CENT QUATRE-VINGT-NEUVIÈME JOURNÉE.
Lundi 29 Juillet 1946.

Audience de l’après-midi.

LE PRÉSIDENT

Je donne maintenant la parole au Procureur Général soviétique.

GÉNÉRAL R.A.RUDENKO (Procureur Général soviétiques-Monsieur le Président).

(Les passages cités dans le réquisitoire du Procureur Général soviétique n’ont pas pu, en partie, être comparés avec les documents allemands originaux ;c’est pourquoi, dans le texte suivant, ils ont fait l’objet d’une nouvelle traduction à partir de la version russe). Messieurs les juges. Nous dressons le bilan du Procès des principaux criminels de guerre allemands.

Pendant neuf mois, il a été procédé à l’examen le plus attentif et le plus détaillé de toutes les circonstances du cas, de toutes les preuves présentées au Tribunal par le Ministère Public et par la Défense.

Pas un seul fait allégué à la charge des accusés n’est resté sans vérification, pas une circonstance ayant quelque importance n’a été omise dans l’examen de ce cas.

C’est la première fois dans l’histoire de l’Humanité que des hommes accusés de crimes contre l’Humanité sont appelés à en rendre compte devant un Tribunal International, c’est la première fois que les peuples jugent ceux qui ont ensanglanté de vastes espaces de la terre, qui ont exterminé des millions de gens innocents, détruit des valeurs culturelles, érigé un système de meurtre, les tortures, le massacre de vieillards, de femmes et d’enfants, qui avaient la prétention insensée de dominer le monde et qui ont entraîné le monde dans un gouffre de malheurs sans précédent.

Oui, c’est la première fois dans l’histoire de la Justice qu’un tel procès se présente. Il est déféré à un Tribunal créé par des nations pacifiques et éprises de liberté, représentant la volonté et défendant les intérêts de toute l’Humanité civilisée, Humanité qui ne veut pas revoir ces misères et qui n’admettra plus qu’une bande de criminels prépare impunément l’asservissement ou l’extermination de peuples entiers et qu’elle exécute ensuite son plan monstrueux.

L’Humanité appelle les criminels à répondre de leurs crimes, et c’est en son nom que nous, Ministère Public, les accusons dans ce Procès.

Et combien les tentatives de contester le droit de l’Humanité à juger ses ennemis font piètre figure, combien sont inconsistantes les tentatives de priver les peuples du droit de châtier ceux qui se proposèrent comme but l’asservissement et l’extermination des peuples et qui poursuivirent ce but criminel au moyen de méthodes criminelles elles aussi pendant de longues années.

Le Procès actuel se déroule d’une façon telle que les accusés chargés des crimes les plus abominables se virent accorder toutes les possibilités de défense, toutes les garanties légales nécessaires.

Dans leur pays, alors qu’ils se trouvaient aux leviers de commande, les accusés supprimèrent toutes les formes légales de la procédure juridique, rejetèrent tous les principes de justice adoptés par les peuples civilisés.

Mais ils sont eux-mêmes jugés par le Tribunal International, qui observe toutes les garanties juridiques et qui garantit aux accusés tous les principes de la défense.

Nous dressons actuellement le bilan du Procès, nous tirons les conclusions des preuves soumises au Tribunal, nous examinons toutes les données sur lesquelles repose l’accusation. Nous posons la question : Est-ce que l’accusation portée contre les accusés a été confirmée devant le Tribunal ? Leur culpabilité a-t-elle été prouvée ?

A cette question, on ne peut donner qu’une réponse : les débats ont entièrement confirmé l’accusation.

Nous n’imputons aux accusés que ce qui a été prouvé devant le Tribunal avec un caractère incontestable et une certitude entière, et tous les crimes monstrueux qui ont été préparés à l’avance, pendant de nombreuses années, par la bande de ces criminels endurcis, ont été prouvés, de ces criminels qui s’emparèrent en Allemagne du pouvoir gouvernemental et qui les perpétrèrent au cours de nombreuses années, sans aucune considération pour les principes du Droit et les principes les plus élémentaires de la morale humaine.

Ces crimes sont prouvés ; ils n’ont pu être réfutés ni par les dépositions des accusés, ni par les arguments de la Défense, et ils ne peuvent être réfutés parce qu’il est impossible de démentir la vérité, et c’est justement la vérité qui est le résultat incontestable du Procès actuel, comme le bilan plein d’espoir de nos efforts prolongés et constants.

L’accusation est prouvée dans tous ses points. L’existence d’un plan concerté ou complot, auquel les accusés ont pris part pour la préparation des guerres d’agression en violation des principes du Droit international, en vue de l’asservissement et de l’extermination des peuples, a été démontrée. L’existence d’un tel plan ou complot est indubitable, au même titre que le rôle de premier plan qu’y ont joué les accusés de ce Procès.

Sur ce point, l’accusation est confirmée par toutes les preuves accumulées au cours des débats, par les documents indiscutables, par les dépositions des témoins et des accusés eux-mêmes.

Toute l’activité des accusés était dirigée vers la préparation et le déclenchement de guerres d’agression. Tout ce qu’ils appellent leur « travail idéologique » consistait à cultiver des instincts bestiaux, à inculquer au peuple allemand l’idée saugrenue de la suprématie raciale et du problème de l’extermination et de l’asservissement des populations appartenant aux « races inférieures », qui ne représentaient soi-disant que l’engrais nécessaire au développement de la « race des seigneurs ». Leur travail idéologique consistait en des appels au meurtre, au pillage, à la destruction de la culture et à l’extermination d’êtres humains.

Les accusés se sont préparés depuis longtemps à ces crimes, les ont ensuite exécutés en attaquant d’autres pays, en s’emparant de territoires étrangers, en exterminant des êtres humains.

Mais quand donc a surgi ce plan concerté ou complot ?

Il n’est évidemment guère possible d’établir la date précise, le jour et l’heure où les accusés se sont mis d’accord pour commettre leurs crimes.

Nous ne pouvons ni ne voulons fonder nos conclusions et nos affirmations sur des conjectures et des suppositions, mais il faut admettre comme établi avec une certitude absolue que dès le moment où les fascistes se sont emparés du pouvoir en Allemagne, ils ont commencé la réalisation de leurs plans criminels, profitant de leur pouvoir pour préparer des guerres d’agression.

Toute l’activité des accusés était dirigée vers la préparation de l’Allemagne à la guerre. L’armement et la transformation de l’économie en vue de la guerre sont des faits absolument indiscutables, établis par des documents et reconnus par les accusés.

On se demande à quelle sorte de guerre les accusés ont commencé à se préparer dès leur prise du pouvoir ? Était-ce vraiment à une guerre défensive ? Mais personne n’avait l’intention d’attaquer l’Allemagne et, me semble-t-il, ne pouvait l’avoir.

Si l’Allemagne s’apprêtait à une guerre qui n’était pas défensive, il est clair alors, pour autant que le fait a été établi, qu’elle préparait une guerre d’agression. Telle est la logique des faits et tels sont les faits. L’Allemagne a commencé et développé cette guerre qu’elle avait préparée et, en 1937-1939, se réalisa ce qui avait été conçu en 1933.

On peut donc en conclure que le plan concerté ou complot existait au moins depuis 1933, c’est-à-dire depuis l’époque où les fascistes s’étaient emparés du pouvoir et l’avaient utilisé pour leurs buts criminels.

Ce sont des faits, et les paroles prononcées par les accusés alors qu’ils ne se doutaient pas qu’ils seraient accusés un jour ne font que confirmer ces faits.

Il suffit, pour cela, d’indiquer les déclarations de Schacht, de Krupp et d’autres, sur la façon dont le Gouvernement fasciste avait préparé la guerre et dont toutes les sphères de la vie politique et économique avaient été consacrées à ce but.

J’estime que la culpabilité des accusés est prouvée dans le fait pour les hitlériens d’avoir, en 1933, après s’être emparés du pouvoir en Allemagne, réalisé un plan concerté ou complot comprenant la commission de crimes contre la Paix, de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité.

Les débats démontrent d’une façon absolue que les accusés ont commis des crimes contre la Paix ; ces crimes consistent en l’élaboration, la préparation, le déclenchement et la conduite d’une guerre d’agression, en violation des traités, accords et engagements internationaux.

Ici, les faits parlent d’eux-mêmes : il s’agit des guerres qui ont entraîné un nombre inouï de victimes et de dévastations et dont le caractère agressif est établi d’une façon indiscutable.

La culpabilité des accusés dans l’exécution de crimes contre la Paix est prouvée d’une façon absolue.

L’accusation de crimes de guerre, de conduite de la guerre par des méthodes contraires aux lois et coutumes de la guerre est pleinement prouvée, elle aussi.

Ni les accusés ni leurs avocats n’ont rien pu objecter au fait même de la commission de tels crimes.

Tout ce qu’ils ont pu dire à ce sujet, c’est que les accusés n’ont pas eux-mêmes, directement, commis des atrocités telles qu’extermination de gens dans les camions à gaz et les camps de concentration ; ils n’ont pas exterminé des Juifs de leurs propres mains, et même n’étaient pas au courant de faits de ce genre ; mais que ces faits aient eu lieu, les accusés eux-mêmes ne le nient pas.

Les accusés reconnaissent les faits. Quel piètre moyen de défense !

Il est évident que les accusés qui occupaient les postes de commandement les plus importants dans l’Allemagne nazie n’avaient aucun besoin, de leurs propres mains, de fusiller, de pendre, d’asphyxier, de faire geler des hommes vivants en vue d’expériences, etc.

Tous ces crimes ont été exécutés sur leurs ordres, par leurs subalternes, les bourreaux qui accomplissaient ce qu’on peut appeler « le sale travail » ; quant aux accusés, leur tâche consistait seulement à donner des ordres qui était exécutés sans discussion. C’est pourquoi la tentative des accusés de rompre les liens qui les unissent à ces bourreaux, de se séparer d’eux, est sans espoir.

Ces liens sont évidents et indiscutables. Et si le commandant d’Auschwitz, Rudolf Hôss, arrachait les dents en or aux cadavres, le ministre du Reich, Walter Funk, ouvrait, pour conserver ces dents en or, des coffres-forts spéciaux dans les caves de la banque du Reich. Si les subalternes de Kaltenbrunner anéantissaient les gens dans les camions à gaz, ces « Gaswagen » étaient construits dans les usines Saurer, Daimier et Benz, qui se trouvaient sous les ordres de l’accusé Speer.

Si les prisonniers de guerre étaient anéantis par les bourreaux professionnels des unités « Totenkopf » et par les gardes des camps, les ordres d’exécution étaient signés par le Feldmarschall de l’Armée allemande, Keitel. Les accusés notifiaient les délais pour les exécutions, donnaient des ordres pour créer une technique spéciale d’anéantissement, fondaient sur leur idéologie le droit de la race des seigneurs à l’anéantissement et à l’exécution des « peuples inférieurs ».

Tranquillement et impitoyablement, ils observaient les victimes torturées et, comme Hans Frank, faisaient des discours officiels sur le « nouveau pas » réalisé par le fascisme allemand dans la voie de l’épuration de l’espace vital des « races inférieures ».

Les accusés portent la responsabilité de chaque meurtre, de chaque goutte de sang innocent qu’ont fait couler les bourreaux hitlériens, car entre les accusés et les exécutants immédiats des crimes, des meurtres, des tortures, la différence réside seulement dans le rang et l’échelle des activités : ceux-ci sont les bourreaux directs, tandis qu’eux sont les principaux bourreaux, les chefs des bourreaux, les bourreaux de la catégorie supérieure. Ils sont beaucoup plus dangereux que ceux qu’ils ont éduqués dans l’esprit et la haine de l’Humanité et dans le fanatisme, et qu’ils renient maintenant pour sauver leur propre vie.

La culpabilité des accusés dans l’exécution de crimes de guerre est parfaitement démontrée par le fait qu’ils ont organisé un système d’anéantissement des prisonniers de guerre, de la population civile, de femmes, de vieillards et d’enfants ; par le fait que, par leur faute, partout où se posait le pied du soldat allemand, on retrouvait des monceaux d’hommes tués et mutilés, des ruines et des incendies, des villes et des villages dévastés, une terre souillée et saturée de sang.

Les crimes contre l’Humanité commis par les accusés sont parfaitement prouvés.

Nous ne pouvons pas laisser de côté les crimes que les accusés ont commis en Allemagne même, pendant tout le temps de la domination qu’ils ont exercée sur ce pays : anéantissement massif de tous ceux qui, dans une mesure quelconque, exprimaient leur mécontentement contre le régime fasciste, travail forcé et extermination des gens dans les camps de concentration, extermination massive des Juifs, puis le même travail forcé et la même extermination des gens dans les régions occupées. Tout cela est prouvé et l’accusation n’est pas ébranlée.

Quels sont donc les moyens de défense qui ont été utilisés par les accusés et leurs avocats ? Quelles preuves et quels arguments ont-ils pu opposer au Ministère Public ?

On peut diviser les moyens de défense des accusés en deux groupes fondamentaux : c’est d’abord une série de témoins cités par les avocats. Ces témoins devaient, par leurs déclarations, alléger la faute des accusés, diminuer leur rôle dans l’exécution de ces atrocités, les blanchir à tout prix. Ces témoins, pour une très grande majorité, étaient eux-mêmes des accusés d’autres affaires.

Comment peut-on parler de l’objectivité et de l’authenticité des dépositions de tels témoins de la Défense si l’innocence de l’accusé Funk a dû être confirmée par son remplaçant et complice, Hayler, qui était membre des SS depuis 1931 et avait rang de Gruppenführer SS ; si, en faveur de Seyss-Inquart, on a appelé à témoigner le criminel Rainer, membre du parti nazi depuis 1930, Gauleiter de Salzbourg et de Carinthie.

Ces prétendus « témoins », comme par exemple Buhler, bras droit de l’accusé Frank et son complice dans tous ses crimes ou bien Bohe, l’un des dirigeants principaux de l’activité d’espionnage et de contre-espionnage des hitlériens à l’étranger et chef de l’organisation à l’étranger du parti fasciste, sont venus ici afin de s’efforcer, sous la foi du serment, de décharger leurs anciens maîtres et de sauver en même temps leur propre vie.

Cependant, la majorité des témoins de la Défense, lors de leur interrogatoire, deviennent infailliblement des témoins de l’Accusation. Ils sont confondus eux-mêmes par les témoins muets, les documents pour la plupart, d’ailleurs, allemands. Ils se sont vus ainsi forcés de démasquer ceux qu’ils voulaient justifier.

Une autre méthode de la Défense consiste dans des discussions et dans des argumentations d’ordre juridique.

Abordons quelques questions juridiques soulevées par ce Procès.

L’Accusation, qui, dans le Procès actuel, s’appuie sur des preuves innombrables et indiscutables, se base sur des principes bien établis du Droit et de la légalité. C’est pourquoi déjà dans les premiers discours introductifs des Procureurs Généraux, une attention spéciale fut attirée sur le fondement de la responsabilité pénale des accusés.

Dans sa plaidoirie, la Défense a soulevé à nouveau une série de questions juridiques :

a) Sur la signification du principe nullum crimen sine lege ;

b) Sur la signification de l’ordre ;

c) Sur la responsabilité de l’État et des individus ;

d) Sur l’interprétation du complot, etc.

A ce propos, je considère qu’il est indispensable de revenir à nouveau sur certaines questions juridiques pour répondre aux tentatives de la Défense de compliquer certaines situations simples et claires et de transformer l’argumentation juridique en rideau de fumée afin de dissimuler derrière lui l’histoire sanglante des crimes fascistes.

a) Le principe nullum crimen sine lege. La Défense s’est efforcée de réfuter les arguments de l’Accusation en essayant de prouver qu’au moment où les accusés ont accompli les actes qui leur sont reprochés, ces derniers n’étaient pas prévus par des lois déjà existantes et que, pour cette raison, les accusés ne peuvent pas endosser de responsabilité pénale.

Je pourrais tout simplement écarter toute référence au principe nullum crimen sine lege, car le Statut du Tribunal Militaire International, qui représente une loi immuable qui doit être obligatoirement respectée, stipule que ce Tribunal « peut juger et punir toutes personnes qui, agissant pour le compte des pays européens de l’Axe, auront individuellement ou à titre de membres d’organisations commis l’un des crimes énumérés dans l’article 6 du Statut. »

Donc, au point de vue juridique, pour l’élaboration du jugement et pour l’application de la peine, il n’est pas nécessaire que les crimes commis par les accusés aient été prévus au moment de leur accomplissement par des lois pénales. Cependant, il n’y a aucun doute que les actes des accusés étaient des crimes au point de vue des lois en vigueur au moment même où ces crimes ont été commis.

