CENT QUATRE-VINGT-TREIZIÈME JOURNÉE.
Vendredi 2 août 1946.

Audience de l’après-midi.

(Le témoin RÖSSNER est à la barre.)
Dr GAWLIK

J’en arrive au dernier point, la persécution des Églises, paragraphe VII-B de l’exposé des charges. Je prie le Tribunal de m’autoriser à attirer son attention sur le fait qu’on ne reproche une activité au SD que jusqu’au 12 mai 1941, comme l’indique la page 60 de l’exposé des charges anglais. Mes explications porteront sur la période qui s’étend de la création du RSHA en 1939 jusqu’au 12- mai 1941.

LE PRÉSIDENT

Un instant, vous dites mai 1940 ou mai 1941 ?

Dr GAWLIK

Le 12 mai 1941, à la page 64, l’avant-demier paragraphe de l’exposé des charges où l’on dit que la surveillance politique des Eglises était partagée entre la Gestapo et le SD, mais qu’à partir de ce moment-là, elle a été complètement prise en charge par la Gestapo. Est-ce que le service III-C s’est occupé des questions de l’Eglise ?

TÉMOIN RÖSSNER

Non.

Dr GAWLIK

Est-ce qu’un autre service de l’Amt III s’est occupé des questions de l’Eglise ?

TÉMOIN RÖSSNER

Non, depuis la fondation de l’Amt III, ce service ne s’est jamais occupé de questions de l’Eglise.

Dr GAWLIK

Que faisait-on dans cet Amt III ?

TÉMOIN RÖSSNER

A l’Amt III, groupe III-C, on s’occupait uniquement de questions religieuses générales dans les divers domaines de la vie.

Dr GAWLIK

Comment ces services considéraient-ils les questions touchant la vie religieuse ?

TÉMOIN RÖSSNER

Les principes de travail étaient les mêmes que pour les autres questions vitales. Il appartenait à l’Amt III de s’occuper des désirs religieux, des demandes, des propositions, des mouvements de la population allemande ainsi que de l’influence des mouvements confessionnels allemands et des confessions chrétiennes sur la pensée, l’attitude et l’état d’esprit de cette population, et de dresser des rapports.

Dr GAWLIK

Le Ministère Public a prétendu que la persécution des Églises aurait été une des tâches principales de la Police de sûreté et du SD. Est-ce que le SD a vraiment effectué un travail semblable en accord avec la Police de sûreté ?

TÉMOIN RÖSSNER

Autant que je sois au courant en ma qualité de chef responsable d’un service, il n’y a jamais eu une pareille liaison entre ces deux services.

Dr GAWLIK

Est-ce que le SD, de son propre chef, a eu et réalisé une telle intention ?

TÉMOIN RÖSSNER

Non, c’ eut été contraire à tous les principes de notre travail.

Dr GAWLIK

Est-ce que l’Amt III du SD s’est occupé pratiquement de la persécution des Eglises ?

TÉMOIN RÖSSNER

Non.

Dr GAWLIK

Est-ce que l’Amt III du SD a été chargé d’une façon quelconque par la Gestapo de la question de la persécution des Eglises ?

TÉMOIN RÖSSNER

Non. Le SD travaillait aussi dans ce domaine d’une façon tout à fait indépendante et les services du Parti ou de l’État n’avaient pas qualité pour lui donner des ordres directs.

Dr GAWLIK

Est-ce que les collaborateurs à titre principal et honorifique du SD étaient examinés au point de vue de leur attitude religieuse et ont-ils été influencés par des menaces ou par d’autres moyens à se retirer de l’Eglise ?

TÉMOIN RÖSSNER

Non, je ne connais rien de semblable. Cela aussi eut été absolument contraire à notre point de vue. Jusqu’à la fin, de nombreux collaborateurs actifs et honoraires étaient membres de différentes confessions religieuses et le sont demeurés. Je fais remarquer que le chef de l’Amt III n’a quitté l’ Eglise protestante qu’en 1942.

Dr GAWLIK

Est-ce que l’Amt III du SD avait des buts cachés et des intentions secrètes dans la lutte entreprise contre l’Eglise ? Cette question se rapporte à la page 58 de l’exposé des charges.

TÉMOIN RÖSSNER

Ni dans ce domaine, ni dans d’autres domaines de l’activité de l’Amt III du SD, il n’y avait des buts cachés ou des procédés secrets. En ma qualité de chef de service, j’aurais dû les connaître.

Dr GAWLIK

Je vous présente le document de l’Accusation PS-1815. Regardez, s’il vous plaît, à la page 59.

TÉMOIN RÖSSNER

Le document ne va pas jusqu’à la page 59. Vous voulez dire 29 ou 39 ?

Dr GAWLIK

29 ou 39, peut-être.

TÉMOIN RÖSSNER

J’ai les deux pages.

Dr GAWLIK

Regardez, s’il vous plaît, à la page 1.

TÉMOIN RÖSSNER

J’ai la page 1.

Dr GAWLIK

On dit que les collaborateurs qui étaient là jusqu’à présent devaient être provisoirement mutés à la Gestapo. Est-ce que cet ordre a été exécuté parce que l’organisation, les tâches, les buts et l’activité dans le domaine de la question des Eglises étaient les mêmes à l’Amt III du SD et à l’Amt IV de la Gestapo ?

TÉMOIN RÖSSNER

Non, cet ordre a été donné pour un tout autre motif, étant donné que les Amt III et IV étaient des services parfaitement séparés, une mutation des membres originaires du SD à l’Amt IV eût pris beaucoup trop de temps ; c’est pourquoi ces mutations que l’on envisageait ont, pour épargner du temps, été réalisées sous la forme d’un détachement.

Dr GAWLIK

Prenez la page 29 du document de l’Accusation. Il s’agit d’un écrit n° 18. Voyez, s’il vous plaît, les deux premières phrases. N’en ressort-il pas que le SD traitait les questions de l’Eglise en collaboration avec la Police d’État et la Police criminelle ?

TÉMOIN RÖSSNER

Le document que vous me montrez prouve que l’Amt III du SD n’a pas du tout pris part à ces travaux. Au moment de cette discussion, en 1942, l’Amt III ne devait plus, en principe, conformément au décret de séparation qui a été récemment mentionné, s’occuper des questions concernant l’Eglise.

Dr GAWLIK

Regardez maintenant la page 1 et la page 2. En se référant à ces deux feuilles, le Ministère Public — je pense à la page 58 de l’exposé des charges — a expliqué que si les questions de l’Église étaient désormais réparties entre le SD et la Gestapo, et si les documents du SD relatifs à l’opposition des Églises devaient être transmis désormais à la Gestapo, le SD cependant devait garder le matériel qui faisait ressortir leur influence spirituelle sur la population. Qu’en pensez-vous ?

TÉMOIN RÖSSNER

Je vous ai déjà dit au début que l’Amt III du SD n’a jamais, depuis sa création, traité des questions de l’ Eglise. Les documents anciens qui, sur la base de ce décret, devaient être transmis à l’Amt IV, consistaient en renseignements généraux qui ne convenaient nullement au travail policier d’exécution de l’Amt IV. Du reste, le décret que l’on m’a présenté a été rédigé par l’Amt IV et, en conséquence, il représente le point de vue de cet Amt IV.

Dr GAWLIK

Je vous prie de vous référer maintenant à la page 19 où l’on dit en résumé que dans les questions de l’Eglise la lutte contre les adversaires et les questions vitales doivent marcher de pair. Peut-on en conclure qu’il y a eu une collaboration entre la Gestapo et le SD, avec le but unique de lutter contre l’Eglise ?

TÉMOIN RÖSSNER

Non, car l’Amt IV, lui aussi, autant que je le sache, n’a jamais eu à s’occuper de lutter contre l’Église. Ce que l’on formule sur cette page, c’est le désir personnel d’un inspecteur qui, ni vis-à-vis de la Gestapo, ni vis-à-vis du SD, n’avait le droit de donner des instructions de fait.

Dr GAWLIK

Je vous prie de vous référer maintenant à la page 24 et particulièrement aux paragraphes 1 et 4 où l’on dit :

« Pour les raisons indiquées, je demande au service de contre-espionnage de se mettre à l’ouvrage et d’intensifier son travail dans le domaine de la politique religieuse. »

Une autre phrase s’exprime ainsi : « Dès que les liaisons en matière de renseignements seront réalisées de cette façon ».

Faut-il en conclure que le SD avait un service de contre-espionnage en matière religieuse ?

TÉMOIN RÖSSNER

Non, au contraire. Le décret que vous m’avez présenté est du mois d’août 1941, c’est-à-dire après le décret de séparation que nous avons cité. Si le SD, sur la base du décret de séparation, avait utilisé son service de renseignements comme service de contre-espionnage et l’avait transmis comme tel à l’Amt IV, ce décret d’août 1941 n’avait alors pas besoin de donner l’ordre d’installer un service de renseignements à l’Amt IV. Du reste, l’ordre est adressé à de nombreuses formations de Police, de sorte qu’il ne peut pas s’agir là d’un cas individuel local.

Dr GAWLIK

Veuillez regarder la page 27 où l’on parle du transfert à la Gestapo d’hommes de confiance et d’une direction commune de ces hommes de confiance. Que pouvez-vous nous dire à propos de cette prescription de l’inspecteur de Dùsseldorf ?

TÉMOIN RÖSSNER

Tout d’abord, je vous fais remarquer à nouveau que ce ne peut être là qu’un vœu personnel de l’inspecteur, étant donné qu’il n’avait pas le droit de donner des directives. Pratiquement, un pareil désir ne pouvait être réalisé parce qu’en raison des différentes tâches qui étaient à remplir, il eût été parfaitement impossible de prévoir pour les Amt III et IV des hommes de confiance communs, chargés de questions particulières et de missions diverses. Chaque homme de confiance du SD se fût refusé à se charger en outre de missions de caractère policier.

Dr GAWLIK

Sur la base de votre activité, que pouvez-vous nous dire sur l’importance des dossiers qui, à la suite du décret de séparation du 12 mai 1941, ont été transmis par le SD à la Gestapo ?

