CENT QUATRE-VINGT-DIX-HUITIÈME JOURNÉE.
Jeudi 8 août 1946.
Audience du matin.
(Le témoin Morgen est à la barre.)Témoin, j’ai tout d’abord deux photographies à vous présenter. Cela n’a rien à voir avec votre interrogatoire au sujet des camps de concentration Ce sont des photographies, Monsieur le Président, que j’ai présentées au témoin Eisenberg hier. Elles ont reçu un numéro, pièce SS-2 et 3. Ce sont, comme je l’ai déjà dit hier, des photographies prises dans un livre écrit en polonais et transmis il y a quelques jours par le Ministère Public. Elles figurent aux pages 9 et 11. (Une photographie est remise au témoin.) Quel est le grade de ce SS, témoin ?
Cet homme ne peut pas être un SS ; il ne porte pas l’uniforme des SS ; je n’ai jamais vu un tel uniforme. Cet homme porte, sur le bras gauche, l’insigne de la Police et il a des pattes d’épaule de la Police.
Cela suffit, témoin, je crois que cela suffit. Je vous montre maintenant la seconde photographie. Voulez-vous maintenant répondre à la question suivante... (La seconde photographie est montrée au témoin.)
Ce n’est pas non plus un uniforme des SS ; c’est un uniforme fantaisie.
Je vous remercie.
Témoin, hier vous aviez déjà commencé une description des camps d’extermination et du régime de ces camps. Mais je voudrais revenir encore à nouveau à la situation qui a existé dans les camps de concentration qui sont sans doute à distinguer des camps d’extermination. Vous nous avez donné hier une impression au sujet de l’aspect extérieur de ces camps, impression qui semblait extrêmement bonne.
Afin qu’il n’y ait pas d’erreur, voulez-vous décrire maintenant quelles étaient les remarques de caractère négatif que vous avez faites ?
Je dois dire à ce propos que la question m’a déjà été posée de savoir si j’avais pu retirer de mes impressions au sujet des camps de concentration l’impression qu’il s’agissait de camps de destruction ; j’ai répondu que cette impression ne pouvait pas être créée, mais je ne voulais pas dire par là que les camps de concentration étaient des sanatoria ou des paradis pour les détenus. S’il en avait été ainsi, mes enquêtes n’auraient eu aucun sens. C’est précisément grâce à ces enquêtes que j’ai un aperçu sur les côtés particulièrement obscurs des camps de concentration. Les camps de concentration étaient des institutions qui, par suite de leur principe faux, devaient nécessairement engendrer des crimes, pour m’exprimer modérément. Quand je dis que cela résultait déjà de leur principe, je veux dire ceci : l’interné était envoyé au camp de concentration par un ordre du Service central de la sûreté du Reich. C’était un service politique, dont la décision n’était pas contrôlable, qui décidait de sa liberté. C’est ainsi que le détenu était placé sans une situation où il n’avait plus aucun droit, pratiquement. Dans les camps de concentration il était presque impossible d’obtenir la libération, bien que, de temps en temps, des enquêtes sur la détention eussent lieu. Mais la procédure était tellement compliquée que, pratiquement, à part quelques exceptions, elle ne pouvait aboutir pour la grande masse des détenus. Une libération devait être autorisée par le camp, par le Service central de la sûreté du Reich et par le service qui avait ordonné l’internement. C’est seulement lorsque ces trois services étaient d’accord qu’il était possible de procéder à la libération. Mais dans ce cas, il n’y avait pas que le motif de l’internement et la conduite au camp qui jouaient un rôle ; il y avait encore, chose monstrueuse, en vertu d’une instruction de l’Obergruppenführer SS Pohl, le côté économique de l’affaire ; cela veut dire que, si le détenu était utile au service du camp, précisément parce que sa conduite était bonne, il ne pouvait être libéré bien que toutes les conditions fussent réunies pour sa libération.
Les camps de concentration étaient entourés d’un réseau de mystère ; le détenu ne pouvait pas entrer librement en contact avec le public.
Monsieur le Président, nous n’avons pas la première responsabilité de la Défense, bien entendu, mais j’ai parlé de mes objections avec M. Elwyn Jones et il est d’accord avec moi. Il me semble que ce que nous entendons ici est un discours sur le cas du Ministère Public et je ne vois pas qu’on puisse en tirer quelque chose pour la défense des SS.
Monsieur Pelckmann, le Tribunal estime que la dernière partie du témoignage n’a pas beaucoup de rapports avec l’affaire des SS. Il juge préférable que vous continuiez à vous occuper des SS.
L’accusation contre les SS pour l’essentiel consiste à affirmer que les SS dans leur ensemble sont responsables pour les camps de concentration. Je m’efforce d’exposer d’une façon complète et en recherchant la vérité absolue, ce système des camps de concentration, qui n’a été éclairci jusqu’ici ni par le Ministère Public ni par les témoins, et je crois qu’il est nécessaire pour le Tribunal de connaître cette vérité pour pouvoir juger si le reproche du Ministère Public — qui considère dans leur ensemble les SS comme responsables pour les atrocités et l’extermination en masse dans les camps de concentration et d’extermination — est vraie. Je prétends...
Auriez-vous l’obligeance de poursuivre en abrégeant autant que possible ces questions qui me paraissent venir de très loin.
De toutes les déclarations des témoins que je fais venir pour cette question, il résultera que le système des camps de concentration était un système fermé, indépendant.
Continuez votre exposé. Je vous ai demandé de continuer et non pas de discuter avec moi.
Témoin, quel était le côté négatif de vos observations ? Soyez bref, comme le Tribunal le désire.
Les détenus ne pouvaient pas entrer librement en rapport avec le public et, par conséquent, leurs observations n’étaient pas non plus connues du public. Par cet isolement dans le camp de concentration, ils étaient soumis complètement par conséquent au pouvoir du camp. Cela avait pour résultat qu’ils devaient craindre que les crimes commis contre eux ne pussent pas être découverts. Je n’ai pas retiré de ces faits l’impression qu’ils avaient pour but de créer un système de crimes, mais toutes ces circonstances devaient nécessairement avoir pour résultats des crimes individuels.
Témoin, les événements et les atrocités et les exécutions massives dans les camps de concentration sont précisément ce dont on accuse les SS. Je vous prie de décrire comment ces crimes peuvent être classés en trois catégories, et ce qu’ils avaient affaire avec tout le plan général correspondant à l’organisation des SS. Suivant vos informations, je distingue les atrocités, les crimes commis en vertu d’ordre supérieurs et les actes individuels d’atrocité commis pour des motifs criminels.
Une grande partie des horribles conditions qui existaient dans certains camps de concentration ne correspondaient pas à un plan délibéré, mais découlaient des circonstances qui peuvent être à mon avis désignées comme cas d’ordres supérieurs. Ce sont par conséquent des maux dont la direction locale des camps n’est pas responsable.
Je songe par là aux épidémies qui ont éclaté. Beaucoup de camps de concentration furent éprouvés, à des intervalles irréguliers, par des épidémies de typhus exanthématique, de typhoïde et d’autres maladies, provoquées surtout par l’afflux dans ; les camps de concentration d’internés en provenance des territoires de l’Est. Bien qu’on ait fait tout ce qu’il était possible de faire pour éviter les épidémies et pour les combattre, les morts causées par ces épidémies étaient très nombreuses.
Un autre inconvénient qui peut être considéré comme un cas de force majeure c’est l’irrégularité de l’arrivée des prisonniers, l’insuffisance des cantonnements. Beaucoup de camps étaient surpeuplés.
Les prisonniers arrivaient épuisés par une durée très longue, et qui n’avait pas été prévue, des transports, provoquée par les attaques aériennes. Puis, vers la fin de la guerre, il se produisit une désorganisation générale des communications ; les fournitures ne purent plus être faites en quantités nécessaires, les usines de produits chimiques et pharmaceutiques étaient bombardées systématiquement. On manquait de tous les médicaments nécessaires et, par suite des évacuations de l’Est, les camps furent surpeuplés d’une façon intolérable.
Veuillez, je vous prie, passer au second point.
Je désigne, comme ordres supérieurs, l’extermination générale dont j’ai parlé au début, non pas dans des camps de concentration, mais dans des lieux d’extermination spéciaux, séparés de ceux-ci. Ce sont en outre des ordres d’exécution du Service central de sûreté du Reich contre des personnes ; et des groupes de personnes.
Le troisième point concerne la majorité des crimes isolés dont j’ai dit...
De quoi parle le témoin ? De quels camps veut-il parler lorsqu’il dit « camps d’extermination » ? (Au témoin.) De quoi parlez-vous ? Qu’appelez-vous camps d’extermination ?
Témoin, répondez à la question.
Par camps d’extermination, je comprends des institutions qui avaient pour but d’exterminer des hommes en utilisant des moyens comme par exemple les gaz.
Quels étaient ces camps ?
J’ai décrit déjà hier les quatre camps du commissaire Wirth et j’ai donné déjà une indication sur Auschwitz ; par camp d’extermination d’Auschwitz, je ne parle pas du camp de concentration, mais d’un camp appelé « Monowitz » qui était un camp d’extermination spécial, près d’Auschwitz.
Bon, comment s’appelaient les autres camps ?
Je ne connais pas d’autres camps d’extermination.
Vous avez parlé, en dernier lieu, du fait que les atrocités ont été commises en tant que crimes individuels. Expliquez-vous.
Il faut distinguer ici entre les diverses catégories d’auteurs de crimes. Les détenus se tuaient entre eux. Des meurtres étaient parfois commis, par exemple pour motif de haine. Par exemple, lorsqu’un détenu s’était évadé, tout le camp devait se rassembler sur le champ de manœuvres pendant qu’on faisait les recherches parce qu’on ne savait pas où se trouvait le détenu et qu’il pouvait être dans le camp même ; cela durait souvent des heures et souvent aussi une journée. Les détenus étaient fatigués et affamés ; ils étaient très fatigués de rester debout, dans la pluie et le froid, de sorte que, lorsque l’évadé était repris, les autres détenus, par vengeance pour tout ce qu’ils avaient supporté, l’assommaient. Dans de nombreux cas, les détenus avaient l’impression que l’un d’entre eux était un mouchard. On essayait de tuer ces détenus pour se défendre ; il s’est produit des cas où des détenus, qui étaient physiquement débiles et ne pouvaient pas travailler beaucoup, et de plus par leur conduite en volant du pain par exemple, provoquaient l’indignation de leurs camarades et, si l’on tient compte du fait que les détenus étaient en partie des individus qui avaient commis des crimes et qui avaient déjà subi des condamnations antérieures, il est évident que ces internés cherchaient à tuer leurs codétenus. Ces meurtres se produisaient de diverses façons...
Je crois que nous n’avons pas besoin d’en parler. Nous y reviendrons. Mais vous avez encore à parler d’une autre espèce de coupables.
J’en arrive aux meurtres qui ont été commis par des membres du camp contre des détenus, par des détenus contre leurs camarades détenus. Afin de préciser tout de suite, je voudrais citer le cas du commandant du camp de Buchenwald qui a été jugé, condamné et exécuté, Koch. Voici un cas isolé ; dans le camp de Buchenwald, il y avait un détenu qui était un membre ancien du Parti. En sa qualité de vieux lutteur du Parti, il avait reçu un poste de directeur médical, il en avait abusé ; il voulait obliger des domestiques polonais à commettre des outrages à la pudeur avec lui, sous menace de renvoi, bien que lui-même fût syphilitique. Cet homme avait été condamné par les tribunaux ordinaires à une peine de réclusion de longue durée. Koch trouve son dossier ; il considère ce jugement comme une erreur. Il veut soi-disant réparer une erreur judiciaire, et fait mettre à mort ce détenu.
