être rendu responsable au point de vue pénal.
Il en va de même, Messieurs, pour le crédit accordé par la Reichsbank aux entreprises des SS. A ce propos, je me limiterai à quelques phrases. A ce sujet également, le témoin Puhl, dans son affidavit du 3 mai 1946, a fourni une description qui induit complètement en erreur : il a affirmé que le crédit de 10.000.000 à 12.000.000 de Reichsmark fourni par le Goiddiskontbank sur les instructions de Funk avaient servi — et là, je cite textuellement son affidavit — « à financer la production des entreprises SS par une main-d’œuvre provenant des camps de concentration ». Au cours de son interrogatoire oral, on a demandé à Puhl si Funk avait eu une connaissance quelconque du fait que des internés des camps de concentration avaient été employés dans ces usines. Puhl déclara textuellement : « Je suis tenté de le supposer, mais je ne peux le savoir ». Il ne pouvait donc rien affirmer de certain sur la connaissance de Funk. En revanche, la déposition de Funk lui-même sur ce point est tout à fait claire et convaincante ; elle établit qu’il était au courant de la demande de crédits des SS et qu’il l’accorda, mais qu’il ne savait cependant rien de la nature des entreprises des SS et qu’il ignorait les gens qui étaient employés dans ces entreprises. Funk a fait cette déposition sous la foi du serment. Cette affaire de crédit, qui est d’ailleurs antérieure d’environ deux ans à l’affaire des dépôts d’or des SS, n’est donc ni à la charge de l’accusé Funk, ni du témoin Puhl ; à ce moment-là, en 1940, tous deux ignoraient les conditions qui existaient dans les camps de concentration et n’en ont eu connaissance que beaucoup plus tard, c’est-à-dire au cours de ce Procès, et l’accusé Funk a également ignoré que, dans ces. usines des SS qui ont été mentionnées, des détenus des camps de concentration étaient employés.
Il paraît nécessaire, à ce propos, Messieurs, de traiter encore la question de savoir si Funk a jamais visité un camp de concentration. Le témoin Dr Blaha, qui a été entendu ici, a déposé que le Dr Funk s’était rendu une fois à Dachau, au cours du premier semestre de l’année 1944. Cette visite aurait eu lieu à la suite d’une conférence du ministre des Finances à laquelle Funk aurait pris part soit à Berchtesgaden, soit dans une autre localité de cette région. Mais le témoin Dr Blaha n’a pu dire ici qu’il ait vu personnellement l’accusé Funk à Dachau ; il avait seulement entendu dire par d’autres internés du camp que Funk aurait participé à une visite plus importante du camp. Dès le début, cette visite à Dachau a été démentie catégoriquement par Funk lui-même. Il a donné ce démenti sous la foi du serment, et il ressort de la déclaration faite sous la foi du serment par son adjoint permanent, le Dr Schwedier, dont l’affidavit a été présenté — livre de documents Funk n° 15 — sans objection possible, que Funk n’a jamais visité un camp de concentration ; le Dr Schwedier devait le savoir, car à ce moment il était l’adjoint permanent de l’accusé et savait chaque jour où il se rendait. En outre, Funk n’a jamais été ministre des Finances, comme le prétend le Dr Blaha, et n’a jamais pris part à une réunion organisée par le ministre des Finances. Il n’est donc pas douteux que les déclarations du témoins Blaha sont uniquement fondées sur des on dit, sur une fausse information, sur une confusion avec un autre visiteur quelconque ; ce qui pouvait arriver d’autant plus facilement que Funk était relativement peu connu du public. Il en résulte donc que Funk n’a jamais visité un camp de concentration et n’a jamais aperçu les conditions qui régnaient dans ces camps.
Avec cette constatation, Funk ne veut toutefois pas prétendre qu’il n’a rien appris sur l’existence de tels camps de concentration. Comme tout Allemand, Funk savait naturellement qu’à partir de 1933, des camps de concentration existaient en Allemagne, comme il savait que des bagnes, des prisons et d’autres établissements pénitenciers existaient également. Mais ce qu’il ignorait, et j’insiste sur ce fait, c’était le grand nombre de ces camps de concentration et le nombre des détenus qui s’élevait à des centaines de milliers, voire à des millions. Il ignorait également les innombrables atrocités commises dans ces camps, et dont on n’a acquis la preuve qu’au cours du Procès ; en particulier, Funk n’a appris qu’au cours du Procès qu’il y avait également des camps d’extermination qui ont servi à supprimer des millions de Juifs. Funk n’en avait aucune connaissance : il l’a aussi affirmé sous la foi du serment, et cela semble également tout à fait plausible, car l’un des résultats les plus importants de ce Procès consiste en la preuve du fait que le peuple allemand, dans sa généralité, n’avait aucune connaissance des conditions existant dans les camps de concentration et du nombre considérable de ces derniers. Bien plus, ces conditions étaient tenues secrètes d’une façon si raffinée et si cruelle que les plus hauts fonctionnaires du Reich eux-mêmes les ignoraient.
C’est ainsi, Messieurs, que la Défense a pris position sur la partie de l’accusation qui devait charger Funk de la manière la plus écrasante si elle se révélait exacte. On peut penser ce que l’on veut des actes de violence dans une lutte politique et économique, notamment au cours de périodes de révolution orageuses ; mais sur un seul point il ne peut y avoir, selon l’accusé Funk, de différence de conception : les atrocités dans les camps de concentration telles qu’elles ont été commises depuis des années en particulier contre la population juive. Celui qui a participé à des crimes aussi inouïs devra aussi expier durement selon la conception du peuple allemand tout entier. C’est également le point de vue adopté par l’accusé Funk, et qu’il a exprimé ici, lorsque, le 6 mai 1946, il a répondu à la barre au procureur américain qu’il ressentait en tant qu’homme et en tant qu’Allemand une lourde culpabilité et une honte profonde des crimes que des Allemands avaient commis envers des millions de malheureux.
J’en suis arrivé, Messieurs, à la fin de mes explications sur le cas de l’accusé Funk, dans la mesure où elles touchent au Droit pénal. Et c’est là le devoir d’un avocat. L’examen des preuves démontre qu’une responsabilité criminelle n’est pas établie à la charge de l’accusé Funk et qu’en toute conscience, il peut vous demander son acquittement, étant donné qu’il n’a jamais commis de crime au cours de sa vie. Il sera de votre devoir, en tant que juges, de trouver pour l’accusé Funk une décision équitable qui ne lui fasse pas expier la culpabilité d’un autre qu’il n’a pu empêcher, qu’il ne connaissait même pas, et qui fixe seulement la mesure de sa propre culpabilité. Il ne s’agit pas là d’une responsabilité politique, mais d’une responsabilité pénale qui, seule, doit former l’objet de cette procédure ; l’accusé veut un jugement qui ne soit pas seulement valable aujourd’hui, mais qui soit également reconnu comme juste dans l’avenir, lorsqu’une distance suffisante nous séparera de ces événements terribles et que nous considérerons sans passion toutes ces choses comme les phases d’une histoire éloignée ; un jugement,- Messieurs, qui ne satisfasse pas seulement les peuples que vous représentez, mais qui soit considéré aussi comme juste et sage par le peuple allemand dans sa totalité. Enfin, un jugement qui ne fasse pas qu’exercer la vengeance et semer la haine pour l’avenir, mais qui rende possible, permette et facilite au peuple allemand, dans un avenir heureux, la renaissance de la dignité humaine, de l’amour du prochain, de l’égalité et de la paix.
Monsieur Dodd, voudriez-vous vous occuper de ces questions ? Ou peut-être vous, Sir David. J’ai, devant les yeux, un document élaboré par le Secrétariat général, qui montre en premier lieu qu’il y a quatre questionnaires qui ont été soumis à propos de l’accusé Göring, et au sujet desquels le Ministère Public n’a pas fait d’objections.
C’est exact, Monsieur le Président, nous n’avons pas d’autres commentaires à présenter en ce qui concerne la première requête.
En ce qui concerne l’accusé Ribbentrop, il y a deux déclarations sous serment au sujet desquelles je ne vois pas d’objections. En outre, il y a trois affidavits qui n’ont pas encore été reçus.
Oui, c’est exact, Monsieur le Président.
Et un document TC-75 qu’un avocat désire pouvoir citer intégralement ?
C’est exact. Nous n’avons pas d’objections à soulever contre la présentation de ce document.
Peut-être ferions-nous mieux de régler la question des documents ; après quoi, nous pourrons appeler le Dr Horn pour qu’il nous présente ses remarques et le commentaire qu’il a à faire ; car, autant que je puisse en juger, il n’y a que ces trois documents, une déclaration sous serment pour Seyss-Inquart émanant d’un certain Ërwin Schotter et une autre déclaration d’un certain Adalbert Joppich, qui n’ont pas encore été reçus.
C’est exact, Monsieur le Président.
Il y a également trois lettres de Seyss-Inquart à Himmler qui n’ont pas encore été déposées.
Oui, c’est exact, Monsieur le Président.
Il y a également, pour Fritzsche, deux questionnaires qui n’ont pas encore été reçus.
En ce qui concerne les trois lettres relatives à l’accusé Seyss-Inquart, elles n’ont pas encore été traduites en français ; je crois, Monsieur le Président, que la chose la plus simple serait que le Tribunal considère, pour le moment, qu’il n’y a pas d’objections ; mais la Délégation française se réserve naturellement le droit d’en soulever, si elle constate qu’il y a matière à cela.
Oui.
Dans ce cas, la Délégation française le fera savoir au plus tôt au Tribunal.
En ce qui concerne le reste, le Ministère Public, je crois, n’élève pas d’objections ?
La seule objection, je crois, concerne la requête du Dr Servatius au nom de l’accusé Sauckel. Monsieur le Président verra que, après le questionnaire accordé par le Tribunal, sept documents ont été déposés le 3 juillet par l’accusé Sauckel. Plusieurs d’entre eux portent une dénomination de A à I. Le Ministère Public fait remarquer que ces documents font double emploi avec le grand nombre de ceux qui ont déjà été déposés pour cet accusé.
Ces documents qui vont de A à 1...
Oui, Monsieur le Président.
Ont-ils été déposés après l’exposé sur l’accusé ?
Ils ont été déposés le 3 juillet. L’exposé était terminé.
Au moment où nous avons demandé les requêtes supplémentaires ?
Oui, .tout à la fin.
Le même jour ?
Oui, je le regrette, Monsieur le Président ; l’exposé technique n’était pas achevé, puisque ce jour-là les avocats étaient encore autorisés à présenter des requêtes supplémentaires.
Est-ce que ces documents qui vont de A à 1 figurent déjà tous dans le livre de documents ?
Le Dr Servatius me dit qu’ils y figurent tous. Monsieur le Président, je viens de conférer avec le Dr Servatius. Il dit que le document auquel il attache la plus grande importance est le document A. C’est un décret de l’accusé Sauckel sur le rapatriement des ouvriers malades. Je n’élèverai donc pas d’objections contre ce document A, car, dans ce cas, le Dr Servatius déclare qu’il n’insistera pas pour obtenir les autres.
Il y a une autre requête qui vient d’être déposée au nom de l’accusé Sauckel. C’est une déclaration sous serment de l’accusé lui-même qui date du 29 juin 1946, je crois. Le Ministère Public n’a aucune objection contre la présentation de ce document.
Je crois, Monsieur le Président, que la dernière question à propos de l’accusé Sauckel concerne une déclaration sous serment d’un témoin nommé Falkenhorst. Là encore, le Ministère Public estime qu’il s’agit d’un document à caractère cumulatif.
Vous avez dit Falkenhorst ?
Oui, Falkenhorst, Monsieur le Président. C’est la toute dernière requête qui figure sur ma liste.
Monsieur le Président, puis-je dire quelque chose au sujet du témoin Falkenhorst ? Ce témoin avait été cité pour Bormann. J’ai renoncé à son audition, et, avec la permission du Tribunal, j’ai proposé cet affidavit. Étant donné qu’on m’avait autorisé à présenter cet affidavit, j’ai renoncé à la comparution du témoin lui-même ; et je suppose que le Ministère Public avait lui-même donné son accord.
Voulez-vous dire, Docteur Servatius, que la comparution du. témoin Falkenhorst vous avait été accordée auparavant ?
Je suppose que cela m’a été accordé. Le témoin était dehors et on m’a demandé si je voulais l’entendre ; sur quoi j’ai répondu : « Je dispose d’une déclaration sous la foi du serment qui est limitée à un cas particulier, et, si je puis la présenter, c’est suffisant ». C’est le dernier témoin qui a été entendu ici après la présentation des preuves.
Dans ces conditions, Monsieur le Président, je n’insiste pas pour faire opposition. Ce sont, Monsieur le Président, tous les commentaires que le Ministère Public avait à présenter.
Qu’advient-il de ces deux déclarations sous serment de Erwin Schotter et Adalbert Joppisch demandées par le Dr Steinbauer ?
Nous ne les avons pas encore. Si je comprends bien, elles ont été autorisées par le Tribunal avec possibilité pour nous de faire des objections. Mais nous ne pouvons rien dire à ce sujet, car nous ne les avons pas encore.
Bien. Pour le reste, vous n’avez pas d’objection, n’est-ce pas ?
Non, nous n’avons plus d’objection.
Très bien, dans ce cas nous pourrions peut-être, Sir David, passer à un autre document que nous venons de recevoir et qui contient une requête au nom de l’accusé Sauckel, par laquelle il demande à citer comme témoin son fils, Frédéric Sauckel. Vous aviez, je crois, élevé des objections, en considérant la citation de ce témoin comme non pertinente et présentant un caractère cumulatif ?
Oui, Monsieur le Président, c’est là notre point de vue. Il faut admettre que le fils de l’accusé ne nous apportera rien de bien neuf.
Votre requête a été faite après le 3 juillet ? Non, je vois que j’ai fait une erreur ; elle a été présentée auparavant, mais n’a pas été mentionnée le 3 juillet.
Monsieur le Président, on avait proposé de faire venir ce témoin d’Angleterre, parce qu’on supposait qu’il pouvait donner des informations sur une série de choses. Je n’ai pas présenté de requête proprement dite. J’ai simplement proposé qu’on le fasse venir d’Angleterre à Nuremberg pour que nous puissions nous rendre compte si, effectivement, il connaît, comme il le prétend, des choses importantes.
Monsieur le Président, je n’ai pas d’objection à ce que le Dr Servatius prenne contact avec le fils de l’accusé Sauckel et voie s’il y a un intérêt quelconque à son audition.
La difficulté pour les requêtes de ce genre adressées au Tribunal, c’est que nous n’en finirons jamais.
Je suis tout à fait de votre avis.
Je ne savais pas que le fils de l’accusé se trouvait en Angleterre. Il était en captivité et on n’avait aucune nouvelle de lui.
Sir David, avons-nous une déclaration sous serment de l’accusé Sauckel dont vous avez déjà parlé ?
Oui, Monsieur le Président.
Il y a aussi un affidavit de Jodl en faveur de Kaltenbrunner. La requête est parvenue au secrétaire général le 5 juillet.
Oui, Monsieur le Président.
Après la date limite à laquelle les avocats étaient autorisés à présenter leurs requêtes ?
Monsieur le Président, il m’a été impossible jusqu’à maintenant de m’assurer du point de vue des différents Ministères Publics. Le contenu de cette déclaration sous serment est déjà exprimé dans le discours du Dr Kauffmann, et je ne crois pas que nous puissions formuler d’objection véritable contre cet affidavit, car je me souviens que le Dr Kauffmann a cité des passages de cette déclaration dans son discours pour nous montrer le jugement de Jodl sur l’accusé Kaltenbrunner. C’est pourquoi il est inutile de perdre notre temps. Nous autorisons la production de cet affidavit.
Très bien. Une requête de l’accusé Rosenberg demande l’admission du document Tradition du présent.
Une objection a été soulevée en raison du caractère cumulatif de cet ouvrage.
Oui, Monsieur le Président.
Docteur Thoma, désirez-vous dire quelque chose pour compléter cette requête, ou estimez-vous que votre plaidoirie en a déjà suffisamment fait mention ?
J’estime que ce point a été traité suffisamment dans ma plaidoirie.
Nous avons ensuite, Docteur Horn, deux déclarations, l’une de Ribbentrop et l’autre de Schulz, qui n’ont pas encore été déposées. Voulez-vous... ?
Monsieur le Président, en ce qui concerne la déclaration sous serment de Schulz, il doit s’agir d’une erreur. Je n’ai pas présenté d’affidavit de Schulz, et je n’ai pas fait non plus de requête en ce sens.
Il y a donc une erreur. Et, en ce qui concerne Ribbentrop, maintenez-vous cette requête ou bien avons-nous déjà tranché la question ?
Non, je prie le Tribunal de bien vouloir prendre acte de la déclaration de Ribbentrop : c’est le document TC-75. Les deux autres affîdavits de Thadden et de Best m’ont été déjà accordés.
Oui, mais pourquoi l’accusé Ribbentrop doit-il présenter cet affidavit ? N’a-t-il pas été entendu ici et n’a-t-il pas fait valoir ses preuves ?
Ribbentrop a pris position sur un certain nombre de documents présentés au cours de l’interrogatoire et au sujet desquels il n’avait pas eu la possibilité de fournir toutes les explications qui lui semblaient nécessaires. Je n’ai pas voulu, dans ; ma plaidoirie, traiter en détail de ces différents documents, et c’est la raison pour laquelle j’ai présenté cette déclaration sous serment de l’accusé Ribbentrop. Je prie le Tribunal de bien vouloir en prendre acte.
C’est le document TC-75 ?
Monsieur le Président, c’est un document original britannique, et je n’ai aucune objection à ce que le Dr Hom en fasse l’usage qui lui semblera bon.
Qu’en est-il de la traduction ? Je suppose que c’est un document allemand ?
Oui, c’est un document allemand qui n’a été traduit que partiellement. Quant à moi, je me suis référé à la totalité de son contenu dans ma plaidoirie.
Est-ce un document très long ou non ?
Non, Monsieur le Président, il comprend neuf pages, et le Ministère Public n’a présenté à titre de preuve qu’une seule page en tout. J’ai appris que ce document existait sous deux formes, et j’ai fait traduire pour le Tribunal la deuxième forme de ce document qui contient le texte intégral.
Il a donc été traduit ?
Oui.
C’est parfait. Docteur Steinbauer, qu’en est-il de ces deux déclarations sous serment que vous demandez ? L’une est de Erwin Schotter et l’autre de Adalbert Joppisch ?
J’ai donné ces deux documents aux services de traduction, mais étant donné que ceux-ci sont surchargés de travail, je n’ai pas encore reçu cette traduction ; j’aimerais présenter les deux documents originaux au Tribunal, sous les numéros Seyss-Inquart 112 et 113.
Est-ce que le Ministère Public connaît le contenu de ces déclarations ou non ?
Non, Monsieur le Président, ce sont des déclarations très brèves ; on pourrait demander à ce qu’elles soient lues avant la suspension de l’audience, ce soir, et ainsi le Tribunal saurait ce qu’il en est.
Cette requête est-elle antérieure au 3 juillet ?
Elle est du 3 juillet. C’est le 3 juillet, Monsieur le Président, que j’ai reçu ces deux documents du Secrétariat général, et c’est le même jour que je les ai présentés.
Nous prendrons la question en considération et demanderons ensuite au Ministère Public s’il a des objections à présenter.
Monsieur le Président, puis-je, à ce propos, présenter encore un document ? Le Tribunal avait autorisé un questionnaire pour le Dr Gero Reuter ; or, ce n’est qu’avant-hier que j’ai reçu les réponses à ce questionnaire.
Docteur Steinbauer, que disiez-vous à l’instant ?
Je disais que le questionnaire du témoin Reuter, que l’on m’avait autorisé à envoyer, ne m’a été remis que samedi matin dans une traduction allemande et anglaise. J’aimerais présenter l’original au Tribunal ; je lui donnerai le numéro 114.
Quel est le nom de la personne qui a été interrogée ?
Gero Reuter, docteur en médecine. Il a été interrogé sur les conditions sanitaires aux Pays-Bas. Le Tribunal avait expressément autorisé ce questionnaire.
Bon, cette requête sera prise en considération.
Je verse donc le document au dossier sous le numéro 114.
Sir David, peut-être pourriez-vous voir cela ultérieurement ?
Oui, Monsieur le Président, j’avais cru que le Tribunal avait déjà autorisé ce questionnaire et que ce n’était là que la réponse.
Oui, c’est le cas.
Aucune objection ne sera donc plus admise.
Je dois peut-être dire qu’afin de raccourcir les débats, tous ces documents dont nous venons de parler doivent être considérés comme déposés maintenant, étant donné que le cas de certains des accusés est clos.
Oui, Monsieur le Président.
Par conséquent, tous ces documents doivent recevoir leur numéro de dépôt définitif. Les avocats veilleront à donner les numéros correspondants à ces documents et à les communiquer au Secrétariat général afin que ces documents puissent être identifiés dans le procès-verbal des débats.
Oui, Monsieur le Président ; en fait, le Dr Steinbauer vient de préciser qu’il a déposé ce document sous le numéro 114.
Oui, mais j’adresse la même remarque aux avocats de Göring et de Ribbentrop et aux autres avocats qui ont déposé des documents ce matin. S’ils se proposent de déposer des questionnaires, des déclarations sous serment, tous ces documents doivent avoir des numéros de dépôt.
