CENT QUATRE-VINGT-ONZIÈME JOURNÉE.
Mercredi 31 juillet 1946.
Audience du matin.
(Le témoin Meyer-Wendeborn est à la barre.)Monsieur le témoin, avez-vous considéré les Blockleiter et les Zellenleiter comme « Hoheitsträger » ?
Non.
Ne savez-vous pas que, dans le livre d’organisation du Parti, les Blockleiter et Zellenleiter sont désignés comme Hoheitsträger ?
Je l’ai lu en effet, mais je n’ai jamais pu me ranger à cet avis, étant donné que le livre d’organisation part de prémisses qui n’étaient pas données.
Mais alors, qu’entendez-vous ; par Hoheitsträger ?
Le Hoheitsträger ou détenteur de souveraineté est le premier représentant du mouvement dans son domaine. Il a le droit de donner des ordres aux chefs politiques qui lui sont subordonnés et aux membres du Parti. Par ailleurs, son attitude dans le service et aussi dans sa vie privée doit être telle qu’à tous moments, même ceux qui ne sont pas membres du Parti le respectent comme un service d’État et se conforment à ce qu’il dit et à ce qu’il décide sans y être obligés par la loi.
Vous parliez des droits qu’avaient les chefs politiques ? Est-ce que les Blockleiter et Zellenleiter avaient également ces droits ?
Non, ils ne les avaient pas et ne voulaient d’ailleurs pas les avoir.
Est-ce que les Blockleiter n’avaient pas le droit de faire appel à des forces de SA, de SS ou de Police ?
Non, ils n’avaient pas la possibilité de faire appel à ces forces ?
Alors, il est exact, par conséquent, que les Blockleiter et Zellenleiter n’étaient que des auxiliaires des Orts-gruppenleiter et qu’ils n’avaient pas d’attributions indépendantes ?
Ils constituaient le corps de sous-officiers placés sous les ordres des Ortsgruppenleiter.
Je n’ai plus de questions à poser à ce témoin.
J’ai un certain nombre de documents nouveaux de deux ou trois pages qui se rapportent à d’autres sujets. Si Monsieur le Président le désire, je peux présenter ces documents rapidement, de la même façon qui a été indiquée à Sir David, ou bien. normalement lors du contre-interrogatoire. Que le Tribunal veuille bien m’indiquer la façon de procéder qui lui paraît la plus commode.
Colonel Griffith-Jones, si cela ne gêne pas votre contre-interrogatoire, peut-être vaudrait-il mieux présenter dès maintenant les documents, en indiquant les numéros des pages et quelle en est la teneur.
Très bien, Monsieur le Président, je me conformerai à ces indications.
Naturellement, s’il y a quoi que ce soit de particulier en ce qui concerne ce témoin, vous n’avez qu’à le dire.
Monsieur le Président, la première question dont je voulais m’occuper porte sur l’action entreprise par le Corps des dirigeants politiques à propos des élections et j’invite le Tribunal à se reporter au nouveau document D-43 qui deviendra GB-540. Je crois savoir que le Tribunal a des copies de ce document.
C’est une lettre de la NSDAP, du district de Memel, adressée à tous les Ortsgruppenleiter et Stützpunktleiter. Ce sont des instructions concernant les élections au Reichstag du 29 mars 1936. Étant donné que le ministre de l’Intérieur, le Dr Frick, a posé des questions à ce sujet, il faut signaler où les fonctionnaires n’ont pas rempli leur devoir électoral le 29 mars 1936.
« Dans la mesure où des cas de ce genre sont connus dans votre Ortsgruppe ou votre Stützpunkt, vous me rendrez compte de ces noms le 3 juin de cette année au plus tard. »
L’expression « Stützpunkt » représente un groupe de moindre importance qu’un Ortsgruppe ; il a été aboli après avoir existé jusqu’en 1936.
« Vous me rendrez compte de ces noms le 3 juin de cette année au plus tard. Il est essentiel que le rapport soit correct. » Et le dernier paragraphe dit : « Cette circulaire doit être détruite dès que la question sera réglée ».
Monsieur le Président, le document suivant est le document D-897, qui devient GB-541. Il est relatif au plébiscite de 1938.
La première remarque que j’ai à faire à ce propos, c’est que cette activité mentionnée dans la lettre que je viens de vous signaler n’est pas un cas isolé. La seconde remarque, c’est qu’elle montre la collaboration étroite existant entre la Police de sécurité et les dirigeants politiques.
A la page 1 de ce document, on trouve un ordre spécial, du 4 avril 1938, du Service de sécurité du Reichsführer SS d’Erfurt, en Thuringe, le Gau dont Sauckel était Gauleiter. C’est un document « strictement confidentiel » et il est adressé à tous les spécialistes et Stützpunktleiter.
« Les Stützpunktleiter doivent signaler avant 18 heures, le 7 avril 1938, toutes les personnes de leur district dont on peut supposer, avec 100 % de vraisemblance, qu’elles voteront « non » pour le plébiscite à venir. Ne pas oublier les exégètes internationaux de la Bible (Internationale Bibelforscher). Les spécialistes doivent aider autant que possible les Stützpunktleiter, à cette occasion. Cette affaire doit être menée en collaboration la plus étroite avec les Ortsgruppenleiter du Parti. Ceux-ci recevront personnellement des instructions des Aussenstellenleiter, le 5 avril 1938 à partir de 18 heures. »
Je crois que nous pouvons sauter le paragraphe suivant et poursuivre :
« La responsabilité énorme qui repose sur les Stützpunktleiter, en particulier en ce qui concerne ce compte rendu, est une fois de plus soulignée. Les Stützpunktleiter doivent clairement comprendre les conséquences possibles pour les personnes signalées dans leur compte rendu. Il faut soigneusement considérer si les personnes qui communiquent des informations de ce genre aux Stützpunktleiter et auxquelles ils s’adressent pour leur enquête ne sont pas poussées par des motifs personnels. Même les chefs politiques ne sont pas exceptés de ces considérations.
La nature confidentielle de cet ordre est soulignée une fois de plus. L’ordre doit être enregistré très soigneusement dans la mémoire des destinataires et détruit immédiatement. Chaque Stützpunktleiter est personnellement responsable devant moi de la destruction totale de cet ordre. »
Les raisons de l’exactitude exigée sont soulignées dans le document suivant. A la page 2, sont numérotées certaines parties de la population au sujet desquelles il faudra mener une enquête ou qui devront faire l’objet d’une surveillance spéciale. On le voit dans le premier paragraphe : « Une attention accrue doit être consacrée à la participation et au résultat du plébiscite du 10 avril 1938, particulièrement dans les petites villes et les villages. On doit par-dessus tout s’assurer du fait de savoir si les adversaires sont à rechercher parmi les cercles d’opposition d’idéologie marxiste ». Je dois attirer ensuite l’attention du Tribunal sur le paragraphe 2, sous le titre « Catholicisme » : « Est-ce qu’une attitude a été exprimée au cours d’un service religieux ou d’une réunion similaire » ?
L’audience est suspendue.
Si cela vous convient, le Tribunal ne suspendra pas l’audience désormais avant une heure de l’après-midi.
Monsieur le Président, j’en étais venu au paragraphe n° 2, relatif au catholicisme, à la seconde page du document D-897.
« Est-ce qu’une attitude a été exprimée au cours d’un service religieux ou autre réunion similaire ? »
Pourrais-je poser à ce sujet une question au témoin ? Témoin, quand l’Ortsgruppenleiter était chargé de rendre compte sur ce point, est-ce que les Blockleiter et Zellenleiter étaient interrogés par ses soins pour donner des renseignements quant aux opinions exprimées au cours des divers services religieux dans son Orts-gruppe ?
Non.
Voulez-vous dire au Tribunal qui le faisait, si ce n’étaient pas les Zellenleiter ?
De telles informations confidentielles, si toutefois on les avait exigées, auraient été fournies par l’Ortsgruppenleiter lui-même.
Pensez-vous que l’Ortsgruppenleiter était à même d’assister lui-même à tous les services religieux dans son Ortsgruppe ? Pensez-vous que c’était pratiquement possible pour un Ortsgruppenleiter.
Non. Il n’aurait pas pu le faire ; pour de pareilles informations, il aurait toujours eu à sa disposition des hommes spéciaux auxquels il aurait fait appel pour avoir des conseils et des renseignements.
Ne pensez-vous pas que ces hommes spéciaux qui leur fournissaient des informations étaient les Zellenleiter et Blockleiter ?
Non, ce n’était pas eux.
Fort bien, passons à autre chose.
