CENT QUATRE-VINGT-QUATORZIÈME JOURNÉE.
Samedi 3 août 1946.
Audience du matin.
(Le témoin Schlegelberger est à la barre.)Docteur Siemers, vous avez une requête à présenter, je crois. Ne vous a-t-on rien dit à ce sujet ?
Non.
Vous vouliez adresser une requête aux fins de citation du témoin vice-amiral Bürkner, et une demande pour que vous puissiez lui rendre visite. Une demande concernait également l’admission de trois documente : le Taschenbuch der Kriesgflotten des armées 1908 à 1914, le Jahrbuch für Deutschlands Seeinteressen (Nauticus) des années 1906, 1912 et 1914, et enfin un ouvrage historique sur la Marine allemande ?
Oui, c’est exact, Monsieur le Président ; j’ai en effet adressé ces requêtes à M. le Secrétaire général, et ceci dans des buts d’information.
Cette demande semble parvenir très tard, à môme qu’il n’y ait des raisons spéciales. Le Tribunal a déjà fait remarquer qu’il ne se propose d’admettre des requêtes pour des témoins et des documents que pour des raisons très spéciales. C’est pourquoi nous aimerions vous entendre pour savoir quelles sont ces raisons spéciales.
Monsieur le Président, je ne peux pas savoir encore dans quelle mesure cela sera nécessaire dans le cadre de l’exposé des preuves concernant l’État-Major général. Je voulais étudier certains détails et c’est pourquoi j’avais fait ces demandes. Je suppose et je crois que je n’aurai pas besoin d’adresser de requête au Tribunal, mais je demande qu’on me laisse la possibilité de me renseigner utilement au cours du Procès.
Vous voulez entreprendre un voyage assez long pour aller voir l’amiral Bürkner avant qu’on ne sache si son témoignage est nécessaire ?
Autant que je le sache, l’amiral Bürkner est à Ansbach.
N’est-il pas exact que le vice-amiral Bürkner était ici lorsqu’il a été convoqué pour venir témoigner pour l’accusé Jodl, qu’il n’a pas été appelé et a, de ce fait, quitté Nuremberg par la suite ?
Monsieur le Président, j’espère aussi que ce ne sera pas nécessaire. L’exposé des preuves de l’État-Major général a seulement commencé devant la commission, et il est possiible que j’aie encore quelques questions à poser. Ce sont là des choses qui ne se sont pas produites au cours des exposés des preuves pour les accusés individuels.
Le Tribunal examinera votre requête.
Puis-je encore ajouter, Monsieur le Président, que j’avais demandé précédemment et qu’il m’avait été dit par le Secrétariat général qu’il n’y aurait de sa part aucune difficulté. Si je désirais parler au vice-amiral Bürkner, je pouvais le faire. De sorte que je ne pensais pas à ce moment que cela amènerait des difficultés aussi grandes. Je prie le Tribunal de bien vouloir, si possible, m’accorder cette possibilité.
Le Tribunal examinera la question. Le défenseur du Cabinet du Reich désire-t-il procéder à un second interrogatoire de ce témoin ?
Témoin, hier on vous a présenté une lettre émanant de vous et adressée au Dr Lammers, ministre du Reich. Comment en êtes-vous arrivé à rédiger cette lettre ?
De cette lettre adressée au ministre Lammers, je déduis les choses suivantes : le 6 mars, à la demande du service de la race des SS, a eu lieu une conversation sur le traitement des demi-Juifs. Où cette discussion a-t-elle eu lieu, je ne le sais pas aujourd’hui, mais en tout cas elle n’a pas eu lieu au ministère de la Justice. Lors de cette conversation, on a fait des propositions que je considérais comme tout à fait irréalisables. Des demi-Juifs devaient, sans aucune différence, être traités comme des Juifs et parqués dans des camps de travail en Pologne. Pour éviter des décisions que je considérais comme absolument intolérables, je me suis adressé au ministre du Reich Lammers. J’ai déjà spécifié ici que le ministère de la Justice ne s’occupait pour ainsi dire que superficiellement de ces questions, c’est-à-dire du seul fait qu’à l’occasion de ces projets on proposait par exemple un divorce forcé ; c’était une mesure qui était certainement très grave mais qui, au point de vue du problème général, n’était qu’une question secondaire.
Hier, on vous a également présenté une lettre émanant de vous, du 5 avril 1942, adressée à différentes formations du Parti. Le contenu de cette lettre paraît être en rapport avec cette discussion du 6 mars dont vous parlez. Pouvez-vous nous donner quelques détails sur les rapports de cette lettre avec la discussion ?
Quand je considère ces deux lettres, je ne puis constater qu’une chose : vraisemblablement, je n’avais pas trouvé auprès du ministre Lammers l’appui nécessaire. Mais je voulais absolument en arriver à faire échouer ce projet. Je m’aperçus que, par une pure négation, je n’arriverais pas à quelque chose et qu’il me fallait faire des proposition positives qui m’amenèrent à réduire autant que possible le nombre des gens qui seraient atteints par cette mesure. C’est pourquoi je proposai d’exclure absolument de ces mesures, premièrement les demi-Juifs de second degré, c’est-à-dire les demi-Juifs qui n’avaient seulement qu’un grand-parent non aryen. En second lieu, je proposai d’exclure des demi-Juifs du premier degré, ceux qui ne pouvaient pas prouver leur ascendance aryenne et, troisièmement, des demi-Juifs de premier degré qui avaient des parents encore vivants qui n’étaient pas eux-mêmes demi-Juifs. Il ne restait donc qu’un cercle étroit de demi-Juifs de premier degré. Je proposai de donner à ces personnes la possibilité de leur éviter une déportation en se faisant stériliser. Ensuite, j’ai contesté la question du divorce forcé. Je répète encore ici aujourd’hui ce que j’ai dit hier pour conclure. Je regrette profondément de n’avoir pu, en raison des compétences d’alors et de l’équilibre des forces qui jouaient à ce moment-là, faire une proposition meilleure.
lots de votre contre-interrogatoire, on vous a parlé de la démission de l’ancien ministre de l’Économie, le Dr Schmitt. Est-il exact que la démission de Schmitt fut la conséquence d’une maladie de plusieurs mois et qu’il était devenu incapable de travailler à la suite d’un malaise qu’il avait eu au cours d’une réunion et qu’en conséquence sa démission aurait été uniquement ’due à ce motif absolument personnel ?
C’est ainsi qu’on me l’a raconté.
Je vous remercie. Je n’ai pas d’autre question.
Témoin, vous rappelez-vous vos lettres au Dr Lammers, que je crois être du 6 mars et du 6 avril 1942, et au sujet desquelles on vient de vous poser des questions ?
Je me souviens de ces lettres.
Je crois vous avoir bien compris : à votre avis, les conditions dans les camps de travail en Pologne étaient telles qu’il était préférable pour tous les demi-Juifs de se faire stériliser plutôt que d’être envoyés dans ces camps ?
C’est mon avis.
Le témoin peut se retirer. (Le témoin quitte la barre.)
Je donne la parole au Dr Peickmann, avocat des SS.
Plaise au Tribunal. Avant que le Dr Peickmann n’appelle ses témoins, j’aurais une requête à adresser au Tribunal à propos du témoin Sievers qui a déposé devant la commission.
Hier, environ seize nouveaux documents de très grande importance sont parvenus à Nuremberg. Ils proviennent des archives de Himmler. Certains de ces documents sont des lettres écrites par ce témoin Sievers et toutes parlent de l’« Ahnenerbe » qui faisait partie des SS. C’était un institut de recherche des SS dont Sievers était le chef.
Ces documents parlent aussi ’de l’institut de recherches scientifiques dans le but de la guerre. Ma requête consiste à vous demander de pouvoir interroger Sievers devant le Tribunal au sujet de ces documents. Je fais cette demande parce que ces documents sont très importants ; leur contenu devrait figurer, ’d’après moi, au procès-verbal, et ces documents devraient être présentés à Sievers personnellement. A mon avis, ils contredisent tout à fait les déclarations de Sievers devant la commission, et je crois que le Tribunal aimerait entendre Sievers à ce sujet. J’espère en tout cas déposer ces documents. Je ne crois pas que nous ’aurions besoin de beaucoup de temps pour les présenter directement au témoin.
Vous parlez d’un témoin qui vient de comparaître devant la commission ?
Oui, Monsieur le Président.
Il n’a pas été entendu devant le Tribunal et personne n’a encore demandé sa comparution ?
Non, Monsieur le Président.
Est-il toujours à Nuremberg ?
Oui, Monsieur le Président.
