CENT QUATRE-VINGT-DIX-SEPTIÈME JOURNÉE.
Mercredi 7 août 1946.

Audience du matin.

(Le témoin Reinecke est à la barre.)
LE PRÉSIDENT

Oui, Monsieur Pelckmann ?

M. PELCKMANN

Témoin, avant de passer à un nouveau sujet sur lequel je vous poserai des questions, il me reste une question pour éclaircir ce que nous avons dit hier. C’est au sujet de la soumission d’un document où il est parlé d’une brigade de cavalerie SS. Je crains,, et j’ai déduit ceci de certaines remarques, que cette brigade ne soit confondue avec les escadrons d’assaut des Allgemeine SS. Je renvoie ici aux explications du témoin von Boikowski-Bidau devant la commission. Je demande la permission de dire à ce témoin... Quelle différence y a-t-il entre les escadrons de cavalerie des Allgemeine SS et la formation que je viens de mentionner ?

TÉMOIN REINECKE

Les escadrons d’assaut de cavalerie étaient des unités spéciales des Allgemeine SS, de même, par exemple, que les groupes motorisés. Elles n’avaient absolument rien à voir avec les unités de cavalerie des Waffen SS, qui ont existé plus tard, et ce ne sont pas ces escadrons de cavalerie qui ont été la genèse des unités de cavalerie des Waffen SS.

M. PELCKMANN

On a présenté, devant ce Tribunal, un bilan horrible sur les atrocités des camps de concentration. L’Accusation prétend, à ce propos, que ces atrocités sont les conséquences d’une politique systématique des SS. Est-ce que vous pouvez prendre position, en tant que haut magistrat SS, à propos de cette question ? Est-ce que les tribunaux des SS ont eu connaissance de ces faits, et dans l’affirmative, ont-ils gardé le silence à ce sujet ?

TEMOIN REINECKE

Il ne peut être question d’une politique systématique des SS, en ce qui concerne les faits présentés dans ce film. Dans les camps de concentration, des atrocités abominables ont été commises, mais il — ce film — montre les effets de l’effondrement total de l’Allemagne sur les camps de concentration et par conséquent, il ne représente pas leur état normal.

Je peux donner un jugement là-dessus, parce que les tribunaux des SS et de la Police, avec tous les moyens à leur disposition...

LE PRÉSIDENT

Est-ce que le témoin parle selon ses observations personnelles des camps de concentration ?

M. PELCKMANN

Oui, Monsieur le Président. Le témoin est justement en train de parler de cela.

TÉM10IN REINECKE

Je peux me permettre de donner un jugement à ce sujet parce que les tribunaux des SS et de la Police, avec tous les moyens qui étaient à leur disposition, et en partie en dépassant leur propre compétence, sont intervenus judiciairement contre ces atrocités. Dans les camps de concentration, il y a eu des commissions d’enquête que nous avons envoyées et elles m’ont fait, à plusieurs reprises, des rapports sur la situation.

Si les tribunaux des SS et de la Police ont été à même d’intervenir contre ces atrocités, c’est justement parce qu’il ne s’agissait pas d’une politique systématique des SS, mais d’actes isolés de certains criminels et de certains officiers occupant des postes élevés, mais non pas d’actes des SS en tant qu’organisation. Pour combattre ces crimes et pour épurer les SS de ces éléments criminels, les tribunaux sont intervenus.

M. PELCKMANN

Je vais citer un passage d’un document déjà soumis par le Ministère Public. C’est le document E-168. C’est une lettre du Service central de l’administration économique, groupe des camps de concentration, indice d’archives D, etc. Il s’agit d’une instruction adressée aux médecins-chefs des camps de concentration.

LE PRÉSIDENT

Quel est ce document ?

M. PELCKMANN

C’est un document qui a déjà été déposé par l’Accusation. Il s’agit du document E-168, qui figure également dans le recueil de documents « Camps de concentration ».

LE PRÉSIDENT

Je n’ai pas entendu la référence que vous avez indiquée. Est-ce D, comme David ou bien G.

M. PELCKMANN

E168, E, comme Emile, 168.

LE PRÉSIDENT

Quel est le numéro du document ?

M. PELCKMANN

Je ne suis pas à même actuellement de vous le donner, je vous prie de m’excuser. On dit dans ce document :

« Avec un nombre aussi élevé de morts parmi les détenus, le nombre des détenus ne pourra jamais être celui demandé par le Reichsführer SS. Avec tous les moyens à leur disposition, les médecins-chefs des camps devront intervenir afin que la mortalité dans les différents camps diminue sensiblement. Le meilleur médecin du camp de concentration n’est pas celui qui croit qu’il doit se faire remarquer par une rigueur déplacée envers les malades, mais celui qui, par une surveillance et des échanges entre les différents chantiers, maintient la capacité de travail aussi élevée que possible.

« Les médecins dans les camps doivent, plus souvent que cela ne l’a été fait jusqu’ici, surveiller l’alimentation des prisonniers, et avec l’autorisation de l’administration, ils doivent faire des propositions au commandant de camp. Ces questions ne doivent pas seulement, bien entendu, rester sur le papier, mais elles doivent être régulièrement examinées par les médecins de camp. De plus, les médecins de camp doivent veiller à ce que les conditions de travail dans les différents chantiers soient améliorées autant que possible. C’est pourquoi il est nécessaire que les médecins visitent les chantiers en détail, pour se rendre compte des conditions de travail.

Le Reichsführer SS a ordonné que la mortalité diminue, à tout prix. »

LE PRESIDENT

Monsieur Pelckmann, avez-vous compris que nous ne désirons pas.... Est-ce que vous m’entendez ?

M. PELCKMANN

Oui.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal a indiqué au Ministère Public qu’il ne désirait pas entendre lire de nouveau ces documents qui ont déjà été soumis comme matériel de preuves, et maintenant vous lisez mot à mot ce document.

M. PELCKMANN

Oui.

LE PRÉSIDENT

Si vous désirez poser une question à ce sujet, vous pouvez certainement résumer, cela doit être possible.

M. PELCKMANN

Est-ce que vous savez, témoin, si ces instructions ont été effectivement appliquées dans les camps de concentration ?

TÉMOIN REINECKE

Les commissions d’enquêtes du Service central du tribunal des SS ont confirmé de façon répétée et par des comptes rendus personnels que de telles instructions ont été exécutées, et dans les camps de concentration. Elles m’ont fait des rapports disant que le logement, les conditions hygiéniques, les soins médicaux, la nourriture et aussi le traitement des détenus étaient en grande partie satisfaisants, ainsi que l’aspect physique des détenus. Elles ont confirmé que les interdictions sévères au sujet des mauvais traitements ont été portées à la connaissance des camps et qu’on les a observées. C’est pourquoi, en temps normal, l’aspect des camps de concentration est tout à fait différent. Extérieurement, ce qui frappe, c’est la propreté et l’exécution sans à-coups du programme de travail. Si l’on a commis des crimes dans les camps de concentration, ceux-ci se sont produits de telle manière qu’ils sont restés cachés au monde ; dans la mesure même où les habitants du camp n’ont pas participé à ces crimes, ils ne pouvaient les connaître.

LE PRÉSIDENT

Est-ce que vous dites que vous avez personnellement reçu cette lettre ou que ces faits vous ont été soumis ?

TEMOIN REINECKE

De ces commissions d’enquête, j’ai reçu des rapports qui m’ont été présentés personnellement, et de ces rapports, j’ai pu rassembler les faits que je viens de citer.

LE PRÉSIDENT

Alors, vous saviez en décembre 1942 que sur 136.000 arrivées dans un camp de concentration, il y avait eu 70.000 morts ? Le saviez-vous ?

TÉMOIN REINECKE

Non, je ne l’ai pas su. Il faut, pour compléter mes déclarations, donner une réponse à une question qui ne devait venir que plus tard. Le tribunal SS n’a agi par ces commissions d’enquête que dans la seconde moitié de 1943, afin de découvrir les crimes commis dans les camps de concentration ;

LE PRÉSIDENT

Je croyais que vous aviez dit, en réponse à ma question, que vous étiez au courant de ces faits. Poursuivez, Monsieur Pelckmann.

M. PELCKMANN

A ce sujet, afin de compléter les connaissances du Tribunal, j’indique mon affidavit SS n015 65 à 67, qui a été traduit textuellement à ma demande. Il est établi par un juge qui a dirigé une enquête et il donne d’autres détails à ce sujet. (Se tournant vers le témoin.)

Dans quelle mesure la jurisprudence SS a-t-elle exercé la justice dans le système des camps de concentration ?

TÉMOIN REINECKE

La jurisprudence SS ne s’étendait pas aux détenus des camps de concentration. Pour eux, c’était la justice générale allemande qui était compétente. Dans une certaine mesure, les procès étaient du ressort de la juridiction SS, même en ce qui concerne les sections politiques des camps de concentration. Mais le Service central de la sûreté du Reich procédait à des enquêtes par priorité. Les gardes et les membres du personnel des camps de concentration étaient soumis à la juridiction des tribunaux militaires, dans toute l’étendue de leur compétence.

M. PELCKMANN

Vous avez dit, témoin, que les poursuites pour crimes dans les camps de concentration par votre juridiction ont commencé en 1943. A quel moment en 1943 ?

TÉMOIN REINECKE

Dans la seconde moitié de 1943 ; à la suite d’un cas de corruption, contre le commandant d’un camp, Koch, on a été mis sur les traces d’autres crimes commis dans d’autres camps, et à ce moment-là, la justice a agi.

M. PELCKMANN

Comment se fait-il que la justice ait agi si tard ?

TÉMOIN REINECKE

Dans les camps de concentration, il y avait ce que l’on appelait des officiers de police judiciaire faisant partie du personnel de surveillance. Ces officiers de police judiciaire étaient les instruments des chefs de la justice. Ils avaient pour mission, lorsqu’un crime quelconque était commis, de faire des rapports au sujet des faits. Ces rapports étaient alors soumis aux tribunaux aux fins de poursuites.

M. PELCKMANN

Une question, témoin...

LE PRÉSIDENT

Ceci ne me semble pas avoir été une réponse à votre question. Votre question était : Comment se fait-il que ces commissions d’enquêtes ne soient intervenues que pendant la seconde moitié de 1943 ; il n’a pas répondu du tout à cette question.