Le titre suivant est « Protestantisme ». A nouveau, j’attire votre attention sur le paragraphe 2, où il est dit : « Est-ce qu’une attitude a été observée au sujet de l’AnschIuss ou du plébiscite au cours des services religieux ? » Le paragraphe suivant : « Comment s’est exprimée la presse des Églises ? » et le paragraphe 5 : « Est-ce que les cloches de toutes les communautés religieuses ont sonné dans la soirée du 9 avril 1938, à la suite du discours du Führer à Vienne ? »
Témoin, n’étaient-ce pas les Blockleiter et les Zellenleiter qui devaient fournir des comptes rendus sur la question de savoir si les cloches avaient sonné le 9 avril 1938 dans leur district ?
Ils auraient pu le dire, car si les cloches avaient sonné, il est certain que les Blockleiter et Zellenleiter les auraient entendues eux aussi.
Prenons la page suivante du document, avant-dernier paragraphe.
« On suggère d’entrer en contact de la manière appropriée avec les personnages officiels qui s’occupent des élections. L’exercice de tout type de pression, cependant, doit être évité. »
Voyons maintenant la page 3 de la traduction anglaise. C’est un rapport d’un service local du Service de sécurité (SD) de Weissensee, du 25 avril. Nous allons voir comment les instructions sur les élections ont été mises à exécution.
« Avant le vote, le membre du Parti Paul Fritsche, de Weissensee, Thuringe, Jakobstrasse, a établi une liste de toutes les personnes soupçonnées de voter « non ». Le jour des élections, toutes les personnes figurant sur cette liste ont reçu d’un fonctionnaire spécialement choisi un bulletin électoral qui était marqué d’un numéro imprimé au moyen d’une machine à écrire sans encre. »
Et on décrit ensuite ce qui se passait dans la pratique. On lit dans le milieu du premier paragraphe de la page suivante :
« .... Le préposé au vote ne jetait pas immédiatement l’enveloppe dans l’urne, mais essayait de la glisser sous le couvercle de papier qui se trouvait sur l’urne et en obstruait l’orifice pour pouvoir ouvrir l’enveloppe au moment opportun. »
Le document suivant, à la page suivante, est un autre rapport d’une autre section du service de Sécurité.
« A tous les Ortsgruppenleiter de la NSDAP du Kreis d’Erfurt-Weissensee.
« Au moment où elles se présenteront dans la zone de notre Ortsgruppe dans le but de remplir leur devoir électoral, les personnes mentionnées ci-dessous doivent être surveillées et la Kreisleitung d’Erfurt (Bureau électoral SD) doit être avisée immédiatement. »
Les noms suivent et on trouve à la fin :
« Par ordre du Kreisleiter, cette question doit être traitée d’une façon strictement confidentielle. »
A la page suivante, il y a un autre rapport qui concerne le Bibelforscher Robert Siering et sa femme : « Ils se présentèrent au bureau de vote de Grûnstedt, le dimanche matin, et déposèrent leur bulletin après avoir été avisés de leur devoir électoral par la Police et menacés de la saisie de leur enfant en cas de non-participation. »
Le document suivant relatif au même sujet, Monsieur le Président, porte le numéro D-902 et deviendra GB-542. A la première page de ce document, nous avons un rapport envoyé à la section d’Erfurt du Service de sécurité et portant la mention « confidentiel ». On ne voit pas très clairement quel en est le signataire. Il est daté du 7 avril 1938 et dit :
« Après des recherches approfondies et minutieuses dans la zone de l’Ortsgruppe de Melchendorf menées avec la collaboration la plus étroite de l’Ortsgruppenleiter, nous en arrivons à la conclusion suivante : les personnes suivantes, avec 100 % de vraisemblance, voteront « non » lors du vote du 10 avril 1938 ».
Viennent ensuite une liste de noms et des explications pour chaque cas individuel :
« Explications :
1. Wilheim Messing (internement de protection en 1933 pour son activité illégale pour le parti communiste et impression de tracts haineux illégaux) ;
2. Walter Messing (internement de protection en 1933 pour avoir diffamé les SA)... »
Monsieur le Président, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de lire le reste de cette page. Mais je désire attirer l’attention du Tribunal sur les trois derniers paragraphes de la page suivante :
« Gûnther Hartung, Johannesstrasse 113, entrée de la Wallstrasse, doit être signalé comme un ennemi de l’État, hostile au vote. Hartung est un homme totalement dégénéré du point de vue moral et il est nécessaire de l’interner en dépit de son âge, soixante-dix ans ; entre autres choses, il a traité les troupes allemandes, au moment de leur entrée en Autriche, de « vagabonds ». Il y a assez de témoins contre Hartung. »
La page suivante est un autre rapport relatif au plébiscite. Je désirerais attirer l’attention du Tribunal sur l’avant-dernier paragraphe :
« La femme du Juif Bieischowsky, qui a été traînée au bureau de vote peu avant la fin des opérations, a voté « non » ; on peut le prouver. »
Prenons maintenant la page 7 de la traduction anglaise ; elle indique comment les bulletins ont été marqués dans un autre district au moyen d’une machine à écrire sans encre ; nous trouvons à la page 9 de la traduction anglaise un autre rapport :
« L’ouvrier Otto Wiegand a dû être invité quatre fois à se présenter le jour des élections et n’a voté finalement que sous la contrainte. »
Et le rapport suivant à la même page :
« La femme mariée Frieda Schreiner n’a pas voté, bien qu’elle eût été invitée de façon réitérée à le faire. Cette femme est un membre fanatique de l’ancienne association internationale des exégètes de la Bible. Le mari, qui a les mêmes opinions et qui a fait l’objet de poursuites judiciaires à ce propos, a voté. S’il s’est présenté aux urnes, on peut être certain que ce fait est dû uniquement à la crainte d’être arrêté à nouveau. »
Monsieur le Président, les autres parties de ce document qui nous intéressent figurent à la page 11, où l’on trouve un extrait de journal local signalant l’unité parfaite du vote allemand qui a été obtenue par la collaboration du Service de sécurité et du Corps des dirigeants politiques, comme nous venons de le voir.
Pour souligner à nouveau le fait que ce n’étaient pas là des cas isolés, je désire attirer l’attention du Tribunal sur un document qui a déjà été versé aux débats. On ]e trouvera à la page 91 du petit livre de documents que Sir David a déposé hier, pages 118 et 119 du texte allemand. C’est le document R-142 (USA-481). Comme vous le verrez, c’est un rapport du Service de sécurité de Coblence. Je cite le deuxième paragraphe :
« Le pourcentage élevé de votes négatifs et de votes nuls est dû dans presque tous les cas à l’attitude religieuse de la population, qu’elle soit catholique ou protestante. Le chef de l’administration du Kreis » — qui faisait partie de l’État-Major du Kreisleiter — « a donné l’assurance que c’étaient en majorité des femmes qui avaient voté « non » ou en blanc. Comme on l’a appris ici, un contrôle avait été organisé... »
Monsieur Griffith-Jones, ce document a déjà été versé aux débats, n’est-ce pas ?
Oui, Monsieur le Président.
Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’y revenir.
Monsieur le Président, je voulais simplement attirer votre attention sur ce document. Vous trouverez d’autres documents aux pages 54 et 55 de ce même livre de documents, PS-849 (USA-354) ; PS-848 (USA-353). Ces deux documents décrivent comment le Parti...
Monsieur Griffith-Jones, je ne crois pas que vous deviez faire des commentaires sur des documents qui ont déjà été versés aux débats, à moins que le témoin ne puisse lui-même éclaircir certains points de ces documents.
Si je me borne à ces nouveaux documents sans attirer l’attention du Tribunal sur d’autres qui traitent le même sujet, il m’est difficile d’atteindre le but auquel je serais arrivé au cours de mon contre-interrogatoire de ce témoin sur les documents.
Si ces documents ne sont pas nouveaux et si vous désirez interroger le témoin à ce sujet, vous le pouvez.
Très bien, Monsieur le Président. Je laisse maintenant cette question.
L’autre problème sur lequel j’avais l’intention d’interroger ce témoin est l’euthanasie ou la mort par charité, et le rôle joué à ce propos par les dirigeants politiques.
Monsieur le Président, il s’agit d’un nouveau document, D-906, qui deviendra GB-543. Je voudrais mentionner d’abord le second des trois documents qui figurent à la première page de ce dossier. Le numéro 2 est une lettre de la NSDAP, du représentant du Führer Martin Bormann, du 24 septembre 1940 :
« Au Gauleiter de Franconie, à l’attention du Kreisleiter Zimmermann.
Votre lettre du 13 septembre 1940 m’a été remise par le membre du Parti Hoffmann. La commission qui travaillait à Neuendettelsau est sous le contrôle de M. le Reichsleiter Bouhler ; elle opère sur son ordre.
