CENT QUATRE-VINGT-DOUZIÈME JOURNÉE.
Jeudi 1er août 1946.

Audience de l’après-midi.

(Le témoin Hoffmann est à la barre.)
LE PRÉSIDENT

Il serait peut-être bon que les avocats des organisations sachent que le Tribunal a l’intention d’entendre d’abord tous les témoignages oraux des témoins des organisations ; les avocats feront ensuite le commentaire de leurs documents, car certains documents, les affidavits en particulier, ne sont pas encore prêts. Je pense que cela conviendra aux avocats des organisations.

Le Tribunal siégera samedi matin en audience publique jusqu’à l’heure.

M. MONNERAY

Témoin, vous nous avez dit tout à l’heure qu’à l’exception de la protection de certaines personnalités politiques françaises, vous n’aviez rien à faire avec le règlement des camps de concentration ?

TÉMOIN HOFFMANN

Non.

M. MONNERAY

Est-ce que vous avez établi un règlement pour les camps de concentration ?

TÉMOIN HOFFMANN

Non.

M. MONNERAY

Est-ce que vous avez communiqué aux camps de concentration des instructions ?

TÉMOIN HOFFMANN

Je n’en ai aucun souvenir.

M. MONNERAY

Je voudrais montrer au témoin, avec la permission du Tribunal, le document PS-2521 qui deviendra RF-1538. Le document ne se trouve pas dans le livre de documents, c’est une pièce nouvelle.

A la seconde page du document, nous trouvons un extrait du décret « Nuit et Brouillard », à l’usage des services des camps de concentration. Ce document est daté du 4 août 1942 et émane du service IV D-4.

TÉMOIN HOFFMANN

Oui, c’est la reproduction du texte du décret « Nuit et Brouillard », adressée à l’inspecteur des camps de concentration. Je ne puis plus me rappeler à partir de quel moment le décret « Nuit et Brouillard » fut appliqué dans les camps, mais je suppose que l’origine en a été la difficulté d’application de ce décret dans les divers services.

M. MONNERAY

Ce document est bien signé par vous-même ?

TÉMOIN HOFFMANN

On y lit : « Signé : Dr Hoffmann » et il y a un cachet. Il est probable que je l’ai signé à un moment donné.

M. MONNERAY

Est-ce que c’est un document rédigé dans votre service ?

TÉMOIN HOFFMANN

D’après la présentation, je dois le supposer.

M. MONNERAY

C’est donc votre service qui a donné des instructions et des commentaires sur ce décret ?

TÉMOIN HOFFMANN

Oui, cela est clair, et cela n’a d’ailleurs jamais été contesté.

M. MONNERAY

Vous nous avez dit ce matin que l’État et la direction de l’État n’agissaient pas selon les conceptions de la Police ?

TÉMOIN HOFFMANN

Dans de nombreux cas, c’est exact.

M. MONNERAY

Considérez-vous que la matière du décret « Nuit et Brouillard » est conforme aux conceptions policières ?

TÉMOIN HOFFMANN

Non.

M. MONNERAY

C’est-à-dire ? Vous estimez que ce décret est contraire aux conceptions policières ?

TÉMOIN HOFFMANN

Oui. J’ai déclare que ce décret a été pris sans que la Police ait joué un rôle quelconque, et j’ai également déclaré, dans l’exposé de nos conceptions, de nos luttes contre les organisations militaires, que ce décret ne leur correspondait pas. Puisqu’il a néanmoins été pris par les autorités supérieures, la Police ne pouvait qu’agir selon ces directives et pouvait simplement tenter de faire valoir ses conceptions dans le cadre du décret.

M. MONNERAY

C’est-à-dire que la Gestapo, qu’elle approuvât ou qu’elle n’approuvât pas les mesures prises, y collaborait pour les réaliser, n’est-ce pas ?

TÉMOIN HOFFMANN

Oui.

M. MONNERAY

La Gestapo avait le droit de procéder à des exécutions ?

TÉMOIN HOFFMANN

Non. Il est vrai que j’ai entendu dire que dans un secteur qui ne relevait pas de ma compétence, il existait des règlements de ce genre.

M. MONNERAY

Quel secteur ?

TÉMOIN HOFFMANN

Pour autant que je le sache, il s’agissait du service qui traitait des questions polonaises.

M. MONNERAY

Est-ce que votre service IV D a reçu des indications sur le droit d’exécution de la Gestapo ?

TÉMOIN HOFFMANN

Je ne me souviens pas si on nous a transmis de tels décrets.

M. MONNERAY

Je vais vous montrer le document PS-1715, qui deviendra RF-1539. C’est un document signé de Kaltenbrunner et qui est envoyé à tous les services de la Gestapo et, pour information, à votre service IV D.

TÉMOIN HOFFMANN

Je me permets d’attirer votre attention sur le fait que mon service était le service D-4 (Dora-4). IV D était le groupe qui comprenait tous les territoires occupés. Ce document est adressé au chef du groupe IV D et non pas au service 4, Dora-4. Par conséquent, ce document n’a pas été adressé à mon service. Étant donné que dans le secteur Ouest nous n’avons procédé à aucune exécution, ce document n’a pas été adressé à mon service.

M. MONNERAY

Mais les documents correspondent à la réalité. La Gestapo avait le droit d’exécuter.

TÉMOIN HOFFMANN

Je ne peux pas, en me basant sur mes propres connaissances, vous donner de détails précis sur les pratiques suivies.

M. MONNERAY

Connaissiez-vous Eichmann ?

TÉMOIN HOFFMANN

Je sais, par mon activité, qu’Eichmann avait la direction du service qui s’occupait de la question juive au RSHA.

M. MONNERAY

Votre service ne recevait aucune information au sujet des actions anti-juives dans les territoires occupés ?

TÉMOIN HOFFMANN

Mon service recevait les rapports mensuels qui provenaient des commandants militaires des territoires occupés. Dans ces rapports on parlait, par exemple, de la déportation des Juifs, et j’ai déjà montré que les déportations de Juifs n’avaient été portées à ma connaissance que par ces rapports, que je m’étais alors adressé à Eichmann à ce propos en lui demandant pourquoi ces faits n’avaient pas été portés plus tôt à la connaissance de mon service et qu’Eichmann m’avait alors opposé une fin de non recevoir en me disant qu’il n’agissait que sur ordre supérieur.

M. MONNERAY

Est-ce qu’Eichmann avait des délégués dans les territoires occupés ?

TÉMOIN HOFFMANN

Je sais qu’il avait des délégués spéciaux auprès des différents commandants de la Police de sûreté.

M. MONNERAY

Ces délégués avaient-ils le droit de donner des ordres aux services de la Gestapo ?

TÉMOIN HOFFMANN

Je ne peux pas, d’après mes connaissances personnelles, donner d’informations précises sur ces délégués d’Eichmann. Eichmann faisait, en théorie, partie du service central de la Police d’État.

M. MONNERAY

II était un élément du service IV, n’est-ce pas ?

TÉMOIN HOFFMANN

Il faisait, en théorie, partie du service IV, mais il avait une activité très personnelle et j’ai déjà insisté au surplus sur le fait que cela s’explique en grande partie parce qu’il ne sortait pas des cadres de la Police.

M. MONNERAY

Vous étiez tenu constamment au courant de l’activité des délégués d’Eichmann dans les différents territoires occupés ?

TÉMOIN HOFFMANN

Je n’en avais connaissance que par les rapports mensuels des commandants militaires.

M. MONNERAY

Et ces rapports vous indiquaient le nombre des déportations, par exemple ?

TÉMOIN HOFFMANN

Oui.

M. MONNERAY

Est-ce que les forces des commandeurs de la Gestapo ou de la Sipo dans les territoires occupés, collaboraient à ces déportations ?

TÉMOIN HOFFMANN

Autant que je sache, oui.

M. MONNERAY

Quelles étaient les fonctions du service II du RSHA ?

TÉMOIN HOFFMANN

Le service II du RSHA s’occupait de questions administratives et de questions économiques ainsi que, depuis le début jusqu’en 1944, des questions de passeports et de l’internement des étrangers.

M. MONNERAY

Les fonctionnaires de service étaient-ils surtout des fonctionnaires de l’exécutif ou de la partie administrative de la Police ?

TÉMOIN HOFFMANN

Le service II comprenait surtout des employés des services administratifs et des juristes.

M. MONNERAY

Ce service, d’après vous, connaissait très mal ce qui se passait dans l’exécutif ?

TÉMOIN HOFFMANN

Oui, puisqu’il s’occupait essentiellement de questions administratives et de questions juridiques.

M. MONNERAY

Savez-vous quelle était la fonction du service II D ?

TÉMOIN HOFFMANN

Si je ne me trompe pas, c’étaient les questions de juridiction.

M. MONNERAY

Je vais vous montrer un document déjà déposé. C’est le document PS-501 (USA-288).

D’après ce document, les camions à gaz destinés à exterminer les populations à l’Est et notamment les Juifs étaient fournis par ce service II qui était parfaitement au courant, selon ce document, de l’extermination. Est-ce que c’est ainsi que la séparation était établie entre les services administratifs et les services exécutifs ?

TÉMOIN HOFFMANN

D’après ce que je vois dans ce document, il s’agit, en ce qui concerne le service II D, du service technique qui s’occupait des voitures automobiles et, d’autre part, il s’agissait de voitures spéciales. Il s’agit apparemment d’un rapport adressé par un service automobile au service central d’administration des voitures automobiles à Berlin.

M. MONNERAY

Vous reconnaissez qu’il s’agit d’un document qui parle de certains véhicules spéciaux destinés à l’extermination ?

TÉMOIN HOFFMANN

D’après ce que j’ai pu voir en parcourant le document, cela semble ressortir de son contenu.

M. MONNERAY

Docteur Hoffmann, une dernière question.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Monneray, je crois que le document est suffisamment éloquent.

M. MONNERAY

Aviez-vous souvent l’impression, au cours de votre activité dans la Gestapo, que la direction de l’État vous demandait d’accomplir les tâches contraires à ce que vous appeliez les tâches policières ?

TÉMOIN HOFFMANN

Ce sentiment, qu’on nous chargeait de certaines tâches en contradiction avec les principes de la Police, je l’ai eu tant au cours de mon activité à Berlin que plus tard au Danemark, au sujet de certaines questions pour lesquelles je dois d’ailleurs faire remarquer que je ne pouvais en juger que du point de vue d’un fonctionnaire de la Police, et que je ne pouvais prendre position qu’en partant de ce point de vue ; je ne savais pas quelles étaient les raisons qui avaient poussé la direction de l’État à prendre les décisions qui nous étaient communiquées.

M. MONNERAY

Vous ne considérez pas comme étant criminel, par exemple, l’ordre destiné à certaines catégories de prisonniers soviétiques ?

TÉMOIN HOFFMANN

Je dois avouer franchement que je ne comprenais absolument pas cet ordre, d’autant plus qu’il était absolument inexplicable du point de vue de la Police.

M. MONNERAY

Mais néanmoins la Gestapo s’est prêtée à la réalisation de ces ordres, n’est-ce pas ?

TÉMOIN HOFFMANN

Je ne peux pas le dire de par ma propre connaissance.

M. MONNERAY

Je n’ai pas d’autres questions à poser.