Voici un autre cas qui est tout à fait différent. Koch croyait qu’un certain prisonnier juif, qui présentait des particularités extérieures marquantes, le suivait dans ses mutations dans les différents camps. Par crainte superstitieuse, il donne un jour l’ordre de tuer cet homme.
Un autre cas : Koch croyait que son activité criminelle ou bien encore certaines situations personnelles le concernant étaient connues de différents détenus. Afin de se protéger lui-même, il les fait tuer.
Quelles sont maintenant les possibilités de ces meurtres, et pouvaient-ils être remarqués par les autres détenus du camp ?
La façon de procéder était très simple au fond. Les détenus en question étaient convoqués, sans donner de raisons, et devaient se présenter à la porte du camp de concentration. Cela n’attirait pas l’attention parce que presque à chaque heure, dans cet énorme camp, des détenus étaient appelés pour être internés, envoyés dans d’autres camps, etc. Ces détenus, par exemple, sans que cela soit reconnaissable pour les autres détenus, venaient à ce qu’on appelait la prison de la Kommandantur, située en dehors du camp. Ils restaient là pendant quelques jours, quelquefois une ou deux semaines, puis ils étaient tués par le surveillant, la plupart du temps par prétendue vaccination. Mais en réalité on leur avait fait une injection intraveineuse de phénol.
On pouvait également les tuer secrètement en les faisant appeler à l’infirmerie sous un prétexte quelconque. Le docteur disait que tel homme avait besoin d’un traitement et l’admettait à l’infirmerie ; il était mis seul dans une chambre et on le tuait. On disait dans chacun de ces cas, dans les pièces légales, que le détenu était mort de telle ou telle maladie normale. Dans d’autres cas, on faisait partir le détenu pour un commando où le travail est très dur. La plupart du temps, c’est ce qu’on appelle de commando « de la carrière de pierre ». Le kapo du commando reçoit une indication et il pousse sans relâche le détenu au travail, il le brime de toutes les manières. Un jour alors, le détenu se décourage. Pour échapper à ces tortures, il se précipite sur le cordon de sentinelles, et il faut bon gré, mal gré, que la sentinelle le tue d’un coup de fusil.
Ces différentes formes de meurtres varient d’un cas à l’autre. De ce fait, extérieurement, on ne pouvait pas les reconnaître, parce que ces meurtres avaient lieu dans des endroits secrets différents, par des méthodes variées et à différents moments. Cela suppose que le commandant du camp, qui agit ainsi comme Koch, dans ce cas devait pouvoir s’appuyer absolument sur des hommes entièrement dévoués, possédant une situation importante, comme ici le médecin qui a été arrêté, le surveillant du travail qui a été également arrêté, et qui s’est suicidé aussitôt après, et des kapos détenus qui lui étaient dévoués depuis des années et qui collaboraient à ces crimes. Là où cette collaboration n’existe pas, il ne peut se produire de tels excès, de tels crimes.
Est-ce que vous avez vu de tels cas et des camps comme celui-là ?
Oui, j’ai déjà mentionné le résultat de nos enquêtes. Du fait que la plupart des camps ont été institués pendant la guerre avec du nouveau personnel, et que, dans les anciens camps, le personnel occupant des positions importantes a été changé, cette collaboration ne pouvait plus se produire.
Serait-il donc faux d’admettre alors que tous les camps et tous les commandants de camp ainsi que tous les médecins de camp auraient agi comme vous venez de le décrire ?
D’après mes enquêtes minutieuses, je ne peux dire que cette supposition serait complètement fausse. J’ai connu des commandants de camp qui ont fait tout ce qu’il était possible de faire humainement pour leurs détenus. J’ai rencontré des médecins qui ne songeaient et ne s’efforçaient qu’à soigner les prisonniers malades et à prévenir de nouvelles maladies.
Nous allons revenir aux exterminations en masse que vous avez décrites dans un cas. Vous avez parlé du commissaire criminel Wirth qui n’était pas membre des SS et dont l’État-Major ne se composait pas non plus de SS. Pourquoi, justement, Wirth avait-il reçu cette mission ?
J’ai dit déjà que Wirth était commissaire à la Police criminelle de Stuttgart et il était commissaire pour la recherche des crimes capitaux, notamment des meurtres. Il avait une assez grande réputation de détective, et avant la prise du pouvoir on l’avait connu dans le public parce qu’il avait des méthodes d’enquête sans scrupules qui ont même donné lieu à une discussion au Landtag de Wurtemberg. On a utilisé alors cet homme pour dissimuler les traces de ces méthodes d’extermination massives. On croyait que, en raison de ses antécédents, cet homme serait assez dénué de scrupules pour accomplir cette tâche, et c’était exact.
Vous avez mentionné les détenus juifs qui ont aidé aux exécutions. Que sont-ils devenus ?
Wirth m’a dit qu’à la fin de l’action il faisait fusiller ces prisonniers et qu’il leur reprenait ainsi les gains qu’il leur avait laissés en apparence. Cela n’a pas eu lieu en une fois seulement, mais en exécutant également la manœuvre de camouflage déjà décrite. Sous divers prétextes, on séparait les détenus les uns des autres et on les tuait chacun séparément.
Est-ce que vous avez entendu Wirth prononcer le nom de Höss ?
Oui, Wirth, en pariait comme de son « mauvais élève ».
Pourquoi ?
Höss avait des méthodes entièrement différentes de celles de Wirth. Je crois que nous pourrions en parler plus tard si nous venons à parler du camp d’Auschwitz même.
Est-ce que vous avez entendu aussi le nom d’Eichmann ?
Je ne peux pas me souvenir si déjà le nom d’Eichmann a été prononcé à cette époque, mais plus tard je suis tombé sur ce nom.
Comment êtes-vous arrivé à la piste qui menait à Auschwitz ?
Un premier indice m’a été fourni par une allusion faite par Wirth lui-même. Il ne s’agissait plus pour moi que de trouver un motif pour me permettre de faire des enquêtes à Auschwitz ; je vous prie de vous rappeler que ma mission était tout à fait limitée et que j’étais chargé d’enquêter sur des crimes de corruption et les délits qui s’y rapportaient.
Monsieur Pelckmann, est-ce que le témoin n’a pas expliqué hier comment il en était venu à faire une enquête dans le camp d’Auschwitz ?
Non, c’était tout autre chose, Monsieur le Président.
J’ai parié hier simplement de Lublin et de Wirth. J’ai dit que j’avais reçu des renseignements sur Höss et que je désirais entrer dans le camp et que pour cela il me fallait une raison. J’ai trouvé cette raison rapidement. La Police du protectorat avait constaté un trafic d’or dans le protectorat et la piste conduisait à Berlin. Le service douanier de répression des fraudes de Berlin Brandenbourg avait découvert des coupables effectuant du service dans le camp d’Auschwitz, et la procédure fut transmise au tribunal des SS et de la Police de Berlin. C’est là que j’en entendis parler et je me fis confier la procédure pour trafic d’or (il s’agissait de trafics énormes), et peu de temps après je me rendis à Auschwitz.
Vous avez donc été à Auschwitz ?
Oui, je suis allé à Auschwitz, et avant de commencer l’enquête elle-même, j’ai...
Quand êtes-vous allé à Auschwitz ?
Je ne peux plus dire exactement la date maintenant, mais ce doit être vers la fin de 1943, début de 1944.
Les méthodes d’extermination étaient semblables à celles que vous avez décrites hier ?
J’ai visité en détail tout le camp et me suis rendu compte des institutions. Les détenus arrivaient en convois constitués sur un terrain annexe de la voie ferrée et ils étaient débarqués par des détenus juifs. Ensuite, il y avait un triage de ceux qui étaient capables de travailler et de ceux qui ne l’étaient pas, et c’est ici que les méthodes de Wirth et de Höss diffèrent.
Ce triage des inaptes du travail s’effectuait d’une façon assez simple. A côté de l’emplacement du débarquement, il y avait plusieurs camions et le médecin invitait les arrivants à les utiliser. Mais, disait-il, seuls les malades, les femmes et les enfants, et les vieillard pouvaient en faire usage. Alors ces personnes se pressaient vers les moyens de transport qu’on leur avait préparés. Il n’y avait plus qu’à retenir les personnes qu’on ne voulait pas envoyer à l’extermination. Ensuite les camions partaient, mais ils n’allaient pas au camp de concentration d’Auschwitz, mais dans une autre direction, à quelques kilomètres, au camp d’extermination de Monowitz. Dans ce camp d’extermination, il y avait toute une série de fours crématoires. Ces fours crématoires n’étaient pas reconnaissables de l’extérieur. On pouvait les prendre pour de grands bâtiments de bains et c’est ce qu’on disait aux prisonniers. Ces fours crématoires étaient entourés de fils de fer barbelés. Ils étaient surveillés par les commandos de travail juifs que j’ai mentionnés. Les arrivants étaient conduits dans une salle. On leur demandait de se déshabiller. Quand ceci était fait...
Est-ce que ce n’est pas à peu près ce que vous avez décrit hier ?
Oui, naturellement.
Comment veillait-on au secret absolu de ces actions ?
Les détenus qui allaient dans le camp de concentration n’avaient aucune indication de l’endroit où étaient allés les autres prisonniers. Le camp d’extermination de Monowitz était loin du camp de concentration d’Auschwitz. Il se trouvait sur un vaste terrain industriel qu’on ne pouvait reconnaître comme un camp d’extermination. Partout il y avait des cheminées qui fumaient. Le camp lui-même était surveillé de l’extérieur par une troupe spéciale d’hommes des pays baltes : Estoniens, Lituaniens Ukrainiens. L’exécution technique était presque exclusivement entre les mains des détenus qui étaient désignés pour cela. La mise à mort proprement dite était effectuée par un autre sous-officier qui envoyait les gaz dans cette salle.
Ainsi donc tout cela n’était connu que d’un nombre très restreint de personnes et ces personnes prêtaient un serment spécial...
Est-ce que les Unterführer appartenaient aux SS ?
Ils portaient des uniformes SS.
Ne vous êtes-vous pas donné la peine de chercher s’ils étaient réellement des membres des SS ?
J’ai déjà dit qu’il s’agissait de ressortissants de peuples de l’Est...
Peu importe ce que vous avez déjà dit, tout ce que je vous demande c’est si vous n’avez pas pris la peine d’établir qu’ils appartenaient aux SS ?
Excusez-moi, Monsieur le Président, je ne peux pas comprendre cette question.
Ce ne pouvait être des membres des Allgemeine SS. Autant que j’ai pu le constater, c’étaient des volontaires et également des gens astreints au service de secours contre les catastrophes qu’on avait recrutés dans les Pays Baltes et qui y accomplissaient des missions de sûreté. On les a ensuite sélectionnés et envoyés à Auschwitz-Monowitz. Il s’agit ici d’une troupe spéciale qui n’avait que cette tâche spéciale et pas autre chose, et qui était complètement distincte des Waffen SS.
Je ne vous ai pas demandé s’ils appartenaient aux Waffen SS.
