CENT QUATRE-VINGT-DIXIÈME JOURNÉE.
Mardi 30 juillet 1946.
Audience de l’après-midi.
(Le témoin Kaufmann est à la barre.)Témoin, vous souvenez-vous que Hitler a dit, dans son discours au Reichstag du 20 février 1938 :
« Le national-socialisme possède l’Allemagne entièrement et complètement, Il n’y a aucune institution dans cet État qui ne soit nationale-socialiste ».
Vous souvenez-vous de ces mots ? Ou si vous ne vous souvenez pas des mots à proprement parler, vous rappelez-vous l’idée ?
Je me souviens du sens, mais non pas des termes.
Monsieur le Président, l’extrait de ce discours figure dans le livre de documents 5, PS-2715. Êtes-vous d’accord avec l’idée exprimée par ces mots ?
Non.
Pensez-vous que c’était une exagération ?
Je suis convaincu que l’ensemble des institutions n’était pas encore national-socialiste.
Mais vous serez d’accord sur le fait que l’immense majorité des institutions était nationale-socialiste ?
Ces institutions étaient en train de devenir nationales-socialistes, mais le processus n’était pas achevé.
Mais vous admettrez que ce que Hitler avait exprimé comme un fait était le but auquel il travaillait ?
Oui.
Et la méthode par laquelle il travaillait dans ce but était l’utilisation du système de la direction politique sous la conduite du Corps des dirigeants politiques.
On ne pouvait de cette manière atteindre que partiellement le but poursuivi.
Mais c’était une des méthodes essentielles pour s’emparer de l’Allemagne, c’est-à-dire pour obtenir un contrôle total des esprits, des cœurs, des sentiments de la population allemande, n’est-ce pas ?
Non. A mon avis, au début seulement.
Au début seulement, mais c’était le travail auquel on s’était attelé de 1933 à 1938, au moment où Hitler prononça ces paroles ?
Il s’agissait là d’une partie du succès du Parti avant la prise du pouvoir et après la prise du pouvoir.
Permettez-moi de vous rappeler encore quelques mots de Hitler qui vous montreront comment il s’exprimait. C’est toujours le même discours :
« Le national-socialisme a donné avant tout au peuple allemand cette direction, qui, en tant que Parti, non seulement mobilise la nation,, mais l’organise... » Est-ce que Hitler donne là une description correcte du Corps des dirigeants politiques ?
Oui, je dirais oui.
Je voudrais simplement aborder les explications mentionnées par le Dr Servatius et vous poser quelques questions sur la participation du Corps des dirigeants politiques à ces problèmes. Prenons la question des Juifs, pour commencer.
Pour parler de façon générale et non pas de votre propre Gau de Hambourg, le Corps des dirigeants politiques a participé activement aux démonstrations de novembre 1938 ?
Les renseignements que j’ai recueillis sur cette action dans les autres Gaue m’ont donné l’impression que de telles, actions avaient effectivement eu lieu, mais que sauf certaines exceptions, les initiateurs de ces actions n’étaient en aucun cas des chefs politiques.
Eh bien, puisque c’est ce que vous dites, veuillez vous référer à l’ordre de Heydrich du 10 novembre. Monsieur le Président, vous trouverez cet ordre à la page 79 du livre de documents 14, document PS-3051.
Quelle page ?
79, Monsieur le Président.
Témoin, vous le trouverez à la page 96 du livre de documents allemand. Si ce n’est pas 96, ce sera 97. L’avez-vous trouvé ?
Vous voyez que c’est un ordre émanant de Heydrich, lancé à 1 h. 20 du matin, le 10 novembre. Je voudrais que vous vous reportiez au paragraphe 1 :
« Les chefs des services de la Police d’État ou leurs remplaçants doivent, dès la réception de ce télégramme, se tenir en contact téléphonique avec les dirigeants politiques (Direction du Gau ou Direction du Kreis), qui ont compétence sur leur district et qui doivent organiser une réunion commune avec les inspecteurs ou commandants correspondants de la Police d’ordre pour discuter de l’organisation des démonstrations. Dans cet entretien, les dirigeants politiques doivent être informés que la Police allemande a reçu du Reichsführer SS et chef de la Police allemande les instructions suivantes auxquelles les dirigeants politiques doivent conformer les mesures qu’ils prendront. »
Vous vous souvenez certainement que les instructions générales portaient sur l’incendie des synagogues, l’arrestation de 20.000 Juifs qui devaient être internés dans des camps de concentration et la destruction ou l’expropriation de biens juifs. Quelles étaient donc les mesures personnelles que devaient prendre les dirigeants politiques ?
J’attire d’abord votre attention sur le fait que dans le texte allemand le passage qui signale que les Gauleiter ont des attributions judiciaires manque. Je ne trouve pas ce passage.
C’est un point sur lequel nous reviendrons plus tard. Mais je vous demande ce que signifie l’expression : les mesures personnelles que prendront les dirigeants politiques, à propos de cette action contre les Juifs ?
Voici ce que je peux dire à ce sujet : personnellement, je n’ai pas participé au congrès du 9 novembre 1938. Je n’ai pas été informé de Munich, de l’action qu’on se proposait d’exécuter. Ce n’est que le 9 novembre au soir que j’ai appris par le chef de la Police d’État de Hambourg qu’une telle action était imminente.
C’était le chef de la Police d’État de Hambourg, n’est-ce pas, qui assurait l’exécution des instructions de ce paragraphe en entrant en contact avec vous ? Je pensais que vous seriez capable de parler des Gauleiter en général, en dehors de votre propre activité à Hambourg, et j’aimerais que vous indiquiez au Tribunal quelles étaient les mesures que les dirigeants politiques du Parti devaient mettre à exécution. Vous avez dû en entendre parler par la suite. Indiquez-nous donc quelles étaient ces mesures et ce que devaient faire les chefs du Parti ?
Dans son avant-dernière question, M. le Procureur m’a demandé de lui révéler mes expériences personnelles. Je lui réponds. Personnellement, j’ai appris par le chef de la Police d’État qu’on avait l’intention d’exécuter cette action. J’ai alors donné l’ordre, pour le Gau de Hambourg, — et c’est la question qu’on m’a posée ici — d’assurer la sécurité des quartiers de Hambourg habités par les Juifs, à l’aide d’agents de la Police d’État ou de la Police criminelle. Ces mesures de police ont été exécutées par le commissaire Winke auquel j’avais adjoint, pour l’aider, un inspecteur du Gau. De plus, immédiatement après l’information que j’ai reçue de la Police d’État, je me suis mis en rapport avec les Kreisleiter et leur ai dit que je les rendais responsables dans leur secteur de toute entrave apportée à cette action.
Les synagogues ont-elles été la proie des flammes dans votre Gau ?
Non, j’ai...
Je serai plus précis : les synagogues ont-elles été incendiées ? C’est ainsi que j’aurais dû poser ma question.
Au cours de la première nuit, c’est-à-dire entre le 9 et le 10, il n’y a pas eu d’excès en raison des mesures que j’avais prises. Il y a eu certains excès de moindre importance dans la nuit du 10 au 11 et, contrairement aux mesures que j’avais ordonnées, une’ synagogue a été incendiée à Hambourg. Je suppose que c’était le fait d’éléments étrangers.
Si mes souvenirs sont exacts, il y a eu en Allemagne au moins soixante-quinze synagogues incendiées. Ce résultat n’est-il pas dû, en général, abstraction faite de votre propre Gau, au fait que, sur l’ordre de Heydrich, le Corps des chefs politiques collabora avec la Police pour veiller à ce que les synagogues soient incendiées, les Juifs arrêtés et les biens juifs saisis, et pour veiller également à ce que les biens non juifs soient laissés intacts ?
Je n’ai connaissance d’aucun ordre ou instruction prescrivant aux dirigeants politiques, en dehors du Gau de Hambourg, d’avoir à participer à cette action. Tout ce que j’ai appris, c’est qu’à la suite du congrès du 9 novembre, le ministre du Reich, le Dr Goebbels, a fait part de cette exigence qui a eu pour conséquences les excès dans quelques différents Gaue. Je sais par ailleurs que celui qui dirigeait à ce moment-là le Plan de quatre ans a, peu de jours après cette action, à l’occasion d’un congrès à Berlin, déclaré que ce qui s’était passé n’était pas dans le sens de ce qu’avait désiré le Führer, ni dans le sens de ce qu’il avait désiré lui-même. A cette occasion, il a critiqué violemment ce qui avait été fait et également indiqué que le Gau de Hambourg avait été une exception.
Vous vous souvenez m’avoir dit il y a quelques instants que c’était un événement qui ne s’était produit que dans des cas isolés. Voici l’ordre de Heydrich indiquant à la Police, d’une façon générale, d’entrer en contact avec le Corps des dirigeants politiques afin qu’ils collaborent avec la Police pour l’exécution de cet ordre qui, en termes généraux, prévoyait une attaque contre les Juifs et veillait par contre à protéger les non-Juifs. Vos déclarations antérieures selon lesquelles ces faits ne se sont déroulés que dans des cas isolés sont donc foncièrement fausses. Le Corps des dirigeants politiques a été mêlé à cette affaire par l’ordre de Heydrich, qui était alors le bras droit de Himmler et le chef de la Police secrète, n’est-ce pas ?
Non, ce n’est pas exact. Le Corps des dirigeants politiques n’avait pas à recevoir d’ordres de Heydrich. N’était compétent pour les ordres à donner aux chefs politiques que le Gauleiter qui, lui, recevait ses instructions du Führer, du représentant du Führer ou encore de la Chancellerie du Parti.
Eh bien, vous souvenez-vous de ce qui est arrivé après cet événement ? Vous souvenez-vous d’une réunion du tribunal du Parti ?
Non.
Permettez-moi alors de vous rafraîchir la mémoire sur le tribunal du Parti. Vous trouverez cela dans le document PS-3063, pages 81 à 88 de ce même livre de documents. Témoin, il figure à la page 105.
J’ai trouvé la page.
