CENT QUATRE-VINGT-DOUZIÈME JOURNÉE.
Jeudi 1er août 1946.
Audience du matin.
(Le témoin Best est à la barre).Monsieur le Président, je vous demande de m’autoriser à poser trois questions au témoin.
Quelles raisons particulières avez-vous de l’interroger ?
Je voulais poser ces questions au témoin Dr Spengler dont j’avais demandé la comparution. Jusqu’à présent, ce témoin n’est pas arrivé, et c’est la raison pour laquelle je vous prie de me permettre de poser ces trois questions au témoin Best.
Puisqu’il y a une raison particulière, nous vous y autorisons, mais il ne faut pas que ceci soit considéré comme une règle générale.
Témoin, je vous fait présenter une copie du décret du 11 novembre 1938. Je me réfère à la page 4 du texte allemand du dossier établi contre la Gestapo et le SD.
Il est dit dans ce décret, et je cite :
« Le service de sécurité du ReichsFührer SS, service de renseignements pour le Parti et l’État, a des tâches importances à remplir, en particulier pour assister la Police de sûreté ».
Je vous demande : avez-vous collaboré à la rédaction de ce décret ?
Oui.
Ce décret exprime-t-il les relations effectives entre la Police de sûreté et le SD ?
Au cours de ces années-là, on a constamment procédé à des expériences avec le SD, de sorte que les tâches dévolues au SD ont été constamment modifiées. Au moment où ce décret fut publié, Heydrich, qui dirigeait en même temps la Police de sûreté et le SD, voulait que le SD eût connaissance de l’activité des autorités du Gouvernement. C’est pour justifier cette prétention que la rédaction du décret fut choisie telle qu’elle figure ici. En réalité, les tâches imparties au SD, qui avait pris pour exemple les grands services de renseignements étrangers, et avant tout l’Intelligence Service anglais, évoluèrent de telle façon que le SD ne devait plus être un organisme auxiliaire de la Police mais un service de renseignements politique du Gouvernement permettant de contrôler les effets politiques des décisions prises par le Gouvernement.
Je n’ai pas d’autres questions à poser.
Le Ministère Public désire-t-il procéder à un contre-interrogatoire ?
Docteur Best, êtes-vous conscient du fait que vous êtes l’un des deux témoins qui ont été choisis parmi les centaines de ceux qui auraient pu représenter la Gestapo ?
Oui.
Et vous êtes conscient du fait que l’on peut attacher beaucoup d’importance à votre témoignage ?
Oui.
En qualité de juriste expérimenté, vous connaissez l’importance du serment que vous avez prononcé ?
Oui.
Vous avez dit hier, je crois, que votre publication La police allemande était un livre de nature purement privée et n’avait aucun caractère officiel. Est-ce exact ?
J’ai dit qu’il s’agissait d’un travail purement privé qui avait été établi sans que j’aie pris aucun contact à son sujet avec mes supérieurs, et qui a été fait sans que mes supérieurs — qui étaient à ce moment-là Heydrich et Himmler — aient eu connaissance de l’existence de ce travail autrement que par la présentation de l’ouvrage terminé.
La question est de savoir si ce livre que vous avez écrit était ou n’était pas une publication officielle à un titre quelconque. L’était-il ou ne l’était-il pas ?
Non, ce n’était pas une publication officielle.
Je demande que l’on présente au témoin le Bulletin ministériel de 1941. (Le document est remis au témoin.) Vous remarquerez que dans le Bulletin ministériel de 1941 se trouve une circulaire du ministre de l’Intérieur mentionnant votre livre, et vous remarquerez qu’il y est dit ceci : « Ce livre est destiné aux services et aux fonctionnaires des administrations de la Police, de l’État, du Parti et des communes ; il constitue un ouvrage de référence, qui pourra également être remis, à titre de distinction, à des fonctionnaires méritants. Il est recommandé que ce livre soit acquis et figure également dans les bibliothèques. » Sa distribution devait également avoir lieu dans tous les services supérieurs du Reich. Vous voyez bien cela, Docteur Best ?
Oui. Je puis dire à ce sujet que cette recommandation a été donnée assez longtemps après la publication du livre, et d’ailleurs sans que j’en aie su quoi que ce soit à l’avance. Cette recommandation ne doit pas être jugée autrement que celles qui ont été publiées au sujet d’autres livres qui avaient déjà paru et qu’on avait jugés bons et utiles après leur publication. Mais j’insiste encore une fois sur le fait qu’avant la publication du livre, je ne m’étais mis en rapport à son sujet ni avec mes supérieurs ni avec les services qui, plus tard, ont publié cette recommandation.
Je désirerais maintenant attirer votre attention sur votre livre, Docteur Best, et particulièrement sur la page 99. Vous avez déposé hier au sujet de l’évolution de la Gestapo à partir de la police politique qui existait auparavant ; vous avez dit dans votre livre ce qui suit. Je cite :
« Afin d’édifier une police politique indépendante et puissante qui n’existait pas jusqu’alors en Allemagne, on fit appel, d’une part, aux membres réguliers de l’ancienne police et, d’autre part, à des membres des SS. La nouvelle organisation engagea, avec l’esprit combattit et intransigeant des SS, la lutte contre les ennemis du peuple et de l’État, lutte qui devait sauvegarder les dirigeants du national-socialisme et l’ordre national-socialiste. »
C’est bien là l’explication correcte de la création de la Gestapo, n’est-ce pas Docteur Best ?
A ce sujet, je puis dire que la part prise par les forces qui venaient d’être, à ce moment-là, intégrées dans la nouvelle police politique fut au début très restreinte. J’ai dit hier qu’un certain nombre de fonctionnaires avait été engagés à ce moment-là ; plus tard, aux candidats qui se destinaient à la carrière de Police secrète d’État, vinrent s’ajouter d’autres membres des SS, de sorte que l’explication que je donne dans mon ouvrage est parfaitement exacte. Mais il n’y est rien dit en ce qui concerne les rapports numériques, et aujourd’hui je puis dire encore que le nombre des fonctionnaires réguliers, tant de ceux qui autrefois avaient déjà été fonctionnaires dans les services de Police que de ceux qui étaient sortis de la Police de protection (Schutzpolizei), était supérieur à celui des effectifs qui venaient des SS.
Vous avez dit hier que vous vous étiez opposé à l’utilisation de la torture par la Gestapo au cours des interrogatoires et que vous avez demandé des explications à Heydrich à ce sujet. Est-ce exact ?
Oui.
Et vous avez demandé des explications à Heydrich, bien qu’il fût votre supérieur ?
Oui.
Mais vous n’avez pas demandé à Heydrich de cesser d’utiliser la torture au cours des interrogatoires ?
Je n’étais pas en mesure d’empêcher mon supérieur de prendre des mesures qu’il avait ordonnées ou qu’il voulait faire exécuter. A cela s’ajoutait encore le fait que je n’avais aucun rapport avec les organes exécutifs de la Police d’État, étant donné que j’étais fonctionnaire d’administration et que, par conséquent, je ne pouvais pas intervenir lorsque Heydrich ordonnait de telles mesures ou lorsqu’il les approuvait. Tout ce que je puis dire, c’est que, dans le secteur restreint de la Police de contre-espionnage que j’ai dirigé à titre provisoire pendant un certain temps, j’ai empêché l’application de ces méthodes.
Je voudrais examiner rapidement votre activité au Danemark, Docteur Best, et, à titre préliminaire, je voudrais rafraîchir vos souvenirs relatifs à la déposition que vous avez faite devant la commission, le 8 juillet 1946 :
« Question
Avez-vous rencontre Naujocks ?
Réponse
Naujocks est venu une fois à Copenhague.
Question
Et quelle était sa tâche au Danemark ?
Réponse
II ne m’a donné aucun détail. Je sais seulement qu’il m’a demandé d’établir une liaison avec le service d’enquête de Copenhague.
Question
En tout cas, vous n’aviez aucune idée de la raison du séjour de Naujocks à Copenhague ?
Réponse
J’imagine qu’il se trouvait au Danemark pour des raisons relatives au service de renseignements.
Question
Et si Naujocks déclarait qu’il a discuté de ces questions avec vous, diriez-vous que ce n’est qu’un mensonge ?
Réponse
Je dirais que je ne puis pas m’en souvenir et qu’il est resté dans ma mémoire comme un membre du service d’espionnage. »
Ce sont bien les questions qui vous ont été posées et les réponses que vous avez faites devant la commission, Docteur Best ?
Oui.
Et quand vous avez fait ces réponses, vous saviez que vous mentiez délibérément sous la foi du serment, n’est-ce pas Docteur Best ? Vous pouvez répondre à cette question par oui ou non et ensuite donner les explications qu’il vous plaira.
Entre temps, j’ai obtenu des fonctionnaires danois.
Un instant, répondez à la question : savez-vous ou ne savez-vous pas si vous disiez alors la vérité ?
Cette déclaration était inexacte. Mais, entre temps, on m’a présenté le procès-verbal de Naujocks, ce qui m’a permis de me rappeler exactement ce qu’il m’avait indiqué de sa mission, en termes généraux. Mais aujourd’hui encore je ne puis me rappeler les détails.
Afin que vous vous souveniez de cet interrogatoire auquel vous a soumis le Dr Kalki de la Délégation danoise, deux jours plus tard, le 10 juillet 1946, je vais demander que l’on vous montre les déclarations écrites, que vous avez corrigées de votre propre main et revêtues de votre propre signature.