N’est-ce pas un des témoins qui a été accordé au Dr Peickmann ?
Non, c’est un témoin supplémentaire.
Je vois.
Le Dr Peickmann est hostile à ma requête.
Très bien. Nous allons maintenant vous entendre à ce sujet, Docteur Peickmann.
Monsieur le Président, je regrette d’être obligé de réfuter la requête du Ministère Public sur l’acceptation du contre-interrogatoire du témoin Sievers. Je tiens à spécifier que je ne veux pas par là empêcher l’éclaircissement de l’ensemble de l’accusation portée contre les SS et les explications nécessaires des reproches adressés à Sievers. Mes motifs sont d’un tout autre ordre : en aucun cas le contre-interrogatoire ne devrait avoir lieu maintenant devant le Tribunal. Sievers ne fait pas partie des témoins que j’ai moi-même cités devant le Tribunal. Par ailleurs, le contre-interrogatoire ne devrait avoir lieu que devant la commission. Il me faut me dresser contre ces raisons d’être, et cela pour des seuls motifs de procédure. Le Ministère Public, depuis des mois sinon depuis des années, dispose d’un matériel de preuves considérable. Tout a été confisqué. Et il dispose d’organisations étendues telles que CIC et le service ’die renseignements qui lui ont permis d’entendre les témoins qui se trouvent dans des camps depuis plus d’un an. Il a eu ainsi toutes possibilités pour préparer le contre-interrogatoire devant la commission. A mon avis, il est inadmissible que le Ministère Public, malgré ces avantages extraordinaires qui lui échoient vis-à-vis de la Défense, puisse maintenant poursuivre l’exposé des preuves devant la commission.
Je retirerais mon objection si la requête que j’ai faite depuis plusieurs mois était enfin admise, qui m’autoriserait à examiner l’ensemble des documents des Alliés pour y trouver des preuves à décharge. Je considérerais que ce serait loyal si le Tribunal accédait à la demande du Ministère Public. Je serais enfin en mesure de déposer des preuves à la décharge des accusés. Je retire mon objection si l’on m’autorise, sur la base de ces documents à décharge que j’aurai pu trouver, à poursuivre devant la commission l’interrogatoire des témoins comme le Ministère Public le demande lui-même pour le témoin Sievers. On peut constater que le Ministère Public seul, par un examen approfondi, des preuves dans les centres de documents, a pu accumuler les charges. Voudrait-on refuser à la Défense la seule possibilité qui lui reste, cette seule chance, de trouver des preuves pour décharger les accusés ?
Monsieur le Président, avant que le Tribunal déride sur cette requête, je voudrais donner encore une explication : c’est la seconde fois au moins que le Dr Peickmann se plaint d’un préjudice subi par la Défense en raison de l’interdiction de l’accès à la salle de documentation. J’aimerais éclaircir ce point. Nous savons ce qu’il y a dans cette salle de documentation et nous savons pertinemment qu’il n’y a aucun document qui contredit en quoi que ce soit l’une des preuves déposées devant ce Tribunal. Si c’eût été le cas, nous n’eussions pas manqué de le communiquer au Tribunal et aux accusés. Je crois qu’il est juste de préciser que nous n’apprécions guère à cette heure cette supposition de la Défense.
Puis-je ajouter quelque chose ? Dans mon livre de documents, si M. le représentant du Ministère Public le pense ainsi, se trouvent des documents que j’ai trouvés soit dans des’ archives écrites qui n’ont pas encore été saisies, soit que j’ai pu trouver par l’intermédiaire de M. le Secrétaire général, avec l’autorisation du Tribunal. Mais je tiens à vous dire que je ne suis pas du tout en mesure de produire des documents tels que le Tribunal les demande, si on ne m’autorise pas au préalable, ainsi que le fait le Ministère Public, à contrôler et à examiner ce matériel de preuve. Et c’est le point important. Et à propos de ces organisations, nous avons vu combien le Ministère Public, à la différence de la Défense...
Docteur Peickmann, vous venez de nous le dire et nous comprenons parfaitement votre point de vue.
Le Tribunal fait droit à cette requête : le témoin comparaîtra ici pour être interrogé. Ce témoin a déjà déposé devant les commissions ; le Tribunal estime que sa déposition doit être complétée et étalée au grand jour devant lui. Comme ces documents viennent juste de parvenir au Ministère Public, le Tribunal estime qu’il serait juste de les présenter au témoin ; cette façon d’agir semble la plus rapide et la plus conforme à notre but.
Quant à l’objection du Dr Peickmann aux termes de laquelle la Défense n’aurait pas été traitée avec loyauté dans la consultation des ’documents, le Tribunal estime qu’elle est sans fondement. Il ne serait pas normal d’autoriser la Défense à pouvoir trier les milliers de documents qui sont entre les mains du Ministère Public. Si la Défense a besoin de certains documents, toute latitude lui sera laissée pour les voir. J’ai déjà dit que tout document susceptible d’aider la Défense devra être mis à sa disposition. C’est la pratique de la procédure anglaise et M. Dodd a dit que s’il y avait des documents susceptibles d’aider la Défense dans la salle de documents du Ministère Public, ces documents seraient mis à la disposition de la Défense.
Je voudrais encore ajouter, Monsieur le Président, que je n’ai pas dit que la Défense n’avait pas été traitée avec loyauté, mais...
Docteur Peickmann, je vous explique pourquoi le Tribunal ne croit pas qu’il soit possible que les avocats puissent consulter librement les documents dans la salle de documents du Ministère Public.
Vous pouvez maintenant faire venir vos témoins.
J’appelle le témoin baron von Eberstein. (Le témoin gagne la barre.)
Quel est votre nom ?
Friedrich Karl, baron von Eberstein.
Voulez-vous répéter ce serment après moi :
« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète la formule du serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Je vous serais reconnaissant, Monsieur le Président, de bien vouloir régler la traduction de telle sorte que les termes techniques, les désignations de fonctions et ’de personnes soient données dans leur original, en allemand, étant donné que lors des traductions il arrive très fréquemment qu’il y ait des confusions. Dans l’organisation des SS, il y a tellement de désignations différentes qu’elles sont difficiles à rendre dans une traduction.
Le Tribunal estime qu’il serait plus pratique de donner le terme en allemand et en anglais, ou en l’une des autres langues.
Témoin, étiez-vous avant 1933 et après 1933 membre des Allge’meine SS ?
Oui.
Êtes-vous entré dans les Allgemeine SS en 1928 ?
Oui.
Témoin, je vous prierai, après chaque question, de bien vouloir faire une pause, de même que je m’efforcerai de le faire moi-même, après chacune de vos réponses.
Est-ce qu’en 1928 les SS avaient un chef propre, ou bien étaient-elles sous les ordres du chef des SA ?
En 1928, les SS dépendaient de la direction principale des SA. Le chef d’état-major était alors un capitaine von Pfeffer. Himmler n’était pas encore Reichsfûhrer SS. Les SS étaient dirigées par un certain Heid qui ’dépendait du chef d’état-major.
Cependant, les SS formaient déjà une organisation particulière ?
Oui. Elles étaient rassemblées avec les SA sous les ordres du Commandant en chef des SA.
Faisiez-vous partie des S.S à titre honorifique, c’est-à-dire à côté de votre profession, ou bien en faisiez-vous partie d’une façon principale ?
J’en faisais partie à côté de mes fonctions. J’étais fonctionnaire de l’État depuis 1934.
En votre qualité de chef des SS, vous n’aviez donc aucun traitement ?
Non, je n’avais que mon traitement de fonctionnaire. Avant 1933, j’ai vécu d’abord de ma fortune. Ensuite, j’ai eu mon traitement auquel s’ajoutaient mes frais de voyage qui étaient remboursés. J’ai touché enfin des frais de représentation à raison de 150 RM par mois.
Votre traitement, si je vous ai bien compris, vous le touchiez en qualité de fonctionnaire d’État ?
Oui.
Et vous n’aviez qu’une certaine indemnité pour les dépenses que vous aviez à l’occasion de votre service dans les SS ?
Oui.
Pour quel motif vous êtes-vous décidé à entrer dans les SS ?
En ce temps-là, en 1928 et 19, on m’a demandé d’entrer dans les SS, étant donné que j’étais depuis quelques années déjà dans le Parti et que l’on attachait de la valeur à ma collaboration. Je suis entré volontiers dans les SS.
Avez-vous fait la première guerre ?
Oui, j’ai fait la guerre mondiale comme officier.
Quel était votre grade en 1930 dans les SS ?
En 1930, j’étais Sturmfûhrer et Stan’diartenadjutant.
Quel était votre grade en 1933 ?