Le Dr Siemers désire savoir si ses requêtes ont été examinées. Je pense que je puis lui donner cette assurance.
Oui. La seule chose qui nous reste à voir est la requête du Dr Fritz présentée pour l’accusé Fritzsche. Il est question de deux questionnaires qui n’ont pas encore été reçus, ceux de Delmar et de Feldscher. Ces deux questionnaires ont déjà été autorisés, et vous pourrez déposer les réponses dès que vous les recevrez.
C’est bien ainsi que je l’entendais, Monsieur le Président.
Le Tribunal prendra tout cela en considération et notifiera les décisions qu’il prendra.
Comme il vous plaira, Monsieur le Président.
Nous suspendrons maintenant l’audience. Un instant.
Dans le cas de von Papen, il manque encore un certain nombre de questionnaires. Entre temps, j’en ai reçu quatre, mais ils se trouvent encore au service de traduction. Trois questionnaires ne sont pas revenus. J’aimerais prier le Tribunal de me donner la possibilité de présenter ces questionnaires ultérieurement.
Oui, mais ces questionnaires avaient au préalable été autorisés, n’est-ce pas ?
Oui, ils m’avaient été accordés, jusqu’à un affidavit dont j’ai déjà parlé, qui n’a pas été traduit et qui se trouve également au service de traduction depuis un certain temps.
Oui, les requêtes qui concernaient ces questionnaires avaient été acceptées ?
Je viens d’adresser cette requête. On m’a autorisé à faire traduire cet affidavit que je n’ai pas encore reçu sous forme de traduction. Je le déposerai en même temps que les autres, dès que je l’aurai reçu du service de traduction.
Fort bien. L’audience est suspendue.
La parole est au Dr Dix.
Monsieur le Président, Messieurs. La singularité du cas Schacht apparaît à première vue d’une façon frappante, si l’on considère d’une part le banc des accusés, d’autre part l’histoire de sa détention et de sa défense. Au banc des accusés siègent Kaltenbrunner et Schacht. Quelles que soient les compétences de l’accusé Kaltenbrunner, il était en tout cas chef de l’Office principal de sécurité du Reich. Schacht a été, jusqu’en mai 1945, prisonnier de l’Office principal de sécurité du Reich dans différents camps de concentration. C’est un tableau d’un rare comique que de voir partager ce même banc des accusés par le grand chef des geôles et par son prisonnier. La seule vue de cet étonnant spectacle devrait faire réfléchir dès l’abord tous ceux qui prennent part à ce Procès, juges, représentants du Ministère Public et défenseurs.
C’est sur l’ordre de Hitler, comme on l’a déjà dit ici, que Schacht fut proscrit dans un camp de concentration. Ce qu’on lui reprochait, c’était la haute trahison contre le régime hitlérien. Il aurait été jugé par la Cour populaire présidée par le juge sanguinaire Freisler si sa détention ne s’était pas trouvée transformée en une mesure analogue de la part des Puissances alliées victorieuses. Depuis l’été 1944, j’avais la mission de défendre Schacht devant la Cour populaire d’Adolf Hitler ; au cours de l’été 1945, je fus prié d’assurer sa défense devant le Tribunal Militaire International. Cela aussi est un état de choses, plein de contradiction qui, lui aussi, donne à réfléchir sur la personnalité de Schacht à tous ceux qui prennent part à ce Procès. On pensera involontairement au destin de Sénèque. Néron, auquel je comparerais Hitler, avait fait un procès à Sénèque en prétextant ses menées révolutionnaires. Après la mort de Néron, Sénèque fut accusé de complicité dans les défaillances gouvernementales et dans les atrocités de Néron, c’est-à-dire pour une conspiration avec Néron. Il est assez piquant de constater que, dès le IVe siècle, Sénèque fut considéré par la jeune chrétienté comme un saint parmi les païens. Si Schacht ne s’abandonne pas à des espoirs de cette sorte, ce précédent historique ne vous en oblige pas moins à rester conscients du fait que le jugement que ce Haut Tribunal est appelé à rendre devra lui aussi se justifier devant le Tribunal de l’Histoire.
Un ensemble de preuves recueillies en détail et avec soin a dévoilé au Tribunal l’image du IIIè Reich. C’est une image dans laquelle les arrière-plans sont bien confus. Nous avons eu la possibilité de donner dans la mesure du possible une forme à ces arrière-plans. Dans la mesure du possible ! Mais cela montre en même temps combien est limitée une telle recherche en profondeur, lorsqu’elle est effectuée par le moyen d’une admission de preuves juridiques, certes approfondie, mais qui, suivant le Statut, a dû être terminée dans les plus brefs délais. Saisir l’aspect des pays allemands sous Hitler reste soumis à l’intuition du Tribunal. Comprendre l’Allemagne de Hitler au point de vue du Droit public et suivant les idées et les conceptions scientifiques des hommes qui possèdent une culture juridique n’est pas et ne sera jamais possible. Traiter scientifiquement le thème de « la Constitution sous Adolf Hitler » est un lucus a non lucendo. Bien entendu, la « constitution », c’est-à-dire un ordre juridique de l’État hitlérien, et non pas la tentative faite par le Dr Jahrreiss dans sa plaidoirie pour éclairer, aux lumières de la science du Droit, le règne arbitraire d’un despote. Ce qui est possible, mais difficile, et n’a, pour cette raison, pas encore été réalisé, c’est une sociologie scientifique du IIIe Reich. Une infime partie des Allemands habitant l’Allemagne, connaissaient les conditions du pouvoir et les répartitions des pouvoirs à l’intérieur des cercles d’hommes qui, apparemment ou en fait, étaient appelés à contribuer, de leur côté, à une formation politique de la volonté. La majorité même sera surprise quand cette image sera dévoilée. Combien il était plus difficile pour un étranger, au moment où l’accusation a été élevée, de juger sainement des conditions dans lesquelles se trouvait l’Allemagne de Hitler au point de vue du Droit public, de la sociologie et de la politique intérieure. En juger équitablement supposait que l’accusation fût fondée en fait et en droit. Je suis d’avis que le Ministère Public avait là, devant lui, une tâche insoluble. Je suis également d’avis que le Ministère Public n’aurait jamais fait entrer ses reproches de caractère pénal contre les accusés dans le cadre d’une conspiration s’il avait pu connaître la répartition des pouvoirs politiques de l’Allemagne hitlérienne comme c’est aujourd’hui possible, bien que suffisamment difficile, pour un observateur ou un témoin auditif de ces débats qui soit doué d’intelligence et d’intuition politique.
Dans le IIIe Reich d’Adolf Hitler, une conspiration, dans le sens où l’entend le Ministère Public, n’était en fait pas possible. Mes confrères ont attiré déjà votre attention là-dessus. Dans le IIIe Reich, seule une conspiration contre Adolf Hitler et son régime était possible. De telles conspirations ont eu lieu à plusieurs reprises, comme nous avons pu le constater ici. Des conspirateurs ont d’autres rapports entre eux que les rapports qui existent entre un complice et le principal coupable. Le rôle de chacun des conspirateurs peut être différent lors de l’exécution du plan commun. Certains conspirateurs ou l’un d’entre eux seulement peuvent avoir une situation prédominante à l’intérieur de la conspiration. En tout cas, une action commune est nécessaire. Déjà les usages linguistiques excluent le fait de parler d’une conspiration si un homme seul commande et si les autres ne sont que des organes d’exécution. C’est pourquoi je suis d’avis que ce qui est considéré comme crime dans cette salle ne pourra jamais être résumé sous la qualification pénale de conspiration. Les autres états de fait juridiques que l’on envisage par ailleurs ne m’intéressent pas en ma qualité de défenseur de l’accusé Schacht, parce qu’au point de vue personnel et individuel, on ne peut lui reprocher sa propre activité, qui a été sans relations avec les crimes des autres, comme un crime capital. Schacht, personnellement, n’a voulu que ce qui était permis, ce qui était le meilleur. Ses actions servaient cette volonté. Dans la mesure où il s’est trompé au point de vue politique, il est prêt à accepter loyalement le jugement de l’Histoire. Mais le plus grand organisme de Droit international ne peut punir l’erreur politique. S’il le faisait, il rendrait impossible le métier d’homme d’État et de politicien. L’Histoire du monde évolue plutôt parmi les fautes et les erreurs que parmi les connaissances exactes. La connaissance de la vérité absolue est, d’après la sage parole de Lessing, un domaine réservé à Dieu. Il ne reste aux hommes, comme bien suprême, que l’aspiration à la vérité. Nescis mi fili quanta stalitia mun.dus regitur disait déjà, et avec raison, le vieil Axel Oxenstiern. Schacht a déclaré à ce sujet qu’il se sentait grossièrement trompé par Adolf Hitler. Par là, il a, de son côté, admis l’erreur de certaines de ses décisions et de certains de ses actes. L’Accusation nie la bonne foi de Schacht et lui reproche d’avoir travaillé consciemment — comme agent de Hitler aux Finances — à une guerre d’agression et d’être, par ce fait, implicitement responsable, au point de vue juridique, de la conspiration, de toutes les atrocités et des horreurs commises par d’autres dans cette guerre. L’Accusation, d’ailleurs, ne peut apporter la preuve directe de ces assertions. Elle l’essaya d’abord en apportant comme preuve de prétendues citations de Schacht, citations mal interprétées et isolées de leur contexte. Pour cela, l’Accusation s’est référée à des témoins que l’on n’a pas pu interroger dans cette salle parce que certains étaient absents et d’autres décédés. Je veux rappeler les affidavits de Messersmith et de Fuller et les notes de journal de Dodd. Leur insuffisance comme témoignage a été prouvée au Tribunal dans le détail par Schacht lorsque je l’ai moi-même interrogé. Pour économiser du temps, je ne veux pas répéter ce qui a déjà été dit et qui se trouve certainement encore présent à la mémoire du Tribunal. L’Accusation tenta ensuite de fonder ses assertions sur des actes de Schacht établis sans équivoque. Toutes ces explications de l’Accusation sont des conclusions fausses tirées d’indices douteux. Je me bornerai à énumérer les principales fausses conclusions. On pourra déduire les autres par voie de conséquence, par analogie.
Schacht était adversaire du Traité de Versailles, dit l’Accusation. Il l’était, en effet. L’Accusation ne lui reproche pas cette hostilité pour elle-même, mais elle en déduit que Schacht voulait éliminer ce Traité par la violence. Schacht était partisan d’une action coloniale, dit l’Accusation. Il l’était effectivement. Elle ne lui en fait pas grief, mais elle en déduit qu’il voulait conquérir les colonies par la force, et cela continue ainsi. Schacht travaillait avec Hitler en sa qualité de président de la Reichsbank et de ministre de l’Économie, il représentait donc l’idéologie nazie. Schacht faisait partie du Conseil de Défense du Reich, il était donc partisan d’une guerre d’agression. Schacht a contribué au financement du réarmement dans sa première partie jusqu’au commencement de 1938, donc il voulait la guerre. Schacht a approuvé l’Anschluss, donc il était d’accord avec une politique de force à l’égard de l’Autriche. Schacht est l’auteur du « Nouveau Plan » commercial et politique, il voulait donc procurer des matières premières à l’armement. Schacht se préoccupait des possibilités d’existence de la population excédentaire de l’Europe centrale, donc il voulait attaquer et conquérir des pays étrangers et exterminer des peuples étrangers. Schacht n’a cessé de mettre le monde en garde contre une politique anti-allemande d’oppression et contre une diffamation morale de l’Allemagne, donc Schacht proférait des menaces de guerre. Comme on n’a pas trouvé de preuves écrites que Schacht ait abandonné ses fonctions officielles en raison de son hostilité à la guerre, on en conclut qu’il n’a abandonné ces fonctions qu’en raison de sa rivalité avec Göring. La liste de ces déductions erronées peut être allongée à volonté. Elle culmine dans cette conclusion fausse : Hitler ne serait jamais parvenu au pouvoir s’il n’y avait pas eu Schacht ; Hitler n’aurait jamais pu armer si Schacht ne l’avait pas aidé. C’est là le genre de jugement qui condamne le fabricant d’automobiles parce qu’un chauffeur de taxi en état d’ivresse a écrasé un passant. Ni dans ses discours, ni dans ses écrits, Schacht n’a jamais prêché la violence ou la guerre. Certes, après Versailles, il n’a cessé de dénoncer le danger qu’entraîneraient le bannissement moral et la strangulation économique de l’Allemagne. Avec cette conception, il a sa place dans la meilleure société internationale. Il n’est pas utile que je cite devant ce Tribunal les nombreuses voix venues, non pas d’Allemagne, mais. des Puissances victorieuses, peu de temps déjà après le Traité de Versailles, qui ont parlé dans le même sens que ces avertissements de Schacht. L’exactitude de ces opinions concordantes gardera d’ailleurs toujours sa valeur absolue. Mais Schacht n’a jamais recommandé ni même déclaré possibles d’autres voies que celles d’un accord et d’une collaboration pacifiques. En sa qualité d’économiste proprement dit, il s’est rendu compte, mieux que personne, du fait qu’une guerre — même une guerre victorieuse — ne peut jamais apporter de solution. Dans toutes les manifestations de Schacht, son attitude pacifiste reparaît constamment et trouve peut-être sa forme la plus concise et la plus frappante dans cette déclaration faite au congrès de la Chambre de Commerce internationale à Berlin, lorsque Schacht devant Hitler, Göring et autres puissants du régime, lança à l’assistance : « Croyez-moi, mes amis, les peuples veulent vivre et non pas mourir ». Ce pacifisme que Schacht a exprimé est d’ailleurs confirmé par tous les témoins et affidavits.
Certes, pour les quelques hommes dans le monde — je dis sciemment dans le monde et pas seulement en Allemagne — qui, dès le commencement, avaient reconnu Adolf Hitler et son régime à leur juste valeur, c’était une inquiétude et un souci, ou tout au moins un point d’interrogation, de voir un Schacht mettre ses services et ses grandes qualités de technicien à la disposition d’Adolf Hitler, après la prise du pouvoir. Le témoin Gisevius a partagé ce souci, comme il l’a dit ici. Il s’est rendu compte de la bonne foi de Schacht par la suite, en voyant son attitude courageuse et combattive des années 1938 et 1939. Au cours de son interrogatoire, Schacht nous a exposé les raisons qui ont inspiré cette façon d’agir. Il n’est pas nécessaire de les répéter ici et je m’en abstiendrai pour gagner du temps. La présentation des preuves n’a fourni aucun élément qui infirme la véracité des dépositions de Schacht. Bien au contraire. Je me réfère par exemple à l’affidavit du secrétaire d’État Schmid, n° 41 de mon livre de documents, dont la page 2 contient des précisions qui concordent parfaitement avec l’exposé de Schacht. L’examen général des autres témoignages et affidavits conduit au même résultat.
Pour comprendre la façon d’agir de Schacht aussitôt après l’avènement de Hitler, ainsi que plus tard, lorsqu’il eut compris Hitler et son action néfaste, il est absolument indispensable d’acquérir une image précise de l’effet magique d’Adolf Hitler et des buts de son régime. Car ils constituent le terrain dont sont issues les activités de Schacht et suffisent entièrement à les éclairer. Je me rends compte que l’on pourrait discuter à longueur de journée et écrire bien des volumes si l’on voulait épuiser la question. Mais je me rends également compte que, devant ce Tribunal, il suffit de brèves indications et de quelques repères pour obtenir sa compréhension.
L’effondrement catastrophique de l’Empire allemand en 1918 gratifia le peuple allemand d’une constitution parlementaire et démocratique artificielle et non organique. J’ose soutenir que toute pensée politique qui ne poursuit pas des fins personnelles ne peut tendre que vers la démocratie, si l’on entend par là la défense de la justice, la tolérance à l’égard d’autres idées, et la liberté de pensée ainsi que la formation politique de l’humanité. Ce sont là les plus grand idéaux de tous les temps, mais les formes constitutionnelles qu’ils inspirent contiennent précisément des dangers à leur égard. Si des penseurs politiques réactionnaires comme le comte Metternich et ses partisans se sont opposés à tout mouvement démocratique au moment où la démocratie est apparue sur le continent européen, c’est parce qu’ils ne percevaient que les dangers de la démocratie, sans voir qu’elle assurait le progrès humain et qu’elle venait à son heure. En ce qui concerne les dangers, ces hommes étaient malheureusement dans le vrai. Le peuple le plus intelligent qui ait peut-être jamais vécu, les Grecs de l’Antiquité, avait déjà signalé le danger présenté par une démocratie évoluant de la démagogie vers la tyrannie, et tous les philosophes politiques, d’Aristote aux temps modernes, en passant par Saint-Thomas d’Aquin, ont dénoncé le danger d’une telle évolution. Ce danger devient d’autant plus grand lorsque la liberté démocratique, au sens juridique du mot, ne doit pas sa naissance et son développement à un phénomène organique, mais représente plus ou moins, pour un peuple, un cadeau accidentel. En fait d’histoire, il vaut mieux continuer que recommencer, a dit un grand penseur français. L’Allemagne a malheureusement fourni le plus récent et, il faut l’espérer, le dernier exemple, de la tyrannie d’un seul despote, établie par des moyens d’une diabolique démagogie. Car il n’y a aucun doute que l’hitlérisme ait été le règne d’un seul despote, qui ne trouve son pareil que dans les temps anciens de l’Asie. Afin de comprendre l’attitude de chacun envers ce régime, non pas seulement celle de Schacht, ni celle de chaque Allemand, mais en général celle de tout homme ou de tout Gouvernement du monde qui ait travaillé avec Hitler — et cette collaboration confiante de l’étranger a été bien plus forte à l’égard de Hitler qu’elle ne l’avait été envers aucun Gouvernement du « Reich intérimaire » (Zwischenreich) ; il est donc nécessaire de se familiariser avec la personnalité de ce despote, de ce « preneur de rats » politique, de ce démagogue génial, qui, Schacht l’a attesté ici avec une légitime émotion, ne l’avait pas seulement trompé lui-même, mais le peuple allemand et le monde entier également. Afin de mener à bien cette tromperie, Adolf Hitler devait subjuguer de sa personnalité, en dehors de Schacht, d’innombrables hommes intelligents et politiquement éclairés, au delà même des frontières de l’Allemagne. Il y était parvenu auprès d’étrangers éminents, notamment d’hommes qui occupaient des situations politiques de premier plan. Je m’abstiens d’énumérer des noms et de faire des citations à l’appui. Le fait est connu du Tribunal dans ses grandes lignes.