« Le texte des indications à fournir aux parents sera formulé de façons diverses comme je m’en suis assuré une fois de plus hier. Il peut naturellement se produire quelquefois que deux familles vivant l’une auprès de l’autre reçoivent des lettres formulées de façon similaire, et il est naturel que les représentants de l’idéologie chrétienne s’élèvent contre les mesures de la commission. Il est également naturel que tous les services du Parti soutiennent, dans la mesure où cela est nécessaire, le travail de la commission. »
Revenons maintenant au n° 1 de cette page :
« Le Gaustabsamtsieiter de Franconie Sellmer » (c’est un autre officier de l’Êtat-Major du Gau). « Note manuscrite du 1er octobre 1940.
« Justice. Visite du membre du Parti Blankenberg de Berlin. L’action doit commencer dans un proche avenir. Jusqu’à maintenant, aucun incident désagréable ne s’est produit. 30.000 expédiés. On s’attend encore à 100.000 ou 120.000. Le cercle de ceux qui sont initiés doit être tenu restreint. Si nécessaire, le Kreisleiter doit être avisé à temps. »
Et plus loin :
« Le Führer a donné l’ordre. Le décret est prêt. Pour le moment seulement, les cas non douteux, c’est-à-dire ceux à 100%, sont réglés. Plus tard une extension aura lieu. Dorénavant, notification sera donnée par... » Ici un mot illisible. Puis, à la fin du document. « Le Kreisleiter Sellmer sera informé ».
J’en viens au numéro 3 qui est un rapport sur la situation de la Kreisleitung d’Erlangen, daté du 26 novembre 1940, qui traite de l’élimination des malades mentaux.
« Sur ordre du ministère de l’Intérieur signé Schulz ou Schuitze, une commission composée, entre autres, d’un docteur de l’Allemagne du Nord et d’un certain nombre d’étudiants, a fait son apparition il y a quelques jours à la maison de santé et à l’asile locaux. La commission a examiné les documents des malades hébergés dans cet établissement. » On décrit ensuite comment on examinait les malades, qui, sur un ordre du Commissaire à la Défense du Reich, devaient être transférés dans un autre établissement. On prévoyait « ... qu’une compagnie de transports de Berlin devait s’occuper du transfert et que le directeur de l’établissement devait suivre les directives de la compagnie qui était en possession d’une liste nominative ».
C’est ainsi que trois transports totalisant 370 patients ont été effectués à Sonnenstein près de Pirma et dans la région de Linz. Et on ajoute :
« Un autre transport doit partir en janvier de l’année prochaine. »
Et quelques lignes plus bas :
« Il est assez étrange que divers parents aient reçu notification, après le transport, de la mort de leur malade, dans certains cas de pneumonie, et dans d’autres, de maladie infectieuse. En même temps, les parents furent informés, en outre, qu’il s’était avéré nécessaire d’incinérer les corps et que, si cela les intéressait, ils pouvaient recevoir les vêtements de la personne décédée.
« L’état civil d’Erlangen fut également averti par l’établissement de divers cas de décès ; là encore, la pneumonie et les maladies infectieuses furent données comme cause du décès, maladies qui n’avaient aucun rapport avec l’évolution précédente des maladies des malades, de sorte qu’il faut supposer que nous avons là un autre cas de faux renseignements. La population est singulièrement troublée par ce transfert des patients, parce qu’elle y voit une relation avec les cas de décès qui ne manquaient pas de se produire rapidement. On parle, en partie ouvertement, en partie secrètement, de l’élimination des malades, pour laquelle il n’existe aucune raison légale. Dans la période de guerre, une telle agitation parmi la population a certainement un double effet défavorable. Qui plus est, les événements décrits ci-dessus donnent à l’Église et aux cercles religieux un prétexte pour ranimer leur attitude hostile au national-socialisme. »
A quelle partie de l’article 6 du Statut s’applique ce document ?
A la partie concernant les crimes contre l’Humanité.
Ont-ils un rapport avec la guerre ?
A certains égards, oui, puisque le but de l’extermination de ces vieillards était de libérer le Reich de ces éléments improductifs. Je ne saurais pour le moment vous donner la référence exacte, mais cela figure certainement sur l’un des documents. Monsieur le Président, il y a là une note manuscrite ajoutée à ce document. Oh ! excusez-moi, c’est une note manuscrite extraite du rapport de la Kreis-leitung sur la situation à Erlangen.
Quant au document suivant, il n’est pas nécessaire que je le lise longuement. Ce qui importe, là encore, c’est que le Kreisleiter était intéressé et qu’on savait d’une façon générale que des erreurs étaient commises dans l’annonce des décès. C’est ainsi qu’une famille avait reçu deux urnes funéraires pour un malade. Le paragraphe 5, de la page suivante, rapporte un cas semblable. J’attire l’attention du Tribunal sur le milieu du paragraphe important, vers la fin de la page :
« Le docteur m’informa qu’il était notoire que la commission était constituée par un médecin SS et par plusieurs médecins auxiliaires. »
Le document suivant figure à la page 10. C’est le numéro 12, où nous voyons une protestation, ou plutôt une enquête, faite sur la mort d’un parent par une certaine dame Maria Kehr, et je mentionne cela parce que cela se rapporte à un autre document, PS-1969. Non, il s’agit d’un nouveau document. Il deviendra GB-544 (PS-1969). Je vous demanderai de vous reporter à la seconde page de ce document où vous trouverez une lettre du ministère de l’Intérieur du Reich, adressée au Gaustabsamtsieiter de Nuremberg. Il transmet la lettre de la dame Kehr. L’importance de ce document se révèle à la fin. Note à l’encre :
« L’Ortsgruppenleiter et membre du Parti Popp pense que l’on peut informer Madame Kehr ; elle est calme et pondérée. »
Le document porte également le cachet du Kreisleiter qui a été informé.
Je voudrais revenir un instant au document D-906, à la page 6 de ce document que nous venons de voir. L’Ortsgruppenleiter d’Absberg fournit un rapport sur les incidents qui se sont produits à l’occasion du transfert de personnes atteintes de maladies mentales d’un établissement de la ville. Il écrit au Kreisleiter et y joint un rapport de ce qui s’est produit, et, là encore, je voudrais souligner que le public était au courant de ce qui se passait.
A la page 8, un autre Kreisleiter — cette fois-ci de Bavière — à Weissenburg, fait un compte rendu sur des troubles semblables, et vous verrez qu’il adresse cette lettre au Gaustabsamt de Nuremberg.
Le document suivant n° 11, provient du Kreisleiter d’Ansbach qui décrit le transfert des malades d’une institution d’une autre ville, et au haut de la page suivante, nous constatons qu’il est question de l’0rtsgrup()enleiter :
« L’Ortsgruppenleiter Beuschel est en outre d’avis qu’il devra parler de l’évacuation de ces malades, si possible lors de la réunion suivante des membres du Parti, pour faire clairement le point, et surtout réduire à néant les rumeurs qui se sont élevées aux termes desquelles les malades devaient être éliminés prochainement, tués ou empoissonnés. »
Ensuite, au bas, vous verrez une autre note manuscrite suivant laquelle les chefs de l’organisation, c’est-à-dire un autre groupe de chefs politiques de l’État-Major du Hoheitstrâger, doivent être informés.
Monsieur le Président, voilà qui termine les documents sur lesquels je désirais interroger ce témoin. Si le Tribunal veut bien m’y autoriser, j’aimerais lui poser quelques questions.
Tout d’abord, je voudrais vous poser une question sur ces documents que je viens de vous présenter. Étant donné les documents que vous avez vus, est-ce que vous avez jamais eu personnellement connaissance de ce qu’on a appelé « ces morts par pitié » ?
J’ai entendu une fois une rumeur selon laquelle, quelque part dans l’Allemagne du Sud, on avait supprimé les aliénés. Là-dessus, conformément aux ordres que j’avais reçus, j’ai adressé une demande à la Gauleitung et, peu de temps après, j’ai appris que ce n’était pas le cas, et qu’à l’avenir je ne devais plus adresser de telles demandes susceptibles tout au plus de me faire passer pour un fou.
Pourquoi avez-vous fait une enquête sur ce point ?
Parce que j’avais entendu des rumeurs qui circulaient dans les milieux du Parti.
Saviez-vous que certains de vos collègues, dans le Corps des dirigeants politiques, collaboraient à ce système d’assassinats ?
Non, je ne l’ai jamais su ni soupçonné.
Je voudrais vous interroger sur une autre question. Vous avez dit au Tribunal, hier, qu’il n’y avait pas de Corps des dirigeants politiques. Est-ce exact ?
Oui.