M. PELCKMANN

Monsieur le Président, le témoin n’a pas encore tout à fait terminé. Je lui posais simplement une question intermédiaire, et tout deviendra aussitôt plus clair par la suite de la réponse du témoin. (Se tournant vers le témoin.) Est-ce que ces officiers de police judiciaire étaient soumis à votre autorité, c’est-à-dire au Service central du tribunal SS ou bien à la juridiction des SS, ou bien de quelle juridiction dépendaient-ils ? Donnez les noms.

TÉMOIN REINECKE

Les officiers de police judiciaire n’étaient pas soumis à l’autorité de l’organisation de la justice, c’étaient des fonctionnaires du chef de la justice entre les mains duquel se trouvaient placées les enquêtes.

M. PELCKMANN

Ainsi donc, dans les camps de concentration ?

TÉMOIN REINECKE

Dans le cas des camps de concentration, c’était Oswald Pohl déjà nommé hier.

M. PELCKMANN

Voulez-vous continuer de répondre à la question ? Comment se fait-il que la justice ait appris si tard ces atrocités ?

TÉMOIN REINECKE

Cela vient de ce que la justice n’avait pas eu de soupçon auparavant et ceci provient du fait que ces officiers de police judiciaire, pendant les années précédant 1943, avaient envoyé ces rapports aux tribunaux. Ces rapports étaient conçus très exactement. Il y avait, dans les cas de mort non naturelle des détenus, des photographies du théâtre du crime, celles du mort, les résultats de l’enquête, les dépositions de détenus comme témoins et celles des hommes de garde. Ce travail était si précis qu’aucun soupçon ne pouvait s’élever que des crimes eussent pu être commis à l’insu des officiers de police judiciaire.

Ces rapports aboutissaient dans tous les cas au jugement du coupable. De tels jugements ont été prononcés pendant toutes ces années.

M. PELCKMANN

Est-ce que les rapports ne pouvaient pas être falsifiés, les événements réels ne pouvaient-ils pas être voilés ?

TÉMOIN REINECKE

C’est partiellement exact. Je viens de dire que pendant la seconde moitié de 1943, nous avons commencé des enquêtes dans le camp de Buchenwald. En 1941, nous avions déjà fait une enquête à Buchenwald ; mais sans résultat.

Au cours de la dernière enquête en 1943, on découvrit qu’en fait, en 1941, le commandant Koch, par des rapports falsifiés et des faux témoins et de faux certificats médicaux, etc., avait trompé les juges. Nous avons alors fait des enquêtes également dans d’autres camps et nous avons constaté que dans les autres camps les rapports étaient exacts.

M. PELCKMANN

Voulez-vous décrire brièvement la procédure de la juridiction des SS contre les crimes des camps de concentration ?

TÉMOIN REINECKE

Les pistes du camp de Buchenwald étaient multiples et conduisaient dans beaucoup de camps. L’ensemble croissait de mois en mois. Il est apparu que les organes d’instruction de la juridiction étaient absolument incapables de faire de telles enquêtes, de caractère purement criminel, parce que la justice, du fait de son caractère militaire, ne possédait pas la base fondamentale, l’autorité pénale. C’est pourquoi des juges ont été envoyés dans des cours spéciaux et ont reçu une préparation de Droit criminel, en collaboration avec le Service central de la sûreté du Reich. On fit appel à des experts du service de la Police criminelle du Reich pour procéder à des enquêtes au sujet de ces crimes. De telles commissions furent envoyées dans un grand nombre de camps et travaillèrent sans arrêt jusqu’à l’effondrement. Le Service central de la justice des SS créa lui-même un tribunal spécial qui s’occupait presque uniquement de juger ces crimes commis dans les camps de concentration.

Au Service central de justice SS, une section principale a été instituée qui centralisait et dirigeait les enquêtes dans les camps de concentration et qui devait remplir les fonctions du procureur, qui faisait défaut.

M. PELCKMANN

En résumé, quels ont été les résultats de la lutte contre les crimes des camps de concentration par la justice des SS ?

TÉMOIN REINECKE

Dans l’ensemble, environ 800 affaires furent soumises à enquête. Sur ces 800 affaires, 400 furent renvoyées devant les tribunaux. Sur ces 400 affaires, 200 furent conclues par un verdict. Parmi les cas soumis à enquête, il y a eu des procédures contre cinq commandants de camps de concentration. Les procès de deux de ces chefs de camp de concentration furent conclus par un verdict et par une exécution.

M. PELCKMANN

Est-ce qu’on fit des difficultés à ces commissions pendant leurs enquêtes ?

TÉMOIN REINECKE

On leur fit les difficultés les plus considérables. Ces difficultés venaient de Pohl, qui, par tous les moyens d’autorité, essayait d’empêcher les commissions d’enquêtes de pénétrer la question proprement dite des crimes de camp de concentration. Du fait que la justice n’avançait que pas à pas et devait dévoiler morceau par morceau l’ensemble des faits dissimulés, elle fut obligée de collaborer avec les détenus. Dans tous les camps où de telles commissions d’enquête se trouvaient, ont fit venir des hommes de confiance, parmi les détenus, qui apportaient aux enquêteurs des documents pour leur enquête, mais il était très difficile d’amener les détenus à collaborer, car si leur activité était découverte, ils pouvaient compter sur une mort certaine.

M. PELCKMANN

Est-ce que ces résistances ne pouvaient être supprimées en faisant des rapports par exemple à Himmler ? Pohl, autant que je sache, était pourtant soumis à l’autorité de Himmler et Himmler aurait pu lui donner des ordres ?

TÉMOIN REINECKE

Pohl n’a pas été si stupide. Extérieurement, il a fait comme s’il soutenait de toutes ses forces le travail du Service central de la justice des SS, et comme s’il en était très satisfait et c’est ainsi qu’il a rapporté les choses à Himmler lorsque nous avons indiqué à Himmler le rôle douteux et suspect de Pohl. En réalité, par tous les moyens de son énorme autorité, Pohl a torpillé ces enquêtes et il a travaillé la main dans la main avec des détenus et avec des commandants de camp criminels, ainsi que nous l’avons montré.

Pour ne citer qu’un exemple marquant, en 1941, lors de notre première enquête dans le camp de Buchenwald — qui échoua comme je viens de l’indiquer — il a écrit une lettre au commandant Koch, que j’ai lue moi-même, avec le contenu suivant :

« J’userai de toute la force de ma position pour vous couvrir si encore une fois un juriste sans emploi étend ses mains avides de bourreau vers votre personne pure et innocente. »

Par la suite, Pohl a continué à travailler dans ce sens, non seulement parce qu’il était pris dans l’engrenage des tueries des camps de concentration, mais parce qu’il est devenu en même temps l’homme le plus corrompu de tout le Reich. Nous en trouvons des preuves vers la fin de la guerre par les procès de Droit civil les plus divers que nous avons intentés contre les services dirigés par lui. Il est allé, comme chef de cette clique criminelle, jusqu’à tenter d’ébranler dans ses fondements le système d’hommes de confiance des détenus, un système qui, il le savait, aurait pu mettre en danger sa propre personne.

Dans le camp de Sachsenhausen, un homme de confiance du nom de Rothe a été emprisonné sur ses ordres, et par un ordre du Service central de la sûreté du Reich (Service de la Police criminelle du Reich) qu’il a essayé de faire donner, en alléguant des faits faux, il a voulu le faire pendre devant le « bloc » des détenus, afin de donner un exemple qui effraierait les autres et de rendre impossible le travail d’enquête de la commission. Un directeur d’enquête de chez nous s’en est aperçu à temps et a pu l’empêcher au dernier moment.

M. PELCKMANN

Je vous prie de parler beaucoup plus lentement, la traduction est difficile.

TÉMOIN REINECKE

C’est ainsi que travaillait ce criminel Pohl.

Son appui le plus important dans sa lutte contre la justice était l’ordre du Führer n° 1, sur l’obligation de tenir le secret, obligation rappelée par une affiche dans tous les services des SS et de la Police. D’après cet ordre, les questions qui étaient soumises au secret ne pouvaient être connues que de la personne qui y participait directement et encore, celle-ci ne devait savoir que ce qu’elle était absolument obligée de savoir, et uniquement à l’époque où s’exerçait l’action, et pour cette époque. Dans les camps de concentration, tout était secret. C’est seulement avec un laissez-passer et une autorisation spéciale qu’on pouvait y entrer. Le travail des détenus était secret, soi-disant parce qu’ils fabriquaient des armes secrètes. D’autre part, la vie des détenus était tenue secrète, soi-disant pour des raisons de contre-espionnage. La correspondance était désignée comme « affaire secrète du Reich » et par conséquent ne pouvait être consultée.

Derrière cette sphère du secret, Pohl, a pu, pendant des années, se dérober habilement, ne lâchant que des bribes devant la justice qui essayait de pénétrer, et cela seulement, lorsqu’il était mis systématiquement dans l’embarras par la constatation de faits particuliers.

M. PELCKMANN

Témoin, croyez-vous que ces résultats que vous venez de décrire ont vraiment atteint dans toute leur étendue des crimes que nous avons appris au cours du Procès ?

TÉMOIN REINE.CKE

Autant que je le sache aujourd’hui, non, et en voici la raison. La justice des SS et de la Police combattait ces crimes comme des crimes isolés, et pendant de longues années, elle n’a pu pénétrer le système de criminalité tel qu’il est reconnaissable aujourd’hui. Lorsque la justice a réussi vers la fin de 1944 à dépister, sur la base de tels faits isolés, Pohl et Grawitz, et Müller de la Gestapo, qui couvrait ces crimes, pour la première fois ces hommes se sont référés à « un ordre venu d’en haut ». Ces enquêtes commencées par la justice ont disparu avec l’effondrement général du Reich.

M. PELCKMANN

Est-ce qu’à la fin de 1944 vous avez pu approcher l’ensemble des crimes, je parle des destructions massives ?

TÉMOIN REINECKE

A la fin de 1944, il était clair que des ordres venus d’en haut devaient nécessairement exister, mais qu’il s’agisse d’une destruction en masse dans une mesure jusque là inconnue, on ne pouvait pas le savoir.

M. PELCKMANN

D’après les résultats des enquêtes que vous venez de décrire, qui était responsable des crimes qui avaient été ainsi révélés ?

TÉMOIN REINECKE

C’était parmi les hauts fonctionnaires, d’abord Pohl, puis à côté de lui l’ancien médecin de la Police et des SS du Reich, Grawitz, et le chef de la Gestapo, Müller. De plus, les commandants des camps de concentration, les membres de la Kommandantur, les médecins des camps de concentration, et pour une partie importante, des détenus criminels des camps de concentration.