Vous trouverez, page 81, une réunion du tribunal suprême du Parti, qui commence par un compte rendu sur le déroulement des événements survenus à propos des démonstrations antisémites du 9 novembre 1938. Si vous voulez bien regarder le passage après les mots « Annexe 2 » :
« Tous les dirigeants du Parti présents ont probablement compris, d’après les instructions orales du chef de la propagande du Reich, que le Parti ne devait pas sembler extérieurement être à l’origine de ces démonstrations, mais qu’en réalité le Parti devait les organiser et les réaliser. Les instructions en ce sens ont été téléphonées immédiatement par un grand nombre de membres du Parti présents, aux services de leurs Gaue, longtemps avant la transmission du premier télétype. »
Et si vous voulez bien voir plus loin, le deuxième paragraphe suivant :
« A la fin de novembre 1938, le tribunal du Parti a appris par des rapports de différents tribunaux de Gaue que ces démonstrations du 9 novembre 1938 étaient allées jusqu’au pillage et au meurtre de Juifs, et qu’elles avaient déjà été l’objet d’enquêtes de la part de la Police et des procureurs du Reich. »
Et, plus loin :
« Le représentant du Führer partage l’interprétation du tribunal suprême suivant laquelle les infractions connues tombent sous la compétence du Parti : 1. En raison des rapports évidents entre les événements qui doivent être jugés et les instructions que le chef de la propagande du Reich, le Dr Goebbels, a données à la soirée de l’hôtel de ville. Sans enquête et sans estimation de ces faits, un jugement objectif ne semble pas possible. Cette enquête, cependant, ne peut pas être laissée aux soins des innombrables tribunaux d’État... »
Dans le deuxième paragraphe, on dit que les faits qui concernent les intérêts vitaux du Parti doivent être avant tout de la compétence judiciaire du Parti et qu’il faudra demander au besoin au Führer de suspendre la procédure dans les tribunaux de Droit commun. Et vous verrez, car je ne veux pas prendre davantage de temps, que seize cas ont été soumis au tribunal suprême du Parti. Les trois premiers cas portent... Oh ! excusez-moi, il y a juste une remarque que j’aurais dû faire avant que nous en venions au premier cas :
« Les Gauleiter et les chefs des différentes articulations ont participé, comme jurés, au cours des débats et des décisions. Les décisions qui, pour des raisons à discuter plus tard, contiennent en partie seulement l’exposé des faits, sont jointes. »
Les trois premiers cas, qui se Sont passés à Rheinhausen, Niederwerrn et Linz, portent sur des vols et sur des attentats aux mœurs. Ils devaient être soumis aux tribunaux de l’État. Les treize cas suivants proviennent de diverses localités d’Allemagne les plus différentes, comme Heilsberg, Dessau, Lesum, Bremen, Neidenburg, Eberstadt, Lünen, Chemnitz, Aschaffenburg, Dresde, Munich, etc. Ce sont treize cas d’assassinats de Juifs. Deux des auteurs de ces crimes furent frappés d’une peine minime à titre d’avertissement et d’une interdiction, à titre de sanction disciplinaire, d’occuper une fonction publique. Quant aux onze autres, leurs dossiers furent classés.
Je voudrais que vous vous reportiez au cas n° 6, page 102 ; il s’agit de l’exécution d’un couple juif appelé Goldberg. Le numéro 7 concerne l’exécution du Juif Rosenbaum et de la Juive Zwienicki ; le numéro 10, la Juive Suzanne Stem, abattue à coups de feu. Le numéro 5, le meurtre du Juif Herbert Stein, âgé de 16 ans.
Vous dites que vous n’avez rien eu à voir avec ces cas, n’est-ce pas ?
J’ai déjà dit très clairement que j’avais donné des ordres contraires en ce qui concernait mon Gau.
Bien. Je vous ai demandé au début si vous étiez en mesure de dire de façon générale au Tribunal comment il s’est fait que le tribunal de votre Parti, qui était censé diriger la discipline et la probité de ses membres, a examiné plus de treize cas de meurtres et n’a prononcé que dans deux cas deux suspensions de poste d’une durée de trois ans, tandis qu’il faisait classer les onze autres affaires ? N’estimez-vous pas que c’est une manière honteuse de traiter des cas de meurtres ?
Je me permettrai de répondre tout d’abord à Monsieur le Procureur que parmi ces treize cas cités ici il n’est question que d’un seul chef politique.
Savez-vous que vous avez tort ? Les cas 9 et 10 portent sur des Ortsgruppenleiter et le cas 11 sur un Blockleiter. Il est exact que les cas de 2 à 8, 12 et 15, concernent des personnes qui occupaient des grades divers dans les SA et que les cas 11, 14 et 16 portent sur des personnes appartenant aux SS. Mais vous verrez que les cas 9, 10 et 11 concernent des chefs politiques. Ce n’est pas sur ce point que je voulais attirer votre attention, mais sur les choses suivantes : voilà donc des membres du Parti cités devant le tribunal du Parti, mais cette juridiction excuse ces meurtres et ferme les yeux. C’est le point important. Expliquez-moi pourquoi vous excusiez ces assassinats et fermiez les yeux.
Ce document qu’on me présente ici, je le vois pour la première fois depuis que je suis arrivé comme témoin à Nuremberg. Étant donné mon attitude à l’égard de la question juive, étant donné les mesures que j’ai prises, je peux dire que je ne considère pas comme satisfaisante la manière dont on a traité ces cas. Si j’en avais eu connaissance, certainement je n’aurais pas approuvé cette manière d’agir.
Si c’est là votre opinion personnelle, laissons-la de côté pour le moment. Le Tribunal s’occupe du Corps des chefs politiques du Parti. Voici donc le tribunal suprême du Parti. Si le tribunal suprême du Parti prend des décisions de cette nature, que vous désapprouvez profondément, cela ne prouve^t-il pas que ce tribunal suprême était pourri jusqu’en ses racines ?
Le tribunal suprême du Parti aurait dû insister auprès du Führer pour que celui-ci, qui était à l’origine de toutes ces actions, en soit rendu responsable ; et c’est probablement ce qu’a négligé de faire le Tribunal.
Je ne veux pas m’y attarder de façon détaillée ; mais je voudrais que vous examiniez un paragraphe des raisons que donne ce tribunal ; vous les trouverez à la page 87. Monsieur le Président, au second paragraphe.
Voulez-vous tourner quelques pages, témoin, je crois qu’elles figurent dans votre exemplaire à la page 112. Essayez de nous aider. Avez-vous ce paragraphe qui commence par les termes ; « Dans les cas également où des Juifs ont été tués sans ordres (pièces annexes 13, 14 et 15), ou contrairement aux ordres (pièces annexes 8 et 9)... »
Non, je n’ai pas trouvé cet alinéa.
Essayez de chercher à la page 113. Le sergent vous aidera.
Oui.
« Dans les cas également où des Juifs ont été tués sans ordres (pièces annexes 13, 14 et 15), ou contrairement aux ordres (pièces annexes 8 et 9), des motifs louches n’ont pas pu être déterminés. Dans leur cœur, les hommes étaient convaincus qu’ils avaient, par leur geste, rendu service à leur Führer et au Parti. On ne demande pas, par conséquent, l’exclusion du Parti. Le but final de la procédure, et aussi la pierre de touche pour un examen critique, doivent être, d’après la ligne générale du tribunal suprême du Parti, d’une part de protéger les camarades du Parti qui, entraînés par leur honnête attitude nationale-socialiste et leur esprit d’initiative, ont dépassé leur but, et d’autre part de tracer une ligne de séparation entre le Parti et les éléments qui, pour des raisons personnelles, abusent de façon vile de la bataille de libération nationale du Parti contre la juiverie. »
Estimez-vous que c’est une honnête attitude nationale-socialiste et faire preuve d’initiative que d’assassiner des femmes juives et des enfants de. 16 ans ?
Mon opinion à ce propos est parfaitement claire. J’ai refusé de participer à cette action. Je n’ai jamais été d’accord avec la décision prise par le tribunal du Parti à ce propos, et je suis certain que la masse de mes camarades du Parti ont la même opinion que moi.
Mais enfin, témoin, d’après ce que vous venez de nous dire, il y avait un certain nombre de personnes composant ce tribunal suprême qui étaient complètement dépourvues de sens moral ?
Je ne peux pas personnellement affirmer cette caractéristique. Personnellement, je n’ai jamais eu affaire au tribunal suprême du Parti. Je n’ai jamais eu un droit de regard dans ses jugements et les décisions importantes de ce genre.
Je ne veux pas prendre plus de temps pour vous inciter à condamner vos anciens collègues et nous en resterons, si vous le voulez bien, à cette désapprobation sévère que vous exprimez contre le comportement du tribunal du Parti. C’est bien ce que vous avez dit ? Si c’est bien là votre attitude, nous ne poursuivrons pas ce sujet. Est-ce bien exact ?
Je ne m’associe pas à la conception du tribunal du Parti telle qu’elle est présentée dans le document que l’on a mis sous mes yeux.
J’aimerais simplement vous montrer que ce n’était pas là un cas isolé. Monsieur le Président, si vous voulez bien avoir la bonté de vous reporter à la page 45 du même livre de documents... Excusez-moi, Monsieur le Président, c’est à la page 46. Le document commence à la page 45, mais ce que j’aimerais porter à la connaissance du Tribunal figure à la page 47. Et, témoin, ce doit être à la page 50 ou 51 du livre de documents allemand.
Il s’agit d’un document du 7 juin 1933, émanant du chef de la propagande du Gau de Coblence-Trêves. Vous verrez qu’il est adressé à tous les Kreisleiter et qu’il a pour objet « la lutte contre les Juifs ». Un premier paragraphe dit qu’ils recevront une liste des maisons et entreprises juives. Un deuxième paragraphe est intitulé « Lutte contre les Juifs » :
« La Kreisleitung constituera un comité qui aura pour tâche de diriger et de surveiller les localités du Kreis. Le Kreisleiter déterminera l’importance de ce comité. Vous informerez immédiatement la direction de la propagande du Gau des comités que vous aurez institués. La direction de la propagande du Gau se mettra alors en contact avec ces comités par votre intermédiaire. »
Et cela continue par la proposition d’une grande quantité de mesures contre les Juifs, y compris la rupture des relations commerciales avec eux et les actions à entreprendre contre quiconque persisterait à commercer avec eux.
C’est un document qui nous est tombé entre les mains dans le Gau de Coblence-Trêves. J’aimerais que vous nous disiez dans quelle mesure il est adapté à la machinerie du Parti. L’ordre va de la direction de la propagande du Gau au Kreis ; puis, je suppose, quand les chefs du Parti des différents Kreis ont formé leurs comités, qu’ils ont utilisé les Ortsgruppenleiter, les Zellenleiter et les Blockleiter pour former ces comités. En est-il bien ainsi ?
Le document que j’ai devant moi est la copie d’une information radiodiffusée. Je ne pense pas qu’en 1933 on ait eu l’habitude de donner aux Gaue de telles informations par radio. Si j’admets que cette instruction a été distribuée, il s’agit toutefois d’une mesure prise dans le Gau de Coblence-Trêves, au sujet de laquelle il n’y a pas, à ma connaissance, d’instructions qui puissent lui servir de base ?
Vous n’êtes pas en train de prétendre que sur les quarante-deux Gaue, celui de Coblence-Trêves est le seul dans lequel ces mesures ont été prises en 1933 ?