Les principes de Droit pénal figurant dans le Statut du Tribunal International sont les principes contenus dans une série d’accords internationaux que j’ai énumérés dans mon discours introductif du 8 février 1946, ainsi que ceux de la législation pénale de tous les États civilisés. La législation de tous les peuples civilisés prévoit la responsabilité pénale pour le meurtre, les tortures, les violences, le pillage, etc. Le fait que ces crimes furent organisés par les accusés sur une échelle dépassant toute imagination humaine et sous une forme de cruauté sadique encore jamais vue, non seulement n’exclut pas, mais ne fait que renforcer leur responsabilité. Si les accusés avaient commis leurs crimes sur le territoire et contre les habitants d’un pays donné, ils auraient pu, conformément à la déclaration commune des chefs des Gouvernements de l’URSS, de la Grande-Bretagne et des USA, publiée le 2 novembre 1943, selon les principes généralement acceptés du Droit pénal et de la procédure pénale, être jugés dans ce pays et conformément aux lois qui y étaient alors en vigueur.

Cette déclaration stipulait que « les officiers et les soldats allemands et les membres du parti nazi qui sont responsables des crimes énumérés plus haut, des meurtres et des exécutions, ou qui y ont volontairement pris part, seront livrés aux pays où leurs crimes abominables ont été commis, afin qu’ils puissent être jugés et punis conformément aux lois en vigueur dans ces pays libérés, par les Gouvernements libres qui y seront créés ».

Cependant les accusés sont des criminels de guerre « dont les crimes sont sans localisation géographique précise » (Article 1 de l’accord des quatre Puissances du 8 août 1945) et leurs crimes relèvent donc du Tribunal Militaire International dont la compétence découle du Statut.

Le défenseur de l’accusé Hess s’est autorisé à affirmer qu’il ne peut y avoir aucun doute que le crime contre la Paix tel qu’il est exposé à l’article 6, alinéa 2, a) du Statut est inexistant. »

Il n’est pas nécessaire de se référer ici aux textes des accords internationaux (je les ai cités dans mon exposé introductif) où la guerre d’agression est reconnue comme un crime international.

C’est pourquoi la tentative des accusés et de leurs défenseurs de se retrancher derrière le principe nullum crimen sine lege a échoué.

Ils sont accusés pour des faits qui depuis longtemps sont qualifiés crimes par les peuples civilisés.

b) L’exécution d’un ordre. Certains accusés, dans leurs dépositions devant le Tribunal, ont tenté de se dépeindre comme de pauvres petits bonshommes, comme des instruments aveugles et soumis de la volonté d’un autre, de la volonté de Hitler.

Dans la recherche d’une base juridique pour la défense d’une telle proposition, maître Jahrreiss a beaucoup parlé de la portée des ordres de Hitler. A son avis, un ordre de Hitler était quelque chose de tout à fait différent de l’ordre de n’importe quel autre dirigeant ; un ordre de Hitler était quelque chose d’indiscutable au point de vue juridique. C’est pourquoi maître Jahrreiss demande si l’ordre de Hitler appartient à cette catégorie d’ordres qui sont écartés par le Statut du Tribunal comme excuse absolutoire. Un tel ordre peut-il être comparé à la conception de l’ordre prévue par le Statut ?

Le droit de discuter une loi est le droit légitime de tout juriste, y compris, bien entendu, d’un avocat. Il apparaît cependant parfaitement incompréhensible de concevoir à quelles méthodes logiques ou autres avait recours le défenseur lorsqu’il affirmait que les dispositions du Statut, spécialement élaborées pour le Procès des principaux criminels de guerre de l’Allemagne fasciste, ne prévoyaient justement pas les conditions de l’activité de ces criminels.

Mais de quels ordres s’agit-il dans le Statut du Tribunal ? Qui les a promulgués ? Et où les a-t-on promulgués ? C’est le contraire qui est indubitable : les auteurs du Statut étaient parfaitement au courant des conditions spécifiques qui régnaient dans l’Allemagne hitlérienne, ils étaient parfaitement au courant par le matériel de plusieurs procès, et notamment celui de Kharkov, des tentatives des accusés pour se dérober derrière les ordres de Hitler ; et c’est précisément pour cette raison qu’ils ont spécialement établi que l’exécution d’un ordre clairement criminel ne dégage nullement ses auteurs d’une responsabilité pénale.

c) Responsabilité des États et des individus. Dans une certaine mesure, il faut supposer que les auteurs eux-mêmes de cette tentative de cacher un groupe important de ministres, de Gauleiter et de chefs militaires derrière le dos de Hitler, ont douté du caractère convaincant d’une telle manœuvre de défense, puisque pour lui venir en aide on met en avant une nouvelle ligne de défense.

« Si le Reich allemand a commencé à attaquer en dépit du pacte de non-agression qui était encore en vigueur — a déclaré maître Jahrreiss — il a commis un délit international. Mais le Reich seul, et non pas un individu isolé... »

Il est impossible tout d’abord de ne pas remarquer que le point de vue ainsi exposé ne se signale pas par sa nouveauté : avant les déclarations officielles, des avocats admis à plaider au cours du présent Procès, quelques défenseurs non officiels des criminels de guerre propageaient volontiers la version selon laquelle ce ne sont pas des personnes physiques, mais bien l’État et le peuple allemands qui doivent porter la responsabilité de l’agression criminelle et des crimes de guerre. La violation par le sujet du Droit international — c’est-à-dire l’État — des normes du Droit international entraîne telle ou telle conséquence de caractère international, mais non, en tout cas, la responsabilité pénale de l’État.

Tels ou tels actes de l’État dans la sphère des relations internationales sont commis par des personnes physiques, représentants et fonctionnaires de l’État. Lors de la commission de ces actes, ces personnes peuvent commettre les infractions les plus diverses, aussi bien en matière de Droit civil qu’en matière de Droit pénal.

Pour ces derniers actes, c’est-à-dire ceux qui impliquent un crime, elles portent, le cas échéant, une responsabilité pénale d’après les lois et le Droit, aussi bien de leur pays que d’un pays étranger, suivant les circonstances. Dans le cas donné, non seulement l’État hitlérien a violé les normes du Droit international, ce qui entraîne les mesures qui furent prises à l’égard d’autres États, mais encore des personnes physiques isolées, en commettant ces infractions, ont personnellement commis des crimes de Droit commun, dont elles portent, conformément au Statut du Tribunal, la responsabilité pénale devant le Tribunal Militaire International.

d) Le concept de complot. La Défense, d’une façon unanime, quoique sous des formes différentes et avec des variantes, essaie de réfuter l’accusation qui fait participer les accusés à un complot. En extirpant de sources diverses des définitions partiales et choisies de façon tendancieuse, de la notion du complot, la Défense essaye de démontrer que Göring, Hess, Ribbentrop et d’autres ne peuvent pas être considérés comme des partisans au complot.

Je voudrais vous exposer quelques arguments qui prouvent le manque de consistance de ces affirmations de la Défense.

Un complot suppose l’existence d’un groupe criminel, créé pour agir en vue de l’accomplissement de desseins criminels communs. Or, ce groupe a existé d’une façon indubitable. Il est bien évident, dans le cas présent, que dans la mesure où les conspirateurs se sont emparés de la direction de l’État, les liens qui réunissaient entre eux les membres de ce groupe criminel de conspirateurs sont extrêmement compliqués.

Dans n’importe quel groupe criminel, mais particulièrement dans un groupe ramifié et important, les participants individuels commettent des actes criminels qui entrent dans le cadre du plan général du complot, mais peuvent pratiquement rester inconnus de toute une série de membres de ce groupe. Néanmoins, pour autant que ces crimes découlent d’un plan criminel unique, commun à tout le groupe, les participants au complot qui n’ont pas personnellement commis ces actes criminels isolés et qui n’en avaient pas de connaissance concrète en portent cependant la responsabilité.

Dans le cas qui nous intéresse, l’existence du complot n’est pas exclue par le fait que, par exemple, Schirach pouvait ne pas connaître les mesures individuelles du négrier Sauckel ou du fauteur de progroms Streicher.

L’existence d’un complot n’est pas non plus exclue du fait des divergences d’opinion sur les diverses questions qui existaient entre les différents participants au complot telles que les intrigues de Göring contre Bormann, etc. De telles divergences peuvent se produire au sein de n’importe quelle bande de brigands ou de voleurs, mais cette bande n’en cesse pas pour autant d’être ce qu’elle est.

Dans presque chaque communauté existe une certaine hiérarchie parmi ses membres. Très souvent, les chefs d’une bande de criminels s’investissent eux-mêmes d’une autorité sans limite sur les autres membres de la bande, jusqu’au droit de vie et de mort. Cependant, aucun juriste au monde n’a eu, je crois, l’idée de nier l’existence d’un groupe criminel en se basant sur le seul fait que ses adhérents ne jouissaient pas de droits égaux et que l’un d’entre eux avait le pas sur les autres.

Il serait quelque peu bizarre de nier l’existence d’un complot dans le cas présent, étant donné le fait incontestable qu’un énorme pouvoir personnel était concentré entre les mains du chef, Hitler. De même, l’existence du complot n’exclut pas, mais suppose une certaine distribution des rôles entre les adhérents au groupe criminel, dans l’accomplissement d’un but criminel commun. L’un coordonne toute l’activité criminelle, l’autre s’occupe des questions de la préparation idéologique, le troisième prépare l’Armée, le quatrième organise le fonctionnement de l’économie de guerre, le cinquième est chargé de la préparation diplomatique, etc. C’est pourquoi le complot fasciste ne cesse pas d’être un complot, mais, bien au contraire, représente un complot particulièrement dangereux, étant donné que l’appareil gouvernemental et d’énormes ressources humaines et matérielles sont entre les mains des conspirateurs.

Entre les mains des criminels internationaux, entre les mains de Göring, de Keitel et des autres accusés, d’énormes masses d’hommes deviennent l’instrument des crimes les plus monstrueux.

Voilà pourquoi des traits caractéristiques qui distinguent les conspirateurs de l’Allemagne fasciste de n’importe quelle autre bande, sans pour cela changer la nature juridique du complot, ne font que lui conférer un caractère plus dangereux.

J’en ai ainsi terminé avec l’analyse des arguments juridiques de la Défense qui ont déjà été minutieusement examinées par mes distingués collègues.

Comme nous l’avons vu, Messieurs les juges, les arguments de la Défense se sont révélés inconsistants et incapables d’ébranler l’Accusation.

J’en viens maintenant à l’examen de la culpabilité de chacun des accusés.

L’accusé Göring était, dans l’Allemagne hitlérienne, le deuxième personnage après le Führer et son premier successeur. Il s’accorda des pouvoirs extrêmement étendus et s’empara des postes les plus importants. Il était président du Conseil des ministres pour la Défense du Reich, dictateur à la Direction de l’économie allemande, délégué général au Plan de quatre ans et Commandant en chef des forces aériennes. Or, il a utilisé toute cette vaste activité et a consacré toutes ses forces à l’organisation et à la réalisation des crimes qui sont indiqués dans l’Acte d’accusation.

Comme nous le savons déjà, l’objet de cette conspiration était de soumettre l’Europe pour donner à l’Allemagne hitlérienne la domination mondiale, en ne s’arrêtant devant aucun moyen quelque criminel et inhumain qu’il soit.

Pour atteindre ce but, il fallait frayer la voie ; il fallait, comme le disait déjà Hitler en février 1933 à une conférence avec les industries allemandes les plus en vue, supprimer le système parlementaire. Et c’est ce que Göring entreprit de faire. Il se mit énergiquement à supprimer les adversaires politiques du fascisme, et pour cela procéda à des arrestations en masse de membres de partis politiques hostiles au nazisme. Il créa les camps de concentration où il envoya sans jugement les gens qui n’étaient pas d’accord avec le fascime. Il créa la Gestapo, dans laquelle, dès le jour de sa création, s’établit un régime de terreur sanguinaire. Il exigeait de tous les fonctionnaires des camps et de la Gestapo de ne s’arrêter devant rien ; les violences, les tortures et les meurtres sont devenus sous sa direction les méthodes de travail essentielles.

C’est à lui, Göring, que reviennent ces mots : « Chaque balle tirée du revolver d’un agent de police est ma balle ; si quelqu’un appelle cela un meurtre, alors c’est moi le meurtrier ». (Extrait du livre de Göring, Aufbau einer Nation, publié en 1934).

Il a ainsi frayé la voie au fascisme, il a ainsi rendu possible que le complot fasciste puisse se développer et se réaliser sans obstacle.

Göring était inlassable dans l’anéantissement de tout ce qui empêchait le renforcement de ce complot. Et Hitler le louait sans cesse pour cela. C’est ainsi qu’il a déclaré au Reichstag, le 13 juillet 1934, que Göring, « par son poing de fer, avait brisé l’attaque contre l’État national-socialiste, avant qu’elle ait pu se développer ».

Toute cette activité terroriste de Göring était calculée en vue de frayer le chemin au but essentiel du complot fasciste de conquérir l’Europe, puis d’arriver à la domination mondiale de l’Allemagne hitlérienne.

Les débats ont prouvé la culpabilité de Göring dans la conception et la préparation de toutes les guerres d’agression de l’Allemagne hitlérienne. D’innombrables documents ont été présentés au Tribunal, montrant le rôle actif de Göring dans le développement des guerres d’agression. Je rappellerai la déclaration qu’a faite Göring, en 1935, lors d’une réunion des officiers des forces aériennes. Il a déclaré qu’il avait l’intention de créer des forces aériennes qui seraient jetées sur l’ennemi comme un élément de vengeance. L’adversaire devait avoir le sentiment qu’il était perdu avant de se battre et cette intention, comme nous le savons, a été réalisée par ses soins en se préparant à la guerre jour après jour.

Lors de la conférence des chefs de l’industrie allemande de l’aviation, le 8 juillet 1938, Göring donne à comprendre que la guerre est proche et que si l’Allemagne gagne cette guerre, elle sera la première puissance du monde, dominera le marché mondial et deviendra un pays riche. « Mais il faut risquer pour atteindre ce but. » C’est le slogan lancé alors par Göring.

Le 14 octobre 1938, peu de temps avant la présentation des exigences à la Tchécoslovaquie, Göring déclare qu’il a commencé la mise sur pied d’un programme gigantesque, en comparaison duquel est rejeté dans l’ombre tout ce qui a été fait jusqu’alors.

« Dans le temps le plus bref, les forces aériennes doivent être multipliées par cinq, la Marine doit s’armer à une cadence plus rapide. l’Armée doit produire de grandes quantités d’armes d’agression, tout particulièrement l’artillerie lourde et les chars lourds. Parallèlement, il faut que soit augmentée la production de matériel de guerre et d’explosifs. »

Il a été indiscutablement établi que Göring a hâtivement participé à la préparation de l’agression contre l’URSS. Dans le compte rendu de la réunion du 29 avril 1941 sur la question de la structure de l’État-Major économique « Oldenburg », dans le compte rendu de la conférence chez le général Thomas, le 23 février 1941, et également dans la déposition de Göring lui-même à l’audience du 21 mars 1946, le Tribunal trouvera la preuve du fait que Göring a, dès novembre 1940, activement participé à l’élaboration du plan d’agression contre l’URSS.

C’est Göring qui, avec Rosenberg, Keitel et Bormann, a concrétisé, lors d’une conférence chez Hitler le 16 juillet 1941, les plans de démembrement de l’Union Soviétique, de l’asservissement des peuples, du pillage des richesses de l’URSS. Il était présent lorsqu’on projeta de « raser Leningrad afin de le donner ensuite aux Finlandais ». C’est lui qui a proposé le bourreau Koch pour le poste de Commissaire du Reich en Ukraine comme « personnalité possédant une très grande initiative et une bonne préparation ».

On peut donc incontestablement considérer comme acquis que Göring est coupable de la conception et de la préparation des guerres d’agression de l’Allemagne hitlérienne, et il doit en porter la responsabilité.

Mes collègues ont déjà attiré l’attention du Tribunal sur le traitement criminel des prisonniers de guerre. Je me permettrai simplement de rappeler au Tribunal la déposition du témoin Maurice Lampe lors de l’audience de l’après-midi du 25 janvier 1946 sur l’exécution d’officiers soviétiques, anglais, français et autres au camp de Mauthausen, et sur les camps d’extermination d’Auschwitz et de Maidanek. Je vous renvoie aux notes du Commissaire du peuple aux Affaires étrangères de l’URSS, Molotov, des 25 novembre 1941 et 27 avril 1942, déjà déposées au Tribunal, concernant les crimes inhumains des autorités militaires allemandes à l’égard des prisonniers de guerre soviétiques, à propos desquels une grande responsabilité repose sur Göring. Je rappellerai également les déclarations du témoins Halder le 31 octobre 1945, dans lesquelles il parle de la conférence chez Hitler à propos de la non-application des stipulations de la Convention de La Haye en ce qui concerne le traitement des prisonniers de guerre russes et de la directive du Quartier Général de Hitler du 12 mai 1941 sur le traitement des commandants en chef et des commissaires politiques russes faits prisonniers.

Tous ces faits criminels, établis d’une façon indiscutable devant le Tribunal, n’ont pas besoin d’éclaircissements complémentaires du fait que, dans ses plaidoiries, la Défense n’a produit aucune conclusion réfutant ces preuves.