M. PELCKMANN

Est-il exact, d’après cela, de dire que tous les membres de ce personnel que vous venez de nommer ont participé aux crimes, sans aucune différence ?

TÉMOIN REINECKE

Non, ce n’est pas exact. Nos enquêtes ont indiqué clairement, avec des preuves, que quelques camps étaient tout à fait en ordre, que tous les commandants n’étaient pas des criminels et que beaucoup de membres des Kommandanturen ne connaissaient pas les crimes. La même chose vaut pour les médecins, et avant tout, les équipes de surveillance des camps de concentration n’avaient rien à voir avec ces crimes parce que, même à elles, il était interdit de prendre connaissance des événements survenus à l’intérieur des camps de concentration.

M. PELCKMANN

Vous avez auparavant mentionné le cas du commandant du camp de concentration de Buchenwald, Koch. On a déjà parlé au Tribunal de celui-ci. L’Accusation, en son temps, a prétendu et s’est appuyée sur l’audition d’un témoin nommé Blaha, ancien détenu, que Koch a été condamné pour corruption et pour le meurtre de trois personnes indésirables. Le Ministère Public a semblé dire que la justice des SS avait simplement passé à côté de beaucoup d’autres crimes. Est-ce exact ?

TÉMOIN REINECKE

Non, ce n’est pas exact. Le point de départ du procès contre Koch était la corruption, et c’est pour cela qu’il a été condamné à mort. Mais ce n’est pas le seul motif de sa condamnation à mort. La véritable raison de celle-ci, c’est l’invention et l’exécution d’un système de meurtre par Koch, dans beaucoup de cas. Il a fallu adopter ce jugement sommaire pour la raison suivante : il y avait tant de crimes commis par Koch à une époque ancienne, où toute trace était effacée, qu’un procès aurait duré des mois et des années si l’on avait voulu éclaircir le tout. C’est pour cette raison, afin de hâter le plus possible l’établissement des preuves, que l’on a fait vite, et pour faire cesser l’activité de Koch le plus tôt possible, ces trois cas ont été choisis comme étant typiques. Mais c’est pour le système de meurtre dans le camp de concentration de Buchenwald qu’il fut en réalité condamné.

M. PELCKMANN

L’exposé de ce témoin au sujet de ces événements est soutenu par l’affidavit SS-65, l’affidavit SS-64 et l’affidavit SS-66, 67, 68, 69. Je vous prie de barrer 68, c’était une erreur. 64 à 67 et 69.. Le juge d’instruction, Dr Morgen, aurait dû comparaître ici comme témoin, mais malheureusement il n’est arrivé qu’au début de juillet, au moment ou les témoignages devant la commission étaient presque terminés, et je n’ai pas pu le préparer à temps pour l’audition,, mais j’ai transmis un affidavit au Tribunal pour qu’il puisse juger s’il est utile de l’entendre comme témoin, car il s’agit ici de choses très importantes. (Se tournant vers le témoin.) Quelle était la position de Himmler par rapport à ces enquêtes ?

TÉMOIN REINECKE

Lorsqu’on découvrit les crimes à Buchenwald, à la fin de 1943, on fit immédiatement un rapport à Himmler ; Himmler a été constamment tenu au courant du développement de l’enquête. Himmler manifesta une grande activité et prescrivit de mener les enquêtes de la façon la plus stricte. C’est seulement avec son autorisation qu’il était possible de franchir les grilles des camps de concentration. Au milieu de l’année 1944 arriva brusquement un ordre opposé de Himmler. En tant que chef de la justice, il ordonnait qu’après l’enquête contre Koch, toutes les autres enquêtes devaient cesser dans tous les camps de concentration. Koch serait condamné à mort et serait pendu devant tous les détenus. Pohl aurait lui-même personnellement à diriger l’exécution et adresserait la parole comme il convenait aux équipes de surveillance des camps de concentration. Les autres coupables devraient dénoncer volontairement les crimes qu’ils avaient commis. Il leur assurerait dans ce cas une grâce éventuelle. Celui qui ne ferait pas cette annonce à temps était sûr d’être condamné à mort par un tribunal. Contre cet ordre de Himmler, le chef du tribunal SS éleva son opposition. Il n’obtint aucune décision définitive de Himmler. Dans la suite, cependant, Himmler toléra la continuation des procès. Le tribunal SS ne termina pas le procès Koch à dessein, à cette époque-là, afin d’avoir la possibilité d’étendre les enquêtes à d’autres camps, et il y réussit en effet. Les commissions d’enquête du service de la Police criminelle du Reich, qui avaient déjà été retirées conformément à l’instruction de Himmler, reprirent leur activité, et en automne 1944, sur une base très large, on continua l’enquête. Des pleins pouvoirs étaient nécessaires contre la résistance constante de Pohl. Ces pouvoirs furent donnés par le chef du tribunal lui-même et Pohl ne pouvait pas les lui refuser.

M. PELCKMANN

Les détails de ce jeu dramatique entre Pohl, Himmler et le tribunal SS sont aussi décrits dans l’affidavit du Dr Morgen (SS-65 à SS-67).

Témoin, est-ce qu’au cours de ces enquêtes vous avez découvert des ordres de Himmler ou de Hitler relatifs à la destruction biologique des Juifs ?

TÉMOIN REINECKE

Non, nous n’avons jamais vu de tels ordres et, au cours de nos enquêtes, nous n’avons pas réussi à nous en emparer ou à en avoir autrement connaissance. On ne pouvait pas imaginer que des ordres aussi épouvantables pouvaient exister. Vis-à-vis de nous, Himmler avait toujours montré son visage d’idéaliste, propreté, décence, lutte contre tous les crimes à tout prix. A moi personnellement, à la fin de 1943, dans une conférence, il a confirmé ces principes expressément. Qu’un système d’extermination puisse exister était une idée que l’on ne pouvait concevoir, en considérant les circonstances et les situations existantes. Nous avons constaté des événements terrifiants dans les camps de concentration. Nous avons appris beaucoup de choses qui nous ont révoltés, mais cette pensée n’existait pas. Des noms comme Höss et Eich-mann sont apparus dans nos procès, et il y eut, en fait, des procès contre ces deux hommes, procès qui, à la fin de la guerre, étaient encore à leur début. Mais Höss et Eichmann étaient, pour nous, des noms comme Brown ou Jones. Personne ne pouvait soupçonner que derrière ces personnes se cachaient les manœuvres d’un système terrible d’extermination. Lorsqu’à la fin de 1944 ou au début de 1945 nous avons pu à peu près embrasser l’ensemble réel des crimes dans les camps de concentration, quand nous avons découvert que ces crimes avaient été commis en vertu d’ordres donnés, le système de défense de Pohl, Muller et Grawitz nous est apparu même encore incroyable, car, si des ordres supérieurs avaient été effectivement donnés comme ces trois personnes l’ont prétendu, il leur aurait été sans doute facile d’aller trouver Himmler et d’obtenir que la justice fut désaisie de ces affaires.

C’est ainsi qu’il se produisit que, malgré ces résultats obtenus péniblement à force de travail, nous n’eûmes jamais de preuves juridiquement incontestables que des exterminations massives — sans même pouvoir imaginer l’extermination biologique de la race juive — eussent été entreprises, et que nous continuâmes à poursuivre l’instruction de crimes d’une étendue terrible certes et terriblement nombreux, mais en les considérant comme des crimes isolés.

M. PELCKMANN

Il existe une brochure, publiée par le CIC Central Department américain. L’auteur est un certain colonel Quinn. Elle est intitulée : SS-Dachau. Je ne puds malheureusement la présenter au Tribunal, car j’ai dû la rendre, mais elle se trouve à la bibliothèque et elle est généralement connue. Il y a là une déclaration d’un détenu anonyme...

LE PRÉSIDENT

Vous auriez dû prendre un exemplaire de ce document. Vous ne devez pas attester simplement et nous dire quel en est le contenu, si vous ne pouvez pas le présenter. Le fait que vous ayez dû le rendre à la bibliothèque n’est pas une raison pour que vous ne l’ayez pas. Nous n’aurions rien eu à redire si vous l’aviez apporté.

M. PELCKMANN

Puis-je essayer de vous l’apporter après la suspension d’audience ?

LE PRÉSIDENT

Oui, si vous voulez.

M. PELCKMANN

Dans ce livre, il y a la copie. ..

LE PRÉSIDENT

Nous ne voulons pas savoir ce que contient ce document ; nous n’acceptons pas que vous nous disiez ce qu’il contient.

M. PELCKMANN

Je reposerai donc cette question plus tard. (Se tournant vers le témoin.) Devant ce Tribunal, témoin, on a apporté la preuve que, dans le camp d’Auschwitz et dans d’autres camps, dans les chambres à gaz, on a procédé à la destruction de millions d’hommes.

Vous avez, au contraire, constaté dans vos enquêtes que seuls des individus et un cercle restreint de personnes ont commis des crimes isolés. Est-ce qu’à votre connaissance, il est possible que les personnes qui avaient commis des crimes isolés aient été aussi responsables des crimes collectifs ?

TÉMOIN REINECKE

Il résulte des enquêtes du Service central du tribunal des SS, et notamment surtout de l’état final de ces enquêtes peu de temps avant la fin de la guerre, que ces actes sont imputables exclusivement à des individus isolés et aussi à un petit cercle de personnes ; sans cela, ces faits monstrueux n’auraient pu demeurer si longtemps cachés.

M. PELCKMANN

Est-ce qu’à la suite de votre entretien avec le Dr Morgen, vous avez eu connaissance d’autres faits qui corroborent ces suppositions ?

TÉMOIN REINECKE

Le Dr Morgen est un juge, mon prédécesseur qui, pendant des années, avait été placé dans la Police criminelle du Reich afin de procéder aux enquêtes dans les camps de concentration. Le Dr Morgen a des connaissances très étendues. Je sais aujourd’hui qu’il s’est entretenu lui-même avec des exécutants de cette extermination. Il fait ressortir le fait que l’origine de la destruction des Juifs ne doit pas être cherchée parmi les SS mais dans la Chancellerie du Führer.

LE PRÉSIDENT

J’ai cru comprendre, d’après ce que vous disiez, que vous versiez deux affidavits du Dr Morgen. Est-ce exact ?

