DEUX CENT DEUXIÈME JOURNÉE.
Mardi 13 août 1946.
Audience du matin.
(L’accusé Bock est à la barre des témoins. )Le Tribunal siégera en chambre du conseil demain après-midi à 14 heures, c’est-à-dire qu’il n’y aura pas d’audience publique demain après 13 heures. Commandant Barrington, avez-vous terminé ?
Oui, Monsieur le Président.
Un autre procureur veut-il contre-interroger ? (Pas de réponse.)
Docteur Böhm, voulez-vous interroger le témoin à nouveau ?
Monsieur le Président, je voudrais poser quelques brèves questions se référant au contre-interrogatoire d’hier. Témoin, je vous demanderai de répondre à mes questions le plus brièvement possible.
Connaissez-vous la formule fondamentale des SA : « Même droit pour tous » ?
Oui, je connais cette formule. Elle était également enseignée dans les écoles.
Est-il exact qu’en parlant de la situation élevée qu’occupait le milicien SA et dont il a été question hier, on ne voulait rien dire d’autre que le prestige du SA parmi la communauté du peuple, à cause de ce qu’il avait fait jusque là pour réaliser les buts du IIIe Reich ?
Le milicien SA était toujours éduqué dans le sens d’un esprit d’ordre et de discipline, et dans le sens du respect des règlements et des prescriptions légales.
Les privilèges dont on a parlé hier étaient-ils autre chose que le prestige du SA en tant que soldat politique ?
Le SA n’avait pas de privilèges. Il pouvait acquérir des droits en relation avec son activité de service pour lui permettre, socialement, un avancement ; mais à part cela, il était obligé de se soumettre à toutes les prescriptions légales.
Vous avez dit hier que le milicien SA n’était pas armé, mais qu’il possédait simplement le poignard SA et en outre un pistolet à partir du grade de Sturmführer (chef de compagnie). Et avec ce pistolet il devait posséder un permis de port d’armes, comme tout Allemand devait en posséder un s’il voulait porter une arme.
Oui.
A-t-il existé, à l’intérieur des SA, dans le milieu dont il s’agit ici, un droit pour celui qui était porteur d’un pistolet, de diriger ce pistolet contre d’autres Allemands ?
Non. Le milicien SA qui portait une arme devait savoir, comme tout autre citoyen, qu’il n’était en droit de s’en servir que pour sa légitime défense.
A l’article 10 on vous a lu hier que la situation supérieure qu’occupait le SA ne devait pas être rabaissée par des procédés blessants ou discriminatoires ou par un traitement injuste.
Les droits découlaient des devoirs. Quand l’homme se trouvait dans une obligation spéciale, il devait avoir une certaine forme de droits. Mais jamais — et on y insistait sans cesse — il n’avait le droit de se mettre d’aucune manière en dehors des lois.
L’article 18 dit expressément : le SA n’a le droit de se servir des armes qui lui sont confiées — et dans le cadre que j’ai précédemment indiqué — que pour l’exercice de son service et pour sa propre défense régulière. N’est-il pas exprimé par là que le SA est soumis, comme tout autre citoyen Allemand, aux règlements en vigueur pour le port et l’usage des armes ?
Je l’ai déjà dit. Le SA était soumis aux dispositions en vigueur. C’est dire qu’il devait posséder un certificat de Police ou sa pièce d’identité en règle, sur laquelle était indiqué comment et quand il avait le droit de porter une arme.
Le milicien SA, précisément parce qu’il était SA et parce qu’on exigeait de lui plus que de tout autre citoyen, n’était-il pas d’autant plus gravement puni quand il se rendait coupable d’un délit quelconque concernant les armes ?
II existe une ordonnance disant que le milicien SA, devant les tribunaux, devait être particulièrement puni ou qu’une échelle spéciale devait lui être appliquée dans l’évaluation de la peine s’il avait commis un délit quelconque.
On vous a lu hier — c’était également un extrait du règlement de service du 12 décembre 1933 — que toute infraction à la discipline était punie. Cela ne veut-il pas dire que l’indiscipline — donc les excès — étaient réprimés par la Direction suprême des SA et que l’ordre était le principe qui régnait dans les SA ?
Justement pour notre part, nous les chefs, nous avons tendu avec une particulière énergie à faire que tout milicien SA agisse dans le cadre de la légalité. Nous avions en outre des instructions sévères selon lesquelles le milicien SA, s’il avait commis un délit quelconque dans sa vie privée, devait être dénoncé et nous devions aussi en recevoir avis des tribunaux et alors l’intéressé était en outre frappé d’une peine disciplinaire.
Dans le document qui vous a été présenté hier, du 12 décembre 1933, à la page 33, n° 6, il est dit : « ... le droit est ce qui est utile au mouvement ; le tort est ce qui lui nuit ». Cela veut-il dire autre chose que le proverbe anglais : « Droit ou tort, c’est ma patrie » ?
Selon mon avis et, comme je l’ai interprété, cela signifie que l’homme a des droits dans le cadre de ses devoirs, et que d’autre part, s’il agit mal et sort de la légalité, il nuit ainsi à sa patrie.