Je passe à la ligne 10 de la même page. Comment Adolf Hitler pouvait-il exercer cette influence à l’intérieur et à l’extérieur du pays ? Eh bien, Faust était lui aussi dépendant de Méphisto. En Allemagne s’opposaient à cette influence toutes les circonstances qui ont été rapportées lors de l’audition des preuves concernant l’état de la situation en Allemagne à cette époque. Il en est de même de Schacht. L’effondrement complet de l’appareil parlementaire des partis et la nécessité qui en résulta pour le Gouvernement de cette époque, de gouverner alors déjà à coup d’ordonnances, rédigées sans le concours du Parlement, et d’instaurer ainsi une dictature de la bureaucratie ministérielle — précédent à la dictature de Hitler — tout cela fît naître dans la presque totalité des milieux le désir d’une direction ferme. La crise économique et le chômage ouvrirent l’oreille des masses, comme le fait toujours la misère, aux insinuations démagogiques. La léthargie et l’inactivité complètes des partis du centre et de gauche à cette époque éveillèrent aussi parmi des observateurs critiques et avisés, tels que Schacht n’a pas manqué de l’être, des dispositions intérieures favorables à un dynamisme politique et le désir de se joindre à une activité pleine d’élan. Dans la mesure où, en observateur fin et avisé à la manière de Schacht, on découvrait alors déjà les fautes et les à-côtés inévitables, on croyait, et Schacht le croyait aussi, pouvoir combattre facilement et rapidement ces à-côtés liés à tout mouvement révolutionnaire en participant activement à ce mouvement ou en apportant sa collaboration aux charges publiques importantes. « Quand l’aigle s’élève, la vermine se pose sur ses ailes » me répondait feu le ministre de la Justice Gurtner, citant le Pescara de Conrad Ferdinand Meyer lorsque, après la prise du pouvoir, j’attirais son attention sur ces à-côtés. Ces considérations sont en elles-mêmes compréhensibles et dignes de foi. Qu’elles aient indu une erreur politique également chez Schacht, cela ne retire rien à leur bonne foi et à leur sentiment d’honnêteté. N’oublions pas toutefois que nous avons pris connaissance, ici, au cours des débats, d’un rapport du Consul général américain Messersmith, datant de 1933, dans lequel ce dernier saluait avec plaisir la nouvelle selon laquelle des gens honnêtes et posés entraient désormais dans le Parti, car il espérait qu’ainsi les tendances extrémistes seraient étouffées. Je renvoie au document L-198 cité par le Ministère Public, qui est le rapport n° 1184 du Consul général Messersmith au secrétaire d’État à Washington :
« Depuis les élections du 5 mars, bien des intellectuels parmi les plus marquants se sont joints dans toutes les régions d’Allemagne au mouvement national-socialiste, dans l’espoir de tempérer son radicalisme en agissant à l’intérieur du Parti plutôt qu’extérieurement à lui. »
Mais ce que Messersmith dit ici très judicieusement du membre moyen du Parti à cette époque s’applique naturellement aussi, mutatis mutandis, à celui qui offrait à Hitler sa collaboration pour une charge publique importante. Les motifs pour lesquels Schacht dit avoir alors accepté le poste de président de la Reichsbank et, plus tard, celui de ministre de l’Économie du Reich, sont ainsi parfaitement dignes de foi et ne comportent rien d’immoral ou même de criminel. En effet, Schacht a toujours été pour l’action. Au début seulement il lui a manqué l’intuition de la connaissance exacte de la personnalité de Hitler et de certains de ses satellites. Mais cela ne constitue pas un acte punissable ni l’indice d’un dol criminel. Cette intuition a manqué à la plupart des gens, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières allemandes. L’intuition est une affaire de chance et un don irrationnel. Tout homme a ses limites, même le plus intelligent. Certainement, Schacht est très avisé, mais ici la ratio a eu le dessus chez lui, au détriment de l’intuition. Enfin, on n’abordera cette affaire avec une compréhension totale que si l’on tient compte des forces mystérieuses qui règlent le cours des choses et dont Wallenstein dit : « La terre appartient à l’esprit du mal, non à l’esprit du bien », là où il parle des « puissances ténébreuses dont la nature mauvaise travaille dans l’ombre ». Adolf Hitler était un représentant éminent de ces puissances ténébreuses et son activité était d’autant plus nuisible que toute grandeur démoniaque lui manquait. Il demeurait un petit bourgeois à demi cultivé, sans aucun esprit, et manquant en plus de cela de tout sentiment de justice. L’accusé Frank dit le lui, à bon droit, qu’il détestait les juristes, parce que le juriste lui apparaissait comme un perturbateur de sa puissance. C’est pourquoi il pouvait faire à chacun toutes sortes de promesses sans les tenir, car une promesse n’était, pour lui, qu’un moyen d’action technique et non pas un lien juridique. L’activité néfaste de Himmler et de Bormann n’avait pas pu non plus, à cette époque, être décelée par Schacht, ni d’ailleurs par personne. C’est ce trio qui préparait l’éclosion de tous les crimes qui font l’objet de l’accusation, parce que, pour Himmler, la politique s’identifiait au crime et parce que sa conception purement biologique de la société humaine ne lui permettait d’y voir qu’un centre d’élevage, mais jamais une communauté sociale et morale. On ne pourra juger sainement une personnalité comme celle d’Adolf Hitler et son influence sur les hommes et même sur les hommes intelligents comme Schacht, que si, comme je l’ai déjà tenté, on s’abandonne à la seconde vue du poète et l’on pénètre dans le domaine de connaissances qui sont en général étrangères à la raison de l’homme. Sans aucun doute, le démoniaque s’est incarné dans Hitler pour le malheur de l’Allemagne et du monde et je peux ici, pour abréger — et c’est absolument indispensable pour comprendre la conduite de Schacht, et d’ailleurs de tous ceux qui, volontairement, et de tout cœur, apportèrent à Hitler leur collaboration — citer un passage de notre Gœthe qui explique le tout en peu de mots et révèle le plus secret. C’est là que réside le point crucial pour la compréhension de tout l’entourage d’Adolf Hitler. Je citerai un extrait de Poésie et Vérité, quatrième partie, vingtième livre :
« Bien que cette essence démoniaque puisse se manifester dans tout ce qui est corporel et incorporel, et s’exprime même d’une manière curieuse chez les animaux, c’est de préférence avec l’homme qu’elle a les rapports les plus merveilleux et constitue une force qui, lorsqu’elle ne s’oppose pas à l’ordre moral du monde, tend cependant à le contrecarrer. Les phénomènes qui en sont la conséquence portent des noms innombrables. Toutes les philosophies et toutes les religions ont essayé sur le mode prosaïque et sur le mode politique de résoudre ce mystère et de régler définitivement la question de savoir ce qu’ils étaient désormais libres de faire. Mais c’est sous sa forme la plus terrible que se présente cet esprit démoniaque quand il devient prépondérant chez un homme quel qu’il soit. Au cours de ma vie, j’ai pu en observer plusieurs, les uns de près, les autres de loin. Ce ne sont pas toujours les hommes les plus remarquables, ni en esprit, ni en talents ; rarement ils se signalent par la bonté de leur cœur ; mais une force énorme émane d’eux et exerce une puissance incroyable sur toutes les créatures, sur les éléments eux-mêmes ; et qui pourrait dire jusqu’à quelle limite une telle action peut s’exercer ? Toutes les forces morales unies ne peuvent rien contre eux. C’est en vain que les plus lucides d’entre les hommes essayent de les rendre suspects en les faisant passer pour des dupes ou des imposteurs. Ils attirent la masse. Rarement ou même jamais, ils ne trouvent en même temps qu’eux, un de leurs égaux, et rien ne peut triompher d’eux que l’univers lui-même, avec lequel ils sont entrés en lutte. C’est de l’observation de ces faits qu’est sans doute née cette sentence étrange mais monstrueuse : Nemo contra deum, nisi deus ipse.
Je crois avoir démontré que le fait pour Schacht d’avoir prêté ses services à Hitler ne peut, en aucun cas, être considéré comme un crime et que l’on ne peut en aucun cas déduire de ce fait que sa volonté accepta à cette époque les actes criminels de Hitler et de son régime. En effet, il ne les tenait pas pour possibles. C’est pourquoi il ne subissait pas non plus un doliis eventualis. Bien au contraire : pour autant que la brutalité de ce régime le gênait, il croyait pouvoir, par son intervention dans les postes importants, contribuer à éviter et empêcher ces manifestations qu’il désapprouvait et pouvoir agir dans son domaine d’activité pour l’ascension de l’Allemagne par des voies raisonnables et pacifiques.
S’il en était ainsi, on ne pourrait lui faire le plus léger reproche du fait que sa collaboration ne commença pas après la prise du pouvoir, mais qu’il aida Hitler à prendre le pouvoir. C’est pourquoi ce dernier reproche ne peut pas être l’objet d’une action criminelle ou d’un dol criminel. Mais il n’est pas besoin de cette argumentation, car, en fait, Schacht n’a pas aidé Hitler à prendre le pouvoir. Hitler était déjà au pouvoir quand Schacht commença à travailler pour lui.
Hitler avait sa victoire assurée quand les élections au Reichstag de juillet 1932 ne lui apportèrent pas moins de 230 mandats, soit, environ 40% de toutes les voix. Un tel résultat électoral pour un parti ne s’était pas produit depuis des dizaines d’années. Ainsi, l’avenir politique immédiat était-il justement réglé suivant les règles de la constitution démocratique allemande et de toutes les constitutions démocratiques, par un Gouvernement dont Hitler était le chef. Tout autre solution aurait apporté avec elle le danger d’une guerre civile. Il était tout naturel que Schacht, qui croyait autrefois sincère à la mission politique de Hitler, n’ait pas voulu suivre cette voie. Il était également tout naturel qu’il se fût activement interposé quand il pensait ainsi prévenir des pressions extrémistes nuisibles dans le domaine de l’économie politique. Un sage homme d’État français dit : « Chaque époque nous impose de façon ou d’autre la tâche de promouvoir des intérêts ou de prévenir des dommages ; c’est pourquoi un homme aimant sa patrie peut et doit servir à mon avis tout Gouvernement que son pays s’est donné ». C’est son pays, et non Hitler, que Schacht entendait servir quand il suivit Hitler. Il peut s’être trompé de la façon la plus grave, ce qui s’est pleinement confirmé par la suite, en ce qui concerne la personne de Hitler, mais son comportement passé ne peut, de toute façon, être mis pénalement à la charge de Schacht, et pas plus à titre d’indice que directement. Il ne faut pas non plus oublier que le Hitler de 1933, non seulement avait une apparence autre que le Hitler de 1938 ou même de 1941, mais était réellement un autre. Schacht a, au cours de son interrogatoire, déjà mis en relief cette transformation déterminée par le poison de la déification par les masses. L’évolution de telles personnalités est une loi psychologique. L’Histoire le montre en la personne de Néron, Constantin le Grand et beaucoup d’autres. Il y a, dans le cas Hitler, beaucoup de témoins non suspects de la vérité de ce fait, témoins non suspects en ce sens qu’on ne peut, en aucun cas, leur attribuer des sentiments ou des intentions susceptibles de les avoir poussés à violer le Droit, à élever la terreur à la hauteur d’un principe et à déchaîner sur l’humanité une guerre d’agression. Je ne veux faire appel qu’à quelques-uns d’entre eux, mais je pourrais multiplier les citations au centuple. Lord Rothermere écrivit en 1934, dans le Daily Mail, un article portant le titre : « Adolf Hitler vu de près ». Je n’en rapporte ici que quelques phrases :
« La personnalité la plus remarquable dans le monde est actuellement Adolf Hitler. Hitler prend place dans la lignée directe de ces grands conducteurs d’hommes qui apparaissent rarement plus d’une fois en deux ou trois siècles ». Il est réconfortant de constater que le discours de Hitler a...
Je croyais que le Tribunal avait refusé d’admettre comme preuve les textes de Lord Rothermere ?
La décision du Tribunal qui me refuse l’utilisation de citations tirées, dans mon livre de documents, des articles de Rothermere est fondée, et c’est également la base de l’objection du Ministère Public, sur la constatation ; c’est une question d’argumentation, et non de faits susceptibles d’être retenus comme preuves. Il serait de peu d’importance pour l’examen des preuves que Rothermere et d’autres eussent exprimé cet avis. Et j’en ai tiré la conclusion, que j’estime encore être exacte aujourd’hui, que je puis citer, pour étayer l’enchaînement de ma pensée, au cours de l’appréciation de ces faits, des passages tirés de l’ensemble de la littérature du monde, dans la mesure où cela parvient à notre connaissance. Il ne s’agit pas pour moi de soumettre au Tribunal comme élément de preuve le fait que Rothermere ait prononcé ces paroles, mais de montrer, pour confirmer mes assertions, que Schacht n’était pas le seul à avoir cette opinion de la personnalité de Hitler, mais qu’elle était partagée à l’étranger aussi par des gens intelligents et éminents.
Le Tribunal a déjà indiqué, en refusant l’utilisation de ces écrits, qu’il n’attachait aucune importance à l’opinion exprimée par cet auteur. Par conséquent, il serait préférable que vous passiez à une autre partie de vos explications.
Je prie donc le Tribunal, puisqu’il en a la traduction sous les yeux, de m’autoriser à citer un court passage de Sumner Welles et un autre passage qui me paraît très important, tiré de l’ouvrage du dernier ambassadeur. Je serais reconnaissant au Tribunal de m’accorder cette possibilité, car je ne sache pas, si l’on veut démontrer qu’un homme intelligent ait pu avoir à bon droit une opinion précise, qu’il existe de preuve plus convaincante et plus évidente que le fait que des gens intelligents et objectifs aient partagé le même point de vue. Je compromets une partie de mon argumentation si je ne puis faire ces deux citations. Je vous prie d’entendre ces deux courts extraits de Sumner Welles et de Henderson.
Je n’ai pas parlé de Sumner Welles. Nous avons simplement expressément exclu les écrits de Lord Rothermere, car nous pensions qu’ils n’étaient pas propres à être cités. Je n’ai pas l’intention d’exclure les autres documents dont vous parlez. Vous pouvez continuer à les citer.
Je cite le livre de Sumner Welles : Le Moment de la Décision, paru à New-York en 1944 :
« Les milieux économiques de chacune des démocraties occidentales européennes et du Nouveau Monde saluent l’avènement de l’hitlérisme. »
Et ce n’était que justice, quand le dernier ambassadeur de Grande-Bretagne à Berlin écrivait à la page 25 de son livre, alors qu’on était encore en guerre :
« Il serait profondément injuste de ne pas reconnaître qu’un grand nombre de ceux qui se sont ralliés à Hitler et ont travaillé pour lui et le régime nazi étaient de sincères idéalistes. »
Et, plus loin, un passage très intéressant :
« Il est possible que Hitler ait été au début, lui-même, un idéaliste. »
Le Gouvernement de Grande-Bretagne n’aurait jamais conclu l’accord naval avec l’Allemagne de Hitler en avril 1935 et contribué ainsi équitablement à une modification du Traité de Versailles s’il n’avait fait une entière confiance à Hitler et à son Gouvernement. Il en va de même d’ailleurs pour tous les traités internationaux conclus par Hitler, y compris le pacte avec la Russie en août 1939 encore. Et cela a aujourd’hui quelque chose d’émouvant qu’un homme aussi intelligent et d’un niveau moral aussi élevé que feu le Premier britannique Chamberlain ait déclaré, dans un discours, en janvier 1939 — c’est-à-dire à une époque où Schacht s’était depuis longtemps déjà engagé sur les sentiers ténébreux de la conspiration contre Hitler — et en dépit des expériences de l’année 1938, que le précédent discours de Hitler lui avait donné l’impression définitive qu’il ne s’agissait pas là du discours d’un homme qui se préparait à précipiter l’Europe dans une nouvelle guerre. Je suis convaincu que ce n’est pas par tactique que ces mots ont été prononcés, mais qu’ils étaient l’expression de l’opinion véritable de l’orateur. De tels exemples peuvent être multipliés à l’infini. Veut-on maintenant contester à un Allemand, pour les années 1933 à 1939, le droit d’avoir porté de bonne foi le même jugement sur Adolf Hitler ? Rien non plus ne s’oppose à ce que Schacht n’ait accepté le poste de ministre de l’Économie qu’après le 30 juin 1934. Toute l’énormité de ces faits n’apparaît clairement que rétrospectivement. En juin 1934, on se trouvait encore en pleine activité révolutionnaire. L’Histoire pourra constater des faits semblables lors de toute révolution de ce genre. Je n’ai pas besoin de le montrer en détail et ne voudrais pas non plus le faire pour les raisons qui viennent d’être débattues. Les événements du 30 juin avaient aussi peu et moins encore à intervenir pour inciter Schacht à se détourner de Hitler avec horreur que pour empêcher les Gouvernements du monde, non seulement de continuer à entretenir avec Hitler des relations diplomatiques pleines de confiance, mais de lui témoigner, particulièrement après 1934, de grandes attentions et de lui permettre des succès considérables en politique extérieure.
Si l’on ne peut, du point de vue du Droit pénal, reprocher à Schacht de s’être mis à la disposition du Gouvernement hitlérien, il est absolument superflu, et ce serait même secondaire, que de vouloir excuser ici par de longues explications certains actes comme la pétition au Président du Reich de 1932 ou sa lettre à Hitler de la même année. Ils s’expliquent tout naturellement pour celui qui connaît la vie par cette conception fondamentale de Schacht. Si cette conception s’avère sans critique au point de vue du Droit pénal et de la technique des preuves, on ne peut pas opposer de tels documents à Schacht, La seule chose qui importe, c’est ce qui est fondamental. Il en est de même pour la participation de Schacht à ce qu’on appelle la réunion des industriels. Je voudrais faire remarquer à ce sujet, à titre rectificatif seulement, que Schacht n’a pas dirigé cette réunion et qu’il n’a pas administré ces fonds uniquement au profit du parti national-socialiste.
Un témoin a porté ici un jugement sur cette période de l’attitude de Schacht à l’égard de la prise et du renforcement du pouvoir : on ne pouvait avoir confiance en Schacht, il avait trahi autrefois la cause de la démocratie, c’est pourquoi il — c’est le témoin — avait refusé en 1943 de faire partie d’un Gouvernement qui voulait renverser Hitler avec la participation de Schacht. Ce témoin, c’est l’ancien ministre Severing qui, d’après ses propres dires, abandonna le fauteuil et le cabinet ministériels, lorsque, le 20 juillet 1932, le préfet de Police de Berlin se présenta chez lui avec deux fonctionnaires de la Police, exigeant sa démission, en prétendant que le Président du Reich les y avait autorisés. Severing laissa le champ libre, comme il le dit lui-même, pour éviter les effusions de sang. Malgré tout le respect que j’ai pour le caractère politique intègre de Severing, je suis forcé, à mon grand regret, de lui refuser, à lui, le droit de porter un jugement compétent sur des hommes d’État qui ne se contentèrent pas, comme sa coalition gouvernementale et lui, d’une passivité léthargique. Severing et ses amis politiques ont, non pas devant le juge, mais devant l’Histoire, une responsabilité beaucoup plus grande que celle de Hjalmar Schacht, en raison de leur indécision et de leur manque d’idées politiques devant la prise du pouvoir par Adolf Hitler. Cette responsabilité devient d’autant plus grande que le témoin prétend avoir reconnu, à l’époque déjà, que la venue au pouvoir de Hitler signifiait la guerre. C’est lorsqu’on admet cette intuition politique que sa responsabilité et celle de ses amis politiques augmente en raison de leur passivité d’alors et sur une plus vaste échelle encore que celle de Hjalmar Schacht.
Nos travailleurs allemands ne sont vraiment pas plus lâches que les travailleurs hollandais. Nous avons été contents d’entendre le témoin vanter ici le courage des travailleurs hollandais qui osèrent faire grève sous la menace des baïonnettes de l’armée d’invasion. Les partisans que Severing et ses amis politiques avaient parmi les ouvriers allemands auraient peut-être incité ceux-ci à ne pas accepter aussi passivement la dissolution des syndicats, comme cela s’est passé en 1933, si leurs vrais dirigeants tels que Severing et les autres avaient osé faire quelque chose et s’étaient mis en avant. D’ailleurs, le putsch de Kapp en 1923 fut vaincu par la grève générale des ouvriers. Le régime hitlérien n’était pas assez puissant en 1933 pour n’avoir pas à redouter la vérité de la parole du poète adressée aux ouvriers : « Tous les rouages s’arrêtent quand ton bras fort le veut ». Le Gouvernement national-socialiste de l’époque en avait pleinement conscience et avait des craintes dans ce sens. C’est ce qui ressort de l’interrogatoire de Göring du 13 octobre 1945, que le professeur Kempner a lu et déposé le 16 janvier 1946. Göring disait :
« Il faut que vous teniez compte de ce qu’à l’époque l’activité des communistes était particulièrement vive et que notre nouveau Gouvernement n’était pas bien affermi. »
Mais ce bras fort dont je viens de parler avait lui aussi besoin d’une direction qui a été refusée aux ouvriers. Des hommes comme Severing auraient pu l’assurer. C’est à bon droit qu’ils auront à rendre compte de leur passivité non pas devant le juge, mais devant l’Histoire. Je ne me permets pas de porter un jugement concluant. Je me contente de poser le problème et de reconnaître au témoin Severing, avec tout le respect qui lui est dû sur le plan humain, une grande et pénible mesure de justice personnelle quand il se sent appelé à accuser les autres, et lorsqu’il s’agit de savoir qui est historiquement coupable de la prise et de l’affermissement du pouvoir, notamment si, contrairement à Schacht, il a prévu par intuition l’évolution future de la politique de Hitler, au lieu de s’en remettre humblement au jugement de l’Histoire, en s’appuyant sur ses sentiments certainement intègres et sa volonté certainement honnête.
Dans l’intérêt de la vérité historique, nous ne voulons pas perdre de vue qu’au début de la mainmise nazie sur le pouvoir, il n’y avait — une intervention de l’étranger mise à part — que deux groupes de forces qui auraient peut-être pu libérer l’Allemagne : l’Armée et les ouvriers, les deux, bien entendu, convenablement dirigés. Je suis obligé de devenir sur ce point plus explicite, parce qu’une remarque aussi dédaigneuse de la part d’un homme aussi irréprochable et distingué que Severing comporte le danger de conséquences injustes pour mon client. J’aurais été heureux si cette discussion de la déposition de Severing qui charge mon client m’avait été épargnée. Severing avait fait en outre à Schacht le reproche d’opportunisme politique. En politique, la limite entre l’opportunisme et l’action rationnelle d’un homme d’État est très vague. Avant de taxer la conduite de Schacht en 1932 et en 1933 d’opportuniste, on aurait dû considérer également son passé. Depuis 1923, ce passé s’est déroulé publiquement. Il a été, pour partie, l’objet de ces débats. Ce passé démontre plutôt que Schacht fait exécuter ce qu’il considère comme juste, non seulement avec un grand mépris des contingences, mais encore avec beaucoup de courage. Ce courage, il l’a prouvé également en conspirant contre Hitler, comme cela résulte nécessairement de son activité de conspirateur, et comme Gisevius l’a nettement déclaré ici.
Mais revenons avec Schacht en 1923. A ce moment, il a stabilisé le mark contre tous les gens intéressés à une inflation ; en 1924, il a bloqué les crédits contre tous ceux qui thésaurisaient des devises ; en 1927, il a enlevé aux spéculateurs en bourse la base de crédit nécessaire à leur jeu. De 1925 à 1929, il a combattu la politique de dettes et de dépenses des communes et s’est attiré de ce fait l’hostilité de tous les maires. En 1929, il a signé le plan Young, bravant ainsi les adversaires des milieux de l’industrie lourde et, dans le même ordre d’idées, il a combattu ouvertement en 1934 les absurdités et les aberrations de l’idéologie nazie et il n’a jamais réalisé ou exécuté pour sa personne un désir ou un ordre qui aurait été contraire à sa conscience ou à son sens du droit. Tout homme d’État est obligé de faire certaines concessions dans une période de fanatisme. Certains bons apôtres, et il y en a beaucoup à l’heure actuelle, qui demandent une dureté d’acier pour la conservation des principes, ne devraient pas oublier que l’acier a deux propriétés, non seulement la solidité, mais encore la flexibilité.