M. PELCKMANN

Trois, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Oui, cinq si vous voulez. Ce témoin ne peut pas nous dire ce qu’a dit le Dr Morgen. Celui-ci doit parler lui-même, puisque nous avons des affidavits.

M. PELCKMANN

Je demande qu’on me permettre d’exposer cela en présentant les affidavits de Morgen. (Se tournant vers le témoin.) L’Accusation, cependant, prétend qu’il ne peut pas s’agir d’actes individuels de certaines personnes, mais que l’exécution logique du programme du Parti dans la question juive a précisément conduit à ces crimes d’Auschwitz. Que pouvez-vous dire à ce propos, témoin, d’après vos expériences et votre connaissance au sujet de la lutte contre les crimes ?

TÉMOIN REINECKE

Je viens de dire précisément que Himmler a toujours montré son visage idéaliste dans les SS, et c’est ce visage d’idéaliste qui était ce que les membres SS considéraient comme l’expression du programme du Parti. Les ordres de Himmler, pour détruire biologiquement les Juifs, tels que je les connais aujourd’hui...

LE PRÉSIDENT

Monsieur Pelckmann, le témoin n’a pas cessé de répéter que Himmler montrait devant les SS son visage d’idéaliste. Il l’a dit tout à l’heure, vous le savez bien. Il suffit pourtant qu’il le dise une fois.

M. PELCKMANN

Est-ce que je puis demander au témoin, Monsieur le Président, de quelle manière il prend position à propos de l’affirmation de l’Accusation concernant la destruction des Juifs à Auschwitz ; est-ce, pour la masse, une conséquence immédiate des principes qui ont été enseignés aux SS ?

LE PRÉSIDENT

Il ne nous a même pas encore dit s’il avait jamais été lui-même dans les camps de concentration. Comment peut-il témoigner à ce sujet ? Il peut nous dire ce qu’il a vu et ce qu’il a fait lui-même.

M. PELCKMANN

Témoin, savez-vous quelque chose de l’activité des « Einsatzgruppen » (groupes spéciaux) et des SS Kommandos de la Sipo (Police de sûreté) et des SD dans l’Est, tel que cela a été dit ici au Tribunal ?

TÉMOIN REINECKE

Je ne sais rien de tout cela. Je savais que la Police de sûreté se trouvait sur le théâtre d’opérations de l’Est et qu’elle y remplissait des missions de sécurité. Elle me semblait être la tâche de la Police de sûreté dans cet emploi. D’autres ordres n’ont pas été connus par la justice des SS. Nous n’avons entendu parler de toutes ces choses qu’ici, pour la première fois.

M. PELCKMANN

Est-ce que les membres des Waffen SS avaient la possibilité de quitter l’organisation lorsqu’ils n’étaient pas d’accord sur les ordres et les missions des SS ?

TÉMOIN REINECKE

Une telle possibilité n’existait pas du tout. Le service dans les Waffen SS était un service militaire. Il était reconnu et réglé par la loi, même pour les membres des SS qui y étaient entrés volontairement. Ce caractère de volontariat, du fait du caractère militaire du service, s’était transformé en une chose obligatoire. Quitter l’organisation des Waffen SS n’aurait par conséquent été possible que par la désertion, et, dans ce cas, le déserteur s’exposait à toutes les conséquences de l’application de lois.

M. PELCKMANN

L’Accusation prétend que l’activité criminelle des SS était si considérable et s’étendait à tant d’illégalités que son caractère illégal ne pouvait pas rester caché aux membres des SS eux-mêmes ?

TÉMOIN REINECKE

Les SS n’étaient pas une unité ; j’ai décrit déjà les différentes organisations de SS ; les membres des SS ne pouvaient prendre connaissance des différentes organisations. Ils voyaient leur Allgemeine SS ou leur Waffen SS, où de tels crimes n’étaient pas commis ; jamais ils n’auraient pu croire qu’ils appartenaient à une organisation criminelle. Ils n’avaient effectivement aucun soupçon des crimes constatés ici.

M. PELCKMANN

Monsieur le Président, pour terminer, et si l’on m’y autorise, j’ai encore une question à poser au témoin. Il était employé à la composition d’affidavits avec un certain nombre de collaborateurs. Si le Tribunal estime utile de constater de quelle manière les affidavits étaient recueillis et constitués et de quelle manière ils étaient exploités, le témoin peut donner des renseignements à ce sujet.

LE PRÉSIDENT

Oui, vous pouvez lui poser cette question.

M. PELCKMANN

636.213 affidavits ont été exploités ; ils ont été classés dans plusieurs dossiers en formulaires ; de plus, il y a un sommaire des différentes questions ainsi qu’une nomenclature numérique des affidavits par groupe de questions. (Se tournant vers le témoin.) Témoin, qui s’est occupé d’exploiter ces affidavits ?

TÉMOIN REINECKE

L’exploitation a été faite sous ma direction, et quinze internés SB possédant la qualification de juges étaient sous mes ordres pour ce travail. 170.000 déclarations présentées ont été examinées. Sur ce nombre, 136.213 déclarations sous serment et demandes de témoignage ont été rassemblées sous la forme d’un recueil de documents. Pour le reste, ce sont de simples demandes d’audition, etc. Les 136.213 déclarations ont été réparties dans le dossier et classées en différentes rubriques partielles, pour répondre à des questions de la Défense, au sujet d’accusations portées contre les SS.

M. PELCKMANN

D’où avez-vous reçu ce nombre considérable d’affidavits ?

TÉMOIN REINECKE

Ils provenaient avant tout de la zone américaine, de la zone anglaise, et pour une partie moindre, de la zone française. En général, aucun affidavit n’est venu de la zone russe et de l’Autriche.

M. PELCKMANN

Comment avez-vous procédé pour examiner et classer ces affidavits ?

TÉMOIN REINECKE

Je viens de l’expliquer à grands traits.

M. PELCKMANN

Nous n’avons donc pas besoin de l’examiner en détails. Je vous remercie.

LE PRÉSIDENT

J’ai cru comprendre que le témoin disait qu’il y avait 170.000 déclarations qui avaient été utilisées et, d’une façon quelconque, 136.213 affidavits ont été obtenus sur les bases de la déclaration. Comment l’ont-ils été ? Le Tribunal aimerait à le savoir. Devant qui le serment a-t-il été prêté ?

M. PELCKMANN

Le témoin peut expliquer cela, Monsieur le Président.

TÉMOIN REINECKE

Ces 170.000 affidavits ont été donnés sous serment par des membres des SS internés ; sur cet ensemble de 170.000 affidavits, 136.213 ont été utilisés réellement par mes collaborateurs. Les autres ne l’ont pas été parce qu’en partie, ils n’étaient pas importants, et en partie, ils n’avaient pas été transmis dans les délais et sous les formes légales.

LE PRÉSIDENT

La totalité de 170.000 documents était des affidavits sous la foi du serment.

M. PELCKMANN

Devant qui, témoin, devant qui ?

TÉMOIN REINECKE

Une partie de ces 170.000 affidavits n’étaient pas établis sous la foi du serment. Mais les 136.213 affidavits ont tous été établis sous la foi du serment.

Nous connaissions la décision du Tribunal au sujet du fait que le serment devant un magistrat allemand n’avait de validité que s’il avait été prêté avant le mois de mai de cette année et qu’un serment prêté après cette date devait avoir été prêté devant un officier allié. Mais cela ne s’est pas produit ainsi dans les camps. Il y a également, après le mois de mai 1946, des affidavits qui ont été établis sous serment ; et on a prêté serment devant des avocats et les tribunaux. D’après l’ordonnance du Tribunal, ces affidavits doivent être exclus comme non valables. C’est pourquoi il n’est resté que le nombre de 136.213 affidavits.

M. PELCKMANN

Le choix et la mise en valeur ont-ils été faits en n’utilisant, dans un but de défense des SS, que les affidavits favorables ?

TÉMOIN REINECKE

Non, tous les affidavits ont été utilisés complètement.

M. PELCKMANN

Comment se fait-il que, pour certains points spéciaux, il y ait plusieurs milliers de déclarations qui ont été utilisées, tandis que, d’après la liste, pour d’autres points, il n’y a que certains affidavits isolés ?

TÉMOIN REINECKE

Par la masse des affidavits transmis, on pouvait reconnaître que l’ensemble des membres des SS se trouvaient en présence de l’accusation du Tribunal sans la comprendre. Pour citer un exemple, ils ne peuvent imaginer qu’ils aient eu une activité dans une conjuration ; ils ne peuvent s’imaginer qu’ils ont préparé une guerre d’agression ; c’est pourquoi les membres des SS n’ont fait de déclaration que sur ce qui leur paraît typique dans leur activité au sein des SS. Le combattant, par exemple, parle de ce qu’il a vu au front, l’homme de l’Allgemeine SS de la nature du service, de 1933 à 1939.

M. PELCKMANN

Pour donner un exemple, le Tribunal pourra le reconnaître dans un affidavit sous le n° IV, 1 à 9 : « Est-ce que les brimades étaient interdites dans les camps de concentration ? », du fait qu’il n’existe à ce sujet que deux déclarations, faut-il conclure que deux membres des SS seulement peuvent confirmer qu’elles étaient interdites, et, chose qui serait importante, que tous les autres savent le contraire ?

TÉMOIN REINECKE

Non, ce n’est pas cela qu’il faut comprendre. Les SS interrogés à ce sujet ne peuvent rien dire parce qu’ils n’en savent rien. Ils ne peuvent répondre ni affirmativement ni négativement. C’est pourquoi ils passent là-dessus sans donner d’explication.

M. PELCKMANN

Selon vos connaissances au sujet des parties différentes des SS, ainsi qu’au sujet de l’attitude générale des SS, avez-vous l’impression que ces 136.213 affidavits représentent la moyenne de ce que savaient les SS, bien que l’effectif total des SS soit beaucoup plus élevé que 136.000.

TÉMOIN REINECKE

Il faut, à ce propos, remarquer qu’au moment de la remise des affidavits, la plupart des soldats et des sous-officiers qui représentent la masse des SS étaient déjà démobilisés ; il faut, de plus, considérer que, dans beaucoup de camps, il y avait beaucoup de difficultés techniques, et on n’a pu procéder d’une façon uniforme aux interrogatoires par sujets séparés. En outre, il n’existe aucune manifestation d’opinion provenant de la zone soviétique et de l’Autriche. Malgré ces défauts considérables, je crois pouvoir dire, d’après mes connaissances de l’activité typique des SS, que l’image d’ensemble des affidavits peut être considérée comme typique pour les SS, dans l’ensemble.

