CENT QUATRE-VINGT-DIX-SEPTIÈME JOURNÉE.
Mercredi 7 août 1946.
Audience de l’après-midi.
(Le témoin Reinecke est à la barre.)Monsieur Elwyn Jones, le Tribunal a pris bonne note des documents que vous avez soumis, en vertu de l’article 21, mais le Tribunal ne pense pas qu’il y ait lieu de vous en occuper en détail.
Très bien, Monsieur le Président. Le document D-959 sera déposé sous le numéro GB-571. (Au témoin.) Témoin, avez-vous eu connaissance du rôle joué par les unités de SS dans les sévices contre des étudiants de Prague, le 17 novembre 1939 ?
Non, je ne puis rien dire à ce sujet car je n’ai eu connaissance qu’ici de la participation des SS à ces faits.
Vous ignoriez la participation du 6e régiment « Tête-de-Mort » à ces faits, dites-vous ?
Oui.
Je cite, Monsieur le Président, le rapport tchécoslovaque URSS-60 dont il a été question. (Au témoin.) Témoin, vous dites que vous n’en saviez rien ?
Non, je n’en ai pas eu connaissance.
Ce texte se rapporte ensuite aux mesures prises contre’ les civils soupçonnés d’être en rapport avec les partisans, mesures dans lesquelles les SS ont joué un rôle. Savez-vous que des troupes SS ont pris part à des mesures de représailles contre des civils ?
Je peux parler de ces faits seulement dans la mesure où je sais que dies Waffen SS, et il ne peut s’agir ici que d’elles, combattaient sur le front.
Je voudrais simplement que vous regardiez l’avant-dernier alinéa du chapitre 2 de la page 4 du document D-959. Page 4. C’est le quatrième paragraphe du texte anglais : « Le 5 mai 1945, après avoir pillé le village de Javorisko dans le district de Litovel, les SS l’ont incendié. Pendant ce temps, les troupes SS ont tué d’un coup de revolver dans la nuque tous les habitants mâles de 15 à 70 ans ou bien ils les ont tués dans les maisons en flammes. Ils ont emmené les femmes et les enfants après les avoir maltraités ». L’exécution dans laquelle 38 hommes ont trouvé la mort eut lieu parce que les habitants du village étaient soupçonnés d’avoir caché des partisans.
Est-ce que vous êtes au courant de cette action ou d’actions analogues dans lesquelles les SS auraient joué un rôle ?
Non. Je ne sais rien sur ces actions. Vraisemblablement, il s’agit ici des derniers combats pour Prague.
Je voudrais alors que vous regardiez d’autres témoignages se rapportant aux mauvais traitements infligés par les gardes SS à des convois de prisonniers se dirigeant vers les camps de concentration, cinquième paragraphe, page 5 du rapport. Il s’agit là de 312 personnes qui furent battues à mort ou fusillées ou qui moururent, et dont les corps furent enterrés dans une mine. Le rapport dit que les coups et les exécutions ont été le fait de gardes SS. C’est tout à fait dans le genre -du rapport hollandais, n’est-ce pas ? Viennent ensuite au dernier paragraphe les crimes commis pendant la révolution de Prague de mai 1945. Ce sont encore ides atrocités commises par les SS.
Témoin, je voudrais que vous regardiez le nouveau document D-878 ; c’est un document qui sera déposé sous le numéro GB-572, rapport de l’Institut scientifique de statistique du Reichsführer SS sur la composition des SS. Je voudrais que vous regardiez, s’il vous plaît, la troisième page de ce texte, qui est désignée comme « page 1 ». Il met en lumière... Je m’excuse, Monsieur le Président, je n’ai pas la traduction de ce document, mais je crois qu’il en dit assez long de lui-même ; il porte comme en-tête : « La force totale des SS au 30 juin 1944 ». Vous verrez qu’on y parle des Allgemeine SS, et la traduction, je crois, ne mentionne pas les membres qui, à ce moment-là, servaient comme réservistes dans les Waffen-SS. Comme « Nicht Einberufen » (non mobilisés), il est dénombré 66.614 hommes.
64.000 ?
64.000. Appelés dans la Wehrmacht : 115.908. Appelés au Service du travail : 722. Fonctions diverses : 19.254. Au total 200.498 pour les Allgemeine SS. (Au témoin.) Maintenant, pouvez-vous dire au Tribunal si ces hommes non mobilisés au nombre de 64.000 effectuaient des besognes de police ou si c’était seulement le fait de certains d’entre eux ?
A mon avis, en ce qui concerne les chiffres donnés dans ce document, il doit s’agir de membres des Allgemeine SS qui n’ont pas été mobilisés et n’ont pas exercé une autre activité, qui, par conséquent, exerçaient dans leur pays une profession civile, c’est-à-dire une activité économique, etc.
La dernière catégorie, de 19.254, qui effectuait des besognes diverses, formait le personnel des Einsatzkommandos ?
C’est complètement hors de question. Car le personnel des Einsatzkommandos n’était constitué que par quelques centaines d’hommes. Le terme général d’Einsatz doit exprimer une autre activité que je ne peux définir ici.
Vous voyez que cette page montre que le total des Waffen SS est indiqué comme étant de 594.443. Je voudrais que vous voyiez la page 24.
Monsieur Jones, quel est le total final ?
Le total final est 794.941.
Merci, je le vois. Mais que signifie le second mot en allemand ?
« Insgesamt », au total, Monsieur le Président.
Au total ? Ah bien !
Si vous consultez maintenant la page 24, vous verrez que ce total de membres des Waffen SS s’élevant à 594.443 hommes est divisé en plusieurs catégories :
1° Les Feldtruppenteile, c’est-à-dire les unités, de campagne, au nombre de 368.654 ;
2° Personnel de recrutement, 21.365 ; 3° Entraînement et réserves, 127.643. Enfin écoles : 10.822. Ensuite, unités et services directement soumis au Service central de la direction des SS : 26.544. Et ensuite, membres des Waffen SS dans le Service central : 39.415. Ce qui donne le total important de 594.443. Cette dénomination se rapportant à 26.544 « autres unités et services directement soumis au bureau central des SS », qui étaient-ils ? Étaient-ce eux qui composaient le personnel des Einsatzkommandos ?
Il faut encore que je répète ma réponse. Il ne peut s’agir en aucune façon du personnel des Einsatzkommandos, parce que celui-ci n’avait en soi rien à voir avec les Allgemeine SS, mais était fourni par la Police et par le pouvoir exécutif. Il s’agit ici de 26.524 membres des SS. Ce sont sans doute des membres de services et ’d’unités qui n’étaient pas dans les services centraux, et qui, d’autre part, ne combattaient pas au front, mais étaient dans le territoire du Reich dans quelque troupe.
Témoin, voulez-vous maintenant passer à la page 28 du document qui montre comment sont employées les 39.415 personnes mentionnées à la page 24 comme étant « membres des Waffen SS dans les services centraux » ?
D’abord : Service central des SS : 9.349 ; hommes des Waffen SS à l’Office central pour la race et la colonisation : 2.689. C’était un office qui dépendait de Himmler et qui, avez-vous dit hier, n’avait rien à voir avec les Waffen SS. Le troisième, c’est le Service central économique et administratif des SS, c’est bien le WVHA, n’est-ce pas ? 24.019 hommes des Waffen SS ; personnel privé du Reichsführer SS : 673 ; Service central du personnel des SS : 170 ; Service central de la justice SS : 599 ; Service de l’Obergruppenführer Heissmeyer : 553 ; Commissaire du Reich pour l’affermissement de la race allemande : 304 ; Commissaire du Reich pour l’affermissement de la race allemande, bureau de renseignements pour les Allemands de l’étranger : 987.
Cela fait ressortir, n’est-ce pas, très clairement, que les Waffen SS étaient engagés dans tout ce réseau hideux de terreur de Himmler ?
Je ne crois pas que l’on puisse en tirer cette conclusion. Hier, j’ai expliqué en détail que les services centraux pris isolément ne représentaient pas un commandement unique. Si ici,, par exemple, dans les cas des différents services centraux, il y avait des membres des Waffen SS, cela vient du fait que les personnes qui y étaient affectées là ont été mobilisées dans les Waffen SS pendant la guerre, parce qu’ainsi leur position ne nécessitait pas un sursis d’appel et qu’elles pouvaient alors se soustraire aux obligations de la Wehrmacht.
Mais tous ces hommes étaient sous les ordres des Waffen SS ; membres des Waffen SS, ils portaient l’uniforme des Waffen SS ; ils étaient payés par les Waffen SS. C’est exact, n’est-ce pas ?
Oui, c’est bien comme cela, mais dans une certaine mesure cela a une autre signification, dans la mesure où ce n’étaient pas des membres de l’organisation, de l’organisation agrandie, mais au contraire — comme c’était souvent le cas pendant la guerre — où ils ont revêtu l’uniforme des ; SS et ont reçu des soldes correspondantes. Quand je prends par exemple, à la page 28, Service central économique et administratif des SS avec 24.091 employés supposés membres des Waffen SS, je dois dire qu’il s’agit exclusivement des équipes de surveillance des camps de concentration, et qu’il ressort précisément de là que ces équipes étaient désignées par ce qu’on appelait la « Waffen SS nominale » et étaient rattachés au Service central économique et administratif, mais n’avaient rien à voir avec les Waffen SS.
