CENT QUATRE-VINGT-DIX-NEUVIÈME JOURNÉE.
Vendredi 9 août 1946.
Audience de l’après-midi.
(Le témoin von Brauchitsch est à la barre.)Plaise au Tribunal. L’accusé Hess n’assistera pas à l’audience.
Monsieur le maréchal, ce matin, nous en étions restés à l’état de tension qui a précédé les hostilités. Le 25 août 1939, le premier ordre d’entrée en campagne a été rapporté. Est-ce que Hitler, à cette époque, vous a informé que les négociations avaient été reprises ?
Il m’a donné personnellement l’ordre d’arrêter la concentration des troupes, et me dit à cette occasion que les négociations avec la Pologne étaient en train.
En opposition avec les occupations antérieures de territoires étrangers, les préparatifs qui ont précédé la campagne de Pologne visaient nettement le cas de guerre. Est-ce que cette circonstance ne vous a pas amené à conclure que la guerre était désormais inévitable ?
Non, et ceci pour les raisons suivantes : après la crise des Sudètes, Hitler avait entendu dire par chacun des chefs militaires que les préparatifs n’avaient pas été pris au sérieux, parce que ces préparatifs ne correspondaient pas aux difficultés de la tâche. Mais il va de soi que si, au cours de négociations politiques, l’on veut exercer une pression par des moyens militaires, ceux-ci doivent éveiller une impression absolue de sérieux aussi bien chez le partenaire que chez les propres négociateurs. C’est pour cette raison que, dans le cas de la Pologne, Hitler avait insisté avec énergie pour que les préparatifs soient considérés comme sérieux. Il faut aussi ajouter ceci : c’est que, sur l’ordre de Hitler, on avait établi un tableau chronologique, sur lequel chacune des phases avait été exactement fixée. On ne pouvait entamer une nouvelle phase que sur son ordre. Cela me confirmait également qu’il voulait adapter les préparatifs à la marche des négociations politiques.
Saviez-vous, au début de la campagne de Pologne, qu’un accord avait été conclu avec l’Union Soviétique quant à l’établissement d’une ligne de démarcation ?
Non, je n’en a vais aucune idée.
Les opérations militaires terminées, vous aviez prévu une administration militaire en Pologne. Pourquoi ce projet n’a-t-il pas été réalisé ?
Le Haut Commandement avait fait des préparatifs et donné des instructions tendant à ce que la pacification du territoire occupé fût accomplie dans le plus bref délai. Au début d’octobre, j’entendis parler d’empiétements sur les Polonais commis par des personnalités qui n’appartenaient pas à l’Armée. J’en avisai le Haut Commandement et saisis la première occasion d’en conférer moi-même avec Hitler. Je le priai de faire en sorte qu’une telle manière de faire cessât, une fois pour toutes. Hitler ne s’y prêta pas. Frank avait été prévu dès l’origine comme Commissaire civil auprès du Gouverneur militaire de Pologne. Dans la seconde quinzaine d’octobre, Frank fut chargé de toute l’administration. L’Armée céda ses pouvoirs.
Après la campagne de Pologne, n’y eut-il pas de frictions entre l’OKH et Hitler ? Quels en furent les motifs ?
Il y avait de continuels conflits avec la direction du Parti. Ils avaient pour cause les sujets les plus divers. Les énumérer tous conduirait trop loin. Je n’en citerai que trois. L’un fut le ministère spirituel, que je tenais à maintenir à tout prix dans l’Armée. Le second, ce fut l’influence que revendiquait la direction du Parti sur la question des plaintes. Le troisième fut le décret du Reichsführer SS Himmler relatif à la question du mariage et des femmes, auquel je répliquai par un décret à l’Armée.
Quelques questions maintenant concernant l’époque qui a précédé l’offensive contre les puissances occidentales. Cette offensive avait-elle été prévue par le Haut Commandement en liaison avec la campagne de Pologne ?
En aucune manière une offensive n’avait été prévue. En vertu de l’ordre déjà mentionné, tous préparatifs avaient été interdits. En conséquence, aucune mesure spéciale n’avait été prévue pour l’offensive. Toutes les ordonnances adressées après la campagne de Pologne aux troupes en marche vers l’Ouest étaient de caractère purement défensif.
De qui est venu ensuite le projet d’attaquer ?
Le 27 septembre 1939, Hitler fit connaître sa décision d’attaquer à l’Ouest et ordonna d’entreprendre les préparatifs nécessaires qui devaient être terminés pour le 12 novembre.
Quelle position avez-vous prise et quelle a été celle de l’OKW vis-à-vis de ce projet ?
L’Angleterre et la France avaient déclaré la guerre à l’Allemagne. Ces deux puissances n’avaient pas su utiliser, en septembre, l’instant le plus critique pour l’Allemagne. C’est pourquoi, personnellement, j’éprouvais des doutes, alors que le front de l’Ouest était chaque jour renforcé quant à une offensive de leur part. Je croyais, après l’accueil fait à Chamberlain à Londres et à Daladier à Paris, après l’accord de Munich,, que les deux peuples étaient peu enclins à faire la guerre. Quant aux violations de la neutralité déjà commises par les Alliés, je croyais qu’aux yeux du monde elles n’auraient pas une si grande importance. Depuis 1914, les conséquences d’une violation de neutralité m’étaient restées incrustées dans la mémoire. Selon moi, dans ce cas également, la répercussion toucherait celui qui franchirait vraiment la frontière avec des forces importantes. Au Haut Commandement, nous avons très soigneusement examiné la question, à savoir d’abord, si, en raison des opérations sur terre, il était indispensable de franchir la frontière. Nous étions parvenus à acquérir cette conviction que ce n’était pas le cas, mais que, si toutefois cela était nécessaire, nous riposterions.
Avez-vous attiré l’attention de Hitler sur le fait qu’une offensive à l’Ouest entraînerait la participation du Luxembourg, de la Belgique et de la Hollande ?
J’ai profité de la première occasion que j’ai eue de parler seul à seul à Hitler pour lui dire mon opinion. Il n’accepta aucune discussion et en resta à sa façon de voir.
Est-ce que vous avez tenté d’empêcher l’offensive à l’Ouest ?
Alors, comme précédemment, j’étais persuadé qu’il devait être possible, politiquement parlant, d’éviter cette guerre. J’estimais que c’était une folie que l’Europe voulût se déchirer une fois de plus au lieu d’entreprendre, paisiblement et en commun, une laborieuse évolution. La Wehrmacht agissait selon l’axiome Si vis pacem para bellum . Le militaire allemand, de tout grade, avait été éduqué dans l’idée de défendre et de protéger sa patrie. Il ne pensait ni à des guerres de conquête, ni à l’extension de la domination allemande sur d’autres peuples. Il était pour moi évident que la question, en son entier, pouvait être clarifiée par la voie diplomatique, pour peu qu’une volonté sérieuse y présidât. Mais toute évolution politique demande du temps, et il m’importait uniquement de gagner le temps nécessaire à ces négociations politiques sur lesquelles je n’avais personnellement aucune influence.
C’est pourquoi, le 5 novembre 1939, je sollicitai une audience auprès du Führer. N’étant plus en mesure de faire valoir des arguments politiques, je dus me borner à des raisons purement militaires en invoquant l’état de l’Armée. Tout d’abord, Hitler m’écouta avec calme. Puis il eut un accès de fureur. Toute conversation étant devenue impossible, je partis. Le soir même arriva l’ordre d’attaquer le 12 novembre. Cet ordre fut suspendu le 7.
N’avez-vous pas même pris prétexte du mauvais temps pour retarder la date ?
J’ai fait valoir que, si vraiment nous devions entrer en campagne, cela, en raison des grosses difficultés provenant de la nature du terrain, ne pourrait être possible que par une longue période de beau temps et, qu’avant tout, l’intervention de l’aviation dépendait de cette condition.
Après l’allocution de Hitler aux généraux le 23 novembre 1939, vous avez, ainsi que cela a été fréquemment débattu ici, offert votre démission. Comment cela se produisit-il ?
Le 23 novembre au soir, je reçus l’ordre de me rendre auprès du Führer. Au cours d’un long entretien, seul à seul, il renouvela les mêmes reproches contre l’Armée. Au cours de cet entretien, je lui offris ma démission. Il la refusa en disant que je devais remplir mon devoir comme tout soldat. Ces événements ont provoqué une blessure, qui a été pansée, mais qui n’a jamais guéri.
Dans quelle mesure, en tant que Commandant en chef de l’Armée, avez-vous participé à la décision d’occuper la Norvège et le Danemark ?
D’aucune façon.
Avez-vous participé à la préparation et à l’exécution ?
Non.
Puis vint la campagne de l’Ouest. De quelle nature étaient alors vos rapports avec Hitler ?
Comme je l’ai déjà dit, ils étaient difficiles. Au cours de la campagne de l’Ouest, il se produisit une suite de différends plus ou moins graves. Je n’en citerai qu’un. Il concerne l’arrêt des blindés allemands devant Dunkerque, qui fut la cause de graves différends et dissentiments. Le résultat en fut que la majeure partie des effectifs du corps expéditionnaire anglais put repasser le canal.
Est-ce que, la campagne terminée, l’OKH a prescrit ou proposé des mesures de démobilisation ?
Deux mesures ont été alors prises. Une commission de démobilisation fut constituée ; en outre, il a été demandé à un certain nombre de généraux si,, après conclusion de la paix, ils avaient le désir de rester dans l’Armée.
Quelle a été votre coopération aux décisions d’attaquer en Grèce et en Yougoslavie ?
Je n’ai coopéré en aucune manière à ces décisions. Lorsque je fus prié, avec le général Halder, chef de l’État-Major général, de me rendre auprès du Führer, il nous reçut avec ces mots : « Je me suis décidé à abattre la Yougoslavie ». Et il exposa alors les motifs de sa décision qui, je crois, sont déjà connus ici.
Y avait-il déjà un plan d’attaque de la Grèce et de la Yougoslavie ?
Non, m un plan, ni des préparatifs quelconques, pas même de cartes.
Et d’où deviez-vous faire venir toutes les divisions ? De toutes les parties de l’Allemagne ?