J’attire votre attention sur le paragraphe où vous dites :
« Maintenant que je sais que Naujocks a déposé sur ses relations avec l’activité terroriste au Danemark, je suis prêt à déposer encore sur ce même sujet. Si je n’en ai pas parlé plus-tôt, c’est parce que j’ignorais que Naujocks avait été fait prisonnier et avait avoué ce qu’il savait à ce sujet. Il m’était désagréable de l’impliquer dans cette affaire avant que les faits ne me soient connus. »
C’est bien la déclaration que vous avez faite, n’est-ce pas Docteur Best, et c’est bien votre signature ?
Voyons, Docteur Best, vous saviez parfaitement, lorsque Naujocks vint vous voir en janvier 1944, que la Gestapo envisageait de prendre des mesures de terreur contre la population du Danemark puisque vous aviez assisté à la conférence au Quartier Général de Hitler, le 30 décembre 1943, au cours de laquelle ces plans furent élaborés ?
Oui.
A cette conférence assistaient, en outre vous-même, Pancke, chef des SS et de la Police du Danemark, le général von Hannecken, Gouverneur militaire du Danemark, Hitler, Himmler, l’accusé Kaltenbrunner, l’accusé Keitel, l’accusé Jodl et Schmundt. Vous avez mentionné ces noms dans votre journal personnel, n’est-ce pas ?
Oui.
Et vous saviez qu’à cette réunion il fut convenu qu’afin de parer aux attentats et au sabotage effectués contre les intérêts allemands au Danemark, la Gestapo devait se rendre au Danemark et s’y livrer à des assassinats impitoyables et faire sauter des édifices et des maisons d’habitation à titre de représailles ?
II n’est pas exact qu’on soit arrivé à un accord. C’est Hitler qui a donné des ordres, malgré les objections élevées par moi-même et par Pancke contre ces plans.
Oui. Hitler donna les ordres à Himmler qui les transmit à Kaltenbrunner, qui lui-même les transmit à Mùller qui envoya la Gestapo. Et vous saviez que ces meurtres et ces destructions délibérés étaient exécutés au Danemark à la suite de ces ordres ?
Ces faits d’ordre général me sont connus.
Et vous saviez qu’ils avaient eu lieu, puisque vous avez protesté contre certains d’entre eux. Par exemple, vous vous souvenez de l’attentat commis par ces bandits contre un tramway, qu’ils firent sauter, à Odense, tuant et blessant les passagers ?
Dans la suite, je n’ai pas cessé de protester, sous des prétextes divers, contre l’application de telles méthodes, en envoyant des rapports ou des télégrammes.
Vous n’avez pas répondu à la question. La question était : saviez-vous que l’on avait fait sauter un tramway ?
Je ne me souviens plus avec précision des cas isolés et c’est pourquoi je ne sais plus quelles sont les raisons particulières qui m’ont incité à élever des protestations. Mais je sais que je l’ai fait dans de nombreux cas.
Voyons, Docteur Best, je sais que vous avez la mémoire courte, mais je pensais que vous vous souviendriez des événements que vous avez rapportés le 10 juillet 1946. Si vous voulez bien examiner les déclarations que vous avez faites au Dr Kalki, vous verrez que vous, avez dit ce qui suit :
« J’ai utilisé à cette occasion la destruction d’un tramway à Odense. »
N’est-ce pas là la déposition que vous avez faîtes le 10.
Vous le trouverez vers le milieu du document.
Vous le trouverez vers le milieu du document.
Un instant, la traduction est mauvaise. J’ai dit « die Sprengung eines Strassenzuges » ce qui signifie que dans cette rue on a fait sauter plusieurs maisons à la fois. Il ne s’agit donc pas d’une voiture, mais d’une série de maisons.
Docteur Best, vous vous souvenez également de l’assassinat de quatre médecins à Odense et que vous avez protesté parce que ces médecins vous avaient été signalés dans les milieux nationaux-socialistes comme sympathisant avec l’Allemagne ?
Oui, ce n’était d’ailleurs pas la seule raison. J’ai simplement insisté sur le caractère insensé de ces mesures, en indiquant que j’avais constaté qu’un certain nombre de ces médecins étaient sympathisants de l’Allemagne.
Oui, et il était terrible que la Gestapo se mît à assassiner des éléments favorables à l’Allemagne alors qu’il y en avait si peu au Danemark. A qui avez-vous communiqué ces protestations contre les activités criminelles de la Gestapo ?
Mes protestations ont été adressées régulièrement au ministère des Affaires étrangères qui était le ministère dont je dépendais.
Oui, vos protestations ont été adressées à l’accusé Ribbentrop, n’est-ce pas ?
Commandant Harris, avons-nous une référence quelconque à un document relatant la réunion du 30 décembre 1943 ?
Oui, Monsieur le Président, c’est le rapport officiel du Gouvernement danois, pièce RF-901.
Merci.
Hier, vous avez dit, Docteur Best, que vous avez appris que l’Einsatzkommando de la Police de sûreté et du SD au Danemark était opposé au décret Kugel ?
Oui.
Qui, au Danemark, vous a dit que cet Einsatzkommando était hostile au décret Kugel ?
C’est le chef du service exécutif, le Docteur Hoffmann, qui me l’a dit.
Le Dr Hoffmann était chef de là Gestapo au Danemark, n’est-ce pas ?
II était le chef du détachement de la Gestapo auprès du chef de la Police de sûreté.
Et quand le Dr Hoffmann vous a-t-il dit cela, à peu près ?
Je ne me souviens pas exactement si c’est seulement maintenant, parce que j’ai été avec Hoffmann, que ces faits me sont revenus à la mémoire, ou si j’ai été informé que ces mesures étaient repoussées l’une après l’autre. Il est possible qu’il s’agisse là d’une connaissance acquise maintenant et par laquelle j’ai eu confirmation du fait que ce décret n’a jamais été appliqué. Aucun cas de ce genre ne s’est jamais produit.
Docteur Best, vous venez de dire dans votre dernière réponse que le Dr Hoffmann vous avait dit que la Gestapo était hostile à l’application du décret Kugel au Danemark et qu’il vous l’avait dit au Danemark. Est-ce exact ou non ?
Je n’ai pas dit quand et où je l’avais appris ; j’ai simplement dit que le décret n’avait pas été appliqué, sur l’initiative de la Police. Je n’ai pas dit quand et où on me l’avait dit.
En quoi consistait ce décret Kugel ?
Maintenant que j’ai lu un certain nombre de dossiers et de procès-verbaux, je sais qu’il s’agissait de mesures se rapportant à des prisonniers de guerre évadés, je crois.
Lorsque vous avez été interrogé devant la commission sur ce que vous saviez du décret Kugel, vous n’avez pas dit que vous vous étiez entretenu avec le Dr Hoffmann à ce sujet ?
Dans la mesure où je m’en souviens, on m’a simplement demandé si, à l’époque où j’étais en fonctions, je connaissais déjà le décret Kugel. A ce moment-là je ne l’avais pas vu et — je crois l’avoir dit — je ne l’ai lu qu’ici.
Si le Tribunal m’y autorise, je désirerais déposer deux documents. Ces documents ne nous ont été signalés et ne nous sont parvenus qu’au cours de ces deux derniers jours, de sorte qu’il nous a été impossible de les présenter à aucun des représentants de la Gestapo qui ont déposé devant la commission. Je pense que le témoin nous permettra d’identifier certains des noms, et c’est pourquoi je demanderai au Tribunal la permission de les lui montrer. Ce sont des documents assez longs et je vais essayer de les résumer aussi rapidement que possible et d’en exprimer la teneur de la manière la plus brève possible ; il me faudra peut-être un quart d’heure pour les deux documents.
Oui, continuez, capitaine Harris.
Je dépose le document R-178, qui deviendra USA-910, et je demande que ce document soit soumis au témoin.
Ce document a été saisi par une équipe mixte anglo-américaine et adressé au Ministère Public par le Centre de recherche de documents de Londres. Il contient une correspondance détaillée relative à une plainte déposée par un certain major Meinel contre les officiers de la Gestapo de Munich, Regensburg, Nuremberg et Fürth, à propos d’enquêtes faites sur des prisonniers de guerre russes et de leurs assassinats.
Je demanderai au témoin de vouloir bien regarder le document F, ce qui est à la page 7 de la traduction anglaise.
Vous remarquerez, témoin, que c’est un rapport du service de la Gestapo de Munich, dans lequel figure une liste de dix-huit camps dans lesquels la Gestapo a procédé à une enquête portant sur un total de 3.088 prisonniers de guerre soviétiques, sur lesquels 410 ont été déclarés indésirables. Vous verrez, à la page 8 de la traduction anglaise, que les 410 Russes éliminés appartenaient aux catégories suivantes : fonctionnaires et officiers, Juifs, intellectuels, communistes fanatiques, agitateurs et autres, fuyards, malades incurables. Vous remarquerez à la page 9 de la traduction anglaise que sur les 410 Russes ainsi triés, 301 ont été exécutés au camp de Dachau à la date de ce rapport. A la page 10 de la traduction anglaise, vous trouverez ce qui suit : ces 410 Russes, triés à Munich, représentent un pourcentage de 13%, alors que les services de la Gestapo de Nuremberg, Fùrth et Regensburg, avaient éliminé un pourcentage moyen de 15 à 17 %. Le rapport, signé par Schermer déclare, à la même place :
« Je désire réfuter de la manière la plus catégorique la plainte de l’O’KW selon laquelle les enquêtes sur les Russes ont été menées d’une façon superficielle. »
Connaissez-vous Schermer, témoin ?
Non, ce nom ne m’est pas connu.
Bien. Dans ces conditions, veuillez examiner le document G. C’est un rapport des services de la Gestapo de Munich se plaignant de l’attitude du major Meinel. A la page 13 de la traduction anglaise, vous trouverez une déclaration suivant laquelle Meinel se « serait plaint au Commandement suprême des Forces armées du fait que les Russes aient été examinés superficiellement. Vous remarquerez qu’un rapport fut fait contre ce major Meinel par le SD, rapport dans lequel Meinel se vit reprocher d’avoir manifesté dans une certaine mesure des opinions désapprobatrices à l’égard du national-socialisme. Par exemple, dans un ordre du jour, il avait mentionné Dieu mais pas le Fuhrer.