Le document parle de lui-même, Monsieur le Président ; je n’ai pas d’autre question à poser.
Le Tribunal désirerait avoir la traduction de ces deux documents dont vous venez de parler.
Si vous le désirez, Monsieur le Président, elle sera déposée.
Je ne veux pas soumettre le témoin à un interrogatoire détaillé. Je voudrais lui poser une question simplement sur un thème qui a été abordé hier, au sujet d’un document très court. Le puis-je ?
Oui.
Témoin, est-il exact, si j’ai bien compris hier, qu’il y avait des membres honoraires des SS ?
Oui.
Vous avez affirmé que ce titre SS leur était donné uniquement parce qu’il conférait le droit de porter l’uniforme ? Est-ce que je vous ai bien compris ?
Oui.
Je demande l’autorisation de présenter au témoin une lettre adressée à Himmler par l’un de ces membres honoraires qu’il a nommés hier. Je demande l’autorisation de lire ce document très court. Je commence :
« Le 12 juillet 1940 à Berlin, W-8, 73, Wilhelmstrasse ».
Est-ce 1944 ou 1940 ?
1940, Monsieur le Président. C’est un document nouveau, URSS-512, pris dans les archives de Berlin par l’Armée rouge. Il va être déposé devant le Tribunal. Je vais lire le texte :
« Cher Himmler. J’ai été très heureux d’avoir été nommé par le Führer Obergruppenführer des SS. Tu connais mon attitude à l’égard de tes SS et tu sais combien j’admire leur développement qui est ton œuvre personnelle. Je considérerai toujours comme un honneur insigne de faire partie de ce noble corps de chefs qui a une importance décisive pour l’avenir de la Grande Allemagne. Je suis ton fidèle ami. Signé : Joachim von Ribbentrop. »
(Se tournant vers le témoin.) Dites-moi, témoin, la première phrase de ce document ne signifie-t-elle pas que les membres SS que vous avez appelés membres honoraires étaient en réalité nommés par Himmler, et que leur titre correspondait à la façon dont il jugeait leur activité ?
A mon avis, ce document prouve ce que j’ai essayé d’expliquer hier. J’ai dit qu’il est typique que les membres honoraires ne sont pas sortis des SS proprement dites, donc qu’ils n’ont pas fait de service dans les SS pendant un certain nombre d’années, comme tous les autres membres, mais qu’à une certaine époque, brusquement, ils ont reçu un grade élevé et l’uniforme des SS, sans pour cela…
Non, témoin, je vous demande autre chose. Vous ne répondez pas à ma question. Je vous ai demande s’il n’était pas avéré que Himmler nommait les soi-disant membres honoraires en considération de leur activité, naturellement au point de vue SS.
Oui, c’est exact, dans la mesure où c’était une politique typique de Himmler de donner des uniformes SS aux personnalités qui occupaient certains postes élevés, et ce sont là les chefs honoraires dont il s’agit.
Je n’ai plus de question à poser au témoin, Monsieur le Président.
Ce matin, Monsieur le Président, le Ministère Public a présenté le document GB-568 (D-926). Ce sont des pièces d’archives du ministère de la Justice de Bavière. Il s’agit de la mort de prisonniers de guerre dans des camps de concentration, à savoir à Dachau. Je demande l’autorisation de lire le titre 12 de ce document, qui n’a pas été lu par l’Accusation.
Pour motiver cette demande, je dois dire que ce document est le même que j’avais demandé à verser au dossier il y a six mois et qui n’avait pu être retrouvé. Les extraits de ce document, lus par le Ministère Public donner l’impression que les déclarations faites à ce sujet par l’accusé Frank dans son témoignage ne sont pas exactes. Mais il résulte du titre 12...
Pour qui intervenez-vous ? Pour Frank ?
Je dépose une requête pour l’accusé Frank.
Je crois que les deux paragraphes au haut de la page 10 du texte anglais, indiqués sous le numéro 12, ont été lus ce matin.
Du paragraphe 2, seules les deux premières phrases ont été lues, mais pas la suite, et on n’a pas lu non plus le paragraphe 3.
Très bien, Docteur Seidl, vous pouvez lire ce que vous voulez lire.
Oui. Je cite donc sous le titre 12 une annotation du dossier :
« Objet : Camp de concentration de Dachau. « Observation préliminaire : La demande de M. le ministre de l’Intérieur tendant à arrêter la procédure d’enquête en cours près du Ministère Public du tribunal de Munich-II, concernant le décès des internés à titre préventif Handschuch, Franz et Katz, a été discutée à la réunion du Conseil des ministres du 5 décembre 1933. Il est résulté de cette discussion que M. le ministre d’État de la Justice a informé le rapporteur soussigné que la procédure pénale au sujet des incidents du camp de concentration de Dachau doit être poursuivie avec la plus grande énergie. Les faits devront être éclaircis avec la plus grande rapidité. Si c’est nécessaire, il sera fait appel à la collaboration de la Police régionale. Si des tentatives de camouflages’ sont faites, il conviendra de s’y opposer par des moyens appropriés.
Le Procureur Général au tribunal de Munich-II a reçu des instructions prescrivant, conformément à la décision du Conseil des ministres, de poursuivre la procédure immédiatement et avec la plus grande énergie, et d’accélérer le procès afin d’éclaircir les événements.
Pour Franz et Katz il devra demander immédiatement l’ouverture d’une instruction, et pour Handschuch, il devra le faire après le retour du dossier communiqué à la Police politique. On lui a demandé de tenir le ministère de la Justice au courant de la marche du procès, et après la conclusion de l’enquête, de présenter le dossier avec un rapport sur le résultat de l’instruction et sur les mesures envisagées pour poursuivre la procédure.
A Munich, le Ministère Public près la Cour d’appel a été mis au courant, et on l’a chargé de donner toute son attention à ce procès. Les enquêtes préliminaires seront probablement conduites par le conseiller à la Cour Kissner qui est compétent pour le district de Dachau. L’homme de liaison, avec la Police politique, le Dr Stepp, a été chargé, conformément aux instructions reçues, de communiquer la décision du Conseil des ministres au Commandant en chef de la Police politique Himmler et au chef de la Police politique bavaroise. »
Je vous remercie, Monsieur le Président.
Témoin, je me rapporte encore au document qui vient d’être lu par mon confrère Seidl.
Vouz avez indiqué, lors de la lecture de ce document, qu’il s’agit d’une ordonnance et d’événements des années 1933, mais au cours de votre interrogatoire, vous avez dit vous-même que dans les années postérieures vous avez, au cours de vos enquêtes, constaté précisément des tentatives de camouflage de crimes, en ce sens que des rapports faux vous étaient transmis. C’est pourquoi je voudrais vous demander encore : Est-il exact que, dans les années suivantes, au cours de vos enquêtes, vous avez lutté de la façon la plus énergique contre ces camouflages aussitôt que vous les avez constatés ?
Oui, c’était justement une de nos activités principales de lutter contre de tels camouflages qui apparaissaient partout au cours des enquêtes que nous menions. A plusieurs reprises, dans les camps les plus différents, nous avons pu constater par des commissions qu’il y avait eu de tels camouflages, et dans de tels cas, justement, les coupables ont été traduits devant les tribunaux.
En tant que membre du système juridique des SS, avez-vous pu intervenir dès 1933 contre de tels crimes ?
En 1933, il n’existait pas encore de justice SS, c’est-à-dire de juridiction pénale SS, compétente pour poursuivre de tels faits. C’étaient les autorités de la justice générale qui s’en occupaient, ce qui ressort de ce document. Sa tâche dans de pareils cas était de traduire les coupables devant les tribunaux.
On vous a présenté un document D-924 (GB 570). Il s’agit là des horribles fusillades de prisonniers en convois par les équipes d’escorte. Vous avez pris position à ce sujet... Comme je l’ai remarqué, vous n’avez pas pu cependant terminer votre exposé parce que vous vouliez, je crois, ajouter votre impression personnelle. Voulez-vous le dire maintenant ?
Oui, je voulais dire qu’il s’agissait des équipes qui escortaient le convoi ; ce que j’avais dit se rapportait uniquement aux équipes qui se trouvaient dans le camp, donc aux sentinelles qui étaient autour du camp, dans les miradors, etc., et qui assuraient la surveillance et après leur service revenaient dans. leur cantonnement ; de troupes, donc, qui n’avaient rien à voir avec le service intérieur du camp de concentration. Dans les cas douteux, de tels transports ont été exécutés par des membres du personnel et des Kommandanturen.
Du document qui contient les statistiques des effectifs des SS à la date du 30 juin 1934 (je regrette qu’on ne puisse voir le numéro sur mon exemplaire), je voudrais simplement vous parler du nombre de 794.000 membres SS, en 1944. Le témoin Brill nous a cité hier un chiffre plus élevé, de 900.000 à 1.000.000. Étant donné que le témoin Brill n’est plus présent, je vous demande à vous si vous savez si cette différence s’explique par le fait que dans le chiffre donné hier par le témoin Brill sont également contenus ceux qui sont tombés ou s’il s’agit ici de données fausses du témoin ?
