CENT QUATRE-VINGT-SIXIÈME JOURNÉE.
Jeudi 25 juillet 1946.

Audience du matin.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal siégera jusqu’à 13 heures sans interruption.

J’ai une déclaration à faire.

Lorsque l’avocat de l’accusé Hess a plaidé la première fois pour son client, le Tribunal lui a prescrit de rédiger à nouveau cette plaidoirie et de la soumettre à son examen, étant donné qu’il a continuellement méconnu la décision du Tribunal aux termes de laquelle il ne doit être question de la prétendue iniquité du Traité de Versailles.

La nouvelle rédaction du Dr Seidl a été soigneusement examinée par le Tribunal. Elle contient encore de nombreuses allusions à l’injustice du Traité de Versailles, des arguments sans pertinence, des citations qui n’ont pas été autorisées par le Tribunal et des détails qui n’ont rien à voir avec la question dont il s’occupe. C’est pourquoi le Tribunal a supprimé les passages contestés et ordonné au Secrétaire Général de remettre au Dr Seidl une copie où figurent les passages à supprimer.

C’est tout ce que j’avais à dire.

Le Tribunal demande au Dr Seidl de prendre contact avec le représentant du Secrétaire Général ; il verra alors quels sont les passages à propos desquels le Tribunal élève des objections. Docteur Fritz, je vous donne maintenant la parole.

Dr FRITZ

Monsieur le Président, Messieurs. Hier après-midi, j’en ai terminé avec mes explications sur le reproche fait à l’accusé Fritzsche d’avoir commis des crimes contre la Paix.

Je continue maintenant à la page 32 de mon manuscrit.

L’autre groupe de griefs adressés à l’accusé est marqué, par exemple, par les idées suivantes : menées antisémites, menées xénophobes, incitation à l’exploitation des territoires occupés et propagande pour la « race des seigneurs ».

A la barre des témoins, Fritzsche a fait une déclaration qui est le résultat des connaissances qu’il a acquises depuis le désastre et surtout ici devant ce Tribunal. La voici : une idéologie, au nom de laquelle 5.000.000 d’êtres humains ont été assassinés, n’a pas le droit de survivre à ce fait. Or, jusqu’où Fritzsche a-t-il fait de la propagande pour cet antisémitisme ? A-t-il pu, par là, prévoir cet assassinat, l’a-t-il approuvé ou seulement toléré ? Le Ministère Public s’est avancé très loin dans ses assertions. Il a déclaré à ce sujet que Streicher, « le plus grand ennemi des Juifs de tous les tempsi », n’aurait pu qu’avec peine surpasser Fritzsche dans ses calomnies contre les Juifs. Fritzsche s’est élevé contre cette assertion, et à bon droit à mon avis. La seule comparaison entre les slogans du vocabulaire antisémite extraits du Stürmer et rapportés par Sir Griffith Jones, des heures durant, lors de l’audience du 10 janvier 1946, et les expressions de Fritzsche citées par le Ministère Public le prouve clairement. Fritzsche — soutenu dans ses dires par l’affidavit Scharping du 17 mai 1946 (document Fritzsche 2) — a pu faire remarquer l’activité qu’il avait déployée contre ce journal. Il faut d’ailleurs remarquer que ni la langue, ni les arguments du Stürmer n’ont trouvé d’écho dans aucun journal ou poste radiophonique du régime national-socialiste.

Fritzsche n’a fait aucune propagande antisémite avant la guerre. Tous les textes cités par le Ministère Public proviennent de l’époque de la guerre, mais ils ne sont pas dirigés contre les Juifs en tant que peuple ou race, ils n’ont trait qu’à la question du déclenchement de la guerre. Il ne s’agit là que de cas occasionnels de polémique où la question juive a été mêlée à la lutte menée par la propagande qui, dans cette guerre, combattait côte à côte avec l’Armée. Ainsi s’explique que les discours radiodiffusés relevés par l’Accusation ne contenaient toujours que des remarques indirectes et ne parlaient jamais des Juifs seuls. Chacun des discours radiodiffusés de l’accusé peut être examiné sur ce point. Aussi il n’existe pas de discours de lui ayant traité du problème juif en lui-même. Un tel thème n’a jamais été abordé. Fritzsche a toujours parlé en même temps aussi de « ploutocrates », de « bolchevistes », de « démocrates » et dans des phrases avec lesquelles la propagande du IIIe Reich croyait devoir lutter. Lorsqu’il a été entendu comme témoin, il a pris position de manière détaillée sur chacun des discours radiodiffusés dont il a été question ici et il a expliqué dans chaque cas ce qui avait donné naissance à chacune de ses remarques qu’il a faites seulement en passant. D’une revue de tous ses discours à la radio, il résulte que de toutes les thèses fondamentales de l’idéologie nazie, la thèse antisémite était celle qu’il mentionnait et défendait le moins. Par là tombent les déductions finales du Ministère Public, car il ne peut y avoir de corrélation entre quelques rares expressions de Fritzsche et les ordres d’assassinat de Hitler. C’est pour cela que je m’oppose expressément aux allégations suivant lesquelles Fritzsche est plus coupable que les crédules qui exécutèrent les ordres de fusillade (audience du 23 janvier 1946). Au cours de ce Procès, nous avons entendu de nombreux témoignages sur les méthodes et les moyens les plus secrets qu’ont employés les vrais coupables pour exécuter ces horribles assassinats. On ne peut réfuter d’aussi nombreux témoignages sous le prétexte qu’ils sont négligeables ou ne méritent pas de crédit. Contrairement à ce qu’on croyait auparavant, ce Procès a prouvé qu’il n’existait qu’un petit groupe de meneurs et de complices. Pas la moindre chose n’a été produite prouvant qu’un homme tel que Fritzsche ait appartenu à ce cercle des plus restreints du despotisme hitlérien, d’autant plus que le Procès a même prouvé qu’il n’a fait la connaissance de la plupart de ses coaccusés qu’ici, au banc des accusés.

Si l’on tirait des conclusions aussi étendues contre Fritzsche, cela mènerait au point que tout homme qui aurait défendu publiquement cette idéologie — l’antisémitisme comme tel — et même d’une manière réticente, porterait la même responsabilité pénale. Le domaine de la culpabilité morale est de beaucoup plus étendu, mais nous n’avons affaire à lui que dans la mesure où la culpabilité morale se couvre avec la culpabilité criminelle. C’est pour cela qu’il n’est pas besoin de mentionner ici jusqu’où une simple erreur — même politique — peut devenir immorale aussi. Mais Fritzsche a été profondément touché par le reproche d’avoir assumé une responsabilité quelconque dans ces assassinats.

A cela, on pourrait opposer le fait que Fritzsche, bien qu’il n’eût eu que des relations peu intimes avec son chef Goebibels et les autres dirigeants de l’information, était cependant un de ceux auxquels les informations de la presse et de la radio étrangères étaient accessibles. C’est peut-être la raison pour laquelle on reproche à Fritzsche d’avoir su presque tout ce qui s’était passé sous la domination de Hitler. Fritzsche a pu s’exprimer sur ce point à la barre des témoins en citant de nombreux détails sur le fait que sa bonne foi n’a pas été ébranlée par cette possibilité, même dans les questions décisives, et peut-être aussi sur le plan moral. Aussi peu que sa profession de journaliste, qui lui donnait la possibilité de suivre de lui-même les bruits qui surgissaient, cette voie l’a amené à la connaissance des faits réels.

