CENT QUATRE-VINGT-TROISIÈME JOURNÉE.
Lundi 22 juillet 1946.
Audience de l’après-midi.
Je continue, Messieurs, à la page 19. Il est exact qu’un homme occupant un tel poste peut exercer une grande influence comme je vous l’ai montré ce matin lorsqu’au faite se trouve un homme influençable ; mais il est également juste de dire qu’un homme dans une telle chancellerie ne peut jouer qu’un rôle de pure forme, en sa qualité de chef d’un service de passage, lorsqu’à l’échelon supérieur se trouve un dictateur inflexible et lorsque le chef de la chancellerie n’a pas d’ambition particulière et ne possède pas de capacités spéciales.
Les longs mois de débats passés dans cette salle ont montré quelle était l’alternative qui était vraisemblable : pour ses subordonnés, dans le deuxième cas également, le chef de la Chancellerie semble influent parce que tout passe par ses mains, parce que tout blâme concernant les subordonnés passe par son service et parce que toutes les fautes commises dans tout le pays par les autres collaborateurs doivent y paraître pour figurer dans un compte rendu. Ces collaborateurs et ces subordonnés, si élevés en grade soient-ils, qui peuvent avoir redouté partiellement le chef de la chancellerie du Parti, pour des raisons qui tenaient à leur personne et à leurs méprises, ne sont pas qualifiés pour élucider pour nous, quelle est l’alternative mentionnée qui est la bonne. Aussi longtemps que Bormann ne comparaîtra pas en personne et ne pourra être entendu, son véritable rôle sera toujours enveloppé de pénombre. Personne et pas même le Tribunal ne pourra porter un jugement sûr. L’ensemble des faits reste douteux. Mais le doute subsiste également pour tous les cas isolés. Je ne discuterai ce point que par quelques exemples.
Mon distingué confrère, le Dr Thoma, a exposé que Bormann avait empêché l’accusé Rosenberg de poursuivre sa politique. A ce propos, il s’est référé au mémorandum du Dr Markull, soumis sous le numéro R-36. Mais cet écrit n’est rien d’autre qu’une glose sur une lettre inconnue de Bormann qui n’a pas été déposée. Markull déclare expressément qu’il a traduit les déclarations de Bormann dans la langue d’un simple fonctionnaire de l’administration civile allemande et les a exposées, poussées à l’extrême. Seul Bormann pourrait, en ce cas, nous éclairer et nous dire s’il avait voulu que son écrit fût compris exactement de cette façon et si Markull n’a pas changé le sens et l’esprit de sa pensée ; seul Bormann pourrait nous apprendre si ce document, comme d’ailleurs presque tous les documents Bormann présentés jusqu’à présent, ne faisait que reproduire les déclarations d’un quelconque Reichsleiter ou de Hitler lui-même.
Ce cas qui paraît donc, lui aussi, complètement douteux, ne sera probablement jamais élucidé.
Il convient de souligner, en outre, que presque tous les documents insérés par le Ministère Public dans son livre de documents ne sont, généralement, que des reproductions ou des publications pures et simples d’un décret ou d’une ordonnance de Hitler. Bormann a transmis ces ordonnances aux services subordonnés, en les accompagnant d’une lettre d’envoi pour leur permettre d’en prendre connaissance. Cette activité qui doit être poursuivie d’une façon bureaucratique, même sous la pire des tyrannies ou dans le plus corrompu des régimes d’arbitraire, devait l’être d’autant plus dans l’appareil d’un État moderne, tel que le Reich national-socialiste. Quelqu’un doit transmettre aux instances inférieures tous les ordres et ordonnances. C’est une activité purement formelle. Elle aurait pu être poursuivie tout aussi bien par un modeste petit clerc de chancellerie que par un brillant Reichsleiter.
L’acheminement bureaucratique de semblables ordonnances — et je cite à titre d’exemples les documents PS-069, PS-1950, PS-656, PS-058, PS-205 et même le fameux document PS-057, ne peut être interprété que comme la transmission d’une directive ou d’une déclaration de Hitler. Personne ne pourra conclure, du fait de cette transmission, que l’instance intermédiaire exerçait une influence quelconque sur le décret, l’ordonnance ou la décision. C’est possible, mais cela n’est pas prouvé avec certitude.
Cette question de l’influence devrait cependant être pleinement éclaircie avant de rendre un jugement. Car même si l’on pouvait trouver une culpabilité dans la transmission d’un ordre dans le cadre de la Chancellerie — et, ce faisant, on en arriverait finalement à condamner même les secrétaires qui ont tapé ces ordres à la machine à écrire — il faudrait, avant de rendre une décision, dans le cas d’une transmission d’ordres de ce genre, juger l’étendue et le poids de la sanction à infliger, d’une façon bien différente de celle qui toucherait l’homme qui est, d’une façon déterminante, à l’origine de tels ordres et de telles décisions, notamment par son influence et ses conseils auprès du chef de l’État. Tout cela n’est pas éclairci dans le cas de Bormann. Ce point est et reste douteux. Les déclarations vides de sens de ses coaccusés, dont les motifs ne peuvent jamais être complètement révélés, l’assertion que Bormann a exercé une influence importante, diabolique même, ne constituent pas une preuve.
D’autres documents encore du livre du Ministère Public prouvent seulement que Bormann, conformément à l’instruction du 29 mai 1941 (PS-2099), et à l’instruction du 24 janvier 1942 (PS-2100), a servi d’intermédiaire entre les divers Reichsleiter et a transmis leurs désirs et leurs suggestions. Je cite en exemple les documents PS-056, PS-072, PS-061, PS-656, PS-205. Personne ne peut, de cette activité d’intermédiaire, indispensable au point de vue technique, induire avec certitude l’étendue et la vraie nature d’une influence de Bormann.
D’autres documents montrent que, très souvent, Bormann a servi simplement de sténographe, en prenant l’essentiel des entretiens entre Hitler et quelques-uns des accusés. C’est ce que montrent le document L-221 sur l’annexion des territoires de l’Est et le document russe URSS-172. De tels documents ne nous apprennent pas, en tout cas, si, et de quelle façon, Bormann a exercé quelque influence au cours de ces réunions sur la politique du IIIe Reich ; ils ne nous indiquent pas les mesures qu’il a prises, ni comment il a pu le faire. Normalement, un sténographe n’a aucune influence. Il n’exerce qu’une activité d’automate. Je voudrais que vous me compreniez bien. Loin de moi l’idée de contester que Bormann ait occupé une situation importante dans la direction du IIIe Reich. Mais on n’a obtenu aucun éclaircissement au cours de la procédure, et l’on ne sait toujours pas de quel poids Bormann pouvait peser dans la balance, dans quelle mesure son importance a été grossie ou rabaissée par la mauvaise foi de tiers, et enfin, en quoi consistait exactement son influence. Les déclarations des autres accusés, faites pour servir à leur propre défense, ne sont pas des preuves recevables. Cependant, le livre de documents du Ministère Public ne contient presque que des documents tels que ceux sur lesquels je viens de faire la lumière.
En toute exactitude, Bormann n’a jamais agi que selon la loi allemande. C’est ce qu’indiquent les documents que j’ai présentés, par exemple les documents Bormann n° 2, 3, 5, 7, dans lesquels il rappelle plusieurs fois à des services du Parti qu’aucun procédé illégal n’est autorisé à l’égard des Juifs.
Dans le cas Bormann, il est caractéristique qu’on ne lui attribue personnellement aucune mesure contre les Juifs. Il a seulement transmis ces ordonnances, les a divulguées ou publiées comme le prescrivaient les lois et comme il devait le faire, administrativement, en qualité de secrétaire du Parti. Le nom de Bormann ne se trouve lié au grand entretien du 12 novembre 1938, qui a eu lieu sous la présidence de M. Göring et qui a donné naissance à toute une série de lois contre les Juifs, que parce que Bormann avait transmis à M. Göring l’ordre de Hitler de tenir une telle réunion. Quant à savoir quelle influence Bormann a pu exercer lui-même dans ces affaires, c’est une question qui n’est absolument pas éclaircie. Comment un tribunal qui a le souci de l’équité peut-il donc arriver à apprécier la sanction qui convient, si l’on n’a pas éclairci quelles ont été la participation, la collaboration d’un accusé à une action ? Personne ne pourra dire qu’il n’y a aucun doute sur l’état de fait.
D’après le livre de documents du Ministère Public, il semble établi à première vue, et de la façon la plus certaine, que Bormann a été l’un des adversaires les plus acharnés des Églises chrétiennes ; l’exposé écrit a cité la plupart des documents. Il est certainement exact que Bormann, par ses convictions philosophiques et par son attitude, a été un violent adversaire de la doctrine chrétienne. Mais une telle attitude intellectuelle n’est ni une faute, ni même un crime devant l’ensemble de l’Humanité, qui professe tant d’opinions différentes sur le monde et les relations métaphysiques et qui peut-être en créera beaucoup d’autres encore. Il existe à l’époque actuelle beaucoup d’athées convaincus. Dans les autres États du monde, il y a aussi des organisations autorisées qui luttent contre la conception chrétienne du monde, et, au début de notre siècle, de grandes associations, dans beaucoup de pays, ont ouvertement inscrit sur leur bannière le matérialisme pur et la négation de toute vie spirituelle comme système philosophique. Personne ne saurait être condamné pour vouloir inculquer à des tiers les préceptes de son idéologie et convertir des tiers à son point de vue. Le monde moderne frémit encore à la pensée de l’Inquisition. Bormann ne pourrait donc être condamné que si l’on prouvait sa participation à une véritable persécution religieuse et non uniquement à une lutte idéologique.
Les deux documents les plus importants que l’Accusation ait présenté contre Bormann, les documents D-75 et PS-089, ne montrent pas, à mon avis, que l’accusé Martin Bormann a pris des mesures autoritaires contre les Églises en tant qu’institutions religieuses. Un passage résume l’idée essentielle du document D75 : il faudrait déduire de l’incompatibilité des idéologies nationales-socialistes et chrétiennes qu’un renforcement des confessions chrétiennes déjà existantes et tout encouragement de confessions chrétiennes en formation doivent être écartés par le Parti. Il est peu important de savoir pour quelle raison déterminante Bormann est arrivé à une telle conclusion à la fin de sa lettre. Il n’est pas nécessaire de discuter d’abord le point de savoir si négliger de renforcer une idéologie religieuse combattue au point de vue philosophique ne constitue pas une persécution religieuse. Personne n’est obligé de renforcer une conception religieuse. Et il n’est pas permis de fixer seulement son attention sur des motifs irritants exigeant d’abandonner l’affermissement d’une religion et de ne pas prendre en considération les conséquences de ces déductions. Il est également important que ce document ne nous soit parvenu qu’en une copie qu’un pasteur protestant nommé Eichholz a établie lui-même. Il n’est donc pas du tout prouvé si la teneur des déclarations de Bormann est ainsi entièrement et exactement rendue. Sous cette forme, le document ne constitue en aucun cas une preuve véritable.
Le document PS-089, qui peut être reconnu comme authentique, contient bien une très violente prise de position de Bormann contre les Églises. Mais — et cela seul devrait être examiné dans le jugement — il se termine en disant qu’on ne doit reprocher à aucun instituteur national-socialiste de donner des cours d’instruction religieuse, et qu’il faut même, dans un tel cas, employer un texte de la Bible qui ne soit pas falsifié ; toute modification de sens, interprétation ou séparation du texte de la Bible, est à éviter. Donc, malgré sa précédente attaque de nature philosophique contre l’Église, Bormann part du point de vue légal que l’instruction chrétienne peut être propagée sans obstacle. Pouvait-on attendre d’un si puissant adversaire d’une doctrine un plus loyal procédé ?
Les autres moyens de preuve ne révèlent pas non plus de véritables mesures de persécution.
Le fait que Bormann a interdit, sur l’ordre de Hitler, l’admission dans le Parti de prêtres ou de membres de certaines associations religieuses, qu’il a défendu, sur l’ordre de Hitler, d’appeler des prêtres à des positions dirigeantes dans le Parti dans le but d’éviter des désaccords, ne constitue pas une persécution religieuse. Le fait d’avoir demandé pendant la guerre que l’Église fasse les mêmes sacrifices que toute autre institution de l’État ne constitue pas une mesure criminelle du point de vue religieux. Le fait d’avoir aussi fait fermer des institutions religieuses, dans le cadre de la fermeture de beaucoup d’institutions d’instruction laïque, qui devait être effectuée afin de mieux exploiter les réserves en hommes de la nation, et, par suite des restrictions du tirage et du nombre de pages des périodiques laïques, le fait d’avoir voulu également des restrictions pour les périodiques religieux, ne tombent pas sous l’article 6 (c) du Statut. Il est exact que, là aussi, il s’est laissé guider, entre autres, par ses tendances anti-religieuses. Mais si des mesures analogues ont été prises par ailleurs en Allemagne contre d’autres institutions et d’autres publications, mesures qui ne devaient être que des mesures provisoires de guerre ; il ne peut pas être question de persécutions religieuses au vrai sens du mot. Il n’a d’ailleurs jamais été soutenu ni prouvé que Bormann ait participé, ne fût-ce qu’en partie, à la préparation des mesures de persécution contre les prêtres.
Tous les documents démontrent que Bormann s’en est toujours tenu aux dispositions légales, de sorte qu’il a certainement observé scrupuleusement, lui qui était si soucieux d’observer les ordres de Hitler, le décret de Hitler qui avait prescrit au début de la guerre de suspendre toutes les mesures contre les Églises.
On peut donc dire pour conclure, que dans ce domaine également, on ne peut pas faire toute la lumière, malgré le grand nombre de documents produits. Les documents seuls ne sont pas suffisants pour mettre les faits à l’abri de tous les doutes. En ce qui concerne en particulier l’importance et le poids de la participation de Bormann à des mesures de répression contre les Églises, une justification personnelle de Bormann apparaît nécessaire. Cet état de choses reste donc enveloppé d’un certain mystère. On ne sait pas sur quelle base fonder une appréciation équitable du taux de la peine.