Je suis en mesure de répondre à cette question parce que, dans le secteur judiciaire, je devais constamment m’occuper de l’effectif numérique des SS. Je sais que les données du témoin Brill correspondent aux faits. Ainsi que le dit le défenseur, il est exact que dans le chiffre donné par le témoin Brill sont contenues les pertes des SS, et que par conséquent les chiffres donnés dans ce document doivent être augmentés des membres tombés au front, que ce soit des hommes ou des officiers, pour pouvoir tirer des conclusions sur les effectifs réels des Waffen SS.
A la page 28 du même document, vous avez la liste des différents services. Elle se termine par le chiffre total de 39.415 membres SS. Avez-vous encore ce document sous les yeux, témoin ?
Non. Je regrette, je ne l’ai pas eu. (Le document est remis au témoin.)
Vous avez dit que, par exemple, les chiffres du Service central économique et administratif des ; SS correspondaient au service qui s’occupait de tout le système des camps de concentration. Il s’agissait de 24.091 personnes. Est-ce que ce personnel avait à effectuer uniquement des travaux de bureau pour ce service ? Y avait-il effectivement 24.000 employés de bureau dans ce service, ou bien que faut-il entendre par ces 24.000 employés ?
Le Service central économique et administratif des SS était une organisation qui avait été très gonflée et qui, surtout, comme le nom lui-même l’indique, avait à sa disposition tout un système de firmes et d’entreprises. Tous les membres de ces entreprises qui étaient rattachés pour la forme au Service central économique et administratif des SS ont été inscrits pour la forme aux Waffen-SS afin de pouvoir être mis en sursis d’appel, c’est-à-dire pour être libérés du service militaire.
Si j’ai bien saisi ce que vous avez dit auparavant, il faut y comprendre les équipes de surveillants ?
Je n’en avais pas encore terminé avec la question. Les équipes de surveillants des camps de concentration et tout le personnel des camps de concentration appartenait également au Service central économique et administratif, groupe D, et il était, au point de vue organisation, réuni sous l’autorité exclusive de Pohl, qui était le chef de ce service économique et administratif. Je suppose que le nombre des membres de ces équipes de surveillance est compris dans le nombre 24.091.
Voulez-vous regarder encore le nombre de 987 membres de SS attachés au Commissaire du Reich pour l’affermissement de la race allemande, bureau de renseignements pour les Allemands de l’étranger ? Est-ce simplement un exemple ? Est-ce que ces 987 personnes étaient les seules employées dans ce service central ?
Je sais par expérience, en tant que juge SS, que les services du commissariat pour l’affermissement de la race allemande avaient à leur disposition des milliers de membres qui, comme je l’ai dit hier déjà, étaient des fonctionnaires et n’avaient aucun rapport avec les SS. Ce nombre de 987 membres de SS s’explique de même que les autres nombres. Ils étaient devenus membres des SS pour les mêmes raisons de sursis d’appel ; il fallait qu’ils fussent mis en subsistance dans un service armé, effectuant un service militaire, afin de ne pas être appelés à l’Armée. Il n’y avait aucun rapport entre ce personnel et les organisations des SS, mais ce sont les motifs purement techniques que je viens d’indiquer qui les ont amenés à être rattachés aux SS.
Les statistiques que j’ai ici mentionnent à peu près 900.000 membres SS. Est-il exact, témoin, que de la statistique présente il résulte que 25.000 membres ’des SS seulement avaient à s’occuper du système des camps de concentration ?
Pour l’époque de juin 1944, époque à laquelle ce document a été établi, c’est la proportion exacte des équipes des camps de concentration par rapport aux effectifs totaux des SS. C’est ce qui résulte sans aucun doute de ce document.
Monsieur le Président, puis-je maintenant présenter au Tribunal le document dont je ne disposais malheureusement pas ce matin ? (Au témoin.) Témoin, connaissez-vous le document que -je vous montre ?
J’ai eu connaissance de ce document au cours des dernières années.
Dans ce document, à la page 46, on trouve la déclaration d’un détenu qui est désigné par les initiales « E.H. ». Cette déclaration donne l’impression d’avoir été faite devant les autorités d’enquête américaines. Elle...
Est-ce que ce document a été déposé ?
Dans mon recueil de documents, je ne l’ai pas, Monsieur le Président. Je le présente simplement au témoin. Mais comme vous désirez le voir, je le soumets au Tribunal.
De quoi s’agit-il dans ce livre ? D’où provient-il ? Je ne le connais pas.
Je vous prie de m’autoriser à demander au témoin, je n’ai qu’une question à poser. (Au témoin.) Est-il exact...
Non, non. Il faut que vous me disiez d’abord d’où vient ce livre.
Il vient de la bibliothèque d’ici ; je viens de le recevoir de la bibliothèque. C’est une publication officielle...
Je vois.
....du colonel Quinn. A la page 46 se trouve la déclaration de ce témoin E.H. et il semble qu’elle a été faite devant les autorités d’enquête de l’Armée américaine.
(Au témoin.) Pouvez-vous dire quelque chose à ce sujet ? Cette déclaration décrit des atrocités et des crimes ?
Oui, je peux vous donner des renseignements à ce sujet.
Monsieur Pelckmann, ce document ne peut être utilisé que lorsque vous l’aurez déposé. Si vous le faites, ce sera autre chose. Mais vous prenez grand soin d’essayer de le contredire. Cela n’a pas de sens de contredire un document qui n’est pas encore déposé ! Nous ne l’avons jamais vu.
Monsieur le Président, si vous voulez entendre le témoin, vous verrez clairement que je ne cherche pas à contredire ce document,
Voulez-vous déposer ce document ?
D’abord je veux le présenter au témoin, et, si j’y suis autorisé, je veux bien le déposer comme pièce à conviction.
Si vous le déposez, c’est que vous avez foi en ce document, n’est-ce pas ? Est-ce que vous y ajoutez foi ou non ?
Dans la mesure où je cite cette page 46, oui, j’y accorde foi.
Si vous voulez le déposer pour pouvoir vous référer à la page 46, il vous est permis de le faire.
Et les pages suivantes, celles qui concernent le témoignage du témoin « E.H. ».
C’est bien.
Témoin, avez-vous compris le sens de ma question ? Voulez-vous y répondre ?
Il s’agit là d’une déclaration de la détenue Eléonora Hodis, d’Auschwitz, qui la fit à la fin de l’automne 1944 ’devant un juge des SS, sous la foi du serment. Une commission d’enquête avait en son temps entamé un procès contre Grabner, chef de la section de police d’Auschwitz, et contre différents autres participants, pour meurtres de détenus, et ces personnes ont été inculpées de deux mille meurtres. Il y a eu comme toujours des difficultés considérables dans la procédure. La détenue Eléonora Hodis s’est déclarée prête à soutenir par ses déclarations la commission d’instruction du tribunal SS si on pouvait lui garantir la vie. Cette demande de garantie fut prise en considération, et on réussit à faire sortir la femme Hodis d’Auschwitz et à l’amener à Munich. A Munich, à la date que l’on a citée, elle a tait cette déclaration épouvantable qui devait constituer la base d’un procès entamé contre Höss et de nombreux autres participants à ces crimes. Mais ce procès, par suite de l’effondrement du Reich, n’a pu être terminé.
Il est donc exact, témoin, que les faits qui sont décrits ici se sont passés au camp de concentration de Dachau, comme il le semble...
Non.
...par l’insertion de cet article dans ce recueil. Car ce recueil parle bien du camp de concentration de Dachau ?
Non, ce n’est pas exact. La déclaration de Hodis parle uniquement des faits épouvantables qui se produisirent à Auschwitz et n’a absolument rien à voir avec le camp de concentration de Dachau.
Pour terminer, Monsieur le Président, je voudrais simplement prendre position à propos du document D-959 qui a été transmis par la Délégation britannique.
Donnez un numéro à ce document que vous avez déposé.
Il s’agit du document « SS-Dachau »...
Ne faites pas perdre de temps maintenant. Nous verrons le numéro tout à l’heure.
Je voudrais simplement vérifier combien j’ai déposé de documents et je vous donnerai le numéro ensuite.
L’Accusation a dit qu’il était regrettable que ce document arrive si tard, c’est-à-dire qu’il aurait mieux valu qu’il fût soumis pendant l’audition des preuves. A propos des centaines de dépositions qui ont été faites concernant l’activité des SS en Tchécoslovaquie, je ne puis prendre position. Cependant je crois que du moment qu’il a été autorisé et que le Tribunal en prend connaissance, on pourrait me donner la possibilité de prendre position à propos de ces détails qui ont été apportés par le Ministère Public pour soutenir l’Accusation, et je voudrais que l’on me donne du temps pour le faire.
Monsieur Pelckmann, le Tribunal pense que vous devriez continuer avec ce cas. On ne peut vous accorder davantage de temps. Le Tribunal a déclaré qu’il prend acte du document conformément à l’article 21. Ce témoin dit qu’il n’a jamais entendu parler des incidents sur lesquels vous attiriez son attention.
Je n’ai malheureusement pas entendu la dernière partie de la traduction.
J’ai dit que vous devez continuer l’exposé de la question en cours, et que le Tribunal avait admis le document conformément à l’article 21, et qu’en ce qui concerne les deux incidents auxquels vous avez fait allusion, ce témoin a dit qu’il n’en avait jamais entendu parler.
