CENT QUATRE-VINGT-UNIÈME JOURNÉE.
Jeudi 18 juillet 1946.
Audience du matin.
J’informe le Tribunal que les accusés Hess, Ribbentrop et Fritzsche n’assisteront pas aux débats.
Messieurs, je me suis occupé hier, à la fin de mes explications, du reproche que le Ministère Public a adressé à l’accusé Schirach d’avoir éduqué la jeunesse du IIIe Reich dans l’esprit de la guerre, de l’avoir préparée à la conduite de guerres d’agression et d’avoir participé à une conspiration contre la paix. Je poursuis mon exposé en reprenant à la page 15 et m’attacherai maintenant à un autre reproche que le Ministère Public a adressé à l’accusé von Schirach.
Ne pouvant apporter la preuve que l’accusé Schirach se soit jamais prononcé, avant le début de la guerre, en faveur de la politique de guerre de Hitler, le Ministère Public lui reproche d’avoir eu diverses relations avec les SS et les SA, et le fait que la Jeunesse hitlérienne aurait constitué une pépinière aussi, bien pour les SS et les SA que pour le corps des chefs du Parti. Cette dernière affirmation est exacte mais ne prouve rien sur l’attitude de Schirach à l’égard de la politique de guerre de Hitler, et elle est sans importance également dans la question de la participation de l’accusé à un complot de Hitler en vue de la guerre. Car, s’il est vrai que 90% ou 95% ou plus encore, de la jeunesse allemande étaient groupés dans la Jeunesse hitlérienne, il était tout naturel que le Parti, aussi bien que les formations du Parti, reçussent toujours plus, d’années en années, les jeunes cadres de la Jeunesse hitlérienne, car pratiquement il n’existait plus d’autre jeunesse. Mais si l’Accusation renvoie à l’accord conclu en octobre 1938 (PS-2396) entre la Direction de la jeunesse et le Reichsführer SS au sujet du service des patrouilles de la Jeunesse hitlérienne, il n’en résulte pour l’Accusation absolument aucune conclusion, car le service de patrouille de la Jeunesse hitlérienne était une institution dont le seul but était de contrôler et de surveiller la discipline des membres de la Jeunesse hitlérienne en public ; c’était donc une sorte de police intérieure que la Jeunesse hitlérienne utilisait à l’égard de ses propres membres et d’eux seuls. Mais afin d’éviter toute difficulté avec la Police générale, un règlement en accord avec le Reichsführer SS Himmler était nécessaire, car celui-ci était chef de toute la Police en Allemagne, et l’institution du service de patrouille de la Jeunesse hitlérienne aurait pu créer des difficultés. C’est là le seul but de l’accord d’octobre 1936 qui, bien entendu, n’avait rien à voir avec la fourniture de jeunes cadres aux SS, pas plus qu’avec la conduite et la préparation de la guerre. Du reste, on peut voir à quel point Schirach s’est opposé à ce que des formations quelconques du Parti puissent acquérir de l’influence sur la Jeunesse hitlérienne : cela ressort clairement de la violente protestation qu’il a élevée, en 1938, contre le projet selon lequel les SA devaient être chargés de l’instruction des deux dernières classes de la Jeunesse hitlérienne, c’est-à-dire des jeunes de 16 à 18 ans. Il a opposé à ce plan un refus catégorique et obtenu, à la suite d’une entrevue personnelle avec Hitler, que l’ordre du Führer concernant cette question ne soit, en pratique, pas exécuté. Quant à son attitude vis-à-vis des SS, elle ressort du témoignage de Gustav Höpken qui a été entendu ici le 28 mai 1946. Et l’affidavit du témoin Maria Höpken (livre de documents Schirach n° 3) montre que Schirach avait toujours peur à Vienne d’être surveillé et mouchardé par les SS. Il se sentait toujours mal à l’aise depuis qu’on avait, au début de son activité à Vienne, placé à son côté un représentant permanent chargé des affaires du Reichstatthalter et du Commissaire à la Défense du Reich et, comme un fait exprès, en la personne d’un officier supérieur de SS, le Dr Delbrügge ; celui-ci, Schirach le savait bien, était en relation directe avec le Reichsführer SS, c’est-à-dire avec l’homme qui, en 1943, proposa à Hitler de faire écrouer Schirach pour défaitisme et de le faire traduire devant le tribunal populaire, donc pratiquement, de le faire pendre. Ces faits montrent déjà quels ont été les rapports réels de l’accusé Schirach avec les SS, et on comprendra alors que Schirach ait fini par renoncer à la prétendue protection du contingent de police qui lui était accordé et préféra faire assurer sa protection personnelle par une unité de la Wehrmadit qui n’était pas sous les ordres de Himmler. Je me réfère à ce propos à l’affidavit de Maria Höpken dans le livre de documents Schirach n° 3.
Un autre reproche a été fait à Schirach en raison de son attitude envers l’Église. A l’image de l’accusé Schirach telle qu’elle se dessine d’après ce qui a été dit jusqu’ici lors de la présentation des preuves, correspond aussi son attitude sur la question de l’Église. Il est vrai que ce point joue un rôle relativement de second plan dans l’Accusation, mais il paraît d’une grande importance pour le jugement de la personnalité de Schirach en tant qu’homme.
Schirach lui-même et sa femme étaient toujours restés fidèles à l’Église. Il est possible que l’observateur étranger ne voie dans cette circonstance qu’un détail secondaire, mais nous, Allemands, connaissons la pression qui a été exercée sur de hauts fonctionnaires du Parti dans des domaines semblables précisément, et nous savons que seul un petit nombre a osé s’opposer à une telle influence. Schirach était un de ceux-là.
Il était celui des hauts fonctionnaires du Parti qui, toujours et sans exception, sévissait rigoureusement lorsque des abus et des excès commis par la Jeunesse hitlérienne contre les Églises avaient été portés à sa connaissance. Il est vrai qu’on lui a reproché que des chansons aient parfois été chantées dans la Jeunesse hitlérienne qui contenaient des remarques déplaisantes dirigées contre les institutions ecclésiastiques, mais Schirach a pu, en toute conscience, confirmer ici sous la foi du serment qu’en général il n’avait pas eu connaissance de ces chansons, ce qui est facilement compréhensible puisqu’il s’agissait d’une organisation qui comprenait 7.000.000 où 8.000.000 de membres ; de plus,, certaines des chansons visées dataient du Moyen Âge et se trouvaient déjà dans le recueil de chansons du « Wandervogel », donc d’une ancienne organisation de jeunesse qui n’est certainement pas visée par le Ministère Public. Mais avant tout, Schirach a indiqué que de 1933 à 1936, plusieurs millions de jeunes qui sortaient d’un tout autre monde intellectuel sont venus à la Jeunesse hitlérienne et que dans les premières années de la révolution, c’est-à-dire dans la période du « Sturm und Drang » du mouvement, il était totalement impossible d’être tenu au courant de tous les abus de ce genre et de les empêcher. Là où Schirach a pu être informé ’de ces choses, il a réagi et fait cesser ces abus qui, dès le début, se présentaient uniquement comme des excès d’éléments isolés qui ne pouvaient cependant pas compromettre l’organisation de la jeunesse dans son ensemble.
Selon la conviction de Schirach, la présentation des preuves n’a pas laissé subsister de doutes sur l’attitude conciliante qu’il a eue dans la question de l’Église et sur ses efforts pour établir entre les Églises d’une part et le IIIe Reich et notamment la Direction de la jeunesse ’du Reich d’autre part, des rapports corrects basés sur l’estime réciproque et pour faire respecter les droits et compétences de chacune des parties. Sur sa propre demande, Schirach a participé, en 1934, sur l’intervention du ministre de l’Intérieur du Reich, à la conduite des négociations sur le Concordat avec l’Église catholique. parce qu’il espérait, grâce à sa coopération personnelle, obtenir plus facilement un accord avec elle ; il s’est efforcé honnêtement de trouver une formule permettant de régler la question de la jeunesse, formule sur laquelle un accord avec l’Église catholique aurait été possible ; sa modération et sa bonne volonté ont alors été ouvertement reconnues et, cela aussi, par les représentants de l’Église catholique ; mais tous ses efforts ont échoué finalement devant l’opposition de Hitler et la complication qu’amenèrent justement pour ces négociations les événements du 30 juin 1934, c’est-à-dire le putsch de Röhm.
Par contre, Schirach a réalisé un accord avec l’Église protestante, en la personne de l’évêque du Reich, le Dr Muller, de sorte que les organisations de jeunesse protestante n’ont pas été incorporées de force dans la Jeunesse hitlérienne, mais par la voie d’un accord commun. Il ne s’agissait donc pas de la destruction de ces organisations par l’État ou le Parti, comme le suppose l’Accusation, mais bien d’une action entreprise sur l’instigation du chef de l’Église et en plein accord avec lui.