Je passe, Messieurs, à un autre chapitre qui sera plus court. Je n’en aurai certainement pas terminé avant 13 heures, et je vous serais très reconnaissant, Monsieur le Président, de bien vouloir suspendre maintenant. J’en arrive à l’annexe 1.
Docteur Dix, il vaudrait mieux que vous continuiez jusqu’à 1 heure.
Messieurs, dans l’exemplaire traduit que vous avez sous les yeux, figurent aussi deux annexes. J’ai été obligé de procéder ainsi, car ce que je rapporte dans cette annexe n’est survenu qu’après que j’eusse déjà remis ma plaidoirie à la traduction. J’ai donc été obligé d’y incorporer ce passage et n’ai pu le faire que par une annexe. Je passe ’donc maintenant au contenu de l’annexe 1, et étant donné que je considère maintenant certaines déclarations de témoins, je passe à l’examen des déclarations de Gisevius par mon confrère, le Dr Nelte.
Pour autant que mon confrère le Dr Nelte n’a critiqué que la véracité objective de la déposition du témoin Gisevius qui chargeait les accusés Keitel, Göring et autres, je me suis abstenu de commentaires. Le Ministère Public est libre de prendre position à cet égard ; ce n’est pas mon affaire. Mais le Dr Nelte a mis en doute également la créance qu’on peut accorder à Gisevius et la moralité de ce témoin ; il a mis ainsi, indirectement, en doute, son témoignage qui concernait le Dr Schacht. Cela exige une intervention de principe de ma part. Messieurs, ici les opinions divergent. Un abîme infranchissable se trouve creusé entre le point de vue de Schacht et le point de vue de tous ceux qui ont adopté la façon de penser par laquelle le Dr Nelte tente de discréditer moralement Gisevius et les morts : Canaris, Oster, Nebe et d’autres. Je dois d’ailleurs à mon client, le Dr Schacht, de faire par principe, très clairement, la déclaration suivante : le patriotisme est la fidélité à la mère patrie et au peuple, et l’hostilité déclarée à celui qui conduit, par des moyens criminels, la patrie et le peuple à leur misère et à leur perte. Un tel chef est un ennemi de la patrie et, dans son activité, beaucoup plus dangereux que l’ennemi. Pour combattre un tel Gouvernement, tous les moyens sont bons. A corsaire, corsaire et demi. Trahir un tel Gouvernement, c’est manifester un vrai, un pur patriotisme, et comme tel hautement moral, même pendant la guerre. Après les constatations faites au cours de ce Procès et, en dernier lieu, après les déclarations de Speer relatives aux réflexions cyniques faites par Hitler sur la ruine du peuple allemand, plus aucun doute n’est possible que Hitler était le plus grand ennemi de son peuple, bref un criminel. Tous les moyens visant à le supprimer étaient bons, tout acte dirigé contre lui, un acte patriotique. Un monde sépare Schacht de quiconque se trouve au banc des accusés et ne reconnaît pas ce fait.
Cela devait être dit afin de purifier l’atmosphère. Après cette mise au point de principe, je peux m’épargner le soin de réfuter, dans ses détails, l’attaque dirigée par le Dr Nelte contre Gisevius. Le Dr Nelte regrette l’absence d’esprit de sacrifice dans ces groupements de résistance, dont Schacht faisait partie ; je rappelle seulement les centaines de morts par pendaison pour la seule date du 20 juillet, dont Schacht est un des rares survivants ; lui aussi devait être « liquidé » à Flossenbürg. Je rappelle les milliers de morts, victimes de la politique dans l’État hitlérien. Mener contre Hitler la guerre de la conspiration et de la ruse dont l’emploi s’avéra nécessaire, ne le cédait vraiment en rien, du point de vue danger, à la lutte sur le front.
L’erreur qui s’était produite à la suite de l’interdiction de divulguer l’affaire de la démission de von Papen a été aussitôt reconnue loyalement par Gisevius au cours de l’interrogatoire contradictoire que lui a fait subir mon confrère, le Dr Kubuschok. Je n’ai rien à y ajouter.
L’audience est suspendue.
Je venais d’en terminer avec l’appréciation des témoignages de Severing et de Gisevius.
Si je considère maintenant l’attitude de Schacht jusqu’en 1935 environ, et entre dans la période de 1935 à 1937, je peux souligner encore une fois le fait qu’intentionnellement, et pour gagner du temps, je ne répète pas des arguments que le Tribunal a entendus lors de l’interrogatoire, par exemple la non-participation de Schacht à la législation qui a conduit à supprimer les droits du peuple, parce que cette législation est antérieure à son entrée dans le cabinet. L’événement décisif pour la consolidation du pouvoir de Hitler, la réunion des fonctions de Président du Reich et de Chancelier du Reich en la personne de Hitler, s’est produit également en dehors de l’accusé et de sa responsabilité.
Avec cette loi, l’Armée prêta serment à la personne de Hitler. Le Chancelier du Reich avait non seulement, comme par le passé, la force de police entre ses mains, mais encore la force militaire. Ma tâche ne consiste pas à rechercher qui doit supporter la responsabilité politique de cette loi et, par suite, la faute historique ; en tout cas, ce n’est pas Schacht. Toutes les lois de base antisémites ont été également promulguées avant l’époque où Schacht est devenu ministre. Il a été complètement surpris par les lois de Nuremberg, promulguées par la suite. L’ordonnance du 12 novembre 1938 sur l’exclusion des Juifs de la vie économique allemande et l’ordonnance du 3 décembre 1938 sur l’utilisation de la fortune juive, ont été publiées après sa démission de son poste de ministre de l’Économie nationale et, par conséquent, sans qu’il y eût participé activement. Il en est de même pour la loi qui excluait les Juifs du service du Travail. La loi qui prévoyait la peine de mort pour la dissimulation d’avoirs en devises et qu’on a appelée la loi sur la trahison nationale, n’était pas dirigée contre les Juifs en particulier mais seulement contre la grande industrie et la haute finance. Elle n’a pas été publiée grâce à la plume de Schacht, mais à celle du ministre des Finances. Schacht ne voulait pas rompre à cause de ces lois, parce qu’il croyait devoir mener à bien une plus grande tâche. On ne devrait pas attacher d’importance à cela car Schacht, dans la question juive, s’est à tel point exposé pour les Juifs, par ses discours publics et ses rapports à Hitler, qu’il serait injuste de le discréditer pour cela au point de vue politique et moral et, à plus forte raison, au point de vue pénal. Je rappellerai à titre d’exemple le discours à la Reichsbank, après les mesures antisémites de novembre 1938, le discours de Kœnigsberg, les exposés de l’année 1935, etc. Schacht passait dans le IIIe Reich pour le plus courageux et le plus actif défenseur des Juifs. Je me borne à rappeler la lettre du négociant de Francfort, Merton, qui a été transmise au Tribunal, et la déposition significative du témoin Hayler. D’après celle-ci, lorsque Hayler fit des représentations à Himmler en raison des événements de novembre 1938, ce dernier répondit qu’il allait finalement de la faute de la direction de l’Économie si les choses étaient allées aussi loin. On ne pouvait demander à un M. Schacht autre chose qu’un freinage continuel dans la question juive et une opposition systématique à la volonté du Parti. Justice Jackson a, sur ma demande, précisé ce reproche spécifique de l’Accusation : Schacht n’est pas accusé d’antisémitisme, mais d’agissements qui sont en rapport de cause à effet avec les cruautés exercées contre les Juifs dans le cadre de la guerre d’agression projetée. Il en résulte, selon une logique irréfutable, que la négation de la faute dans la guerre d’agression a pour conséquence la négation de toute faute dans les cruautés qui ont été exercées, pendant la guerre, contre les Juifs. Justice Jackson a fait de quelques phases, de la condition législative des Juifs, durant le temps où Schacht était au ministère, l’objet de son interrogatoire. Je m’abstiens de répondre à ces parties de l’interrogatoire. Les matières qui ont fait l’objet de questions et de réponses sont, d’après le Statut et d’après l’interprétation authentique que Justice Jackson a donnée de cette partie de l’Accusation, sans importance. Le Statut prévoit que la législation antisémite du IIIe Reich et l’attitude individuelle de chacun des accusés à son égard ne seront prises en considération dans le Procès que dans la mesure où elles sont en liaison avec d’autres crimes qui ont été prévus et commis d’après le Statut, comme par exemple ceux de conspiration en vue d’une guerre d’extermination, etc. D’après le Statut, elles ne peuvent constituer un crime indépendant, même pas un crime contre l’Humanité. Ne sont donc coupables que les accusés dont peut être prouvée la participation au plan d’une guerre d’agression avec les conséquences inhumaines qui en ont résulté pour les Juifs. Mais la condition préalable de leur condamnation est qu’ils aient connu et voulu ce but et ce résultat. Il n’y a pas en Droit pénal de responsabilité purement objective en raison du résultat. Le Statut prévoit la condamnation de celui qui a voulu la guerre et par suite aussi les cruautés liées à cette guerre ; mais l’acte à incriminer doit toujours s’être produit dans le cadre de l’exécution d’un tel plan. Cette considération purement juridique exclut déjà une condamnation de Schacht du fait des cruautés commises contre les Juifs.
Un désaccord entre l’Accusation, en particulier les explications de Justice Jackson et moi-même, doit être également éclairci à cette place, sans quoi nous risquons de parler sur deux plans différents. Dans l’interrogatoire, Justice Jackson a attiré l’attention à plusieurs reprises sur le fait qu’on ne reproche pas à l’accusé son antisémitisme en tant que tel, qu’on ne lui reproche pas son hostilité à l’égard du Traité de Versailles, qu’on ne lui reproche pas ses idées et ses déclarations sur ce qu’on appelait le problème de l’espace vital, c’est-à-dire le problème du ravitaillement des peuples de l’Europe centrale, qu’on ne lui reproche pas ses aspirations coloniales, mais qu’il n’est accusé que dans la mesure où tout cela, en pleine connaissance de cause et avec son consentement, a servi à la préparation d’une guerre d’agression. Par cette objection, Justice Jackson voulait couper court à certaines questions et à certaines explications. C’eût été justifié et je pourrais, moi aussi, passer sur de telles explications, si l’Accusation ne retirait d’une main ce qu’elle donne de l’autre. En effet, au cours de l’argumentation, elle utilise tout cela de l’autre main, c’est-à-dire son prétendu antisémitisme, etc., comme une preuve indirecte, un indice que Schacht a voulu et préparé la guerre d’agression. Tout cela, il est vrai, n’est pas considéré par l’Accusation comme un fait criminel en soi, mais comme une preuve indirecte, un indice. C’est pourquoi je dois aussi traiter ces problèmes pour apprécier ces moyens de preuve.
Je crois en avoir fini avec la question juive. A propos du problème dit de l’espace vital, je puis rappeler, pour gagner du temps, ce que Schacht a dit au cours de son interrogatoire pour justifier ses déclarations et ses actes à ce sujet. Le problème colonial a été l’objet d’un interrogatoire contradictoire de Justice Jackson dans la mesure où il cherchait à prouver par ses observations et ses questions qu’une activité coloniale de l’Allemagne n’était pas possible sans une hégémonie mondiale ou, pour le moins, une maîtrise de la mer en vue d’un conflit. Il devait donc se dégager de ce raisonnement, à la charge de l’accusé Schacht, que ses ambitions coloniales étaient logiquement conditionnées par le projet d’une guerre d’agression. C’est là un sophisme. Je crois que Justice Jackson conçoit la politique coloniale d’une manière trop impérialiste. Quiconque désire des colonies pour son pays sans dominer le monde, tout au moins sans rechercher la suprématie sur mer, envisage une activité coloniale conditionnée préalablement par une paix durable avec les puissances maritimes plus fortes. Il lui faut croire à la paix avec ces puissances. L’Allemagne a aussi occupé des colonies, de 1884 à la première guerre mondiale. Son tonnage commercial qui permettait le trafic nécessaire avec ces colonies aurait également suffi avant cette guerre. L’Allemagne n’aurait pas eu besoin d’aviation comme le demanda Justice Jackson. Rien ne prouve que Schacht aurait visé à l’élimination par la guerre d’une domination maritime étrangère pour réaliser ses vues coloniales. On peut difficilement le prendre pour aussi insensé quand on considère son attitude générale. La France et la Hollande possèdent aussi des colonies dont elles ne contrôlent certainement pas les voies d’accès maritimes. Cette observation de l’Accusation ne tire pas à conséquence. Du reste, le Tribunal sait que, dans les années précédant la guerre, presque tous les hommes d’État des Puissances victorieuses ont regardé d’un œil bienveillant ces aspirations coloniales de l’Allemagne, comme il ressort de nombreux discours qu’ils ont prononcés en public.
Je passe maintenant à la question de l’armement, donc à l’activité de Schacht à la présidence de la Reichsbank et au ministère de l’Économie du Reich jusqu’en 1937, c’est-à-dire jusqu’au moment où un loyal serviteur de l’État d’Adolf Hitler conspira contre lui et emprunta les voies sombres de la ruse et de la dissimulation en projetant de fomenter un attentat contre lui. L’Accusation considère la violation des traités de Versailles, de Locamo et d’autres, comme une preuve indirecte, donc comme un indice d’une intention agressive dissimulée. Cela pose d’abord la question de savoir avant tout si des violations objectives de traités ont été commises et, dans l’affirmative, si ces violations doivent être considérées subjectivement en la personne des membres du Gouvernement du Reich, de Schacht donc, comme des indices d’une intention d’agression dissimulée. Il est impossible et superflu également d’épuiser, dans le cadre de cette plaidoirie, le problème de savoir si et dans quelle mesure nous avons affaire à des violations objectives de pactes. Seule une courte remarque sur ce point doit servir à montrer au moins l’aspect hypothétique de cette question. Mon collègue, le Dr Horn, a déjà ici soulevé ce problème et je ne veux faire qu’une remarque très courte. Je veux seulement montrer tout ce que cette question a de problématique. Cette remarque nous aidera à apprécier subjectivement ces faits. Il n’y a pas, en général, de contrats éternels dans le domaine du droit privé et encore moins dans celui du droit des gens. La clause rébus sic stantibus joue dans le domaine du droit des gens et par conséquent, dans les relations politiques des peuples, un rôle encore beaucoup plus grand que dans les relations juridiques privées des particuliers. Il faut avant tout se garder de transposer sans plus dans les hauteurs du Droit international les principes valables dans la plaine du droit privé. Le Droit international a sa dynamique propre. Les relations de haute politique des nations ont d’autres aspects juridiques que les relations privées et les relations d’affaires des particuliers. La preuve la plus éclatante de l’exactitude de cette thèse est le fondement juridique de l’Acte d’accusation, en particulier dans la mesure où il s’attache à la formule nullo, pœna sine lege pœnale et réclame, au lieu de sanctions, le châtiment individuel des dirigeants d’un État agresseur. Justement, celui qui soutient sur ce point la conception de l’Accusation reconnaît par là la dynamique du Droit international et son développement selon des lois propres. L’Histoire enseigne que les pactes basés sur le droit des gens perdent leur vigueur, la plupart du temps, non pas parce qu’ils sont formellement dénoncés, mais par suite du développement des faits. Ils deviennent inévitablement lettre morte. L’opinion à ce sujet peut différer dans des cas particuliers. Cela ne change en rien l’exactitude fondamentale de cette constatation. La militarisation de la Rhénanie et l’introduction du service militaire obligatoire, le réarmement, que Schacht a approuvé, le rattachement libre de l’Autriche à l’Allemagne, que Schacht souhaitait par principe, tout cela contredit à coup sûr, dans l’esprit et dans la lettre, les pactes cités, en particulier le Traité de Versailles. Mais lorsque de telles violations n’éveillent que des protestations de pure forme et, qu’à cela près, on en reste à des rapports extérieurement amicaux, qu’on en vient même à des gestes honorifiques envers l’État coupable de ces violations, lorsque, en outre, des pactes sont conclus, qui changent les dispositions fondamentales d’un tel traité comme, par exemple, le Pacte maritime avec la Grande-Bretagne, on peut très bien penser que ce traité finira par tomber en désuétude et par s’éteindre, et qu’une telle conception subjective trouve là sa justification. Je vous prie de remarquer que la condition préalable de la conclusion d’un pacte d’armements tel que le Pacte maritime avec la Grande-Bretagne est la souveraineté militaire des deux États. Mais la négation de cette souveraineté à l’Allemagne était l’un des points essentiels du Traité de Versailles. Je ne veux pas parler ici du caractère juste ou injuste de ce traité. Je sais ce que désire et ce qu’interdit le Tribunal à ce sujet et je me conforme à ses décisions. Mais je dois parler et j’ai le droit de parler de la possibilité juridique et, partant, du caractère inoffensif des conceptions de Schacht sur la question de la violation des traités. Même si l’on devait encore soutenir l’idée que ces traités ne sont pas caducs, on ne peut mettre en doute la légitimité d’un avis opposé ou tout au moins sa sincérité. Si l’on répond par l’affirmative, ces violations de traités ne sont plus les indices du dol constitué par une guerre d’agression. C’est là toute la question. Car une violation de traité, en tant que telle, n’est pas encore considérée par le Statut comme punissable. Sur ce point aussi, Schacht peut encore montrer sa bonne foi en s’appuyant sur les idées d’éminents hommes d’État étrangers qui, d’emblée, ont toujours logiquement exclu l’hypothèse d’une volonté d’agression de la part de l’Allemagne. Ici aussi je dois me contenter de quelques exemples, car ce serait dépasser le cadre de cette plaidoirie que de les passer tous en revue. La première violation du Traité de Versailles a été constituée par le rétablissement du service militaire obligatoire : Sir John Simon, ministre anglais des Affaires étrangères, a répondu à ces mesures en homme d’État, objectivement et avec la largeur de vue qui le caractérise. Sa déclaration, publiée dans la presse et retransmise à la radio, est universellement connue, en particulier du Tribunal :
« Il n’y a aucun doute que l’on ait envisagé une réduction des armements de tous les autres grands États comme conséquence du désarmement imposé à l’Allemagne. »
Cette remarque, quoi qu’elle fût suivie d’un blâme de l’attitude de Hitler, confirme l’opinion que j’ai exprimée tout à l’heure. On peut tirer les mêmes conclusions du fait que la visite de Sir John Simon et d’Anthony Eden à Berlin eut lieu huit jours après cette violation de traité, le 24 mars 1935. Si cette visite n’avait pas eu lieu, on aurait, à l’étranger, considéré ces mesures de Hitler comme une agression militaire. L’histoire des débats sur cette question au conseil de la Société des Nations étant connue, je n’y ferai qu’une courte allusion. En tant qu’Allemand, et en tant que ministre allemand, Schacht devait-il exprimer un jugement différent de celui des Gouvernements étrangers ?
Une deuxième violation de traité, de la part de Hitler, a été constituée par l’occupation de la Rhénanie, en mars 1935. Cette action ne violait pas seulement le Traité de Versailles. . .
La Rhénanie n’a pas été réoccupée en mars 1935, mais en mars 1936.