De toutes les parties de l’Allemagne et des territoires occupés.
Est-ce que l’affirmation du général von Paulus est exacte, selon laquelle l’occupation des Balkans était une condition préalable de l’attaque contre l’Union Soviétique ?
C’est une erreur du maréchal von Paulus. La question yougoslave était une conséquence absolue de la révolution, car la Yougoslavie venait seulement d’accéder à la Triple Alliance, et elle était aussi une conséquence du débarquement des Anglais en Grèce et de la situation catastrophique des Italiens en Albanie.
Maintenant, passons à la campagne de l’Est. Quelle était votre position vis-à-vis du traité de commerce avec l’Union Soviétique ?
Nous avions salué avec joie le traité de commerce avec l’Union Soviétique en septembre 1939. Nous y voyions la condition préalable de l’achèvement, désormais, d’une période de méfiance, et la possibilité pour l’Allemagne de pouvoir dès lors reprendre le rôle qui lui incombait, de reconstituer un pont au cœur de l’Europe.
Est-ce qu’un chef militaire quelconque a suggéré l’attaque contre l’Union Soviétique ?
Non, jamais.
Quand Hitler vous a-t-il parlé pour la première fois de la possibilité d’une guerre contre l’Union Soviétique ?
En août 1940, il me fit la remarque qu’il craignait que l’attitude de la Russie ne se modifiât. A la suite de cela, j’ai conféré avec le chef de l’État-Major général et je lui ai dit que nous devions nous procurer les pièces nécessaires, car, jusque-là, nous n’avions encore rien fait à cet égard.
Y avait-il des cartes ?
Ni cartes, ni quoi que ce soit d’autre. En septembre, Hitler ordonna alors que la question de la Russie fût examinée. A mon avis, aucune décision n’avait été prise en vue de l’exécution ; en tout cas on ne l’exprima pas. Tous les travaux consistaient en mesures de précaution ou de préparatifs, prises par l’État-Major général, telles qu’on doit les prendre dans des cas semblables.
Est-ce que le déplacement de quelques divisions dans le Gouvernement Général, ordonné par vous, était en relation avec le début de la campagne de Russie ou bien quelles raisons étaient valables pour ce transfert ?
Le déplacement des divisions avait été déjà opéré auparavant ; il avait un tout autre motif. La sécurité à la ligne de démarcation germano-russe en Pologne était surtout assurée par des douaniers, qui avaient constaté de nombreux passages clandestins de la frontière. Le cordon douanier fut réclamé d’urgence ailleurs. Les SS avaient l’intention de se charger de cette protection du service des douanes et c’est pourquoi ils voulaient placer de nouvelles unités. Mais c’est ce que j’ai voulu éviter et c’est pour cette raison que le transfert de divisions vers la frontière de l’Est fut demandé à Hitler. A cela s’ajoutait notre désir de débarrasser la France des nombreuses divisions qui s’y trouvaient.
Est-ce que, lors de la conférence du 3 février 1941, le Haut Commandement a présenté des objections contre une guerre avec l’Union soviétique ? (Au Tribunal.) Je me réfère à ce sujet au document PS-872 (US-134), Monsieur le Président.
D’après les explications de Hitler, il s’agissait, dans le cas de la Russie, si toutefois guerre il devait y avoir, d’une guerre préventive. Dans la discussion, je me suis borné aux appréhensions d’ordre purement militaire. Le général Halder et moi avons traité trois sujets. L’un était l’étendue du territoire russe qu’on ne peut franchir avec le moteur seul. Le second, le chiffre élevé de la population et, par là, le grand nombre de réserves sélectionnées et permanentes, le niveau totalement différent de l’instruction, et le comportement tout autre de la population, en comparaison avec les années, 1914-1918, ce dont j’ai pu moi-même me convaincre lorsqu’on 1931, je fus l’hôte de l’Armée rouge. Enfin, le troisième objet de nos délibérations concerna le potentiel d’armement, très élevé, de la Russie. D’après nos estimations, la Russie disposait alors de plus de 10.000 blindés, en chiffres ronds. Hitler avait bien dû s’occuper déjà de ces questions, car il y répliqua immédiatement et réfuta les deux premiers points en disant que la domination des Soviets était tellement impopulaire parmi les peuples russes qu’elle s’effondrerait. Il suffirait que les premiers succès fussent écrasants. Quant au troisième point, celui de l’armement, il exposa, à l’aide d’un volumineux matériel de statistiques, qu’il savait, comme toujours, par cœur, que l’équipement de la Russie ne pouvait atteindre le niveau que nous conjecturions et que nous manquions de bases précises pour établir notre appréciation.
Ainsi donc, Hitler n’a tenu aucun compte des objections que vous lui aviez présentées ?
Il s’est opposé à toute autre explication ou discussion.
Quand avez-vous alors informé les commandants en chef des groupes d’armées et des armées sous vos ordres, des projets concernant la Russie ?
Le 18 décembre 1940, l’ordre avait été émis par le Haut Commandement. Par la suite, fin décembre, les premières instructions sont parvenues aux groupes d’armées.
Quelle tournure ont pris vos relations avec Hitler pendant la campagne de Russie ?
Pendant la campagne de Russie, les difficultés s’amoncelèrent. Parmi tous ces événements, je n’en citerai que deux. L’Armée avait, dans les territoires qu’elle occupait, remis les églises à la disposition de la population, dans la mesure où elle le souhaitait. Les ecclésiastiques allemands, sur le désir de la population, avaient fréquemment rempli leur office. Cela fut interdit par Hitler. Il en résulta dès lors un spectacle étrange : ce fut de voir les aumôniers des divisions hongroises, bulgares, roumaines, italiennes, remplir leurs fonctions, alors que les aumôniers allemands restaient inactifs.
La deuxième et grave question fut celle relative à la conduite des opérations. Dès l’instant où l’on avait commencé la guerre, il fallait créer, cette année même, les conditions préalables nécessaires pour la continuer l’année suivante. Selon moi, et de l’avis du Haut Commandement, c’était tout l’espace autour de Moscou qui jouait le principal rôle, et non la ville même. Tout le réseau des communications y converge. Cela présentait, en conséquence, la condition préalable nécessaire à l’emplacement et à la répartition des réserves principales. Là se trouvaient aussi de nombreux établissements industriels, qui auraient facilité l’équipement de ces diverses unités. C’est pourquoi le Haut Commandement était d’avis que, la ligne Dniéper-Smolensk-lac Peïpous une fois atteinte, il fallait s’emparer de tout le territoire de Moscou. Hitler avait des vues différentes. Il attachait une importance décisive à Leningrad et préconisait ensuite l’offensive à Kiev. C’est lui qui en décida. Plus tard, c’était trop tard. L’offensive contre la région de Moscou échoua à cause du mauvais temps.
En ce qui concerne la campagne de l’Est, je voudrais éclaircir quelques points relatifs à la subordination. Avez-vous eu connaissance de ce qu’une conférence avait eu lieu entre le Generalquartiermeister de l’Armée, le général Wagner, et Heydrich, au sujet des Einsatzgruppen ?
J’ai été informé qu’une conférence avait eu lieu entre le général Wagner et le chef du central SS Heydrich. Conformément à l’ordre du Haut Commandement, cette conférence avait pour but de régler les questions nécessaires pour fixer des modalités de l’intégration, ordonnée par Hitler, des commandos dans la zone des armées. Il m’a été communiqué, qu’il s’agissait des questions relatives au passage de la frontière, à l’approvisionnement et à la priorité sur les routes. On ne m’en a pas dit davantage. J’ignore si d’autres questions ont été agitées. Mais il ne pouvait tout au plus s’agir que de la question de savoir, peut-être, si de tels commandos du front devaient être intégrés, d’une façon ou d’une autre, dans la zone de combat, et passer sous le commandement du chef local. Toutes les ordonnances destinées à ces commandos émanaient, suivant les ordres reçus, du Reichsführer SS. Sur le désir de l’Armée, des commandos de liaison avaient été détachés aux groupes d’armées et aux armées. Celles-ci étaient seulement tenues d’informer ces commandos de la direction et du but des opérations, autant que cela les regardait. Dans l’ordre du Haut Commandement de la Wehrmacht, il était mentionné, en ce qui concernait le but et les missions de ces unités : « Il est prévu de transformer aussitôt que possible les territoires occupés en États politiques ». C’est en vue de préparer ces mesures que ces commandos ont été institués. Rien d’autre n’a été porté à la connaissance de l’OKH.
Le général Wagner vous a-t-il informé que ces Einsatzgruppen devaient procéder à des exécutions en masse ?
Non.
Le témoin SS Führer Schellenberg a. été entendu et a prétendu qu’il était convaincu que l’OKH avait eu connaissance de ces exécutions et qu’il en a informé les commandants en chef par la voie hiérarchique. Cette conviction du témoin Schellenberg est-elle juste ?
Il parle d’une conviction, non d’une certitude, et cette conviction est erronée.
De quelle façon a été établie la subordination ?
La subordination de ces commandos, ainsi que cela a déjà été mentionné, était réglée de telle sorte qu’ils recevaient tous les ordres du Reichsführer SS seul. Ils n’étaient soumis à l’autorité de l’Armée en aucune façon.
Mais pour l’approvisionnement, ils dépendaient d’elle ?
Non plus ; ils avaient ordre de toucher leurs approvisionnements de l’Armée pour cette raison qu’il n’y avait pas d’autre moyen pour le ravitaillement et le carburant.
Avez-vous reçu des rapports de service de ces Einsatzgruppen ?
Non.
Il y aurait lieu encore d’élucider la subordination des Waffen SS. Dans quelles conditions une division de Waffen SS dépendait-elle de l’Armée ?
Une division de Waffen SS ne relevait de l’Armée qu’au point de vue technique. Elle ne dépendait de l’Armée ni disciplinairement, ni judiciairement. L’Armée n’avait aucune influence sur l’avancement et la destitution du personnel.
De qui relevait une division de Waffen SS lorsqu’elle ne participait pas à une mission tactique, ni à la lutte, et qu’elle se trouvait hors du théâtre des opérations ?