En 1933, j’étais SS-Gruppen-fùhrer.
Avez-vous pu, à la. suite de votre activité, vous rendre compte de l’activité et des buts que poursuivaient les SS, avant et après 1933 ?
Oui.
Vous faites partie de la noblesse allemande, témoin ?
Oui.
Même dans les pays démocratiques, on suppose que la noblesse fait partie des couches honnêtes de la population. Comment se fait-il que vous ayez fait partie d’une organisation qui, d’après les déclarations du Ministère Public, est à considérer comme criminelle ?
J’ai suivi la tradition de ma famille et j’ai toujours travaillé pour ma patrie. En entrant dans le Parti ou dans les SS, j’ai trouvé que je remplissais le devoir que j’avais à remplir envers ma patrie. Du reste, avant 1933 déjà, une certaine quantité d’aristocrates et de membres de la noblesse étaient entrés dans les SS, par exemple le prince de Waldeck, le grandi duc héritier de Mecklenburg, etc.’
Après 1933, cela n’a fait que se confirmer ?
Oui, après 1933, un prince de Hohenzollem-Sigmaringen, le duc héritier de Braunschweig, le prince héritier de Lippe-Biesterfeld, le général comte von der Schulen’burg et beaucoup d’autres ont adhéré aux SS.
Savez-vous si l’archevêque Grober de Fri-bourg a été membre actif des SS ?
Oui, je le sais.
Je prie le Tribunal de bien vouloir se référer au document 45. Je déposerai ces documents plus tard. Pensez-vous, sur la base des expériences que vous avez pu faire alors, que l’adhésion de personnes aussi importances ait pu influencer d’autres couches de la population en Allemagne ?
La dasse bourgeoise de notre population, sans aucun doute.
Je pense à une influence qui amènerait les gens à se dire : « Si ces gens font partie des SS et s’intéressent aux buts poursuivis par cette organisation, il semble que ses buts soient bons et légitimes ». Comprenez-vous cela dans ce sens ?
Oui ; de toute façon je suis d’avis, et c’est aussi l’avis de mes .camarades, que nous n’avons jamais pu penser ni admettre que notre organisation avait des buts criminels.
Est-ce que les SS, précisément avant 1933, n’ont pas commis des actes de violence, et cela ne faisait-il pas partie des buts qu’elles poursuivaient ?
Non. Comme son nom l’indique, « Schutzstaffel », « troupe de protection », cette organisation du Parti avait été créée pour protéger les personnalités dirigeantes. Du reste, je tiens à vous dire que précisément en 1933, lors du procès qui eut lieu contre les officiers de la Reichswehr, Hitler jura que sa révolution était uniquement spirituelle et qu’il prendrait le pouvoir en Allemagne par des voies légitimes. C’est ce qu’ont démontré les élections et c’est ainsi qu’il est devenu Chancelier du Reich.
Décrivez-nous, s’il vous plaît, l’activité des SS, par exemple en 1930, lorsque vous vous trouviez en Thuringe. Donnez-nous des chiffres’ d’adhésions et autres détails.
Ainsi que je vous l’ai dit, les SS furent créées en Thuringe en 1928-19. Jusqu’au jour du congrès du Parti en 1929, nous avions en tout en Thuringe 45 à 50 hommes dans les SS. Au congrès, les SS de toute l’Allemagne représentaient environ 700 membres. En 1930, il y eut des luttes électorales en Thuringe qui exigèrent une présence constante de ces quelques hommes pour la protection des orateurs. On ne peut parler d’un service autre que celui qui consistait à protéger ces personnes. On a lancé quelques appels faisant connaître à ces SS l’orateur qu’ils devaient accompagner. La nécessité de cette protection était provoquée par la lutte politique particulièrement âpre à ce moment, et nous étions heureux si nos hommes regagnaient le soir leur quartier sans être blessés.
Quelles étaient les proportions de vos effectifs avec les autres formations du Parti ? Je vous prie de parler lentement, témoin ; je m’aperçois que les interprètes ont du mal à vous suivre.
Je vous demande pardon. Les SS étaient de loin la plus petite branche du Parti. Aux termes d’une décision de la direction des SA, elles ne devaient pas constituer plus de 10% des effectifs des SA.
Où vous trouviez-vous en 1933 ?
En 1933 j’étais à Weimar, en Thuringe.
Et qu’y faisiez-vous ?
J’étais chef du SS-Oberabschnitt du centre, c’est-à-dire de l’Oberabschnitt le plus important.
Combien de SS aviez-vous sous vos ordres ?
Après la prise du pouvoir, de 10.000 à 15.000.
Sur quelle étendue ces hommes étaient-ils répartis ?
Il y avait la Saxe, la Thuringe et la province prussienne de Saxe.
Comment peut-on expliquer qu’à l’époque le nombre des SS ait tellement augmenté ?
Cette augmentation s’explique tout d’abord par le fait que le Gouvernement national-socialiste avait pris le pouvoir et qu’en conséquence un grand nombre de personnes voulaient manifester leur loyauté vis-à-vis du nouvel État. Puis, du fait qu’après mai 1933 le Parti avait limité le nombre de ses membres, beaucoup essayèrent de le rejoindre par ses associations affiliées, les SS et les SA. Je crois aussi que pour d’autres ce fut la joie du sport et la camaraderie qui les attirèrent plus que le point de vue politique. Les motifs étaient très divers.
Mais, après cette période d’accroissement rapide, pratiqua-t-on un triage sévère des membres ? Et n’aecrut-on pas la sévérité des conditions d’admission telles qu’une réputation intacte, une vie exemplaire, des aptitudes professionnelles sérieuses ?
Oui. Aux environs de février ou mars 1934, Himmler demanda un examen supplémentaire de tous les membres qui étaient entrés dans l’organisation en 1933. Il exigea qu’ils fussent examinés sévèrement une fois de plus. Cette opération s’étendit jusqu’à l’année 1935. 50.000 à 60.000 membres furent renvoyés des SS pour l’ensemble du Reich.
Était-il nécessaire d’être membre du Parti pour entrer dans les Allgemeine SS ?
Non, en aucun cas. Je l’ai déjà dit tout à l’heure.
S’il n’était pas nécessaire d’être membre du Parti, peut-il être exact que les SS, ainsi que le prétend le Ministère Publie, aient constitué le noyau du régime nazi, une troupe de conspirateurs idéologiques dont on. puisse conclure qu’ils ont, dès la prise du pouvoir, imposé les conditions et les règles du nazisme ?
Le noyau du régime était le parti politique, c’est-à-dire les détenteurs de souveraineté, qui avaient reçu l’ordre de Hitler de diriger. C’était un privilège auquel ils devaient se tenir jusqu’à la fin. Voilà quel était le noyau du régime. Dans les SS, on s’est tenu avant tout au choix.
Sur quoi se basait-on pour faire ce choix ?
Ce choix exigeait un certificat de bonne vie et mœurs. Il demandait que les gens pussent établir qu’ils avaient une vie convenable et remplissent leur devoir au point de vue professionnel. Nous n’aurions pas pris des chômeurs ou des gens qui ne voulaient pas travailler. C’est pourquoi il y a toujours eu une sélection.
Est-ce que ce principe de sélection ne tenait pas compte aussi des questions raciales, taille, santé, origine ?
Oui, c’était également exigé.
En somme, témoin, la sélection était faite non pas au point de vue politique, mais d’après les conditions que vous venez de nous décrire ?
Oui.
Est-ce qu’au cours des années 1933 et 1934, en votre qualité de SS-Gruppenfuhrer commandant le grand Ober-abschnitt des Allgemeine SS, vous avez entendu parler d’excès contre les Juifs ?
Non.
Lors des débats à propos d’une autre organisation, nous avons entendu parler du boycottage des Juifs en 1933 et 1934. Est-ce que vous n’y avez pas pris part avec vos hommes ?
Les SS n’ont pas pris part à ce boycottage, à ces excès. Lorsque j’ai eu connaissance de ces faits, j’ai lancé un appel à mes hommes à Dresde et je leur ai strictement interdit d’y prendre part.
Pensiez-vous que l’influence des Juifs dans la vie officielle pouvait être ainsi réduite à un certain pourcentage qui était conforme au chiffre total de la population, et pensiez-vous, en faisant cela, commettre un crime contre l’Humanité ?
Non.
Ce but, qui pourtant correspondait à votre idéologie, vouliez-vous l’atteindre par la force ?
Non. Les SS n’avaient alors aucune influence en la matière.
Étaient-ce précisément les SS qui, d’après votre point de vue, pensaient que les points du programme du Parti devaient être réalisés en dehors d’actions individuelles ?