Je ne puis le préciser pour l’instant. J’en viens donc à la réoccupation de la Rhénanie. Elle ne violait pas seulement le Traité de Versailles mais aussi le Pacte de Locarno, c’est-à-dire un traité qui, sans aucun doute, avait été signé sans contrainte. Deux jours plus tard, M. Baldwin déclarait à la Chambre des Communes, dans un discours qui fut rendu public et qui, par conséquent, est connu du Tribunal, que l’on ne pouvait excuser l’attitude de l’Allemagne, mais qu’il n’y avait aucune raison de la considérer comme une menace hostile. Schacht, Allemand et ministre allemand, devait-il être plus sceptique que l’étranger sur le caractère agressif de cet acte ? D’autant plus qu’il devait constater — et cela appartient aussi à l’Histoire et est connu de tous — que dix jours après cette violation du traité, les Puissances signataires du Pacte de Locarno, à part l’Allemagne, présentaient un mémorandum au Conseil de la Société des Nations, proposant de réduire les effectifs allemands en Rhénanie à 36.500 hommes et cherchant à éviter le renforcement des effectifs des SS et des SA en Rhénanie, ainsi que l’installation de fortifications et d’aérodromes. Ne doit-on pas considérer ce mémorandum comme une ratification d’une violation éventuelle du traité ? Une troisième violation de traité a été constituée par l’édification de fortifications à Héligoland. Ce fait fut à peine remarqué par les autres signataires et Eden se contenta de déclarer, le 22 juillet 1936, aux Communes, dans un discours radiodiffusé qui est devenu historique, qu’il ne considérait pas qu’il fût opportun de compliquer les négociations par la discussion de détails semblables. Schacht, ministre allemand, devait-il adopter une opinion différente et plus sévère ? Et que penser du rattachement par la terreur de l’Autriche en mars 1938 alors que Schacht, de surcroît, n’était plus ministre de l’Économie ? Si à l’étranger on était arrivé après cette action à la certitude que Hitler se préparait à une guerre d’agression, on n’aurait pas renoncé à l’emploi de la force. Schacht, ministre allemand, devait-il avoir une autre opinion et une autre attitude ? Cette autre attitude, il l’avait adoptée alors qu’avec Witz-leben et d’autres il essaya par un putsch de renverser Adolf Hitler et son régime. Cette entreprise échappa des mains de ces conspirateurs patriotes, comme l’a clairement rapporté ici le témoin Gisevius, parce que Hitler avait pu aller d’un succès à l’autre en politique extérieure. Je rappelle seulement le témoignage sans équivoque de Gisevius sur les effets du Traité de Munich, sur la puissance de choc du groupe d’opposition conduit par Schacht ; je rappelle les témoignages de Gisevius sur les avertissements et les indications qui, à ce sujet, ont été adressés par-dessus les frontières allemandes à des personnalités responsables à l’étranger. Est-il juste de demander au ministre allemand Schacht, en face de cette évolution politique, une attitude plus tranchante que n’en a montré l’étranger lésé dans ses intérêts ? Il avait adopté cette attitude, — comme nous le savons de Gisevius, de Vocke et de tous les affidavits présentés — dès 1937, année où il s’engagea dans les sombres voies de la conspiration. Je renvoie à sa première prise de contact avec von Kluge qui était alors général. Je pourrais accumuler les exemples comme celui que je viens de citer. Je ne critique pas cette attitude de l’étranger. Ce droit ne me revient pas, indépendamment du fait que j’ai une entière compréhension pour son attitude pacifiste, consciente des responsabilités qui en découlaient. Mais il est de mon devoir de faire remarquer que l’on ne doit pas prêter à Schacht des intentions agressives du fait de son attitude et de son comportement lorsqu’on doit remarquer cette même attitude et ce même comportement chez l’étranger lésé. Si l’étranger pouvait espérer continuer à entretenir avec Hitler des relations pacifiques, il faut reconnaître ce même droit à Schacht aussi longtemps qu’il le réclamé. Il ne le réclame plus à partir de la crise Fritsch en 1938. A partir de ce moment, il a — contrairement à l’étranger — reconnu clairement le danger et, personne ne pourra plus le nier après le témoignage de Gisevius, il a tout fait, en courant les plus grands risques pour sa liberté et pour sa propre vie, pour préserver la paix par la chute de Hitler. Les données de l’exposé des preuves témoignent que l’on ne doit pas lui reprocher que tous ces putsch, avant la guerre et après le début de celle-ci, soient restés sans résultat. La responsabilité de l’échec de ce mouvement allemand de résistance ne repose pas sur lui, mais sur d’autres facteurs à l’intérieur et hors des frontières de l’Allemagne. Je reviendrai plus tard sur ce point.
Reste enfin l’armement. Là aussi, je puis me référer à ce qu’a déclaré Schacht pour se justifier lors de son interrogatoire. Il a épuisé le sujet et toute répétition est superflue. Il est aussi superflu d’entrer dans une discussion académique sur le fait de savoir si la conception de Schacht était exacte, c’est-à-dire s’il est exact qu’une certaine force militaire, suffisante pour la défense, soit nécessaire pour tout État et particulièrement pour l’Allemagne, et si le fait que les cosignataires de Versailles n’aient pas tenu l’engagement du désarmement donnait à l’Allemagne le droit de réarmer. La seule chose qui importe, c’est de savoir si ces conceptions et ces motifs de Schacht étaient honnêtes ou s’il poursuivait des buts d’agression par ce réarmement défensif. Mais rien n’a été prouvé ici contre l’honnêteté de ces conceptions et de ces motifs. Certainement, on pourra discuter sur le point de savoir si la phrase si vis pacem para bellum a ici une valeur effective ou si, du point de vue objectif, chaque réarmement plus puissant porte en lui-même un certain danger de guerre, car toute bonne armée, dotée d’officiers capables, aspire naturellement à une possibilité sérieuse d’action. On peut certainement défendre la thèse que la force morale est plus forte que toute force armée. La cohésion de l’Empire britannique et le crédit mondial de la politique étrangère du Vatican pourraient être des preuves de cette thèse. Toutes ces questions portent une certaine relativité en elles. En tout cas, une chose est certaine, c’est celle qu’aujourd’hui encore dans tous les grands États du monde l’avertissement officiel est lancé qu’il faut être militairement fort pour conserver la paix des peuples. Les peuples qui, en raison de leur individualisme et de leur amour de la liberté ont refusé le service militaire obligatoire et une armée permanente forte, font maintenant le contraire et croient honnêtement servir ainsi la paix. Pensons, par exemple, à une nation dont personne dans le monde entier, même le plus méfiant, ne niera le pacifisme : la Suisse. Cette nation pacifique a, elle aussi, toujours mis tout son orgueil à entraîner son peuple à se défendre pour garantir pacifiquement sa liberté et son indépendance. Peu importe que l’on appelle académiquement impérialisme cette pensée de décourager des attaques ennemies par l’entretien d’une armée suffisante pour la défense. En tout cas, cette pensée est honnêtement soutenue par des peuples pacifiques et aimant la liberté et elle sert mieux la cause de la paix que certaines doctrines antimilitaristes et pacifistes. Cette conception constante n’a absolument rien à faire avec le militarisme. Celui qui, aujourd’hui encore, la reconnaît comme justifiée chez les grands et les petits peuples, n’a pas le droit de discuter que Schacht l’eût honnêtement représentée de 1935 à 1938. Je n’ai rien à ajouter à cela. Je n’ai sans doute pas non plus besoin d’exposer des comptes fastidieux et de fournir des indications d’ordre technique pour prouver que la partie de l’armement que Schacht finança, d’abord avec 9.000.000.000 puis, à regret, en y ajoutant trois autres milliards, ne suffisait en aucune manière à une guerre d’agression, et pas même à une défense efficace des frontières allemandes. Les réponses que les témoins Keitel, Bodenschatz, Milch, le général Thomas, Kesselring, etc., ont faites à ce sujet dans leurs témoignages et dans les dépositions sous serment qu’ils ont signées sont déposées, exposées ou portées officiellement à la connaissance du Tribunal. Elles sont toutes unanimes à dire que l’Allemagne a été suffisamment armée pour une guerre offensive, non pas au début des hostilités, mais un an et demi après, et que Hitler n’a pas seulement commis un crime contre l’Humanité, mais aussi contre son propre peuple qui faisait confiance à son gouvernement, en le précipitant en août 1939 dans une guerre d’agression. J’estime donc qu’il est superflu de s’étendre plus longuement sur ce sujet pour savoir si l’exposé de Blomberg affirmant que Schacht avait été informé du développement de l’armement est exact, ou si ce sont les exposés de Schacht et de Vocke, disant que ce n’était pas là le cas, qui le sont. J’admets, sans plus, la bonne foi de la déclaration de Blomberg. Mais étant donné qu’il s’occupait davantage de la partie technique de l’armement que la Reichsbank, l’expérience de la vie permet de croire que l’on peut se fier sur ce point plus à la mémoire de Schacht et de Vocke qu’à celle de Blomberg, pour lequel ce rapport à la Reichsbank était un côté accessoire de son activité. Le désir de la Reichsbank d’être renseignée sur le développement technique de l’armement et non pas seulement sur ses dépenses financières, était une chose de grande importance. On se souvient plus exactement de ces choses-là que des questions secondaires. En tout cas, il est établi que jusqu’à l’exercice budgétaire 1937-1938, il n’avait été dépensé pour l’armement que 21.000.000.000, dont la Reichsbank avait fourni 12.000.000.000 par voie de crédit, et que, d’après la déclaration de Jodl du 5 juin 1946, seules 27 à 28 divisions étaient constituées le 1er avril 1938, contre 73 à 75 en 1939. Il n’est nullement nécessaire d’être expert pour déclarer nettement insuffisant pour une guerre d’agression ce volume de dépenses et d’armements au 1er avril 1938. Hitler était, lui aussi, de cet avis lorsqu’il faisait remarquer, dans son mémoire d’août 1936 remis à Speer en 1944 et présenté au Tribunal, entre autres réflexions de peu d’importance sur la direction économique de Schacht, que quatre précieuses années s’étaient écoulées, que l’on avait eu suffisamment de temps, en ces quatre années, de se rendre compte de ce que nous ne pouvions faire, et qu’il ordonnait que l’Armée allemande fût, dans les quatre ans, c’est-à-dire en 1940, prête à combattre. Je me permets de rappeler au Tribunal qu’après la démission de Schacht de son poste de président de la Reichsbank, 31.500.000.000 ont été dépensés pour l’armement pendant les deux exercices budgétaires 1938-1939 et 1939-1940. L’émission de monnaie et les dépenses qu’entraînait l’armement se firent donc aussi bien sans Schacht, et même de façon considérablement accrue. Schacht avait, à l’époque, écrit à Blomberg qu’il n’était pas un faiseur d’or. Il a exercé dans ce sens une pression constante sur Blomberg. Je me réfère seulement à sa lettre du 21 décembre 1935 à Blomberg, qui a été remise au Tribunal. Il a exercé une action modératrice par les conférences qu’il a faites devant des officiers du ministère de la Guerre et de l’École de guerre. Il s’est opposé à l’emprunt des chemins de fer de 1936 proposé par le ministre des Transports dans l’intérêt indirect de l’armement, et a coupé les crédits de la Reichsbank dès le début de l’année 1937, en terminant sur un compromis sur les derniers 3.000.000.000. Il refusa au ministre des Finances du Reich le crédit qu’il demandait en décembre 1938. Il créa un frein automatique des dépenses d’armement grâce aux traites Méfo, qui étaient osées au point de vue de la technique financière, mais juridiquement soutenables. Elles ont servi d’abord au financement des dépenses d’armement, mais ont freiné d’autres dépenses dans ce domaine après leur échéance, à partir du 1er avril 1939, car le Reich était tenu de les rembourser. La prévoyance de Schacht se vérifia. L’augmentation du travail amena une telle augmentation des recettes de l’État que le paiement des traites Méfo lors de leur échéance, cinq ans après, n’eût pas été difficile. La déclaration de Keitel a prouvé que dans l’année budgétaire qui avait commencé le 1er avril 1938, on avait dépensé pour l’armement 5.000.000.000 de Reichsmark de plus que dans l’exercice précédent, bien que les crédits de la Reichsbank eussent complètement cesse à la date du 1er avril 1938. La moitié de ces 5.000.000.000 aurait suffi pour acquitter les traites Méfo arrivées à échéance au cours de l’année budgétaire qui avait commencé le 1er avril 1938. Cet argent aurait été soustrait au réarmement. Et c’est justement ce que voulait Schacht. D’avance, il avait limité la validité des traites Méfo à cinq ans. Il cessa de fournir l’aide du crédit de la Reichsbank le 1er avril 1938 afin de limiter les armements. Schacht ne pouvait absolument pas prévoir que Hitler allait simplement briser une promesse de traite et ne pas faire face aux échéances. Ces faits seuls prouvent déjà que ses demandes de démission ne pouvaient avoir d’autre cause qu’une opposition à la poursuite des armements et le refus de prendre la responsabilité de ce réarmement. En ce sens, l’affirmation de l’Accusation prétendant qu’il voulait se soustraire à la responsabilité est parfaitement exacte. Rien ne laisse supposer que des causes déterminantes autres que celles qui ont découlé, par la force des choses, des faits cités à l’instant, l’aient influencé dans ses efforts pour se soustraire à ses charges. Si l’Accusation affirme que son motif était l’hostilité envers Göring, c’est exact également en ce sens que Schacht était un adversaire du Plan de quatre ans et que Göring en était le chef.
Invoquer comme cause déterminante la rivalité est une simple hypothèse, une interprétation des faits qui permet la citation suivante : « Si ce que vous dites n’est pas juste, du moins la calomnie servira ».
Le mémoire de la Reichsbank de novembre 1938, qui mena à la révocation de Schacht et de la plupart de ses collaborateurs — dont Vocke — est, sans équivoque, dans le sens d’une opposition énergique à l’armement. Il devait nécessairement contenir une raison touchant au domaine de compétence de la Reichsbank. Son but était clair. C’est pour cela que Hitler s’exclama : « C’est de la mutinerie ». Le mémoire se termine en exigeant le contrôle du marché des capitaux et des emprunts ainsi que le maniement des impôts par la Reichsbank. Le fait d’exaucer ce désir aurait enlevé à Hitler toute possibilité de trouver de l’argent pour d’autres armements. C’est pour cela que cette exigence était inacceptable pour lui. Schacht et ses collègues le savaient. Par ce geste, ils cherchaient sciemment la rupture. Dès lors, Schacht ne portait plus de responsabilité. Il pouvait maintenant se consacrer exclusivement aux plans de coup d’État du groupe des conspirateurs auquel il appartenait. Il devint traître à Hitler. Restant ministre sans portefeuille, il espérait apprendre plus, grâce aux événements que ce groupe devait connaître, que s’il se retirait complètement. Je reviendrai sur ce point plus tard. Le fait de l’armement comme tel n’apporte donc pas de preuve à l’affirmation de l’Accusation, qui prétend que Schacht a travaillé sciemment à la préparation de la guerre d’agression. Par la force des choses, lorsqu’on parle d’un armement au sens moderne du mot, il faut entendre en même temps par là un armement économique. Du côté allemand, ce fait a été reconnu pour la première fois au début de la première guerre mondiale par deux Juifs allemands de très grande valeur, par le fondateur de la « Hamburg-Amerika-Linie », Albert Ballin, et le grand industriel allemand Rathenau. C’est le même Rathenau que celui qui, pendant la conférence de Gênes, a tenu ce magnifique discours pour la paix accueilli par les applaudissements frénétiques des représentants de ces Puissances qui étaient, quatre années auparavant, les ennemies de son pays. Alors qu’il était ministre des Affaires étrangères, ce même Rathenau tomba victime d’un attentat antisémite aux environs de 1920. Je peux supposer que la personnalité d’Albert Ballin est connue du Tribunal. Ces deux hommes reconnurent dès le début de la première guerre mondiale la faute qu’avait constituée l’absence d’une mobilisation économique. Rathenau organisa alors la section des matières premières de guerre au ministère de la Guerre. Au point de vue idéologique le premier délégué général à l’Économie de guerre — car en fait il n’était rien d’autre — était donc un pacifiste et, depuis ce temps au moins, il n’y aura pas un plan de mobilisation d’une nation quelconque qui ne fasse accompagner l’armement purement militaire de la préparation adéquate de l’Économie de guerre. C’est pourquoi la création d’un délégué général à l’Économie de guerre, même s’il a eu un rôle actif, — mais il n’a eu aucune autorité, comme l’a démontré d’une manière convaincante la présentation des preuves — ne prouve pas l’intention de vouloir mener une guerre d’agression ; ce service est nécessaire aussi pour tout armement défensif. Il en est de même pour l’institution du Conseil de Défense du Reich, du Comité de Défense du Reich, etc. Ce sont, comme telles, des créations qui allaient parfaitement de soi. Elles n’ont rien de délictueux ; seul leur abus en vue d’une guerre d’agression le serait. Mais pour cela, l’intention frauduleuse de Schacht n’est pas établie. Je m’en remets donc à l’appréciation des détails dans ce domaine.
Pour en terminer, l’Accusation voit enfin une charge dans le caractère soi-disant secret de certaines mesures de mobilisation et de certains dispositifs de mobilisation, comme par exemple le secret maintenu autour de la seconde loi de Défense du Reich. Là aussi, une considération naturelle, connue de tout le monde, enlève à ces contestations tout caractère condamnable. Toutes les nations ont l’habitude de traiter les mesures de mobilisation et d’armement sous le terme de « secret ». Un examen et une observation plus approfondis permettent de voir en cette habitude une routine largement superflue. On ne peut tenir cachés que les plans et les détails techniques. Le fait d’un armement en tant que tel ne peut jamais être tenu secret. Il en est de même pour l’existence d’une grande association qui doit servir à cet armement. Ou bien elle est connue si elle entre en action ou bien elle reste cachée et secrète, comme le Conseil de Défense, pour la seule et unique raison qu’elle n’entre pas en action. J’ai trouvé dans les mémoires d’un officier tsariste sur ses expériences de la guerre russo-japonaise, cet aperçu spirituel : « Si je souhaitais, à l’État-Major, qu’un événement fût connu, je le faisais suivre avec la mention « secret » et mon souhait était réalisé. Si j’avais le souhait, difficile à réaliser, que quelque chose demeurât secret, je le faisais suivre sans mention spéciale et sous pli ouvert, et mon vœu était parfois exaucé ».
On n’a pas le droit de discuter en l’air mais on doit, si l’on veut rechercher la vérité, considérer les données d’expérience du dur terrain des réalités. C’est ainsi que le fait de la préparation militaire de l’Allemagne, après la prise de pouvoir de Hitler et le réarmement du monde qui en est bientôt résulté, n’a jamais été secret. Le débat principal a apporté de nombreuses preuves à ce sujet. Nous connaissons le rapport du consul général Messersmith, nous connaissons la déclaration qu’il a faite sous la foi du serment le 30 août 1945, présentée par l’Accusation sous la référence PS-2385, selon laquelle le programme d’armement — il parle d’un énorme programme d’armement aussitôt après la prise du pouvoir — et le rapide développement du programme aérien ont été visibles pour tout le monde ; on n’aurait pas pu se promener dans les rues de Berlin ou d’une quelconque des autres grandes villes d’Allemagne sans voir des pilotes ou des aviateurs à l’entraînement. Et il déclare expressément à la page 8 de cette déclaration que cet énorme programme d’armement de l’Allemagne n’a jamais été un secret et qu’il était connu tout à fait officiellement au printemps de 1935. Je rappelle, parmi beaucoup d’autres moyens de preuve, la remarque de l’ambassadeur Dodd où il prétend avoir attiré l’attention de Schacht sur le fait que le Gouvernement allemand avait acheté, chez les seuls fabricants d’avions américains, des appareils de guerre de la plus haute valeur, pour 1.000.000 de dollars, et les avait payés en or. Si l’ambassadeur Dodd s’est également trompé sur ce détail, tout cela démontre cependant qu’en mettant les choses au mieux, le réarmement de l’Allemagne était, dans une proportion certainement exagérée alors à l’étranger, un secret public. On n’a donc pas besoin de rappeler les témoignages de Milch et de Bodenschatz sur les visites réciproques des chefs d’État-Major généraux, la visite du chef de l’Intelligence Service britannique Courtney, la présence continuelle des attachés militaires de presque tous les États à Berlin, pour reconnaître que ce réarmement prétendu secret était public et ne se réservait que quelques secrets techniques comme tout armement de chaque État. L’étranger a connu le fait de ce réarmement et l’a considéré, plus longtemps que Schacht lui-même, comme conciliable avec la conservation de la paix mondiale. Il ne m’appartient pas et il est complètement éloigné de ma pensée de critiquer l’attitude de l’étranger. Tout rôle dans la vie a ses propres lois de mesure, même le rôle de l’accusé et de son défenseur. Leur tâche réside dans la défense et non dans le reproche et dans l’attaque qui en est la conséquence. Je me défends expressément de commettre le contresens de vouloir jouer les accusateurs et les critiques. Je n’évoque tout cela que parce que les moyens de preuve indirects présentés par le Ministère Public ne sont pas concluants.
L’Accusation tire plus loin argument du fait que Schacht a été membre du Gouvernement du Reich et que, s’il a donné sa démission en janvier 1938 de son poste de ministre de l’Economie, il est du moins resté ministre sans portefeuille jusqu’en janvier 1943. L’Accusation rend le Gouvernement du Reich responsable et, à la vérité, pénalement responsable des agressions de Hitler. Cette argumentation a, pour quelqu’un qui part de la conception normale d’un Gouvernement du Reich, une force de persuasion séduisante. Mais cet effet tombe dès que l’on fait la constatation que le prétendu Gouvernement du Reich n’était pas un gouvernement au sens usuel d’un État constitutionnel. Mais il ne faut pas que des constatations qui touchent le Droit pénal s’appuient sur l’apparence extérieure et la forme, sur une fiction, mais seulement sur des faits bien établis. Voilà qui exige qu’on examine du point de vue sociologique l’essence du régime hitlérien et qu’on recherche si la même responsabilité criminelle peut atteindre un membre du Cabinet du Reich, c’est-à-dire du Gouvernement du Reich, en cette qualité, comme cela se produirait dans tout autre régime normal, qu’il s’agisse d’une république démocratique, d’une monarchie démocratique, d’une monarchie constitutionnelle ou d’une monarchie absolue ou de tout autre régime de Droit public qui porte le caractère d’un État constitutionnel relevant d’une manière quelconque du Droit public. Nous ne pouvons donc faire autrement que d’examiner la véritable structure sociologique du régime hitlérien. M. le professeur Jahrreiss nous a donné des explications sur l’ordre du Führer. En cette matière, je veux aussi éviter les répétitions et me borner aux brefs commentaires suivants : Je veux d’abord, pour éviter de nouveau le danger d’un malentendu, préciser que lorsque je parle ici du régime hitlérien, je le fais sans aucune allusion à ceux qui sont assis au banc des accusés, à l’exception de Schacht évidemment. En ce qui concerne ce dernier, je le fais dans le sens négatif, étant donné qu’il n’a pas appartenu au régime comme tel, bien qu’il fût membre du Gouvernement du Reich et président de la Reichsbank. Je laisse absolument ouverte la question de savoir si l’un des autres accusés doit être considéré comme membre ou représentant de ce régime. Cette question relève uniquement du Tribunal et de l’appréciation des défenseurs des accusés.