On vous a ensuite présenté les directives pour l’instruction, et l’on vous a renvoyé à la page 7 et à la page 9 de ces directives. Je vous demande donc : il est question là du service d’ordre, de l’exercice, du tir, du service sur le terrain et du sport. Est-ce que, dans les pentathlon des Jeux olympiques, on a pratiqué d’autre entraînement que ce dont il est question ici ? Les concurrents du pentathlon au stade olympique n’ont-ils pas fait leur entrée marchant en ordre et d’une manière qui n’était possible qu’à la suite d’un entraînement ? N’ont-ils pas fait l’exercice, n’ont-ils pas fait du tir, fait du sport et pratiqué tous les sports cités ici ?
Ne croyez-vous pas que c’est plutôt un débat qu’un interrogatoire ? On a maintes fois envisagé la question de savoir s’il s’agissait plutôt de fins sportives ou militaires. Nous avons à en décider nous-mêmes. Il ne nous sert pas à grand-chose que cette question fasse encore l’objet du contre-interrogatoire.
Mais, Monsieur le Président, je n’aurais pas posé cette question si l’on n’avait pas attiré spécialement l’attention du témoin sur le fait que le dernier exercice indiqué dans ce règlement d’instruction est le sport. Je voudrais souligner que les autres exercices cités ont été également exécutés dans le pentathlon des Jeux olympiques. Je ne crois pas que dans ce pentathlon on ait vu ou pu voir la marque d’un esprit militaire, ni surtout militariste. Je voudrais ensuite attirer l’attention du témoin sur une chose ou plutôt lui poser encore une question. (Au témoin.) Vous n’avez du reste pas répondu à ma précédente question. Prononcez-vous au sujet de ma question : les mêmes exercices ou des exercices très analogues n’ont-ils pas été exécutés dans le pentathlon des Jeux olympiques ?
Monsieur l’avocat, j’ai été interrompu par M. le Président ; j’ai assisté moi-même aux Jeux olympiques et je connais bien les différents sports. Nous avons exécuté tous les exercices d’ordre de façon à pouvoir paraître en public avec discipline et produire une bonne impression, exactement comme toutes les organisations sportives. Comme nous devions plus tard organiser ces grands jeux, nous avons choisi principalement des exercices tirés des Jeux olympiques, nous les avons enseignés et les avons pratiqués chez nous. Nous avons tiré, nous avons fait des courses d’obstacles et nous avons utilisé tous ces exercices dans le cadre de notre programme d’instruction.
A la page 8 du règlement d’instruction que l’on vous a présenté hier, il est dit, au sujet de l’exercice, le seul peut-être qui serait approchant ou l’équivalent d’un exercice militaire :
« ... L’instruction doit être menée vigoureusement. Après des exercices de base, il faut aborder l’application dans les positions d’exercice, telles qu’elles résultent des mouvements d’exercice ». Le texte de ce règlement vous a-t-il fait penser à de l’instruction militaire ou à une éducation militariste quand il s’agissait de l’entraînement des SA ?
Pour nous, nous avons toujours pratiqué l’exercice individuel ou en formations serrées, en ayant pour but d’avoir en public une présentation extérieure bien groupée et cohérente.
Je n’ai plus d’autres questions à poser au témoin.
Le témoin peut se retirer. (Le témoin quitte la barre.)
Monsieur le Président, je demande l’autorisation d’appeler le prochain témoin Schäfer. (Le témoin s’avance à la barre.)
Je vous prie d’indiquer votre nom en entier.
Werner August Max SCHÄFER.
Est-ce là votre nom complet ?
Werner August Max SCHÄFER.
Répétez après moi ce serment : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ». (Le témoin répète le serment.)
Vous pouvez vous asseoir.
Témoin, quelle est votre profession ?
Je suis directeur à l’administration pénitentiaire.
Êtes-vous membre de la NSDAP ou d’une des annexes du Parti ?
Je suis membre du Parti depuis 1928.
Êtes-vous membre des SA ?
Je suis membre des SA depuis 1932. Je suis Oberführer depuis 1938.
Le témoin Reimund Geist, dans une déclaration sous serment, a dit que mille salles de réunion des SA ont été utilisées comme lieux de détention. Savez-vous quelque chose de cela, et cette affirmation est-elle exacte ?
Quant au chiffre de mille locaux de réunion servant de lieux de détention, je ne sais rien.
Si ces lieux de détention avaient existé en pareil nombre, l’auriez-vous su ?
S’ils avaient existé en un tel nombre, je l’aurais certainement su. Il y a eu en effet quelques rares endroits, mais peu après que la situation se fut consolidée, ils furent supprimés ou bien ils furent pris en charge et administrés par la Gestapo.
Suis-je dans le vrai en estimant que c’étaient là des mesures exceptionnelles correspondant à l’état de crise de 1933 ?
Oui. C’était nettement une mesure exceptionnelle. Nous nous trouvions alors, au moment de la révolution, dans un état de guerre civile latente en Allemagne. Il était devenu nécessaire d’arrêter des adversaires activistes, afin d’exécuter ce que le Führer avait commandé en parlant de la prise du pouvoir, c’est-à-dire de faire la révolution non sanglante.