TÉMOIN RÖSSNER

Elle a été très différente selon le point où en était le travail dans les différents services locaux. Il est vraisemblable que les services de renseignements qui travaillaient le mieux auront sans doute eu plus de documents que ce qui a été remis à la Police d’État.

Dr GAWLIK

D’après ce que vous savez les dossiers transmis par le SD, étaient-ils utilisables par la Police d’État contre les individus isolés ?

TÉMOIN RÖSSNER

Non, ce n’était certainement pas le cas, étant donné que des questions d’information sur la question des Eglises du ressort du SD étaient absolument différentes. En particulier, il ne s’agissait pas de cas individuels.

Dr GAWLIK

D’après ce que vous savez, les dossiers transmis ont-ils continué à être examinés en fait. par la Gestapo ?

TÉMOIN RÖSSNER

Je ne peux pas vous le dire dans tous les détails. Précisément pour la raison que je viens de vous dire, je crois que beaucoup de dossiers n’ont pas été ouverts par la Gestapo, étant donné qu’ils étaient absolument inutilisables pour des questions de Police.

Dr GAWLIK

Est-ce que l’Amt III du SD avait pour tâche et pour but de préparer une persécution générale des Eglises et a-t-il travaillé à cette persécution des Eglises, de 1939 jusqu’au décret de séparation du 12 mai 194l ?

TÉMOIN RÖSSNER

Non, l’Amt III n’a jamais eu de tâche pareille à faire en pratique. Il n’a pas davantage poursuivi des buts pareils.

LE PRÉSIDENT

Docteur Gawlik, vous vous souvenez de nous avoir dit, avant la suspension d’audience, que vous étiez parvenu au dernier point que vous aviez à traiter ?

TÉMOIN RÖSSNER

Oui, je n’ai plus environ que six questions.

LE PRÉSIDENT

Traitez-les rapidement.

Dr GAWLIK

Est-ce que l’Amt III a fait en permanence des rapports aux services du Parti et de l’État sur les questions de la vie religieuse, dans le but d’en arriver à une persécution générale des Eglises ?

TÉMOIN RÖSSNER

Non, les comptes rendus sur les questions religieuses arrivaient de façon très incomplète et très lente, étant donné que pendant des années, à l’Amt III, cette question n’était traitée que par une seule personne.

Dr GAWLIK

Quels étaient donc les buts du SD en transmettant ces questions à d’autres services ?

TÉMOIN RÖSSNER

L’Amt III avait aussi dans ces rapports, aussi bien que dans les rapports officiels, fait remarquer que, d’après son point de vue, il ne s’agissait pas d’une lutte contre la puissance de l’Église, mais qu’il s’agissait en fin de compte de la vie morale et religieuse du peuple allemand en rapport avec les autres questions culturelles.

Dr GAWLIK

Est-ce que par ces rapports, le SD a préparé ou toléré des mesures hostiles à l’Eglise ?

TÉMOIN RÖSSNER

Non, les rapports de l’Amt III, à plusieurs reprises, ont exprimé des critiques contre des mesures hostiles à l’Eglise prises par des services particuliers ou des personnalités isolées.

Dr GAWLIK

Je n’ai plus de question à poser.

M. MONNERAY

Témoin, vous avez dit que vous avez été mobilisé au SD en 1940 ?

TÉMOIN RÖSSNER

Je n’ai pas dit que j’avais été mobilisé, mais que j’avais été obligé d’entrer dans le RSHA.

M. MONNERAY

Vous avez oublié de déclarer que vous étiez déjà membre du SD avant ?

TÉMOIN RÖSSNER

Autant que je le sache, mon avocat m’a demandé depuis quand j’étais au SD.

M. MONNERAY

Étiez-vous membre du SD avant 1940 ?

TÉMOIN RÖSSNER

Je n’ai pas très bien compris la question.

M. MONNERAY

Étiez-vous membre du SD avant 1940 ?

TÉMOIN RÖSSNER

Oui, à partir de 1934.

M. MONNERAY

C’est un oubli, n’est-ce pas ?

TÉMOIN RÖSSNER

Autant que je le sache, non. D’ailleurs, devant la commission, je me suis suffisamment expliqué.

M. MONNERAY

Est-il exact, témoin, que le SD, avant la prise du pouvoir par le parti national-socialiste, était une organisation secrète illégale ?

TÉMOIN RÖSSNER

Puis-je vous demander avant la prise du pouvoir ?

M. MONNERAY

Oui, avant la prise du pouvoir.

TÉMOIN RÖSSNER

Je ne peux rien vous dire là-dessus étant donné que je n’étais pas membre du SD.

M. MONNERAY

Après la prise du pouvoir, est-ce que le SD a été utilisé par le Parti, d’une part, et par l’État, d’autre part, avec la Gestapo, pour combattre les groupes adverses ?

TÉMOIN RÖSSNER

Autant que je le sache, le SD a toujours eu une activité particulière et entièrement séparée de celle de la Gestapo.

M. MONNERAY

Est-ce que, pendant la guerre, dans les territoires occupés, le SD s’est manifesté en même temps que la Sipo dans les Einsatzkommandos ?

TÉMOIN RÖSSNER

En ce qui concerne l’organisation et l’activité des Einsatzkommandos, il m’est impossible de vous donner un renseignement étant donné que jamais je n’ai été dans les pays occupés comme membre du SD.

M. MONNERAY

Connaissez-vous Streckenbach ?

TÉMOIN RÖSSNER

Oui.

M. MONNERAY

Quelle était sa fonction ?

TÉMOIN RÖSSNER

Autant que je le sache, il a été quelques années chef de l’Amt I.

M. MONNERAY

Et ce service n° 1 était chargé des questions d’organisation, tant pour la Sipo que pour le SD, n’est-ce pas ?

TÉMOIN RÖSSNER

Oui.

M. MONNERAY

Il est donc sensé connaître suffisamment les attributions respectives de la Sipo et du SD ?

TÉMOIN RÖSSNER

Puis-je vous demander « qui » connaissait ces fonctions exactement ?

M. MONNERAY

Témoin, la question était parfaitement claire ; je parlais de Streckenbach.

TÉMOIN RÖSSNER

Non, il ne faut pas en déduire cela, étant donné qu’en dessous de lui les tâches et les questions d’organisation dans son service 1 étaient traitées tout à fait séparément. Dans quelle mesure Streckenbach connaissait les ordres du SD et les prévoyait, il ne m’appartient pas d’en juger.

M. MONNERAY

Je voudrais vous lire le document F-984. C’est un appel de Streckenbach, publié dans le bulletin du chef de la Sipo et du SD.

LE PRÉSIDENT

Ce document a-t-il déjà été déposé ?

M. MONNERAY

Ce document portera le numéro RF-1540. Il n’a pas encore été déposé, Monsieur le Président. C’est un appel de Streckenbach à tous les membres de la Sipo et du SD daté du 7 septembre 1942. Cet appel dit ceci, par extraits :

« Déjà avant la prise du pouvoir, le SD, pour sa part, a contribué au succès de la révolution nationale-socialiste. Après la prise du pouvoir, la Sipo et le SD ont assumé la responsabilité de la sécurité intérieure du Reich et ont frayé le chemin à la réalisation du national-socialisme, à l’encontre de toutes les résistances... Depuis le commencement de la guerre, nos Einsatzkommandos sont partout où est l’Armée allemande et chacun, dans son propre secteur, mène la lutte contre les ennemis du Reich et du peuple. »

L’appel continue plus loin en demandant du matériel et de la documentation au sujet de l’activité de la Sipo et du SD :

« Il y aura lieu de nous fournir, par exemple, des articles pour tous les sujets suivants : l’histoire du SD, ses débuts, la lutte pour sa consécration comme seul service de renseignements des SS et plus tard du Parti, difficultés et enseignements dus à la création des services, souvenirs du travail illégal de la période de lutte pour le développement de l’organisation du SD à ses débats (camouflages illégaux) jusqu’au large édifice final, après la prise du pouvoir. Qu’on nous fournisse, d’autre part, des éléments particulièrement importants sur l’activité de renseignements avant et après la prise du pouvoir, les missions illégales, etc. »

Et plus loin encore : « Action commune de la Gestapo et du SD pour la destruction des groupes adverses »

Témoin, cet appel de Streckenbach est contraire à vos déclarations, n’est-ce pas ?

TÉMOIN RÖSSNER

Non, car il n’y a pas un mot dans cet appel sur le devoir effectif de l’Amt III du SD intérieur. Du reste, les extraits que vous m’avez présentés ne font pas ressortir qui a effectivement conçu et rédigé cet appel. Le nom de Streckenbach signifie simplement qu’il l’a signé. L’Amt III peut à peine y avoir pris part car les tâches de cet Amt III auraient dû être traitées d’une façon quelconque dans cet appel.

M. MONNERAY

Quels étaient les services du SD, à part l’Amt III ?

TÉMOIN RÖSSNER

Pour le SD intérieur, il n’y avait que l’Amt III.

M. MONNERAY

Témoin, je vous serais reconnaissant de répondre à mes questions.

TÉMOIN RÖSSNER

J’ai pourtant l’impression, Monsieur le Procureur, d’avoir répondu à l’instant à votre question.

M. MONNERAY

Je vous ai demandé quels étaient les services du SD et non pas quels étaient les services du SD intérieur.

TÉMOIN RÖSSNER

Sous l’expression générale SD, qui n’a rien à faire avec celle de SD intérieur, il y avait l’Amt VI, l’Amt VII.

M. MONNERAY

Quelle était la fonction de l’Amt VI ?

TÉMOIN RÖSSNER

C’était le service d’information de l’étranger.

M. MONNERAY

Quand on parle de la lutte contre les groupes adverses avec la Gestapo, on pense sans doute qu’il s’agit de la lutte à l’étranger, n’est-ce pas ?

TÉMOIN RÖSSNER

Cela ne ressort pas du document que vous venez de me présenter.