Avez-vous demandé pourquoi on les avait revêtus de l’uniforme SS ?
Non, je n’ai pas posé cette question. Cela me paraissait d’ailleurs incompréhensible. Et ceci dépend sans doute du fait que le commandant du camp de concentration d’Auschwitz...
Un moment... J’ai cru comprendre que vous avez dit que vous considériez qu’il était incompréhensible que ces hommes soient revêtus de l’uniforme SS. Est-ce que vous ne l’avez pas dit ?
Oui, je l’ai dit.
N’y avait-il pas du tout d’officiers appartenant aux SS ?
Il y avait un. officier, un commandant de cette compagnie, je crois un Hauptsturmführer Hartenstein, ou quelque chose comme cela.
Pourquoi ne lui avez-vous pas demandé pour quelle raison ces hommes avaient été revêtus des uniformes SS ?
La direction du camp d’extermination se composait du SS-Standartenführer Höss. Höss était commandant du camp de concentration d’Auschwitz et aussi du camp d’extermination de Monowitz. Autour d’Auschwitz il y avait toute une foule de camps de travail. Je l’ai déjà dit.
Je ne vous ai pas demandé cela. Ce que je vous ai demandé, c’est pourquoi vous n’avez pas demandé à ces deux officiers SS pourquoi ils avaient donné à ces hommes des uniformes de SS.
J’ai admis que ceci se passait pour des raisons de camouflage, afin de ne pas faire distinguer ce camp, le camp d’extermination, des autres camps de travail et du camp de concentration lui-même. Ce qui était incompréhensible pour moi, en tant que soldat, c’était simplement que l’on fît cette injure aux SS, alors qu’ils n’avaient rien à faire avec cette extermination.
Vous étiez vous-même un officier supérieur des SS, n’est-ce pas ?
Oui, j’étais Sturmbannführer des Waffen SS, à cette époque-là.
C’est pourquoi je vous demande pour quelle raison, dans ces conditions, vous n’avez pas fait des recherches à ce sujet, pourquoi vous n’avez pas demandé à ces officiers supérieurs des SS qui se trouvaient dans le camp : « Qu’est-ce que cela signifie que l’on ait revêtu ces gens de l’uniforme des SS » ?
Je n’ai pas compris la question.
Poursuivez.
Témoin, je vais vous poser moi-même la question.
Pourquoi n’avez-vous pas questionné les officiers supérieurs des SS que vous avez rencontrés afin de savoir pourquoi ces gens qui travaillaient là portaient des uniformes de SS ?
Je croyais qu’ils le faisaient pour se camoufler, afin de cacher le camp, afin que la différence d’uniformes n’indiquât pas une différence de camps.
Et cette explication, que vous vous donnez à vous-même est la raison pour laquelle vous n’avez pas questionné les officiers ?
En tout cas, je ne peux pas me souvenir d’avoir questionné les officiers à ce sujet, c’est-à-dire que je n’ai pas parlé avec des officiers, mais seulement avec le commandant Höss et le commandant de troupes de surveillance du camp d’extermination.
Est-ce que vous avez tout décrit au sujet du secret ?
Continuez.
Est-ce que vous avez tout exposé sur la question de savoir de quelle manière le secret était assuré ?
Il faut mentionner ici une chose essentielle : certains détenus juifs étaient sélectionnés lorsqu’ils avaient des relations à l’étranger. On leur permettait d’écrire des lettres à l’étranger et ainsi le public pouvait avoir l’impression que ceux qu’il connaissait étaient en vie et bien portants, puis qu’ils écrivaient.
Témoin, dans des conditions normales, qu’auriez-vous dû faire lorsque vous avez appris toutes ces choses terribles ?
En temps normal, j’aurais dû emprisonner le commissaire Wirth et le commandant Höss et les accuser de meurtre.
Est-ce que vous l’avez fait ?
Non.
Non, et pourquoi ?
La réponse ressort de la question même. Il n’y avait plus à ce moment-là en Allemagne, à cause de la guerre, de conditions normales au sens de garanties constitutionnelles. Ensuite, il faut tenir compte du fait suivant. Je n’étais pas simplement un juge, mais j’étais juge de la justice pénale militaire. Or, aucun tribunal militaire au monde n’a le pouvoir de citer à sa barre son Commandant en chef de l’Armée, voire le chef de l’État lui-même.
Ne faites pas une théorie sur le Droit, mais dites-nous pourquoi vous ne l’avez pas fait, ce que vous avez reconnu, ce que vous auriez dû faire.
Excusez-moi. Ce n’était pas possible pour moi, du fait que j’étais alors Obersturmführer, de faire arrêter Hitler que je devais considérer comme l’auteur de ces ordres.
Oui, et qu’avez-vous fait alors ?
J’ai reconnu, après m’être ainsi rendu compte qu’il fallait faire quelque chose, qu’il fallait stopper immédiatement cette action. Il fallait obliger Hitler à retirer ses ordres et, dans cette circonstance, il n’y avait que Himmler qui pouvait le faire en qualité de ministre de l’Intérieur et de chef supérieur de la Police. Il faut donc, pensais-je, que j’arrive auprès de Himmler en passant par les chefs de service, et que j’expose les effets de ce système pour lui faire comprendre que, par ces méthodes, on mène l’État directement à sa ruine. C’est pourquoi, tout d’abord, je me suis adressé à mon supérieur direct, au SS-Obergruppenführer Nebe, chef du service de la Police criminelle du Reich, et de plus, je me suis adressé au chef du service central des tribunaux SS, SS-Obergruppenführer Breithaupt. J’ai également essayé d’atteindre Kaltenbrunner et le chef de la Gestapo, le Gruppenführer Müller, ainsi que l’Obergruppenführer Pohl du Service central économique et administratif. J’ai fait des démarches auprès de l’Obergruppenführer Dr Grawitz, médecin des SS pour le Reich. Mais, en dehors de cette nécessité d’agir, j’ai vu qu’il y avait pour moi, dans le domaine de la justice, un moyen pratique direct, à savoir de briser l’un après l’autre les chefs et les membres importants de ce système d’extermination et cela en employant les méthodes du système lui-même. Je ne pouvais faire cela pour des meurtres ordonnés par le Chef de l’État, mais j-e pouvais le faire pour des meurtres qui étaient commis en dehors de ces ordres ou contrairement à ces ordres ou pour d’autres délits graves. C’est pourquoi, consciemment, j’ai entamé les poursuites pénales contre ces hommes, et il aurait dû ainsi se produire un ébranlement, une dislocation de ce système.
Cette affaire a eu encore, peu de temps après, un effet à longue échéance, car les grands procès typiques des camps de concentration comme ceux qui ont été entamés contre le commandant Koch, dont j’ai parlé tout à l’heure, et contre le chef de la section politique d’Auschwitz, secrétaire de Police Obergruppenführer Grabner, que j’ai poursuivi pour meurtre en dehors de cette action d’extermination — pour 2.000 meurtres — devait faire soumettre à une décision de la justice tout cet ensemble de meurtres. Il fallait s’attendre à ce que les coupables invoquent des ordres venus de haut lieu pour justifier ces crimes individuels, et c’est ce qu’ils ont fait. Il fallait ensuite qu’avec des preuves que j’avais transmises, la justice SS s’adressât directement au Chef de l’État et lui posât officiellement la question : Est-ce vous qui avez ordonné ces meurtres ? La définition légale du fait de meurtre ne s’applique-t-elle plus à eux ? Quels sont les ordres donnés au sujet de ces meurtres, d’une façon générale ? Alors le Chef de l’État aurait été obligé de désavouer les tiers et de les abandonner pour extermination massive à notre répression ou bien il fallait qu’une rupture officielle se produise en annihilant toute l’organisation de la justice.
Si je puis anticiper à propos du procès de Weimar contre Koch et Grabner, ce problème est devenu aigu ; alors les débats furent suspendus et ces questions dont je viens de parler ont été posées officiellement au Service central de sûreté du Reich. A cette fin, on y détacha exprès un juge qui avait pour tâche de faire des recherches dans tous les services du Service central de sûreté du Reich et de rechercher s’il existait de tels ordres. Mais, ainsi que je l’ai appris, le résultat fut négatif.
Ensuite, on essaya d’entamer une lutte contre Höss lui-même, mais entre temps le front avait reculé. Auschwitz était occupé et le juge qui y avait été envoyé a dû cesser son enquête — son enquête très fructueuse — lorsqu’elle était à peine commencée. Puis, au début de janvier 1945, il y eut une désorganisation complète et aucune enquête judiciaire ne fut plus possible.
En résumé, les effets directs des enquêtes ont été les suivants : tout de suite dans tous les camps de concentration, le meurtre de détenus par la méthode dite d’euthanasie cessa parce qu’aucun médecin ne pouvait être sûr de ne pas être arrêté le lendemain, car tout le monde connaissait l’exemple du médecin du camp de Buchenwald. Je suis donc persuadé que, par cette intervention et cette méthode, on a obtenu des effets directs et que l’on a sauvé la vie de milliers de détenus, parvenant ainsi à ébranler tout le système de meurtres, car il est tout à fait remarquable que, après ma première démarche auprès du commissaire Wirth et au cours de ma deuxième visite à Lublin, je ne l’y retrouvai plus. Je constatai que Wirth, entre temps, avait reçu l’ordre de détruire à fond tous ses camps d’extermination. Avec tout son détachement, il était parti pour l’Istrie et y faisait de la police routière. Vers mai 1944, il a été tué. Dès que j’ai appris que Wirth était parti de Lublin avec tout son détachement, je suis immédiatement allé pour constater s’il n’avait pas simplement transporté ailleurs le lieu de son activité, mais il n’en était pas ainsi.
Témoin, dans toutes ces enquêtes, avez-vous été en danger de mort ?
Il était clair que la découverte de ces crimes épouvantables était très désagréable pour les coupables. Je savais que pour ces gens-là la vie humaine ne comptait pour rien et qu’ils étaient décidés à tout. Je puis donner une preuve de cela lorsque j’eus arrêté à Auschwitz Grabner, le chef de la section politique, et qu’une commission d’instruction...
Monsieur Pelckmann, est-ce que vous n’oubliez pas que vous aviez dit que vous prendriez 45 minutes pour ce témoin ?
Je ne l’ai pas oublié, Monsieur le Président, et je regrette beaucoup que cela ait duré très longtemps, mais je crois que j’y suis obligé pour éclairer le Tribunal...
Est-il très important de savoir si cet homme était en danger de mort ou non ?
Du point de vue de la Défense, je suis d’un autre avis, car pour la situation et la possibilité de se défendre contre ce système, il me semble que ceci est d’une importance considérable d’après la décision du 13 mars du Tribunal (article 1, article 2 : « Contrainte et ordres »).
Continuez, Monsieur Pelckmann. Le Tribunal ne croit pas que ce soit important.
Je demande à ajouter encore un mot. La commission d’enquête de la Police criminelle du Reich à Auschwitz était logée dans une baraque. Après que cette commission eut travaille avec succès pendant quelque temps, la baraque a été détruite la nuit avec tous les dossiers par un incendie dont les auteurs sont inconnus. Ainsi les enquêtes furent interrompues à Auschwitz pour une période assez longue, ou bien elles rencontrèrent des difficultés. Veuillez conclure avec quelle absence de scrupule on a procédé contre nous. Moi-même, j’ai reçu suffisamment d’avertissements et de menace. Mais je ne puis dire si j’ai été effectivement en danger de mort.