Est-il exact que d’importantes découvertes d’armes ont donné lieu à procéder à des arrestations ?
Oui.
Afin d’éviter en 1933 une situation chaotique où l’on serait arrivé si l’on n’avait pas confisqué ces armes ?
Oui, une grande partie de ces armes ont été trouvées et nous n’ignorions pas que beaucoup de nos adversaires activistes étaient prêts, afin d’amener ce chaos, à se servir de ces armes.
Peut-on dire que les SA, en saisissant ces armes, aient exécuté une mission reçue de l’État ?
Oui, il y avait l’ordre du ministre de l’Intérieur de Prusse, du Président du Conseil de Prusse, M. Göring, qui avait fait appel aux SA comme Police auxiliaire.
Le Dr Diels dit dans une déclaration sous serment que c’était sa tâche d’éviter que la Police politique glisse dans les SA et ses idéologies et de suivre d’innombrables plaintes relatives à des illégalités commises par les SA, car sous quelques chefs SA extrémistes, nommés préfets de Police, il s’était produit des situations d’illégalité. Vous étiez dans ce district, qu’avez-vous à dire de l’affirmation du Dr Diels ?
Autant que je m’en souvienne, — et je m’en souviens fort bien — Diels avait des relations nettement amicales avec de chef d’État-Major d’alors, Röhm, et par conséquent aussi des relations amicales avec Ernst, chef local du groupe Berlin-Brandebourg. Je ne peux donc pas comprendre son opinion selon laquelle il a considéré et désigné comme sa tâche de suivre, comme chef de la Gestapo, des plaintes particulières qui arrivaient contre les SA.
Je voudrais dire à ce sujet que précisément les éléments indisciplinés qui pouvaient faire tort au mouvement et aux SA en ont été empêchés par le mouvement et par un état-major de liaison SA qui apparut dans les sphères dirigeantes de la Gestapo et, de par ma propre connaissance des choses, je peux dire que c’est précisément le GruppenFührer Ernst qui, à cette époque et de sa propre initiative, a mis ces éléments indisciplinés dans une section spéciale du camp de concentration d’Oranienburg. Ce n’a donc pas été la tâche du chef de la Gestapo d’agir contre les éléments indisciplinés des SA ou du mouvement ; son rôle était nettement sur un tout autre plan.
Diels a restreint son allégation sous serment qui était primitivement très large, et il l’a limitée principalement à Berlin. D’ailleurs, quelle a été en face de cette affirmation de Diels l’attitude du comte Helldorf, qui fut liquidé par Hitler le 20 juillet 1944 ?
Je connais le comte Helldorf du temps où j’étais chef SA à Berlin. Autant que je sache, il avait été, peu après la prise du pouvoir, appelé pour peu de temps au ministère prussien de l’Intérieur et ensuite il était devenu Polizeipräsident à Potsdam. En cette qualité, je puis dire que le comte Helldorf a fait tout ce qui était absolument nécessaire pour établir une institution de Police régulière. Il se servit pour cela d’anciens fonctionnaires de Police, des hommes surs. En cette qualité, il fut mon supérieur pour ce qui concerne le camp de concentration d’Oranienburg, et je dois déclarer ici qu’il est souvent venu à Oranienburg, sans se faire annoncer, s’assurant très en détail de l’exécution des mesures prescrites, et qu’il m’était connu comme un homme partisan résolu du maintien absolu de la netteté et de la discipline.
J’appelle ensuite votre attention sur la déclaration de Diels disant que des formations de SA auraient pénétré dans des prisons, auraient dépouillé des prisonniers, dérobé des documents, et se seraient installées dans des bâtiments du service de la Police. Je vous demande si cela est exact, et si un pareil état de choses a jamais existé ?
Je ne puis me souvenir d’un tel état de choses. J’aurais dû en avoir connaissance, car je me trouvais très souvent à Berlin, et je dois déclarer que rien de semblable n’est venu à ma connaissance. J’aurais dû ultérieurement aussi apprendre des détails à ce sujet, lorsque plus tard je suis devenu fonctionnaire à l’Administration pénitentiaire du Reich. Je pense que, par exemple, mes collègues de Berlin, puisqu’il s’agit du district de Berlin, m’en auraient certainement parlé par la suite. Or cela n’a pas eu lieu.
Vous étiez alors commandant d’Oranienburg et vous étiez presque tous les jours à Berlin avec ces messieurs de la Police ou de la Gestapo ?
Je n’étais pas tous les jours à Berlin, mais j’y étais très souvent et cela ne m’aurait certainement pas échappé.
Est-il exact, selon l’affirmation de Diels, que, pour éviter des meurtres en masse, il ait été chargé de placer sous l’autorité de l’État les camps de SA, alors que d’autre part on lit dans son affidavit pour les SA, qu’au total il y a eu à Berlin cinquante victimes de la révolution ?