Je ne veux pas abuser du temps du Tribunal en exposant de nouveaux détails. Je pense que les indications que j’ai déjà données sont suffisantes pour éclairer un fait : même les documents produits par le Ministère Public ne prouvent avec certitude qu’une seule chose, que Bormann, « comme l’ordonnait la loi », se trouvait, en tant que chef de la chancellerie du Parti, dans le circuit des relations administratives et de bureau entre le chef du Reich et les services subalternes et des relations entre ces services subalternes eux-mêmes. Toutes les autres données ne sont que des présomptions qui ne sont pas prouvées clairement et, de toutes façons, pas avec la certitude qui doit paraître nécessaire à l’équité pour prononcer un jugement par contumace sans avoir entendu l’accusé, et estimer la peine.
Autour de la figure de Bormann, de son œuvre et de sa survivance, s’est déjà tramée une légende. Mais les légendes ne sont pas pour le regard impartial du juriste une base pleinement valable pour l’établissement d’un jugement certain et indubitable.
Étant donné la nouveauté introduite par le Statut dans l’Histoire du Droit de tous les temps et de tous les peuples, qui laisse porter sur un accusé absent un jugement définitif et non susceptible de révision, je prie le Tribunal de n’exercer son droit de conduire des débats qu’après avoir considéré les points de vue juridiques précédents et de peser particulièrement, lors de son examen, les hypothèses que le Droit russe a exprimées d’une manière particulièrement précise.
En conséquence, je demande expressément au Tribunal de bien vouloir déclarer éteinte son action, en raison de la preuve de la mort de l’accusé ou de suspendre l’action contre lui, jusqu’à ce qu’il lui soit possible de comparaître et de se justifier personnellement, et de renoncer à l’exercice du Droit qui lui est conféré par l’article 12.
Je donne la parole au Dr Kubuschok, défenseur de l’accusé von Papen.
Avant d’entamer ma plaidoirie, je désirerais remettre au Tribunal quelques questionnaires qui me sont parvenus et ont, pour partie, été traduits. Étant donné que je me réfère à eux au cours de ma plaidoirie, j’aimerais les déposer maintenant.
Certainement, Docteur Kubusehok.
Je transmets tout d’abord le questionnaire du témoin Tschirschky sous le numéro 103. Je vous en remets immédiatement, Messieurs, un exemplaire en français et un en anglais. A cette occasion, je voudrais faire remarquer au Tribunal que ce témoin a été le secrétaire de von Papen, et qu’en son temps, il a été convoqué par la Gestapo à Berlin, à la suite de quoi il a émigré en Angleterre où il a acquis la nationalité anglaise. La correspondance échangée à propos de ce témoin a fait l’objet du contre-interrogatoire. Dans tous les cas, et avec minutie, le témoin a répondu par l’affirmative aux nombreuses questions qui portaient sur l’activité de von Papen à Vienne et lorsqu’il était vice-chancelier. Le Tribunal ne demandera pas que je discute ces questions en détail. Il suffit d’en prendre connaissance. Je peux lire le dernier paragraphe de la première question. « En ce qui concerne ses rapports avec la NSDAP, je peux dire que von Papen, pendant tout le temps où j’ai travaillé avec lui, a eu, en toute occasion, une attitude négative et même hostile ». Il ne semble pas sans importance de signaler la réponse à la deuxième question qui concerne les assurances données à l’occasion de la constitution du Gouvernement du 30 janvier...
Docteur Kubusehok, le Tribunal ne veut pas que vous commentiez deux fois ces questionnaires. Si vous vous y reportez au cours de votre plaidoirie, vous pourrez le faire à ce moment-là. Mais vous les commentez en les présentant, et vous ne manquerez pas, sans doute, de le faire ultérieurement au cours de votre plaidoirie.
Monsieur le Président, je ne ferai, au cours de ma plaidoirie, que renvoyer très brièvement aux points qui sont soulevés dans ces questionnaires. Je n’en parlerai plus au cours de ma plaidoirie. Je ne mentionne dans mon exposé que les réponses aux questions, mais je ne traiterai plus les questions elles-mêmes.
Docteur Kubusehok, le Tribunal pense que le bon procédé consisterait à déposer maintenant ces questionnaires. Quand vous en viendrez à ce point au cours de votre plaidoirie, vous pourrez lire les passages auxquels vous voulez vous référer....
Oui, la référence à ce texte est très courte. Elle ne comprend qu’une phrase...
Si vous en venez...
Dois-je la lire ?
Oui.
J’ai donc déposé devant le Tribunal le questionnaire de Tschirschky sous le numéro 103, et le questionnaire de l’archevêque Groeber sous le numéro 104. Il concerne la signature du Concordat. Je dépose, en outre, le questionnaire de l’archevêque Roncalli sous le numéro 105 et, enfin, le questionnaire de l’ambassadeur de Pologne, Jan Gavronski, sous le numéro 106. Ce sont les documents que j’ai reçus traduits. En outre, je demanderai au Tribunal de m’accorder la production d’un document, dont je n’ai pu encore recevoir la traduction. Il s’agit d’un affidavit d’un journaliste, Rademacher von Unna.
Dans une lettre du 29 mai 1946, arrivée ici il y a trois semaines environ, il avait adressé un affidavit en faveur de Papen à mon confrère le Dr Dix. Dans cet affidavit, un paragraphe surtout est important. Je serais reconnaissant au Tribunal de pouvoir lire ce paragraphe afin que le Tribunal puisse conclure si cet affidavit constitue une preuve, et s’il peut m’autoriser à présenter ce document. Puis je transmettrai l’original, et ensuite les traductions dès qu’elles seront terminées.
Vous n’avez pas montré ce document au Ministère Public, n’est-ce pas ?
A ce moment-là, je l’ai donné en langue allemande, mais il est resté deux semaines à la section de traduction et je ne l’ai pas encore reçu. Je l’avais déjà mentionné au cours de la dernière présentation des preuves, et le Tribunal m’a déclaré que j’aurais loisir de le présenter quand on aborderait ce point.
Est-il très long ?
Il n’est pas long. Il n’a qu’une page et demie. Je voudrais seulement lire un passage d’une demi-page qui est intéressant.
Le Ministère Public a-t-il des objections à faire ?
Monsieur le Président, je n’ai pas vu de copie de ce document. En principe, il n’y a pas d’objection, mais je n’ai pas vu le document et il est difficile d’avoir une opinion. Nous aurions pu avoir des objections à faire si nous l’avions vu.
Docteur Kubuschok, il serait peut-être préférable de lire ce document ; le Ministère Public pourrait ainsi voir s’il a des objections à faire.
Certainement, Monsieur le Président. Le Ministère Public est parfaitement de cet avis.
Je lis donc la moitié de l’avant-dernier paragraphe de cet affidavit de Rademacher von Unna, qui a été établi le 29 mai 1946 à Milan. Il se rapporte à une déclaration de Papen :
« Lui, Papen, ne se laisserait détourner par personne d’exécuter sa mission de médiateur et de créateur de paix qu’il a conçue. C’est pourquoi il montrerait la porte à tous ceux qui voudraient se servir de sa personne pour des buts obscurs. A ce propos, il faut mentionner qu’un membre du Gouvernement autrichien, un secrétaire d’État dont j’ai oublié le nom, s’est efforcé d’avoir des contacts personnels mais secrets avec l’ambassadeur d’Allemagne, afin de lui offrir ses services pour la cause allemande. M. von Papen a exclu cette demande en disant qu’il refusait de participer à des conspirations qui étaient dirigées contre la politique officielle de la Ballhausplatz. Il avait essayé jusqu’alors de collaborer d’une façon ouverte et loyale avec le Gouvernement fédéral, et il ne choisirait aucun autre moyen pour poursuivre cette politique. »
Je voudrais ajouter, en outre, que le membre du Gouvernement autrichien mentionné ici est Neustàdter-Sturmer.
Monsieur le Président, Messieurs. Papen est accusé d’avoir participé à un complot en vue d’un crime contre la Paix. Le Ministère Public limite l’exposé des faits, dans le temps, à la fin de son activité à Vienne. Il admet que, pour l’époque suivante, particulièrement pendant son activité d’ambassadeur à Ankara, on n’a pu arriver à aucune indication susceptible d’étayer l’Accusation. Il s’ensuit donc que Papen aurait pris part aux actions préliminaires au déclenchement d’une guerre d’agression, que le Ministère Public fait remonter loin en arrière, mais qu’il n’aurait pas cependant participé activement aux préparatifs immédiats et au crime contre la Paix proprement dit.
Le Ministère Public traite de l’activité de Papen en tant que Chancelier du Reich du dernier cabinet qui a précédé l’avènement des nazis, de sa participation, dans sa fonction de vice-chancelier, au cabinet de Hitler jusqu’au 30 juin 1934 et de son activité d’ambassadeur extraordinaire à Vienne. Il s’est vu placé devant la tâche de prouver que, pour cette époque, on peut établir objectivement l’existence d’actions préliminaires au crime contre la Paix, et que Papen, en pleine connaissance de ces buts, a pris part à la préparation de ce crime. Étant donné que les chefs d’Accusation couvrent un champ d’activité qui, en soi, est légal, et qu’il faut que l’élément criminel soit incorporé dans le détail des actions sous la forme du but poursuivi, l’appréciation du cas Papen se trouve donc presque exclusivement placée sur un terrain subjectif. Le Ministère public se trouve placé devant le fait que les conceptions de Papen, qui se sont souvent manifestées ouvertement, et la politique qu’il a effectivement menée, ne peuvent pas être mises en accord avec la signification que l’Accusation a voulu leur donner. Il recourt donc à l’hypothèse selon laquelle il serait un opportuniste pratiquant le double jeu, qui aurait sacrifié ses convictions, véritables ou professées, aux circonstances du jour ou à la volonté de Hitler. La tâche de la Défense consistera donc à éclaircir sa personnalité afin de prouver que les actions et les déclarations de Papen constituent une ligne unique et logique et que toute son attitude interdit, de par sa nature même, un lien de cause à effet quelconque avec les infractions prévues par le Statut, afin de prouver aussi que les buts poursuivis par celles de ses actions qui ont été discutées doivent avoir été autres que ceux que croit pouvoir reconnaître le Ministère Public. La Défense va ensuite exposer l’ensemble de l’activité politique de Papen dans sa légalité, traiter, dans le cadre de cette activité, les actions considérées comme coupables par le Ministère Public, et fournir ensuite la preuve contraire établissant qu’il a activement travaillé contre une évolution politique telle que l’a exposée le Ministère Public. On n’arrivera à une appréciation exacte que si l’on s’abstient de considérations sur la question de l’opportunité et de la vérité politiques, en se contentant du politicien, tel qu’il se présente à nous à la lumière de conceptions dues à son origine et aux traditions qu’on lui avait transmises. Un autre élément important pour une appréciation exacte devra être l’exclusion des connaissances que nous avons acquises dans les années qui ont suivi et, en ce qui concerne ces années, les connaissances acquises maintenant au cours du Procès. Nous devons faire porter nos examens uniquement sur l’époque des actions elles-mêmes, et alors seulement nous aurons une vue claire de ce que Papen pouvait voir et attendre à cette époque.
Le Ministère Public situe le début de la participation de Papen au complot au 1er juin 1932, date de sa nomination au poste de Chancelier du Reich. Toutefois, il ne répond pas à la question de savoir quels sont les faits qui montrent l’entrée de Papen dans le cercle des conspirateurs qui est déjà censé devoir exister. Cette réponse est d’ailleurs impossible à donner. L’activité de Papen en tant que Chancelier du Reich ne peut être, le moins du monde, considérée comme un activité dans le sens du complot hitlérien. Le but de la formation du cabinet, toute la politique du Gouvernement pendant le temps où Papen était chancelier et enfin sa démission de ce poste, sont trop clairs pour que l’on puisse en inférer une propagation des idées nazies, une activité en vue de permettre l’accession au pouvoir du national-socialisme et encore moins une participation à un complet qui est censé avoir existé à ce moment-là.
Le cabinet Papen a été formé à l’époque d’une dépression économique, politique et parlementaire extraordinaire. Des mesures extraordinaires étaient déjà devenues nécessaires sous le Gouvernement précédent. Elles devaient maintenant être poursuivies dans des voies en partie totalement nouvelles. A des époques de crises exceptionnelles, une législation parlementaire représente toujours une certaine difficulté. Le Reichstag avait donc déjà presque entièrement perdu le pouvoir législatif à l’époque du cabinet Brüning et ce pouvoir, par suite du droit de légiférer exceptionnellement par ordonnances, était passé entre les mains du Président du Reich. -On crut devoir prendre, dès lors, une voie totalement différente. Un cabinet de ministres spécialisés, libres de toute attache de parti, devait aplanir cette difficulté. La constitution du cabinet eut donc lieu sciemment sans la coopération des partis. Les devoirs auxquels le nouveau Gouvernement dut faire face, le programme résultant nécessairement des circonstances de l’époque, devraient obligatoirement entraîner une attitude de défense contre le national-socialisme. Si l’on voulait déraciner la dépression, la politique du Gouvernement devait s’attaquer aux racines du développement du mouvement national-socialiste. Celles-ci résidaient dans le mécontentement dû à la situation de l’économie et de la politique extérieure.
Mais, d’autre part, il ne fallait penser alors qu’à un travail de construction pacifique et prospère, si l’on voulait trouver d’une façon quelconque un modus vivendi avec le parti national-socialiste. Le Parti au Parlement n’avait pas seulement, d’après la constitution, la possibilité de paralyser pratiquement toute activité du Gouvernement, il offrait seul, grâce à ses possibilités d’influence sur la foule par le moyen de la propagande, la clef d’un apaisement possible des relations de politique intérieure, la condition première d’une mise en œuvre de mesures économiques d’une grande portée.
Papen se trouva en face de cette situation, lorsque, dans les derniers jours de mai 1932, il reçut de Hindenburg la mission de constituer un cabinet présidentiel, sans recherche de sa part et à sa grande surprise.
Sur son activité dans le Gouvernement, je me limite, en réponse à l’Accusation, aux détails suivants : la constitution du Gouvernement du 1er juin 1932 eut lieu, contrairement à l’usage parlementaire en vigueur jusqu’alors, sans prise de contact préalable avec le parti national-socialiste. De nouvelles lois économiques révolutionnaires furent promulguées grâce à une participation financière inconnue jusqu’alors, afin de lutter contre le chômage et ainsi de supprimer en même temps le réservoir auparavant intarissable qui alimentait le parti national-socialiste. Le but des nouvelles mesures économiques et les possibilités financières limitées nécessitèrent une extension de ces lois dans le temps. Le marché du travail devait être animé par des moyens qui devaient résulter, à l’avenir, de l’économie des charges publiques, si les mesures étaient couronnées de succès. Les lois économiques dépendaient uniquement de cet épuisement des possibilités financières. On n’eut pas recours au procédé des travaux publics peu productifs ou d’une animation du marché du travail par des commandes d’armement. Ces mesures économiques à longue échéance qui ne pouvaient avoir de succès qu’au cas d’une politique gouvernementale continue, rendirent particulièrement urgent le problème de la tolérance du Reichstag.