M. MONNERAY

A nouveau, vous ne repondez pas à ma question, témoin. Pouvez-vous imaginer la lutte de la Gestapo contre les groupes adverses à l’extérieur du Reich ?

TÉMOIN RÖSSNER

Non, autant que je le sache, la Gestapo avait une tâche de police à l’intérieur du Reich.

M. MONNERAY

Bien. Donc, quand il s’agit ici, dans cet appel, de la lutte contre les groupes adverses menée par le SD d’une part, et la Gestapo d’autre part, et en commun, il s’agit bien de la lutte à l’intérieur des frontières allemandes, n’est-ce pas ?

TÉMOIN RÖSSNER

Mais oui, mais cela ne veut pas dire que l’on parle ici du travail accompli par le SD intérieur.

M. MONNERAY

Vous nous avez dit, témoin, à plusieurs reprises, que les tâches du SD de l’intérieur et à plus forte raison sans doute de l’extérieur, étaient bien différentes des tâches de la Gestapo et de la Police d’une façon générale, n’est-ce pas ?

TÉMOIN RÖSSNER

Je n’ai pas du tout parlé aujourd’hui du service SD extérieur à part le seul fait où j’ai fait allusion à l’Amt VI.

M. MONNERAY

Eh bien, témoin, vous pourriez me répondre pour le SD intérieur ?

TÉMOIN RÖSSNER

Oui.

M. MONNERAY

La Police, d’après vous, avait un « esprit policier » ?

TÉMOIN RÖSSNER

Puis-je demander à M. le Procureur ce qu’il veut dire en me demandant de spécifier ?

M. MONNERAY

En opposition avec l’esprit du SD qui est un esprit objectif, n’est-ce pas ?

TÉMOIN RÖSSNER

Je ne sais pas de quel état d’esprit était animée la Police, étant donné que je n’ai jamais fait partie de la Police.

M. MONNERAY

Mais vous nous avez dit que le SD avait un esprit objectif, impartial, scientifique ? C’est bien exact ?

TÉMOIN RÖSSNER

Je n’ai pas parlé d’esprit scientifique, mais j’ai parlé d’esprit critique et objectif, et je tiens à souligner cela.

M. MONNERAY

C’était aussi l’esprit de la Police ?

TÉMOIN RÖSSNER

Je ne peux pas en juger, ainsi que je vous l’ai dit puisque je n’ai jamais fait partie de la Police.

LE PRÉSIDENT

Posez-lui la question à nouveau, Monsieur Monneray.

M. MONNERAY

Cet esprit impartial et objectif était également l’esprit de la Police ?

TÉMOIN RÖSSNER

Étant donné que je n’ai jamais fait partie de la Police, mais simplement du service SD intérieur, Amt III, je ne peux vous répondre.

M. MONNERAY

Voyons, témoin, soyons bien clair. Vous vous êtes expliqué très longuement sur la différence existant entre le SD et la Police, n’est-ce pas ? Si vous pouvez nous donner cette différence, vous devez savoir au moins ce qu’est la Police ?

TÉMOIN RÖSSNER

J’ai donné la différence dans quelques domaines d’activité entre le travail du SD et les tâches de la Police, mais je ne suis pas en mesure de vous indiquer le travail d’ensemble de la Police, étant donné que je ne le connais pas. De même, je n’ai parlé que des principes de travail de l’Amt III et des exemples concrets que j’ai connus, d’après le travail que j’avais à faire dans mon service.

M. MONNERAY

Est-il exact, témoin, que les jeunes candidats devant entrer, ou désirant entrer au SD aient reçu exactement la même formation que les jeunes candidats voulant entrer à la Gestapo ou à la Kripo ?

TÉMOIN RÖSSNER

Je ne connais pas en détail la formation des candidats au SD. Je sais simplement que le chef de l’Amt III, à plusieurs reprises et d’année en année, a toujours élevé des objections contre une identité de formation. Dans quelle mesure, dans ces objections, on a tenu compte de ces objections, voilà ce que j’ignore ; je ne peux pas vous le dire de mon propre chef.

M. MONNERAY

Eh bien, je vais porter un texte à votre connaissance si imparfaite des matières dont vous vous êtes toujours occupé. C’est une circulaire qui a été publiée dans le bulletin officiel du chef de la Sipo et du SD du 18 mai 1940, et qui précise que les jeunes candidats, les jeunes élèves de la Police et du SD — malgré un caractère si objectif et impartial — devaient faire un stage de quatre mois à la Police criminelle, de trois mois à la Gestapo et trois mois au SD. Vous l’ignoriez, n’est-ce pas ?

TÉMOIN RÖSSNER

Non.

M. MONNERAY

Maintenant, vous nous avez dit aussi que le SD avait très peu de choses à faire avec la politique officielle du personnel et du parti nazi. Est-ce exact, témoin ? Peut-être votre mémoire vous revient-elle maintenant sur le fait que les chefs politiques du Parti devaient donner à l’administration de l’État allemand leurs appréciations politiques sur les candidats fonctionnaires ? Vous le savez, n’est-ce pas ?

TÉMOIN RÖSSNER

Puis-je prier M. le Procureur de répéter la question ; je n’ai pu suivre.

M. MONNERAY

Quand il s’agissait de donner de l’avancement à un fonctionnaire d’une certaine classe, ou de faire nommer un fonctionnaire, le chef politique, le Gauleiter ou le Kreisleiter, par exemple, devaient fournir à l’État une sorte d’expertise politique sur les bonnes idées du candidat ? C’est bien exact ?

TÉMOIN RÖSSNER

Oui, j’ai déjà dit ce matin que c’était là la tâche des détenteurs de souveraineté du Parti.

M. MONNERAY

Et c’est le SD qui devait fournir l’appréciation politique ?

TÉMOIN RÖSSNER

Non.

M. MONNERAY

Je vais lire au témoin un extrait du document F-989 qui devient RF-1541. Page 2 de l’extrait. C’est une circulaire de la chancellerie du parti national-socialiste au sujet de l’appréciation politique donnée par les chefs politiques. Tout d’abord, on définit cette appréciation politique en disant : « C’est un jugement de valeur sur l’attitude politique et idéologique et sur le caractère...

« Cette appréciation politique doit être exacte et fidèle. Autrement dit, elle doit reposer sur des données de fait incontestables et être dirigée, dans son estimation, vers les buts du mouvement. »

Il y a aussi un court paragraphe traitant de la question de savoir qui doit donner cette appréciation :

« Pour procurer les éléments de cette appréciation, il y a lieu d’entendre les chefs politiques compétents, les services techniques et les services du SD du Reichsfùhrer SS... Les renseignements politiques peuvent être donnés par tous les services du Parti. Des éléments seront fournis notamment par les services du SD du Reichsfùhrer SS. »

TÉMOIN RÖSSNER

J’ai dit expressément ce matin que le SD pouvait donner des informations mais qu’il ne lui appartenait pas de donner des appréciations politiques et que le SD, de son propre chef, attachait une grande valeur à ce que ces renseignements, à côté des autres renseignements que l’on se procurait, donnassent une image exacte de l’ensemble de la personnalité. Dans l’extrait de document que vous avez présenté, on ne parle nullement de renseignements individuels, mais d’un rapport qui a été fait sur la situation générale et dont j’ai déjà parlé ce matin.

M. MONNERAY

Dans ce document, on ne parle pas de l’appréciation comme d’un jugement de valeur sur la position politique et idéologique.

TÉMOIN RÖSSNER

Dans ce document, non. On y parle en général des comptes rendus sur la situation.

M. MONNERAY (au Tribunal)

Je vous demanderai de montrer au témoin l’original tout à l’heure. (Au témoin.) Je continue. Il y avait une collaboration étroite entre le SD et le Parti, n’est-ce pas ?

TÉMOIN RÖSSNER

Une collaboration étroite ? On ne saurait en parler en aucun cas. Les rapports entre le SD et le Parti, tout particulièrement entre l’Amt III et la chancellerie du Parti étaient, au cours des dernières années, arrivés à une tension très grande. Je suis prêt à vous citer des exemples concrets si vous le désirez.

M. MONNERAY

Je voudrais vous lire encore un extrait de la même circulaire du 21 août 1943. On dit... (Un document est remis au témoin.)

TÉMOIN RÖSSNER

C’est ce même extrait que je viens de recevoir.

M. MONNERAY

« Le RSHA demande au service du SD de tenir les chefs compétents constamment au courant des faits d’ordre politique se produisant dans les circonscriptions. Le SD appellera ainsi constamment l’attention du chef politique sur les affaires particulièrement urgentes qui rendent l’intervention du chef politique nécessaire » (F-989).

Est-ce bien exact ?

TÉMOIN RÖSSNER

Vous confondez ici absolument la pratique et la théorie. L’Amt III, au contraire, aurait bien désiré en pratique pouvoir être entendu par les détenteurs de souveraineté du Parti afin de pouvoir fournir les éléments critiques nécessaires. A maintes reprises, pendant des années, ce ne fut pas le cas, étant donné que le représentant local du SD n’était jamais reçu par les détenteurs de souveraineté.

M. MONNERAY

Eh bien, nous allons voir, avec quelques exemples de l’activité pratique, s’il y avait une différence et un décalage entre la pratique et la théorie. On vous a déjà soumis devant la commission le document R-142 (USA-481) au sujet du contrôle par le SD du plébiscite de 1938 où les collaborateurs si honorables et si désintéressés du SD avaient même falsifié les bulletins de vote. Et comme c’était un cas pratique, vous nous avez dit que c’était un cas isolé, n’est-ce pas ?

TÉMOIN RÖSSNER

Je voudrais spécifier cela une fois de plus devant le Tribunal ; il ne s’agit pas du SD dans ce document, mais d’une formation extérieure du SD entre cent autres formations du SD. Le document ne fait ressortir nullement que le RSHA...

LE PRÉSIDENT

Témoin, n’élevez pas ainsi la voix, je vous prie.

TÉMOIN RÖSSNER

Le document ne fait nullement ressortir que l’Amt III à Berlin ait jamais donné un avis quelconque pour la rédaction de ces rapports.