Sans aucun doute cette affirmation de Diels n’est pas exacte. Je puis bien dire qu’il n’était pas du tout dans l’esprit des SA de se débarrasser des adversaires politiques par le meurtre en masse et le chiffre de cinquante victimes à Berlin qui, d’après ce que je viens d’apprendre, a été indiqué par Diels lui-même dans son affidavit, en est la meilleure preuve.
On ne doit pas oublier qu’une grande partie des adversaires politiques de la veille marchaient désormais dans les SA et que par conséquent il s’était établi de très nombreuses relations personnelles avec le camp des adversaires politiques. Si donc l’intention avait existé de se débarrasser des adversaires politiques par des massacres, l’exécution de ce projet se serait heurtée parmi les SA eux-mêmes à la plus grande résistance, et je puis dire en toute franchise que l’affirmation de Diels ne correspond en rien à la vérité.
Est-il exact que la position de Diels soit devenue intenable par suite des conflits persistants avec les SA ? Il le prétend dans la déclaration sous serment qu’il a faite pour la Gestapo. Et là il dit que, d’autre part, il doit avouer avoir été Regierungspräsident à Hanovre et à Cologne.
Je n’ai aucune connaissance d’une mésentente entre Diels et la Direction suprême des SA et je ne crois pas non plus que ce qu’il a dit là soit exact, car je l’ai trouvé quelques années plus tard en relations très étroites avec le chef d’État-Major d’alors, Lutze, à l’occasion d’une tournée dans le district d’Ems. Il était alors en relations nettement amicales avec le chef d’État-Major Lutze, et le seul fait qu’il ait été Regierungpräsident de Cologne et surtout le fait qu’il ait été en fonctions ultérieurement comme Regierungspräsident auprès du chef d’État-Major Lutze, qui était Oberpräsident de Hanovre, réfutent l’allégation selon laquelle il aurait eu des démêlés avec les SA.
Les SA ont-ils généralement, comme le déclare Diels, extorqué des biens à de paisibles citoyens alors que, dans sa déclaration sous serment faite pour les SA, il dit qu’en somme seul l’État-Major de groupe d’Ernst et la section de transmissions établie par lui ont pris part à l’activité révolutionnaire ?
Je n’ai pas connaissance du fait que de prétendus paisibles citoyens furent dépouillés par les SA. S’il y a eu quelques cas, ce que l’on ne peut pas contester, je déclare qu’en généralisant de tels cas on heurte violemment la vérité. Rien ne donne le droit de généraliser certains cas qui se sont certainement produits. Il ne faut pas méconnaître que de tels cas individuels étaient tout à fait possibles.
Je rappellerai ici que, par exemple, la chemise brune que le milicien SA devait s’acheter lui-même était en vente partout dans le commerce, par exemple à Berlin, mais aussi dans tout le Reich. Et j’ai eu personnellement connaissance d’un certain nombre de cas où des éléments troubles qui n’appartenaient pas aux SA ni même au mouvement, ainsi qu’il a été établi ensuite devant les tribunaux, ont considéré que l’occasion était venue de commettre de leur propre chef des actions punissables sous la protection de l’uniforme du Parti. La conséquence finale a été qu’il a fallu mettre l’uniforme du Parti sous la protection légale.
Vous savez que Diels a été chef de la Gestapo en 1933 et 1934, et quand on lit que les SA ont pratiqué l’extorsion sur des citoyens pacifiques, on est amené à se demander s’il a essayé peut-être d’attribuer aux SA les mœurs de la Gestapo ?
Je dois dire que cette allégation de Diels m’a extraordinairement surpris, car — comme je l’ai déjà dit — il était alors en relations très étroites avec la Direction suprême des SA. Je ne discerne pas comment il en arrive à cette affirmation contraire, je dois le dire, à ce qu’il savait être vrai.
II parla ensuite d’environ 40.000 prisonniers dans des camps de concentration, d’une quarantaine de camps illégaux. Pouvez-vous dire combien il existait en fait de camps de concentration à cette époque ?
Je n’ai pas de statistique à ce sujet, mais je voudrais essayer d’examiner ce chiffre de 40.000 détenus et surtout le nombre des quarante camps indiqués par Diels. C’est au cours de l’année 1933 que le camp d’Oranienburg est apparu comme le seul camp d’internement des adversaires politiques pour Berlin et toute la Marche de Brandebourg. Quelques camps d’internement, peu nombreux, qui existaient jusqu’alors, furent dissous. Ils n’ont pas pu avoir de très nombreux internés, car j’ai reçu ces détenus transférés à Oranienburg ; ce n’était qu’un très petit nombre.
A ce sujet, quand on réfléchit qu’au moment où il a été le plus plein, le camp d’Oranienburg n’avait pas même mille détenus, et quand on tient compte du fait que ce camp était installé pour un district de plus de 6.000.000 d’êtres humains, quand, en outre, on réfléchit que Berlin était le centre des adversaires politiques du parti national-socialiste, et qu’il était donc empli d’activistes politiques, alors il m’est extrêmement difficile de me représenter qu’il y ait eu 40.000 détenus. Pour moi, je puis le dire ici, ce chiffre de 40.000 est tout à fait nouveau. Je n’ai jamais entendu parler de ce nombre, pas même par le Dr Diels, avec qui j’étais personnellement très bien, et ce nombre aurait dû m’être connu.