En tout cas, pas de l’Armée. Elle dépendait du Waffenführer SS ou de l’OKW.
Et quand elle était à l’intérieur du Reich ?
Elle relevait alors du Reichsführer.
Était-ce le budget de la Wehrmacht qui finançait les dépenses des Waffen SS ?
Certainement pas le budget de l’Armée.
Encore moins ceux de l’Aviation et de la Marine ?
Aussi peu, je crois. Autant que je sache les SS avaient non seulement leur propre budget, mais aussi leur propre service d’armement, leur service d’habillement, leur administration, etc.
Il n’y avait donc pour les divisions de Waffen SS une liaison étroite et tactique que lorsqu’elles étaient au combat ?
Elles ne relevaient de l’Armée qu’au moment où elles étaient engagées sur le terrain des opérations, ou bien lorsqu’elles étaient tenues d’assurer des transports.
Serait-ce une comparaison exacte que de dire par exemple qu’entre une division de Waffen SS et l’Armée, la liaison était aussi peu étroite que lorsque l’on plaçait sous les ordres de l’Armée, pour le combat, une division italienne ou espagnole ?
C’est une comparaison valable.
Quelle était, avant tout, la nature des relations entre les chefs des Waffen SS et ceux de l’Armée, de la Marine et de l’Aviation ? L’harmonie régnait-elle ?
Pendant la lutte, oui. Autrement, il y avait peu de contact.
Monsieur le maréchal, pouvez-vous décrire les circonstances exactes dans lesquelles Hitler a donné l’ordre des commissaires ?
En mars 1941, Hitler avait convoqué les chefs militaires. Au cours d’une longue allocution, il leur exposa à nouveau les motifs de son appréciation quant à la conduite à tenir vis-à-vis de la Russie. Il précisa qu’il s’agissait d’une lutte de caractère idéologique et qu’il n’y avait pas lieu de la faire selon les méthodes chevaleresques usuelles dans l’Armée. Il savait que les officiers ne pouvaient adopter cette façon de voir, mais il exigeait absolument que les ordres émanant de lui fussent exécutés. C’est à cette occasion qu’il donna l’ordre relatif au traitement des commissaires.
Qu’avez-vous fait pour déjouer l’exécution de cet ordre et juguler les excès des troupes en Russie ?
La conférence terminée, Hitler une fois parti, quelques-uns des commandants en chef sont venus me trouver. Je me souviens, en particulier, des commandants des trois groupes d’armées, les maréchaux von Rundstedt, von Bock et von Leeb, ainsi que d’un certain nombre de chefs d’armée, qui vinrent chez moi et qui, en termes énergiques, condamnèrent une telle façon de faire la guerre qu’ils jugeaient inadmissible. Je leur ai donné raison et les ai assurés que, de la part du Haut Commandement, aucun ordre de ce genre ne serait émis et que j’allais réfléchir aux moyens d’y parvenir.
Entre temps, j’avais suffisamment appris à connaître Hitler pour savoir que, lorsqu’il avait pris une décision et qu’il l’avait exposée publiquement, c’est-à-dire devant des chefs militaires comme c’était alors le cas, il était impossible de le faire reculer à aucun prix. C’est pour cette raison que j’ai diffusé un ordre sur le maintien de la discipline.
Quel fut à peu près le mot à mot de cet ordre ?
Je ne peux plus en donner le mot à mot. En bref, il disait à peu près ceci : « La discipline devra être maintenue dans l’Armée avec la plus grande rigueur, suivant les tendances et les règles habituelles observées jusqu’ici. L’attitude envers la population devra être des plus correctes. Tout écart devra être réprimé rigoureusement ».
Est-ce qu’un net refus ou la menace de votre démission aurait eu un succès quelconque auprès de Hitler ?
Ainsi que je l’ai expliqué auparavant, non.
Encore une question à propos de la campagne de l’Est. Est-ce que l’Armée allemande, en 1941, au cours de son avance en Russie, a constaté des destructions considérables commises par l’Armée russe en retraite ?
L’aspect a répondu à notre attente. Depuis cent ans déjà, on savait à quoi s’en tenir quant à la façon barbare de procéder des Russes à cet égard, dans leur propre pays. Nous avons trouvé les ponts et les voies détruits, les usines électriques détruites, des installations industrielles en ruines, en quantité. Les mines du Donetz étaient dans un état tel que, malgré nos efforts de plusieurs mois, elles purent à peine être utilisées par nous. Dans les villes, nous nous sommes heurtés à des commandos spéciaux de jeunes troupes russes qui avaient partiellement rempli leur mission de mettre le feu aux localités. A Kiev et en d’autres lieux, nous avons rencontré des mines à retardement qui nous ont causé des pertes considérables.
Est-ce qu’auparavant vous avez appris l’entrée en guerre de l’Italie et la déclaration de la guerre de l’Amérique ?
Non. Nous avons regretté l’une et l’autre au plus haut point.
Avez-vous eu connaissance des conventions militaires avec le Japon ?
Je ne les connais pas encore aujourd’hui.
Les procès-verbaux d’audition du témoin Gisevius vous sont connus depuis que je vous les ai donnés a parcourir. Connaissez-vous le témoin Gisevius ?
J’ai appris l’existence de M. Gisevius pour la première fois par un journal d’avril 1946, qui annonçait qu’il comparaîtrait ici en qualité de témoin. J’aurais passé outre si le nom ne m’avait frappé, qui ne m’était pas inconnu, car un Dr Gisevius était le médecin de notre famille vers 1890.
Le témoin a donné des détails précis sur votre personne et spécialement sur le fait qu’il aurait parlé avec vous d’un putsch en commun. Comment vous expliquez-vous cela ?
Je crois que quiconque, me connaît un tant soit peu rirait à la pensée que j’ai parlé, avec un jeune homme qui m’est totalement inconnu, de projets de putsch contre le Chef de l’État. Je ne peux me le représenter que par le procès-verbal, et ce document ne peut que me donner l’impression qu’il s’agit ici de combinaisons absolument sans consistance, et de quelqu’un, en outre, qui se croit le nombril du monde.
Gisevius, peu après, a déclaré que les généraux se seraient enrichis. Est-ce vrai ?
Je ne vois pas de quelle manière.
Avez-vous reçu vous-même une dotation ?
Non.
Monsieur le maréchal, vous avez fourni deux affidavits au Ministère Public, l’affidavit numéro 2 (USA-532) et l’affidavit numéro 4 (USA-535) ; tous deux sont datés du 7 novembre 1945. Vous étiez, à ce moment-là, ’en détention ?
J’avais été prié par deux officiers américains de leur expliquer les formations de l’Armée.
Je crois, Monsieur le maréchal, que j’ai été mal compris. Je vous ai demandé si, au moment où ont été rédigés ces deux affidavits, vous étiez en détention ?
Depuis le 19 octobre de l’année dernière, je suis interné, comme témoin, ici, à Nuremberg.
Et au sujet de ces affidavits, qui les a rédigés ?
Ce sont les deux officiers américains.
Par qui ces déclarations ont-elles été exigées ?
Je ne le sais pas, cela ne m’a pas été dit.
Est-ce qu’on vous a dit dans quel but ces déclarations devaient être utilisées ?
Non. Me basant sur des entretiens antérieurs, je suppose qu’ils étaient destinés à des spécialistes de la question d’organisation, en vue de les instruire.
Est-ce que vous avez fait des corrections sur ces déclarations ?
J’ai fait quantité de corrections, mais je ne peux dire combien.
Ces déclarations, à votre avis, ont-elles été mal interprétées ?
Après les corrections, elles étaient, à mon avis, nettement concordantes avec les entretiens qui avaient eu lieu précédemment. Il y eut toute une série d’entretiens de ce genre ’et qui, ainsi qu’il m’a été expressément déclaré, n’avaient pas lieu sous serment — ce qui m’était d’ailleurs indifférent — et qui avaient pour but d’expliquer ce qu’étaient les organisations ? Les différents problèmes et questions étaient fréquemment mis en lumière de différents côtés et discutés.
Est-ce qu’en signant l’affidavit numéro 2 auquel l’esquisse est annexée, vous avez précisé qu’elle était inexacte ou prêtait à des malentendus ?
J’ai souligné que cette esquisse pouvait prêter à des malentendus, et il m’a été répondu que tout était bien clair et que l’esquisse n’avait pas grande importance.
L’affidavit numéro 1 (USA-531), que le général Halder a signé le même jour, est textuellement conforme, à l’exception du dernier alinéa, avec votre déposition. Avez-vous été interrogé en même temps que Halder ?
Non.
Ainsi que vous l’avez indiqué précédemment, vous avez précisé, en signant l’affidavit numéro 2, que l’esquisse n’était pas exacte. Je vous fais présenter cette esquisse et vous demande ce qui, dans cette esquisse, ne répond pas aux faits ?
L’esquisse donne lieu à des malentendus, et...
Ne feriez-vous pas mieux de demander au témoin, s’il est votre témoin, s’il y a quelque chose à critiquer dans l’affidavit.
Monsieur le Président, je vous prie de m’excuser, je n’ai pas compris la question parce que l’appareil n’était pas branché.
Ne voulez-vous pas lui demander s’il y a quelque chose d’inexact dans l’affidavit ? Il n’a pas encore dit qu’il y avait quelque chose d’erroné.
Monsieur le Président, par la suite, je poserai des questions dans ce sens. Je voulais d’abord interroger le témoin sur cette esquisse ; les autres questions viendront ensuite.
L’esquisse prête à des malentendus en ce qui concerne les traits. Et si, dans cette esquisse, on veut donner une idée de la hiérarchie, il ne faut alors pas y faire figurer, à mon avis, tous les états-majors de l’OKW et de chacune des formations de la Wehrmacht.
Eh bien, le Tribunal aimerait savoir maintenant si le témoin dit que quelque chose est inexact dans l’affidavit ?
Oui, Monsieur le Président. (Au témoin.) Monsieur le maréchal, dans l’affidavit numéro 2, vous utilisez le mot « gruppe » quatre fois. Cette expression est-elle exacte, ou bien...