Ce n’est pas exact. N’y avait-il pas officiellement un Corps des dirigeants politiques ?
On a parlé d’un Corps des dirigeants politiques et cela dans l’intention d’obtenir des uns et des autres une attitude plus correcte en public. C’est pour cela qu’on indiquait à certains officiers et à certains groupes d’étudiants d’avoir à servir d’exemple. Il n’y a pas eu et il ne pouvait pas y avoir de Corps de dirigeants politiques, parce que ces hommes changeaient constamment et qu’on devait les recruter parmi les couches les plus diverses de la population.
Ils étaient appelés Corps des dirigeants politiques parce qu’en devenant dirigeant politique vous deveniez en même temps membre de ce corps. N’est-ce pas là la définition exacte ?
Étant donné qu’il n’y avait pas effectivement de Corps des dirigeants politiques, on ne pouvait pas, lors de la nomination, en devenir membre.
Les dirigeants politiques ne sont-ils pas mentionnés sous le nom de Corps des dirigeants politiques dans le manuel officiel d’organisation de la NSDAP ?
Je suis convaincu que vous le savez. Vous avez ce livre entre les mains. Quant à moi, je voudrais rappeler sous la foi du serment que jusqu’ici je n’ai pas eu le temps de lire attentivement ce livre, parce que les tâches que nous avions étaient plus importantes et plus urgentes que la lecture de cet ouvrage qui constitue un monde de rêves.
Je n’ai pas d’autre question à poser.
J’ai une question à poser au sujet du document D-897. C’est le premier document qui a été présenté ici. C’est une lettre du RSHA, section d’Erfurt, signée par un officier de ce service. Cette lettre est adressée à tous les Stützpunktleiter et à tous ceux qui sont chargés de questions spéciales. Le Ministère Public prétend que le Stùtzpunkt auquel il est fait allusion est un service du Parti. Cette opinion peut-elle être justifiée alors que vous voyez que la lettre adressée à tous les Stützpunktleiter émane des SS ?
Moi aussi j’ai été surpris par ce détail, et j’y serais revenu de moi-même. Il ne peut s’agir là que d’un Stützpunktleiter du SD, car à ce moment-là il n’y avait plus de Stutzpunkt au sein de la direction politique ; il n’y avait plus que les Ortsgruppen. Et, par ailleurs, plus bas, dans cette lettre, on mentionne expressément en deuxième lieu l’Ortsgruppenleiter.
Oui, il est dit : « Cette affaire est à traiter également en étroite coopération avec les Ortsgruppenleiter du Parti ».
Cette lettre est donc envoyée par un service subalterne des SS à un service subalterne du Parti ?
Je n’ai pas cette lettre devant moi, mais je me souviens qu’elle a été adressée aux services subalternes et qu’on y disait qu’il était nécessaire également de se mettre en relations avec l’Ortsgruppenleiter. Il est vrai qu’une chose est surprenante : l’Ortsgruppenleiter ne devait être informé qu’un jour à l’avance alors que le destinataire de la lettre avait depuis deux jours connaissance de la question à traiter, ainsi que des documents. La confiance dans le Parti...
Voulez-vous parler plus lentement, car les interprètes ne peuvent vous suivre.
Par conséquent, la confiance qu’on avait dans le Parti ne pouvait pas être très grande.
Mais alors, l’Ortsgruppenleiter était-il informé par la voie hiérarchique normale du Parti ou bien passait-on par-dessus les services supérieurs du Parti ?
Dans ce cas, l’information est donnée sans tenir compte des prescriptions normales, car elle aurait dû être transmise par les services supérieurs du Parti.
Puis-je en conclure qu’il était possible que les services supérieurs du Parti n’eussent pas été informés de cette action des services subordonnés SS ?
Absolument.
Je n’ai plus de question à poser au témoin.
Le témoin peut se retirer. Veuillez citer votre témoin suivant, Docteur Servatius.
Avec la permission du Tribunal, j’appelle le témoin suivant, Wegscheider, qui était Ortsgruppenleiter. (Le témoin gagne la barre.)
Veuillez préciser votre nom, s’il vous plaît.
Hans Wegscheider.
Voulez-vous répéter ce serment après moi :
« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète la formule du serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Monsieur le témoin, quand êtes-vous né ?
Le 30 octobre 1885.
Vous avez été Ortsgruppenleiter pendant douze ans, à la campagne, de 1933 à 1945, à Hirschdorf, près de St-Lorenz ?
Oui.
Dans le Kreis de Kempten-Allgau ?
Non, dans le Kreis de Kempten-Land.
Et vous étiez maire également depuis 1933 ?
Oui.
Vous étiez en même temps maréchal-ferrant et vétérinaire.
Oui.
Et vous avez eu l’occasion de circuler dans l’Allgàu ?
Oui.
Cela vous a-fr-il permis d’avoir des vues d’ensemble sur la situation dans les autres Ortsgruppen de l’Allgàu ?
Je vous prie de faire une pause avant de répondre afin qu’on ait le temps de traduire.
Oui, je connaissais assez bien nos trente-six Ortsgruppen de notre Kreis de Kempten-Land.
Combien y avait-il d’habitants ?
Il y avait environ 40.000 habitants.
Quand êtes-vous entré dans le Parti ?
Le 28 mars 1933.
Comment êtes-vous devenu Ortsgruppenleiter ?
A l’occasion de l’assemblée constitutive de POrtsgruppe, j’ai été désigné comme Ortsgruppenleiter le 28 mars 1933.
Avez-vous prêté serment ?
Oui, j’ai prêté serment une fois en qualité d’Ortsgruppenleiter.
Devant la commission vous avez déclaré que pendant les douze années au cours desquelles vous avez exercé vos fonctions, vous avez prêté serment douze fois. S’agit-il là d’une erreur ?
C’est une erreur.
Comment êtes-vous devenu maire de votre commune ?
En avril 1933, on réunit le nouveau conseil municipal, et c’est vers la fin de ce mois qu’on procéda au sein du Conseil municipal, à l’élection du maire. A ce moment-là, j’ai réuni non seulement les voix de la NSDAP mais aussi les voix de quatre sociaux-démocrates et une voix du parti populaire bavarois. C’est ainsi que je suis devenu maire.
Est-ce qu’en tant qu’Ortsgruppenleiter vous receviez un traitement ?
Non.
Qu’en était-il pour les autres Ortsgruppen-leiter qui n’étaient pas également maires ?
Eux non plus ne recevaient pas de traitement.
Pour quelle raison les fonctions d’Ortsgruppenleiter et de maire ont-elles été réunies en une seule personne ?
Dans le Kreis de Kempten-Land, il y avait uniquement des communes rurales et on ne disposait pas de personnalités compétentes. C’est ainsi que dans dix communes de notre Kreis, les maires étaient en même temps Orts-gruppenleiter. En fin de compte, cela s’est avéré plus conforme aux buts poursuivis.
Comment était constitué votre Ortsgruppen -leitung ?
D’abord l’Ortsgruppenleiter, ensuite la propagande et l’organisation, puis le trésorier, un directeur du service de presse, plus tard un directeur du service d’assistance, enfin deux Zellenleiter et environ huit Blockleiter.
En quoi consistait l’activité des Blockleiter et Zellenleiter ?
L’activité de nos Zellenleiter dans les petites communes rurales s’est avérée superflue ; c’est la raison pour laquelle on les a supprimés dans la plupart des Ortsgruppen, tandis que l’activité des Blockleiter peut être considérée comme un activité purement technique. Ils étaient chargés, en fait, d’un travail d’assistance.
Considériez-vous les Blockleiter et Zellen-leiter comme des chefs politiques ou comme des Hoheitsträger ?
Non, étant donné que le travail des Blockleiter dans les petites communes de la campagne était insignifiant politiquement on ne pouvait pas les désigner comme des Hoheitsträger.
Pourquoi êtes-vous entré au Parti et quand avez-vous accepté la fonction d’Ortsgruppenleiter ?
A partir de 1929. Au cours des années suivantes 1930, 1931 et 1932, étant donné que je suis maître-forgeron et que j’avais des liaisons étroites avec les paysans, j’ai pu voir, de mes propres yeux, l’effondrement de l’agriculture allemande qui devenait de plus en plus grave. Chez nous, à la campagne, dans l’Allgàu, nous étions rattachés presque tous à la Ligue paysanne de Bavière. Un petit nombre était membre du parti populaire bavarois, et un autre plus petit encore était rattaché au parti social-démocrate et quelques-uns au parti communiste.
Je voulais entendre les raisons personnelles que vous aviez d’entrer dans le Parti.
Comme je l’ai déjà mentionné, j’ai vu cette déchéance dans ma propre commune.