Où cela figure-t-il ?
Monsieur le Président, vous trouverez cela à la page 13 de la traduction anglaise au milieu de la page. (Au témoin.) C’était là la marque d’un national-socialisme déficient, n’est-ce pas Docteur Best, que de placer Dieu avant Hitler ?
Je ne sais pas à quelle question je dois répondre maintenant. J’insiste, en ce qui concerne l’ensemble de ce problème, sur le fait que vers la fin du mois de mai 1940, j’ai quitté le poste que j’occupais au ministère de l’Intérieur à la direction de la Police de sûreté et que, par conséquent, je ne suis informé en aucune manière sur ces événements qui eurent lieu en 1941.
Prenez donc le document G, à la page 15 de la traduction anglaise ; vous trouverez cette phrase :
« L’expérience a cependant prouvé que les Russes ne peuvent être contraints de travailler que par les méthodes les plus sévères et au moyen de châtiments corporels. »
Prenez maintenant le document H, Docteur Best ; à la page 17 de la traduction anglaise nous trouvons :
« En outre, j’ai fait remarquer au major Meinel que le travail des Einsatzkommandos de la Police d’État avait été exécuté avec le consentement de l’OKW et en accord avec les règles élaborées en collaboration avec l’OKW, service des prisonniers de guerre. »
Ce document est signé par Schimmel. Le connaissiez-vous ?
Je ne vois pas le nom de Schimmel, mais je me souviens qu’il y avait un Regierungsrat de ce nom dans la Police d’État.
Prenons maintenant le document I, à la page 21 de la traduction anglaise. A lia fin du document, vous verrez que Meinel, en réponse aux accusations portées contre lui, déclare :
« Lorsque j’ai déclaré que la conscience des officiers se trouvait péniblement affectée par la remise des prisonniers de guerre, le Regierungsrat Schimmel me répondit que certains SS chargés de l’exécution de ces prisonniers étaient près de s’effondrer. »
Et sur le document M, à la page 26, vous trouverez une note suivant laquelle le Commissaire du Reich à la Défense a été informé de ces assassinats et les a approuvés. Ceci, c’était pour le Wehrkreis (région militaire) VII. Savez-vous qui était, dans le Wehrkreis VII, le Commissaire du Reich qui approuvait les meurtres ?
Le Commissaire du Reich ? Vous voulez dire le Commissaire à la Défense du Reich ?
Oui, le Commissaire à la Défense du Reich.
Le Commissaire à la Défense du Reich dans le Wehrkreis VII ? Je ne me souviens pas de qui il s’agit, parce qu’à ce moment-là je n’étais pas dans le Reich et exerçais mon activité à l’extérieur.
Bien. Continuons. Il y a encore de nombreux cas de tri de prisonniers de guerre par la Gestapo aux fins d’exécution ; ces opérations étaient faites par les services locaux de la Gestapo en Allemagne même. Je n’ai pas l’intention de perdre plus de temps avec ces détails, mais j’aimerais que vous vous reportiez au document T, parce que je voudrais souligner le résultat de ce conflit avec le major Meinel. Le document T est un télétype provenant de la Gestapo de Berlin. Je cite :
« Les prisonniers de guerre qui ont été triés »
A quelle page ?
Page 37, Monsieur le Président.
« Les prisonniers de guerre qui ont été triés seront transférés au camp de concentration de Buchenwald comme il en a été décidé au cours d’une conférence avec l’OKW. Veuillez en informer le chef supérieur des SS et de la Police dès aujourd’hui et lui faire savoir que Meinel sera affecté à d’autres fonctions ».
Ce télégramme émane du RSHA, service IV-A. C’est bien la Gestapo, n’est-ce pas, Docteur Best ?
Oui.
Vous voyez qu’il est signé par le SS-ObersturmbannFührer Panziger. Vous savez bien qui était Panziger ?
Oui, c’était l’adjoint de Mùller.
Oui. Il était le chef de ce service IV-A, qui était chargé des adversaires du régime, du sabotage, de la sécurité et d’autres questions similaires. C’est bien cela ?
Il était chef du service IV-A, mais je ne me souviens pas de tout ce que l’on faisait dans ce service.
Vous pouvez m’en croire. Pour l’information du Tribunal, cela figure dans le document L-219 qui a déjà été déposé. Je désire maintenant verser aux débats les documents suivants. Il y a cinq documents qui constituent une série. Je les déposerai dans l’ordre : PS-4050, qui deviendra USA-911 ; PS-4049 (USA-912) ; PS-4052 (USA-913) ; PS-4048 (USA-914) ; PS-4051 (USA-915). Ces documents nous ont été transmis par le centre de documentation de Berlin. Nous n’avons pas encore été à même d’en obtenir les originaux. Ce sont des photocopies. Nous avons demandé que les originaux nous soient envoyés. C’est une question de jours et, avec la permission du Tribunal et l’approbation des avocats, nous remplacerons plus tard les photocopies par les originaux. (Au témoin.) Docteur Best, prenez le document PS-4050 ; vous verrez qu’il y est question du SS-ObersturmbannFührer Panziger. C’est apparemment un communiqué du ministère des Affaires étrangères disant que Panziger a fait savoir que divers changements ont été apportés aux préparatifs déjà discutés et qu’il a promis de dresser le plan de l’opération projetée. Si vous voulez bien vous reporter à la pièce annexée à ce document et qui constitue la pièce PS-4049, vous verrez ce qu’était ce plan.
Vous verrez qu’il s’agissait de transférer soixante-quinze généraux français du camp de Kônigstein. Au cours de ce transfert, un général du nom de Deboisse devait avoir un accident. Sa voiture devait avoir une panne de façon à ce qu’il se trouve séparé des autres. Ceci devait donner la possibilité de l’abattre d’un coup de feu dans le dos pendant qu’il essaierait de s’évader. Vous verrez que ce document continue en énumérant tous les détails de l’assassinat, y compris ce détail intéressant : « II faut encore décider si l’inhumation doit être faite avec les honneurs militaires ». Il ajoute que la question sera une fois de plus examinée par le SD. Ceci est un rapport de novembre 1944.
Si vous voulez bien vous rapporter maintenant au document suivant, PS-4052...
Ne devriez-vous pas lire le dernier paragraphe de la page 2 ?
Oui, Monsieur le Président je me propose de le lire. Je cite :
« Enquête de la puissance protectrice : le choix des personnes impliquées et la préparation de tous les documents permettront de façon certaine, au cas où la puissance protectrice désirerait se livrer à une enquête, de repousser toute plainte ».
Je passe au document suivant, PS-4052 ; vous verrez que l’on y parle encore de cet infâme SS-Oberführer Panziger. Entre temps, il avait obtenu de l’avancement. Il déclare que les préparatifs se rapportant aux généraux français ont atteint le stade où un rapport concernant la procédure envisagée devait être soumis au ReichsFührer SS dans les jours à suivre. Vous verrez qu’il explique à nouveau sa méthode d’assassinat et il dit que cela peut être fait de deux manières différentes, soit en l’abattant d’un coup de feu pendant une tentative d’évasion, soit en l’empoisonnant à l’oxyde de carbone.
Vous remarquerez à la fin de ce document qu’il devait être présenté à M,, von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères du Reich.
Le document suivant offre un intérêt particulier ; c’est le document PS-4048. Ce document est daté du 30 décembre 1944.
Est-ce l’ambassadeur Ritter qui était ambassadeur à Paris ?
Témoin, était-ce Ritter qui était ambassadeur à Paris ?
Je ne le sais plus ; cela a dû se passer il y a longtemps, à un moment où je ne connaissais pas encore les différentes personnalités qui occupaient les postes diplomatiques.
Cela n’a aucune importance.
Monsieur le Président, j’apprends qu’il était officier de liaison entre les Affaires étrangères et l’Armée ; cependant je n’en suis pas absolument certain.
Je passe au document PS-4049 ; c’est là qu’est résumé le plan tout entier et j’aimerais le lire rapidement. Il est adressé au Reichs-Führer SS :
« A ce sujet ont eu lieu les entretiens prescrits avec le chef du service des prisonniers de guerre et le ministère des Affaires étrangères. Ces entretiens ont abouti aux propositions suivantes :
« 1. Au cours d’un transfert de cinq personnes dans trois automobiles portant des matricules militaires, l’incident d’évasion se produit à un moment où la dernière auto a une panne.
2. De l’oxyde de carbone est lâché par le conducteur à l’arrière de la voiture qui sera fermée. L’appareil peut être installé par les moyens les plus simples et peut être enlevé immédiatement. Après des difficultés considérables, un véhicule approprié est maintenant à notre disposition.
3. D’autres possibilités, telles qu’empoisonnement par la nourriture ou la boisson, ont été envisagées également et écartées à nouveau comme trop dangereuses.
Des mesures pour achever le travail ultérieur, tel que notification, autopsie, preuves et inhumation, ont été prises. Le chef de convoi et le conducteur seront fournis par le RSHA et porteront un uniforme militaire. Il leur sera remis un livret matricule.
En ce qui concerne les notifications à la presse, des contacts seront établis avec le Geheimrat Wagner des Affaires étrangères. Wagner m’a signalé à ce sujet que le ministre des Affaires étrangères comptait parler encore de ces questions avec le ReichsFührer. D’après le ministre des Affaires étrangères, cette opération doit être coordonnée de la façon la plus minutieuse.