Diels parle à ce sujet d’environ 40.000 détenus. Pouvez-vous citer une évaluation qui serait peut-être plus exacte ?
C’est extraordinairement difficile, mais l’amnistie de Noël, décrétée alors par le président du conseil Göring — et je souligne tout spécialement qu’elle a été très largement appliquée — permet de déduire quel a été ce nombre. Il y a eu à ce moment-là 5.000 détenus — ce nombre de 5.000 m’est resté en mémoire — libérés des camps. La conséquence fut que, par exemple à Oranienburg qui — comme je l’ai déjà dit — était le seul camp reconnu et officiellement contrôlé pour tout Berlin et le Brandebourg, le nombre des détenus est tombé à un peu plus de cent. Il y a donc eu à ce moment plus des deux tiers libérés.
Vous étiez commandant d’Oranienbourg ?
Oui.
Et de quelle date à quelle date ?
De mars 1933 à mars 1934.
Ce camp était gardé par les SA ?
Oui.
Et de quelle date à quelle date ?
De mars 1933 à... je crois que ce fut juin ou juillet 1934.
Et de qui ces gens recevaient-ils leurs ordres ?
Ces miliciens SA étaient membres de la Police auxiliaire. Comme tels, ils étaient placés directement sous mes ordres puisque j’étais commandant.
Et de qui dépendiez-vous comme commandant du camp ?
Comme commandant du camp, j’étais sous les ordres du Regierungspräsident de Potsdam, de qui dépendait Oranienbourg, de son Polizeipräsident, le comte Helldorf et tout en haut, naturellement, du ministre de l’Intérieur de Prusse.
Et quelle influence avait le chef du groupe Berlin-Brandebourg sur le camp de concentration d’Oranienbourg ?
Le chef du groupe Berlin-Brandebourg n’avait aucune influence sur le camp lui-même, aucune influence sur la tenue et sur l’administration du camp de concentration.
Pourrait-on supposer que certaines opérations exécutées par lui constituaient des mesures de terreur des SA ?
Je n’en ai pas eu connaissance.
Avez-vous pu vous rendre compte du nombre des gens internés dans les camps clandestins et qui ont été relâchés avant Noël 1933 ?
Non, je n’en sais pas le nombre, mais je dirais très nettement qu’il n’y a eu qu’un petit nombre de ces camps, et qu’il n’y a eu qu’un petit nombre d’internés, car j’ai déjà déclaré qu’à Oranienbourg, le seul camp alors existant, je n’ai reçu que peu d’internés transférés. Un grand nombre avait déjà été relâché.
Avez-vous quelques indications permettant de penser qu’à la même époque, dans le reste de l’Allemagne, il y avait 50.000 détenus ?
Non, je n’ai aucune indication précise. Mais je dirai que, par rapport au nombre déjà cité des détenus en Prusse, le nombre de 50 000 est absolument incroyable. En effet, déjà quant à la surface, la Prusse formait la plus grande partie de l’Allemagne, et s’il y avait là proportionnellement peu de détenus, je ne peux pas me représenter que, dans le reste de l’Allemagne, il y ait eu 50.000 internés. Le nombre ne m’est pas connu.
Que savez-vous de la collaboration avec la Gestapo à ses premiers débuts ?
La Gestapo à ses débuts n’avait que des rapports assez lâches avec Oranienbourg, seulement les relations officielles résultant des rapports entre la Police politique et la Police auxiliaire SA. La Gestapo amenait au cours de l’année des détenus qu’elle avait arrêtés, et elle libérait, sur instructions du président du conseil de Prusse, les détenus quand leur cas avait été examiné.
Y a-t-il eu des difficultés entre le camp de concentration d’Oranienbourg et la Gestapo de Berlin ?
Primitivement non. Mais ensuite un incident a fait surgir des difficultés que je ne voudrais pas passer sous silence. Deux détenus venant de Berlin avaient été amenés par la Gestapo après avoir été fort maltraités. Là-dessus je me suis rendu le lendemain auprès du StandartenFührer Schutzwechsler qui était mon supérieur, le priant de se présenter avec moi à la Gestapo à la Prinz Albrechtstrasse, pour demander une explication dont je voulais ensuite faire l’objet d’un rapport au ministère de l’Intérieur de Prusse.
Cette explication me fut promise. Le lendemain je reçus un appel téléphonique de Schutzwechsler qui m’informa qu’il venait d’apprendre que le camp de concentration d’Oranienbourg était dissous avec effet immédiat. Il me priait de venir sur-le-champ à Berlin, ajoutant qu’il irait avec moi au ministère de l’Intérieur de Prusse pour s’enquérir de la situation et savoir comment et pourquoi la dissolution avait lieu de manière si soudaine.