Dans les « douze commandements sur la conduite des Allemands à l’Est », en date du 1er juin 1941, le sixième prévoit :

« Vous devez bien vous mettre dans l’idée que vous êtes pour tout un siècle les représentants de la Grande Allemagne et les porteurs de l’étendard de la Révolution nationale-socialiste dans la nouvelle Europe. C’est pourquoi vous devez, conscients de votre mérite, prendre les mesures les plus dures et les plus impitoyables qu’exigent de vous les nécessités d’État. »

Au nom de Göring est lié le début de l’écrasement organisé et de l’extermination de la population juive. C’est lui qui a signé les lois de Nuremberg qui s’inspiraient de la haine de l’Humanité, les décrets qui privaient les Juifs du droit de propriété, décidé l’instauration d’une amende de 1.000.000.000 pour les Juifs ; cette activité concorde parfaitement avec toute la philosophie cannibale de Göring.

Il a nié devant le Tribunal avoir été partisan des théories racistes, mais cependant, en 1935, il a prononcé au Reichstag un discours pour la défense des provocateurs racistes de Nuremberg. Il a alors déclaré à qui voulait l’entendre : « Dieu a créé des races, il n’a pas voulu l’égalité, et c’est pourquoi nous rejetons énergiquement toute tentative de dénaturer la conception de l’unité des races ».

Un grand nombre de documents présentés au Tribunal par le Ministère Public dévoilent les activités criminelles de Göring à rencontre des autres nations.

L’instruction de Göring du 19 octobre 1939 montre clairement les sentiments de l’accusé envers le peuple et le Gouvernement polonais.

Dans sa directive sur la politique économique à l’Est, en date du 23 mai 1941, diffusée avant l’agression contre l’URSS, Göring s’exprime ainsi sur les relations avec les Russes :

« L’Allemagne n’est pas intéressée par le maintien de la production sur ce territoire ; elle ravitaille seulement en vivres les troupes qui s’y trouvent établies... La population, dans ces régions, et en particulier la population urbaine, est condamnée à la faim. Il sera indispensable de déporter cette population en Sibérie. »

En qualité de délégué au Plan de quatre ans, Göring répond des pillages et dévastations de la propriété publique et de la propriété privée commis par les nazis dans la partie occupée du territoire de l’URSS, en Tchécoslovaquie, en Pologne, en Yougoslavie et dans d’autres pays encore. C’est précisément Göring qui a parlé de l’activité des conspirateurs nazis dans le pillage économique des territoires occupés de l’URSS.

Avant l’agression perfide contre l’URSS, le 29 avril 1941, a eu lieu une conférence sur l’étude des mesures économiques à prendre d’après le plan « Barbarossa ». Le résultat de cette conférence fut de créer, en vue de missions spéciales, un État-Major économique « Oldenburg » sous les ordres de Göring. On avait prévu la création, dans les plus grosses villes de l’URSS, d’inspections spéciales de l’économie et de commandos, qui se voyaient confier les tâches les plus vastes, dans le domaine de l’utilisation et du pillage de l’agriculture et de l’industrie soviétiques. La serviette d’un chef de l’agriculture d’un Kreis renfermait des instructions pour les chefs de l’agriculture : ils avaient liberté complète dans le choix des méthodes pour atteindre leurs buts criminels. Il en ressortait l’exigence d’une conduite impitoyable envers les citoyens soviétiques et, en premier lieu, envers les Russes, les Ukrainiens et les Biélorussiens.

Le rapport de la Commission extraordinaire d’État de l’URSS sur les cruautés commises par les hitlériens à Kiev, dans la région de Staline et autres lieux, déclare que les plans criminels de l’accusé Göring et de ses complices ont été, dans une notable mesure, réalisés.

Pour assurer à l’industrie de guerre allemande et à l’agriculture la main-d’œuvre et, en même temps, dans le but d’anéantir physiquement et affaiblir économiquement les peuples asservis, l’accusé Göring et ses acolytes du complot nazi exploitèrent le travail forcé des ouvriers étrangers.

La mise au travail obligatoire de ces gens avait été élaborée par les nazis déjà avant le début de la guerre. Il suffit de rappeler la conférence chez Hitler, à laquelle prit part l’accusé Göring, le 23 mai 1939.

Au cours de la conférence du 7 novembre 1941, et dans l’ordre du 10 janvier 1942, Göring a exigé de toutes les organisations dépendant de lui qu’elles assurent, par tous les moyens, à l’industrie allemande, la main-d’œuvre prise dans la population des territoires soviétiques occupés.

Le 6 août 1942, Göring a eu une conférence avec les Commissaires du Reich des régions occupées et les représentants du Commandement militaire. S’adressant aux personnes présentes à la conférence, Göring a déclaré :

« Vous êtes envoyés là-bas non pas pour travailler au bien-être des peuples qui vous sont confiés, mais pour extirper tout ce que vous pourrez.. . Vous devez vous conduire comme des brutes là où il y a encore quelque chose... J’ai l’intention de piller, et d’une manière effective... »

Ces intentions ont été réalisées. Göring a pillé, les ministres du Reich et les Commissaires du Reich des régions occupées ont pillé, les représentants du Commandement militaire ont pillé, du général au simple soldat.

C’est ainsi qu’a agi l’accusé Göring.

Il n’y a pas une mesure du parti nazi, pas un seul pas du Gouvernement hitlérien auquel Göring n’a participé. Il a participé d’une manière active à tous les crimes de la bande fasciste et, pour tous ses actes, il doit recevoir la peine qu’il mérite.

Dès le moment de la création du Reich fasciste, l’accusé Rudolf Hess a occupé une position dirigeante parmi les conspirateurs nazis.

C’est Hess qui a été le dirigeant de l’organisation fasciste de l’Université -de Munich. C’est lui qui a participé au Putsch. C’est lui qui, conjointement avec Hitler, a travaillé à la Bible du fascisme, le livre Mein Kampf, en remplissant les fonctions de secrétaire personnel de Hitler ; c’est lui qui, en 1932, a été le président de la Commission politique centrale du parti fasciste et, après la prise du pouvoir, en qualité de remplaçant du Führer, a mis à exécution la sauvage politique des coupeurs de têtes fascistes.

C’est précisément à Hess qu’un décret de Hitler du 21 avril 1933 a donné le droit absolu de « prendre les décisions au nom de Hitler pour toutes les questions concernant la direction du Parti ».

Après cela, Hess a continué à rechercher sans cesse de nouvelles fonctions dans le Gouvernement hitlérien. A partir du 1er décembre 1933, il est ministre du Reich sans portefeuille « pour assurer une collaboration étroite du Parti et des sections d’assaut avec les autorités civiles ». Le 4 février 1938, il est nommé membre du Conseil secret ; le 30 août 1938, membre du Conseil des ministres pour la Défense du Reich et, le 1er septembre 1939, Hitler en fait son successeur après Göring. Hess reçoit également le titre d’Obergruppen-führer SS et SA.

Par un décret en date du 27 juillet 1934, Hitler a obligé les dirigeants de tous les départements et les ministres de l’Allemagne à présenter à Hess tous les projets de loi pour ratification préliminaire.

Hess s’est occupé de la sélection et de l’emploi des cadres dirigeants fascistes. C’est ce que prouvent un ordre de Hitler du 24 septembre 1935 et d’autres documents présentés au Tribunal par le Ministère Public.

Il convient de noter particulièrement le rôle actif de Hess dans l’élaboration et l’exécution des guerres d’agression. Tous les actes d’agression de l’Allemagne hitlérienne ont été conçus et préparés avec la participation la plus immédiate de Hess et de l’appareil du parti nazi qui se trouvait sous ses ordres.

Déjà, le 12 octobre 1936, dans un discours en Bavière, Hess appelait les Allemands à « utiliser un peu moins de matières grasses, un peu moins de viande de porc, un peu moins d’œufs. Nous savons » — disait Hess — « que les devises étrangères que nous économisons ainsi vont au réarmement. Et aujourd’hui, la formule des « canons au lieu de beurre » est exacte ».

Hess en a parlé encore à la veille même de son départ pour l’Angleterre, le 1er mai 1941, en prononçant un discours à l’usine Messerschmitt, avec un appel à continuer la guerre d’agression.

Avec Hitler, Göring et d’autres dirigeants actifs du plan concerté nazi, Hess a signé les ordres d’annexion à l’Allemagne des territoires envahis. Dans les lois de Nuremberg, inspirées par la haine de l’Humanité, et dont Hess porte aussi la responsabilité, se trouve un paragraphe particulier donnant à Frick et à Hess les pleins pouvoirs pour promulguer les décrets indispensables pour assurer l’exécution de ces lois. Hess a signé le décret « sur la protection du sang et de l’honneur », la loi du 14 septembre 1935 sur l’abolition du droit de vote pour les Juifs et l’abolition du droit de travail dans les services publics ; il a signé également la loi du 20 mai 1938 sur l’extension des lois de Nuremberg à l’Autriche.

Dans le présent Procès, on a déjà suffisamment éclairci la question du rôle de Hess dans l’organisation du réseau d’espionnage et des groupes terroristes à l’étranger, dans la création du SD (service de sécurité) et la mise sur pied des unités SS. La seule position de Hess dans le parti fasciste et dans le Gouvernement hitlérien montre sa participation active, en tant que dirigeant, dans la préparation et l’exécution du plan général criminel des conspirateurs fascistes. Il est donc pour une grande part coupable et responsable des crimes contre la Paix, des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité.

Messieurs les juges, pour apprécier d’une manière encore plus précise le sens de l’activité criminelle de l’accusé Hess, l’un des dirigeants les plus notoires du parti nazi et du Gouvernement hitlérien, je rappellerai un article de la National Zeitung du 24 avril 1941, consacré à Hess. Je cite :

« Il y a longtemps — cela se passait encore avant le commencement de la guerre — Rudolf Hess a été appelé « la conscience du Parti ». Si nous demandons pourquoi ce nom honorifique a été donné au remplaçant du Führer, il ne serait pas difficile de répondre à cette question : il n’y a pas un seul événement dans notre vie publique qui ne soit lié au nom du remplaçant du Führer. Il est à tel point varié et original dans son travail et dans la sphère de son activité que l’on ne peut pas le dire en quelques mots...

« De nombreuses mesures du Gouvernement, en particulier dans le domaine de l’économie de guerre et dans le Parti, qui, au moment où elles ont été annoncées officiellement, ont trouvé un grand écho parce qu’elles représentaient pour une notable mesure le véritable sentiment populaire, reviennent à l’initiative personnel du représentant du Führer. »

Hess a refusé de donner des explications au Tribunal. Son avocat, maître Seidl, a déclaré avec emphase que Hess estimait que le présent Tribunal n’était pas compétent pour juger les criminels de guerre allemands, et il a commencé aussitôt à présenter les preuves pour la défense de son client. Hess a même essayé de passer pour fou afin d’éviter le châtiment qu’il mérite. Mais, lorsqu’il se fut convaincu qu’une telle manœuvre ne l’aiderait pas, il fut obligé de déclarer devant le Tribunal qu’il avait simulé une amnésie, que c’était une ruse tactique de sa part, et il fut obligé de reconnaître qu’il portait la pleine responsabilité de tout ce qu’il avait fait et signé avec les autres.

Ainsi donc, la tentative maladroite de Hess pour échapper à sa responsabilité a été complètement dévoilée devant le Tribunal, et Hess doit, dans toute sa mesure, être frappé d’une peine pour sa participation au plan concerté ou complot, pour ses crimes contre la Paix, pour sa participation aux crimes de guerre, aux crimes les plus monstrueux contre la Paix et contre l’Humanité qu’il a commis conjointement avec les autres accusés.

Le nom de l’accusé Martin Bormann est indissolublement lié à la création du régime hitlérien. Il a été l’un de ceux qui ont commis les crimes les plus monstrueux en vue de l’anéantissement de centaines de milliers d’hommes innocents.

De concert avec l’accusé Rosenberg, Bormann mena avec une impitoyable logique la propagande des théories raciales et la persécution des Juifs. Il promulgua de nombreuses directives tendant à brimer les Juifs dans l’Allemagne hitlérienne : elles ont joué un rôle déterminant et ont entraîné l’extermination de millions de Juifs. Par cet aspect de son activité, il gagna la confiance de Hitler ; on lui donna le « droit de représenter le Parti dans la sphère de la vie de l’État... » (Directives et ordonnances de la chancellerie du Parti, tome II, page 207), et il a, en fait, représenté le Parti.

Ainsi, en sa qualité de chef de la chancellerie du Parti, il prit une part directe à l’extermination des Juifs, des Tziganes, des Russes, des Ukrainiens, des Polonais et des Tchécoslovaques.

La NSDAP, sous sa direction, se transforma en organisation policière, entretenant les rapports les plus étroits avec la Police secrète d’État et les SS.

Bormann, non seulement connaissait tous les plans d’agression du Gouvernement hitlérien, mais encore prenait une part directe à leur mise à exécution.

Il a mobilisé tout l’appareil de la NSDAP en vue de la réalisation des plans d’agression du Gouvernement hitlérien, il nomma les Gauleiter du Parti commissaires à la Défense du Reich dans les régions où ils exerçaient leur activité.

L’appareil de la NSDAP et Bormann en personne ont pris une part active dans les mesures des autorités militaires et civiles allemandes en vue du traitement inhumain des prisonniers de guerre. Les innombrables directives et décrets promulgués par Bormann en témoignent. Les documents de l’Accusation et les débats ont établi à quelle extermination en masse a amené ce traitement inhumain des prisonniers de guerre.

L’appareil du Parti et l’accusé Bormann en personne ont pris une part directe aux mesures du Gouvernement hitlérien liées à la déportation et à la réduction en esclavage des populations des territoires occupés.

C’est avec le consentement de Bormann que se réalisa la déportation secrète en Allemagne des jeunes filles ukrainiennes destinées à une germanisation forcée.

Par l’ordre de Hitler du 18 octobre 1944, Bormann et Himmler furent chargés de la direction du Volkssturm, qui se composait de tous les hommes de seize à soixante ans capables de porter les armes.

A la veille de l’effondrement de l’Allemagne hitlérienne, Bormann présidait l’organisation clandestine du Werwolf, créée pour des tâches de diversion et de sabotage sur les arrières des armées alliées.

Bormann a directement participé au pillage des valeurs culturelles, historiques et autres dans les territoires occupés. En 1943, il fit une proposition sur la nécessité de renforcer le pillage économique des territoires occupés.

Tels sont les crimes de l’accusé Bormann, le plus proche collaborateur de Hitler, qui porte la responsabilité entière des crimes sans nombre du Gouvernement hitlérien et du parti nazi.

Joachim von Ribbentrop, qui fut l’un des principaux promoteurs et dirigeants de la politique étrangère de l’Allemagne hitlérienne, a également été l’un des membres les plus actifs de la conspiration criminelle.

L’accusé, officiellement entré au parti nazi en 1932, appuya activement les efforts des nazis dès avant leur accession au pouvoir et ne tarda pas à devenir le conseiller officiel du Parti en qualité de « collaborateur du Führer pour les questions de politique étrangère ».

L’ascension de Ribbentrop dans la voie hiérarchique est indissolublement liée au développement de l’activité des conspirateurs nazis dirigée contre les intérêts de la paix.

Dans ses dépositions, Ribbentrop a déclaré : « Il (Hitler) savait que j’étais son fidèle collaborateur ». C’est justement la raison pour laquelle Hitler, le 4 février 1938, fit du nazi convaincu et dévoué qu’était Ribbentrop le dirigeant officiel de la politique étrangère, qui était l’un des principaux leviers de la réalisation de toute la conspiration nazie.

Cependant, Ribbentrop ne limitait pas son activité à la seule sphère de la politique étrangère. En tant que membre du Gouvernement hitlérien, en tant que membre du Conseil de défense du Reich, en tant que membre du Conseil secret, il participait au règlement de tout l’ensemble des questions se rapportant à la préparation de guerres d’agression. C’est pourquoi Ribbentrop, tout en étant ministre des Affaires étrangères, prenait part au règlement et à l’exécution de questions très éloignées de la politique étrangère, comme par exemple l’utilisation de la main-d’œuvre en temps de guerre, l’organisation des camps de concentration, etc. Il y a lieu de remarquer à ce propos que Ribbentrop avait conclu avec Himmler un vaste accord spécial en vue d’une organisation commune des services de renseignements.

Ribbentrop devint ministre des Affaires étrangères du Reich au moment précis où commençaient à se réaliser les plans de l’agression destinée à assujettir l’Europe à la domination allemande. Cette coïncidence n’est pas due au hasard. Ce n’est pas sans raison que Ribbentrop était considéré comme l’homme le plus qualifié pour mener à bien cette conspiration criminelle. Il fut même choisi de préférence à Rosenberg, spécialiste pourtant des provocations internationales qui, non sans quelque raison, s’en plaignit de façon officielle. Et Hitler ne s’était pas trompé en choisissant Ribbentrop, qui sut pleinement justifier sa confiance.