Il faut souligner à ce propos que la politique de Schirach a toujours été d’éviter que la Direction de la jeunesse n’imposât jamais une restriction de la liberté religieuse à la jeunesse. Au contraire, comme Schirach l’a déclaré lui-même et comme l’a confirmé le témoin Lauterbacher, Schirach a déclaré expressément en 1937 qu’il laissait aux Églises le soin de former la jeunesse dans l’esprit de leur confession, et en même temps il a donné l’ordre qu’en principe aucun service de la Jeunesse hitlérienne ne soit fixé aux heures du service religieux des dimanches ; il a donné des instructions sévères aux chefs d’unités de la Jeunesse hitlérienne pour ne troubler en aucune façon le service religieux du dimanche par une obligation de leurs formations. S’il est vrai que des empêchements se sont produits dans des cas isolés et ont fait l’objet de plaintes de la part des autorités ecclésiastiques, comme l’a montré le contre-interrogatoire, cela ne peut être mis à la charge de l’accusé et ne change rien non plus aux bonnes intentions qu’il a eues.
De même, on n’a pas pu établir un seul cas où il aurait prononcé des paroles blessantes à l’égard de l’Église ou employé des expressions hostiles à la religion ; au contraire, dans bon nombre de manifestations, qui ont été présentées au Tribunal dans le livre de documents von Schirach, il a non seulement, à maintes reprises, réfuté le reproche selon lequel la Jeunesse hitlérienne était hostile à l’Église ou athée, mais il a, en fait, incité sans relâche les chefs et les membres de la Jeunesse hitlérienne à remplir leur devoir envers Dieu ; il ne tolérait personne au sein de la jeunesse qui ne crût en Dieu ; tout pédagogue véritable devait, selon lui, être en même temps un éducateur du sentiment religieux, base de toute activité éducatrice ; le service dans la Jeunesse hitlérienne et la conviction religieuse pouvaient très bien être liés et subsister l’un à côté de l’autre ; le chef de la Jeunesse hitlérienne ne devait pas introduire de conflits de conscience dans son groupe. Un congé devait être accordé aux membres de la Jeunesse hitlérienne pour la pratique des devoirs religieux, des exercices, etc.
Celui qui donne de telles directives à ses subordonnés et les répète toujours inlassablement peut revendiquer pour lui de ne pas être condamné comme ennemi de l’Église et de la vie religieuse. A ce point de vue, il est d’ailleurs intéressant de savoir ce qu’un critique sérieux comme Nevile Hendersoh a écrit dans son livre, bien des fois cité, Failure of a Mission , au sujet d’un discours qu’il a entendu de la bouche même de Schirach le jour du congrès du Parti, en 1937, et qui figure en extraits dans le livre de documents de Schirach. Henderson qui, comme ambassadeur à Berlin, connaissait parfaitement les affaires allemandes, s’attendait franchement à ce que Baldur von Schirach parlât au congrès du Parti contre l’Église et influençât la jeunesse dans un esprit d’hostilité à l’Église ainsi que le faisaient parfois d’autres chefs du Parti. Henderson a écrit, et je cite textuellement deux de ses phrases :
« Ce jour-là, cependant, ce fut le discours de Schirach qui m’impressionna le plus, bien qu’il fût très bref. Une partie de ce discours me surprit, lorsqu’il harangua les jeunes en disant : « Je ne « sais pas si vous êtes protestants ou catholiques, mais ce que je sais, « c’est que vous croyez en Dieu ». Et Henderson ajoute : « J’avais autrefois l’impression que tout ce qui touchait à la religion avait été détruit dans la Jeunesse hitlérienne, mais ces affirmations de Schirach semblaient contredire mon opinion. » (Document Sdùrach-83.)
Ce que Schirach pensait vraiment au point de vue religieux et le sens dans lequel il influençait la jeunesse n’ont pas seulement été prouvés par les paroles qu’il a prononcées incidemment un jour à Ordensbûrg-Sonthofen, dans un discours qu’il a fait aux instructeurs des écoles Adolf Hitler, lorsqu’il disait que le Christ était le plus grand meneur de foules de l’Histoire du monde, mais aussi, dans le même ordre d’idées, par le petit livret portant le titre Cadeau de Noël du service d’assistance pendant la guerre qui vous a été présenté comme preuve ; ce livre expédié au front en grosse quantité, était dédié par Schirach en 1944 aux soldats du front, membres de la Jeunesse hitlérienne, donc à une époque où l’absolutisme en Allemagne pouvait difficilement se développer encore dans tous les domaines. Là aussi Schirach faisait une exception : dans le livre du Reichsleiter von Schirach, vous ne trouvez ni croix gammée, ni portrait de Hitler, ni chanson SA ; par contre et entre autres, vous y trouvez une poésie d’inspiration nettement chrétienne de la plume de Schirach lui-même ; l’image d’une madone, la reproduction d’une toile de van Gogh qui, comme vous le savez, était strictement banni du IIIe Reich ; au lieu de paroles de provocation, nous trouvons une exhortation à penser de manière chrétienne, ainsi que la copie de la prière de Wessobrunn, dont on sait qu’elle est la plus ancienne prière de langue allemande. Bormann devint furieux lorsqu’il vit le petit livre, mais Schirach tint bon, refusant de le retirer ou d’y apporter des modifications.
On a reproché à l’accusé von Schirach d’avoir malgré tout commis une action hostile à l’Église et, en conséquence, d’avoir participé à la persécution de l’Église ; il résulte d’une lettre du ministre Lammers, datée du 14 mars 1941 (R-146), que Schirach avait proposé de garder au profit des Gaue les fortunes confisquées au lieu de les attribuer au Reich ; mais ce cas-là ne justifie nullement l’accusation portée contre lui d’avoir persécuté l’Église. Dans ce cas, présenté par le Ministère Public, il ne s’agit nullement des biens appartenant à l’Église, mais des biens d’un prince Schwarzenberg, qui avaient été confisqués dans son palais à Vienne ; cette affaire n’avait donc rien à voir avec l’Église ; c’est ce que confirme nettement la lettre du ministre Lammers du 14 mars 1941 (R-146), qui parle exclusivement d’un « séquestre de biens appartenant à des ennemis de l’État et du peuple allemand ». Les intentions personnelles de Bormann, qui vont plus loin et trahissent sa tendance anticléricale ressortent d’une lettre d’envoi datée du 20 mars 1941, dans laquelle il parle de « biens des Églises, des couvents, etc. » Du reste, la confiscation des biens du prince Schwarzenberg n’a été ni suggérée, ni demandée, ni exécutée par Schirach lui-même. En soi, cette affaire ne l’intéressait pas, mais en accord avec d’autres Gauleiter de l’Autriche et sur leur demande, il s’est adressé à Hitler lui-même en le priant de laisser ces fortunes à Vienne au lieu de les transférer dans le Reich pour les y utiliser. Schirach a obtenu entière satisfaction à ce sujet. Hitler a fait droit à sa demande et Schirach a ainsi réussi à faire rendre à leur propriétaire légal les biens dont la saisie avait par la suite été levée : ces biens, autrement, auraient été perdus pour lui. Schirach a sans doute bien mérité du Gau de Vienne et de la personne qui était le propriétaire de la fortune saisie. Ce cas ne peut donc pas être imputé à l’accusé, mais il milite au contraire en sa faveur. Il en va de même lorsque Schirach, évitant Bormann, s’est interposé pour défendre le sort de religieuses autrichiennes ; il réussit, grâce à un ordre direct de Hitler, à arrêter en un seul jour toute l’action qui tendait à confisquer les biens des églises et des couvents.
Mais si le Ministère Public veut reprocher à l’accusé le fait pour les services viennois placés sous ses ordres d’avoir eu l’intention en 1941 d’établir une école Adolf Hitler dans le couvent de Kiosterneuburg, il faut attirer l’attention sur le fait suivant : déjà avant la procédure de confiscation entreprise contre ce couvent, qui était entièrement indépendante de von Schirach, la police de Vienne et divers tribunaux de la ville avaient constaté que de sérieux actes criminels avaient été commis dans ce couvent ; une réquisition partielle du couvent semblait tout à fait justifiée à Schirach, car les salles très vastes n’étaient nullement nécessaires à ses exigences. Enfin, il faut tenir compte aussi du fait que le couvent n’avait pas fait opposition auprès du ministre de l’Intérieur du Reich : il reconnaissait donc que la réquisition était légale, car l’ordre de réquisition indiquait expressément la marche à suivre pour faire opposition. Du reste, plus tard, les salles réquisitionnées ont servi non pas à l’établissement d’une école Adolf Hitler, mais à l’installation d’un musée de l’histoire de l’art. Ce n’était donc pas une installation dépendant du Parti, ce qui prouve encore que l’ordre de réquisition n’était nullement dû aux sentiments anticléricaux de von Schirach. Car si Schirach avait eu l’intention de frapper le couvent sous prétexte que c’était une institution religieuse, il aurait aussi réquisitionné les locaux servant à l’exercice du culte. Mais il a expressément exclu ces locaux de la réquisition. Du reste, en appréciant ce cas, il faut noter que la justification de l’ordre de réquisition daté du 22 février 1941, présentait une réserve remarquable : l’ordre se bornait à justifier la réquisition par le fait que, d’une part la ville de Vienne avait un besoin urgent de locaux et que, d’autre part, les locaux réquisitionnés étaient superflus pour les besoins du couvent ; aucun mot ne mentionne que des actes criminels eussent été perpétrés dans le couvent, comme l’avait annoncé le rapport de police du 23 janvier 1941, qui est entre vos mains. Si la réquisition avait été le fruit d’une attitude anticléricale de Schirach, on peut présumer que dans la justification de la réquisition on se serait référé d’une façon quelconque à ces infractions. D’ailleurs, sur l’ordre de Schirach, une allocation mensuelle a été payée aux ecclésiastiques qui avaient utilisé quelques-uns des locaux réquisitionnés, allocation pour laquelle il n’existait, de la part de l’État, aucune espèce d’engagement.
