CENT QUATRE-VINGT-SIXIÈME JOURNÉE.
Jeudi 25 juillet 1946.

Audience de l’après-midi.

L’HUISSIER AUDIENCIER

Plaise au Tribunal. Les accusés Streicher et Raeder n’assisteront pas à l’audience.

LE PRÉSIDENT

Les décisions suivantes ont été prises en ce qui concerne la procédure à suivre dans le cadre des organisations :

1° Le Tribunal attire l’attention des avocats des organisations sur la décision du 1er juillet qui a décidé que toutes les preuves recueillies devant les commissions, que les avocats ou le Ministère Public désirent utiliser, doivent être soumises au Tribunal comme preuves et qu’elles feront ainsi partie du procès-verbal, sous réserve qu’elles ne subissent pas d’objections éventuelles.

Il conviendra au Tribunal que toutes ces preuves soient soumises au commencement de la procédure.

2° Les avocats soumettront ensuite leurs livres de documents susceptibles de donner lieu à des objections éventuelles.

3° Les témoins de la Défense seront alors convoqués et entendus par les avocats qui présenteront les témoignages qu’ils considèrent comme importants, et qui auront été recueillis devant les commissions, ainsi que toutes les preuves nouvelles qui peuvent avoir quelque importance. Chaque organisation sera traitée à son tour. La totalité des témoins, des preuves, des interrogatoires ainsi que des contre-interrogatoires intéressant une organisation, seront traités avant de passer à l’organisation suivante.

4° L’avocat de chacune des organisations pourra alors faire sa plaidoirie fondée sur les témoignages donnés devant le Tribunal, en donnant les références nécessaires aux documents présentés comme preuves. Il attirera également l’attention du Tribunal sur le contenu des témoignages établis devant les commissions et sur les résumés des affidavits ’qu’il estimera importants et qu’il voudrait soumettre à l’attention particulière du Tribunal.

5° Le Ministère Public aura la parole quand toutes les plaidoiries seront terminées.

6° Le Tribunal estime que plaidoiries et réquisitoires devront être brefs et ne pas dépasser une demi-journée pour chaque cas. S’il est prévu que ce temps doive être dépassé, il y aura lieu de soumettre au Tribunal une requête spéciale indiquant les raisons de cette prolongation, avant lundi prochain 29 juillet.

C’est tout ce que j’avais à dire. Je donne la parole au Dr Seidl, avocat de l’accusé Hess.

Dr ALFRED SEIDL (avocat des accusés Hess et Frank)

Monsieur le Président, Messieurs. Avant de commencer mon exposé en faveur de Hess, je prie le Tribunal de m’autoriser, à la place du défenseur de l’accusé Göring, à produire deux documents que le Tribunal avait autorisés et qui se rapportent au cas de Katyn, c’est-à-dire à la question de l’assassinat de 11.000 officiers polonais aux environs de Smolensk.

Le premier est le document Göring n° 60, extrait du Livre Blanc allemand ; ce sont les rapports des autopsies pratiquées par le professeur italien Palmieri et le professeur bulgare Borotin.

Le numéro 61 est également un extrait du Livre Blanc allemand relatif à Katyn ; c’est le procès-verbal de la commission médicale internationale du 30 avril 1943.

Monsieur le Président, Messieurs. Lorsqu’on 1919, après avoir perdu une guerre mondiale, le peuple allemand s’appliqua à façonner la vie publique d’après les principes démocratiques, il se trouva en face de difficultés qui n’étaient pas uniquement causées par la guerre et les pertes matérielles qu’elle avait entraînées. L’accusé Rudolf Hess, l’un des premiers compagnons de lutte d’Adolf Hitler, était de ceux qui, toujours à nouveau, avaient attiré l’attention du peuple allemand sur les graves dangers pour l’économie nationale allemande et l’économie mondiale qui résulteraient obligatoirement de la politique des réparations pratiquée par les puissances victorieuses de 1919. Les conséquences de cette politique devaient devenir encore plus terribles pour l’Allemagne, lorsque l’a France, en 1923, procéda à l’occupation militaire de la Ruhr, qui était le centre économique de l’Allemagne. Ce fut durant cette période d’effondrement économique où l’Allemagne était entièrement sans défense qu’Adolf Hitler tenta pour la première fois, le 9 novembre 1923, de s’emparer du pouvoir par la voie de la révolution. L’accusé Rudolf Hess prit également part à la marche sur la Feldherrnhalle à Munich. Avec Adolf Hitler, il purgea à la forteresse de Landsberg, où Hitler écrivit son Mein Kampf, la peine qui lui avait été infligée par le tribunal du peuple.

Lorsque le Parti se reconstitua, en 1925, Rudolf Hess fut l’un des premiers à reprendre avec Adolf Hitler la lutte pour une renaissance nationale du peuple allemand. Dans les premières années qui ont suivi sa rénovation, le Parti ne devait connaître qu’une ascension lente. L’économie allemande s’était relevée des pires conséquences de l’occupation de la Ruhr. La monnaie était stabilisée et, grâce à de vastes crédits étrangers, il avait même été possible de faire naître un certain essor économique. Mais il devait bientôt s’avérer que l’essor économique des années 1927-1928-1929 n’était en réalité qu’une fausse floraison, tout au moins en Allemagne il n’était pas basé sur une économie nationale saine et équilibrée. Il est exact que la crise économique qui avait débuté en 1930 était une crise économique mondiale et que le déclin en Allemagne à cette époque n’était qu’une partie de la décadence générale dont a été frappée l’économie mondiale. Mais il est tout aussi certain qu’il ne s’agissait pas ici tout simplement d’un déclin à l’intérieur de l’économie capitaliste qui était dû à une conjoncture, et tel que les divers pays dans leurs relations économiques, ainsi que l’économie mondiale l’avaient déjà subi à maintes reprises, mais qu’il s’agissait là de modifications de structure qui pouvaient avoir des causes diverses mais dont une des principales était sans aucun doute la perturbation dans les échanges commerciaux et financiers provoqués par une politique de réparation déraisonnable. Il n’en est pas moins certain que, si les effets de cette crise économique en Allemagne ont pu être aussi désastreux et s’exprimer à la fin par un nombre de chômeurs qui s’est élevé à 7.000.000, c’est surtout en raison des modifications particulièrement profondes de l’économie nationale, qui étaient dues aux réparations.

Si le parti national-socialiste a ainsi remporté une grande victoire lors des élections au Reichstag, le 14 septembre 1930, et fait son entrée dans le nouveau Reichstag avec 107 représentants, il faut peut-être l’attribuer en dernière analyse à la crise économique de l’époque, au chômage considérable et, indirectement donc, au paiement des réparations, contraire à tout bon sens économique, de même qu’au refus des États victorieux d’accepter, en dépit des avertissements les plus pressants, un nouveau règlement. Il est cependant vrai que, par les plans Dawes et Young, ont été modifiés les paiements des réparations prévues par le Traité de Versailles, ainsi que le mode de règlement. Mais il est également vrai que les modifications sont intervenues trop tard et qu’elles ont continué à exiger de la part de l’Allemagne des prestations d’une telle importance et dans de telles conditions qu’elles devaient conduire inévitablement à un désastre économique et, qu’en fait, elles y ont conduit. A ce sujet, on doit faire ressortir les faits suivants : le Ministère Public a soumis une documentation importante relative à l’ascension de la NSDAP jusqu’à sa prise du pouvoir. En comparant les mandats détenus au Reichstag de 1930 à 1932 avec les statistiques du chômage de la même période, on remarque que l’évolution de ces chiffres est approximativement parallèle. Plus les phénomènes sociaux sont devenus désolants par suite du chômage — en 1932, 25.000.000 de personnes, au moins, y compris les membres des familles, ont été touchées par les conséquences du chômage — plus les succès électoraux des nationaux-socialistes sont devenus impressionnants. Je ne crois guère que l’on puisse fournir une preuve plus convaincante de l’existence d’une relation de cause à effet entre les conséquences de la politique des réparations menée par les puissances victorieuses de 1919 et l’ascension du national-socialisme. On peut exprimer cette relation de cause à effet par la formule suivante : sans le Traité de Versailles, pas de réparations ; sans les réparations, pas d’effondrement économique avec ses conséquences particulièrement graves pour l’Allemagne, comme le prouve le chiffre de presque 7.000.000 de chômeurs ; et sans cet effondrement, pas de prise du pouvoir par les nationaux-socialistes. Or, dans cette relation de cause à effet, la responsabilité politique et historique des hommes d’État influents du côté adverse apparaît d’une façon si claire qu’il est superflu d’en parler plus longuement dans le cadre de ce Procès.

Cette formule peut paraître artificielle et, d’autre part, il est possible que la situation économique précaire et le grand nombre de chômeurs le 14 septembre 1930 ne soient pas les seuls motifs ayant poussé des millions d’Allemands à voter national-socialiste pour la première fois, ce qui, par la suite, a amené l’ascension du Parti. Mais c’était sûrement une des raisons principales. De même, les autres raisons qui ont contribué à influencer beaucoup d’électeurs dans leurs décisions peuvent finalement être ramenées aux conséquences néfastes du Traité de Versailles et au refus des puissances victorieuses — notamment de la France — de réviser ce Traité. Cela s’applique notamment à l’égalité des droits revendiquée par la suite par tous les Gouvernements démocratiques.

Lorsque le peuple allemand, en exécution du Traité de Versailles, eût réalisé son désarmement, il était en droit d’attendre que les puissances victorieuses désarmassent à leur tour, conformément aux engagements qu’elles avaient contractés dans le Traité. Cela n’eut pas lieu et il n’existe aucun doute que le refus de l’égalité et le refus de désarmer, dès lors, elles-mêmes, constituaient une des raisons fondamentales de l’ascension du parti national-socialiste pendant les années 1931-1932. Et si un argument d’Adolf Hitler a pu trouver un écho dans le peuple allemand, c’est bien celui-ci : il est impossible de refuser à la longue, même après une guerre perdue, l’égalité des droits à un peuple allemand, qui dispose d’une population de plus de 75.000.000 d’âmes, habite au cœur de l’Europe et a un passé culturel comme peu d’autres peuples en possèdent. Il a déjà été dit une fois dans cette salle qu’il est impossible de traiter pour une durée indéterminée comme un peuple de rang inférieur, un peuple qui a produit un Lüther, un Goethe et un Beethoven. Hitler pouvait faire ressortir constamment le fait que les hommes d’État de la République de Weimar avaient tout essayé pour obtenir la révision pacifique des clauses les plus insupportables du Traité de Versailles. Durant huit ans, les hommes d’État de l’Allemagne démocratique, tel que Stresemann et Brüning, se sont rendus à Genève afin d’obtenir enfin l’égalité des droits tant de fois promise et, chaque fois, ils ont été renvoyés les mains vides. Personne ne pouvait ignorer les dangers qui devaient en résulter. En réalité, les hommes d’État allemands, de même que des politiciens clairvoyants, anciens ennemis de l’Allemagne, ont averti le monde. Tous ces avertissements sont restés vains.

Lorsque, finalement, en 1932, le parti national-socialiste est devenu, avec 230 députés au Reichstag, le parti de beaucoup le plus important d’Allemagne, le fait d’être chargé de la prise du pouvoir gouvernemental ne pouvait plus être qu’une question de temps pour Adolf Hitler et son Parti. Ce fait pouvait être d’autant moins empêché à la longue que les Gouvernements précédents de M. von Papen et du général Schleicher n’avaient disposé au Reichstag d’aucun appui notable et avaient exercé le pouvoir gouvernemental exclusivement d’après la procédure d’exception prévue à l’article 48 de la Constitution de Weimar. Lorsque, le 30 janvier 1933, le Président du Reich Hindenburg nomma effectivement Adolf Hitler Chancelier du Reich et le chargea de la formation d’un nouveau Gouvernement, ce fut absolument conforme à la Constitution du Reich. Le parti national-socialiste avait en effet obtenu, lors des élections au Reichstag en 1932, un nombre assez élevé de voix, et tel qu’aucun autre parti n’avait jamais réussi à atteindre depuis l’existence du Reich allemand. Le fait de charger le chef de ce parti le plus puissant de la formation du Gouvernement ne constituait rien d’extraordinaire, si l’on prend particulièrement en considération la situation parlementaire qui existait à l’époque en Allemagne, et on ne peut avoir le moindre doute que Hitler et son Parti soient arrivés au pouvoir légalement, c’est-à-dire par la voie constitutionnelle. Il est vrai cependant qu’au cours des années suivantes, la structure du Reich allemand, du point de vue du Droit public, et tout spécialement la position de Hitler, aient subi une modification. Cependant, rien ne permet de dire que cette évolution elle-même ne fut pas légale. Pour éviter des répétitions, je me réfère à ce sujet aux déclarations du témoin Lammers. On peut laisser ouverte la question de savoir si l’on veut expliquer cette évolution vers l’autocratie absolue de Hitler par la création d’un prétendu Droit public cou-tumier ou en se référant à une autre théorie. Il me semble bien plus décisif pour le cadre de ce Procès qu’aucun État avec lequel l’Allemagne a entretenu des relations diplomatiques n’a soulevé d’objections ou tiré des conséquences diplomatiques ou internationales, soit lors de la prise du pouvoir, soit à l’occasion de la transformation de la structure du Droit constitutionnel qui s’accomplissait aux yeux du monde entier. La reconnaissance diplomatique, conforme au Droit international, de l’État national-socialiste n’a pas été mise en cause ni lors de la prise du pouvoir ni à une date ultérieure quelconque. A ce sujet, il est accessoire de signaler que la loi qui devait être dans l’avenir d’une importance considérable pour les relations entre le citoyen et l’État, avait encore été promulguée par le Président du Reich von Hindenburg, en vertu de l’article 48 de la Constitution du Reich. Je veux parler de l’ordonnance du Président du Reich sur la protection du peuple et de l’État, du 28 février 1933 Reichsgesetzblatt, première partie, page 83). Dans le paragraphe 1 de cette ordonnance, les principes fondamentaux de la Constitution de Weimar étaient rapportés et, par contre, on admettait les entraves à la liberté individuelle, à la liberté de parole, y compris la liberté de la presse, au droit d’associatipn, les violations du secret des correspondances, du secret postal, téléphonique et télégraphique, les ordres de perquisitions et de réquisitions, de même que les restrictions apportées à la propriété, même en dehors des limites légales établies à ce sujet. Du point de vue de la légalité formelle de cette ordonnance, il ne peut y avoir moins de doute que pour l’une quelconque des prétendues lois constitutionnelles ou fondamentales de l’État promulguées par le Reichstag, le Gouvernement du Reich, le conseil des ministres pour la Défense du Reich ou par Hitler lui-même.

J’ai déclaré au nom de l’accusé Hess qu’il assume l’entière responsabilité de toutes les lois et tous les décrets qu’il a signés en sa qualité de remplaçant du Führer, de ministre du Reich et de membre du conseil des ministres pour la Défense du Reich. J’ai donc renoncé à la présentation des preuves relatives aux accusations concernant simplement les affaires intérieures du Reich allemand considéré comme État souverain et qui n’ont aucun rapport avec les crimes contre la paix et les crimes contre les lois de la guerre affirmés par le Ministère Public. Je parlerai donc uniquement de ces lois et mesures politiques de Droit public qui ont un rapport quelconque avec les points de l’Accusation proprement dits, ainsi qu’avec le plan commun ou conspiration dont le Ministère Public affirme l’existence.