Dès le 12 février 1938, une semaine après sa nomination, Ribbentrop, avec Hitler et l’accusé von Papen, qui à cette époque dirigeait depuis longtemps déjà le travail de désagrégation des agents nazis en Autriche, prenait part à la conférence de l’Obersalzberg au cours de laquelle, en usant de menaces et en posant un ultimatum, il exigea du Chancelier d’Autriche Schuschnigg et de son ministre des Affaires étrangères Schmidt, l’accord pour l’abandon de l’indépendance autrichienne et l’obtint.

En sa qualité de ministre, Ribbentrop assista à la conférence du 28 mai 1938 au cours de laquelle il fut décidé de mettre en application le plan Grün d’agression contre la Tchécoslovaquie.

Se conformant à la tactique nazie qui consistait à affaiblir à l’intérieur sa future victime, Ribbentrop n’avait cessé d’entretenir d’étroites relations et d’aider matériellement, dès le début, le parti des Allemands des Sudètes, puis celui des nationalistes slovaques, afin de provoquer une scission intérieure et une guerre fratricide en Tchécoslovaquie.

S’étant empares de la Tchécoslovaquie, les conspirateurs nazis, dont l’accusé Ribbentrop, se mirent en devoir de préparer et de réaliser l’acte d’agression suivant, qui leur avait été désigné d’avance dans le plan des crimes contre la paix, à savoir l’attaque de la Pologne.

Contraint, à la suite de l’annexion toute fraîche de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie, de dissimuler momentanément les intentions ultérieures de l’Allemagne, Ribbentrop, lui-même et par ses diplomates, s’efforça d’endormir la vigilance des Gouvernements européens en déclarant hypocritement que l’Allemagne n’avait plus aucune exigence territoriale. Le 26 janvier 1939, à Varsovie, le ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne nazie, Ribbentrop, déclara que le « renforcement des relations amicales entre l’Allemagne et la Pologne, sur la base des accords existants, constituait un élément essentiel de la politique étrangère de l’Allemagne ». Peu de temps après, la Pologne apprenait la valeur des assurances données par Ribbentrop.

Je ne m’arrêterai pas ici au rôle perfide joué par l’accusé Ribbentrop lors de l’agression allemande contre le Danemark, la Norvège, la Belgique, la Hollande et le Luxembourg, étant donné que mes collègues en ont déjà parlé d’une façon suffisamment convaincante.

L’accusé Ribbentrop a pris une part active et directe à l’exécution de l’agression contre la Yougoslavie et la Grèce.

Usant de la méthode qui lui était chère, et qui consistait à dissimuler l’agression imminente sous des garanties mensongères, l’accusé Ribbentrop, le 20 avril 1938, donna l’assurance à la Yougoslavie qu’à la suite de l’Anschluss les frontières germano-yougoslaves étaient considérées comme « définitives et immuables ».

A cette époque avait lieu la préparation générale de l’agression avec la participation active de l’accusé Ribbentrop. Les 12 et 13 août

1939. au cours de la rencontre de Hitler et de Ribbentrop avec Ciano, à l’Obersalzberg, on arriva à réaliser l’accord sur la « liquidation des neutres, les uns après les autres ».

Avec la participation directe et immédiate de l’accusé Ribbentrop, les conspirateurs nazis ont, de la même façon, conçu, préparé et réalisé l’agression perfide contre l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, le 22 juin 1941.

L’accusé Ribbentrop a lui-même reconnu ici, dans cette salle d’audience, que l’accusé Keitel s’était entretenu avec lui de la question de l’agression contre l’URSS, à la fin d’août-début septembre

1940. c’est-à-dire à une époque où avait déjà lieu la mise à l’étude du plan « Barbarossa », comme cela ressort clairement des déclarations du général Warlimont, du général Müller, du Feldmarschall Paulus. L’activité de l’accusé et du ministère qu’il dirigeait ont joué un rôle de premier plan dans l’organisation de la guerre contre l’URSS, avec la participation de la Finlande, de la Hongrie, de la Roumanie et de la Bulgarie.

Après le début de l’agression de l’Allemagne contre l’Union Soviétique, l’accusé Ribbentrop continua à faire tout son possible pour amener de nouveaux complices du côté de l’Allemagne. Ainsi, dans le télégramme du 10 juin 1941, adressé à l’ambassadeur allemand à Tokio, il écrivait :

« Je vous demande d’influencer Matsuoka par tous les moyens dont vous disposez pour que le Japon entre le plus rapidement possible en guerre avec la Russie. Plus vite cela aura lieu, mieux cela vaudra. Même par la suite, le but final doit demeurer le suivant : avant l’arrivée de l’hiver, nous nous tendrons la main sur la voie ferrée du Transsibérien, le Japon et nous... »

Comme on l’a établi devant le Tribunal, l’accusé Ribbentrop a, avec d’autres accusés, préparé la politique d’anéantissement et de pillage que les hitlériens ont eue en vue et qu’ils ont ensuite mise à exécution dans les territoires momentanément occupés de l’Union Soviétique. L’accusé Rosenberg, qui élabora les plans d’exploitation des territoires occupés de l’Europe orientale, a eu, à ce sujet, des rapports avec l’OKW, avec le ministère de l’Économie, avec le ministère de l’Intérieur et avec le ministère des Affaires étrangères. Dans son Rapport sur le travail préparatoire concernant le problème de l’Europe orientale, il a écrit : « A la suite des pourparlers avec le ministère des Affaires étrangères, celui-ci a nommé le consul général Brautigam son représentant auprès de Rosenberg ».

Ainsi, il est indiscutable que Ribbentrop était non seulement au courant de la préparation de l’agression militaire contre l’URSS, mais qu’il a, avec d’autres conspirateurs, prépare à l’avance les plans de colonisation des territoires de l’Union Soviétique, la mise en esclavage et l’extermination des citoyens soviétiques.

L’accusé a été obligé de reconnaître qu’il avait eu connaissance des notes du Commissaire du peuple aux affaires étrangères, W. M. Molotov, sur les atrocités commises par les hitlériens dans les territoires momentanément occupés de l’Union Soviétique. Comme les autres conspirateurs, il était au courant d’autres déclarations faites par les principaux Gouvernements alliés sur la responsabilité qui incombait au Gouvernement nazi pour les crimes inouïs commis par les hitlériens dans les régions occupées.

Comme l’a confirmé un témoin de la Défense, l’ancien secrétaire d’État au ministère des Affaires étrangères, Steengracht, Ribbentrop était l’un des instigateurs du Congrès international antisémite, dont il devait être membre honoraire, et que les Allemands avaient l’intention de réunir en juin 1944, à Cracovie.

Ribbentrop a lui-même reconnu devant le Tribunal qu’il a mené des pourparlers avec les Gouvernements d’États européens au sujet de la déportation en masse des Juifs.

Conformément au procès-verbal de l’entretien de Ribbentrop avec Horthy, « le ministre des Affaires étrangères a déclaré à Horthy que les Juifs devaient être soit exterminés, soit envoyés dans des camps de concentration. Il ne pouvait y avoir d’autre solution ».

Ce fait confirme, dans une certaine mesure, que Ribbentrop avait connaissance de l’existence des camps de concentration, bien qu’il ait essayé d’une façon tenace de démontrer ici le contraire.

Ribbentrop a apporté son appui aux autres dirigeants nazis et, d’abord, à l’accusé Sauckel, pour forcer les habitants des régions occupées à travailler pour les Allemands.

De plus, dans l’exécution du plan général des conspirateurs qui comprenait l’anéantissement de la culture nationale des peuples des régions occupées, Ribbentrop a participé d’une façon active au pillage des biens culturels, qui appartiennent à tous les peuples.

Dans ce but, sur l’ordre de Ribbentrop, fut créé le « Bataillon de missions spéciales » au ministère des Affaires étrangères. Pendant toute la durée de la guerre, marchant à la suite des troupes de première ligne, ce bataillon a réquisitionné et expédié en Allemagne, conformément aux instructions de Ribbentrop, tous les biens culturels qui provenaient des régions de l’Est occupées.

Ainsi, l’accusé Ribbentrop a participé à la prise du pouvoir par les fascistes, a joué un rôle prépondérant dans l’élaboration, la préparation et le déclenchement des guerres d’agression et de pillage ; avec d’autres conspirateurs, il a pris part, conformément aux plans fascistes, à la direction de l’exécution de crimes inouïs contre les peuples dont le territoire se trouvait momentanément occupé par les envahisseurs hitlériens.

Certains des accusés, dans ce Procès des grands criminels de guerre, constituent un véritable groupe de militaires. Si l’on excepte Göring, personnage particulier, politicien, économiste et militaire à la fois, il me faudra nommer ensemble Keitel, Jodl, Dönitz et Raeder. Au cours des débats de ce Procès, non seulement toutes les charges énoncées dans l’Acte d’accusation contre ces accusés se sont trouvées confirmées, mais encore elles se sont aggravées. Les documents, les dépositions de témoins, y compris même en partie ceux qui avaient été cités par la Défense, devaient nécessairement faire pencher la balance du côté de l’Accusation. Les défenseurs de ces accusés se sont efforcés de démontrer que le destin avait fait de leurs clients, contre leur gré, les acteurs d’une tragédie cruelle.

Les accusés eux-mêmes, Keitel, Jodl, Dönitz et Raeder, se sont efforcés d’assumer devant le Tribunal ce rôle de braves gens un peu simples. Il faut reconnaître, en toute justice, que dans la mesure de ses moyens, la Défense les y a aidés. On nous a longuement parlé de l’honneur du soldat, de la discipline militaire, de la fidélité au devoir et au serment prêté, et par conséquent, de l’obligation d’obéir aux ordres de Hitler, même à ceux qui éveillaient dans l’esprit des doutes ou une protestation absolue. Une telle description de la position des accusés dénature absolument les faits réels.

J’estime qu’avant de parler de la culpabilité de Keitel, Jodl, Dönitz et Raeder, il serait bon de poser et de résoudre quatre questions : Premièrement, ces accusés savaient-ils que l’Allemagne hitlérienne, en violation des accords internationaux, préparait toute une série de guerres d’agression, de conquête et de pillage ?

Deuxièmement, ont-ils, eux-mêmes, pris une part active aux plans, préparatifs, déclenchements et conduite de ces guerres ?

Troisièmement, sont-ils coupables d’avoir violé cyniquement les lois et coutumes de la guerre ?

Quatrièmement, sont-ils responsables des tortures bestiales et de l’extermination des populations pacifiques, du torpillage de paquebots et de navires-hôpitaux, de la destruction de villes et de villages anéantis par la machine de guerre du Reich hitlérien ?

Il me semble qu’après l’instruction minutieuse qui a été menée ici, quiconque ne cherche pas à s’aveugler sciemment répondra affirmativement à ces quatre questions.

Les documents présentés au Tribunal ont confirmé avec une évidence parfaite la culpabilité du groupe des militaires criminels dans la perpétration des crimes les plus graves, leur participation active à l’élaboration et à la réalisation du complot criminel. Le fait que ces accusés aient perpétré leurs crimes alors qu’ils étaient revêtus de l’uniforme militaire, non seulement ne constitue pas une circonstance atténuante, mais, me semble-t-il, aggrave singulièrement leur responsabilité.

Comment pourraient-ils invoquer pour se justifier le « devoir du soldat », « l’honneur de l’officier », « l’obligation d’exécuter les ordres » ? Comment concilier avec « le devoir du soldat » et « l’honneur de l’officier » les fusillades sans jugement des prisonniers de guerre, les marques au fer rouge et l’extermination en masse de femmes, de vieillards et d’enfants ?

La seule explication véritable et réelle de ce fait stupéfiant que ces généraux et ces amiraux se soient livrés à des actes répugnants qui, par leur nature, sont des crimes de Droit commun, réside dans le fait que ce sont des généraux et des amiraux de formation hitlérienne. Ce sont des gens d’une espèce particulière. Ce sont des fascistes en uniforme militaire, dévoués corps et âmes au régime nazi.

C’est précisément ainsi qu’il convient d’expliquer que Hitler les ait rattachés à sa personne et les ait gardés si longtemps parmi ses collaborateurs. C’est ainsi seulement que l’on peut expliquer qu’ils aient collaboré avec Hitler dans la perpétration de crimes dont l’ignominie est sans exemple dans l’Historié. Ils s’accordaient à merveille et se comprenaient parfaitement.

Passant maintenant au groupe des militaires, j’aimerais naturellement commencer par l’accusé Wilheim Keitel. Keitel occupa une situation dirigeante dans la machine de guerre hitlérienne dès les premières années de son organisation. L’avocat de Keitel a reconnu que « le décret (du 4 février 1938) valut à Keitel une belle distinction : il fut nommé chef du Haut Commandement de la Wehrmacht ». Et, un peu plus loin : « ... La portée réelle du travail de Keitel était considérable... C’était une tâche immense et ingrate, misérablement récompensée par une position brillante dans l’entourage immédiat du Chef du Gouvernement ».

A la lumière de tous les événements qui ont suivi, il faut considérer que la première étape des guerres d’agression imminentes fut constituée par tout ce qui se rapportait au réarmement secret de l’Allemagne après le Traité de Versailles.

Il est difficile de minimiser l’importance de tout le travail accompli à cette époque, au sein de la Commission des experts, par le colonel Keitel qui, avec méthode et ténacité, cherchait et trouvait le moyen de tourner ou de violer franchement le traité. Ce fut en particulier, le colonel Keitel, et personne d’autre, qui indiqua qu’à Genève on pouvait tout dire, à condition de ne pas laisser de traces écrites.

Cette déclaration cynique correspond parfaitement au rôle joué ensuite par Keitel dans la préparation et la réalisation des guerres d’agression.

Lors des entretiens de Hitler avec Schuschnigg, ce fut la présence de Keitel qui rappela à tous que l’Allemagne était disposée à recourir aux armes.

Keitel donna aux troupes l’ordre de mouvement sur la Tchécoslovaquie, tandis que le Président Hacha était perfidement convoqué à Berlin « afin de poursuivre les négociations ».

L’OKW, et non une autre organisation, était prêt par l’intermédiaire de l’Abwehr, à provoquer un incident de frontière avec la Tchécoslovaquie afin de justifier l’entrée des troupes allemandes, prêtes à envahir le territoire tchèque.

Par un mémorandum absolument secret, Keitel ordonna à Hess et à Himmler d’informer par avance l’OKW de toutes les mesures appliquées par les organisations du Parti ou de la Police qui n’étaient pas prévues par le plan « Grùn ».

C’était un mensonge absolu que de déclarer que l’Allemagne, après l’annexion de la Tchécoslovaquie, n’avait plus aucune revendication en Europe. L’occupation de la Tchécoslovaquie n’était qu’un maillon dans la chaîne des guerres d’agression.

Je voudrais souligner le rôle essentiel joué par l’OKW dans les préparatifs des agressions mêmes. Nous connaissons l’ordre relatif à la guerre et à l’invasion de la Pologne : c’est l’ordre de Keitel et de Hitler du 10 mai 1939. Il était adressé au commandement de la Luftwaffe, de la Marine et des Armées de terre. Comment peut-on, après cela, soutenir que l’OKW n’était pas à la tête de toutes les Forces armées du Reich fasciste ?

Si l’on examine encore une fois les documents qui se rapportent à l’agression allemande contre la Norvège, le Danemark, la Belgique, la Hollande, le Luxembourg, la Yougoslavie et la Grèce, nous retrouvons le nom de Keitel. Il apparaît tantôt comme un participant aux événements les plus importants, tantôt comme l’auteur d’ordres secrets adressés à Raeder, à Göring et à l’État-Major général. Nous retrouvons également les initiales autographes de Keitel et de Jodl sur l’ordre secret, signé par Hitler, relatif à l’exécution de l’opération « Marita ».

On a beaucoup parlé ici du plan « Barbarossa » et de ses auteurs. Il importe de souligner à ce propos que ce document est né au sein de l’OKW, sur l’initiative directe de cette organisation et que les méthodes élaborées pour la traîtresse agression contre l’URSS en sont également l’œuvre.

Chacun comprend ce que représente le paraphe d’un spécialiste militaire sur un document.

Certains accusés ont essayé de donner une explication mensongère de l’agression contre l’URSS, en disant qu’elle était destinée à prévenir la guerre. Ces déclarations sont à tel point absurdes et en contradiction avec les preuves irréfutables établies par le Tribunal d’après des documents allemands que je ne crois pas qu’il soit nécessaire ici de faire perdre du temps au Tribunal.

L’avocat de Keitel a déclaré que la défense de cet accusé partait du point de vue que Keitel « luttait non pour sauver sa tête, mais pour sauver la face ».

Je voudrais aider le Tribunal à reconnaître le vrai visage de Keitel. Pour cela, il faut que je vous rappelle certains ordres de Keitel qui, en vérité, occuperont une des premières places parmi les infâmes documents prouvant le caractère inhumain de la soldatesque allemande, ses bassesses et son mépris infiniment vil de toutes les conceptions et de toutes les règles et usages de la guerre.