Il y avait des prescriptions très strictes ;, avant 1933 déjà, qui interdisaient toute action individuelle.
Par exemple, il nous était absolument défendu d’avoir des armes. Car l’activité politique du Parti eût été mise en danger si la Police, à l’époque, avait trouvé des armes chez nous. Plus tard même, Himmler a toujours répété et défendu d’entreprendre quelque action individuelle.
Pensiez-vous, en réduisant conformément à votre idéologie l’influence juive, par les principes nationaux-socialistes, préparer par là une nouvelle guerre et qu’ainsi, à l’aide de cette guerre préméditée, l’influence d’une opposition à l’intérieur de l’Allemagne serait rendue impossible ?
C’est une interprétation. Je ne comprends pas ce que vous voulez dire. Pour les SS, la publication des lois de Nuremberg de 1935, qui du reste nous étonnèrent profondément, réglait sur le plan de l’Etat la question juive. Je me souviens que Hitler nous a sérieusement mis en garde en nous enjoignant de ne pas outrepasser ces lois. Il nous a fait remarquer la responsabilité énorme qui retomberait sur le peuple allemand du fait de ces lois.
Pensiez-vous, peut-être, que vous ne pouviez contribuer à préparer une guerre d’agression si le Parti, l’État ou vous-même retranchiez les socialistes et les communistes de la vie publique ?
Non.
Bien. Avez-vous même eu de telles idées ?
Non. La question me paraît due à une confusion, car les rapports étaient tels que la chose n’était pas même discutable pour nous.
Quels sont les préparatifs en vue d’une guerre d’agression que vous avez pu constater chez les SS ?
Aucune préparation.
Est-ce que les Allgemeine SS étaient formées militairement ?
Non, elles n’étaient pas formées militairement, car le sport, le tir aux armes de petit calibre, les exercices, ne représentent pas une formation militaire. Je tiens encore à faire remarquer qu’après 1934-1935, Himmler avait interdit aux autres chefs SS et à moi-même d’accomplir des périodes d’officiers de réserve dans la Wehrmacht. Vous voyez bien qu’il n’y avait aucune préparation militaire des SS et qu’elle n’a jamais été envisagée. Du reste, chaque membre des SS, ainsi que tout autre Allemand, devait faire son service militaire dans la Wehrmacht et non dans les Waffen SS.
Je cite le document SS n° 5, que je déposerai plus tard :
« L’organisation des Allgemeine SS est exclusivement professionnelle ». C’est un extrait d’une étude : Cours de politique nationale de la Wehrmacht : essence et devoirs des SS et de la Police allemande.
« Entre 21 et 31 ans, l’homme est très pris par ses occupations, tout particulièrement jusqu’à la vingt-cinquième année. Dans ces premières quatre années, on lui fait faire des manœuvres, du sport de toute sorte, de la lutte, etc. Chaque SS, jusqu’à l’âge de 50 ans, devra chaque année passer un examen. Pourquoi ? Ces hommes, pour la plupart, ont une profession. La moitié ou les trois cinquièmes d’es SS sont des citadins. L’ouvrier, dans la ville, a fréquemment un travail qui l’oblige à rester assis toute la journée, tout comme le travailleur intellectuel. Puis il y a la misère de la grande ville qui pose aussi un grave problème au point de vue militaire. Les hommes du XXè siècle ne vont plus à pied, ils prennent le métro »
Je continue à citer :
« Si nous voulons rester jeunes, il nous faut faire du sport. Mais tout cela reste sur le papier si chaque année il n’y a pas un contrôle et si une certaine émulation ne décide pas les hommes à faire du sport. »
Témoin, est-ce que cette citation dépeint bien l’attitude caractéristique de l’emploi des SS, particulièrement après 1933 ?
Oui.
Pouvez-vous, en vous référant à des explications de Hitler ou de dignitaires du Parti, vous souvenir si, dans des réunions au Reichstag, dans les journaux, on a ’déclaré qu’on désirait la paix et qu’on éprouvait de l’horreur et de la répulsion à l’idée d’une guerre ?
Oui.
Est-ce que d’autres tâches, telles que le service d’ordre ou le ravitaillement par exemple, ne faisaient pas partie des fonctions des SS au moment des congrès du Parti ? Voulez-vous nous en parler ?
Lorsqu’il y avait de grandes para’des du Parti, les SS avaient toujours à assurer le service d’ordre. A part cela, ils accompagnaient nos hôtes d’honneur et avaient à s’occuper de leur installation. C’était toujours extrêmement fatiguant pour nos gens qui devaient, en outre, prendre part au défilé. Il n’y a rien de plus à dire sur ce sujet.
Ne vous occupiez-vous pas des hôtes d’honneur ?
Mais oui. Je viens de vous le dire. Lors des congrès du Parti j’avais, ainsi que d’autres chefs SS, la charge de m’occuper des hôtes d’honneur. Lors de l’un des derniers congrès, j’ai personnellement accompagné l’ambassadeur d’Angleterre.
Où étiez-vous, témoin, le 30 juin 1934 ?
J’étais à Dresde.
Avant cette date, aviez-vous entendu parler du putsch envisagé par Rôhm ?
Oui. Huit jours environ avant le 30 juin 1934, Himmler me fit venir à Berlin, me déclara officiellement que Rôhm envisageait un coup d’État et m’ordonna de tenir mes SS en état d’alerte discret afin qu’en cas d’alerte ils se rassemblent ’dans leurs casernes. Il me pria de m’adresser aussi au commandant de la région militaire. J’avais donc été informé au préalable.
Est-ce que ces Allgemeine SS ont procédé à des exécutions le 30 juin ? Que savez-vous à ce sujet de votre activité d’alors ?
Les Allgemeine SS n’ont tué personne dans mon rayon d’action. Ils sont restés dans leurs casernes pendant tous ces jours décisifs.
Décrivez-nous en détail, je vous prie, comment on en est tout de même arrivé à des exécutions.
Oui. Dams la journée du 30 juin, un Obersturmbannfuhrer SS, Beutel, du service de sécurité (SD), se rendît chez moi avec une mission spéciale qu’il avait reçue de Heydrich. C’était un homme assez jeune et il ne savait pas ce qu’il ’devait faire. Il vint me trouver, car j’étais plus âgé que lui et il voulait me demander conseil. Il avait un ordre dans lequel figuraient à peu près vingt-huit noms, et un additif à cet ordre qui disait qu’une partie de ces personnes devaient être arrêtées et les autres exécutées. Cet écrit ne portait aucune signature ; je conseillai en conséquence à cet Obersturmbannfuhrer de demander d’abord une explication sur ce qu’il fallait faire, et insistai énergi-quement auprès de lui pour éviter qu’il n’agît à contresens. Autant que je me souvienne, il a envoyé un courrier à Berlin. Ce courrier a rapporté huit ordres d’exécution signés de Heydrich. Ces ordres avaient à peu près le contenu suivant : « Sur l’ordre du Führer et Chancelier du Reich... (suivait le nom de l’intéressé) doit être exécuté pour haute trahison ». Ces documents étaient signés de Heydrich. Il n’est pas douteux que la signature était authentique ; il y avait un cachet du service intéressé, qui était celui de Heydrich
à Berlin. Huit membres des SA et du Parti, en tout, furent arrêtés à Dresde et fusillés yar le piquet de la police politique. En outre, je crois qu’un chef de la Jeunesse hitlérienne a été fusillé à Plauen, ainsi qu’une autre personne à Chemnitz. Voilà ce que j’ai appris dans mon rayon d’action.
Aviez-vous quelque chose à voir avec ces exécutions, en votre qualité de chef des Allgemeine SS ?
Non. Absolument rien. Cet ordre du Gouvernement a été exécuté par la police politique. Je n’aurais pu ni l’exiger, ni l’éviter.
Avez-vous cru que Rôhm préparait effectivement une action de haute trahison et que le danger pour le Gouvernement allemand et pour le peuple allemand était si proche et si inévitable que c’était en agissant tout de suite et violemment, en exécutant les coupables, que l’on pouvait sauver la situation ?
J’ai absolument cru qu’il y avait un complot contre l’État. Il me fallait bien le croire puisque Himmler, la plus haute autorité de Police, me l’avait dit personnellement et qu’il m’avait expressément spécifié la nécessité en cas d’alerte, de prendre contact avec le commandant militaire de la région qui était une autorité très importante.