Je n’ai plus de questions à poser à ce témoin.
Docteur Gawlik, pour le SD. Monsieur le Président, j’ai quelques questions à poser à propos du document D-960 qui fait l’objet de l’interrogatoire.
Quel document ?
D-960, pièce n° am06081946 z569. Témoin, je vous présente encore une fois ce document. Est-ce que le SD était compétent pour l’expédition de cette lettre ?
Il me faut répondre par non à cette question. Cela ressort de l’en-tête de la lettre. Elle est adressée « à la Police de sûreté et au SD de Strasbourg ». C’est cette indication qui incite à se tromper, car ce n’est qu’une appellation d’usage et qui n’a rien à voir avec l’organisation du SD (Service de sécurité). Elle provient du fait que le chef du Service central de sûreté du Reich se faisait appeler « Chef de la Police de sûreté et du SD ».
Je n’ai pas d’autre question à poser au témoin.
J’ai quelques questions à vous poser, témoin, au sujet des enquêtes dans les camps. Vous avez dit que vos enquêtes ont commencé en 1943. A quel moment de 1943 avez-vous commencé votre enquête sur les camps de concentration ?
Monsieur le juge, c’était dans la deuxième moitié de l’année 1943 ; dans la mesure où je puis me souvenir, c’était en juin ou juillet.
Elle a duré un peu moins de deux ans, jusqu’à la fin de la guerre, n’est-ce pas ?
Oui.
Combien de camps avez-vous examinés ?
Cela commença par le camp de Buchenwald et, partant ’de là, dans tous les camps où l’on avait des soupçons et où l’on remarquait des traces on installa des commissions d’enquête.
Témoin, écoutez avec soin et répondez à mes questions. Tout ce que je vous ai demandé, c’est dans combien de camps vous avez mené une enquête.
Il y a eu des enquêtes dans sept à dix camps au total. Je ne peux pas indiquer le nombre exact. Il était aussi variable suivant les époques.
Vous voulez dire sept à dix camps en tout ?
C’est ce que j’ai voulu dire, oui.
Est-ce que cela comprenait les camps de travail ?
Dans les sept à dix il y avait les Stammlager, c’est-à-dire les camps de concentration proprement dits, et c’est de là que l’enquête des commissions s’est étendue également aux camps de travail.
Cela comprenait-il aussi Auschwitz et Dachau ?
Dans ces deux camps de concentration il y avait des commissions d’enquête.
Et à Treblinka ?
A Treblinka, non, Monsieur le juge.
Avez-vous fait des enquêtes dans des camps quelconques en dehors de l’Allemagne ?
Oui, par exemple nous avons envoyé une commission dans le camp de concentration à Hertogenbosch, en Hollande, et on a engagé une procédure dans ce camp contre un commandant du camp, procès qui s’est terminé par une condamnation grave d’emprisonnement.
Combien d’enquêteurs étaient à votre service simultanément à une époque déterminée ?
Le nombre total des enquêteurs peut bien avoir oscillé entre 30 et 50 personnes. Le plus grand nombre de ces personnes, n’appartenaient pas au personnel judiciaire, mais c’étaient des techniciens du Service central de la sûreté du Reich et de la Police criminelle.
Ce n’est pas là ce que je voulais savoir. Combien d’affaires vous ont-elles été soumises aux fins de mise en jugement ?
Les procès qui se sont terminés par un verdict jusqu’à la fin de la guerre, il y en a eu environ deux cents.
Il y a donc eu deux cents jugements qui ont aussi été exécutés.
Encore une fois, ce n’est pas là ce que je vous ai demandé. J’ai dit : combien d’affaires avez-vous recommandées pour renvoi devant les tribunaux ? Vous avez bien fait des recommandations, n’est-ce pas ?
Dans l’ensemble, huit cents procès ont été entamés par l’action des commissions d’enquête.
Où envoyiez-vous vos rapports ? Les envoyiez-vous directement aux tribunaux intéressés ?
Les rapports des commissions d’enquête étaient envoyés, lorsque l’instruction était terminée, au tribunal qui, ensuite, procédait aux débats et prononçait le verdict.
Et où étaient envoyées les copies des rapports ? Est-ce qu’une copie était adressée au ministre de l’Intérieur ?
Non, je pense que c’est impossible.
Vous voulez dire que le ministre de l’Intérieur n’avait rien à voir en cette circonstance ?
Il s’agissait ici de procès de caractère pénal contre des membres des SS qui, par conséquent, étaient soumis à la juridiction des SS, et par conséquent le ministre de la Justice ne participait pas à cela. En ce sens, le ministère de l’Intérieur n’y participait pas.
Vous voulez dire que vous examiniez seulement les cas qui intéressaient les SS ?
Tous les cas qui ont été découverts dans les camps de concentration ont été pris en considération, et ces cas concernaient aussi bien des membres des SS que des membres de la Police, c’est-à-dire de la Police de sûreté, et ceux-ci ont été renvoyés devant les tribunaux.
Maintenant, vous ne nous avez pas encore dit quel état de choses vous avez trouvé dans les camps. Vous avez dit qu’il était déplorable, mais quelles étaient les conditions et que se passait-il dans les camps ?
Nous avons constaté par nos enquêtes que, dans les camps, s’était parfois acclimaté un véritable système de meurtres.
Et après avoir découvert qu’il y avait un système organisé de mise à mort, vous avez bien dû penser qu’il y avait un ordre à cet effet, n’est-ce pas ? Un ordre de l’autorité supérieure ?
Oui, Monsieur le juge. û est vrai qu’un ordre venait de haut lieu. A la fin de l’année 1944 nous en avons eu connaissance.
Pourquoi avez-vous pensé qu’il y avait un système organisé de mise à mort ? Parce qu’il y avait tant d’exécutions ?
Pour le motif qu’il y a eu tant de cas et aussi pour la raison suivante : parce qu’un système de coopération des commandants des camps et des criminels détenus a pu être constaté.
C’est exact. Et dans ces sept à dix camps, combien de ces commandants ont-ils été compromis dans ces exécutions ?
Pratiquement, presque tous les commandants ont été soumis à une enquête et au total cinq commandants de camps seulement ont été l’objet d’une procédure criminelle.
Cinq commandants de camps sur combien ont été soumis à une procédure pénale ?
Dans l’ensemble il y a eu douze chefs de camps de concentration, car il y avait douze camps de concentration, ce que l’on appelle des « Stammkonzentrationslager ».
- Donc, sur les douze camps examinés, vous avez entamé une procédure contre cinq commandants de camps, n’est-ce pas ?
Oui, c’est ainsi, Monsieur le juge.
Vous avez dit que vous pensiez que les mises à mort avaient eu lieu sur une grande échelle. Avez-vous trouvé une preuve qu’il existait des chambres à gaz, qui vous ait permis de supposer qu’il y avait des exécutions sur une grande échelle ? Avez-vous trouvé des preuves qu’il existait des chambres à gaz ?
Le premier cas de l’apparition d’une chambre à gaz s’est produit dans’ le camp d’Auschwitz. C’est justement le cas que j’ai raconté et précisément le cas de la détenue Eléonora Hodis.
A quelle époque avez-vous eu un rapport disant qu’à Auschwitz on utilisait une chambre à gaz ? A quelle époque ?
C’était fin octobre, début novembre 1944.
Avez-vous obtenu des chiffres quant aux personnes tuées dans ces camps de concentration ? Avez-vous appris combien de personnes étaient mortes dans les différents camps ? Avez-vous reçu des statistiques ?
Non, Monsieur le juge. Nous n’avons rien appris. Nous avons dû rassembler et exploiter nous-mêmes toute notre documentation, mais nous n’avons eu aucun aperçu d’ensemble.
Vous souvenez-vous du nom des cinq commandants de camps contre lesquels des poursuites pénales ont été engagées ?
C’était le commandant de Buchenwald, Koch, le chef du camp de Lublin... Je ne peux pas me souvenir maintenant de son nom... C’était également le commandant du camp de Hertogenbosch... oui, je peux me souvenir, c’était un certain Grünwald. Une procédure d’enquête a été engagée en outre par nous contre le commandant d’Oranienburg, Loritz, et plus tard contre le chef de camp Kaindl. Mais cette enquête a été arrêtée parce qu’on a trouvé que du temps du commandant Kaindl il n’avait été commis aucun meurtre.
Et Höss, avez-vous procédé à des poursuites contre lui ?
Contre Höss, à la fin de 1944, nous avons entamé un procès en raison de la déclaration de cette détenue qui vient d’être nommée.
De quel crime accusiez-vous Höss ?
Ici je dois expliquer que la procédure contre Höss n’était pas assez avancée pour que l’on pût accuser Höss. Elle n’était encore qu’au premier stade de l’enquête ; il fallait encore rassembler du matériel de preuve.
Vous avez dû sûrement arriver à prendre une décision quelconque au sujet ide Höss. Vous devez bien savoir sur quels crimes portait votre enquête Quels étaient les crimes qui avaient provoqué votre enquête à l’égard de Höss ?
Dans le cas de hôsb, c’était le crime d’assassinat commis contre un nombre indéterminé de détenus non spécifiés du camp de concentration d’Auschwitz.