Commençons par les documents relatifs à l’exécution par fusillade des commissaires politiques. Keitel, ce soldat, comme il se plaisait à se désigner, a, au mépris de son serment, menti sans vergogne au Ministère Public américain, lors de l’interrogatoire préliminaire, en affirmant que cet ordre avait un caractère de représailles d’une part, et que, d’autre part, les commissaires politiques étaient séparés des autres prisonniers de guerre, à la demande même de ces derniers. Devant le Tribunal, il a été démasqué. La présentation du document URSS-351 (PS-884) a prouvé que cet ordre avait été promulgué avant le début des hostilités. Nous avons également déposé un document sous le numéro UESS-62, texte d’une lettre de prisonniers de guerre allemands. Ce document montre comment, dès avant l’agression contre l’URSS, les troupes en campagne avaient reçu des instructions sur l’extermination obligatoire des femmes-soldats soviétiques et de l’organisation politique.

Et que dire de cette phrase, terrible par son cynisme sans bornes :

« La vie humaine, dans ces pays, vaut moins que rien... On ne peut obtenir un effet d’intimidation qu’en recourant à des moyens d’une brutalité inouïe. »

Et le décret portant institution des cours martiales, dans le secteur « Barbarossa », en. date du 13 mai 194l ? Et l’ordre du 16 octobre 1941 ordonnant l’exécution de quatre-vingts à cent communistes pour chaque Allemand abattu ? Que pouvait dire Keitel, ici, au sujet du document connu sous le nom de « Nacht und Nebel » ?

Ce sont là des documents sanglants. Personne ne peut calculer combien de milliers de prisonniers, soldats et officiers de l’Armée rouge, ont été tués et torturés dans les camps de l’Allemagne fasciste. Vous vous rappelez comment, lors de l’audience de l’après-midi du 21 janvier 1946, le témoin Lampe a raconté que l’exécution par fusillade de cinquante officiers soviétiques au camp de Mauthausen avait été un divertissement pour Himmler. Vous vous souvenez des dépositions du témoin Blaha, qui a dit comment, au printemps de 1944, on avait d’abord torturé, puis mis à mort, quatre-vingt-quatorze officiers supérieurs soviétiques qui s’étaient refusés à fournir des renseignements d’ordre militaire. Je voudrais rappeler encore les déclarations du SS Paul Waldmann sur l’exécution de 840 prisonniers de guerre soviétiques. Vous vous souvenez de cette chaîne d’humiliations et de souffrances imposées à tous les Soviétiques tombés dans les geôles allemandes, qu’a décrites le témoin Kivelischa ?

Et puis-je passer sous silence l’ordre de Keitel prescrivant de faire marquer au fer rouge les prisonniers de guerre soviétiques ?

Il ne faut pas non plus oublier l’ordre de Keitel du 16 décembre 1942. Il porte le titre de « Lutte contre les bandes ». Par « bandes », l’accusé Keitel entend tous les mouvements de résistance, et il exigeait que les armées usassent sans réserve des méthodes les plus rigoureuses, entre autres, à l’égard des femmes et des enfants.

Le Ministère Public soviétique a déposé sous le numéro URSS-162 la déclaration de Le Court. Le Court a déclaré qu’il avait fusillé et brûlé des citoyens soviétiques et qu’il avait incendié leurs maisons. Il a, de ses propres mains, exécuté 1.200 personnes. En récompense de quoi, il s’est vu décerner, par anticipation, le grade de caporal-chef et a été décoré de la médaille de l’Est. Il agissait conformément aux ordres de Keitel. Le décret de Keitel introduisant les cours martiales dans le secteur « Barbarossa » assurait l’impunité de ces hommes. C’est sur Keitel que retombe le sang des victimes de Le Court et de ses semblables.

C’est en appliquant l’ordre de Keitel, selon lequel la vie humaine dans les pays de l’Est ne valait rien, que les soldats et les officiers de l’Allemagne hitlérienne perpétraient leurs crimes.

Le Ministère Public a déposé le document URSS-51 qui montre comment, le 28 août 1941, les troupes allemandes montant à l’attaque poussaient devant leurs formations des femmes, des enfants et des vieillards. Et comment, dans le village de Kolpino, après avoir forcé les ’paysans à leur construire des ponts et des fortifications, les fascistes fusillèrent tout le monde.

En Yougoslavie, l’exécution massive d’otages par fusillade devint une pratique quotidienne du commandement et de l’administration militaires.

Dans le rapport secret du 15 février 1940 adressé à Göring, l’OKW justifie la prise d’otages.

Je voudrais terminer par le document URSS-356 (EC-338). Messieurs, vous vous souvenez de ce document. Il contient un rapport de l’amiral Canaris rendant compte à Keitel des abus qui règnent dans les camps de prisonniers de guerre, de la faim, des exécutions massives des prisonniers de guerre soviétiques. L’espion fasciste rompu à tout qu’était Canaris redoutait la responsabilité et ne pouvait fermer les yeux sur ces abus et cette violation flagrante de toutes les lois et de tous les usages de la guerre universellement reconnus.

Vous vous souvenez également de la mention que Keitel porta en marge de ce rapport : « J’approuve et prends la responsabilité de ces mesures ».

Lors du contre-interrogatoire du 6 avril 1946, j’ai posé à l’accusé Keitel la question suivante :

« Je vous demande, accusé Keitel, qui passez pour Feldmarschall et qui, devant ce Tribunal, avez affirmé à plusieurs reprises que vous étiez un soldat, si, dans votre résolution altérée de sang, de septembre 1941, vous avez reconnu et approuvé l’assassinat des soldats désarmés tombés entre vos mains ? ».

Keitel a été forcé de reconnaître ce fait.

Cette seule résolution suffit à révéler entièrement le vrai, l’authentique visage du Feldmarschall Keitel. Aucune des déductions subtiles de la Défense ne pourra dégager la responsabilité de Keitel pour le sang versé et la vie d’innombrables êtres humains, supprimés par la main de la soldatesque fasciste, agissant sur les ordres et les décrets signés du nom de l’accusé Keitel.

LE PRÉSIDENT

Nous allons suspendre l’audience.

(L’audience est suspendue.)
GÉNÉRAL RUDENKO

L’accusé Alfred Jodl porte la même responsabilité que l’accusé Keitel, en tant que remplaçant de ce dernier et en tant que le plus proche conseiller militaire de Hitler.

Tout ce qui concerne la préparation et la mise à exécution des plans d’agression de l’Allemagne hitlérinne est indissolublement lié au nom de Jodl comme à celui de Keitel. Il n’est pas indispensable d’énumérer à nouveau tous les actes d’agression de l’Allemagne hitlérienne qui sont maintenant suffisamment connus, et dont chacun a été conçu et réalisé avec la coopération directe de l’accusé Jodl.

Je veux, en tant que représentant de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, souligner encore une fois que le plan criminel de l’agression perfide contre l’Union Soviétique, appelé par les hitlériens du nom du conquérant par excellence, Frédéric Barberousse, porte en même temps que les signatures de Hitler et de Keitel, la signature de l’accusé Jodl. Mais il s’agit de plus que d’une simple signature.

En 1940 déjà, à Reichenhall, Jodl a tenu la première conférence des officiers de son État-Major, au cours de laquelle fut discutée l’éventualité d’une attaque de l’Allemagne hitlérienne contre l’Union Soviétique.

C’est l’accusé Jodl qui, bien avant l’agression contre l’URSS, avait rédigé les célèbres « Directives sur l’utilisation de la propagande ’dans le secteur Barbarossa ». Dans ces directives, il était clairement indiqué que « pour l’instant, il ne convenait pas de procéder à une propagande visant au démembrement de l’Union Soviétique ».

De cette façon, l’accusé Jodl connaissait à l’avance les buts véritables de l’agression de l’Allemagne, le caractère de pillage et de conquête de la guerre qui prévoyait le démembrement de l’Union Soviétique.

C’est lui, Jodl, qui participa à la préparation et à l’organisation de l’incident de frontière tchécoslovaque qui devait provoquer et justifier l’agression de l’Allemagne hitlérienne contre ce pays pacifique.

C’est Jodl qui a signé l’ordre du 28 septembre 1938 au sujet de l’utilisation du corps franc Henlein, dans le cas de la réalisation du plan « Grün ».

Les paroles de l’accusé Jodl au sujet de « l’honneur de soldat » rendent un son grotesque quand on lit son ordre concernant la destruction de Leningrad, de Moscou et d’autres villes de l’Union Soviétique.

Le même Jodl, lors d’une conférence chez Hitler le 1er décembre 1941, affirmait avec un cynisme inégalable que les troupes allemandes pouvaient impunément « pendre, pendre la tête en bas, écarteler » les patriotes soviétiques.

Le plus proche collaborateur militaire de Hitler qui a participé directement à la préparation et à la mise à exécution de tous les plans sanglants d’agression de l’Allemagne hitlérienne, l’accusé Jodl, occupe à bon droit une place de choix parmi les principaux criminels de guerre allemands.

Mon collègue britannique a démontré la culpabilité des accusés Karl Dönitz et Erich Raeder d’une façon tellement convaincante et détaillée que je ne vois pas la nécessité de m’arrêter particulièrement à ces Grands-Amiraux de l’Allemagne hitlérienne qui ont taché leurs uniformes de l’opprobe des crimes les plus monstrueux.

Lors de son interrogatoire par le Ministère Public soviétique, Dönitz a déclaré qu’il ne voyait pas clairement les raisons pour lesquelles Hitler l’avait choisi pour son successeur. Je ne pense pas que Dönitz soit absolument sincère en disant cela. Il convient simplement de se reporter au procès-verbal de l’audience du 8 mai et des jours suivants pour comprendre, même sans l’aveu de Dönitz, pourquoi il est devenu le successeur de Hitler au moment même où le navire du Reich hitlérien sombrait. Ce qui importait, ce n’était pas d’avoir un amiral à un tel moment ; mais seul le Grand-Amiral nazi Dönitz pouvait, dans l’opinion de Hitler, qui venait de quitter la scène, faire quelque chose pour sauver le navire qui sombrait.

Sous Hitler, Dönitz commandait la flotte sous-marine du Reich allemand. Nous nous souvenons le rôle qu’a joué, dans cette guerre, la flotte sous-marine allemande. A ce propos, il convient de souligner que Dönitz lui-même était fier d’être l’auteur de ce qu’on a appelé la « tactique de la meute ». Les citoyens soviétiques n’ont pas oublié la façon dont les sous-marins de Dönitz coulaient dans la Baltique et la mer Noire les navires-hôpitaux et les bateaux sur lesquels étaient évacués des habitants pacifiques, des femmes et des enfants.

Le dernier chef de l’État hitlérien doit, l’un des premiers, porter la responsabilité des crimes qui ont amené les principaux criminels de guerre devant ce Tribunal Militaire International.

Le nom de Raeder est lié à la monstrueuse directive sur l’anéantissement de Leningrad.

Au cours des débats, Raeder a essayé de jouer le rôle du « soldat d’honneur ». Mais le seul fait que ce soit justement lui qui, avec Hitler et Keitel, ait projeté d’« effacer Leningrad de la surface de la terre » et d’exterminer la population de plus de 3.000.000 d’habitants de cette grande ville, dont le nom est indissolublement lié au développement de la culture humaine et de l’Histoire fait de Raeder l’un des plus importants des criminels de guerre.

Raeder a participé à l’élaboration de tous les principaux plans d’agression du fascisme allemand. Ce participant au criminel complot fasciste doit par conséquent subir, autant que ses autres complices, un juste châtiment.

L’accusé Ernst Kaltenbrunner a été celui que Himmler a estimé mériter le plus d’être nommé à la place du bourreau Heydrich qui avait été exécuté par les patriotes tchèques.

Le 30 janvier 1943, il a été nommé chef de l’Office principal de la Sécurité du Reich (RSHA) et du SD.

Grâce au grand nombre de documents déposés, en particulier les ordres signés par Kaltenbrunner pour l’envoi en masse de gens dans les camps de concentration, grâce aux dépositions de ses subordonnés, parmi lesquelles la déposition de l’ancien chef de la Direction générale des renseignements (Amt VI), Walter Schellenberg, et les déclarations du chef du service secret intérieur (Amt III ou SD), Otto Ohlendorf, on a la conviction absolue que Kaltenbrunner a commis les crimes les plus lourds.

Au cours de l’audience du 12 avril 1946, au moment de l’interrogatoire de Kaltenbrunner, on a lu la déposition de Johann Kandutor, ancien interné de Mauthausen. Dans sa déposition, Kandutor raconte l’emploi du temps de Kaltenbrunner pendant sa visite du camp :

« Kaltenbrunner a considéré en souriant les chambres à gaz. On a ensuite amené des gens des baraques pour être exécutés, et on a procédé alors à la démonstration des trois genres d’exécution : pendaison, coup de revolver dans la nuque et empoisonnement par les gaz. »

Je ne m’arrêterai pas aux nombreuses preuves que nous possédons ; elles ont été suffisamment mises en évidence devant le Tribunal. Mais j’estime cependant nécessaire de m’arrêter à l’une des accusations qui ont été portées contre Kaltenbrunner.

Avec d’autres services du RSHA, Kaltenbrunner a pris en charge les cinq « Einsatzgruppen » de Heydrich. Les citoyens de l’Union Soviétique se souviennent bien de ces organisations cruelles du fascisme allemand dirigées par Kaltenbrunner.

L’« Einsatzgruppe A » arriva jusqu’aux abords de Leningrad. C’est lui qui a organisé « la forteresse de la mort n° 9 », près de Kovno, les lieux secrets d’extermination massives de Panarai ; c’est lui qui a procédé aux exécutions des forêts de Salaspilsk et de Bikerneksk aux environs de Riga ; c’est lui qui a dressé des potences dans les parcs de Pouchkine, l’une des banlieues de Leningrad.

« L’Ein&atzgruppe B » s’est arrêté devant Smolensk. C’est lui qui a brûlé vivants les paysans de Russie Blanche ; c’est lui qui a fusillé les gens au cours de la terrible action de Pinsk ; c’est lui qui a noyé des milliers de femmes et d’enfants biélorusses dans les lacs de Masurie. C’est lui qui a exécuté par le gaz dans les camions à Minsk ; c’est lui qui a liquidé le ghetto dans le quartier de Verchnye Sadka à Smolensk.

« L’Einsatzgruppe C » a régné en despote à Kiev. Ce groupe a exécuté une action massive d’une cruauté sans exemple dans le « Babij Jar », près de Kiev, où, en un seul jour, 100.000 citoyens soviétiques furent anéantis.

« L’Einsatzgruppe D » a reçu en partage les régions Sud des territoires momentanément occupés de l’Union Soviétique. Ce groupe, pour la première fois, a expérimenté des camions à gaz pour anéantir des citoyens soviétiques dans les régions de Stavropol et de Krasnodar.

En décidant du sort de Kaltenbomner, on ne peut pas oublier ces gens poussés dans les camions à gaz à Stavropol, enterrés vivants dans des tombes près de Kiev et de Riga, brûlés vifs dans les villages en flammes de la Russie Blanche.

Sa conscience souillée porte le poids de ces innocentes victimes. Successeur d’un bourreau et bourreau lui-même, Kaltenbrunner a rempli les fonctions les plus écœurantes dans le plan criminel de la clique hitlérienne.

Je passe aux preuves de la culpabilité et de la responsabilité de l’accusé Rosenberg. Quelques efforts que fasse Rosenberg pour diminuer son rôle et son importance, de quelque façon qu’il dispose les faits historiques et les événements, il ne pourra nier qu’il était le philosophe officiel de l’idéologie du parti nazi, qu’il y a un quart de siècle seulement, il avait posé les fondements « théoriques » de l’État hitlérien fasciste et que, pendant cette période, il a pourri moralement des millions d’Allemands en préparant « idéologiquement » ces crimes monstrueux et sans précédent dans l’Histoire, que les hitlériens ont commis et qui constituent l’objet de ce Procès.

Quand, au cours des débats, l’on a posé à Rosenberg la question :

« Vous étiez l’un des plus proches collaborateurs du Führer ? » il n’a même pas répondu calmement, mais s’est écrié : « Non, ce n’est pas vrai, je ne l’ai jamais été ». Mais Rosenberg a beau renier son « Führer », il ne pourra jamais laver l’infamie d’avoir été « l’un des plus anciens et des plus fidèles compagnons de lutte de Hitler ». Pendant vingt-cinq ans, Rosenberg a, d’abord en collaboration, ensuite sous la direction de Hitler, élaboré et aidé à la réalisation des plans insensés de domination mondiale, en choisissant pour justifier ces plans criminels la théorie raciste, pleine de haine contre l’Humanité.

Quelle importance peut avoir pour la question de la responsabilité et de la culpabilité de Rosenberg le fait qu’il ait utilisé à ses fins les déchets de la science et qu’il ait emprunté quelque chose à Karl Lueger, Paul Lagarde, au comte Gobineau, à Oswald Spengler et Arthur Moller.

Ce qui importe, c’est que Rosenberg, après avoir rassemblé ces déchets « scientifiques », a poussé toutes les idées raciales jusqu’aux limites de la folie raciste et a élevé dans cet esprit les membres du parti nazi et la jeunesse allemande. Et quand les représentants de la race des seigneurs préparaient et accomplissaient des actes d’agression, quand les troupes d’occupation allemandes réduisaient en esclavage et anéantissement des nations et des peuples, quand des usines de la mort étaient créées à Maidanek et Auschwitz, à Treblinka et à Cheimno, Rosenberg portait une grande part de responsabilité pour tout cela.