L’Acte d’accusation reproche à Rudolf Hess la préparation militaire, économique et psychologique qui aurait hâté la guerre, et d’avoir participé à l’élaboration des plans politiques et à la préparation des guerres d’agression. Comme preuve de cette affirmation, le Ministère Public a indiqué que l’accusé Hess, en sa qualité de ministre du Reich sans portefeuille, était co-signataire de la loi sur la création de la Wehrmacht du 16 mars 1935. Cette loi réintroduisit le service militaire obligatoire en Allemagne et stipule que l’Armée allemande du temps de paix sera divisée en douze corps d’armée et trente-six divisions. A mon avis, la proclamation que le Gouvernement du Reich a adressée au peuple allemand à propos de la publication de cette loi, et qui précédait cette loi dans le Reichs-gesetzblatt, n’est pas moins importante pour ce Procès que la loi elle-même. Je me réfère au contenu de cette proclamation qui a été soumise comme preuve. Cette proclamation du 16 mars 1935 ne contient aucun argument essentiel qui n’eût déjà été présenté à propos de cette question par des Gouvernements démocratiques allemands du temps de la République de Weimar.

Messieurs, le Tribunal m’a autorisé à exposer, tout au moins dans une partie de mes explications, mes vues sur ce point. Mais étant donné que le défenseur de l’accusé von Neurath a déjà parlé en détails de cette question, je me réfère à ses déclarations et renonce quant à moi à rentrer à nouveau dans ces détails. Je continue par les quatre dernières lignes de la page 19 de mon exposé.

La réintroduction du service militaire obligatoire par la loi du 16 mars 1935 n’est manifestement pas considérée dans l’Acte d’accusation comme une action autonome et punissable, mais uniquement comme une partie du plan concerté qui, selon l’affirmation de l’Accusation, aurait visé à commettre des crimes contre la Paix, contre les lois de la guerre et contre l’Humanité. Je montrerai tout à l’heure si un tel plan a jamais existé, si l’accusé Rudolf Hess y a participé, et le rôle que la réintroduction du service militaire obligatoire a joué dans ce plan, d’un point de vue objectif et subjectif.

Dans le cadre du plan concerté pour le projet et la préparation de la guerre d’agression, on reproche à l’accusé Hess d’avoir institué personnellement, en sa qualité de représentant du Führer, l’Aus-landorganisation der NSDAP (l’Organisation à l’étranger de la NSDAP), le Volksbund fur das Deutschtum im Ausiand (l’Association populaire pour le germanisme à l’étranger), le Bund Deutscher Osten (l’Union des Allemands de l’Est), le Deutsch-Amerikanischer Bund (l’Association germano-américaine) et le Deutsches Ausiands-institut (l’Institut allemand pour l’étranger). Les documents présentés à ce propos par le Ministère Public n’apportent pas la preuve que l’accusé Hess ait lui-même transmis à ces organisations des instructions ou des ordres qui aient pu les inciter à une activité analogue à celle d’une Cinquième colonne. L’interrogatoire des témoins Bohie, Strôlin et Alfred Hess a prouvé, au contraire, que c’est précisément l’accusé Hess qui a interdit à ces organisations et à leurs chefs de s’immiscer d’une manière quelconque dans les affaires intérieures des autres États. Le Ministère Public n’a pu fournir la preUve établissant que les organisations précitées ont développé effectivement une activité qui aurait eu pour but de saper les organismes des États étrangers. Dans ces conditions, il est inutile d’entrer dans les détails de l’activité des organisations et institutions précitées, d’autant moins qu’il n’existe aucune preuve établissant un rapport de cause à effet entre les devoirs et fonctions de ces organisations et les événements qui ont conduit à la guerre en 1939.

A l’aide de plusieurs documents présentés par le Ministère Public, on a essayé de prouver que l’accusé Rudolf Hess a pris aussi une part prépondérante à l’occupation de l’Autriche le 12 mars 1938. Je n’ai pas l’intention d’entrer ici dans le détail de l’histoire du rattachement de l’Autriche et d’apprécier, du point de vue juridique, les faits qui ont effectivement conduit, en 1938, au rattachement de l’Autriche au Reich allemand.

Mais il me faut néanmoins donner quelques explications : Parmi les Quatorze points du Président Wllson, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes jouissait d’une place de faveur. Mais il est un fait que, dans les Traités de Versailles et de Saint-Germain, aucune des exigences du Président américain ne fut aussi peu réalisée que ce droit à disposer de soi-même. La résolution de l’Assemblée nationale provisoire de l’Autriche du 12 novembre 1918 a déjà été présentée au Tribunal à titre de preuve. Dans cette nouvelle loi fondamentale, il était stipulé entre autres :

« L’Autriche allemande est une république démocratique. Tous les pouvoirs sont institués par le peuple. L’Autriche allemande fait partie de la république allemande. Les déclarations du Chancelier fédéral social-démocrate d’alors, le Dr Karl Renner, faites à l’appui de cette loi constitutionnelle, ne sont pas moins précises ; il disait entre autres : « Notre grand peuple se trouve dans la misère et dans la détresse ; le peuple dont la fierté était toujours de s’appeler le peuple des poètes et des penseurs, notre peuple allemand de l’humanisme, notre peuple allemand qui aime les autres peuples est profondément humilié par la misère. Mais c’est justement à cette heure, où il serait si facile et si aisé et, peut-être même, si séduisant, de présenter notre compte séparément ou même de mettre à profit la ruse de l’ennemi, c’est à cette heure que notre peuple doit savoir, dans tout le pays, que nous sommes d’une seule race et que nous sommes une communauté dont les destins sont liés ». Contrairement à la nette volonté de la majorité écrasante de la population autrichienne, les puissances de l’Entente ont interdit la fusion de ces deux Etats allemands. Un référendum sur l’Anschluss, voté le 1er octobre 1920 par l’Assemblée nationale, autrichienne, fut empêché, sous la menace d’un blocus de la faim, par les puissances victorieuses. Malgré cela, certains gouvernements régionaux procédaient indépendamment à ce référendum qui donnait une majorité accablante en faveur de l’Anschluss. Et l’on ne saurait mieux caractériser la situation que ne l’a fait le secrétaire d’État Lausing dans son livre The Peace Negociations, publié en 1921 : « On ne saurait guère imaginer un désaveu plus net du prétendu droit à disposer de soi-même que cette interdiction de l’Anschluss à l’Allemagne, qui se base sur le désir presque unanime du peuple germano-autrichien ». Ce n’est pas seulement Immédiatement après la première guerre mondiale que le peuble autrichien a demandé l’Anschluss à l’Allemagne ; dans les époques ultérieures, ce désir a toujours existé. Il Importe peu de savoir quels étaient les motifs qui ont poussé les individus et quelles ont été les raisons prédominantes au cours du temps. Il est certain que ce désir existait et que la réalisation s’en brisa à la résistance soit des puissances de l’Entente, soit à celle d’autres puissances qui croyaient devoir, ce faisant, défendre de prétendus intérêts quelconques. A ce propos, on peut rappeler une déclaration du Chancelier fédéral, le Dr Renner, en date du 12 novembre 1928, qui a déjà été produite par la Défense et dans laquelle il est dit entre autres : « Nous nous en tiendrons fidèlement à cette résolution, aujourd’hui, dix ans après le 10 novembre 1918, et à jamais ; et nous lui donnerons plus de force encore par notre signature... La paix de Saint-Germain a anéanti le droit des Allemands en Autriche à disposer d’eux-mêmes . . . Qu’on laisse voter en liberté les citoyens de l’Autriche, et ils se prononceront par 99 voix sur 100 pour la réunion avec l’Allemagne ». Et, en effet, lorsque’les troupes allemandes entraient en Autriche. le 12 mars 1938, elles ne le faisaient pas en conquérants, mais elles étaient accueillies, sur leur marche triomphale, par les cris de joie de la population.

Afin de gagner du temps, là encore je me réfère aux explications détaillées qu’a données le défenseur de l’accusé Dr Seyss-Inquart et reprends mon exposé au second paragraphe de la page 23.

En ce qui concerne maintenant la participation de Rudolf Hess et du Parti à l’exécution de l’Anschluss, la présentation des preuves a démontré, là encore, que l’Anschluss de l’Autriche a été un événement avec lequel le parti national-socialiste du Reich n’avait eu, en tant que parti, pour ainsi dire rien à faire. Il suffit de se référer à ce sujet aux déclarations faites par l’accusé Göring et le Dr Seyss-Inquart à la barre des témoins, et dont il ressort que la question de l’Anschluss avait été résolue exclusivement par le Reich, donc par les pouvoirs publics, et non par le Parti. Si des doutes ont pu subsister à ce sujet, ils ont été écartés par le document USA-61 (PS-812) présenté par le Ministère Public. Il s’agit, en l’occurrence, de la lettre du Gauleiter de Salzbourg, le Dr Friedrich Rainer, adressée le 8 juillet 1939 au Commissaire du Reich, le Gauleiter Josef Burckel, où il est dit entre autres :

« ... Peu après la prise du pouvoir en Autriche, Klausner, Glo-bocznik et moi-même avons pris l’avion pour Berlin, afin de faire à Rudolf Hess, représentant du Führer, un compte rendu sur les événements qui avaient conduit à la prise du pouvoir... »

Naturellement, il eût été inutile de faire un rapport si le représentant du Führer et le Parti avaient participé directement et de manière décisive à la solution de la question de l’Ansdiluss. Je ne mentionne pas ce fait pour citer des arguments tendant à justifier ou à disculper l’accusé Rudolf Hess. Cette constatation est plutôt faite exclusivement dans l’intérêt de la vérité historique.

J’en viens maintenant à la question du rattachement du pays des Sudètes. 3.500.000 d’Allemands des Sudètes avaient été réunis dans un État avec 8.500.000 Tchèques et Slovaques sans qu’il leur eût été accordé le pouvoir d’exercer une influence importante sur l’État. Tous les efforts entrepris par ce groupe ethnique pour obtenir leur autonomie dans le cadre de la fédération de l’État tchécoslovaque sont restés vains. Lorsque la question de l’Ansdiluss de l’Autriche fut résolue, il devint inévitable que la position future des Allemands des Sudètes, qui comptaient tout de même 3.500.000 êtres humains, et dont l’appartenance au groupe ethnique allemand ne pouvait faire aucun doute, dût être soumise à un examen. Je n’ai pas l’intention de prendre position sur les détails de toutes les questions soulevées par l’Ansdiluss du pays des Sudètes au Reich, du point de vue du fait et du Droit. Mais, considérant que le Ministère Public, dans l’exposé des charges qu’il a présenté au Tribunal contre l’accusé Hess, a soulevé la question des Allemands des Sudètes et qu’il a soumis également quelques documents à titre de preuves, il me paraît nécessaire de m’expliquer brièvement sur ce point. Dans le document PS-3528 (GB-262) — il s’agit d’un discours du représentant du Führer au congrès de l’organisation à l’étranger de la NSDAP, le 28 août 1938 — l’accusé ne prend position qu’en termes généraux sur la question des Allemands des Sudètes en mettant l’accent sur le principe des nationalités et sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. De même les autres documents présentés par le Ministère Public USA-126 (PS-3061) et USA-26 (PS-388) ne contiennent rien qui permette de conclure à une participation décisive de l’accusé à la solution de la question des Allemands des Sudètes. Mais l’importance de cette participation reste tout à fait douteuse, car l’Anschluss du pays des Sudètes au Reich ne représente pas en soi un acte délictueux du point de vue du Droit international. L’Anschluss du « Gau » des Sudètes n’a été réalisé ni par une action unilatérale de l’Allemagne ni sur la base d’un accord discutable conclu entre le Reich allemand et la République tchécoslovaque. Bien plus, l’Ansdiluss avait été réalisé sur la base d’un accord conclu le 29 septembre 1938 à Munich entre l’Allemagne, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne, la France et l’Italie. Cet accord contient des clauses précises et détaillées sur l’évacuation des territoires à céder et leur occupation par étapes par les troupes allemandes. La délimitation des frontières avait été effectuée par une commission internationale. Sans vouloir entrer dans les détails des stipulations de cet accord, on peut affirmer avec certitude qu’il s’agit ici d’un accord conclu librement ; et chacun de ses signataires avait nourri l’espoir que cet accord pourrait devenir la base ou, tout au moins, une condition préalable essentielle de l’amélioration des relations internationales en Europe.

J’arrive maintenant à un autre point de l’Accusation. Aussi bien dans le cadre de l’accusation générale que dans celui de l’accusation élevée par le Ministère Public contre Rudolf Hess personnellement, celui-ci est accusé d’avoir participé au déclenchement de la guerre et d’en être par conséquent responsable. En fait, l’accusé Rudolf Hess s’est prononcé dans plusieurs discours sur la question du Corridor polonais et sur le problème de la Ville libre de Dantzig. Mais ici, la constatation préalable suivante s’impose : par la création du Corridor polonais, non seulement le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes avait été complètement négligé, car ainsi plus de 1.000.000 d’Allemands étaient tombés sous la domination polonaise, mais encore, par la division du territoire du Reich allemand en deux parties séparées l’une de l’autre, on avait créé un état de choses qui était contraire à tout bon sens au point de vue économique et qui, bien plus, devait devenir dès l’abord une cause de frictions et d’incidents continuels. En effet, dès le jour de la signature du Traité de Versailles, des demandes de révision du Traité n’ont cessé de se manifester justement en ce qui concerne la question du Corridor polonais. Il n’y a pas eu en Allemagne un seul parti ni un seul Gouvernement qui n’eût reconnu la nécessité d’une révision du Traité de Versailles, surtout sur ce point, et qui ne l’eût réclamée. En admettant même que la Pologne ait vraiment dû avoir à tout prix un accès indépendant à la Baltique, il n’y a aucun doute que ce problème aurait pu être résolu d’une façon plus raisonnable que par la création de ce que l’on a appelé le Corridor, ce qui a eu pour résultat la division du pays allemand en deux territoires complètement séparés l’un de l’autre.

Les mêmes considérations s’appliquent au Statut international et constitutionnel de l’État libre de Dantzig. Il n’est pas nécessaire d’entrer ici dans de plus amples détails sur les faits qui ont conduit, au cours du temps, à des difficultés toujours plus grandes et ont finalement amené une situation qui a rendu nécessaire une transformation de la position internationale et constitutionnelle de cette ville purement allemande.

Il n’est pas davantage nécessaire d’entrer dans de plus amples détails sur le problème des minorités soulevé par le Corridor polonais et la création d’un État libre de Dantzig. Le fait est qu’au cours de deux décades environ 1.000.000 d’Allemands au moins, ont été forcés de quitter le territoire sur lequel ils étaient installés et ce, dans des circonstances qui ne pouvaient rester sans répercussion sur les relations politiques générales entre le Reich allemand et la République polonaise. Et tout ne s’est pas passé comme si les problèmes soulevés ici n’avaient été traités publiquement que depuis la prise du pouvoir par Adolf Hitler.

Si j’ai bien compris le Tribunal, il me faudra omettre les pages suivantes, jusqu’à la page 29.