Les barrières qui se sont fermées devant les forfaits, il ne pouvait, il est vrai, les ouvrir par ces moyens : en ce qui concerne les émissions étrangères sur les atrocités et autres méfaits, Fritzsche, au même titre que von Schirmeister et surtout que le Dr Schar-ping, a déclaré que le contrôle effectué dans toutes les circonstances par la section « Service rapide » donnait toujours des réponses de caractère officiel qui écartaient le doute sur l’inexactitude de ces émissions étrangères. Cette section « Service rapide » (qui avait une tout autre signification que celle que lui a prêtée le Ministère Public) était justement un organe de vérification créé par Fritzsche qui permettait de contrôler les vérités que contenaient les nouvelles de sources étrangères en posant des questions réitérées aux services officiels allemands compétents. Si la Défense avait réussi à présenter au Tribunal les archives de ce « Service rapide », la preuve en aurait pu être fournie dans ses moindres détails, montrant ainsi de quelle manière les autorités allemandes répondaient à des questions de ce genre. Par exemple, le Reichssicherheitshauptamt a su par une méthode de tromperie des plus adroites, donner à ses réponses une apparence digne de foi. La propagande étrangère, qui devait pourtant avoir un but précis, ne pouvait, en face de cette propagande, prétendre à une force de persuation plus considérable. D’autant plus que la propagande ennemie donnait naturellement pendant la guerre des émissions qui ne correspondaient pas à la réalité, ce dont Fritzsche a eu souvent l’occasion de se rendre compte.

On a, d’autre part, reproché à Fritzsche d’avoir représenté la doctrine de la « race des seigneurs ». La seule parole de Fritzsche lui-même, que le Ministère Public a produite ici, montre de façon précise que Fritzsche n’avait pas plus représenté une telle idée qu’il ne l’avait propagée, et qu’il l’avait, au contraire, formellement écartée. Un examen de la citation présentée par le Ministère Public ne laisse subsister aucun doute à ce sujet. En dehors de cela, il résulte de la présentation des preuves (témoin von Schirmeister et affidavit du Dr Scharping) que Fritzsche interdisait en général l’emploi du mot « race des seigneurs » dans la presse et à la radio. Fritzsche a lui-même, sous la foi du serment, qualifié cette affirmation d’insensée. Je ne puis donc que constater, après un examen approfondi de tous les discours de Fritzsche que l’on a pu se procurer, que ce reproche est injustifié. Rien n’est changé à cette constatation par le fait que Voss et Stahel (documents URSS-471 et 473), sans allégations concrètes, ont prononcé un autre jugement. Je me suis déjà occupé de la force probante de ces documents.

Fritzsche aurait aussi, dit-on, pris part à des campagnes d’excitation contre des peuples étrangers. Afin de pouvoir étayer ce grave reproche, le Ministère Public a relevé plusieurs extraits de deux émissions radiodiffusées de Fritzsche des 5 et 10 juillet 1941. Afin de pouvoir apprécier la valeur de ces rapprochements, il. faut observer ici l’époque à laquelle ces discours ont été prononcés. Ils ont été tenus peu de temps après l’attaque contre l’Union Soviétique. D’autres paroles prononcées plus tard ou à la même époque, qui auraient pu laisser entrevoir un système analogue, ne lui seront pas reprochées. Le complément des passages cités par le Ministère Public au moyen du texte entier des discours et les déclarations de Fritzsche à la barre des témoins ont permis de conclure que Fritzsche n’avait fait aucun affront à des peuples, de l’Union Soviétique. Il n’a pas pu, non plus, par ces discours, provoquer la haine contre eux. Ils ont été prononcés après qu’on eût annoncé peu de temps avant, du côté allemand, en particulier par des corres^ pondants de guerre, que des atrocités avaient été commises dans des villes qui avaient été conquises en Galicie par les troupes allé-mandes. Ce sont des faits qui ont été rapportés partout en Allemagne par des correspondants étrangers, aussi par la parole, par l’image et par le film. On disposait à cet effet d’une documentation particulièrement importante et Fritzsche, dans ces discours, y a fait des allusions très nettes. Fritzsche a signalé l’agitation provoquée par ces communiqués dans l’opinion publique allemande et fait allusion aux coupables présumés de ces atrocités. Les faits ont aussi été confirmés du côté russe. Mais on ajoutait cependant que ces actes ne pouvaient être imputés aux Russes, mais aux Allemands. Sur le terrain indiscutable des faits, — comme ce fut plus tard le cas de Katyn — venait de s’engager un conflit pour les responsabilités, dans lequel les deux parties condamnèrent moralement les auteurs. Au cours de ces deux allocutions, comme le prouve un examen de tout leur contenu, Fritzsche ne fait pas de peuples entiers des peuples inférieurs ou inhumains. Les phrases où il emploie l’expres-siion « humanité inférieure » ne se rapportent qu’à ces coupables qu’il a stigmatisés comme moralement responsables dans sa juste indignation. Il pouvait croire aux preuves présentées du côté allemand et rien ne prouve qu’au moment où il a fait ces discours il aurait peut-être pu prévoir ce qui se passa effectivement beaucoup plus tard seulement dans l’Est. Ainsi, on ne peut lui prêter l’intention d’avoir voulu exciter ses auditeurs à de semblables méfaits. On ne peut établir un rapport de cause à effet avec ces deux paroles qu’il n’a prononcées qu’une fois.

Il en est de même pour les extraits d’un rapport du 29 août 1939 que le général Rudenko lui a présentés pendant le contre-interrogatoire (document URSS-493). Cette allocution radiophonique concernait aussi des atrocités commises à Bromberg peu de temps avant le déclenchement de la guerre et sur lesquelles un livre blanc officiel allemand avait été publié le jour de ce communiqué dont il avait été l’occasion. On y résumait les résultats d’une enquête sur ces atrocités. C’étaient seulement les coupables de ces méfaits que Fritzsche désignait comme des inférieurs. Mais on ne doit pas justifier la généralisation actuelle d’un tel jugement en prétendant qu’il faisait par là de toute la, natîon polonaise une nation inférieure. Fritzsche tenait pour exact l’exposé du Livre Blanc officiel. Il ne pouvait douter que des Polonais eussent tué des Allemands. Mais pas un mot de ce discours ne permet de conclure qu’il a ainsi envisagé la possibilité ou même propagé l’idée que l’on pourait anéantir les peuples slaves. Comme le peuple allemand, Fritzsche ne pouvait alors non plus se représenter quelque chose de semblable.

Le général Rudenko a tenté durant le contre-interrogatoire de prouver à mon client la fausseté d’une de ses descriptions. A cette fin, ou lui présenta un extrait de son allocution radiophonique du 2 mai 1940 (document URSS-496, audience du 28 juin 1946). Fritzsche y décrivait comment des fermes, des villages et des villes isolées de Norvège qu’il avait visités lui-même peu de temps auparavant étaient restés épargnés par la guerre. Le représentant du Ministère Public russe s’est référé par contre au rapport officiel du Gouvernement norvégien (document PS-1800) et aux dommages de guerre qui y sont signalés. Il en est résulté l’impression que Fritzsche avait, dans ce discours, trompé ses auditeurs. Mais le texte complet de ce discours montre que les phrases citées à propos des maisons intactes de Norvège sont en contact direct avec d’autres phrases où Fritzsche dépeint lui-même les destructions qui ont été, en Norvège, la conséquence des combats. Fritzsche ne mentait pas quand il déclarait, dans son allocution, que dans les autres parties du pays qu’il avait visitées on ne pouvait découvrir la moindre trace d’une lutte. Sa description ne contredit donc aucunement le rapport gouvernemental norvégien.

Je voudrais ajouter quelques mots sur les événements relatifs à l’Athenia et sur le rôle que Fritzsche y a joué. Cette affaire montre que Fritzsche ne voulait transmettre les nouvelles que quand il les croyait véridiques ; cela montre également combien Fritzsche était tributaire des services officiels. Cela appuyait sa bonne foi ; car la base naturelle de sa conviction qu’il fallait accorder confiance aux renseignements parvenus des sources officielles ne pouvait être ébranlée à cette époque.