C’était là le résultat de l’idéologie raciale fasciste dont le principe essentiel était que la race « aryenne, germano-nordique... » constituait la « race des seigneurs », tandis que les autres races et nations appartenaient à des « races inférieures ».

L’avocat de Rosenberg dit : « Le Tribunal doit s’occuper de crimes et non d’idéologies ». Cet argument n’est vraiment pas probant dans le cas de Rosenberg. Car Rosenberg a non seulement professé, mais il a consciemment répandu et implanté dans l’esprit du peuple allemand cette théorie raciste qui est devenue une véritable menace pour l’existence des pays démocratiques d’Europe. Le porteur de microbes doit être isolé, mais celui qui répand consciemment les microbes doit être jugé.

L’activité criminelle de Rosenberg ne se borne pas à la préparation idéologique d’une agression et à des sermons sur la haine contre l’Humanité. Elle est très diverse.

Au cours de ce Procès, on a déjà suffisamment éclairé l’activité du service de politique extérieure de la NSDAP, dont dépendait un réseau d’organisations nazies semi-légales à l’étranger que Rosenberg avait dirigé pendant de longues années. L’influence de cette organisation sur les mesures de la politique extérieure de l’Allemagne hitlérienne et sur le déclenchement de guerres d’agression est très grande.

Dans l’un des documents présentés par le défenseur de von Neurath et admis par le Tribunal, il est dit expressément :

« ... A un moment donné, il a existé à Berlin trois sortes de ministères des Affaires étrangères : le ministère de M. Rosenberg, le ministère de M. von Ribbentrop et le ministère officiel de la Wilhelmstrasse ».

Enfin, Rosenberg lui-même parle de son influence réelle sur la politique extérieure de l’Allemagne hitlérienne et de ses « mérites » dans ce domaine, dans une lettre à Hitler, du 6 février 1938, dans laquelle il lui demande de le nommer membre du Conseil de cabinet secret.

Je ne vois pas la nécessité d’analyser toute l’activité criminelle de Rosenberg et j’ai l’intention seulement de m’arrêter brièvement sur son activité en qualité de « délégué du Führer » d’abord, et de ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est, ensuite. C’est dans ce domaine que Rosenberg s’est montré le participant le plus actif de la conspiration criminelle.

Rosenberg déclare qu’il était opposé à la guerre avec l’URSS, qu’il n’avait appris par Hitler les préparatifs d’une agression contre l’Union Soviétique que lorsque tous les ordres militaires avaient déjà été donnés et qu’il n’avait jamais eu d’influence réelle sur la politique extérieure de l’Allemagne hitlérienne. J’affirme, Messieurs les juges, que toutes ces déclarations de Rosenberg n’ont rien de commun avec la réalité.

Il est bien connu que la politique extérieure des nazis, exposée dans le numéro du Nouvel an de 1921 du Völkischer Beobachter, commence par le plan d’une croisade de l’Allemagne contre la Russie soviétique et que l’auteur de cette politique est Alfred Rosenberg. C’est lui qui, avec Hitler, inspiré par Ludendorff et Rechberg, s’occupait de la propagande en matière de politique extérieure en vue de la création d’une Europe continentale antisémite, anti-bolchevique et anti-anglaise.

Les discours de Rosenberg proposant un plan d’« échange » du Corridor polonais contre l’Ukraine, ses voyages « diplomatiques » dans plusieurs pays, après l’arrivée au pouvoir des fascistes, ses tentatives maladroites de réaliser le programme de politique extérieure des nazis, étaient largement exposés dans la presse.

L’on voit, d’après les documents présentés, l’activité fébrile que Rosenberg a déployée en avril 1941, pendant la période précédant immédiatement l’agression de l’Allemagne contre l’URSS, quand il avait été nommé « délégué du Führer pour le contrôle central des problèmes concernant les régions de l’Est européen ».

Quinze jours avant sa nomination, le 7 avril 1941, Rosenberg proposa à Hitler de diviser l’Union Soviétique en commissariats du Reich et de nommer des administrateurs fascistes dans les régions occupées. Dans les propositions de Rosenberg figurent la Biélorussie et l’Ukraine, Minsk et Kiev, Rostov et Tiflis, Leningrad et Moscou. Et au poste de Commissaire du Reich à Moscou, Rosenberg recommande le tristement célèbre Erich Koch.

Nous avons entendu parler des conversations de Rosenberg avec Brauchitsch et Raeder, de ses conférences avec Funk, avec le général Thomas, le secrétaire d’État Backe, etc., sur les questions de l’exploitation économique des régions de l’Est ; de ses pourparlers avec Ribbentrop, avec le chef d’État-Major des SA, avec le chef du contre-espionnage allemand, l’amiral Canaris. Un mois et demi déjà avant l’agression contre l’URSS, il rédigea une ordonnance destinée à tous les Commissaires du Reich dans les régions occupées de l’Est, dans laquelle il prévoyait déjà un « Commissariat du Reich pour la Russie », un « Commissariat du Reich pour le Caucase », tandis qu’il incluait la république de Biélorussie dans le « Commissariat du Reich Ostland ».

Rosenberg essaie de nous faire croire qu’il ne partageait pas les buts de conquête et de pillage de la guerre contre l’URSS, mais qu’en qualité de ministre des Territoires occupés de l’Est, il aurait été le bienfaiteur des populations de ces régions. Il le prétend après avoir indiqué dans sa directive au Commissaire du Reich pour la Baltique et la Biélorussie que son dessein est « ... la création d’un protectorat allemand avec le but de transformer plus tard ces régions en parties intégrantes du Grand Reich allemand, par la germanisation des éléments adéquats au point de vue racial, la colonisation par les représentants de la race germanique et l’anéantissement des éléments indésirables ».

Il le prétend après que, dans une autre directive de Rosenberg sur les tâches de l’administration civile dans les régions occupées de l’Est, on peut lire les recommandations suivantes :

« La première tâche... est de servir les intérêts du Reich. Les clauses de la Convention de La Haye sur la conduite de la guerre sur terre ne sont pas applicables, car l’URSS doit être considérée comme anéantie. .. C’est pourquoi on peut également admettre toutes les mesures que l’administration allemande jugera nécessaires ou commodes. »

Rosenberg s’est dépêché de déclarer que l’URSS était détruite, mais il a fait une erreur et a trahi ses intentions les plus secrètes. Mais ce document constitue une preuve irréfutable qui repousse toutes les tentatives de l’accusé en vue de rejeter la responsabilité des crimes monstrueux commis par les envahisseurs germano-fascistes dans les territoires occupés de l’URSS sur des fonctionnaires et agents de la police isolés, sur Koch et sur Himmler.

C’est Rosenberg qui a permis de fouler aux pieds les décisions de la Convention de La Haye et d’appliquer toutes les mesures qui seraient commodes. Lorsque Koch, pour sa propre commodité, anéantissait la population de toute la région de Zuman, il agissait dans l’esprit de cette directive de Rosenberg.

Rosenberg a parlé ici de ses divergences de vues avec Koch : il s’en tenait, a-t-il dit, à une politique humanitaire et importait même des machines agricoles.

Même si Rosenberg protestait quelquefois contre les agissements de Koch, il ne le faisait que parce qu’il en redoutait la révélation prématurée et parce qu’il craignait de voir les constantes humiliations infligées par Koch au peuple ukrainien renforcer le mouvement de résistance. Ce n’est pas par humanité, mais par crainte, que Rosenberg agissait ainsi. La véritable politique de Rosenberg se trouve exposée dans beaucoup de documents, qui sont maintenant connus du monde entier, et qui se trouvent dans les dossiers du Tribunal.

Dans une note officielle au Führer du 16 mars 1942, Rosenberg parlait des buts de la politique allemande dans les territoires occupés de l’URSS et, avant tout, en Ukraine. C’étaient « l’exploitation des minerais utiles, la création, dans certaines régions, de colonies allemandes ; aucun développement artistique ou intellectuel de la population, dont on ne cultivera que les capacités au point de vue main-d’œuvre ».

Dans son rapport sur la réorganisation du Caucase, Rosenberg écrivait :

« Le problème de l’« 0stland » consiste à transplanter les peuples baltes sur le terrain de la culture allemande et à préparer, pour l’Allemagne, des frontières militaires conçues sur une grande échelle. La tâche de l’Ukraine est d’assurer des produits alimentaires à l’Allemagne et à l’Europe, et des matières premières au continent. La tâche du Caucase est, avant tout, une tâche politique, l’agrandissement de l’Europe continentale, dirigée par l’Allemagne, de l’isthme du Caucase vers le proche Orient ».

Je voudrais enfin rappeler que c’est Rosenberg, et non un autre, qui, parlant à réunion du Front du Travail allemand, disait au sujet de la politique dans les territoires occupés de l’URSS :

« Sans doute en annexant ces peuples, l’arbitraire et la tyrannie seront une forme de Gouvernement tout à fait convenable. »

La Défense affirme que Rosenberg et son « Einsatzstab » s’occupaient non pas de pillages des valeurs intellectuelles, mais de leur préservation. Cela non plus n’est pas conforme à la vérité- Comme on l’a établi par les nombreux documents cités devant le Tribunal, dès avril 1941, c’est-à-dire plus de deux mois avant l’agression contre l’URSS, Rosenberg préparait des commandos spéciaux, créait des États-Majors, mettait au point les plans d’enlèvement des valeurs culturelles de l’URSS.

Le 16 octobre 1941, Rosenberg indique, dans sa lettre à Hitler :

« Maintenant, j’ai donné l’ordre au même Einsatzstab analogue de mon service de procéder, dans les territoires de l’Est occupés, au travail qui a été accompli à l’Ouest... Possédant un tableau général, on peut, de cette façon, satisfaire à tous les désirs et aux exigences justifiées des services du Grand Reich allemand. Sur cette base, j’aurai pris sur moi, également, la garantie de ce que toutes les œuvres d’art qui peuvent être utilisées, mon Führer, pour vos plans personnels, qui touchent le musée de Linz et d’autres musées, puissent véritablement être utilisées à ces fins. »

Le 17 octobre 1944, Rosenberg écrivait à Lammers que, pour le transport des biens prévus par ses organisations, il avait fallu 1.418.000 wagons et que 427.000 tonnes avaient, de plus, été transportées par voie d’eau. Dans la même lettre, Rosenberg écrivait que, sur ces marchandises saisies, 9.000 wagons remplis de machines agricoles et autres avaient été envoyés en Allemagne. Et après cela, il ose parler des quelques machines qu’il prétend avoir importées en Ukraine.

Et enfin, la théorie grotesque du prétendu « antisémitisme chevaleresque » de Rosenberg. Il serait vain d’entamer une polémique avec le défenseur de Rosenberg quand il affirme qu’il existe un « antisémitisme chevaleresque », et à plus forte raison avec Rosenberg lui-même. Dans ma déclaration devant le Tribunal, j’ai souligné ce que la plaidoirie impliquait de propagande fasciste. Je voudrais maintenant rappeler au Tribunal la teneur de deux documents de Rosenberg.

Dans sa directive du 29 avril 1941, il écrit :

« La solution définitive du problème juif sera pour le moment poursuivie au moyen de méthodes temporaires : asservissement des Juifs, établissement de ghettos, etc. »

C’est d’une façon encore plus cynique, encore plus ouverte que Rosenberg, alors ministre des Territoires occupés de l’Est, s’exprime en 1942 à une réunion du Front allemand du Travail ;

« Nous ne devons pas » — dit Rosenberg — « nous satisfaire de ce que les Juifs seront transportés dans d’autres pays et du fait que, peut-être, dans tel ou tel endroit, sera constitué un grand ghetto juif. Non. Notre but doit rester le même. Le problème juif ne sera résolu pour l’Europe et pour l’Allemagne que lorsqu’il ne restera plus un Juif sur le continent européen. »

Et toutes ces opérations « Kottbus » pour l’extermination des Juifs dans les Républiques Baltes, en Ukraine et en Russie Blanche, tout cela se faisait sur la base des directives de Rosenberg et avec son accord.

En 1937, Rosenberg a reçu le prix national allemand. A cette occasion, la presse allemande disait de lui :

« Alfred Rosenberg a brillamment contribué par son livre à poser les bases scientifiques et idéologiques, à renforcer et à consolider la philosophie nationale-socialiste. Seul, l’avenir saura pleinement apprécier la profonde influence de cet homme sur les bases philosophiques de l’État national-socialiste. »

Et cet avenir est devenu le présent. Je suis convaincu que le Tribunal saura apprécier à sa juste valeur, non seulement l’influence de Rosenberg « sur les bases philosophiques de l’État national-socialiste », mais aussi son rôle actif dans tous les crimes contre la Paix et contre l’Humanité, perpétrés par les hitlériens.

Juriste de formation, l’accusé Hans Frank était celui qui aimait à parler de la renaissance de l’ancien Droit allemand, des principes de la justice pour les élus, et du droit des élus à l’extermination des peuples et des États.

En 1939, c’est justement à cet homme, qui sapait depuis longtemps déjà la pensée juridique allemande, que Hitler confia les destinées de la Pologne asservie.

Frank arriva en Pologne afin de réaliser d’une façon pratique, sur le territoire d’un pays, lourd d’un passé historique et doté d’une culture propre extrêmement élevée, le programme de la mise en esclavage et de l’anéantissement du peuple que les hitlériens considéraient comme à tout jamais soumis.

Je voudrais rappeler au Tribunal quelques déclarations de Frank se rapportant aux premiers mois de son séjour en Pologne et extraites de son journal. Il me paraît peu nécessaire d’entamer une polémique avec son défenseur sur la force probante de ce document. Frank lui-même a déclaré que « c’était un document d’importance historique », et à la question : « Toutes les affirmations contenues dans ce journal sont-elles justes ? », il répondit : « Cela correspond entièrement à tout ce que je sais ».

Le 19 janvier 1940, Frank déclarait avec une sincérité cynique, lors de la réunion des directeurs de services :

« Le 15 septembre 1939, j’ai reçu la mission d’assumer l’administration des régions conquises de l’Est et l’ordre extraordinaire d’exploiter sans pitié cette région devenue zone et prise de guerre et d’en faire un amas de ruines au point de vue économique, social, culturel et politique. »

Le 31 octobre 1939, en présence de Goebbels, lors de la conférence des collaborateurs principaux du Gouvernement Général, il déclarait :

« Il faut, de la façon la plus nette, faire la différence entre le peuple allemand, race des seigneurs, et les Polonais. »

Il se souvint alors de ce qu’était la culture polonaise pour laquelle, comme le disait ici le Dr Seidl, Frank s’était donné beaucoup de mal. D déclarait :

« On ne peut accorder aux Polonais que des possibilités d’éducation qui seront à même de leur démontrer tout le désespoir de la destinée de leur peuple. Il ne peut donc s’agir que des plus mauvais films ou de ceux qui font étalage de la grandeur et de la puissance des Allemands. »

Une des premières directives de Frank fut l’ordre relatif à l’exécution des otages. Puis les ordres similaires commencèrent à se compter par centaines et milliers jusqu’au moment où un terme leur fut apporté par la publication de la directive en date du 2 octobre 1943.

Le 10 novembre 1939, on rapporta à Frank que le jour de l’indépendance polonaise arrivait et que sur certaines maisons des affiches avaient été apposées rappelant aux Polonais leur fête nationale. C’est alors que fut mentionné dans le journal de Frank le commentaire suivant : « M. le Gouverneur Général a ordonné que dans chaque maison affichant un pareil placard, un habitant du sexe masculin soit fusillé. Le Polonais doit sentir que nous n’avons pas l’intention de construire pour lui un État régi par le Droit ».

Le court passage du discours de Frank, lors de la réunion des directeurs des services du Gouvernement Général que nous venons de citer, caractérise bien ce « juriste » hitlérien et d’une façon bien plus expressive que les longs extraits de ses discours de parade que nous avons été obligés d’entendre ici.

L’activité criminelle de Frank en Pologne est à un tel point variée qu’il n’y a aucune possibilité dans un discours relativement bref de rappeler au Tribunal toutes les preuves innombrables de sa culpabilité, présentées dans cette salle et que les juges se rappellent encore probablement fort bien.

Mais, dans l’activité criminelle de Frank en Pologne, il faut relever l’essentiel, qui est en l’occurrence l’activité criminelle de Frank, assassin de millions de personnes.

Bien sûr, il a pillé ; il était délégué de Göring pour le Plan de quatre ans, et il a pillé « en remplissant sa mission ».

Il expédia plus de 2.000.000 de Polonais aux travaux forcés en Allemagne. Si l’on admet qu’en dehors de son avocat personne n’a étudié le journal de Frank, la Défense peut essayer de vous présenter l’accusé comme un ennemi des méthodes de recrutement forcé. Frank ne peut cependant se dérober devant des documents comme le procès-verbal de la conférence des directeurs des services en date du 12 avril 1940 ou les notes de la conférence avec le Gauleiter Sauckel en date du 18 août 1942 ou les notes sténographiques des conférences avec Bühler, Krüger et d’autres, le 21 avril 1940.