Au début de mon exposé j’ai déjà mentionné qu’il est difficile, et que cela demande une forte intuition politique même pour quelqu’un qui a vécu en Allemagne sous le régime hitlérien, de faire la différence entre la répartition apparente et extérieure du pouvoir et les véritables influences du pouvoir. Ce fait doit dépasser le jugement de gens qui ont vécu hors d’Allemagne et ne peut être rendu possible que par les constatations fournies par les preuves devant ce Tribunal. Nous avons établi ici que le Cabinet du Reich, que Hitler appelait un club de défaitistes, s’est réuni pour la dernière fois en 1938 pour recevoir une communication de Hitler, et en 1937 pour délibérer et prendre une dernière décision. Nous avons établi aussi que Hitler lui cachait sciemment toutes les affaires politiques importantes, ainsi qu’il ressort de ce qu’on a appelé le document Hossbach du 10 novembre. Au cours de cette séance, le Führer fit remarquer aux chefs des différentes armes de la Wehrmacht qui étaient présents, et au ministre des Affaires étrangères du ReichSchacht n’était évidemment pas présent et a entendu parler de ce document Hossbach ici seulement — que l’objet de la consultation avait une si grande importance que dans d’autres États il eût motivé une réunion plénière du cabinet. Mais qu’il avait décidé, en raison de cette importance même, de ne pas en discuter dans le cercle du Cabinet du Reich. A partir de ce moment-là, après 1937 tout au moins, on ne peut plus considérer les membres du Cabinet du Reich comme les maîtres et les représentants de la formation de la volonté politique du Reich. Il en est de même des membres du Conseil de Défense du Reich qui n’était qu’une affaire de routine bureaucratique. C’est pourquoi d’ailleurs Hitler a expressément exclu le Conseil de Défense du Reich des préparatifs de guerre future, au printemps de 1939, en disant : « Les préparatifs se font en partant de la législation de paix ». Le despotisme, la tyrannie, dans leur plus pure expression, ont été atteints à partir de 1938. Ce qui fait justement le caractère spécifique du régime fasciste comme du régime national-socialiste, c’est que la formation de la volonté politique se concentre en la personne du chef du Parti qui, à l’aide de ce Parti, soumet et domine l’État et le peuple. Justice Jackson, lui aussi, le reconnaît puisqu’il a exposé le 28 février 1946 que la pyramide du pouvoir reposait sur un seul groupe, en dehors de l’État et de la constitution. Parler, en face d’un tel régime, d’un Gouvernement du Reich responsable et de citoyens libres qui, par des associations quelconques, auraient une influence sur la formation de la volonté politique, ce serait partir de fausses hypothèses. Dans de tels régimes, ce sont toujours les puissances insaisissables qui gagnent une influence sans responsabilité sur le Chef de l’État et du Parti. La formation de la volonté politique ne se reconnaît, chez le Chef de l’État lui-même, que dans sa cristallisation ; elle n’est pas visible à côté de lui et derrière lui. C’est une autre particularité d’un tel régime — et de nouveau nous sommes au chapitre du mensonge foncier — que la rivalité de plusieurs groupes puissants derrière la façade d’une prétendue entente et d’une unité absolue. Hitler n’a pas seulement toléré ces oppositions, il les a provoquées et il a assis sur elles une partie de son pouvoir. Quand un accusé parle ici de l’unanimité du peuple allemand pendant cette guerre, par contraste avec la première guerre mondiale, je suis obligé d’objecter qu’au cours de son histoire le peuple allemand n’a peut-être jamais été aussi divisé intérieurement que sous le IIIe Reich. L’harmonie apparente n’était qu’un calme de cimetière, obtenu au prix de la terreur. A ce déchirement intérieur du peuple allemand, tenu artificiellement secret grâce à la terreur organisée par la Gestapo, correspondaient parmi les hauts fonctionnaires les oppositions que nous avons signalées. Prenons seulement quelques exemples : nous avons constaté les oppositions entre Himmler et Frank, Himmler et Keitel, Sauckel et Seldte, Schellenberg et Canaris, Bormann et Lammers, SA et SS, Wehrmacht et SS, SD et Justice, Ribbentrop et Neurath, etc. On peut allonger la liste à volonté. Même au point de vue idéologique, le Parti connaissait de notables divergences, comme la déposition de Göring l’a prouvé au début de l’audition des preuves. Ces oppositions étaient fondamentales et Hitler, loin de les aplanir, les aggravait. C’était le clavier sur lequel jouait son pouvoir. Les ministres n’étaient pas des personnes qui dirigeaient sous leur responsabilité, comme dans tout autre État fondé sur le Droit ; ils n’étaient que des employés instruits dans leur spécialité et devaient obéir à des ordres. Quand un ministre technicien, tel que Schacht, ne s’y soumettait pas, il arrivait ce qui est arrivé pour lui, qu’après être entré en conflit, il quittât son service. Les ministres ne pouvaient longtemps assumer la responsabilité dans leur ressort, pour la seule raison déjà que leur compétence n’était pas exclusive dans leur service. Un ministre, dans le sens du Droit constitutionnel, doit, avant tout, avoir audience auprès du Chef de l’État et avoir le droit de parler sans préavis. Il doit être à même de repousser les immixtions et les ingérences de tiers irresponsables. Nous ne remarquons aucun de ces signes distinctifs et typiques de la fonction ministérielle chez les prétendus ministres d’Adolf Hitler. Schacht a dû se laisser surprendre par le Plan de quatre ans. De même, le ministre de la Justice s’est laissé surprendre par des lois aussi importantes que celles dites de Nuremberg. Le ministre ne pouvait pas lui-même nommer ses subordonnés. La nomination de tout fonctionnaire devait être soumise à l’approbation de la Chancellerie du Parti. Les immixtions et les ingérences des fonctionnaires et des services des différentes chancelleries, chancellerie du Führer, chancellerie du Parti, etc., étaient de constatation courante. C’étaient là des instances supra-ministérielles qui échappaient à tout contrôle. Des délégués spéciaux gouvernaient sans tenir compte des ressorts. Des ministres et même, Lammers nous l’a dit ici, le chef de la Chancellerie du Reich, pouvaient attendre une audience pendant des mois, tandis que Messieurs Bormann et Himmler allaient et venaient chez Hitler.
L’antichambre et la camarilla, corollaires nécessaires de tout absolutisme, ont toujours été difficiles à concevoir historiquement aux époques de responsabilité individuelle. Quant aux influences effectives exercées sur Hitler par des gens sans responsabilité, elles n’entrent pas du tout en ligne de compte. Jodl, ici même, a déclaré que Hitler s’était précisément décidé à entreprendre des actes très lourds de conséquences sous l’influence de tiers parfaitement inconnus, au hasard des choses, d’une conversation à une table de thé ou autres choses semblables. De là découle pour les faits de la cause ce à quoi j’ai déjà fait allusion au début. Que le plan d’un crime comme celui d’une guerre d’agression ait été projeté à l’intérieur d’un cercle de personnes bien déterminé, ou même au sein de ce qu’on appelle le Gouvernement du Reich, n’est plus concevable objectivement, en raison même de cet état de choses. Et là où aucun plan n’est possible, il n’y a pas non plus de complot, de conspiration possible, la caractéristique essentielle en étant le plan concerté, quelque différents que soient les rôles. Appliquez la plus large interprétation à l’aspect extérieur de la conspiration. Je vais essayer de suivre Justice Jackson dans son raisonnement. Celui qui trempe dans une réunion de faux-monnayeurs est coupable de conspiration, même s’il a seulement écrit ou porté une lettre. Celui qui a trempé dans le pillage d’une banque est coupable de meurtre si, au cours de l’opération, un meurtre a été commis, non pas par lui, mais par un tiers impliqué dans l’affaire. Il doit toujours s’agir d’une communauté capable d’un plan concerté. Les ministres d’Adolf Hitler n’en étaient pas capables ; avec Hitler, c’était, absolument impossible. Donc, aucun conspirateur ne pouvait prendre part au crime de Hitler imposant à son propre peuple et à l’Humanité une guerre d’agression, mais seulement des auxiliaires au service de Hitler.
Les conditions de puissance que nous avons décrites dans le IIIe Reich ne permettent de supposer d’une façon générale qu’une complicité coupable ou une aide coupable, et non une infraction collective susceptible d’être réprimée comme la conspiration. On ne peut que rechercher et décider pour chaque cas individuel si une telle complicité ou une telle aide coupable prêtée au crime d’une guerre d’agression, commis sans nul doute par Hitler, est imputable à chacun des accusés pris isolément. Cette recherche est ma tâche, mais seulement pour la personne de Schacht. Mais une infraction collective comme la conspiration doit être éliminée en raison des rapports effectifs, car on doit la considérer comme inimaginable et irréalisable. Mais même si ce n’était pas le cas, l’élément subjectif serait totalement absent chez Schacht. Même si l’élément objectif d’une conspiration existait parmi certains accusés, et même en expliquant le plus largement possible la notion de conspiration, le conjuré doit tenir compte, dans sa volonté, du plan et du but de la conspiration, du moins sous la forme du dol éventuel. On comprendra la gravité de la conspiration si on la compare au bateau corsaire. En soi, chaque membre de l’équipage du bateau corsaire est un hors la loi, même s’il occupe un poste subalterne. Mais celui qui ignorait complètement qu’il se trouvait sur un bateau corsaire et croyait au contraire être sur un pacifique navire marchand, n’est pas responsable de la piraterie. Il est également irresponsable lorsqu’après s’être rendu compte de la qualité du navire, il a tout fait pour empêcher l’exécution de la piraterie aussi bien que pour quitter le bateau. Schacht a fait les deux. Pour ce qui est du dernier fait, la doctrine scientifique de la conspiration reconnaît que celui qui, avant la réalisation du but de la conspiration, s’est retiré par un acte positif, n’est pas coupable, même si auparavant il a collaboré à préparer le plan de la conspiration. Cela, Schacht ne l’a pas fait. A ce propos, je me sers de la réponse que m’a faite Justice Jackson lorsque, au cours de l’interrogatoire de Schacht, je posais le problème de savoir si la persécution des Juifs lui était aussi imputable. Justice Jackson l’affirma, au cas où Schacht aurait aidé à préparer la guerre d’agression avant de se retirer de ce plan d’agression et de son groupe de conjurés, et de passer sans réserve à l’opposition, donc à la conspiration contre Hitler. Ce passage constituerait alors l’acte positif que je recherche et par lequel un participant à une conjuration s’en séparerait. Mais à propos de ce problème juridique, la personne de Schacht n’est pas en cause, car l’audition des preuves a démontré qu’il n’a jamais voulu se prêter à la préparation d’une guerre d’agression. Comme on l’a déjà exposé, ce reproche de l’effet subjectif de la conspiration a été démontré par des preuves soit directes, soit indirectes. Je puis ici renvoyer à ce qui a été dit auparavant pour les événements antérieurs à 1938. A partir de 1938 au plus tard, il est prouvé que, dès cette époque, Schacht a mené la lutte la plus violente qu’on puisse imaginer contre toute possibilité de guerre, qu’il a essayé de renverser celui qui portait en lui cette volonté d’agression, qu’il a ainsi essayé de renverser le régime lui-même.
Je suis arrivé à la fin d’un chapitre. Vous conviendrait-il de suspendre l’audience maintenant, Monsieur le Président ?
L’audience est suspendue.
Je m’excuse d’être en retard, Monsieur le Président, mais on ne m’a pas laissé entrer.
J’en suis arrivé, Messieurs, à l’appréciation du début de l’opposition et je continue mes explications. Il est tout à fait sans importance ici et hors de question de rechercher si ces tentatives de coup de force qui se sont poursuivies pendant la guerre à intervalles plus ou moins longs étaient propres à obtenir pour l’Allemagne une paix plus favorable. Ceci n’a aucune importance pour apprécier la faute de Schacht dans son comportement. Il n’est pas douteux que la réussite d’un coup d’État avant le déclenchement des hostilités aurait, selon toute prévision humaine, empêché ce déclenchement, et qu’un coup d’État couronné de succès, après le déclenchement des hostilités, aurait au moins abrégé la durée de la guerre. C’est pourquoi des réflexions sceptiques sur la valeur politique de cette tentative de coup d’État ne prouvent rien contre la gravité du plan et la gravité des intentions de ses auteurs. Et c’est pourtant ce qui importe seul. Car ces réflexions prouvent d’abord que celui qui les a poursuivies dès 1938 et, si l’on pense à la tentative faite avec Kluge, dès 1937 déjà, n’a pas pu avoir auparavant des intentions tendant à la guerre. On n’essaye pas de renverser un régime, sous prétexte qu’il présente un danger de guerre, lorsqu’on a soi-même travaillé auparavant à préparer la guerre. On ne le fait que lorsqu’on désire servir la paix par tous ses actes, même en finançant des armements. C’est pourquoi ces tentatives de coup d’État, poursuivies de façon certaine, n’ont pas pour Schacht la portée juridique d’un prétendu remord actif du fait d’un comportement criminel antérieur ; mais elles sont la preuve qu’avant 1938 on ne peut lui reprocher une préparation intentionnelle de guerre, parce que ce dernier fait est incompatible du point de vue psychologique avec l’activité de Schacht contre Hitler.
Ces putsch prouvent le crédit que l’on pouvait accorder à Schacht, dans l’exposé des raisons et des idées qui l’ont poussé à participer activement au Gouvernement hitlérien et à favoriser l’armement par l’aide financière de 12.000.000.000 qu’il a apportée. Ils prouvent, après coup, le caractère purement défensif de ce financement des armements, ils prouvent le crédit que l’on peut accorder à Schacht lorsqu’il déclare amener avec cette action défensive une réduction générale des armements. Si l’on fait confiance à cette explication de Schacht, il ne peut être question qu’il ait contribué à provoquer une guerre d’agression, tout au moins du point de vue subjectif. La véracité des dires de Schacht ressort également d’une autre circonstance. Schacht a contredit la déposition de Gisevius et a répondu par la négative à ma question, qui était orientée dans le même sens, lorsque je lui ai demandé si, au début, il admirait Hitler et le tenait sans réserves pour un homme d’État génial. Au cours de son interrogatoire, il a déclaré que cette supposition était un point de départ erroné, qu’il s’était rendu compte dès le début des nombreuses faiblesses de Hitler, en particulier des lacunes de son instruction, et qu’il avait seulement espéré pouvoir se rendre maître de la situation résultant de ces inconvénients et de ce danger. Au point de vue purement objectif, Schacht, a, de ce fait, rendu sa défense plus difficile. Il est assez intelligent pour l’avoir reconnu. Ce qu’il perd en facilité de se défendre et abandonne sciemment sur le terrain de la technique des preuves, il le gagne dans l’appréciation objective de sa crédibilité qui repose sur une expérience psychologique. Car il mérite une confiance accrue, celui qui sert la vérité par la contradiction, même lorsque la contre-vérité ou la demi-vérité qui lui est suggérée lui serait plus utile au point de vue de la technique des preuves ou de la pure tactique.
Quant à la participation importante de Schacht à l’activité des différentes conspirations dont a parlé Gisevius, la déposition digne de foi de celui-ci ne devrait pas laisser de doute. Et quand Justice Jackson a présenté à Schacht, au cours du contre-interrogatoire, des photographies et des films, comme preuves de son étroite union avec Hitler et ses paladins, c’était dans le seul but de mettre en doute son opposition active avec Hitler. C’est pourquoi je dois m’arrêter brièvement sur ces documents photographiques. Justice Jackson a fait état, à propos de ce reproche, de discours prononcés par Schacht dont il résulte que, pendant la période du putsch, il a fait montre d’un grand dévouement à l’égard de Hitler. Ce reproche est du même ordre. Je crois que cette argumentation ne tient ni devant l’expérience de la vie, ni devant l’Histoire. Celle-ci nous enseigne que les conspirateurs, précisément surtout lorsqu’ils appartiennent au milieu des dignitaires du chef d’État menacé, montrent la plupart du temps une dévotion toute spéciale pour se camoufler. On n’a jamais observé non plus que de telles gens n’expriment pas ostensiblement leur loyauté à l’égard de leur future victime. On pourrait accumuler les exemples fournis par l’Histoire. Il existe en particulier une pièce allemande à succès écrite par un certain Neumann qui traite du meurtre du tsar Paul par son premier ministre le comte Pahlen. Le tsar a confiance jusqu’à la fin dans le dévouement ostentatoire du comte Pahlen, même quand celui-ci aiguise déjà l’arme du crime. Et, dans les documents historiques qui nous sont restés, on trouve des instructions envoyées par le comte Pahlen à l’ambassadeur russe à Berlin : peu de temps avant l’attentat, le comte Pahlen ne se lasse pas d’y parler de « notre auguste empereur ». Cette pièce porte un titre caractéristique :Le patriote. C’est que justement il y a une forme de patriotisme supérieure à la simple fidélité de forme du dévouement à l’État. C’est pourquoi il est beaucoup plus conforme à la vérité psychologique de considérer ce dévouement outré et ostentatoire, et les assurances de loyalisme de Schacht pendant cette période, comme une preuve de la véracité objective de ses explications, que de les faire servir au contraire. Comme conspirateur, il devait se camoufler soigneusement. Tous ceux qui ont vécu en Allemagne sous le régime hitlérien devaient le faire jusqu’à un certain point. Quant aux photographies, c’est la conséquence obligatoire de toute appartenance à un groupe social ou à une organisation que d’être avantageusement ou non photographié avec les autres membres. Supposons que je sois membre d’un Gouvernement, je ne peux pas, à l’occasion d’une réunion avec mes collègues, me refuser à être photographié avec eux. Et C’est ainsi que nous voyons des photographies représentant Schacht entre Ley et Streicher et un film sur la réception faite à Hitler à la gare. Considérées après coup, elles ne causent aucune joie à celui qui les contemple. Ni à Schacht non plus, très certainement. Mais elles ne prouvent rien. A mon avis, et s’en référant à l’expérience humaine d’un homme moyen, ces photographies ne sont des arguments ni pour, ni contre.
L’étranger, lui aussi, a eu des rapports avec les Gouvernements d’Adolf Hitler par ses principaux représentants, et non seulement par son corps diplomatique. Je vous prie de croire que la Défense pourrait produire des clichés bien plus grotesques encore et qui ne sont pas du tout aussi naturels que ceux qui montrent Schacht en compagnie d’hommes qui étaient après tout, ses collègues dans le IIIe Reich. Mais ce serait peut-être un manque de tact de la part de la Défense que de produire ces photographies. Si cependant la recherche de la vérité l’exige, un défenseur devrait prendre sur lui même un manque de tact. Je ne crois pas être obligé de le faire dans ce cas, parce qu’il me paraît évident que les photographies prises lors des réunions représentatives du IIIe Reich sont des preuves de bien peu d’importance.
Le seul point de l’Accusation qu’il me reste à éclaircir me semble être le fait que Schacht, malgré sa démission de ministre de l’Économie et de président de la Reichsbank, en janvier 1939, soit resté ministre sans portefeuille jusqu’en 1943. Schacht a déclaré que Hitler en avait fait la condition de son départ du ministère de l’Économie. Cette démission nécessitait la signature de Hitler en tant que chef de l’État. Si Schacht avait refusé de rester comme ministre sans portefeuille, il aurait certainement, tôt ou tard, été arrêté comme suspect politique, ce qui lui aurait enlevé toute possibilité d’agir contre Hitler. Le témoin Gisevius a fait connaître les propos échangés à l’époque entre Schacht et lui sur la question de savoir si Schacht devait demeurer comme ministre sans portefeuille. Le fait que Schacht pouvait être plus utile au groupe des conspirateurs, comme éclaireur et comme patrouilleur, s’il restait sous cette forme dans le Gouvernement du Reich, du moins extérieurement, jouait à bon droit un rôle. Même comme ministre sans portefeuille, Schacht était en grand danger, comme le montrent ses déclarations et celles de Gisevius, et comme il ressort des dépositions d’Ohlendorf, aux termes desquelles Schacht se trouvait, dès 1937, sur la liste noire de la Gestapo. Les déclarations faites par Hitler à Speer dont on a parlé ici, et surtout ses déclarations au sujet de Schacht après l’attentat du 20 juillet, montrent combien Hitler le craignait. J’attire encore une fois l’attention sur le mémoire de Hitler de 1936, qu’il a remis à Speer en 1944, et qui montre qu’il voyait en Schacht un saboteur de ses projets de réarmement. Il a été déclaré et prouvé par Lammers que Schacht a essayé de se débarrasser plus tard de cette position nominale. Il a été montré, en outre, par Lammers et Schacht, que cette situation n’avait pas de signification substantielle. D’où mon qualificatif de « Charaktermajor », c’est-à-dire un commandant sans bataillon, sans droit de commandement, un commandant pour la forme. Schacht ne pouvait se débarrasser de cette situation sans s’attirer des ennuis, comme cela s’était produit pour sa situation de président de la Reichsbank. Schacht devait donc manœuvrer pour se faire renvoyer. Cela lui réussit comme président de la Reichsbank, par le fameux mémoire de novembre 1938 du directoire de la Reichsbank et le refus de crédit de cette banque qu’il contenait. Il y réussit comme ministre sans portefeuille, par sa lettre défaitiste de novembre 1942. Entre temps, il préparait sa tentative de coup d’État pour l’automne de 1938 et les différentes tentatives de putsch, jusqu’au 20 juillet 1944, cette dernière le conduisant au camp de concentration.