Dr MERKEL

Quelques questions seulement, Monsieur le Président. (Au témoin.)

Les membres de la Gestapo qui avaient été intégrés aux SS par le décret d’assimilation ont-ils passé au service des SS ou du SD et ont-ils servi ces organisations ?

TÉMOIN HOFFMANN

Non. Cette intégration dans les SS était une mesure de pure forme, et à partir du moment où j’ai été, en théorie, rattaché aux SS en 1939, je n’ai fait de service ni dans les SS ni dans le SD.

Dr MERKEL

Dans les ordres de détention de protection du RSHA, le camp de concentration dans lequel le détenu devait être interné était-il déjà désigné ?

TÉMOIN HOFFMANN

Je crois me souvenir que oui, mais je ne peux pas le dire avec certitude.

Dr MERKEL

Qui procédait à l’arrestation des personnes contre lesquelles était lancé un ordre d’internement, dans la mesure où elles étaient encore en liberté ?

TÉMOIN HOFFMANN

Soit les fonctionnaires de la Gestapo directement, soit les autorités de la gendarmerie ou de police locale.

Dr MERKEL

Qui accompagnait les transports des détenus vers les camps de concentration ?

TÉMOIN HOFFMANN

Autant que je puisse m’en souvenir, le transfert se faisait dans les voitures de transport de détenus de l’administration de la Police, qui circulaient sur l’ensemble du territoire du Reich selon un horaire fixe.

Dr MERKEL

Vous-même ou vos services savaient-ils quelque chose de la situation réelle dans les camps de concentration ?

TÉMOIN HOFFMANN

Non.

LE PRÉSIDENT

Que voulez-vous dire par « horaires réguliers » ? Étaient-ce des transports spéciaux ou des trains ordinaires ?

TÉMOIN HOFFMANN

II y avait des voitures spéciales pour les détenus, qui étaient mises en service par l’administration générale de la Police ; elles circulaient entre les différentes prisons et transportaient également des détenus normaux. Elles étaient accrochées aux trains express et aux trains de voyageurs ordinaires, et c’est dans ces voitures qu’étaient également transportés des détenus. Il n’y avait donc pas de transports spéciaux.

Dr MERKEL

Les camps de concentration dépendaient-ils de la Gestapo ?

TÉMOIN HOFFMANN

Non, les camps de concentration dépendaient de l’inspecteur des camps de concentration à Oranien-burg et, autant que je sache, celui-ci dépendait du service principal de l’économie et de l’administration SS.

Dr MERKEL

Cela n’est-il pas justement établi par le document PS-2521 que vient de présenter le Ministère Public ? Il porte en effet comme expéditeur : Office principal de l’administration SS, Oranienburg, et est adressé aux commandants de tous les camps de concentration.

TÉMOIN HOFFMANN

Oui.

Dr MERKEL

Étiez-vous au courant de l’extermination des Juifs à Auschwitz ?

TÉMOIN HOFFMANN

Non. Ce n’est qu’après la capitulation que j’ai entendu parler de ces choses.

Dr MERKEL

Saviez-vous que l’activité d’Eichmann était directement liée à l’extermination des Juifs à Auschwitz ?

TÉMOIN HOFFMANN

Tant que j’ai été en fonctions et jusqu’au moment de la capitulation, je n’ai jamais entendu parler de ce problème.

Dr MERKEL

Quand avez-vous, pour la première fois, eu des informations certaines sur ces faits ?

TÉMOIN HOFFMANN

Après la capitulation.

Dr MERKEL

Je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.

M. FRANCIS BIDDLE (juge américain)

Témoin, vous avez parlé d’un décret autorisant la Gestapo à utiliser des méthodes du troisième degré au Danemark ; vous vous en souvenez ?

TÉMOIN HOFFMANN

Oui.

M. BIDDLE

Était-ce un décret écrit ?

TÉMOIN HOFFMANN

C’était un décret écrit du chef de la Police de sûreté et du SD.

M. BIDDLE

Était-il signé ?

TÉMOIN HOFFMANN

Oui, mais par qui...

M. BIDDLE

Par qui était-il signé ?

TÉMOIN HOFFMANN

Dans la mesure où je m’en souviens, le premier décret a été signé par Heydrich et le second par Muller, par délégation ; mais pour ce dernier, je ne peux pas l’affirmer avec certitude.

M. BIDDLE

Quelle était la date du premier décret ?

TÉMOIN HOFFMANN

Je crois qu’il est de 1937.

M. BIDDLE

Quel mois ?

TÉMOIN HOFFMANN

Je ne m’en souviens pas.

M. BIDDLE

Quelle était la date du second décret ?

TÉMOIN HOFFMANN

1942.

M. BIDDLE

Avez-vous vu vous-même ces deux décrets ?

TÉMOIN HOFFMANN

Oui.

M. BIDDLE

Que disait le premier décret ?

TÉMOIN HOFFMANN

Le premier décret stipulait que pour lutter contre les organisations hostiles au Reich et dans le cas où on ne disposerait plus d’aucun autre moyen, l’individu impliqué pourrait recevoir un certain nombre de coups de bâton. A partir d’un nombre de coups déterminé, il fallait faire appel à un médecin. Cette disposition ne pouvait être appliquée pour obtenir des aveux au sujet d’un individu. L’autorisation devait, dans chaque cas, être demandée au chef de la Police de sûreté et du SD.

M. BIDDLE

Un instant. Ce décret se limitait-il à un certain territoire ou s’appliquait-il à tous les territoires occupés ?

TÉMOIN HOFFMANN

Le décret de 1937 s’appliquait au territoire du Reich, mais je crois qu’ensuite ce décret a été appliqué automatiquement à l’activité de la Police de sûreté dans les territoires où elle exerçait. Je n’ai pas souvenir d’une restriction apportée à ce décret.

M. BIDDLE

Y avait-il d’autres méthodes du troisième décret qui fussent autorisées en dehors des coups de bâton prévus par le premier décret ?

TÉMOIN HOFFMANN

Non. Le second décret n’autorisait que le recours à des mesures moins graves que les coups de bâton, telle que l’obligation de rester debout pendant l’interrogatoire ; on les soumettait aussi à des exercices fatigants ; ces méthodes sont énumérées dans le décret et je ne m’en souviens plus dans le détail.

M. BIDDLE

Vous vous souvenez de l’une d’elles, rester debout, par exemple ? Quelles étaient les dispositions du décret relatives à l’obligation de rester debout pendant les interrogatoires ?

TÉMOIN HOFFMANN

Personnellement, je n’ai jamais assisté à un tel interrogatoire.

M. BIDDLE

Ce n’est pas ce que je vous ai demandé. Je vous ai demandé quelles étaient les dispositions du décret relatives à l’obligation de rester debout pendant les interrogatoires.

TÉMOIN HOFFMANN

II était dit simplement que l’on pouvait obliger la personne interrogée à ne pas s’asseoir et à rester debout pendant l’interrogatoire.

M. BIDDLE

Et combien de temps duraient les interrogatoires effectivement ?

TÉMOIN HOFFMANN

Le décret n’en parlait pas, mais.

M. BIDDLE

Ce n’est pas ce que je vous ai demandé. Combien de temps duraient les interrogatoires ?

TÉMOIN HOFFMANN

Ils pouvaient, suivant les circonstances, être très longs. C’est pourquoi le fait d’être obligé de se tenir debout constituait une mesure sévère.

M. BIDDLE

Le nombre de coups que l’on pouvait donner était-il mentionné dans le décret ? Disait-on combien de coups un homme pouvait recevoir ?

TÉMOIN HOFFMANN

Autant que je m’en souvienne, cette mesure ne pouvait être appliquée plus d’une fois sur un individu ; elle ne pouvait être répétée. Et le nombre de coups de bâton était, je crois, fixé par le décret.

M. BIDDLE

Et ensuite on appelait un médecin ?

TÉMOIN HOFFMANN

Non, je crois que lorsqu’on avait prévu un nombre de coups plus élevé, le médecin devait être présent dès le début.

M. BIDDLE

Et quel était le nombre de coups autorisé ? Vous en souvenez-vous ?

TÉMOIN HOFFMANN

Dans la mesure où je m’en souviens, vingt coups, mais je ne peux pas le dire exactement.

M. BIDDLE

Et ces deux décrets s’appliquaient à tout le Reich allemand, y compris les territoires occupés ?

TÉMOIN HOFFMANN

Oui.

M. BIDDLE

Ils étaient valables en France aussi bien qu’au Danemark ?

TÉMOIN HOFFMANN

Oui, plus tard. Le deuxième décret spécifiait que l’autorisation pouvait être donnée, non plus par le chef de la Police de sûreté, mais par le commandant.

M. BIDDLE

Si bien qu’après cela un commandant pouvait faire appliquer les coups de bâton sans passer par le chef de la Police ?

TÉMOIN HOFFMANN

Oui, à partir de 1942.

LE PRÉSIDENT

Le témoin peut se retirer.

Dr MERKEL

Je voudrais simplement rectifier un détail, un petit malentendu que je crois pouvoir éclaircir. Le Tribunal a parlé tout à l’heure, au cours de l’interrogatoire du témoin, d’un commandant dans les territoires occupés. Je voudrais demander au témoin s’il entend par ce terme les commandants de la Police de sûreté (Kommandeure), ou les commandants en chef de la Police de sûreté (Befehishaber). Ce sont là des personnes entièrement différentes.

TÉMOIN HOFFMANN

Autant que m’en souvienne, il s’agit des commandants en chef.

LE PRÉSIDENT

C’est tout. Merci bien.

LT-COMMANDER HARRIS

Plaise au Tribunal. J’aimerais poser une question au témoin, à la suite de l’interrogatoire par le Tribunal. Je crois que le témoin a déclaré que le second décret ne prévoyait pas les châtiments corporels. Vous ai-je bien compris, témoin ?

TÉMOIN HOFFMANN

Non, j’ai dit les coups de bâton... et, de plus, un certain nombre de mesures, mais de nature moins grave que les coups de bâton.

LE PRÉSIDENT

J’avais compris, en prenant des notes, que le second décret prévoyait des méthodes plus douées, l’obligation de se tenir debout et des méthodes de fatigue.

LT-COMMANDER HARRIS

Oui, c’est ce que j’avais compris, mais maintenant il me semble que le témoin admet que les deux décrets autorisaient les coups de bâton. C’est le point que je désirais éclaircir.

Dr MERKEL

Je n’ai pas d’autres questions à poser au témoin.

LE PRÉSIDENT

Que désirez-vous, colonel Karev ?

COLONEL KAREV (Avocat Général soviétique.)

Le Ministère Public soviétique demande au Tribunal l’autorisation de présenter de nouveaux documents relatifs à l’activité criminelle de la Gestapo.

LE PRÉSIDENT

Oui, certainement.

COLONEL KAREV

Tout d’abord, je présente au Tribunal le document URSS-258 ; il consiste en extraits d’une liste d’otages qui ont été exécutés en Yougoslavie par la Police allemande.