Au cours de ce Procès, tout le monde a, avec raison, qualifié d’abject l’article du Völckischer Beobachter du 23 octobre 1939. Fritzsche ouvrit à ce sujet une polémique qui, si elle n’était pas dans la même forme, avait cependant une force très agressive. Je me permets d’attirer votre attention sur le fait que de telles remarques n’auraient pu être condamnées moralement que si Fritzsche avait su auparavant que c’était bien un sous-marin allemand qui avait coulé l’Athenia. Mais Fritzsche n’a appris ce fait, comme il l’a déclaré sous la foi du serment, qu’ici, à Nuremberg, en décembre 1945. Jusque là, on lui avait justement caché cette, circonstance décisive, à lui qui avait suivi au ministère de la Propagande par l’intermédiaire de l’officier de liaison de l’OKM et d’autres services officiels, des affirmations émanant des services d’information étrangers.

Quant au reproche adressé à Fritzsche d’avoir poussé à l’exploitation brutale des territoires occupés (audience du 23 janvier 1946), le seul document produit à ce sujet est son allocution du 9 octobre 1941. Elle reproduit un passage d’un discours public de Hitler, prononcé quelques jours auparavant. Je me suis efforcé de trouver, dans cette citation et dans les commentaires que Fritzsche a faits à la radio, une invitation à l’exploitation brutale des territoires occupés. Je ne m’explique pas comment on a pu prêter un tel sens a une de ces phraises. Je ne peux que supposer qu’il s’agit d’un malentendu et je m’en rapporte à la décision du Tribunal sur ce point. Fritzsche n’a pas prononcé un mot en ce sens, il n’y a fait aucune allusion et a encore moins prononcé une invitation. Il ressort en outre que l’affidavit du Dr Scharping du 17 mai 1946 (document Fritzsche-2), que l’emploi de tout moyen de coercition à l’égard d’autres peuples aurait été contraire au but qu’il poursuivait lui-même au sein du ministère de la Propagande, qui consistait à gagner tous les peuples d’Europe à une collaboration, volontaire.

On n’a pas pu prouver non plus à Fritzsche qu’il connaissait en détail la façon dont fut mobilisée la main-d’œuvre étrangère. J’attire votre attention sur le fait que l’accusé Sauckel a déclaré qu’il avait parlé à Fritzsche une seule fois, brièvement et en dehors du service, au début de l’année 1945. Dans son affidavit, Fritzsche a donné d’une façon très complète de nouveaux détails sur le fait qu’il avait reçu de la part des services compétents, pour la faire connaître au public allemand, une documentation volumineuse dans laquelle on insistait toujours sur le fait que ceux qui venaient travailler en Allemagne le faisaient d’une façon tout à fait spontanée. On ne doit pas admettre que le ministère de la Propagande ait reçu à ce sujet d’autres communications que celles qui ont été faites par Sauckel dans son rapport à Hitler (document PS-407).

Quant au reste, on n’a absolument pas pu prouver que Fritzsche avait approuvé des violations du Droit international qui pouvaient déjà avoir été commises ou qui étaient sur le point de l’être, tel l’ordre des commissaires ou la justice du lynch contre des aviateurs ennemis abattus ; et on a encore moins pu prouver qu’il avait admis la propagande à ce sujet. Le représentant du Ministère Public russe a reproché à l’accusé, en ce qui concerne l’ordre des commissaires, d’avoir, en tant que soldat de la 6e armée, eu connaissance de cet ordre. Fritzsche l’a confirmé. Mais il pouvait faire remarquer qu’il n’est pas seulement resté passif. Il s’est même, et le fait doit être mentionné, élevé avec succès contre cet ordre par des propositions adressées à son commandant en chef, le témoin Paulus (audience du 12 février 1946). Le reproche du général Rudenko d’avoir néanmoins continué à servir Hitler, bien qu’il eût dû admettre, tout au moins, que ce dernier était l’auteur d’un tel ordre contraire au Droit international, n’est pas susceptible d’accabler Fritzsche comme propagandiste ou même seulement moralement comme homme. Messieurs, si on pouvait soulever un tel reproche, susceptible d’entraîner une suite pénale, on devrait toucher ainsi tout soldat allemand qui a continué à se battre pour sa patrie à l’Est après l’automne 1942.

Fritzsche s’est élevé également contre le fait que des aviateurs alliés pouvaient être traités contrairement au Droit international. Il a, d’une façon spontanée, sur ce terrain, refusé de Goebbels toute activité de propagande lorsqu’il en a eu connaissance. Ces faits sont établis par son interrogatoire détaillé sur ce point et par l’affidavit du Dr Scharping (document Fritzsche-3).

On ne peut rien retenir en outre à la charge de Fritzsche, de ce qu’il a dit dans ses discours à la radio sur l’emploi des armes nouvelles et sur le mouvement du Werwolf (document URSS-496), discours qui lui ont été reprochés sur ces points au cours du contre-interrogatoire par le représentant du Ministère Public russe.

Je puis m’éviter de donner de plus amples détails à ce sujet, du fait que Fritzsche lui-même a pu s’expliquer’ longuement. Le’ dis^ cours du 7 avril 1945 (documents URSS-496), qui lui est reproché, ne glorifie absolument pas des procédés de guerre contraires au Droit international. On y essaie plutôt, en faisant ressortir les maux du peuple allemand, provoqués par la guerre aérienne si efficace des Alliés, de trouver une justification ou une excuse psychologique au fait que vers la fin de la guerre des civils ont pris activement part à la guerre.

Il n’y a que sur un seul point de l’exposé des preuves que je suis obligé de m’expliquer encore. A la fin de son contre-interrogatoire, le général Rudenko a présenté un court document (document URSS-484). Il s’agit, en l’espèce, de la copie d’une communication brève du 19 octobre 1944, signée par Fritzsche et destinée au commandant von Passavant, un technicien de la radio, qui était faite dans le cadre de la section de propagande de l’O’KW. Le Ministère Public russe veut déduire du contenu de cette communication que Fritasche se serait engagé a la préparation et à la mise sur pied d’une guerre biologique quelconque, mais il est impossible de tirer une telle conclusion du contenu de cette communication. Il s’agit uniquement d’une lettre d’envoi qui ne comprend que cinq lignes et qui a pour but la transmission d’une lettre d’un auditeur de la radio à un autre service. La section de Fritzsche recevait journellement des monceaux de lettres d’auditeurs inconnus de la radio. Un employé subalterne examinait ces lettres qui arrivaient par centaines chaque jour et les adressait là où elles pouvaient éventuellement être prises en considération. On n’a pas agi différemment à l’égard de la lettre de l’auditeur Gustav Otto de Reichenberg, qui contenait apparemment une proposition de faire la guerre biologique. Fritzsche a, bien entendu, signé, en sa qualité de chef de la section dont il s’agit, la lettre de transmission, rédigée par l’employé subalterne dont il vient d’être question, mais il n’a néanmoins pas pris connaissance du contenu de la lettre de l’auditeur. Étant donné le grand nombre de lettres d’auditeurs qui arrivaient journellement, il lui était absolument impossible de les lire. La lettre en question n’a, en tout cas, pas été examinée, quant au fond, par la section radiodiffusion. La copie de la lettre de transmission a, de plus, été classée immédiatement ainsi qu’on peut le constater d’après des annotations au crayon qui y figurent. Comment peut-on déduire de cet état de fait quelque chose de défavorable contre l’accusé Fritzsche ? D’autant plus qu’on ignore totalement comment cet auditeur, également inconnu, s’est représenté la guerre biologique.

Je suis enfin obligé de faire ressortir encore que le général Rudenko a lu le document en question lors du contre-interrogatoire et qu’il l’a fait d’après un texte russe. Le texte allemand, qui figure dans le procès-verbal allemand (audience de l’après-midi du 28 juin 1946, tome XVII) et le texte anglais qui lui correspond, différent notablement, quant à leur contenu, du texte allemand original. Pour le cas où le Tribunal, malgré la pauvreté de ce document dont le sens ne s’expliquerait du reste que par les annexes inexistantes, croirait néanmoins devoir y attacher une certaine importance, il serait nécessaire de faire établir avant tout des traductions exactes, d’après le texte original allemand.