Est-ce que le personnel de direction du camp de concentration proprement dit Auschwitz a donné l’occasion d’admettre qu’il savait quelque chose de ces exterminations ? A ce propos ;, je répète que, si je vous ai bien compris, le camp de concentration d’Auschwitz n’avait rien à voir avec les nombreux camps de travail qui se trouvaient tout autour et qu’il était séparé du camp d’extermination de...
J’ai déjà dit que Höss était à la fois commandant d’Auschwitz et de Monowitz. Il doit donc être considéré comme le chef assumant la direction du camp, avec le chef de la troupe de Monowitz. Je n’ai eu affaire qu’à ces deux officiers. Et tous les deux savaient.
Avez-vous parlé avec le médecin du camp de concentration d’Auschwitz ?
Oui. Le médecin m’indiqua les chiffres et les courbes de mortalité à son arrivée. Les yeux brillants, il me signala que depuis son arrivée à Auschwitz les chiffres élevés des statistiques étaient descendus brusquement grâce à des mesures d’hygiène et à des réformes. Mais à ce propos, il me donna également une indication au sujet de Grabner. Grabner lui avait demandé de mettre à mort des Polonaises enceintes, et le médecin l’avait refusé comme n’étant pas compatible avec sa profession. Là-dessus Grabner lui a reproché de méconnaître l’importance de sa tâche politique à lui, Grabner. Le médecin n’avait pas cédé. Il en résulta une dispute entre eux, qui fut portée devant le commandant, et là, ni Höss ni Grawitz ne dirent mot. Ainsi au moment où j’arrivais, le médecin était vraiment en proie à un terrible conflit. Il me dit : « Que dois-je faire ? »
Je lui répondis : « Ce que vous avez fait, c’est-à-dire refuser absolument. Ceci est tout à fait juste et demain je mettrai Grabner en état d’arrestation ».
Qu’est-ce que ceci a à voir avec les SS, Monsieur Pelckmann ? Sauf peut-être que le médecin était un SS. Est-ce qu’il l’était ?
Oui, il est connu que les médecins étaient des SS, et le témoin décrit ici comment un médecin SS dans ce camp de concentration d’Auschwitz s’est opposé à ce que demandait Grabner, et il indique cela comme un cas typique.
Monsieur Pelckmann, le Tribunal estime que vous avez retenu suffisamment ce témoin et que vous êtes entré beaucoup trop dans les détails.
Vous venez de dire auparavant que vous avez fait des rapports à différents services, et vous en avez, je crois, nommé trois. Voulez-vous décrire de quelle manière Nebe réagit et quelle attitude a prise Breithaupt et ce qu’ont dit Kaltenbrunner et Müller ? Quelle a été l’attitude de Pohl et celle du médecin du Reich, Grawitz ?
J’ai fait un rapport au SS-Gruppenführer Nebe, mon supérieur direct, en sa qualité de chef de la Police criminelle du Reich. Nebe était un homme qui parlait très peu, mais on voyait, lorsque je lui ai fait le rapport, que ses cheveux se dressaient littéralement sur sa tête et son silence devint de pierre. Il dit que je devais tout de suite rendre compte de l’affaire à Kaltenbrunner. Le chef du tribunal, SS-Obergruppenführer Breithaupt, fut également très ému et il dit qu’il irait tout de suite voir Himmler et lui en parlerait pour essayer d’obtenir que je puisse venir auprès de Himmler afin de lui faire un rapport direct. Le médecin du Reich SS était également désemparé. L’Obergruppenführer Pohl eut au contraire une attitude tout autre. Auparavant, j’avais dit comment j’ai mis en prison le commandant du camp de Hertogenbosch, qui s’était rendu coupable du meurtre de dix femmes à la suite d’une punition. Lorsque je fis le rapport à Pohl au sujet de ces meurtres, il déclara que c’était une bagatelle. Il dit : « Qu’est-ce que la vie de dix femmes par rapport à celle des milliers de femmes allemandes qui meurent toutes les nuits par suite des bombardements ? »
Voulez-vous passer à la suite et vous exprimer brièvement ?
Après que j’eus fait mon rapport à Obergruppenführer Kaltenbrunner sur les affaires de corruption proprement dites — les affaires de meurtre que j’ai eu à rechercher sont venues à peu près six mois plus tard — il y eut un entretien en présence de Nebe, Kaltenbrunner et Müller. Cet entretien eut un caractère tout à fait unilatéral, car Kaltenbrunner et Nebe gardèrent un silence complet tandis que Müller était fou de rage contre moi et ne me laissa pas parler. Comme je le regardais avec calme, il bondit brusquement et se précipita hors de la pièce, tandis que les deux autres officiers se détournaient.
L’après-midi je rendis de nouveau visite à Müller et je lui exprimai mon opinion. Mais Müller y était toujours tout à fait opposé.
Bien, bien.
Quelle était la date de cette conversation avec Kaltenbrunner ?
C’était aussitôt après l’accusation portée contre Grabner. Je pense que cela se passait en juillet ou août 1944.
Avez-vous communiqué ces choses à d’autres milieux des SS ?
Non. Pour moi, il m’importait de donner des renseignements à ces gêna et de les gagner à mon opinion, et tout le reste ne comptait pas. De plus, j’étais, par suite de l’ordre n° 1, obligé de garder le secret au sujet d’affaires de l’État. Par conséquent, je ne pouvais en parler qu’aux chefs des services centraux en personnes. Si j’avais commis la moindre indiscrétion en mêlant à l’affaire d’autres services, cela aurait eu les conséquences les plus graves pour moi, cela aurait donné à mes ennemis un prétexte contre moi et fait traîner en longueur les enquêtes.
Monsieur Pelckmann, il a dit déjà qu’il n’a pas fait de rapport. Il semble que cela doit suffire. Nous ne voulons pas de détails. Il n’a pas fait de rapport. Nous ne sommes pas en train de juger le témoin.
Pardon, je crois que c’est une erreur, si je vous ai bien compris, Monsieur le Président. Il a bien dit qu’il a fait des rapports.
Si j’ai bien compris, il a dit qu’il n’avait pas fait d’autres rapports en dehors de celui dont il a déjà parlé.
Témoin, voulez-vous prendre position à ce propos ?
C’est exact. Sauf le chef du service central SS, personne n’a été informé.
N’avez-vous pas cru que c’était votre devoir de faire connaître ceci à l’opinion publique mondiale ou de soulager votre conscience en criant « Au meurtre ! »
J’aurais dû avoir dans ce cas un accès aux moyens techniques — radio et presse — pour le faire connaître et je ne l’avais pas. Mais si j’avais crié cela à tous les coins de rue, personne ne m’aurait cru parce que ce système dépasse l’entendement humain. On m’aurait enfermé comme fou.
Le camp de concentration de Dachau a été décrit ici comme camp d’extermination pure, par l’Accusation et en partie aussi par des témoins. Est-ce exact ?
Je crois, d’après mon enquête de mai à juillet 1944, avoir connu en détail le camp de concentration de Dachau et il faut que je dise que j’ai eu l’impression toute contraire. Le camp de Dachau a été considéré de tout temps comme un camp de repos par les détenus et j’ai réellement eu cette impression.
Avez-vous vu les installations intérieures, le bâtiment des malades, etc. ?
Oui, j’ai vu toutes ces installations. Je les ai visitées très minutieusement et je dois dire que l’infirmerie était tout à fait exemplaire. J’ai passé dans toutes les salles. On ne pouvait pas dire qu’il y avait encombrement. Il y avait une extraordinaire quantité de médicaments et d’instruments médicaux, même de grandes dimensions, servant aux détenus. Il y avait plusieurs spécialistes parmi les détenus eux-mêmes.
Oui, c’est bon. Vous voulez dire que c’était bien. Mais vous êtes ici en contradiction avec la déclaration du Dr Blaha qui a été l’objet des débats ici. Connaissez-vous cette déclaration ?
J’ai lu cette déclaration de Blaha dans la presse, mais je n’ai pas eu l’occasion de voir les pièces du Procès et je dois dire que j’ai été étonné en lisant cette déclaration. Je pense que Blaha ne peut pas faire de telles affirmations d’après ce qu’il a vu lui-même, car il n’est pas vrai que des détenus peuvent se déplacer librement dans le camp de concentration ni surtout qu’ils aient accès aux différentes installations.
Le Tribunal pense qu’il peut dire qu’il n’est pas d’accord avec le témoignage du Dr Blaha, mais non pas que le Dr Blaha n’a pas dit la vérité. Il a dit qu’il n’est pas d’accord. Nous pensons que vous pouvez continuer. Combien de temps pensez-vous encore devoir parier ? Il est maintenant 11 heures et demie.
Cinq minutes, Monsieur le Président. (Au témoin.) Pourquoi n’êtes-vous pas d’accord avec la déclaration de Blaha ? Vous vouliez le dire, témoin ?
Non, il a donné son propre témoignage au sujet du camp et il dit qu’il est en contradiction avec celui de Blaha, mais nous ne voulons pas d’autres détails sur ce sujet.
Monsieur le Président, si je comprends bien, il faut que le témoin fasse une déclaration digne de foi. S’il ne dit pas que sur tel et tel point de la déclaration de Blaha il élève une objection, le Ministère Public pourra lui dire qu’il n’a pas pris position. C’est tout ce que je m’efforce de faire. Je vous prie de m’indiquer si je suis dans l’erreur.
Il nous a donné sa description du camp de Dachau et le Tribunal a sous les yeux le témoignage de Blaha. Le Tribunal peut juger par lui-même si ces deux témoignages sont contradictoires et cela nous suffit.
J’avais seulement essayé d’indiquer les motifs, mais si le Tribunal ne veut pas entrer dans les détails, je retire cette question. (Au témoin.) Brièvement, voulez-vous encore une fois résumer ? Je vais passer à la dernière question qui est très importante pour savoir si vous êtes digne de foi. Est-ce que vous avez fait déjà les déclarations que vous venez de faire et telles que vous les avez faites ici ?
Oui. Lors de l’effondrement de l’Allemagne, j’étais juge en chef à Breslau. Lorsqu’au bout d’un assez long temps je revins en Allemagne, j’appris que le CIC américain me recherchait à cause de ce que je savais sur les camps de concentration. Je me présentai à l’État-Major du CIC à Mannheim, Seckenheim, 7 e armée, et je me déclarai prêt à collaborer à la recherche de ces crimes. J’ai fait ma déclaration comme j’ai essayé de le faire aujourd’hui. Je me rendis à l’Etat-Major du CIC à Oberursel. Après avoir fait mes déclarations, je fus enfermé dans une casemate de Dachau avec les accusés que j’avais autrefois arrêtés moi-même.
C’est bien, cela suffit. Est-ce qu’une brochure SS Dachau vous est connue, brochure que j’ai transmise hier au Tribunal et que j’ai indiquée sous le numéro SS-4 ? Est-ce que cette brochure vous est connue ? Répondez oui ou non.
Oui.
A la page 46 de cet écrit, il y a la déclaration de Madame E. H. Est-ce que cette déclaration vous a été faite en son temps à vous comme juge d’instruction ?
Oui, j’ai entendu cette détenue d’Auschwitz nommée Eléanore Hodis.
Est-ce que vous avez examiné cet article et constaté que cette déclaration est celle qui vous a été faite, oui ou non ?
Oui.