Non.
Je vous demandais, à supposer que les instructions du Gau eussent été transmises aux Kreis, si ces comités avaient été formés par les différents dirigeants des Zellen et des Block du Kreis ?
Si ce document que j’ai correspond aux faits, il est évident que je dois l’admettre.
Compte tenu qu’il s’agit d’un document saisi par nos forces, j’ai raison de supposer que les Kreisleiter de Coblence-Trêves ont suivi ses prescriptions et ont formé leurs comités de lutte contre les Juifs avec les chefs de Zellen et de Blocks ?
Cette méthode et ces mesures n’ont jamais été vraies à l’échelle du Reich, et il n’y a jamais eu de dispositions prises pour tout le Reich, car j’aurais dû les connaître.
Si c’est un fait, nous ne gaspillerons pas plus de temps sur ce point. Mais je désirais montrer ce qui s’était passé en 1933 et en 1938. Voyons un peu maintenant la période de la guerre. Monsieur le Président, voulez-vous vous reporter aux pages 27 et 28. Pour vous, témoin, aux pages 29 et 30.
Oui.
C’est un document du 5 novembre 1942, L-316, concernant la justice pénale réservée aux Polonais et aux nationaux de l’Est, Je vais lire le premier paragraphe afin de vous expliquer :
« Le Reichsführer SS a conclu un accord avec le ministre de la Justice, le Dr Thierack, aux termes duquel la Justice suspend les procédures pénales habituelles dirigées contre les Polonais et les nationaux de l’Est. Ces personnes de races étrangères seront à l’avenir remises à la Police. Les Juifs et les Bohémiens doivent être traités de la même manière. Cet accord a été approuvé par le Führer. »
On explique ensuite, dans le paragraphe II, les raisons pour lesquelles ces personnes doivent être remises à la Police et ne doivent pas faire l’objet d’une procédure : Les Polonais et les nationaux de l’Est sont des étrangers inférieurs au point de vue racial, qui vivent sur le territoire allemand ».
Je voudrais que vous regardiez la fin de ce passage. On y trouve une série de considérations sur le fait que la procédure qui peut être intentée contre un Allemand ne s’applique pas à ces peuples de l’Est. Le paragraphe 3 dit :
« Les remarques ci-dessus sont pour information personnelle. En cas de besoin, cependant, que l’on n’hésite pas à informer les Gauleiter sous une forme appropriée. »
C’est le dernier paragraphe de ce document, qui contient cette phrase : « En cas de besoin, cependant, que l’on n’hésite pas à informer les Gauleiter sous une forme appropriée ». Maintenant, témoin, pouvez-vous dire au Tribunal comment les Gauleiter en sont arrivés à dénier tout droit de justice à ces nationaux de l’Est et à les remettre purement et simplement à la Police ? Qu’avaient-ils à y voir ?
Tout d’abord, ce document se réfère à son début à une instruction du Reichsführer SS adressée à ses services subordonnés et non, par conséquent, aux Gauleiter. En second lieu, on laisse au choix des destinataires de cette lettre le soin d’informer les Gauleiter en cas de nécessité.
C’est précisément ce que je vous demande de m’expliquer. Pourquoi était-il nécessaire pour les fonctionnaires de la Police et du RSHA de recevoir des instructions des Gauleiter à propos de ce refus du droit de justice ? Je désire que vous expliquiez au Tribunal comment les Gauleiter avaient à intervenir en ces affaires, à moins qu’ils n’aidassent la Police dans celles-ci comme ils avaient à l’aider dans d’autres questions. Comment intervenaient-ils ?
Les Gauleiter n’avaient absolument rien à voir avec ces questions. Si le Tribunal veut bien me le permettre, je vous dirai à ce sujet ce que je sais de ma propre expérience...
Je n’y tiens pas. Votre expérience personnelle ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir pourquoi la Police était avertie d’avoir à informer, si nécessaire, les Gauleiter. Dans quelles sortes de circonstances la Police se tournait-elle vers eux ? C’est ce que je voudrais savoir.
Je ne le sais pas. Les Gauleiter n’avaient rien à voir dans ces questions.
Vous répondez donc que vous ne pouvez rien dire au Tribunal, ni vous imaginer les circonstances qui ont poussé M. Streckenbach à envoyer ces instructions au chef suprême de la Police et des SS et à une demi-douzaine de districts policiers ? Vous ne pouvez imaginer des circonstances quelconques qui justifient ce paragraphe ?
J’ai déjà dit que l’auteur de la lettre laisse au destinataire le soin d’apprécier s’il convient d’informer les Gauleiter. Je ne puis non plus apprécier dans quel cas il fallait eu non informer les Gauleiter.
Bien. Voyons autre chose. Monsieur le Président, si vous voulez avoir la bonté de vous reporter à la page 24. Témoin, c’est à la page 26 de votre exemplaire. C’est un rapport de M. Abetz, ambassadeur du Reich à Paris, qui a fait l’objet d’une répartition très étendue parmi tous les services des Affaires étrangères et d’autres services encore. Il s’occupe des Juifs qui s’étaient enfuis d’Autriche et n’avaient pas échangé leurs passeports autrichiens contre des passeports allemands, et des Juifs allemands qui ne s’étaient pas fait connaître lorsqu’ils étaient à l’étranger. Je veux attirer votre attention sur la fin du premier paragraphe. M. Abetz dit :
« Je suggère pour l’avenir une procédure d’expropriation collective pour le territoire français occupé, basée sur des listes établies ici en accord avec les Hoheitsträger sur lesquelles doivent être portés tout d’abord les membres des groupes suivants : »
Et il donne une liste des ex-autrichiens et des Juifs d’origine allemande.
Puis-je vous prier de me dire où se trouve le terme « Hoheitsträger » ?
Vous voyez le paragraphe I ? A peu près trois lignes plus haut.
« Je suggère pour l’avenir une procédure d’expropriation collective pour le territoire français occupé, basée sur des listes établies ici en accord avec les Hoheitsträger, sur lesquelles doivent être portés tout d’abord les membres des groupes suivants... »
Et M. Abetz propose aux Hoheitsträger d’établir les listes des Juifs qui n’avaient pas suivi les prescriptions et devaient être expulsés de France où ils jouissaient d’une situation de sécurité relative, pour être transportés de nouveau dans le Reich et, de là, — nous sommes en 1942 — dans les régions occupées de l’Est pour y être gazés. Était-ce là une tâche normale des détenteurs de souveraineté du Parti que d’établir pour les autorités du Reich des listes de Juifs en état d’infraction ?
Tout d’abord, il convient de dire ici qu’il s’agit très probablement des dignitaires de l’organisation des Allemands à l’étranger. En ma qualité de Gauleiter...
Oui, je remarque ce mot. dans le document.
On ne m’a jamais demandé de procéder à de tels travaux et j’aurais refusé de les exécuter.
Encore une question sur le problème juif. Voudriez-vous jeter un coup d’œil sur Die Lage ? Monsieur le Président, c’est le document GB-534. Nous avons des copies des extraits qui nous intéressent. Die Lage est un rapport sur la situation politique et militaire du jour. Si vous voulez bien examiner le début, vous verrez qu’il s’agit d’un cahier d’août 1944, et qu’il commence par un article de l’accusé Dönitz sur la guerre navale. Vous verrez qu’à la première page figure le nom de la localité de Höngen qui, je crois, se trouve aux environs d’Aix-la-Chapelle. La NSDAP de Höngen. Vous avez trouvé ? Vous avez Die Lage ?
Oui.
Regardez maintenant la page 23. Il s’agit du problème juif en Hongrie.
« Il était évident que les services allemands en Hongrie avaient fait tout ; leur possible, après le 19 mars, pour éliminer l’élément juif aussi rapidement et aussi complètement que possible. Étant donné la proximité du front russe, ils commencèrent par la liquidation de la zone Nord-Est (Transylvanie du Nord et province des Carpathes), où l’élément juif était le plus fort du point de vue numérique. Puis, les Juifs furent rassemblés dans les autres provinces hongroises et transportés en Allemagne ou dans des territoires contrôlés par l’Allemagne. 100.000 Juifs restèrent aux mains des Hongrois pour être utilisés dans des bataillons de travail. »
Puis il est question du consentement à obtenir des Hongrois et d’un certain nombre de difficultés au sujet de la définition en Droit hongrois du terme de « Juif ». On lit, à la fin du premier paragraphe :
« Jusqu’au 9 juillet, 430.000 Juifs environ des provinces hongroises ont été remis aux autorités allemandes. Cette remise a eu lieu à la frontière hongroise à l’intérieur de laquelle l’exécution des mesures contre les Juifs et la responsabilité qui l’accompagne sont de la compétence des Hongrois. »
J’aimerais ensuite que vous remarquiez le paragraphe suivant qui concerne Budapest, où l’on dit :
« Dans la dernière phase des mesures contre les Juifs, les Juifs de Budapest devaient être déportés. Cela portait sur 260.000 Juifs environ. Mais, entre temps, la pression des pays ennemis et neutres (Hull », — je suppose qu’il s’agit de M. Cordell Hull — « Le roi de Suède, la Suisse, le Pape) était devenue si forte que les cercles hongrois bienveillants à l’égard des Juifs essayèrent d’influencer le Gouvernement hongrois pour empêcher d’autres mesures contre les Juifs. »
Témoin, si en Allemagne on ignorait l’action menée contre les Juifs en Hongrie, quiconque, par contre, recevait Die Lage savait ce que les Allemands faisaient des Juifs hongrois, n’est-ce pas ?
Je suis obligé de vous décevoir, Monsieur le Procureur. Personnellement, je vois cette brochure pour la première fois aujourd’hui. Je ne conteste pas avoir reçu ces journaux, mais je ne les ai jamais lus, peut-être parce que je n’avais pas le temps. Quant à savoir dans quelle mesure les membres du Parti en avaient connaissance, je ne peux pas le dire. Personnellement, j’apprends pour la première fois les mesures prises contre les Juifs, sous la forme de ces chiffres.
Mais voyons donc les destinataires de Die Loge. Vous n’avez pas eu de chance de ne pouvoir la lire, ou plutôt de la chance. Elle allait à toutes les directions des Gaue, à tous les commandements des Forces armées, de la Marine, de l’Aviation. Parvenait-elle à tous les chefs de Kreis et d’Ortsgruppen ?
Puis-je prier Monsieur le Procureur de me dire d’où il tire cette conclusion ?
Je vous demande précisément si c’est inexact. Vous devez savoir si tous les Gauleiter et états-majors de l’Armée la recevaient.
J’ai dit à Monsieur le Procureur que je vois ici pour la première fois cette brochure, mais il est possible qu’elle m’ait été adressée, mais je ne l’ai jamais vue, ni lue.