Je puis ainsi terminer l’appréciation des preuves qui ont été présentées : aucun des documents opposés à l’accusé Fritzsche au cours du contre-interrogatoire n’a pu modifier l’impression qu’il nous a faite au cours de l’interrogatoire prop’rement dit : celle de s’être exprimé devant ce Tribunal d’une façon sincère et véridique, et dans le but, de faire aussi de lui-même tout ce qui était possible afin de parvenir à un jugement équitable. En outre, les déclarations de Fritzsche ont été confirmées sur tous les points importants par les documents que j’ai remis et, avant tout, par la déposition du témoin von Schirmeister. Ce dernier, qui a été, pendant la période décisive de 1938 à 1943, le compagnon journalier de Goebbels, a pu déposer de façon directe, et je puis sans doute dire d’une façon suggestive, sur la situation réelle qui régnait au ministère de la Propagande. Le résultat des preuves — et je puis sans doute me permettre, à cette place, de répéter les paroles du début de ma plaidoirie — a été non équivoque en ce qui concerne mon client. Car en opposition à la déclaration de M. Albrecht que j’ai mentionnée au début de mes explications, les débats n’ont nullement révélé que l’importance de Fritzsche eût été en réalité plus considérable que ne l’a indiqué ce schéma du ministère de la Propagande.

Le simple exposé des’ faits devrait avoir clairement montré que Fritzsche ne peut surtout pas être responsable du rôle réel, dont on ne peut juger que maintenant, qu’a joué le grand système de toute la propagande du IIIè Reich, dans les projets et entre les mains d’un petit cercle d’initiés. Si l’on a abusé, à cette occasion, du groupe limité dans lequel Fritzsche travaillait, on a abusé aussi de Fritzsche. L’hypothèse qui faisait de Fritzsche le plus proche collaborateur et le bras droit de Goebbels, voire son remplaçant, et dont on a peut-être déduit le grand nombre des reproches qui lui sont faits, se trouve déjà réfutée par les faits exposés. Au cours de l’exposé des preuves, il a été démontré qu’il était odieux de faire supporter à Fritzsche la même responsabilité qu’à Goebbels. Les actes et les mesures effectives de mon client auront montré que les affirmations du Ministère Public sont allées beaucoup trop loin.

Or, en ce qui concerne l’appréciation juridique de ces actes et de ces mesures de Fritzsche portée par le capitaine Sprecher, il est remarquable — comme je le vois à la différence des autres accusés — que, dans un seul passage, on a tiré cette conclusion d’ordre général que Fritzsche a été pendant une certaine période le conspirateur principal parce qu’il était directement chargé de la manipulation de la presse (audience du 23 janvier 1946). Je n’ai pas besoin de souligner encore une fois que les conditions objectives d’une telle appréciation n’étaient pas remplies. Ce qui m’importe maintenant, en ce qui concerne la qualification de Droit par le Ministère Public, c’est de retenir qu’au cours de l’exposé son activité a plutôt été considérée comme une forme de participation. Le Ministère Public a souligné en effet, à plusieurs reprises, que Fritzsche doit répondre devant le Tribunal de sa complicité, qu’il est stigmatisé comme complice de Goebbels, qu’il aurait aidé à créer des moyens de propagande, qu’il aurait contribué à rendre possible une atmosphère de haine, qu’il l’a soutenue, etc., ce qui fait ressortir qu’il ne peut avoir fait partie de ceux qui ont conçu les projets. D’autre part, on dit aussi de cet accusé qu’il a été un instigateur, un agitateur et un meneur.

La première question est donc la suivante : le complice accessoire compte-t-il parmi les participants au sens de l’article 6 du Statut ? Il me semble que le Dr Stahmer n’a pas encore traité cette question. Or, le cas de l’accusé Fritzsche incite à le faire, parce que le Ministère Public lui-même ne l’a désigné de façon particulière que comme un complice. C’est pourquoi il me faut approfondir cette question. Ces quatre notions : meneurs, organisateurs, instigateurs et complices doivent, d’après leur composition extérieure, être équivalentes. Les quatre coupables éventuels doivent aussi être traités de la même façon. Les quatre notions, dans la mesure où elles diffèrent dans le langage, peuvent donc indiquer seulement les diverses formes qui sont censées caractériser un complot. L’un suscite, l’autre organise ; l’un dirige la bande, l’autre prend part au complot d’une autre manière. Ces quatre notions sont, pour cette raison, en rapport avec le plan commun. C’est la seule idée de communauté de plan qui doit les relier les uns aux autres. Cela seulement les rend véritablement complices. Projeter quelque chose en commun, vouloir exécuter quelque chose en commun, c’est là le concept principal de ces quatre notions secondaires. Il n’y a que les rôles des uns par rapport aux autres qui peuvent naturellement varier. Ces rôles peuvent être également distribués par les conspirateurs eux-mêmes. Si les conspirateurs ont inventé, élaboré ou même seulement projeté ce plan en commun, le rôle de chacun d’eux doit peu importer. Il doit être également sans aucune importance de savoir si, au sein de ce complot, l’un quelconque des conspirateurs est le chef, l’instigateur ou un participant quelconque au plan : mais tous doivent avoir participé au plan, chacun a dû, au moins, en reconnaître le but, car d’après les termes du Statut, il doit avoir participé soit à l’élaboration, soit à l’exécution d’un plan concerté ou d’un complot pour commettre un crime isolé. Alors, et alors seulement, il sera responsable si l’un quelconque des complices commet un crime au cours de l’exécution d’un tel plan concerté.

Le mot participant se réfère donc au plan. C’est celui qui a participé au plan et ne se distingue en aucune façon du chef ou de l’instigateur. Une plus large interprétation, dans le sens accessoire, doit s’éloigner de cette notion.

En Droit coutumier, la notion de participant, en tant que notion principale, a une tout autre signification, également pour les complices. Selon la conception du Droit coutumier, l’assistance n’est qu’une forme de la participation. C’est une forme à l’occasion de laquelle un acte étranger ne peut être que soutenu ou provoqué. C’est un acte étranger que le complice ne considère précisément pas comme le sien propre. Cela signifie la dépendance, le caractère accessoire de l’aide apportée à l’acte principal. Le dernier alinéa de l’article 6 du Statut ne peut avoir un tel sens. Dans cet article, le participant doit être assimilé au complice, alors qu’en Droit coutumier, celui qui apporte une aide en tant que participant au second degré ne peut jamais être complice d’une action répréhensible. En Droit coutumier, les aides ne sont que des accessoires. L’auteur du Statut’ ne peut pas avoir considéré les simples aides accessoires comme des participants au plan ; car celui qui participe au plan doit répondre pleinement des actions des autres, même s’il n’a participé que de façon secondaire à la formation du plan. On doit conclure en sens inverse : celui qui ne participe pas à la formation et à la mise en application d’un plan concerté, ne peut alors porter aucune responsabilité pour le fait des autres. Que les autres aient commis des crimes au cours de l’exécution de ce plan ou seulement à l’occasion de so’n exécution, cela n’a pas d’importance. La responsabilité de l’un pour les actes de l’autre ne peut exister que si le plan les lie. C’est pourquoi la notion de conspirateur suppose forcément que tout ce qui est fait doit être fait avec une volonté commune et une connaissance commune, dans ce qui touche au plan.