Avez-vous dit que vous n’aviez jamais entendu parler de faits qui sont mentionnés dans le document EC-168, le document dans lequel Himmler dit que le nombre des morts dans les camps de concentration doit être réduit ?
Ce document, je ne l’avais jamais vu auparavant ; je l’ai vu pour la première fois quand il m’a été présenté par la Défense. Mais les juges, au cours de l’enquête, m’ont confirmé que des ordres de ce genre avaient été transmis dans les camps et qu’ils avaient également été observés.
Vous vous souvenez que le document dit que, sur les 130.000 personnes qui furent envoyées dans le camp, 70.000 étaient morts ?
Je ne sais pas pour le moment de quel document il s’agit.
EC-168, c’est là le numéro du document et je voudrais savoir si, au cours de vos enquêtes, vous avez effectivement découvert quelque chose de ce genre, à savoir que 70.000 personnes sur 136.000 étaient mortes ?
Non, on n’a pas constaté de tels faits.
Je n’ai pas de question à poser, Monsieur le Président. Je voudrais simplement me permettre de faire une proposition. Ce témoin, autrefois, jusqu’à la fin de la guerre, n’a été que l’adjoint au directeur du Service central de la justice des SS. Le directeur, un certain Breithaupt, est mort entre temps. C’est surtout à lui que les rapports ont été adressés sur les commissions. Mais les juges qui ont dirigé les commissions d’enquêtes dans les camps sont actuellement vivants. Le témoin Morgen peut répondre d’une façon détaillée aux questions que vous, Monsieur le Président, et Monsieur le juge Biddle, avez posées et si je pouvais me permettre de vous faire une autre proposition...
Vous avez encore d’autres témoins à appeler, n’est-ce pas ?
Pendant tout le procès je me suis efforcé de rendre inutile, autant que possible, l’audition du témoin Hinderfeld. J’ai réussi à poser les questions que je voulais poser au témoin Hinderfeld à d’autres témoins.
Excusez-moi, je ne comprends pas où vous voulez en venir par cette déclaration. Le témoin a été interrogé, contre-interrogé, examiné par le Tribunal. Il peut se retirer et vous pouvez poursuivre votre affaire.
Le témoin peut-il se retirer ?
Oui, il peut se retirer et le Tribunal va suspendre l’audience. (Le témoin quitte la barre.)
Monsieur Pelckmann, on me dit que j’ai mal compris ce que vous avez dit juste avant la suspension d’audience. Vous demandiez si vous pouviez faire venir un autre témoin à la place de celui prévu pour lequel l’autorisation vous avait été donnée.
Oui.
Bien. Qui voulez-vous faire appeler ?
Monsieur le Président, étant donné le désir qu’a le Tribunal — comme je le sais — d’abréger la procédure, je m’étais efforcé de poser aux autres témoins les questions que je voulais poser au cinquième témoin. Je crois avoir réussi, mais étant donné l’intérêt que le Tribunal a témoigné pour l’enquête sur les camps de concentration, j’en ai déduit qu’il serait peut-être quand même très utile — et je dois le dire, que c’est aussi daris l’intérêt de la Défense — si le juge Morgen, cité par le témoin Reinecke, pouvait être entendu brièvement sur ces faits. Je serais immédiatement en mesure d’entendre ce témoin, et je n’aurais alors plus besoin dans ce cas du témoin Hinderfeld qui devait être entendu.
Vous voulez interroger le Dr Morgen et abandonner un autre témoin ? Est-ce ainsi ?
Oui.
Très bien. Il a déjà comparu devant les commissions, n’est-ce pas ?
Non, Monsieur le Président. Il y a eu une déclaration sous la foi du serment de ce témoin. Puis-je vous expliquer brièvement pourquoi je n’ai pas pu l’entendre devant la commission ? Le témoin a été amené ici le 1er juillet à Nuremberg après que je l’avais cherché particulièrement longtemps. Le témoin était jusqu’à présent interné à Dachau sans que j’aie pu l’apprendre plus tôt. Le 1er juillet, j’étais tellement occupé, lors du dernier interrogatoire devant la commission — je n’ai pu notamment entendre le témoin Eberstein et le témoin Reinecke que le 5 et le 6 juillet devant la commission — que je n’ai pas pu préparer les questions à poser à ce témoin. En conséquence, ce n’est qu’après la conclusion de l’interrogatoire par la commission qu’il m’a été possible de préparer des affidavits. Je crois que ce sont les affidavits 65 et 67. Mais ces affidavits ne font pas ressortir aussi clairement les faits que si vous m’autorisiez maintenant à entendre le témoin en question. C’est pourquoi je vous demande que ce ne soit pas moi qui t’interroge mais le Tribunal, si la procédure le permet.
Qui est le témoin que vous renoncez à entendre ?
Hinderfeld.
Monsieur Elwyn Jones, quel est le point de vue du Ministère Public au sujet de cette demande ?
Monsieur le Président, je propose que nous nous fassions donner, si possible, une déclaration détaillée sous serment de ce témoin, ce qui réglerait peut-être la question. Mais, puisque la Défense renonce à l’audition d’un témoin, je n’insiste pas. Cependant, en raison du temps qu’ont déjà demandé les débats sur cette organisation, je proposerais qu’un affidavit soit déposé, d’autant plus que M. Pelckmann traite une partie de la question à laquelle le Tribunal s’intéresse particulièrement.
Qu’avez-vous à dire à cela, Monsieur Pelckmann ? Ne pourriez-vous poser les mêmes questions au témoin et faire comprendre dans sa déclaration sous serment la question demandée ? Il a déjà produit son affidavit.
Certainement, Monsieur le Président. Je pense simplement à ce qui suit : le Ministère Public a entendu un témoin, Sievers, ici même pour appuyer son point de vue et je pense que s’il m’était possible de confirmer ou d’appuyer les déclarations du témoin Reinecke par un autre témoin, ce serait la même chose au point de vue de la procédure, et je crois qu’une déclaration de témoin me permettrait d’éclaircir la question des camps de concentration, de la sphère de mystère entourant les camps de concentration et la manière dont la justice y est intervenue, d’une façon beaucoup plus approfondie et plus claire pour le Tribunal que par le fait de produire un affidavit.
Ce témoin est-il ici ?
Il se trouve dans la salle des témoins.
Vous me proposiez de le faire venir comme témoin suivant, n’est-ce pas ?
Je le ferai volontiers. Si, par contre, le Ministère Public préfère entendre les deux autres témoins auparavant, je puis aussi interrompre cette audition, Monsieur le Président.
Monsieur Pelckmann, savez-vous combien de temps il vous faudra pour interroger ce témoin si vous pouvez l’appeler ?
45 minutes à une heure.
Donc, si vous le désirez et que vous ne fassiez pas venir l’autre témoin, le Dr Hinderfeld, vous pouvez à cette condition faire venir le Dr Morgen.
Merci, Monsieur le Président. J’appelle donc le témoin, Dr Morgen.
Le témoin est à la prison en ce moment et il sera peut-être plus pratique de faire venir le témoin dont M. Pelckmann a demandé l’interrogatoire et qui est disponible à l’heure actuelle. L’huissier audiencier peut certainement faire les préparatifs nécessaires pour l’autre témoin.
C’est un certain Sievers, n’est-ce pas ?
Non, Monsieur le Président, d’abord ce sera le témoin Israël Eisenberg dont l’affidavit est le document D-933 (GB-563).
Eisenberg ? Oui ; ’pourriez-vous faire entrer Eisenberg s’il vous plaît et envoyer chercher Morgen ?
Oui, Monsieur le Président. (Le témoin gagne la barre.)
Voulez-vous nous dire votre nom s’il vous plaît ?
Israël Eisenberg.
Voulez-vous répéter ce serment après moi :
« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Je voudrais montrer cette déclaration au témoin. Témoin, vous vous appelez Israël Eisenberg et demeurez 203 Reinsburgstrasse à Stuttgart ?
Oui.
Voulez-vous regarder la déposition sous serment D-939 déposée sous le numéro GB-563 ? Regardez-la. Est-ce votre déclaration ?
Oui, je l’ai signée.
Est-elle exacte ?
Oui.
Témoin, je remarque que vous avez une cicatrice sur le visage. Voulez-vous dire au Tribunal comment vous l’avez reçue ?
Oui, je peux le dire au Tribunal. A la fin du mois d’octobre 1942, on a tiré sur moi au camp de Maidanek où je me trouvais avec beaucoup d’autres Juifs. La balle m’a atteint à la joue gauche et je suis resté de 9 h. 30 du soir jusqu’à 4 h. 30 du matin inanimé. Lorsque les gens ont déblayé les cadavres, j’ai été enlevé avec un autre homme du nom de Stagel. Nous sommes les deux seuls survivants.
Combien furent tués à cette occasion ?
Cela se passait à 9 h. 30 du soir. Il y avait des groupes composés de plus de mille personnes qui furent menés dans un champ. J’étais parmi ces personnes. Ensuite, ils ont tiré sur nous. Je suis resté dans ce champ jusqu’à 4 h. 30 du matin.
Répondez à cette dernière question : qui étaient les gens qui ont tiré ?
C’étaient des SS en uniforme SS.
Je n’ai plus de question à poser, Monsieur le Président.