C’étaient donc des raisons d’ordre social ?
Oui, c’étaient des raisons purement sociales.
Quelle était l’attitude des autres dirigeants politiques dans l’Allgàu ? Avaient-ils d’autres raisons d’entrer au Parti, comme par exemple la lutte contre les Juifs ou la conquête de l’espace vital ?
La misère était la même dans toutes les communes rurales, ce qui permet de conclure que leur attitude a pu être la même partout.
Quelle était l’attitude du Kreisleiter et du Gauleiter ?
Le Gauleiter et le Kreisleiter étaient tous deux des patriotes et considéraient que leur activité dans le Parti était une activité pour le bien du peuple et de la patrie.
Mais, Monsieur le témoin, le Parti avait d’autres buts que des buts purement sociaux, tels que par exemple la question juive et sa solution. Quelle était l’attitude de ces chefs politiques à l’égard de ce programme ?
Étant donné que dans notre Kreis de Kempten-Land il n’y avait pas de commerçants juifs, de personnes juives, la question n’était pas brûlante chez nous et on ne la mentionnait guère.
N’y avait-il pas des marchands de bestiaux juifs ?
Non, pas à la campagne. Dans la ville de Kempten, il y avait un commerce de bestiaux en gros qui appartenait aux frères Löw. Nos paysans y traitaient surtout des ventes ou des échanges de bestiaux.
Est-ce qu’on a essayé d’ameuter l’opinion publique contre eux ?
Non, pendant longtemps encore après la prise du pouvoir, les paysans ont procédé à leurs achats dans ce commerce de bétail en gros.
Le programme du Parti parlait également de colonisation de territoires. Est-ce que vous avez reçu des instructions établissant les intentions de procéder à des préparatifs de guerre ?
Nous n’avons pas reçu d’instructions de ce genre. A la campagne, lorsqu’on parlait de colonisation et de conquête d’espace, nous comprenions qu’il s’agissait du retour de nos anciennes colonies et nous étions fermement convaincus que cela pouvait se faire d’une manière pacifique.
Est-ce que les dirigeants politiques ne se sont pas rendu compte très rapidement qu’on procédait à un réarmement intensif ?
Nous ne pouvions pas voir grand-chose d’un réarmement, nous autres à la campagne. Ce n’est qu’à l’occasion d’un congrès du Parti, je ne sais plus en quelle année cela se passait, que nous avons vu qu’il y avait un peu plus d’avions, un peu plus de tanks. C’est alors que nous avons été convaincus qu’un pays comme l’Allemagne devait être capable de protéger ses frontières pour procéder à sa reconstruction. Nous considérions ce réarmement comme un mal nécessaire.
Mais n’y avait-il pas des buts que l’on ne pouvait atteindre que par des guerres d’agression, tels par exemple les mots d’ordre : « Rompons avec Versailles », « Union de tous les Allemands » ?
Ce point du programme a été traité chez nous également, et nous pensions que l’on pouvait arriver à cette union de tous les peuples allemands par voie de plébiscite, et également en faisant appel au droit des peuples de langue allemande à disposer d’eux-mêmes.
N’y a-t-il pas eu très rapidement des dissensions et des difficultés avec l’Église au sujet de l’attitude du Parti à son égard ?
Non, pas chez nous à la campagne, du fait que nous ne faisions pas de différence et ignorions si les camarades du Parti, Blockleiter et Zellenleiter, etc., étaient catholiques ou non. Nous allions à l’église et particulièrement dans mon Ortsgruppe, je faisais partie du chœur avec mes huit chefs politiques. Et même les choristes et organistes de l’église — je crois qu’il y en avait en tout une trentaine — appartenaient plus ou moins au Parti, ou à ses associations affiliées, associations de femmes, de jeunes filles, de jeunesse. S’il en était ainsi dans ma commune, il devait plus ou moins en être de même dans les autres.
Mais est-ce que les prêtres ne protestaient pas contre l’attitude du Parti sur la question juive ? Et cela n’a-t-il pas amené des conflits ?
Comme je l’ai mentionné déjà, il n’y avait pas de Juifs chez nous, et par conséquent cette question n’était guère soulevée.
N’y a-t-il pas eu de troubles à la suite d’arrestations d’adversaires politiques qui ont été internés dans des camps de concentration ?
Dans notre Kreis de Kempten-Land, personne, que je sache, n’a été envoyé dans un camp de concentration. Dans ma commune, cela doit s’être passé immédiatement après la prise du pouvoir, deux personnes ont été envoyées à Dachau, mais je n’ai pas su pour quelle raison, car à ce moment-là je n’étais ni maire ni Ortsgruppenleiter. On a simplement attiré mon attention sur cette affaire, lorsqu’on 1933 une dame Bar de Rottach, près de Kempten, est venue me trouver et m’a prié d’intervenir pour son mari qui était interné depuis plusieurs mois à Dachau parce qu’elle était incapable de s’occuper de son grand jardin...
Vous n’avez pas besoin de donner tous ces détails. Dites simplement ce que vous avez fait.
Eh bien, j’ai fait des démarches et je n’ai rien appris à ce sujet pendant plusieurs mois.
Cet homme a-t-il été libéré ?
Oui.
Lui avez-vous parlé ?
Oui.
Qu’a-t-il dit.
Il m’a dit : « C’était convenable, j’ai été bien nourri et bien traité ».
Est-ce que le Kreisleiter et le Gauleiter étaient d’accord avec cette attitude moins qu’active ou bien ont-ils exigé des mesures sévères contre tous ceux qui n’étaient pas membres du Parti ou dont les intérêts étaient différents de ceux du Parti ?
Le Gauleiter et le Kreisleiter avaient tous deux l’attitude suivante : ils condamnaient tous deux les mesures violentes et tous deux — le Gauleiter comme le Kreisleiter — nous ont, à diverses reprises, indiqué que nous devions donner le bon exemple et que nous devions arriver à gagner l’affection et la confiance de la population.
N’a-t-on pas créé chez vous des formations SA et SS qui fussent capables de terroriser les adversaires politiques ?
Non, les quelques groupes de SA qui se trouvaient dans notre Kreis étaient à Kempten. Pour les communes éloignées de la ville, quelques escouades étaient rassemblées à Obergùnzburg par exemple. Mais leur activité n’avait qu’un caractère de propagande.
N’y avait-il pas également des formations de SS ?
A Kempten, il y avait une petite formation montée de SS. Cette formation disposait de huit ou dix chevaux et servait également à des buts de propagande.
Est-ce que la presse du Parti ne vous a pas informé des revendications du Parti, par exemple pour la question juive, par l’intermédiaire du Sturmer ou en ce qui concerne d’autres questions, par le Schwarze Korps. Connaissez-vous ces deux journaux ?
Ces deux journaux allaient beaucoup plus loin que les buts que s’était proposés le Parti dans son programme. Dans le programme du Parti, on avait simplement dit qu’il fallait empêcher les Juifs d’occuper des postes importants. Chez nous, ces journaux n’étaient presque pas lus.
Mais ne deviez-vous pas vous dire qu’une telle activité devait nécessairement conduire à la guerre d’agression et aux crimes de guerre, tels qu’ils sont ici l’objet de l’Accusation ?
Non. Cette activité d’Ortsgruppenleiter ou de Blockleiter dans les communes rurales ne pouvait pas donner lieu à de telles propositions. Notre travail était purement social.
Pendant la guerre, on a donné des instructions sur le lynchage des aviateurs forcés d’atterrir, dans une lettre de Bormann et de Goebbels. On a donné ces instructions par la voie de la radio et de la presse. Des instructions correspondantes vous ont-elles été données par le Kreisleiter ?
Je n’ai jamais reçu de telles instructions.
Est-ce que des aviateurs ont atterri dans votre district et ont été lynchés ?
Non.
Alors, qu’en a-t-on fait ?
J’ai eu moi-même l’occasion d’arrêter un aviateur américain qui avait atterri à environ cent mètres derrière ma maison. Je l’ai fait entrer chez moi et lui ai donné à manger. Peu de temps après, un quart d’heure environ, il a été emmené par la gendarmerie de Kempten dans une voiture. Plus tard, au mois de mars 1945, je ne sais plus quel jour c’était exactement, quatre prisonniers de guerre américains qui étaient internés dans le camp d’Eidrunk, près de Kaufbeuren, s’en étaient évadés et avaient été arrêtés à midi par les sentinelles qui se trouvaient sur le pont de l’Iller à Hirschdorf, furent amenés chez moi.
Mais cette attitude que vous aviez était-elle générale dans votre district de l’Allgàu ?
Oui, elle était générale. La population de l’Allgau est très catholique, et nous pensions tous que ces prisonniers de guerre devaient effectivement être traités comme des prisonniers de guerre.