Du point de vue de la politique étrangère, Papen reste dans la ligne de celle du Gouvernement Brüning, en soulignant particulièrement les points d’honneur dont la reconnaissance n’aurait nui en rien aux adversaires du Traité, mais aurait privé le parti national-socialiste de ses moyens de propagande destinés à influencer les foules. A la conférence de Lausanne, Papen montre d’une façon manifeste la situation politique intérieure de l’Allemagne. Il expose qu’il ne s’agit, en substance, que de points idéologiques dont le refus donnerait aux nationaux-socialistes l’élan qu’ils désirent. Il souligne expressément que ses efforts constituaient la dernière tentative d’un cabinet bourgeois et qu’en cas d’un échec de sa politique, seul le national-socialiste en profiterait. Papen aspirait à voir le parti national-socialiste endosser une co-responsabilité sans vouloir lui confier la position-clef du poste de chancelier, co-responsabilité qui aurait amené un parti de politique négative à la reconnaissance des données réelles en excluant, de ce fait, une propagande démagogique efficace. Les premières tentatives de Papen de faire participer le mouvement national-socialiste au travail gouvernemental sont immédiatement considérées par le Ministère Public comme la préparation de la voie pour le national-socialisme.
En fait, ce n’est cependant qu’une tentative pour trouver une base de travail gouvernemental pratique, tentative qui devait tenir compte des expériences du cabinet Brüning et du développement du parti nazi. On ne pouvait pas ignorer le fait qu’en mars 1932, jour de l’élection du Président du Reich, Hitler avait obtenu déjà 36,8% de toutes les voix. Si l’on tient compte du fait que la personnalité de Hindenburg, qui était le candidat concurrent, amena un grand nombre d’adhérents de la NSDAP à ne pas voter en accord avec les directives du Parti, il en résulte qu’il existait un parti d’opposition, auparavant peu connu, qui dépassait largement en nombre tous les autres partis, et était capable, dès l’abord, de paralyser toute activité du Gouvernement par son attitude. Il était donc naturel que Papen tentât de faire sortir ce parti de son attitude d’opposition. Cette décision devient plus facile lorsqu’il existe la conviction très nette qu’une participation aux responsabilités gouvernementales supprimerait le radicalisme du parti d’opposition et mettrait, dans une large mesure, un frein à son développement futur.
Si l’on veut juger le mieux de l’activité gouvernementale de Papen, en se plaçant au point de vue des nationaux-socialistes, il suffit de constater que ce fut le parti nazi qui s’opposa à la législation économique décisive de Papen ; et que ce fût lui qui, d’accord avec le parti communiste, provoqua par son vote exprès de méfiance la chute du cabinet Papen.
Les négociations ultérieures du chancelier qui continuait à expédier les affaires courantes, spécialement les événements du 1er et du 2 décembre 1932, montrent encore une fois son attitude sans équivoque à l’égard de la NSDAP.
Papen propose à Hindenburg de violer la Constitution. Il veut épuiser tous les moyens, jusqu’au dernier, pour éviter que Hitler ne devienne chancelier. Schleicher empêche cette solution et motive son attitude en disant qu’en cas de guerre civile, le Gouvernement ne serait pas capable de dominer la situation avec les forces policières et militaires à sa disposition.
En face de ces événements historiques très clairs, la tentative du Ministère Public d’introduire une interprétation contraire de faits et de mobiles non équivoques et clairement reconnaissables doit rester sans succès.
Quels sont donc les points que le Ministère Public croit pouvoir opposer à cela ?
D’abord, que Papen, au cours de sa première entrevue avec Hitler, peu de temps après avoir formé son Gouvernement, a consenti à faire lever l’interdiction du port de l’uniforme, mesure qui, même si elle n’avait été prise que comme une compensation politique pour obtenir que le cabinet soit toléré, serait quelque chose de tout naturel dans le cadre des règles parlementaires. La NSDAP était non seulement le parti le plus fort du Reichstag, mais encore, par son efficacité politique dans la vie publique, un facteur de puissance de premier ordre. On ne devait donc pas le pousser dès l’abord dans l’opposition si on avait l’intention de mener une politique réaliste de façon durable et de se rendre sérieusement maître de la situation difficile par le moyen d’un programme économique révolutionnaire. La levée de l’interdiction du port de l’uniforme répondait du reste à un motif profond : l’interdiction était à sens unique et dirigée contre un parti seulement sans limiter, en l’occurrence, les organisations adverses : par conséquent, reconnaître la loi d’un traitement de parité ne pouvait ici avoir pour effet que de faire disparaître une dangereuse matière de propagande. La levée de l’interdiction du port d’uniforme ne donnait nullement carte blanche pour la perpétration d’actes de violence politique. L’avertissement du Président du Reich, promulgué en même temps que l’ordonnance et disant que les actes de violence qui en résulteraient seraient immédiatement suivis d’une interdiction de l’organisation même, devait raisonnablement éviter des conséquences désavantageuses.
Le Ministère Public est en contradiction complète avec les faits quand il prétend que la levée de l’interdiction du port de l’uniforme fut la cause principale de l’augmentation des mandats nazis aux élections de juillet. Je renvoie ici au résultat des élections présidentielles de mars 1932 qui a déjà été mentionné où la situation ne se révélait même pas encore pleinement, par suite de la candidature de Hindenburg. Le scrutin du 21 juillet 1932 donna 13.700.000 voix nationales-socialistes, tandis qu’aux élections présidentielles du 10 mars 1932 Hitler avait déjà réuni 13.400.000 voix sur son nom. Il n’y a aucunement lieu de supposer que l’apparition de l’uniforme, qui d’ailleurs avait été remplacé pendant la période d’interdiction par une tenue standard camouflée, ait exercé une influence décisive quelconque sur le résultat des élections. Un facteur beaucoup plus important et plus déterminant, dans un sens négatif, pour le résultat des élections, fut certainement constitué par l’interdiction de toute manifestation promulguée par le Gouvernement Papen au début de la campagne électorale. Les assemblées populaires et les manifestations sont l’aide la plus puissante d’un parti démagogique. En s’en trouvant privé avant les élections, la NSDAP éprouvait une perte bien plus considérable que l’atout constitué par l’autorisation du port de l’uniforme.
Le Ministère Public voit dans la lettre du 13 novembre 1932, par laquelle Papen essaie une fois de plus de gagner la participation de Hitler au Gouvernement, un effort, indigne par la forme et condamnable par le contenu, en vue de faciliter l’accès au pouvoir du national-socialisme. Il oublie que von Papen a dirigé les élections de novembre dans un esprit de violente opposition à la NSDAP, parce qu’il s’efforçait d’écarter le Parti de sa position-clé, dans laquelle aucune majorité numérique, des sociaux-démocrates à l’extrême droite, ne pouvait exister sans Hitler. Il oublie que ce résultat ne fut pas atteint, que la position-clé resta à Hitler avec 196 sièges et qu’il devint ainsi nécessaire de tenter une fois encore d’obtenir que Hitler formât un cabinet présidentiel sous un quelconque chancelier modéré. L’Accusation ne tient pas compte du fait que les propositions de von Papen, ici encore, s’arrêtaient nettement à l’exclusion de la NSDAP de la Chancellerie du Reich. Pour le national-socialisme, un cabinet placé sous un chancelier modéré, qui aurait été appelé à tracer les grandes lignes de la politique selon la constitution, aurait eu pour seul effet de lui donner de l’influence dans tel ou tel domaine, mais par contre, en lui accordant une participation au Gouvernement, aurait également engagé sa responsabilité. Revenant en arrière, du point de vue de l’opposition au national-socialisme, rien n’aurait été mieux accueilli qu’une activité du Parti qui, tout en ne permettant qu’une influence restreinte, lui faisait partager les responsabilités gouvernementales. La disparition d’une politique d’opposition si incroyablement favorable sur le plan de la propagande aurait sans aucun doute mis fin au progrès du mouvement national-socialiste et en aurait éliminé les éléments radicaux. Le Chancelier du Reich, de par ses fonctions, était tenu de donner une forme extérieure courtoise à la lettre qu’il adressait au chef du plus fort parti au Parlement. Il est évident qu’étant donnés la forme et le but de la lettre, l’auteur n’allait pas insister sur les points négatifs, mais sur l’aspect positif qui pouvait se prêter à une collaboration gouvernementale.
Afin de pouvoir épargner dans l’activité de von Papen comme Chancelier du Reich au moins un indice permettant d’établir la communauté de pensée avec le national-socialisme, l’Accusation explique l’élimination temporaire du Gouvernement prussien selon l’ordonnance du 20 juillet 1932 par des desseins qui ne résistent aucunement à une appréciation objective des faits. Le « coup d’État » du 20 juillet, comme le Ministère Public désigne l’application de l’ordonnance du 20 juillet, n’a pas eu le moindre rapport avec une action destinée à favoriser les nationaux-socialistes. Selon l’avis du Cabinet du Reich et l’appréciation décisive du Président von Hindenburg, la situation politique exigeait que cessât la tolérance, qui ne cessait de se manifester, du Gouvernement prussien en fonctions à l’égard des actes de violence communistes. Hindenburg a tiré les conséquences de cette situation par son ordonnance d’exception du 20 juillet. Un jugement du Tribunal du Reich, encore complètement indépendant à l’époque, en a établi le caractère constitutionnellement valable dans le cadre des nécessités politiques de l’État. Lorsqu’on application de cette ordonnance, la Police elle-même a transmis au ministre de l’Intérieur suspendu de ses fonctions l’ordre de quitter ses bureaux, on prête à cette mesure, en la qualifiant de « coup d’État », une signification qui dépasse de loin la réalité. Et même en ce qui concerne les effets de cette mesure, aucun fait ne vient justifier l’opinion selon laquelle on aurait ainsi préparé la voie au national-socialisme. Bracht, le Commissaire du Reich désigné à l’époque, appartenait au centre. Le poste-clé de préfet de Police à Berlin fut confié à un homme auquel le Gouvernement sortant de Braun avait attribué auparavant les fonctions de préfet de Police à Essen. Bref, le changement eut pour seule conséquence de rendre possible une collaboration efficace avec les services du Reich et, d’un autre côté, de donner de nouveaux titulaires à certains services politiques qui étaient jusque là le monopole presque exclusif du parti national-démocrate, dans une mesure dorénavant incompatible avec le principe de la parité.
A l’époque, les nationaux-socialistes reprochèrent maintes et maintes fois à von Papen le fait qu’ils avaient été laissés à l’écart.
Toute la période du Gouvernement von Papen a été marquée par la ligne nette d’une politique réaliste qui a su, d’une part, faire exécuter des mesures nécessaires, notamment dans le domaine économique, tout en s’efforçant, d’autre part, d’obtenir la collaboration d’une opposition très supérieure en nombre. L’attitude de von Papen à l’égard de la NSDAP se dessine encore plus nettement lorsqu’à la fin de novembre 1932, le Président du Reich l’invite à participer aux efforts faits en vue de former un nouveau Gouvernement. Il se révèle alors comme l’homme qui pousse le courage jusqu’à ses dernières conséquences, et qui, sachant que les principes parlementaires rendent impossible le maintien d’un Gouvernement qui ne soit pas national-socialiste, propose au Président du Reich de gouverner avec l’aide de la force armée, à rencontre de la Constitution et au risque d’une guerre civile. Aussi discutable que soit une semblable proposition pour les partisans du respect de la Constitution, on ne peut cependant nier, en se reportant à cette époque, que la violation envisagée, à titre provisoire d’ailleurs, constituait la seule possibilité d’éviter la solution devenue inéluctable le 30 janvier 1933. Aucune autre solution intermédiaire ne pouvait donner de résultats satisfaisants. Tôt ou tard, tout gouvernement non national-socialiste aurait fatalement été renversé par le parti d’opposition.
Ainsi, les troubles politiques avec leurs retentissements sur la vie économique tout entière seraient passés à l’état latent. Etat qui n’aurait été propre, dans son alternance, qu’à renforcer à nouveau le mouvement national-socialiste, lui donnant nécessairement ainsi une force numérique qui aurait fini par amener la réalisation de ses aspirations entièrement totalitaires à une puissance illimitée.
La question de savoir le rôle joué par Papen dans la formation du Gouvernement du 30 janvier 1933 pourrait rester pendante. Il suffit de reconnaître que tous les efforts en vue de constituer un gouvernement parlementaire sans Hitler étaient déjà impossibles du seul point de vue du nombre, et qu’une semblable solution parlementaire trouvait sa contradiction et son écueil en Hitler. Une mesure engendrée par les nécessités politiques et constitutionnelles ne peut pas être considérée par le Ministère Public comme l’indice de la préparation intentionnelle d’un crime dans le sens du Statut. Que l’on songe à la signification de ce chef d’accusation. Hindenburg, en tant que Chef de l’État, se conforme à toutes les règles parlementaires et charge le chef du plus fort parti de former le Gouvernement. Ce Gouvernement rencontre une écrasante majorité lorsqu’il se présente devant le Parlement. Le reproche que l’on fait à von Papen d’avoir connu les antécédents du parti national-socialiste s’applique dans la même mesure aux autres intéressés, à Hindenburg et à tous les parlementaires consentants. Le reproche dirigé contre von Papen contient donc une accusation contre Hindenburg lui-même et tout le Parlement qui a donné son accord. Cette seule considération devrait faire échouer la tentative initiale de mettre en accusation l’action naturelle et constitutionnellement fondée d’un État souverain.
Si j’insiste toutefois sur les événements qui ont précédé la formation du Gouvernement, c’est uniquement pour mettre une fois de plus en lumière l’attitude non équivoque de von Papen qui, d’une part, ne désirait pas se détourner de la réalité, et voulait, d’autre part, tout entreprendre pour éviter que la nouvelle politique ne prît un cours incontrôlable.