Nous nous rendîmes ensemble au ministère de l’Intérieur et, à notre très grande surprise, nous apprîmes qu’à la suite de notre protestation de la veille, à la Prinz Albrechtstrasse, on avait téléphoné au ministère de l’Intérieur de Prusse, communiquant que des cas de mauvais traitements s’étaient produits et qu’il était devenu nécessaire de dissoudre Oranienbourg. La proposition de la Prinz Albrechtstrasse était que tous les détenus d’Oranienbourg fussent transférés dans les camps nouvellement construits par les SS dans l’arrondissement d’Ems. Il y avait déjà en route un train qui était arrivé à Oranienbourg. Quand j’exposai les choses au secrétaire d’État Grauert, et lui expliquai ce qui m’avait déterminé à protester la veille à la Prinz Albrechtstrasse, il me promit aussitôt — et c’est ce qu’il fit à l’instant — de faire procéder à une enquête approfondie. En ma présence, il chargea le directeur Fischer d’enquêter sur cette affaire. Fischer était connu comme un vieux fonctionnaire absolument correct et sur. Il constata en effet les choses telles que je les avais décrites au secrétaire d’État Grauert. Il fut donc nettement constaté que ces cas de mauvais traitements mis au compte d’Oranienbourg s’étaient produits à la Gestapo à Berlin. Sur ce, on renonça à dissoudre le camp.
Connaissez-vous des cas où la Gestapo a dü pénétrer de force dans des camps fondés par les SA pour libérer des prisonniers ?
Non, de tels cas ne sont pas venus à ma connaissance.
En tout cas, vous n’avez rien vu de tel à Oranienbourg ?
Non, non.
La Gestapo avait-elle une influence déterminante sur la libération de détenus, ou à qui faut-il, à votre avis, attribuer principalement les élargissements qui ont eu lieu au cours du temps ?
Pour les libérations de détenus, il y a eu l’influence déterminante d’autorités très diverses. En premier lieu les Regierungspräsidenten et Landräte qui, par les protestations, constantes des proches des détenus, connaissaient exactement la situation de ces derniers. C’est le camp lui-même et moi-même, comme commandant du camp, qui avions un rôle déterminant dans la libération de détenus. Dans quelques cas j’ai fait, après enquête, des propositions immédiates d’élargissement. Mais surtout c’est, je dois dire, le président du conseil d’alors, Göring lui-même, qui a montré un intérêt exceptionnel à ne pas laisser, autant que possible, le camp d’Oranienbourg surchargé de détenus, et à libérer le plus grand nombre possible de prisonniers. Je me rappelle une allocution de Noël prononcée par Diels qui, à l’occasion d’élargissements, parla devant les détenus, déclarant que le président du conseil Göring était personnellement intervenu pour qu’une mesure très ample de libération fut prise à l’occasion de Noël.
Docteur BÖHM, le Tribunal ne délibère pas sur le cas de ce témoin, mais sur le caractère criminel des SA. Sa déposition au sujet de l’élargissement des prisonniers est beaucoup trop détaillée. Jusqu’ici, il ne semble pas être allé au delà de 1933.
Je n’ai plus sur ce sujet qu’une question à poser : pouvez-vous dire combien il y avait de personnes dans de camp après ces mesures d’élargissement de Noël 1933 ?
II y en avait encore un peu plus de cent.
Avez-vous eu une fois des difficultés personnelles avec le Dr Diels ?
Non, absolument pas. Au contraire lorsqu’on 1934 j’écrivis le livre sur Oranienbourg, il s’offrit aussitôt et volontairement à écrire une introduction pour ce livre, et je sais qu’il a toujours fait l’éloge de ce camp.
Connaissez-vous la déclaration faite ici par le directeur ministériel Hans Fritzsche ?
Oui, en partie.
Est-il exact, comme le prétend le témoin, que le premier commandant d’Oranienbourg, qui le dirigea de mars 1933 à 1934, a été exécuté ? Ce devait être vous-même.
Oui, et la meilleure réfutation c’est que je suis ici, Monsieur l’avocat. Cette déclaration est naturellement inexacte.
Oui. Est-il exact que le journaliste Stolzenberg, qui soi-disant fut détenu à Oranienbourg, rapporte qu’il y a eu une enquête officielle ?
Je ne me souviens que de deux enquêtes faites par les autorités : d’abord dans le cas que j’ai déjà rapporté, celui de la Gestapo et puis dans le cas Seger, où des investigations officielles ont eu lieu.
Et quel a été le résultat de ces enquêtes ?
Comme je l’ai déjà dit, dans le cas de la Gestapo il fut constaté que les mauvais traitements s’étaient en fait produits à la Gestapo à Berlin, et dans le cas Seger, il fut nettement démontré que Seger avait fait de fausses allégations.
Est-il exact que d’autres tortures aient eu lieu, comme Fritzsche prétend l’avoir appris de certaines personnes de la Gestapo et du service de presse du chef suprême des SS ?
Personnellement j’ai été un grand adversaire des mauvais traitements et des tortures, et mes hommes de garde connaissaient très bien ma manière de voir, mais en outre elle était connue aussi des internés.
Est-il exact, comme le dit Fritzsche, que le 30 juin 1934 a été un nettoyage en ceci que des Gauleiter et des chefs SA qui avaient abusé de leur pouvoir furent éliminés ?