Dans ces conditions, personne ne pouvait être surpris, après l’accession de Hitler et de son Parti au pouvoir, de constater que les questions soulevées par le Reich au sujet du Corridor polonais et du détachement de Dantzig fussent soumises à une nouvelle révision. C’était d’autant plus inévitable qu’après la conclusion du Traité germano-polonais de 1934, les Polonais n’avaient nullement cessé de tendre toujours davantage à éliminer l’élément germanique. Je n’ai pas l’intention de m’étendre sur les négociations menées par le Reich allemand avec la République polonaise dans le but de trouver un modus vivendi compatible avec les intérêts légitimes de la Pologne. Il me paraît en tout cas important d’insister sur les faits suivants : le Ministère Public a toujours affirmé que les accusés et le Gouvernement allemand auraient dû tout faire pour éclaircir cette question, qu’ils auraient, dû négocier et non pas déclencher la guerre. Mes explications qui vont suivre doivent démontrer clairement que, par la voie des négociations, on avait essayé d’amener une solution des problèmes qu’on ne pouvait éliminer autrement.

Le ministre des Affaires étrangères du Reich, au cours de son entretien du 24 octobre 1938 avec l’ambassadeur de Pologne a, pour la première fois, soulevé les questions relatives au Corridor polonais et à la séparation de Dantzig, et il a proposé une solution qui devait reposer sur les bases suivantes :

« 1. L’État libre de Dantzig reviendrait au Reich allemand.

2. On ferait passer par le Corridor une autostrade appartenant à l’Allemagne et jouissant de l’exterritorialité, ainsi qu’une ligne de chemin de fer à plusieurs voies également exterritoriale.

3. La Pologne recevrait également sur le territoire de Dantzig une route ou une autostrade et une ligne de chemin de fer exterritoriale ainsi qu’un port franc.

4. La Pologne recevrait la garantie de pouvoir écouler ses marchandises sur le territoire de Dantzig.

5. Les deux nations reconnaîtraient leurs frontières communes (garanties) ou les territoires respectifs.

6. Le Traité germano-polonais serait prolongé de dix à vingt-cinq ans.

7. Les deux pays ajouteraient à leur Traité une clause aux termes de laquelle ils se consulteront mutuellement ».

La réponse du Gouvernement polonais à cette proposition a été exposée au Tribunal lui-même par le Ministère Public. Il s’agit du document TC-73 n° 45, dans lequel se trouve la prise de position du ministre des Affaires étrangères de Pologne, Beck, en date du 31 octobre 1938, et ses ordres à l’ambassadeur de Pologne Lipski à Berlin. Dans ce document, la proposition allemande est simplement refusée, étant donné le fait « qu’une tentative quelconque de rattachement de la Ville libre de Dantzig au Reich amènerait inévitablement un conflit, ce qui ne provoquerait pas seulement des difficultés locales, mais supprimerait toutes les possibilités d’une entente entre la Pologne et l’Allemagne, sous toutes ses formes ».

Effectivement, l’ambassadeur de Pologne a représenté alors ce point de vue dans une nouvelle entrevue avec le ministre des Affaires étrangères du Reich, le 19 novembre 1938. A la question de savoir quelle serait l’attitude du Gouvernement polonais vis-à-vis de la proposition allemande de faire passer par le Corridor une autostrade exterritoriale et une voie ferrée exterritoriale, l’ambassadeur polonais déclara qu’il ne pouvait prendre officiellement position sur ce point.

On ne pourra contester que la proposition faite par l’Allemagne était très réservée et ne contenait rien qui eût pu être en désaccord avec l’honneur de la Pologne et les intérêts vitaux de cet État. On doit d’autant plus l’admettre que la création du Corridor et la séparation de la Prusse orientale du Reich furent effectivement considérées par tout le peuple allemand comme la plus pénible de toutes les charges territoriales imposées par le Traité de Versailles. Si, malgré cela, le Gouvernement polonais a refusé cette proposition, et pour une raison qui ne laissait pratiquement pas de perspective de solution par d’autres pourparlers ou pouvait déjà, à l’époque, en conclure que, du côté de la Pologne, manquait une véritable volonté d’entente qui tînt compte des intérêts justifiés du Reich allemand. Cette impression se confirma lors des tractations qui eurent lieu à l’occasion de la visite du ministre des Affaires étrangères de Pologne, Beck, à Berlin, le 5 janvier 1939, et de celle du ministre des Affaires étrangères du Reich, à Varsovie, le 21 janvier 1939. Si, malgré cette attitude de refus des Polonais, au cours d’une entrevue ultérieure entre l’ambassadeur de Pologne et le ministre des Affaires étrangères du Reich, le 21 mars 1939, ce dernier répéta la proposition faite le 24 octobre 1938, on doit en conclure que le Gouvernement allemand était effectivement animé de la volonté de résoudre par des conversations les problèmes soulevés par le Corridor et la séparation de la ville de Dantzig. On ne peut pas non plus contester sérieusement que le Gouvernement allemand ait essayé de résoudre par des négociations les questions de Dantzig et du Corridor polonais et qu’il ait fait dans ce sens des propositions très mesurées.

La réponse aux propositions allemandes du 21 mars 1939 fut une mobilisation partielle des forces armées polonaises. Il reste à voir quel est le rapport entre la mobilisation partielle ordonnée par le Gouvernement polonais et la proposition de consultation britannique du 21 mars 1939, et si le Gouvernement britannique avait déjà accepté, à l’occasion de la remise de cette proposition de consultation à Varsovie, la déclaration de garantie qui suivit alors, le 31 mars ou l’avait seulement envisagée. En aucun cas, on ne peut douter que la mobilisation partielle de l’armée polonaise reconnue le 10 juillet 1939 à la Chambre des Communes par le Premier ministre britannique Chamberlain, était vraiment peu destinée à créer des conditions favorables à des tractations ultérieures. En effet, le mémorandum du Gouvernement polonais remis le 26 mars 1939 par l’ambassadeur polonais Upski contenait un refus catégorique de la proposition allemande. On y déclarait qu’une exterritorialité des voies de communications ne pouvait entrer en ligne de compte et également qu’une réunion de Dantzig au Reich ne pouvait pas être prise en considération. Au cours de l’entretien entre le ministre des Affaires étrangères du Reich et l’ambassadeur de Pologne, qui suivit la remise du mémorandum, l’ambassadeur polonais déclara ouvertement qu’il avait le devoir désagréable de déclarer que toute suite donnée aux plans allemands, particulièrement en ce qui concernait le retour de Dantzig au Reich, signifierait la guerre avec la Pologne.

Si j’ai exposé qu’il n’était pas nécessaire d’insister sur la corrélation entre la mobilisation partielle polonaise du 23 mars 1939 et le refus complet de la proposition allemande, refus contenu dans le mémorandum polonais du 26 mars 1939, d’un côté, et la garantie britannique contenue dans la déclaration du 31 mars 1939, de l’autre côté, cela paraît justifié déjà, eu égard à la proposition faite par le Gouvernement britannique aussi bien à Varsovie qu’à Paris et à Moscou, de fournir une « déclaration formelle ». Cette « déclaration formelle » devait annoncer l’ouverture immédiate de négociations portant sur des mesures de résistance communes à toute menace dirigée contre l’indépendance de l’un des pays européens. De plus, le discours prononcé le 17 mars à Birmingham par le Premier ministre Chamberlain, et le discours de Lord Halifax, ministre des Affaires étrangères de Grande-Bretagne, devant la Chambre des Lords, le 20 mars, dénotent à cet égard une attitude qui devait encore plus inciter le Gouvernement polonais à l’intransigeance. Et, en fait, la proposition soumise dès le 21 mars 1939 par le Gouvernement britannique aux Gouvernements de Varsovie, Paris et Moscou, en vue d’une « déclaration formelle commune » allait marquer le début d’interminables pourparlers dont le dessein était d’entourer l’Allemagne d’un cercle de fer. Il parut donc évident à priori que, dans ces conditions, des négociations bilatérales entre les Gouvernements allemand et polonais ne pouvaient plus avoir que peu de chances de succès, au moins durant ces pourparlers. Toutefois, dans un nouveau mémorandum que le Ministère Public a déjà présenté et qui fut remis, le 28 avril 1939, au ministère des Affaires étrangères polonais, le Gouvernement allemand exposait son point de vue de façon tout à fait claire et affirmait, une fois de plus, qu’il était disposé à entamer des négociations ultérieures. Adolf Hitler fit connaître publiquement, dans son discours au Reichstag, le 28 avril 1939, le contenu de ce mémorandum en même temps que les propositions faites en mars 1939. En réponse au mémorandum du Gouvernement allemand du 28 avril 1939, le Gouvernement polonais a remis, le 5 mai 1939, un mémoire qui a été, lui aussi, déjà présenté par le Ministère Public. Dans ce mémoire, plus encore que dans ses notes précédentes, le Gouvernement polonais repousse catégoriquement les propositions de l’Allemagne pour résoudre le problème du Corridor et la question de Dantzig.

Le cours des négociations engagées le 21 mars 1939 entre Londres, Paris, Varsovie et Moscou pour former une coalition dirigée exclusivement contre l’Allemagne ne prit pas la tournure souhaitée. Même les missions militaires française et britannique envoyées le 11 août 1939 à Moscou ne purent pas écarter les difficultés nées des divergences politiques notoires. Il importe peu de savoir quelle part eut dans cet échec le fait que la Pologne, qui devait avoir la garantie de l’Angleterre, de la France et de l’Union Soviétique, refusa ouvertement d’accepter l’assistance militaire de l’Union Soviétique. On n’a pas non plus besoin de rechercher le degré d’exactitude de ce que le Commissaire soviétique aux Affaires étrangères, Molotov, a affirmé à la séance extraordinaire du Soviet suprême, le 31 août 1939 : l’Angleterre, selon lui, n’avait pas essayé d’apaiser les inquiétudes de la Pologne, mais, au contraire, les avait entretenues. Il me paraît beaucoup plus important d’examiner ces divergences d’opinion fondamentales. C’est pourquoi je voudrais me référer à un extrait de l’ancien ambassadeur de Grande-Bretagne à Berlin, Sir Nevile Henderson. Étant donné que le Tribunal ne désire pas la lecture de cette citation, mais que, d’un autre côté, lors de l’exposé des preuves, cet extrait avait été autorisé, je me borne à indiquer cette référence.

Je continue à la page 35, au second paragraphe. En fait, les événements suivants s’étaient produits entre temps : Au dix-huitième Congrès du parti communiste, le 10 mars 1939, le Président du Conseil des Commissaires du peuple de l’URSS, Staline, fit un discours dans lequel il donna à entendre que le Gouvernement soviétique considérait comme possible ou souhaitable d’obtenir également de meilleures relations avec l’Allemagne. Cette allusion fut parfaitement comprise par Hitler. Le Commissaire aux Affaires étrangères, Molotov, s’est exprimé de la même façon dans son discours du 31 mai 1939, devant le Soviet suprême. Les négociations engagées là-dessus entre les Gouvernements allemand et soviétique avaient, avant tout, pour but la conclusion d’un accord commercial et financier. Cet accord fut signé le 19 août 1939 à Berlin. Mais déjà, pendant ces négociations économiques, on avait traité également des questions de politique générale qui, d’après un communiqué du 21 août 1939 de l’agence d’informations russe Tass marquaient l’intention des deux parties de modifier leur politique et d’écarter la guerre par la conclusion d’un pacte de non-agression. Ce pacte de non-agression fut signé à Moscou dans la nuit du 23 au 24 août 1939, donc, comme l’ont prouvé les documents produits au cours de ce Procès, deux jours avant l’attaque de la Pologne par l’armée allemande, qui avait été ordonnée pour la matinée du 26 août 1939. A côté de ce pacte de non-agression, fut signé, comme sa partie essentielle, un « protocole additif et secret ». Sur la base des données fournies par les preuves, en particulier sur la base de la déclaration sous la foi du serment de l’ambassadeur, chef de la section juridique des Affaires étrangères, le Dr Friedrich Gaus, du témoignage du secrétaire d’État aux Affaires étrangères, baron de Weizsàcker, et des déclarations des accusés von Ribbentrop et Jodl, le contenu suivant du protocole additif et secret peut être considéré comme établi : pour le cas d’une transformation territoriale dans les territoires appartenant aux États baltes, la Finlande, l’Estonie et la Lettonie devaient appartenir à la sphère d’intérêts de l’Union Soviétique, tandis que le territoire lituanien appartiendrait à la sphère d’intérêts de l’Allemagne. En ce qui concerne le territoire de la Pologne, une division des sphères d’intérêts fut opérée de telle manière que les territoires situés à l’Est de la Narew, de la Vistule et du San devaient faire partie de la sphère d’intérêts de l’Union Soviétique, tandis que les territoires situés à l’Ouest de la ligne de démarcation constituée par ces rivières devaient appartenir à la sphère d’intérêts de l’Allemagne. En outre, en ce qui concernait la Pologne, un accord fut conclu prévoyant que les deux puissances agiraient en commun au sujet du règlement définitif des questions concernant ce pays. Quant au sud-est de l’Europe, il fut procédé à une limitation des sphères d’intérêts réciproques, de telle manière que l’intérêt pour la Bessarabie fut souligné du côté soviétique, tandis que du côté allemand on proclamait un désintéressement total pour ce territoire. D’après les déclarations de tous les témoins, mais en particulier des déclarations de l’ambassadeur Dr Gaus et du secrétaire d’État Weizsàcker, il est établi que cet accord secret comportait un nouveau règlement complet de la question polonaise et du sort futur de l’État polonais.

Les efforts entrepris dans le but d’arriver quand même avec la Pologne à un accord sur la question de Dantzig et du Corridor, après la signature de l’accord germano-soviétique de non-agression et du protocole additif secret, demeurèrent vains. Le pacte d’assistance conclu le 25 août 1939 entre la Grande-Bretagne et la Pologne n’a pas empêché la déclaration de la guerre, mais l’a seulement retardée de quelques jours. Je n’ai pas l’intention de revenir en détail sur les entretiens diplomatiques qui ont encore eu lieu après l’accord germano-soviétique du 23 août 1939 pour essayer d’arriver à une entente. Une chose peut être dite en toute certitude : si la déclaration de garantie unilatérale de l’Angleterre, le 21 mars 1939, avait déjà été propre à augmenter l’intransigeance déjà existante du Gouvernement polonais envers les propositions allemandes, un pacte d’assistance avec la Grande-Bretagne devait avoir d’autant plus d’effet sur le désir de négocier du Gouvernement polonais. L’insuccès des entretiens entre l’Allemagne et la Pologne peut d’autant moins surprendre, si l’on se rappelle le témoignage du témoin Dalherus devant ce Tribunal. Ce témoin n’a-t-il pas confirmé que l’ambassadeur polonais à Berlin, Lipski, avait déclaré, le 31 août 1939, qu’il n’avait pas d’intérêt à délibérer sur les propositions du Gouvernement allemand ? Il fonda cette attitude en déclarant qu’en cas de guerre une révolution éclaterait en Allemagne et que l’armée polonaise marcherait sur Berlin.

Quelles que fussent les nouvelles qui avaient amené le Gouvernement anglais à la conclusion de l’accerd avec la Pologne et qui peut-être faisaient allusion à une fissure dans l’alliance germano-italienne et à des phénomènes de décomposition dans la structure de l’État allemand — je me réfère ici aux indications des témoins Dahlerus et Gisevius — l’avenir devait démontrer que de telles réflexions ne trouvèrent aucune confirmation dans les faits.