M. MONNERAY

Eh bien, je vais vous montrer un autre document qui est sans doute encore un cas isolé. Cette fois-ci, il s’agit de la ville d’Erîurt ; c’est le document D-897, qui a déjà été déposé par la Délégation britannique au moment de l’exposé des preuves des chefs politiques sous le numéro GB-541. C’est une circulaire secrète du 4 avril 1938, émanant du service du SD d’Erfurt et adressée à toutes les subdivisions, et qui demande aux chefs des postes extérieurs de signaler d’urgence toutes les personnes pour lesquelles on a une certitude qu’elles voteront « non ». Ce document vous fait sourire, témoin. Pourtant, si vous regardez un peu plus loin, vous verrez que l’affaire était sérieuse, puisque le chef du SD, consciencieux, comme vous le disiez, dit ceci :

« On insiste une fois de plus sur l’ immense responsabilité que les chefs des postes extérieurs ont dans cette affaire, puisqu’ils doivent comprendre les conséquences éventuelles que leur rapport aura pour les personnes signalées. »

Vous appelez cela, témoin, une façon objective de rendre compte, n’est-ce pas ?

TÉMOIN RÖSSNER

Je regrette, Monsieur le Procureur ; vous parlez du chef du SD. Or, le document est signé par un Scharfûhrer local qui correspond par exemple, à un caporal dans l’Armée ; il ne s’agit donc pas là du chef du SD. Je suis obligé de constater à mon grand regret que, dans ce cas, vous discutez là d’une affaire tout à fait extraordinaire, car, autant que je le sache, il n’est jamais entré dans les attributions du SD intérieur de surveiller les votes.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Monneray, je crois qu’un certain nombre de chefs ont été entendus à propos de ce document.

M. MONNERAY

Oui, Monsieur le Président. Je signale également au Tribunal le document D-902 qui a déjà été produit comme preuve sous le numéro GB-542 ; il est relatif au même sujet.

LE PRESIDENT

Le témoin sait-il quelque chose à propos de ce document ? S’il a déjà été déposé, ce n’est pas la peine de lui en parler, sauf s’il sait quelque chose à son propos.

M. MONNERAY

Oui, ce document a déjà été fourni comme preuve et je comprends, Monsieur le Président, que vous ne désiriez pas que j’interroge le témoin à ce propos.

LE PRÉSIDENT

S’il y a une raison spéciale pour poser au témoin des questions à propos de ce document, vous pouvez le faire. Mais il n’y a aucune utilité à montrer ce document au témoin s’il ne l’a pas déjà vu et si ce document a déjà été déposé. J’ignore de quel document il s’agit.

M. MONNERAY

J’ai voulu interroger, Monsieur le Présideni ce témoin, sur ces deux documents pour démontrer le peu de fc que l’on peut accorder à ses dépositions, puisqu’il a déclaré devar la commission qu’il s’agit d’un cas tout à fait exceptionnel aloi qu’en vérité il semble bien qu’il s’agisse d’une mesure générale d

SD qui s’est produite dans les régions les plus différentes de l’Allemagne.

LE PRÉSIDENT

Si vous désirez interroger le témoin, vous pourrez lui soumettre quelques passages du document ; il n’est pas besoin de lui donner le document entier.

M. MONNERAY

Témoin, vous nous avez dit qu’en ce qui concerne la radio, le SD également faisait des rapports extrêmement objectifs, sans aucune intention politique, n’est-ce pas ?

TÉMOIN RÖSSNER

Oui. Chaque semaine, nous avons envoyé des rapports aussi objectifs que possible et avec le plus de critiques sur l’écoute de la radio par la population.

M. MONNERAY

J’ai remis au Tribunal le document PS-3566, qui est déjà déposé comme preuve sous le numéro USA-658, et qui a établi que le SD, dans ce domaine également, avait une mission qui n’était nullement une simple mission de reportage objectif.

Témoin, de quoi s’occupait le service VIII B-3 ?

TÉMOIN RÖSSNER

Je ne peux pas le dire de mémoire, étant donne que je n’ai plus en tête le détail des services ; en tout cas, il ne s’occupait pas de radio : c’était là le travail du service III C-4.

M. MONNERAY

Est-il exact qu’il s’est occupé de la race et de la santé ?

TÉMOIN RÖSSNER

Je viens de répondre, Monsieur le Procureur, que je ne me rappelais plus le détail de ces services.

M. MONNERAY

Vous êtes-vous occupé ou avez-vous eu par vos collègues des rapports sur la situation générale en matière d’ouvriers étrangers en Allemagne ?

TÉMOIN RÖSSNER

Non, personnellement, je ne m’en suis jamais occupé étant donné que la question était en dehors du cadre de mon service.

M. MONNERAY

Je voudrais montrer au Tribunal le document PS-1753 qui deviendra RF-1542 et qui contient un rapport d’un service du SD au sujet de la possibilité donnée par le RSHA aux médecins allemands de procéder à l’avortement des ouvrières étrangères de l’Est, à la demande de celles-ci. Ce rapport établit que les exposés du SD en cette matière ne sont nullement des exposés objectifs, mais prennent nettement parti en faveur de la politique officielle de l’État nazi.

Je dépose enfin un. document, PS-1298, qui deviendra RF-1545, en matière de travail forcé des ouvriers en Allemagne. Dans ce document, l’auteur du rapport, qui est un agent du SD, après avoir exposé les nombreuses tentatives de fuite des ouvriers étrangers, préconise des mesures pratiques telles que les représailles contre les membres de la famille, le retrait des cartes de ravitaillement, etc. Témoin, vous appelez cela des rapports objectifs qui ne tiennent pas compte de la politique de la Police ?

TÉMOIN RÖSSNER

Oui. Car c’est là un rapport des nombreuses formations subordonnées. Ils étaient rassemblés dans le RSHA où ils servaient à donner une idée d’ensemble de la mentalité de la population. Ils contenaient, bien entendu, des opinions des membres du Parti. Au surplus, je suis obligé de réfuter énergique-ment ce qu’a dit M. le Procureur : il ne s’agit pas d’un agent du SD. Jamais le SD n’a eu d’agents dans le service d’informations intérieur. Je puis encore spécifier une fois de plus que pour les questions qui sont traitées dans ce document je ne puis, dans le détail, qu’exprimer une opinion subjective étant donné que cela ne faisait pas partie de mon activité. Je maintiens les explications de principe que j’ai données sur le travail du SD, même au vu de ce document.

M. MONNERAY

Mais ce document, témoin, n’a pas été adressé au RSHA pour y être exploité. Il a été adressé au service de l’utilisation de la main-d’œuvre. Il s’agit donc bien d’un rapport sur l’exécution des mesures suggérées, n’est-ce pas ?

TÉMOIN RÖSSNER

Le document que vous me présentez ne fait pas ressortir quelle était la formation du SD qui l’a expédié.

M. MONNERAY

Je vais vous montrer la photocopie du rapport.

TÉMOIN RÖSSNER

Mais, malheureusement, cela ne fait ressortir en aucune façon quelle est la formation du SD qui a envoyé ce document.

M. MONNERAY

Reconnaissez-vous que le rapport est adressé au service de l’utilisation de la main-d’œuvre ?

TÉMOIN RÖSSNER

Oui, mais je veux en même temps vous faire remarquer que ce document est signé et qu’après la signature il y a la mention « secrétaire ». Or, dans le SD, il n’y a jamais eu de secrétaire. Il aurait fallu que figurent des indications de grade du SD ou des SS.

M. MONNERAY

Et il est noté aussi dans le même document :

« Je vous remets sous ce pli copie du rapport du SD sur les questions intérieures ».

TÉMOIN RÖSSNER

Oui.

M. MONNERAY

Dans les territoires occupés, le SD était représenté par des organisations dépendant de l’Amt III et de l’Amt VI, n’est-ce pas ?

TÉMOIN RÖSSNER

Non. L’Amt III — et je ne puis vous parler que de lui — n’avait pas d’organisations qui étaient immédiatement sous ses ordres ; il n’avait que quelques délégués du SD pour cet Amt III, qui s’occupaient des tâches spécifiques de ce, service dans les territoires occupés.

M. MONNERAY

L’Amt VI du RSHA s’occupait du SD à l’étranger, n’est-ce pas ?

TÉMOIN RÖSSNER

Oui.

M. MONNERAY

Et il avait ses représentants dans les organisations de la Police allemande à l’étranger, n’est-ce pas ?

TÉMOIN RÖSSNER

Je ne peux rien vous dire là-dessus, étant donné que je n’ai jamais travaillé dans ce service.

M. MONNERAY

Je dépose devant le Tribunal les documents F-972 et F-974. Ce sont des feuilles de renseignements adressées à la section 6-2. Ces deux documents deviendront RF-1543 et RF-1544. Ce sont des feuilles de renseignements et des rapports d’agents adressés par le service.

LE PRÉSIDENT

Continuez. Ces documents ont-ils été traduits déjà ? La Défense en a-t-elle des exemplaires ?

M. MONNERAY

Il n’a pas été donné aux interprètes, car je ne vais pas lire le document tout entier. L’original est en allemand. Il s’agit d’un rapport, d’une feuille de renseignements imprimée, envoyée par les agents du SD aux services compétents de la Gestapo au sujet de la question juive, et on peut ainsi établir les rapports existant entre les deux services, contrairement aux déclarations du témoin.

LE PRÉSIDENT

Ces documents ont-ils été traduits ?

M. MONNERAY

Uniquement en français, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Vous savez que la règle veut que ces documents soient traduits dans les quatre langues. Vous devez le dire, s’il en est ainsi.

M. MONNERAY

Avec la permission du Tribunal, je lirai simplement l’un des deux documents, section n° 1.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Monneray, nous avons déjà perdu beaucoup de temps, et nous arrivons à un moment où il nous faut lire des documents qui sont vraiment sans importance. Nous sommes obligés de les lire en entier parce qu’ils n’ont pas été traduits. Cela prend beaucoup de temps et ne donne pas un résultat appréciable.