L’Accusation voit dans l’entrevue Hitler-Papen qui eut lieu dans la maison de Schröder le 4 janvier, le début des efforts visant à l’établissement du Gouvernement du 30 janvier. En effet, l’entrevue chez Schröder ne fut rien d’autre qu’un échange d’idées sur la situation actuelle au sujet de laquelle Papen et Hitler maintinrent les vues qu’ils avaient adoptées jusqu’alors et Papen indiqua que Hindenburg, devant les craintes qu’il avait exprimées, ne se déclarerait en aucun cas d’accord avec la prise en charge par Hitler du poste de Chancelier du Reich. Hitler devrait se contenter du poste de vice-chancelier, puisque le point de vue de Hindenburg était que seule une épreuve assez longue pourrait fournir la possibilité d’une évolution ultérieure.
Cette entrevue à Cologne a eu lieu sur le désir de Hitler. A ce propos, je me réfère au communiqué de Schröder publié dans la presse, que j’ai soumis comme pièce à décharge n° 9 et au sujet duquel j’ai admis par erreur au cours du contre-interrogatoire que c’était un communiqué commun Papen-Schröder. Schröder y établit que lui seul a pris l’initiative de cette entrevue. Que cette entrevue n’ait nullement été l’origine de la constitution du Gouvernement du 30 janvier se déduit du fait que la conversation a été immédiatement communiquée à Schleicher et à Hindenburg par Papen, et que durant toute la période qui suivit, jusqu’au 22 janvier, Papen ne s’occupa nullement de la solution du problème gouvernemental. Schleicher aussi bien que Hindenburg s’efforcent d’obtenir un soutien parlementaire du cabinet Schleicher par des négociations avec les chefs du Parti, efforts qui, il est vrai, échouent par la force des choses. Ces efforts tendent avant tout à provoquer la désarticulation du parti national-socialiste en appelant l’aile de Strasser à collaborer au Gouvernement. Ces efforts échouent lorsque Hitler, à la suite des élections de Lippe, maintient à son poste une poussée semblable, au point qu’il tient de nouveau fermement entre ses mains le Parti en dépit des tentatives de désintégration. Le résultat des élections de Lippe du 15 janvier 1933 fut considéré en général comme un thermomètre de la situation politique. Tous les partis avaient institué leur appareil d’organisation et de propagande, et l’on pouvait par conséquent déduire de l’issue de ces élections l’état d’esprit général. Le résultat montra que les pertes subies lors des élections de novembre avaient été presque complètement compensées. Ainsi, chacun put reconnaître que le recul du mouvement national-socialiste était stoppé et que la persistance de la situation politique et économique actuelle pouvait faire craindre un accroissement ultérieur.
La nécessité d’une décision devint de plus en plus urgente, lorsque le 20 janvier 1933 le conseil des anciens du Reichstag par sa convocation du Reichstag fixée au 31 janvier ne donna pratiquement au cabinet Schleicher qu’une prorogation jusqu’à ce jour. Car un vote de méfiance de la gauche et de la NSDAP signifiait son renversement immédiat. C’est à la lumière de ces faits qu’il faut comprendre l’entrevue qui eut lieu dans la maison de Ribbentrop le 22 janvier, lorsque Hindenburg voulut apprendre par l’intermédiaire de son fils et du secrétaire de la chancellerie présidentielle, le Dr Meissner, quelles étaient les vues de Hitler sur la situation politique.
Le rôle qu’a joué Meissner à cette occasion et, d’une manière générale, lors de la constitution du Gouvernement Hitler, ne peut être établi d’une façon certaine sur la base des documents existants. En tout cas, il n’était nullement désintéressé dans cette affaire, étant donné qu’il appartenait à l’entourage immédiat de Hindenburg qui a pris la décision définitive. Les appréciations sur sa personnalité sont pour le moins très diverses. En aucun cas on ne pourra le considérer comme un témoin classique, étant donné ses propres intérêts, pour l’appréciation des événements de l’époque. Sur un point, son témoignage est nettement empreint du sceau de l’invraisemblance. Il affirme avoir été un adversaire de la décision de Hindenburg après que celui-ci se fût décidé à confier à Hitler le poste de Chancelier du Reich. Voilà ce que dit l’homme qui, lors de la séance du cabinet relative à la loi sur les pleins pouvoirs, estima qu’il n’était pas nécessaire de maintenir le droit de proclamation du Président du Reich, ce même homme qui a manifestement coopéré, après les événements du 30 juin 1934, à isoler Hindenburg de tous ceux qui auraient pu lui faire une description exacte des événements. Je fais cette remarque parce qu’on a donné lecture d’une partie de l’affidavit de Meissner lors de l’interrogatoire de Papen.
Il est vrai, selon la décision du Tribunal, qu’aucun jugement ne peut se fonder sur le contenu qui a été cité : au cours du contre-interrogatoire, cependant, des questions ont surgi de la lecture de l’affidavit qui pourraient donner lieu à une appréciation inexacte. Au reste, la décision du Tribunal me dispense du devoir, au reste, d’examiner de plus près le contenu de l’affidavit et de démontrer un nombre d’inexactitudes qu’on peut nettement réfuter.
La production des preuves a démontré que, jusqu’au 28 janvier, Papen n’a aucunement agi dans le sens de la formation d’un gouvernement. Et, ce jour-là, Schleicher devait amener une décision, eu égard à la convocation, déjà prévue, du Reichstag. Le 1er décembre, il avait déconseillé à Hindenburg une lutte ouverte avec le Parlement et avait exposé que l’utilisation de la force armée, au cas d’une guerre civile, ne servirait à rien. Maintenant, il ne croyait pas pouvoir trouver d’autre solution que de demander pour lui-même l’utilisation de ces forces qu’il avait d’abord considérées comme insuffisantes. Mais du fait que, depuis ce temps, la situation n’avait aucunement changé de façon à justifier, chez Schleicher, ce changement d’opinion, et étant donné que la situation de la NSDAP s’était plutôt renforcée à la suite des élections de Lippe et que la situation politique, en général, était devenue plus rigide encore en raison de l’attitude des partis, Hindenburg ne modifia pas sa décision du 2 décembre. La démission collective du Gouvernement Schleicher devint ainsi inévitable. Les choses devaient nécessairement et logiquement suivre leur cours, si l’on voulait éviter l’éventuelle lutte armée. Il n’y avait plus qu’une solution : négocier avec Hitler. Hindenburg confia à Papen ces négociations sur la formation d’un gouvernement. D’abord, il fallait éviter un changement de politique dans les ministères où une attitude radicale aurait pu faire le plus grand mal, c’est-à-dire au ministère des Affaires étrangères et au ministère de la Guerre. Hindenburg se réservait le droit d’occuper ces deux positions-clés. C’est pour ne pas confier au nouveau Chancelier du Reich la nomination des autres ministres, comme il avait toujours été d’usage jusqu’alors, que l’on chargea Papen, en qualité d’homo regius, de cette tâche. Il réussit à limiter le nombre des ministres nationaux-socialistes au minimum. Trois membres nationaux-socialistes du Gouvernement se trouvèrent face à huit non nationaux-socialistes qui, pour la plupart, avaient fait partie de l’ancien cabinet et garantissaient, dans leur ressort, une politique continue. Bien plus, dans le cadre de la Constitution, le poste de Chancelier du Reich devait également être limité d’une façon inconnue jusqu’alors. Papen reçut le poste de vice-chancelier. Il n’était pas lié à un service de compétence particulière et était essentiellement destiné à servir de contrepoids au poste de Chancelier du Reich. Il fut décidé que Hitler, en tant que Chancelier du Reich, ne pourrait faire un rapport au Président du Reich qu’en présence du vice-chancelier. De cette manière, une certaine autorité de contrôle visant les désirs que le Chancelier du Reich pourrait présenter était créée afin que le Président du Reich pût se former une opinion.
En ce qui concerne la personnalité de Hindenburg dont on pouvait attendre une influence considérable sur Hitler, selon l’opinion de tous, ce contrôle de Hindenburg promettait d’éviter qu’on ne glissât dans une eau trop radicale.
Telle a été la participation de l’accusé à la constitution du gouvernement hitlérien. Le Ministère Public voit là un pas conscient et décisif vers la transmission des pleins pouvoirs au national-socialisme. En considérant les choses objectivement, et rétrospectivement aussi, on ne peut cependant que déduire que malgré la nécessité inévitable de transmettre la direction du Gouvernement au parti national-socialiste, on a épuisé toutes les possibilités de limiter l’importance de cette mesure dans ses répercussions. Le poste de Chancelier du Reich cédé au national-socialisme et la remise de deux ministères seulement à des nationaux-socialistes constituaient la limitation, obtenue après de longs efforts, des exigences de Hitler qui, auparavant, avaient été beaucoup plus étendues. Il importe peu, dans l’examen de cette procédure, de savoir si la solution adoptée le 30 janvier était la seule possible ou non. Même si l’on est d’un autre avis, il s’agit, du point de vue criminel uniquement, de savoir si Papen a pu considérer cette solution comme une nécessité ou simplement comme un opportunisme politique ou non. En prenant même, malgré tous les faits, son opinion pour une utopie, on devrait considérer du point de vue pénal qu’il ne pourrait être question d’une culpabilité que s’il avait eu connaissance des conséquences ultérieures et connaissance des plans ultérieurs d’agression et s’il avait, malgré cela, prêté son concours à la composition du Gouvernement. Les faits que je viens de discuter ont prouvé que même le semblant d’une présomption pour ces suppositions est inexistant.
Devant cette conception, il est capital que les deux ministères qui sont les plus importants, en relation avec l’accusation de violation de la paix ou qui sont les seuls à jouer un rôle, c’est-à-dire le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Guerre, aient été confiés à des hommes de confiance de Hindenburg, à des hommes qui n’avaient pas eu de rapports avec Hitler et desquels on pouvait s’attendre à une direction indépendante des ministères.
Il n’est pas sans importance d’analyser, à cette occasion, ce qu’on pouvait attendre de la personnalité de Hitler et de sa politique future. Le chef du parti de l’opposition assume pour la première fois la responsabilité de chef d’un parti, dont la composition et le développement pouvaient bien donner lieu à maintes récriminations et appréhensions. D’un parti qui s’était développé en raison d’une attitude absolument négative vis-à-vis de la conduite des affaires par l’ancien Gouvernement, d’un parti qui avait, par ses procédés turbulents, fait sans doute bien des concessions aux origines de ses adhérents, d’un parti qui avait promulgué un programme nouveau, comportant des points qui paraissaient en partie éloignés de la réalité et irréalisables et qui devaient susciter maintes appréhensions mais qui — et cela importe donc seul dans le cadre de nos réflexions — ne contenaient, de toute apparence, rien de criminel.
D’autre part, on ne peut passer outre à l’expérience tirée de l’Histoire et de la vie, à savoir que la propagande et le travail responsable sont deux choses bien différentes, qu’un parti sorti du néant a plus besoin d’une propagande négative et tapageuse qu’un parti existant de longue date. Même si le cabinet du 30 janvier avait été composé uniquement de nationaux-socialistes, même si aucun élément de frein n’avait existé en la personne de Hindenburg, on aurait pu supposer, selon les règles de la raison et de l’expérience, que Hitler, arrivé au pouvoir par la propagande, saurait, dans le travail pratique et responsable, tenir compte des circonstances données et se montrerait dans cette activité foncièrement autre que lorsqu’il préparait, par la propagande, son accession au pouvoir. Un petit exemple avait déjà montré auparavant la différence entre un parti d’opposition et une activité gouvernementale responsable : les mêmes nationaux-socialistes, avec leur même programme et leur même propagande, qui avaient maintenant, le 30 janvier, obtenu dans le Reich le poste de Chancelier du Reich, avaient déjà eu en mains, dans quelques provinces allemandes, la direction ou la codirection du Gouvernement. Nous voyons Frick, chef de la fraction au Parlement, travailler comme ministre responsable en Thuringe. Dans sa compétence entrait même le pouvoir de Police, et on voyait les nationaux-socialistes de ces pays s’attaquer avec zèle à maint problème économique. Mais on ne les voyait pas se livrer à des excès ou à une politique déraisonnable qui n’aurait même été que de loin en accord avec leur propagande. Ne pouvait-on pas s’attendre alors à ce que maintenant aussi, dans le Reich, le sentiment naturel de la responsabilité grandît avec des tâches d’une plus grande ampleur ? Et que les événements, eu égard surtout aux mesures de sécurité prévues prissent une tournure non dangereuse ?
Il n’est pas superflu ici d’analyser la personnalité de Hitler. Il est vrai que Hitler, surtout après l’échec de la tentative destinée à détacher le groupe Strasser, était devenu l’autocrate absolu de son parti. Dans la direction du Parti, dans ses discours et dans ses allures, il ne s’était sans doute pas- imposé la réserve qui devait être l’attitude naturelle du chef d’un si grand parti. Mais tous les indices laissaient supposer que Hitler était à tel point le maître de son parti qu’il était en mesure d’appliquer même les mesures impopulaires qu’imposait la situation. Dans les questions de la participation au Gouvernement, il avait souvent poursuivi une politique, impopulaire aux yeux des masses, mais dont la tactique lui semblait prudente, parce qu’il tenait compte des faits. Ne pouvait-on pas s’attendre, donc, à ce que cet homme, qui avait maintenant atteint son but, à savoir la direction du cabinet, abandonnerait les idées dépourvues de réalité propres à une attitude d’opposition et s’inclinerait devant les exigences réalistes de la vie gouvernementale et internationale ?
L’expérience a prouvé aussi qu’un homme placé devant des buts particulièrement élevés et devant une responsabilité particulièrement grande, grandit avec ces buts et cette responsabilité, en tant que chef et en tant qu’homme. On ne pouvait supposer, à rencontre de cette expérience historique générale, qu’un homme, placé devant la responsabilité, reviendrait bientôt, après certains débuts peut-être prometteurs, aux thèses de ses anciennes idées d’opposition, que cet homme, en quelques années, jetterait par-dessus bord toutes les idées positives qu’il avait avancées — je rappelle entre autres ses affirmations sur le fondement chrétien de l’État — qu’il dépasserait toutes les idées négatives qu’il avait propagées auparavant, et qu’il pousserait à l’extrême ses buts et ses méthodes. Nous avons maintenant une vue d’ensemble de Hitler et de son évolution et nous sommes peut-être tentés de considérer ses actions des dernières années — parce qu’elles constituent quelque chose de si formidable et par cela même de si impressionnant — comme une émanation de l’ensemble de sa personnalité, présumant ainsi qu’il était autrefois déjà le même, et non un personnage différent.