Témoin, je connais votre déclaration sous la foi du serment. Autant que je puisse en conclure, vous avez été tout d’abord à Lublin. Est-ce que là^bas aussi c’étaient des SS que vous avez connus ?
Oui, j’en connaissais beaucoup. Je travaillais à l’État-Major des SS comme monteur électricien. Je m’y suis rendu très souvent afin de faire des installations électriques.
Vous avez mentionné quelques noms dans votre affidavit, à savoir Riedel, Mohrwinkel et Schramm. ?
Oui, je les connais personnellement.
Ils faisaient partie de cet État-Major ?
Oui, ils faisaient partie de l’État-Major et ils étaient au n° 21 Warschauer Strasse.
Savez-vous aussi exactement les grades et les fonctions que vous avez indiqués dans votre affidavit comme appartenant à ces personnes ?
Oui, je les connais.
Qu’était par exemple Riedel ?
Riedel était un Unterscharführer.
Et Mohrwinkel ?
D’abord il était Rottenführer, et ensuite, pour ses bons services, il fut promu Untersturmführer.
Vous disiez à l’instant que Riedel était Unterscharführer. Or, dans votre affidavit, vous ’dites qu’il était Oberscharführer ?
Il avait des galons blancs sur ses épaulettes.
Je vous transmets une photographie et je vous prie de me dire si celui que je vous montre est Riedel ou Mohrwinkel et quel est le grade de ce SS ? (Une photographie est montrée au témoin.)
Cet homme n’est ni Mohrwinkel ni Riedel.
Et quel grade a-t-il ?
Il me semble que c’est un Rottenführer car il n’y a rien sur ses épaulettes et ne porte qu’un insigne sur la manche.
Je vous remercie.
Je vous transmets encore une photographie. Si je me souviens bien de la première, il semble que cela aussi doit être un Rottenführer. (Une photographie est montrée au témoin.)
Je ne peux pas dire avec certitude, mais l’autre avait sur ses épaulettes un galon blanc qui faisait tout le tour de l’épaulette, et je vois un double galon blanc sur la photographie.
Je vous remercie, témoin.
Est-ce tout ce que vous vouliez demander ?
Je n’ai plus de questions à poser, Monsieur le Président.
Le témoin peut se retirer. (Le témoin quitte la barre.)
Pour l’information du Tribunal, je voudrais dire seulement que j’ai extrait ces photographies du recueil en-langue polonaise, déposé hier par le Ministère Public, sur les atrocités de Varsovie, et que ces photos ne représentant pas du tout des hommes des SS mais des agents de police. Le témoin ne s’en est pas aperçu.
Le témoin a dit qu’il n’avait jamais vu auparavant ces hommes-là. Nous n’avons pas besoin de discuter à ce sujet.
Qui est votre prochain témoin ?
Puis-je transmettre ces photographies au Tribunal ou le Tribunal les connaît-il déjà ? Elles figurent dans le livre polonais... rédigé en polonais. A la page VIII..., non, pardon... IX et XI, il s’agit uniquement d’une question d’uniformes, Monsieur le Président.
Vous pouvez les déposer, oui si vous croyez que cela en vaut la peine. Maintenant, voulez-vous continuer avec votre affaire ? Avez-vous un autre témoin à faire venir avant le Dr Morgen ?
Oui, je crois que le Ministère Public a demandé le témoin Sievers, Monsieur le Président.
Est-il ici ?
Oui, Monsieur le Président.
Faites-le venir.
Les deux témoins sont ici, Monsieur le Président, Sievers et Morgen.
Nous allons entendre maintenant Sievers.
Vous aviez indiqué, Monsieur le Président, qu’il pouvait être préférable pour le Dr Pelckmann de finir avec son témoin avant le Dr Sievers.
Je veux bien. Appelez alors le Dr Morgen. (Le témoin gagne la barre.)
Voulez-vous me dire vos noms s’il vous plaît ?
Georg Konrad Morgen.
Voulez-vous répéter ce serment après moi :
« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Témoin, je vous demande, étant donné l’importance de vos déclarations, de nous donner quelques ’détails sur votre personne.
Vous étiez juge SS de réserve ?
Oui.
Je vous prie de parler lentement et d’attendre après chaque phrase.
Quelle était votre formation professionnelle ?
J’ai étudié le Droit aux universités de Francfort-sur-Main, Rome, Berlin, à l’Académie de Droit international à La Haye, et à l’« Institut d’Économie et de Trafic maritime » à Kiel. J’ai passé le premier examen et le grand examen d’État de Droit et j’ai été avant la guerre juge au tribunal régional de Stettin.
Étiez-vous spécialisé dans les questions de Droit criminel ou pénal ?
Non, je m’étais spécialisé dans le Droit international, mais plus tard, je me suis également occupé de Droit pénal pendant la guerre et j’ai eu là tout particulièrement l’occasion d’appliquer mes connaissances.
Comment en êtes-vous arrivé à entrer dans les SS ?
J’ai été incorporé dans les Allgemeine SS sans l’avoir demandé. J’appartenais en 1933 au Bureau du Reich pour l’éducation de la jeunesse, dont la section « Étudiants » fut rattachée en groupe aux SS. J’ai été incorporé dans les Waffen SS au début de la guerre.
Quel était votre grade ?
Dans les Allgemeine SS ? J’étais Staffelanwarter et SS-Rottenführer. Dans les Waffen SS, j’étais Sturm-bannführer de réserve.
Quel exemple pouvez-vous nous donner comme quoi vous ne pensiez pas à prendre part à une conspiration en entrant dans les SS. Je vous prie de vous expliquer brièvement.
En 1936 j’ai publié un livre : Propagande de guerre et moyens d’éviter la guerre. Ce livre était destiné, à une époque de grand, danger de guerre, à montrer les voies et les possibilités d’empêcher l’excitation entre les peuples et d’éviter ainsi les guerres. Ce livre a été contrôlé officiellement par le Parti et publié. Je ne pouvais donc pas supposer que les SS ou que la politique du Gouvernement du Reich tendaient à la guerre.
Comment êtes-vous arrivé à faire des enquêtes dans les camps de concentration ?
Sur l’ordre du Reichsführer SS, étant donné mes compétences dans la Police criminelle. J’ai été détaché par le Service central de la justice SS au Service de la Police criminelle du Reich à Berlin. Et là-bas, peu après mon arrivée, j’ai reçu la mission d’enquêter sur un cas de corruption à Weimar. L’accusé était un membre du camp de concentration de Weimar-Buchenwald. L’enquête me permit bientôt ’de constater que l’ancien commandant Koch et de nombreux subordonnés de celui-ci, officiers et sous-officiers, s’étaient rendus coupables de certains faits et que ces faits s’étendaient aussi à d’autres camps de concentration.
Lorsque cette enquête prit des proportions considérables, je reçus les pouvoirs nécessaires du Reichsführer SS pour être généralement chargé de ce genre d’enquêtes dans les camps de concentration.
Pourquoi vous avait-on donné un pouvoir et pourquoi un pouvoir spécial du Reichsführer SS était-il nécessaire pour donner ces possibilités ?
Le personnel de surveillance des camps de concentration relevait des- tribunaux des SS et de la Police, c’est-à-dire que le tribunal local du ressort était compétent pour les camps de concentration. Ce tribunal ne pouvait pas, étant donné sa compétence réduite, agir hors de son ressort.
Or, lors de ces enquêtes et de leurs ramifications étendues, il était nécessaire de sortir de leur ressort. En outre, il fallait que nous ayons un personnel compétent en matière de Droit criminel, c’est-à-dire la Police criminelle. La Police criminelle ne pouvait entreprendre directement une enquête parmi la troupe et ce n’est qu’à l’aide d’un mécanisme d’activité politique et juridique qu’il était possible de tirer des faits au clair, et c’est dans ce but qu’on me remit ces pouvoirs particuliers du Reichsführer.
Quelle fut alors l’extension que prirent ces enquêtes ? Pouvez-vous vous expliquer brièvement, car le témoin Reinecke a déjà traité en partie cette question ?
Je fis des enquêtes à Weimar-Buchenwald, Auschwitz, Sachsenhausen, Oranienburg, Hertogenbosch, Krakovie, Plaschow, Varsovie, et au camp de concentration de Dachau, et d’autres encore ont fait l’objet d’enquêtes après mon départ.
Combien d’enquêtes ont-elles été faites ? Combien ont été jugés ? Combien de condamnations à mort ?
J’ai traité environ 800 affaires, c’est-à-dire 800 dossiers, mais un dossier comprenait plusieurs cas. Lors de mon activité, on a jugé 200 personnes ; moi, personnellement, j’ai arrêté cinq commandants de camps de concentration, deux furent fusillés après jugement.
Vous dites qu’ils furent fusillés ?
Oui. A part les commandants, il y eut encore de nombreuses condamnations à mort pour des chefs et des sous-officiers.
Aviez-vous vous-même la possibilité de vous rendre compte directement des conditions dans lesquelles on vivait dans les camps de concentration ?
Oui, car j’avais l’autorisation de visiter moi-même les camps de concentration. Cette autorisation était donnée à très peu de personnes.
J’ai, avant de commencer les enquêtes sur les camps de concentration en question, examiné dans tous les détails ces camps et notamment les installations particulièrement importantes pour mon enquête. Je les ai visités à plusieurs reprises et à l’improviste. J’ai travaillé moi-même, en particulier, pendant huit mois à Buchenwald et j’y ai logé ; à Dachau, environ un ou deux mois.