Vous souvenez-vous qu’immédiiatement après ces événements, deux télégrammes du Président du Reich von Hindenburg ont été publiés dans la presse, l’un adressé au Fùhrer, daté du 2 juillet 1934, l’autre adressé à Gôring, de la même date. Je citerai le document SS-74 que je déposerai plus tard : c’est le télégramme de Hin’denburg à Hitler :
« D’après les rapports que je viens de recevoir, je constate que par votre esprit di’e décision et votre courage personnel vous avez étouffé dans l’œuf les intentions des traîtres. Vous avez sauvé le peuple allemand d’un terrible danger. Je vous exprime par ce télégramme ma profonde reconnaissance et mes remerciements très sincères. Avec mes meilleurs sentiments. Signé : von Hindenburg. »
Télégramme de von Hindenburg à Gôring :
« Pour votre action énergique et heureuse à l’occasion de la défaite de la tentative de trahison, je vous exprime mes remerciements et ma reconnaissance. »
Avez-vous lu alors ces télégrammes dans les journaux ?
Oui.
Vous souvenez-vous du discours de Hitler au Reichstag le 13 juillet 1934 dans lequel il décrit aussi comment un danger immédiat a menacé l’Allemagne ?
Oui.
Vous souvenez-vous de ceci : je cite quelques points très courts seulement du document SS-105.
Docteur Peickmann, ne croyez-vous pas que vous pourriez résumer ? Le témoin a dit que, dans sa région tout au moins, les SS n’ont rien eu à voir avec le putsch de Rôhm. Il n’est donc pas besoin de rentrer dans tous les détails.
Je croyais qu’à propos du putsch de Röhm il me fallait encore présenter quelque chose. La question est peut-être déjà résolue. Je voulais simplement prouver qu’aucun soupçon d’agissements irréguliers ne pouvait ultérieurement subsister. C’est ce que je voulais prouver.
Vous savez que nous avons dit maintes et maintes fois que nous ne désirions pas que les déclarations présentées devant la commission soient répétées ici. Nous désirons avoir un résumé qui ne porte que sur les points les plus importants ou les questions nouvelles. Bien entendu nous voulons voir les témoins pour apprécier le degré du crédit que nous pouvons leur accorder.
Oui, je tiens compte de cela, Monsieur le Président.
Je crois qu’il est temps de suspendre.
Les deux requêtes du Dr Siemers sont re jetées. Le Dr Siemers peut naturellement rendre visite au vice-amiral Bürkner, s’il le désire, mais la requête particulière qu’il a faite à ce sujet est rejetée. De même que la demande qu’il a faite à propos de certains documents qui se trouvent dans des bibliothèques publiques.
Une question encore au sujet du 30 juin. Monsieur le témoin, est-ce que vous vous souvenez que Hitler a déclaré dans un discours qu’un certain nombre d’innocents avaient été tués et qu’il déférait ces cas aux tribunaux réguliers ?
Oui.
Est-ce que, dans le cercle de vos camarades, vous avez pu entendre à l’époque l’opinion que vous avez exprimée aujourd’hui selon laquelle il y avait à ce moment-là une mesure de défense exceptionnelle de l’État ?
Oui. Non seulement dans les milieux ’des SS, mais aussi chez d’autres Allemands.
Monsieur le témoin, où étiez-vous le 9 novembre 1938 ?
Le 9 novembre 1938, j’étais à Munich.
Quelles fonctions occupiez-vous à ce moment-là dans les Allgemeine SS ?
J’étais SS - Obergruppenführer et chef du SS-Oberabschnitt Sud. De plus, j’étais préfet de Police à Münich.
Décrivez-nous comment vous avez eu connaissance des excès commis au cours de cette nuit contre les magasins juifs ?
Ce jour-là, comme l’exigeait le service dont je m’occupais, j’ai dû accompagner Hitler à la réunion des anciens combattants dans la vieille salle de l’hôtel de ville. C’est là qu’on informa Hitler que le conseiller d’ambassade vom Rath avait succombé à ses blessures. Hitler en fut vivement impressionné et refusa de parler, ce que pourtant il faisait d’habitude. Au cours de ce banquet, il eut une conversation particulièrement animée avec Goebbels, mais je ne pouvais comprendre ce qu’ils se disaient. Aussitôt après, Hitler se rendit à sa résidence où je dus l’accompagner en raison des instructions de service. A la suite de cela je devais encore m’occuper de mesures de sécurité et ’de barrages sur la place de l’Odéon dont j’étais responsable. Chaque année, dans la nuit du 9 au 10 novembre, les nouvelles recrues des Waffen SS prêtaient serment sur cette place. Lorsque j’y suis arrivé, on me rendit compte qu’une synagogue brûlait et qu’on empêchait les pompiers di’tntervenir. Peu après, je reçus un appel téléphonique du Landrat de Munich qui m’informait que le château de Planegg, qui appartenait à un baron Hirsdi qui était juif, situé à proximité de Munich, avait été incendié par des personnes inconnues et que la gendarmerie demandait du secours. Chronologiquement, cela se place aux environs de 23 h. 45. A minuit, Hitler arriva au lieu de prestation de serment. Étant donné que je ne pouvais pas quitter ma place, j’ai envoyé le Brigadeführer Diehm, qui était mon subordonné immédiat, à la synagogue pour y mettre l’ordre. De plus, j’ai envoyé un ’détachement de la Police sous les ordres d’un officier, à Planegg, pour faire éteindre l’incendie et arrêter les auteurs.
Immédiatement après l’appel qui suivit la prestation du serment, je fus, comme les autres chefs supérieurs des SS, convoqué chez Himmler. A l’hôtel, Niepolt, représentant du Gauleiter, me’ fit savoir qu’après le départ de Hitler de la salle de l’hôtel de ville Goebbels avait prononcé un discours très violent et haineux contre les Juifs à la suite de quoi de graves excès avaient été commis dans la ville. J’ai immédiatement traversé la ville en automobile pour avoir une vue d’ensemble. J’ai vu des vitrines qui avaient été brisées. Quelques magasins brûlaient. Tout d’abord, je suis intervenu personnellement et ai engagé toutes les forces de Police disponibles d’ans les rues de la ville, avec ordre de protéger les magasins juifs jusqu’à nouvel ordre. De plus, j’ai veillé en même temps, en liaison avec un service municipal de Munich, à ce que les vitrines fussent protégées pour empêcher le pillage.
Docteur Peickmann, le témoin nous dit qu’il a tout fait pour éviter ces excès. Mais nous n’avons que faire des détails de tout ce qu’il a fait pour maintenir l’ordre. Le Ministère Public pourra l’interroger sur ce point, s’il le désire.
Monsieur le Président, n’est-il pas possible de me permettre de faire exposer par le témoin des questions au sujet desquelles il sera interrogé par le Ministère Public. J’attache une certaine importance au fait que le témoin parle de ce télétype...
Depuis quelques minutes déjà le témoin nous dit ce qui s’est passé les 9 et 10 novembre 1938. Nous en savons assez. Nous connaissons le contenu essentiel de ses déclarations, et nous ne voulons pas de détails. Si vous pensez qu’il n’a pas dit que les SS n’ont pas participé à ces excès, vous pouvez lui poser la question. Il a dit qu’il n’y a pas pris part personnellement et qu’il a fait de son mieux pour les arrêter. Je ne veux aucun détail sur la façon dont il s’y est pris.
Monsieur le témoin, quels ordres avez-vous donnés à l’Allgemeine SS qui était sous vos ordres pour ne pas participer à ces excès ? S’est-il conformé à ces ordres ?
J’ai dît au Brigadeführer Diehm que j’interdisais formellement toute participation et prendrais des sanctions sévères. Nous considérions dans les SS que cette action était véritablement incorrecte.
Savez-vous qu’un officier d’ordonnance du nom de Schallermeier a pris dans la nuit du 9 au 10 novembre sous la dictée de Himmler un texte selon lequel Himmler estimait que toute action dont Goebbels était l’instigateur lui était désagréable. Hitler aurait en outre déclaré à Himmler que les SS ’devaient se tenir à l’écart de cette action ?
Je ne connais pas ce document.
Je renvoie à l’affidavit SS-5 que je commenterai ultérieurement. Vous avez dit, Monsieur le témoin, que l’ensemble de cette action avait été réprouvé par les membres et la direction des SS. Est-ce que vous expliquez cela par l’attitude de principe des SS sur la question juive, ou bien l’expliquez-vous — c’est une version que j’ai entendue d’un autre côté — par le fait qu’il eût été dommage que des biens matériels si importants eussent été perdus pour l’Allemagne ?
Tout ce que je puis dire à ce sujet, c’est que les SS, tout comme le Parti, étaient antisémites ; mais sans tenir aucun compte des pertes matérielles, nous avons considéré que c’était une chose indécente et les SS n’y ont pas participé.