Dans le cadre de ce Procès, il n’est pas possible de saisir et de déchiffrer la psychologie de Hitler à la lumière des événements, de ses discours et surtout de ses actes depuis le commencement de sa carrière politique jusqu’à la fin. Sa réserve bien connue et sa méfiance toujours plus manifeste à l’égard de presque tout son entourage en rendent l’appréciation particulièrement difficile. Des différents faits révélés, il ressort cependant avec certitude que Papen non plus ne pouvait, aussi près de lui qu’il se trouvât, voir dans le Hitler de 1933 l’homme qui allait se révéler au cours des années suivantes.
Non seulement Papen avait tout fait, en accord avec les désirs de Hindenburg et en exécutant ses ordres comme homo regius, pour parer, en toute conscience de sa responsabilité, à la possibilité d’un développement radical ; mais il avait encore poursuivi le même but, de toute son énergie, en dehors de ses attributions. Après la formation du Gouvernement, il ne resta pas les bras croisés et ne suivit pas la voie facile d’un opportunisme avantageux. Il entreprit, par une coalition des partis bourgeois de droite, de former un contrepoids aux nationaux-socialistes, lors des élections du 5 mars 1933. Pour quelqu’un qui se serait entièrement dévoué à l’idée nationale-socialiste, ou n’aurait même fait que suivre aveuglément le Führer, la première aurait été de mettre fin à l’opposition de cette large couche bourgeoise que l’on avait maintenant en mains, et de la conduire vers la voie, qui à beaucoup de gens semblait alors toute naturelle, de l’adhésion au nouveau parti au pouvoir. Papen entra dans la lutte électorale comme chef et organisateur du groupe d’opposition « Noir-Blanc-Rouge ». Ses discours de cette époque, dont j’ai déposé des extraits dans le livre de documents, montrent clairement quels étaient ses buts et ses intentions. C’était l’affirmation d’une idée nationale, exempte de la propagande effrénée du national-socialisme et de ses doctrines. En tout cas, son programme était en inconciliable opposition avec ce qui devait s’avérer plus tard comme une extension imprévisible et une transgression sans bornes des buts reconnus par écrit de la NSDAP.
La formation du groupe de combat « Noir-Blanc-Rouge » devait assurer ce à quoi Papen avait aspiré en constituant le cabinet du 30 janvier : un cabinet de coalition, dans lequel, conséquence inévitable des règles parlementaires et de la situation politique générale, le poste de Chancelier du Reich revenait au chef du parti le plus fort, mais qui était obligé de gouverner dans le cadre d’un cabinet de coalition avec les restrictions qui en résultent.
Je crois qu’il serait temps de suspendre.
Je crois avoir suffisamment éclairci par ces explications que la collaboration de Papen à la formation du cabinet du 30 janvier ne représente pas, de sa part, un essai d’amener le national-socialisme à un pouvoir exclusif. Le contraire est prouvé par les faits. Dans le sens de la Défense, j’ai déjà dépassé la mesure de ce qui serait nécessaire au rejet d’un verdict de culpabilité. Même si quelqu’un avait coopéré dans cette phase pour vraiment procurer au parti national-socialiste une influence prépondérante, on ne pourrait encore y voir dans le sens de l’Accusation une action préparatoire aux crimes susceptibles d’être punis. On peut ergoter tant qu’on le veut sur le programme écrit du national-socialisme, sur les déclarations des dirigeants du parti de l’époque, qu’il convient, compte tenu de l’effet de propagande recherché, d’interpréter d’une manière objective plus restreinte ou sur ce qui s’est ultérieurement révélé ; mais on ne peut pas y voir le chemin qui mène aux crimes définis par le Statut.
Le Ministère Public croit voir dans l’activité de Papen comme vice-chancelier pendant la période du 30 janvier 1933 au 30 juin 1934, une continuation de son activité de conspirateur dans le but de consolider la puissance du national-socialisme qui avait été amené au pouvoir. En rapport avec cela, il l’accuse d’avoir collaboré aux différentes lois, publiées à cette époque par le Gouvernement, et qui, selon son opinion, n’avaient eu que ce but.
Je démontrerai comment l’activité de l’accusé s’est manifestée dans le détail et prouverai qu’il ne s’est pas écarté de la voie qu’il avait suivie jusqu’alors.
Le Ministère Public s’occupe d’un certain nombre de lois datant des débuts du cabinet, qu’il considère dans leur forme politique comme un compromis. Un compromis entre les exigences des nationaux-socialistes et les vues bourgeoises des autres membres du cabinet. Nous voyons entamés ici des problèmes que le national-socialisme avait jetés dans la discussion et la propagande depuis des années. Les membres du cabinet appartenant à la bourgeoisie sont mis maintenant en présence de la situation suivante : le parti le plus fort ainsi que le Chancelier du Reich ne peuvent passer sans rémission à côté de ces questions ; elles doivent être résolues d’une manière ou d’une autre. Le principe d’un tel gouvernement de coalition représente, pour les deux parties, une concession. L’autre partie n’a pas besoin pour cela de modifier son opinion. Quand, par exemple, dans un gouvernement de coalition dont un parti de travailleurs arrive à prendre la tête, on doit mettre en pratique ce programme de gouvernement des travailleurs qui peut tendre à une socialisation générale, la collaboration des autres membres du Gouvernement consistera à empêcher que des mesures de cet ordre ne deviennent générales et à limiter leur effet aux seuls cas qu’ils jugent constituer les moindres déviations de la ligne jusqu’à présent tenue. Du parti le plus fort et de son chef, placé dans la position constitutionnelle de Chancelier du Reich, on ne peut attendre qu’ils continuent à mener la politique de leurs prédécesseurs. Les autres membres de la coalition doivent faire des sacrifices si l’on veut que le Gouvernement puisse avoir une activité quelconque.
Puisque le cadre de ces débats ne nous permet pas de juger des considérations d’utilité politique, pas même des opinions morales, mais seulement du point de savoir si ce qui s’est passé a été fait dans un but criminel au sens où l’entend le Statut, la tâche dévolue à la Défense est relativement simple.
Nous voyons la législation résoudre partiellement, dans certains domaines, les problèmes idéologiques posés par le national-socialisme.
Nous sommes obligés de concéder aux membres non-nazis du Gouvernement qui y ont coopéré qu’ils pensaient, pour ces lois, à une solution définitive et non à un stade intermédiaire. Dans leur expérience du passé, ils s’appuyaient bien sur l’expérience de la vie politique de tous les pays, selon laquelle un problème, lorsqu’il a abouti à une réglementation légale, est normalement résolu. On ne pouvait penser — puisque c’est incompatible avec une activité gouvernementale normale et une sauvegarde de l’autorité du pouvoir législatif — qu’après la promulgation d’une loi, un problème déjà traité serait toujours repris dans les années suivantes et amènerait chaque fois à une solution radicale. Papen a montré qu’il s’était efforcé scrupuleusement de maintenir dans des limites encore relativement supportables les concessions faites à l’adversaire. Le fait que dans les lois de cette époque les doctrines nationales-socialistes n’apparaissent que rarement et d’une manière modérée, prouve suffisamment que l’ensemble des personnalités formant le cabinet d’alors a exercé son influence modératrice sur la pénétration des idées nationales-socialistes. On ne comprendrait pas, sans cette influence, que Hitler eût entrepris de réduire dans une mesure relativement impopulaire les buts que la propagande du Parti avait déjà exposés auparavant.
On reconnaît nettement l’influence modératrice et correctrice de l’accusé dans la préparation des lois isolées. L’exemple classique en est fourni par la peine qu’il a prise lors de la rédaction de la loi des pleins pouvoirs. C’était pour la législation, en cette période de crise, une nécessité technique ; les années qui venaient de s’écouler avaient montré que prendre des résolutions à la hâte, au Reichstag, ne comblait pas le besoin pressant de promulguer des lois qui se faisait sentir la plupart du temps. C’est pourquoi, au temps de Brüning déjà, la presque totalité du droit de légiférer était pratiquement aux mains du Président du Reich, du fait que les lois importantes étaient faites, selon le processus de l’ordonnance sur les pleins pouvoirs, par des actes législatifs unilatéraux du Président du Reich. Si, pour ces raisons majeures, la législation ne pouvait pas pratiquement être laissée au Reichstag, la solution moyenne consistait à remettre le pouvoir législatif au cabinet. Plusieurs partis, y compris le Centre, l’ont reconnu, comme le prouve le résultat du vote émis au Reichstag au sujet de la loi des pleins pouvoirs. Il ne s’agissait plus alors que de savoir si le droit du cabinet au sein duquel, d’après la constitution, le Président du Reich devait déterminer les bases de la politique, serait restreint du fait que la promulgation des lois était réservée au Président du Reich. Le propre secrétaire d’État du Président du Reich a déclaré, au cours de la séance de cabinet, qu’il ne considérait pas comme nécessaire d’importuner Hindenburg avec le droit de promulgation et la responsabilité de toute la législation. Là-dessus, Papen intervint auprès de Hindenburg, mais sans résultat, comme l’a montré le témoin Tschirschky.
Monsieur le Président, pensez-vous que le moment soit venu de vous présenter le questionnaire Tschirschky dans ses points les plus importants ?
Vous pourriez en faire des commentaires, mais vous n’avez pas l’intention de le lire en entier, n’est-ce pas ?
Je vais le résumer, Monsieur le Président.
Très bien.
C’est le document 103, dont j’ai déjà parlé.
J’ai lu déjà la question 1. La question 3 concerne les assurances qui avaient été données. Le témoin déclare qu’elles avaient certainement été prévues pour éviter que Hitler et la NSDAP ne dirigeassent la politique comme ils l’entendaient. Dans la question suivante, le témoin décrit les buts du bloc conservateur « Noir-Blanc-Rouge ». Dans la question 5, le témoin parle du développement — dont je parlerai encore — jusqu’à un gouvernement autoritaire de Hitler. La réponse à la question 7 montre que von Papen avait fait dans le cabinet une grande résistance sur de nombreux points contre la législation qu’on envisageait. La question 10 concerne la position de von Papen vis-à-vis de l’Église ; la dernière phrase surtout est importante :
« Von Papen pensait que le lien contractuel constitué par la conclusion du Concordat serait si fort pour Hitler et la NSDAP, que ce serait mettre un verrou à leur attitude anticléricale. »
La réponse à la question II est la suivante :
« Je considère qu’il n’est pas possible que von Papen ait participé lui-même à une violation ultérieure du Concordat ou qu’il ait utilisé ses convictions politiques pour exercer une pression politique. »
La question 12 confirme ce que je dirai encore au sujet du discours de Marburg.
La réponse à la question 14 est très importante :
« J’ignore si von Papen a exprimé des idées tendant à ce que le Gouvernement de Hitler arrivât à ses buts de politique extérieure par des guerres d’agression. De telles idées eussent été, en 1933 et 1934, absolument absurdes ».
La réponse à la question 15 est dans le même sens. La réponse à la question 18 confirme les efforts entrepris par Papen, après les événements du 30 juin, pour essayer d’atteindre Hindenburg afin d’arriver à modifier le cours des choses.
La réponse à la question 14 débute-t-elle par les mots « J’ignore... » ou « Je sais... » ?
« J’ignore... »
Ma traduction porte : « Je sais... »
La réponse à la question 16 confirme la proposition de Papen qu’il fallait absolument éviter le retrait de l’Allemagne de la Société des Nations. J’ai déjà parlé de la question 18. De la réponse à la question 18 résulte l’attitude conséquente de Papen après le 30 juin : s’en tenir absolument à sa démission. S’agissant des questions 19 à 23, la seconde phrase de la réponse est particulièrement importante :
« Il est exact que Papen avait accepté le poste d’ambassadeur en mission spéciale à Vienne, pour la seule raison qu’il espérait faire obstacle à la politique insensée de Hitler et de la NSDAP en Autriche. Il est exact que Papen a accepté ce poste à la condition que Hitler s’engagerait à interdire au Parti toute immixtion dans les affaires autrichiennes, à rappeler sans délai le Gauleiter Habicht et à se tenir éloigné de toute agression. Il est exact que ces conditions et d’autres encore ont été acceptées par Hitler après une longue discussion et couchées immédiatement par écrit, »
A la question 25, Tschirschky confirme que pendant toute sa période d’observation, Papen s’en est toujours fermement tenu à cette politique. La réponse 26 apporte une réfutation de l’affidavit Messersmith : Papen ne s’est pas occupé d’une politique d’agression dans le sud-est de l’Europe. La réponse 27 est le résumé de l’attitude de Papen ; celui-ci n’a jamais aspiré à un Anschluss qui dût s’effectuer par la violence.
Je continue à la page 22. Puis, nous retrouvons Papen au premier plan au moment où le problème de l’antisémitisme subit son premier revers législatif. La situation était alors la suivante : une masse travaillée depuis des années dans ce sens, une fraction majoritaire nazie au programme de laquelle figure un antisémitisme conséquent. Nous voyons les effets de la propagande sur la masse : ils se manifestent dans les actions isolées dont nous discutons ici et qui furent entreprises dans les premières semaines qui suivirent l’établissement du Gouvernement Hitler. Les conséquences de cette situation étaient claires. Un problème compliqué, qui rencontrait déjà dans la pratique sa condamnation, devait être amené à une réglementation législative. Il était clair que, dans cette affaire, le national-socialisme avait assumé une certaine responsabilité vis-à-vis de ses adhérents à cause de sa propagande exaspérée. Il était difficile de trouver la mesure de la restriction législative qui devait toujours rester pour les masses excitées une désillusion. Cela ne pouvait se terminer que par un compromis. On décida de faire la sur un terrain où un changement de l’état de choses actuel eût été le moins dur possible.
Si, aux termes de la loi sur les fonctionnaires de carrière, seuls ceux qui étaient parvenus à leur position, non parce qu’ils étaient qualifiés dans une spécialité mais parce qu’ils appartenaient à un parti politique, devaient quitter leur poste, tous les Juifs nommés après 1918 devaient en outre quitter l’administration. Le droit à la pension fut maintenu en règle générale. Papen s’efforça avec succès de limiter numériquement les effets sur les intéressés juifs. Il adressa une requête à Hindenburg qui était particulièrement accessible à l’idée de protéger les anciens combattants. Grâce à l’influence personnelle de Hindenburg sur Hitler, on fit exception à la loi pour les Juifs anciens combattants ou appartenant à des familles de soldats tombés au champ d’honneur.