M. MONNERAY

Je passerai directement au dernier point qui traite de la transplantation de la population. Savez-vous, témoin, si le SD a participé avec la Gestapo à l’envoi d’individus dans les camps de concentration ?

TÉMOIN RÖSSNER

Je ne peux vous répondre que d’une manière générale. Les services de l’Amt III n’avaient aucun pouvoir d’exécution. Par conséquent, ils n’étaient pas habilités à interner des gens dans des camps de concentration.

M. MONNERAY

Savez-vous que le SD collaborait avec la Gestapo pour vérifier quels étaient les Polonais susceptibles d’être germanisés et ceux au contraire qui devaient être envoyés dans des camps de concentration.

TÉMOIN RÖSSNER

Non, je n’ai pas la moindre connaissance de toutes ces questions.

M. MONNERAY

Je me permettrai simplement de lire un extrait du document R-112.

LE PRÉSIDENT

C’est un nouveau document ?

M. MONNERAY

Non, c’est un document qui a déjà été déposé comme preuve. C’est le document USA-309.

LE PRÉSIDENT

Il faut vous y référer, car le témoin dit qu’il ne sait riai à ce sujet.

M. MONNERAY

Je voudrais simplement lire un passage de ce document qui établit, contrairement aux indications du témoin qui ignore ces faits, que le SD collaborait avec la Gestapo pour la sélection des Polonais à germaniser.

LE PRÉSIDENT

S’il y a quelque chose, dans le document, qui démontre que le témoin ne dit pas la vérité, vous pouvez lui présenter cette partie du document.

M. MONNERAY

Il se réfère au service de l’Amt III B du SD et il n’indique pas un élément quelconque qui mette directement le témoin en cause. Par conséquent, il porte simplement sur la question générale de l’activité du SD et ne touche pas au témoin.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Monneray, le témoin vient de dire que l’Amt III n’avait rien à faire avec les déportations de populations. Si ce document démontre qu’il avait quelque chose à y voir, vous pouvez lui présenter ce fait particulier.

M. MONNERAY

C’est pourquoi, Monsieur le Président, je vous demande de pouvoir lire un passage de ce document.

LE PRÉSIDENT

Vous pouvez lui remettre le document.

M. MONNERAY

C’est une lettre du 1er juillet qui est signée par Streckenbach ; elle émane du service Amt III B-l et est adressée à la Gestapo et au SD, dans les nouveaux territoires de l’Est annexés. Ce document dit, à la page 2, premier point :

« Les services de la Gestapo doivent demander aux sei vices de la DVL, aux services du SD et aux services de la Kripo les fiches concernant les personnes appartenant au groupe 4. »

Et au troisième point :

« Les chefs de service de la Police d’État et les chefs du service du SD ou les représentants permanents du SD, les représentants du service III B, doivent participer à l’examen racial des personnes en question, afin de pouvoir fournir une opinion personnelle. »

Et, page 3, quatrième point :

« Après examen racial, les chefs de la Gestapo et du SD ou leurs représentants permanents vérifient en commun les documents et demandent, le cas échéant, au RSHA, service IV C-2, l’arrestation et l’envoi dans un camp de concentration. Dans les cas particulièrement difficiles, les dossiers doivent être soumis au préalable au RSHA III, III B. »

Et, page 4, le sixième point de cet ordre signé de Streckenbach :

« En exécution du contrôle courant de l’action de germanisation les services du SD dans les territoires du Reich ».

LE PRÉSIDENT

Monsieur Monneray, autant que je comprenne ce document, il est clair qu’il s’applique à l’Amt III C. Pourquoi ne le lui présentez-vous pas ?

M. MONNERAY

Je voudrais demander au témoin s’il maintient toujours que l’Amt III n’avait rien à faire avec la Gestapo et n’avait aucune autorité pour l’arrestation et l’envoi dans les camps de concentration. J’aurais voulu, d’abord, terminer la lecture du dernier paragraphe.

LE PRÉSIDENT

Très bien, continuez.

M. MONNERAY

« En exécution du contrôle courant de l’action de germanisation, les services du SD dans les anciens territoires du Reich ont un droit analogue de contrôle et sont habilités à adresser des comptes rendus sur les Polonais susceptibles d’être germanisés, au RSHA et aux chefs principaux des SS et de la Police. Ils doivent également seconder les experts en matière de germanisation. »

Et le rapport est signé Streckenbach. Témoin, cet ordre émane bien de l’Amt III du RSHA, n’est-ce pas ?

TÉMOIN RÖSSNER

Monsieur le Procureur paraît faire une erreur ; d’après le document qu’il m’a présenté ici, cet ordre n’émane pas du RSHA mais du Commissaire du Reich pour le renforcement de la race allemande. A côté de la date du 1er juillet 1942, il y a l’indication III B, mais en bas de la lettre il y a « Commissaire du Reich pour le renforcement de la race allemande ». Ce sont deux formations absolument différentes.

M. MONNERAY

Eh bien, témoin, est-il exact que, conformément à cet ordre signé par Streckenbach, les services du SD, en commun avec la Gestapo, doivent vérifier les dossiers et, le cas échéant, procéder à la demande d’arrestation et d’envoi, dans les camps de concentration ? Pouvez-vous répondre oui ou non ?

TÉMOIN RÖSSNER

Je ne puis malheureusement pas vous répondre de ma propre expérience. En tous les cas, il est évident que le Commissaire du Reich au renforcement de la race allemande ne pouvait donner à l’Amt III du SD aucun ordre ; c’est pourquoi ce document fait clairement ressortir ce que le SD faisait pratiquement dans ce domaine. Il faudrait interroger sur ce point le spécialiste compétent.

M. MONNERAY

Vous n’avez pas répondu à la question ? D’après ce texte, est-ce bien exact que le SD collaborait activement avec la Gestapo, en cette matière ?

TÉMOIN RÖSSNER

Je crois que la question.

M. MONNERAY

Oui ou non ?

TÉMOIN RÖSSNER

Je crois que je ne peux pas répondre à cette question par oui ou par non, et je crois y avoir répondu en vous disant que le Commissaire du Reich au renforcement de la race allemande n’avait pas qualité pour donner des ordres au SD ; il ne m’appartient pas de juger ce que le SD a fait effectivement, étant donné qu’il s’agissait de deux formations différentes et absolument séparées. Autant que je sache, le Gruppenleiter compétent a déjà été entendu à ce sujet par la commission.

M. MONNERAY

Vous ne répondez toujours pas à la question. Est-ce que, oui ou non, d’après ce texte, le SD collaborait avec la Gestapo pour examiner des gens et, le cas échéant, les faire arrêter et envoyer dans des camps de concentration ?

TÉMOIN RÖSSNER

Je regrette, mais une fois de plus, il me faut répéter ma réponse à votre seconde question. Étant donné que le Commissaire du Reich n’avait aucune qualité pour donner des ordres directs au SD, il m’est impossible de vous répondre par oui ou non sur le point de savoir si le SD a collaboré en fait avec la Gestapo sur la base de cette instruction du Commissaire du Reich. Et c’est de cela qu’il s’agit.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Monneray, je crois que le document est suffisamment éloquent. Nous allons maintenant suspendre l’audience.

(L’audience est suspendue.)
M. MONNERAY

Une dernière question, témoin, au sujet de ce document R-112. Qui aidait le Commissaire du Reich pour la consolidation de la race allemande ?

TÉMOIN RÖSSNER

C’était un service supérieur. 280

M. MONNERAY

Qui était sous l’autorité du chef des SS et de la Police allemande, n’est-ce pas ?

TÉMOIN RÖSSNER

De Himmler.

M. MONNERAY

Vous maintenez que cette lettre du 1er juillet émanant du service de Himmler adressée à la fois aux services de la Gestapo, au SD, ainsi qu’à la Police criminelle, ne correspond pas à la réalité des choses.

TÉMOIN RÖSSNER

D’après ce que je sais, je ne puis que dire une fois de plus qu’il s’agit là de services complètement séparés. Je ne peux pas dire, d’après mes propres connaissances, dans quelle mesure la rédaction du document couvre le travail de fait du SD.

M. MONNERAY

Je n’ai plus de question à poser au témoin.

LE PRÉSIDENT

Docteur Gawlik, un moment.

LIEUTENANT-COMMANDER HARRIS

Plaise au Tribunal. Nous aimerions simplement soumettre comme complément et dernière preuve un nouveau document qui vient de nous parvenir et qui est le document PS-4054, qui devient USA-921. La seule signification de ce document est qu’il montre que le SD avait des agents en Californie à Los Angeles, peu de temps avant le début de la guerre entre les États-Unis et l’Allemagne.

LE PRÉSIDENT

On vous a donné une copie de ce document, Docteur Gawlik ?

Dr GAWLIK

Oui.

LE PRÉSIDENT

Très bien. Est-ce que vous voulez interroger le témoin ?

Dr GAWLIK

Je n’ai pas de questions à lui poser.

LE PRÉSIDENT

Le témoin peut se retirer. Je crois que vous en avez terminé avec l’exposé de vos preuves, n’est-ce pas, Docteur Gawlik ? C’est tout ce que vous vouliez prouver n’est-ce pas ? Vous n’avez pas d’autres témoins ?

Dr GAWLIK

Je n’ai pas d’autres témoins, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Dans quel ordre les avocats des organisations vont-ils procéder maintenant ?

Dr EGON KUBUSCHOK (avocat de l’accusé von Papen et du Gouvernement du Reich)

Il est prévu que nous entendrons maintenant le témoin du Gouvernement du Reich. J’appelle à la barre le témoin Dr Franz Schlegelberger. (On introduit le témoin.)

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous nous donner votre nom entier, s’il vous plaît ?

TÉMOIN FRANZ SCHLEGELBERGER

Franz Schlegelberger.

LE PRÉSIDENT

Répétez ce serment après moi : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète la formule du serment.)

LE PRÉSIDENT

Vous pouvez vous asseoir.

Dr KUBUSCHOK

Monsieur le témoin, depuis quelle année avez-vous travaillé au ministère de la Justice ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

J’ai d’abord été juge, puis conseiller de Cour d’appel. En 1918, je suis entré tout d’abord comme auxiliaire et ensuite comme conseiller secret, au ministère.