Quand cela s’est-il produit ?
C’était en automne 1944.
La déclaration était dirigée contre Höss ?
Oui.
Est-ce qu’à la suite de cette déclaration une procédure a été entamée contre Höss ?
Oui. L’original des déclarations a été présenté à Höss.
La déclaration a trait à ce qui se passait à Auschwitz. Est-ce exact ?
Oui.
Donc il n’est pas exact qu’elle spécifie ce qui se passait à Dachau.
Non.
Le Tribunal va suspendre l’audience.
Monsieur le Président, en ce qui concerne la non-participation et le manque de connaissance de la Gestapo par rapport aux exterminations en masse, je demanderai l’autorisation de poser trois questions brèves à ce témoin.
Vous pouvez.
Témoin, si je vous ai bien compris, les crimes du commissaires de Police Wirth, de Lublin, ont été découverts sur une intervention de la Police de sûreté de Lublin ?
Oui.
Par conséquent, la Police de sûreté de Lublin a participé d’une manière quelconque aux crimes de Wirth ?
Je ne le pense pas.
Le témoin Best a prétendu que les camps de Treblinka et Maidanek auraient été sous les ordres de la Police de sûreté. Est-ce exact ?
Je n’en sais rien. Wirth m’a expliqué les choses de la manière suivante : il y avait quatre camps d’extermination et je crois qu’à ce propos il a cité également le nom de Treblinka.
Vous êtes donc convaincu que ce camp-là aussi était sous les ordres de Wirth ?
C’est ce que j’ai supposé.
Vouliez-vous lancer un mandat d’arrêt ou plutôt exécuter un mandat d’arrêt du tribunal SS contre Eichmann ?
J’ai demandé au tribunal SS de Berlin de poursuivre l’enquête contre Eichmann sur la base de mes informations. Là-dessus, le tribunal SS de Berlin s’est adressé au chef du Service central de sûreté du Reich, l’Obergruppenführer SS Kaltenbrunner, parce qu’il était le chef des tribunaux SS, et lui a présenté un mandat d’arrêt contre Eichmann. Le Dr Bachmann m’a rapporté que la présentation de ce mandat d’arrêt donna lieu à des scènes dramatiques. Kaltenbrunner fit immédiatement venir Müller et il fut alors déclaré au juge qu’une arrestation ne pouvait être envisagée à aucun prix, car Eichmann exécutait, une mission spéciale secrète du Führer d’une importance suprême.
Quand cela se passait-il ?
Cela se passait vers le milieu de l’année 1944.
Je vous remercie. Je n’ai plus d’autres questions à poser au témoin.
Monsieur le Président, je vous prie de me permettre de poser quelques questions.
Témoin, vous avez parlé d’ordres donnés par le Service central de la sûreté du Reich ; de quelle section, de quel bureau du Service central sont partis ces ordres ?
Puis-je vous demander si vous entendez parler des ordres en vue de l’extermination en masse ?
Oui, c’est bien cela.
J’ai dit que la juridiction...
Pouvez-vous répondre plus brièvement à ma question. Quels sont les bureaux qui ont donné ces ordres ?
J’ai dit que le juge qui procédait à l’enquête n’a pas pu constater, autant que je sache, l’existence de tels ordres.
Mais vous avez bien parlé d’ordres reçus du Service central de la sûreté du Reich ?
J’ai dit que les accusés Koch et Grabner ont invoqué, pour les exécutions auxquelles ils avaient procédé, des ordres du Service central de la sûreté du Reich, et ils ont prétendu que ces ordres devaient être détruits après réception. C’était là une affirmation gratuite et c’est la raison pour laquelle il fallait procéder à la vérification de cette affirmation.
Avez-vous constaté que les bureaux 3, 6, et ~l ont eu une participation quelconque à ces mesures ?
J’ai déjà déclaré que l’entreprise de Wirth...
Pouvez-vous répondre par oui ou non ?
Je n’ai pas pu le constater.
Je vous remercie. Je n’ai pas d’autre question à poser au témoin.
Le Ministère Public désire-t-il contre-interroger le témoin ?
Le Ministère Public réfléchit très soigneusement à la question de savoir s’il faut interroger contradictoirement ce témoin. Il n’accepte pas ses déclarations au sujet de Buchenwald et de Dachau ni au su^et des conditions générales existant dans les camps de concentration. Mais il estime cependant qu’il a été montré au Tribunal une masse si écrasante de preuves — y compris les films et les preuves de la monotonie dans les cruautés commises dans les camps de concentration, les cheminées malodorantes des fours crématoires et les gens qui ont commis ces cruautés — qu’il considère toute nouvelle mention de ce sujet comme inutile, à moins que ce ne soit sous forme d’explications. Il ne considère pas qu’il faille présenter à ce témoin les détails de ces preuves, qui d’ailleurs sont déjà connues, et faire perdre du temps au Tribunal.
Le témoin peut se retirer. (Le témoin quitte la barre.)
Est-ce la fin de votre affaire, Docteur Pelckmann ?
Oui, Monsieur le Président.
Très bien.
Le Ministère Public désire-t-il contre-interroger le témoin Sievers ? Voulez-vous faire venir ce témoin ? (Le témoin Sievers gagne la barre.)
Voulez-vous nous dire vos noms et prénoms.
Wolfram Sievers.
Voulez-vous répéter ce serment après moi :
« Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin prête serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Vous êtes Wolfram Sievers et vous avez été depuis 1935 secrétaire général de l’Ahnenerbe (héritage des ancêtres, recherches sur la race).
Oui.
Vous souvenez-vous que le 27 juin vous avez témoigné devant la commission désignée par ce Tribunal ?
Oui.
Je me réfère à vos déclarations devant la commission. Vous vous souvenez que M. Pelckmann, avocat des SS, a déclaré qu’il vous avait convoqué pour démontrer que votre service ignorait les expériences biologiques du Dr Rascher, expériences faites sur des internés de camps de concentration ?
Oui.
Vous souvenez-vous également que lorsque le Dr Pelckmann vous a demandé : « Aviez-vous des possibilités directes de vous rendre compte de l’ensemble ou du plan de ces méthodes, ou de l’exécution de ces recherches de la section scientifique militaire ? » Vous avez répondu non.
Je me souviens.
Et lorsque je vous ai contre-interrogé sur ce témoignage, vous souvenez-vous avoir dit à la commission que Himmler et Rascher étaient des amis intimes et que vous ne saviez pas au juste ce qui se passait réellement. Vous souvenez-vous ?
J’ai dit que c’était seulement d’une manière générale et non pas en ce qui concerne les détails que j’étais informé de ces choses.
La dernière question que je vous ai posée dans l’interrogatoire contradictoire était :
« Combien de personnes, à votre avis, ont-elles été assassinées à l’occasion des expériences Rascher et autres poursuivies par la science nazie ? »
Vous avez répondu :
« Je ne peux pas le dire, car je ne savais pas au juste ce qui se passait pour ces questions ? »
Vous souvenez-vous de cela ?
Oui.
Je voudrais savoir si oui ou non vous saviez ce qui se passait au sujet de ces affaires. Avez-vous jamais entendu parler du Professeur Hirt et sa collection de squelettes ?
Il s’agit là d’une question d’anatomie concernant l’université de Strasbourg.
Je vous ai demandé si vous aviez entendu parler de cette collection ?
Oui, j’en ai entendu parler.
Vous avez joué un rôle important dans la création de cette collection de squelettes ?
Non.
Je voudrais alors que vous regardiez le document n° 116. C’est dans le recueil de documents, à la page 1901. Page 19 de votre livre de documents. Monsieur le Président, ce sera le numéro GB-573. (Au témoin.) Nous pourrons par là voir si vous ignoriez cette collection. C’est une lettre de Brandt au Service central de la sûreté du Reich en date du 6 novembre 1942.
Brandt était l’adjoint de Himmler, n’est-ce pas ?
C’était son conseiller personnel.
Venons à cette lettre :
« Organisation d’une collection de squelettes pour l’Institut anatomique de Strasbourg.
Le Reichsführer SS a ordonné que tout ce qui serait nécessaire pour les travaux de recherche du capitaine SS (Hauptsturmführer) Professeur Hirt, qui dirige en même temps une section de l’Institut de recherches scientifiques militaires pour les besoins du bureau Ahnenerbe, soit mis à sa disposition.
Par ordre du Reichsführer SS, je vous demande, en conséquence, de faire le nécessaire pour permettre l’organisation de la collection prévue de squelettes. Le SS-Obersturmbannführer Sievers se mettra en rapports avec vous pour les détails ». Il s’agit bien de vous, n’est-ce pas ?
Oui.
S’est-on adressé à vous pour les détails ?
Il s’agit ici de l’organisation de l’Institut d’anatomie de l’université de Strasbourg que nous venions de prendre en main, et en particulier il s’agissait de la reconstitution de ce que l’on appelait le musée d’anatomie. Un musée semblable à celui-ci existe dans tous les services d’anatomie des universités.
Il s’agissait donc uniquement de recherches d’ordre universitaire, n’est-ce pas ?
Oui.
Où deviez-vous vous procurer les squelettes ?
C’était le Professeur Hirt qui devait traiter de ces détails.
Répondez à ma question, témoin, vous connaissez très bien la réponse : où deviez-vous vous procurer ces squelettes ?
Ils devaient être mis à notre disposition en provenance d’Auschwitz.
Je voudrais que vous regardiez une lettre que vous aviez envoyée à Brandt, en réponse à sa lettre, et qui contient des suggestions quant à la provenance des squelettes. C’est le document N0-085 (GB-574). C’est à la page 11 du recueil de documents, Monsieur le Président, et aux pages 14 et 15 du recueil de documents allemand.
C’est une lettre ayant comme en-tête : « L’Ahnenerbe », datée du 9 février 1942, document secret. Elle est adressée à Brandt, l’adjoint de Himmler. C’est bien votre lettre, témoin ? C’est vous qui l’avez signée, n’est-ce pas ?
Oui.
Je vais la lire en entier. « Cher camarade Brandt, je n’ai malheureusement pas pu vous envoyer plus tôt le rapport du Professeur Hirt, que vous avez demandé par votre lettre du 29 décembre 1941, car le Professeur Hirt est tombé gravement malade dans l’intervalle. »
Puis, viennent des détails sur la maladie :
« Pour cette raison, le Professeur Hirt n’a été capable d’envoyer qu’un compte rendu provisoire, que, néanmains je veux vous soumettre. Le compte rendu concerne d’abord :
« 1. Ses recherches sur l’étude microscopique intra vitale, la découverte d’une nouvelle méthode d’examen et la construction d’un nouveau microscope.
2. Ses propositions relatives à l’obtention de crânes des commissaires judéo-bolcheviques. »
Ensuite, vous avez signé cette lettre et avez transmis le compte rendu du Professeur Hirt et ses suggestions. Voici le compte rendu de Hirt :
« Objet : Obtenir des crânes de commissaires judéo-bolcheviques dans le but de recherches scientifiques à l’université du Reich à Strasbourg.
Nous possédons une collection presque complète des crânes de toutes les races et de tous les peuples. Pour la race juive seulement, nous avons si peu de spécimens de crânes à notre disposition qu’il est presque impossible d’arriver à des conclusions définitives par leur examen. La guerre à l’Est nous donne actuellement une occasion de combler cette lacune. En ce qui concerne les commissaires judéo-bolcheviques qui présentent les signes répugnants, mais caractéristiques, d’humanité dégénérée nous avons, en nous assurant la possession de leurs crânes, la possibilité d’obtenir un document scientifique concret.