Comme un gros pourcentage des jeunes fonctionnaires entrés en fonction depuis 1914 étaient anciens combattants, cette exception eut une grande portée numérique. C’était particulièrement manifeste, d’après les statistiques officielles fournies à ce sujet, pour la profession du barreau. C’est ce que nous dit le document n° 33 de la Défense.
On reproche en outre à l’accusé ses agissements contre les syndicats. Il faut tenir compte à ce sujet du fait que l’exécution des mesures n’a pas dépendu d’une réglementation portée par des lois du Reich. Il y a autre chose d’essentiel : c’est qu’avec le changement de la situation, le maintien, de syndicats d’inspiration sociale-démocrate ou analogue pouvait passer pour un anachronisme. La position prise par Papen vis-à-vis du problème des syndicats ressort de son discours du 4 mars 1933, document n0 10 de la Défense. Ici aussi, il faut tenir compte du fait que l’on ne pouvait pas prévoir, lorsque ces mesures furent prises, l’étendue de leur développement ultérieur. Le Front allemand du Travail ne peut être jugé, au moment de sa création, lorsqu’on envisage très sainement la réglementation des questions sociales, comme il a mérité de l’être à la fin, par suite des innombrables mesures de contrainte. La loi d’amnistie n’était pas une nouveauté, la discussion des preuves l’a établi. Même en 1922, on avait déjà promulgué, à la fin d’une période de troubles politiques, une loi d’amnistie qui amnistiait même des infractions qui étaient punies de la peine de mort. L’institution des tribunaux d’exception fut une mesure de circonstance pour juger plus rapidement les délits politiques parce que la longueur d’une procédure normale n’assurait pas l’effet d’intimidation voulu. Il est significatif de constater que l’ordonnance réprimant les actes de violence a été appliquée pour la première fois contre des nationaux-socialistes, dans le cas des assassins de Potempa (document 1, pages 6 et 7), au temps où von Papen était chancelier. Il est donc erroné de voir, dans la teneur de ces lois, la reconnaissance d’actes commis ou un encouragement apporté à l’idée nazie.
Si le Ministère Public continue à s’occuper, dans sa critique de la collaboration législative de Papen durant cette période, de la loi d’unification des Pays du 31 mars 1933, ce point touche à une question de politique intérieure, qui se trouve véritablement placée en dehors d’un domaine qui pourrait justifier une discussion dans le sens de l’Accusation. Si l’allusion du Ministère Public doit avoir uniquement pour but de montrer que Papen a changé dans une telle mesure un point de vue adopté précédemment, que l’on sache bien alors que les changements d’opinions politiques sont dans l’ordre des choses généralement possibles et souvent nécessaires, et qu’un changement de point de vue au sujet d’une mesure d’opportunité politique ne peut, en aucune façon, permettre de conclure à un changement général des idées politiques. La première loi, concernant les Statthalter, était en fait destinée à écarter un dualisme entre le Reich et les Pays, que Papen jugeait nuisible depuis toujours. Papen s’était toujours prononcé, particulièrement au sujet du pays de Prusse, pour une solution dans le sens de l’époque bis-marckienne, lorsque le poste de président du conseil de Prusse était lié par une union personnelle avec celui de Chancelier du Reich.
Il n’y a donc dans cette question, qui ne doit être traitée qu’accessoirement, ni un changement de point de vue, ni, à plus forte raison, un indice d’un changement d’idées politiques.
En ce qui concerne le travail législatif dans le cabinet, il faudra, au sujet de l’accusé von Papen, prendre quelques faits en considération : sa position de vice-chancelier ne lui conférait aucun portefeuille. Il ne pouvait donc être question pour Papen d’avoir une influence quelconque, même dans les questions de politique générale, influence que tout chef d’un ministère pouvait avoir au cours des séances de cabinet. Il ne pouvait présenter d’objections ou de contradictions que d’un point de vue général, sans pouvoir les fonder sur des raisons tirées de la gestion d’un ministère. En considérant le petit nombre des procès-verbaux des séances de cabinet dont nous disposons — je n’ai pas réussi, malgré tous mes efforts, à me procurer le reste — la portée de l’opposition de Papen et des autres ministres ne peut pas être prouvée par des documents. Mais l’audition des preuves permet de dire qu’il a soutenu ses opinions opposées. Le résultat a cependant été relativement minime. C’est donc, pour ce motif, le devoir de la Défense d’approfondir les raisons pour lesquelles la puissance de Hitler s’est renforcée progressivement, tandis que diminuait l’influence des ministres non nationaux-socialistes ; en résumé, ce sont les raisons pour lesquelles les assurances prévues lors de la fondation du Gouvernement le 30 janvier ont échoué.
Au début, le cours des séances de cabinet ne déviait pas de la normale. Les questions qui se présentaient étaient discutées avec un exposé du pour et du contre. Hitler n’essayait pas de faire passer à tout prix des propositions de lois rejetées avec motifs. L’affidavit de l’ancien ministre Hugenberg (document de la Défense n° 88) nous donne un exposé précis sur ce point.
Les élections du 5 mars, marquées par le succès écrasant dû parti national-socialiste, apportèrent un changement complet. En plus de ses répercussions purement parlementaires, Hitler se croyait alors renforcé dans la conscience d’être le mandataire du peuple allemand. Il croyait désormais le temps arrivé de s’en tenir exclusivement à son droit qui lui était accordé par l’article 56 de la Constitution du Reich, de déterminer les lignes directives de la politique, en sa qualité de Chancelier du Reich, même s’il était en opposition avec ses ministres. En ce qui concerne la situation en Droit constitutionnel, j’attire votre attention sur le document n° 22, dont il résulte que, dans les questions politiques fondamentales, une décision de la majorité même des ministres était sans effet contre la décision du Chancelier du Reich. Hitler était devenu très fermé aux suggestions. Pour une contradiction pleine d’objectivité au sein du cabinet, il croyait avoir contre lui une phalange d’opposants et il devint bientôt clair que les objections élevées au cours des séances de cabinet n’étaient pas de nature à faire changer Hitler d’attitude. On pouvait tout au plus espérer, comme l’accusé von Neurath l’a dit au cours de son témoignage, pouvoir agir sur lui en dehors du cabinet et en conversation directe.
Les éléments les plus essentiels de la marche de Hitler vers l’autocratie ont été le renforcement progressif de sa situation en face de Hindenburg et son influence toujours plus forte sur le ministre de la Reichswehr, von Blomberg. Les premières mesures de Hitler qui firent apparaître aux yeux de Hindenburg ses efforts en vue d’introduire un ordre sévère, avaient amélioré de plus en plus les relations personnelles de Hitler avec Hindenburg. Il avait su s’adapter très adroitement à la personnalité et à la mentalité de Hindenburg. C’est pourquoi il réussit aussi très rapidement à faire tomber en désuétude les dispositions primitives qui prévoyaient un exposé commun. Papen perdait pratiquement ainsi sa principale possibilité d’action auprès de Hindenburg.
L’attitude du ministre de la Guerre von Blomberg a été le second point décisif pour l’ascension de Hitler. La Wehrmacht était un facteur de force. Hitler savait que dans ses effectifs comme dans le corps des officiers, elle était généralement détournée de la politique mais qu’elle n’était cependant — surtout dans sa direction — aucunement portée vers les idées nationales-socialistes. Un régime gouvernemental extrêmement radical était par conséquent susceptible de créer une résistance de la part de la Wehrmacht. Il s’ajoutait à cela qu’étant donné la personnalité de Hindenburg, celui-ci ouvrait particulièrement l’oreille aux représentants des cercles militaires. Aussi longtemps donc que Hitler n’avait pas le ministre de la guerre dans sa suite, il devait être empêché de poursuivre l’exécution d’idées radicales. On ne peut encore se faire aujourd’hui, au point de vue historique, aucune idée claire de la façon dont s’explique l’influence de Hitler sur Blomberg ; nous devons maintenant nous borner à constater le fait que Blomberg est devenu très rapidement un admirateur fanatique de Hitler et que, de son côté, on ne pouvait s’attendre à aucune résistance à une évolution radicale, si importante fût-elle, de la politique hitlérienne. Plus tard, le 30 juin 1934, devait le montrer avec la plus grande clarté.
Considérée plus tard, la conséquence logique de cette évolution est claire. Hitler ne pouvait être impressionné que par le fait de la force. La Wehrmacht était, dans la situation qu’elle occupait à cette époque-là, particulièrement en raison de la position du Président du Reich von Hindenburg, un facteur de force qu’au début Hitler et son parti n’auraient pas été capables d’affronter dans une épreuve de puissance. De là vient l’effort de Hitler pour gagner la confiance de Hindenburg ; de là vient, dans la période qui s’est écoulée jusqu’à la mort de Hindenburg, la manière d’opérer relativement prudente, qui ne permettait nullement de prévoir une évolution encore plus grande. C’est à partir de la mort de Hindenburg que Hitler apparaît comme le dictateur que n’arrête plus aucune considération et qui fait sentir, du moins dans le domaine de la politique intérieure, sa puissance illimitée.
En plus de l’activité législative du cabinet, le Ministère Public s’est occupé de la question de savoir dans quelle mesure Papen est responsable de brimades exercées sur ses adversaires politiques et de bien des actes de violence qui se sont passés durant l’époque désignée dans la terminologie du moment sous le nom de « Révolution nationale ». Au cours du contre-interrogatoire, on a demandé à Papen s’il avait été informé de l’arrestation et des mauvais traitements infligés à quelques personnalités communistes et sociales-démocrates nommément désignées. Papen l’a nié en substance. Il n’était pas sans savoir que, aux termes de l’ordonnance du Président du Reich sur la protection du peuple et de l’État, des mesures avaient été prises qui enlevaient leur liberté personnelle à un grand nombre de personnalités de gauche. L’ordonnance avait été promulguée par le Président du Reich, donc en dehors de la responsabilité de Papen, et suspendait les dispositions correspondantes de la Constitution. Elle avait été établie sous l’influence de l’émotion causée par l’incendie du Reichstag, un événement sur lequel la lumière n’a pas encore été complètement faite jusqu’à nos jours, mais au sujet duquel l’affirmation officielle selon laquelle des milieux communistes avaient causé l’incendie paraissait extrêmement digne de foi. C’était d’autant plus vraisemblable que, d’après les indications de Göring, la perquisition opérée à la maison de Liebknecht, le Quartier Général communiste, avait amené la découverte de documents écrasants, révélant des projets d’actes contre le Gouvernement du Reich. L’instruction fut conduite par un juge du Reichsgericht, personnalité dont l’impartialité était au-dessus de tout soupçon. Papen pouvait donc comprendre les mesures de sécurité légales estimées nécessaires par l’administration intérieure. La connaissance du fait de l’arrestation de ces hommes politiques n’implique cependant pas nécessairement la connaissance des détails particuliers et de l’ampleur des mesures prises alors.
Nous avons toujours dû constater, pendant les années du régime nazi, que les actes de violence n’étaient exclusivement connus que dans le petit cercle des gens directement intéressés. Les mesures qui étaient prises avant la libération d’un détenu pour l’obliger à se taire étaient apparemment efficaces. Ainsi, nous voyons toujours qu’un très petit cercle de gens seulement est informé ; il se compose de l’entourage immédiat de celui qui a été détenu. Le fait que de plus larges milieux n’aient pas été informés de la nature et de l’étendue des excès qui se sont produits, et qui paraît souvent étonnant après coup, trouve ainsi son explication. Il va de soi que les proches parents et les amis politiques des hommes politiques arrêtés à cette époque étaient au courant de ce qui était arrivé à leurs proches. La portée du secret ne peut être mieux mise en lumière que par le fait que le témoin Gisevius n’apprend par des fonctionnaires de la Gestapo les conditions générales qui règnent dans les camps de concentration qu’à partir de l’année 1935 seulement.
Il me paraît donc ainsi tout à fait explicable que Papen ait été très peu au courant des mesures qui, dans les premiers mois, étaient prises presque exclusivement contre des adversaires politiques du national-socialisme provenant des milieux de gauche. La connaissance qu’il en avait ne dépassait pas, de toutes façons, celle des arrestations qui avaient été opérées en vertu de « l’Ordonnance sur la protection du peuple et de l’État ». A vrai dire, les choses se sont présentées différemment pour les empiétements ultérieurs sur les droits des organisations ecclésiastiques qui se sont tournées vers lui en grand nombre et pour lesquelles il a pris aussitôt énergique-ment position. Il en alla de même pour les mesures relatives aux événements du 30 juin 1934, sur lesquelles nous reviendrons plus tard.
En tout cas, il est très important de voir que ces mesures, tant qu’elles furent en dehors de la loi, étaient du ressort de la Police et du ministère de l’Intérieur. La loi elle-même est un décret-loi de Hindenburg. Il a été promulgué légalement. L’extension de la conception de détention de protection ne présente en elle-même rien de criminel.
En ce qui concerne les exactions contre les Juifs, le Ministère Public a reproché à Papen d’avoir adressé au New York Times, le 25 mars 1933, un télégramme où il déclarait que la situation en Allemagne était calme, qu’il y avait bien eu des actions isolées, mais qu’elles étaient désormais interdites par une ordonnance de Hitler.
Bien entendu, Papen connaissait, par les sources qu’il pouvait avoir, les exactions dont s’étaient rendus coupables quelques SA, à cette époque où les relations politiques n’étaient pas encore bien définies. Quand Hitler, le 12 mars 1933, avait catégoriquement interdit de telles actions isolées et avait ordonné qu’à l’avenir les auteurs en fussent sévèrement punis, il pouvait croire de bonne foi que cet ordre donné en haut lieu serait suivi à l’avenir. Du reste, il n’est pas sans intérêt de faire allusion ici à une publication du « Bund jüdischer Frontsoldaten » (Union des anciens combattants juifs) du 25 mars 1933. Dans cette proclamation, il est dit également que la situation, en ce qui concerne la population juive, est généralement calme et que les brimades se sont limitées à des actions isolées désormais interdites sur l’ordre de Hitler. Je présenterai l’appel de cette union des anciens combattants juifs dans mon livre de documents sur le Gouvernement du Reich. La Chambre de commerce américaine de Cologne se place au même point de vue dans une déclaration du 25 mars 1933, que je soumettrai également lors de l’exposé des preuves pour le Gouvernement du Reich.