Entre temps, on a également appris que le nom de l’homme en question a été mentionné au cours de diverses conversations téléphoniques entre le Quartier Général du Führer et le chef du service des prisonniers de guerre. Le chef du service des prisonniers de guerre propose donc d’utiliser un autre homme présentant les mêmes qualifications. Je suis d’accord avec cette proposition, et je suggère que le choix soit laissé au chef du service des prisonniers de guerre. »
Qui a signé cette lettre, Docteur Best ?
On lit, tapé à la machine : « Signé : Dr Kalten-brunner. »
« Signé : Dr Kaltenbrunner ».
Nous prendrons maintenant le dernier document PS-4051. C’est le rapport d’une conversation téléphonique qui nous amène au 12 janvier 1945 et où l’on dit à nouveau : « Un général français prisonnier de guerre mourra de mort violente, soit d’un coup de feu au cours d’une tentative de fuite, soit par empoisonnement. Toutes les mesures à prendre ultérieurement, telles que notification, autopsie, preuves et inhumation ont été prévues. » Plus loin : « Les instructions du ministre des Affaires étrangères du Reich recommandent de discuter la question avec l’ambassadeur Albrecht afin d’établir soigneusement quels droits la puissance protectrice pourrait exercer dans cette affaire et de modifier éventuellement ces plans en conséquence. »
Qui était l’ambassadeur Albrecht ?
C’était le chef du service juridique du ministère des Affaires étrangères ?
Saviez-vous, Docteur Best, que le général Mesny fut tué sur cette route et à cette époque ?
Je ne sais rien du tout de cette affaire parce qu’à ce moment-là je travaillais au Danemark et que je n’ai rien appris de ces événements.
Ceci termine mon contre-interrogatoire. Plaise au Tribunal, j’ai deux documents que la Délégation française m’a demandé de déposer. Ce sont des documents signés par Best ou sur son ordre. Puis-je les verser maintenant aux débats, au nom de la Délégation française ?
Le premier est le document F-967. Il fait état de la déportation de Juifs et de communistes de France et rapporte que les déportations sont suspendues en raison du manque de moyens de transport. (Au témoin.) Je vous demanderai de vouloir bien identifier votre signature au bas de ce document, Docteur Best.
Oui.
Ce sera le document USA-916. Le document suivant, F-972, est également relatif à la lutte contre le communisme en France. Je demanderai au témoin de l’identifier comme émanant de lui et de dire s’il a été signé sur son ordre.
Oui.
Ce sera le document 917. Plaise au Tribunal, on m’informe à l’instant que l’on vient de découvrir un nouveau document très important ; mais il n’a pas encore été examiné. Puis-je demander l’autorisation de le déposer plus tard, au cours des débats, dès qu’il sera prêt ?
Ne peut-il pas être prêt aujourd’hui ?
Monsieur le Président, j’espère que ce sera possible. Il vient de m’être remis, en traduction manuscrite. Il a été découvert au centre de documents de Berlin et je crois qu’il est suffisamment important pour que le Tribunal en soit informé. Je vais essayer d’en avoir la traduction avant la fin de l’audience d’aujourd’hui, mais je pense qu’il serait bon qu’un document de cette nature n’échappe pas à l’attention du Tribunal.
Bien, vous pourrez donc présenter une requête en ce sens dès que le document sera prêt.
Bien, Monsieur le Président.
Désirez-vous interroger à nouveau le témoin ?
Tout d’abord deux questions très brèves se rapportant aux questions posées par le défenseur du SD.
Qui dirigeait les services de renseignements après le renvoi de Canaris ?
J’ai appris, bien qu’étant en dehors de ces services, que les attributions du service de renseignements de la Wehrmacht, autrefois dirigés entièrement par Canaris, avaient été réparties entre différents services de la Police de sûreté : la partie contre-espionnage, bureau n° IV, c’est-à-dire la Gestapo ; une autre partie, service de renseignements à l’étranger, bureau VI ; et enfin on a créé de toutes pièces un service « Mil ».
Himmler dirigeait-il l’ensemble des services sur le plan exécutif, en particulier après la mort de Heydrich ?
Là encore, étant donné que j’étais en dehors de ces services, je ne puis dire que ce que j’ai appris, c’est-à-dire qu’après la mort de Heydrich, Himmler a pris personnellement en main la direction de la Police de sûreté.
Une question relative au Danemark. En quoi consistait, au point de vue organisation, la différence entre la Gestapo dans le Reich et les unités de Police de sûreté mises en œuvre en dehors des frontières du Reich.
A l’intérieur du Reich, il y avait les autorités permanentes de la Police secrète d’État dont les missions étaient définies dans des décrets, Ordonnances lois et notes de service très précises. Dans les territoires occupés, il y avait là des Einsatzkommandos qui étaient composés de membres de la Gestapo, de la Police criminelle, du SD et de nombreux autres auxiliaires ; leurs missions n’étaient pas toujours les mêmes et n’étaient pas toujours nettement délimitées. Ces missions étaient fixées en partie par les services centraux de Berlin et en partie par les chefs supérieurs des SS et de la Police ou par les Commissaires du Reich.
Depuis quand connaissez-vous le témoin Nau-jocks ?
Je crois que j’ai dû faire sa connaissance avant mon départ des services de la Police de sûreté. Mais je ne l’ai vu que très rarement et je n’ai pas eu de relations personnelles avec lui.
Savez-vous que, six mois avant la fin de la guerre, Naujocks a déserté et est allé rejoindre les Américains ?
Cela m’a été dit ici.
Les assassinats décrits par Naujocks étaient-ils des assassinats perpétrés par la Gestapo ?
Non. La Gestapo elle-même, c’est-à-dire la section executive du chef de la Police de sûreté, n’a pas exécuté ces actes. Cela a été fait par des groupements spéciaux qui dépendaient directement du chef de la Police de sûreté et du chef supérieur des SS et de la Police.
Les exécutions de prisonniers de guerre soviétiques dans les camps de concentration allemands étaient-elles généralement connues dans le public ?
Non. Je puis dire en tout cas que, malgré mes fonctions importantes, ce n’est qu’au cours des débats de ce Procès qui j’ai appris ces faits.
La recommandation de votre livre par le ministère de l’Intérieur du Reich signifie-t-elle que votre livre a pris de ce fait un caractère officiel ?
Je ne le crois pas, car il est hors de doute que dans ce même service et de la même manière, de nombreux ouvrages ont été recommandés qui n’avaient nullement été publiés par des services officiels ni sur les ordres de services officiels.
Je n’ai pas d’autre question à poser à ce témoin.
Monsieur le Président, je me propose simplement d’éclaircir une question qui a surgi au cours de l’interrogatoire contradictoire.
Oui, Docteur Laternser.
Témoin, on vous a présenté le document R-178. A la page 26 de ce document, vous trouverez, au milieu de la page, que le Commissaire à la Défense du Reich dans les régions militaires avait donné son accord sur le tri des prisonniers de guerre soviétiques et leur assassinat. Puis, le Procureur vous a demandé qui était ce Commissaire à la Défense du Reich et vous avez dit que vous ne le saviez pas.
Je voudrais vous demander maintenant ceci : qui était habituellement le Commissaire à la Défense du Reich ? N’était-ce pas le Gauleiter qui occupait ces fonctions ?
C’étaient en partie des Gauleiters et en partie, si mes souvenirs sont exacts, des hauts fonctionnaires, Ober-pràsidenten ou des personnages de ce genre, les ministres des différents Lànder.
Ces Commissaires à la Défense du Reich n’avaient donc pas de fonctions militaires ou purement militaires dépendant directement de l’OKH ?
Non ; dans la mesure où je me souviens de la structure de ces services à l’époque, ce n’était pas le cas.
Je vous remercie. Je n’ai pas d’autre question à poser à ce témoin.
Le témoin peut se retirer.
J’ai encore un autre témoin. Pour ne pas interrompre son interrogatoire, il serait peut-être bon de suspendre l’audience maintenant ?
Bien.
Avec l’autorisation du Tribunal, je demande la comparution du témoin Karl Heinz Hoffmann. (Le témoin vient à la barre.)
Veuillez décliner votre nom.
Karl Heinz Hoffmann.
Voulez-vous prononcer ce serment après moi : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Quand et comment êtes-vous entré à la Gestapo ?
Lorsqu’on 1937 j’eus passé l’examen final d’État de Droit, j’ai fait une demande auprès de trois administrations pour obtenir un poste. On m’offrit d’abord un poste dans la Police d’État et j’acceptai. Après un an de stage au service de la Police d’État de Coblence, je fus nommé adjoint du chef de service et conseiller politique du Gouvernement. Un an plus tard, en 1939, je fus envoyé à Dusseldorf en cette même qualité. Là-bas, j’occupai le poste de conseiller à la Défense du Reich auprès de l’inspecteur.
Lorsque la Police de sûreté fut mise à l’œuvre en Hollande, j’y allai à titre de haut fonctionnaire. En septembre 1940, je fus nommé au ministère de l’Intérieur dans les services de la Police secrète d’État ou je pris la direction de la section des Territoires occupés de l’Ouest. En septembre 1943, je fus envoyé auprès du chef de la Police de sûreté au Danemark, comme chef de la section IV.
Vous avez donc fait partie de deux services de la Police d’État : à Coblence et à Dusseldorf en qualité d’adjoint au chef du service ?
Oui.
Quels étaient les rapports de ces services avec l’administration de l’Intérieur ?
Le chef du service était chef du service politique du président chef supérieur et remplissait les mêmes fonctions auprès de l’Oberprâsident. Dans les villes et les circonscriptions où il n’y avait pas de service extérieur de la Police d’État, c’étaient les Polices locales et de circonscription et la Gendarmerie qui assuraient la police. 80 % environ des affaires provenaient de ces autorités de Police.