Encore une question au sujet de la préparation de guerres d’agression. Savez-vous si les Allgemeine SS s’étaient préparées à l’entrée en Autriche et si elles ont participé à cette entrée en Autriche ?
Non, les Allgemeine SS n’y ont pas participé. Mon Oberabschnitt couvrait l’ensemble de la frontière austro-allemande ; et il est certain que j’en aurais su quelque chose.
Connaissez-vous d’autres préparatifs au sujet de l’attaque de la Pologne, du Danemark, de la Norvège, de la Hollande, de la Belgique, de la France, de la Russie, par les Allgemeine SS ?
Je ne sais rien à ce sujet et d’ailleurs les Allgemeine SS n’eussent pas été en mesure de mener une attaque contre un État étranger.
Les Allgemeine SS ont-elles continué à exister après le début de la guerre, et quelles étaient leurs tâches à ce moment-là ?
Les Allgemeine SS avaient pratiquement cessé d’exister pendant la guerre. Sur les 10.000 hommes qui étaient groupés dans mon Oberabschnitt, il n’y avait plus, lorsqu’on procéda à la mobilisation du Volkssturm en novembre 1944, que 1.200 hommes dans le pays. Ces 1.200 hommes étaient pratiquement mobilisés pour la guerre et n’étaient plus disponibles pour un service dans les, SS. Jusqu’au dernier homme, tout le monde avait été mobilisé dans la Wehrmacht ou dans les Waffen SS.
Il n’existait donc plus de service tel que vous l’avez décrit pour le temps de paix ?
Non. Il ne restait plus assez d’hommes pour les tâches qui restaient encore : le soutien dans son travail du commando d’assistance des Waffen SS, les soins à apporter aux familles de nos camarades morts. Nous devions faire face à cela avec les membres qui restaient et même avec des femmes.
Est-ce que les membres des Allgemeine SS ont été chargés de garder les camps de concentration, en remplacement des unités Totenkopf (Tête-de-mort) ?
Oui, en très faible proportion, tout comme les membres d’autres formations du Parti, les membres par exemple de la ligue du Kyffhàuser. Ces hommes, pour la plupart, n’étaient pas utilisables au front. Ils ont été obligés de le faire du fait de la législation d’exception. Vers la fin de la guerre, d’autres éléments de la Wehrmacht et des ressortissants d’autres pays alliés ont constitué des unités de ganle pour les camps de concentration.
Je me réfère à ce propos aux documents SS-26 et 28. Le Ministère Public a prétendu ici que les Allgemeine SS avaient, dès 1933, créé des camps de concentration et, à cette occasion, commis des crimes et des atrocités. Que savez-vous à ce sujet ?
Les Allgemeine SS n’ont pas créé de camps de concentration. Les camps de concentration ont été institués par l’État. En ce qui concerne les atrocités qui y ont été commises, je ne puis pas porter de jugement à ce sujet.
Pouvez-vous, à ce propos, vous rappeler le cas d’un SS-Führer Engel à Stettin ?
Non, je connaissais Engel dans les SS, mais je ne sais pas ce qu’il a eu à voir dans cette affaire. Il était en Allemagne du Nord et moi en Allemagne du Sud.
A Munich, vous étiez SS-Oberabschnittsführer des Allgemeine SS. Vous étiez en même temps préfet de Police et, depuis 1939, chef supérieur des S6 et de la Police. Voulez-vous, je vous prie, nous dire si, en principe, la fonction d’un Ober-abschnittsführer des Allgemeine SS était liée, d’abord, avec la fonction de préfet de Police et, en second lieu, avec la fonction du chef supérieur des SS et de la Police ?
On peut le nier catégoriquement dans les deux cas. Il y avait des exceptions dans lesquelles le préfet de Police était en même temps Oberaibschnittsführer, comme à Dusseldorf, à Nuremberg et à Munich. En ce qui concerne le second cas, on peut dire que la grande masse des Oberabschnittsfuhrer des Allgemeine SS, à partir de 1939, c’est-à-dire depuis le début de la guerre, étaient aussi chefs supérieurs des SS et de la Police. Berlin constituait une exception. Le chef supérieur des SS et de la Police était Heissmeyer, mais il n’était pas Oberabschnittsfuhrer des Allgemeine SS.
Est-ce que l’affirmation du Ministère Public selon laquelle le chef supérieur des SS et de la Police représentait des liens étroits entre les Allgemeine SS et la Police est exacte ?
Non, les SS et la Police étaient des organisations séparées et ce n’est qu’au sommet, en la personne de Himmler, que ces organisations étaient réunies. Les Allgemeine SS et la Police avaient d’ailleurs des tâches qui étaient entièrement séparées.
Je ne comprends pas ce que vous dites. Vous étiez chef des SS à Munich et aussi préfet de Police ?
Monsieur le Président, pour en donner une image claire au Tribunal...
N’avez-vous pas dit que vous étiez chef des SS à Munich et pour le Sud, et aussi préfet de Police ?
Oui.
Alors pourquoi dites-vous que la Police et les SS n’étaient réunis que dans la personne de Himmler ?
Oui. Les tâches du chef supérieur de la Police et des SS ne comportaient pas, car je n’ai pas pu le dire encore, le pouvoir de donner des ordres à la Police. Il était seulement un représentant de Himmler sans avoir le pouvoir de donner des ordres. Ainsi...
Voulez-vous dire que vous n’aviez pas le pouvoir de donner des ordres à la Foliée ?
A Munich, en tant que préfet de Police, oui, bien sûr, parce que c’était là ma fonction, c’était ma profession. Mais ailleurs, là où l’Oberabschnittsfùhrer n’était pas préfet de Police, il ne pouvait nullement donner...
Je parle de Munich. A Munich, vous étiez chef des SS et préfet de Police ?
Oui.
Donc ces deux fonctions étaient réunies en votre personne ?
Oui, pour moi c’était bien le cas, mais ce n’était pas un principal général.
Je ne vous parle pas d’une façon générale, je vous parle de Munich. Puis vous continuez en disant que la Police et les SS n’étaient unies que dans la personne de Himmler. Ces deux déclarations me semblent contradictoires.
J’ai fait remarquer tout à l’heure qu’il n’y avait que peu de cas, trois pour toute l’Allemagne, où les préfets de Police étaient en même temps chefs des Allgemeine SS. C’était donc une exception en ce qui me concernait à Munich ; il y avait encore les cas de Nuremberg et de Dusseldorf...
Je croyais que vous aviez dit Dresde également ?
A Dresde, je n’étais pas dans la Police.
Je n’ai pas dit que vous y étiez. Je croyais que vous aviez dit que le préfet de Police de Dresde était aussi chef des SS ?
Non. On doit m’avoir mal compris. Je n’ai pas dit cela.
Très bien.
Monsieur le témoin, le malentendu s’explique probablement du fait qu’une troisième fonction n’a pas encore été décrite jusqu’ici. Voulez-vous, je vous prie, nous dire si les trois autorités suivantes avaient, en principe, des liens entre elles : le préfet de Police, le chef supérieur des SS et de la Police et le SS-Oberabsdmittsführer ?
Est-ce que ces trois fonctions avaient des rapports de principe ?
Non. A Munich, c’était une exception. En ce qui me concerne, ces trois fonctions se rencontraient, mais il n’en était pas de même dans les autres parties du Reich.
Monsieur le témoin, voulez-vous, je vous prie, établir la distinction entre le préfet de Police et le chef supérieur des SS et de la Police. Je vous prie de montrer clairement au Tribunal la différence qu’il y a entre ces deux fonctions ?
Le préfet de Police était un fonctionnaire de l’État, un fonctionnaire d’administration, tandis que le chef supérieur des SS et de la Police n’a été institué que pendant la guerre, sans qu’on ait pu en faire une autorité régionale nantie ’d’un commandement régional. D’après les instructions de service du ministre de l’Intérieur du Reich, il avait uniquement pour tâche de représenter, c’est-à-dire de remplacer à titre représentatif le Reichsfûhrer SS et chef de la Police allemande dans la région militaire. Il n’avait pas le pouvoir de donner des ordres à la Police. D’après les ordonnances du. ministre de l’Intérieur du Reich, les chefs des services principaux de la Police de sûreté et de la Police de l’ordre restaient les chefs de la Police. C’étaient eux qui avaient le pouvoir de lui donner des ordres, et ils avaient leurpropre voie hiérarchique ; tandis que le chef supérieur des SS et de la Police était en marge, sans pouvoir sur la Police.
Et maintenant, je vous prie de répondre à la question suivante : est-ce que l’affirmation du Ministère Public, selon laquelle le chef supérieur des SS et de la Police avait établi une relation étroite entre les Allgemeine SS et la Police, est exacte ?