Dr KUBUSCHOK

Quand êtes-vous devenu secrétaire d’État ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

En 1931.

Dr KUBUSCHOK

Quand, après la mort du ministre de la Justice Gürtner, avez-vous expédié les affaires courantes du ministère de la Justice ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

De janvier 1941 à août 1942.

Dr KUBUSCHOK

Étiez-vous membre du Parti ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Au début, je n’étais pas membre du Parti. Et n’ai fait aucune requête en ce sens. A ma grande surprise, le 30 janvier 1938, j’ai reçu, une lettre du chef de la Chancellerie du Führer m’indiquant que le Führer avait ordonné mon admission dans le Parti. Je ne pouvais naturellement pas renvoyer cette lettre et je pense qu’il conviendrait que je me désigne comme membre involontaire du Parti.

Dr KUBUSCHOK

Aviez-vous un contact personnel étroit avec le ministre Gûrtner, de telle sorte que vous étiez constamment informé par lui, non seulement de toutes les questions du ministère de la Justice, mais aussi de toutes les questions générales du Gouvernement ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui.

Dr KUBUSCHOK

Gûrtner était-il déjà ministre de la Justice dans le cabinet de von Papen ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui.

Dr KUBUSCHOK

Est-ce que Gürtner avait déjà été auparavant ministre de la Justice en Bavière ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui.

Dr KUBUSCHOK

Est-ce que l’activité de l’ensemble du Gouvernement qui se réunissait en séances de cabinet s’est distinguée, dans la première partie du cabinet de Hitler, c’est-à-dire jusqu’au moment de la publication de la loi des pleins pouvoirs, de ce qui avait été pratiqué auparavant ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Non, il n’y avait pas de différence. On discutait les motions présentées et les opinions divergentes s’exprimaient.

Dr KUBUSCHOK

Est-ce que cela s’est modifié lors de la publication de la loi des pleins pouvoirs ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui. Les élections de mars et l’adoption d’une loi de pleins pouvoirs par le Reichstag avaient considérablement renforcé la position de Hitler. Hitler avait d’abord été très réservé et peut-être même modeste à l’égard de Hindenburg, mais à partir de ce moment-là, il était animé par la pensée qu’il était chargé d’accomplir la volonté populaire. Cela s’explique peut-être par le fait que Hitler avait centré toute son activité sur la confiance de la masse qu’il voulait attirer à lui et qu’il pensait juger d’une manière exacte la volonté populaire. Il se considérait comme une incarnation de la volonté populaire dont il voulait s’imprégner.

Dr KUBUSCHOK

Est-ce que la fusion des fonctions de Chancelier du Reich et de Président du Reich en août 1934 a eu, en dehors des conséquences en matière de Droit public, une influence sur la situation et les fonctions du cabinet ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui, je vois dans cette loi la dernière étape de la concentration de l’ensemble du pouvoir dans la personne de Hitler et je considère que cette loi est particulièrement importante parce qu’elle a été approuvée d’une manière générale par un plébiscite.

Dr KUBUSCHOK

Est-ce que la loi du 16 octobre 1934 sur le serment que devaient prêter les ministres imposait un devoir d’obéissance des ministres à l’égard du chancelier ? L’évolution a-t-elle touché cette loi également ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui, et cette loi a eu pour conséquence que les ministres, à partir de ce moment-là, tout comme les autres fonctionnaires, étaient liés par les instructions qu’ils recevaient.

Dr KUBUSCHOK

Est-ce que les ministres à ce moment-là avaient encore la possibilité de demander leur démission sur leur propre désir ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Non.

Dr KUBUSCHOK

Est-ce que, par des lois promulguées ultérieurement, les pouvoirs du cabinet ont été encore davantage restreints ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui, je pense à la loi sur le Plan de quatre ans et également à la loi sur le Conseil des ministres pour la défense du Reich.

Dr KUBUSCHOK

Est-ce que les parties importantes de l’activité gouvernementale ont été décentralisées dans des postes spéciaux ? Je pense ici en particulier à la position des Gauleiter, des Commissaires du Reich et des chefs de l’administration civile.

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui, les Gauleiter sont devenus Reichsstatthalter et Commissaires à la Défense du Reich. On créa le Délégué général à l’administration et les délégués généraux à l’Économie et à la Main-d’œuvre.

Dr KUBUSCHOK

Est-ce que la loi sur l’unité du Parti et de l’État du 1e1 décembre 1933 a eu pour conséquence pratique une collaboration entre le Parti et les services de l’État ou alors quelle a été l’évolution réelle ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Celui qui croyait à cette collaboration a été très rapidement et lourdement déçu. Dès l’abord se manifestèrent des contradictions violentes entre les services du Parti et de l’État et je puis dire, en me basant sur mon expérience, qu’une très grande partie du travail devint nécessaire parce que les services de l’État étaient obligés de vaincre l’influence prise par les services du Parti.

Dr KUBUSCHOK

Pour quelle raison et dans quelles conditions proposa-t-on au Reichstag la loi des pleins pouvoirs en mars 1933 ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

La loi des pleins pouvoirs qui, selon son titre, devait remédier à la misère du peuple et du Reich, fut promulguée parce que l’appareil compliqué du Reichstag travaillait trop lentement et parce qu’on était obligé de légiférer rapidement. Mais en promulguant la loi des pleins pouvoirs on avait envisagé une solution passagère seulement ; c’est pour cela qu’on avait limité cette loi à quatre ans. Plus tard, on a constamment renouvelé sa validité.

Dr KUBUSCHOK

Pour quelle raison créa-t-on des tribunaux spéciaux et quelles étaient les particularités de la procédure devant ces tribunaux ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Des tribunaux spéciaux avaient déjà été créés sous le cabinet Brûning en 1933. Ils n’eurent qu’une existence passagère. On les institua à nouveau à ce moment-là parce que, de cette manière, on voulait régler très rapidement les choses qui devaient être résolues rapidement. Cette accélération ne pouvait être atteinte qu’en éliminant les moyens de Droit. Cependant, pour éviter des procédures injustes et des décisions injustes, on prit un certain nombre de précautions : d’abord on facilita, en faveur des accusés, les recours contre les décisions exécutoires ; en second lieu, les instances en nullité furent déférées au Reichsgericht qui pouvait casser le jugement qui avait été prononcé et le remplacer par une décision nouvelle ; enfin, on créa un droit d’appel extraordinaire devant le Reichs-gerieht qui, ainsi, pouvait instituer une procédure entièrement nouvelle. Par ailleurs, un défenseur était commis d’office.

Je puis dire ici que les moyens spéciaux que je viens de mentionner étaient aussi bien en faveur qu’en défaveur des accusés et que ces tribunaux spéciaux constituaient des tribunaux de Droit commun et non pas des tribunaux d’exception. Trois magistrats de profession siégeaient dans ces tribunaux.

Dr KUBUSCHOK

Qu’avez-vous à dire au sujet de la loi du 3 juillet 1934 qui sanctionnait les mesures de Hitler du 30 juin 1934 ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

D’après la déclaration de Hitler et d’après le texte de cette loi, elle concernait exclusivement les SA qui, d’après l’explication plausible qu’avait alors donnée Hitler, avaient l’intention de se révolter. C’est dans cette mesure que cette loi pouvait être absolument justifiée, car la révolte signifiait pour l’État une situation d’exception dans le sens généralement attribué à ce terme en Allemagne. Il en était autrement pour les victimes de ces événements qui ne faisaient pas partie des membres de cette révolte et Hitler déclara qu’en ce qui concernait ces personnes il fallait suivre la procédure normale. En effet, un certain nombre de procès se sont ouverts qui se sont terminés par des condamnations sévères. Dans une série de cas, toutefois, Hitler avait usé du droit de non-lieu qui lui était légalement reconnu, par exemple dans les cas de Klaussner et d’Edgar Jung. A la suite de ces décisions de non-lieu, la Justice n’était plus saisie de ces affaires.

Dr KUBUSCHOK

Est-ce que le ministre de la Justice du Reich Gürtner et vous avez eu, avant la décision relative aux lois de Nuremberg, lors du congrès du Parti, connaissance de ces projets de loi ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Non, personnellement, j’avais déjà quitté le congrès du Parti et n’ai appris l’existence de ces lois qu’au cours de mon voyage, par les journaux ou par la radio. Le ministre de la Justice du Reich, le Dr GUrtner, n’a pas été informé comme il me l’a dit de l’intention qu’on avait de promulguer ces lois.

DrKUBUSCHOK

A quoi correspondait l’exercice de la Justice par le Reich ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Cette mesure a été prise dans le cadre de la centralisation générale. Mais le ministère de la Justice du Reich s’est efforcé lui-même, avec la dernière énergie, d’arriver à cette solution. Les ministères de la Justice des différents Länder avaient presque tous des secrétaires d’État et des ministres nationaux-socialistes et une série d’abus avaient pu être constatés. L’exercice de la justice dans les différents Länder par le Reich a eu pour effet que, dès lors, la justice était entre les mains d’un ministre, qui n’était pas national-socialiste, et de son secrétaire d’État.

Dr KUBUSCHOK

Quels étaient les rapports entre les services du Parti et le ministère de la Justice ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Étant donné que le Reich avait centralisé tous les services de la Justice, il y eut très rapidement une concentration des influences du Parti contre le ministère de la Justice du Reich. Tout d’abord par la voie de la politique du personnel. La situation juridique était la suivante : d’après une instruction du Fuhrer, avant la nomination d’un juge ou d’un fonctionnaire supérieur de la Justice, il fallait consulter le Parti. Le Parti ne s’est pas contenté de donner un avis sur les candidats du ministère de la Justice, mais le Parti a lui-même, avec insistance, lancé des candidats. Étant donné que le ministre, et plus tard moi-même aussi, étions convaincus que le Parti voulait parfois placer des gens qui étaient incapables, nous nous sommes opposés à ces mesures et nous avons tout fait pour que les postes restent vacants. Plus tard, ces postes furent occupés par des hommes qui, à notre avis, étaient compétents.