La NSDAP avait-elle qualité pour donner des ordres à la Police d’État ?
Pas d’après les prescriptions légales, mais uniquement lorsque le Gauleiter remplissait en même temps la fonction d’Oberpràsident o’u Reichsstatthalter.
Comment cela se passait-il en pratique ?
En pratique, il arrivait que des formations secondaires ou subalternes tentent d’intervenir dans nos services, mais la Police refusait et la plupart du temps cela ne se produisait que lorsque les membres du Parti se trouvaient impliqués.
Appartenait-il à la Police d’État de représenter les buts idéologiques du Parti ?
Non. Les tâches de la Police d’État consistaient simplement à parer les attaques dirigées contre l’État, dans le cadre des dispositions et des ordonnances légales.
Les tendances fondamentales de la Gestapo étaient-elles défensives ou agressives ?
Elles étaient uniquement défensives et nullement agressives. Cela ressort clairement du fait suivant : lorsqu’on 1944 les missions des services de contre-espionnage furent confiées à la Police et au SD, la Police d’État ne se vit confier que les services de contre-espionnage pur, alors que l’espionnage actif et le sabotage passaient à l’Amt Mil ou à l’Amt VI.
Les employés de la Gestapo jouissaient-ils de certains avantages ? Par exemple, pouvaient-ils acheter, au cours d’adjudications, les objets saisis par la Gestapo ?
II était, par décret, interdit aux fonctionnaires de la Police d’acheter des objets qui avaient été saisis et étaient vendus aux enchères. De même ces fonctionnaires n’avaient pas la possibilité de participer, de quelque manière que ce soit, à l’aryanisation d’une affaire ; de même l’acquisition directe de biens juifs leur était interdite.
Vous avez pris part à l’activité de la Police de sûreté en Hollande, à titre de haut fonctionnaire. Les fonctionnaires ainsi envoyés en mission avaient-ils subi une instruction préparatoire ?
Non. On ne prit d’ailleurs aucune mesure de mobilisation, telle que l’engagement d’interprètes ou l’augmentation du corps des fonctionnaires au moyen de personnel supplémentaire. De même, les prescriptions relatives aux soldes et aux autres questions économiques n’étaient pas très claires et rien n’avait été prévu pour de telles missions.
La Gestapo a-t-elle pris part à une conspiration quelconque qui eut pour but la préparation et l’exécution de guerres d’agression, ?
Je dois répondre non à cette question. En ma qualité de conseiller pour la Défense du Reich auprès de l’inspecteur de la VIe région militaire, auquel étaient subordonnés six services de Police d’État, je n’ai jamais appris qu’une guerre d’agression fût préparée. Je n’ai appris l’occupation du Danemark et de la Norvège que par les journaux. En ma qualité d’adjoint au chef de la Gestapo à Dusseldorf, je n’ai jamais su à l’avance la date de l’offensive à l’Ouest. Je l’ai appris le matin même par la presse et la radio. Lorsque commença la campagne contre la Russie, j’étais au service central de la Gestapo et deux ou trois jours après seulement on nous apprit que l’offensive avait eu lieu. Mais auparavant nous n’avions pas la moindre idée de ces préparatifs ; c’est-à-dire nous ne savions rien de plus que ce que tout Allemand pouvait déduire de la tension politique qui régnait alors.
Comment était, en principe, composé le personnel d’un service de la Gestapo en Allemagne ?
Le service de la Police d’État de Coblence, par exemple, dont j’ai reconstitué l’organisation, était composé de quarante-cinq à cinquante fonctionnaires de Police criminelle qui, pour la plupart, venaient de la Police de protection et de la Police criminelle ou de l’ancienne Police, plus environ quinze à vingt administrateurs et fonctionnaires techniques. Avec le personnel de bureau et le personnel auxiliaire, j’estime que le service entier comptait cent personnes.
Tout ce personnel était-il volontaire ou non ?
II s’agissait pour la plupart d’entre eux de fonctionnaires qui étaient entrés dans la Police avant 1933 et avaient été versés dans la Police d’État. Autant que je puisse m’en souvenir, il y avait tout au plus 10 % ou 15 % de volontaires qui fussent entrés après 1933 dans nos services.
Quels étaient les missions principales d’un service de la Police d’État en Allemagne ?
Le travail principal était la lutte contre la trahison et la haute trahison, la question des Eglises ; les questions relatives au traitement des Juifs ; les infractions contre la loi dite de trahison (Heimtùckegesetz), les crimes commis à l’intérieur de la NSDAP et les questions politiques importantes dans le domaine de la presse ou de l’économie.
Pendant votre activité à la Police d’État, comment était traitée la question de l’internement de protection ?
La plupart de ces cas étaient réglés par un avertissement de la Police d’État, à moins que le résultat de l’enquête fût négatif. Au cours des procédures pour lesquelles une arrestation s’était révélée nécessaire, on veillait à ce que les coupables fussent déférés devant un tribunal. La détention de protection n’était prononcée, pour une brève période, que dans les cas où l’affaire ne pouvait pas encore passer en justice. L’internement de protection en camp de concentration n’était demandé par la Police d’État que si la personnalité du coupable et son activité antérieure pouvaient donner à craindre qu’il ne commette de nouvelles infractions aux lois. A ma connaissance, il n’y avait au début de la guerre que 20.000 détenus dans les camps de concentration, dont peut-être la moitié, au plus, étaient des détenus politiques.
Pour quelles raisons l’autre moitié y était-elle détenue ?
II s’agissait en majorité de criminels de Droit commun. ’
La Police d’État avait-elle pris des mesures en faveur des familles des internés politiques ?
D’après un décret du service central de la Gestapo, le service de la Gestapo qui prononçait la peine d’internement de protection devait non seulement demander aux organisations de bienfaisance de prendre soin des familles, mais encore le fonctionnaire qui s’était occupé de l’affaire devait s’assurer en permanence du fait que ces mesures étaient prises.
Certaines professions étaient-elles interdites aux internés des camps de concentration après leur libération ?
Non, ils pouvaient exercer n’importe quelle profession.
Ceci se rapporte à la période où vous étiez chef d’un service de la Police d’État, c’est-à-dire jusqu’en ?
Pendant la période où j’étais chef adjoint, c’est-à-dire jusqu’en mai 1940.
Le Ministère Public assure que la Gestapo aurait pris part à la lutte contre l’Église. Que pouvez-vous dire à ce sujet, en ce qui concerne l’époque de votre activité à Coblence et à Dusseldorf ?
La question de l’Eglise était à cette époque traitée en fonction du principe de la séparation de l’Eglise et de l’État. Nous intervenions lorsqu’un prêtre avait commis une infraction au « Kanzelparagraph » (paragraphe concernant les paroles prononcées en chaire) qui avait été introduit dans le code pénal sous l’Allemagne impériale, ou une infraction à la « loi de trahison » ou quand les organisations religieuses s’occupaient de questions politiques, ce qui était interdit par un arrêté.
Jusqu’en 1938, qu’entendait-on par « Question juive » ?
L’émigration des Juifs.
Quel était le nombre des personnes qui s’occupaient de la question juive, dans les deux services de la Gestapo que vous avez connus ?
A Coblence, un assistant supérieur de Police criminelle, qui s’occupait entre autres des questions relatives à la franc-maçonnerie. A Dusseldorf, il y avait un inspecteur principal avec deux ou trois auxiliaires peut-être.
Cela fut-il modifié par l’ordre de Heydrich du 10 novembre 1938 prescrivant l’arrestation d’un nombre illimité de Juifs sans travail ?
Cette ordonnance fut pour nous une surprise complète, que n’avait laissé prévoir aucune des mesures prises jusqu’alors. La plupart de ces Juifs ayant, à ma connaissance, été plus tard remis en liberté, on ne peut en déduire que c’était là une modification subite de la ligne de conduite suivie par le Gouvernement.
Avez-vous, vous-même ou les fonctionnaires de votre service, su que les déportations des Juifs vers l’Est, commencées en 1942, signifiait leur anéantissement ?
Non. J’étais alors au service central de la Gestapo ; au cours des entretiens avec le chef de la section IV, il n’en a jamais été question. La question juive était alors entre les mains de Eichmann, qui venait de la Police d’État, mais avait été versé du SD à la Police d’État. Il habitait avec ses services une maison particulière et n’avait presque aucun contact avec les autres membres du service. En particulier, les autres fonctionnaires n’étaient pas appelés à donner leur signature lorsqu’il ordonnait la déportation de Juifs.
Lorsque nous lui faisions des reproches à ce propos, il nous disait toujours qu’il demandait leur contreseing aux autres services, ce qui leur aurait permis d’exprimer leur opinion.
Les prescriptions relatives au secret étaient-elles également appliquées à l’intérieur des différents services de la Police d’État ?
Oui, même à l’intérieur de chaque service. C’était un vieux principe de la Police, dès avant 1933, que l’interdiction de discuter des cas individuels. Le secret fut encore renforcé par l’ordre bien connu du Führer et les tribunaux des SS et de la Police prononçaient contre les infractions les peines les plus graves qui étaient toujours portées à la connaissance du personnel.
Depuis 1941, vous dirigiez le service IV-D 4 au RSHA. Quel était le travail de cette section ?
Ce service avait pour mission de coordonner les problèmes politiques et policiers qui surgissaient dans les territoires occupés de l’Ouest, de les étudier et d’établir des rapports destinés aux services supérieurs et à d’autres services. Plus tard, il eut en outre à s’occuper du traitement des internés politiques et d’autres personnalités en provenance de ces territoires.
Quelle était l’opinion générale de votre service et du service central de la Gestapo quant à l’apparition des mouvements de résistance dans les territoires occupés ?