C’était absolument impossible...
Vous lui avez déjà posé cette question et il y a déjà répondu. Passons à une autre question.
L’affirmation du Ministère Public selon laquelle les Allgemeine SS et la Police auraient formé une unité de service et auraient ainsi constitué un état dans l’État, est exacte ?
Non.
A ce propos, étant donné que je ne veux pas importuner le Tribunal avec des détails, je me contenterai de renvoyer aux affidavits SS-86 à 88 que je déposerai plus tard.
Vous venez de dire, Monsieur le témoin, que le chef supérieur des SS et de la Police n’avait pas le pouvoir de donner des ordres à la Police de sûreté et à la Police de l’ordre. Mais le chef supérieur des SS et de la Police n’avait pas le pouvoir de donner des ordres aux Waffen SS ou aux Allgemeine SS ?
En ce qui concerne les Waffen SS, le chef supérieur des SS et de la Police n’avait aucun pouvoir. En ce qui concerne les Allgemeine SS, il n’en avait que dans la mesure où il était en même temps chef du SS-Oberabschnitt des Allgemeine SS. Sinon il n’en avait pas.
Je vous prie de me permettre d’ajouter encore quelque chose à la réponse que j’ai donnée tout à l’heure. Le chef supérieur des SS et de la Police avait le droit, mais non pas le devoir, de procéder à des inspections et il pouvait donner des impulsions. Personnellement, je ne puis faire des déclarations que sur l’activité des chefs supérieurs des SS et de la Policé sur le territoire de l’Allemagne. Je ne puis juger de ce qui se passait dans les territoires occupés.
Pourrait-on, pour résumer vos déclarations, dire que le titre de chef supérieur des SS et de la Police prête à confusion ?
Oui.
En ce qui concerne les déclarations du témoin sur la situation du chef supérieur des SS et de la Police dans les territoires occupés, contrairement à ce qui était le cas pour l’Allemagne, je renvoie à l’affidavit SS-87.
Est-ce qu’en votre qualité de chef supérieur des SS et âe la Police vous avez reçu une instruction du Reichsfùhrer SS et chef de la Police au sujet du traitement à infliger aux aviateurs ennemis obligés d’atterrir ?
Oui.
Dans quel but vous a-t-on envoyé cette instruction et quel usage en avez-vous fait ?
Cette instruction stipulait que ce n’était pas l’affaire de la Police de se mêler à des bagarres — je crois que c’était le terme qui était utilisé — entre la population et les aviateurs qui avaient été forcés d’atterrir. Cette instruction ne parlait pas de traitement. Elle portait la signature de Himmler et ordonnait aux chefs supérieurs des SS et de la Police, au nom de Himmler, de porter verbalement à la connaissance des commandants de la Police de l’ordre qui leur étaient subordonnés et aux inspecteurs de la Police de sûreté le contenu de cette information.
Est-ce que des informations à ce sujet avaient déjà été données à des services du Parti par le chef de la Chancellerie du Reidi, le Reichsieitér Bormann ?
Oui, sur une large échelle. Il y avait eu des articles dans le Völkischer Beobachter et dans le journal Das Reich. De plus, le Gauleiter de mon secteur avait pris position sur ce sujet. De plus, tant le chef de la Police de sûreté que le chef de la Police de l’ordre — et j’ajouterai ici qu’il en avait été ainsi dans tout le Reich — avaient reçu eux aussi cet ordre de leurs supérieurs. Le service central de la Police de l’ordre avait donné un ordre semblable qui avait été diffusé aux services de Police. Le RSHA avait également donné des instructions de ce genre.
Est-ce qu’à la suite de ces décrets l’attitude de la Police dans votre secteur s’est modifiée d’une manière quelconque à propos des atterrissages forcés d’aviateurs ?
Nullement. C’était un principe pour nous que de nous conformer aux prescriptions des Conventions de Genève ou de La Haye — je ne sais pas exactement quelle est, la Convention qui s’applique en la matière — mais en tous cas nous traitions les prisonniers comme nous le devions.
Est-ce que malgré cela, dans le secteur qui dépendait de vous, il y a eu des lynchages d’aviateurs ?
Non, il n’y a pas eu de lynchage, mais, ce qui est très regrettable, des exécutions d’aviateurs. Il est arrivé que les aviateurs nous aient été enlevés dans les postes de Police et fusillés. D’après ce que j’ai pu voir dans la presse, des procès se sont ouverts à ce sujet et ces crimes ont été châtiés. De plus, je suis en captivité depuis quinze mois et toutes les connaissances que je puis avoir ne peuvent provenir que des journaux. Des procès qui ont eu lieu, il ressort que la Police a toujours traité convenablement les aviateurs, les a pansés lorsqu’ils étaient blessés et les a remis à la Luftwaffe conformément aux prescriptions qu’elle avait reçues à ce sujet.
Était-ce inhabituel ou était-ce une violation de la Convention de La Haye, lorsque les aviateurs qui avaient été obligés d’atterrir étaient arrêtés par la Police et non pas par la Wehrmacht ?
Comme je l’ai dit tout à l’heure, je n’ai pas la possibilité d’exprimer un jugement sur les conventions internationales.
Ce n’est pas au témoin de juger la loi. C’est à nous de juger.
Monsieur le témoin, exisrtait-il depuis le début de la guerre une instruction enjoignant la Police de mettre en sécurité les aviateurs qui avaient été obligés d’atterrir ?
Oui, ces diisposiltions étaient formulées de la manière suivante : les aviateurs qui avaient été obligés de sauter en parachute devaient être arrêtés par la Police. Au surplus, d’après le Droit allemand, tout autre citoyen avait la possibilité de le faire, c’est-à-dire de les arrêter. Puis les aviateurs devaient être amenés à la Police. Le posite de Police avait ordre d’avertir le service le plus proche de la Luftwaffe et de lui faire savoir qu’il s’agissait de prendre dans ce poste de Police des aviateurs qui avaient sauté en parachute. Il y avait des prescriptions formelles, selon lesquelles les aviateurs qui avaient ainsi été faits prisonniers devaient être remis aux services de la Luftwaffe.
Qu’aviez-vous affaire avec la Gestapo et le SD en tant que chef supérieur des SS et de la Police ?
Rien. L’inspecteur de la Police de sûreté informait le chef supérieur des SS et de la Police de ce qui se passait dans les services de la Police secrète ’d’État et au service de sécurité. Ces services : Police secrète d’État et SD recevaient directement leurs instructions des services compétents du RSHA, les Amt III et IV éventuellement.
Vous n’aviez donc pas de pouvoir sur ces inspections de la Police de sûreté et du SD ?
Je crois que vous avez commis un lapsus, vous avez dit « inspections ». Je ne peux pas avoir eu de pouvoir sur les inspections.
Vous n’aviez pas le pouvoir de donner des ordres à la Police de sécurité et au SD ?
Non.
En tant que chef de l’Oberabschnitt des Allgemeine SS, qu’aviez-vous à faire avec le SD et la Gestapo ?
En ma qualité d’Oberabschnittsführer, je n’avais rien à faire non plus avec ces services.
En était-il ainsi dans tout le Reich, c’est-à-dire les chefs des AUgemeine SS n’avaient-ils pas le pouvoir de donner des ordres à la Gestapo et au SD’ ?
Oui. Les Allgemeine SS n’avaient pas de pouvoir d’exécution et, de plus, elles ne pouvaient pas non plus exercer d’activité dans le domaine du service de renseignements, tâche du SD.
Est-ce que dans votre Oberabschnitt, les Abschnitte, les Standarten, les Sturme des Allgemeine SS avaient des rapports quelconques de service avec la Gestapo ou le SD ?
Non.
Qu’avez-vous eu à faire avec les camps de concentration jusqu’en septembre 1944, en votre qualité d’Oberabschnittsführer des Allgemeine SS et de chef des SS et de la Police ?
Rien.
Est-il exact que, pour tout le territoire du Reich, les préfets de Police, les chefs supérieurs des SS et de la Police et les chefs des Allgemeine SS n’ont rien eu à faire avec les camps de concentration ?
Oui.
Quels étaint les services responsables :
1° de l’internement et de la libération des camps de concentration ;
2° de l’administration elle-même des camps de concentration ?
En ce qui concerne l’internement dans les camps ; ’de concentration et la libération de ces camps, c’était l’Amt IV du RSHA qui était compétent. C’était le WVHA ou service économique et de l’administration des SS et, en particulier, le service D, le service d’inspection des camps de concentration qui était responsable de l’administration et des conditions intérieures d’es camps de concentration.