Lorsque, le 1er septembre 1939, la guerre éclata entre l’Allemagne et la Pologne, il s’agissait d’abord d’un conflit localisé entre deux États européens. Mais lorsque, le 3 septembre 1939, la Grande-Bretagne et la France déclarèrent la guerre à l’Allemagne, le conflit prit l’extension d’une guerre européenne, d’une guerre qui, comme toutes les guerres modernes entre les grandes puissances, en raison de l’insuffisance de l’organisation internationale actuelle, et après la faillite totale du système de la sécurité collective, portait en elle-même, dès le début, la tendance à se développer jusqu’à devenir une guerre mondiale générale. Cette guerre devait apporter des souffrances immenses à toute l’humanité et, lorsqu’elle trouva sa fin en Europe, le 8 mai 1945, par la capitulation sans conditions de l’Allemagne, elle laissait une Europe en ruines. Adolf Hitler n’a pas vu l’écroulement de l’Allemagne et la capitulation sans conditions. Mais sur le banc des accusés sont assis vingt-deux anciens chefs de l’Allemagne nationale-socialiste pour se défendre contre l’accusation d’avoir commis des crimes contre la Paix, en application d’un plan concerté, des crimes contre les usages de la guerre et des crimes contre l’Humanité.

A la base de la procédure actuelle se trouve ce qu’on appelle l’accord de Londres, qui a été conclu le 8 août 1945 entre le Gouvernement de la Grande-Bretagne et de l’Irlande du Nord, le Gouvernement des États-Unis d’Amérique, le Gouvernement provisoire de la République française et le Gouvernement des Républiques socialistes soviétiques. C’est sur la base de cet accord qu’a été formé le Tribunal actuel, dont la composition, la compétence et la mission sont fixées par le Statut du Tribunal Militaire International, qui forme une partie essentielle de l’accord du 8 août 1945 conclu entre les quatre Gouvernements que j’ai nommés. Mais le Statut du Tribunal Militaire International ne contient pas seulement des prescriptions sur la composition, la compétence et les tâches du Tribunal. En outre, et ce sont les parties les plus importantes du Statut, il contient des prescriptions d’ordre juridique réel. Cela vaut en particulier pour l’article 6 qui fixe les qualifications des crimes contre la Paix, des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité avec tous leurs éléments constitutifs. Il faut avant tout considérer le paragraphe 3 de l’article 6 du Statut qui énumère les éléments constitutifs de la prétendue conspiration. Il faut ensuite considérer comme règles juridiques réelles les articles 7, 8 et 9 du Statut.

Les indications qui suivent n’ont pas été approuvées par le Tribunal ; elles se rapportent essentiellement au contenu de la déclaration que les avocats ont faite au début du Procès, le 21 novembre dernier ; je me contente d’y faire allusion.

Je poursuis à la page 40, dernier paragraphe : On reproche à l’accusé Hess, dans l’Acte d’accusation même, d’avoir soutenu la prise de pouvoir par ceux que l’on appelle les conspirateurs nazis et l’affermissement de leur contrôle sur l’Allemagne. On lui reproche d’avoir favorisé la préparation militaire, économique et psychologique à la guerre. Puis, il est accusé d’avoir participé à l’élaboration de plans politiques et à la préparation de guerres d’agression et de guerres en violation d’accords internationaux, de conventions et d’assurances. Il est accusé enfin d’avoir aidé à préparer et à élaborer les plans de politique extérieure de ceux que l’on nomme les conspirateurs nazis.

Enfin, on affirme qu’il a autorisé les crimes de guerre cités au chef d’accusation n° 3 et les crimes contre l’Humanité cités au chef d’accusation n° 4, et qu’il a participé à ces crimes.

LE PRÉSIDENT

Docteur Seidl, je crois qu’il serait opportun de suspendre.

(L’audience est suspendue.)
Dr SEIDL

Messieurs, le chef d’accusation n° 1 traite du prétendu plan concerté ou complot. Suivant ce poini, tous les accusé, avec d’autres personnes, ont participé pendant un certain nombre d’années avant le 8 mai 1945 comme chefs, organisateurs, provocateurs et complices à l’élaboration ou à l’exécution d’un plan concerté qui apportait avec lui la perpétration de crimes contre la Paix, de crimes contre le droit de la guerre et contre l’Humanité. On a affirmé que les accusés avaient projeté, préparé, déclenché et dirigé des guerres d’agression et, qu’en exécution de ce plan concerté, ils avaient perpétré des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité.

Alors que le Statut ne connaît que trois crimes, — crimes contre la Paix, crimes contre les usages de la guerre et crimes contre l’Humanité — l’Acte d’accusation en contient quatre. Dans l’Acte d’accusation, le plan concerté ou complot devient un chef d’accusation isolé et autonome, sans que le Statut en fournisse une raison suffisante. Il reste à savoir si, dans le Droit anglo-américain, le complot constitue une infraction d’une nature spéciale. Étant donné que le Statut ne se réfère ni au Droit anglo-américain ni au Droit continental, mais qu’il a, de son côté, établi des règles pénales sui generis, ce sont le texte et le sens du Statut lui-même qui sont déterminants. Mais, puisque dans le paragraphe 3 de l’article 6 on parle expressément du projet ou de l’exécution d’un plan en vue de la perpétration d’un crime contre la Paix, contre les usages de la guerre ou contre l’Humanité, on ne peut douter qu’il ne peut y avoir d’infraction indépendante, telle qu’on l’affirme sous le chef d’accusation n° 1 de l’Acte d’accusation sous le titre de plan concerté ou complot, du moins lorsqu’on s’en tient aux prescriptions du Statut.

Après avoir reproché à l’accusé Hess les quatre points de l’accusation, il est d’abord nécessaire de se prononcer sur le premier chef d’accusation.

Le Ministère Public place au centre du plan concerté ou complot, dont il affirme l’existence, le Parti national-socialiste des travailleurs allemands auquel l’accusé Rudolf Hess appartenait depuis 1921 et dont Hitler était devenu le chef en 1921. En apparence, le Ministère Public lui-même n’affirme pas que le programme de la NSDAP soit en lui-même déjà criminel. Il paraît d’autant plus inutile d’approfondir la question que, par la suite, et dans la vie politique de tous les jours, le programme du Parti n’a, de loin, pas joué le rôle qu’on pourrait lui supposer. D’ailleurs, la présentation des preuves a prouvé indubitablement que, jusqu’au 30 janvier 1933, le parti national-socialiste était un parti comme les autres, qu’il a lutté par les mêmes moyens légaux que les autres pour arriver à ses fins, qu’il a dû ses progrès au fait que l’Allemagne de 1931-1932 avait subi, en raison dé la politique des réparations des puissances victorieuses de 1919, une décadence économique et politique d’un caractère peu commun, et qu’enfin le 30 janvier 1933, en application des prescriptions de la Constitution du Reich, il avait été chargé, étant le parti le plus important, de la formation du Gouvernement. Son chef Adolf Hitler a été nommé Chancelier du Reich. Pendant cette période de lutte, le Parti, comme tous les autres, a lutté ouvertement pour les principes qu’il défendait, et le Ministère Public n’a pu produire, lors de l’exposé des preuves, aucun document qui permette de conclure au fait que, par l’emploi de moyens illégaux, le Parti et le Führer aient participé à un plan commun qui visait au déclenchement d’une guerre d’agression. En effet, que l’on se remémore la situation politique, économique et militaire dans laquelle se trouvait l’Allemagne pendant les années qui ont suivi la fin de la première guerre mondiale et l’on reconnaîtra combien il est hors de propos pour l’époque de supposer un tel plan visant au déclenchement d’une guerre. La conception présentée dans l’Acte d’accusation prouve non seulement une parfaite méconnaissance de la situation économique, politique et militaire devant laquelle se trouvait l’Allemagne par suite du règlement de la paix par le Traité de Versailles ; mais elle trahit encore une complète méconnaissance de la nature de toute politique.

Lorsque Hitler, qui était le chef du parti le plus fort, fut nommé Chancelier du Reich, le 30 janvier 1933, par le Président von Hindenburg, il ne pouvait s’agir pour lui et pour son Gouvernement, auquel participaient aussi d’autres partis, de s’attaquer à l’élaboration d’un plan concerté visant à une guerre d’agression, en complète méconnaissance des données politiques et surtout économiques. Les tâches qui incombaient alors au Gouvernement du Reich découlaient simplement du fait qu’en Allemagne près de 7.000.000 de chômeurs devaient trouver du travail. Comme le témoin Dr Lammers l’a prouvé, l’élimination de la misère économique et sociale fut effectivement la question qui occupa le plus de place lors de la première séance du cabinet. Pas un mot ne fut échangé sur un plan concerté qui aurait visé à une guerre d’agression et ; en fait on ne peut pas admettre que, dans les conjonctures du moment, un seul membre du Gouvernement ait pu jouer, sous une forme concrète, d’une telle pensée. D’ailleurs il a été constaté, en se basant sur les déclarations du témoin Dr Lammers et sur celles d’autres témoins, que l’objet de la première séance du cabinet et les décisions qui y ont été prises sont contenues dans la déclaration gouvernementale du 1er février 1933, proclamée sous la forme d’un appel du Gouvernement du Reich au peuple allemand.

D’après le contenu de l’Acte d’accusation, le premier but de la conspiration que signale le Ministère Public était d’abroger les limitations d’armement imposées à l’Allemagne par le Traité de Versailles. Les puissances victorieuses ayant refusé catégoriquement de désarmer, ainsi qu’elles s’y étaient engagées lors du Traité de Versailles, le Reich avait au moins obtenu le droit d’aspirer à une égalité des armements en réarmant de son côté. Cela ne s’est pas fait en secret, mais publiquement, par la promulgation de la loi du 16 mars 1935 qui introduisait le service militaire obligatoire. Le Ministère Public n’a pu fournir aucune pièce à charge étayant son assertion suivant laquelle cette loi avait été promulguée en relation et en exécution d’un plan concerté visant au déclenchement d’une guerre d’agression. Le but de cette loi était plutôt de rétablir exclusivement, seize ans après la fin de la première guerre mondiale, l’égalité de droits sur ce point au moins. Du reste, je me réfère aux déclarations de l’avocat de l’accusé von Neurath en ce qui concerne les détails. En relation avec ces faits, je vais pourtant me reporter brièvement à un document que le Ministère Public a déposé avec neuf autres documents dont il fait des documents-clés, et qui doivent principalement apporter la preuve du plan concerté allégué dans l’Acte d’accusation. C’est le procès-verbal de l’entretien qui eut lieu à la Chancellerie du Reich le 5 novembre 1937, USA-25 (PS-386). Comme le Tribunal le sait, il ne s’agit pas ici d’une reproduction textuelle des déclarations d’Adolf Hitler, mais d’un rapport du colonel Hossbach, établi par celui-ci cinq jours après le 10 novembre 1937 exactement. Je n’ai pas l’intention d’entrer dans les détails du contenu de ce document. Je me réfère ici aux déclarations des accusés Göring et Raeder, à la barre des témoins, et aux déclarations que d’autres avocats ont faites sur cette question. Qu’il soit seulement mentionné encore que, lors de cette allocution devant les commandants en chef et le ministre des Affaires étrangères d’alors, Hitler a envisagé un emploi du temps qui ne concorde nullement avec les événements ultérieurs. Dans ces circonstances, l’existence d’un plan précis et bien arrêté apparaît comme peu vraisemblable de la part de Hitler. On peut tirer avec certitude du contenu de ce document une seule conclusion : jusqu’au 5 novembre 1937, Hitler lui-même n’a pensé qu’à une solution pacifique des questions territoriales soulevées par le Traité de Versailles. Pour cette raison déjà, il ne peut pas avoir existé, au moins jusqu’à ce jour-là, un plan concerté visant au commencement d’une guerre d’agression. Mais ce document est également remarquable pour une autre raison : il commence par la constatation du Führer « que l’objet des pourparlers d’aujourd’hui est d’une telle importance que, dans d’autres États, il devrait être discuté devant l’ensemble du cabinet. Mais le Führer, eu égard à l’importance de la matière, évite d’en faire l’objet de discussions dans la sphère du Cabinet du Reich. »

On peut négliger aussi de rechercher dans quelle mesure, à partir de l’année 1937, d’autres questions encore ont été traitées dans les réunions du Cabinet du Reich, par voie administrative ou par voie législative. Cependant, sur la base de l’ensemble des résultats de l’examen des preuves, et particulièrement des dépositions du témoin Dr Lammers, ainsi que d’un grand nombre de documents qui ont été présentés par d’autres témoins, et aussi de documents présentés par le Ministère Public lui-même, on peut avec certitude tirer la conclusion qu’au plus tard à partir du 5 novembre 1937, tous les problèmes concernant la guerre et la paix n’ont plus été traités par le Gouvernement, en tant qu’organisme d’État, non plus que par un cercle plus grand de collaborateurs qui restaient toujours les mêmes, mais uniquement par Adolf Hitler. Cet état de choses a vraisemblablement déjà existé en 1936. A ce propos, je me permets de rappeler les dépositions faites par plusieurs des accusés à la barre des témoins : ces accusés, par exemple, ont appris la réoccupation de la zone démilitarisée de la Rhénanie de la même manière que tous les autres citoyens, c’est-à-dire par la presse ei la radio. Il est toutefois certain qu’après le 5 novembre 1937, et particulièrement après ce qu’on a appelé la prétendue crise Fritsch, et la transformation, qui a suivi, du ministère de la Guerre du Reich en Haut Commandement de la Wehrmacht, toutes les grandes décisions politiques et militaires ont été prises par Adolf Hitler seul. D’après les déclarations du témoin Dr Lammers, des entretiens communs entre le Gouvernement du Reieh, la direction du Parti et les généraux n’ont jamais eu lieu. D’après l’exposé de ce témoin et d’autres témoins, on arrive plutôt à la conviction qu’entre ces trois institutions il n’y avait aucune relation étroite. En effet, il ne ressort d’aucun des documents soumis par le Ministère Public quelque chose qui puisse laisser supposer l’existence d’une collaboration indépendante entre le Gouvernement du Reich, la direction du Parti et le ministère de la Guerre du Reich, qui devait devenir plus tard le Haut Commandement de la Wehrmacht, les commandants en chef des parties de la Wehrmacht et leurs chefs d’État-Major. Au contraire, si tant est qu’on puisse tirer une conclusion certaine du résultat de l’examen des preuves, c’est celle que le pouvoir se trouvait exclusivement réuni entre les mains d’Adolf Hitler et que le Gouvernement du Reich, la direction du Parti et la Wehrmacht recevaient leurs ordres et leurs directives exclusivement de lui, et que c’était précisément la politique de Hitler d’éviter une collaboration indépendante de ces institutions. C’est ainsi que s’explique le fait que, pour toutes les questions de nature politique ou militaire, seuls les services directement intéressés à l’exécution des ordres en aient été chargés. En outre, il résulte de tous les documents soumis par le Ministère Public que, lors des entretiens qui avaient lieu sous la présidence de Hitler, il ne s’est jamais agi d’entretiens tels qu’on les conçoit dans des démocraties parlementaires, mais essentiellement des distributions d’ordres. Il n’est pas nécessaire de s’arrêter aux détails des exposés que presque tous les accusés ont faits sur leurs rapports avec Adolf Hitler, de se prononcer sur les déclarations que toute une série d’autres témoins ont apportées sur la position d’Adolf Hitler dans le système gouvernemental allemand. On peut dire une chose avec certitude : à partir du 5 novembre 1937 au plus tard, la position d’Adolf Hitler est devenue prépondérante, et il n’y a plus l’ombre d’un doute que toutes les questions décisives politiques et militaires sont traitées exclusivement par lui, ce qui fait que, pour cette seule raison, il ne saurait plus être question d’un plan concerté.