Il expédiait les gens en esclavage afin d’en tirer tout ce qui était possible dans les intérêts du Reich avant de les condamner à mourir.

Le régime établi en Pologne par Hans Frank fut un régime inhumain, au cours de toutes les phases de la présence des Allemands dans ce pays ; ce fut le régime de l’extermination de millions de personnes par des méthodes diverses, mais toutes pareillement criminelles.

Ce n’est pas par hasard, comme le Tribunal a pu s’en rendre compte par les récentes déclarations faites dans cette salle par l’ancien adjoint au maire de Smolensk, le professeur Bazilevsky, que les assassins germano-fascistes se réfèrent au régime établi en Pologne par Frank, pour exterminer dans la forêt de Katyn 11.000 officiers polonais prisonniers.

Je considère comme particulièrement important de souligner ici comment Frank se représentait sa politique à l’égard du peuple polonais après la guerre :

« J ’attire instamment l’attention sur le fait que » — disait Frank — « en cas de paix, rien ne sera changé à cette politique. Cette paix signifiera que nous accomplirons en tant que puissance mondiale — et cela d’une façon encore plus intensive — notre programme politique général. Elle signifiera également que nous aurons à coloniser sur une échelle encore plus vaste sans, toutefois, rien modifier en principe. »

Cela se disait en 1940 alors que Frank projetait son premier assassinat en masse des classes cultivées polonaises, ce qu’on appelait l’opération « AB ».

En 1944, lors de la conférence des dirigeants agricoles à Zakopane, Frank déclarait :

« Quand nous aurons gagné la guerre, les Polonais et les Ukrainiens et tout ce qui dépend d’eux pourront bien, quant à moi, être transformés en viande hachée... Advienne que pourra. »

« Il ne dépendait déjà plus de Frank qu’en 1944, songeant à la façon dont il transformerait les Polonais et les Ukrainiens en viande hachée, il fut obligé d’ajouter l’expression indéfinie « quand nous aurons gagné la guerre... » A cette époque, il ne pouvait déjà plus être aussi catégorique dans sa déclaration que le 2 août 1943 lorsqu’à la réception des orateurs de la NSDAP dans la salle royale du château de Gracovie, Frank déclarait au sujet de la destinée des Juifs polonais exterminés :

« Nous avons débuté ici avec 3.500.000 Juifs, et maintenant il n’en reste plus que quelques compagnies de travail. Tout le reste a, dirons-nous, émigré. »

Frank lui-même ainsi que son défenseur ont essayé d’affirmer que l’accusé ne savait rien de ce qui se passait dans les camps de concentration du Gouvernement Général. Et pourtant, dans ce même « rapport secret » adressé par Frank à Hitler, que la Défense s’est efforcée d’utiliser dans l’intérêt de Frank, on peut trouver la confirmation du fait que Frank était parfaitement au courant de ce qui se passait dans les camps de concentration. Il y est dit :

« La plupart des intellectuels polonais ne se laissent pas influencer par les nouvelles de Katyn et opposent aux Allemands les crimes semblables commis à Auschwitz. »

En outre, Frank cite cette phrase extrêmement caractéristique, qui décrit les réactions des travailleurs polonais devant les informations tendancieuses données par les Allemands sur Katyn :

« Il y a pourtant des camps de concentration à Auschwitz et à Maidanek, où l’on a effectué à la chaîne des exécutions massives de Polonais. »

Et plus loin :

« Aujourd’hui, malheureusement, c’est toute la communauté polonaise, et non plus seulement les intellectuels, qui compare Katyn à la mortalité massive dans les camps de concentration allemands et à l’exécution d’hommes, de femmes et même d’enfants et de vieillards lors de l’application de punitions collectives dans les régions. »

Après le « rapport secret » adressé à Hitler, Frank ne changea pas d’attitude. Bien au contraire, Frank prit cette ordonnance du 2 octobre 1943 que l’accusé lui-même, interrogé par son défenseur, a qualifiée de « terrible ». L’application de ladite ordonnance fit des milliers d’innocentes victimes. Le nombre de personnes exécutées ne cessait d’augmenter, jusqu’à atteindre à Varsovie le chiffre de deux cents exécutions simultanées. Il se produisait la même chose dans les rues de toutes les villes de Pologne où les tribunaux dits « de police » procédaient aux exécutions comme il était dit dans le texte de l’ordonnance même, c’est-à-dire immédiatement après la sentence. Les condamnés à mort étaient amenés sur le lieu de l’exécution, vêtus d’habits de papier, les lèvres collées par du sparadrap ou la bouche remplie de plâtre, épuisés par leur détention. A la séance du Gouvernement du 16 décembre 1943, à Cracovie, au cours de laquelle Frank constata avec satisfaction que les exécutions avaient eu « des conséquences favorables », on discuta en même temps d’une autre question. On lit au procès-verbal de cette conférence :

« Il faudrait peut-être envisager de créer des lieux d’exécution spéciaux, car il a été établi que la population polonaise afflue sur les lieux d’exécution accessibles à tous, recueille dans des récipients la terre saturée de sang et la porte dans les églises. »

La Défense s’est efforcée ici de parler des innombrables divergences de vues entre Frank et la Police, parce qu’il n’aurait pas été d’accord avec les agissements de celle-ci. Voyons quelles étaient ces divergences de vues.

La toute première « opération spéciale » (Sonderaktion) effectuée en Pologne, à savoir l’opération « AB », l’extermination de plusieurs milliers d’intellectuels polonais, n’a pas été accomplie sur l’initiative de la Police, mais sur la propre initiative de Frank. En vertu du décret du Führer du 2 mai 1942, le chef de la Police était placé sous les ordres du Gouverneur Général. Lorsque les divergences de vues se manifestèrent effectivement entre Frank et le chef de la Police, Krüger, celui-ci dut quitter son poste tandis que Frank restait Gouverneur Général de Pologne. En ce qui concerne le remplaçant de Krüger, l’Obergruppenführer Koppe, Frank lui exprima le 16 décembre 1943 sa reconnaissance pour l’exécution d’otages et des « remerciements pour son travail fécond », constatant avec satisfaction qu’« à la tête de la Police du Gouvernement Général se trouve un éminent spécialiste ». On ne comprend pas de quelles divergences de vues a pu parler l’avocat Seidl.

La Défense s’est efforcée de présenter Frank comme une sorte d’« antisémite paisible » qui, tout en étant contre le peuple juif, non seulement n’avait pas organisé lui-même de massacres de Juifs, mais n’avait même incité personne à les commettre. On ne conçoit pas, dans ce cas, comment son défenseur peut interpréter les paroles suivantes de Frank :

« Les Juifs sont une race qui doit être exterminée. Où que nous prenions le moindre Juif, c’en sera fait de lui. »

Ou encore la déclaration qu’il a faite à la séance du Gouvernement du 12 août 1942, lorsqu’il disait :

« Le fait que nous condamnions 1.200.000 Juifs à mourir de faim est accessoire. Il est entendu que si ces Juifs ne meurent pas de faim, cela aura probablement pour conséquence d’accélérer, d’activer l’application des mesures dirigées contre les Juifs. »

L’activité criminelle de Frank, bourreau du peuple polonais, a causé la mort de millions d’êtres humains.

« Vous voyez comment travaillent les organismes gouvernementaux, vous voyez qu’ils ne reculent devant rien et qu’ils fusillent les gens par douzaines. » C’est ainsi que Frank, parlant à la conférence des Standartenführer du 18 mars 1942, a lui-même dépeint le régime de terreur sanglante instauré par lui en Pologne.

« Je n’ai pas hésité à déclarer que, pour un Allemand tué, on fusillerait jusqu’à cent Polonais. » Ces paroles furent prononcées par Frank le 15 janvier 1944, lors d’une conférence des chefs politiques de la NSDAP. « Si j’étais venu chez le Führer et que je lui aie dit : « Mon Führer, je vous informe que j’ai encore exterminé « 150.000 Polonais », il m’aurait dit : « C’est parfait, c’était indispensable », déclara le 18 mars au Reichshof le même Frank qui essaie maintenant de persuader le Tribunal qu’il avait des « divergences de principe » avec Hitler et Himmler.

Les déclarations qu’a faites Frank pendant les premiers mois de son activité en Pologne étaient un véritable programme de meurtres qui fut mis à exécution par l’accusé de façon méthodique et impitoyable. Frank, évidemment, comprenait fort bien qu’au cas où la guerre n’apporterait pas la victoire, il devrait répondre des crimes commis en Pologne et de sa participation au complot fasciste. Encore en 1943, Frank en parlait à une conférence avec ses collaborateurs. Et il faut lui rendre cette justice : en tant que juriste, il se représentait de façon beaucoup plus exacte et formulait de façon plus juste le concept de complot criminel que ne l’ont fait, au cours de ce Procès, quelques avocats qui, se basant sur des conceptions périmées, essaient de réfuter le bien-fondé de l’accusation de complot.

A cette conférence gouvernementale à laquelle assistaient les représentants de la Police, le 25 janvier 1943, le Gouverneur Général déclara aux hyènes de Himmler :

« ... Je voudrais souligner une chose : nous ne devons pas faire du sentiment lorsque nous entendons parler de 17.000 fusillés. Après tout, ils sont, eux aussi, des victimes de la guerre. Souvenons-nous que nous tous qui sommes réunis ici, nous figurons sur la liste des criminels de guerre de M. Roosevelt. J’ai l’honneur d’être le numéro 1. Nous sommes devenus, pour ainsi dire, des complices à l’échelle de l’Histoire du monde. C’est justement pour cela que nous devons rester ensemble et partager les mêmes idées ; il serait simplement ridicule de nous laisser aller à des dissentiments sur les méthodes employées. »

Cet appel au meurtre est très loin des innombrables discussions avec la Police, dont a parlé ici le défenseur de Frank.

L’accusé s’est trompé sur un point : il avait mal défini sa place au banc des accusés. Mais il ne s’est pas trompé quant à l’essentiel : il est assis sur ce banc des accusés en qualité de criminel « à l’échelle de l’Histoire du monde ».

Le nom de l’accusé Wilheim Frick est indissolublement lié à l’histoire de l’évolution du mouvement nazi en Allemagne et les innombrables crimes des hitlériens.

En sa qualité de ministre de l’Intérieur du Gouvernement hitlérien, Frick a participé à la promulgation de nombreuses lois, de nombreux décrets et autres actes ayant pour but la destruction de la démocratie en Allemagne, la persécution des Églises, la discrimination des Juifs, etc.

Dans ce rôle, l’accusé Frick a activement participé à l’établissement en Allemagne du Gouvernement totalitaire hitlérien.

Pendant de nombreuses années, l’accusé Frick a eu sous sa direction la tristement célèbre Police secrète d’État (Gestapo).

Et qui, sinon l’accusé Frick, a donné l’ordre d’exterminer les aliénés et les vieillards ?

En qualité de ministre de l’Intérieur de l’Allemagne hitlérienne, Frick, comme l’a également confirmé le témoin Gisevius, était parfaitement au courant du système, largement utilisé dans le IIIe Reich, des camps de concentration et des conditions inhumaines qui y régnaient.

L’accusé Frick a joué un rôle marquant dans la préparation et la mise à exécution des plans d’agression du Gouvernement hitlérien. Il était membre du Conseil des ministres pour la défense du Reich et plénipotentiaire général à l’administration.

Tous les documents par lesquels les conspirateurs nazis rendaient légale l’annexion à l’Allemagne des territoires conquis étaient, en même temps que par d’autres chefs hitlériens, signés également par l’accusé Frick.

L’accusé Frick porte personnellement la responsabilité, en tant que Protecteur de Bohême-Moravie, de tous les crimes commis par les hitlériens sur ces territoires.

Le ministère de l’Intérieur, dirigé par l’accusé Frick, a pris part, de la façon la plus active, après l’agression perfide de l’Allemagne hitlérienne contre l’Union Soviétique, à la création de l’administration dans les territoires conquis de l’URSS. L’appareil des forces d’occupation allemandes à l’Est était pour la plus grande part constitué par des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur.

Il n’est pas nécessaire de répéter quel fut le rôle joué par cet appareil dans l’extermination, la déportation pour l’esclavage et d’autres actes inhumains à l’égard de la population civile. Pour tous ces crimes, Frick, en tant que participant actif au complot nazi, porte une responsabilité directe et entière.

Bien que, pendant les années de guerre, l’accusé Julius Streicher n’ait pas occupé d’une façon formelle de fonctions immédiatement liées à l’exécution de meurtres et d’exécutions massives, il est difficile de surestimer les crimes commis par cet homme.

Au même titre que Himmler, Kaltenbrunner, Pohl et ceux qui ont conçu, réalisé et mis en action les chambres à gaz et les voitures à gaz, au même titre que ceux qui ont directement réalisé des opérations de masse, Streicher doit porter la responsabilité des crimes les plus cruels du fascisme allemand.

Accentuer les différences nationales et raciales, cultiver la cruauté perverse et lancer des appels au meurtre ont non seulement été pendant de longues années un des devoirs du Parti, mais encore une spécialité lucrative de cet homme.

Et ce n’est pas par hasard que Himmler a fait un tel éloge du Stürmer et de son rédacteur en chef, dans les louanges, déjà connues du Tribunal, qu’il adressa à Streicher au mois d’avril 1937.

On peut considérer Streicher comme « le père spirituel » authentique de ceux qui déchiraient les enfants en deux à Treblinka. Sans le Stürmer et son rédacteur, le fascisme allemand n’aurait pas pu former aussi rapidement et en aussi grand nombre les assassins qui ont directement réalisé les plans criminels de Hitler et de sa clique en anéantissant plus de 6.000.000 de Juifs en Europe.

Pendant de nombreuses années, Streicher a moralement perverti les enfants et la jeunesse allemande. Le Tribunal a pu voir les abominables éditions enfantines du Stùrmer et c’est pourquoi, avec Baldur von Schirach, Streicher doit porter la responsabilité du fait que cette « HitlerJugend » qu’il avait pervertie utilisait comme cible de tir les enfants juifs pris du ghetto de Lwow. Ce n’est pas par hasard que von Schirach appréciait tellement les « services rendus à l’Histoire » par Streicher.

Les fanatiques « lois de Nuremberg » n’ont été que le « début de la lutte » pour cet « ennemi n° 1 des Juifs », comme il s’intitulait lui-même, et pour cet organisateur des premiers pogroms. Comme le Tribunal s’en souvient, une fois ces lois édictées, Streicher, appelant à l’extermination des Juifs en Europe, écrivait : « Ce n’est que lorsque le judaïsme mondial sera anéanti que ce problème sera résolu ».

Je ne reviendrai pas non plus à ces numéros du Stürmer honteux et mensongers, consacrés aux « meurtres rituels » et qui incitaient les SS à tuer des millions de gens innocents, justifiant toutes les cruautés, quelles qu’elles soient, envers les Juifs. Ces preuves de la culpabilité de Streicher, présentées au Tribunal parmi tant d’autres, sont connues de tous et indiscutables.

En 1939, donnant un avant-goût de Maidanek et de Treblinka, il écrivait que « peut-être, seules les tombes des Juifs montraient que ceux-ci avaient existé en Europe ».

En 1943, alors que les chambres à gaz de Treblinka et d’Auschwitz recevaient des millions de victimes, des articles incitant à la liquidation des ghettos étaient publiés dans le Stürmer. Ces articles étaient pleins de mensonges et de malveillance et, à la fin, le Stürmer constatait avec une satisfaction sadique : « Les Juifs ont disparu d’Europe ».

Streicher a menti toute sa vie. Il a également essayé de mentir ici pendant le Procès. Je ne sais pas s’il espérait tromper quelqu’un par ses mensonges ou s’il mentait par habitude et par peur.

Mais il semble qu’il doit être clair pour l’accusé lui-même que son dernier mensonge ne trompera plus personne et ne lui sera d’aucun secours.

L’accusé Hjalmar Schacht a joué un rôle prépondérant dans la préparation et la mise à exécution des plans du complot nazi, accomplissant un travail énorme et compliqué.

L’attitude de défense de Schacht est extrêmement simple : si on l’en croit, il vint à l’hitlérisme exclusivement pour des considérations patriotiques et n’était favorable au réarmement de l’Allemagne qu’en vue du maintien de la Paix. Il était partisan du retour à l’Allemagne de ses colonies en vue du rétablissement de l’équilibre économique en Europe.

Quand il se fut rendu compte que le Gouvernement hitlérien avait pour but un réarmement intensif et faisait ainsi courir au monde le danger d’une deuxième guerre, Schacht passa à l’opposition, sabota les mesures du Gouvernement hitlérien et fut, en fin de compte, arrêté en tant que participant au complot contre Hitler.

L’accusé Schacht essaie maintenant de prétendre que ses lettres enthousiastes à Hitler et ses déclarations de loyalisme étaient destinées à masquer son opposition à l’égard du régime.