Cette idée de participation qui se réduit au plan s’exprime aussi, à mon avis, dans un autre passage du Statut. On dit déjà dans l’article premier — et pas seulement dans l’article 6, alinéa 1 — que, en exécution de l’accord des quatre Puissances du 8 août 1945, les « criminels de guerre principaux » — les « principaux coupables », les « principaux conspirateurs » — doivent être considérés comme responsables. Peu importe la formule employée. Les comparses, les complices, les simples exécutants et tous ceux qui sont simplement liés par une certaine dépendance, les auteurs accessoires qui n’appartiennent pas à l’organisation centrale et ne sont pas en rapport avec la conspiration ou qui n’ont pas un rôle important dans l’exécution d’un crime isolé, ne peuvent pas être assimilés à un tel groupe. Dans le sens de la conspiration et de la solidarité de l’un envers l’autre, il ne peut y avoir de simples « comparses ». J’ai prouvé que l’accusé Fritzsche, d’après sa fonction dans l’État et dans la structure du Parti, ne peut faire partie ni idu groupe restreint des conspirateurs, ni du groupe plus large des organisations. Le capitaine Sprecher lui-même a déclaré (audience du 23 janvier 1939) que Fritzsche ne pouvait être considéré par le Ministère Public comme le type même du conspirateur, qui aurait conçu la stratégie d’ensemble. Son domaine se serait même trouvé en dehors de la conception du plan. Mais il n’aurait pas eu besoin d’avoir compris lui-même la stratégie fondamentale, donc d’avoir connu le but, lorsqu’il servait de porte-parole aux conspirateurs. Je crois que cette dernière conclusion, en appréciant avec exactitude la notion de participant dans le sens du complot, contient une erreur de logique : car quiconque s’est trouvé en dehors même de ceux qui ont conçu le plan, ne fait pas partie du groupe des conspirateurs.

Après ces explications juridiques qui ont été soutenues par la conception même du Ministère Public, j’en arrive au résultat suivant : l’accusé Fritzsche, dont on n’a pu ici prouver une participation à un plan concerté quelconque, ne peut pas, par conséquent, avoir également participé au prétendu complot. En tout cas, il ne peut être puni en vertu du dernier alinéa de l’article 6 du Statut. D’après la conception du Statut, il devrait y avoir une limite à l’accusation portée dans ce Procès contre un individu. Quand un individu est-il encore complice ? Et quand ne l’est-il plus, mais seulement exécutant ou assistant ? Où se trouve cette limite au moyen de laquelle la responsabilité d’actes personnels peut être séparée de la responsabilité de ceux commis par d’autres ? Car il doit y avoir aussi une limite à cette responsabilité collective. Je pense que le plan concerté constitue justement cette limite. Quiconque ne fait pas partie du groupe de ceux qui ont élaboré ce plan, doit également rester en dehors du groupe des conspirateurs.

Mais les auteurs du Statut ont, d’autre part, créé la possibilité : a) de déclarer un individu criminel même quand il ne fait pas partie du groupe des conspirateurs et,

b) de déclarer criminelle une organisation en tant que telle.

Si l’accusé Fritzsche n’appartient pas au groupe des conspirateurs et, comme il est établi, n’a jamais été ’membre d’une seule organisation incriminée ici, il ne pourrait donc être condamné que s’il avait, en tant qu’individu, commis des crimes au sens de l’article 6, alinéas 2, a) à c) du Statut. Mais alors, comme dans toute procédure criminelle ordinaire, le Ministère Public doit apporter la preuve d’un crime. S’il ne fait pas partie de la conspiration, s’il ne fait pas partie d’une organisation, le Ministère Public ne peut pas s’appuyer sur une prétendue présomption légale ; une présomption qui doit émaner du seul fait qu’on a été memibre d’une organisation. La charge de la preuve ne peut donc pas être renversée.

La deuxième question est la suivante : Fritzsche a-t-il, en tant que complice ou instigateur, fait partie des criminels dont on a prouvé qu’ils ont commis en tant qu’individus un crime contre la paix, une violation des lois de la guerre, un crime contre l’Humanité ? On ne lui a pas reproché d’avoir, en tant qu’individu, commis de sa propre main un de ces crimes. Le reproche ne vise que sa complicité.

Autant que je le vois, la conception de la complicité accessoire n’est pas étrangère au Droit pénal anglo-américaine. ( Distinction temporaire : accessories before the fact principals, accessories after the fact. Les « principals » se distinguent positivement de diverses façons, échelonnées pour les uns of the first degree » et. les autres « of the second degree » ; les derniers se divisent encore en ceux qui ont prêté assistance lors de l’exécution elle-même par leurs conseils (abettitag) ou en agissant (aiding) ).

Mais le Common law est dominé par le principe que le complice est analogue à l’auteur, que le complice doit donc, abstraction faite du degré de sa culpabilité individuelle, être puni en principe comme l’auteur et les complices accessoires (Mais il faudrait mentionner que, par exemple, une loi anglaise (loi de 1861) fait une distinction entre « accessories » et « abettors » et, en outre, quoique ce soit faculatif, a abandonné la sanction identique d’infractions différentes ; si bien que pour des trahisons, on peut simplement être puni : « may be punished » ; pour des délits on doit être puni : « shall be liable to be punished » ).

Mais l’allusion du Common law anglais n’a lieu ici que pour pouvoir trouver le point de contact avec la conception du Droit allemand. Il suffit donc de constater d’abord que le Droit anglo-américain reconnaît également une distinction entre la conception des auteurs et celle des complices simplement accessoires.

Or, ici surgit une difficulté essentielle. Elle provient de ce que les idées de justice et d’injustice du Ministère Public sont différentes de celles des accusés. Elles doivent nécessairement être différentes, parce que leur droit positif n’est pas le même. Voilà la raison pour laquelle je ne puis encore en terminer avec ces considérations juridiques. Des divergences de conceptions, qui sont pourtant familières, aux deux sphères juridiques mènent, au point dfe vue du Droit positif, à des conséquences juridiques différentes. Le Procureur Général britannique a parlé de la responsabilité individuelle de chacun des accusés au sens de l’article 6, deuxième alinéa, a) à c) du Statut (audience du matin du 4 décembre 1946). A ce propos, il a dit que c’était un lieu commun du Common law que ceux qui aident un criminel, qui l’assistent de leurs conseils et dans ses actions, sont eux-mêmes considérés comme des criminels. On peut dire qu’il a ainsi défendu le point de vue selon lequel, d’après le Droit anglais, ils devraient, en tant que complices d’une action exécutée par des tiers, être punis tout comme les auteurs principaux ; le caractère de complice, si je comprends bien Sir Hartley Shawcross, n’aurait pas une importance capitale. .

En pratique, cela pourrait signifier que la diversité des notions d’« accomplices » (complices) et d’« accessories » (accessoires) ne joue aucun rôle ici, si ce n’est pour déterminer la mesure de la culpabilité individuelle. Celui qui ne fait qu’appuyer l’action d’un tiers doit-il, par principe, être jugé exactement de la même manière que celui qui veut cette action comme sienne ? Je peux souligner les conséquences qu’une telle conception pourrait avoir par exemple déjà sur la mesure des peines.

Il faut dire ici que le principe de Droit cité par Sir Hartley Shawcross peut, il est vrai, être un lieu commun pour chaque personne soumise à la sphère juridique anglo-saxonne. Mais il n’est pas valable pour un accusé allemand. Comme je le déduis de l’exposé des charges de M. Dubost, il ne paraît pas non plus être valable en Droit français. Car M. Dubost a déjà indiqué que, d’après des principes de Droit pénal pur, tous les accusés ne pourraient en aucun cas être considérés comme auteurs principaux mais uniquement comme « complices ». Et en raison de la limitation trop étroite des conceptions du Droit commun, les faits à juger ici ne paraissent pas du tout, selon l’opinion du Ministère Public français, à l’échelle du Droit commun et de sa statique rationaliste. Il faudrait leur appliquer un Droit dépassant ce cadre (audience du matin du 1er février 1946).

C’est pour cette raison que la notion de la conspiration — la doctrine du complot — et la possibilité de déclarer criminelle une organisation doivent être les moyens dépassant le Droit commun. Mais que faire si un accusé ne fait partie ni de la conspiration ni d’une organisation ? Il faut bien, quand même, qu’on applique un Droit quelconque ! Alors il ne reste pour juger un fait individuel, que le Droit commun. Quel autre Droit, en ce qui concerne les notions générales de culpabilité, de dol, de négligence, de caractère accessoire de la complicité, doit alors être appliquée Le Statut peut avoir créé, il est vrai, un nouveau Droit matériel en stipulant des faits nouveaux. Mais avec quel système juridique doit-on aborder ces faits nouveaux ? Le classement des faits ne peut se faire sans doute qu’à l’aide de l’analogie avec les notions de Droit pénal. Quant aux faits de l’article 6, b) et c) du Statut, ils concordent dans leurs parties essentielles avec les faits du Droit commun. Un accusé individuel, qui n’est pas impliqué dans le plan ou dans une organisation, ne peut alors être jugé que d’après les principes qui sont aussi valables pour n’importe quelle autre infraction de Droit commun. S’il s’agit. de notions telle que celle du caractère accessoire de la complicité, on ne peut poursuivre un accusé que d’après le Droit commun.