M. PELCKMANN

Monsieur le Président, je n’ai plus de question à poser à ce témoin.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal suspendra alors l’audience.

(L’audience est suspendue.)
Dr LATERNSER

Monsieur le Président, je vous prie de m’autoriser à questionner le témoin sur un point qui est apparu au cours de cette déposition ; ce qui demandera à peu près trois minutes.

LE PRÉSIDENT

Quelle question voulez-vous poser, Docteur Laternser ?

Dr LATERNSER

C’est au sujet d’un point qui est apparu au cours de l’interrogatoire direct du témoin par le défenseur des SS. Il s’agit de la surveillance des camps de concentration.

LE PRÉSIDENT

Mais en quoi cela touche-t-il le Haut Commandement de la Wehrmacht ?

Dr LATERNSER

Il se pourrait que, par la voie hiérarchique, il y ait une relation, et il pourrait en résulter une charge pour le groupement accusé.

LE PRÉSIDENT

Docteur Laternser, le Tribunal n’accepte pas votre demande.

Le Ministère Public désire-t-il interroger le témoin ?

COMMANDANT ELWYN JONES

Témoin, vous étiez membre des SS depuis 1933, n’est-ce pas ?

TÉMOIN REINECKE

Oui.

COMMANDANT ELWYN JONES

Et pendant presque tout ce temps vous avez fait partie de la juridiction SS ?

TÉMOIN REINECKE

Oui.

COMMANDANT ELWYN JONES

Considérait-on, dans les Waffen SS ou dans l’Armée allemande, l’assassinat de Juifs par des hommes SS comme une chose grave ?

TÉMOIN REINECKE

Je n’ai pas compris la question.

COMMANDANT ELWYN JONES

Je vais la répéter. L’assassinat de Juifs, par des SS, aurait-il été considéré comme une chose grave dans les Waffen SS ou dans l’Armée ?

TÉMOIN REINECKE

Si l’extermination de Juifs sur l’ordre de Hitler avait été connue dans les SS ou, comme le dit Monsieur le Procureur, dans la Wehrmacht, on aurait fait certainement, à mon avis, des réflexions à ce sujet.

COMMANDANT ELWYN JONES

Si un SS avait assassiné 50 Juifs, par exemple, aurait-il été condamné à mort pour cela ?

TÉMOIN REINECKE

Je ne puis pas répondre à cela en quelques mots, étant donné que cette question touche à un problème fondamental.

COMMANDANT ELWYN JONES

Je voudrais que vous regardiez un document, en date du 14 septembre 1939, qui montre que les autorités judiciaires les plus hautes et celles de la Wehrmacht toléraient les assassinats de Juifs par les SS.

C’est le document EM21, déposé sous le numéro GB-567. La première page de ce mémorandum dit :

« Le chef du service judiciaire de l’Armée annonce par téléphone que le tribunal militaire de la division blindée Kempf a condamné pour homicide un SS d’un régiment d’artillerie SS à trois ans de détention et un sergent de la Police militaire à neuf ans de travaux forcés. Alors qu’environ 50 Juifs, qui avaient été employés à réparer un pont, avaient fini leur travail le soir, ces deux hommes les ont menés dans une synagogue et les ont abattus sans raison. La condamnation a. été soumise au commandant de la IIIe armée pour être confirmée. La proposition du représentant du Ministère Public était la peine de mort. »

Puis suit un paraphe et, dans la marge, figure une note :

« Le général Halder demandant qu’on donne les renseignements au sujet de la décision du Commandant en chef de la IIIe armée ». Puis vient une annotation au crayon violet : « A l’officier adjoint au Commandant en chef de l’Armée ».

A la page suivante, vous voyez comment les choses se sont passées. C’est un « télégramme » à l’Oberstkriegsgerichtsrat rattaché au Generalquartiermeister de Berlin : « Le SS Ernst devra bénéficier de circonstances atténuantes, car il fut forcé de participer à cette fusillade, un caporal lui ayant donné un fusil. Il était très irrité au sujet d’atrocités commises par des Polonais contre des personnes de race allemande ; comme soldat des SS, en voyant les Juifs, il a senti l’attitude hostile des Juifs vis-à-vis des Allemands ; ainsi il a agi sans réfléchir, emporté par son ardeur juvénile. D’ailleurs, excellent soldat, pas de punitions antérieures ».

Ce document est signé Lipski, Oberkriegsgerichtsrat. Ensuite viennent des notes au crayon violet : « A l’adjoint du Commandant en chef de l’Armée », puis : « Un appel téléphonique de l’Oberkriegsgerichtsrat Dr Stattmann dit, qu’« autant qu’on a pu vérifier, « le Commandant en chef de l’État-Major de l’Armée ne confirmera « pas ces deux condamnations ». Ensuite, il a été rajouté au crayon :

« Cette condamnation tombe sous le coups de l’amnistie. Les condamnations étaient prononcées antérieurement à l’amnistie. Les neuf ans de travaux forcés commués en trois ans de prison pour le sous-officier ; les trois années de prison pour le soldat SS, sans changement. Confirmé par l’État-Major de l’Armée. »

Ceci était bien des massacres en masse admis par les autorités de l’Armée, n’est-ce-pas ?

TÉMOIN REINECKE

A mon avis, ce document, dans la seconde partie de ces déclarations concernant les raisons de la peine légère infligée aux deux SS, représente une opinion personnelle du Kriegsgerichtsrat Lipski, qui a prononcé cette condamnation en qualité de président du Tribunal. C’est pourquoi il ne m’est pas possible, d’après cela, étant donné que je n’ai pas vu les autres pièces du dossier, de prendre position pour savoir si les raisons données ici par le juge sont conformes aux faits ou non.

COMMANDANT ELWYN JONES

Un instant. Comprenez-vous bien que, pour avoir tué 50 Juifs, et si les faits signalés dans ce document allemand sont exacts, ce n’était pas autre chose qu’un assassinat ? On les a simplement reconnus coupables d’homicide. Comme juriste, vous pouvez comprendre la différence. Et puis... ce juge militaire prononce une condamnation à trois ans de travaux forcés pour 50 assassinats. C’était un de vos collègues du service juridique, n’est-ce-pas ?

J’affirme que son attitude était typique et représentait bien le caractère du service judiciaire des SS et de l’Armée ; typique au sujet de l’assassinats de Juifs que vous considérez comme des sous-hommes.

TÉMOIN REINECKE

Voici ce que j’ai à dire. Il s’agit sans aucun doute d’une question juridique consistant à savoir si ce jugement est basé sur l’inculpation d’assassinat ou d’homicide. Quels sont les motifs de fait qui ont amené les juges à parler seulement d’homicide je ne puis vous le dire étant donné que le document ne fait pas ressortir cela Il est donc impossible de prendre position à l’égard de la question posée par l’Accusation.

COMMANDANT ELWYN JONES

Mais c’est dit tout à fait clairement, comme vous le savez. On l’a qualifié homicide parce que ce soldat Ernst, étant SS, était particulièrement irritable quand il voyait des Juifs ; et pour cette raison, ce n’était qu’une folie de jeunesse. Voilà le raisonnement du juge. Vous comprenez pourtant clairement que...

TÉMOIN REINECKE

Oui, je vais encore vous dire ce qui suit : ainsi que le fait ressortir le document, le Ministère Public avait demandé de juger l’affaire pour assassinat et, manifestement aussi, d’appliquer la peine de mort. Le président du tribunal n’a pas basé son jugement sur l’assassinat mais sur l’homicide. D’après le Code pénal allemand, il y a une différence entre la qualification d’assassinat et celle d’homicide ; à savoir que l’assassinat est un acte effectué avec préméditation, avec l’intention de tuer un individu, tandis que l’homicide est une action impulsive ayant pour résultat la mort d’un homme. Dans le cas présent, le juge a basé son jugement sur cette seconde qualification et il a tenu compte des circonstances rapportées ici.

COMMANDANT ELWYN JONES

Je vous remercie de cette savante dissertation au sujet de la distinction entre l’« homicide » et l’« assassinat » ; je crois que le Tribunal connaissait cela. En tous cas, la fin de l’histoire est que le Commandant en chef de l’Armée a étouffé l’affaire.

TÉMOIN REINECKE

C’est exact.

COMMANDANT ELWYN JONES

Puis la condamnation a été comprise dans l’amnistie. Voilà quelle est la suite donnée à cette inculpation d’assassinat par la justice militaire : l’amnistie et la grâce.

Je voudrais maintenant que vous regardiez un autre document, afin que le Tribunal puisse constater avec quel zèle les autorités allemandes poursuivaient les crimes. C’est le document D-926, qui sera déposé sous le numéro GB-568. Il date d’une période ancienne. Ce n’est pas une époque où l’on pouvait considérer, comme vous dites, les Polonais ou autres comme responsables, car cela se passait en 1933,, vers le début de la formation des SS, à l’époque où vous y êtes entré.

C’est un jugement concernant la mort de prisonniers internés préventivement au camp de concentration de Dachau. Cela commence par une lettre en date du 2 juin 1933 et provient du Ministère Public de la Cour provinciale de Munich, 2e district. Le destinataire est le ministère de la Justice. Sujet : mort de prisonniers internés préventivement au camp de concentration de Dachau. Il s’agit du cas de Schloss, Hausmann, Strauss et Nefzger. « D’après mes instructions, j’ai eu une longue discussion le 1er juin 1933, avec le chef de la Police Himmler, dans son bureau, à l’État-Major de la Police à Munich, en ce qui concerne les incidents du camp de concentration de Dachau, que j’avais déjà signalés individuellement au ministère de la Justice ; et en lui montrant des photos figurant au dossier, je lui ai parlé brièvement des cas de Schloss, Hausmann,, Strauss et Nefzger, notamment, dont il était déjà informé. Je lui ai fait surtout remarquer, à propos des quatre cas, que le résultat des constatations faites donnait de bonnes raisons pour qu’on puisse soupçonner des délits graves de la part de certains membres de la garde du camp et des officiers du camp ; que le Ministère Public et les autorités de la Police, qui ont eu connaissance de ces incidents, étaient tenus tous deux, sous peine de sanctions sévères, d’engager des poursuites criminelles au sujet de ces événements, sans tenir compte d’aucune considération personnelle. »

Je pense que je n’ai pas besoin de lire le reste de ce document.