Si le Tribunal le juge nécessaire, je donnerai lecture de deux phrases de ce document. On lit, à la fin du premier paragraphe de ce document : « Ces exécutions ont eu lieu sur l’ordre des chefs de la Gestapo et du SD ». Ensuite, je désirerais attirer l’attention du Tribunal sur la deuxième phrase, point c), à la fin de la seconde page. On y dit que :

« ... sur la base de certains rapports, de listes, de procès-verbaux de décès, on a pu établir que le nombre de victimes était le suivant »

Je passe sur rénumération détaillée des victimes et attirerai simplement l’attention du Tribunal sur le fait qu’en 1942, 237 personnes ont été fusillées ou pendues, et en tout au moins 1.575 personnes.

Je dépose ensuite le document URSS-465. C’est une déclaration de la Police allemande sur les destructions d’un certain nombre de villages de Slovénie et l’exécution de la population masculine de ces villages, parce qu’ils étaient venus en aide aux partisans. J’attire l’attention du Tribunal sur deux phrases où il est dit :

« Le 20 juillet 1942, le village de Hrastnigg et une partie des villages de Savoden et de Kanker ont été détruits et rasés, toute la population adulte masculine a été exécutée et le reste de la population déporté. Cette mesure a été prise parce que certains habitants du village étaient venus en aide aux partisans ou avaient, pour le moins, par leur attitude passive et bienveillante, favorisé leurs agissements. »

Une autre phrase, à la fin du document : « Outre toutes les mesures prises par la Gestapo, un certain nombre de civils pris comme otages ont dû être fusillés ».

Le troisième document porte le numéro URSS-416, Je n’en donnerai pas lecture. C’est une liste de ressortissants yougoslaves et alliés, établie en 1938. Ce document déclare que les citoyens yougoslaves étaient souvent arrêtés sans avoir été accusés d’aucun crime.

En face de chacun des 4.000 noms de cette liste, une note précisait si l’arrestation était due à la Gestapo ou à un autre service, le RSHA. Ce document a été trouvé dans les archives de la Gestapo en Yougoslavie.

Le quatrième document, URSS-418, est une copie d’un ordre de la Police allemande, saisi en Yougoslavie ; il reproduit un ordre de Himmler prescrivant d’arrêter immédiatement et de transférer dans un camp de concentration tous les éléments qui ont manifesté de la joie à l’occasion des tragiques événements de Stalingrad.

Je pense, Monsieur le Président, qu’il n’est pas nécessaire que j’en donne lecture.

Enfin, le document URSS-71 est très bref. C’est un télégramme de la Police allemande relatif au personnel diplomatique, attachés, courriers diplomatiques, consuls, etc. Il est daté de la veille de la déclaration de guerre ou plutôt de l’invasion de la Yougoslavie, et constitue par lui-même une violation du Droit international. Le document URSS-316 porte sur le même sujet. Il étend les dispositions de ce télégramme aux courriers diplomatiques, consuls, etc.

Le dernier document, URSS-518, est une déclaration d’un général de l’Armée allemande, Krappe, qui déclare entre autres choses que la Gestapo a tué un de ses propres collaborateurs en vue de garder un secret, et qu’à la suite de cela une enquête a eu lieu devant le supérieur hiérarchique.

Ce sont là tous les documents que je désirais présenter au Tribunal. Si le Tribunal le permet, je désirais encore indiquer les numéros de certains documents déjà déposés faisant état de l’activité criminelle de la Gestapo. Ces documents ont été déposés à d’autres sujets, mais il ne leur a pas été accordé une attention suffisante en ce qui concerne la Gestapo. Puis-je les déposer ou le Tribunal estime-t-il que ce n’est pas nécessaire ?

LE PRÉSIDENT

S’agit-il de documents qui ont été déjà déposés ?

COLONEL KAREV

Oui, Monsieur le Président, ces documents ont été présentés et reçus par le Tribunal, pas au sujet de la Gestapo cependant, mais pour d’autres questions. C’est pourquoi je voudrais attirer l’attention du Tribunal sur quelques extraits de ces documents, extraits sur lesquels on a passé, bien que des documents aient déjà été déposés, à d’autres fins, devant le Tribunal.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal estime que le moment le plus opportun pour la présentation de ces documents sera celui où le Ministère Public discutera de ces questions, si ce sont des documents qui ont déjà été présentés.

COLONEL KAREV

Très bien. Je vous remercie, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Le témoin peut se retirer. Vos témoins ont-ils tous été entendus ?

Dr MERKEL

Oui, Monsieur le Président. Si j’ai bien compris ce qu’a dit Votre Honneur, la présentation des preuves n’aura lieu qu’après l’audition de tous les témoins, pour toutes les organisations.

LE PRÉSIDENT

Oui, afin que tous les documents puissent être examinés en même temps, puisque certains d’entre eux ne sont pas encore disponibles. Nous passerons donc à l’organisation suivante.

Dr MERKEL

Une seule prière encore : pourrai-je, dans l’exposé de mes preuves, me référer aux documents que vient de déposer le Ministère Public et, éventuellement, déposer des preuves qui les réfutent ? Il s’agit des documents qui ont été déposés aujourd’hui.

LE président

Lorsque vous dites « réfuter », vous voulez critiquer ces documents et en discuter ?

Dr MERKEL

Oui, les critiquer et éventuellement présenter, pour les réfuter, de nouveaux affidavits ou de nouveaux documents à titre de preuves contradictoires.

LE PRÉSIDENT

II vous sera possible de « réfuter », comme vous dites ou de discuter les documents qui ont été déposés aujourd’hui par le Ministère Public, au moment où vous prononcerez votre exposé final. Quand le dépôt des témoignages oraux pour toutes les organisations sera terminé, toutes les organisations pourront présenter leurs preuves documentaires et les commenter brièvement. Elles auront alors le temps de discuter de l’ensemble du cas, et vous pourrez également discuter ou, comme vous dites, réfuter les documents qui ont été déposés aujourd’hui.

Dr MERKEL

Merci, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Je donne la parole à l’avocat du SD. Voulez-vous appeler vos témoins maintenant ?

Dr GAWLIK

J’ai entendu sept témoins devant la commission. Je n’ai pas encore reçu intégralement les procès-verbaux et je les déposerai dès que je les aurai reçus. Avec l’autorisation du Tribunal, j’appellerai le témoin Hoeppner. (Le témoin vient à la barre.)

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous décliner votre nom.

TÉMOIN ROLF HEINZ HOEPPNER

Rolf Heinz Hoeppner.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous prêter ce serment après moi :

« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien. » (Le témoin répète le serment.)

Vous pouvez vous asseoir.

Dr GAWLIK

Je poserai d’abord quelques questions à titre d’introduction, afin de montrer que le témoin possède les connaissances requises pour répondre sur ce sujet. (Au témoin.) Quand êtes-vous né ?

TÉMOIN HOEPPNER

Le 24 février 1910.

Dr GAWLIK

Depuis quand appartenez-vous au SD ?

TÉMOIN HOEPPNER

Depuis le début de l’année 1934.

Dr GAWLIK

Quelle activité exerciez-vous auparavant ?

TÉMOIN HOEPPNER

Avant, je faisais mes études et j’ai accompli un stage juridique.

Dr GAWLIK

Quels examens avez-vous passés dans le domaine du Droit ?

TÉMOIN HOEPPNER

J’ai passé le premier et le second examen d’État de Droit.

Dr GAWLIK

Quelle était votre fonction dans le SD ?

TÉMOIN HOEPPNER

J’étais d’abord collaborateur honoraire et rapporteur dans un Oberabschnitt ; plus tard, j’ai été chef d’état-major dans un Leitabschnitt, puis Abschnittsführer et, enfin, j’ai été Gruppenleiter au RSHA.

Dr GAWLIK

Quel groupe dirigiez-vous ?

TÉMOIN HOEPPNER

J’ai dirigé le groupe III, Administration légale et vie nationale.

Dr GAWLIK

Quels sont les autres domaines dont vous vous êtes occupé au. SD ?

TÉMOIN HOEPPNER

Au début, pendant la période de mon activité honoraire, je m’occupais des questions de presse ; plus tard, des questions de personnel et d’organisation, et comme Stabsfuhrer et AbschnittsFührer, j’étais responsable pour l’ensemble des domaines d’activité du SD dans mon secteur.

Dr GAWLIK

Je passerai maintenant à la première partie de mon argumentation. Je désire montrer que le SD, en tant que service de renseignements, et le SD en tant que formation SS, étaient des organisations entièrement séparées. (Au témoin.) Que signifie l’abréviation SD ?

TÉMOIN HOEPPNER

L’abréviation SD signifie Sicherheits-dienst (service de sécurité).

Dr GAWLIK

Quelles étaient les différentes significations de ce mot ?

TÉMOIN HOEPPNER

Le mot « Sicherheitsdienst » a deux significations totalement différentes ; d’une part, ce mot désigne la formation spéciale des SS dénommée SD et, d’autre part, il désigne le service de sécurité en tant que service de renseignements.

Dr GAWLIK

Le service de renseignements à l’étranger s’appelait-il également SD ?

TÉMOIN HOEPPNER

Oui, on l’appelait également SD et, plus précisément, SD-AusIand.

Dr GAWLIK

Est-ce que l’Amt VII était également désigné par SD ?

TÉMOIN HOEPPNER

Oui.

Dr GAWLIK

De quoi s’occupait l’Amt VII ?

TÉMOIN HOEPPNER

L’Amt VII s’occupait des questions d’archives, de bibliothèques, et avait, à ma connaissance, plusieurs missions scientifiques spéciales.

Dr GAWLIK

Le SD, en tant que formation SS, était-il totalement différent du SD service de renseignements à l’intérieur et du SD renseignements à l’étranger ?

TÉMOIN HOEPPNER

Oui.

Dr GAWLIK

De qui dépendait la formation spéciale SD des SS ?

TÉMOIN HOEPPNER

La formation spéciale SD des SS dépendait du chef de la Police de sûreté et du SD.

Dr GAWLIK

Qui faisait partie de cette formation spéciale ?

TÉMOIN HOEPPNER

A cette formation spéciale appartenaient d’une part les membres du service de sécurité, en tant que service de renseignements, qui provenaient des Allgemeine SS. D’autre part, faisaient partie de cette formation spéciale les personnes qui, travaillant au service de renseignements, étaient incorporées à l’Amt VII et, troisièmement, en faisaient partie les membres des SS appartenant à la Police de sûreté, c’est-à-dire de la Police d’État et à la police criminelle. Enfin il y avait encore — quatrièmement — les membres de formations qui avaient certains rapports de service avec cette Police de sûreté.

Dr GAWLIK

D’autres personnes appartenaient-elles encore à cette formation spéciale, personnes qui ne travaillaient pas à la Police de sûreté ou au SD ?

TÉMOIN HOEPPNER

Oui, ceux que je viens de désigner sous le quatrième groupe et qui étaient incorporés aux SS en tant que service de protection douanière des frontières.

Dr GAWLIK

Ce groupe de personnes avait-il une tâche commune ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non, il se trouvait simplement que ce groupe de personnes était enregistré d’abord à l’Office principal SD et, plus tard, après la création du RSHA en 1939, à l’Amt 1 de ce RSHA.

Dr GAWLIK

J’en viens maintenant au second point de mon argumentation, à savoir les rapports entre le service de renseignements à l’intérieur, Amt III, qui est le service de renseignements à l’étranger, l’Amt VI et l’Amt VII.