Quoiqu’il fût le représentant du Führer et le plus haut chef politique du Parti, l’accusé Rudolf Hess n’a pas davantage pris part à l’entretien avec le Führer du 5 novembre 1937, à la Chancellerie du Reich (USA-25), qu’il n’a participé ou coopéré à aucun des pourparlers, considérés par le Ministère Public comme essentiels pour la preuve de l’existence d’un plan concerté ou à une autre décision importante au point de vue politique ou militaire. Cela vaut, par exemple, également pour le document USA-26 (PS-388) déposé par le Ministère Public. Il s’agit ici du cas secret « Grûn » qui intéressait la Tchécoslovaquie. Sans plus s’arrêter davantage à ce document, on peut dire, toutefois, simplement qu’il s’agit d’un pur travail d’État-Major qui n’était tout d’abord considéré que comme une simple étude et qui a été ensuite transformé en un véritable plan d’opérations. Ce plan d’opérations n’a pas été réalisé, les dossiers du « Grùn » se terminent plutôt par l’instruction n° 1 du Führer et Chef suprême de la Wehrmacht, qui concerne l’occupation des territoires allemands des Sudètes, séparés de la Tchécoslovaquie en vertu des accords de Munich du 29 septembre 1938. Dans ces circonstances, il est superflu de s’arrêter davantage à la lettre du 27 septembre 1938 du chef du Haut Commandement de la Wehrmacht au représentant du Führer, qui se trouve également dans le dossier du cas « Grùn » et qui se réfère à l’exécution de mesures de mobilisation auxquelles on devait procéder sans publication d’un ordre de mobilisation ou d’un mot d’ordre correspondant.

Ce que j’ai déjà dit au sujet du document USA-25 vaut également pour le document USA-27 (L-79). Il s’agit là encore d’un document-clé qui a pour objet la mise au courant par le Fiihrer, le 23 mai 1939 à la nouvelle Chancellerie du Reich, des commandants en chefs des parties de la Wehrmacht et des chefs des États-Majors. Sans vouloir insister sur le contenu, l’importance ainsi que sur la valeur probatoire de ce document, je note que le discours du Führer se termine par l’ordre d’instituer un petit état-major d’études auprès du Haut Commandement de la Wehrmacht. Il résulte cependant nettement de ce document qu’un plan concerté dans la forme prétendue par le Ministère Public n’a jamais pu exister et surtout pas entre les accusés qui se trouvent actuellement sur ce banc. A cet entretien avec le Führer qui, en vérité, n’a pas été un entretien, mais à nouveau une distribution d’instructions et d’ordres, aucun ministre ou fonctionnaire de l’administration civile n’a pris part.

Les trois documents suivants soumis par le Ministère Public comme documents-clés se réfèrent à un seul et même objet, au discours d’Adolf Hitler devant les commandants en chef de la Wehrmacht le 22 août 1939. Il s’agit des documents suivants : USA-28 (L-3), USA-29 (PS-798) et USA-30 (PS-1014). Je ne veux pas non plus insister sur la force probante de ces documents, bien qu’il soit évident qu’il ne peut pas s’agir ici de documents de même valeur, et qu’il soit très clair qu’il ne peut pas s’agir d’une reproduction tant soit peu exacte des déclarations d’Adolf Hitler. Aucun de ces documents ne laisse reconnaître son auteur. A ce sujet, les interprétations aussi bien sur leur ampleur que sur leur contenu sont considérablement différentes. Le document USA-29 semble contenir la reproduction la plus complète des déclarations de Hitler. Et c’est à nouveau ici la fin qui esit la plus remarquable. Elle éclaire, dans une certaine mesure, la situation, et caractérise l’événement qui, le premier, a mis Hitler en mesure de faire un tel discours devant les commandants en chef. Je cite :

« J’étais convaincu que Staline n’accepterait jamais la proposition anglaise. La Russie n’a aucun intérêt au maintien de la Pologne, et puis Staline sait que c’est la fin de son régime, que ses soldats sortent victorieux ou battus d’une guerre. Le départ de Litvinov était décisif. J’ai peu à peu mené à bien le changement vis-à-vis de la Russie. Grâce au traité de commerce, nous en sommes arrivés aux conversations politiques, projet d’un pacte de non-agression. Puis la Russie a fait une proposition universelle. Il y a quatre jours, j’ai fait une démarche particulière qui a eu pour résultat que la Russie réponde hier qu’elle était prête à signer. Von Ribbentrop signera le traité après-demain. Enfin, la Pologne est dans la situation dans laquelle je voulais la mettre. »

Lors de ce discours du Führer, à part les commandants en chef, ni les ministres, ni les chefs du Parti, et en particulier l’accusé Rudolf Hess, n’étaient présents. Cela vaut également pour le document PS-789 (USA-23). L’objet de ce document est un entretien chez le Fù’hrer, le 23 novembre 1939. On constate, d’après ce document, qu’assistaient seuls à cette réunion les commandants en chef de la Wehrmacht qui reçurent les directives du Führer pour les opérations imminentes à l’Ouest. Le document-clé suivant est le numéro USA-31 (PS-446) ; c’est la directive n° 21 pour le « Cas Barbarossa ». Il s’agit ici d’une directive du Führer et Chef suprême de la Wehrmacht, qui ne présentait qu’un caractère exclusivement militaire et n’était destinée qu’à la Wehrmacht. Une participation quelconque d’un service administratif civil ou du Parti, même du chef politique suprême, c’est-à-dire l’accusé Rudolf Hess, est écartée de prime abord par la nature de cette directive. Il ressort également du document USA-32 (PS-2718), qui a pour objet une note sur le résultat d’un entretien du 2 mai 1941 concernant le « CasBarbarossa », que ni le représentant du Führer ni n’importe quel autre chef politique n’ont participé à cet entretien.

Le dernier de ces documents-clés, le numéro USA-33 (PS-1881), est la note du ministre Schmidt relative à l’entretien du 4 avril 1941 à Berlin entre le Führer et le ministre des Affaires étrangères du Japon, Matsuoka. Une participation de l’accusé Rudolf Hess ou de n’importe quel autre chef politique du Parti est exclue, étant donné la nature de cet entretien. Toutefois, il ressort encore de ce document qu’il n’est pas seulement erroné de parler d’un plan concerté qui avait pour but, en Allemagne, une guerre d’agression, mais qu’en plus de cela il n’existait pas de collaboration politique ou militaire très étroite entre ce que l’on appelle les Puissances de l’Axe pour autant, toutefois, qu’il soit question des relations entre l’Allemagne et le Japon.

Or, quelles conclusions peut-on tirer du contenu de ces documents-clés que le Ministère Public lui-même a désignés comme particulièrement probants pour l’existence d’un plan concerté ? Sans vouloir prendre position au sujet de la valeur probatoire de ces documents, il est établi, en tout cas, par ces notes, que l’accusé Hess n’était présent à aucun de ces entretiens ou plutôt de ces distributions d’ordres. Si l’on tient compte, lors de l’appréciation de cette circonstance, que l’accusé Rudolf Hess était le représentant du Führer et le chef politique suprême et, qu’en outre, à partir du 1er septembre 1939, il était destiné, après l’accusé Hermann Göring, à être le successeur de Hitler, il ne devrait, en réalité, plus être question d’un plan concerté dans la forme soutenue par le Ministère Public. A ce propos, je me permets de me reporter au rapport du chef de l’État-Major de l’armée des États-Unis, au ministre de la Guerre, pour la période du 1er juillet 1943 au 30 juin 1945. Je cite :

« Les preuves existantes font ressortir que l’intention primitive de Hitler consistait à créer, par l’absorption des populations germaniques des pays limitrophes du Reich allemand et par le renforcement des nouvelles frontières de celui-ci, un Grand Reich allemand qui aurait dominé l’Europe. Pour atteindre ce but, Hitler poursuivait une politique d’opportunisme, par laquelle il réussit à occuper la Rhénanie, l’Autriche et la Tchécoslovaquie sans rencontrer aucune résistance militaire.

Jusqu’à présent, on n’a encore trouvé aucune preuve que le Haut Commandement allemand eût eu un plan stratégique concernant le tout (over-all stratégie-plan). Le Haut Commandement approuvait sans doute en principe la politique de Hitler, mais sa stratégie impétueuse dépassa les capacités militaires allemandes et amena finalement la défaite de l’Allemagne. L’histoire du Haut Commandement allemand, à partir de 1938, est remplie de conflits personnels constants, dans lesquels les ordres personnels de Hitler primaient de plus en plus les opinions des militaires. Le premier heurt eut lieu en 1938 et se termina par le renvoi de von Blomberg, von Fritsch et de Beck et la mise à l’écart de la dernière influence conservatrice encore importante sur la politique extérieure allemande.

Les campagnes de Pologne, de Norvège, de France et de Hollande eurent pour conséquences de sérieuses divergences d’opinions entre Hitler et les généraux. En tout cas, l’État-Major s’était prononcé pour une forme orthodoxe de l’attaque, Hitler, par contre, pour la forme, non orthodoxe, dont les buts se trouvaient situés profondément à l’intérieur du territoire ennemi. De toutes façons, Hitler fit adopter sa conception et le résultat vraiment surprenant de chacune de ces campagnes successives donna un tel prestige à Hitler qu’on n’osa plus contredire son point de vue. La confiance qu’il avait en lui-même dans les choses militaires devint illimitée après la victoire en France, et il commença désormais à critiquer et à dénigrer les idées des ses généraux même en présence d’officiers plus jeunes ; c’est ainsi qu’aucune résistance ne fut plus opposée par l’État-Major, lorsque Hitler prit la décision fatale d’envahir la Russie.

Par l’entrée en guerre de l’Italie, Mussolini avait l’intention de réaliser, grâce aux succès militaires allemands, ses plans stratégiques en vue de l’expansion de son empire. Le Feldmarschall Keitel déclare que la déclaration de guerre italienne était contraire aux explications données à l’Allemagne. Keitel et Jodl sont tous deux d’accord sur le fait qu’elle n’était pas souhaitée. Depuis le début, l’Italie n’a été qu’un fardeau pour le potentiel de guerre allemand. L’Italie était une source continuelle de frictions, dans le secteur économique, étant donné sa dépendance au point de vue des huiles minérales et du charbon. L’action unilatérale de Mussolini contre la Grèce et son agression contre l’Egypte forcèrent les Allemands à effectuer la campagne des Balkans ainsi que la campagne d’Afrique, ce qui provoqua l’utilisation excessive des forces allemandes et fut un des facteurs principaux de la défaite allemande.

Il n’y a, en outre, aucune preuve d’un plan stratégique commun entre l’Allemagne et le Japon. L’État-Major général allemand a reconnu le pacte de neutralité qui liait le Japon à la Russie, mais espérait que le Japon retiendrait des forces importantes terrestres, aériennes et navales anglaises et américaines en Extrême-Orient ».

Les déclarations que les accusés Keitel et Jodl ont faites à la barre des témoins concordent, pour l’essentiel, avec les constatations du chef de l’État-Major américain, de telle sorte que d’autres explications semblent superflues. On peut considérer comme prouvé qu’il n’a jamais existé dans les milieux des collaborateurs intimes d’Adolf Hitler un accord complet au sujet des mesures à prendre dans le domaine politique et militaire, tout en laissant de côté la hiérarchie de Droit public qui existait entre les officiers de la Wehrmacht et le chef d’État et qui était en même temps le Commandant en chef suprême. On constate qu’on ne peut accepter l’idée de l’existence d’un plan concerté en vue d’une guerre, même dans le milieu des personnes où il semblait d’abord être le plus vraisemblable.

Comme deuxième but commun du complot, on désigne, dans l’Acte d’accusation, l’appropriation des territoires que l’Allemagne avait perdus à la suite de la guerre mondiale de 1914 à 1918. J’ai déjà exposé au début que la note de couverture du Traité de Versailles prévoyait déjà la possibilité de sa révision. On ne saurait déduire de la seule demande de réintégration de l’Autriche dans le Reich allemand et de l’incorporation des territoires allemands des Sudètes, l’existence d’un plan qui, le cas échéant, aurait dû être réalisé par l’emploi de la force et par le moyen d’une guerre. En réalité on empêcha, au mépris du droit des gens, les peuples de ces territoires de disposer d’eux-mêmes, d’effecteur leur rattachement, dès 1919, au Reich allemand. Je peux, à ce sujet, me référer aux constatations faites au début de mon exposé. En effet, l’Anschluss de l’Autriche — et on peut l’affirmer à la suite du résultat des preuves — a eu lieu dans des circonstances qu’on ne peut qualifier de guerrières et qui permettaient d’affirmer que la plus grande partie de la population autrichienne approuvait l’Anschluss. En ce qui concerne la question des Sudètes allemands, il suffira de renvoyer ici à l’accord de Munich entre l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France et l’Italie, qui réglait le rattachement des Sudètes allemands au Reich.

Et enfin, on a fait d’un troisième but du plan concerté l’appropriation d’autres territoires du continent européen, qui devaient servir aux conjurés d’« espace vital ». L’Acte d’accusation est très vague à ce sujet et n’exprime rien de substantiel. Mais la question de ce prétendu « espace vital » est en réalité un problème qui est totalement indépendant de l’idéologie nationale-socialiste et qui est conditionné par l’étendue de l’espace et de la population d’un peuple. Chaque Gouvernement allemand devait et doit s’occuper de cette question. Si un argument de Hitler a trouvé un écho sérieux dans le peuple allemand, ce fut cette demande qu’il avait soulevée d’une participation proportionnelle du peuple allemand aux biens matériels de l’univers. Cette exigence semble être d’autant plus fondée que la proportion est, pour très peu de peuples, aussi défavorable que pour l’Allemagne.

Rien qu’en Russie européenne par exemple, on compte 22,1 habitants au kilomètre carré. Aux U. S. A. la densité de population ne s’élève qu’à 17. Et la France, qui comptait 74,6 habitants au kilomètre carré, n’en dispose pas moins de 11.500.000 kilomètres carrés d’espace. Enfin, l’Angleterre, avec 47.000.000 d’habitants, ne possède pas moins de 35.000.000 de kilomètres carrés d’espace. Mais L Allemagne, qui comptait plus de 80.000.000 d’habitants et avait une densité de population de 140, ne disposait même pas, le 1er septembre 1939, de 600.000 kilomètres carrés. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. La répartition proportionnelle des matières premières les plus essentielles ne peut être séparée de la question de l’espace.

Je n’ai pas besoin d’exposer en détail de quelle manière insuffisante sont réparties les sources les plus importantes de matières premières : certaines d’entre elles sont entièrement monopolisées. Il est certain que, du fait de la répartition injuste des biens matériels de l’univers, l’exaspération devenait d’autant plus forte dans le peuple allemand que non seulement chaque révision raisonnable était repoussée, mais qu’en outre les peuples étaient divisés en deux classes par la partie adverse et d’une manière à ne pas s’y méprendre, c’est-à-dire en celle de « ceux qui possédaient » et en celle de « ceux qui n’avaient rien ». En réalité, cette classification ne pouvait pas être ressentie autrement qu’une insulte.