La méthode la plus pratique pour obtenir ces crânes sans difficulté pourrait être de donner instruction à la Wehrmacht de livrer vivants à l’avenir à la Police militaire tous les commissaires juifs bolcheviques capturés. Ils seraient remis à la Police militaire ; celle-ci à son tour recevrait des instructions spéciales pour déclarer à certains bureaux, à intervalles réguliers, le nombre des Juifs capturés et l’endroit où ils sont détenus. Ils devraient être bien gardés jusqu’à ce qu’un délégué spécial arrive sur place.
Ce délégué responsable de cette collecte de documents pourra être un jeune médecin de la Wehrmacht ou même de la Feldpolizei ou un étudiant en médecine, ayant une voiture et un chauffeur à sa disposition. Il devra prendre des photographies, procéder à des mensurations anthropologiques dans un ordre fixé d’avance, et de plus, il devra fournir autant que possible l’origine, la date de naissance et d’autres détails d’état civil concernant l’interné.
Après l’exécution de ces Juifs, la tête ne devra pas être abîmée, le délégué séparera la tête du tronc et l’enverra à destination dans des boîtes en fer blanc fermées hermétiquement. Ces boîtes contiendront un liquide afin de conserver les têtes en parfait état.
Une fois arrivées au laboratoire, les essais et les recherches d’anatomie comparée sur les crânes seront effectués à l’aide des photographies des mensurations et autres indices de la tête et enfin du crâne ; les recherches sur la détermination de la race, les phénomènes pathologiques, la forme du crâne, la forme et les dimensions du cerveau et bien d’autres pourront être entreprises.
Pour la conservation des collections ainsi constituées et pour les recherches à ce sujet, la nouvelle université du Reich, à Strasbourg, paraît être le lieu le plus approprié, en raison de sa mission et de sa destination ».
Est-ce là le compte rendu que vous avez transmis à Brandt ?
Oui, c’est le rapport du Professeur Hirt.
Comment a-t-on procédé pour cette collection de squelettes choisis à l’avance sur des êtres vivants ?
Je ne peux pas donner de détails à ce sujet. Lors d’interrogatoires précédents, j’ai indiqué qu’il conviendrait qu’il faudrait interroger le Professeur Hirt lui-même à ce propos.
Témoin, je vais vous donner une autre occasion de dire la vérité : vous n’allez pas dire devant ce Tribunal que vous ignorez les progrès qu’a faits cette collection de crânes et de squelettes ?
Mais cela ressort du rapport des personnes qui ont été mises à la disposition de l’institut pour la constitution de cette collection, sur l’ordre de Himmler.
Qui s’occupa de cela ? Y avez-vous pris part ? Avez-vous pris part à la collecte des corps ?
Non, pas du tout. Je ne sais pas non plus comment toute cette affaire a commencé car les conversations directes et la correspondance échangée auparavant entre Hirt et Himmler sont d’une date antérieure et n’ont pas été portées à ma connaissance. Hirt était un vieux...
Témoin, je vous ai donné une occasion de dire la vérité et de vous éviter un faux serment ; vous ne l’avez pas saisie. Regardez donc maintenant le document N0-086, à la page suivante du recueil de documents. Il sera déposé sous le numéro GB-575. C’est une autre de vos lettres, de nouveau à l’adjoint de Himmler. Elle est marquée « secret », et est datée du 2 novembre 1942. Page 13 de votre recueil de documents, Monsieur le Président.
« Mon cher camarade Brandt, comme vous le savez, le Reichsführer SS a donné antérieurement ordre que le SS-Hauptsturmführer Professeur Dr Hirt ait à sa disposition, pour certaines expériences anthropologiques, tout ce qui lui est nécessaire.
En vue de certaines expériences anthropologiques (j’en ai déjà référé au Reichsführer SS), 150 squelettes d’internés ou Juifs sont nécessaires. Ils doivent être fournis par le camp de concentration d’Auschwitz. La seule chose restant encore à faire est que le Service central de la sûreté du Reich reçoive des instructions officielles du Reichsführer SS. Néanmoins, vous-même pouvez le faire en agissant par ordre pour le Reichsführer SS. »
Or, vous aviez déjà discuté à ce sujet avec Himmler, n’est-ce pas, témoin ? Vous étiez son agent pour rassembler ces êtres vivants et les transformer en squelettes, n’est-ce pas ?
Cela n’est pas exact sous cette forme, toute cette affaire s’étend sur une si longue période de temps que, étant donné que je n’étais jamais chargé que de certains détails, il m’est impossible de reconstituer l’ensemble de l’affaire si rapidement.
Je comprends très bien que vous ne soyez pas pressé de reconstituer tout cela comme vous devriez certainement le faire, mais pour la deuxième fois, en ce qui concerne cette question, vous avez prêté serment et je voudrais avoir quelques indications du fait que vous connaissez la signification d’un serment, un homme de votre instruction doit le savoir.
Regardez le document suivant, NO-089, afin de rafraîchir votre mémoire, aussi loin qu’elle soit de ce sujet. Il sera déposé sous le numéro GB-576.
J’entends 089 ; vous voulez bien dire 089 ?
089, page 16 de votre recueil de documents, Monsieur le Président. (Au témoin.) C’est une lettre de Brandt adressée au Service central de la sûreté du Reich datée du 6 novembre 1942, document « secret ». Il est destiné au SS-Obersturmbannführer Eichmann. « Objet : Etablissement d’une collection de squelettes pour le musée anatomique de Strasbourg. »
Oui.
« Le Reichsführer SS a donné des ordres pour qu’il soit mis à la dispositioin du Hauptsturmführer Professeur Dr Hirt, directeur de l’Institut anatomique de Strasbourg et chef de la section de l’Institut de recherche scientifique militaire à la société Ahnenerbe, tout ce qui est nécessaire pour ses recherches.
Par ordre du Reichsführer SS, en conséquence, je vous prie de rendre possible la création de cette collection projetée. Le SS-Obersturmbannführer Sievers se mettra en rapport avec vous afin de traiter toutes les questions de détail ».
Maintenant, dites-vous toujours, témoin, que vous ne saviez rien de ces détails ?
Je n’ai pas dit cela. Mais il s’agit ici de toute l’évolution historique de cette affaire, et là, je ne peux justement pas dire à quel moment cette affaire a commencé, parce que cela se rapporte à des entretiens directs entre Himmler et Hirt, entretiens qui se placent à une époque où Hirt n’était pas encore chef de l’Institut anatomique de Strasbourg, moment à partir duquel il eut l’occasion et reçut la mission de créer un institut anatomique moderne avec toutes les installations scientifiques nécessaires. C’est à partir de ce moment-là seulement que Hirt, en raison de ces conversations antérieures avec Himmler, a demandé ce qui ressort de son rapport. Quant à moi, je reçus alors l’instruction d’aider Hirt dans l’exécution de la mission qui lui était donnée par Himmler. Je ne sais si Himmler a inspiré...
Un instant, je vous prie. Combien d’êtres humains ont dû être tués pour pouvoir établir cette collection de squelettes ?
On parle de 150 personnes dans le rapport en question.
C’est la seule participation que vous ayez eue à ces assassinats, n’est-ce pas ?
Mais je n’ai rien à faire avec l’assassinat de ces personnes. J’ai simplement exercé dans ce cas les fonctions d’agent de transmission.
Vous étiez le bureau de poste, un autre de ces distingués bureaux de poste nazis, n’est-ce pas ?
Et si vous vous référez — si je comprends bien votre question — à mon interrogatoire devant la commission, je dois attirer votre attention sur le fait que, dans l’interrogatoire devant la commission, il s’agissait exclusivement du groupe Rascher.
Je vous ai demandé tout à fait nettement au cours de l’interrogatoire contradictoire devant la commission — cette dernière question figure à la page 1939 du procès-verbal — « Combien de personnes, selon vous, ont-elles été assassinées pour les expériences Rascher ou autres, poursuivies sous le prétexte de la science nazie. » Vous m’avez répondu sous la foi du serment :
« Je ne peux vous le dire, car je ne pouvais aucunement me rendre compte de ces questions. »
Voilà ce que vous avez répondu. Heureusement, il existe des procès-verbaux de vos dépositions.
Passez au document suivant, numéro...
Aujourd’hui non plus je ne peux pas donner d’indications fermes. Je ne peux pas non plus indiquer le nombre exact de personnes que Rascher a soumises à ces expériences, et par conséquent, je ne peux pas dire qu’il y en a eu tant et tant, puisque je ne le sais pas.
Vous avez juré devant la commission que vous ne pouviez pas vous rendre compte de ces questions.
Passez au document 087, cela vous rafraîchira la mémoire. C’est le document N0-087 qui a été déposé sous le numéro GB-577, Monsieur le Président. C’est à la page 14 de votre recueil de documents.
(Au témoin.) C’est une autre de vos lettres. Elle est intitulée « Société Ahnenerbe, Institut de recherche scientifique militaire ». Vous étiez directeur de cet institut, n’est-ce pas ?
J’étais le secrétaire général pour le Reich.
Ce document est daté du 21 juin 1943 et est marqué : « Secret. Affaire du Reich ». Il est adressé au Service central de la sûreté du Reich, section IV-B 4. A l’attention du SS-Obersturmbannführer Eichmann. « Objet : constitution d’une collection de squelettes ».
En réponse à votre lettre du 25 septembre 1942... et à la suite des conversations personnelles que j’ai eues avec vous depuis à ce sujet, je désire vous faire connaître que votre collaborateur, le SS-Hauptstunnführer Dr Beger, qui était chargé de l’exécution de la mission spéciale ci-dessus a mis un terme à ses expériences au camp de concentration d’Auschwitz le 15 juin 1943, en raison du danger d’épidémie.
En tout, les expériences se sont poursuivies sur 115 personnes ».
Nous allons arrêter ici un instant. Quel genre d’expérience se poursuivait sur des être humains, concernant cette collection de squelettes ? Quel était le genre de ces expériences, témoin ?
Il s’agissait de mensurations anthropologiques.
Avant d’être tués, ils étaient mensurés ? C’était tout ce qui se passait, n’est-ce pas ?
On a également pris des empreintes.
Il ne faut pas très longtemps pour effectuer les mensurations, vous le savez bien. Il y avait sans doute d’autres expériences sur les malheureuses victimes de votre science, que ces mensurations et prises d’empreintes ?
Je ne connais pas les expériences de ce genre faites à Auschwitz ; je sais seulement qu’on a pris des mesures anthropométriques et des empreintes. Je ne connais pas la durée de tels travaux.
Je vais continuer à lire votre lettre qui montre que d’autres choses bien pires ont dû se passer et que ce n’étaient pas seulement des mensurations.
« En tout, 115 personnes servirent aux expériences, dont 79 Juifs et 30 Juives.
Jusqu’à présent, ces prisonniers sont groupés par sexe et sont en quarantaine dans deux bâtiments de l’hôpital du camp de concentration d’Auschwitz.
Pour la poursuite de ces expériences sur les, personnes sélectionnées, il serait nécessaire qu’elles soient envoyées au camp de concentration de Natzweiler. Ce transfert doit être effectué le plus rapidement possible à cause du danger d’épidémie à Auschwitz. L’état nominatif des personnes sélectionnées est inclus.