Le second document est encore une lettre du Ministère Public de la Cour d’appel de Munich, adressée au ministère de la Justice d’État et datée du 11 août 1933.

Vous voyez donc, témoin, que du 2 juin au 11 août, rien n’avait été fait.

Le Ministère Public, dans sa dernière phrase, après avoir parlé des dossiers de Schloss, Hausmann, Strauss et Nefzger, dit : « Si vous n’avez pas besoin, pour l’instant, de ces dossiers, je vous demanderai qu’on nous les renvoie afin de pouvoir savoir si le décret du 2 août 1933 concernant l’amnistie peut être appliqué ».

Je n’ai pas besoin de lire le troisième et le quatrième document. Si le Tribunal veut bien passer à la page 5 de votre exemplaire, et si vous, témoin, vous voulez regarder le document 8 dont je vais parler, vous verrez que c’est encore un compte rendu du Ministère Public du tribunal provincial au ministère de la Justice d’État. « Sujet : mort du prisonnier interné préventivement, Hugo Handschuch, au camp de Dachau ». Avez-vous trouvé l’endroit ?

TÉMOIN REINECKE

Oui, je l’ai trouvé.

COMMANDANT ELWYN JONES

Je lis à la page 5 du texte anglais : « ... L’autopsie ordonnée par moi a eu lieu à Dachau, le 23 septembre 1933... » — c’est à la page 5 du texte anglais — « ... Elle a démontré que la mort était due à un transport au cerveau provoqué par une hémorragie causée par des coups donnés avec un instrument contondant, surtout dans la région temporale gauche et à l’arrière de la tête. En plus, il a été constaté sur le cadavre des ecchymoses dans la région de la joue gauche, de l’épaule droite et la partie supérieure du bras gauche. Le buste aussi avait des ecchymoses, ainsi que la partie interne de la cuisse gauche. C’est le résultat de coups donnés lorsque la victime était en vie. En raison des faits constatés par cette autopsie, il y a lieu, d’après la déclaration du médecin, d’envisager que la mort a été causée par une autre personne. J’ai l’intention d’effectuer la suite de l’enquête nécessaire pour découvrir les auteurs, en accord avec la Police politique ».

Et, comme vous le voyez, ce rapport a été soumis au Président du Conseil avec prière d’en prendre connaissance et de le transmettre au Gouverneur du Reich en Bavière. Le ministre de l’Intérieur en est également informé.

Le document n° 11, page 9 du texte anglais, est une proposition du ministre de l’Intérieur tendant à arrêter l’enquête au sujet de la mort de Handschuch, Franz et Katz. Vous vous souvenez, témoin, que l’autopsie pratiquée sur Handschuch faisait conclure à une mort causée par une autre personne ? Voici une lettre d’Adolf Wagner adressée à l’accusé Dr Frank, le juriste des nazis faisant autorité. Elle est datée du 29 novembre 1933.

LE PRÉSIDENT

De quel Dr Frank s’agit-il ?

COMMANDANT ELWYN JONES

De l’accusé Frank, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Bien, continuez.

COMMANDANT ELWYN JONES

« ...Le chef de la Police politique au ministère de l’Intérieur vous a présenté, le 18 novembre 1933, une proposition d’après laquelle les enquêtes pour l’affaire des prisonniers Hugo Handschuch, Wilhelm Franz et Delwin Katz, devaient être arrêtées pour des raisons politiques. A ce sujet, vous m’avez envoyé un homme de liaison du ministère de la Justice d’État auprès de la Police politique de Bavière, l’avocat général Dr Stepp. Depuis loirs, au cours d’un entretien avec le chef de la Police politique, Reichsführer SS Himmler, j’ai pu constater que poursuivre cette enquête ferait beaucoup de tort à la réputation die l’État national-socialiste, car elle serait dirigée contre les membres des SA et des SS. Ainsi, les SA et les SS, c’est-à-dire les soutiens principaux de l’État national-socialiste seraient atteinte directement. C’est pour cette raison que je me rallie à la proposition demandant que ces enquêtes soient arrêtées, proposition présentée le 18 novembre 1933 par le chef de la Police politique au ministère d’État de l’Intérieur. »

Je ne crois pas qu’il soit besoin de lire la suite de cette lettre. Elle dit que les internés des camps de concentration étaient presque exclusivement des criminels typiques.

Le document suivant, qui est le ’document 10, est en allemand.

LE PRÉSIDENT

Le document que vous venez de lire, page 9 du texte anglais, est daté du 29 novembre 1933. Est-ce une erreur typographique ?

COMMANDANT ELWYN JONES

Non, Monsieur le Président, la date est exacte.

LE PRÉSIDENT

Le document de la page 5 que vous avez lu précédemment est en date ’du 26 septembre 1936, n’est-ce pas ?

COMMANDANT ELWYN JONES

Non, Monsieur le Président, c’est une erreur typographique, j’aurais dû attirer votre attention sur ce point. Ce devrait être 1933.

LE PRÉSIDENT

C’est la page 5. Lorsque nous avons parlé de ce document, vous auriez dû dire que la page 3 et la page 4, dont vous n’avez pas parlé, montrent que les autres dossiers dont parle le Ministère Public de la Cour provinciale à Munich étaient apparemment égarés et ne purent être retrouvés, et que des recherches à ce sujet furent effectuées jusqu’en 1935.

COMMANDANT ELWYN JONES

Oui, Monsieur le Président, je vous remercie, j’essaye de me concentrer sur l’essentiel de ces documents.

LE PRÉSIDENT

Continuez, je vous en prie.

COMMANDANT ELWYN JONES

Je voudrais, témoin, que vous regardiez à la page 6, document 10, de votre texte. C’est un mémorandum du Dr Hans Frank — l’accusé — en date du 2 décembre 1933, adressé au Premier Ministre, et dont l’objet est : « Arrêt de l’enquête criminelle ».

« La femme d’un négociant, Sophie Handschuch, de Munich, dans une déclaration écrite reçue par le Ministère Public de la Cour provinciale de Munich-II, le 18 septembre 1933, a déclaré que son fils Hugo Handschuch, interné préventivement le 23 août 1933, est mort d’une syncope cardiaque au camp de Dachau, le 2 septembre 1933. Le certificat de décès portait « accident cardiaque suivant transport au cerveau » comme cause de mort. Le corps ne fut pas montré aux parents et ne leur fut remis qu’après beaucoup de difficultés, à la condition que le cercueil ne serait pas ouvert. Le cercueil était si bien fermé qu’il a été impossible de le rouvrir. L’auteur de la lettre, demandait que le cercueil soit ouvert, qu’une autopsie soit faite afin qu’on puisse identifier les causes de la mort.

« Le Ministère Public de la Cour provinciale de Munich-II, afin d’éclaircir l’affaire, a questionné Sophie Handschuch et la fiancée du mort, Théa Kink. D’après leurs déclarations, l’hypothèse semble plausible que Handschuch avait déjà été fortement maltraité à la Maison Brune, le jour de son arrestation, le 23 août 1933. En ce qui concerne les faits établis par l’enquête qu’il avait été expressément interdit de voir le cadavre,, ils suffisaient à laisser croire que Handschuch n’était pas mort de mort naturelle.

« Afin d’établir, sans doute possible, la cause de la mort, le corps fut exhumé à Dachau le 23 septembre 1933, à la demande du Ministère Public, et une autopsie fut faite. Cette autopsie a démontré que la mort était due à un transport au cerveau et à une hémorragie cérébrale, et que cette hémorragie provenait de blessures provoquées par un objet contondant, ayant atteint le crâne, surtout dans la région temporale gauche et à l’arrière de la tête ». En outre, il y a les détails de l’autopsie qui sont exposés dans un autre document que j’ai lu. On a pu déduire après l’autopsie que la mort n’était pas due à des causes naturelles. »

Deuxième paragraphe :

« Dans la matinée du 19 octobre 1933, le Ministère Public de la Cour d’appel de Munich a été informé par téléphone par la Police politique de Bavière que : dans l’après-midi du 17 octobre 1933, Wilhelm Franz de Munich, détenu préventivement, né le 5 juin 1909, et dans la nuit du 17 au 18 octobre 1933, le Dr Delwin Katz de Nuremberg, interné préventivement, né le 3 août 1887, s’étaient pendus dans leur cellule, dans le camp de concentration de Dachau. Le Ministère Public a donné ordre, le même jour, qu’un examen légal et qu’une autopsie aient lieu.

« Les cadavres avaient déjà été sortis des cellules. Ils se trouvaient sur des civières dans un baraquement du camp qui était fermé à clé, complètement nus, sauf les pieds. Dans la cellule de Franz, il y avait des taches de sang frais et des éclaboussures de sang sur le bat-flanc. »

Il est dit ensuite qu’une autopsie légale fut prescrite le 20 octobre 1933. Le paragraphe suivant parle de l’autopsie :

« L’autopsie laissa croire que, dans les deux cas, la mort était due à des violences extérieures. D’après le procès-verbal des deux docteurs légistes, le Dr Flamm pour la Cour et le Dr Niedenthal médecin du Tribunal, la mort a été provoquée dans les deux cas par étouffement ayant pour cause la strangulation. Les marques qu’ils avaient sur le cou ne correspondaient pas à celles que l’on constate sur les personnes pendues.

« En ce qui concerne le corps de Franz, le procès-verbal indique encore qu’à première vue on ne peut exclure comme cause concomitante de la mort une embolie graisseuse. Car les constatations faites sur le cadavre ont révélé ’des ecchymoses fraîches du cuir chevelu, d’autres particulièrement nombreuses sur le tronc et sur les bras, ainsi que des épanchements sanguins étendus et des lésions des tissus graisseux.

A part les blessures au cou, le corps de Katz présentait plusieurs indurations et érosions cutanées et la peau avait tendance à peler sur le crâne.

Dès l’examen des corps, le Ministère Public avait demandé qu’on lui envoyât les deux ceintures avec lesquelles Franz et Katz étaient supposés s’être pendus, mais elles ne purent être remises immédiatement. Le Tribunal de Dachau a ordonné la saisie des ceintures. »

Au troisième paragraphe :

« Dans cette affaire, j’ai donné connaissance à M. le Président du Conseil et par son intermédiaire au Gouverneur du Reich en Bavière, ainsi qu’à M. le ministre de l’Intérieur, des rapports du Ministère Public. Dans une lettre du 29 novembre 1933, adressée à moi, M. le ministre d’État à l’Intérieur me proposa que ces enquêtes de la Cour provinciale de Munich-II concernant la mort de Hugo Handschuch, Wilhelm Franz et du Dr Delwin Katz, internés préventivement, soient suspendues pour des raisons politiques.