Dans votre Ortsgruppe et dans votre Kreis, on employait des ouvriers étrangers. Avez-vous reçu des instructions sur leur traitement qui eussent été contraires à la dignité humaine ?
Non, je n’ai pas reçu de semblables instructions car les ouvriers étrangers que nous avons reçus — il s’agissait d’environ soixante travailleurs civils polonais et ukrainiens — étaient répartis par l’Ortsbauernführer ou chef local des paysans, et chez nous, cela se passait de la manière suivante : dans de telles questions et dans de telles circonstances, le BauemFührer discutait toujours avec moi de ces choses.
Mais n’avez-vous pas entendu dire que ces ouvriers devaient dormir à l’étable et que c’était là aussi qu’ils devaient prendre leurs repas ?
Je n’ai jamais entendu parler d’une instruction prescrivant à ces travailleurs de dormir à l’étable et d’y prendre aussi leurs repas. L’Office du Travail donnait à chaque ouvrier polonais une fiche qu’il devait remettre au paysan et sur laquelle était mentionné que les ouvriers polonais ne devaient pas manger à la table du paysan et qu’à certaines heures ils devaient être rentrés. Lorsque je me suis entretenu avec le chef des paysans, je lui ai dit que cette prescription ne pouvait concerner l’Allgàu. Si l’ouvrier étranger a une conduite convenable et s’il exécute son travail chez le paysan comme un travailleur allemand, alors il doit jouir des mêmes droits qu’un ouvrier allemand.
Monsieur le témoin, après tout ce que l’on entendait dire par les paysans sur le Parti, n’était-on pas tenté de s’éloigner des mesures prises dans le Parti en particulier pendant la guerre ?
Non, je ne l’ai pas vu en fait. Nous autres, à la campagne, nous croyions tous à l’amour du Führer pour la paix étant donné que nous savions que Hitler avait vécu la première guerre mondiale dans toute son horreur. Nous étions convaincus de sa volonté de paix, comme on nous l’avait toujours dit.
Vous contestez alors que les dirigeants politiques dans vôtre secteur se soient groupés sciemment en vue d’un complot destiné à terroriser la population en vue d’une guerre d’agression pour commettre des crimes de guerre ?
Non, ce n’était pas le cas.
Si l’on dit ici aujourd’hui que les dirigeants politiques ont été des criminels dans votre région, est-ce que vous êtes prêts à le reconnaître ?
Non, ce n’était pas le cas.
Je n’ai pas d’autre question à poser à ce témoin.
Monsieur le Président, j’ai deux documents à propos desquels le Tribunal m’autorisera peut-être à poser quelques questions à ce témoin. Le premier est le document EC-68 (USA-205) que le Tribunal trouvera à la page 21 du livre de documents. Je désire vous interroger, témoin, au sujet du BauernFührer qui figurait dans le personnel de vos collaborateurs. Ce BauernFührer était un de ceux qu’on appelait les dirigeants politiques apolitiques, n’est-ce pas ?
Je comprends très mal.
Pouvez - vous m’entendre maintenant ?
Un peu mieux.
Je veux vous reposer la question. Le BauemFührer, dans le personnel des collaborateurs des Kreisleiter, Gauleiter et Ortsgruppenleiter, était bien ce qu’on a appelé l’un des dirigeants politiques apolitiques considérés simplement comme des conseillers techniques ?
Oui. Le BauemFührer local ne travaillait qu’indirectement dans l’état-major de l’Ortsgruppe.
Je voudrais que vous regardiez ce document et que vous m’expliquiez le rôle qu’il a joué à propos de la main-d’œuvre étrangère. Vous voyez que ce document est adressé à toutes les Kreisbauemschaften ou associations locales de paysans. Vous le voyez ?
Oui.
Les Kreis-bauernfführer avaient pour tâche d’aviser le Kreisleiter de toutes les directives qu’ils recevaient à propos de la main-d’œuvre étrangère. Témoin, ayez la bonté de répondre à ma question : le Kreis-bauernfführer devait bien aviser son Kreisleiter de toutes les directives et instructions qu’il recevait à propos de la main-d’œuvre étrangère ?
Je ne crois pas. Je crois que cela dépendait de la décision du Kreisleiter ou du KreisbauernFührer ; lorsqu’on estimait que les choses ne pouvaient être exécutées, on ne le faisait pas connaître.
Prétendez-vous réellement devant ce Tribunal que cet expert, dont le rôle était de conseiller son Kreisleiter et de le tenir informé de ce qui se passait, et qui conférait continuellement avec son Kreisleiter, n’aurait pas attiré l’attention de son Kreisleiter sur les instructions qu’il avait reçues au sujet de la main-d’œuvre étrangère ?
Je dois mentionner ici encore que j’entends toujours mal.
Mais je suis persuadé que vous entendez assez bien pour pouvoir me répondre.
Oui. Maintenant, j’entends mieux.
Nous n’allons pas poursuivre plus longtemps sur ce sujet ; dites-nous simplement quel était le rôle de ce spécialiste apolitique. Vous voyez tout d’abord que :
« ... les services de l’Administration du ravitaillement du Reich et l’Association des paysans du pays de Bade ont reçu avec une grande satisfaction les résultats des négociations avec le chef des SS et ’de la Police de Stuttgart. »
Voyez-vous ce passage ?
Ici ?
Avez-vous trouvé le passage d’où il ressort que les services de l’Administration du ravitaillement du Reich et l’Association des paysans du pays de Bade ont reçu avec une grande satisfaction les résultats des négociations avec le chef des SS et de la Police de Stuttgart ?
Oui.
Voyons maintenant ce qu’étaient les résultats que les services du ravitaillement ont reçu avec une telle satisfaction. Il ressort du document que les Polonais n’ont pas le droit de formuler des plaintes. Les points 2, 3 et 4 sont moins importants. Le point 5 proscrit tout genre de distraction. Le point 6 interdit de fréquenter les cafés, les rapports sexuels, la possibilité d’utiliser les moyens de transport publics. L’ouvrier n’est pas autorisé à changer d’emploi. En aucun cas il ne pourra être autorisé à quitter son village ou à visiter un service public de son propre chef, que ce soit un bureau de travail ou bien l’association locale de paysans. Pourquoi n’étaient-ils pas autorisés à voir l’association locale des paysans ?
Je constate que cette lettre vient de Karisruhe, donc d’un tout autre Gau. Ces mesures n’étaient pas en vigueur chez nous, en tous cas pas sur une aussi large échelle. En fait, les travailleurs étrangers devaient être rentrés l’été à neuf heures du soir et l’hiver à huit heures.
Cela ne nous intéresse pas. Est-ce que vous prétendez que le traitement des travailleurs étrangers dans votre Gau était différent de celui des Gaue de Baden ou de Karisruhe ? Et que les Bauemführer avaient à exécuter des tâches différentes dans ces deux Gaue ?
Oui.
Très bien. Voyons exactement ce que les BauernFührer ont fait à Karisruhe.
Colonel Griffith-Jones, est-ce que cela n’a pas été déjà démontré ?
Oui, Monsieur le Président.
Je voudrais simplement vous présenter encore un nouveau document : regardez le document D-894. C’est un rapport de la direction du Kreis des mines de potasse, daté du 23 septembre 1944, qui concerne les étrangers. Il en ressort qu’il faut surveiller les jeunes Polonais qui travaillent dans les mines de potasse et qui ont toujours montré des tendances à l’union. L’Ortsgruppenleiter de Wit-telsheim signale qu’il a remarqué treize jeunes Polonais qui avaient quitté Buggingen sans permission et possédaient des certificats médicaux. Il a fait arrêter onze de ces Polonais et les a conduits à la Gestapo de Mulhouse pour un nouvel examen.
Je voudrais vous poser la question : était-ce une des tâches normales des Kreisleiter et Ortsgruppenleiter de remettre les ouvriers polonais à la Gestapo quand ils le jugeaient bon ?
Dans le district de Kempten-campagne et de Kempten-ville, je n’ai jamais entendu parler de tels cas.
Rien de semblable ne s’est jamais produit dans votre Kreis, n’est-ce pas ?
Est-ce un nouveau document ?
C’est un nouveau document qui deviendra GB-745. Monsieur le Président, je n’ai pas d’autres questions à poser à ce témoin. Peut-être pourrai-je empiéter la réponse que j’avais faite aux juges américains à propos de l’euthanasie et de son évolution jusqu’à devenir un crime de guerre ?