De très nombreux visiteurs des camps de concentration affirment qu’ils ont été trompés. Pensez-vous qu’il soit possible que vous aussi vous ayez été la victime d’une telle tromperie ?
Je spécifie que je n’ai pas seulement visité un camp de concentration, mais que je m’y étais installé à demeure. Je peux dire que je m’y étais niché, si je puis ainsi m’exprimer. Pendant un temps aussi long, il est impossible d’être trompé.
En outre, j’avais la Commission de la Police criminelle du Reich sous mes ordres qui travaillait d’après mes instructions, et cette commission était placée dans les camps de concentration eux-mêmes.
Je ne veux pas prétendre que malgré tous mes efforts intensifs j’ai pu connaître tous les crimes, mais je crois que ce que j’en ai appris exclut toute tromperie.
Aviez-vous l’impression, et à quelle époque, que les camps de concentration étaient des lieux d’extermination des êtres humains ?
Je n’ai pas eu cette impression. Un camp de concentration n’a jamais été un lieu d’extermination. Je dois dire que dès la première visite’ que j’ai faite dans un camp de concentration — j’ai dit que c’était celui de Weimar-Buchenwald — ce fut pour moi un profond étonnement. Le camp est situé sur une hauteur boisée ; il y a une vue magnifique ; les bâtiments sont extrêmement propres, fraîchement peints. Il y a beaucoup de pelouses et de fleurs. Les détenus étaient bien portants, normale--ment alimentés ; ils avaient du haie sur la peau ; quant au rythme du travail...
De quand pariez-vous ?
Je parle du début de mes enquêtes, en juillet 1942.
Quels furent les délits que vous avez constatés ?
Excusez-moi... Puis-je continuer ?
Abrégez.
Les installations du camp étaient en ordre parfait, surtout le bâtiment pour les malades ; la direction du camp était dans les mains du commandant Diester. Elle s’efforçait de faire aux détenus des conditions de vie tout à fait normales. Ils pouvaient correspondre et recevoir des envois postaux ; ils possédaient une grande bibliothèque dans le camp avec des ouvrages en plusieurs langues. Il y avait des séances de music-hall, des films, des concours de sport, et même une maison close. Tous les autres camps de concentration étaient installés à peu près comme Buchenwald.
Qu’est-ce que vous avez dit après ?
Un bordel.
Quels furent les délits que vous avez pu constater ?
J’ai dit que les enquêtes eurent pour point de départ une présomption de corruption. A la longue, j’ai dû constater qu’à part ces crimes il y avait eu quelques meurtres.
Comment en arrivâtes-vous à penser que des meurtres avaient été commis ?
Il m’a fallu constater que le point de départ ’de la corruption partait du moment où l’on avait écroué les Juifs après l’action de 1938. Il s’agissait pour moi de recueillir tous les faits possibles au sujet de cette action, et je dus constater à ce propos que pour les détenus par lesquels on pouvait connaître des faits de corruption, la plupart étaient morts. Ce grand nombre de décès me parut frappant du fait que d’autres détenus qui ne se trouvaient pas dans des situations importantes étaient demeurés et se trouvaient encore à Buchenwald pendant des années et parfaitement bien portants, de sorte qu’il était remarquable, précisément, que certains détenus qui auraient pu être témoins ’de ces faits étaient morts.
Là-dessus, j’ai étudié le dossier de ces détenus morts et d’après ces pièces il n’y avait pas présomption qu’il y eût eu des morts irrégulières. Les dates de ces décès étaient séparées parfois de plusieurs années ; il y avait chaque fois des causes de décès différentes qui étaient indiquées. Je remarquai cependant que la plus grande partie de ces détenus décèdes se touvaient peu avant leur mort soit à l’infirmerie, soit aux arrêts. De sorte que j’eus pour la première fois le soupçon que dans ces deux installations du camp de concentration, il pouvait éventuellement avoir été commis des meurtres sur les détenus. Là-dessus, j’ai nommé un fonctionnaire spécial qui n’avait pas autre chose à faire que d’étudier les présomptions et les rumeurs concernant les meurtres de détenus dans les cellules, les « Bunker », et de faire une enquête à ce sujet. C’était un fonctionnaire très travailleur et capable et spécialiste criminel. Mais il lui fallut sans cesse me rendre compte qu’il n’avait pas découvert la moindre base pour étayer mes soupçons. Au bout de deux semaines de travail inutile, le fonctionnaire criminaliste en question me refusa de continuer son service, et il me demanda ironiquement si vraiment je pensais que les bruits selon lesquels des détenus auraient été tués pouvaient être vrais.
Ce n’est que tout à fait par hasard que je suis arrivé beaucoup plus tard à trouver la première trace et je remarquai qu’un certain nombre de détenus étaient portés simultanément aussi bien dans le registre des punitions que dans ceux de l’infirmerie. Dans le registre des punitions, il y avait par exemple : « Jour de sortie :
9 mai, 12 heures ». Dans le registre de l’infirmerie, il y avait : « Mort le 9 mai à 9 h. 15 du matin ». Je me dis : le détenu ne peut pas en même temps avoir été aux arrêts et avoir été à l’infirmerie. Sans doute qu’il y a eu là des falsifications.
Là-dessus, je m’occupai particulièrement de ces faits et je réussis à découvrir ce système, car c’était un système sous l’administration du commandant Koch. On avait amené les détenus à un endroit secret. La plupart du temps on les avait tués dans une cellule de la Kommandantur et on avait fait pour les archives des rapports de maladie et des attestations de décès.
Ces documents étaient rédigés si astucieusement que ceux qui les lisaient sans défiance devaient avoir l’impression que le détenu en question avait effectivement été soigné et qu’il était mort de la maladie grave indiquée.
Après ces constatations, qu’avez-vous fait ?
J’ai découvert que le premier responsable était le médecin-major de Buchenwald, le docteur en médecine Hauptsturmführer SS Hoven. J’ai fait part à ma commission d’enquête de ces falsifications astucieuses. J’ai particulièrement attiré son attention sur le fait d’avoir à rechercher dans toutes les enquêtes que nous faisions sur les camps de concentration si, dans d’autres camps de concentration, il se produisait également des meurtres semblables. Je pus ainsi constater qu’à cette période de nos enquêtes — je parle maintenant du second semestre de l’année 1943 — dans les camps de concentration de Buchenwald et de Dachau, il ne se produisait pas de meurtres semblables autant qu’on puisse en juger. Mais, par contre, dans les autres camps de concentration, on en a constaté. Les coupables découverts furent arrêtés et inculpés.
Pourquoi cela ne s’est-il pas produit plus tôt ?
Je vous l’ai déjà dit. Les falsifications étaient tellement bien faites qu’il n’a pas été possible de s’en apercevoir plus tôt. Avant tout, il était surtout impossible de nous donner des explications, car il s’agissait toujours de faits pour lesquels il n’y avait pas de témoins. Ces affaires auraient dû être instruites par les tribunaux des SS. Elles l’ont été, car tout cas de mort non naturelle d’un détenu devait être déclaré par télégramme à la formation centrale. En outre, l’officier de Police judiciaire spécial assermenté qui se trouvait dans chaque camp devait sans délai se transporter sur les lieux du décès, entendre les témoins. Il y avait lieu de prendre des photographies, des croquis. Il y avait des prescriptions que, dans chaque cas, il devait être procédé à une autopsie.
Ces dossiers concernant des morts non naturelles ou des morte supposées non naturelles, devaient être régulièrement adressés aux tribunaux de Police et des SS, mais ainsi que je vous l’ai déjà dit, ces rapports étaient rédigés de façon tellement vraisemblable que même des spécialistes ne pouvaient pas avoir le moindre soupçon d’une mise à mort illégale.
A côté de cela, il est bien évident que, d’une façon courante, il y a eu des jugements et des procédures contre des membres du personnel des camps de concentration. Il y a même eu des condamnations à mort, mais cette criminalité comparée à la criminalité ordinaire des troupes paraissait atteindre de 0,5 à 3% du personnel. Si aucune affaire des camps de concentration n’avait été évoquée devant des tribunaux SS, on aurait pu être frappé de ce fait, de même que s’il y en avait eu beaucoup. Mais c’était une moyenne normale et cela ne pouvait nous laisser soupçonner qu’il existait, dans les camps de concentration, un foyer de crimes dangereux. Ce n’est qu’après mes enquêtes, et ainsi que je vous l’ai dit, tout à fait par hasard, que je les ai découverts et que nous eûmes une idée des événements et des faits tels qu’ils se passèrent.
Comment avez-vous découvert les meurtres massifs, car jusqu’à présent vous ne nous avez parlé que des meurtres individuels ?
J’ai également découvert les meurtres massifs tout à fait par hasard, à savoir : vers la fin de l’année 1943, j’ai trouvé la trace de deux faits qui me menèrent, l’un à Lublin, l’autre à Auschwitz.
Décrivez-nous tout d’abord la première piste que vous avez trouvée à Lublin ?