Les offices III, VI et VII constituaient-ils des organisations distinctes ou une organisation homogène du SD ?

TÉMOIN HOEPPNER

II s’agissait d’organisations distinctes. Je pourrais peut-être le montrer en quelques mots. Tout d’abord, les tâches imparties à ces trois offices étaient totalement différentes. L’Amt III s’occupait du service de renseignements à l’intérieur, l’Amt VI s’occupait du service de renseignements à l’étranger, et l’Amt VII s’occupait des questions de bibliothèques et d’archives. En second lieu, leur organisation était totalement différente. En ce qui concerne l’Amt III, service de renseignements à l’intérieur, le travail le plus important s’effectuait dans les services extérieurs et les sections : la méthode de travail était donc décentralisée. Dans l’Amt VI, service de renseignements à l’étranger, le travail était très fortement centralisé. Quant à l’Amt VII, il ne comprenait qu’un service central.

Dr GAWLIK

Ces différents offices III, VI et VII étaient-ils liés entre eux par une mission commune ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non, car leurs missions étaient trop différentes et leurs membres n’avaient presque pas de rapports entre eux.

Dr GAWLIK

J’en viens maintenant au troisième point de mon argumentation, l’évolution du SD jusqu’à la création du RSHA, en particulier en ce qui concerne la question de savoir si, pendant cette période, le SD a été chargé de travailler, en commun avec d’autres services, à l’établissement d’un plan commun ou complot. Quant fut créé le SD, service de renseignements à l’intérieur ?

TÉMOIN HOEPPNER

Le service de sécurité a été créé en 1931-1932.

Dr GAWLIK

Est-ce que le SD, entre le moment de sa formation et la fin de la guerre, a conservé les mêmes missions et la même activité ?

TÉMOIN HOEPPNER

On ne peut le dire en aucune manière. Ses missions et ses objectifs ont même très fortement varié selon la situation politique. Alors que jusqu’en 1933 ou même jusqu’au début de 1934, le SD avait pour tâche d’assister les Allgemeine SS, cette mission n’eut plus de sens à partir du moment où les partis politiques qui s’opposaient à la NSDAP furent dissous, où, par conséquent, il n’existait plus de parti constituant une concurrence légale et où la lutte ou la surveillance, la défense contre les adversaires illégaux, devinrent la tâche de la Police secrète d’État.

Dr GAWLIK

Quelles sont les différentes périodes que l’on peut distinguer depuis la fondation jusqu’à la fin de la guerre ?

TÉMOIN HOEPPNER

J’ai déjà parlé de l’une de ces périodes qui s’étend de 1931 jusqu’en 1933-1934. La seconde de ces périodes a commencé en 1934. A ce propos, je voudrais parler d’un événement ou plutôt d’un document particulièrement important : l’ordre du délégué du Führer, par lequel le SD.

Dr GAWLIK

Témoin, ne faites d’abord qu’indiquer les différentes périodes ; ensuite, je vous interrogerai brièvement au sujet de chacune de ces périodes.

TÉMOIN HOEPPNER

La première période s’étend de 1931 jusqu’à 1934, la seconde part du milieu de l’année 1934 et va jusqu’à la création du RSHA, et la troisième période de la création du RSHA jusqu’à la fin de la guerre.

Dr GAWLIK

Quels étaient les buts, les missions et l’activité du SD pendant la période allant de 1931 à 1934 ?

TÉMOIN HOEPPNER

De 1931 à 1934, le SD avait pour mission d’assister une formation du Parti — à savoir les SS — dans sa mission de protection du Führer et des réunions, en donnant aux SS les renseignements les plus nombreux possibles sur l’activité des autres partis politiques, au sujet des mesures qu’ils projetaient, par exemple si les orateurs devaient être attaqués ou si certaines réunions étaient menacées, etc.

Dr GAWLIK

Le SD était-il, dès cette époque, sous la direction de son chef Heydrich, un système d’espionnage puissant et perfectionné sur le plan technique ?

Monsieur le Président, je me réfère au dossier d’audience contre les SS, à la page VIII b du texte anglais, en haut, lignes 1 et 2. (Au témoin.) Voulez-vous, je vous prie, répondre à la question.

TÉMOIN HOEPPNER

Pour repondre à cette question, je prendrai pour point de départ ce que j’ai vu moi-même au moment où je suis entré au SD en 1934, et ce qui m’a été dit, à ce moment-là et plus tard, par mes camarades, en ce qui concerne la période antérieure.

Le SD, avant le 30 janvier 1933, était une institution très modeste qui ne groupait guère plus de 20 à 30 membres permanents, et guère beaucoup plus de membres bénévoles, et au sujet de laquelle on ne peut vraiment pas parler de direction centrale ou de formation technique : ce n’était donc pas un véritable réseau d’espionnage.

Dr GAWLIK

Vous parlez de 20 à 25 membres permanents. Pour quel domaine ?

TÉMOIN HOEPPNER

Pour l’ensemble du territoire allemand.

Dr GAWLIK

Y avait-il d’autres membres, à titre honorifique ?

TÉMOIN HOEPPNER

Le nombre des membres à titre honorifique n’était pas beaucoup plus élevé.

Dr GAWLIK

Les membres du SD avaient-ils conclu un accord en vue de participer à des crimes contre la Paix, des crimes de guerre ou des crimes contre l’Humanité ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non. Ils avaient simplement pour but, si l’on peut toutefois parler d’un accord étant donné qu’ils se connaissaient à peine, d’aider le Parti qui luttait légalement pour prendre le pouvoir, en le défendant contre les autres partis.

Dr GAWLIK

Au cours des années 1933 et 1934, les membres du SD poursuivaient-ils le but de soutenir certaines personnes qui avaient établi un plan commun en vue de commettre des crimes contre la Paix, des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non.

Dr GAWLIK

Au cours des années 1931 à 1934, les membres du SD avaient-ils une connaissance quelconque d’un plan de ce genre ?

TÉMOIN HOEPPNER

Je crois qu’il n’en était guère autrement pour les membres du SD que pour l’immense majorité du peuple allemand. On ne savait rien.

Dr GAWLIK

Je passe maintenant à la seconde période. Quels étaient les buts et les missions du SD pendant la période allant de 1934 jusqu’à la création du RSHA en 1939 ?

TÉMOIN HOEPPNER

Du fait de la disparition des partis de l’opposition légale et du fait qu’il n’existait plus, par conséquent, qu’un adversaire politique illégal que la Police d’État, issue des sections politiques de la Police, était chargée de combattre, les missions du SD furent nécessairement changées.

La première modification eut lieu dans ce sens que d’autres conceptions idéologiques et politiques, et d’autres groupements idéologiques.

Dr GAWLIK

Témoin, pouvez-vous indiquer plus brièvement quels étaient les buts et les missions ?

TÉMOIN HOEPPNER

Pour donner un exemple, les francs-maçons, les marxistes, les Juifs, tous ces groupes furent étudiés au moyen de méthodes plus scientifiques et statistiques, de sorte que le Parti disposât d’une documentation pour l’éducation ainsi que pour d’autres travaux. Tel était d’ailleurs en dernière analyse le sens de la mission donnée au SD qui devait être le seul service de renseignements du Parti, à partir de juillet 1934. Cela n’a d’ailleurs jamais été réalisé, étant donné que jusqu’à la fin il exista dans le Parti quantité de services de renseignements. Cette mission de renseignements ne subsista pas non plus, car après peu de temps il s’avéra que ce travail de recherche de renseignements ressortis-sait à la compétence de la Police secrète d’État, puisque à la longue on ne peut pas séparer les services de recherche des organes exécutifs, des interrogatoires quotidiens, etc. C’est pourquoi il se produisit une séparation très nette des missions du SD et de celles de la Police d’État, séparation qui commença en 1938 et qui fut réalisée en particulier en 1939, et terminée pour l’essentiel en septembre 1939 avec la formation du RSHA.

Après cette séparation des tâches, le travail du SD aurait été complètement terminé si, provenant de ce SD, avec ce qu’on a appelé le SD spirituel, il n’y avait pas eu en 1933-1934, par l’intermédiaire d’un service spécial « Culture » et d’un service central de renseignements à l’intérieur, un service ayant pour tâche d’analyser l’évolution de l’état d’esprit du peuple allemand et d’en informer les services directeurs.

LE PRÉSIDENT

Ainsi que je l’ai dit aux autres avocats, il est inutile que le témoin répète ce qu’il a déjà dit devant la commission. Nous avons déjà eu ce témoignage et nous désirons simplement que vous le présentiez ici de manière à ce que nous puissions juger de la crédibilité que nous pouvons attacher à son témoignage ; nous désirons qu’il parle de sujets particulièrement importants ou nouveaux qui n’aient pas encore été traités devant la commission. Le témoin semble traiter le même thème que devant la commission, et très longuement. Cela revient à faire deux fois la même chose.

Dr GAWLIK

Monsieur le Président, j’avais compris que les questions traitées devant la commission pendant plus de deux jours pourraient être résumées brièvement ici. C’est d’ailleurs ainsi que je procède. Le témoin a déposé devant la commission pendant deux jours et je vais exposer ces faits en une heure ou une heure et demie, peut-être deux heures. Mais je pensais que les différences qui se sont manifestées dans les missions du SD au cours des différentes années pouvaient intéresser le Tribunal.

LE PRÉSIDENT

Bien. Voulez-vous donc essayer de maintenir ce résumé dans des limites raisonnables.

Dr GAWLIK

Oui, Monsieur le Président. (Au témoin.) Que savez-vous de l’importance du travail du SD à cette époque ?

TÉMOIN HOEPPNER

A cette époque, le travail du SD était très peu important. Il s’agissait tout d’abord de trouver une mission précise et d’établir un réseau de renseignements ; il s’agissait également de recueillir le matériel de base nécessaire. Ce qui est essentiel, c’est qu’à cette époque le SD ne se manifestait presque pas extérieurement.

Dr GAWLIK

Le Ministère Public a avancé que les SS et le SD étaient des groupes d’élite du Parti, groupant les adhérents les plus fanatiques, qui se dévouaient aveuglément aux principes nazis et étaient prêts à les mettre en pratique à tout prix. Je me réfère à ce propos au dossier établi contre les SS, page VII, A et B.

Je vous demande, témoin, si les fonctionnaires permanents et honorifiques du SD ont été choisis d’après ces critères ?

TÉMOIN HOEPPNER

Les fonctionnaires permanents et honorifiques ont été choisis sur la base de leurs connaissances et de leur valeur morale.

Dr GAWLIK

Je voudrais que vous répondiez d’abord à ma question par oui ou par non.

TÉMOIN HOEPPNER

Non.

Dr GAWLIK

Maintenant voulez-vous, je vous prie, me donner l’explication.

TÉMOIN HOEPPNER

Je viens de dire que les critères selon lesquels ils étaient choisis étaient leur capacité technique et leur valeur morale. Ni aux collaborateurs permanents, ni à ceux qui l’étaient à titre honorifique, on ne demandait d’appartenir au Parti ou aux SS.

Dr GAWLIK

Le SD a-t-il fait des choses dont aucun service du Gouvernement ou aucun parti politique, même le parti nazi, ne voulait porter officiellement la responsabilité ?