J’ai dit : le Tribunal aimerait savoir si le témoin prétend qu’il y a quelque chose de faux dans l’affidavit, et nous désirerions le savoir maintenant Vous savez sans doute ce que signifie le mot « maintenant » ?
Oui, certainement.
Bien. Je vais poser moi-même la question au témoin. Feldmarschall von Brauchitsch, est-ce que vous prétendez que quelque chose, dans ces affidavits, est inexact ou ne correspond pas à la vérité ?
Non. Il n’y a rien qui ne soit pas vrai, mais il y a des choses qui prêtent a méprise...
Vous voulez dire quelque chose qui prête à erreur, selon vous ?
Il y a différentes questions qui donnent lieu à des malentendus. C’est d’abord l’esquisse, et la seconde, l’expression « gruppe », que je comprends, moi, comme si l’on disait, par exemple, un nombre, mais non l’ensemble d’un certain nombre de services concernant l’organisation matérielle ou d’ordre intellectuel. Car, entre les différentes armes de la Wehrmacht, il n’y avait aucune liaison. La seule liaison existante était celle établie avec le Chef suprême de la Wehrmacht, Adolf Hitler, et Hitler, personnellement, misait, une telle arme de la Wehrmacht contre telle autre. A différentes reprises, il s’est prononcé à cet égard, vis-à-vis de moi,, contre la Marine et l’Aviation et leurs chefs, et je sais qu’il a agi de même envers l’Armée et moi-même. Ainsi donc, le terme « gruppe » prête à confusion, de la façon dont on l’a exprimé ici. Il n’était compréhensible qu’en liaison avec toutes les discussions qui ont eu lieu précédemment.
Monsieur le maréchal, est-ce que vous avez utilisé vous-même cette expression « gruppe » dans les discussions avec le Ministère Public ?
Je ne peux plus le dire très exactement. Mais c’est bien possible, parce que, par le mot « gruppe », je n’entends pas autre chose, comme je l’ai dit, qu’un certain nombre de personnalités, un chiffre et non un tout organique, aucun groupement compact.
Et c’est ce sens, que vous venez de définir, que vous vouliez donner à ce mot « gruppe », en signant votre déclaration ?
Oui.
Est-ce qu’auparavant, déjà, c’est-à-dire lors de votre audition par le Ministère Public à ce sujet, vous avez employé le mot « gruppe » en liaison avec le Commandement suprême ?
Non, car un tel groupe n’existait pas, ni du point de vue organisation, ni d’un point de vue intellectuel. Nous ne connaissons, dans l’Armée allemande, que les échelons d’après la formation de guerre d’une division, d’un corps, d’une armée, etc.
J’en arrive maintenant aux dernières questions, Monsieur le maréchal. A la fin de l’année 1941, vous avez donné votre démission. Quels furent les motifs de cette démission ?
Au cours de l’été 1941, l’immixtion toujours croissante de Hitler dans toutes les questions de l’Armée, le manque total d’influence de l’OKH sur tous les domaines de l’administration économique et politique des territoires occupés, ainsi que l’opposition intérieure à la politique poursuivie par Hitler, avaient atteint leur paroxysme. Au cours de l’automne 1941,, cette tension s’accentua encore.
Parallèlement, la lutte continuelle se poursuivait avec la Direction du Parti, qui voulait étendre toujours davantage son influence sur l’Armée. Je ne vis plus aucune possibilité d’y modifier quoi que ce soit. Si dure que fut pour moi cette décision, en un tel moment, de me séparer de l’Armée, dont des millions d’hommes étaient tombés, je me résolus cependant à faire la démarche décisive. Le 7 décembre 1941, en tête-à-tête avec Hitler, je le priai de me relever de mes fonctions. Il me répondit qu’il lui fallait y réfléchir et que, pour le moment, il ne voulait pas agiter cette question avec moi. Le 17 décembre, il me communiqua, de nouveau en tête-à-tête, qu’il avait pris la résolution d’assumer personnellement le Haut Commandement de l’Année. Il donna comme motif que, vu les graves difficultés ’de la campagne d’hiver, il était dans l’obligation de jeter dans la balance tout le poids de la confiance dont il jouissait dans l’Armée. Le 19 décembre — cette fois également il me recommanda le silence — la décision me fut notifiée. Le 20 au soir, j’étais chez moi, et je n’ai plus revu Hitler. Hitler était le destin de l’Allemagne et ce destin devait s’accomplir.
Je n’ai pas d’autre question à poser au témoin, Monsieur le Président.
Le Tribunal va suspendre l’audience.
Est-ce que le Ministère Public désire contre-interroger le témoin ?
Témoin Brauchitsch, l’avocat de l’État-Major général a mentionné deux affidavits . . . Pouvez-vous m’entendre ?
Maintenant, oui.
L’avocat de l’État-Major général a mentionné deux affidavits que vous avez signés. Avez-vous eu l’occasion de faire des modifications à ces affidavits, avant de les signer ?
Oui, j’ai eu cette possibilité.
Je demande qu’une copie de l’original de l’affidavit numéro 2 vous soit montrée. Est-ce qu’en réalité vous avez fait des modifications à cet affidavit avant de le signer ?
Je n’ai pas compris la question.
Avez-vous fait des modifications à vos affidavits avant de les signer ?
J’ai fait quelques changements, oui.
Veuillez, je vous prie, lire la dernière phrase de cet affidavit que je viens de vous faire remettre.
De quelle partie ?
La toute dernière phrase, page 2. Est-ce que cette dernière phrase est entièrement de votre écriture ?
Oui.
Veuillez, je vous prie, en donner lecture. La dernière phrase, de votre propre main, s’il vous plaît.
« Ce sont les services énumérés dans l’esquisse qui avaient en main, de fait, la direction de la Wehrmacht. »
Est-ce que cette phrase est telle que vous l’avez écrite ? Est-elle exacte ?
En complément de ce que je viens de dire, j’ajouterai que j’avais souligné que l’esquisse pouvait donner lieu à des malentendus, ce à quoi il me fut répondu qu’on le savait. C’est pourquoi j’ai fait en sorte que l’esquisse se rapporte aux services de la hiérarchie.
Le schéma est joint à l’affidavit que vous avez signé, et la dernière phrase, que vous avez lue, dit ceci :
« Ce sont les services énumérés dans l’esquisse qui, de fait, avaient en main la direction de l’Armée ». N’y a-t-il aucun malentendu ou une restriction de cette phrase ?
Mon général, seulement dans la mesure où j’ai précisé que, dans le schéma, les différents services des États-Majors ne doivent pas y être compris tels qu’ils y figurent, mais au contraire de façon immédiate, et que, à proprement parler, tous les autres services des États-Majors en font partie aussi.
Monsieur le Président, en ce qui concerne les questions du front de l’Est, je ne perds pas de vue que le prochain témoin von Manstein y était et qu’il y est resté jusqu’en 1944, alors que le témoin von Brauchitsch a donné sa démission en 1941. C’est pourquoi le Ministère Public préfère à ce sujet poser des questions à von Manstein. Las questions concernant la guerre d’agression se réfèrent presque entièrement à des documents qui sont depuis longtemps entre les mains du Tribunal. Le Ministère Public américain ne croit pas utile de soumettre ces documents au témoin. C’est une question de pure argumentation qui doit être présentée en temps opportun. En conséquence, le Ministère Public américain n’a pas d’autre question à poser au témoin.
Est-ce que d’autres représentants du Ministère Public désirent poser des questions ?
Témoin, vous nous avez déclaré aujourd’hui qu’un plan d’agression contre la Tchécoslovaquie n’existait pas et qu’en tout cas, vous n’en étiez pas informé. Est-ce que je vous ai bien compris ?
Oui.
Le plan « Grün » ne vous était-il pas connu ?
Le plan « Grün » m’était connu, mais il a trait à tout autre chose. Le plan « Grün » avait déjà été élaboré auparavant, en considération d’une attaque commune de la France et de la Tchécoslovaquie contre l’Allemagne. C’est ainsi que ces questions avaient déjà été traitées avant mon entrée en fonctions. Moi-même, je ne connaissais pas le plan « Grün » en détail.
Mais le plan « Grün » prévoyait bien la conquête de la Tchécoslovaquie, n’est-ce pas ? Je répète : le plan « Grün » prévoyait la conquête de la Tchécoslovaquie ?
Pour autant que je connaisse le plan « Grün », cela n’était qu’en connexion avec une déclaration de guerre de la France et de la Tchécoslovaquie à l’Allemagne.
Donc, à ce sujet, je vous rappellerai un autre document : c’est un décret de Hitler en date du 30 mai 1938, dont la première copie vous fut adressée en tant que Commandant en chef des forces de terre. Ce décret fut publié dans le but de réaliser le plan « Grün ». Je lirai le premier point de la seconde partie de ce décret : « Ma décision irrévocable est que la Tchécoslovaquie devra, dans un avenir proche, être anéantie ». Est-ce que cette instruction vous était connue ?
Je connais cette instruction.
En conséquence, existait-il un plan d’agression contre la Tchécoslovaquie ou non ?
Je ne comprends pas le sens de la question.
Je vous demande si, de fait, un tel plan en vue de la conquête de la Tchécoslovaquie existait ou s’il n’en existait pas de semblable ?
En mai 1938, cette idée m’a été communiquée pour la première fois par Hitler. Mais il faut tenir compte que Hitler, comme tout \é monde le sait, s’est toujours exprimé en des termes particulièrement énergiques, et qu’il était excessivement difficile de reconnaître, dans ses allocutions, sa volonté véritable.
Passons à la question suivante. Veuillez me dire, témoin, de quelle façon vous avez eu connaissance des pourparlers du général Wagner avec le chef de la Police de sécurité et du SD Heydrich. Comment l’avez-vous su ?
Par un rapport du général Wagner.
Le général Wagner était-il sous vos ordres ?
Il était sous les ordres du chef de l’État-Major général, donc sous les miens.
Ainsi, les pourparlers du général Wagner avec Heydrich avaient lieu à votre connaissance ?
On m’en a fait un rapport après coup.
Ainsi, vous prétendez n’avoir connu ni la tactique fixée à l’issue de ces pourparlers pour les Einsatzgruppen de la Police, ni le fait que le SD coopérait très étroite-ment avec la Wehrmacht ? Le prétendez-vous ?