« Nous demandons que les instructions nécessaires soient données. Comme ce transfert de prisonniers à Natzweiler pourrait présenter certains dangers, tel que la propagation d’une épidémie à Natzweiler, nous demandons que des vêtements de prisonniers absolument sains et propres soient envoyés immédiatement de Natzweiler à Auschwitz pour 85 hommes et 30 femmes. Pendant ce temps, il y aura lieu de prévoir à Natzweiler le logement de 30 femmes, dans un très proche avenir ».
Ceci est votre lettre. Si votre seul intérêt résidait dans la mensuration de ces infortunés et dans l’obtention de leurs ossements, pourquoi ne les avez-vous pas tués tout de suite ? Vous avez dû poursuivre des expériences sur ces gens, expériences grâce aux résultats desquelles vous vouliez faire des découvertes, n’est-ce pas ?
Non, je ne sais rien sur des expériences, et il n’y eut d’ailleurs aucune expérience.
Qu’est-il advenu de cette collection de squelettes ? Où fut-elle rassemblée ?
Ils furent amenés à Natzweiler et les autres manipulations étaient l’affaire du Professeur Hirt.
Après que le SS Professeur Hirt et d’autres SS avaient procédé à l’assassinat de ces personnes, qu’advenait-il de leurs corps ? Où furent-ils envoyés ?
Je suppose que les corps ont été envoyés à l’Institut d’anatomie à Strasbourg.
Avez-vous quelques doutes à ce sujet, témoin ? Vous semblez avoir quelque peine à admettre cela ? N’avez-vous aucun doute ?
Je n’ai ni vu ni reçu de rapport à ce sujet.
Pourtant vous avez eu à vous occuper de l’utilisation de ces cadavres et de ces squelettes, n’est-ce pas ? Avez-vous été mêlé de quelque façon à l’utilisation finale de ces cadavres ? Je comprends qu’il vous soit difficile de répondre à cette question.
Non, cela dépendait du Professeur Hirt. Je ne suis allé ni à Strasbourg ni à Natzweiler à ce propos.
Avez-vous présenté des suggestions sur l’utilisation de cette collection, à un moment quelconque ?
Cela s’est passé beaucoup plus tard, lorsqu’a surgi la question de l’occupation éventuelle de Strasbourg par l’ennemi et que l’on s’est préoccupé de ce que deviendrait cette collection.
Qu’avez-vous fait à ce moment-là ?
Je crois qu’il y a eu un entretien, je ne sais plus exactement avec qui c’était, en vue de provoquer une décision de Himmler sur le lieu où cette collection devait être transférée.
Étiez-vous présent à cette conférence ?
Je ne me suis pas entretenu avec Himmler de cette affaire.
Avez-vous fait des suggestions sur l’utilisation des cadavres rassemblés à Strasbourg ? Avez-vous fait des suggestions quelconques à ce sujet ?
Je ne puis plus le dire maintenant. Je ne puis plus me le rappeler.
Essayez-de vous le rappeler, voulez-vous ? Je suis sûr que vous vous rappelez. C’était en 1944, ce n’est pas une date tellement éloignée. Je suis sûr que vous vous en souvenez très bien.
Non, je regrette. Je ne puis vous donner une réponse précise. Je ne m’en souviens plus.
Témoin, lorsque les armées alliées se sont approchées de Strasbourg et que vous avez su qu’il vous faudrait rendre compte de vos actes, quelle suggestion avez-vous proposée pour ces cadavres que vous aviez rassemblés à Strasbourg ?
J’ai demandé que Himmler prenne une décision au sujet de ce qui allait advenir de cette collection ; il s’agit ici d’une affaire qui est issue d’entretiens, d’un échange d’idées entre Himmler et Hirt, affaire à laquelle on m’a fait participer en raison de son évolution administrative et technique, et par conséquent Himmler seul pouvait décider ce qu’il fallait faire en l’occurrence.
Je vous ai encore donné une occasion de ne pas faire de faux serment. Voulez-vous regarder le numéro N0-088, page 15. Ce sera le document GB-578 de votre recueil, Monsieur le Président. (Au témoin.) C’est une autre lettre de vos services à Brandt, adjoint de Himmler, qui a été adressée au Reichsführer SS, État-Major personnel.
Oui.
Cette lettre est datée du 5 septembre 1944 et porte la mention « Secret. Affaire du Reich ». Les armées alliées s’approchaient de Strasbourg à ce moment. Est-ce exact ?
C’est exact.
« Objet : Les collections de squelettes juifs. D’après la proposition du 9 février 1942 que vous avez approuvée le 32 février 1942, le SS-Sturmbannführer Professeur Dr Hirt a rassemblé une collection de squelettes qui faisait défaut auparavant. En raison de l’étendue des recherches scientifiques concernant cette collection, le travail de préparation des squelettes n’est pas terminé.
« En raison des délais nécessaires, Hirt demande des instructions pour le cas où Strasbourg serait menacé, au sujet du traitement de la collection de 80 cadavres qui se trouve dans la morgue de l’institut d’anatomie. Il pourrait procéder à l’enlèvement des chairs et les rendre ainsi impossibles à identifier. Toutefois, dans ce cas, une grande partie du travail aurait été inutile et il en résulterait une grande perte pour la science, parce qu’ensuite il ne serait plus possible de prendre de moulages. La collection de squelettes en elle-même n’a rien qui attire l’attention. On déclarerait que les chairs sont des restes de cadavres abandonnés par les Français lors de la prise de la ville et on les ferait incinérer. Prière d’envoyer décision au sujet des propositions suivantes :
1. La collection peut-elle être conservée en entier ?
2. Doit-elle être partiellement détruite ?
3. Doit-elle disparaître complètement ? »
Pourquoi vouliez-vous enlever la chair de ces cadavres, témoin ?
Je dois dire à ce sujet que cette lettre m’a été adressée par le Professeur Hirt. Et je l’ai transmise dans ce télégramme. Ainsi que je l’ai déjà dit, je ne pouvais plus m’en souvenir exactement, car étant donné que j’étais un profane en cette matière, j’ignorais tout de la méthode de traitement employée.
Pourquoi aviez-vous suggéré que l’on charge les Français de ce crime ? Vous saviez que des assassinats étaient liés à cette collection, vous le saviez parfaitement bien, n’est-ce pas témoin ?
Je viens de dire que j’ai simplement transmis une demande qui m’avait été adressée par le Professeur et j’ai expliqué que je ne pouvais pas faire moi-même une demande dans cette affaire, parce qu’en tant que profane, je ne pouvais pas en juger. J’ai donc déclaré ici qu’il s’agit simplement d’une demande de Hirt que j’ai seulement transmise.
Avez-vous pu appliquer ces suggestions tendant à désosser ces cadavres ?
Je ne peux rien dire à ce sujet, étant donné que je ne peux rien imaginer à cet égard.
Heureusement, cette fois encore, nous avons un document qui est clair sur toute cette histoire. Voulez-vous le regarder, car bien entendu vous n’avez pas l’intention de dire vous-même la vérité. C’est le document N0-091, sous le numéro GB-579. Ce sont des notes des archives de Himmler. La première est signée du SS-Hauptsturmführer Berg. « Le 12 octobre 1944, j’ai eu une conversation téléphonique avec le SS-Standartenführer Sievers et je lui ai demandé si la collection de squelettes de Strasbourg avait été complètement dispersée, conformément aux directives du Standartenführer Baumert. Le SS-Standartenführer Sievers n’a pu me renseigner à ce sujet car il n’a pas eu de nouvelles du Professeur Hirt. Je lui ai dit qu’au cas où cette dispersion n’aurait pas été faite, une certaine partie de cette collection devrait être conservée. Néanmoins, on devrait avoir des garanties que la dispersion complète pourrait être effectuée à temps au cas où la situation militaire mettrait Strasbourg en danger. Le SS-Standartenführer Sievers m’a promis de faire faire une enquête et de m’en faire connaître le résultat. »
De même il y a une autre note de Berg pour le Dr Brandt, du 26 octobre 1944. « Au cours de sa visite à l’État-Major des opérations, le 21 octobre 1944, le SS-Standartenführer Sievers m’a dit que la collection de Strasbourg avait été complètement dispersée, d’accord avec les’ directives qu’on lui avait données auparavant. Il pense que c’était ce qu’il y avait de mieux à faire lorsqu’on envisageait la situation. »
La note du Hauptsturmführer Berg confirme l’exactitude de ma déclaration, puisqu’il écrit que « le Standartenführer Sievers ne pouvait rien me dire à ce sujet car il n’avait pas encore reçu de nouvelles de Hirt ». Dans ces conditions, j’étais réduit aux informations, aux rapports et aux propositions du Professeur Hirt. Mon opinion personnelle ne jouait aucun rôle dans cette affaire. Comme je l’ai déjà dit lors de l’interrogatoire devant la commission, je ne pouvais, dans cette affaire, empêcher ni décider quoi que ce soit.
Vous étiez le secrétaire général de cet institut scientifique d’assassinats, n’est-ce pas ? C’étaient bien là vos fonctions ? Vous étiez un rouage essentiel de cet institut « Ahnenerbe » ?
Ce n’était pas du tout un service important ; cela ressort du reste de l’interrogatoire de la commission.
La société Ahnenerbe avait plus de cinquante sections qui étaient chargées de recherches scientifiques étendues et, conformément, à la structure première de cette institution qui était établie sur une base scientifique, elle s’était occupée de ces questions d’une façon si exclusive, que ces affaires qui, à mon avis avaient été liées d’une façon très regrettable avec l’activité de Himmler, n’y jouaient presque aucun rôle. D’ailleurs j’ai essayé, mais en vain, d’empêcher qu’on mît en relation ces genres de travaux avec les buts de la société.
Vous avez avoué qu’il s’était produit certains incidents malheureux en rapport avec les travaux du Ahnenerbe ?
Je ne l’ai jamais contesté jusqu’ici.
Quels étaient vos rapports avec les expériences poursuivies sur les êtres humains vivants, expériences faites avec des gaz toxiques ou cet autre poison chimique qui avait nom « Lost » et avec les recherches faites sur les blessures causées par votre préparation spéciale « Lost » ?
Le Professeur Hirt avait développé une thérapeutique en vue de guérir les blessures causées, par le produit appelé Lost ; en développant cette thérapeutique, il avait procédé à des expériences sur sa propre personne, qui ont eu pour conséquence des troubles assez graves pour sa santé, ce qui ressort, du reste, des documents présentés.
A-t-il poursuivi ces expériences sur d’autres personnes que lui-même ?
Je continue. Himmler s’intéressait à ces expériences, et il a été très troublé lorsqu’il apprit que Hirt avait fait ces expériences sur sa propre personne. Il rappela le décret du Führer selon lequel on pouvait utiliser pour de telles expériences des détenus volontaires ou des criminels condamnés à mort. Et c’est alors que Hirt, et seulement sur la demande de Himmler, a procédé à des essais de contrôle sur vingt personnes ; mais il ne le fit qu’au moment où, d’après les expériences faites sur sa propre personne, il savait qu’il ne pouvait y avoir de lésions durables. Il signala en outre qu’il était beaucoup plus important — et ce fut même là notre premier contact de travail avec Hirt — d’avoir à notre disposition pour ces expériences un nombre d’animaux suffisant, car, depuis le début de la guerre les réserves d’animaux d’expériences étaient tellement décimées que les expériences scientifiques nécessaires ne pouvaient plus...