A ce sujet, j’attire l’attention du Tribunal sur le dossier établi contre les SS, page 7, second alinéa.

TÉMOIN HOEPPNER

Non.

Dr GAWLIK

Le SD, à l’époque que vous venez de décrire, c’est-à-dire depuis sa formation jusqu’en 1939, a-t-il travaillé dans la coulisse et de façon secrète ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non. On pourrait d’ailleurs en donner de nombreux exemples : tout d’abord, les fonctionnaires permanents portaient l’uniforme. Ils portaient l’insigne SD sur leur manche. Les bureaux étaient signalés par des plaques et figuraient à l’annuaire des téléphones.

Dr GAWLIK

Pendant la période qui va de 1934 à 1939, les membres du SD avaient-ils conclu un accord général en vue de participer à des crimes contre la Paix, à des crimes de guerre ou à des crimes contre l’Humanité ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non.

LE PRÉSIDENT

II serait peut-être temps de suspendre l’audience.

(L’audience est suspendue.)
Dr GAWLIK

Pendant la période qui va de 1933 à 1939, les membres du SD ont-ils poursuivi le but et se sont-ils donné pour tâche de soutenir certaines personnes qui établissaient un plan commun et général en vue de commettre des crimes contre la Paix, des crimes de guerre ou des crimes contre l’Humanité ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non.

Dr GAWLIK

Ne les ont-ils pas soutenues dans ce sens que le SD, en recueillant des renseignements sur les adversaires effectifs ou possibles du régime nazi, a contribué à anéantir l’opposition et à la rendre inoffensive ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non.

Dr GAWLIK

Pouvez-vous répondre à ma question en donnant les raisons de votre réponse ?

TÉMOIN HOEPPNER

Oui.

Dr GAWLIK

Mais soyez bref, je vous prie.

TÉMOIN HOEPPNER

C’était la tâche du SD que d’enquêter sur les erreurs qui se produisaient dans tous les domaines de la vie. Les cas individuels constituaient des exemples. Ce n’était pas sa tâche que d’engager, auprès d’autres services, des poursuites contre des individus.

Dr GAWLIK

Est-ce que les rapports sur l’opinion publique et sur les différentes activités en Allemagne, en particulier depuis l’occupation de la Rhénanie et jusqu’au début de la seconde guerre mondiale, ne devaient pas convaincre les membres du SD que tout le mondé en Allemagne attendait la guerre ?

TÉMOIN HOEPPNER

Bien au contraire . . .

Dr GAWLIK

Répondez d’abord par oui ou non, je vous prie.

TÉMOIN HOEPPNER

Non.

Dr GAWLIK

Maintenant, donnez-moi les motifs de votre réponse.

TÉMOIN HOEPPNER

Je l’ai déjà dit, tout au contraire ; à cette époque, il n’existait en Allemagne que fort peu de gens qui s’attendissent à la guerre et précisément les rapports faits sur les différents domaines d’activité en Allemagne, par exemple dans le domaine du ravitaillement, de l’économie ou de l’industrie, s’ils montraient que l’on travaillait à l’armement dans une faible mesure, ne laissaient prévoir en aucune manière que l’on préparât une guerre d’agression.

Dr GAWLIK

J’en viens aux relations du SD avec les SS. Le SD était-il toujours un élément inséparable et important des SS ? Je me réfère ici au procès-verbal allemand du 19 décembre, où ceci a été soutenu par le Ministère Public. Je vous prie de répondre à ma question.

TÉMOIN HOEPPNER

Non. Pour m’expliquer, je voudrais dire ce qui suit : une fois achevée la tâche des SS de protéger les orateurs de réunion publique et d’assurer la protection du Führer, les nouvelles missions du SD furent établies et développées par son propre état-major, tout à fait indépendamment des SS ainsi que du ReichsFührer SS.

Dr GAWLIK

Le Ministère Public a également prétendu que les Allgemeine SS étaient la base, la souche de laquelle émanaient les différentes branches. Que pouvez-vous dire sur ce point, en ce qui concerne le service de renseignements à l’intérieur ?

TÉMOIN HOEPPNER

II ne peut en être ainsi pour le service de renseignements à l’intérieur, pour la simple raison que 10 % seulement de ses collaborateurs permanents provenaient des Allgemeine SS et que 90 Vo au moins des collaborateurs bénévoles du SD n’avaient jamais fait partie des SS ni ne voulaient en faire partie ni même, du point de vue de l’organisation, ne devaient en faire partie.

Dr GAWLIK

Y avait-il dans les SS un commandement suprême unique sous les ordres duquel tous les autres offices principaux se trouvaient réunis ou collaboraient automatiquement, de sorte que chaque branche des SS exécutait une mission particulière dans le cadre de l’ensemble ?

Je me réfère ici au procès-verbal du 19 août 1940. Que pouvez-vous dire à ce sujet ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non.

Dr GAWLIK

Voulez-vous expliquer pourquoi ?

TÉMOIN HOEPPNER

Le seul organisme qui représentât l’ensemble du corps des SS était le Reichsführer SS. Les offices principaux qui se trouvaient sous ses ordres n’étaient en aucune manière un commandement suprême. Ils avaient sur les mêmes questions des points de vue différents, ils étaient en concurrence, ils étaient souvent jaloux les uns des autres. On ne peut pas dire non plus que chacun d’eux ait constitué une branche nécessaire au fonctionnement de l’ensemble, car leurs missions, leurs compétences se recoupaient. Ainsi, pour les questions de « Volkstum », il y avait quatre ou cinq offices principaux qui se partageaient les responsabilités, et il ne fut pas possible, bien que le RSHA l’ait demandé plusieurs fois, d’en attribuer la responsabilité à un seul d’entre eux. Il n’y avait pas non plus, parmi ces différents offices principaux, d’office directeur. Le service dit « Office principal directeur » s’occupait uniquement des Waffen SS. Si l’un quelconque de ces offices avait prétendu assumer la direction, tous les autres services auraient immédiatement protesté.

Dr GAWLIK

Quelle a été l’influence de Himmler sur l’évolution des tâches du service de renseignements intérieur ?

TÉMOIN HOEPPNER

Himmler n’a pas exercé d’influence positive sur l’évolution des missions particulières du service de renseignements intérieur. Ces missions ont évolué à partir du service lui-même, comme elles auraient pu le faire dans tout autre service. Il y a même eu de nombreuses circonstances dans lesquelles le travail souffrit du fait qu’il était confié à un homme qui était un chef parmi d’autres, et qu’il n’était pas toujours possible d’adresser des rapports par l’intermédiaire du Reichsführer SS aux services auxquels ils auraient dû parvenir.

Dr GAWLIK

En vue de prouver l’existence d’une volonté unique ainsi que le rapport entre le SD et les SS, le Ministère Public s’est appuyé sur le livre du Dr Best : La Police allemande, et sur le discours de Himmler concernant l’organisation et les buts des SS et de la Police. Il s’agit ici des documents PS-1852 et PS-1992. Connaissez-vous le livre du Dr Best et connaissez-vous le discours de Himmler sur l’organisation et les buts des SS et de la Police ?

TÉMOIN HOEPPNER

Oui, dans leurs grandes lignes.

Dr GAWLIK

Voulez-vous dire si, dans le livre du Dr Best et dans le discours de Himmler, les rapports entre les SS et le SD sont exposés de façon conforme à la vérité.

TÉMOIN HOEPPNER

II s’agit surtout à ce propos de tirer au clair l’idée, maintes fois exposée dans différents discours et différentes publications, de corps de protection de l’État. Cette idée a été exprimée de très bonne heure par Himmler et Heydrich, vers 1936. Sa teneur a évolué, mais bien qu’elle ait été fréquemment exprimée dans des discours, elle n’a, en fait, jamais été réalisée : au contraire, les divers éléments de ce que Himmler appelait le corps de protection de l’État se développèrent de façon indépendante sans constituer une unité, de sorte que l’on peut dire que s’il était bien dans les intentions de Himmler de former ce corps de protection de l’État, cela n’a, en fait, jamais été réalisé.

Dr GAWLIK

Les chefs supérieurs des SS et de la Police avaient-ils le pouvoir de donner des ordres au SD et contrôlaient-ils son activité ? Je me réfère à ce sujet au dossier établi contre la Gestapo et le SD, page 12 de l’exemplaire anglais, et au dossier établi contre les SS ; page 12 du texte anglais.

TÉMOIN HOEPPNER

Les chefs supérieurs des SS et de la Police n’avaient aucun pouvoir de donner des ordres au SD et n’avaient pas davantage à contrôler son activité. Ils n’étaient que les représentants du Reichsführer dans leur domaine, sans disposer d’une compétence pratique ou disciplinaire qu’ils aient pu appliquer au SD. Les tentatives faites dans ce sens l’ont été en relation avec l’idée, que je viens de mentionner, de la création d’un corps de protection de l’État, mais ces tentatives ont précisément été combattues par le service de renseignements intérieur.

Dr GAWLIK

J’en viens aux relations du SD avec le Parti. Quelles étaient, au point de vue de l’organisation, les relations entre le service de renseignements intérieur et la direction politique de la NSDAP ?

TÉMOIN HOEPPNER

Le service de renseignements intérieur était un organisme du Parti, mais il ne dépendait pas de l’organisation des chefs politiques. Il n’y avait donc pas de rapports au point de vue de l’organisation. Le travail essentiel et définitif du service de renseignements intérieur ne lui avait d’ailleurs pas été fixé par le Parti. Comme je l’ai dit, les missions que lui avait données le Parti avaient été liquidées dès 1938-1939.

Dr GAWLIK

Le SD avait-il pour tâche de maintenir au pouvoir le gouvernement nazi ?

TÉMOIN HOEPPNER

Le SD avait pour tâche.

Dr GAWLIK

Pouvez-vous d’abord répondre par oui ou par non ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non.

Dr GAWLIK

Voulez-vous maintenant vous expliquer.

TÉMOIN HOEPPNER

Le SD avait une autre tâche. Il avait pour tâche d’observer les réactions provoquées par les mesures que prenait le Gouvernement, dans l’État, le Parti, l’économie, les administrations autonomes, de déterminer ce qu’en disait le peuple, de voir si ces réactions étaient positives ou négatives, et enfin d’informer le Gouvernement de ce qu’il avait appris.

Dr GAWLIK

Le service de renseignements intérieur était-il le service d’espionnage de la NSDAP ? Je me réfère à ce propos au dossier établi contre les SS, pages 8 a et 8 b du texte anglais.

TÉMOIN HOEPPNER

Non. D’abord le SD n’était pas un service d’espionnage, et ensuite il communiquait ses rapports à tous les organismes directeurs ; non seulement au Parti, mais à tous les organismes directeurs de l’État.

Dr GAWLIK

J’en viens maintenant au second point de mon argumentation : à savoir les rapports du SD et de la Gestapo. Le SD et la Gestapo étaient-ils deux organisations qui tendaient à former un système policier de plus en plus homogène ? Je me réfère sur ce point au dossier contre la Gestapo et le SD. Quels étaient les rapports entre la Gestapo et le SD en ce qui concerne leurs buts, leurs tâches, leurs activités, leurs méthodes ?