Vous ne l’avez jamais lue, dites-vous ; pas une seule fois ?
Je ne connais pas la revue Die Lage ; je la vois ici, pour la première fois, dans cette salle.
Bien, de sorte que vous ne pouvez pas dire si elle était distribuée aux Kreisleiter et Ortsgruppenleiter ?
Je considère que c’est invraisemblable parce que mon attitude à l’égard de la question juive était connue et que, très certainement, mes Kreisleiter auraient attiré mon attention s’ils avaient vu cet article.
Si je vous ai bien compris, vous avez dit il y a quelques instants qu’il était tout à fait possible que vous eussiez reçu Die Lage, mais que vous ne l’aviez pas lue ?
Je le déclare ici sous la foi du serment.
Pourquoi jugez-vous qu’il vous était possible de recevoir cette revue, si elle n’était pas distribuée aux Gauleiter ?
Je n’ai pas prétendu qu’on ne distribuait pas cette revue, j’ai simplement prié de me dire d’où il ressortait que les Gauleiter recevaient cette brochure.
Je vous ai demandé de vous reporter à la page de titre de cet exemplaire. Vous y verrez :
« NSDAP Höngen ». La distribution n’en était pas tellement limitée, puisque la NSDAP de Höngen l’a reçue. J’ai raison, témoin ? Il s’agit d’un village près d’Aix-la-Chapelle.
Je ne sais pas s’il s’agit d’un village à proximité d’Aix-la-Chapelle. Ce que je vois, c’est une note manuscrite dont je ne peux pas connaître l’origine. Je vois cette brochure pour la première fois aujourd’hui.
Bien. Je ne voudrais pas prendre trop de temps, mais je désire vous poser une ou deux questions sur un point que le Dr Servatius a mentionné : le lynchage des aviateurs alliés. Monsieur le Président, si vous voulez vous reporter à la page 41 du livre de documents ? Pour vous, témoin, page 43 de votre exemplaire. C’est un ordre du 13 mars 1940, signé de l’accusé Hess. Monsieur le Président, le document porte le numéro PS-062 (USA-696). Il est intitulé : « Instructions à la population civile sur l’attitude à adopter en cas d’atterrissage d’avions ennemis ou de parachutistes sur le territoire allemand ». Le texte dit :
« La population civile française a reçu des instructions officielles et par radio sur la façon dont elle doit se comporter en cas d’atterrissage d’avions allemands. Dans ces conditions, le Commandant en chef de l’Aviation m’a prié d’instruire la population civile en ce sens par la voie hiérarchique du Parti. Les directives jointes sur les mesures à prendre doivent être diffusées, oralement seulement par les Kreisleiter, Ortsgruppenleiter, Zellenleiter, Blockleiter et les chefs des groupes et organisations affiliées. Toute transmission par voie d’ordre officiel, par affichage, par la presse ou par la radio est interdite. Tampon officiel : affaire secrète d’État, et diverses instructions concernant le traitement des documents secrets. »
Si vous voulez bien vous reporter à la page suivante :
« 1. Chaque avion ennemi atterrissant en Allemagne doit être placé sous bonne garde ; 2. Les aviateurs doivent être arrêtés immédiatement et il faut éviter un nouveau départ, de même que la destruction ou l’incendie de l’appareil ». Le paragraphe 3 stipule qu’il n’y aura aucun pillage et que rien ne sera emporté comme souvenirs. » Voyons le paragraphe 4 :
« Les parachutistes eux-mêmes doivent être immédiatement arrêtés ou mis hors d’état de nuire ». Or, mettre hors d’état de nuire signifie assassiner ?
L’expression « mettre hors d’état de nuire » est mal choisie et constitue, en effet, quelque chose d’assez dangereux étant donné la situation de l’époque et étant donné que cette lettre provient du représentant du Führer, dont la conception absolument humaine et correcte était connue.
Le terme, pourtant, a été employé. Nous avons le terme « arrêté » ; le terme « mis hors d’état de nuire » doit signifier quelque chose d’autre. Ne croyez-vous pas que le chef de Block auquel étaient adressées ces directives l’interprétait comme signifiant la suppression des parachutistes ? Quel est le but du secret qui entourait cet ordre, si l’expression « mis hors d’état de nuire » n’a’pas ce sens ? Pourquoi avez-vous au moins quinze expressions différentes sur le secret qui doit entourer ces actes s’il ne s’agissait pas d’assassinat ? Il n’y a rien de secret dans cet ordre qui ne pût être livré à la publicité ?
Il y a d’autres points encore que le point 4. Je vous explique qu’en raison de la situation de l’époque cette expression « mis hors d’état de nuire » signifiait que si quelqu’un opposait une résistance, on devait le mettre hors d’état de nuire, mais j’ajoute que, sans interprétation, cette façon de s’exprimer constituait un certain danger pour les destinataires de cette lettre.
Il s’agit là de l’accusé Hess. Voyons maintenant l’ordre de Himmler du 10 août 1943. Monsieur le Président, c’est un ordre que vous trouverez à la page 89. Aux pages 116 et 117 pour vous, témoin. Cet ordre a été envoyé le 10 août 1943 au nom de Himmler par un certain SS-Obersturmbannführer Brandt et vous verrez que, là encore, vous figurez sur la liste de repartition :
« Sur la demande du Reichsführer SS, je vous envoie l’ordre ci-joint en vous priant d’en informer le chef de la Police d’ordre et de la Police de sécurité, qui le communiqueront oralement à leurs services subordonnés En outre, le Reichsführer SS demande que les Gauleiter intéressés soient informés oralement de cet ordre. Il n’entre pas dans les tâches de la Police d’intervenir dans les conflits entre Allemands et aviateurs anglais ou américains descendus en parachute. »
Pourquoi fallait-il informer oralement les Gauleiter, si ce n’est parce que cet ordre signifiait l’assassinat des aviateurs ?
L’intention contenue dans cet ordre n’est pas très claire dans ses détails. J’ai, moi aussi, reçu cet ordre par l’intermédiaire du chef des SS et de la Police, et ai donné l’ordre au Parti, aux Kreisleiter, afin qu’ils le transmettent à leurs services et aux préfets de Police, en toute circonstance de capturer ces aviateurs, de ne pas les maltraiter et de les livrer.
Mais ce n’est pas là ce que l’ordre exprimait quand vous l’avez transmis. L’ordre stipulait que la Police ne devait pas intervenir dans les conflits entre les Allemands et les aviateurs. Autrement dit, elle devait se tenir à l’écart pendant que les aviateurs étaient lynchés par la population. Si vous avez transmis cet ordre, cela veut dire que le Corps des dirigeants aidait et encourageait la non-intervention dans le lynchage des aviateurs alliés. C’est exact, n’est-ce pas ? Je désire simplement vous rappeler que ce n’était pas tout. Si vous vouliez bien, Monsieur le Président, vous reporter à la page 39 et à la page 40 du livre de documents ? 41 pour vous, témoin. Le document est du 30 mai 1944.
Est-ce que le témoin n’a pas dit que, d’après lui, ces aviateurs terroristes devaient être appréhendés et remis ?
Oui, Monsieur le Président, mais cela n’a rien à voir avec l’ordre.
Soit, mais à qui devaient-ils être remis ?
Témoin, à qui, selon vous, les aviateurs devaient-ils être remis, api es votre ordre ?
Les chefs politiques, qui étaient habilités à participer à la capture, devaient remettre ces aviateurs à la Police qui les livrait elle-même aux services compétents de l’Armée de l’air.
Vos ordres stipulaient que les chefs politiques qui avaient participé à l’arrestation devaient remettre les aviateurs à la Police. Mais s’agissait-il de la Police d’ordre ou de la Police de sécurité ?
A la Police d’ordre.
Bien. L’ordre suivant est de Bormann et du 30 mai 1944. Vous le trouverez à la page 41. A la page 39, Monsieur le Président, du document PS-057. Le premier paragraphe s’exprime ainsi :
« Les aviateurs anglais et américains qui volaient à basse altitude ont mitraillé ces dernières semaines, de façon réitérée, des enfants qui jouaient dans les parcs ; des femmes, des enfants, des paysans, dans les champs ; des véhicules sur les routes ; des convois de chemin de fer, et ont ainsi assassiné la population civile sans défense, des femmes et des enfants en particulier, de la manière la plus vile. Plusieurs cas se sont produits où des membres des équipages d’avions abattus ou forcés de faire un atterrissage, ont été lynchés sur place après capture par la population indignée au plus haut degré. Aucune poursuite ne doit être intentée contre les civils allemands qui ont participé à ces incidents. »
Cette directive a été expédiée aux Reichsleiter, aux Gauleiter et Kreisleiter, et vous voyez à la page suivante : « Le chef de la chancellerie du Parti, c’est-à-dire Bormann, demande que les Ortsgruppenleiter ne reçoivent que des instructions orales sur le contenu de cette circulaire ».
Je connais parfaitement cet ordre de Bormann. Je l’ai fait arrêter par le Gau Stabsamtsleiter ainsi que, pour des raisons de sécurité et en raison de cette lettre aussi, l’ordre que j’ai déjà mentionné ici et qui était adressé au Parti et à la Police, c’est-à-dire au préfet de Police, malgré les pertes qui avaient été dénombrées à Hambourg également.
Vous ne contestez pas, n’est-ce pas, que le but de cet ordre était d’encourager tous les chefs jusqu’au rang d’Ortsgruppenleiter à ne pas intervenir dans les cas de lynchage des. aviateurs ?
Non, d’ailleurs cela ressort très clairement du texte.
Je ne vais pas ergoter au sujet de ce document. Nous allons voir comment il a été interprété dans un Gau autre que le vôtre. Voulez-vous prendre la page 27, et la page 25 pour l’exemplaire anglais, Monsieur le Président ; vous y trouverez le document L-154 (USA-335). Il provient du service du Gauleiter de Westphalie du Sud, en date du 25 février 1945 ; il est signé Hoffmann, Gauleiter et Commissaire à la Défense du Reich du Gau de Westphalie du Sud. Il est adressé aux Landräte, aux Kreisleiter et aux chefs de Kreis du Volkssturm.
« Les pilotes de bombardiers qui sont abattus ne doivent pas être protégés contre l’indignation de la population. J’attends de tous les services de Police qu’ils refusent d’apporter leur protection à ces gangsters. Les services qui agiront contrairement aux sentiments populaires auront à m’en rendre compte. Les fonctionnaires de la Police et de la gendarmerie doivent être informés de mon point de vue. Signé : Albert Hoffmann. »
En tout cas, il est très clair que cet ordre a été interprété dans quelques Gaue comme un ordre direct de ne pas intervenir d’une manière quelconque si des aviateurs étaient lynchés par la population. En tout cas, vous m’avez dit que dans le Gau de Hambourg vous aviez donné des ordres pour que ces aviateurs fussent remis à la Police.