De l’attitude de l’accusé Schirach à cette époque, il ne résulte donc aucune espèce de tendance hostile à l’Église, notamment si, pour apprécier cette attitude, on considère qu’au cours de ces années un Reichsleiter se trouvait soumis à une forte pression de la part de la chancellerie du Parti et de la part de Bormann, et qu’il fallait une importante dose de courage pour résister à cette pression et mener une politique opposée à celle de Berlin.
Le témoin viennois Wïeshofer, qui avait l’occasion d’observer l’activité de Schirach, nous a affirmé qu’à Vienne, Schirach s’est toujours efforcé de rétablir des relations correctes avec l’Église, d’écouter toujours attentivement les griefs du cardinal Innitzer et de s’opposer violemment aux excès de quelques membres ou chefs de la Jeunesse hitlérienne. Il a donc poursuivi à Vienne une politique religieuse tout autre que ne l’aurait désiré son prédécesseur, le radical Bürckel, et l’on ne peut douter que les milieux ecclésiastiques et toute la population viennoise n’aient considéré avec reconnaissance l’attitude de Schirach envers l’Église catholique. Cela aussi sera confirmé par le témoin Gustav Höpken qui, sur l’ordre de Schirach, avait des entretiens réguliers avec un théologien de Vienne, le doyen et professeur Ens, afin de pouvoir faire connaître à l’accusé Schirach les désirs de l’Église et les différends soulevés avec les institutions religieuses. Comme le décrit également l’affidavit de Maria Höpken, livre de documents Schirach n° 3, Schirach ne pouvait en faire davantage étant donné les conditions politiques déterminantes, s’il ne voulait pas s’exposer lui-même à de très graves dangers.
J’en viens maintenant à la question des camps de concentration. L’Accusation a mêlé l’accusé von Schirach aux camps de concentration non point, il est vrai, dans l’Acte d’accusation, mais au cours de la production des preuves, et on a demandé au témoin Aloïs Hôllriegi, entendu à la barre, si Schirach ne s’était pas rendu une fois au camp de concentration de Mauthausen. Il faut remarquer ici que l’accusé von Sdurach a déjà admis qu’il avait fait une visite à Mauthausen, au cours de son interrogatoire par le Ministère Public américain avant l’ouverture du Procès ; il eût donc été tout à fait inutile de prouver encore cette visite par le témoignage de Hôllriegi. Sa visite au camp de Mauthausen a eu lieu en 1942 et non point en 1944 comme l’a dit à tort le témoin Marsalek ; l’année 1942 a été confirmée par le témoin Hôllriegi et aussi par les témoins Höpken et Wieshofer, de la bouche de qui nous avons entendu qu’après 1942 Schirach n’a plus visité à un moment quelconque aucun camp de concentration. Mais la visite à Mauthausen de 1942 ne peut être imputée à l’accusé Schirach en ce sens qu’il aurait, de ce fait, connu, approuvé, ou même soutenu toutes les conditions et les atrocités des camps de concentration. Il n’a rien vu à Mauthausen, en 1942, qui eût pu indiquer de tels crimes. En 1942, les chambres à gaz et autres installations n’existaient pas encore à Mauthausen, des exécutions en masse n’y avaient alors pas encore eu lieu. Les indications de l’accusé von Schirach sur ses impressions dans ce camp apparaissent parfaitement dignes de foi, parce que les dépositions de nombreux témoins qui ont été entendus dans ce Procès confirment sans cesse que lors de ces visites officielles annoncées à l’avance, tout a été soigneusement préparé pour ne montrer aux visiteurs que ce qui n’avait pas à craindre la publicité. Les atrocités et les tortures étaient dissimulées, lors de ces visites officielles, exactement de la même manière que les exécutions arbitraires ou les expériences cruelles. Il en a été ainsi à Mauthausen en 1942, et à Dachau en 1935, où Schirach et les autres visiteurs n’ont vu que des conditions normales et qui, à un observateur superficiel, paraissaient presque meilleures que dans certaines prisons ordinaires. Par conséquent, Schirach a seulement su qu’il existait en Allemagne depuis 1933 quelques camps de concentration dans lesquels on internait, à son avis, des récidivistes et des détenus politiques. Aujourd’hui non plus, Schirach ne peut croire que la seule connaissance de l’existence des camps de concentration constitue à elle seule déjà un crime punissable, puisqu’il n’avait jamais rien fait pour favoriser les camps de concentration, ne s’était jamais prononcé en faveur de cette institution et n’avait envoyé personne dans un camp de concentration. Mais il n’aurait pas non plus eu la possibilité de changer quelque chose à cette institution ou d’empêcher l’existence de ces camps de concentration. Pour ce faire, l’influence de Schirach n’a jamais été suffisante. En tant que chef de la jeunesse du Reich, il n’avait naturellement rien à voir avec les camps de concentration, et heureusement pour Schirach aucun camp de concentration ne se trouvait dans tout son Gau de Vienne. Tous ses rapports avec les camps de concentration se sont donc limités à s’efforcer toujours davantage de faire libérer des internés, et il est également caractéristique qu’il a aussi utilisé son unique visite au camp de Mauthausen pour intervenir en faveur des Viennois qui y étaient incarcérés et obtenir leur libération.
Messieurs, je n’entrerai pas ici dans des détails qui ont joué un rôle plus ou moins important dans la production des preuves du cas Schirach. Afin d’économiser du temps, je ne m’occuperai pas des prétendus rapports de Schirach avec Rosenberg ou Streicher, ni de sa prétendue coopération au programme du travail forcé, pour laquelle on n’a pu prouver la moindre participation de l’accusé, non plus que d’une conversation téléphonique que l’un des fonctionnaires de Vienne est supposé avoir eue avec un SS-Standartenführer sur le travail obligatoire des Juifs, et que Schirach a toujours ignorée. Je ne ferai ici qu’une brève remarque à propos d’un sujet qui a été spécialement traité à propos de l’affaire Rosenberg. Je veux parler de la « Heu-Aktion », de l’action « foin ». Il s’agit, de cette fameuse action qui avait pour but de rassembler des milliers d’enfants dans les zones de combat de l’Est pour les évacuer en partie sur la Pologne, en partie sur l’Allemagne. Dans la mesure où Schirach a pu en conclure des documents qui ont été déposés, cette action avait vraisemblablement pour but de rassembler les enfants qui erraient sans parents sur les arrières du front, de leur donner une occupation et un apprentissage, afin de les préserver de tout abandon physique et moral. L’accusé Schirach doute que ce fait puisse être qualifié de crime de guerre ou de crime contre l’Humanité ; un fait demeure : il n’a rien su de cette intention. A l’époque il n’était nullement compétent en la matière ; c’était plutôt l’affaire du groupe d’armées du Centre et du ministère de l’Est, et on doit simplement admettre que le ministère aussi bien que le groupe d’armées du Centre ne se sont pas adressés au Gauleiter de Vienne pour lui demander son accord sur cette action ou simplement pour l’en informer. La seule chose qui avait trait peut-être à cette « Heu-Aktion », dont Schirach eût été informé plus tard, était une communication fortuite d’Axmann, le nouveau chef de la jeunesse allemande, signalant qu’il avait envoyé comme apprentis un certain nombre de milliers de ces enfants aux usines Junker à Dessau, L’accusé Schirach a accordé une grande importance à l’éclaircissement de cette affaire, après son départ de la Direction de la jeunesse allemande, parce qu’il désirait, bien entendu, que rien ne fût entrepris contre la jeunesse.
Je me permettrai d’ajouter encore une autre remarque à propos de la lettre que l’accusé Schirach a envoyée de Vienne au Reichsleiter Bormann après l’assassinat de Heydrich, dans laquelle il lui proposait à titre de représailles, une attaque terroriste sur une ville d’art anglaise. L’accusé a effectivement envoyé cette lettre à Bormann et pris ce parti, mais je dois de prime abord attirer votre attention sur le fait que cette intention n’a heureusement jamais été réalisée. L’accusé nous a expliqué qu’il lui était clairement apparu, sous l’impression causée par l’attentat sur Heydrich, qu’un soulèvement de la population en Bohême aurait pu amener une catastrophe pour l’Armée allemande qui combattait en Russie ; c’est pourquoi il a considéré de son devoir de Gauleiter de Vienne de prendre des mesures pour protéger les arrières de l’armée allemande de Russie. Ainsi s’explique ce télégramme de 1942 adressé à Bormann, document PS-3877, qui, comme je viens de le préciser, est heureusement resté sans effet.