Comme motif, il fait remarquer que ces enquêtes causeraient beaucoup de tort au prestige de l’État national-socialiste, car ces enquêtes seraient dirigées contre des membres des SA et des SS, et qu’en conséquence, les SA et les SS, c’est-à-dire les soutiens principaux de l’État national-socialiste, seraient atteints. »

Frank continue à donner dans son mémoire juridique une interprétation de la loi, selon laquelle le Gouverneur du Reich a effectivement le droit de grâce. Il dit, dans la dernière partie de l’avant-dernier paragraphe : « D’après la Constitution de l’État libre de Bavière, la suspension des enquêtes criminelles avait été interdite. La loi du 2 août 1933 sur. la suspension des enquêtes criminelles a supprimé cette interdiction ; d’après les lois actuellement en vigueur, il existe ainsi une possibilité légale de suspendre des enquêtes criminelles particulières par un acte de gouvernement, par la procédure de grâce ».

Ensuite Frank suggère que, d’après cette position légale, la proposition du ministre d’État devait être soumise au Conseil des ministres.

Le document suivant se trouve à la page 10 du texte en anglais et à la page 12 du texte en allemand. Il démontre que le Conseil des ministres n’était pas disposé à permettre cet arrêt de l’enquête. Il est dit :

« La proposition de M. le ministre d’État à l’Intérieur tendant à arrêter les enquêtes en instance au Ministère Public de la Cour provinciale de Munich-II, concernant la mort de Handschuch, Franz et Katz, qui étaient internés préventivement, a été discutée au cours d’une réunion du Conseil des ministres le 5 décembre 1933. En conséquence, le ministre de la Justice a communiqué ce qui suit au rapporteur soussigné : La procédure criminelle concernant les incidents survenus au camp de concentration de Dachau doit être résolument poursuivie. Les faits doivent être éclaircis le plus rapidement possible ».

Suivent certaines instructions concernant les enquêtes.

Puis nous passons au document 12 du texte en allemand, page 2 du texte anglais :

« Soumis au ministre d’État, avec prière d’en prendre connaissance. Une note du Procureur général Dr Stepp, concernant l’exécution des instructions reçues par lui, est jointe avec prière d’en prendre connaissance : « Sur l’ordre du conseiller ministériel Dobig, j’ai communiqué la décision prise hier au Conseil des ministres concernant le cas de Handschuch, etc., au Reichsführer SS Himmler. Celui-ci m’a dit que cette question concernait surtout le chef « de l’État-Major SA, M. le ministre du Reich Röhm. Lui-même (Himmler) devait discuter de cette question avec ce dernier tout d’abord ».

Ensuite, Röhm donne certaines instructions que le Dr Stepp, dans son rapport, note de mémoire :

« Le camp de Dachau est un camp pour internés préventivement et pour internés politiques. Les incidents en question sont de nature politique et en toutes circonstances les autorités politiques doivent en décider en premier lieu. A mon avis, ils ne semblent pas de nature à être examinés par l’autorité judiciaire. Ceci est mon opinion en tant que chef d’État-Major et ministre du Reich. En cette qualité, je suis intéressé à ce que le Reich ne subisse pas un préjudice politique, du fait de ces procédures. J’obtiendrai du Reichsführer SS un ordre selon lequel aucune autorité d’enquête ne sera admise à pénétrer dans le camp pour l’instant, et aucun détenu ne devra être interrogé. »

Ensuite, il y a une note :

« Le Ministère Public de la Cour de Munich a reçu des instructions du ministre prescrivant de renoncer, jusqu’à nouvel ordre, à l’ouverture d’une instruction préalable. »

Le document suivant est le numéro 13. C’est une lettre au Ministère Public concernant la mort des détenus Franz et Katz.

« En ce qui concerne ces questions, j’ai, conformément à la demande qui m’avait été faite, donné par une note du 12 juillet 1934 des instructions à la Police politique de Bavière afin qu’elle continue à éclaircir la question, en collaboration avec la Kommandantur du camp de concentration de Dachau, et qu’elle essaye de trouver les personnes soupçonnées coupables.

« Dans ma note, j’ai également fait remarquer que je n’avais pas reçu les instruments de suicide, légalement saisis (ceinture et bretelles), des morts.

La Police politique semble avoir transmis les dossiers sans instruction écrite au service politique du camp de concentration de Dachau ».

Le premier paragraphe de cette lettre dit :

« La dernière requête du Ministère Public de Munich-II pour production de preuves, démontre les moyens singuliers que l’on emploie pour essayer d’accuser le camp de concentration de Dachau de crimes prémédités.

Dans le deuxième paragraphe de la lettre, on exprime le regret que les deux hommes aient pu, par leur suicide, éviter d’être punis pour avoir passé des lettres en contrebande. »

Le troisième paragraphe parle de la saisie et dit :

« Après que les deux corps eurent été autopsiés par ordre de la justice, et renvoyés à leur famille, le personnel du commandement n’avait plus d’intérêt à conserver les instruments avec lesquels ils s’étaient pendus. Le personnel du commandement ne fait pas partie de ces répugnants « Kulturmenschen » (personnes cultivées) qui gardent ces objets comme souvenir, comme cela s’est passé récemment en Amérique pour le cas Dillinger »

La lettre est signée, pour le commandant du camp, par le SS-Obersturmbannführer Lippert.

Ensuite, il y a une requête par le Ministère Public demandant d’intervenir. Dans la lettre suivante, on se réfère à cette lettre du commandant du camp de Dachau, d’où il ressort que la requête du Procureur Général a été faite dans l’exercice impartial de ses fonctions.

A la fin du document, il y a cette annotation :

« Munich, 27 septembre 1934, Ministère Public. »

C’est une lettre du Procureur Général à l’Avocat Général près la Cour d’appel de Munich.

« Objet : Mort des internés préventivement, Wilhelm Franz et Dr Katz, au camp de concentration de Dachau.

J’ai arrêté la procédure, car les enquêtes ont démontré qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour supposer que la mort de ces personnes était due à des causes extérieures. »

Voilà, témoin ; on a pris quelque temps à lire ces documents, mais ceci est une illustration caractéristique du fait que les excès des SA et SS dans les camps de concentration étaient couverts par les plus hautes autorités du IIIe Reich. N’est-ce pas exact ?

TÉMOIN REINECKE

Il faut dire que ce document émane de l’année 1933, une époque où le camp de concentration de Dachau n’était pas exclusivement occupé par des membres des SS. Ce document fait ressortir que le Ministère Public du tribunal régional avait des soupçons motivés que certains détenus auraient été assassinés.

COMMANDANT ELWYN JONES

Voulez-vous prétendre que les conditions ont été améliorées après la prise en main complète des camps de concentration par les SS ?

TÉMOIN REINECKE

Je désire dire, à ce propos, que ce sont là des cas individuels de 1933 dont parle ce document. On ne peut pas en conclure à des faits généraux se passant dans les camps de concentration, surtout pour les années qui suivirent.

COMMANDANT ELWYN JONES

Saviez-vous que les Waffen SS avaient beaucoup de profit à tuer les gens dans les camps de concentration. Saviez-vous cela ?

TÉMOIN REINECKE

Non.

COMMANDANT ELWYN JONES

Je voudrais que vous regardiez le document D-960 déposé sous le numéro GB-568 ; c’est un document très bref. Comme en-tête, il y a :

« Waffen SS. Camp de concentration de Natzweiler. Bureau du commandant du camp, 24 mars 1943.

Facture adressée à la Police de sûreté à Strasbourg.

Facture pour les vingt prisonniers exécutés et incinérés dans ce camp de concentration. Frais : 127 RM 5 Pfennigs. Le bureau du camp de concentration de Natzweiler demande que cette somme lui soit envoyée le plus rapidement possible. »

Le tarif était très réduit à Natzweiler pour tuer les gens. Cela fait 6 RM 38 Pfennigs pour chaque cadavre. Saviez-vous qu’on payait les SS pour des activités de ce genre ?

TÉMOIN REINECKE

Non, à mon avis ce document ne fait pas du tout ressortir cela. Le chef du camp de concentration se désigne par le cachet administratif « Waffen SS ». Je ne puis que vous répéter ce que j’ai déjà dit hier, que l’indication de Waffen SS est erronée en ce sens que l’administration des camps de concentration était une institution indépendante de Police.

Ce document parait étayer mes assertions, étant donné qu’il fait ressortir que cette abominable facture est adressée à la Police de sûreté, c’est-à-dire à un organisme exécutif. Les Waffen SS...

COMMANDANT ELWYN JONES

En supposant que la Police de sûreté ait payé cette facture, à qui cet argent aurait-il été payé ? Cet argent aurait été renvoyé à Natzweiler ; qu’en serait-il advenu ? Aurait-il été crédité au compte des Waffen SS ?

TÉMOIN REINECKE

Les Kommandanturen des camps de concentration, dont fait également partie Natzweiler, avaient des comptes avec le Gouvernement du Reich et non avec les Waffen SS. Je ne peux pas vous dire comment on a utilisé cet argent et dans quel but. Je ne peux pas non plus prendre position. Car...

COMMANDANT ELWYN JONES

Voyons... Vous n’avez aucune idée des arrangements financiers de ces camps de concentration vis-à-vis des Waffen SS ? Si vous n’en avez pas, cela me suffit pour le moment.

TÉMOIN REINECKE

Non, je ne sais pas. Cependant, de mon activité au Service central de la justice des SS, je sais de qui dépendaient les camps de concentration au point de vue économique. En ce qui concerne cette question, je sais que les commandants des camps de concentration envoyaient leurs factures directement aux services du Gouvernement du Reich et qu’ils n’étaient nullement liés à d’autres caisses ou d’autres services des Waffen SS.

COMMANDANT ELWYN JONES

Vous avez dit, dans votre témoignage que les gardiens des camps de concentration n’avaient pas commis de crimes, que, quelles que soient les personnes qui en étaient responsables, Pohl ou d’autres, ce n’étaient assurément pas des hommes de garde SS. Étiez-vous sérieux lorsque vous avez dit cela ? Était-ce une déclaration bien fondée ?