C’est ce qu’établit ce document ; d’après les renseignements que j’ai pu recueillir au cours de ces deux derniers mois, je me vois obligé d’admettre que certaines de ces choses ont pu se produire dans certains Gaue, mais je suis convaincu que dans certains autres on a fait comme chez moi.
Il y a encore un point que je désirerais vous voir éclaircir devant le Tribunal, bien qu’il ne concerne pas directement le Corps des chefs politiques. Pourquoi un SA-Obersturmbannführer pouvait-il signer ce document le 25 février 1945 ? Pourquoi l’a-t-il fait ?
Je n’ai pas compris la question.
Reprenez la page 27 et vous verrez la signature de Buckemüller, SA-Obersturmbannführer et chef d’état-major du Volkssturm du Kreis. Pourquoi a-t-il signé ce document ?
Je l’ignore.
Dans ces conditions, n’insistons pas. Voyons rapidement le problème suivant que le Dr Servatius a mentionné : l’Église. Vous étiez bien d’avis que la politique générale du Parti nazi consistait à faire tout ce qui était en son pouvoir pour affaiblir l’influence des Églises chrétiennes ?
Non.
Voulez-vous vous reporter à la page 1 du dernier livre ? C’est la page 7 de votre livre, et la page 1 de l’exemplaire anglais, Monsieur le Président. C’est le document D-75 du 12 décembre 1941. Il est question d’un décret secret du Reichsleiter Bormann concernant les relations du national-socialisme et du christianisme. Le premier paragraphe parle de la découverte dans les papiers d’un ecclésiastique protestant d’Aix-la-Chapelle, un nommé Eichholz, de ce décret, d’une copie d’un écrit sur ces relations qui doit émaner de Bormann. Le deuxième paragraphe s’exprime ainsi :
« Autant que j’ai pu m’en assurer, il s’agit, dans ce document, d’un décret secret de la chancellerie du Parti signé du Reichsleiter Bormann qui exprime que le national-socialisme et le christianisme sont incompatibles et que les influences des Églises en Allemagne, y compris l’Église protestante, doivent être éliminées. Le décret a été adressé au Gauleiter Dr Meyer à Munster, le 6 juin 1941... »
Puis vient la référence :
« J’ai vérifié ultérieurement que le décret a également été envoyé aux autres Gauleiter le 7 juin 1941. »
On signale plus bas que du fait que le premier paragraphe de ce décret-circulaire manque dans le document en la possession du pasteur Eichholz, il semble avoir été porté à la connaissance de l’Église. Vous vous rappelez certainement avoir reçu ce décret de Bormann aux environs du 7 juin 1941 ? Si vous ne vous en souvenez pas, vous le trouverez dans les deux pages suivantes et je vous rappellerai un ou deux de ses passages les plus fâcheux. Vous trouverez, à la fin du deuxième paragraphe :
« Notre idéologie nationale-socialiste est bien plus élevée que les concepts chrétiens qui, dans leurs points essentiels, ont été empruntés au judaïsme. Pour cette raison également, nous n’avons pas besoin du christianisme. »
Ensuite, il est question de l’éducation à donner à la jeunesse pour que le christianisme s’éteigne. Suivent alors quelques explications singulières où il est question de force vitale, et à la fin du document de Bormann, le troisième paragraphe s’exprime ainsi :
« Pour la première fois dans l’Histoire allemande, le Führer a sciemment et totalement la direction du peuple entre ses mains. Avec le Parti, ses groupes et ses associations affiliées, le Führer a créé pour lui-même et, par conséquent, pour la direction du Reich allemand, un instrument qui le rend totalement indépendant de l’Église. »
Suivent alors des développements de cette idée, et, dans l’avant-dernier paragraphe :
« Exactement comme les influences néfastes des astrologues, devins et autres fakirs ont été supprimées par l’État, ainsi la possibilité de l’influence de l’Église sera également et totalement éliminée. »
En ayant ainsi rafraîchi vos souvenirs, je ne pense pas que vous persistiez à oublier un décret formulé en termes aussi singuliers que celui-ci ? Vous vous en souvenez ?
Oui.
Direz-vous encore que la direction du Parti national-socialiste ne faisait pas tout ce qui était en son pouvoir pour attaquer le christianisme ?
Oui. Dans ce cas, il s’agit d’une déclaration du Reichsleiter Bormann qui, à ma connaissance, quelques jours plus tard, a été retirée sur ordre du Führer.
Il ne peut pas en être ainsi car vous voyez que ce décret date du 7 juin, et le décret qui a été transmis au RSHA, à son chef Müller, est du 12 décembre, c’est-à-dire six mois après la promulgation de l’autre. S’il avait été rapporté ou s’il avait contenu des mentions spéciales pour le SD et le service de renseignements du Reich, ces derniers eussent certainement appris que ce texte avait été rapporté six mois plus tôt.
Je déclara ici sous la foi du serment, non seulement que ce décret de mai a été formellement rapporté, mais encore que le texte même de ce décret a dû être, en fait, retourné.
Bien. Mais dans ces conditions, comment expliquez-vous le fait que la Police de sûreté n’ait jamais appris le renvoi du texte du décret ? Nous discutons de points de détail. Appliquons-nous. Je ne sais si vous avez entendu parler, ou peut-être lu que l’accusé Fritzsche a dit que « même Goebbels » avait peur de Bormann. N’est-il pas exact de dire que Bormann avait une grande influence, et en particulier au cours des dernières années ?
C’est exact, mais il n’est pas exact de dire que tout le monde avait peur de lui.
Mais nombreux étaient ceux qui eussent été influencés si Bormann avait donné une activité anti-chrétienne au Parti ?
Il ne peut s’agir là que de jeunes gens arrivés tard dans la direction du Parti.
Je prendrai maintenant deux exemples que j’essayerai de choisir très différents. Ils sont typiques pour vous. J’en prendrai un de 1935. Monsieur le Président, il s’agit du document PS-1507. C’est un nouveau document. Je ne peux pas me souvenir, témoin, si vous êtes catholique ou protestant. Je ne veux pas entrer dans le détail, mais je voudrais aborder un incident qui touche l’Église catholique. A quelle confession appartenez-vous ?
J’ai appartenu à la confession catholique.
Je suis certain que vous allez me suivre et voir de quoi il s’agit. Il s’agit d’un incident du 27 mars 1935 tandis que le cardinal Faulhaber prêchait dans la cathédrale de Freising. La section locale du Parti voulait enregistrer le sermon au cas où Son Emmenée eût dit quelque chose susceptible de porter préjudice au Parti. Elle y arriva en brisant une fenêtre de l’église et en introduisant un câble qui devait transmettre le son et permettre l’enregistrement. Il y eut divers incidents, quantité de discussions, mais je n’ai pas l’intention d’ennuyer le Tribunal en les rapportant. Cependant, l’un des prêtres de la cathédrale avertit le commandant d’armes local de cet incident, et je voudrais attirer votre attention sur ce qu’il dit du fonctionnement du Corps des dirigeants politiques. Je puis vous assurer qu’il s’agit de cet incident universellement connu, qui a déjà été décrit en long et en large et à propos duquel les deux parties se reprochent des exagérations de part et d’autre. Je me borne au passage dans lequel le commandant d’armes local décrit la situation.
Monsieur le Président, ce passage figure à la fin de la page 4 et à la page 5. Monsieur le Président, l’avez-vous trouvé ?
Oui.
C’est le dernier paragraphe de la page 5. Le rapport de cet officier allemand sur l’incident s’exprime ainsi :
« Le lundi 18 de ce mois, la Kreisleiterin de la ligue nationale-socialiste des femmes, une certaine Dr Kreis, se présenta au domicile de l’intendant Gruber et exigea de la femme de ce dernier de l’accompagner sur-le-champ à la cathédrale au sermon du cardinal Faulhaber, en insistant sur ses devoirs de membre du Parti et de la ligue nationale-socialiste des femmes. Elle repoussa l’objection de la dame Gruber qui était protestante, mais il avait été ordonné que chaque membre de la ligue des femmes dût se faire accompagner d’un SA en civil, qui devait ainsi se mêler au public et ne pas révéler qu’il était un membre du Parti en service commandé. Il n’y a aucun doute que cette mesure montre l’intention de troubler le service et de susciter des incidents violents. »
Vous verrez que l’officier de la Wehrmacht se fondait essentiellement et d’une façon intelligente sur le fait que Grüber, qui était trésorier militaire, n’avait pas à être mêlé dans des histoires qui touchaient le Parti. Mais voici ce que je voulais vous demander : la Kreisleiterin des femmes du Kreis dirigeait le personnel féminin du Parti pour le Kreis ? Si je me suis trompé, voulez-vous rectifier. Était-ce bien là sa fonction ?
Oui.
Et elle n’aurait pas entrepris cette action consistant à rassembler les femmes de Munich pour former un groupe au moment où le cardinal Faulhaber prêchait, si elle n’avait pas reçu des instructions du Kreisleiter ? Ne fallait-il pas que le Kreisleiter l’eût ordonné ?
Répondez à la question.
Cette description m’est totalement inconnue et je n’arrive pas à m’imaginer qu’un homme sérieux, tel que doit l’être un Kreisleiter, puisse ordonner une mesure qui, dans ses effets, doit se diriger contre le Parti.
Ce qui m’intéresse, voyez-vous, c’est que nous avons là un rapport officiel d’un officier responsable de la Wehrmacht, d’un commandant du régiment, je crois, qui porte également la signature de son adjoint. Il dit que la femme du trésorier a reçu la visite de la Kreisleiterin et a reçu l’ordre d’entreprendre cette action. A supposer que le commandant de ce régiment et M. Grüber aient raison — et nous devons, pour le moment, nous contenter d’admettre qu’ils avaient raison — cette Kreisleiterin ne pouvait pas entreprendre cette action sans un ordre du Kreisleiter ?
C’est vraisemblable. Chez moi, un tel Kreisleiter eût été exclu.
Mais prétendez-vous devant ce Tribunal que des incidents...
Sir David, il me semble que ce document parle de lui-même.
Je suis de cet avis, Monsieur le Président. Je voudrais encore donner un exemple. Je ne m’occuperai que des questions qui ont été soulevées par le Dr Servatius et limiterai autant que possible mes exemples.
Peut-être ferions-nous bien de suspendre l’audience.
Sir David, le Tribunal estime en ce qui concerne les nouveaux documents que vous pourriez avoir, que nous économiserions notre temps si vous les déposiez simplement sans faire porter sur eux votre contre-interrogatoire. Sauf s’il s’agit de documents qui émanent du témoin lui-même.