En réalité, Schacht s’est rapproché du mouvement hitlérien dès 1930. Schacht se sentait attiré par les nationaux-socialistes, tandis que Hitler et Göring, de leur côté, voulaient s’assurer son concours, car Schacht avait des relations étendues dans les milieux économiques et financiers d’Allemagne et pouvait, plus que tout autre, rendre des services inestimables à l’hitlérisme, ce qu’il fit d’ailleurs.

Dès le 29 août 1932, dans une lettre à Hitler, Schacht l’assurait de son loyalisme. Cette déclaration ne resta pas un vain mot. C’est précisément l’accusé Schacht qui a joué un rôle décisif dans l’arrivée de Hitler au pouvoir. C’est lui qui poussa les milieux industriels d’Allemagne à demander la nomination de Hitler à la Chancellerie du Reich.

C’est Schacht qui, dès 1932, conseilla à von Papen, Chancelier du Reich, de remettre son poste à Hitler. C’est Schacht qui, en 1933, à la veille des élections du Reichstag, organisa la conférence des industriels au cours de laquelle fut créé un fonds d’élection pour le parti nazi se montant à plusieurs millions de Mark.

Le rôle et l’importance de Schacht dans la création de l’Allemagne hitlérienne sont caractérisés par le plus proche collaborateur de Hitler, Goebbels. Celui-ci écrivait le 21 novembre 1932 dans son journal :

« Au cours de mon entretien avec le Dr Schacht, j’ai constaté qu’il partageait entièrement notre point de vue. Il est l’un des quelques hommes qui sont entièrement d’accord avec le Führer. »

L’accusé Schacht lui-même, dans sa déclaration à la Foire internationale du printemps, à Leipzig, le 4 mars 1935, a caractérisé ainsi son rôle dans l’État hitlérien :

« Je puis assurer que tout ce que je dis et fais a l’accord total du Führer et que je ne ferai ni ne dirai rien qui ne soit pas approuvé par lui. Ce n’est donc pas dans mes mains que résident les décisions en matière économique, mais dans les siennes. »

Les services rendus par l’accusé Schacht furent, comme il s’y attendait d’ailleurs lui-même, appréciés par Hitler à leur juste valeur. Dès son arrivée au pouvoir en 1933, Hitler nomma Schacht à la présidence de la Reichsbank, puis au ministère de l’Économie, puis enfin il le nomma plénipotentiaire général à l’Économie de guerre.

Les documents produits par l’Accusation, ainsi que les débats, ont prouvé le rôle exceptionnel joué par l’accusé Schacht dans la préparation du réarmement de l’Allemagne et, par là-même, dans le déclenchement des guerres d’agression.

L’ancien ministre de la Guerre, Blomberg, a déclaré dans ses dépositions qu’en 1937 les plans de réorganisation de la Wehrmacht étaient presque terminés et que Schacht était au courant de ces plans et du financement qu’ils requéraient.

Schacht était l’un des partisans les plus persévérants de la politique criminelle des hitlériens. Dans un entretien avec l’ambassadeur américain Fuller, le 23 septembre 1936, Schacht déclarait :

« ... Des colonies sont indispensables à l’Allemagne. Si cela est possible, nous les obtiendrons par voie de négociations, sinon, nous les prendrons par la force ».

Prenant la parole à Vienne en mars 1928, Schacht déclarait :

« Grâce à Dieu, tout cela n’a pas pu, en fin de compte, empêcher le grand peuple allemand de continuer sa route, car Adolf Hitler a créé une communauté de la volonté et de la pensée allemandes, lui a donné pour appui une armée d’une puissance toute nouvelle et, en fin de compte, a donné une forme concrète à l’unité ’interne da l’Allemagne et de l’Autriche ».

L’accusé Schacht fut investi de pouvoirs particulièrement étendus dans le domaine de l’Économie de guerre.

Pendant plusieurs années, Schacht fut en même temps président de la Reichsbank, ministre de l’Économie et le plénipotentiaire général à l’Économie de guerre. Seul, ce poste important permettait déjà à l’accusé Schacht de jouer un rôle décisif dans la création et la résurrection de l’Économie de guerre et de la Wehrmacht de l’Allemagne hitlérienne.

Ce rôle de l’accusé Schacht est suffisamment éclairé par les innombrables lettres de félicitation que Hitler lui envoya.

C’est l’accusé Schacht qui fut le créateur de la méthode aventureuse des traites « Mefo », à l’aide desquelles furent investis dans l’Économie allemande, en plus des chapitres correspondants du budget, 12.000.000.000 de Mark pour le réarmement.

Comme il a déjà été indiqué plus haut, l’accusé Schacht a essayé de mettre l’accent sur sa désapprobation à l’égard du régime nazi, désapprobation qui, à l’en croire, serait devenue de plus en plus aiguë au cours des différentes périodes de son activité. En réalité, Schacht jouait double jeu : il se défendait d’assumer une responsabilité pour la politique criminelle du Gouvernement hitlérien en entretenant des relations avec des hommes qui voulaient réellement abattre le régime hitlérien et, en même temps, gardait sa loyauté à ce régime au cas où cela lui serait nécessaire.

Ce n’est qu’en 1943, quand l’effondrement de l’Allemagne hitlérienne ne fit plus de doute pour le politique endurci qu’était Schacht, qu’il établit une liaison avec les milieux d’opposition au régime hitlérien, mais en restant fidèle à lui-même, il prit toutes les garanties nécessaires pour ne rien faire personnellement pour abattre le régime hitlérien et c’est précisément pour cette raison que Hitler l’a épargné.

Telle est la personnalité de l’accusé Schacht, tel a été son rôle dans le complot et dans les crimes de guerre : celui du créateur de l’Économie de guerre de l’Allemagne hitlérienne et d’artisan de la deuxième guerre mondiale déchaînée par le criminel Gouvernement hitlérien.

Walther Funk était un nazi longtemps avant son adhésion officielle à la NSDAP en 1931, et resta un nazi jusqu’à la fin. Il mit au service des conspirateurs hitlériens ses connaissances économiques, son expérience de journaliste et ses nombreuses relations dans le monde des dirigeants de l’industrie, du commerce et de la finance allemande. Dans le journal Dos Reich du 13 août 1940, dans un article publié sous le titre « Walther Funk, pionnier de la pensée économique nationale-socialiste », on peut lire :

« Walther Funk est resté fidèle à lui-même parce qu’il a été, qu’il est et sera un national-socialiste, un militant qui a voué tous ses efforts à la victoire de l’idéal du Führer. »

Ce qu’était l’idéal de Hitler, on le sait suffisamment. C’est à cet « idéal » que Funk consacra quinze ans de sa vie.

Funk affirme qu’il n’avait rien de commun avec les SS, mais c’est bien lui cependant qui a fait des coffres de la Reichsbank un abri pour les objets précieux pillés par les SS dans les pays occupés de l’Est et d’ailleurs.

C’est Funk lui-même qui, après un entretien avec Himmler, donna l’ordre d’accepter à la Reichsbank des objets d’or, dents, montures de lunettes et autres objets provenant des victimes assassinées dans les camps de concentration.

Le remplaçant de Funk était le SS-Gruppenführer Hayler. Sous ses ordres travaillait Ohlendorf, meurtrier de 90.000 hommes.

Funk, poursuivant la politique de Schacht, mit au service des plans d’agression des hitlériens toute l’Économie de l’Allemagne et, par la suite, toute l’Économie des territoires occupés par l’Allemagne. Dès mai 1939, Funk et son adjoint Landfried élaboraient un plan de financement de la guerre et de mobilisation au service de la guerre de toutes les ressources économiques de l’Allemagne et de la Tchécoslovaquie occupée.

Le 23 juin 1939, Funk prit part à une réunion du Conseil de la défense du Reich au cours de laquelle furent adoptés des plans détaillés pour mettre sur pied de guerre l’ensemble de l’Économie nationale.

Dès ce moment Funk, non seulement connaissait les préparatifs d’agression de l’Allemagne contre la Pologne, non seulement rendait possible la réalisation de ces plans d’agression, mais encore préparait sur le plan économique d’autres guerres, d’autres conquêtes de territoires. C’étaient là les « grands buts politiques du Führer » que Funk évoquait dans son article écrit quelques mois plus tard : « La mobilisation économique et financière ».

Je cite encore un document. Le 25 août 1939, Funk écrivait à Hitler : « La nouvelle que me transmet le Feldmarschall Göring selon laquelle, mon Führer, vous avez bien voulu hier soir approuver l’ensemble de mon projet de mesures pour le financement de la guerre, la fixation des prix et des salaires et l’établissement de souscriptions, m’a profondément réjoui ».

Longtemps avant la perfide agression de l’Allemagne contre l’URSS, Funk prenait part à l’élaboration des plans de pillage des richesses de l’Union Soviétique.

Funk délégua certains de ses collaborateurs auprès du ministère Rosenberg et auprès de cette entreprise de pillage qu’était l’État-Major économique Est. Des agents de Funk prirent également part au pillage de la Tchécoslovaquie, de la Yougoslavie et des autres territoires occupés.

Funk était président de la société « Continental Oel », constituée pour permettre l’exploitation par les Allemands des richesses pétrolifères des territoires occupés de l’Est et, en particulier, des pétroles de Grozny et de Bakou.

Funk était en complet accord avec les buts de pillage poursuivis par l’Allemagne hitlérienne dans sa guerre contre l’URSS. Prenant la parole le 17 décembre 1941 à Prague, il déclara que l’Est constituait le futur domaine colonial de l’Allemagne. Funk prit part à une réunion qui eut lieu le 6 juin 1942 chez Göring, au cours de laquelle furent définies les méthodes les plus efficaces de pillage économique des territoires occupés d’URSS, de Pologne, de Tchécoslovaquie, de Yougoslavie, de France, de Norvège et d’autres pays.

A cette réunion, ainsi qu’à une réunion du comité du Plan central, Funk prit part à l’élaboration de plans de déportation et d’asservissement de millions d’habitants des territoires occupés.

Telles sont les phases essentielles de l’activité criminelle du conspirateur hitlérien Funk, conseiller personnel de Hitler pour les questions économiques dès 1931, ministre du Reich et plénipotentiaire général à l’Économie, président de la Reichsbank et membre du Conseil de la défense du Reich, dans la période de préparation et de réalisation du plan criminel général des conspirateurs.

La culpabilité de Funk, qui prit une part active au complot fasciste, aux crimes contre la Paix, aux crimes de guerre et aux crimes contre l’Humanité, est pleinement démontrée et il devra en répondre.

De 1931 jusqu’à la fin de la guerre, l’accusé Baldur von Schirach a assumé la direction de la Jeunesse nazie.

Après la publication, le 1er décembre 1936, de la loi sur la Jeunesse hitlérienne, von Schirach, en sa qualité de chef de la jeunesse du Reich, se trouva sous les ordres directs de Hitler.

Dans ses dépositions devant le Tribunal, l’accusé Schirach, s’efforçant d’éluder la responsabilité de l’éducation de la jeunesse allemande dans l’esprit des idées nationales-socialistes, s’est plus d’une fois référé au fait que la « Hitler-Jugend » était une organisation indépendante du parti nazi et du Gouvernement hitlérien.

Pour assurer sa défense, l’accusé Schirach a cru bon de citer le grand Goethe, dont il a cité les paroles : « La jeunesse s’élève elle-même », avec un cynisme non dissimulé.

Il est évident que Goethe avait raison lorsqu’il disait que « la jeunesse s’élève elle-même ». Mais il voulait parler d’une jeunesse saine, remplie de la joie de vivre, et non pas d’une jeunesse dégradée par l’obscurantisme hitlérien, dont la corruption a été si bien exprimée par ces mots de Hitler à Rauschning : « Nous formerons une jeunesse devant laquelle le monde entier tremblera, une jeunesse catégorique, exigeante, dure. C’est ainsi que je la veux. La jeunesse doit être dotée de toutes ces qualités ; elle doit être indifférente à la souffrance. Elle ne doit être ni faible ni délicate. Je veux voir dans son regard la lueur que l’on voit dans les yeux d’un fauve ».

Et l’accusé Schirach a inculqué d’une façon méthodique les idées hitlériennes dans la conscience de la jeunesse allemande et l’a formée dans l’esprit des exigences de Hitler, selon les méthodes des vieux chefs de bande hitlériens.

Au cours de son contre-interrogatoire, l’accusé Schirach a cependant, en fin de compte, été obligé de reconnaître que la jeunesse allemande avait été éduquée dans l’esprit des idées nationales-socialistes, que des membres des SA, des officiers de l’armée allemande et des SS avaient été mobilisés dans ce but, et que la jeunesse allemande était soumise à une préparation militaire intensive. Dans ce but, avaient été conclus, entre la direction de la « Hitler-Jugend », l’OKW, représenté par l’accusé Keitel, et le Reichsführer SS Himmler, des accords qui prévoyaient l’éducation de la jeunesse dans l’esprit d’un militarisme guerrier, ainsi que le recrutement et la préparation militaire des jeunes destinés à être versés dans l’armée allemande et dans les SS.

Le rôle joué par l’accusé von Schirach dans le complot et la part qu’il a prise aux crimes de guerre et aux crimes contre l’Humanité sont caractérisés de la façon la plus expressive par la conduite au cours de la guerre de la jeunesse allemande élevée dans la « Hitler-Jugend ».

Le Ministère Public soviétique a présenté au Tribunal sous le numéro URSS-6, en application de l’article 21 du Statut, le rapport de la Commission extraordinaire d’État sur les atrocités allemandes commises sur le territoire de la région de Lwow.

Dans ce rapport figurait la déclaration de la Française Ida Vas-seaux sur le traitement barbare infligé par les membres de la « Hitler-Jugend » aux enfants en bas âge, dont ils faisaient des cibles vivantes pour leurs exercices de tir.

Dans ses dépositions écrites en date du 16 mai 1946, ainsi que dans ses réponses aux questions posées par le défenseur de l’accusé von Schirach, Ida Vasseaux a confirmé ses dépositions dans leur totalité.

Des dépositions convaincantes sur l’activité des membres de la « Hitler-Jugend » appartenant à la Wehrmacht ont été données par le soldat allemand prisonnier Gerd Knittel, lui-même membre de la « Hitler-Jugend » depuis 1938 et incorporé, en 1942, à l’âge de 18 ans, dans l’armée allemande.

Relatant sa participation à de nombreux actes de cruauté, Gerd Knittel a déclaré :

« Dans le hameau de Lijaisk, notre compagnie incendia en juin 1943 une maison avec tous ses habitants... Tous ceux qui tentaient de sortir, nous les avons abattus, à l’exception toutefois d’une vieille femme, qui devint folle sous nos yeux ».

Avec Gerd Knittel et des dizaines de milliers de ses semblables, l’accusé von Schirach porte la responsabilité de tous ces crimes.

Schirach, bien entendu, ne fusillait pas ni n’incendiait lui-même, mais c’est lui qui armait la jeunesse allemande qu’il avait moralement dévoyée et préparée à l’exécution des pires atrocités.

Mais ce ne sont pas les seuls crimes qu’ont commis au cours de la guerre la « Hitler-Jugend » et l’accusé von Schirach. La « Hitler-Jugend » a activement participé à la préparation des guerres d’agression en créant des cinquièmes colonnes en Pologne et en Yougoslavie ; les rapports officiels des Gouvernements polonais et Yougoslave, présentés au Tribunal, en témoignent.

L’organisation de la « Hitler-Jugend » a également pris une part active aux mesures prises par le ministère pour les régions occupées de l’Est — ce dont fait foi le rapport de l’accusé Rosenberg présenté au Tribunal sous le numéro PS-1039 — ainsi qu’à la déportation en esclavage d’enfants de 10 à 14 ans, pris dans les régions occupées ; ceci est confirmé par le document PS-031 déjà présenté au Tribunal.

En sa qualité de Reichsstatthalter et de Gauleiter de Vienne, Schirach a pris personnellement une part active à l’expulsion de Vienne de 60.000 Juifs qui furent ensuite exterminés dans les camps de concentration de Pologne.

Les documents déposés par le Ministère Public — les rapports hebdomadaires qui étaient adressés à Schirach — démontrent qu’il était au courant de nombreuses atrocités perpétrées par les troupes allemandes et par les autorités d’occupation dans les territoires de l’Est, et qu’il savait notamment quel était le sort des dizaines de milliers de Juifs expulsés de Vienne.

En 1940, l’accusé Schirach demandait, dans un télégramme adressé à Bormann, qu’en représailles de l’assassinat du bourreau de Bohême et Moravie, Heydrich, une ville d’intérêt culturel de Grande-Bretagne soit rasée par une attaque aérienne.

Ce télégramme à lui seul trace d’une façon suffisamment claire et convaincante le portrait moral de von Schirach.

Fidèle jusqu’au bout à la clique hitlérienne, ayant connaissance de toutes ses activités criminelles auxquelles il prenait personnellement une part active, l’accusé von Schirach était une des plus sombres figures de IIIe Reich.

LE PRÉSIDENT

L’audience est levée.

(L’audience sera reprise le 30 juillet 1946 à 10 heures.)