Je répète ce que j’ai déposé tout à l’heure. L’OKW avait ordonné que les SS et le Reichsführer SS constitueraient des commandos devant assumer les préparatifs nécessaires à la transformation des États en États politiques. Le général ne m’en a rien dit. Je n’ai d’ailleurs jamais reçu de communications de cette sorte. Si j’en avais reçu notification, j’y aurais fait opposition exactement comme dans le cas de la Pologne, et je ne serais pas resté impassible au su d’une telle nouvelle.
Et vous ne saviez pas que ces Einsatzgruppen coopéraient étroitement avec les commandos de la Wehrmacht, de l’Armée ?
Non, ils n’ont pas collaboré avec les commandos de la Wehrmacht, de l’Armée.
Je vous lirai maintenant un extrait du document L-180 (USA-276). C’est un rapport de l’Einsatzgruppe du SD du 15 octobre 1941. Voici ce que dit ce rapport. Je cite :
« L’Einsatzgruppe A, conformément à l’ordre du 23 juin 1941, deuxième jour de l’entrée en campagne, après que les engins motorisés eurent été mis en état de marche, s’était rendu dans la zone de concentration. Le groupe d’armées du Nord, avec la 16e et la 18e armées et le 4e groupe blindé, étaient partis un jour plus tôt. Il s’agissait alors d’établir en toute hâte un contact individuel avec les chefs d’armées, comme aussi avec le commandant de l’arrière. On peut souligner, tout d’abord, que les rapports avec l’Armée furent en général bons, et en certains cas, comme par exemple avec le 4e corps blindé, sous le général Hoeppner, très étroits, et même presque cordiaux. »
Plus loin : « Lors de cette progression, les premiers jours de la campagne de l’Est, il apparut que la Police de sécurité devait exercer son activité non seulement, comme il avait été prévu lors des conventions antérieures, avec l’OKH, dans les zones de l’Armée et de l’arrière, mais aussi sur le terrain des opérations. »
Est-ce que vous ne saviez rien d’une collaboration aussi étroite de ces Einsatzgruppen avec le Haut Commandement de la Wehrmacht ?
Il ne m’est parvenu aucun rapport à ce sujet. Je n’en savais donc absolument rien.
Vous avez déclaré ici que vous aviez annulé l’ordre de Hitler relatif à l’exécution des commissaires soviétiques prisonniers. Vous ai-je bien compris ?
Oui.
Comment a réagi Hitler quant à la non-observation de cet ordre ?
Je n’en sais rien. Il ne m’a jamais rien dit à ce sujet. Il n’a pas réagi.
Et vous ne l’avez pas informé que vous aviez annulé son ordre ?
Non.
Comment se fait-il alors que cet ordre ait été exécuté, car la plupart des commissaires soviétiques prisonniers furent anéantis par les troupes allemandes ?
Je ne puis l’éclaircir, car je n’ai jamais reçu d’informations à ce sujet. On m’a toujours dit que l’ordre n’avait pas été exécuté.
Une dernière question : A la question de votre avocat, quant au motif de votre démission, vous avez déclaré que vous aviez quitté l’Armée à la suite de divergences d’opinions avec Hitler. Parce que vous n’étiez pas d’accord avec la politique de Hitler, vous avez demandé et finalement obtenu votre démission. C’est juste ?
Oui.
Donc, les généraux de l’Armée allemande qui n’étaient pas d’accord avec la politique de Hitler et sa forme de gouvernement avaient la possibilité de donner leur démission et de ne pas pratiquer cette politique ?
Malheureusement, non, car Hitler avait expressément ordonné que personne ne devait s’en aller, et, en outre, on ne pouvait pas s’en aller comme on voulait. Dans mon cas, cela lui convenait, car il avait besoin d’un bouc émissaire pour l’échec de son offensive d’hiver. Cela fut diffusé ensuite par la propagande pratiquée en Allemagne, qui m’en imputa toute la responsabilité.
Je n’ai plus de question à poser à ce témoin.
Je voudrais seulement poser encore quelques questions à la suite du contre-interrogatoire. (Au témoin.) Dans ce document L-180 que vient de vous présenter le représentant du Ministère Public russe, le général Hoeppner a été mentionné. Le connaissiez-vous bien ?
Je le connaissais depuis 1914. Il était le chef de ma région, en Prusse Orientale, je le connaissais donc très bien.
Vous connaissez donc certainement aussi son opinion au sujet de telles méthodes de violence comme celles qui ont été révélées depuis lors ?
Hoeppner était une nature de soldat droite, honnête, qui repoussait tout ce qui ne rentrait pas dans l’ordre d’idées dans lequel il avait grandi et avait été élevé.
Est-ce que le général Hoeppner vit encore ?
Il a été une des victimes du 20 juillet.
Il a donc été condamné à mort en raison de son attitude envers ces méthodes ?
Oui.
Pouvez-vous expliquer d’une façon quelconque que, ainsi que le rédacteur du rapport s’exprime, une collaboration presque cordiale se soit établie entre l’Einsatzgruppe d’une part et le général Hoeppner d’autre part ?
Ainsi que je viens de le dire dans mon témoignage relatif aux négociations entre le général Wagner et le chef du SS-Hauptamt Heydrich, je ne peux m’expliquer cela que parce qu’il s’agissait peut-être d’une coopération dans la zone de combat même, c’est-à-dire là où l’on combattait. Du reste, l’état des choses dans le Nord était particulièrement critique. Les blindés en avant, les divisions allemandes en arrière et, dans l’intervalle, des fractions de l’Armée russe. Il y avait des difficultés de ravitaillement et je pouvais ainsi m’imaginer que ces groupes avaient été engagés à coopérer à la protection et à la sécurité des voies de ravitaillement.
Connaissiez-vous bien le général Wagner ?
Oui.
Quelle était son attitude en face de telles mesures de terreur ?
Après le 20 juillet 1942, il s’est suicidé. En tout cas, il était contre toute mesure en contradiction avec le Droit et l’équité, avec l’humanité et les conventions de La Haye ou de Genève.
On peut donc admettre que si, au cours de conversations avec Heydrich, il avait été informé que ces Einsatzgruppen devaient procéder à des exécutions en masse, étant donné sa façon de voir, il vous en aurait informé ?
Absolument.
Je vous remercie, je n’ai pas d’autre question à poser.
Témoin, avez-vous lu les dépositions du témoin Gisevius ?
Oui.
Et vous dites au Tribunal que, pour autant qu’elles vous concernent, elles sont totalement inexactes ?
Oui.
Je vais maintenant vous demander autre chose. Lorsque l’ordre des commissaires vous a été communiqué, avant que la guerre contre l’Union soviétique ne commençât, quels ordres avez-vous alors donnés ?
J’ai donné l’ordre que j’ai cité tout à l’heure, sur le maintien de la discipline, sur le comportement correct envers la population de la part du soldat allemand, et décidé que tout excès serait puni.
C’est-à-dire que vous n’avez pas donné d’ordre concernant directement l’ordre des commissaires ?
Non. Je ne pouvais pas annuler l’ordre directement, mais j’ai donné un ordre non équivoque, qui reflétait bien ma propre conception.
Vous avez donné votre ordre par écrit, n’est-ce-pas ?
Oui.
Et vous voulez faire croire au Tribunal que vous n’avez jamais su, pendant la fin de l’année 1941, que l’ordre des commissaires avait été réellement exécuté ?
Monsieur le Président, je ne cherche pas à en faire accroire. Je ne veux dire que la vérité : je n’ai reçu d’information d’aucune sorte et ne pouvais par conséquent en témoigner. Là où je me suis renseigné, j’ai eu comme unique réponse que l’ordre n’était pas exécuté.
Vous prétendez donc qu’autant que vous sachiez, cet ordre n’a pas été exécuté, jusqu’au moment où vous avez donné votre démission.
Oui, je ne puis rien dire d’autre, Monsieur le Président.
J’essaie seulement de tirer au clair ce que vous voulez dire. Le témoin peut maintenant se retirer. Témoin, est-ce que vous voulez ajouter quelque chose ?
Non, Monsieur le Président. (Le témoin quitte la barre.)
Dr Laternser, voulez-vous appeler le témoin suivant ?
J’appelle comme second témoin le Feldmarschall von Manstein. (Le témoin gagne la barre.)
Veuillez, témoin, me dire votre nom.
Erich von Manstein.
Veuillez répéter ce serment après moi : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Monsieur le Feldmarschall, quelles étaient vos dernières fonctions ?
Mes dernières fonctions étaient celles de Commandant en chef du groupe d’armées du Sud..
Comment avez-vous obtenu ces fonctions ?
Je les obtenues en novembre 1942, en vertu d’un ordre de Hitler.
Les autres commandants en chef étaient-ils nommés de la même façon ?
Oui.
Pendant de longues années, vous occupiez des fonctions importantes à l’État-Major général. En quelle qualité ?
D’abord, pendant la guerre précédente, j’étais à l’État-Major général de l’infanterie et, en 1929, j’ai été muté au ministère de la Reichswehr, à la première division de la Direction de l’infanterie.
Est-ce que l’État-Major général était une élite qui donnait le ton à la Wehrmacht ?
Les officiers d’État-Major général étaient une élite en ce sens qu’ils étaient choisis en raison de leur valeur technique et de leur caractère. On ne peut pas dire qu’ils donnaient le ton à l’Armée, car leur conception était celle de tous les autres officiers. Dans la Wehrmacht, on ne pouvait dire que l’État-Major général donnait le ton. La Marine, elle, n’avait pas d’État-Major général. Dans l’Aviation, pour autant que je puisse en juger, les officiers d’Etat-Major jouaient plutôt le rôle d’« outsiders », tels que Milch, Udet, etc., et la Wehrmacht n’avait pas, au début, d’État-Major général. Il ne peut donc être question que l’État-Major général ait jamais donné le ton au reste de l’Armée.
Est-ce que l’État-Major général exerçait une influence capitale sur tous les plans et projets militaires, et était-il, pour ainsi dire, le centre intellectuel de l’Armée ?