La conscience allemande du Droit s’est trouvée en présence des problèmes juridiques les plus difficiles précisément en considérant la doctrine des formes de la participation et aussi la question de savoir comment classer un complice parmi les différentes possibilités d’une participation. C’est précisément de ce fait que découle la question décisive : est-il possible que le Statut soit allé aussi loin — je répète qu’il s’agit de notions du Droit commun — que de défendre, si possible, de tenir compte des conceptions juridiques des accusés, lors du jugement des complices secondaires ? En outre, le Statut pouvait-il, pour ce problème, négliger complètement la formation totalement différente du Droit positif ?

Eu égard à la diversité du Droit positif en ce qui concerne précisément la question de la complicité accessoire, il me sera permis de faire quelques remarques de caractère dogmatique sur la conception juridique allemande. On ne pourra justement et équitablement mettre à la charge d’un accusé allemand — au moins en ce qui concerne la notion du complice secondaire — que ce qui correspond à la conviction juridique du peuple, ce qui correspond aussi du point de vue moral au domaine de ses connaissances. Voilà le point décisif.

D’après les prescriptions positives contenues dans l’article 49 du Code pénal allemand, le complice est non seulement séparé par une définition très nette de l’auteur, mais il encourt également, par principe et obligatoirement, une peine moindre que l’auteur. C’est pour cette raison que la doctrine et la jurisprudence ont opéré une séparation très nette entre la perpétration personnelle et le simple appui ou la simple assistance prêtés à l’action d’un tiers par le complice. La séparation ne se fait pas uniquement d’après des caractéristiques extérieures, donc d’après des facteurs objectifs, mais aussi d’après, des critères intérieurs, donc d’après des facteurs subjectifs. Une longue jurisprudence allemande, notamment celle du Reichsgericht, exprime cette différence en attribuant au complice, lors de sa participation à l’action d’un tiers, l’animus socii tandis qu’elle attribue à l’auteur l’animus auctoris. D’après le Droit allemand, la complicité examinée du point de vue extérieur — donc d’après des facteurs objectifs — n’est qu’une assistance, un appui donnés à l’action de l’auteur principal ; le complice doit avoir contribué par son assistance au succès (Reichsgericht 56, 168 : « Objectivement, une condition doit être remplie pour que l’actiton d’un tiers puisse avoir lieu »). S’il n’a pas contribué à ce résultat, alors il n’est pas un complice. Son action, alors, n’est pas punissable.

Quant à l’aspect interne de l’action, le dol, la volonté du complice, l’animus socii, doit avoir pour but d’appuyer en toute connaissance l’action d’un tiers.

Le Droit allemand distingue donc nettement aussi en jugement ce qui se passe dans le for intérieur de l’auteur, la volonté de la connaissance (Si ne me je trompe pas, cela correspond à peu près à la distinction entre l’acte de volonté (vicions will) et à la faculté de reconnaître (some blameworth condition of mind) de la conception juridique anglaise).

Et cette distinction est, en outre, décisive pour savoir si quelqu’un a commis un acte de complicité. J’ai déjà expliqué ce que Fritzsche a pu, d’après le domaine de ses tâches, connaître des plans ou des détails de leur exécution. Il ne pourrait être condamné que si l’on avait prouvé, en sa qualité de complice, sa connaissance et sa volonté certaine à cet effet. De plus, il faudrait examiner si ce que l’accusé Fritzsche a su et voulu, en prêtant son assistance, comme on l’a allégué, concorde avec ce qu’un quelconque auteur principal d’un crime a réellement fait. Il n’y a complicité que lorsque la connaissance et la volonté des deux concordent. Il faut souligner, à ce sujet, qu’une connaissance indéterminée, une volonté purement générale, ne suffisent pas pour constituer une complicité accessoire.

Le complice doit se représenter de façon concrète les faits qui doivent volontairement être réalisés par un autre (Ces principes de Droit, basés sur l’article 49 du Code pénal allemand, ont été développés dans nombre de décisions du Reltehsgericht ; la reproduction au moins d’une de ces décisions paraît apte ; à démontrer la conception juridique allemande. Déjà dans sa décision du 7 octobre 1890 (BG. 21, 95) le Reichsgericht a formulé ainsi le problème : « Comme l’un des éléments de la complicité punissable consiste à prêter volontairement assistance à la perpétration de l’acta de l’auteur, elle suppose non seulement que le complice a dû avoir connaissance des caractéristiques essentielles de l’acte principal, mais encore que sa volonté et sa résolution ont tendu à perpétrer ou à favoriser par son assistance la réalisation de tel acte concret et défini de l’auteur. L’action réellement perpétrée ou tentée doit coïncider avec celle appuyée par le complice, dans toutes ses caractéristiques essentielles. Si cette concordance fait défaut, notamment si l’assistance est exploitée par l’auteur à la perpétration d’une autre action ou d’une action aggravée par des circonstances spéciales, ignorées du complice, ce fait ne saurait être imputé au complice... Sa responsabilité pénale ne va pas plus loin que ne va et ne se réalise son dessein de porter assistance » . Comparez, à ce sujet aussi, les décisions dans RG. 15, 316 ; RG. 37, 323 ; RG. 56, 350 ).

Mais le Ministère Public reproche également à Fritzsche, en certains points, d’avoir poussé accessoirement à des crimes déterminés. La troisième question est donc celle-ci : Fritzsche a-t-il été l’instigateur d’un crime individuel quelconque ?

Dès le début de ces explications juridiques ; j’ai attiré l’attention sur les détails du réquisitoire du capitaine Sprecher (audience du 23 janvier 1946). Il me paraît douteux qu’il s’agisse réellement là de la notion d’instigation dans le sens rigoureusement juridique du Common law.

Car, en général, c’est le terme de « incitement » qui y est employé, et qui correspond en Droit allemand à la simple notion de provocation. Le reproche de provocation ne pourrait être maintenu que sl’il s’agit de la responsabilité de Fritzsche pour un certain crime isolé, prévu dans l’article 6, deuxième alinéa, points a) à c). La supposition d’après laquelle Fritzsche pourrait être l’insitigateur d’un plan concerté à l’intérieur du groupe de conspirateurs ne peut, d’après ce que j’ai dit auparavant, être prouvé en aucun cas.

Mais la provocation en tant que forme de participation accessoire dans le sens du Droit commun, suppose, contrairement au cas de complicité où une intervention criminelle ne doit être que soutenue ou encouragée, qu’une telle intention existe chez l’auteur. L’influence psychique ne consiste pas, comme dans la complicité, à renforcer dans sa décision celui qui est déjà décidé à agir, mais à faire naître cette volonté d’action (Cf. « accessory before the fact » avec les deux possibilités, celle de l’« instigator » qui amène la décision ou celle de l’iabetton qui prête un appui intellectuel avant l’exécution) .

Les moyens employés peuvent être les plus divers, mais il faut vraiment que l’état d’esprit de l’auteur soit transformé (Extrait d’une décision du Relchsgericht, BG. 36, 404 : « La notion de provocation suppose que celui sur qui s’exerce la provocation n’est pas déjà décidé lui-même à commettre l’acte punissable, soit par sa propre conviction, soit sous l’influence d’autrui ». Voir aussi à ce propos RG. 26, 362).