Si je puis me permettre d’attirer l’attention du Tribunal sur le livre de documents, à la page 31, il contient la protestation adressée par Monseigneur Wurm à Frick. Cette protestation est connue du Tribunal. Que le Tribunal ait la bonté de regarder le premier paragraphe de cette lettre : il verra que l’évêque affirme que cette action a été entreprise sur l’ordre du Conseil de défense du Reich. De plus, si le Tribunal veut bien se reporter à la page 36 du livre de documents, il trouvera une autre lettre qui a été versée au dossier, de l’évêque Wurm à Frick. Celle-ci date de septembre et la première de juillet 1940. L’évêque écrit donc de nouveau en septembre. Vers le milieu du paragraphe, vous trouverez l’explication suivante :
« Si la direction de l’État est convaincue que cela constitue une mesure de guerre inévitable, pourquoi ne promulgue-t-elle pas un décret ayant force de loi ? » Monsieur le Président, je n’ai pas d’autre question à poser à ce témoin.
Dites-moi, témoin, vous appartenez au parti nazi depuis 1933 ?
Un instant, je n’ai pas compris la question.
Est-il exact que vous soyez membre du parti nazi depuis 1933 ?
Depuis 1933, oui.
Est-ce que vous êtes entré volontairement dans le Parti ou par obligation ?
Je suis entré volontairement dans le Parti.
Et vous aviez suffisamment connaissance du programme des tâches et des buts du Parti ?
Oui, au cours des années, je me suis familiarisé avec les points du programme.
Et vous étiez d’accord avec le programme, les tâches et les buts du Parti ?
Oui, peut-être pas complètement d’accord sur tous les points, mais en général nous nous sommes rendu compte que Hitler…
Vous étiez d’accord sur quel pourcentage ?
Si la question juive avait été traitée conformément au programme, tout eût été bien ; mais l’évolution ultérieure n’était pas conforme au programme, et la population elle-même n’était plus d’accord avec la façon dont on agissait.
Vous n’étiez pas d’accord uniquement en ce qui concerne l’extermination des Juifs ?
Oui.
Et vous étiez absolument d’accord pour tout le reste ?
Oui.
Et maintenant êtes-vous toujours aussi convaincu quant au but et au programme du parti nazi ?
Si l’on n’avait agi que d’après le programme, il est certain que l’on n’en serait pas venu à une guerre. La guerre en elle-même, que nous connaissions bien comme anciens combattants...
Je ne vous demande pas jusqu’où on en serait arrivé. Comprenez-vous ma question ? Avez-vous toujours les mêmes opinions nazies ?
Non.
Vous les reniez ?
Non.
Alors je ne comprends pas. Vous ne maintenez pas votre opinion et vous ne la reniez pas non plus.
Comment dites-vous ?
Il me semble que la question est assez simple et claire : continuez-vous à maintenir votre opinion sur le nazisme ?
Non, je ne le puis plus maintenant.
Pourquoi ?
Parce qu’on a abusé sous bien des rapports de la confiance de la population.
Maintenant, estimez-vous que le programme et les buts du parti nazi étaient justes ou injustes ?
Je n’ai pas compris la question.
Je vous ai demandé : maintenant, estimez-vous justes ou injustes le programme et les vues du parti nazi ?
Non, je ne les considère plus comme justes.
Témoin, vous avez eu un document sous les yeux émanant de Karisruhe et précisant les effets de certains décrets relatifs à la main-d’œuvre polonaise, et vous dites que ces décrets n’ont pas été appliqués dans votre Gau. Mais vous avez dit que certaines prescriptions avaient été appliquées. Sur quelle échelle ces prescriptions qui concernaient les travailleurs étrangers ont-elles été appliquées dans votre Gau ?
Simplement comme je l’ai dit tout à l’heure, ils devaient être rentrés à 8 heures en hiver et 9 heures en été. Aucune autre restriction ne leur a été imposée, parce qu’en tant que maire j’avais reçu des instructions du Landrat, instructions nous enjoignant de choisir une maison, une auberge, dans laquelle les travailleurs pussent se rendre l’après-midi.
Pouvaient-ils utiliser des bicyclettes ?
Oui. C’est indispensable dans l’AU-gàu. Car une grande partie des prés et des champs étaient très éloignés des fermes et il n’était pas possible de voir le paysan et et ses ouvriers allemands se rendre aux champs à bicyclette et les ouvriers polonais y aller à pied...
Cela suffit. Vous prétendez donc que la seule restriction imposée était l’obligation de rentrer à certaines heures le soir ?
Oui, parce que les autres dispositions n’étaient pas appliquées ; les ouvriers polonais dormaient dans des pièces où dormaient également des ouvriers allemands. Ils mangeaient à la table de famille et recevaient beaucoup de vêtements des paysans eux-mêmes, parce qu’ils étaient arrivés en haillons.
Qui décidait de l’endroit où ils devaient être utilisés ?
C’était l’Office de placement qui prenait la décision.
Avec qui ce service entrait-il en contact ?
Avec l’association des paysans du Kreis et les BauemFührer.
De sorte qu’il entrait en rapport avec vous et avec le BauemFührer ?
En ce qui concerne ces questions, c’était surtout avec le BauemFührer qu’il se mettait en rapport.
Et le BauemFührer informait le Service du Travail du nombre d’ouvriers agricoles nécessaires à tel endroit ? Cela se passait ainsi ?
Oui, cela se passait bien ainsi.
Comment la répartition était-elle faite ?
La répartition était encore l’affaire du BauemFührer. Les paysans de la commune indiquaient le nombre d’ouvriers dont ils avaient besoin et, selon l’attribution totale que l’on recevait, on faisait la répartition des ouvriers parmi les paysans.
Est-ce que le BauemFührer était placé sous les ordres du Kreisleiter ou de l’Ortsgruppenleiter ?
Le BauemFührer était uniquement sous les ordres du Service du ravitaillement du Reich, c’est-à-dire du KreisbauernFührer.
Voulez-vous dire qu’il n’était en aucune façon subordonné à l’Ortsgruppenleiter ?
Non.
Il était directement subordonné au service du ravitaillement ?
Oui, il dépendait de ce service.
Le témoin peut se retirer. (Le témoin quitte la barre.)
J’appelle alors, avec la permission du Tribunal, le témoin suivant ; il s’agit du Dr Hirt, qui était Blockleiter. (Le témoin gagne la barre.)
Veuillez préciser votre nom, s’il vous plaît.
Docteur Ernst Hirth.
Veuillez prononcer après moi ce serment :
« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Monsieur le témoin, quand êtes-vous né ?
Le 25 juin 1896.
Etes-vous en liberté ?
Oui.
Vous êtes Landgerichtsrat, et pendant la guerre de 1942 à 1945 vous étiez Blockleiter à Nuremberg ?
Oui.
Au delà de votre Block, avez-vous eu connaissance de l’attitude et des tâches politiques des Blockleiter et Zellenleiter ?
Oui. J’ai eu des contacts avec une série d’autres Blockleiter et Zellenleiter et j’ai pu me faire une opinion sur l’activité de ceux-ci.
Monsieur le témoin, je vous prie de ne pas répondre tout de suite mais d’intercaler une pause pour qu’on puisse traduire. En occupant un poste de Blockleiter pendant la guerre, êtes-vous devenu en même temps chef politique ?
Non, je ne le suis jamais devenu.
Je vous prie d’attendre un instant, la lampe rouge est allumée.
Non, je ne le suis jamais devenu. On nous confiait seulement des travaux en rapport avec nos fonctions.
Y avait-il, au cours de la guerre, de nombreux Blockleiter et Zellenleiter qui n’étaient pas dirigeants politiques ?
La plupart des Blockleiter et Zellenleiter nommés pendant la guerre n’étaient pas des dirigeants politiques car ils n’étaient pas nommés ou installés par le Kreisleiter. Ils n’avaient d’ailleurs pas de pièces d’identité spéciales et n’avaient pas le droit de porter l’uniforme.
Les Blockleiter et Zellenleiter en fonction occupaient-ils volontairement leur poste pendant la guerre ?
La grande majorité des Blockleiter et Zellenleiter pendant la guerre ne sont pas entrés en fonction volontairement.
Comment cela se passait-il en temps de paix ?
En temps de paix, la plus grande partie des Block et Zellenleiter sont entrés en fonction volontairement.
Mais tous les membres du Parti n’étaient-ils pas obligés d’accepter telle ou telle fonction ? Qu’entendez-vous en disant qu’ils n’étaient pas volontaires ?
Tout membre du Parti était tenu de travailler dans ou pour le Parti. Mais en temps de paix on pouvait arriver à ne pas être affecté à un poste. Tandis qu’en temps de guerre, dans la plupart des cas, c’était impossible. Une série de Blockleiter et Zellenleiter avaient été mobilisés, et l’Ortsgruppen-leiter donna l’ordre aux membres du Parti qui avaient été jusque-là ménagés de prendre telle ou telle fonction. On ne pouvait y échapper sans s’exposer à certaines conséquenceis.