L’État-Major général a traité à son Quartier Général, c’est-à-dire au ministère de la guerre et dans les différentes divisions, les questions centrales, autant qu’elles avaient trait à la direction des troupes et à leur emploi. Par ailleurs, tous les autres ressorts relevaient des directions ou des inspections des différentes armes. Les directions étaient à égalité de droits avec l’État-Major général, et tout ce qui concernait la troupe, à proprement parler, était élaboré dans ces directions.
L’État-Major avait bien à donner son avis ?
L’État-Major pouvait, naturellement, donner son avis sur les questions étudiées par lest directions, comme, par exemple, l’armement, l’instruction. Mais les directeurs étaient à égalité avec les chefs des corps de troupe, et les importantes questions du personnel, en particulier, étaient traitées séparément par le seul État-Major général.
Est-ce que le chef de l’État-Major général statuait en dernier ressort comme conseiller de Hitler ou des commandants en chef de l’Armée et de la Luftwaffe ?
Que le chef de l’État-Major général ait eu à statuer en dernier ressort auprès de Hitler, il ne peut en être question. Les fonctions du chef d’État-Major de la Wehrmacht du IIIè Reich différaient totalement de celles qu’occupait le chef de l’État-Major sous l’Empire. A cette époque, le chef de l’Etat-Major jouissait de l’« Immediatrecht », c’est-à-dire qu’il pouvait rendre compte directement à l’Empereur. Dans la Wehrmacht du IIIe Reich, et déjà dans celle de la République de Weimar, il en allait tout autrement. Le chef d’État-Major de l’Armée, par exemple, n’était rien d’autre que le conseiller du Commandant en chef de l’Armée pour les questions de direction militaire. Entre lui et Hitler, se trouvaient donc le Commandant en chef de l’Armée et, aussi longtemps que nous avons eu un ministre de la Guerre en la personne de Blomberg, également le ministre de la Guerre. Il n’était donc nullement question, pour le. chef de l’État-Major général, de délibérations avec Hitler. Même aux délibérations avec le Commandant en chef de l’Armée, il était, du moins en temps de paix, à égalité de droits avec les directeurs du personnel, de l’armement, de la défense, etc.
Existait-il une voie hiérarchique spéciale à l’Etat-Major général ?
Il n’y avait pas de voie hiérarchique spéciale pour l’État-Major général ; au contraire, elle était strictement interdite. Vers la fin de la première guerre mondiale, quelque chose de semblable s’était constitué lorsque Ludendorfl avait la haute direction de l’Armée, et qu’il s’en tenait toujours aux chefs d’État-Major sous ses ordres, et non aux commandants en chef eux-mêmes. Mais il fut mis radicalement un terme à cette dégénérescence, si j’ose dire, de la hiérarchie, grâce au général von Seeckt, et il n’existait pas de voie hiérarchique spéciale pour l’État-Major général, tel qu’on l’a dépeinte ici.
Et qu’en était-il avec le droit de faire valoir des opinions divergentes ?
Dans la vieille Armée, chaque chef d’État-Major ayant une opinion différente de celle de son chef, pouvait faire valoir cette opinion tout en étant obligé, bien entendu, d’exécuter l’ordre reçu. Dans la Wehrmacht du IIIe Reich, cela fut aboli, et ceci expressément, avec le consentement du chef de l’État-Major général, le général Beck.
Est-ce que l’OKW était, pour ainsi dire, le cerveau central de la Wehrmacht ?
L’OKW, tel qu’il est nommé ici, n’a été créé qu’en 1938, comme État-Major de Hitler. Auparavant, Blomberg était ministre de la Guerre et, dans son ministère, il avait un bureau chargé, vis-à-vis de l’État et du Parti, de débattre toutes les questions importantes de la Wehrmacht. A lui incombait également la répartition des fonds entre les différentes armes de la Wehrmacht et l’armement de chacune d’elles. Blomberg voulait, sans aucun doute, donner une importance plus grande à la direction de la Wehrmacht. Mais il se heurta bientôt à de grosses difficultés, notamment avec l’OKH, parce que l’OKH était d’avis que Blomberg se montrait trop accommodant vis-à-vis du Parti. Il a alors tenté de se constituer une sorte d’État-Major tactique, qui devait, plus tard, devenir l’État-Major de la Wehrmacht. Puis vint sa chute et, immédiatement après fut créé, sous Hitler, l’État-Major de la Wehrmacht. Ce dernier ne doit pas être considéré comme coiffant les trois États-Majors de la Wehrmacht, car il n’était pas autre chose que l’État-Major pratique du Führer.
Est-ce que, malgré cela, les commandants en chef des différentes armes de la Wehrmacht ou les États-Majors généraux, parvinrent, avec l’OKW, au résultat voulu ?
Bien entendu, les trois armes de la Wehrmacht étaient d’accord avec l’OKW pour que le sentiment fût maintenu élevé et qu’elles considèrent comme leur devoir de sauvegarder l’idée de l’honneur national, de l’égalité des droits, et avant tout de la sécurité de l’Allemagne. Mais on ne peut aller au delà, ni parler d’une volonté unanime. Je citerai comme exemple que l’Armée avait une idée prédominante : celle que l’Allemagne, en aucun cas, ne pourrait, de nouveau, subir une guerre sur deux fronts. La Marine, à mon avis, avait toujours comme principe directeur : surtout plus de guerre avec l’Angleterre. Ce que Göring, en tant que chef de la Luftwaffe, voulait personnellement, je ne puis en juger. Mais je ne crois pas qu’il avait envie de mettre en jeu la position du IIIè Reich et la sienne.
Et l’OKW ?
L’OKW, en admettant qu’il ait eu une volonté, n’avait même pas, selon moi, la possibilité de la faire valoir sérieusement vis-à-vis de Hitler.
Quelle importance avait le « Schlieffen-Verein » et quels étaient ses buts ?
C’était, dans l’ensemble, une réunion de vétérans, qui avaient appartenu à l’État-Major général. Des officiers d’État-Major et de jeunes officiers de la Wehrmacht en étaient également membres. On se rencontrait une fois par an pour un dîner, précédé d’une assemblée générale où le trésorier présentait son bilan : c’était là l’essentiel. Le « Schlieffen-Verein » avait également un conseil d’honneur qui, la plupart du temps, devait apaiser les querelles survenues entre les membres âgés, causées par l’attitude de Ludendorff vis-à-vis de Hindenburg. Nous, les plus jeunes, n’avions rien à y voir et ne sommes plus allés aux réunions. Nous ne faisions d’ailleurs pas partie du conseil d’honneur. Cette association ne poursuivait d’ailleurs aucun but politique ou militaire,, et on ne peut avant tout la suspecter de vouloir suppléer l’État-Major en matière d’éducation et de formation intellectuelle.
Quels étaient les rapports des 129 chefs militaires impliqués, avec l’OKW et l’État-Major général ?
La plupart d’entre eux, d’après leurs fonctions respectives, n’avaient aucun rapport avec l’OKW et l’EMG.
Un peu plus lentement, je vous prie, Monsieur le Feldmarschall.
Quatre seulement d’entre eux appartenaient à l’OKW, à savoir : Keitel, Jodl, Warlimont et Winter, et, à l’État-Major général n’appartenaient que les chefs de l’État-Major général de l’Armée et de l’Aviation, qui ont fréquemment changé. Chacune des armes de la Wehrmacht n’en comptait que cinq ; tous les autres n’appartenaient ni à l’OKW, ni à l’État-Major général.
Qu’étaient donc alors ces chefs militaires ?
Ils étaient les détenteurs des plus hautes fonctions de la hiérarchie militaire, comme ils le sont dans les autres pays.
Mais ces chefs militaires, d’après leurs conceptions, ne constituaient-ils pas un groupe solidaire, animé d’une volonté unique ?
Ces chefs étaient, bien entendu, unanimes dans la compréhension de leur profession, comme aussi de la nécessité d’une Allemagne forte, parce qu’entourée de trois voisins dont on pouvait toujours s’attendre à quelque écart. Mais on ne peut aller au delà, ni parler en quelque sorte d’une telle uniformité de pensées. Horizontalement, dirais-je, les trois armes de la Wehrmacht s’étendaient l’une à côté de l’autre. Or, chacune d’elle professait des idées et des buts différents, souvent très opposés. Et verticalement, s’échelonnaient ces 129 officiers dans la hiérarchie militaire, disons sur quatre échelons, qui représentaient la relation du commandement à l’obéissance. L’échelon supérieur, c’était le Führer et son État-Major, l’OKW. C’est à cet échelon que résidait l’entière responsabilité politique et militaire qui, d’après les principes militaires, ne peut toujours reposer que sur le chef militaire du grade le plus élevé.
L’échelon suivant était représenté par les trois chefs des différentes armes de la Wehrmacht. Ils étaient responsables des tâches militaires de l’arme qui était sous leurs ordres et, dans ce domaine, assumaient la responsabilité totale. Et si Hitler venait leur demander conseil, ils étaient naturellement ses conseillers, dans une certaine mesure.
Les troisième et quatrième échelons, qui n’existaient qu’en temps d’e guerre, avec ses 129 officiers, étaient représentés par les commandants en chef des groupes d’Armées. Et, comme quatrième échelon, les commandants en chef des Armées. Les commandants en chef des groupes d’Armées étaient responsables de la direction tactique des opérations dont ils étaient chargés. Et au-dessous d’eux, la responsabilité partielle pour leur armée incombait aux commandants en chef qui, dans leur zone d’opérations, exerçaient en outre le pouvoir territorial. Mais ces troisième et quatrième échelons n’avaient aucun rapport direct avec le Führer, car il y avait entre eux et lui l’échelon des commandants en chef. Ils recevaient les ordres et devaient obéir, car dans la vie militaire les rapports sont toujours les mêmes entre celui qui ordonne et celui qui exécute.
Comment, en raison de la responsabilité que vous venez de décrire, y avait-il possibilité de prendre position à l’égard des plans de Hitler ?