Oui. J’essayerai, Monsieur le Président. Cela économisera du temps et je me range très volontiers à votre avis.
Monsieur le Président, le fait de présenter de nouveaux documents comme preuve, que je ne connais pas encore, ne peut pas être, à mon avis, accepté. Je n’ai, en effet, aucune possibilité de me prononcer à leur encontre puisque j’en ai terminé avec mon exposé des preuves. J’ai remis un grand nombre de documents comme affidavits, mes témoins sont interrogés, et je ne sais pas comment je pourrai prendre position sur ces nouveaux documents.
Je suis certain que Sir David remettra les documents aux avocats le plus rapidement possible. Si, à ce moment-là, ils ne peuvent les examiner, ils pourront ultérieurement avoir à nouveau la parole sur ces documents.
Je vais tout de suite donner une partie des copies des documents au Dr Servatius.
Monsieur le Président, le document suivant sur la question des Églises est le D-901. C’est un nouveau document. Il contient quatre comptes rendus d’Ortsgruppenleiter. Je le dépose sous le numéro GB-536.
Avez-vous donné un numéro au document précédent ? Vous avez bien déposé un autre document nouveau, le PS-1507 ?
GB-535, Monsieur le Président.
Très bien.
Monsieur le Président, ce document contient quatre rapports d’Ortsgruppenleiter et les remarques faites à ce propos par le Kreisleiter. Monsieur le Président, je voudrais citer les premières phrases des deux premiers comptes rendus qui démontrent de quoi il est question. Le premier rapport émane de l’Ortsgruppe Darmstadt-Schlossgarten. Il est du 20 février 1939 : « Point 9 : questions des Églises ». Je cite :
« Comme me l’a annoncé le gérant de la maison paroissiale de la paroisse Saint-Martin, le Blockleiter et camarade du Parti Keil, des réunions du front confessionnel se tiennent à nouveau, sans participation du public, à l’institut Saint-Martin, Müllerstrasse (Ortsgruppe Gutenberg). Sont seuls autorisés à entrer les porteurs d’un laissez-passer rouge. »
Il s’élève ensuite contre ces classes d’instruction religieuse qui se poursuivent à portes fermées, et mentionne la Gestapo.
Le second document parle d’une déclaration d’un membre de l’Église. Il vient de l’Ortsgruppe Pfungstadt ; il est du 17 février 1939 :
« Quiconque se retirera de l’Église sera imposé à nouveau. » Ainsi s’est exprimé une nouvelle fois notre pasteur et grand commentateur Strack, dans le cadre d’une soirée des mères. On ferait bien, une bonne fois, de donner sérieusement sur les doigts de ce monsieur. »
Le troisième envoie une poésie du front confessionnel et le quatrième parle du maintien du groupe de jeunesse protestante. Monsieur le Président, les remarques du Kreisleiter figurent à la troisième page. Je n’en lirai qu’une ou deux :
« Compte rendu sur la situation politique de février 1939.
« 1. J’informerai moi-même le SD, la Gestapo et les Ortsgruppenleiter compétents, du compte rendu de l’Ortsgruppenleiter Wimmer (paroisse Saint-Martin).
« 2. J’inviterai l’Ortsgruppenleiter Frick, qui a rendu compte de Pfungstadt, à se rendre demain chez le Kreisleiter et lui demanderai d’indiquer ses témoins. Ces derniers vous seront communiqués ainsi qu’à la Gestapo (avec rapport sur l’incident). Le pasteur Strack, qui est largement connu, est mûr pour le camp de concentration ou le tribunal spécial. Les explications qu’il a données devant nos concitoyens représentent le summum de la perfidie. Dans tous les cas, l’homme doit disparaître du Kreis ou du Gau. »
Monsieur le Président, je n’importunerai pas le Tribunal plus longtemps avec cette affaire. C’est le point important.
J’ai deux documents sur le travail forcé qui sont nouveaux. Le premier est le document PS-315 que je vais déposer sous le numéro GB-537. C’est le procès-verbal d’une conférence sur le traitement infligé aux travailleurs étrangers, du 12 mars 1943.
Monsieur le Président, l’objet de ces documents est de démontrer un changement général de politique en la matière. Si vous voulez regarder au milieu du second paragraphe, vous trouverez la phrase suivante :
« Le traitement réservé jusque-là » — et c’est le passage que je veux souligner — « aux travailleurs de l’Est, a eu non seulement pour résultat une diminution de la production, mais a influencé avec beaucoup d’inconvénients l’orientation politique du peuple des pays de l’Est occupés et a amené des difficultés pour nos troupes. Pour faciliter les opérations militaires, il serait bon d’améliorer l’état des esprits en réservant un meilleur traitement aux travailleurs de l’Est qui sont dans le Reich. »
L’importance de cette affaire se révèle, Monsieur le Président, dès qu’elle arrive à la voie hiérarchique du Parti. C’est ce que nous montre le document PS-205. Je le dépose sous le numéro GB-538. C’est un extrait d’un décret de l’accusé Bormann. Il provient de la chancellerie du Parti et est ainsi rédigé :
« Le ministère de la Propagande du Reich et le RSHA ont établi en commun un mémorandum sur le traitement des travailleurs étrangers employés dans le Reich. Je demande, par la copie ci-jointe, d’informer d’une manière adéquate les membres du Parti et les citoyens de la nécessité d’un traitement sévère mais équitable des travailleurs étrangers. »
Ce document a été distribué aux Reichsleiter, Gauleiter, Kreisleiter et Ortsgruppenleiter.
Nous trouvons à la seconde page, au numéro 1, troisième alinéa :
« Même les hommes les plus primitifs ont un sens aigu de la justice. C’est pourquoi tout traitement injuste doit avoir des répercussions déplorables. Les injustices, les insultes, les mauvais traitements, les brimades, doivent cesser. Les peines corporelles sont interdites. Les ouvriers de nationalité étrangère doivent être informés à bon escient des mesures sévères adoptées contre les éléments séditieux et irréductibles. »
Monsieur le Président, c’est le mot cesser qui est important aux yeux du Ministère Public. Si vous examinez les deux documents, vous constaterez un changement notable. Le troisième document est le D-884 (GB-539), daté du 28 mars 1944. C’est un ordre du Parti établi par le Gau de Baden-Alsace, à Strasbourg. En tête figurent les mots « Gaustabsamtsleiter » et « secret ». C’est un document qui parle des relations sexuelles entre les travailleuses étrangères et les Allemands. Il donne les directives à suivre pour les travailleuses étrangères dans les cas où elles auraient des enfants. On dit, au haut de la seconde page du document :
« Les principes suivants valent pour les relations sexuelles entre les Allemands et les travailleuses étrangères. Si une travailleuse étrangère est incitée par un Allemand à avoir des relations sexuelles (par exemple du fait de sa situation dépendante), elle sera placée pour un court laps de temps en internement de protection et mutée dans un autre emploi. Dans d’autres cas, elle sera envoyée dans un camp de concentration réservé aux femmes. Les femmes enceintes ne sont envoyées dans les camps de concentration qu’après la naissance de l’enfant et après qu’elles auront eu les soins que nécessitera leur état.
« Le traitement des Allemands fera l’objet de directives spéciales. S’il a manqué à ses devoirs de surveillance et d’entretien, l’employeur n’aura plus la possibilité d’employer des femmes étrangères à l’avenir ; celles qu’il a lui seront retirées. Suivant les cas, d’autres mesures policières peuvent intervenir.
« Les principes exposés jusqu’ici trouvent en particulier application pour les catégories suivantes : a) Travailleurs de race polonaise ; b) Travailleurs étrangers non polonais du Gouvernement Général ; c) Travailleurs de Lituanie ; d) Travailleurs de l’ancien territoire soviétique ; e) Travailleurs de Serbie. »
Le paragraphe 2 s’occupe de l’enfant, et le titre de la fin du premier paragraphe s’exprime ainsi : « Traitement des ouvrières étrangères enceintes et de leurs enfants nés dans le Reich ». On y dit : « La procédure d’avortement est à nouveau expliquée dans les lignes suivantes ».
Suivent encore quelques considérations diverses touchant à la santé et aux races. Les paragraphes 5 et 6 disent :
« Si ces enquêtes démontrent que l’enfant sera satisfaisant du point de vue racial et qu’il aura une hérédité saine, il sera, après sa naissance, envoyé dans une maison pour enfants étrangers où il sera soigné par le service d’assistance du parti national-socialiste ou dans une famille. Dans le cas contraire, l’enfant sera envoyé dans un centre pour enfants étrangers. »
Enfin, le dernier paragraphe :
« Je demande aux Kreisleiter, en accord avec le chef de Kreis du Front du Travail et le chef des paysans du Kreis, de rendre compte immédiatement par la voie indiquée ci-dessus, des cas de grossesse ou des naissances qui auraient pu survenir. Le cas échéant, l’examen de tous les enfants d’ouvrières étrangères remis au service d’assistance du parti national-socialiste se fera conformément aux nouvelles directives. »
Monsieur le Président, vous verrez la distribution : le chef de Gau du Front du Travail allemand, qui est le représentant de la DAF dans le Gau ; le chef de la presse du Gau ; le chef de la propagande du Gau ; le Gauamtsleiter, chargé du service de la politique raciale, de la santé nationale, des questions de travail agricole, de loisirs, de questions raciales, etc. ; le service féminin du Gau ; les services du travail ; les Kreisleiter et les chefs de Kreis de la DAF et des syndicats agricoles. Ce document est aussi destiné à la Police de sécurité, au SD et au service du délégué du commissaire à la consolidation de la race allemande.
Je vous remercie de cette suggestion, Monsieur le Président ; elle nous économise du temps.
Monsieur le Président, j’ai une question à poser au sujet de la production des preuves. Le dernier document PS-205 a été produit ici pour la première fois. Le témoin n’a même pas été interrogé à son sujet. Je suppose que la production des preuves est terminée et qu’on ne peut plus produire de nouveaux documents. Je demande donc le retrait de ce document. La commission aurait déjà dû avoir eu connaissance et ce document aurait dû être produit au témoin. J’aurais moi-même pu produire d’autres documents. C’est une question de principe qui surgira à différentes reprises encore. Il n’appartient pas au témoin de prouver le crédit à accorder à ce document.
Ce document n’a pas été présenté au témoin conformément à la décision du Tribunal. Afin d’économiser du temps, le Tribunal avait demandé à Sir David de déposer le document. J’avais compris que vous étiez d’accord, que le document vous serait montré et que vous auriez l’occasion de le commenter.