J’en reviens, Messieurs, à la page 26 de mon exposé. Je ne m’occuperai pas non plus en détail des écoles Adolf Hitler fondées par Schirach, non plus que de la Cinquième colonne qui entra en contact d’une façon quelconque avec la Jeunesse hitlérienne, sans que l’on ait pu prouver quelque chose de certain contre l’accusé. Je ne m’attarderai pas non plus sur les efforts de paix répétés entrepris par l’accusé Schirach et son ami, le Dr Colin Ross, ni sur les mérites de l’accusé qui a envoyé des millions d’enfants à la campagne au cours de la guerre, en les enlevant des régions rendues dangereuses par les bombardements pour les mettre dans des lieux plus tranquilles et leur sauver ainsi la vie et la santé.
L’accusé von Schirach s’est déjà personnellement et longuement expliqué sur ces questions ; je me contenterai à ce sujet de vous renvoyer à ses propres explications.
Je m’occuperai maintenant en détail d’un seul problème, l’attitude de Schirach à propos de la question juive. Il nous a également expliqué ce que l’antisémitisme signifiait pour lui pendant ces années. Il pensait à l’exclusion des Juifs de la fonction publique et à la diminution de l’influence juive dans la vie culturelle et, peut-être aussi, dans une certaine mesure dans la vie économique. Mais c’est à cela que devait se borner tout ce qui, à son avis, devait être entrepris contre les Juifs ; et cela correspondait exactement à la proposition tendant à l’introduction d’un numerus clausus , qu’il avait déjà faite à l’Union des étudiants. Son décret sur le traitement de la jeunesse juive, par exemple, que je vous ai présenté sous le numéro Schirach-136, est également d’importance pour apprécier son attitude. Ce décret stipule expressément que les organisations de jeunesse juives devaient avoir le droit et la possibilité de poursuivre une activité libre dans leur domaine ; elles ne devaient pas être troublées dans leur propre activité.
« Les Juifs » — je cite — « doivent dès aujourd’hui prendre au sein de la jeunesse la place spéciale, isolée et indépendante en soi que tous les Juifs occuperont un jour dans l’État allemand et dans l’économie allemande ». Il est donc évident que Schirach ne pensait pas du tout à des pogroms, à des persécutions sanglantes des Juifs, etc. Il croyait tout d’abord que, par les mesures légales prises contre les Juifs pendant les années 1933-1934, le mouvement antisémite avait déjà atteint son but. Il croyait que l’influence juive, pour autant qu’elle lui parût malsaine, était ainsi écartée. C’est pourquoi il a été surpris et profondément touché lorsque les lois de Nuremberg ont été promulguées en 1935. Ces lois faisaient des Juifs des réprouvés et elles ont été appliquées avec une cruauté barbare. Schirach n’a, en aucune manière, participé à ces projets de lois ; il n’a absolument rien eu à voir avec le fond et la forme de ces lois. Son indignation était connue dans toute la jeunesse lorsque, le 10 novembre, il a appris la nouvelle des pogroms et des excès cruels qui avaient été mis en scène par Goebbels et sa clique fanatique. L’exposé des preuves nous l’a montré. Nous avons entendu le témoin Lauterbacher décrire comment Schirach a réagi lorsqu’il a appris ces excès : il a immédiatement convoqué ses collaborateurs et leur a enjoint, de la manière la plus catégorique, d’empêcher la Jeunesse hitlérienne de participer, sous quelque prétexte que ce soit, à de telles actions. Il a fait avertir par téléphone, dans ce sens, les chefs de la Jeunesse hitlérienne dans toutes les villes allemandes, et a menacé de rendre responsables personnellement tous ses subordonnés au cas où des excès quelconques devaient se produire dans la Jeunesse hitlérienne.
Mais, même après novembre 1938, Schirach n’a jamais pensé à la possibilité d’un projet de Hitler envisageant l’extermination des Juifs. Tout ce qu’il entendait dire, c’était plutôt que les Juifs devaient être évacués d’Allemagne et transférés dans d’autres pays, qu’ils devaient être déportés en Pologne, que là-bas ils seraient, au pis aller, placés dans des ghettos, mais plus vraisemblablement dans des colonies fermées. Lorsqu’on juillet 1940 Schirach a reçu de Hitler l’ordre de prendre la direction du Gau de Vienne, Hitler lui-même a parlé dans le même sens ; il a déclaré qu’il ferait transférer les Juifs de Vienne dans le Gouvernement Général et, aujourd’hui encore, Schirach ne doute pas qu’à ce moment-là, en 1940, Hitler ne pensait pas encore à la solution dite finale de la question juive. Nous voyons d’après les notes de Hossbach et d’autres preuves produites au cours de ce Procès, qu’il est vrai que Hitler envisageait déjà en 1937 la déportation en Pologne, mais qu’il n’a décidé l’extermination du peuple juif qu’en 1941 ou 1942.
Schirach n’a absolument rien eu à voir avec l’évacuation des Juifs de Vienne, que le Ministère Public met à sa charge ; l’exécution de cette mesure a exclusivement été confiée à l’Office principal de la sécurité du Reich et à son service régional de Vienne. On sait que le SS-Sturmführer Dr Brunner de Vienne vient d’être condamné à mort pour cela. Le seul ordre concernant les Juifs de Vienne que Schirach ait reçu et exécuté se bornait à rendre compte à Hitler, en 1940, du nombre de Juifs qui se trouvaient encore à Vienne. Il a soumis ce rapport dans une lettre de décembre 1940, dans laquelle il évaluait à 60.000 le nombre de Juifs qui se trouvaient à Vienne en 1940. On sait que le ministre Lammers a répondu à cette lettre de l’accusé Schirach par une lettre du 3 décembre 1940 (PS-1950), dont il ressort en toute clarté que ce ne fut pas Schirach qui ordonna le transfert des Juifs de Vienne dans le Gouvernement Général, mais bien Hitler lui-même, et que ce ne fut pas non plus Schirach qui exécuta cette mesure, mais le Reichsführer SS Himmler qui en chargea son service de Vienne. Il doit donc être constaté ici avec la plus grande netteté que Schirach n’est en aucune manière responsable de la déportation des Juifs de Vienne ; il n’a ni mené, ni engagé cette action. Lorsqu’au cours de l’été 1940 il est venu à Vienne en qualité de Gauleiter, la plus grande partie des Juifs de Vienne avaient déjà volontairement émigré ou avaient été évacués de force, ce qui, d’ailleurs, a été confirmé par l’accusé Seyss-Inquart. Les 60.000 Juifs environ qui se trouvaient encore à Vienne au commencement du séjour de Schirach dans cette ville ont été déportés par les SS sans sa participation et sans sa responsabilité.
Malgré cela, Schirach a prononcé le fameux discours de Vienne de septembre 1942 (PS-3046), dans lequel il déclarait que chaque Juif agissant en Europe constituait un danger pour la culture européenne. Il disait, en outre, dans ce discours, que si l’on voulait lui faire le reproche d’avoir transféré de cette ville, qui avait été jadis la métropole du judaïsme, des dizaines de milliers de Juifs dans le ghetto oriental, il répondrait alors qu’il voyait là une contribution active à la culture européenne. Schirach a ouvertement et courageusement avoué qu’il s’était alors en effet exprimé dans ce sens, et il a déclaré ici dans un esprit de contrition : « Je ne peux pas faire que ces paroles n’aient pas été prononcées. Je dois en répondre, je les ai dites et je les regrette sincèrement ».
Si le Tribunal veut voir, dans ces paroles, un crime contre l’Humanité qui doit être puni par la loi, alors Schirach doit subir le châtiment que mérite cette seule déclaration antisémite qu’on puisse lui reprocher même si, à l’époque, il s’en est tenu à de simples paroles, et même si ces paroles n’ont jamais causé de dommages. Mais ce point de vue que Schirach a adopté ici ne dispense pas le Tribunal de l’obligation de vérifier, en toute conscience, ce que l’accusé a vraiment fait, comment il est parvenu à formuler cette déclaration isolée et, enfin, si Schirach a exprimé d’autres sentiments de haine pour les Juifs ou a participé à de quelconques actions hostiles aux Juifs. La première question est de savoir ce que Schirach a vraiment fait. La seule réponse à cette question est la suivante : d’après les éléments qui résultent de ce Procès et si l’on fait abstraction du fait qu’il a exprimé cette remarque isolée hostile aux Juifs, en septembre 1942, il n’a commis absolument aucun crime contre les Juifs. Il n’était pas compétent dans la question de la déportation des Juifs de Vienne ; il n’y a aucunement participé et il n’aurait pu l’empêcher en aucun cas avec ses pouvoirs limités. C’est bien ainsi que le Ministère Public s’est exprimé à l’occasion. Schirach s’est vanté à l’époque d’une action qu’en réalité il n’a jamais commise et que toute son attitude ne lui aurait jamais permis de commettre.