En ce qui concerne la question des camps de concentration, je ne peux pas partager cette opinion.
Connaissez-vous le livre Oranienbourg écrit par l’ancien député SPD au Reichstag, Seger, de Dessau ?
Oui, Seger m’a lui-même envoyé ce livre.
Savez-vous que Seger a envoyé ce livre au ministère de la Justice aux fins de poursuite des plaintes formulées par lui ?
Cela aussi je le sais.
Et qu’a fait la Justice ?
J’ai été interrogé en détail par le parquet compétent pour l’ancien domicile de Seger. On a fait une enquête très approfondie dont le résultat, autant qu’il m’en souvienne aujourd’hui, fut que le Reichsgericht à Leipzig a classé l’affaire.
Savez-vous que Seger vous accuse de meurtre ?
Oui, je le sais.
Le cas dont il s’agit ici a-t-il été nettement tiré au clair ?
II s’agit du reproche de Seger selon lequel je serais responsable que deux détenus ont été tués. Ce cas a été nettement tiré au clair. Si nettement que quand ce livre a été, sur mes instructions, lu aux détenus du camp, l’un de ceux que Seger avait indiqués comme tués se leva soudain et se déclara en bonne santé, tandis que l’autre, ayant été relâché, se trouvait déjà auprès des siens. Le cas était donc nettement réfuté par les deux prétendus tués eux-mêmes.
On estimera donc généralement que faire état d’un cas comme celui qu’a indiqué Seger c’est faire un mensonge ?
Absolument exact.
Est-il exact que, selon la description faite dans votre livre, les détenus pouvaient même faire usage de leur droit de vote secret, conformément à la Constitution de Weimar ?
Cela aussi est exact. A l’occasion du référendum sur le maintien de la participation de l’Allemagne à la Société des Nations, les prisonniers ont pris part au vote et les conditions légales prévues dans la Constitution de Weimar ont été respectées.
Docteur BÖHM, je vous ai déjà dit que vous pourriez passer à des choses plus importantes. Nous sommes encore au camp d’Oranienbourg en 1933 ou au début de 1934.
Monsieur le Président, seul le camp d’Oranienbourg est mis à la charge des SA et, en fait, les SA n’ont eu la garde du camp d’Oranienbourg que de mars 1933 à mars 1934. Il n’est donc pas possible de parler d’une autre période.
Nous comprenons cela. Ce témoin nous dit que le camp d’Oranienbourg a été administré d’une manière parfaitement satisfaisante et appropriée. Nous ne voulons plus entendre des détails sur chaque journée des années 1933-1934.
Mais parce que je m’attends à ce que ce livre de Seger soit présenté en contre-interrogatoire, peut-être cela intéressera-t-il le Tribunal d’apprendre que ce livre était muni d’un titre, la formule de serment...
Docteur Böhm, si le livre est présenté en contre-interrogatoire, le témoin pourra répondre alors aux questions qui lui seront posées sur ce livre. Vous n’avez pas besoin d’anticiper sur un contre-interrogatoire éventuel.
Bien. Puis-je continuer d’interroger ? (Au témoin.) L’affirmation faite par Seger, selon laquelle le Gauleiter Lober, de Dessau, irrité de l’évasion de Seger, est allé vous trouver à Oranienbourg et vous a souffleté, est-elle exacte ?
Non, cette allégation n’est pas exacte. Je n’ai jamais vu le Gauleiter Lober et n’ai jamais fait connaissance avec lui. Lober n’a jamais été à Oranienbourg et je ne l’ai jamais rencontré en d’autres occasions. Par conséquent il n’y a jamais eu d’altercation entre nous deux.
Pouvez-vous prouver par des faits votre opinion soutenue devant le Tribunal, selon laquelle les faux rapports répandus à l’étranger sur Oranienbourg étaient propres à empoisonner les relations entre les peuples ?
Oui, chaque fois qu’à l’étranger avaient paru des articles par exemple sur Oranienbourg, j’ai reçu une quantité de lettres de menaces et d’injures qui malheureusement me montraient que les faux rapports faits sur Oranienbourg avaient conduit à ce résultat que des gens totalement étrangers que je ne connaissais pas et qui ne me connaissaient pas, éprouvaient le besoin, non seulement à mon sujet, mais aussi au sujet des SA que je commandais, et malheureusement aussi de tout le peuple allemand...
De quoi parlez-vous maintenant ? Quand ont paru ces articles et quand avez-vous reçu des lettres de menaces ?
En 1933, 1934.
Ces articles ont paru là-bas, et vous avez alors reçu ces lettres ?
Oui.
Sous quels ordres étaient placés les hommes de garde du camp de concentration d’Oranienbourg ?
Ils étaient sous mes ordres puisque j’étais leur chef SA.
Et de qui dépendait Oranienbourg même ?