Je connaissais le document, mais je voulais éclaircir la question de principe de savoir si la production des preuves par le Ministère Public était en principe terminée ou bien si, au contraire, de nouveaux documents pouvaient être produits.
Le Tribunal considère que le Ministère Public peut utiliser les preuves et les documents susceptibles de réfuter des preuves qui ont été déposées pour les organisations.
Sans les montrer au témoin ?
Le seul motif pour lequel le document n’a pas été montré au témoin réside dans le fait qu’il n’émanait pas de lui. Il ne s’agissait donc que d’expliquer ce document. Si vous voulez commenter ce document ou le montrer au témoin, vous avez tout loisir de le faire.
Je pourrai alors moi-même, si c’est nécessaire, produire un document contraire ?
Certainement. Vous pouvez poser autant de questions que vous voulez au témoin à propos de ce document.
Monsieur le Président, le témoin a très peu été interrogé sur des faits ; tout s’est plutôt réduit à une argumentation. J’espère pouvoir y revenir dans mes conclusions.
Je n’ai pas très bien compris ce que vous avez dit à propos d’argumentation.
Le témoin a été interrogé au sujet de questions qu’il ignore lui-même. On lui a montré des exemples qui s’étaient produits dans certains Gaue. Ce sont des faits qu’il ignore ; et il devait en tirer des conclusions sur la forme dont il fallait les commenter.
En principe, vous pouvez lui poser toutes les questions que vous désirez et qui ont été soulevées dans son contre-interrogatoire. S’il a été interrogé sur un document au cours du contre-interrogatoire ou si un document est déposé actuellement, vous pouvez lui poser maintenant toute question sur ce document ou sur celui qui a été déposé au cours du contre-interrogatoire.
Oui, j’ai quelques questions à poser. Témoin, on vous a produit un document, une ordonnance du représentant du Führer, Hess, du 13 mars 1940. Elle se trouve dans le livre de documents allemand à la page 43. Il s’agit des instructions à la population civile au moment de l’atterrissage ou du parachutage des aviateurs alliés sur le territoire allemand. On vous a souligné le chiffre n° 4 où il est dit :
« Les parachutistes alliés doivent être arrêtés immédiatement et mis hors d’état de nuire. »
Quelle était la situation aérienne à cette époque, car vous avez remarqué que la lettre est de 1940 ?
Je n’ai plus le document sous. les yeux, mais je me souviens qu’il date de 1940, et dans ma première réponse à cette question, j’ai déjà dit que la situation aérienne était telle qu’on ne pouvait donner qu’une explication humaine à ce terme en cette période de guerre.
Est-ce que les aviateurs ne descendaient pas dans des buts d’espionnage et n’est-ce pas pour cela qu’il fallait les mettre hors d’état de nuire ?
Les parachutistes sont composés des gens les plus divers : aviateurs en péril, commandos de sabotage, agents en civil ou autres. Quel groupe vise-t-on dans le texte ? On ne le précise pas.
Puis-je attirer votre attention sur le fait suivant : on dit sous le chiffre 2 :
« Les aviateurs doivent immédiatement être arrêtés et il faut les empêcher de repartir ou de commettre toute destruction ou incendie de l’avion. »
Le chiffre 4 dit :
« De même, les parachutistes ennemis doivent être arrêtés immédiatement ou mis hors d’était de nuire. »
Ne faut-il pas conclure du mot « de même » qu’il ne s’agissait en première ligne que d’une arrestation ?
Je répète moi-même ce que j’ai compris par les mots « mettre hors d’état de nuire », à cette époque, c’est-à-dire qu’il fallait les rendre inoffensifs, mais non les tuer ou les maltraiter.
Je n’ai pas d’autres questions à poser à ce témoin.
Chaque chef politique était-il rémunéré ? Avait-il un salaire du Parti ?
Un pourcentage infime, environ 0,1% d’après mes estimations, constituait les fonctionnaires payés par le Parti. La masse travaillait à titre honorifique, sans aucune indemnité.
Cela s’appliquait à toutes les catégories de fonctionnaires du Parti ?
Non, quelques tâches dans les fonctions supérieures ne laissaient pas assez de liberté pour remplir des tâches actives.
Tous les Gauleiter recevaient-ils un salaire ?
Oui, après la prise du pouvoir. C’est-à-dire pour autant que le Gauleiter n’avait pas une fonction d’État.
Combien était-il payé ?
Moi-même, en tant que Gauleiter, n’ai jamais reçu de traitement. Jusqu’en 1928, j’ai gagné ma vie moi-même ; à partir de 1928, j’étais député et, à partir de 1933, j’étais Statthalter. La situation était la même pour la plupart de mes camarades.
Vous voulez dire qu’à partir de 1933 la plupart de ceux qui avaient un emploi d’État étaient payés ?
Oui.
Et chez les Kreisleiter ?
Jusqu’à la prise du pouvoir, tous les Kreisleiter avaient des fonctions honorifiques qui ne comportaient pas d’indemnité.
Et après ?
Plus tard, pendant longtemps encore. J’estime qu’à partir de 1937, 1938 environ — et là encore il y avait des exceptions — ils assurèrent ces fonctions comme occupation principale et furent payés.
Ils devenaient ainsi fonctionnaires de l’État ?
Non, pas fonctionnaires de l’État, mais employés du Parti.
Et recevaient un traitement. Je comprends. Et ceux qui étaient d’un rang inférieur, comme les Ortsgruppenleiter et les Blockleiter ?
Non. A partir des Kreisleiter, personne n’était engagé à titre principal. Ces fonctions étaient honorifiques.
Même après 1933 ?
Oui.
Et après 1937 ?
Également. Les collaborateurs les plus importants du Kreisleiter étaient en partie occupés à titre principal et étaient payés. La masse d’entre eux n’avait que des fonctions honorifiques, de même que la hiérarchie descendante, à partir des Ortsgruppenleiter qui étaient compris.
D’où provenait l’argent avec lequel ils étaient payés ?
Du trésorier du Parti.
Et d’où obtenait-il l’argent pour les payer ?
Dans les cotisations des membres du mouvement.
Les ressources du Parti étaient séparées, n’est-ce pas ?
Le trésorier avait une administration de fonds complètement séparée.
La comptabilité du Parti était-elle publiée ?
Non. Je sais qu’occasionnellement, lors des congrès du Parti, le trésorier du Reich faisait à l’occasion un bref rapport. Mais il n’était jamais publié.
Y avait-il une mention dans le budget de l’État pour les fonds du Parti ?
Non. Au contraire, j’avais l’impression que le trésorier disposait, du fait des ressources de l’assurance du Parti et des cotisations des membres, de fonds très importants.
Docteur Servatius, voulez-vous faire venir votre témoin suivant.
Avec la permission du Tribunal, j’appelle le Kreisleiter Willi Meyer-Wendebom.
Comment vous appelez-vous ?
Willi Meyer-Wendebom.
Voulez-vous répéter ce serment après moi :
« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète la formule du serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Quand êtes-vous né ?
Le 24 juin 1891.
Pendant douze ans vous avez été Kreisleiter à Cloppenburg (Oldenburg) dans le Gau Weser-Ems, de 1934 à 1945. Vous avez également, à maintes reprises, exercé des remplacements dans le Kreis de Vechta. Auparavant, vous avez été Ortsgruppenleiter pendant un an et demi environ. Est-ce exact ?
Je suis resté onze ans dans le Kreis de Cloppenburg.
De 1934 à... ?
De 1934 à 1945.
Pouviez-vous vous rendre compte de ce qui se passait dans les autres Kreis ?
Je l’ai pu d’abord en tant qu’Ortsgruppenleiter et, plus tard, en ma qualité de Kreisleiter, parce que j’avais des réunions avez les chefs politiques et avec les Kreisleiter.
En tant que Kreisleiter, aviez-vous une fonction honorifique ou un poste régulier qui comportait un traitement ?
Pendant la première moitié, j’ai eu des fonctions honorifiques qui devinrent ensuite principales avec attribution d’un traitement.
Quels étaient les autres chefs politiques de la Kreisleitung qui percevaient un traitement ?
Le chef de l’administration, le chef de la propagande, le chef de l’instruction, le trésorier.
Les chefs politiques employés d’une façon principale ont-ils reçu des instructions spéciales secrètes ?
Non, jamais.
Pouvaient-ils mieux se rendre compte de ce qui se passait ?
Ils circulaient davantage que les autres et en apprenaient plus que les autres.
De quelles personnes se composait la Kreisleitung ?
D’abord, des services principaux de direction. C’étaient : l’organisation, la propagande, l’instruction, le service du personnel ; plus tard, des services d’administration et des services techniques, tels le chef des paysans, le chef du Front du Travail, le chef de la NSV, le chef du service d’éducation et le chef du service civil.
Les membres de la Kreisleitung devenaient-ils membres d’un Corps de chefs politiques du fait de leur nomination ?
Il n’y avait pas de nomination dans ce Corps des chefs politiques. Dès que les camarades du Parti intéressés étaient nommés, ils devenaient chefs politiques.
Connaissez-vous une ordonnance de Hess d’après laquelle cette dénomination d’organisation politique ou de Corps des chefs politiques était interdite ?
La dénomination d’organisation politique a été interdite par l’ancien représentant du Führer.
En tant que Kreisleiter, vous aviez des conférences à la Kreisleitung. Qui participait à ces conférences ?
Il y en avait de deux sortes. Dans un milieu restreint, c’était l’État-Major du Kreis. A la deuxième, dont le cercle était élargi, partipaient les représentants des administrations et les gens qui étaient intéressés à exposer des questions spéciales.
Est-ce que ces conférences étaient purement économiques, ou bien y traitait-on des questions politiques ?
En général, il s’agissait de questions de prévoyance et d’assistance pour les habitants du Kreis. A la fin, j’ai presque toujours donné un bref résumé de l’activité des dernières semaines.
Ne traitait-on pas également de questions politiques et de questions critiques et donnait-on des instructions touchant par exemple à l’élimination des résistances contre une guerre d’agression, des instructions sur la question juive, sur la question des Églises, des syndicats, de l’arrestation des adversaires politiques ?
Je n’avais pas à donner d’instructions spéciales. Il était strictement interdit de faire une politique personnelle. Nous n’avons jamais entendu parler de préparatifs de guerre. S’il fallait prendre des mesures contre des adversaires politiques, c’était l’affaire de l’État.
Quelles instructions ont été données sur la question juive et quel en était le but ?
A propos de la question juive, qui n’avait pas beaucoup d’importance chez nous, dans un Kreis rural, nous avons traité surtout du sujet de fond, c’est-à-dire de ramener l’influence juive à un chiffre de Juifs qui correspondît à leur pourcentage en Allemagne.
Quelles sont les instructions que vous avez données en votre qualité de Kreisleiter dans la question des Églises ? Quel était leur but ?