Nous avons observé à de nombreuses reprises que certains services du Parti dans les procédures civiles se mettaient en rapport avec les juges et voulaient leur faire croire que l’intérêt public commandait telle ou telle décision. Pour soustraire les juges à ces discussions très pénibles, on a promulgué, sur proposition du ministère de la Justice, une loi sur la collaboration du ministère public dans les affaires civiles d’après laquelle les juges pouvaient répondre au Parti, quand ils étaient l’objet de remarques semblables, qu’il lui était loisible de s’adresser au ministère public qui était dès lors habilité à faire valoir l’intérêt public.

Je me souviens d’un cas où Adolf Wagner, qui était à ce moment-là Gauleiter de Munich, me déclara qu’il interviendrait dans une procédure civile, sans être cité, et tiendrait un discours pour convaincre les juges que c’était le membre du Parti qui avait raison dans cette affaire. A ce moment-là, je suis allé trouver l’accusé Hess, sur l’ordre du ministre, et l’ai prié d’essayer d’empêcher Wagner de mettre son dessein à exécution. Il s’est conformé à mon désir.

Un autre moyen d’influencer la justice consistait à critiquer violemment les décisions et les juges qui déplaisaient. On se servait pour cela du journal SS Das Schwarze Korps.

LE PRÉSIDENT

En quoi cela concerne-t-il le cabinet du Reich ?

Dr KUBUSCHOK

En raison de son activité, le témoin connaît la situation au ministère de la Justice. Je me limite à certains cas décisifs qui montrent exactement la situation d’un ministère. Je n’ai plus d’autres questions à poser sur ce point. Je crois aussi que le témoin est à peu près arrivé à la fin de la réponse qu’il était train de donner.

LE PRÉSIDENT

Continuez.

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Le Schwarze Korps a promis à plusieurs reprises de cesser ses diffamations mais n’a pas tenu sa promesse. Le ministre de la Justice a saisi toutes les occasions qu’il avait d’avoir des conférences avec les premiers présidents et les procureurs généraux pour leur dire qu’ils devaient attirer l’attention des magistrats sur leur indépendance, qu’ils devaient repousser toute tentative d’intimidation et, dans les cas difficiles, en rendre compte au ministre.

Dr KUBUSCHOK

Est-ce que le ministère de la Justice est intervenu lorsque des cas de mauvais traitements et d’excès étaient signalés dans les camps de concentration ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

D’après les informations que je possède, le ministre est intervenu dans chaque cas qui à été porté à sa connaissance. Dès l’année 1933, il a chargé deux procureurs délégués au ministère de la Justice de vérifier sur place tous les cas signalés et de les suivre avec beaucoup de soin. Ces enquêtes ont eu lieu et très souvent se sont terminées par des condamnations. A partir de 1939, c’est-à-dire à partir de l’introduction de la compétence spéciale des SS, ces choses ont été soustraites à la compétence du ministère de la Justice.

Dr KUBUSCHOK

Quels étaient les rapports personnels des ministres avec Hitler ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Je crois qu’il y a lieu de faire une disinction ici entre les relations qu’il y avait entre Hitler et les ministres qui étaient membres du Parti et ceux qui ne l’étaient pas. Les ministres qui n’étaient pas membres du Parti étaient très loin de lui et il avait une certaine méfiance envers eux. En ce qui concerne les ministres membre du Parti, je crois que ces relations étaient très variables ; par exemple, je crois que les ministres Rust et Darré étaient bien plus loin de lui que Goebbels et Göring. Même les ministres membres du Parti ne jouissaient pas de la confiance totale de Hitler. Cela s’explique par le fait que certains ministres, membres du Parti, n’ont pas pu, pendant des années, approcher le Fùhrer.

Dr KUBUSCHOK

Est-ce que le cercle des ministres qui jouissaient de la confiance de Hitler était très restreint ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui, à ma connaissance, il était limité à un très petit nombre de personnes.

Dr KUBUSCHOK

Est-ce que le Führer a pris des mesures pour empêcher un travail en commun des membres du cabinet ou même des relations personnelles entre les ministres ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Hitler estimait que les relations fréquentes avec les membres du cabinet n’étaient pas souhaitables. D’ailleurs, depuis 1938, il s’est opposé à tout essai de regrouper les membres du cabinet et il a interdit des réunions, même non officielles, comme par exemple les soirées où l’on se réunissait pour boire.

Dr KUBUSCHOK

Est-ce que le ministre de la Justice Gürtner et vous avez su avant le début de la guerre ou avant le début d’une des actions militaires ultérieures quelque chose au sujet des plans de Hitler ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Non. Je dois faire une remarque à ce propos : j’avais l’intention, à la fin de l’été 1939, d’aller à Marienbad pour une cure. Étant donné que la situation était très tendue, j’ai interrogé le ministre de la Justice à ce sujet et lui ai demandé ce qu’il en pensait. Il m’a répondu à ce moment-là :

« Allez-y tranquillement, je pense qu’il est absolument exclu qu’il puisse y avoir des complications qui entraînent une guerre ». C’est dans ces conditions que je suis allé à Marienbad. J’en suis revenu seulement au mois de septembre lorsqu’il y a eu la guerre.

Dr KUBUSCHOK

Mon interrogatoire est terminé.

Dr KEMPNER

Est-il exact, Docteur Schlegelberger, que les ministres du Reich, c’est-à-dire les membres du Cabinet du Reich, avaient le plus haut rang, la plus grande responsabilité et le traitement le plus élevé de tous les fonctionnaires allemands ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui.

Dr KEMPNER

Est-il exact de dire que la nomination de membre du Cabinet du Reich était un acte tout à fait volontaire,

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui.

Dr KEMPNER

Est-il exact de dire qu’un membre du cabinet de Hitler avait le droit de démissionner s’il n’était pas d’accord avec la politique de ce dernier ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Je crois que non.

Dr KEMPNER

Ne connaissez-vous aucun membre du cabinet ou secrétaire d’État comme vous-même qui ait donné sa démission ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Un ministre a démissionné.

Dr KEMPNER

Quel était son nom ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Eltz von Rübenach.

Dr KEMPNER

Connaissez-vous un secrétaire d’État qui ait donné sa démission ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Je ne me souviens pas.

Dr KEMPNER

Et vous, Docteur Schlegelberger, n’avez-vous pas donné votre démission ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Il n’est pas si simple que cela de donner une réponse à cette question.

Dr KEMPNER

Quand avez-vous quitté votre service ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

J’ai été renvoyé par le Fuhrer en août 1942.

Dr KEMPNER

Est-il exact de dire que vous avez dû démissionner parce que vous ne meniez pas la politique que le Fuhrer voulait appliquer aux magistrats ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui, c’est exact.

Dr KEMPNER

Et maintenant, vous souvenez-vous que le ministre de l’Économie, le Dr Kurt Schmitt, a donné sa démission ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Je ne sais pas personnellement si le ministre Schmitt a démissionné ou s’il a été renvoyé.

Dr KEMPNER

Eh bien, je vais vous rafraîchir la mémoire et je vais vous montrer un affidavit. C’est un nouveau document, très court, que je soumets au Tribunal : le document 922.

Dr KUBUSCHOK

J’élève une objection contre la présentation de cet affidavit. Cette déclaration sous la foi du serment traite de questions touchant au départ de ce témoin. Ces questions lui conviennent et leurs réponses l’intéressent directement. Je crois que si l’on soulève cette question qui, à mon avis, n’est pas très importante pour les preuves que nous traitons, nous ne pourrons pas empêcher que le témoin qui a signé cette déclaration soit cité ici. Il habite Munich. Je ne crois pas non plus que cette déclaration puisse constituer une vérification du crédit à prêter au témoin Schlegelberger. Il n’est nullement obligatoire que les circonstances qui accompagnent la démission d’un ministre soient connues d’un sous-secrétaire d’État d’un autre ministère. Le témoin a déclaré qu’il ne savait rien de plus sur ce point. J’estime donc que le but du contre-interrogatoire de mettre en lumière le crédit à accorder à ce témoin n’est pas atteint par la présentation de ce document.

LE PRÉSIDENT

Docteur Kempner, le Tribunal estime que vous devez porter à la connaissance du témoin les faits relatifs à cette démission. M’avez-vous entendu ?

Dr KEMPNER

Vous savez qu’un autre ministre, le Dr Kurt Schmitt, ministre de l’Économie, a donné sa démission ? Vous en souvenez-vous maintenant ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui, je m’en souviens, mais je ne sais pas s’il a démissionné ou s’il a été renvoyé. C’est cela que j’ignore.

Dr KEMPNER

Savez-vous que le ministre Schmitt a donné sa démission parce qu’il savait que la politique de Hitler mènerait à la guerre ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Cela m’est inconnu.

Dr KEMPNER

Bien. Passons à un autre chapitre. Est-il exact que le Cabinet du Reich devint un organe législatif de l’Allemagne nazie grâce à la loi des pleins pouvoirs ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui, par la loi des pleins pouvoirs.

LE PRÉSIDENT

Un instant, Docteur Kempner, le Tribunal pense que vous pouvez soumettre la première partie de cet affi-davit au témoin.

Dr KEMPNER

Je reviens à la question de la démission du ministre Schmitt et je vous demande si la déclaration suivante est exacte :

« En ma qualité de ministre de l’Économie, j’ai été membre du Cabinet du Reich du 30 juin 1933 jusqu’au début de janvier 1935. Puis j’ai donné ma démission de ce cabinet, officiellement pour des raisons de santé, le 28 juin 1934, mais en fait en raison de profondes divergences d’opinion avec la politique du cabinet de Hitler. »

Le saviez-vous, Docteur Schlegelberger ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Je ne puis que répéter ceci : je sais que M. Schmitt était ministre du Cabinet du Reich et qu’il a quitté le cabinet. Je ne sais pas comment il l’a quitté, s’il a été renvoyé, s’il a exprimé le désir d’être renvoyé ou s’il est parti pour raisons de santé, ou encore à la suite de divergences d’opinion.