Mais comment Schirach en est-il venu tout de même à cette déclaration ? Comment en est-il arrivé à s’attribuer une action et à se déclarer coupable d’une opération qu’il n’avait nullement commise ? Là aussi, la réponse résulte de la présentation des preuves : grâce à ces preuves, nous savons que Schirach occupait à Vienne une situation particulièrement difficile : Hitler venait de lui enlever ses fonctions de chef de la jeunesse du Reich, mais sans donner de raison et, apparemment, parce qu’il n’avait plus confiance en lui. Hitler craignait de plus en plus, avec les années, de voir se ranger derrière Schirach la jeunesse qui lui devenait, à lui Hitler, de .plus en plus étrangère à mesure que la muraille noire de ses SS le séparait du peuple. Peut-être Hitler voyait-il dans son chef de la Jeunesse l’incarnation de la génération montante, qui pensait universellement, avait des sentiments humains, et se sentait liée d’une façon toujours croissante aux notions de morale que Hitler avait depuis longtemps jetées par-dessus bord pour lui-même et son Gouvernement parce qu’elles n’étaient plus depuis longtemps pour lui des notions de morale réelle, mais seulement des slogans d’une propagande creuse. Ce sentiment de Hitler a peut-être été la raison profonde pour laquelle soudain, au cours de l’été 1940, il a destitué Schirach de son poste de chef de la jeunesse sans un mot d’explication, et l’a envoyé à Vienne occuper le poste difficile de Gauleiter, dans cette ville que son cœur haïssait alors que sa bouche parlait de la patrie autrichienne. A Vienne, la situation de Schirach a été extrêmement délicate ; on surveillait et espionnait ses moindres gestes ; on y critiquait toujours avec acharnement son activité administrative, on lui reprochait de ne se préoccuper nullement du Parti à Vienne, de n’apparaître presque jamais aux réunions du Parti et de ne point faire de discours politiques. Je vous renvoie à l’affidavit de Maria Höpken, dans le livre de documents Schirach n° 3. On saisissait avec empressement tout grief sur le nouveau Gauleiter qui, émanant des membres viennois du Parti, parvenait à la chancellerie du Parti à Berlin. Et ce n’est qu’ainsi qu’on peut expliquer que Schirach ait tenu le discours malheureux de septembre 1942, qui est diamétralement opposé à l’attitude qu’il a adoptée toute sa vie sur la question juive. Il ne peut subsister aucun doute sur la façon dont le discours de Vienne est né, après l’interrogatoire du témoin Gustav Höpken, que nous avons entendu ici ; car il en ressort que Schirach a chargé à l’époque son attaché de presse Gùnther Kaufmann de téléphoner ce détail particulier de son discours de Vienne au DNB (Deutsches Nachrichtenbùro) de Berlin, parce que Schirach « devait faire sur ce point une concession à Bormann ». Schirach lui-même a déclaré lors de son propre interrogatoire que par fausse loyauté il s’était moralement identifié à cette action de Hitler et de Himmler.
Ce fâcheux discours de septembre 1942 est pourtant, dans un autre sens, en faveur de Schirach : Schiraeh y parle d’une « déportation des Juifs dans les ghettos de l’Est » ; si Schirach avait su à l’époque que les Juifs étaient emmenés de Vienne pour être assassinés dans un camp d’extermination, il n’aurait certainement pas parlé d’un ghetto de l’Est, mais étant donné le but qu’il poursuivait en prononçant ce discours, il aurait annoncé l’extermination des Juifs de Vienne ; toutefois, même alors, c’est-à-dire à l’automne de 1942, il était encore loin de se douter que Hitler voulait assassiner les Juifs. Il ne l’aurait jamais approuvé ni reconnu ; son antisémitisme n’est jamais allé aussi loin.
Schirach a déclaré très franchement ici qu’à l’époque il trouvait que le plan de Hitler consistant à installer les Juifs en Pologne était juste, et cela non par haine des Juifs, mais en jugeant, de façon bien compréhensible, que dans les circonstances d’alors il était peut-être préférable, dans leur propre intérêt, qu’ils quittassent Vienne pour aller en Pologne ; car, de toute façon, tant qu’aurait duré le régime hitlérien, les Juifs n’auraient pas pu demeurer à Vienne où ils auraient été exposés à des persécutions toujours plus rigoureuses. Comme Schirach l’a exposé le 24 mai 1946, il lui semblait possible, « étant donné le caractère de Goebbels », que des actes comme ceux de novembre 1938 se reproduisissent du jour au lendemain ; devant cette insécurité juridique, il ne pouvait concevoir que la population juive continuât à vivre en Allemagne. Il estimait que les Juifs seraient plus à l’abri dans une colonie fermée du Gouvernement Général qu’en Allemagne ou en Autriche où ils étaient à la merci des sautes d’humeur du ministre de la Propagande, qui était en Allemagne le principal représentant de l’antisémitisme. Schirach ne se faisait aucune illusion à ce sujet. Il ne pouvait pas ne pas reconnaître ce fait évident que dans le IIIe Reich le cours de la politique antisémite deviendrait de jour en jour plus radical, plus fanatique et plus violent encore.
Cette conception du discours de Vienne de septembre 1942 et de la cause véritable qui est à son origine coïncide avec l’exposé que Schirach a fait au cours de la séance du conseil municipal de la ville de Vienne le 6 juin 1942 (PS-3886). Schirach y déclara que tous les Juifs auraient évacué la ville à la fin de l’été ou au cours de l’automne de la même année. Elle coïncide également avec la notice du Reichsieiter Bormann en date du 2 octobre 1940 (URSS-142), selon laquelle Schirach avait fait remarquer au cours d’un entretien qui avait eu lieu dans les appartements de Hitler, qu’il avait encore à Vienne plus de 50.000 Juifs dont le Gouverneur Général de Pologne devrait le débarrasser. Cette remarque s’explique par la situation sans issue dans laquelle se trouvait alors Schirach ; d’un côté, Hitler insistait de plus en plus pour que les Juifs fussent évacués de Vienne, de l’autre côté, le Gouverneur Général Frank se refusait à accepter les Juifs de Vienne dans le Gouvernement Général. Ce dilemme était évidemment la raison qui déterminait Schirach à mettre la question sur le tapis au cours de la rencontre du 2 octobre 1940 que j’ai déjà mentionnée, car il s’agissait pour lui de ne pas être l’objet de constants reproches de la part de Hitler. Il n’avait lui-même aucun intérêt à la déportation des Juifs viennois, et c’est ce que montre également la conversation qui a eu lieu entre Schirach et Himmler en novembre 1943 et que Gustav Höpken nous a rapportée. Je fais une courte remarque à ce propos : au cours de cette conversation avec Himmler, Schirach a déclaré qu’il estimait qu’on pouvait laisser les Juifs vivre tranquilles à Vienne, d’autant qu’ils portaient l’étoile de David. Telle est l’expression que Schirach a employée au cours de la conversation rapportée par le témoin Höpken.
Je continue. Hitler exigea cette mesure et Himmler insista pour qu’elle fût exécutée.
Le Ministère Public a cru, d’autre part, pouvoir reprocher à l’accusé Schirach une seconde déclaration antisémite : il s’agit d’un discours qu’il aurait tenu à Heidelberg à l’occasion d’un rassemble^ ment d’étudiants à la fin de 1938, donc avant le début de 1939. Il aurait alors montré, de l’autre côté du Neckar, la ville universitaire de Heidelberg dans laquelle plusieurs synagogues calcinées constituaient un témoignage muet de l’activité antisémite des étudiants de Heidelberg, et le « petit chef des étudiants du Reich, avec son embonpoint » — comme on l’a dit textuellement — aurait approuvé et exalté comme un haut fait les pogroms contre les Juifs, du 9 novembre 1938. Ce grief se fonde sur l’affidavit d’un certain Grégor Ziemer, qui a été déposé (PS-2441). Il ne peut pourtant y avoir aucun doute : cette déclaration de Ziemer est fausse. Ziemer n’a jamais appartenu au mouvement des étudiants ni à la Jeunesse hitlérienne. Il n’était apparemment pas présent à la réunion d’étudiants en question. L’affidavit ne mentionne pas de quelle source il prétend avoir eu connaissance de ces faits. Mais que son affirmation soit fausse, sa description le prouve lorsqu’il parle du « petit chef des étudiants du Reich, avec son embonpoint », peinture qui ne correspond pas du tout à l’aspect extérieur de Schirach. Il est possible qu’elle puisse être attribuée à son successeur qui était chef des étudiants du Reich à la fin 1938, mais il ne s’agissait certainement pas de Schirach. On sait qu’il avait remis en 1934 ses fonctions de chef des étudiants du Reich entre les mains de l’adjoint du Führer, après avoir été nommé chef de la jeunesse du Reich. Ni à la fin 1938, ni à une autre époque quelconque, Schirach n’a fait un discours devant les étudiants de Heidelberg, et d’après l’affidavit du témoin Maria Hopken, il est irréfutablement prouvé qu’à l’époque citée, c’est-à-dire du 9 novembre 1938 jusqu’à la fin de l’année 1938, Schirach ne s’est point rendu à Heidelberg. Schirach l’a déclaré aussi sous la foi du serment, et ses propres paroles peuvent être considérées comme dignes de foi puisqu’au cours de toute sa défense il n’a rien enjolivé, il n’a rien nié à tort, mais a répondu de toutes ses actions avec courage et amour de la vérité.