Aucune conception nette n’exista même après 1933, au sujet des solutions possibles destinées à éliminer les difficultés créées par le manque d’espace. L’accusé Rudolf Hess appartenait précisément à ceux qui voulaient voir, si possible, dans l’acquisition des colonies, une solution au problème de l’espace vital. C’est ainsi qu’il a déclaré, au cours d’un grand discours prononcé le 21 mars 1936 à Stettin :

« La voie naturelle, pour assurer plus de vivres aux êtres humains en Allemagne, est celle d’élargir notre base vitale, c’est-à-dire de la compléter par des colonies. C’est pour cela que le Führer a lié à sa déclaration d’être disposé à retourner à la Société des Nations, l’espoir que la question des colonies serait soumise à un examen. Le Führer sait qu’un peuple sans espace suffisant et sans possibilités suffisantes de nourriture, qu’un peuple affamé et poussé à la longue par son instinct de conservation, sera un foyer de troubles, en face duquel l’homme d’État le plus génial demeurera impuissant. La faim est, en effet, un instinct naturel qu’on ne peut dompter ni par des déclarations, ni par des ordres. Notre demande de colonies représente, de ce fait, le désir d’une pacification de l’Europe à longue vue, et pour cela la question d’une attribution de colonies à l’Allemagne constitue une partie de la grande proposition de pacification qu’a faite le Führer... » (Document Hess-14.)

Le monde n’ignore pas que la réalisation de cette demande, ainsi que celle de toutes les autres demandes de révision, a été refusée. En réalité, les rapports existant entre la répartition injuste des biens matériels de la terre en contradiction avec toute économie raisonnable, et les tensions politiques qui secouent toujours à nouveau la paix du monde ne peuvent être ignorées.

C’est également le Président du Conseil des Commissaires du Peuple de l’URSS, le Généralissime Staline, qui a fait allusion à cet état de choses, dans son grand discours qu’il a prononcé le 11 février 1946, à l’occasion des élections pour le Soviet suprême. Il a déclaré entre autres : . Il serait erroné de supposer que la deuxième guerre mondiale ait éclaté accidentellement ou qu’elle résulte des fautes de tel ou tel homme d’État, bien que ces fautes aient sans doute été commises. La guerre était en réalité le résultat inévitable des forces internationales d’ordre économique et politique, fondées sur le capitalisme monopolitique... On pourrait peut-être échapper aux catastrophes de guerre s’il y avait la possibilité de répartir les matières premières entre les pays, conformément à leur importance économique, et en appliquant des résolutions pacifiques et basées sur des accords. Plus loin, Staline déclare : « Voici où en est la question de la cause et du caractère de la deuxième guerre mondiale. Je crois maintenant que nous reconnaissons tous le fait que la guerre n’était pas un hasard dans la vie des peuples et qu’elle ne pouvait l’être, mais qu’elle s’était en e,lïet transformée en une guerre des peuples pour leur existence, et qu’elle ne pouvait être, de ce fait, une guerre-éclair qui se terminerait rapidement. Il ne faut rien ajouter à ces déclarations. Elles sont éloquentes en elles-mêmes.

Messieurs, j’en arrive maintenant à l’appréciation juridique des faits qu’il faut considérer comme réellement établis. Comme je l’ai déjà dit, l’article 6, paragraphe 3 du Statut, ne donne pas la qualification d’un acte criminel propre et isolé, mais l’élargissement de la responsabilité pénale des dirigeants, des auteurs et complices qui ont participé au plan ou à l’exécution d’un plan concerté relatif à la perpétration d’un des crimes cités au paragraphe 2. Ces personnes doivent, selon la prescription précitée, non seulement être responsables des actes qu’elles ont commis elles-mêmes, mais répondre aussi au point de vue pénal de tous les actes commis par une personne quelconque en exécution d’un tel plan.

L’article 6, paragraphe 2, a) du Statut, définit ainsi le crime contre la paix : « La direction, la préparation, le déclenchement, la poursuite d’une guerre d’agression ou d’une guerre de violation des traités, assurances ou accords internationaux, ou la participation à un plan concerté ou à un complot, pour l’accomplissement de l’un quelconque des actes qui précèdent ».

Alors que, dans l’article 6, paragraphe 3 du Statut, il est expressément établi que la responsabilité pénale de celui qui participe à l’élaboration d’un plan concerté se limite à des actes commis « par toutes personnes en exécution de ce plan », le crime contre la Paix est, selon l’article 6, paragraphe 2, a) du Statut, constitué par le fait de conclure des accords, faire des promesses et participer à un plan concerté ou à un complot en vue de réaliser un plan destiné à préparer, déclencher ou poursuivre une guerre d’agression. Contrairement à l’article 6, paragraphe 3, il n’est pas nécessaire ici qu’il y ait un acte d’exécution.

Je n’ai pas l’intention d’approfondir la question de savoir si, au jour du déclenchement de la guerre, c’est-à-dire le 1er septembre 1939, la guerre comme telle et notamment le déclenchement d’une guerre d’agression étaient un crime selon le Droit international en vigueur à l’époque. On a déjà pris position à ce sujet dans la plaidoirie d’ensemble de la Défense. L’examen juridique de cette question a montré que ni le pacte de la Société des Nations ni le pacte Briand-Kellogg ne contiennent une clause quelconque permettant de conclure que le déclenchement d’une guerre était un crime et, partant, était punissable. Le Droit international en vigueur ne connaissait pas de responsabilité pénale de l’État en tant que personne juridique et encore moins de responsabilité pénale des organismes de l’État, c’est-à-dire du chef de l’État, des membres du Gouvernement, des commandants en chef de l’Armée, des dirigeants de l’économie, etc. Nous n’examinerons pas les causes de cet état peu satisfaisant du Droit international. Il a déjà été souligné à-bon droit que l’idée de souveraineté et, avant tout, le refus des grandes puissances de renoncer à une partie de ces droits de souveraineté dans l’intérêt d’une certaine organisation supérieure aux États, ont contribué à cet état peu satisfaisant du Droit international, et sur ce point en particulier. Un autre fait, qui ne me semble pas moins important, s’y rattache : c’est celui qu’on n’a jamais réussi à créer une organisation efficace et une procédure qui satisfassent réellement aux revendications justificées des peuples en vue de participer personnellement aux biens matériels de la terre et qui fussent susceptibles de veiller à un juste équilibre des intérêts opposés.

Étant donné ces constatations et ces vérifications, on ne peut donc plus douter qu’il n’existe pas de crime contre la Paix tel qu’il est défini dans l’article 6, paragraphe 2, a) du Statut. Cet article 6 du Statut ne trouve pas de base suffisante dans le Droit international en vigueur.

Je vais omettre les constatations décisives qui suivent, parce qu’elles traitent des conséquences du pacte secret germano-soviétique du 23 août 1939 sur la compétence du Tribunal. Il appartient au Tribunal d’examiner d’office dans quelle mesure il peut se considérer comme compétent à propos de ce pacte secret. Je continue à la page 63.

Monsieur le Président, je me trouve dans une situation difficile, parce que, en abandonnant mes explications des pages 59 à 62, l’exposé du contenu du protocole secret germano-soviétique de 1939 pourrait être, de ce fait, mal compris dans ses conclusions juridiques. C’est pourquoi je prie le Tribunal de décider.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal a examiné ce point avec attention et estime qu’il n’y a pas lieu de revenir là-dessus.

Dr SEIDL

Il faut encore dire autre chose à propos de l’article 6, paragraphe 3 du Statut : la qualification du complot, telle qu’elle trouve son expression dans l’article 6, alinéa 3, représente une disposition typique du Droit anglo-américain. Le Droit continental européen ne connaît pas de qualification analogue. Mais il ne peut y avoir aucun doute que le Droit pénal international, si même il en existe un au sens étroit et propre, et si l’on n’y comprend pas les normes qu’il faut observer dans l’application du Droit propre ou du Droit étranger, ne connaît pas non plus la qualification pénale de complot.

Il ne s’agit pas seulement de soumettre à un examen la question du Droit international en vigueur et la concordance du Statut avec lui. Il s’agit bien plutôt de répondre à la question suivante : Dans les exposés introductifs des quatre représentants principaux du Ministère Public, et aussi au cours de la discussion qui a précédé le Procès sur les bases juridiques de la procédure, on a présenté deux arguments qui se contredisent totalement. Tandis que les uns ont déclaré que le Statut est une expression parfaite du Droit international en vigueur et qu’il s’accorde avec la conviction commune du droit de tous les membres de la communauté juridique internationale, les autres ont prétendu que c’était une des tâches principales du Tribunal Militaire International qui se constituait que de développer le Droit international. Cette dernière conception ressort nettement par exemple du rapport du Procureur Général américain, adressé le 7 juin 1945 au Président des États-Unis. Il indique, entre autres, textuellement :

« Dans l’organisation de cette procédure judiciaire, nous devons aussi avoir conscience des efforts avec lesquels notre peuple a accepté les charges de la guerre. Après notre entrée en guerre et après avoir mis en œuvre nos hommes et notre richesse pour l’extermination de ce mal, le sentiment général du peuple était que de cette guerre naîtraient des règles évidentes et un appareil pratique, qui permettraient à tous ceux qui pensent à une nouvelle guerre de pillage de savoir qu’ils seraient personnellement obligés de se justifier et seraient personnellement punis. »

Je cite un autre passage de ce rapport :

« D’après le Droit international du XIXe et du commencement du XXe siècle, faire la guerre n’était pas considéré en général comme illégal ou comme un crime au sens juridique du terme. En résumé, la doctrine dominante était que les deux partis dans toute guerre étaient considérés comme jouissant de la même situation légale et possédant en conséquence le même droit. Les explications juridiques de ce rapport se terminent ensuite en fait par l’exigence suivante : Une attaque contre les bases élémentaires des relations internationales ne doit pas être considérée comme rien moins qu’un crime contre la communauté internationale qui doit, à bon droit, protéger l’inviolabilité de ses accords de principe en punissant l’agresseur. De ce fait, nous proposons d’exiger qu’une guerre d’agression soit un crime et que le Droit international moderne abandonne le principe suivant lequel celui qui provoque ou dirige des guerres agisse en accord avec les lois ».

Et, en effet, il ne serait pas nécessaire d’exiger une, nouvelle loi pénale si l’attitude en question est déjà sanctionnée par le Droit en vigueur.

Il est manifeste que la réalisation d’une telle exigence par un Tribunal — quels que soient les fondements juridiques de sa procédure — serait en contradiction avec un principe qui ressort du Droit pénal de presque tous les États civilisés et qui trouve son expression dans la règle nulla pœna sine lege, c’est-à-dire qu’une action ne peut être poursuivie que si la sanction en était légalement fixée avant qu’elle ne fût commise. Cet état de choses semble d’autant plus remarquable qu’il est ancré dans les constitutions de presque tous les États civilisés. Il se trouve par exemple dans l’article 39 de la Grande Charte anglaise du roi Jean de 1215, dans la constitution nord-américaine de 1776 et dans les déclarations de la Révolution française de 1789 à 1791.

Ce principe nulla pœna sine lege s’oppose non seulement à ce qu’on admette un crime contre la Paix, comme le Tribunal devrait le déclarer en appliquant le Droit international en vigueur, et en plus encore à l’intention de créer, par un jugement qui dévelop-suivant l’avis d’une partie du Ministère Public. Il s’oppose bien perait le Droit international en vigueur jusqu’à ce jour, la qualification criminelle indépendante du complot. A cet effet, peu importe si ce complot vise à l’accomplissement d’un crime contre la Paix ou à l’accomplissement d’un crime contre les usages de la guerre. Même l’admission d’un plan concerté ou d’une entente pour l’accomplissement de crimes de guerre, à titre de qualification criminelle indépendante, n’est pas en accord avec le principe nulla pœna sine lege. Sont seules applicables ici, comme l’a justement exposé le Procureur Général français, les règles de la complicité du domicile de l’auteur ou du lieu de l’infraction. Ces règles de la complicité se limitent, dans les circonstances données, à une élévation de l’échelle des peines pour les cas où l’individu a été un co-auteur, un provocateur ou un complice.

Abstraction faite de sa participation au plan général ou complot, conformément au premier chef d’accusation, on ne reproche en somme à Rudolf Hess, dans le cadre de sa responsabilité personnelle pour les crimes de guerre et les crimes contre l’Humanité, que le contenu d’un document, le document GB-268 (R-96).

Il s’agit là d’une lettre du ministre de la Justice du Reich adressée au ministre et chef de la Chancellerie du Reich, le 17 avril 1941, qui a trait à l’introduction de lois pénales contre les Polonais et les Juifs dans les territoires annexés de l’Est. L’accusé Rudolf Hess ne joue un rôle dans cette lettre que parce qu’on y mentionne entre autres que le représentant du Führer a mis en discussion l’introduction de peines corporelles. Si l’on tient compte de ce que l’État-Major du représentant du Führer comprenait à lui seul 500 fonctionnaires et employés et qu’il y avait, pour les questions de législation, un service spécial qui négociait avec les ministres intéressés, il apparaît d’ores et déjà très douteux que l’accusé Rudolf Hess ait été saisi personnellement de cette question. A ce sujet, je me réfère aux déclarations sous la foi du serment du témoin Hildegard Fath, document Rudolf Hess n° 16. En considérant que la mesure prise en discussion par le représentant du Führer n’a pas été admise, peu importe que l’accusé en ait eu connaissance. Sans approfondir davantage une raison subjective, on peut dire qu’en application des principes découlant du Droit pénal de tous les peuples civilisés, il ne s’agit même pas ici d’une tentative. L’attitude du représentant du Pûhrer, telle qu’elle a trouvé son expression matérielle dans la lettre du ministre de la Justice du Reich, est sans importance au point de vue pénal. On peut laisser ici hors d’examen le fait de savoir si une loi pénale aurait été violée, si la mesure mise en discussion avait trouvé dans une loi du Reich son expression législative.

Le représentant du Ministère Public a déposé aussi le document USA-696 (PS-062). Il s’agit ici d’une ordonnance du représentant du Führer en date du 13 mars 1940, qui concerne les consignes à donner à la population civile au sujet de l’attitude à observer en cas d’atterrissage d’avions ennemis ou de parachutistes sur le territoire du Reich. C’est le document pour lequel j’ai adressé une requête aux fins de rectification de la traduction ; à mon avis, cette traduction est inexacte.