Le boycottage des Juifs, qui fut annoncé quelques jours plus tard et exécuté le 1er avril 1933, n’était pas, contrairement à l’opinion du Ministère Public, une mesure gouvernementale, mais seulement une mesure prise par le Parti et contre laquelle, dans le cabinet, Papen et d’autres élevèrent de vives objections. La déclaration du Times, qui a été présentée dans le document de la Défense Neurath n° 9, prouve que Papen s’était adressé directement à Hindenburg à ce sujet et avait provoqué l’intervention de celui-ci auprès de Hitler. Il faut du reste considérer qu’on avait annoncé le boycottage des Juifs comme un moyen de défense limité dans le temps et concernant uniquement la vie économique. On avait aussi donné expressément l’ordre d’interdire tout acte de violence et d’empêcher tout excès par des mesures correspondantes.
Le Ministère Public s’est contenté de présenter les questions de politique intérieure sous un angle tel que les mesures prises ont contribué à consolider la position puissante des nationaux-socialistes qui avaient pris le pouvoir, pour amener la possibilité de passer ensuite aux buts d’une politique étrangère de violence qui avaient déjà été établis. Mais plus encore que d’éclairer les relations de politique intérieure, il est important de connaître la politique extérieure du Reich dans la période où Papen fut vice-chancelier.
La réserve faite par Hindenburg sur la nomination du ministre des Affaires étrangères, le fait que le ministre en fonction jusqu’alors, von Neurath, fut chargé de ce poste, un homme donc qui n’était pas national-socialiste, devaient permettre l’espoir que l’évolution de la politique extérieure ne subirait aucune modification. Les premières mesures de Hitler paraissaient non seulement justifier cet espoir, mais le dépasser. Le premier discours de politique extérieure du 17 mai 1933 s’occupait des rapports germano-polonais, rapports qui, dans le passé, n’avaient jamais amené un véritable apaisement. L’incorporation d’importantes régions, appartenant autrefois au Reich, à la Pologne ressuscitée, a amené une tension latente entre ces deux États. Hitler fut le premier qui s’attaqua à ce problème et qui fut décidé, après ses déclarations au Reichstag, à créer par la reconnaissance de l’État polonais et de ses besoins, une politique d’amitié avec ce pays. Si l’on prend en considération que l’idée de renoncer à une révision vis-à-vis de la Pologne était non seulement très impopulaire mais aussi en contradiction flagrante avec la propagande faite jusqu’ici, il était impossible de prévoir l’évolution des années à venir. On devait avoir la conviction qu’un gouvernement fort à l’intérieur soutenait ici son œuvre de reconstruction intérieure par une politique d’apaisement à l’extérieur. L’adhésion de l’Allemagne au Pacte des Quatre, la reconnaissance renouvelée du Pacte de Locamo, devaient renforcer cette conviction.
La lutte, dans le domaine de la politique extérieure, pour des valeurs spirituelles, constitue un tout autre aspect du problème. La question de la suppression de la clause de la responsabilité exclusive du Traité de Versailles, et la question de l’égalité des droits d’un grand État qui, depuis 1918, a suivi une politique conséquente de paix, représentaient des exigences qui, d’une part, ne semblaient pas imposer à la partie adverse des sacrifices insupportables mais qui, d’autre part, étaient propres à enlever au peuple allemand une charge idéologique considérée comme accablante.
C’est sous cet angle que doit être envisagé le départ de l’Allemagne de la Conférence du Désarmement. Ce départ eut lieu lorsque de laborieuses négociations n’eurent abouti à aucun résultat positif et que les puissances n’eurent manifesté aucune tendance à contenter dans l’avenir les exigences allemandes. La déclaration du Gouvernement du Reich et de Hindenburg disant que ce geste devait être considéré comme une démarche tactique qui laissait inchangé le but poursuivi, c’est-à-dire le maintien de la paix, avec reconnaissance de l’égalité des droits, devrait par conséquent paraître véridique et raisonnable. Partant de ces points de vue, Papen a, lui aussi, approuvé cette démarche. En ce qui concerne le départ de la Société des Nations, survenu à la même époque, on pouvait porter une appréciation différente. Ici également, on pouvait être d’avis que ce départ était nécessaire comme geste de protestation et que l’on pouvait prouver, par des efforts réels dans la cause même, qu’on voulait suivre une politique de paix. Papen se trouvait parmi ceux qui croyaient devoir déconseiller le départ de la Société des Nations. Il avait pourtant vu lui-même, en sa qualité de Chancelier du Reich, que les débats au sein de la grande et multiforme assemblée générale de la Société des Nations constituaient, pour mainte question, une certaine complication. D’autre part, il était fermement convaincu que l’institution de la Société des Nations pouvait faciliter une entente et ses possibilités techniques, tellement convaincu qu’il voulait éviter le départ de l’Allemagne. Cette opinion, il la défendait très activement. Ne pouvant persuader Hitler à Berlin, il le suit à Munich pour lui soumettre là-bas, peu de temps avant la décision, son opinion raisonnée. Nous voyons donc ici Papen travailler activement dans un domaine pour lequel, en tant que vice-chancelier, il ne porte, en soi, pas de responsabilité, afin d’arriver à une solution qui ne peut être considérée que comme une démarche pacifique, si l’on se place sur le plan de l’Accusation touchant le retrait de la Société des Nations.
En raison de son importance de principe, le départ de la Société des Nations, une fois effectué, a été soumis au peuple allemand pour qu’il se prononce par un référendum. Pour ce référendum, Hitler, le Gouvernement et Hindenburg, avaient lancé des proclamations qui mettaient expressément en relief que ce pas ne devait pas constituer un changement de politique mais uniquement de méthode. C’est sous cette acceptation qu’on a procédé aux préparatifs ’électoraux de ce référendum. L’Accusation reproche à Papen d’avoir, à ce propos, dans son discours prononcé à Essen, glorifié les succès du Gouvernement de Hitler et de s’être inconditionnellement évertué à ce que les questions soumises au référendum trouvassent une réponse affirmative. Si Papen a fait cela, il s’y est vu obligé du fait que la décision était déjà prise et devait être justifiée vis-à-vis de l’étranger. Si les chefs responsables ne cherchaient en effet autre chose qu’un changement de méthode, aucune objection en soi ne pouvait être soulevée contre cette mesure. La position de la politique étrangère allemande aurait été ébranlée si le peuple s’était dressé, par le référendum, contre la mesure prise. Il allait donc de soi que, dans le cadre des déclarations solennellement données, cette politique fût approuvée par le public. On ne pouvait, de plus, oublier que lors d’un référendum concernant les mesures du Gouvernement, une telle déclaration de confiance ne pouvait ignorer complètement la politique intérieure.
Nous devons considérer l’époque où ce discours a été prononcé. En novembre 1933, Hitler avait obtenu des progrès notables dans le domaine qui se trouvait alors au premier plan de la nécessité et de l’intérêt, à savoir l’adoucissement de la misère économique et la suppression du chômage. Ces mesures étaient généreuses et eurent tout d’abord un succès évident. Là encore, on ne peut appliquer aux choses les mêmes mesures que celles qu’on leur applique maintenant, après avoir vu le développement qu’elles ont prises. A ce moment, la voie dans laquelle on s’était engagé paraissait justifiée par le succès. C’est pourquoi Papen a cru devoir mentionner avec reconnaissance ces résultats positifs de la politique intérieure, dans son discours électoral dans lequel il demandait un vote de confiance pour le Gouvernement, afin de faire admettre une mesure de politique extérieure.
M. Justice Jackson a reconnu ainsi lui-même dans son exposé introductif, la situation en Allemagne en 1933 :
« En 1933, nous voyions le peuple allemand, après la défaite de la dernière guerre, regagner son prestige dans le commerce, l’industrie et les arts. Nous observions ses progrès sans défiance, sans malice. » Ainsi s’exprimait M. Justice Jackson.
De tous les problèmes de politique étrangère, celui auquel Papen s’intéressait le plus était peut-être les rapports franco-allemands. Au cours de son propre interrogatoire, il a exposé quelles étaient ses vues sur la question et a dit comment, aux environs de 1920, il avait déjà travaillé, dans différentes organisations catholiques ou politiques, à l’idée d’une entente et d’un rapprochement entre la France et l’Allemagne. Je me réfère ici au document 92, qui rapporte l’entrevue de Papen avec le colonel français Picot, qui est caractéristique de l’attitude de von Papen.
Dans le nouveau Gouvernement, en sa qualité de commissaire de la Sarre, Papen a également accordé une attention toute particulière à cette question. Nous avons vu comment il s’est efforcé, dans la question sarroise, d’éviter tout ce qui était susceptible de troubler, même à titre passager, les relations des deux pays. De là sa proposition de renoncer à un référendum qui aurait donné un nouvel élan au chauvinisme politique dans les deux pays. Hitler lui-même avait toujours déclaré, non seulement autrefois, avant la prise du pouvoir déjà, mais aussi en sa qualité de chef responsable du Gouvernement, que l’Allemagne n’avait pas l’intention de soulever à nouveau la question d’Alsace-Lorraine, mais que le seul problème qui restât à régler entre les deux pays était la question de la Sarre. Et en cela il suivait entièrement les propositions de Papen qui tendaient à un règlement pacifique.
On reproche en outre à Papen, par la conclusion du Concordat en juillet 1935, d’avoir trompé l’autre partie contractante, le Vatican. Papen aurait eu uniquement l’intention, par la conclusion de ce Concordat, de renforcer la position de Hitler et de lui procurer du crédit aux yeux de l’étranger. L’exposé des preuves a fait ressortir que le Concordat, par ses effets, avait été un accord à double caractère et que les clauses juridiques stipulées dans le Concordat, lors des violations de traités qui ont eu lieu peu après par l’Allemagne, avaient offert une certaine protection juridique à la partie même qui avait souffert de cette violation.
Je me réfère au questionnaire de l’archevêque Groeber, qui concerne la question du Concordat. Je me permets de me référer au document 104 que je vous ai remis aujourd’hui, et de le résumer brièvement ainsi : l’archevêque Groeber est convaincu que ce Concordat est une initiative de von Papen. Il confirme en outre que Papen est arrivé à imposer à Hitler les conditions du Concordat. Il confirme, dans la réponse à la question 4 tout particulièrement, que l’activité de l’accusé, au moment du Concordat, était intérieurement dictée par son attitude positive à l’égard de la religion. Pour conclure, il confirme dans la réponse 6 que le Concordat était un véritable rempart, une protection juridique contre les persécutions ultérieures de l’Église. A la question 7, il confirme que la communauté des travailleurs catholiques allemands, sur laquelle je m’expliquerai ultérieurement, n’est pas une association tombant sous la protection du Concordat.
En tout cas, il est absolument erroné de penser que Papen était au courant des violations futures envisagées, et que c’est en connaissance de ces événements qu’il a amené la conclusion de ce traité. S’il avait voulu fortifier à l’étranger le crédit de Hitler, ce moyen eût été, certes, le moins approprié. Sans le Concordat, une lutte contre l’Église aurait toujours été une question de politique intérieure allemande, bien qu’elle eût été accueillie défavorablement à l’étranger. Par le fait de ce traité entre les deux Puissances, les poursuites contre l’Église auraient constitué en même temps une violation d’un accord international, avec des répercussions au point de vue du prestige. On ne peut pas conclure un traité afin d’acquérir du prestige si l’on se met, aussitôt après sa conclusion, à le violer. Cette réflexion, à elle seule, fait échouer la supposition du Ministère Public.
En outre, le reproche formulé par l’Accusation a une signification symptomatique. Toute action de Papen, quelle qu’elle soit, doit être interprétée contre lui dans le sens de la théorie du complot et, à cet effet, la recette la plus simple est de mettre au premier plan l’évolution ultérieure, d’imputer ce développement à la collaboration et à la connaissance de Papen, et de qualifier d’équivoques et de fallacieuses les extériorisations antérieures de ses sentiments contraires. Cette recette est simple si l’on considère rétrospectivement la connaissance du développement ultérieur comme chose naturelle, si l’on ne se fait pas une idée de la situation réelle du moment, et surtout si l’on ne se donne pas la peine d’examiner la suite logique de l’intention primitive alléguée et du développement ultérieur. C’est de cette façon seulement qu’on peut arriver, comme on le fait ici, à un résultat qui, si on l’examine de plus près, n’avait pu être atteint qu’en admettant que celui qui agissait fût stupide.
Mais abstraction faite de ces réflexions, l’attitude de l’accusé à l’égard des questions religieuses ne permet pas le moindre doute sur la pureté de ses intentions. Il a été établi par la présentation des preuves que non seulement ses conseillers personnels les plus proches dans ces affaires ecclésiastiques, mais aussi les plus hauts dignitaires de l’Église qui avaient eu d’étroites relations personnelles et de service avec l’accusé dans ces questions, soulignent son attitude toujours irréprochable de catholique.
L’absence de fondement de toute l’Accusation relative à la question de l’Église est établie par la réfutation de l’affirmation du Ministère Public, selon laquelle Papen aurait lui-même violé le Concordat par la dissolution de l’« Arbeitsgemeinschaft Katholischer Deutscher » (Cercle d’étude catholique allemand). Je renvoie à ce sujet aux déclarations nettes de l’ancien directeur de cette fédération, le comte Roderich Thun, document de la Défense n° 47. Mais il convient de constater que Papen, non seulement voyait avec regret les violations ultérieures du Concordat perpétrées par le Reich, mais s’efforçait activement de s’y opposer. Toute l’activité du Cercle d’étude catholique allemand ne consistait pratiquement en rien d’autre qu’à constater de telles violations du Concordat et à fournir à Papen des bases pour ses interventions constantes auprès de Hitler. Avec le départ de Papen pour Vienne, la possibilité pratique de telles interventions cessa d’exister.
Il ressort de tous les discours de Papen que la sécurité qu’il essayait de donner aux confessions ne découlait pas de réflexions d’utilité politique du jour, mais bien de sa conviction foncièrement religieuse. Il n’existe guère de discours dans lequel il n’ait pas pris position sur ce problème et n’ait pas souligné sans cesse que seule la pensée chrétienne et partant les confessions chrétiennes, pourraient être le fondement d’une direction ordonnée de l’État. Il voyait précisément dans ce fondement chrétien la meilleure protection contre la tendance du Parti à donner de plus en plus la préférence à l’idée pure de la puissance sur l’idée du Droit.