TÉMOIN REINECKE

Pour éviter une erreur, Monsieur le Procureur, je tiens à préciser que dans le sens de mon témoignage, par « gardiens », j’entendais seulement les hommes de garde qui surveillaient le camp de l’extérieur, et non pas ceux qui appartenaient aux camps de concentration et travaillaient dans les Kommandanturen et comme personnel de ces camps de concentration. Ceux-ci en assuraient la surveillance intérieure.

COMMANDANT ELWYN JONES

Mais ces deux catégories de gardiens étaient SS, n’est-ce pas ?

TÉMOIN REINECKE

Ainsi que je vous l’ai déjà dit, ils faisaient partie des « Waffen SS nominales », sans avoir le moindre rapport avec cette organisation.

COMMANDANT ELWYN JONES

Je reviendrai sur ce sujet tout à l’heure. Tout d’abord, je voudrais que vous regardiez le document D-924 qui vous donnera un aperçu de l’attitude humanitaire et morale des gardiens SS. J’emploie là une phrase que vous avez vous-même appliquée aux SS. C’est le document GB-57.

Monsieur le Président, c’est un rapport d’origine hollandaise à propos de l’évacuation du camp de Rehmsdorff,, qui fut envoyé à Theresienstadt. (Se tournant vers le témoin.) La première page est une déclaration de Peter Langhorst qui dit :

« Je suis un ancien prisonnier politique et j’ai été détenu dans différentes prisons et camps de concentration, et finalement dans le camp de concentration de Rehmsdorff. A l’approche des armées alliées, ce camp fut évacué et les internés, environ 2.900 hommes, furent transférés de Rehmsdorff à Theresienstadt. La plupart de ces internés étaient Tchécoslovaques, Polonais, Russes et Juifs hongrois ; il n’y avait que très peu de Hollandais parmi eux.

« De ces internés, seulement environ 500 sont arrivés à Theresienstadt. Les autres furent simplement abattus au cours des transports par une balle dans la nuque. Les cadavres étaient mis dans des fosses communes qui étaient comblées par la suite »

Je ne veux pas vous parler du restant de cette déclaration, mais vous verrez encore qu’il parle du baron von Lamsweerde d’Amsterdam. qui faisait partie de ce convoi ; il dit à la fin du deuxième paragraphe :

« Le 12 novembre 1944, je fus interné au camp de concentration de Rehmsdorff, où je suis resté jusqu’à mon évasion en avril 1945, le 20. A l’approche des forces alliées, le camp de Rehmsdorff fut évacué en toute hâte et les internés de ce camp furent transférés au camp de Theresienstadt.

Au début, les internés furent transportés par chemin de fer dans les wagons de marchandises. Nous sommes arrivés par chemin de fer à Marienbad où, pour des raisons qui me sont inconnues, nous avons été retardés environ une semaine. Les wagons contenant les internés restèrent en gare. Pendant cette semaine, des bombardiers alliés attaquèrent la gare de Marienbad, et, profitant du désordre, environ 1.000 prisonniers purent se sauver dans les bois avoisinants.

Naturellement tous les services locaux : SS, Volksturm et Jeunesse hitlérienne furent envoyés pour reprendre les évadés et presque tous les internés, qui naturellement portaient leurs vêtements de camp et pouvaient être facilement reconnus, furent capturés. Ces internés — environ 1.000 hommes — furent ramenés à la gare de Marienbad par groupes et là, ils furent abattus par les gardiens SS d’une balle dans la nuque.

Les deux locomotives du train ayant été démolies par les attaques aériennes, les autres prisonniers durent se rendre à pied de Marienbad à Theresienstadt. Beaucoup d’entre eux ne purent aller aussi loin et tombèrent sur la route tant ils étaient épuisés. Sans exception, ces prisonniers furent tués par les gardiens qui leur tirèrent une balle dans la nuque. Le même soir, leurs cadavres furent enlevés par camions et enfouis dans les bois dans des fosses communes. »

Et il croit qu’il pourrait retrouver l’endroit. « Je suis prêt à aider à les retrouver. Lorsque le transfert commença, j’ai entendu les gardiens SS dire que le nombre total des prisonniers était de 2.775 ; très peu de ces prisonniers sont arrivés à Theresienstadt ; les autres furent assassinés pendant le transfert.

Moi-même, j’ai pu m’échapper près de Lobositz. Le chef du convoi était l’Oberscharführer SS Schmidt, l’un des bourreaux de Buchenwald, qui s’est conduit de la façon la plus scandaleuse envers les prisonniers et qui était connu pour son sadisme. »

Prétendez-vous toujours que les gardiens SS étaient des exemples caractéristiques de décence dans leur façon d’agir ?

TÉMOIN REINECKE

Je tiens à spécifier que je n’ai pas prétendu que les hommes qui assuraient la surveillance avaient les qualités caractéristiques des SS. J’ai dit que nos enquêtes ont eu pour résultat de prouver que les crimes des camps de concentration avaient été commis par les membres des Kommandanturen, et que nous n’avions trouvé aucune preuve tendant à établir la participation des gardiens chargés de la surveillance du camp. ..

COMMANDANT ELWYN JONES

Laissez-moi vous montrer un autre document, le D-959, qui sera déposé sous le numéro GB-571 ; c’est un compte rendu d’enquête au ministère de l’Intérieur en Tchécoslovaquie. Je voudrais que vous regardiez la troisième page de ce compte rendu :

« Crimes commis par les membres des Allgemeine SS et des Waffen SS.

Les crimes commis par les membres des troupes SS contre les Tchécoslovaques et les citoyens étrangers sur le territoire de la République Tchécoslovaque... »

LE PRÉSIDENT

Monsieur Elwyn Jones, n’est-il pas un peu tard pour déposer des documents de ce genre qui sont des rapports présentés sous une forme générale par les Gouvernements des pays alliés ? Les cas ont déjà été présentés complètement par le Ministère Public, et présenter un nouveau document de ce genre, qui n’est qu’un rapport d’un pays allié, semble plutôt une façon anormale de procéder.

COMMANDANT ELWYN JONES

Je voudrais rappeler, Monsieur le Président, que le Ministère Public avait le droit de déposer des documents de ce genre comme moyen de réfutation des déclarations de ce témoin. Le témoin dit de façon solennelle que les gardiens SS n’ont commis aucune atrocité. Le Ministère Public lui-même n’avait jamais cru possible qu’il pourrait dire cela, et devant un témoignage semblable, je croyais que le Ministère Public avait le droit de présenter des documents. Ce sont des documents qui traitent non pas des cas individuels, ce que le Tribunal pourrait peut-être contester, mais de tout l’ensemble des témoignages. Je croyais que, jusqu’au dernier moment du Procès, le Ministère Public avait le droit de déposer des documents semblables. Il est regrettable qu’ils n’aient pas été déposés auparavant, mais je dis que le Ministère Public a le droit de le faire. Puis-je ajouter une autre remarque au sujet de votre observation, Monsieur le Président ? La Défense a présenté plus de 100.000 attestations sous serment et je croyais que, dans ces conditions, devant cette montagne de documents, il est juste qu’au procès-verbal figurent également les témoignages et toutes les déclarations en faveur de l’Accusation.

LE PRÉSIDENT

Comment comprenez-vous l’article 21 en ce qui concerne ce document ?

COMMANDANT ELWYN JONES

Plaise au Tribunal. D’après l’article 21, je suppose que le Tribunal est tenu d’accepter les comptes rendus des Gouvernements, comptes rendus qui sont déposés par le Ministère Public.

LE PRÉSIDENT

Quel est exactement le texte auquel vous vous rapportez ?

COMMANDANT ELWYN JONES

Deuxième paragraphe :

« Le Tribunal pourra aussi prendre officiellement connaissance de... les documents publics des Gouvernements et des rapports des Nations Unies, y compris les actes et documents des commissions formées dans différents pays alliés pour enquêtes sur les crimes de guerre et les procès-verbaux et décisions provenant de tribunaux militaires ou autres de l’une quelconque des Nations Unies. »

Ce document, Monsieur le Président, porte sur la page du titre une attestation du ministre de l’Intérieur de Tchécoslovaquie, déclarant que c’est un document d’État, conforme à l’article 21. Il porte la signature du ministre de l’Intérieur lui-même, donc je croyais que cela tombait sous le coup de l’article 21, et que le Tribunal pouvait l’accepter.

LE PRÉSIDENT

Est-ce une commission qui a établi ce document ?

COMMANDANT ELWYN JONES

C’est un rapport du ministère de l’Intérieur de Tchécoslovaquie. C’est un rapport d’une administration de l’État Tchécoslovaque.

LE PRÉSIDENT

C’est un rapport adressé à qui ?

COMMANDANT ELWYN JONES

En outre, Monsieur le Président, mon collègue, M. Griffith-Jones, attire mon attention sur l’article 19 du statut :

« Le Tribunal n’est pas lié à des règles concernant les preuves. Il devra appliquer largement une procédure rapide et non formaliste et admettre tout document qui lui paraîtra avoir une valeur probatoire.

Même si vous estimez — ce qui me semble peu probable — que le document ne tombe pas sous le coup de l’article 21, il pourrait être admis en vertu de l’article 19.

LE PRÉSIDENT

Très bien. Avez-vous quelque chose à dire, Monsieur Pelckmann ?

M. PELCKMANN

Je crois, Monsieur le Président, que la décision du Tribunal concernant ce document devrait être la même que celle qui a été appliquée aux documents que nous avons tenté inutilement de présenter hier. Si ce document est conforme, dans sa forme, à l’aiticle 21, je ne saurais le dire ; c’est au Tribunal à en juger ; mais je vous fais remarquer, Monsieur le Président, c’est qu’il est très tard pour remettre maintenant ces documents. L’article 21 doit se comprendre de telle sorte, que de tels documents ne peuvent être transmis que pendant l’exposé du Ministère Public.

Le Ministère Public a terminé son exposé, et tout au plus ces documents peuvent-ils être présentés, sous réserve, au témoin, mais alors la Défense, étant donné qu’il s’agit de centaines et peut-être de milliers de cas, doit avoir l’occasion de prendre aussi position.

En effet, tout cela ne doit pas servir seulement à examiner la véracité du témoin ; cela constitue effectivement une nouvelle charge et la Défense, doit prendre position à ce sujet. Je crois que ce n’est pas là le sens de l’article 21, sinon le Procès pourrait être étendu à l’infini.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal va suspendre l’audience et siégera de nouveau à 14 heures.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)