Mais la complicité et la provocation comme formes de participation accessoire concordent, dans la mesure où la provocation exige, elle aussi, un rapport de cause à effet sciemment voulu par le provocateur entre sa provocation et la décision de l’auteur. De même que pour la complicité, le principe de l’équivalence est applicable ici. L’accomplissement d’un acte doit correspondre aux notions et à la volonté du provocateur. C’est pourquoi le provocateur n’est responsable que jusqu’au point où va son intention. Un dépassement éventuel de son mandat ne peut lui être imputé. Il en résulte le caractère accessoire non seulement de la complicité mais aussi la provocation.

La présentation des preuves n’a apporté aucun indice permettant de conclure que, par la transmission de ses nouvelles, Fritzsche eût été, par sa provocation, la cause d’un crime individuel quelconque. Il n’a nullement été prouvé qu’il eût incité un individu au meurtre, à des atrocités, à des déportations, à des exécutions d’otages, à des massacres de Juifs ou à d’autres crimes mentionnés dans le Statut, ou que par ses discours publics il eût pu déterminer quelqu’un, d’une façon concrète, à commettre un de ces actes. On n’a pu lui présenter aucun passage des mille discours radiodiffusés qu’il a prononcés dont on puisse tirer une telle conclusion sur une responsabilité individuelle. On ne pouvait arriver à ce résultat avec des discours publics. Les crimes qui ont été perpétrés, ont été commis par des hommes que la propagande de Fritzsche laissait complètement indifférents. Ils recevaient leurs impulsions ou leurs directives de toute autre source. Et ces actions devaient précisément être tenues secrètes. Les services officiels d’information ne devaient pas s’en occuper, dans la mesure du possible. Les auteurs se sont donnés le plus grand mal, comme ce Procès l’a fiait ressortir avec une force particulière, pour ne faire connaître l’extermination des Juifs, par exemple, qu’à un groupe très restreint de gens. Le fait pour la presse de s’occuper des événements du pays qui paraît évident dans toute autre forme de Gouvernement constitutionnel n’existe justement pas dans la dictature. Il ne fallait pas demander au peuple s’il approuvait de tels agissements. Les crimes établis au cours de ce Procès ne devaient recevoir aucune publicité. Peut-on supposer, dans ces circonstances, que la presse et la radio aient été des moyens appropriés pour inciter à la perpétration de crimes ? N’est-il pas beaucoup plus vraisemblable que des événements de cet ordre ont été tenus particulièrement secrets à la presse et à la radio ?

Dans aucun cas particulier, aussi tendancieux qu’aient pu être les discours de Fritzsche en général, il n’est permis de déduire qu’il ait pu, par des allocutions officielles, pousser des individus à commettre des actes punissables. Peut-être les données juridiques du Ministère Public ne vont-elles même pas aussi loin. Il veut faire grief à Fritzsche d’avoir contribué à créer une « atmosphère de haine » (audience du 23 janvier 1946). Ce n’est que sur la base d’une telle propagande qu’il est devenu possible que des crimes atroces aient été commis en Allemagne. Mais c’est un reproche qui est sans pertinence du point de vue légal. Cei reproche ne pourrait avoir une importance juridique que si Fritzsche avait eu sa place au sein du prétendu groupe des conspirateurs, que s’il avait été l’instigateur d’un plan concerté. Je crois avoir prouvé qu’une telle opinion est impossible. S’il avait en effet créé « une atmosphère de haine », il n’aurait pas pu, ce faisant, en dehors du grouppe des conspirateurs, inciter quelqu’un, juridiquement parlant, à commettre certains crimes. Même d’après, les prescriptions du Droit pénal positif allemand, des provocations par la voie de la radio exclueraient la provocation au sens criminel. D’après une vieille jurisprudence allemande, la provocation est juridiquement impossible parce que le provocateur ne pouvait pas agir sur un auteur déterminé. De plus, la loi allemande ne connaît que la provocation à un acte concret, mais non pas la provocation à des actions punissables en général (Cf. décision du Reichsgericht dans le KG. 34, 328 : Pour pouvoir admettre une provocation punissable, il ne suffit pas de déterminer quelqu’un à une intention ou à une dilsposition de volonté crimineîle. Il en résulte que le fait, même d’une nature particulière, de pousser un tiers à un acte punissable n’est pasi, en règle générale, une provocation, si malgré le caractère général de cette provocation, la perpétration de l’acte concret punissable n’a pas été ouvertement accompagnée de la volonté du provocateur.  Cf. également RG. 26, 362).

Le fait d’inciter d’une manière quelconque un groupe indéterminé de personnes n’est donc pas, en principe, une provocation accessoire ; il sort plutôt complètement du cadre juridique. Mais les allocutions radiodiffusées de Fritzsche ne pouvaient que s’adresser obligatoirement à un groupe de personnes absolument illimité. Pouvait-il, en outre, étant donné qu’il s’appliquait sérieusement à trouver une base de vérité à la propagande par la presse allemande et la radiodiffusion, avoir seulement le dessein de pousser à des actes punissables ? Mon client a bien admis, avec une clarté impressionnante, avoir donné les nouvelles qu’il avait à transmettre, avec une tendance qui correspondait à la politique officielle allemande. Il n’a donc pas exploité le fait que le Droit international ne lui imposait pas d’obligations, et la présentation des preuves n’a pas démenti sa bonne foi. Mais la bonne foi — et cela vaut aussi bien pour la provocation accessoire que pour la complicité accessoire — doit être mise, juridiquement parlant, sur le même pied que l’absence de volonté et l’absence de connaissance.

Il est ainsi prouvé :

1. Que l’accusé Fritzsche n’a pas appartenu au groupe des conspirateurs qui avaient projeté des plans ;

2. Qu’il n’a jamais été membre d’un groupe ou d’une organisation qui doit ici être déclaré criminel ;

3. Que pour les raisons de fait et de Droit, il n’est pas personnellement coupable d’un crime de guerre ou d’un crime contre l’Humanité, ni en tant que co-auteur, ni même en tant que provocateur ou complice, au sens juridique de ces termes.

Je crois avoir ainsi suffisamment discuté la question des preuves et celle des conséquences juridiques. Toutefois, il me faut encore mentionner une chose : le cas Fritzsche a, lui ausisi, un côté humain.

Abstraction faite du pour et du contre des possibilités juridiques, il est une question qu’on ne peut laisser sans réponse ; peut-on croire qu’en tant qu’homme, Fritzsche, comme les autres, ait eu connaissance, ait provoqué même toutes les atrocités qui ont été établies devant ce Tribunal ? Selon le Ministère Public, devient seul un instrument de la conspiration (chef d’accusation n° 1, IV, A) celui — et peut-être Goebbels en était-il — qui a eu connaissance de ses buts et de ses desseins.

Les mesures et les déclarations de Fritzsche ne procédaient cependant pas d’une volonté criminelle. Au cours de son interrogatoire, Fritzsche a indiqué qu’il n’alléguerait pas’ devant ce Haut Tribunal un devoir d’obéissance. Mais il a ajouté que jamais on ne l’avait supposé personnellement capable de commettre quelque acte criminel. Il a, de plus, déclaré que personne n’aurait eu besoin de se laisser imposer l’exécution d’un ordre dont il n’eût pu méconnaître le caractère criminel. Certes Fritzsche a fait le sacrifice de convictions personnelles, accepté maint compromis, mais non là où il a cru reconnaître de l’injustice, de la violence ou des actes inhumains. Lorsqu’il recevait de l’étranger des informations dans ce sens, il les vérifiait avec la minutie propre à son travail de journaliste. En ce qui concerne les informations de source allemande, il les examinait même au prix du danger auquel il s’exposait personnellement, danger qui guettait tous ceux qui voulaient pénétrer ce qui devait rester entouré d’un secret absolu. Il ne se laissait pas nourrir de faibles explications qui cachaient la vérité. Il a fourni beaucoup de détails à ce sujet. Je ne citerai que ses visites à Glücks, Heydrich et ses enquêtes en Ukraine.