Prendre position à l’égard des plans de Hitler, c’était pour les troisième et quatrième groupes, complètement impossible en soi, car ils n’apprenaient tout que sous la forme d’un ordre. Si, dans certains cas, les commandants en chef étaient convoqués à des conférences par Hitler, c’était également pour s’entendre notifier une décision prise et immuable. Les commandants en chef des armes de la Wehrmacht pouvaient naturellement, si Hitler le leur demandait — ce que je ne puis juger pour les cas d’espèce — faire valoir leur opinion. Mais dans quelle mesure ils pouvaient y réussir, c’est une autre affaire.
Ces chefs militaires provenaient presque tous de l’État-Major général. Ne constituaient-ils pas, de ce fait, une communauté ?
Évidemment, une certaine partie de ces chefs provenaient de l’État-Major général. Des 94 officiers qui appartiennent à la soi-disant organisation, 74 étaient d’anciens officiers d’État-Major général ; 20 ne l’étaient pas. Dans l’Aviation, autant que je sache, sur 17, il n’y en avait que 9 de l’État-Major général, et la Marine n’en comptait aucun. L’uniformité, autant qu’on peut en parler, résidait dans ceci qu’ils avaient joui, à l’État-Major, de la même formation militaire et suivi les mêmes cours. C’était tout.
Donc, la notion OKW et État-Major général, d’un côté, et ces 129 officiers de l’autre, cela représente quelque chose de complètement différent ?
Oui, bien entendu, complètement. C’étaient les chefs militaires et non l’État-Major général, et non l’OKW, et ni idéalement, ni matériellement, ni pratiquement, ni théoriquement enfin, il ne peut être question d’une organisation homogène.
Y avait-il aussi quelques SS dans ces groupes ? Les SS ne constituaient-ils pas une quatrième arme de la Wehrmacht ?
Non, certainement pas. Certes un grand nombre d’entre les chefs raisonnables des Waffen SS, et pendant la guerre également, la masse des unités’ des Waffen SS, désiraient être incorporés dans l’Armée. Mais cela était impossible en raison des volontés divergentes de Hitler et de Himmler. Les unités des Waffen SS, pendant la guerre, ont combattu courageusement à nos côtés au front ; mais elles ne constituaient pas une quatrième partie de la Wehrmacht, au contraire. Car Himmler a mis obstacle à tout ce qui aurait pu amener une influence quelconque de la Wehrmacht sur les SS. Que certains chefs SS aient appartenu à ce groupe, rien qu’en ce qui concerne la personne de Himmler, je dois considérer cela comme grotesque, car si quelqu’un était un ennemi mortel de l’Armée, c’était bien Himmler.
Pour quelle raison Himmler était-il un ennemi mortel de l’Armée ?
Himmler désirait, sans aucun doute, mettre ses SS à la place de l’Armée ; et, à mon avis, ce sont surtout les généraux de l’Armée qui ont été poursuivis de sa haine et de ses calomnies. En ce qui me concerne, je sais pertinemment que mon congédiement est imputable, pour une grande part, aux calomnies de Himmler. Des autres chefs, je sais seulement que quelques-uns ont appartenu autrefois à la Reichswehr et que, l’ayant quittée contre leur gré, ils ne pouvaient éprouver pour nous une sympathie particulière, ni se compter parmi les nôtres.
Le Parti et la Wehrmacht ne travaillaient-ils pas dans l’intérêt du Reich à un plan commun ?
Le Parti travaillait dans le secteur politique, et nous travaillions dans le secteur militaire. D’un plan commun entre la Wehrmacht et le Parti, il ne pouvait être question, car les conditions préalables faisaient totalement défaut, dont la plus importante, une base commune, un principe fondamental. C’est un fait notoire que nous n’étions d’accord d’aucune façon avec bien des méthodes du Parti. Et si, dans des questions fondamentales telles que, par exemple, le christianisme, les opinions diffèrent, la base spirituelle fait également défaut pour un plan homogène.
Ce qui, en second lieu, s’y opposait, c’était la tendance du Parti au pouvoir totalitaire, influence qui se faisait de plus en plus sentir dans la Wehrmacht. Je peux certifier que nous, officiers, avons lutté contre cette tendance, mais que l’influence du Parti gagnait du terrain chez nos soldats, et que, par là, l’élément militaire que nous représentions passait au second rang.
En troisième lieu, il faut se rendre compte qu’il ne pouvait, sous Hitler, être question d’un plan quelconque. Si quelqu’un élaborait un plan, c’était Hitler seul ; et, au-dessous de lui, personne n’avait à faire de plans. Il n’y avait qu’à obéir. D’ailleurs, dans la vie politique et pratique du IIIe Reich, jamais une équipe ne savait ce que faisaient les autres, quelle était la nature de leurs missions, de sorte que, là non plus, il ne pouvait être question d’unité. Toutes les conditions préalables manquaient.
En quelle qualité étiez-vous dans l’Etat-Major général de l’Armée ?
A l’État-Major général de l’Armée, à la portion centrale, j’ai été, de 1929 à 1932, premier officier d’État-Major général, à la première division de la direction de l’infanterie. Ensuite, en 1935, je devins chef du Bureau des opérations de l’Armée, et, en 1936, Oberquartiermeister, c’est-à-dire suppléant du chef de l’État-Major général.
Et, en votre qualité d’Oberquartiermeister I, vous aviez sous vos ordres le Bureau des opérations ?
Oui.
Vous aviez donc, comme chef du Bureau des opérations, à traiter l’utilisation des troupes en temps de guerre ?
Oui, bien entendu.
Vous devez donc avoir été informé des buts et de l’importance du réarmement ? Dites-nous cela très brièvement, Monsieur le Feldmarschall, je vous prie.
Oui. Le but de notre réarmement tout d’abord, vers 1920, c’est-à-dire avant la prise du pouvoir, était d’assurer une sécurité des plus précaires contre une attaque non provoquée d’un de nos voisins. A tout prendre, nous devions compter avec la possibilité d’un semblable événement, car tous nos voisins avaient des intentions sur notre territoire. Il nous était clair que, contre une telle attaque, nous ne pouvions opposer qu’une résistance de quelques semaines, tout au plus. Mais c’est ce que nous nous proposions d’atteindre afin d’éviter que, par exemple, lors d’une attaque polonaise, l’occupation de la Silésie du Nord ne devienne un fait accompli. Nous voulions être sûrs de pouvoir résister jusqu’à ce que la Société des Nations intervienne. Nous nous reposâmes donc pratiquement sur la Société des Nations, et nous ne pouvions compter sur son aide que si, en aucun cas, nous n’étions considérés comme agresseurs. Nous devions donc toujours éviter tout ce qui pouvait être considéré comme une violation du traité de Versailles ou comme une provocation. Et nous devions donc, à la 1ère division de la direction de l’infanterie, réunir, dans ce but, un groupe spécial d’officiers dont l’unique tâche consistait à contrôler que les ordres donnés par l’OKH ou, à cette époque, par la Direction de l’Armée, ne donnassent lieu à aucune violation de cette sorte.
Aviez-vous des plans de mobilisation à l’époque où vous étiez Oberquartiermeister I ?
Oui, le premier plan de mobilisation est entré en vigueur le 1er avril 1930. C’était le passage sur le pied de guerre de l’armée de 100.000 hommes. Cette mobilisation a été élaborée chaque année à partir de 1930.
Et jusque là ?
Jusqu’en 1930, il n’y eut aucune mobilisation.
Y avait-il des plans de concentration ?
Depuis la fin de la première guerre mondiale, jusqu’en 1935, il n’y avait aucun plan de concentration. En janvier 1935, a été élaboré le premier projet de la concentration, le plan « Rot ». Il visait une concentration défensive sur le Rhin ou le long de notre frontière de l’Ouest et en même temps une concentration ’défensive aux frontières tchèque et polonaise. Puis, un second plan de concentration, le plan « Grün », a été élaboré en 1937. Il prévoyait, au cas où l’Allemagne serait attaquée par la Tchécoslovaquie...
Un instant, témoin. Par concentration, entendez-vous : déploiement ? Qu’appelez-vous : plan de concentration ? Voulez-vous dire : déploiement ?
Par plan de concentration, je veux dire un plan suivant lequel, au cas où une menace de guerre existe, les troupes sont en position d’alerte à la frontière, c’est-à-dire en cas de conflagration politique. Que cette concentration amène la guerre ou que de cette concentration on passe à la guerre, cela n’a encore rien à voir avec la concentration en soi. Il ne précise que la façon dont les troupes doivent être rassemblées, ainsi que les premières missions incombant, en cas de guerre, aux groupes d’armées et aux armées.
Est-ce que c’était là les seuls plans de concentration que vous venez de décrire ?
C’étaient les deux plans que j’ai connus, comme Oberquartiermeister. Le plan « Weiss » contre la Pologne n’a pas été élaboré de mon temps ; il a dû l’être seulement en 1939.
Quand avez-vous quitté l’OKH, en tant qu’Oberquartiermeister I ?
Je l’ai quitté le 4 février 1938, au moment de la mise à pied du général von Fritsch.
Et à cette époque, un plan de concentration contre la Pologne n’existait pas encore ?
Non, il n’y avait que le plan « Rot » qui devait assurer la sécurité défensive de la frontière polonaise en cas de guerre.
Quelle position a prise l’OKH quant au rétablissement du service obligatoire en 1935 ? A cette époque, vous étiez encore à l’OKH, n’est-ce pas ?
A cette époque, en 1935... Non, j’étais alors encore chef d’État-Major du Wehrkreiskommando III, mais je sais, connaissant l’Etat-Major général, que cette déclaration nous a tous totalement surpris. Moi, personnellement, et mon général Commandant en chef à Berlin, l’avons apprise par la radio. L’État-Major général, si on lui avait demandé conseil, aurait proposé 21 divisions, comme étant tout d’abord la mesure opportune et possible d’un renforcement de l’Armée. La fixation à 36 divisions était due à une décision spontanée de Hitler.
Est-ce que l’occupation de la Rhénanie avait été réclamée par les militaires et envisagée comme une préparation à la guerre ?