Ce document n’a été cité ni dans l’exposé écrit des charges présentées par le Ministère Public anglais, ni par M. le colonel Griffith-Jones le 7 février 1946, lorsqu’il a traité de la responsabilité personnelle de l’accusé Rudolf Hess. Mais étant donné que cette ordonnance a été présentée officiellement comme preuve, il est nécessaire de l’étudier brièvement : La raison de cette ordonnance du 13 mars 1940 réside dans le fait que le Gouvernement français a donné à la population civile française, officiellement et par radio, des directives sur l’attitude à observer au moment d’atterrissage d’avions allemands. A la suite de ces informations émanant du Gouvernement français, le Commandant en chef de la Luftwaffe s’est vu amené à informer, de son côté, la population civile allemande par la voie hiérarchique du Parti. Il a promulgué des instructions sur l’attitude à adopter en cas d’atterrissage d’avions ou de parachutistes ennemis ; ces instructions ont été utilisées comme annexe à l’ordonnance du représentant du Führer du 13 mars 1940 que j’ai indiquée. Ces directives ne contiennent rien cependant qui soit contraire aux lois et coutumes de la conduite de la guerre telles qu’elles ont été, par exemple, exprimées dans la Convention de La Haye sur la conduite de la guerre sur terre. Cela concerne en particulier l’alinéa 4, où il est prescrit soit d’arrêter les parachutistes ennemis, soit de les mettre hors d’état de nuire. Que l’on se réfère au texte ou à l’esprit de l’alinéa 4, on ne peut douter aucunement que les parachutistes ennemis, s’ils ne se rendaient pas volontairement ou s’ils cherchaient à se soustraire à la capture par l’emploi de la force, en particulier en faisant usage d’armes à feu, devaient être attaqués et abattus. Cela ressort déjà du mot « ou bien ». On devait, en premier lieu, essayer de les capturer. D’abord dans l’intérêt du service de renseignements. Ce n’est que si, par suite de la résistance qu’ils opposaient, la chose s’avérait impossible, qu’ils devaient être mis hors d’état de nuire, c’est-à-dire exterminés. Toute autre interprétation de ces instructions serait non seulement contraire au texte et à son esprit, mais se trouverait, en outre, en contradiction avec le fait que jusqu’à la campagne de France, la guerre a été conduite selon les règles établies et consignées dans la Convention de La Haye relative à la guerre sur terre. De toute façon, à cette époque, en mars 1940, la guerre ne s’était pas encore transformée en une guerre d’extermination mutuelle comme cela devait se produire après le début de la guerre germano-russe. Toute autre interprétation doit être complètement exclue : cela ressort de ce qu’on est convenu d’appeler l’ordre du Führer sur les commandos du 18 octobre 1942, qui a été produit par le Ministère Public sous le numéro USA-501 (PS-498). Les considérations faites sur cet ordre, pour lequel d’ailleurs des suppositions toutes différentes avaient été faites, ainsi que la promulgation de cet ordre sur les commandos par Hitler lui-même, maigre l’opposition de l’OKW et du chef de l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht, auraient été complètement inutiles si le Commandant en chef de la Luftwaffe avait déjà donné, en mars 1940, des directives qui auraient atteint le même but. En outre, le paragraphe 4 de l’ordre du Führer du 18 octobre 1942 précise expressément que les membres des commandos faits prisonniers doivent être remis entre les mains du service de sécurité.

Étant donné que le texte allemand de ces instructions de l’ordonnance du 30 mars 1940 est parfaitement clair et ne laisse subsister aucun doute, j’ai renoncé à apporter des preuves complémentaires sur cette question. Au cas où le Tribunal ne partagerait pas cette opinion, on ne pourra pas éviter, pour exposer clairement les faits, de lui demander de prendre l’initiative de se procurer les directives que le Gouvernement français a données, au début de l’année 1940, à la population civile française pour le cas d’atterrissage d’avions ou de parachutistes allemands.

Il n’est pas nécessaire d’insister davantage sur le document GB-267 (PS-3245) qui a également été mis à la charge de l’accusé Hess. La teneur de ce document, conformément aux principes précités, ne peut être considérée, en aucune façon, comme contraire aux usages de la guerre ou aux lois de l’Humanité.

Outre les charges portées contre la personne de Rudolf Hess, il est également accusé, en sa qualité de membre des SA, des SS, du Corps des chefs politiques et du Gouvernement du Reich. En ce qui concerne son appartenance aux SA et aux SS, des explications plus détaillées deviennent superflues. Il ressort des documents produits par le Ministère Public que Rudolf Hess n’avait, dans ces deux organisations, que le grade honorifique d’Obergruppen-führer. Un pouvoir de commandement ou de sanctions disciplinaires n’était pas attaché à ce titre. En sa qualité de représentant du Führer, l’accusé Rudolf Hess était le détenteur des plus hautes fonctions du Corps des chefs politiques. Mon rôle ne consiste pas à prendre position sur les détails de l’accusation qui, dans le cadre et en application de l’article 9 du Statut, est portée contre les chefs politiques et qui demande de considérer leur Corps comme une organisation criminelle. Étant donné que, parmi les accusés qui comparaissent ici, l’accusé Rudolf Hess était, sinon le seul dirigeant politique, du moins le dirigeant politique le plus important, il paraît opportun de faire quelques remarques fondamentales.

D’après l’article 9 du Statut, le Tribunal peut déclarer, au cours du procès dirigé contre un membre d’une organisation à laquelle l’accusé a appartenu, que cette organisation était criminelle. Mais le Statut exige que cette déclaration du Tribunal soit en liaison avec un acte pour lequel l’accusé soit condamné. Sous le terme d’acte, au sens de l’article 9 du Statut, on ne peut comprendre qu’un fait ou une négligence imputables et qu’on puisse lui reprocher, mais non pas la responsabilité élargie pour les agissements d’un tiers qui résulte, le cas échéant de l’article 6 du paragraphe 3. Mais comme ni l’Acte d’accusation ni l’exposé écrit des charges du Ministère Public, qui traite de la responsabilité personnelle de l’accusé Rudolf Hess, ne peuvent lui reprocher un acte quelconque qui remplisse les conditions d’un crime de guerre ou d’un crime contre l’Humanité, une condamnation de l’accusé serait, dans ce cas, c’est-à-dire comme membre du Corps des dirigeants politiques, l’équivalent de la reconnaissance de sa responsabilité pénale pour le fait ou l’omission d’un tiers. Bien que l’accusé Rudolf Hess ait été le plus élevé des dirigeants politiques et bien qu’on ne puisse lui reprocher personnellement aucune attitude qui remplisse les qualifications posées par une loi pénale, il doit être condamné comme membre de cette prétendue organisation criminelle qu’il dirigeait ; et on ne pourra pas contester que c’est une situation juridique qui ne se présente pas tous les jours.

Mais quelque chose d’autre paraît plus important. La Défense s’est vue forcée d’attaquer la pièce de base du Statut, c’est-à-dire l’article 6, parce qu’il n’était pas en accord avec les principes généraux du Droit international en vigueur. L’article 9 du Statut n’en contredit pas moins la conviction juridique commune de tous les membres de la communauté juridique internationale. Il n’y a aucun principe du Droit international, aucun principe d’un Droit national quelconque qui fasse un crime de l’appartenance à une organisation, sans que l’on recherche dans les cas individuels si l’intéressé s’est rendu personnellement coupable d’une action ou d’une omission. A rencontre des principes du Droit pénal tels qu’ils découlent du Droit pénal de toutes les nations civilisées, le Statut prévoit dans l’article 9 une responsabilité pénale et une responsabilité collective de tous les membres de certaines organisations et de certaines institutions et, à la vérité, sans considérer si le membre individuel commet un acte répréhensible. Le Statut abandonne ainsi un principe qui est une partie intégrante de toute la jurisprudence pénale moderne. Le principe nulla pœna sine lege — et la déclaration du caractère criminel d’une organisation déterminée est une peine pour les membres qu’elle atteint — est un élément constitutif de la conscience juridique pénale de notre temps, dans la mesure où l’on comprend sous le terme de faute, l’ensemble des conditions nécessaires pour prononcer une peine, conditions qui fondent à l’encontre de l’auteur personnel le caractère répréhensible de l’action contraire au Droit. Mais si l’appartenance à une organisation déterminée devient déjà l’objet d’une décision criminelle, l’acte reproché n’apparaît plus alors comme un fait de la personnalité du commettant, que le Droit sanctionne. Cela peut valoir en particulier pour des organisations qui comptaient des centaines de milliers, même des millions de membres. C’est pourquoi seuls les droits primitifs ont connu jusqu’à ce jour des sanctions sans faute. Le grand crimmaliste allemand von Liszt, qui était en même temps un penseur constructif dans le domaine du Droit international, dit très justement :

« De même qu’il n’est pas contraire à la donnée religieuse que les péchés des pères pèsent sur les enfants et les enfants de leurs enfants, de même que le destin, cette puissance aveugle, dans la tragédie des sanctions et la loi de l’hérédité, dans la littérature de nos jours, tiennent lieu de culpabilité, de même le Droit le plus ancien de tous les peuples connaît des peines sans faute ». Seuls les droits primitifs envisagent une responsabilité pénale sans faute. Et en effet, dans l’histoire juridique de tous les peuples, la notion de responsabilité pénale objective a été très rapidement remplacée par le principe de la responsabilité dans le seul cas de faute ; on a ainsi atteint cet état qui est seul conciliable avec la dignité de l’homme. La stipulation de l’article 9 du Statut ne contribue pas seulement d’une manière regrettable à accélérer le processus apparemment fatal’de la domination de l’homme par la masse, mais elle constitue encore une régression vers les premiers débuts de la pensée juridique pénale. En considérant ces faits, on ne peut pas reconnaître que cette disposition du Statut soit en harmonie avec le Droit en vigueur, tel qu’il découle de la conscience juridique commune de tous les membres de la communauté juridique internationale et des principes généraux du Droit pénal de toutes les nations civilisées.

Rudolf Hess est enfin accusé d’avoir été membre du Gouvernement du Reich. En ce qui concerne son appartenance au Conseil de Cabinet secret, je ferai les remarques suivantes : l’exposé des preuves a permis de conclure que ce Conseil de cabinet secret n’a été créé que pour ne pas laisser l’opinion publique interpréter le départ de l’ancien ministre des Affaires étrangères von Neurath comme une rupture entre Adolf Hitler et lui. En fait, une séance de cabinet secret n’a jamais eu lieu. Le Conseil ne s’est pas réuni une seule fois pour délibérer.

En ce qui concerne le Cabinet du Reich, l’exposé des preuves a établi qu’il n’y avait plus eu de séances de cabinet à partir de l’année 1937. Les affaires du Gouvernement du Reich, en particulier les fonctions législatives, étaient expédiées à l’aide de ce qu’on a appelé la procédure du tour. Mais il résulte encore de l’examen des preuves que, depuis 1937 au plus tard, les grandes décisions politiques et militaires ont été prises exclusivement par Hitler seul, sans que les membres du Gouvernement du Reich en aient eu auparavant connaissance. Le Gouvernement du Reich, en tant qu’institution, n’a plus pris aucune décision importante depuis la nomination de Hitler au poste de Chancelier du Reich, bien avant 1937. Ce serait se tromper lourdement que de croire que les membres du Gouvernement du Reich ont eu, dans l’État national-socialiste, une situation assez semblable à celle qui est normale dans un État régi suivant les principes du parlementarisme. Il n’y a pas eu plus de plan concerté de conspiration au sein du Gouvernement qu’entre les hommes réunis sur le banc des accusés. Au sein du Gouvernement du Reich, il y avait souvent des divergences qui auraient suffi à elles seules à rendre impossible une entente en vue d’un plan concerté, tel que le dénonce le Ministère Public. Je me contente ici de faire allusion à la déclaration du témoin Lammers et au fait qu’Adolf Hitler, à qui ces circonstances ne pouvait rester cachées, a finalement publié une ordonnance interdisant aux différents ministres du Reich de se réunir d’eux-mêmes pour délibérer.

On ne peut manquer, à ce propos, de mentionner un autre fait : si quelque chose a pu être établi avec certitude au cours de ce Procès, c’est bien la preuve de la monstrueuse puissance et de l’autorité inimaginable qu’Adolf Hitler a ’eues dans le système gouvernemental allemand. Lorsque le général Jodl a déclaré à la barre des témoins que personne n’aurait pu, à la longue, contredire Hitler avec succès, et qu’il ne pouvait y avoir personne dans ce cas, il doit avoir dit la vérité en quelques mots. C’est peut-être regrettable, mais on ne peut rien changer au fait lui-même. Or, lorsqu’on se représente que cette situation prépondérante de Hitler s’est affirmée de plus en plus au cours des années, cela seul devrait exclure l’hypothèse d’un plan concerté, telle que le soutient le Ministère Public. D’une façon générale, il faut dire que tous les accusés de ce Procès, anciens chefs du Parti, généraux et membres du Gouvernement, ont pris au cours des débats, par la mort de Hitler, une importance qu’ils n’ont jamais eue en fait dans la vie publique. Tandis que toute la vie politique des douze dernières années en Allemagne a été dominée par l’influence prédominante de la personnalité de Hitler, l’absence de cet homme au banc des accusés a agi de telle sorte au cours de ce Procès qu’il doit en résulter sans aucun doute une image complètement faussée de la vie politique réelle de ces douze dernières années.

Messieurs, j’en arrive maintenant à l’événement qui devait clore la carrière politique de l’accusé Rudolf Hess, à son départ pour l’Angleterre le 10 mai 1941. Cette entreprise a été, au cours de ce Procès, et pour plusieurs raisons, d’une grande force probante. Comme il résulte de l’examen des preuves, l’accusé Rudolf Hess avait pris la résolution de partir dès juin 1940, immédiatement après la capitulation de la France. L’exécution de ce plan s’est heurtée à de nombreux obstacles, en particulier certaines conditions techniques devaient être remplies. De plus, des considérations d’ordre poli tique ont également joué un rôle, en particulier en ce sens qu’une entreprise de ce genre pouvait être couronnée de succès, mais seulement si elle pouvait s’appuyer sur des conditions politiques et, en particulier, sur une situation militaire favorable à l’ouverture de négociations de paix. En effet, le but que poursuivait Hess en partant pour l’Angleterre était, sans aucun doute, de ramener la paix.

Lorsque l’accusé Rudolf Hess, le lendemain de son atterrissage, fut conduit devant le duc de Hamilton, il lui déclara : « Je viens pour une mission au nom de l’Humanité ». Dans les entretiens que l’accusé eut les 13, 14 et 15 mai avec M. Kirkpatrick, du ministère des Affaires étrangères, il lui exposa en détail les mobiles qui l’avaient poussé à cette démarche inouïe. Il lui fit connaître en même temps les conditions auxquelles Hitler était prêt à faire la paix. Le 9 juin 1941, il y eut un entretien entre Rudolf Hess et Lord Simon, représentant le Gouvernement britannique. J’ai remis au Tribunal le compte rendu de cet entretien comme preuve et je m’y réfère. Il résulte de ce document que le mobile de ce départ extraordinaire était d’éviter une plus grande effusion de sang et de créer des conditions favorables à l’ouverture de négociations de paix. Au cours de cette conversation, l’accusé Hess remit à Lord Simon un écrit où étaient notées les quatre conditions auxquelles Adolf Hitler était alors prêt à conclure la paix avec l’Angleterre.

Ces conditions étaient :

1° Dans le but d’éviter des guerres futures entre l’Axe et l’Angleterre, il y aura une délimitation des sphères d’intérêts. La sphère d’intérêts des puissances de l’Axe doit être l’Europe, celle de l’Angleterre son Empire.

2° Restitution des colonies allemandes.

3° Dédommagement des ressortissants allemands, qui résidaient avant ou pendant la guerre dans l’Empire britannique et qui ont subi dans leur personne ou leurs biens un dommage par des faits quelconques, tels que pillage, émeutes, etc. Les ressortissants britanniques seront indemnisés par l’Allemagne sur la même base.

4° Armistice et traité de paix avec l’Italie en même temps.

Rudolf Hess déclara aussi bien à M. Kirkpatrick qu’à Lord Simon que c’étaient là les conditions auxquelles Hitler eût été prêt à conclure la paix avec l’Angleterre, immédiatement après la fin de la campagne de France, et que ce point de vue de Hitler ne s’était pas modifié depuis la fin de la campagne de France. Il n’y a aucun motif précis qui puisse faire douter de la véracité de cet exposé des faits de l’accusé. Bien au contraire, il est tout à fait en harmonie avec beaucoup de déclarations émanant de Hitler lui-même sur les rapports entre l’Allemagne et l’Angleterre. En outre, les accusés Göring et von Ribbentrop ont confirmé également, lors de leur contre-interrogatoire, que les conditions indiquées par Hess à Lord Simon correspondaient entièrement au point de vue de Hitler.