On ne peut l’accuser d’avoir commis un crime comme ministre sans portefeuille. Car il a été prouvé que, pendant tout ce temps, il conspirait contre Hitler, ce qui exclut forcément la supposition qu’il aurait, pendant ce même temps, favorisé les projets et la conduite de la guerre de Hitler. Il n’y a donc place que pour un reproche politique à adresser à Schacht pour la période de 1933 à 1937, et cela uniquement dans l’espace vide de l’abstraction. Mais ce reproche, lui aussi, est compensé pleinement par l’attitude extra-ordinairement courageuse de Schacht après cette période. Pour qu’on apprécie cette attitude à sa juste valeur, je me permets de rappeler l’intéressante déclaration de Gisevius, selon laquelle, alors qu’il s’était montré, lui aussi, sceptique à l’égard de l’attitude primitive de Schacht, non dans le sens criminel, mais dans le sens politique, il se réconcilia entièrement avec lui en raison du courage extraordinaire dont il fit preuve à partir de 1938 comme adversaire de Hitler et dans son activité de conspirateur. C’est pourquoi je pense que le fait que Schacht soit resté dans le Gouvernement comme ministre sans portefeuille ne peut lui être reproché directement ou indirectement, certainement pas du point de vue du Droit pénal, mais pas non plus du point de vue moral, lorsqu’on tient compte de son attitude générale, de ses mobiles et des circonstances et conditions qui les ont accompagnés. Si, maintenant, en dernière analyse, l’Accusation se base sur le texte du mémorandum de la direction de la Reichsbank qui a déjà été mentionné pour établir qu’il ne ressort de ce mémorandum aucune hostilité contre la guerre, mais seulement des considérations sur le problème des devises, je n’ai besoin, sur ce sujet, que de renvoyer à mes exposés précédents et à la déclaration de Vocke. L’exposé personnel de Schacht m’est même plus utile pour réfuter cette argumentation, Vocke, en sa qualité de collaborateur direct, a déclare sans équivoque que Schacht a voulu restreindre et saboter l’armement, dès le moment où il a vu dans son étendue une menace de guerre. On peut joindre à cette déclaration de Vocke l’affirmation sous la foi du serment de Hülse et les affirmations sous la foi du serment de tous les collaborateurs de Schacht au ministère de l’Économie. Je n’ai pas besoin de les citer en détail. Le Tribunal les connaît. Le Tribunal n’a besoin d’aucun commentaire de la Défense. Ces affirmations sont suffisamment éloquentes. Et si, enfin, l’Accusation veut argumenter sur le texte du mémorandum, qui effectivement ne porte que sur des problèmes techniques financiers, je ne peux pas négliger ici de faire remarquer qu’une telle argumentation se meut dans un espace vide et ne considère ni les expériences de l’Histoire ni les expériences générales de la vie. Il va de soi — je l’ai déjà dit — que la direction de la Reichsbank ne pouvait se servir que d’arguments de son ressort, surtout vis-à-vis d’un Hitler. On frappe le sac et on croit battre l’âne. Si la direction de la Reichsbank et, avec elle, son président Schacht, avaient, dans ce mémorandum, révélé son véritable but, obvier au danger de guerre et combattre la volonté d’agression de Hitler, il aurait perdu toute possibilité d’exercer de l’influence dans le domaine technique. Hitler avait d’ailleurs très bien compris le but de ce mémorandum, quand il s’écria après avoir lu : « C’est de la mutinerie ». Par ces mots, Adolf Hitler avait discerné tout ce qu’on pouvait dire de Schacht conspirateur. Il n’a jamais été un mutin et n’a jamais conspiré contre la paix mondiale, mais, dans la mesure où il a été un mutin et un conspirateur, ce fut seulement contre Hitler et son régime.
Mais ici je dois prier le Tribunal de bien vouloir se référer à l’annexe 2 à laquelle je ferai maintenant allusion, car elle n’est revenue de la traduction qu’après la préparation de ma plaidoirie.
Je disais donc que Schacht n’avait conspiré que contre Adolf Hitler. Comme tel, il a fait l’objet de dénigrements ironiques de la part du général Jodl et de mon confrère, le Dr Nelte, qui l’ont qualifié de « révolutionnaire en redingote » et de « révolutionnaire de salon ». Or, l’Histoire apprend que la qualité du tailleur ne joue aucun rôle pour un révolutionnaire. En ce qui concerne les salons, il faut dire que les cabanes n’ont pas la primauté révolutionnaire sur les palais. Qu’il me suffise de rappeler les salons politiques de l’époque qui a précédé la grande révolution française ou, par exemple, un parmi beaucoup d’autres, l’élégant club d’officiers du régiment féodal Preobrachensk sous le règne de bien des tsars. Si ces messieurs prétendent que Schacht et consorts auraient dû eux-mêmes faire le coup de feu, à cela je peux répondre : Oui, si la chose avait été facile. Schacht eût préféré tirer lui-même ; il l’a spontanément déclaré ici. La chose n’était pas possible sans le concours de la force, qui pouvait produire des désordres inévitables et faire de l’attentat un succès révolutionnaire. C’est pourquoi des généraux et des troupes étaient nécessaires. Je ne veux pas rendre la pareille au général Jodl et ne parlerai par conséquent pas « d’un mal nécessaire ».
L’autre reproche, de n’être pas suffisamment étayé sur la classe ouvrière, est réfuté par la composition même du groupe des conspirateurs du 20 juillet. Comme je l’ai déjà dit, tout cela n’a que peu d’importance pour la décision du Tribunal. Mon client avait toutefois le droit moral que son défenseur ne passât pas sous silence cette polémique qui s’est engagée sous la lumière crue de l’opinion publique mondiale. On peut donc résumer ainsi : après les élections de juillet 1932, il était évident que Hitler prendrait le pouvoir et qu’il devait le faire. Auparavant, Schacht avait personnellement prévenu l’étranger de cette évolution, il n’y avait donc pas contribué. Après la prise du pouvoir, il n’y avait pour lui comme pour tous les Allemands que deux voies possibles : ou rester à distance ou bien entrer activement dans le mouvement. A ce carrefour, la décision dépendait de raisons purement politiques, sans aucun point de vue criminel. Tout comme nous apprécions les raisons qui ont porté les pays étrangers à collaborer avec Hitler plus intensivement et avec beaucoup moins de méfiance qu’avec les Gouvernements allemands démocratiques qui l’avaient précédé, de même nous devons reconnaître la bonne foi de tous les Allemands, qui croyaient pouvoir mieux servir le pays et l’humanité par de plus grandes possibilités d’action, à l’intérieur du mouvement, donc dans le Parti ou dans le corps des fonctionnaires, qu’en restant de côté à remâcher leur rancune. Servir Hitler, en tant que ministre et président de la Reichsbank, c’était une décision politique dont on peut évidemment contester après coup l’opportunité au point de vue politique, mais qui n’avait aucun caractère criminel. Schacht est toujours resté fidèle au mobile de sa décision, combattre cet extrémisme, d’une position influente. Nulle part dans le monde il n’y avait de signal d’alarme pour l’arrêter. Il voyait seulement que tout le monde faisait, plus que lui-même, confiance à Adolf Hitler, accordait à Adolf Hitler des honneurs et des succès politiques qui rendaient son travail plus difficile, quand il tendait, depuis longtemps, à écarter Hitler et son régime. Ce combat entre Adolf Hitler et son régime, il l’a mené avec un courage et une constance tels qu’il est vraiment miraculeux qu’il n’ait rencontré son destin que le 20 juillet 1944, c’est-à-dire le camp de concentration et le danger d’être condamné à mort par le tribunal populaire ou par un acte des SS. Il a trop d’intelligence et d’esprit critique pour ne pas savoir que, en le considérant au point de vue purement politique, l’Histoire, au moins dans l’avenir immédiat, donnera de son caractère une image incertaine, embrouillée par la haine ou la faveur des partis. Il s’en remet avec humilité au jugement de l’Histoire, même si quelque historien juge que la voie politique dans laquelle il s’était engagé était mauvaise. Avec la fierté d’une conscience tranquille, il s’en remet au jugement de ce haut Tribunal. Les mains pures, il se présente devant ses juges. Il se présente même avec confiance devant ce Tribunal comme il l’a déjà indiqué dans une lettre qu’il lui a adressée avant le commencement des débats et dans laquelle il déclare expressément qu’il salue avec reconnaissance l’occasion d’exposer ouvertement, devant lui et le monde entier, toute son activité et ses mobiles. Il se présente avec confiance devant ce Tribunal, parce qu’il sait qu’ici la faveur ou la haine des partis ne joue plus aucun rôle. Sachant personnellement tout ce qu’il y a de relatif en toute activité politique, pendant des époques si difficiles, il est cependant, en ce qui concerne les charges criminelles relevées contre lui, conscient de son innocence et sûr de son bon droit. Car, quels que soient ceux qui pourront être reconnus coupables et pénalement responsables de la guerre, des cruautés et des actes inhumains commis pendant son cours, Schacht peut, après l’examen des faits pratiqué ici avec une exactitude minutieuse, répondre à chaque accusé par les paroles que Guillaume Tell jette au régicide parricide : « J’élève vers le ciel mes mains pures, je te maudis, toi et ton acte ». C’est pourquoi je vous demande de reconnaître que Schacht n’est pas coupable de l’accusation portée contre lui et doit être acquitté.
Je donne maintenant la parole au Dr Kranzbühler, avocat de l’accusé Dönitz.
Monsieur le Président, Messieurs les juges. « La guerre est une chose cruelle et elle entraîne une foule d’injustices et de crimes ». C’est par ces mots de Plutarque que Hugo Grotius (De jure pacis ac belli, livre 2, chapitre 24, paragraphe 10 : « War is a cruel thing, and it brings in its train a multitude of injustices and misdeeds. ») commence son examen de la responsabilité des crimes de guerre, et ils sont aussi vrais aujourd’hui qu’il y a 2.000 ans. Les belligérants ont de tous temps commis des actes qui étaient des crimes de guerre ou que l’adversaire considérait comme tels. Mais on n’en a toujours tiré des conclusions qu’à l’égard du vaincu, jamais à l’égard du vainqueur. Le droit qu’on appliquait alors était donc nécessairement toujours le droit du plus fort.
Alors que la guerre sur terre a eu, depuis des siècles, des règles à peu près fixes, les conceptions des adversaires en matière de Droit international se sont toujours violemment heurtées à propos des guerres sur mer. Personne ne sait mieux que les hommes d’État britanniques combien ces conceptions sont dictées par les intérêts nationaux et économiques. Je me réfère à ce propos à des témoins connus tels que Lord Fisher et Lord Edward Grey (Lord Edward Grey. Vingt-cinq années de politique, 1892 — 1916. Traduction chez Bruckmann, Munich 1926. Le Droit international a toujours été très extensible . . . Un belligérant avec une flotte supérieure a toujours cherché à interpréter le Droit International de façon à justifier un maximum d’attaques susceptibles, selon toute probabilité, d’atteindre l’ennemi. La Grande-Bretagne et les Alliés, devant leur suprématie sur mer, adoptèrent naturellement ce point de vue. L’attitude britannique n’a pas toujours été la même à l’égard de cette question, si nous avions fait partie des neutres, nous aurions contesté naturellement ce droit d’attaque très étendu que se sont arrogé les belligérants). Si jamais, dans l’Histoire, une puissance maritime avait eu l’idée de faire le procès d’un amiral ennemi vaincu et ce, en s’appuyant sur ses propres conceptions à elle en matière de Droit de la guerre sur mer, le jugement aurait été identique à l’Acte d’accusation.
Dans ce Procès, deux amiraux sont accusés pour une guerre navale qualifiée de criminelle. Le Tribunal se trouve donc devant une décision sur des conceptions juridiques qui sont forcément aussi opposées que les intérêts d’une puissance maritime et d’une puissance continentale. De cette décision ne dépend pas seulement le sort de deux amiraux. Il y va aussi de la réputation de centaines de milliers de marins allemands qui croyaient servir une bonne cause et qui n’ont pas mérité d’être marqués devant l’Histoire du nom de pirates et d’assassins ; c’est à l’égard de ces hommes, vivants ou morts, que je me sens obligé d’entreprendre la réfutation de l’accusation portée contre la conduite de la guerre navale allemande. Quelles sont ces accusations ? Elles se divisent en deux grands groupes : le torpillage injustifié de navires et l’assassinat volontaire de naufragés.
Je m’occupe d’abord du reproche de torpillage injustifié de navires. Deux rapports de M. Roger Allen, du ministère des Affaires étrangères britannique, de l’automne 1940 et du printemps 1941, forment le noyau de cette accusation. Je ne sais à qui ces rapports ont été adressés, ni pourquoi ils ont été rédigés. D’après leur forme et leur contenu, ils me semblent servir à la propagande et, pour cette raison déjà, je tiens leur valeur de témoignage pour faible. L’Accusation elle-même n’a reproduit qu’une partie des reproches qu’ils contiennent. Les rapports attribuent en effet 1/5è seulement des attaques prétendues illégales, dont ils font le total, à des sous-marins, et 4/5è par contre à des mines, des avions ou des forces navales de surface. L’Accusation ignore ces 4/5è et ce fait peut s’expliquer parce qu’il n’y a aucune différence entre l’utilisation par les Anglais de ces moyens de combat et celle qu’en ont faite les Allemands. Par contre, il semble y avoir une différence entre les principes allemands de la conduite de la guerre sur mer et ceux de nos adversaires, en ce qui concerne l’emploi des sous-marins. En tout cas, c’est ce que croyait l’opinion publique des pays ennemis et de nombreux pays neutres pendant la guerre, et c’est ce qu’elle croit encore aujourd’hui en partie. La propagande dominait. Avec cela, la grande masse des critiques ne savait pas exactement quels étaient les principes appliqués à la guerre sous-marine allemande ni sur quelles bases réelles et juridiques ils s’appuyaient. Ce sera mon devoir ici d’essayer de les expliquer.
Les rapports de M. Roger Allen vont jusqu’à affirmer que les sous-marins allemands ont torpillé à partir de l’été 1940 tout ce qui se présentait à leurs coups. Les méthodes de la guerre sous-marine sont, sans aucun doute, devenues plus rigoureuses sous la pression des mesures prises contre l’Allemagne. Mais cette guerre n’a jamais dégénéré en fusillade sauvage qui n’aurait été gouvernée que par la loi de l’utilité. Bien des choses, qui auraient pu être utiles pour le sous-marin, ont été évitées jusqu’au dernier jour de la guerre, parce qu’elles devaient être considérées comme juridiquement inadmissibles, et toutes les mesures que l’Accusation reproche aujourd’hui aux dirigeants de la guerre navale allemande étaient le résultat d’un développement auquel les deux côtés avaient participé par leurs coups et leurs contre-coups, comme cela se passe pour tout développement en temps de guerre. Le fondement juridique de la guerre sous-marine allemande au début de cette guerre était constitué par le protocole de Londres de 1936. Ces décisions ont été littéralement admises dans l’article 74 de l’ordonnance de prises allemande, qui a même été désignée par M. Roger Allen comme un instrument raisonnable et non inhumain. Ce règlement des prises a été donné en projet en 1938 aux deux flottilles de sous-marins et à l’école de sous-marins qui existaient à cette époque ; il devait servir de base pour l’instruction des commandants. L’arraisonnement et la visite de bateaux de commerce étaient exécutés comme un devoir tactique. Pour faciliter aux commandants, au cours de la guerre commerciale, un jugement rapide et juste de la situation de droit vis-à-vis des navires et dés chargements de l’ennemi et des pays neutres, on dressa un tableau synoptique qui, par simple manipulation, indiquait les articles du règlement des prises qui devaient être appliqués. Pour autant d’ailleurs que des mesures étaient prises par les sous-marins dans la guerre commerciale, elles s’appuyaient exclusivement sur le règlement allemand des prises et, par conséquent, sur le protocole de Londres.
C’est à cette base juridique que le commandement supérieur allemand s’en est tenu très fidèlement au début des hostilités. Les instructions pour le combat, données aux sous-marins le 3 septembre 1939, ordonnaient de façon claire et nette de pratiquer la guerre sous-marine selon le règlement des prises. Couler des navires n’était alors admis qu’après arraisonnement et visite, à moins que le bateau tentât d’échapper ou bien opposât une résistance. Il a été présenté au Tribunal quelques exemples choisis parmi la multitude d’exemples possibles, pour prouver avec quel esprit chevaleresque les commandants de sous-marins allemands s’en tenaient aux prescriptions données. En particulier les soins à l’équipage des bateaux coulés, conformément au Droit, après l’arraisonnement et la visite, étaient donnés dans une mesure telle qu’il était à peine possible d’en prendre militairement la responsabilité. Des bateaux de sauvetage ont été remorqués sur de longues distances et, de ce fait, le nombre restreint des sous-marins était retiré à leur mission de combat. On laissait passer les vapeurs ennemis dont le torpillage eût été légal, afin de leur permettre de mener à terre l’équipage de bateaux précédemment coulés. M. Roger Allen est donc dans le vrai lorsqu’il déclare que, pendant les premières semaines, de la guerre, les sous-marins allemands ont suivi strictement les règles de l’accord de Londres. Pourquoi donc n’en est-on pas resté à cette façon de procéder ? Parce que l’attitude de l’adversaire a rendu un tel procédé impossible au point de vue militaire et a créé, en même temps, les précédents juridiques pour sa modification.
Je considère maintenant le point de vue militaire. Dès les premiers jours de la guerre, sont parvenus au commandant en chef des sous-marins et à la Direction de la guerre sur mer des comptes rendus des sous-marins mentionnant que très peu de bateaux ennemis s’étaient soumis volontairement à l’ordre de stopper et de se laisser visiter. Les bateaux marchands ne se contentaient pas d’essayer de s’échapper, soit en fuyant, soit en se dirigeant sur le sous-marin et en l’obligeant ainsi à plonger. Bien plus, chaque sous-marin qui avait été aperçu était immédiatement signalé par radio et était attaqué dans le plus court délai par des avions ou par les forces navales ennemies. Le comble a cependant été atteint par l’armement complet des bateaux marchands ennemis. Dès le 6 septembre 1939, un sous-marin allemand était attaqué par l’artillerie du vapeur britannique Manaar. Ce fut le signal du combat qui se livra entre le sous^marin d’une part et le bateau de commerce armé, équipé de canons et de grenades sous-marines d’autre part, comme deux adversaires militaires de valeur égale.
Quant aux effets de toutes ces mesures de l’adversaire, j’ai soumis au Tribunal des exemples que je voudrais bien ne pas répéter. Ils démontrent clairement que la méthode employée jusqu’alors envers les bateaux de commerce, conformément à l’ordonnance des prises, n’était plus possible au point de vue militaire et représentait pour le sous-marin un véritable suicide. Malgré cela, la direction allemande s’en tint encore plusieurs semaines à la méthode du règlement de prises. Lorsqu’on constata que les actes accomplis par des bateaux de commerce ennemis, en particulier l’emploi des armes, n’étaient pas des faits exceptionnels, mais bien des mesures générales ordonnées, on publia, le 4 octobre 1939, l’ordre d’attaquer sans préavis tous les navires de commerce ennemis armés. L’Accusation prétendra peut-être qu’au lieu d’agir de cette façon il eût mieux valu arrêter la guerre sous-marine contre les navires de commerce armés. Pendant la dernière guerre on a employé de part et d’autres, sans aucun égard, dans les airs et sur terre, les moyens de combat les plus redoutables. En présence de cette expérience, cette thèse peut difficilement être soutenue ; on ne peut attendre d’un chef militaire qu’il renonce, dans la guerre sous-marine, à un moyen de combat efficace, lorsque l’adversaire a, par ses mesures, rendu inapplicables les méthodes employées jusqu’alors. Un pareil renoncement ne pourrait de toute façon être pris en considération si l’application de ce nouveau moyen de lutte était absolument illégal. Ce n’est cependant pas le cas pour les sous-marins allemands vis-à-vis des navires marchands ennemis, parce que les mesures prises par l’ennemi ont changé non seulement la situation militaire mais encore la situation juridique.
La conception juridique allemande tendait à faire admettre qu’un navire armé et affecté à la guerre n’est pas protégé contre le danger d’un torpillage sans avertissement, protection que le Protocole de Londres confère aux bâtiments de commerce. J’affirme formellement qu’on ne conteste pas là, aux navires de commerce, le droit de s’armer et de combattre. On tire uniquement de ce fait la conclusion qui se reflète dans la maxime bien connue « Quiconque s’est servi de l’épée périra par l’épée ».
Lors du contre-interrogatoire, l’Accusation a qualifié de frauduleuse une telle interprétation du Protocole de Londres. S’en tenant à l’interprétation la plus étroite de la lettre, elle n’admet le torpillage d’un navire de commerce que s’il a opposé une résistance active. Ce n’est pas la première fois qu’il existe entre les contractants une divergence fondamentale d’opinion sur l’interprétation d’un traité et la façon très différente de comprendre l’importance de l’accord de Potsdam du 2 août 1945, en présente un exemple d’actualité. De la différence des interprétations, on ne peut cependant, en aucune manière, conclure que l’une ou l’autre des parties contractantes a, lors de la signature ou de l’interprétation d’un traité, agi de façon frauduleuse. Je tâcherai de démontrer combien ce reproche est injustifié aussi envers l’interprétation allemande du Protocole de Londres sur les sous-marins. Dans l’interprétation allemande, il y a deux idées à commenter : celle du « navire marchand » et celle d’« opposer une résistance active ».