Non, nous n’avons pas demandé l’occupation militaire, et, avant tout, ne l’avons pas considérée comme la préparation d’une guerre. Au contraire, lorsque cette occupation eut lieu, j’étais moi-même chef du Bureau des opérations et j’ai dû rédiger les ordres en vue de cette occupation. Comme nous avions été complètement surpris par la décision du Führer, je n’avais qu’un après-midi pour la préparer, car le lendemain matin, les généraux intéressés venaient déjà recevoir leurs ordres. Je sais qu’à cette occasion, le ministre de la Guerre et le général von Fritsch ont fait valoir leurs appréhensions et ont objecté à Hitler la solution unilatérale d’une telle question. Cet avertissement a été à mon avis, le point de départ de la méfiance toujours croissante, manifestée par Hitler envers les généraux. Il l’a reconnu lui-même, plus tard, lors d’une conversation en tête-à-tête, avant tout, lorsque Blomberg — la France ayant mobilisé treize divisions — proposa de ramener en deçà du Rhin les trois bataillons que nous avions avancés sur la rive occidentale. Notre intention de fortifier la Rhénanie était purement défensive. Le « Westwall » (la ligne Siegfried) devait constituer, comme la ligne Maginot, un rempart aussi infranchissable que possible.
Quelle part prirent les chefs militaires à l’action en Autriche ? Vous devez certainement le savoir ?
Un matin, à mon grand étonne-ment, je fus convoqué avec le général Beck chez le Führer ; je crois qu’il était onze heures. Le chef de l’Armée n’était pas à Berlin. Hitler nous déclara qu’il s’était décidé à résoudre la question autrichienne, en raison des déclarations de la veille de Schuschnigg. Il nous demanda de lui faire des propositions pour une invasion de l’Autriche, pour le cas où cela serait nécessaire. Le chef de l’État-Major général lui exposa que les corps qui entraient dans ce but en ligne de compte, les VIP et XIIIe corps bavarois, et une division blindée, devraient être mobilisés, mais qu’une telle mobilisation, et surtout une telle mesure, n’étaient nullement préparées, parce que la direction politique ne nous avait jamais chargés d’une semblable mission, ni même fait la moindre allusion. Tout devrait donc être improvisé. Tout d’abord, le Führer ne sembla pas vouloir mobiliser. Mais il reconnut que si l’on voulait vraiment s’exécuter, il fallait pouvoir compter sur la mobilité des troupes, et il ajouta que, s’il maintenait sa décision, il devrait y donner suite le samedi suivant, c’est-à-dire un jour avant les élections. Il s’ensuivit que l’ordre de mobiliser ces corps devait être donné le jour même si la mobilisation et la concentration des forces à la frontière devaient avoir lieu à temps. La conférence avait commencé vers onze heures pour se terminer à une heure, et l’après-midi à 6 heures, il fallait que les ordres partent. Ils sont partis avec vingt minutes de retard. J’ai dû les rédiger moi-même. Je n’avais donc eu que quatre ou cinq heures à ma disposition. On n’y avait nullement songé auparavant. Le plan dit cas « Otto » n’avait rien à voir avec toute cette affaire.
Vous n’avez donc eu, en tant que responsable de l’élaboration de cet ordre que quelques heures depuis le moment où vous n’étiez au courant de rien jusqu’à celui où l’ordre fut prêt à être diffuser ?
Oui, de quatre à cinq heures.
Est-ce qu’en votre qualité d’Oberquartiermeister I, vous avez eu connaissance de la conférence chez Hitler du 5 novembre 1937 ?
Non, je n’en ai rien su.
Vous avez participé à la conférence du
10 août 1938 ?
Docteur Laternser, le Tribunal voudrait savoir à quoi servit le plan « Otto ». Dans quel but fut-il élaboré ?
Dans l’Armée, nous n’avons pas élaboré de plan « Otto ». Je sais seulement que c’était un aide-mémoire en vue de je ne sais quelles mesures de l’OKW dans le cas d’une tentative de restauration des Habsbourg en Autriche, en liaison avec l’Italie. Cette possiblité était toujours latente et je compléterai ma déposition en disant qu’à l’époque où Hitler nous a donné des ordres concernant l’Autriche, son principal souci n’était pas une intervention des puissances occidentales, mais l’attitude de l’Italie, parce que, semblait-il, l’Italie était toujours de connivence avec l’Autriche, et aussi avec les Habsbourg.
Ainsi, vous dites au Tribunal que vous ne savez pas si le plan « Otto » était, pour l’Armée allemande ou pour une partie de celle-ci, un plan pour entrer en Autriche ?
Non. Le plan « Otto » ne m’a été rappelé que par le procès-verbal de l’interrogatoire de Jodl. En tout cas, nous n’avions pas, à l’OKH, de plan pour attaquer l’Autriche, car c’est moi qui ai dû rédiger les ordres en quelques heures, après notre conférence avec Hitler,
Mais si le plan « Otto » n’était pas un plan en vue de l’entrée en Autriche, dans quel but a-t-il été fait ?
Je ne puis vraiment pas le dire, car je sais seulement qu’il s’agissait de quelque plan de l’OKW en rapport avec une tentative de restauration des Habsbourg en Autriche. Autant que je me souvienne, nous n’avons jamais pris nous-mêmes telles mesures. Je ne sais pas non plus si, moi-même, à cette époque, j’ai eu connaissance de ce nom d’emprunt. C’est possible, mais je ne le sais pas.
Continuez.
Monsieur le Feldmarschall, vous avez participé à la conférence du 10 août 1938. Quels étaient le but et l’ordre du jour de cette conférence ?
Cette conférence était tout à fait exceptionnelle. Le Führer avait convoqué au Berghof tous les chefs d’États-Majors des armées qui, en cas d’une entrée en Tchécoslovaquie, devaient être concentrées le long de la frontière. Mais il n’a pas convoqué, comme cela eût été naturel, les commandants en chef, mais seulement ce que j’appellerais la plus jeune génération des chefs. Il savait bien, à cette époque, par un mémorandum du général Beck présenté par le général von Brauchitsch, que les commandants en chef et les généraux en chef réprouvaient toute politique pouvant amener une guerre, et il nous avait appelés pour nous convaincre de la nécessité et de la justesse de sa décision. Ce fut le seul et dernier cas où, lors d’une telle réunion, il ait permis de poser des questions au cours d’un entretien et d’en discuter ensuite.
Il s’était fait des illusions, car du cercle des chefs d’États-Majors lui furent opposés des appréhensions relatives à la possibilité d’une intervention des puissances occidentales, et surtout aux dangers d’une guerre éventuelle. Et cela se termina par une altercation très violente entre le Führer et le général von Wietersheim au sujet de ces questions. Depuis lors, il n’a plus toléré une seule fois ni discussion ni aucune question à de telles conférences.
Est-ce que les entreprises concernant l’Autriche et le pays des Sudètes étaient considérées comme préliminaires d’une guerre ?
Non, certainement pas, car nos troupes n’étaient pas pleinement mobilisées. Cette mobilisation des corps lors de l’entrée en Autriche avait prouvé que rien n’était assez avancé pour que l’on pût raisonnablement exécuter une mobilisation, et que si la guerre avait éclaté, nous n’aurions pu défendre efficacement ni notre frontière de l’Ouest, ni la frontière polonaise. Et, sans aucun doute, si la Tchécoslovaquie s’était défendue, nous serions restés accrochés à ses fortifications, car, pratiquement, nous n’avions pas les moyens de les forcer. Il ne pouvait donc pas être question d’une épreuve militaire, c’était plutôt une épreuve pour les nerfs.
Lorsque vous fûtes informé des préparatifs militaires contre la Pologne, avez-vous eu l’impression qu’une guerre d’agression était envisagée ?
Lors de la mobilisation, j’étais prévu pour la campagne de Pologne. Lorsqu’on m’a donné les plans de concentration, j’ai compris qu’il s’agissait d’un plan d’attaque. Cependant, plusieurs faits essentiels semblaient contredire des intentions agressives. D’abord, au printemps de 1939, et sur l’ordre de Hitler, on commença subitement à fortifier extrêmement toute la frontière orientale. On y a employé non seulement des milliers d’ouvriers, mais aussi des divisions entières aux retranchements, et les matériaux des fortifications tchèques ont été amenés là-bas. Une large bande de terres très fertiles, en Silésie, fit place à ces fortifications. Cela permettait de conclure à toute autre chose qu’à des intentions agressives. D’autre part, l’instruction se poursuivit tout à fait selon la routine du temps de paix. Je commandais alors une division et je suis resté avec mes hommes, jusqu’à la mi-août, dans un camp de la Lusace, c’est-à-dire bien loin du territoire où ma division eût dû être concentrée ; nous connaissions en outre le discours prononcé à la Chambre des Communes par Chamberlain, par lequel il assurait à la Pologne l’assistance de la Grande-Bretagne, et Hitler, aussi longtemps que j’étais à l’OKH, ayant déclaré à qui voulait l’entendre que jamais il ne permettrait une guerre sur deux fronts, on ne pouvait admettre que, vu cette promesse, il se laisserait aller à pratiquer une politique aventureuse.
D’un autre côté, une nouvelle absolument sûre, qui se confirma ensuite dans la pratique, nous était parvenue, à savoir que les Polonais voulaient concentrer des troupes dans la province de Posen afin de marcher sur Berlin. Une telle intention nous semblait incompréhensible en raison de la situation générale. Mais c’est un fait que les Polonais ont positivement réalisé cette concentration. On pouvait donc compter sur l’éventualité d’une guerre, mais aussi avec la possibilité que les Polonais, dans l’espoir des secours anglais et si les négociations étaient parvenues à un point critique, commettraient l’imprudence d’attaquer, ce qui, évidemment, aurait déclenché la guerre. Mais d’après tous ces indices, on ne pouvait pas supposer que Hitler désirait déclencher une guerre d’agression contre la Pologne. De la conférence à l’Obersalzberg, le 22 août, je n’ai pas remporté l’impression qu’on en viendrait absolument à une guerre, et cette opinion s’est confirmée en moi et chez le Commandant en chef, le maréchal von Rundstedt, jusque dans la nuit du 31 août au 1er septembre, alors que, le 25 déjà, un ordre de départ avait été rapporté.
L’audience est levée.