Un instant, témoin. Essayez de répondre à ma question sans faire de longs discours. Avez-vous substitué des êtres humains à des animaux dans le but de faire ces expériences ?
Vous me posez cette question en ce qui concerne le Professeur Hirt ?
Oui.
Oui. Je viens de dire qu’après l’expérience qu’il avait faite sur sa propre personne, il a poursuivi ses essais sur vingt personnes qui s’étaient présentées volontairement dans ce but.
Avez-vous écrit à Brandt à propos des expériences « Lost », lui expliquant certaines difficultés que vous rencontriez au camp de concentration de Natzweiler ?
Je n’ai pas ce document ici.
Non, ne vous faites pas de soucis à ce sujet. Essayez de répondre à ma question. Ne vous occupez pas d’avoir ce document sous les yeux. Je sais très bien que si l’on trouvait ce document, il vous embarrasserait. Répondez à ma question : Avez-vous écrit à Brandt, au sujet de ces expériences « Lost », en lui expliquant les difficultés que vous aviez rencontrées dans le camp de concentration de Natzweiler ?
Je ne sais plus le détail des difficultés qu’il peut y avoir eu. Il est bien possible que j’aie écrit cela.
Essayez de vous rappeler ce que vous avez écrit à propos de ces expériences « Lost ».
Je peux simplement mentionner, comme je l’ai fait tout à l’heure, que ces faits m’étaient transmis par des notes et rapports que je recevais du Professeur Hirt, et que je transmettais à mon tour. Je ne puis me rappeler les détails de ces faits, car c’étaient des faits isolés au milieu de la masse des événements survenus dans l’ensemble des questions dont j’avais à m’occuper. Aussi, après si longtemps, ces événements ne peuvent être restés fixés dans ma mémoire.
Je comprends très bien que vous aviez beaucoup de travail. J’ai encore a attirer votre attention sur quatre ou cinq expériences de meurtres. Regardez maintenant le numéro N0-092, page 19 de votre recueil de documents, Monsieur le Président, document GB-580. (Au témoin.) C’est une lettre de Brandt adressée à vous, au SS-Standartenführer Sievers, à la société Ahnenerbe, en date du 3 décembre 1942. Elle dit :
« Cher camarade Sievers, j’ai reçu votre note du 3 novembre 1942 et je l’ai sous les yeux à l’heure actuelle. Jusqu’à présent, je n’ai pu parler que très brièvement au SS-Obergruppenführer Pohl.
Si j’ai bonne mémoire, il m’a envoyé une lettre disant que, bien entendu, les défauts dont vous avez parlé, et dont toutefois il ne lui a pas été rendu compte en détail, doivent être redressés. Je venais de recevoir votre lettre dans la même matinée où j’ai vu le SS-Obergruppenführer Pohl. Je n’ai donc pas pu la lire auparavant. Je me suis seulement souvenu de ce que vous m’avez communiqué verbalement. Voulez-vous me faire savoir s’il serait nécessaire que je reprenne cette question ».
Pouvez-vous me donner des détails sur les déficiences dont vous avez parlé dans votre lettre à Pohl ? Essayez de vous les rappeler.
Je ne peux pas le dire. Je ne sais plus de quels défauts particuliers il s’agissait. Voulez-vous me montrer le passage ?
Vous ne pouvez rien vous rappeler de ces défauts ni en quoi ils consistaient ? Ne se rapportaient-ils pas à l’argent perçu pour les prisonniers qui devaient servir aux expériences ?
Je ne peux m’en souvenir.
En tout cas, ces expériences « Lost » se sont poursuivies jusqu’en avril 1944, n’est-ce pas ?
Cela non plus je ne peux pas le dire de mémoire.
Mais tâchez de vous souvenir. Vos expériences ne se sont-elles pas poursuivies jusqu’en avril 1944 ? Regardez le document N0-015 qui sera déposé sous le numéro GB-581. Vous refusez toute collaboration. C’est une autre lettre de vous adressée à l’Obersturmbannführer Brandt, il se trouve à la page 6 de votre recueil de documents, Monsieur le Président. Il provient de l’État-Major personnel du Reichsführer SS, service « A », daté du 11 avril 1944. « Très secret. Pour le Commandement ». C’est une lettre que vous avez envoyée à Brandt. « Objet : Ordre du Führer du 1er mars 1944. Cher camarade Brandt. Selon votre ordre, je me suis mis en relation avec le SS-Brigadeführer Professeur Brandt et je lui ai fait mon rapport le 31 mars à Beelitz. A cette occasion je lui ai remis le plan, élaboré depuis par le Professeur Hirt, pour le traitement des lésions L, dont je joins une copie pour vous, afin de la soumettre éventuellement au Reichsführer SS si l’occasion s’en présente ».
Il s’agit des lésions « Lost », n’est-ce pas ?
Oui.
« Le Professeur Brandt m’a dit qu’il allait à Strasbourg dans la première semaine d’avril, qu’il avait l’intention de discuter les détails avec le Professeur Hirt et qu’il prendrait ensuite de nouveau contact avec moi. » Vous voyez donc que ces expériences sur des êtres humains vivants avec ce poison « Lost » se sont poursuivies pendant toute l’année 1944, n’est-ce pas ?
Non. Il n’en est pas ainsi. Cette lettre s’explique par le fait suivant : le Professeur Brandt a été nommé commissaire général aux gaz de combat. On m’a envoyé une copie de sa nomination avec l’instruction d’inviter Hirt, à la suite de cette nomination, à s’entretenir avec Brandt ; Hirt m’a déclaré qu’il ne pouvait pas se rendre dans ce but chez Brandt à Beelitz, et c’est pourquoi, sur la prière de Hirt, je me suis rendu chez Brandt.
Très bien, témoin. J’aborde maintenant un autre côté de votre travail, les expériences Rascher. Vous vous souvenez bien de m’avoir dit que vous ne pouviez vous rendre compte de l’objet des expériences Rascher ?
J’ai déclaré que je n’avais à ce sujet qu’une connaissance générale et non pas des détails.
Je voudrais que vous regardiez votre journal pour l’année 1944, Ahnenerbe ; c’est le document PS-3546. Il a déjà été déposé, Monsieur le Président, sous le numéro GB-551. Il y a quelques extraits de ce document à la page 29 du recueil de documents.
Témoin, j’ai fait faire certains extraits de votre journal. Vous pourrez suivre ces extraits, cela vous aidera. Si vous voulez les comparer avec votre propre journal, vous aurez l’occasion de le faire. Il en ressort qu’au cours de cette année, vous aviez des relations très étroites avec Rascher et avec toutes ces autres activités meurtrières. Le premier extrait est daté du 6 janvier à 18 heures et demie. « SS-Hauptsturmführer Dr Rascher : Paragraphe c) Lettre du Reichsführer SS à l’Obergruppenführer Pohl en vue de favoriser les travaux de recherches scientifiques. Pièces spéciales pour faire des expériences de froid ». Elles étaient effectuées à Dachau, n’est-ce pas ?
Oui, ainsi que je l’ai dit au cours de l’interrogatoire devant la commission, ces expériences devaient être réalisées mais ne l’ont pas été. Il s’agit ici seulement d’une note sur un entretien avec Rascher dans lequel il parle de ces expériences.
Témoin, voulez-vous dire que ces expériences de congélation à Dachau n’ont pas été faites ?
Rascher m’a dit qu’il ne pouvait pas encore réaliser ces expériences, parce qu’il faudrait les faire dans une région où des froids constants aéraient nécessaires ; c’est pourquoi ces expériences n’ont pas eu lieu.
Mais vous avez vous-même assisté effectivement à certaines de ces expériences à Dachau, n’est-ce pas ? Vous alliez bien à Dachau de temps en temps ?
Je crains qu’il n’y ait un malentendu en ce qui concerne les expériences à basse température pour la Luftwaffe et les expériences sur la congélation qui ont été ajoutées plus tard à cause des personnes gelées dans l’Est. En cette année 1944, il s’agissait des expériences de froid en rapport avec...
A quelles expériences de froid avez-vous assisté ?
Je connais seulement les expériences de basse température en rapport avec la Luftwaffe.
Avez-vous vu vous-même ces expériences en cours ?
J’étais chargé d’accompagner le Professeur Hirt qui devait collaborer avec Rascher en ce qui concerne ce problème, pour trouver une solution, et c’est en cette qualité qu’une fois j’y ai assisté.
Nous allons passer au document PS-3546, un peu plus loin.. J’ai pris au hasard les notes de votre journal pour montrer que vous aviez un rapport avec ces expériences de froid. « 23 janvier. 11 heures et demie. Conférence chez le Reichsführer SS avec l’Obersturmbannführer Brandt. 1. Nous allons recevoir les comptes rendus du Professeur Schilling. » Eh bien, le Professeur Schilling est l’homme qui a été condamné à mort pour ses expériences sur le paludisme à Dachau, n’est-ce pas ?
Oui.
Il faisait partie de votre équipe d’hommes de science, n’est-ce pas ?
Nous n’avons rien eu à voir avec Schilling à cette conférence.
Vous avez seulement reçu ses rapports, n’est-ce pas ? Tout cela n’est pas vrai ?
C’était la première fois qu’on me parlait du travail de Schilling, et Himmler a déclaré au cours de cette réunion que Schilling avait obtenu des résultats d’immunisation extraordinaires et que ce rapport devait nous être transmis pour que l’institut entomologique puisse prendre connaissance de ce que le Dr May avait accompli dans les recherches sur le paludisme, en ce qui concerne les travaux sur les anophèles.
Nous allons passer à la date du 28 janvier, à la dernière annotation sur votre journal. Votre journal contient des annotations quotidiennes sur tous ces détails, mais voici un autre extrait : « 28 janvier. Coopération avec l’institut R. Dachau ». C’est l’institut Rascher à Dachau, n’est-ce pas ?
Oui.
Et ensuite au 29 janvier :
« Avec le Hauptsturmführer Rascher et le Dr Pacholegg à Dahlem ». Qui était le Dr Pacholegg ?
C’était un détenu, dont le Dr Rascher avait fait un collaborateur.
Je suppose que vous le connaissiez très bien vous-même, n’est-ce pas ?
Je l’ai vu peut-être deux ou trois fois.
Il a assisté à certaines expériences auxquelles vous étiez présent, n’est-ce pas ?
Là il s’agit de travaux en vue de trouver un produit pour arrêter l’hémorragie, qui s’appelle polygal.
Répondez à ma question, voulez-vous ? Le Dr Pacholegg était-il présent ou non à certaines expériences auxquelles vous assistiez vous-même ?
Il était un collaborateur de Rascher. Je ne sais pas s’il a toujours assisté aux expériences.
Si vous refusez de répondre à ma question, je ne vous la reposerai plus. Continuons l’examen de votre journal :
« 2 février. Expériences ÇA. Première production de cellules cancéreuses et leur traitement. Hirt a réussi à provoquer des cellules cancéreuses et démontre à ce propos que la tripaflavine, colorant qui lèse les cellules cancéreuses, pénètre dans le noyau. Vaccination contre le typhus par le Professeur Hagen. La vaccination contre le typhus est pratiquée à Natzweiler avec succès. »
Monsieur le Président, mon interrogatoire demandera encore une demi-heure.
Alors nous allons lever l’audience maintenant.