Bien que, d’après les conditions indiquées par Hess, l’Europe eût été prévue comme sphère d’intérêts des puissances de l’Axe, on ne peut aucunement en tirer la conclusion que ce fait aurait équivalu à une domination de ces puissances sur l’Europe. Il ressort plutôt clairement des explications données par Hess, qui sont contenues dans le procès-verbal de l’entretien entre Lord Simon et lui, qu’il s’agissait simplement de couper court par là à toute influence de l’Angleterre sur l’Europe continentale.

Quelles conséquences juridiques découlent de ces faits ? L’Acte d’accusation charge l’accusé Hess d’avoir coopéré avec les autres accusés à une préparation pschyologique du peuple allemand à la guerre. Dans la mesure où la préparation psychologique à la guerre affirmée par le Ministère Public fait partie du plan concerté, il suffit de se reporter à l’exposé que j’ai fait à ce sujet. Mais si le Ministère Public veut encore prétendre que l’accusé Hess s’est aussi occupé personnellement de cette préparation psychologique à la guerre, c’est, abstraction faite de ses discours pacifistes, le contraire qui ressort de son départ pour l’Angleterre et des projets qu’il poursuivait ainsi. Sans vouloir entrer plus avant dans le détail des circonstances générales et des relations personnelles entre Hitler et l’accusé Hess, on peut dire une chose à coup sûr. En s’envolant vers l’Angleterre, l’accusé Hess a accompli une action qui, étant donné sa place dans le Parti et l’État, étant donné surtout qu’il était destiné, après Göring, à la succession de Hitler, ne peut être dépeinte que comme un sacrifice : un sacrifice que Hess a offert dans l’intérêt du rétablissement de la paix, dans l’intérêt du peuple allemand et aussi de l’Europe et du monde entier. Ce sacrifice était d’autant plus grand que Hess appartenait au petit nombre de ceux qui entretenaient avec Hitler des relations de confiance étroites et personnelles. Si l’accusé Hess s’est décidé, pourtant, à mettre en jeu, dans l’intérêt du rétablissement de la paix, sa place dans le Parti et dans l’État, et tout ce qui le liait personnellement à Hitler, il faut en conclure qu’il a vu dans la guerre un horrible fléau de l’Humanité ; et cela seul fait déjà apparaître comme invraisemblable son intention de préparer le peuple allemand à la guerre.

Mes explications suivantes, Messieurs, se rapportent à la question de savoir quelles sont les conséquences juridiques qui peuvent être tirées du départ en avion de l’accusé Hess pour l’Angleterre en ce qui concerne sa participation au plan concerté ou complot, affirmé par le Ministère Public, en particulier la question de savoir dans quelle mesure il a encore encouru une responsabilité pénale, même après son départ vers l’Angleterre. L’accusé Hess lui-même ne désire pas que soient tirées, du fait de son départ et des intentions qui y sont liées, des conclusions qui lui seraient favorables dans le cadre de ce Procès. C’est pour cette raison qu’il m’a demandé d’abandonner une partie de l’exposé suivant. Malgré cela, je crois qu’il est de mon devoir d’avocat de tirer toutes les conclusions juridiques qui découlent du départ de l’accusé Hess et des intentions qui y sont liées, et d’indiquer les faits et les points de vue qui, dans cette mesure, parlent en faveur de l’accusé.

Comme je l’ai déjà exposé, il faut admettre, en se basant sur le résultat de l’audition des preuves, que le plan affirmé par le Ministère Public n’a pas existé. Pourtant, au cas où le Tribunal apprécierait différemment sur ce point le résultat de l’exposé des preuves et admettrait, en application du paragraphe 3 de l’article 6 du Statut, l’existence d’un tel plan orienté vers le déclenchement d’une guerre d’agression, il faut examiner la question de savoir quelles ont été les conséquences juridiques du départ de l’accusé Rudolf Hess pour l’Angleterre et les projets qui y étaient liés sur la participation au plan concerté affirmé par le Ministère Public. Il faut faire à ce sujet les remarques suivantes : le paragraphe 3 de l’article 6 du Statut élargit la responsabilité pénale de l’accusé pour toutes les actions commises par une personne quelconque en exécution du plan concerté affirmé par le Ministère Public. Le Statut lui-même ne contient aucune disposition spécifiant si et dans quelles circonstances une désolidarisation ou un retrait du plan concerté est possible. On ne peut pourtant pas en conclure qu’une telle désolidarisation doive être exclue de parti pris. Cette supposition est impossible du seul fait que le Statut ne veut évidemment pas donner la solution complète de toutes les questions matérielles et de procédure. Si le retrait est déjà autorisé en principe dans le Droit anglo-américain, il ne doit être vraiment possible que sous les règles du Statut. Car le Statut expose un ensemble de normes où l’on tient aussi compte, sans que l’on puisse le méconnaître, d’institutions du Droit continental européen. Le Droit continental européen part clairement de l’idée que la responsabilité pénale du coupable n’existe que dans la mesure où son action ou son omission dépend de sa volonté. L’abandon de la tentative, motif d’exonération d’une peine, est une institution qui fait partie de presque tous les systèmes juridiques européens. Donc, si l’on peut se désolidariser d’un complot, d’après le Droit anglo-américain, on ne peut douter non plus que cette possibilité existe aussi en principe dans le Statut. C’est d’autant plus admissible que, dans les cas où le Statut n’établit aucune règle d’obligation, on applique en principe le Droit allemand. Dans la mesure où il est question de l’accusé Rudolf Hess, ce peut être d’autant moins douteux que les faits dont on le charge ont été commis sur le territoire du Reich. En ce cas, d’après les principes juridiques universels tels qu’ils se dégagent du Droit de toutes les nations civilisées et tels qu’ils se trouvent exprimés en particulier dans ce que l’on appelle le Droit pénal international de tous les peuples, c’est la lex loci, la loi du lieu de l’action, qui est applicable.

Si l’on applique ces principes à l’attitude de l’accusé Rudolf Hess et à son départ pour l’Angleterre, le 10 mai 1941, il en ressort d’abord — et l’audition des témoignages ne l’a, en tout cas, infirmé en rien — que tous les événements ultérieurs n’ont pu être une conséquence de sa volonté. Au moment de son départ pour l’Angleterre, il n’a plus eu aucune influence sur le cours des événements qui touchaient au déroulement général de la guerre. Il est contraire à tous les principes du Droit pénal tels qu’ils se dégagent des dispositions juridiques de tous les peuples civilisés de rendre quelqu’un pénalement responsable d’actions ou d’un résultat sur lesquels il n’avait aucune influence, ou ne pouvait pas en prendre, et qu’au surplus il n’avait pas voulus. A ce sujet, il faut encore revenir sur l’affirmation des représentants du Ministère Public d’après lesquels l’accusé Hess n’a pas décidé son départ pour l’Angleterre avec l’intention de préparer des conditions favorables à des négociations de paix. Son intention a plutôt été — c’est du moins le raisonnement du Ministère Public — de libérer les arrières de l’Allemagne en vue de la campagne projetée contre l’Union Soviétique. Les documents présentés par le Ministère Public sont incapaples d’étayer cette hypothèse. A cette assertion s’oppose tout d’abord le fait que l’accusé Hess avait pris la décision de ce départ dès le mois de juin 1940, donc à une époque où personne en Allemagne ne pensait à une campagne contre l’Union Soviétique. La lettre que l’accusé Hess avait laissée en partant et qui ne fut remise à Adolf Hitler qu’après son arrivée en Angleterre indique au contraire très clairement qu’il ignorait tout d’une guerre imminente contre l’Union Soviétique. Dans cette lettre — le fait est établi par les déclarations fournies par le témoin Fath qui a elle-même lu cette lettre à la barre des témoins — Hess n’exprime absolument pas l’intention, par son départ, de libérer les arrières de l’Allemagne en vue d’une campagne imminente contre les Soviets. D’ans cette lettre, Hess ne mentionne pas, même d’un mot, l’Union Soviétique. Il est très vraisemblable, presque certain, que Hess aurait traité la question s’il avait eu connaissance des projets d’agression et surtout, si son départ avait été provoqué par le dessein que lui prête maintenant le Ministère Public.

A ce propos, j’attire l’attention du Tribunal sur le document USA-875 (PS-3952) dont il ressort d’une façon tout à fait claire que l’accusé Hess ne pouvait avoir connaissance de la campagne imminente contre les Soviets.

Cependant, même si Hess avait eu une connaissance précise des projets de campagne contre l’Union Soviétique, cela ne s’opposait pas à l’hypothèse d’un motif d’acquittement ultérieur. Comme l’ont montré les preuves, Hitler n’a-t-il pas, en définitive, ordonné l’agression contre l’Union Soviétique dans le dessein de prévenir une agression imminente des Soviets ? Là aussi, je me réfère au rapport du chef d’État-Major général américain Marshall, dont j’ai déjà donné lecture. On peut laisser en dehors du cadre des questions à débattre ici celle de savoir si l’Union Soviétique projetait effectivement une telle agression et si celle-ci était imminente. L’accusé Jodl, dans ses déclarations faites à la barre des témoins, le montre comme au moins très vraisemblable, sinon certain. Du moins, il est très important de savoir que Hitler, se basant sur les rapports qui lui étaient faits, en était entièrement persuadé. Si l’accusé Rudolf Hess avait réussi à créer en Angleterre les conditions préalables à des négociations d’armistice et de paix, la situation politique et militaire de l’Europe eût été si radicalement changée que ce changement de circonstances aurait rendu très invraisemblable une attaque de l’Union Soviétique contre l’Allemagne et dissipé les craintes entretenues par Hitler. La tentative entreprise par l’accusé Hess en partant en avion pour l’Angleterre conserverait encore son caractère d’excuse absolutoire pour tout ce qui s’est passé après le 10 mai 1941 en exécution du plan concerté affirmé par le Ministère Public, même si l’on soutenait la conception selon laquelle ce n’était pas la crainte d’une attaque soviétique imminente qui avait amené Hitler à prendre sa décision, mais la pression de la situation économique dans laquelle l’Allemagne se trouvait alors par suite de l’échec de l’invasion de l’Angleterre. Car si la guerre avec l’Angleterre avait pris fin, cette situation critique de l’économie allemande eût cessé, elle aussi ou, au moins, eût perdu ce caractère de gravité.

On peut donc résumer ainsi : l’accusé Hess a, par son départ pour l’Angleterre et par les intentions qui y étaient liées de rétablir la paix en payant de toute sa personne, entrepris une tentative qui répondait manifestement à la volonté d’éviter à tout prix la continuation de l’effusion de sang. L’application des principes juridiques tels qu’ils découlent du Droit pénal de tous les peuples civilisés et, en particulier, l’application du Droit pénal allemand qui doit, en cas de doute, nous servir de guide sur ce point, nous conduisent à en tirer la conclusion que la responsabilité pénale de l’accusé Hess se limite, en tout état de cause, à des actes qui ont été commis antérieurement à son départ pour l’Angleterre.

Messieurs, la guerre qui vient de s’écouler a apporté le malheur à toute l’Humanité, sur une échelle à peine concevable ; elle a fait de l’Europe un continent saignant de mille plaies et de l’Allemagne un champ de décombres. Il apparaît clairement que, dans l’état actuel de la technique moderne, l’humanité ne survivrait pas à la catastrophe d’une nouvelle guerre mondiale. Pour autant qu’on puisse humainement le prévoir, la civilisation qui a déjà souffert d’une manière indicible au cours de cette guerre serait à tout jamais anéanie. Dans ces conditions, il n’apparaît que trop compréhensible que l’on tente, au nom de l’Humanité qui lutte pour son existence, de ne rien négliger du côté du Droit pour empêcher la répétition d’une catastrophe semblable.

Il n’est cependant pas douteux que le Droit, aussi grand que soit sa puissance dans la vie sociale, ne joue dans la lutte contre la guerre qu’un rôle subalterne. Cela vaudra sans restrictions, aussi longtemps que la communauté des peuples sera constituée d’États souverains qui ne reconnaissent pas un ordre juridique dérivant d’une autorité supérieure, et aussi longtemps qu’il n’existera pas de procédure et d’organisation qui puissent, en vertu de pouvoirs propres, en créant le Droit, limiter et mettre en accord les prétentions justifiées dtes peuples. Aussi longtemps que ces conditions ne seront pas remplies, le Droit ne pourra pas être, dans le domaine des relations internationales, la force d’ordre qu’il est incontestablement dans la vie interne des États en raison de la puissance de l’État sur laquelle il s’appuie. Si séduisante que puisse être la tentative de créer, sur les décombres que nous a laissés la guerre mondiale qui vient de s’écouler, au moins un Droit international amélioré et plus puissant, cette tentative doit être à priori condamnée si elle n’est pas, en même temps, une partie d’un ordre nouveau relatif à l’ensemble des relations internationales et assurant en particulier la satisfaction des prétentions justifiées de tous les peuples à une participation proportionnelle aux biens matériels du monde, Le Statut du Tribunal Militaire International n’appartient indubitablement pas à un tel ordre nouveau universel. Il a été décrété par les puissances victorieuses, pour une durée limitée et comme base d’une procédure pénale dirigée contre les hommes d’État, les chefs militaires et les dirigeants de l’économie des puissances de l’Axe vaincues au cours de la guerre. La teneur de l’accord de Londres fait apparaître le Statut du Tribunal Militaire International, qui en constitue un élément essentiel, en considérant seulement la limitation, de sa durée fixée à un an, conformément à l’article 7, comme un acte législatif. En fait, on ne peut guère douter que les parties essentielles du Statut ne sont pas encore en accord avec la conviction commune de tous les membres de la communauté du Droit international, et qu’en conséquence, elles ne représentent pas un Droit international réellement valable. Dans ces conditions, une condamnation pour crime contre la Paix et pour avoir pris part à un plan concerté destiné à entreprendre une guerre d’agression, à rencontre des principes reconnus du Droit international, ne pourrait intervenir que si le Tribunal, violant le principe nulla pœna sine lege, décidait de procéder à un développement jurisprudentiel du Droit international. Si grande que puisse être cette tentation, les conséquences qui pourraient en résulter sont imprévisibles. Ce ne serait pas seulement la violation d’un principe qui découle de ceux du Droit pénal de tous les peuples civilisés et qui est, en particulier, une partie intégrante du Droit international, aux termes duquel un acte ne peut être puni que si son caractère punissable était déterminé par une loi antérieure à sa commission. Mais étant donné surtout que, dans la procédure actuelle, des faits ont été prouvés qui excluent des poursuites sur les chefs d’accusation 1 et 2, et dans la même mesure, la compétence du Tribunal, la violation du principe nulla pœna sine lege, en relation avec ces circonstances particulières, en viendrait, en somme, à mettre en question l’idée du Droit.

La violation de principes aussi fondamentaux de tout ordre juridique, et en particulier de tout ordre juridique International, que constituent la règle nulla poena sine lege et surtout la règle qui pose que nul ne peut être juge et partie, n’entraverait pas seulement tout développement ultérieur du Droit international mais, en outre, conduirait infailliblement à un accroissement de l’incertitude juridique.

Si l’on ne veut pas barrer la route à un développement réel du Droit international, le Tribunal ne peut prendre pour base de son jugement que le Droit international véritable, qui était en vigueur au moment où les actes ont été commis.

LE PRÉSIDENT

L’audience est levée.

(L’audience sera reprise le 26 juillet 1946 à 10 heures.)