Un jour, je reçus un rapport du commandant de la Police de sûreté de Lublin. Le commandant disait dans son rapport que dans sa circonscription il y avait un camp de travail juif et qu’il y avait eu un mariage dans ce camp, avec 1100 invités. Ce mariage était décrit comme une orgie extraordinaire et comme ayant donné lieu à un abus de consommation d’alcool. Parmi ces Juifs, il y aurait eu des membres des troupes de garde du camp, donc des SS, qui auraient pris part à ces incidents. Ce rapport m’arriva après beaucoup de détours, au bout de plusieurs mois, parce que le commandant de la Police de sûreté en avait déduit qu’il y avait là de quoi soupçonner qu’il avait été commis des actions répréhensibles.
J’eus la même impression et je supposai que cette indication me donnerait des moyens de confirmer les présomptions d’un crime de corruption plus étendu. C’est dans cette intention que je partis à Lublin. J’eus un entretien à la Police de sûreté, mais je ne pus que recevoir l’avis qu’il s’agissait là d’événements qui s’étaient produits dans un camp des usines d’armement allemandes (deutsche Aufrüstungswerke). Ici, on n’en savait rien, mais je reçus l’avis qu’il était en effet possible qu’il s’agît là d’un camp spécial et secret — c’est le terme qu’on employa — qu’on ne pouvait pas visiter, dans la région de Lublin. Je réussis à trouver ce camp et son commandant. Le commandant était le commissaire de Police criminelle Wirth. Je lui demandai si son rapport était exact et ce qu’il en était. A mon grand étonnement, il reconnut alors que l’incident était vrai. Je lui demandai comment il pouvait admettre que son détachement fasse des choses pareilles. Il me répondit que, sur l’ordre du Führer, il avait à exterminer les Juifs.
Continuez votre exposé.
Je demandai à Wirth ce que cette mission avait à voir avec le mariage juif. Là-dessus, il me décrivit les méthodes avec lesquelles il exterminait les Juifs. Il me dit à peu près ce qui suit : « Il faudra frapper les Juifs avec leurs propres armes (je vous demande pardon si j’utilise l’expression dont il s’est servi), il faut ch... dessus ». C’est-à-dire que Wirth entreprit une vaste manœuvre de falsification.
Il a d’abord cherché des Juifs qui devaient être chefs de colonne et le servir. Ces personnes, ces Juifs, en ont amené d’autres qui travaillèrent sous leurs ordres, et avec ceux-là d’abord il a formé des détachements petits et moyens de Juifs. C’est ainsi qu’il a pu commencer à organiser les camps d’extermination. Il a augmenté ce personnel de Juifs et c’est avec eux qu’il a procédé à l’extermination des Juifs eux-mêmes.
Il me dit qu’il avait créé quatre camps d’extermination et environ 5000 Juifs étaient utilisés à l’extermination des Juifs et à la saisie des effets des Juifs. Pour faire accepter à ces Juifs ce travail de meurtre et de pillage contre leurs propres coreligionnaires et leurs frères de race, il leur avait donné toute liberté pour ainsi dire, et leur avait donné une participation financière au pillage des victimes. C’est par suite de cette attitude que ces gens avaient pris part à ce mariage princier.
Je lui ai demandé encore comment, à l’aide de ces Juifs, il tuait les Juifs eux-mêmes. Alors il m’expliqua toute la façon de faire qui, chaque fois, se déroulait comme un film.
Les camps d’extermination étaient situés dans l’Est du Gouvernement Général dans de grandes forêts ou dans des landes désertes. Ils étaient construits en trompe-l’oeil, comme des villages de Potemkine, c’est-à-dire que les arrivants avaient l’impression d’une grande… d’arriver dans une grande ville ou une grande agglomération habitée. Le train entrait dans une fausse gare, et après que le personnel d’escorte et le personnel du train avait quitté la place, les wagons étaient ouverts et les Juifs en descendaient. Ils étaient tout de suite entourés de ces détachements juifs, et tout d’abord le commissaire Wirth ou un de ses représentants tenait un discours. Ils leur disaient : « Juifs, vous avez été amenés ici pour être transplantés, mais avant d’organiser ce nouvel État juif il est bien évident qu’il vous faut apprendre une nouvelle profession. On vous l’apprendra ici, il faut que chacun fasse son devoir. Tout d’abord, chacun devra se déshabiller comme c’est le règlement, pour que vos vêtements soient désinfectés, que vous soyez baignés et que vous n’ameniez pas de vermine dans les camps ».
Lorsqu’il avait adressé ces paroles apaisantes à ses victimes, ces dernières partaient à la mort. A la prochaine halte, les hommes et les femmes étaient séparés. Ils devaient donner leur chapeau, à la suivante leur veston, puis leur col, et même les chaussures et les chaussettes. Ils déposaient cela dans des vestiaires et ils recevaient une marque de contrôle dans la main, de sorte que ces gens pensaient qu’après on leur rendrait leurs effets.
Les autres Juifs étaient chargés de prendre en charge les habits et ’de presser les arrivants pour qu’ils n’aient pas du tout le temps de réfléchir.
Tout marchait à merveille.
Enfin, ces gens arrivaient à la dernière station dans un grand local où on leur disait qu’ils allaient prendre un bain. La porte était fermée et on envoyait des gaz dans le local. Aussitôt après leur mort, on ouvrait les portes et les auxiliaires, juifs enlevaient leurs corps. Ceux-ci étaient traités d’après certains procédés imaginés par Wirth et incinérés en plein air, sans emploi de combustible.
Avez-vous demandé à Wirth... Tout d’abord une question... Est-ce que Wirth était membre des SS ?
Non, il était commissaire de Police criminelle de Stuttgart.
Lui avez-vous demandé comment il était arrivé à ce système diabolique ?
Lorsque Wirth se chargea de l’extermination des Juifs, il était déjà un spécialiste des meurtres massifs. Il avait déjà précédemment été chargé de supprimer les aliénés incurables. Dans ce but, sur l’ordre du Führer lui-même qui lui avait été transmis par la Chancellerie du Führer, il s’était formé au début de la guerre un détachement, avec quelques-uns de ses agents. Je suppose que le reste était des mouchards et des agents de la Police criminelle. Il me décrivit très vivement comment il en était arrivé à l’exécution, à savoir qu’il n’avait reçu aucune indication, aucune aide, mais qu’il avait dû trouver tout, par lui-même ; qu’on lui avait seulement donné un bâtiment désaffecté dans le Brandebourg. C’est dans le Brandebourg qu’il avait fait ses premières expériences. Il avait beaucoup hésité, mais enfin, après des expériences particulières, il s’était décidé à son système, c’est-à-dire, que ce système était employé en grand pour détruire les malades mentaux.
Une commission de médecins avait tout d’abord étudié les dossiers et désigné sur une liste spéciale les malades que l’on considérait comme incurables. L’asile en question où étaient ces malades avait reçu l’ordre d’envoyer tel ou tel malade dans un autre asile. Dans cet asile, le malade était encore une fois examiné ; ensuite il ’était envoyé dans les installations de Wirth. Là-bas, il était tué par les gaz et incinéré.
Ce système de tromperie des asiles qui rendait ceux-ci complices involontaires, et grâce auquel, avec un nombre infiniment réduit de gens, il pouvait détruire de grandes quantités de personnes, Wirth l’avait appliqué à l’extermination des Juifs, avec certaines modifications et certains perfectionnements. Cette mission d’extermination des Juifs lui fut également donnée par la Chancellerie du Reich.
Cette description que vous a faite Wirth doit tout de même avoir passé l’imagination. Avez-vous donc cru sans difficulté tout ce que vous disait Wirth ?
Tout d’abord, je pensais que ses explications de Wirth étaient absolument fantastiques, mais à Lublin même j’ai vu un dépôt de Wirth. C’était un dépôt qui recevait les effets, ou une partie des effets de ses victimes. Déjà son étendue — il y avait une énorme quantité de montres’ amoncelées — m’a prouvé qu’il se passait là des choses épouvantables. On m’a montré aussi les objets précieux. Je puis dire que jamais je n’ai vu autant d’argent, surtout d’argent étranger, toutes sortes de monnaies, de tous les pays du monde. Je n’en avais jamais vu autant à la fois. En outre, il y avait des lingots d’or. Il y en avait des barres entières, énormes. J’ai vu aussi que le Quartier Général d’où Wirth dirigeait ses opérations était très petit et insignifiant. Il avait trois ou quatre personnes seulement avec lui. J’ai parlé également à ces personnes. J’ai vu également, j’ai observé les mouvements de ses courriers. Les courriers arrivaient effectivement de Berlin, Tiergartenstrasse, Chancellerie du Führer, où s’y rendaient. J’ai examiné la correspondance de Wirth et j’y ai trouvé confirmation, de tout cela. Je n’ai naturellement pas pu me rendre compte de tout et tout découvrir dès ma première visite, mais je m’y suis rendu plusieurs fois et j’ai suivi Wirth jusqu’à sa mort.
Wirth vous a-t-il nommé des noms de personnes qui se rattachaient à cette action ?
Il y eut très peu de noms de cités pour la seule raison que réellement le nombre des gens qui prenaient part à cette action aurait pu être compté sur les doigts. Je me souviens peut-être d’un autre nom, celui de Blankenburg, à Berlin, je crois.
Blankenburg ?
Oui, à la Chancellerie du Führer.
L’audience est levée.