Pourquoi les membres du Parti refusaient-ils souvent d’assumer de telles fonctions ?
C’est qu’une telle activité occasionnait le plus souvent un travail supplémentaire important et pendant la guerre tout homme capable de travailler était déjà occupé suffisamment dans son propre métier.
Mais n’y avait-il pas aussi des raisons politiques qui motivaient ces refus ?
Oui, une grande partie de ces membres auxquels on s’adressait pour accepter ces fonctions n’étaient pas d’accord avec certaines mesures et certaines pratiques du Parti. En particulier pendant la guerre, ils étaient de moins en moins d’accord.
Quelle était la tâche des dirigeants politiques ?
La tâche des Blockleiter ou des Zellenleiter était essentiellement une activité de caractère social. En dehors des activités de trésorier et de commissionnaire, la tâche des Blockleiter consistait à s’occuper de l’assistance à la population, devant sa misère croissante en temps de guerre, des mesures de défense passive, d’organiser des collectes pour les nécessiteux de la Wehrmacht, et d’autres activités de ce genre utiles à la collectivité.
La fonction dont on vous avait chargé correspondait-elle à votre situation de juge ?
Nullement ; j’ai considéré ce travail en partie comme une tâche dégradante, car faire le caissier et le commissionnaire, s’occuper d’un fichier et de travaux de ce genre, ne correspondait nullement à ma formation ni à mon métier.
Si l’on vous avait nommé dirigeant politique, vous auriez sans doute reçu un poste plus important ?
Oui, il faut le supposer, mais, en tant que Kriegsbiockleiter, je n’avais aucune activité politique.
Il ne s’agissait donc là que de faire un travail pratique ?
Oui, les Blockleiter et Zellenleiter n’ont fait que des travaux d’ordre pratique, comme auxiliaires de l’Ortsgruppe.
A quelles classes de la population appartenaient les Blockleiter et Zellenleiter ?
Les Blockleiter et Zellenleiter étaient recrutés...
Faites une pause, témoin.
... surtout dans les classes modestes de la population, parmi les artisans, les petits employés, etc.
Quel était le critère du choix de ces gens ?
On s’efforçait de recruter des gens de caractère convenable, en qui on pût avoir confiance, car du fait des questions d’argent, puisqu’il fallait procéder à des encaissements, il fallait que l’honorabilité de ces gens fût établie avec certitude.
Les Blockleiter et Zellenleiter n’avaient-ils pas un état-major qui soulignait le caractère de souveraineté de leur activité ?
L’ampoule jaune indique que vous devez marquer une pause.
Je ne connais aucun état-major de ce genre. Il est exact que j’ai appris par des conversations avec d’autres Blockleiter et Zellenleiter, que pour les Block importants il y avait des auxiliaires de Block. Personnellement, dans mon Block, je n’avais pas d’auxiliaires de ce genre. Par contre, pour chaque maison, il y avait ce que l’on appelait le Hauswart.
Et qu’en était-il du titre de Hoheitsträger ? Quel sens avait-il ?
Un Blockleiter ou Zellenleiter, en tous cas, ne pouvait pas se considérer comme un détenteur de souveraineté car il n’avait pas la possibilité de donner des ordres ou instructions sur le plan politique. A notre avis, ce titre ne commençait qu’à partir de l’Ortsgruppenleiter.
Il y avait des entretiens chez les Ortsgruppenleiter. Est-ce que, lors de ces entretiens, les Blockleiter recevaient des instructions pour la lutte contre les adversaires politiques ?
Au cours de ce que l’on a appelé les soirées d’entretien, jamais on n’a donné de tels ordres de lutte ou de mouchardage contre les adversaires politiques. Jamais ces ordres n’ont été transmis aux Blockleiter ou aux Zellenleiter.
En tant que juge, et également parce que vous n’aimiez pas assumer cette fonction, vous avez eu certainement une attitude très critique à l’égard de ces choses ?
Oui, je peux bien le dire.
Mais alors qu’en était-il du mouchardage de la population en vue de transférer les éléments douteux dans des camps de concentration ? Avez-vous eu des instructions à ce sujet ?
On n’a jamais donné de telles instructions. Et d’ailleurs, à mon avis, un Blockleiter ou un Zellenleiter ne pouvait pas sérieusement...
Monsieur le témoin, il faut que vous fassiez une pause plus longue, autrement les interprètes ne sont pas en mesure de vous suivre.
Je me permettrai donc de répéter. Une telle instruction ne nous a pas été donnée. A mon avis, les Blockleiter ou Zellenleiter ne pouvaient pas non plus, par eux-mêmes, arriver à l’idée d’espionner la population afin de dénoncer les gens, car s’ils l’avaient fait, leur situation dans le Block ou dans la cellule, c’est-à-dire les relations de confiance avec la population, qui étaient absolument nécessaires, tout cela eût été rendu impossible immédiatement.
Dans le livre d’organisation du Parti, il est dit toutefois que ceux qui répandaient des bruits pernicieux devaient être dénoncés à l’Ortsgruppe par les Blockleiter pour que les services compétents pussent en être informés. N’a-t-on pas agi conformément à ce livre ?
Le livre d’organisation de la NSDAP m’était inconnu personnellement autrefois ainsi qu’aux autres Blockleiter et Zellenleiter.
Docteur Servatius, vous savez que le Tribunal a un résumé très complet du témoignage apporté par ce témoin devant la commission. Outre ses dépositions actuelles, nous avons un résumé de six pages dactylographiées. Il me semble, par conséquent, qu’il serait bon que vous interrogiez ce témoin de la façon la plus courte possible, car nous avons déjà eu la possibilité de voir ce témoin, de nous former une opinion sur la valeur de sa déposition.
Monsieur le Président, l’interrogatoire ne sera plus très long. Est-ce que les Blockleiter n’avaient pas un fichier pour chaque maison, dans lequel on mentionnait ceux qui étaient suspects au point de vue politique ?
Il y avait seulement un fichier général des habitants, mais je n’ai aucune connaissance d’une rubrique pour les gens qui étaient particulièrement suspects au point de vue politique.
Est-ce que les Blockleiter avaient des attributions policières ?
En aucune manière.
Pour quelles raisons les dirigeants politiques, dans l’ensemble, étaient-ils devenus membres du Parti ?
Lors de la prise du pouvoir par la NSDAP, il y avait en Allemagne un chômage généralisé auquel on n’a pu remédier qu’au cours des années. Mais pour la population il y avait également d’autres misères sur le plan social, et la plupart des Blockleiter et Zellenleiter avec lesquels j’étais en rapport espéraient, en rejoignant le Parti, obtenir un soutien dans leurs efforts pour supprimer la misère en Allemagne.
Mais on a fait des guerres que le Ministère Public désigne sous le nom de guerre d’agression ; on connaît les persécutions contre les Juifs ; on a dissous les syndicats. Est-ce que les Blockleiter et Zellenleiter ne devaient pas reconnaître que tout cela constituait les buts du Parti qui avaient déjà été précisés dans le programme du Parti et dans Mein Kampf ?
Je le tiens pour possible. Personnellement, j’avais eu une attitude beaucoup plus critique que bien d’autres à l’égard de toutes ces choses. Mais le programme du Parti et la propagande qui s’y ajoutait, et qui était particulièrement forte dans la presse et à la radio, ne pouvaient pas permettre au peuple allemand de reconnaître quels étaient les buts véritables et les intentions poursuivis par Hitler lorsqu’il s’est efforcé de prendre le pouvoir.
Est-ce que ce que nous considérons aujourd’hui comme criminel n’était pas notoire et connu ? Un Blockleiter ou un Zellenleiter ne devait-il pas en avoir nécessairement connaissance ?
Les Blockleiter et Zellenleiter, en tant que tels, n’avaient, pas plus que tout Allemand camarade du Parti, des renseignements supplémentaires sur les discours du Führer, les publications de la presse ou les communiqués de la radio.
Vous avez donc vu un certain nombre de fautes commises et vous les avez rejetées. Vous avez vu la politique suivie par le Parti. Pourquoi êtes-vous resté en fonction ?
En ma qualité de fonctionnaire, je ne pouvais refuser à ce moment d’occuper un poste ou considérer la possibilité de démissionner de mes fonctions. D’ailleurs, de nombreux exemples ont montré déjà que cela eût signifié pour moi la perte de ma situation, l’anéantissement de mon existence, et peut-être encore des choses plus graves.
Je n’ai plus d’autres questions à poser à ce témoin.
L’audience est levée.