Après l’occupation de ces régions, les Alliés commencèrent à utiliser les forces de ce pays en mettant sur pied des organisations militaires. Ceci se passa d’abord sur la base du volontariat, en ce sens que celui qui voulait entrer dans une organisation militaire, pour des raisons patriotiques ou politiques, prenait la décision de le faire ; à partir du moment où il était entré dans cette organisation, il se trouvait soumis aux ordres militaires et devait en supporter toutes les conséquences. Les mesures qu’il avait à exécuter ensuite faisaient partie de la stratégie d’ensemble des Alliés et ne jouaient pas obligatoirement dans l’intérêt de son propre pays. Il en résultait que tous les actes des mouvements de résistance n’étaient pas des actes spontanés de la population occupée.
C’est pourquoi toutes les mesures d’ordre général prises contre la population en réaction contre les actes de ces organismes militaires étaient non seulement inutiles, mais nuisibles aux intérêts allemands eux-mêmes, puisque les membres des organisations militaires n’étaient pas pour autant empêchés d’exécuter leurs ordres. Il en résultait qu’on ne pouvait les combattre que de deux façons : d’abord en menant, du côté allemand, une politique qui détourne les gens de prendre la décision de combattre contre l’Allemagne ; ensuite, en neutralisant, par des arrestations, les groupes en activité.
Pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas agi ainsi suivant ce principe qui était celui de la Gestapo ?
La raison en est d’abord que Himmler ne venait pas de la Police et que ses décisions n’étaient pas toujours basées sur les rapports de la Police, mais dans la plupart des cas sur des déclarations individuelles qui lui parvenaient par d’autres voies, par exemple, par les chefs supérieurs des SS et de la Police. En outre, il n’était pas possible à la Police de lui faire continuellement des rapports sur les événements tout en donnant une image claire de la situation. D’autre part, les chefs supérieurs des SS et de la Police et les services locaux de Police qui constituaient l’autorité allemande la plus importante dans le territoire ne cessaient d’intervenir dans le travail de la Police.
Vous venez d’employer le mot « intervenir ». La Gestapo ne recevait-elle pas ses ordres directement par des voies immuables ?
Non. Les services en activité dans les pays occupés n’étaient pas seulement sous les ordres du service central de la Gestapo ; ils dépendaient de nombreuses autres autorités et de formations militaires qui pouvaient exercer une influence et avaient même le droit de leur donner des instructions ; ainsi, en particulier, les chefs des SS et de la Police et parfois les commandants militaires.
Pouvez-vous, par exemple, en donner deux exemples particulièrement marquants.
D’abord, la politique du Commissaire du Reich Terboven, qui consistait à exécuter des otages ou à prendre des mesures d’ordre général contre la population. Nous avons, pendant trois ans, lutté contre ces mesures. Par des rapports adressés à Himmler, nous avons sans cesse tenté d’obtenir son renvoi. Nous avons par exemple transféré des détenus de Norvège en Allemagne pour les faire échapper à sa juridiction, et nous les avons ensuite fait libérer. Quand les sabotages de navires au Danemark atteignirent leur point culminant en automne 1944, le commandant militaire reçut de l’OKW des instructions lui demandant d’obtenir du plénipotentiaire du Reich une ordonnance disposant qu’en cas de sabotages les ouvriers des chantiers navals et les membres de leur famille seraient arrêtés. Après bien des difficultés, nous sommes parvenus à écarter l’application de ces mesures, parce que nous savions par expérience que les ouvriers des chantiers navals n’avaient aucune part aux actes de sabotage.
Comment était faite l’organisation de la Sipo et du SD dans les territoires occupés de l’Ouest ?
Cette organisation n’était pas uniforme. En Norvège, et plus tard en Belgique, il y avait des commandants agissant sous les ordres des commandants en chef. Au Danemark et en Hollande, il y avait des services détachés, en France des commandants et au-dessus d’eux des commandants en chef. Dans tous les cas, le Commandant en chef de la, Gestapo n’était pas seulement soumis aux ordres de Berlin, mais aussi aux supérieurs des SS et de la Police, qui étaient immédiatement sous les ordres de Himmler ; ceux-ci pouvaient donc prendre des décisions qui ne passaient pas par le RSHA.
Comment était composé le personnel de ces services ?
Étant donné le déficit important de policiers entraînés aux affaires criminelles, les fonctionnaires de la Police d’État ne constituaient que le squelette de ces services qui étaient complétés au moyen de fonctionnaires de la Police criminelle et surtout d’hommes enrôlés pour ce service et qui provenaient d’unités transférées de la Police secrète de campagne dans la Police de sûreté. Ils constituaient plus de 50 % des effectifs.
Les membres de la Sipo dans les territoires occupés de l’Ouest étaient-ils des volontaires ?
Non, on était déplacé ou muté. Les seuls volontaires étaient les interprètes indigènes.
Qui a donné l’ordre de déporter les Juifs du Danemark ?
Cet ordre a été donné par Adolf Hitler, par l’intermédiaire du ReichsfUhrer SS. Le Commandant en chef de la Police de sûreté a tenté en vain de s’y opposer ; mais, autant que je sache, il n’y a pas réussi, car c’est un des motifs pour lesquels il a été renvoyé.
Que faisait la Police d’État pour tenter d’adoucir ces mesures ?
Les membres de la Police du maintien de l’ordre, qui étaient, dans la plupart des cas, chargés d’exécuter ces mesures, avaient pour instructions de ne pas forcer les portes.
En outre, nous obtînmes du plénipotentiaire du Reich que les biens ne fussent pas saisis et que les clés des habitations fussent remises au ministère danois des Affaires sociales.
Ces déportations de Juifs ont-elles été connues à l’avance au Danemark ?
On en parlait depuis longtemps au Danemark, où elles faisaient l’objet de conversations quotidiennes.
Pourquoi la Police danoise fut-elle dissoute et en partie déportée en Allemagne ?
Parce que la Police danoise, dans son ensemble, était en contact étroit avec les mouvements de résistance et avec le Service d’information britannique. Ainsi, le chef de la Police danoise du maintien de l’ordre pour le Jutland était impliqué dans la préparation des sabotages qui devaient être opérés au moment de l’invasion et il avait communiqué au Service de renseignements britannique la disposition des troupes allemandes dans le Jutland. D’autres fonctionnaires importants avaient agi de la même façon. Dans ces conditions, la Wehrmacht craignait avant toute chose que la Police danoise agisse derrière son dos.
Est-ce la Police d’État qui a demandé cette déportation et qui l’a exécutée ?
Ce n’est pas la Police d’État qui demanda la déportation. Le chef supérieur des SS et de la Police avait déjà demandé à Himmler, au Grand Quartier Général du Fuhrer, son consentement à cette mesure, lorsqu’il fit part de ses intentions à la Police d’État.
Existait-il une réglementation uniforme prescrivant d’employer des mauvais traitements ou des tortures au cours des interrogatoires ?
Les tortures et les mauvais traitements étaient sévèrement interdits et passibles de sanctions devant les tribunaux.
Connaissez-vous des cas dans lesquels des interrogatoires auraient été jugés par des tribunaux ?
Je me souviens de deux employés de la Police d’État de Dusseldorf qui ont été jugés par le tribunal régulier pour avoir fait subir des mauvais traitements à des prisonniers.
A-t-on pratiqué des interrogatoires du 3e degré pendant votre activité au Danemark, et pourquoi ?
Ils ont été pratiqués. Pour expliquer cette circonstance, je rappellerai que l’activité des organisations de résistance s’exerçait dans les domaines suivants : 1. Attentats contre des soldats allemands ;
2. Attentats contre les trains, les moyens de transport et les installations de la Wehrmacht, au cours desquels des soldats étaient également tués ;
3. Élimination des indicateurs et des gens qui travaillaient en collaboration avec la Police allemande ou d’autres autorités allemandes. Pour parer à ces dangers et pour sauver des vies allemandes, nous avons institué et pratiqué les interrogatoires du 3e degré, mais uniquement dans ce cas. Ces restrictions furent observées dans la pratique, malgré les possibilités que nous donnait le décret.
Quelles furent les dispositions prises au cours de la conférence tenue à Bruxelles en 1943 au sujet de l’ordonnance sur les interrogatoires du 3e degré ?
Au cours de cette conférence, il fut décidé, sur la base de l’expérience acquise, de restreindre, pour les raisons que je viens d’exposer, l’emploi des interrogatoires du 3e degré à la limite exposée plus haut.
Qui a ordonné les exécutions d’otages en France ? Qui est, en France, à l’origine des exécutions d’otages ?
Autant que je sache, c’était un ordre d’Adolf Hitler. Le service central de la Gestapo ne cessait, au moyen de rapports, de protester contre ces mesures, et cela dans tous les autres territoires occupés, pour les motifs que je viens d’exposer.
Pourquoi la Gestapo s’opposait-elle particulièrement à l’exécution d’otages à titre de représailles contre l’assassinat de soldats allemands à Paris ?
Parce que nous pensions que ces mesures étaient le fait d’un groupe relativement restreint et que des mesures générales ne pouvaient donc qu’être non seulement inutiles mais mêmes nuisibles si l’on tenait compte des constatations que je viens d’exposer. Les faits ont d’ailleurs montré que ces attentats, précisément à Paris, étaient pratiqués par un groupe qui ne comprenait pas même une centaine de personnes.
Qui a ordonné et exécuté la déportation des ouvriers français dans le Reich ?
C’était une mesure prise par l’administration de l’utilisation de la main-d’œuvre. Je ne crois pas que la Police d’État ait jamais procédé à des déportations de travailleurs. Je dois faire ici une réserve en ce qui concerne la France où, sur l’ordre du Reichsfuhrer, fut entreprise l’opération « Écume de mer » dans le cadre de laquelle 5.000 Français, je crois, ont été déportés en Allemagne pour s’être rendus coupables de délits politiques mineurs.