TÉMOIN HOEPPNER

La première question d’abord : il ne s’agissait pas d’un système policier homogène, car le SD et l’organisation de la Police n’avaient rien à faire l’un avec l’autre. Le SD et la Gestapo étaient deux organisations parfaitement différentes. Tandis que le SD était à l’origine une ramification du Parti, la Gestapo avait pris la suite d’une institution d’État, qui existait déjà auparavant. Alors que le SD avait pour but et pour tâche d’avoir une vue d’ensemble sur différents domaines ou sur des formes d’activité déterminées, et considérait les cas individuels comme des exemples, la Police secrète d’État avait mission, sur la base de lois, d’ordonnances, d’arrêtés, etc., de s’occuper précisément de ces cas individuels et constituait, par son appareil exécutif, en prévenant ou en réprimant, la continuation d’une institution d’État déjà existante. Alors que la Police secrète d’État travaillait à l’aide de moyens exécutifs tels que les interrogatoires, les saisies, etc., le SD, lui, n’a jamais disposé d’un pouvoir exécutif.

Dr GAWLIK

Le SD avait-il pour attribution d’assister la Police de sûreté, comme cela a été dit dans certains décrets et autres textes, en particulier dans la circulaire du 11 novembre 1938 ? Je me réfère à ce propos au document PS-1638.

TÉMOIN HOEPPNER

Non, cela a été mal exprimé. Je puis peut-être, en quelques mots, parler de cette circulaire du 11 novembre 1938. Il s’agit, dans cette circulaire, du fait que, pour la première fois, un accord avait été conclu entre le SD et un service de l’État. Cet accord avait pour principal objet de faire reconnaître officiellement le SD par un service de l’État et d’éviter que les fonctionnaires qui y travaillaient pussent, comme cela s’était déjà produit plusieurs fois, être poursuivis pour avoir manqué, du fait de cette collaboration, au secret qui leur était imposé. Mais cet accord fut, à l’époque, conclu à condition que l’on pût mentionner n’importe quel service accompli pour le compte de l’État. Étant donné qu’en 1938 le SD n’avait pour ainsi dire pas d’activités extérieures et que, d’autre part, son travail dans les différents domaines d’activité n’était pas encore reconnu par le Parti et ne pouvait donc être mentionné dans la circulaire, Heydrich donna à titre d’exemple l’aide à la Police de sûreté, puisque cela ne pouvait être contrôlé de l’extérieur.

Dr GAWLIK

Le SD avait-il pour tâche de surveiller les membres de la Gestapo ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non.

Dr GAWLIK

L’institution des inspecteurs de la Police de sûreté et du SD peut-elle faire conclure à l’existence de rapports entre ces deux organisations ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non. Les inspecteurs avaient uniquement un certain pouvoir de contrôle sur les organisations isolées ; les missions, les ordres, venaient uniquement de Berlin.

Dr GAWLIK

Quels étaient les rapports entre les sections III et les services des commandants en chef ou des commandants de la Police de sûreté et du SD ?

TÉMOIN HOEPPNER

Je n’ai pas bien compris la question. Les rapports avec qui ?

Dr GAWLIK

Avec la Police de sûreté.

TÉMOIN HOEPPNER

Les sections III des services des commandants en chef et des commandants étaient des sections semblables à la section IV. Elles s’occupaient de questions qui relevaient de la compétence de la Police de sûreté, alors que la section IV s’occupait de questions relevant de la Police d’État. Ces sections relevaient du service du commandant en chef et n’étaient pas des éléments de l’office III du RSHA, pas plus que la section IV ne relevait de l’office IV du RSHA.

Dr GAWLIK

J’en viens maintenant à la question des différents crimes de guerre dont le SD est accusé. D’abord les Einsatz-gruppen. Je me réfère à la page VI A du dossier d’audience. Les Einsatzgruppen et les Einsatzkommandos en activité dans l’Est faisaient-ils partie duSD ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non. Ces Einsatzgruppen et Einsatzkommandos étaient des institutions particulières.

Dr GAWLIK

Est-ce que l’organisation du SD intérieur a été utilisée pour l’activité de ces Einsatzgruppen et Einsatzkommandos ? C’est là un point important.

TÉMOIN HOEPPNER

A cette question, posée de cette manière, je dois répondre non. Il n’est pas exact de dire que des éléments de l’organisation aient été détachés dans des Einsatzgruppen. Si certains membres du SD sont entrés dans ces Einsatzgruppen ou Einsatzkommandos, cela s’est fait d’une manière analogue à une incorporation militaire. De même qu’un fonctionnaire appelé dans l’Armée reçoit, ou du moins peut recevoir, des tâches différentes, de même il en a été pour les membres du SD. Dans la mesure où les Einsatzgruppen avaient à assumer des missions relevant du service de sûreté, c’est-à-dire à établir des rapports, les Einsatzgruppen recevaient leurs ordres de l’office III.

Dr GAWLIK

Les membres du SD et des formations qui étaient sous ses ordres ont-ils eu connaissance, par des rapports en provenance de l’Est ou des Einsatzgruppen, des exécutions en masse et d’autres crimes, crimes de guerre ou crimes contre l’Humanité ?

TÉMOIN HOEPPNER

Les rapports faits par les Einsatzgruppen sur ces sujets n’étaient pas communiqués aux services subordonnés du Reich, de sorte que le personnel de ces services n’a pas pu en avoir connaissance.

Dr GAWLIK

Le SD avait-il la responsabilité de l’institution, de l’organisation, de l’administration et de la garde des camps de concentration ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non.

Dr GAWLIK

Pouvez-vous motiver votre réponse ?

TÉMOIN HOEPPNER

II n’y a pas de motifs à donner : le SD n’avait aucune compétence en cette matière.

Dr GAWLIK

Le SD a-t-il installé des camps de concentration ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non.

Dr GAWLIK

Le SD a-t-il organisé ces camps de concentration ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non.

Dr GAWLIK

L’organisation du SD a-t-elle été utilisée pour la garde des camps de concentration ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non.

Dr GAWLIK

Le SD était-il compétent pour faire entrer des détenus en camp de concentration, et en ce qui concerne leur traitement ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non.

Dr GAWLIK

Le service d’information à l’intérieur a-t-il reçu de Himmler l’ordre de ne pas intervenir dans les rencontres entre les Allemands et les aviateurs américains et anglais ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non, il n’a pas pu recevoir d’ordre de ce genre, pour la simple raison qu’il n’assumait pas de fonctions de police et qu’il ne pouvait pas être question d’intervenir.

Dr GAWLIK

Le service d’information à l’intérieur a-t-il constitué des cours martiales pour juger des personnes au moyen de procédures sommaires ? Cette question se rapporte au point VI-H du dossier d’audience.

TÉMOIN HOEPPNER

Il n’entrait pas dans les attributions du SD de former des tribunaux d’exception ; cela encore eut été une mesure executive qui ne concernait en rien le SD.

Dr GAWLIK

Le service d’information à l’intérieur, Amt III, a-t-il exécuté ou interné des personnes dans les camps de concentration pour des crimes qu’auraient commis des membres de leur famille ? Cette question se rapporte au point VI-J du dossier d’audience.

TÉMOIN HOEPPNER

Le SD n’avait rien à faire dans ce domaine.

Dr GAWLIK

Le SD procédait-il à des interrogatoires du « troisième degré » ?

TÉMOIN HOEPPNER

Le SD n’a jamais procédé à des interrogatoires et, par conséquent, n’a jamais appliqué les méthodes du troisième degré.

Dr GAWLIK

Exposez brièvement les buts, les tâches, les activités et les méthodes du groupe III-A du RSHA, que vous avez dirigé pendant un certain temps.

TÉMOIN HOEPPNER

Le groupe III-A avait pour mission d’observer les réactions du peuple allemand devant les lois, la jurisprudence, les mesures administratives, de faire la somme de ces observations et d’adresser des rapports au pouvoir central. En outre, le groupe III-A, et plus précisément la section III A-4, avait à établir des rapports réguliers sur l’opinion générale et l’attitude de la population allemande, de façon à donner en permanence une image exacte de la situation.

Dr GAWLIK

Les membres du SD étaient-ils des volontaires ou étaient-ils désignés par des ordonnances légales ?

TÉMOIN HOEPPNER

II n’est pas possible de répondre à cette question par oui ou par non ; peut-être puis-je citer en exemple mon propre groupe. Dans mon groupe, j’avais à la fin plus de soixante personnes employées ; sur ce nombre, 75 % environ avaient été nommées par décret. Ainsi, mes quatre chefs de service, par exemple, avaient été détachés au SD soit en service commandé, soit en vertu du service d’urgence. Je pense que l’on peut estimer à 50% ou 60% de l’effectif total du SD le personnel qui avait été nommé par décret. Ce chiffre relativement élevé s’explique par le fait qu’au début de la guerre on fit appel à de nombreux fonctionnaires, et en deuxième lieu, par le fait que le domaine d’activité devint plus vaste, de sorte que des hommes et certaines auxiliaires féminines durent être envoyés dans les pays occupés ; enfin, en troisième lieu, les tâches imparties au SD s’accrurent avec la guerre, et du personnel fut désigné d’office au moyen des mesures légales existantes.

Dr GAWLIK

Monsieur le Président, je n’ai plus d’autre question à poser.

LE PRÉSIDENT

Le Ministère Public désire-t-il contre-interroger ?

COMMANDANT HARTLEY MURRAY (substitut du Procureur Général américain)

Plaise au Tribunal. Je procéderai au contre-interrogatoire au nom du Procureur Général américain.

Témoin, quand êtes-vous devenu chef de l’Amt III A du RSHA ?

TÉMOIN HOEPPNER

En juillet 1944.

COMMANDANT MURRAY

Qui était le chef de l’Amt III à ce moment-là et quelque temps auparavant ?

TÉMOIN HOEPPNER

Ce service n’a jamais eu qu’un seul chef : le GruppenFührer Ohlendorf.

COMMANDANT MURRAY

Vous avez remplacé Ohlendorf à certaines périodes ?

TÉMOIN HOEPPNER

Je n’ai pas compris la question ; je n’ai entendu que : « remplacé à certaines périodes ».

COMMANDANT MURRAY

A plusieurs reprises, au cours de votre carrière, vous avez remplacé Ohlendorf comme chef de l’Amt III, n’est-ce pas ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non. Lorsque j’étais dans ce service, Ohlendorf était toujours là. D’autre part, il n’avait pas de remplaçant sur le plan général. Quand il partait en voyage, les chefs de groupe le remplaçaient, chacun dans leur domaine. Mais à l’époque où je me trouvais à Berlin, cela ne s’est produit qu’assez rarement.

COMMANDANT MURRAY

Connaissez-vous le Dr Wilheim Hôtti, qui était membre de l’Amt VI du RSHA ?

TÉMOIN HOEPPNER

Puis-je vous demander de répéter ? Je n’ai pas compris le nom.

COMMANDANT MURRAY

Je ne prononce peut-être pas correctement : Dr Wilheim Hötti ; j’épelle : H-ö-t-t-i.

TÉMOIN HOEPPNER

Hötti ? Je ne l’ai rencontré qu’ici.

COMMANDANT MURRAY

Puisque vous l’avez rencontré ici, vous savez maintenant qu’il avait un poste important au SD ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non, je ne lui ai d’ailleurs pas parlé car nous étions séparés.