Mais encore un autre fait est décisif pour nous permettre de constater que l’affirmation de l’affidavit Ziemer n’est pas vraie, au moins en ce qui concerne la personne de Schirach. On a constaté par hasard au cours de la présentation des preuves la façon dont Schirach avait réagi à la nouvelle des pogroms du mois de novembre 1938. Le témoin Lauterbacher a déposé ici, comme on l’a déjà mentionné ailleurs, que le 10 novembre 1938, Schirach avait exprimé à ses collaborateurs sa vive désapprobation pour les incidents du 9 novembre 1938, déclarant qu’il en était honteux pour les autres et pour tout le Parti. Il déclara que la journée du 9 novembre 1938 passerait dans l’Histoire de l’Allemagne comme une ignominie sans pareille pour la culture allemande, que nous ne parviendrons plus jamais à l’effacer, qu’une chose semblable aurait pu se passer chez un peuple non civilisé mais qu’elle n’aurait jamais dû arriver, à nous Allemands, qui nous imaginions être un peuple très évolué. Les chefs de la jeunesse devaient empêcher à tout prix de telles manifestations ; quant à sa propre organisation, il lui interdisait dans le présent comme à l’avenir toute action semblable. Les Jeunesses hitlériennes ne devaient en aucun cas être mêlées à des faits de ce genre. Par la suite, Schirach téléphona à Berlin à tous les services de la Direction des Jeunesses hitlériennes pour leur donner des instructions dans le même sens. Par conséquent, si Schirach au mois de novembre 1938 condamnait et désavouait si sévèrement les événements du 9 novembre, il est impossible qu’il ait, sensiblement à la même époque, salué des incidents sanglants et excité ainsi les étudiants de Heidelberg. Et on est forcé de se demander maintenant pourquoi aucun des participants de cette réunion d’étudiants de Heidelberg n’a été appelé à témoigner ici, et pourquoi on s’est contenté d’un témoin qui n’a pu avancer quelque chose que par ouï-d^re. D’ailleurs, au cours du contre-interrogatoire, le Ministère Public n’est pas revenu sur cette affaire du prétendu discours de Heidelberg, reconnaissant ainsi la justesse de la version donnée par Schirach.
Il est du reste significatif que les Jeunesses hitlériennes n’ont pas pris part aux manifestations du 9 novembre 1938, et ne se sont livrées non plus, avant ou après, à d’autres excès de ce genre. Les Jeunesses hitlériennes étaient, à l’époque, la plus importante organisation du Parti ; elles comptaient de 7.000.000 à 8.000.000 de membres et cependant on n’a pas relevé un seul cas où elles auraient pris part à des crimes contre l’Humanité, bien que leurs membres eussent pour la plupart atteint un âge où, l’expérience le prouve, on est le plus tenté de participer à des excès et à des actes de brutalité. La seule exception — et il ne s’agit là que d’une affirmation — ressort de la déclaration de la Française Ida Vasseau, qui dirigeait un asile de vieillards à Lemberg et qui, selon le rapport de la commission URSS-6, aurait affirmé que les Jeunesses hitlériennes avaient reçu des enfants du ghetto de Lemberg et les avaient utilisés comme cibles vivantes pour leurs exercices de tir. Toutefois cette exception, unique jusqu’à présent, n’a pu être aucunement éclaircie, notamment sur le point de savoir s’il s’agissait vraiment de jeunes garçons des Jeunesses hitlériennes. Et même en supposant que parmi les 8.000.000 de membres un seul cas de ce genre se soit produit en dix ou quinze ans, cela ne constituerait pas la moindre preuve de l’influence provocatrice attribuée à Baldur von Schirach qui, à cette époque, ne dirigeait plus la jeunesse allemande.
Nous allons maintenant suspendre l’audience.
Je me permets, Messieurs, de reprendre à la page 36 de mon exposé.
Enfin, que l’on veuille bien vérifier tous les discours et articles que Schirach a rédigés en sa qualité de chef de la jeunesse du Reich et qui se trouvent dans le livre de documents soumis au Tribunal ; ils s’étendent sur de longues années, mais ils ne contiennent nulle part la moindre parole qui pousse à la haine raciale, qui prêche la haine des Juifs, qui incite les jeunes à des actes de violence ou soit de nature à excuser ceux-ci. Si l’on est parvenu à tenir les millions de membres des Jeunesses hitlériennes à l’écart de semblables excès, cela prouve bien que les chefs s’efforçaient d’inculquer aux jeunes, la tolérance, l’amour du prochain, le respect de la dignité humaine. Ce que Schirach pensait de la façon dont on traitait la question juive est clairement révélé par la scène qui a eu lieu au début de 1943 à l’Obersalzberg et que décrit ’ l’affidavit du témoin Maria Höpken dans le livre de documents von Schirach n° 3 ; je fais allusion à cette scène au cours de laquelle Schirach a raconté à Hitler, dans la résidence de celui-ci, comment, de la fenêtre de son hôtel à Amsterdam, il avait de ses propres yeux vu la Gestapo emmener des centaines de Juives hollandaises. Schirach lui-même n’osait pas, à l’époque, rapporter de tels faits à Hitler : un ordre de Bormann l’avait expressément interdit aux Gauleiter. C’est pourquoi Schirach était convenu avec une tierce personne que celle-ci essaierait d’amener Hitler à atténuer la rigueur de la solution de la question juive. Elle n’y réussit pas. Hitler la repoussa en déclarant durement que c’était du sentiment. A la suite de cette intervention en faveur des Juifs hollandais, la situation de l’accusé Schirach était devenue si critique qu’il préféra quitter l’Obersalzberg dès le lendemain matin ; à partir de ce moment-là, Hitler refusa en principe de recevoir von Schirach.
Cette intervention de Schirach en vue d’un règlement plus modéré de la question juive explique peut-être en partie que peu de mois après, au cours de l’été 1943, Hitler ait sérieusement songé à faire arrêter Schirach et à le faire traduire devant le Tribunal populaire pour la seule raison que Schirach avait, dans une lettre au Beichsieiter Bormann, osé qualifier la guerre de malheur national pour l’Allemagne. Quoi qu’il en soit, tout cela prouve que Schirach a essayé de toutes ses forces d’amener un adoucissement du traitement réservé aux Juifs, d’une façon qui mettait en danger sa propre situation et son existence. Certes, il était antisémite, mais c’est pourquoi il faut particulièrement tenir compte du fait qu’il a résisté à toute pression exercée par Berlin et qu’il s’est refusé à faire paraître un numéro spécial consacré à l’antisémitisme dans l’organe officiel des Jeunesses hitlériennes, alors qu’il avait publié quelques numéros spéciaux en vue d’une entente avec l’Angleterre et la France et d’un traitement plus humain des populations de l’Est. Il n’est pas moins important que Schirach se soit efforcé, avec son ami le Dr Colin Ross, de favoriser remigration des Juifs dans les pays neutres, pour leur éviter la déportation dans un ghetto de Pologne. Or le Ministère Public s’est efforcé de prouver que l’accusé von Schirach portait une part de la responsabilité collective des pogroms juifs qui se sont produits en Pologne et en Russie, en cherchant à utiliser contre lui les prétendus « rapports pratiques sur la situation » qui parvenaient régulièrement des SS au « Commissaire de la Défense du Reich de la XVIIe région militaire » (PS-3876). En fait, on doit dire que si Schirach avait alors eu régulièrement connaissance de ces « rapports pratiques sur la situation des groupes spéciaux de la Police de sécurité et du SD à l’Est », cela constituerait en tout cas une lourde charge morale et politique contre lui ; on ne pourrait alors lui épargner le reproche de n’avoir vu, d’après ces rapports, qu’en dehors des opérations militaires à l’Est des exterminations en masse particulièrement atroces de communistes et de Juifs avaient également lieu. Le portrait que nous avons jusqu’ici aperçu de Schirach qui a été qualifié aussi par le Ministère Public « d’homme cultivé », devrait être singulièrement assombri si Schirach avait effectivement vu et lu ces rapports. Car en ce cas il aurait su qu’en Lettonie et en Lituanie, en Bielorussie et à Kiev, des exterminations en masse avaient eu lieu, manifestement sans aucune action judiciaire et sans jugement.
Mais qu’a démontré en réalité la production des preuves ? Les rapports mentionnés sont parvenus au service du Commissaire de la Défense du Reich de la XVIIe région militaire comme à des douzaines d’autres bureaux, et cela avec la remarque expresse : « Aux bons soins du conseiller du Gouvernement, le Dr. Hofman » ou « Aux bons soins du conseiller du Gouvernement, le Dr Fischer ». De cette formule d’adresse et de la façon dont les rapports étaient faits au service du « Commissaire de la Défense du Reich », il ressort indubitablement que Schirach n’a pas vu ces rapports et qu’il n’en a eu à l’époque aucune connaissance.