Si j’aborde maintenant les questions juridiques, je ne prétends pas du tout m’engager dans une théorie générale. Je ne peux qu’entamer les problèmes et le manque de temps me force à me limiter à mentionner des sources scientifiques. Je me référerai de préférence aux sources américaines, parce que les intérêts maritimes et stratégiques de cette nation n’étaient pas aussi fixés que ceux des nations européennes, et leur science peut donc prétendre d’une façon particulière à l’objectivité.
Le texte du Protocole de Londres de 1936 repose, comme l’on sait, sur une déclaration qui a été signée à la Conférence maritime de Londres de 1930. Le concept largement discuté du navire de commerce a fait l’objet d’une définition du comité de juristes alors institué, dans le rapport du 3 avril 1930 :
« Le comité veut faire ressortir que l’expression de navire marchand, là où elle est employée dans la déclaration, ne doit pas être comprise comme s’étendant à un navire marchand qui participe sur le moment aux hostilités d’une manière de nature à lui faire perdre son droit aux immunités d’un navire de commerce. »
Cette définition établit au moins clairement que tout navire qui porte un pavillon commercial n’a pas pour cela le droit d’être traité en navire de commerce au sens de la Convention de Londres. Mais en partant de ce point de vue, l’explication donne peu de résultats positifs, car la question de savoir quelle est la sorte de participation aux hostilités qui fait perdre à un navire le droit à l’immunité d’un navire de commerce est de nouveau soumise à l’appréciation de chacun des cosignataires. La Conférence de Londres, autant que je vois, ne s’est pas occupée davantage de cette question épineuse et l’on ne commet pas d’erreur en supposant que cette étonnante réserve repose sur les expériences que les mêmes Puissances avaient faites huit années auparavant à Washington. La Conférence de Washington de 1922 était encore sous les impressions récentes de la première guerre mondiale et il n’est donc pas étonnant que la puissance navale qui avait souffert le plus de la guerre sous-marine allemande durant la guerre mondiale, c’est-à-dire la Grande-Bretagne, cherchât dorénavant à proscrire et à exclure aux yeux du droit des gens la guerre commerciale au moyen des sous-marins. C’était ce but que visait la résolution, qui portait le nom du délégué principal américain Root et qui correspond, dans sa première partie, essentiellement au texte de Londres de 1930. Mais, dans la seconde partie, la résolution Root va plus loin et prévoit que l’on doit punir comme criminel de guerre et comme pirate tout commandant qui, — que ce soit avec ou sans ordres supérieurs — viole les règles posées pour l’envoi par le fond des navires de commerce. On conclut en reconnaissant qu’une guerre commerciale au moyen de sous-marins n’est pas possible sous les conditions établies dans la résolution et, par suite, les Puissances contractantes renoncent expressément à la guerre au commerce au moyen des sous-marins. La résolution Root définit ces principes comme partie reconnue du Droit international. Ils ont été sans doute admis comme tels par les délégués, mais n’ont été ratifiés par aucune des cinq Puissances navales participantes : les États-Unis, l’Angleterre, la France, le Japon et l’Italie. La résolution Root a provoqué aussi la discussion d’une autre question qui est de la plus grande importance pour l’interprétation du Protocole de Londres, celle de la notion de navire de commerce. C’est là que se sont révélés clairement les deux fronts existant dans toute la question des sous-marins. D’un côté se tenait l’Angleterre, de l’autre la France (Yamato Ichlhalie, La Conférence de Washington et ses conséquences, Stanford University Press, cal. 1928, page 80 : « La principale raison de la thèse britannique était la crainte de voir la force passer entre les mains de la Marine française » ), l’Italie et le Japon, tandis que les États-Unis adoptaient une attitude de médiation. D’après le protocole de la Conférence de Washington, le sénateur Schanzer, délégué italien, menait l’assaut des puissances maritimes faibles et il affirmait expressément qu’un navire de commerce régulièrement armé pouvait être attaqué sans plus par un sous-marin. Schanzer affirmait dans une séance ultérieure que la Délégation italienne, dans la résolution, n’appliquait l’expression de « navires de commerce » qu’à des navires de commerce non armés. Il soutient expressément que cette interprétation est en accord avec les règles du Droit international en vigueur ( Conférence de Washington sur la limitation des Armes, ment s, 12 novembre 1921 — 6 février 1922. Washington, Service d’imprimerie du Gouvernement, 1922, pages 606, 688, 692 ).
Le délégué français, Sarraut, reçut alors du ministre des Affaires étrangères, Briand, l’instruction d’avoir à se joindre aux réserves du délégué italien (Livre Jaune français : la Conférence de Washington, page 93 ). Il demanda ensuite de fixer les réserves italiennes dans le procès-verbal de la séance.
Le délégué japonais, Hanihara, soutint ce point de vue en déclarant qu’il tenait pour évident que des navires de commerce, qui avaient pour rôle de soutenir militairement l’ennemi, cessaient, en fait, d’être des navires de commerce (Procès-verbal page 693, 702. He thought it was also clear that merchant vessels engaged in giving military assistance to the enemy ceased in fact to be merchant vessels ).
On peut donc établir qu’en 1932, trois sur les cinq Puissances représentées exprimaient l’opinion que des navires de commerce armés ne pouvaient être considérés comme des navires de commerce dans le sens de l’accord. Étant donné que toute résolution menaçait d’échouer par suite de ce différend, on trouva une issue caractéristique de ce genre de conférence. Root termina les débats en déclarant qu’à son point de vue, la résolution était valable pour tous les navires de commerce, tant que le navire demeurait un navire de commerce (Procès-verbal page 704, « So long as the vessel remained a merchant vessel. » ). Le compromis amena à une formule qui pouvait certes passer pour un succès politique momentané, mais qui n’avait pas de signification réelle en cas de guerre. En effet, il était laissé à l’appréciation de chacune des Puissances participantes de décider si, en cas de guerre, elle accordait ou non la protection de la résolution à un navire de commerce armé.
J’ai exposé en détail ces événements de l’année 1922, parce que ce sont les mêmes Puissances qui ont pris part à la Conférence navale de Londres de 1930. La Conférence de Londres était la suite de celle de Washington, et ce qui fut discuté et enregistré à la première avait sa pleine signification pour la seconde. La science, et d’ailleurs pas seulement la science allemande, mais particulièrement la science américaine et française, a soumis à son examen les rapports étroits de ces deux conférences et, pour ces raisons, a déclaré ambigu et non satisfaisant le résultat atteint dans la question des sous-marins. Je voudrais ici vous renvoyer seulement au rapport récapitulatif de Wilson sur le Traité naval de Londres ( American journal of International Law, 1931, (page 307) .
C’est précisément là qu’il faut signaler, à côté de l’imprécision de la conception « navire de commerce », l’imprécision qui est liée au mot « résistance active », et c’est justement à ce mot que se relie une exception à la protection des navires de commerce, qui ne ressort pas non plus du texte de l’accord de Londres mais est généralement reconnue, et je veux parler des bateaux de commerce ennemis en convois. Si l’on interprète à la lettre l’accord de Londres, il faudrait soutenir l’opinion que les navires de commerce ennemis en convois ne devraient pas être attaqués sans avertissement, mais que le navire de guerre agresseur devrait d’abord mettre hors de combat les bâtiments convoyeurs pour arraisonner ensuite et visiter les bâtiments de commerce. Cette exigence irréalisable du point de vue militaire n’est visiblement pas formulée non plus par le Ministère Public. Dans le rapport, qui a été plusieurs fois mentionné, du ministère des Affaires étrangères britannique, il est dit :
« Les bâtiments ennemis naviguant en convoi sont généralement accusés d’opposer une résistance par la force et par conséquent exposés à être coulés sans avertissement. »
L’Accusation elle-même admet donc ici une interprétation de l’expression « résistance active », interprétation qui ne ressort en aucune manière du traité lui-même, mais qui est simplement une conséquence de la nécessité militaire, et par conséquent un commandement de la saine raison humaine. Et, c’est justement cette même saine raison humaine qui commande de considérer un navire de commerce armé comme tout aussi coupable de résistance par la force qu’un navire convoyé. Prenons un exemple extrême, pour rendre l’affaire tout à fait claire. Un navire marchand non armé de 20.000 tonnes et filant vingt nœuds qui est escorté par un chalutier armé, disons de deux canons, et filant quinze nœuds, pourra être coulé sans avertissement, car il se fie à la protection du chalutier et s’est, par conséquent, rendu coupable de résistance active. Mais s’il abandonne la protection du chalutier et qu’en échange ce navire marchand soit pourvu de deux canons ou même de quatre ou six, ce qui lui permettra d’utiliser pleinement sa vitesse, ne devra-t-il pas, dans la même mesure que précédemment, être considéré comme coupable de résistance active ? Une réponse négative me paraît vraiment contredire le bon sens. Suivant la conception de l’Accusation, le sous-marin devrait d’abord ordonner à ce navire marchand, dont la puissance de combat lui est supérieure, de s’arrêter et attendre jusqu’à ce que ce navire marchand ait tiré sur lui la première bordée. C’est seulement alors qu’il lui serait loisible de son côté d’engager la bataille. Mais étant donné qu’un seul obus est presque toujours mortel pour un sous-marin, alors qu’il ne fait en général que peu de dégâts à un navire marchand, il ’en résulterait l’anéantissement presque certain du sous-marin.
« Lorsqu’on aperçoit un serpent à sonnette qui se redresse, on n’attend pas qu’il se précipite sur vous, mais on le tue immédiatement. »
C’est en ces termes que Roosevelt adressa aux Forces navales américaines l’ordre d’attaquer les sous-marins allemands. Ce motif lui suffisait pour commander l’utilisation des armes sans qu’il y eût état de guerre. En cas de guerre, il serait singulier qu’entre deux adversaires armés, on accordât à l’un le droit de tirer le premier coup et que l’autre eût le devoir d’attendre d’être atteint. Une telle interprétation contredit tout bon sens militaire. Il n’est donc pas étonnant qu’étant donné des conceptions aussi diverses, les spécialistes du Droit international aient considéré, après le Traité de Londres et la signature du Protocole de Londres en 1936, le traitement à appliquer aux navires marchands armés en période de guerre sur mer, comme une question non, résolue. Là aussi je me référerai à une source scientifique qui peut s’appuyer sur une autorité particulièrement compétente. C’est le projet d’un accord sur les droits et les devoirs des neutres en temps de guerre sur mer, que d’éminents professeurs américains de Droit international tels que Jessup , Borchard et Charles Warren ont publié dans l’American Journal of International Law de juillet 1939, en même temps qu’un exposé des motifs qui présente une excellente vue d’ensemble de l’état actuel des opinions. L’article 54 de ce projet correspond littéralement au texte de l’accord de Londres de 1936, avec une exception caractéristique : l’expression « navire marchand » est remplacée par « navire non armé ». L’article suivant continue :
« Dans leur action à l’égard des navires marchands ennemis armés, les navires de guerre belligérants de surface ou sous-marins, ainsi que l’aviation militaire des belligérants, observent les règles applicables à leur action à l’égard des vaisseaux de guerre ennemis. »
Cette conception se fonde avant tout sur l’évolution historique. Aux temps où l’armement des navires marchands était la règle, c’est-à-dire jusqu’au début du siècle précédent, il n’était pas question de protéger de quelque manière que ce fût le navire marchand contre l’attaque immédiate d’un navire de guerre ennemi. L’introduction de la cuirasse donna au navire de guerre une telle supériorité sur le navire marchand, que la résistance de ce dernier devint sans objet et qu’il cessa peu à peu d’être armé. C’est cette absence de moyens de défense en face du navire de guerre, et c’est elle seule, qui donna au navire marchand le privilège de ne pas être attaqué sans préavis par les armes des belligérants.
« Lorsque les navires marchands perdirent toute puissance de combat effective, ils furent légalement mis à l’abri des attaques sans avertissement. »
Cette immunité n’était jamais accordée au navire marchand comme tel, mais seulement au navire marchand inoffensif. A cela, Hyde, spécialiste américain de Droit international (Hyde, Droit international, 1922, volume II, page 469 ), ajoute en 1922, donc après la Conférence de Washington et la résolution Root, déjà citée, sur la guerre sous-marine :
« Les puissances maritimes n’ont jamais approuvé en principe qu’un navire marchand suffisamment armé pour détruire un navire de guerre quelconque soit à l’abri des attaques à vue, du moins lorsqu’il rencontre un croiseur ennemi de capacité défensive inférieure. »
Des causes juridiques et pratiques, après la signature de la Convention de Londres, et peu de temps avant le début de cette guerre, ont donc amené les autorités américaines déjà nommées à adopter le point de vue suivant lequel des navires marchands armés ne sont pas protégés contre les attaques sans avertissements. En même temps, on rejette comme inutilisable la vieille différence entre armement offensif et armement défensif. Comme on le sait, le secrétaire d’État américain, Lansing, a déjà, dans sa note aux Alliés du 18 janvier 1916, défendu le point de vue que tout armement d’un navire marchand rend sa capacité de combat supérieure à celle d’un sous-marin et porte donc le caractère d’un armement offensif (U .S., Foreign Relations, 1916, supplément, page 147 ).
Dans le cours ultérieur de la guerre mondiale, les États-Unis ont changé leur opinion en ce sens que la mise en batterie d’un canon à la poupe pouvait être considérée comme la preuve du caractère défensif de l’armement. Quelques conventions et projets internationaux ainsi que les juristes britanniques notamment, ont adopté ce point de vue, mais ce dernier ne satisfait pas la pratique de la guerre sur mer. D’abord, pendant cette guerre, des canons ont été montés d’avance sur un grand nombre de navires et, en principe, sur tous les vapeurs de pêche, à l’avant. Ensuite, les armes de défense contre avions du navire marchand, particulièrement dangereuses pour le sous-marin, se sont fréquemment trouvées sur le pont où elles étaient utilisables dans tous les azimuts. Il est donc impossible de faire une différence entre l’armement défensif et l’armement offensif en se basant sur la disposition des armes.
Par contre, ce qui importe, ce sont les ordres donnés et l’esprit avec lequel on devait utiliser ces armes. Peu après le début de la guerre, les ordres de l’Amirauté britannique sont tombés entre les mains des Allemands. Il m’a été possible, par décision du Tribunal, de les soumettre ici. Ils sont contenus, en partie, dans les « Ordres confidentiels pour la Flotte » et principalement dans le Manuel pour la défense des navires marchands. Ils ont été publiés en 1938. Il ne s’agit donc pas de mesures de représailles contre un procédé allemand illicite, mais au contraire ils avaient déjà été promulgués à un moment où, en Allemagne, après la Convention de Londres, la guerre sous-marine était la seule forme de guerre qui eût été envisagée. Les instructions démontrent, en outre, que tous les navires marchands britanniques agirent, dès le premier jour de la guerre, d’après les ordres de l’Amirauté britannique. Concernant la lutte contre les sous-marins, ils traitent les points suivants ;
1. Signalisation de repérage des sous-marins par télégraphie sans fil ;
2. Utilisation de l’artillerie de bord ;
3. Utilisation de grenades sous-marines. Ces instructions ont été complétées par un ordre transmis par radio le 1er octobre 1939 demandant d’éperonner tout sous-marin allemand.
D’après cette vue d’ensemble, il pourrait paraître superflu de parler de la valeur défensive ou offensive de tels ordres. Par contre, les ordres sur l’emploi de l’artillerie par les navires marchands font cette distinction : les canons doivent être employés défensivement aussi longtemps seulement que l’adversaire lui-même se tient aux prescriptions du Droit international. Ils ne doivent être employés d’une manière offensive qu’au moment où l’ennemi ne s’en tient plus aux termes de ce droit. Mais les ordres concernant l’utilisation pratique de ces directives démontrent qu’il n’y a, en fait, absolument pas de différence entre l’utilisation défensive et l’utilisation offensive. L’amiral Dönitz l’a expliqué dans le détail lors de son interrogatoire et je ne veux pas le répéter. En fait, le navire marchand avait, depuis le début de la guerre, l’ordre de tirer dans tous les cas sur tout sous-marin venant à la portée de ses canons, et c’est ainsi qu’ont agi les capitaines des navires marchands britanniques. On ne pourra certainement pas trouver la cause de cette attitude offensive dans le comportement des sous-marins allemands dans les premières semaines de la guerre, car le rapport du Foreign Office lui-même reconnaît que leur comportement a été correct. Par contre, la propagande britannique doit avoir eu une grande influence lorsque, après le torpillage par erreur de l’Athenia , le 3 septembre 1939, elle fit annoncer par Reuter, le 9 septembre, et maintint l’assertion de la guerre sous-marine à outrance bien que la manière d’agir des sous-marins allemands, dans les premières semaines de la guerre, réfutât ce reproche. Par la publication de l’ordre d’éperonner, donné le 1er octobre 1939 par l’Amirauté britannique, on communiqua de nouveau et officiellement à la navigation marchande que les sous-marins allemands ne s’en tenaient pas au Droit maritime en vigueur et que les navires marchands devaient agir en conséquence. Il me semble indifférent, dans cette question, de savoir qu’un complément écrit des ordres de l’Amirauté ne fut émis qu’au printemps 1940, car la guerre navale, de nos jours, n’est pas dirigée avec des lettres, mais avec des messages radiodiffusés. D’après ces ordres, les capitaines britanniques devaient déjà, à partir du 9 septembre, et au plus tard du 1er octobre 1939, mettre leurs canons en batterie, d’après le manuel de l’Amirauté sur les sous-malins allemands. Par contre, l’ordre allemand concernant l’attaque sans avertissement des navires marchands ennemis armés n’a été donné que le 4 octobre. Il était en tout cas justifié, même si l’on voulait reconnaître un traitement différent aux navires pourvus d’un armement défensif ou d’un armement offensif.
Les canons des navires marchands et les ordres pour leur utilisation n’étaient encore qu’une partie d’un vaste système visant à l’emploi à des fins militaires des navires marchands. Depuis la fin de septembre 1939 justement, les navires les plus rapides, qui étaient eux-mêmes les moins menacés par les sous-marins, et qui, d’un autre côté, étaient particulièrement aptes à la chasse aux sous-marins, reçurent des engins de lancement pour grenades sous-marines. Ce sont donc des armes qui nécessitent la recherche du sous-marin et qui doivent être considérées comme des armes typiquement offensives.
Ce qui avait une portée plus générale et constituait aussi un danger plus grand pour le sous-marin, c’était l’ordre de signaler tout navire ennemi, son type et sa position. Ce compte rendu devait comme le dit cet ordre, permettre d’exploiter une occasion, qui ne se représenterait plus jamais, de détruire l’ennemi par les propres forces maritimes ou aériennes. C’est là une utilisation évidente de tous les navires marchands à des fins militaires de renseignement dans le but de nuire directement à l’adversaire. Si l’on pense que, d’après la convention sur les navires-hôpitaux, même l’immunité d’un navire-hôpital cesse si celui-ci lance des renseignements de cette nature, alors on ne peut plus avoir de doutes sur les suites qu’une telle manière d’agir entraîne pour un navire marchand. Celui qui court la mer avec l’ordre et l’intention de donner, à chaque occasion qui se présente, des renseignements militaires sur l’ennemi à ses forces maritimes et aériennes, participe aux hostilités pendant toute la durée de sa course et n’a pas, d’après le compte rendu du Comité des juristes de 1930, le droit d’être reconnu comme navire marchand. Toute autre considération ne tiendrait pas compte de la menace directe que signifie le message par T.S.F, pour le navire signalé et qui l’expose souvent, peu de minutes après, à l’attaque de l’aviation ennemie.
Tous les ordres de l’Amirauté ont eu pour résultat que les navires marchands britanniques ont été — depuis le premier jour des hostilités — solidement intégrés dans le système de lutte mis sur pied par la Marine britannique contre les forces maritimes ennemies.
Ils étaient une partie du réseau de renseignements militaires de la Marine de guerre britannique et de l’Armée de l’air et leur équipement en canons et grenades sous-marines, l’instruction sur l’armement et les ordres relatifs à cette mise en œuvre relevaient de la Marine de guerre britannique.
Nous considérons comme impossible que l’on compte une telle flotte marchande, destinée et utilisée au combat, parmi les_ navires auxquels est accordée la clause de la Convention de Londres qui les protège contre le torpillage sans avertissement. Sur la base de cette conception, en corrélation avec l’armement rapidement complété de tous les navires marchands ennemis, on donne le 17 octobre 1939 l’ordre d’attaquer sans avertissement tous les navires marchands ennemis.
Je crois que nous pourrions nous en tenir là.
Monsieur le Président, je m’excuse de retenir le Tribunal, mais j’ai promis de parler au Tribunal de deux affidavits qui ont été demandés pour l’accusé Seyss-Inquart. Nous n’avons aucune objection à formuler. Je vous avais promis de vous communiquer ce renseignement aujourd’hui, Monsieur le Président. Je m’excuse de vous avoir retenu.