Qui était responsable de l’évacuation des Juifs en France ?
L’évacuation des Juifs en France fut exécutée par les services d’Eichmann et, ainsi que je viens de le dire, sans que les services réguliers de la Police d’État aient eu la possibilité de prendre position.
Sur l’ordre de qui eut lieu la démolition du quartier du port de Marseille ?
Ce fut un ordre donné directement par le ReichsFührer chef supérieur des SS et de la Police, car, en France particulièrement, il s’était établi une collaboration étroite entre ces organismes, qui évitaient de passer par le canal de la Gestapo. A Berlin, nous n’avons eu connaissance que par la suite de cet ordre du ReichsFührer.
Himmler prenait-il fréquemment de telles mesures sans en faire part à la Police au préalable ?
Tant que j’ai été à Berlin, cela se produisait fréquemment à la suite de rapports qu’il recevait de tel ou tel service ou bien comme réaction spontanée à la suite d’un sabotage ou d’un attentat.
Au cours de votre activité à Berlin, avez-vous entendu parler d’excès commis au cours d’interrogatoires dans les pays occupés de l’Ouest ?
Nous n’avons eu connaissance à l’époque que du Livre Blanc norvégien qui fut à l’origine d’une enquête à Oslo et servit de base au rapport que nous fîmes à Himmler pour demander la destitution de Terboven.
Que savez-vous de la déportation de ministres et généraux français en Allemagne ?
Ces déportations ont été décidées par le ReichsFührer et, selon toute vraisemblance, avec le seul accord du chef supérieur des SS et de la Police en France. En tout cas, le service central de la Gestapo n’en a rien su à l’avance et fut informé que le président du conseil Reynaud et le ministre Mandel devaient être mis en cellules. A la suite de longs échanges de rapports, le service central de la Gestapo finit par obtenir que les hommes politiques français ne fussent pas soumis au régime de la prison et que, dès ce moment-là, une autre résidence soit choisie pour ceux qui devaient plus tard être emmenés en Allemagne.
Savez-vous quelque chose du fait que l’un des généraux français internés à Königstein en novembre 1944 devait être exécuté par Panziger ?
Non.
Et que le général en question devait, au cours de son transfert de Kônigstein, être exécuté sous prétexte qu’il aurait tenté de s’enfuir ? Je vous soumets, pour votre gouverne, les documents que vient de déposer le Ministère Public américain, documents PS-4048 à 4052, et je vous prie de bien vouloir dire ce que vous savez à ce sujet.
(Au Tribunal.) Je n’ai qu’un exemplaire en anglais, mais le témoin comprend très bien cette langue.
Ces documents figurent-ils dans votre livre de documents ?
Non, il ne sont pas dans mon livre de documents ; je n’ai pas pu les inclure, car ils viennent d’être déposés à l’instant par le représentant du Ministère Public américain. Ce sont les documents PS-4048 à 4052. Ils viennent d’être déposés au cours du contre-interrogatoire du Dr Best.
Témoin, je ne pense pas qu’il soit nécessaire que vous lisiez ces documents en entier. Je vous prie simplement d’en prendre brièvement connaissance et de répondre à ma question, à savoir : étiez-vous au courant de cet incident ?
Ces documents sont datés de janvier 1945 ou de décembre 1944. J’étais à ce moment-là au Danemark et n’étais pas au service central de la Gestapo.
En général, les déportations de travailleurs étrangers vers l’Allemagne étaient-elles exécutées par la Gestapo ?
Non. Je me souviens que lors de mon activité au service central on ne procéda même pas à l’arrestation des ouvriers en fuite. Je me souviens en particulier que, en 1940, le Commissaire du Reich Seyss-Inquart tenait spécialement à ce qu’on ne le fît pas.
Le décret « Nacht und Nebel » vous a-t-il été communiqué par l’OKW pour être transmis aux services de la Police d’État et aux commandants militaires ?
Oui.
Approuviez-vous ce décret ?
Le décret « Nacht und Nebel » avait été pris par l’OKW en collaboration avec le ministère de la Justice. Le service central de la Gestapo n’avait pas pris part à son élaboration. Au point de vue technique, il y eut dès l’abord de grandes difficultés parce que, pour des faits qui s’étaient produits à l’étranger, l’enquête devait être poursuivie en Allemagne. Pour cette seule raison déjà, nous le désapprouvions comme étant très difficile à appliquer. En outre, il se révéla avoir des résultats négatifs du fait que les familles n’étaient pas au courant des arrestations, ce qui, comme je l’ai dit, était absolument contraire à nos tendances et à nos pratiques. Les difficultés commencèrent lors des premières arrestations, lorsque les détenus furent remis à la Police qui était chargée d’enquêter. Nous avons constaté que des innocents avaient également été emmenés en Allemagne et nous avons obtenu, malgré les prescriptions de l’arrêté, que ces personnes soient renvoyées dans leur pays.
Le décret « Kugel », le « Kommandobefehl » et le décret « Nacht und Nébel » ont-ils été appliqués au Danemark pendant votre activité ?
Non.
Que savez-vous de l’application de ces décrets dans les autres pays occupés de l’Ouest ?
Tous ces décrets ont été pris après mon départ de Berlin, de sorte que je ne peux pas en parler.
Savez-vous si, dans les pays occupés de l’Ouest, la Gestapo avait institué des formations spéciales dans les camps de prisonniers en vue de procéder au tri des indésirables politiques et raciaux et de les faire exécuter ?
Je ne peux rien dire à ce sujet, car je ne connaissais pas ce décret avant la capitulation.
Les décrets en question avaient-ils le caractère d’ordonnances prises par la Police d’État ?
Ces décrets n’étaient pas le résultat d’un travail de la Police mais étaient pris par l’autorité supérieure. Les fonctionnaires réguliers de la Police ne pouvaient pas, en conséquence, prévoir, que de telles dispositions seraient prises un jour. En outre, les dispositions relatives au secret ont fait que la plupart des fonctionnaires de la Police n’ont pas eu connaissance de la teneur de ces décrets.
Je n’ai plus d’autres questions à poser au témoin.
Le Ministère Public désire-t-il contre-interroger le témoin ?
Docteur Hoffmann, vous étiez membre du parti nazi, n’est-ce pas ?
Oui.
Depuis quand ?
Depuis le 1er décembre 1932.
Et quand vous avez posé votre candidature pour entrer à l’administration, et notamment à la Police, vous avez également indiqué que vous étiez membre du Parti ?
Excusez-moi, je n’ai pas entièrement compris votre question.
Quand vous avez présenté votre candidature pour entrer à l’administration, et notamment à la Police, vous avez indiqué que vous étiez membre du parti nazi ?
Oui, naturellement.
Vous nous avez dit tout à l’heure qu’il n’y avait aucun rapport entre la Gestapo et le parti nazi ?
Oui, c’est exact.
Est-il exact, pourtant, que les fonctionnaires de la Police aient été soumis à l’appréciation politique ?
Je n’ai pas compris le sens de votre question. ..
L’appréciation politique est un terme spécial que vous connaissez sans doute ; il s’appelle en allemand « Politische Beurteilung ».
Oui.
Il est exact, n’est-ce pas, que les fonctionnaires importants de la Police, avant d’être nommés, étaient soumis à cette appréciation politique du Parti ?
Oui.
Connaissez-vous la circulaire de la chancellerie du Parti selon laquelle les autorités du parti national-socialiste ne sont pas obligées de consulter les fiches USC quand il s’agit de nommer de nouveaux fonctionnaires de la Police, ou au contraire quand il s’agit de leur donner de l’avancement ?
Tout fonctionnaire qui entrait en service était apprécié au point de vue politique, et tout fonctionnaire qui obtenait de l’avancement subissait à nouveau cette appréciation.
Vous étiez membre des SS, n’est-ce pas ?
Je suis devenu membre des SS après le début de la guerre, à la suite du décret d’assimilation de novembre 1939.
Vous avez dû faire une demande ?
Notre service nous a fait faire une demande pour la forme.
Et cette demande était également soumise à l’appréciation politique, n’est-ce pas ?
Je le suppose.
Quand vous étiez à Dusseldorf, comme délégué du chef de service de la Gestapo, vous aviez sous vos ordres des commissariats de la police de frontière ?
Oui.
Est-il exact que ces commissariats aient eu exactement les mêmes fonctions que les postes extérieurs des services de la Gestapo ?
Non, pas à l’origine, ils n’avaient alors à remplir que les missions de la police des frontières. De mon temps, les missions de police politique étaient assurées dans le Kreis par le Landrat.
De quelle époque parlez-vous ?
Je parle de l’époque 1939-1940. Jusqu’en septembre 1940.
Je vous rappelle une circulaire du ministre de l’Intérieur de la Prusse et du Reich du 8 mai 1937, publiée dans le Bulletin du ministère de l’Intérieur du Reich et de la Prusse en 1937, page 754, qui précise, dans son article 3, que les tâches policières à la frontière du Reich sont assumées par les commissariats et les postes de frontières.
Oui. C’est exact. Il faut distinguer entre les questions de politique intérieure et les missions de contre-espionnage. Celles-ci étaient, bien entendu, assurées par la police des frontières, mais non pas les questions de politique intérieure, car les fonctionnaires de la police des frontières n’avaient pas du tout, dans l’ensemble, la formation nécessaire pour procéder d’eux-mêmes à des enquêtes criminelles.
Le même article poursuit que les commissariats de frontière de la Police sont, pour les services de la Gestapo, considérés comme étant des services de la Gestapo et assimilés aux « Aussendienststellen ».