Ainsi que nous le savons, Schirach assura à Vienne trois fonctions étendues : au titre de Reichsstatthalter et de Commissaire du Reich à la Défense, il a été chef de l’ensemble de l’administration de l’État ; au titre de premier bourgmestre, il était à la tête de l’administration municipale et, en tant que Gauleiter de Vienne, il était le chef local de tous les rouages du Parti. Il va sans dire que Schirach ne pouvait pas assumer à lui seul ces trois tâches, d’autant plus que jusqu’en 1940 il avait rempli des missions entièrement différentes et qu’il devait d’abord se mettre au courant, aussi bien de l’administration de l’État que de celle de la commune. Il disposait par conséquent, pour chacune de ces trois tâches, d’un représentant permanent. Pour les affaires qui concernaient l’administration de l’État, c’était le Regierungspràsident, le Dr Delbrügge. Les fonctions de ce Dr Delbrügge consistaient dans la liquidation entièrement autonome des affaires courantes de l’administration de l’État. Schirach ne s’occupait, en ce qui concerne les affaires de l’administration de l’État, que des questions qui lui étaient soumises par écrit par son représentant permanent le Dr Delbrügge ou de celles à propos desquelles le Dr Delbrügge ou l’un des chefs de service lui faisait un rapport verbal.
Si cela avait été le cas au sujet des « Rapports pratiques sur la situation », il y aurait eu une mention quelconque sur les documents en question. Or, sur les rapports pratiques sur la situation émanant des SS, ne figure aucune annotation indiquant qu’ils ont été présentés à l’accusé von Schirach ou qu’on lui en ait fait un rapport verbal. C’est d’ailleurs fort compréhensible car, pour l’administration de Vienne, les expériences faites par la Police et le SD au cours de leur lutte contre les partisans en Pologne et en Russie ne présentaient aucune sorte d’intérêt. Il n’y avait donc aucune raison de porter ces rapports d’une manière quelconque à la connaissance de l’accusé von Schirach, qui était déjà surchargé de toutes sortes de questions administratives.
Ce résultat, Messieurs, a été acquis avant tout grâce aux déclarations sous la foi du serment, non seulement de l’accusé, mais aussi des deux témoins Höpken et Wieshofer, qui pouvaient donner des renseignements précis sur la situation qui régnait à Vienne en leurs qualités, l’un de chef du « Bureau central », et l’autre d’officier d’ordonnance de l’accusé. Il est certain que ces rapports d’information sur la situation ne se sont jamais trouvés dans le courrier du « Bureau central » de Vienne, mais uniquement dans celui du Regierungspràsident, le Dr Delbrugge. En outre, il est certain aussi qui ni Höpken en tant que chef du Bureau central, ni Wieshofer en tant qu’officier d’ordonnance de l’accusé, n’ont eu non plus connaissance antérieurement de ces rapports d’information sur la situation, mais uniquement ici dans cette salle d’audience lors de leur interrogatoire. D’ans tous les cas, le résultat est là : conformément aux annotations portées sur les documents, Schirach n’a eu aucune connaissance de ces rapports. Il n’est pas responsable des atrocités mentionnées et, de ce fait, il ne saurait être rendu pénalement responsable du fait de ces comptes rendus d’activité.
Pour juger la personne de Schirach, son attitude pendant ses dernières semaines à Vienne n’est pas sans importance. Il était tout naturel pour Schirach de ne pas exécuter les différents ordres, dictés par la folie, qui lui parvenaient à cette époque de Berlin. Il s’est refusé à appliquer aux aviateurs ennemis le lynchage, ordonné par Bormann, de même qu’à exécuter l’ordre de pendre les défaitistes sans pitié aucune, qu’il se &oit agi d’hommes ou de femmes. Sa cour martiale n’a jamais été réunie ; sa cour martiale n’a jamais prononcé une seule condamnation à mort ; ses mains ne sont pas tachées de sang. Au contraire, il a tout fait pour protéger, par exemple, des aviateurs ennemis qui avaient été contraints d’atterrir, contre la foule excitée. Il a envoyé immédiatement sa propre voiture, comme nous l’avons appris par exemple du témoin Wieshofer, pour mettre en sécurité des aviateurs américains qui avaient sauté en parachute. Il s’opposa ainsi sciemment, une fois de plus, à un ordre de Bormann stipulant que ces aviateurs ’ne devaient pas être protégés contre le lynchage par la population civile. Il ne s’est pas soucié non plus de l’ordre aux termes duquel Vienne devait résister jusqu’au dernier homme et stipulant que les ponts, les églises et les quartiers d’habitation devaient être détruits. Il a nettement refusé d’exécuter l’ordre d’organiser des formations de partisans en civil ou de continuer de façon criminelle, avec l’aide du « Werwolf », une lutte sans issue. Il a rejeté ces prétentions parce qu’elles étaient contraires à sa conscience du devoir, d’autant plus qu’il aurait porté atteinte par là au Droit international.
L’image du caractère de l’accusé von Schirach serait incomplète si nous ne rappelions pas en ce moment la déclaration qu’il a faite ici au cours de la matinée du 24 mai 1946. Je fais allusion à la déclaration par laquelle il a qualifié Hitler ici, devant le peuple allemand et le monde entier, d’assassin de millions d’êtres.
Schirach avait déjà fait l’année dernière des déclarations qui prouvent son sentiment des responsabilités et sa disposition à répondre entièrement de ses actes et de ceux de ses subordonnés. Ce fut le cas, par exemple, le 5 juin 1945, lorsqu’il se cachait dans le Tyrol et qu’il entendit à la radio que tous les chefs du Parti devaient comparaître devant un tribunal allié. Schirach s’est présenté aussitôt et, dans sa lettre adressée au commandant local américain, a exposé qu’il agissait ainsi afin d’empêcher que d’autres personnes, qui n’avaient fait qu’exécuter ses ordres, dussent rendre compte de ses actes à lui. Il se présenta volontairement, bien que la radio anglaise eût déjà annoncé la nouvelle de sa mort et qu’il eût pu espérer ne pas être découvert où il se tenait caché. Cette façon d’agir mérite d’être prise en considération lorsqu’il s’agit d’apprécier la personnalité d’un accusé.
Schirach a montré le même enthousiasme pour les responsabilités à l’automne 1945 lorsqu’il a été interrogé par le Ministère Public : il croyait alors que son successeur Axmann. était mort ; malgré cela, Schirach n’a pas essayé de se décharger de sa faute sur son successeur ; il déclara au contraire expressément qu’il assumait aussi l’entière responsabilité de tout ce qui s’était passé à la Direction de la jeunesse du Reich sous l’autorité de son successeur. La déclaration que Schirach a faite ici le 24 mai 1946 et qui a été diffusée de cette salle dans le monde entier, dans toutes les provinces allemandes jusqu’à la dernière ferme, à la dernière chaumière, constitue la clé de voûte de cet ensemble.
Tout homme, Messieurs, peut se tromper ; il peut même commettre des fautes qu’il ne pourra peut-être plus comprendre lui-même par la suite. Schirach lui aussi s’est trompé ; il a éduqué la jeunesse pour un homme qu’il a considéré pendant de longues années comme intangible et en qui il voit aujourd’hui un criminel diabolique ; dans son idéalisme et dans sa loyauté, il lui est resté fidèle et a respecté le serment prêté à un homme qui l’a trompé, lui et la jeunesse allemande, et qui, comme nous l’avons appris ici de Speer, a, jusqu’au dernier souffle, mis son propre intérêt au-dessus de l’existence et du bonheur de 80.000.000 d’hommes. Schirach est peut-être, parmi les accusés, celui qui non seulement s’est rendu compte clairement de ses fautes — qu’on les juge aujourd’hui comme on l’entend — mais encore les a reconnues avec le plus de franchise et qui a prévenu par ses paroles la formation d’une légende pour l’avenir. On est obligé de tenir compte à un tel accusé d’avoir essayé de réparer dans la mesure du possible le mal qu’il a fait de bonne foi. Schirach a essayé de le faire : il s’est efforcé d’ouvrir les yeux de notre peuple sur le Führer en qui, avec des millions d’Allemands, il a vu pendant des années le sauveur de la patrie et le garant de son avenir. L’ancien chef de la jeunesse du Reich tenait avant tout à dire ouvertement à cette jeunesse que jusqu’alors il lui avait montré le mauvais chemin, car il ne savait pas et croyait bien faire, et qu’il lui fallait désormais prendre une nouvelle voie si le peuple allemand et la culture allemande ne devaient pas périr. En disant cela, Schirach ne pensait pas à lui-même, il pensait à la jeunesse d’aujourd’hui qui se tient devant les ruines de nos villes et de nos maisons, mais qui erre aussi parmi les débris de ses idéaux passés ; il pensait à la jeunesse allemande qui a besoin d’être orientée et qui doit appuyer sa vie future sur une base différente. Schirach espère que toute la jeunesse allemande a entendu ses paroles. Ce qui était particulièrement précieux dans sa confession du 24 mai 1946, c’était son affirmation d’être seul à porter la responsabilité de la jeunesse allemande, de même qu’il l’avait seul commandée autrefois. Si ce point de vue est reconnu exact et si l’on en tire les déductions nécessaires, ce sera pour la jeunesse allemande un résultat précieux de ce Procès.