En ce qui concerne le rapport de Papen à Hitler du 10 juillet 1933 (PS-2248), qui a été présenté au cours du contre-interrogatoire, le Ministère Public est manifestement victime d’un malentendu. Dans ce rapport, Papen indique les heureuses conséquences que l’on obtiendrait en politique étrangère si l’on réussissait à éliminer le catholicisme politique, mais cela sans toucher en même temps au fondement chrétien de l’État. Papen ne juge pas la situation passée et présente, il donne un conseil pour l’avenir. La teneur de ce conseil est absolument positive dans le sens de l’Église. Il dit : on peut bien éliminer le catholicisme politique, mais les affaires purement ecclésiastiques, le fondement chrétien de l’État, doivent demeurer intacts. Ces directives destinées à l’avenir comprennent apparemment aussi une critique du passé. Nous voyons ici comment des questions touchant à un autre domaine peuvent être discutées et présentées à Hitler en corrélation avec l’activité dans le domaine de la politique étrangère.
Dans sa déposition, Papen a pris position sur le reproche fait par le Ministère Public selon lequel il aurait dû, étant bon catholique, démissionner après la promulgation de l’encyclique papale « Mit brennender Sorge », du 14 mars 1937. Papen a pu se référer à ce propos, sans aucune critique et en l’approuvant pleinement, au point de vue de l’Église, qui avait toujours été d’avis qu’il fallait tenir une position aussi longtemps qu’elle offrait encore la moindre possibilité à une activité positive. Jusqu’à la fin, l’Église, partant de cette sage attitude et dans le sentiment de la protection qu’elle devait aux catholiques allemands, n’a pas effectué la rupture complète avec le IIIe Reich. On ne peut pas demander à un catholique isolé d’adopter ici un autre point de vue. D’autant moins que Papen, dans son activité de politique étrangère, n’entrait nullement en conflit avec sa conscience de catholique.
De même, le reproche suivant lequel il aurait dû protester auprès de Hitler, à l’automne 1938, contre le traitement du cardinal Innitzer, est dénué de tout fondement. Papen lui-même ne peut plus se rappeler aujourd’hui quand et sous quelle forme il a entendu parler de ces événements. La presse allemande n’en a rien relaté ; et des affaires de cette sorte ne transpiraient pas dans le public par le canal de l’Église, comme le suppose le Ministère Public. En tout cas Papen qui, à titre purement privé, se trouvait encore à ce moment-là en très mauvais termes avec Hitler, n’avait aucune possibilité d’intervenir.
J’ai déjà traité ici la question de l’évolution de Hitler vers l’autocratie. L’influence de Papen, après l’échec du rapport en commun auprès de Hindenburg, était réduite à un minimum. Les protestations faites aux séances de cabinet par un homme qui ne pouvait pas les étayer par des nécessités émanant de son propre domaine, étaient de nature purement théorique. Entre temps, le cercle de l’application des doctrines nationales-socialistes se resserrait pratiquement de jour en jour. Il devint évident que les dispositions de compromis des premiers temps, que le fait de reconnaître une coalition ayant droit à la parole, devenaient caducs avec le temps et que l’idéal national-socialiste s’imposait toujours davantage dans tous les domaines. Il était évident pour Papen qu’il ne pouvait pas suivre le cours des choses. Il était évident de même qu’il ne pouvait rien changer à la ligne générale dans le cadre de ses fonctions officielles, à l’exception d’une aide efficace dans des cas isolés. D’un autre côté, le maintien de ses fonctions extérieures de vice-chancelier lui donnait officiellement une certaine importance. Il était donc forcé de se demander s’il devait formuler une critique officielle à l’égard des abus existants, pour essayer une dernière fois d’acquérir une influence sur le cours des événements à la faveur d’une mise au point officielle du problème. Même si cela ne devait pas réussir, on parviendrait tout au moins à faire officiellement condamner ces abus par les personnes responsables même si, conséquence toute logique, Papen devait abandonner son poste et n’être plus ainsi en mesure d’apporter son secours dans des cas particuliers.
Dans son discours de Marbourg du 17 juin 1934, Papen a stigmatisé clairement tous les abus commis jusqu’alors. Une telle critique générale rendue publique constitue un fait resté unique dans les annales du IIIe Reich.
Il avait reconnu que le danger du nazisme consistait dans le fait que les différentes doctrines s’étaient imbriquées les unes dans les autres au cours de leur application et avaient formé un cercle extérieur qui avait étouffé la vie publique tout entière. Si l’on réussissait à rompre ce cercle, même en un seul endroit, tout ce que le système représentait de dangereux pouvait être neutralisé. La réalisation pratique de l’une seulement des questions soulevées aurait signifié une modification complète de la situation. Le système critiqué ne peut se maintenir un jour de plus si la liberté d’opinion, réclamée par Papen, est consentie. Il ne peut pas se maintenir, si la conception de la légalité et de l’égalité devant la loi est reconnue. Il ne peut être maintenu si la liberté religieuse est garantie. Une théorie marxiste du racisme ne peut être maintenue si l’on défend la maxime, commune à toutes les confessions, de l’égalité des individus. Chacune de ces attaques de Papen contenues dans son discours de Marbourg — il avait déjà parlé de la question raciale dans son discours de Gleiwitz — représentait une attaque en soi contre la doctrine générale du national-socialisme qui était en plein développement. Les auditeurs avaient ainsi reçu, sur l’origine de l’ensemble du malaise, des éclaircissements donnés par une personnalité dirigeante du Gouvernement, qui faisait partie de l’opposition. Les conséquences, acceptées à priori par Papen étaient claires. Ou bien Hitler prenait les choses en considération puisqu’elles avaient fait l’objet de discussions publiques qui devaient amener leur clarification ou bien Papen démissionnait, étant donné qu’il n’était pas en mesure de concilier sa collaboration dans la direction prise par Hitler avec ses conceptions personnelles.
Hitler, dans la position qu’il occupait alors, ne croyait apparemment pas à la nécessité de s’écarter de sa politique afin de satisfaire l’opinion publique. Il essaya d’étouffer l’opposition en interdisant la publication du discours et en faisant punir ceux qui l’avaient publié. Papen donna sa démission. Hitler n’accepta pas cette démission immédiatement, parce qu’il voulait apparemment en conférer avec Hindenburg et, tout d’abord, éclaircir avec lui la situation à cet égard.
Entre temps eurent lieu les événements du 30 juin. En ce qui concerne les mesures qu’on avait prévues pour Papen dans le cadre de cette action, on n’y verra probablement jamais tout à fait clair. Il sera, en particulier, impossible de répondre à la question de savoir si différentes personnes avaient projeté différentes mesures. L’improvisation de ces actions ressort le plus clairement de la manière dont elles ont été exécutées par rapport à la vice-chancellerie. Bose est la première victime, dans les locaux mêmes de la vice-chancellerie. Jung, qui avait été arrêté hors de Berlin, est également fusillé. Ce ne fut cependant que beaucoup plus tard que Papen et l’opinion publique prirent connaissance de son sort, parce qu’au début on avait espéré qu’averti par les mesures prises contre le discours de Marbourg il avait non seulement quitté Berlin, mais s’était rendu en Suisse. D’autres membres de l’État-Major sur lesquels on avait pu mettre la main sont arrêtés par la Police et, plus tard, internés dans un camp de concentration. En ce qui concerne Papen lui-même, on hésita apparemment à prendre une décision claire et définitive. Ses rapports étroits avec Hindenburg pouvaient faire paraître indiqué de ne pas alourdir de ce nom en vue la liste des victimes du 30 juin, étant donné qu’aux yeux de Hindenburg, à la suite du crime contre Schleicher, camouflé il est vrai en acte de légitime défense, les charges étaient déjà bien assez graves.
Pour considérer l’affaire dans le cadre du Ministère Public, il suffit d’établir, quel qu’ait été finalement le sort de von Papen, que les mesures prises contre lui et les siens illustrent son opposition absolue à Hitler et à la politique nazie. Lors du contre-interrogatoire de von Papen, le Ministère Public a présenté des lettres dont les apparences extérieures semblent montrer à première vue une certaine divergence avec son attitude habituelle. Dans ces lettres, Papen assure Hitler de son dévouement et de sa fidélité, et il dissimule le dessein réel et matériel de cette lettre sous une forme de politesse inusitée par ailleurs dans ses rapports avec Hitler. Il peut paraître surprenant qu’un homme, d’une attitude intérieure opposée, qui a été poursuivi en raison de ses idées et qui a subi des traitements aussi incroyables, surtout en la personne de ses collaborateurs, ait choisi cette forme épistolaire. Pour porter un jugement équitable, il est toutefois nécessaire de comprendre la situation du moment. Il n’y avait plus de garanties judiciaires. L’occasion était propice de se débarrasser, à la faveur de cette mesure, d’adversaires gênants. L’exemple de Schleicher, de Klausner et d’autres, l’a suffisamment prouvé. On ne pouvait absolument pas reconnaître à quel moment et de quelle manière les mesures prises contre les personnes déjà mêlées à ces choses prendraient fin. On croyait, d’une façon presque hystérique, voir dans tout adversaire politique un conspirateur des milieux des SA qui, tôt ou tard, avaient réellement voulu se révolter contre Hitler. On n’a pas encore pu établir nettement jusqu’à présent dans quelle mesure des partisans de la droite se sont, eux aussi, malgré leurs idées d’opposition, liés avec des membres des SA qui représentaient alors un important facteur de puissance. En tout cas, on ne pouvait pas constater à l’époque si les affirmations de Hitler sur les personnes qui ne faisaient pas partie des SA étaient exactes.
A ce moment-là, la situation pour Papen était la suivante : il était au courant de l’assassinat de Bose mais ne savait encore rien du sort de Jung. Il espérait qu’il avait pu s’évader. Trois de ses collaborateurs étaient dans un camp de concentration ; il fallait avant tout les en tirer. Et il fallait aussi empêcher que l’un d’entre eux et que Papen lui-même ne fussent soupçonnés à l’avenir d’avoir été en rapport avec les milieux des SA qui s’étaient mutinés. Donc, si Papen voulait faire des objections à Hitler il fallait, pour pouvoir même espérer un résultat quelconque, se tenir à distance de ces milieux des SA. C’est pourquoi Papen s’est vu dans l’obligation d’assurer Hitler, dans ces lettres, de toute sa loyauté et de toute sa fidélité.
De plus, Papen avait été convaincu pendant des années que derrière le complot organisé contre lui et la vice-chancellerie, se tenaient Hitler et Goebbels, et que Himmler, en particulier, voulait l’évincer et qu’il n’en avait été empêché que par Göring. Il fallait, par conséquent, pour se protéger contre les deux hommes, assurer Hitler de son attitude irréprochable. Ce qui importe pour l’appréciation de ces lettres, ce n’est pas leur forme mais leur teneur. La raison de ces lettres était de demander une réhabilitation pour ses collaborateurs et lui. Il demande une procédure judiciaire. Il conseille à Hitler d’exclure de la loi de réhabilitation envisagée les actions dirigées contre les personnes qui n’appartenaient pas aux milieux des SA. Que signifient ces revendications de Papen si ce n’est qu’il fallait s’en tenir à la légalité après les actes illégaux du 30 juin ? Il demande un examen objectif et juridique de ce qu’il y avait de condamnable dans les événements du 30 juin. Il ne faut pas oublier, en considérant ces événements du 30 juin, qu’ils se sont divisés en deux parties : d’une part, les mesures contre les chefs des SA dont le radicalisme était connu depuis toujours, auxquels devaient toujours être attribués les actes de violences et les actions isolées qu’il avait déjà fallu condamner dans le passé. Une action contre ces gens s’expliquait par la nécessité pour l’État de se protéger contre des éléments dangereux et prêts à se révolter. D’autre part, les mesures prises contre les personnes qui n’appartenaient pas aux milieux des SA. Un examen par les tribunaux aurait éclairci ces incidents et provoqué la condamnation des responsables. Je crois que si l’on se représente cela en considérant objectivement ces incidents, on est obligé d’en arriver à la conviction que dans les lettres de Papen on pouvait réellement rechercher autre chose que ce qu’il avait proposé à Hitler, à savoir la réhabilitation de ceux qui étaient poursuivis injustement par voie de procédure judiciaire, en évitant de justifier en bloc, par une loi, les mesures prises. Si l’on en arrive ainsi à l’essentiel de la chose et au but véritable, on ne peut en aucun cas donner à la forme de ces lettres le sens que lui attribue le Ministère Public.
C’est la lettre du 17 juillet qui montre le mieux que cette forme, en particulier, n’était pas une acceptation des mesures du 30 juin, mais que son seul but était celui qui vient d’être expliqué. A cette époque, Papen avait d’ailleurs obtenu la libération de ses collaborateurs du camp de concentration, mais Hitler n’avait pas satisfait à ses autres demandes. Nous voyons maintenant une lettre qui manque de la politesse la plus élémentaire. Ce sont des constatations purement objectives avec des demandes objectives. C’est une lettre signée uniquement par Papen, sans formule de politesse. Pas un instant Papen ne s’écarte du sujet même de la chose : il insiste sur sa démission et demande qu’elle lui soit accordée immédiatement, comme il ressort de la lettre du 10 juillet 1934 (document D-715). Il refuse de continuer à participer d’une manière quelconque à l’activité gouvernementale. Il abandonne Hitler aussitôt après lui avoir demandé de quitter la séance du cabinet du 3 juillet. Il n’assiste pas à la séance du Reichstag au cours de laquelle est votée la loi de réhabilitation. Il repousse brutalement la proposition d’accepter le poste facile d’ambassadeur au Vatican. C’était là son attitude négative.
Sur le plan positif, il s’efforce d’amener une intervention de l’Armée. Il s’adresse à son ami le général von Fritsch. Il ne peut songer à Blomberg à cause des opinions de ce dernier. Fritsch ne veut pas agir sans ordre formel du Président du Reich. Papen essaye donc d’atteindre Hindenburg. L’entourage de Hindenburg le tient à l’écart.
Docteur Kubuschok, je crois que vous pourriez vous en tenir là.