COMMANDANT MURRAY

Avec la permission du Tribunal, je voudrais lire brièvement un extrait de l’affidavit du Dr Wilheim Hôtti, document PS-2614, sur l’activité du SD. Ce sera la pièce USA-918. Le Dr Hôtti a rédigé cet affidavit le 5 novembre 1945. Je cite :

« Le SD avait pour mission d’informer son chef Himmler et, par-dessus lui, le régime nazi, de tous les événements survenant dans le Reich, les territoires occupés et à l’étranger. Cette tâche était accomplie en Allemagne par le service de renseignements intérieur (Amt III) et à l’étranger par le service d’information étranger (Amt VI). »

Je passe quelques lignes :

« Pour son activité en Allemagne, l’Amt III avait créé un important réseau d’informateurs qui opéraient à partir des divers services régionaux du SD. Cette organisation comprenait plusieurs centaines de membres permanents assistés de milliers de membres honoraires et d’hommes de confiance. Ceux-ci étaient placés dans tous les domaines de l’économie, de la culture, de l’administration de l’État et du Parti. Souvent, ils accomplissaient secrètement leurs tâches dans leurs entreprises. Cet organisme de renseignements établissait des rapports sur l’attitude du peuple allemand et sur tous les événements importants de la nation ainsi que sur des individus. »

Considérez-vous cela comme un exposé exact des missions du SD ?

LE PRÉSIDENT

Témoin, répondez à la question. Considérez-vous cela comme un exposé exact du travail du SD ? Il est inutile que vous lisiez la suite du document. Répondez à la question.

TÉMOIN HOEPPNER

C’est à la fois exact et inexact. La façon dont le rapport porte un jugement sur le SD me paraît assez superficielle. Ce document ne donne pas l’impression que Hôtti ait travaillé longtemps au service de renseignements intérieur.

COMMANDANT MURRAY

Vous savez, témoin, que votre chef Ohlendorf était, en 1941 et en 1942, le chef de l’Einsatzgruppe D en Russie du Sud ? Vous saviez cela ?

TÉMOIN HOEPPNER

Oui.

COMMANDANT MURRAY

Vous savez aussi que cette Einsatzgruppe était constituée par des membres du SD, de la Gestapo et de la Police criminelle ?

TÉMOIN HOEPPNER

Je savais que des membres de ces organisations avaient été détachés.

COMMANDANT MURRAY

Saviez-vous qu’ils étaient commandés par des membres du SD ?

TÉMOIN HOEPPNER

Les Einsatzgruppen et les Einsatz-kommandos étaient commandés par des gens appartenant à des organisations très différentes : membres de la Police d’État, de la Police criminelle, du SD. Personnellement, je n’y ai jamais appartenu.

COMMANDANT MURRAY

Je voudrais me référer, s’il plaît au Tribunal, à un affidavit d’OhIendorf. C’est le document PS-2620 (USA-919). Cet affidavit n’a pas encore été déposé comme preuve. Cet affidavit est très court et déclare : « Les Einsatzgruppen et les Einsatzkommandos étaient commandés par le personnel de la Gestapo, du SD ou de la Police criminelle... parfois également par des membres de la Police régulière... En général, les petites unités... »

TÉMOIN HOEPPNER

Puis-je vous interrompre ? Je m’excuse. Le document ne dit pas qu’ils aient été commandés par des membres de la Police régulière. Il dit que « du personnel de complément était fourni par la Police régulière et les Waffen SS ».

COMMANDANT MURRAY

Oui, j’ai sauté quelques lignes :

« En général, les unités étaient commandées par des membres du SD, de la Gestapo ou de la Police criminelle ». Donc, en fait, certains membres du SD commandaient les Einsatzgruppen à l’Est ?

TÉMOIN HOEPPNER

La déclaration sous la foi du serment dit que ces unités étaient commandées par des membres du SD ainsi que par des membres de la Police d’État et de la Police criminelle.

COMMANDANT MURRAY

En fait, les officiers des Einsatzgruppen portaient l’uniforme du SD dans l’exercice de leurs fonctions ?

TÉMOIN HOEPPNER

Excusez-moi, je n’ai, encore une fois, entendu que quelques mots. Les Einsatzgruppen portaient un uniforme ?

COMMANDANT MURRAY

Les officiers des Einsatzgruppen portaient-ils l’uniforme du SD dans l’exercice de leurs fonctions ?

TÉMOIN HOEPPNER

Tous les membres des Einsatzgruppen portaient l’uniforme Feidgrau avec, sur la manche, l’insigne SD.

C’est une des raisons principales des nombreuses confusions qui se sont produites, parce que les membres de la Police de sûreté portaient le même insigne SD. Ceci s’applique au SD en tant que formation spéciale des SS, dont il a été question tout au début de l’interrogatoire d’aujourd’hui. Cette confusion provenait également du fait que certains membres des Einsatzgruppen et des Einsatz-kommandos portaient l’uniforme alors qu’ils n’étaient pas membres des SS et n’avaient, en temps de paix, jamais porté un uniforme. Ils furent envoyés en mission revêtus d’un uniforme et avec un grade correspondant à leurs fonctions administratives.

COMMANDANT MURRAY

Quoi qu’il en soit, de nombreux membres des Einsatzgruppen étaient membres du SD, et beauco’up de ces officiers portaient l’uniforme alors qu’ils massacraient les gens dans les territoires de l’Est. N’est-ce pas exact ?

TÉMOIN HOEPPNER

Je ne comprends pas entièrement ce que vous voulez dire. Il y avait très peu de membres du SD détachés dans les Einsatzgruppen ou Einsatzkommandos et c’était, parmi les trois organisations que vous venez de citer, celle qui avait fourni le moins de personnel. Ces hommes et leurs chefs ont porte, pendant tout le temps de leur mission, l’uniforme avec, sur le bras, l’insigne « SD ».

COMMANDANT MURRAY

S’il plaît au Tribunal, je voudrais déposer comme preuve le document PS-2992 (USA-494). C’est une partie de l’affidavit de Hermann Friedrich Gràbe, qui n’a pas encore été déposé. Je suis certain que le Tribunal se souviendra de cet affidavit dans lequel un citoyen allemand rapporte qu’il a vu les SS et le SD en train de fusiller un grand nombre d’individus sans défense ; ce document a été cité par le Procureur Général britannique il y a quelques jours.

Dans la première partie de l’affidavit, Gràbe déclare :

« Le SS, qui était posté sur le bord de la fosse pendant l’exécution des Juifs. »

LE PRESIDENT

Un moment. Ce document n’a-t-il pas déjà été déposé comme preuve ?

COMMANDANT MURRAY

Oui, Votre Honneur, mais non pas ce passage précis relatif au SD. Je n’ai pas l’intention de relire les autres parties, mais ce passage concerne particulièrement le SD, et je n’en lirai que deux phrases :

« Le SS qui était posté sur le bord de la fosse pendant l’exécution des Juifs, hommes, femmes, sur le terrain d’aviation de Dubno, portait un uniforme SS avec, au bas de la manche, une bande grise large d’environ trois centimètres et portant les lettres SD tissées ou brodées en noir. »

A la fin du second paragraphe, nous lisons ce qui suit :

« Le 14 juillet au matin, j’ai reconnu dans le ghetto trois ou quatre SS que je connaissais particulièrement et qui appartenaient tous au SD de Rovno. Eux aussi portaient sur la manche la bande que j’ai mentionnée plus haut. »

C’est bien un fait, témoin, que beaucoup de membres des Einsatzkommandos appartenaient au SD ?

TÉMOIN HOEPPNER

J’ai déjà dit que très peu de membres des Einsatzgruppen et Einsatzkommandos appartenaient au SD.

Il n’est pas du tout dit que les hommes dont il est question dans ce document aient eu le moindre rapport avec le service de renseignements intérieur. Et même si l’un d’eux avait appartenu au service de renseignements intérieur, ce que ne dit pas le document puisqu’il dit seulement qu’ils portaient un uniforme avec l’insigne SD, c’est simplement parce qu’il avait été détaché dans une Einsatzgruppe comme il aurait aussi bien pu être incorporé dans la Wehrmacht. C’est précisément une des raisons principales de ces confusions qui se sont produites au sujet du SD et qui proviennent du fait que ses membres, même détachés, portaient le même uniforme.

COMMANDANT MURRAY

De toutes façons, Ohlendorf était membre du SD ?

TÉMOIN HOEPPNER

Ohlendorf était chef de l’Amt III ; mais cela n’a rien à voir avec le fait qu’il ait dirigé une Einsatzgruppe. Cette Einsatzgruppe aurait aussi bien pu être commandée par un inspecteur ou par le chef de l’Amt IV ou V ou par qui que ce soit d’autre. Cela n’a rien à voir avec l’activité d’OhIendorf en tant que chef de l’Amt III.

COMMANDANT MURRAY

Ohlendorf a déclaré que des rapports fréquents étaient établis par les Einsatzgruppen et envoyés au service central. Avez-vous vu de ces rapports pendant que vous étiez au service central du RSHA ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non, et je ne peux pas en avoir vu, du simple fait qu’à l’époque où je vins à Berlin, les Einsatzgruppen avaient pour la plupart été retirées des territoires de l’Est. En tous cas, il ne venait plus de rapports. Je pense d’ailleurs que très peu de gens au service de renseignements intérieur ont eu connaissance des rapports des Einsatzgruppen.

COMMANDANT MURRAY

Je voudrais vous montrer une série de 55 rapports hebdomadaires sur les activités des Einsatzgruppen. D’ailleurs, ces Einsatzgruppen sont connues sous le nom d’Einsatzgruppen de la Police de sûreté et du SD.

TÉMOIN HOEPPNER

Non, non. Il n’y avait pas d’Einsatz-gruppen de la Police de sûreté et du SD. Il n’y avait à l’Est que les Einsatzgruppen A, B, C et D, et il y avait de bonnes raisons à cela.

COMMANDANT MURRAY

Avant de vous montrer ce document, témoin, je voudrais que vous examiniez le document PS-3876, qui a déjà été déposé comme preuve sous le numéro USA-808. J’appelle votre attention sur la page de couverture de ce document, signé par Heydrich, qui dit : « Je joins le neuvième rapport récapitulatif sur les activités des Einsatzgruppen de la Police de sûreté et du SD en URSS. Ces rapports seront envoyés périodiquement à l’avenir. Signé : Heydrich. »

Ne faites-vous pas erreur, témoin, en disant qu’il ne s’agissait pas des Einsatzgruppen de la Police de sûreté et du SD ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non. Les Einsatzgruppen était connues sous les désignations : Einsatzgruppen A, B, C et D. Elles étaient commandées par un délégué du chef de la Police de sûreté et du SD auprès d’un groupe d’armées ou d’une armée. La désignation « Einsatzgruppen de la Police de sûreté et du SD » est malheureusement inexacte.

COMMANDANT MURRAY

Ou bien Heydrich se trompe une fois encore et tous les documents sont faux ?

TÉMOIN HOEPPNER

Non, je ne veux pas dire que le document soit faux, mais je veux dire que la désignation n’est pas exacte. Je vous demanderai de regarder la liste des destinataires :

« Aux chefs des Einsatzgruppen A, B, C, D ». D’ailleurs, les Ein-satzkommandos ne s’appelaient pas non plus « Einsatzkommandos du SD », mais étaient désignés par des chiffres arabes, allant de 1 à 12, autant que je sache.