Il a résolument combattu les plans criminels dont il a eu connaissance, comme l’ordre des commissaires et le projet d’exercer des représailles inhumaines à la suite des attaques aériennes sur Dresde. Dans le dernier cas, il fit même appel à un ambassadeur étranger. Et il arriva à ses fins, comme le montrent ces deux exemples particulièrement frappants. En agissant ainsi, il écoutait la voix de sa conscience. Il ne commençait pas par peser longuement le pour et le contre. En ce qui concerne l’ordre des commissaires, il n’avait fait qu’en entendre parler alors qu’il était au front. Il n’avait jamais rien lu à ce sujet, il ne savait pas non plus s’il avait été effectivement appliqué. Mais il s’était aussitôt élevé contre cet ordre. Lorsque Goebbels lui eût donné l’ordre d’annoncer l’exécution massive d’aviateurs alliés, il ne craignit pas de provoquer le courroux et la fureur de son ministre ; le Dr Scharping a décrit ici cet incident jusque dans les moindres détails (document Fritzsche-3). Lorsqu’il entendit parler des atrocités commises dans le camp de concentration d’Oranienburg, il donna l’alerte. Les coupables furent alors punis. Les affidavits du Dr Scharping (document Fritzsche-2) que j’ai transmis, et d’autres encore, montrent qu’il était prêt, sans restriction, à venir en aide aux personnesi persécutées pour des raisons politiques et raciales, lorsqu’elles s’adressaient à lui. Carac--téristique de sa tolérance est son intervention en faveur de la Frankfurter Zeitung qui, grâce à lui, put continuer à pairaître (document Fritzsche-5). Les preuves de ce que j’avance ici ont été présentées, par ailleurs, dans mon livre de documents 2 : elles ne sont pas sans importance ; on ne peut, précisément dans le cas de Fritzsche, les écarter simplement en affirmant que celui-ci, de sang froid (exposé du Ministère Public du 23 janvier 1946), aurait, de son autre main, livré des hommes à la mort.

Ainsi donc, il ne voulait pas sacrifier sa dignité d’homme, fût-ce au nom des exigences fallacieuses d’un idéalisme supposé ou d’un serment prêté.

Le Ministère Public a essayé d’as’sombirir le tableau. De mon côté, je suis bien obligé d’indiquer les côtés lumineux, et ceux qui concernent le Fritzsche représentant de la propagande. Éitait-il un menteur — voire même un menteur notoire ? — D’après les résultats de ce Procès, il est établi que Goebbels l’était. Et comme l’on a admis à tort que Fritzsche était son bras droit, il allait de soi que cette qualité lui fût attribuée. Cette hypothèse a pu être clairement réfutée. J’ai la conviction que si Goebbels, par sa fuite dans la mort, ne s’était pas soustrait à sa responsabilité, nous n’aurions pas vu ici sur ce banc des accusés, Fritzsche représentant du ministère de la Propagande. Quant à l’autre hypothèse d’après laquelle tous les collaborateurs de Goebbels se sont servis sciemment de mensonges, elle est injustifiée. Si l’on avait pu établir ici que Fritzsche était en mesure de comprendre le véritable et le très profond enchaînement des faits, alors cette hypothèse serait justifiée. Seul ce Procès a rendu possible la compréhension de cet enchaînement. Comme des millions d’autres Allemands, Fritzsche est resté empêtré dans l’erreur. Partout les abus sautaient aux yeux. Fritzsche ne pouvait pas les ignorer non plus. Mais il a également refusé de passer devant ce Tribunal pour un adversaire du régime nazi. Cependant, il a revendiqué pour lui d’avoir lutté contre les abus dans la mesure où il en a eu connaissance. Voilà qui demande un meilleur classement moral.

Il n’était pas non plus un zélé, un fanatique, possédé d’une idée ou de l’adoration de la puissance et du succès, inaccessible aux voies de la critique. Naturellement, c’était un péché — et même un péché capital contre l’esprit — de servir ce régime. Ce qui est décisif cependant, c’est le fait suivant : pouvait-il se rendre compte de plus de choses que de simples abus ? Le mensonge était déjà à la base. Ce qui s’appuyait sur cette base ne pouvait donc être que mensonger. Ce n’était pas le ministère aux mille portes — comme on l’a appelé une fois — qui était le seul empoisonné. Ceux qui ont pu vivre dans une atmosphère plus pure, peuvent s’être rendu compte plus tôt des raisons véritables pour lesquelles tout était empoisonné par le mensonge en Allemagne.

Fritzsche ne s’est pas privé d’employer la phraséologie, mais il l’a fait peut-être avec un meilleur goût que beaucoup d’autres. Il a pu déclarer ici — et ce n’est pas une phrase vide de sens — que dans l’exécution de son travail technique il a toujours agi avec probité et netteté dans tous les détails. Le Dr Scharping l’a également signalé d’ans so’n affidavit. N’est-ce pas un indice du fait qu’il n’a pas reconnu que tout le fondement sur lequel il avait construit son travail était creux et mensonger ? S’il avait été un, menteur de profession, il n’aurait attaché aucune importance à un travail propre et honnête, à un contrôle des nouvelles qui venaient de l’étranger, et à tout ce qui l’incitait à trouver une base de vérité pour la presse et la radio.

Le Ministère Public a insisté sur son ascension au ministère de la Propagande. Est-ce qu’il voulait affirmer par là qu’il savait fort bien se servir du mensonge ? En vérité, sa carrière — aussi modeste qu’elle fût, comparée à celle des autres serviteurs de Hitler — est due à une tout autre raison, et ce point a été clairement établi ici. Il avançait uniquement parce qu’en tant que journaliste, en tant que spécialiste, il connaissait son métier ; non parce qu’il savait particulièrement bien mentir, mais parce qu’il avait une plus grande maîtrise de la langue que beaucoup d’autres.

Comme le prouvent les affidavits du Dr Scharping et de Madame Kruger (document Fritzsche-8), le train de vie de Fritzsche était modeste. Pendant son activité au ministère de la Propagande, il n’a pas accumulé de richesses, occupé un appartement et accepté de cadeaux. D’ailleurs, le Ministère Public n’a jamais affirmé le contraire. Il ne paraît donc nullement étonnant, après tout cela, que ceux qui non seulement ont entendu sa voix à la radio, mais l’ont connu personnellement, aient particulièrement insisté sur ses qualités humaines. Le Dr Scharping déclare dans son affldavit : « Pouvoir travailler auprès de lui équivalait à une faveur ». Est-il conforme à l’expérience humaine qu’un menteur puisse acquérir un tel prestige ? Je pense que seul un caractère propre peut acquérir un prestige humain. Ceux qui sont en contact quotidien avec un homme reconnaissent s’il s’agit d’un menteur ou non. Et s’il n’est pas trahi par ses paroles, il est trahi par ses yeux.

Il existe de nombreuses possibilités pour expliquer la contradiction qui réside dans le fait qu’un homme, qui a travaillé pour la propagande du IIIe Reich, soit pourtant resté propre et épris de vérité. L’explication la plus proche peut être tirée des propres paroles de Fritzsche que je répète ici. Il a dit qu’il s’était senti également trompé par Hitler, ce qui, peut-être, n’a pas d’importance pour l’Histoire, mais sera important pour l’élaboration du jugement.

Fritzsche a défendu devant ce Tribunal non seulement sa propre personne, mais aussi le peuple allemand. Et on ne doit pas décider ici dans quelle mesure il est responsable devant le peuple allemand, pour lui avoir demandé de poursuivre la lutte jusqu’au bout.

Peut-être Fritzsche ne s’est-il pas aperçu plus tôt, comme d’autres l’ont fait, qu’il servait une mauvaise cause ; peut-être ne s’est-il pas détourné de la direction de l’État, car il voulait, avec le peuple allemand, vider le calice jusqu’à la lie. Il n’est pas responsable devant ce Haut Tribunal dans le sens de l’accusation qui a été portée contre lui. Et je vous demande de l’acquitter.

LE PRESIDENT

L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)