Je ne comprends pas ce mot. Ah oui. « Aussendienststellen ». La police des frontières dépendait de la Police d’État, plus précisément de la section III qui était chargée des questions de contre-espionnage. Étant donné que les missions de contre-espionnage avaient pour objet de parer aux agressions venant de l’étranger, il est bien évident, et cela dans toutes les polices, que la police de frontière exécute la première partie de cette mission. J’ai simplement dit tout à l’heure que la police des frontières ne s’occupait pas de questions de politique intérieure.
Vous nous avez dit tout à l’heure que les envois dans les camps de concentration se faisaient à la demande des services locaux de la Gestapo. Est-ce bien exact ?
Lorsqu’une personne devait être mise en camp de concentration, le service de la Police d’État de Berlin devait faire une demande au service central de la Gestapo. Ce n’est que lorsque le service central de la Gestapo, ou, plus tard, le chef de la Police de sûreté prononçait l’internement de protection, que l’on pouvait procéder à l’internement dans un camp de concentration. Le transport était effectué par la voie normale qu’utilisait l’administration de la Police.
Donc, il est exact, témoin, que les envois dans les camps de concentration étaient faits sur l’initiative des services locaux de la Gestapo ?
Sur la demande des services locaux de la Police d’État.
Et les services locaux de la Gestapo, en faisant la demande, arrêtaient en même temps l’individu ?
Oui. Parfaitement.
Les postes de frontière avaient-ils également le droit de faire des demandes d’envoi dans les camps de concentration ?
La police des frontières avait uniquement pour mission d’intervenir à la frontière ; elle n’étudiait aucun cas et ne prenait aucune décision de son propre chef. Lorsque la police des frontières arrêtait une personne, elle la remettait, avec un rapport, à la Police d’État qui étudiait alors le cas. Les fonctionnaires de la police des frontières étaient pour la plupart des débutants qui n’étaient pas encore en état de procéder à des enquêtes criminelles. La police des frontières n’était pas encore une formation indépendante qui pût faire des demandes de ce genre. Le travail de la police des frontières n’était pas différent de ce qu’il était avant 1933.
Je voudrais vous montrer, témoin, un document qui est cependant de 1944 et qui émane du service de la Gestapo de Dusseldorf. C’est le document PS-1063. Est-il bien exact que cette lettre ait été envoyée aussi aux commissariats de frontières pour leur indiquer que pour l’instant il n’y avait pas lieu de renvoyer des ouvriers de l’Est arrêtés au camp de concentration de Buchenwald ?
Pardon, je n’ai pas très bien compris votre question, j’étais en train de lire.
Est-il exact que cette lettre, adressée aux commissariats de frontière, indique à ceux-ci.
Cela ressort du contenu ; il est tout à fait normal qu’une formation de la Police d’État donne également des directives à la police des frontières, car le contenu de cette lettre porte sur le traitement de personnes qui ont été arrêtées et cela avait évidemment lieu à la frontière. Cette lettre déclare que si un service s’est saisi d’une personne qui soit dans ce cas, il devra transmettre tous les renseignements quand le cas sera transmis à la Police d’État, c’est-à-dire au service principal.
II est bien exact que ce document indique que les demandes pour envoi dans les camps de concentration émanant des commissariats de frontière doivent passer par Dussendorf, n’est-ce pas ?
Bien entendu. Autant que je le sache, le commissiariat de la police des frontières ne pouvait avoir de rapports directs avec la Gestapo.
II est bien exact également que le commissariat de frontière pouvait lui-même faire des demandes d’envoi dans des camps de concentration ?
Tout au plus pouvait-il le faire auprès du service de la Police d’État de Dusseldorf. Mais je dois faire remarquer que ce document est de 1944 et que depuis 1940, je ne travaillais plus dans les services de la Police d’État en Allemagne même. Je ne peux donc pas dire si pendant mon absence les directives données à la police des frontières ont été modifiées. Ce document, à mon avis, ne le laisse pas supposer, car je suppose que ce même décret a dû être communiqué aux Landräte.
D’une manière générale, le Tribunal estime qu’il est inutile de contre-interroger le témoin sur des documents qui ne sont pas ses documents et qu’il ne connaît pas. Vous pouvez déposer ces documents.
Connaissez-vous l’institution de la police secrète de campagne ?
A la campagne, il n’y avait que la gendarmerie et, dans les petites villes, il y avait la police criminelle communale.
Je crois que la traduction a été mauvaise. Il s’agit de la « Geheime Feldpolizei ».
Je connais cette organisation en effet ; je n’avais pas compris la question.
Est-il exact que la plupart des membres de la police de campagne venaient de la Police ?
Les unités de la Geheime Feldpolizei étaient composées de quelques fonctionnaires de la Police mais surtout de soldats qui avaient été détachés dans ce but. Dans les groupes de la police militaire de campagne qui ont été transférés au Danemark, j’estime qu’une unité comprenait au plus 15% à 20% de fonctionnaires de la Police et que le reste était constitué par des soldats qui avaient été détachés et qui jamais auparavant n’avaient eu à faire quoi que ce soit avec la Police.
Est-il exact que la plupart des officiers de la Police soient venus de la Police ?
Les chefs des commandos et l’État-Major étaient pour la plupart des fonctionnaires de la Police et, autant que je m’en souvienne, des fonctionnaires de la police criminelle.
Avec la permission du Tribunal, je déposerai deux documents qui sont deux affidavits, F-964 et F-965, qui deviennent RF-1535 et RF-1536. Ces documents indiquent, pour deux régions de la France, que la grande majorité des officiers de cette police militaire viennent de la Police. (Au témoin.) Est-il exact que des otages, dans les territoires occupés, aient été remis à la Sipo ?
Pardon.
Est-il exact que, dans les territoires occupés, les otages aient été remis par l’Armée à la Sipo ?
Cela différait selon les pays. Autant que je sache, les otages, en France, ont été fusillés par la Wehr-macht ; en Norvège, sur l’ordre du Commissaire du Reich Terboven, par la Police de sécurité, autant que je le sache. Je ne sais pas personnellement comment on procédait en Belgique.
Avez-vous reçu des rapports sur les interrogatoires de troisième degré indiquant la rigueur de ces interrogatoires ?
Voulez-vous parler de rapports reçus pendant mon activité ?
C’était à Berlin.
Non, j’ai dit que nous n’avions eu connaissance, comme pièces officielles, que du Livre Blanc norvégien ; cela mis à part, je n’ai jamais rien su à ce sujet.
Je me permettrai de déposer au Tribunal un rapport du commandant de la Sipo et du SD de Marseille, en date du 6 juillet 1944, au sujet des arrestations de membres de la Résistance française, de l’interrogatoire de ces membres et des décès consécutifs. C’est le document F-979, qui devient RF-1537.
Avec la permission du Tribunal, j’aurais voulu lire un extrait de ce document à la page 2 de la traduction française :
« Les détenus n° 1 à 4 et 6 à 12, ainsi que les quarante-trois détenus désignés sous le numéro 16, ont été tués lors d’une tentative d’évasion de grande envergure, le 13 juin 1944. Les numéros 13 à 15 ont été tués le 15 juin 1944, aux environs de Salon, lors d’une tentative d’évasion. Le numéro 17 est encore nécessaire à la section spéciale AS. »
Et plus loin : « Le numéro 21 est décédé le 9 juin 1944 à notre service. »
En ce qui concerne le décret « Nuit et brouillard », vous nous avez dit que le service de la Gestapo à Berlin y était opposé. Est-ce exact ?
Oui.
Je voudrais vous montrer le document PS-668, qui est déjà déposé comme USA-504.
J’ai dit que la Police d’État était, pour différents motifs techniques, opposée à cet arrêté ; mais comme il s’agissait d’un décret pris par le Gouvernement allemand, il fallait, bien entendu, qu’il fût appliqué par la Gestapo et par les autres services.
Et votre service IV-D 4, qui est le signataire de ce document, choisit la solution la plus rigoureuse, n’est-ce pas ?
La solution qui devait résulter de ce décret.
Et l’Armée avait demandé à votre service de suggérer la solution, n’est-ce pas ?
Voulez-vous parler de la solution, dans ce cas particulier ou bien du décret en général ?
Je vous demande, témoin, s’il est exact que l’Armée vous ait sollicité pour donner une solution à la question de savoir si les parents d’un Français décédé devaient être avisés de son décès ou non. Est-il exact que vous ayez choisi la solution la plus sévère ?
D’après ce document, je peux seulement voir qu’une demande émanait de l’OKWi et que le service central de la Gestapo a répondu en se conformant aux principes énoncés par le décret.
Est-il exact que, sous la page 2, l’Armée réponde qu’elle est d’accord avec votre proposition ?
Manifestement.
Avez-vous vous-même donné des instructions personnelles au sujet de l’application du décret « Nuit et brouillard » ?
Ce n’était pas mon travail. Dépendant du ministère, j’avais uniquement à transmettre le décret de base aux services compétents ; le reste était réglé par les services locaux.
Est-ce que vous aviez des rapports avec les services des camps de concentration ?
Je n’ai eu de rapports avec les camps de concentration qu’à partir du moment où je me suis occupé des ministres français, car le président du conseil Reynaud et M. Mandel habitaient le bâtiment des cellules à Oranienburg et j’avais souvent à leur rendre visite pour m’informer de leurs désirs. Il en fut de même plus tard avec le camp de concentration de Buchenwald où le président du conseil Blum et le ministre Mandel occupaient une petite maison dans le quartier où logeaient les chefs de camp ; enfin, pour le château de Gitter, où la garde était composée de gardiens du camp de Dadiau. Ce sont là les seuls cas où j’ai eu affaire indirectement avec l’administration des camps de concentration.
L’audience est levée.