COMMANDANT MURRAY

C’est là un rapport de votre chef Heydrich et je n’insisterai pas sur ce point. Passez maintenant aux pages 31 et 32. Au bas de la page 32.

TÉMOIN HOEPPNER

Un moment, s’il vous plaît, je n’ai pas de pages 31 et 32.

COMMANDANT MURRAY

C’est un passage très court, et je vais vous le lire : « En Ruthénie blanche, l’épuration des Juifs est en cours. Le nombre de Juifs dans la partie remise à ce jour à l’administration civile s’élève à 139.000 ».

TÉMOIN HOEPPNER

Oui.

COMMANDANT MURRAY

Dans la dernière phrase : « Pendant ce temps, 33.210 Juifs ont été exécutés par les Einsatzgruppen de la Police de sûreté et du SD ». Il n’est pas question des ; groupes A, B, C, D.

TÉMOIN HOEPPNER

Non. Il est indiqué : « Police de sûreté et SD ». Mais je ne comprends pas quel rapport cela peut avoir avec le service de renseignements intérieur et le SD.

COMMANDANT MURRAY

Si ce n’est qu’Ohlendorf était à la tête de votre organisation ?

TÉMOIN HOEPPNER

Quand il était chef de l’Ami III à Berlin ; mais à l’époque où il dirigeait l’Einsatzgruppe D, il se trouvait en mission et cette mission doit être considérée exactement comme une affectation militaire.

COMMANDANT MURRAY

Témoin, savez-vous que le SD exerçait son activité d’espionnage aux États-Unis avant la déclaration de guerre de l’Allemagne aux États-Unis ?

TÉMOIN HOEPPNER

J’ai peine à imaginer que le service de renseignements intérieur ait travaillé aux États-Unis.

COMMANDANT MURRAY

Je voudrais déposer comme preuve, s’il plaît au Tribunal, le document PS-4053 (USA-920). Ce document est un message télétypé du ministère des Affaires étrangères, daté du 11 juillet 1941. Je n’en lirai qu’une phrase :

« Référence télétype n° 2110 du 5 juillet de Washington. Le ministre des Affaires étrangères. » — c’était Ribbentrop, n’est-ce pas ? — « le ministre des Affaires étrangères demande que vous soumettiez immédiatement un rapport précisant, au sujet des personnes arrêtées à New-York sous l’inculpation d’espionnage, lesquelles travaillaient pour l’Abwehr et lesquelles travaillaient pour le SD ».

Témoin, n’en ressort-il pas que le SD exerçait une activité d’espionnage à New-York, longtemps avant la déclaration de guerre aux États-Unis ?

TÉMOIN HOEPPNER

Une des premières questions que m’ait posées le Dr Gawlik tout à l’heure était celle-ci : « Le service de renseignements à l’étranger était-il également désigné par le terme SD ? » J’ai répondu oui, et la discussion qui a suivi avait pour but de montrer que le service de renseignements à l’étranger et le service de renseignements intérieur étaient deux organisations différentes. Il est possible que le SD à l’étranger, l’Amt VI, ait eu quelque chose à voir dans cette affaire, mais je n’en sais rien car je n’ai jamais travaillé à l’Amt VI et je ne connais rien à ces questions.

COMMANDANT MURRAY

S’ils faisaient tous partie du SD, il est évident qu’ils en étaient membres. Je n’ai pas d’autres questions à poser.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous interroger à nouveau le témoin ? Le Procureur soviétique désire-t-il poser une question ?

COLONEL L. N. SMIRNOV (Avocat Général soviétique)

Monsieur le Président, je voulais poser quelques questions au témoin, mais ces questions se rapportent à un nouveau document, assez intéressant, que nous venons de recevoir aujourd’hui. Nous n’avons pas encore pu le faire traduire en anglais. Je ne sais donc pas si je dois poser ces questions maintenant, puisque je ne peux pas remettre au Tribunal la traduction anglaise de ce document.

LE PRÉSIDENT

Peut-être pourrons-nous faire cela demain matin. La traduction sera peut-être faite. Vous pourrez poser vos questions demain matin.

COLONEL SMIRNOV

Je vous remercie, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Docteur Gawlik, voulez-vous interroger à nouveau le témoin ?

Dr GAWLIK

Monsieur le Président, je ne sais si je n’aurai pas de questions à poser à la suite de ce nouveau document ; je ne peux pas encore en juger.

LE PRÉSIDENT

Si ce nouveau document soulève des questions, vous pourrez les poser à la suite. Vous en aurez la possibilité, si c’est nécessaire.

Dr GAWLIK

L’uniforme SS avec le losange SD était-il également porté, au détachement, par des gens qui n’avaient rien à voir avec le SD ?

TÉMOIN HOEPPNER

Oui, je l’ai déjà dit à plusieurs reprises.

Dr GAWLIK

L’uniforme SS avec le losange SD était-il également porté par des gens qui n’appartenaient pas aux SS ?

TÉMOIN HOEPPNER

Oui.

Dr GAWLIK

Pouvez-vous expliquer, d’une manière ou d’une autre, pourquoi des personnes qui n’avaient rien à voir avec le SD en portaient l’insigne ?

TÉMOIN HOEPPNER

D’abord parce que tous les membres de la Police de sûreté portaient également cet uniforme ; ensuite parce que tout homme en service dans un Einsatzkommando ou une Einsatzgruppe portait un uniforme, et que le seul uniforme était l’uniforme SS feidgrau avec l’insigne SD.

Dr GAWLIK

Mais pourquoi portaient-ils cet insigne SD ?

TÉMOIN HOEPPNER

Parce qu’il faisait partie de l’uniforme.

Dr GAWLIK

Je n’ai pas d’autres questions à poser.

LE PRÉSIDENT

Avez-vous devant vous le document PS-3876 ?

TÉMOIN HOEPPNER

PS-3876 ?

LE PRÉSIDENT

Oui. Ce document dit : « Je joins le neuvième rapport récapitulatif sur les activités des Einsatzgruppen de la Police de sûreté et du SD en URSS ». C’est le second paragraphe, l’avez-vous touvé ? Il indique l’objet du rapport.

TÉMOIN HOEPPNER

Il y a plusieurs documents détachés dans mon dossier. Est-ce celui du 27 février ?

LE PRÉSIDENT

27 février 1942, page 17. L’avez-vous trouvé ?

TÉMOIN HOEPPNER

Oui.

LE PRÉSIDENT

On lit au début : « ... Neuvième rapport récapitulatif sur les activités des Einsatzgruppen de la Police de sûreté et du SD en URSS ». Puis, la première pièce jointe. Heydrich joint le neuvième rapport récapitulatif sur les activités des Einsatzgruppen de la Police de sûreté et du SD en URSS.

TÉMOIN HOEPPNER

Oui.

LE PRÉSIDENT

Vous avez dit, si je vous ai bien compris, que vous ne compreniez pas pourquoi il était question du SD, alors que les Einsatzgruppen étaient désignées par A, B, C et D ?

TÉMOIN HOEPPNER

Oui.

LE PRÉSIDENT

Vous avez bien voulu dire que vous ne compreniez pas pourquoi il était question du SD ?

TÉMOIN HOEPPNER

C’est cela.

LE PRÉSIDENT

Bien. Voulez-vous alors expliquer pourquoi la liste des destinataires du document compte, outre les chefs des Einsatzgruppen A, B, C et D, les commandants en chef de la Police de sûreté et du SD ?

TÉMOIN HOEPPNER

Puis-je me permettre de dire quelque chose au sujet de cette mention ? S’il est question des Einsatzgruppen et des Einsatzkommandos de la Police de sûreté et du SD, c’est là une désignation inexacte car elle n’existait pas à l’Est. Il n’y avait que les Einsatzgruppen A, B, C, D et les Einsatzkommandos 1, 2, 3, etc.

LE PRÉSIDENT

Admettons qu’il en soit ainsi ; mais alors pourquoi le rapport devait-il être envoyé séparément aux commandants de la Police de sûreté et du SD ainsi qu’aux chefs des Einsatzgruppen, si le SD n’avait rien à faire avec eux ?

TÉMOIN HOEPPNER

Je crois que j’ai été mal compris. C’est un rapport sur l’activité de l’ensemble des Einsategruppen rédigé par le chef de la Police de sûreté et du SD et adressé aux différents groupes afin, je .suppose, qu’ils soient au courant de l’activité des autres, par exemple pour faire connaître à l’Einsatz-gruppe D l’activité des Einsatzgruppen A, B, et C.

LE PRÉSIDENT

Oui, mais il n’est pas seulement adressé aux groupes A, B, C et D, mais également aux membres commandants de la Police de sûreté et du SD. Ce que je vous demande, c’est pourquoi ce document a été envoyé aux commandants de la Police de sûreté et du SD si ces derniers n’avaient rien à faire avec cette question.

TÉMOIN HOEPPNER

Il est probable que Heydrich a voulu que le commandant de la Police de sûreté et du SD de Cracovie et les chefs supérieurs des SS et de la Police fussent informés du travail des Einsatzgruppen. Ce rapport a également été envoyé aux chefs supérieurs de la Police de Bresiau et de Dresde, etc., qui n’avaient certainement rien à faire avec l’activité des Einsatzgruppen, et aux commissaires à la défense du Reich de Kônigsberg, Stettin et Bresiau.

LE PRÉSIDENT

Vous voulez donc dire que Heydrich a commis une erreur en déclarant que ce document était un rapport sur l’activité des Einsatzgruppen de la Police de sûreté et du SD, et qu’il n’a été transmis aux commandants de la Police de sûreté et du SD que pour information ?

TÉMOIN HOEPPNER

Oui.

LE PRÉSIDENT

Voyez la liste des destinataires aux pages 46 et 47. S’agit-il des destinataires d’un autre rapport ? C’est un rapport du 23 avril 1942.

TÉMOIN HOEPPNER

Oui, 23 avril 1942.

LE PRÉSIDENT

Voyez maintenant les pages 46 et 47.

TÉMOIN HOEPPNER

Oui.

LE PRÉSIDENT

A la huitième ligne, vous voyez dans la liste : « SS-GruppenFührer Kaltenbrunner à Vienne ».

TÉMOIN HOEPPNER

Oui.

LE PRÉSIDENT

Et deux lignes avant la fin : « Gouverneur Général Reichsminister Dr Frank ».

TÉMOIN HOEPPNER

Je ne trouve pas le nom du Dr Frick.

LE PRÉSIDENT

Frank ; j’ai dit : Frank.

TÉMOIN HOEPPNER

Oui, ainsi qu’à l’attention de l’Ober-regierungsrat Dr Schepers.

LE PRÉSIDENT

II en est de même à la page 18 du rapport du 27 février 1942.

TÉMOIN HOEPPNER

27 février ?

LE PRÉSIDENT

Oui, le 27 février ; il a également été distribué aux mêmes personnes ?

TÉMOIN HOEPPNER

Oui.

LE PRÉSIDENT

L’audience est levée.

(L’audience sera reprise le 2 août 1946 à 10 heures.)