J’en suis arrivé, Messieurs, à la fin de ma plaidoirie en faveur de Schirach. Au cours de cet exposé, j’ai renoncé aux explications générales, de caractère politique en particulier, et je m’en suis tenu plutôt à l’appréciation de la personnalité de l’accusé, de ses actes et de ses mobiles. Et je dois ajouter que l’examen et l’appréciation de ces faits par la Défense a montré que l’accusé von Schirach n’est pas coupable au sens de l’Acte d’accusation et ne peut être condamné, car il n’a commis aucun acte tombant sous le coup du Droit pénal. Car votre qualité de juges vous demande d’apprécier une faute au sens du Droit criminel et non de vous prononcer sur une faute politique.
A la fin de mes explications, je vous demande de m’autoriser à exprimer brièvement quelques idées qui dépassent la personnalité de l’accusé von Schirach mais s’imposent au défenseur à la fin de ce Procès.
Vous constituez, Messieurs, la plus haute juridiction de notre époque ; derrière vous se tient la puissance du monde entier ; vous représentez les quatre peuples les plus puissants de la terre ; des centaines de milliers d’hommes écoutent votre opinion et attendent votre jugement, l’esprit tendu, non seulement dans les pays vaincus, mais aussi dans les États vainqueurs. Votre haute autorité vous donne la possibilité de faire beaucoup de bien par votre jugement et par ses attendus, pour trouver le chemin vers un avenir meilleur, hors de cette catastrophe, dans l’intérêt de vos propres peuples et pour le salut du peuple allemand. L’Allemagne, Messieurs, est aujourd’hui à terre : c’est un pauvre peuple, le plus pauvre de tous ; les villes allemandes sont détruites, l’industrie allemande est anéantie, sur les épaules allemandes pèse une dette nationale qui représente un multiple de la propriété tout entière du peuple et qui signifie pour des générations allemandes entières la misère et la pauvreté, la faim et l’esclavage, si vos peuples ne nous viennent pas en aide. Pour nous aider à sortir de cette situation désespérée, les attendus de votre jugement nous orienteront sous plus d’un rapport.
Prendre cette idée en considération et en tenir compte peut, certes, répugner à vos sentiments, si vous pensez au malheur où ces six dernières années ont aussi plongé vos propres pays ; c’est d’autant plus difficile après la découverte renouvelée, au cours de ces débats qui ont duré des mois, de crimes commis durant de longues années par un tyran qui a abusé des Allemands, au nom de ce même peuple allemand, à l’avenir duquel vous devez maintenant penser en tant que juges.
Hitler est mort, et avec lui ses instruments qui ont commis sans compter des millions de crimes et tyrannisé l’Allemagne et presque toute l’Europe. Par contre, le peuple allemand vit et doit vivre sans que la moitié du monde tombe en ruines. Dans ce Procès et en ces temps, le peuple allemand est soumis à une opération grave qui doit non plus causer sa mort, mais amener sa guérison. Votre jugement doit aussi contribuer à ce résultat pour qu’à l’avenir le monde ne voie pas en chaque Allemand un criminel, mais retrouve la pensée du professeur Arnold Nash, de l’université de Chicago, qui, interrogé il y a quelques jours sur le sens de son récent voyage en Allemagne répondit : « Chaque savant a deux patries, la sienne propre et l’Allemagne ».
Et cette parole devrait être un avertissement pour tous les critiques irresponsables qui ne voient aujourd’hui encore leur devoir que dans le fait de pousser, avec tous les moyens de propagande possibles, à la haine de tout ce qui est allemand et d’informer sans cesse le monde qu’un homme sur deux au moins est, en Allemagne, un criminel.
Mais vous, les juges objectifs, vous n’oubliez pas qu’il y a eu toujours et qu’il y a aujourd’hui encore une autre Allemagne, une Allemagne laborieuse, économe, une Allemagne de Gœthe et de Beethoven, une Allemagne fidèle, loyale et pleine de vertus qui ont été, dans les siècles passés, proverbiales pour la nature allemande. Croyez-nous, Messieurs, en cette époque où l’Allemagne est sortie d’une grave maladie et se met à reconstruire des ruines d’un mauvais passé un avenir meilleur, un avenir pour sa jeunesse qui n’est pas du tout compromise dans les crimes qui ont été commis. En ce moment, 70.000.000 ou 80.000.000 d’Allemands ont les yeux sur vous, Messieurs, et espèrent de vous un jugement qui ouvre la voie à la reconstruction de l’économie allemande, des cœurs allemands et d’une vraie liberté. Vous êtes des juges vraiment souverains ; vous n’êtes liés par aucune loi écrite, astreints que vous êtes par votre seule conscience et appelés par la destinée à donner au monde un ordre juridique qui doit maintenir pour les générations futures cette paix que n’a pu leur conserver le passé. A propos de cette lourde tâche qui est la vôtre, un célèbre démocrate de la vieille Allemagne, l’ancien ministre, le Dr Kültz, a récemment écrit dans un article sur le Procès de Nuremberg que dans un État monarchique on rendrait la justice au nom du roi ; que dans des républiques les tribunaux jugeraient au nom du peuple ; mais que vous, Tribunal de Nuremberg, vous devez juger au nom de l’Humanité. En fait, ce serait une pensée magnifique pour le Tribunal, un but idéal, s’il pouvait croire que son jugement pût réaliser les préceptes de l’Humanité et empêcher pour tous les temps les crimes contre elle-même. Mais ce serait pourtant, sous maints rapports, un fondement incertain pour votre jugement. Car les manières dont on se représente les exigences ou les interdictions de l’Humanité peuvent être trop différentes selon l’époque, selon le peuple, selon la position de parti d’où l’on juge. Je crois que vous trouverez un fondement plus sûr pour votre jugement en revenant à la formule déjà frappée par les anciens Romains, à la formule qui a survécu aux millénaires et vaudra certainement perpétuellement dans l’avenir : Justifia est fundamentum regnorum. Le peuple allemand et le monde entier attendent de vous, Messieurs, un jugement qui ne soit pas seulement salué aujourd’hui par les nations victorieuses comme une dernière victoire sur l’Allemagne, mais dont l’Histoire puisse un jour reconnaître aussi l’équité, un jugement au nom de la justice.
Je donne la parole au Dr Servatius.
Monsieur le Président, Messieurs les Juges. La défense de l’accusé Sauckel doit répondre en premier lieu à l’accusation de « travail forcé ». Qu’est-ce que le travail forcé ?
On ne peut en faire une notion immuable et y comprendre tous les actes, d’un nombre déconcertant, que l’accusé Sauckel se voit imputer sous le terme de travail forcé.
Ce sont précisément ces actes qui doivent d’abord être soumis à un examen, du point de vue juridique. La base juridique de cet examen est constituée par le Statut. Mais ce Statut ne dit pas ce qu’il faut entendre par « travail forcé » et par « déportation ». Il y a donc lieu d’éclaircir le sens de ces notions en les interprétant. A l’article 6 du Statut, il est question à deux reprises de « déportation » et de « travail forcé », à deux points de vue différents.
La déportation y est qualifiée tant de crime de guerre que de crime contre l’Humanité, tandis que le travail forcé y est qualifié crime de guerre ainsi que crime contre l’Humanité sous le terme d’« asservissement ». Il est d’une importance décisive de savoir où se range le recrutement de la main-d’œuvre effectué par Sauckel ; s’il constitue un crime de guerre, il ne peut être jugé que suivant les lois de la guerre. S’il y a crime contre l’Humanité, cela présuppose qu’il a été commis un crime de guerre ou un crime contre la Paix.
Il en résulte que la déportation mentionnée à l’article 6, b ne peut pas être la même qu’une déportation au sens de l’article 6, c, pas plus que le travail forcé de l’article 6, b ne peut être identique à celui de l’article 6, c.
La distinction réside dans le fait...
Dans le paragraphe de votre plaidoirie qui figure à la page 2, deuxième alinéa du texte anglais, nous lisons :
« Il en résulte que la déportation de l’article 6, b ne peut être la même qu’une déportation selon l’article 6, c ».
Cela ne semble pas très clair au Tribunal. Pouvez-vous nous donner des éclaircissements ?
A- l’article 6, c on parle de crimes contre l’Humanité, tandis qu’à l’article 6, b il est question de crimes de guerre. Dans les deux cas nous retrouvons les expressions « déportation » et « travail forcé » ; elles doivent différer l’une de l’autre et mon examen a pour but de préciser cette distinction. Je crois, Monsieur le Président, que mes déclarations ultérieures la rendront plus claire qu’elle ne l’est actuellement. Je me propose de considérer la terminologie employée par le Statut. Je parlais de la différence entre les deux sortes de travail forcé et de déportation. Cette différence doit s’expliquer par le fait qu’un élément contraire aux lois de l’Humanité doit s’ajouter aux crimes de guerre.
La justesse de cette conception ressort également de la terminologie du Statut, bien qu’elle soit hésitante. Ainsi, le texte russe, pour parler de la déportation en tant que crime de guerre emploie le terme « ouvod », qui exprime uniquement l’idée d’« emmener », tandis que pour le crime contre l’Humanité de même nature il se sert de l’expression technique de « sylka » qui désignait la peine de déportation au temps des tsars, c’est-à-dire la déportation au sens pénal.
La traduction française ne passe pas. Attendez un instant, Docteur Servatius ; la traduction française rencontre certaines difficultés. Le Tribunal suspend l’audience.
L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.