Dr KEMPNER

Mais, maintenant, vous êtes d’accord avec moi sur le fait qu’il y a deux ministres qui ont donné leur démission et qui n’ont été ni assassinés ni mis dans un camp de concentration pour cela ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui, c’est certainement exact.

Dr KEMPNER

Cela répond à ma question. Est-il vrai que le Cabinet du Reich a continuellement exercé ses pouvoirs législatifs ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui.

Dr KEMPNER

Est-il exact que le Cabinet du Reich a eu plus de cent réunions et promulgué de nombreuses lois ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui.

Dr KEMPNER

Est-il exact que le cabinet a continué à proposer et à promulguer des lois, même en dehors de ses réunions, en faisant circuler les projets de lois parmi ses membres ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Il est exact que, lorsqu’il n’y a plus eu de réunions du cabinet, les lois et décrets étaient décidés simplement en faisant circuler les projets parmi les membres.

Dr KEMPNER

Maintenant savez-vous combien de lois ont été promulguées par le Gouvernement du Reich en utilisant ce dernier procédé, pour l’année 1939 ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Non, je ne peux pas le dire.

Dr KEMPNER

Si je vous dis qu’en 1939 seulement le Cabinet du Reich a promulgué les lois suivantes...

LE PRÉSIDENT

Docteur Kempner, vous pouvez donner les faits vous-même.

Dr KEMPNER

Si je vous dis que pour l’année 1939 seulement, soixante-sept lois ont été promulguées, direz-vous que c’est exact ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Je l’admets sans difficulté. Si M. Kempner le dit, je suppose que c’est exact.

Dr KEMPNER

Savez-vous que le Cabinet du Reich avait aussi le devoir d’approuver le budget du Reich ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui.

Dr KEMPNER

Prétendez-vous que les membres du Cabinet du Reich étaient informés des choses qui se passaient en Allemagne, du fait qu’ils devaient approuver les projets de budget de tous les ministères ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Je crois qu’on pouvait déduire des quantités de choses du budget, mais pas absolument tout.

Dr KEMPNER

Savez-vous que le Cabinet du Reich.

LE PRÉSIDENT

Vous passez un peu trop vite à la question suivante. Nous n’avons pas entendu la réponse. Vous avez dit, témoin, qu’on arrivait à déduire du budget... Pouvez-vous répéter la réponse, s’il vous plaît ?

Dr KEMPNER

Voulez-vous répéter la réponse à la dernière question ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Je crois pouvoir déduire quantité de choses du budget du Reich, mais pas absolument tout.

DrKEMPNER

Vous savez que le budget du Reich avait des chapitres spéciaux pour les camps de concentration ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Non, je ne le sais pas.

Dr KEMPNER

Lorsque vous étiez chargé des affaires du ministère de la Justice, aviez-vous affaire avec la législation antijuive ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Je crois que pendant la durée de mon activité il y a eu une loi ou un décret à ce sujet, en 1941. Ce texte, pour autant que je m’en souvienne, concernait les locations intéressant les Juifs.

Dr KEMPNER

Vous souvenez-vous avoir fait vous-même une proposition de loi avec l’accusé Frick afin de stériliser tous les demi-Juifs en Allemagne et dans les territoires occupés ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Non, je n’ai pas souvenir de cela.

Dr KEMPNER

J’aimerais alors vous montrer une lettre qui fait partie de dossiers officiels et qui porte vos initiales. Il se peut que vous puissiez vous rafraîchir la mémoire en lisant cette lettre. Je la dépose sous le numéro USA-923. Vous souvenez-vous maintenant d’avoir apposé votre signature au bas de ce terrible document ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui, je m’en souviens.

DrKEMPNER

Vous souvenez-vous que le Parti et l’accusé Frick ont proposé de stériliser tous les Juifs et tous les demi-Juifs ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui.

Dr KEMPNER

Et vous souvenez-vous que les divers membres du cabinet, tels par exemple que l’accusé Göring, chef du Plan de quatre ans, le ministre de l’Intérieur, Dr Frick, en la personne de son secrétaire d’État, et le ministère des Affaires étrangères, en la personne du sous-secrétaire d’État Luther, ont reçu des copies de ce projet ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui-.

Dr KEMPNER

Et vous souvenez-vous — page 1 de ce document — que ce document et le projet de loi tendant à stériliser tous les Juifs et demi-Juifs devaient être soumis à Hitler ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Je n’ai pas entièrement compris la question.

Dr KEMPNER

Vous souvenez-vous que la proposition que vous aviez faite avec M. Frick devait être soumise à Hitler ? Oui ou non ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Monsieur le Docteur Kempner, je vous prie de m’excuser, mais je n’ai pas encore compris entièrement la question. Je ne vois pas très bien ce que je dois me rappeler.

Dr KEMPNER

Votre proposition devait-elle être soumise à Hitler ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui, je crois.

Dr KEMPNER

Et vous rappelez-vous ce que Hitler a dit à ce propos ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Non. Je ne me le rappelle pas.

Dr KEMPNER

Est-il exact que votre secrétaire d’État Freisler vous ait dit que Hitler ne désirait pas alors ces mesures rigoureuses du Gouvernement du Reich et qu’il souhaitait en reporter l’application après la guerre ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Je n’en ai pas souvenir.

Dr KEMPNER

Vous regrettez profondément la signature que vous avez apposée au bas de cette lettre ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Je peux répondre par l’affirmative, mais je veux ajouter encore qu’à ce moment-là il y avait déjà eu une lutte très sévère pour arriver à cette restriction.

Dr KEMPNER

Et vous regrettez profondément ces crimes n’est-ce pas ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Je regrette beaucoup d’avoir signé ce document.

Dr KEMPNER

Je vous remercie. J’en ai terminé.

M. RUDOLF DIX (avocat de l’accusé Schacht)

Monsieur le Président, je prie le Tribunal de bien vouloir me permettre de poser trois questions au témoin, du fait que ces questions ont été soulevées au cours de l’interrogatoire contradictoire de M. le Dr Kempner, que la réponse à la question concerne directement l’accusé Schacht et la déposition qu’il a faite, que l’on traite maintenant de l’accusation élevée contre le Gouvernement du Reich et que le Tribunal sait qu’à cette époque Schacht était membre de ce Gouvernement. C’est la raison pour laquelle je vous prie de me permettre d’interroger le témoin, bien que je ne sois pas défenseur d’une organisation.

LE PRÉSIDENT

Continuez.

Dr DIX

Monsieur le Docteur Schlegelberger, est-ce qu’il fallait la signature de Hitler pour le renvoi d’un ministre ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui.

Dr DIX

Vous souvenez-vous que ce n’est pas immédiatement après 1933, mais plus tard, peut-être seulement pendant la guerre, que Hitler a interdit expressément que des ministres du Reich présentent des demandes de démission ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

A ce sujet, je puis faire la remarque suivante : on a publié une ordonnance qui a modifié le statut des fonctionnaires allemands. Selon le statut des fonctionnaires, chaque fonctionnaire a le droit de démissionner. Ce droit a été supprimé pendant la guerre. Il a été ordonné que la démission ne devait pas nécessairement être accordée, et à mon avis, c’est en poursuivant la même idée que Hitler a effectivement refusé d’accepter les demandes de démission des ministres.

Dr DIX

Maintenant, une troisième et dernière question. Monsieur le secrétaire d’État, à la question que vous a posée M. le Dr Kempner au sujet du départ de l’ancien ministre Eitz von Rübenach, vous avez répondu que Eitz avait démissionné. Pour contrôler et vérifier vos souvenirs, je puis attirer votre attention sur le fait que nous avons entendu ici Göring déclarer à la barre des témoins quelque chose de différent qui corrobore d’ailleurs la déclaration de Schacht. Je n’ai pas ici à ma disposition la déposition de Göring, et je ne puis en parler au témoin que de mémoire, mais je crois que je présenterai cette déclaration d’une manière exacte dans sa substance en disant que le départ de Eltz a eu lieu à l’occasion de l’annonce de la décoration de certains ministres de l’insigne d’or du Parti, parmi lesquels Eltz. Lorsque Hitler, avec la conscience de faire plaisir à ses ministres, lui eût remis l’insigne d’or du Parti, Eltz sursauta et demanda si, en acceptant cet insigne, il prenait certains engagements en ce qui concernait son attitude envers l’Église. Hitler se serait fâché, ce qui aurait amené le départ d’Eltz. Mais on ne peut pas dire que ce départ eût été motivé par une demande de démission due à une pure initiative d’Eltz. Je crois avoir ainsi donné, du moins en ce qui concerne sa substance, une reproduction exacte de la déclaration faite par Göring.

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Je ne connaissais ces événements que par des rapports qui m’étaient faits d’un autre côté ; et, personnellement, je n’ai pas assisté à cet événement. Rien ne me permet de supposer que l’accusé Gôring, qui était présent, puisse avoir des raisons de décrire ces faits autrement qu’ils n’ont eu lieu en réalité.

Dr DIX

Monsieur le secrétaire d’État, vous dites que vous ne connaissez ces faits que par des rapports, les rapports oraux de M. Gürtner, par exemple.

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Oui.

Dr DIX

Mais est-ce que vous avez un souvenir assez précis de ces rapports ou est-ce que vous venez de vous rafraîchir la mémoire pour la première fois ?

TÉMOIN SCHLEGELBERGER

Je me souviens confusément maintenant après ce que vous venez de me dire, que, d’après une déclaration de M. Gürtner, M. Eltz von Rübenach a fait valoir un certain nombre de desiderata à propos de l’Eglise catholique, et que c’est la raison pour laquelle le Fùhrer a été mécontent, et que c’est cette raison qui a motivé la suite. Je ne puis donc que répéter que je n’ai aucune raison de douter de l’exactitude des déclarations des témoins oculaires de la scène.

Dr DIX

Je vous remercie, je n’ai pas d’autres questions à poser.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal lève l’audience.

(L’audience sera reprise le 3 août 1946 à 10 heures.).