Peut-on, par conséquent, conclure de votre réponse que ni les préfets dte Police des régions intéressées, ni le chef supérieur des SS et de la Police de ce district, ni le chef de l’Oberabschnitt des Allgemeine SS, n’étaient responsables des assassinats et des atrocités commis envers les détenus des camps de concentration ?
Aucun des services que vous venez de mentionner n’était responsable de telles choses. Le service qui s’occupait des camps de concentration était un appareil fermé qui avait ses propres consignes de service.
Connaissez-vous l’intérieur du camp de concentration de Dachau ?
Oui, pendant des annéesi, à partir de 1936, lorsque j’avais été muté à Munich, j’ai souvent reçu l’ordre de Himmler d’accompagner des hôtes importants allemands ou étrangers à Dachau pour leur montrer le camp de concentration. Entre autres, j’ai accompagné vers la fin le ministre de l’Intérieur du royaume de Yougoslavie, une fois des fonctionnaires supérieurs de la Police américaine, un grand nombre de commandants de camps de prisonniers de guerre, des personnalités politiques italiennes très importantes et autres personnalités de ce genre.
Étant donné que vous avez dit par ailleurs que vous n’avez rien eu à faire avec les camps de concentration, ce n’est qu’à ces occasions-là que vous avez eu la permission d’entrer dans les camps. Et si je vous ai bien compris, vous receviez tout comme les visiteurs l’autorisation du RSHA ?
Oui, c’est-à-dire que je recevais un ordre d’y aller, et les visiteurs une autorisation. Cela se passait de la manière suivante : c’était ou bien un membre de l’État-Major de Himmler ou bien du RSHA qui avisait le commandant de camp, par l’intermédiaire du service d’inspection des camps de concentration, de la venue des visiteurs sous nia conduite.
Nous n’avons pas besoin d’entrer dans les détails de la façon dont ces ordres étaient donnés. Nous ne voulons pas dé ces détails.
Exception faite du cas Rascher dont je parlerai tout de suite, avez-vous jamais eu une raison de service pour entrer dans le camp de concentration de Dachau ?
Non.
Il y avait peut-être d’autres raisons pour lesquelles vous deviez avoir le désir d’acquérir des certificats sur la situation dans ce camp de concentration ? Peut-être aviez-vous entendu dire qu’on y procédait à des exécutions en masse et que les gens y périssaient de faim ?
Non. Tout ce que j’ai vu lors de ces visites était en ordre à tous points de vue. On montrait les installations des cui.sd.nes, les infirmeries, les salles pour les soins dentaires, les salles d’opération, les salles de douches, les baraques, et on avait également l’occasion de voir d’innombrables détenus qui, d’après mon jugement en temps de paix, c’est-à-dire avant 1939, étaient dans un état de santé remarquablement bon. Après 1939, c’est-à-dire pendant la guerre, ils donnaient l’impression d’être nourris normalement. D’ailleurs, des milliers de détenus, à Munich par exemple, étaient employés dans les rues pour procéder au déblayage après les bombardements et tout le monde pouvait les voir. D’après ce que j’avais appris au cours de mes visites dans les camps, je n’avais aucune raison d’y retourner. D’ailleurs, je n’avais aucun droit de le faire.
Pouviez-vous, à l’occasion de ces visites, en raison de vos fonctions, voir plus ou moins que ne voyaient les visiteurs que vous accompagniez ?
Je ne peux pas en juger. C’étaient, des visites au cours desquelles on traversait tout le camp. C’est ainsi par exemple qu’à l’automne 1944, lorsqu’on a fait visiter le camp aux commandants des camps de prisonniers de guerre, il s’agissait là vraiment de spécialistes qui connaissaient bien toutes les questions se rapportant aux camps. Ils pouvaient librement se déplacer et voir tout ce qu’ils voulaient voir.
Avez-vous entendu parler d’expériences biologiques faites sur des personnes vivantes dans le camp de concentration de Dachau et, si oui, quand l’avez-vous appris ?
Oui. Au printemps 1944. Au cours d’enquêtes de la Police criminelle, menées au sujet d’un SS-Hauptsturmführer, docteur en médicine, nommé Rascher, et de son épouse. Le ménage Rascher était accusé — il s’agit là d’un terme très difficile à traduire, il s’agit du terme qui désigne l’appropriation illégitime d’enfants étrangers — de rapt. D’autre part, le mari était accusé d’avoir commis des escroqueries qui étaient en rapport avec le fonctionnement du laboratoire d’expériences de Dachau où on a procédé à ces expériences biologiques. Ce laboratoire de recherches dépendait directement ; de Himmler, sans qu’il y eût aucun service intermédiaire.
Aviez-vous été informé au préalable de ces expériences ?
Non, c’est par hasard que j’en ai eu connaissance.
Voulez-vous alors, s’il vous plaît, nous dire ce que vous avez appris pour que le Tribunal se rende compte que vous ne fermiez pas le& yeux devant de telles choses.
Sur la base des informations qu’avait déjà reçues le service de la police criminelle de Munich, j’ai réussi à entrer dans le camp de concentration de Da’chau. J’attire l’attention sur le fait que c’était en 1944 et que les communications étaient déjà devenues difficiles ; je ne pouvais pas attendre plus longtemps une autorisation. Par un télétype adressé à l’inspection des camps de concentration, j’avertissais que, suivant une enquête qui avait été ordonnée, je supposais qu’il n’y aurait pas d’objection à ce que je me rende à Dachiau avec les fonctionnaires chargés de cette enquête. A ce moment-là, je ne savais rien encore des expériences biologiques ; je n’étais informé que des deux premiers délits que j’ai cités. Lors ’d’un entretien avec le commandant du camp, j’ai simplement cité le nom de Rascher, et c’est alors que le commandant du camp et le médecin du camp qu’on avait fait venir me dirent qu’ils considéraient Rascher comme un homme dangereux et infernal, qui procédait ici aux expériences les plus abominables sur des hommes vivants. Raacher était investi de tous les pouvoirs par Himmler et c’est ainsi que le commandant et le personnel étaient tellement intimidés, que jusqu’au moment de mon intervention ils n’avaient pas osé s’opposer à l’activité de Rascher ; en ma personne, ils sentaient qu’ils étaient protégés par un fonctionnaire supérieur des SS. Et c’est ainsi que nous en sommes venus aux expériences. Rascher, qui avait été arrêté par la Police criminelle, n’a pas été libéré par mes soins, de peur d’étouffer l’affaire, et j’ai immédiatement de moi-même adressé un rapport personnel à Himmler qui se trouvait à ce moment-là dans son poste de commandement de campagne à Eigen, près de Salzbourg. Il m’avait déjà fait téléphoniquement les reproches les plus violents, me diemandant comment j’avais osé intervenir dans cette affaire. Il m’a reproché de vouloir monter un procès sensationnel. J’ai alors clairement expliqué la chose à Himmler, sur quoi il a montré beaucoup de réticence et m’a dit que je n’y comprenais absolument rien et que M. Rascher avait de grands mérites en tant que savant. Il m’a promis, en conservant les dossiers, de déférer le cas Rascher au tribunal suprême des SS et de la Police. Ce tribunal était compétent pour cette affaire parce que Himmler était le supérieur de Rascher dans son activité dans ce laboratoire d’expériences biologiques. Malheureusement, il ne dépendait pas de moi.
Est-ce qu’une procédure a été ouverte contre Rascher ?
Non.
Qu’est-il devenu alors ?
Rascher est resté en état d’arrestation comme avant. Des semaines et des mois durant, j’ai fait des réclamations auprès des SS et de la Police et auprès de ces derniers services ; j’ai pu constater que les dossiers de Himmler n’avaient pas du tout été envoyés.
Avez-vous appris plus tard que Rascher était dans un camp de concentration ?
Oui, Rascher est resté en état d’arrestation dans la caserne des SS à Munich, Freimann, et très probablement jusqu’au moment où la caserne et les locaux disciplinaires, en raison de l’avance des troupes américaines, ont été évacués. Il est alors venu à Dachau, et j’ai pu déduire de ce que j’ai lu dans la presse qu’il avait été fusillé pendant les dernières journées. Je ne peux pas donner d’indications plus détaillées à ce sujet parce que le 20 avril 1945 j’ai été relevé de mes fonctions.
Avant de lever l’audience, peut-être pourriez-vous nous dire, Docteur Peickmann, combien de temps ’il vous faudra encore pour finir d’interroger ce témoin ?
Je suppose que j’en ai encore pour quarante-cinq minutes, Monsieur le Président.
L’audience est levée.