La lutte contre les Églises était en principe interdite. Je n’avais pas d’instructions à donner à ce sujet car mes hommes étaient presque tous catholiques et restaient fidèles à l’Église.
Que s’est-il passé lors des actions contre les Juifs, des 9 et 10 novembre 1938 ? Quelles sont les instructions que vous avez données à ce sujet ?
Je n’ai reçu aucune instruction et me suis trouvé devant le fait accompli. J’ai alors, en accord avec le Landrat, libéré les Juifs arrêtés et, à la suite de cela, j’ai reçu l’interdiction formelle de la direction du Gau d’engager des chefs politiques ou des membres du Parti. C’est tout ce qui s’est passé chez nous.
Quelles instructions ont été données dans la question des syndicats ? Quel était le but ?
Nous avons été totalement surpris par la mesure de l’ancien Reichsleiter Ley, du 1er ou du 2 mai. En tant que chefs politiques, nous n’avions nous-mêmes rien à voir là-dedans. Nous n’avions reçu aucune instruction quelconque.
Quelles instructions avez-vous données en tant que Kreisleiter à propos de vos adversaires politiques ?
Le traitement des adversaires politiques était du premier chef du domaine de l’Etat. Si je soupçonnais quelqu’un d’être un adversaire, je discutais régulièrement avec lui. C’est pourquoi je n’ai été amené à prendre que de rares mesures ou dispositions.
N’y avait-il pas, en fait, une liaison si étroite entre la Police d’État et la Kreisleitung que les arrestations des adversaires politiques prenaient toujours en pratique un caractère arbitraire ?
C’eût été très bon. Et lorsque je le suggérais au Gauleiter Karl Röver, celui-ci me disait qu’il s’agissait là de mesures de l’État qui ne nous regardaient pas en tant que chefs politiques.
Vous ne m’avez pas compris. Je vous ai demandé si vous n’aviez pas la possibilité de faire procéder à des arrestations en raison de vos rapports étroits avec la Police d’État ?
Non. Je ne le pouvais pas. Je n’avais pas de relations étroites avec la Police d’État et je n’ai jamais eu l’occasion de devoir arrêter ou de faire arrêter des individus.
Est-ce que, sur ordre des services supérieurs du Parti, il n’y avait pas un fichier des adversaires du Parti ?
Nous n’avons jamais de fichiers des adversaires, ni dans le Kreis, ni dans l’Ortsgruppe.
Est-ce que la Gestapo avait un tel fichier ? Y avez-vous participé ?
Je ne puis vous le dire, on ne m,e l’a jamais dit ; je l’ignore. Je n’y ai jamais contribué en tout cas.
En votre qualité de Kreisleiter, ne demandiez-vous pas des rapports sur le moral et les sentiments politiques dans votre Kreis ? Et ces rapports qui étaient établis d’après des fichiers n’émanaient-ils pas de mouchards ?
Il n’y a jamais eu de fichiers dans mon Kreis. On a eu l’intention de le faire, mais on ne l’a jamais réalisé. Je n’ai jamais demandé de rapports à des mouchards et ne les aurais pas reçus non plus. Mai j’ai demandé des rapports sur le moral et sur l’impression causée par les effets des mesures de l’État et du Parti.
Et quels étaient les buts poursuivis par ces rapports sur le moral ?
Nous désirions savoir l’effet produit sur la masse par les lois et règlements.
Comment receviez-vous vos instructions du Gauleiter ?
Je les recevais par écrit et oralement aussi.
Est-ce que les Kreisleiter participaient à des conférences avec les Gauleiter ? Qui assistait à ces conférences ?
Nous n’y participions pas toujours, mais seulement lorsqu’on traitait d’un sujet qui intéressait particulièrement le Kreis. Les chefs de service du Gau et les spécialistes prenaient part à ces conférences de la Gauleitung.
Quelle était la teneur des conférences ? Est-ce qu’elle correspondait à ce que vous avez dit tout à l’heure pour les conférences des Kreisleiter ?
C’était à peu près la même chose, mais élargi à l’échelle du Gau.
Comment informiez-vous les Ortsgruppenleiter ? Est-ce que cela se faisait dans le sens des conférences de la Gauleitung ou de la Kreisleitung ? Ou bien. transmettait-on des informations modifiées, de fausses informations ?
Après les conférences du Gauleiter, j’informais toujours mes hommes de ce que j’avais appris et je le transmettais comme mon. Gauleiter me l’avait déclaré.
Comment collaboriez-vous avec les SA ? Étaient-ils représentés dans la Kreisleitung ?
J’ai laissé pleine liberté aux SA de participer à nos conférences. Le chef local venait de temps à autre et écoutait en général nos discussions.
Pouviez-vous donner des ordres aux SA ou leur en imposer ?
Je ne pouvais pas donner des ordres aux SA. Je pouvais tout simplement, en m’adressant à leur service supérieur, demander leur aide pour des mesures de propagande, des rassemblements, un secours de main-d’œuvre ou autres.
Quelle était votre collaboration avec les Allgemeine SS ? Étaient-elles représentées dans la Kreisleitung ?
Dans notre ville, nous n’avions pas des Führer SS, et les SS n’ont rien fait pour être représentés d’une façon quelconque dans la Kreisleitung.
Pouviez-vous vous rendre compte des mesures que les SS prenaient pour la détention de protection et l’internement dans les camps de concentration ?
Non, je ne pouvais pas m’en rendre compte.
N’avez-vous jamais essayé d’en avoir un aperçu ?
Oui. C’était aux environs de 1935, mais je n’ai pas pu y parvenir. La visite d’un camp de concentration m’a été refusée. Je ne la désirais pas en raison de quelques atrocités que je soupçonnais, mais parce que c’était quelque chose de nouveau pour moi.
Pour quelles raisons ?
Il me fallait demander l’autorisation au RSHA. J’en ai rendu compte à la direction du Gau, car je ne devais pas entrer personnellement en contact avec le RSHA. La Gauleitung me l’a déconseillé, car cela paraissait très compliqué.
Vous ne savez pas si le RSHA était réellement compétent ?
Non, je ne puis le dire.
Quelles instructions avez-vous reçues ou données dans votre Kreis au sujet du lynchage des aviateurs alliés qui avaient fait un atterrissage forcé ?
Nous avons eu beaucoup d’atterrissages forcés ; je n’ai jamais donné d’instructions à ce sujet et je n’avais pas besoin d’en donner.
Mais vous connaissez certainement la lettre de Bormann et d’autres documents qui ont trait à cette question. Vous ne les connaissiez pas en votre qualité de Kreisleiter ?
Je n’ai pas reçu la lettre de Bormann ; par contre, j’ai entendu à la radio l’allocution du ministre de la Propagande du Reich qui la concernait.
Et que s’est-il passé à la suite de cela dans votre Kreis ? A-t-on agi en conséquence, d’après ce que Goebbels avait déclaré à la radio ?
Comme toujours, on a agi d’après les lois de la guerre et les hommes qui atterrissaient ont presque tous été très bien traités. Cela correspondait au caractère de toute la population.
Avez-vous reçu ou promulgué des instructions qui demandaient un mauvais traitement des prisonniers de guerre ou des travailleurs étrangers ? Ou bien avez-vous toléré de mauvais traitements ?
Je ne pouvais donner aucune instruction pour les prisonniers de guerre. C’était du ressort de la Wehrmacht. Mais j’ai fait en sorte que tous les ouvriers étrangers soient bien traités chez nous. Si des incidents survenaient, tels que des brutalités, je demandais une mutation immédiate au Service du travail et laissais les intéressés sans secours pendant quelques semaines.
Donc, vous n’avez jamais reçu d’instructions sur un mauvais traitement des travailleurs étrangers ?
Non, au contraire, on m’a demandé d’exiger un bon traitement.
L’attitude des chefs politiques de votre Kreis au sujet des questions politiques que nous venons d’envisager était-elle une exception ou était-elle commune à d’autres Kreis, dans la mesure où vous êtes capable de l’apprécier ? En était-il généralement ainsi ?
Avant la guerre, j’ai eu l’impression que cette attitude était générale. Pendant la guerre, et pendant mon séjour au camp de Fallingbostel, lorsque j’ai collaboré à l’établissement des déclarations sous serment, j’ai dû définitivement me convaincre que ce que je vous dis ici valait également pour des milliers d’autres.
Vous avez examiné et recueilli ces déclarations sous serment ?
Oui.
N’avez-vous pas rejeté des avis défavorables ?
Je ne l’ai jamais fait. Je n’ai d’ailleurs rien vu de défavorable.
Comment expliquez-vous alors les incidents de fait soulevés par la question juive, la question des Églises ?
Nous n’avons jamais eu connaissance de la proportion de toutes ces choses. Ce que j’ai appris n’était pas très important. On disait que l’un ou l’autre ne pouvait oublier un souvenir de la période héroïque, qu’il avait mal compris les instructions et qu’il voulait faire des bêtises. Mais, en général, nous n’avons pas vécu ces événements dont nous n’avons rien su.
Vous n’avez pas eu connaissance de ces choses ?
Non.
Est-ce que l’attitude des SS et notamment le fait de refuser des visites dans les camps des concentration ne provoquaient pas de votre part des soupçons ? Car il y avait des rumeurs au sujet de ces camps ?
J’ai expliqué ce refus, non pas parce qu’on voulait cacher des crimes, mais, étant donné le caractère des SS, je supposais que c’était un certain arbitraire de leur part et qu’ils pensaient : « C’est notre domaine et cela ne vous regarde pas, vous, chefs politiques ».
Étiez-vous d’accord avec la pratique réelle du Parti dans tous ses points ?
Non, je n’ai pas toujours été d’accord. J’en ai parlé avec mon vieux Gauleiter à différentes reprises.
Est-ce que vos objections étaient graves ?
Non, elles n’étaient pas très graves. Mais dans cette affaire juive, en novembre, j’ai dû attirer l’attention sur les conséquences que cela pouvait avoir à l’étranger. J’avais également entendu dire que des hommes influents n’étaient nullement d’accord avec ces mesures et cela me donnait du courage pour donner mon opinion de mon côté.
Est-ce que vous n’avez jamais réfléchi pour savoir si vous deviez persister dans vos fonctions ou démissionner ?
Si j’avais démissionné, je n’aurais pas amélioré la situation, au contraire, étant donné que j’avais passé vingt années dans le Kreis, mon successeur n’aurait pas connu mes gens aussi bien que moi. Ainsi pouvais-je reconnaître et redresser les erreurs à temps.
Sont-ce là toutes les questions que vous avez à poser ?
J’aurai encore une ou deux questions à poser demain.
Très bien. L’audience est levée.