Oranienbourg, comme je l’ai déjà dit, était subordonné au Regierungspräsident, c’est-à-dire aux autorités supérieures, au Regierungspräsident, au ministère prussien de l’Intérieur. Les SA n’étaient que pour une faible part appelés à faire du service dans la Police auxiliaire SA et, du point de vue de l’État, les choses étaient telles que cet État — en l’occurrence le ministère de l’Intérieur prussien — se servait du groupe SA et celui-ci se servait de la brigade SA et du régiment SA, et mon supérieur SA était également officier de Police auxiliaire. Et c’est par cette voie que m’arrivaient les ordres ou les instructions d’en haut. Il y avait donc une double subordination : disciplinairement, j’étais subordonné aux SA et pour les mesures d’État, je dépendais de l’État directement.
Vous avez raconté devant la commission que vous avez reçu du régiment SA compétent l’ordre d’établir ce camp ?
Oui.
Comment est-ce possible ?
Cela correspond à la voie que je viens d’indiquer : l’État, le groupe SA, le commandant du régiment comme responsable de la mise en action de la Police, et c’est ainsi que j’ai reçu par lui, provenant de l’État, l’ordre d’établir le camp.
Quelles personnes ont été amenées dans le camp d’Oranienbourg ?
Ce furent naturellement en tout premier lieu les adversaires activistes, mais ensuite ce furent aussi des éléments du mouvement, des SA dont l’indiscipline avait rendu cette mesure nécessaire. Il y avait à cet effet à Oranienbourg une section de forteresse spéciale. Mais on a incarcéré aussi à ce moment-là des dénonciateurs qui, agissant par intérêt personnel, avaient dénoncé faussement et sciemment des adversaires politiques. Et puis il y a eu un petit groupe de gens qui sans doute sympathisaient avec le parti national-socialiste, mais qui, par leur nationalité étrangère, auraient pu susciter des difficultés de politique extérieure. Je me rappelle par exemple le chef des nationaux-socialistes russes à Berlin qu’il fallut interner à Oranienbourg parce qu’il créait politiquement du désordre. C’était un halluciné qu’il fallait bien de cette manière retirer de la vie publique pour un temps relativement court.
Peut-on dire que, de la part des milieux qui viennent d’être cités, on pouvait s’attendre à quelque soulèvement contre le Gouvernement existant ?
Oui, c’est ce qu’ont prouvé les découvertes d’armes faites par nous au cours du temps. C’étaient des dépôts d’armes très considérables et les armes y étaient en état très soigné.
Nous avons déjà entendu parler des saisies d’armes.
Non, Monsieur le Président.
J’en ai pris note moi-même par écrit, je l’ai entendu.
Je ne veux certainement pas le faire répéter. Monsieur le Président. (Au témoin.) Il est clair qu’en temps de révolution il se produit naturellement des excès ; eh bien, y a-t-il eu des excès de la part des SA et des membres du parti national-socialiste ?
Cela ne peut ni ne doit être contesté.
Et comment vous expliquez-vous ces excès ?
D’abord il s’agit là de ce groupe d’excités politiques qui, en une telle période de révolution, dépassaient de loin la mesure du but qui leur était fixé. Mais il s’agit aussi, comme je l’ai déjà déclaré nettement, d’éléments troubles qui avaient trouvé accès dans les SA et dans le Parti d’une manière incontrôlable, parce qu’ils venaient du dehors.
Naturellement, au moment de la révolution, ces éléments avaient trouvé la meilleure occasion pour commettre des actes punissables, mais je voudrais souligner à ce sujet que, de notre côté, on n’a rien négligé pour intervenir réellement avec la plus grande rigueur là où de tels excès étaient rapportés. A cet effet, le Parti avait créé un corps spécial de Police connu pour le fait qu’il agissait sans considération des personnes et sans égards pour le grade ni la fonction.
Sur quelles bases s’appuyait-on pour arrêter et transférer les gens au camp de concentration ?
Pour l’arrestation, il fallait toujours un mandat d’arrêt.
De qui émanait ce mandat d’arrêt ?
Il était établi par la Police politique ou par l’autorité de police du district.
A quel travail étaient astreints les gens dans les camps de concentration ?
Ils étaient mis au travail qui était utile au camp lui-même, ils travaillaient à l’administration et aussi à la culture du pays.
Avez-vous, comme commandant, reçu des plaintes des détenus au sujet d’un traitement défectueux ?
Personnellement, je ne me souviens pas que des plaintes m’aient été présentées.
Pourtant, des défectuosités ont été connues. Avez-vous fait une enquête ?
Par mon contact permanent avec les détenus — car je suis resté beaucoup et longtemps dans le camp — j’ai eu connaissance de défauts occasionnels et je puis donner ici l’assurance que je n’ai rien négligé pour les éliminer aussitôt que je les ai sus.
Y a-t-il eu des exécutions dans la période où ce camp de concentration était gardé par les SA ?
Non.
Y avait-il dans ce camp, pendant que vous y étiez commandant, des appareils de torture ou d’extermination pour détruire des êtres humains ?
Non.
Qui a eu la garde du camp après vous ?
Après moi, les SA ont eu la garde encore peu de mois, deux mois environ, et ensuite ce sont les SS qui ont pris la charge d’Oranienbourg.
Et avez-vous, comme premier commandant du camp, quelque chose à dire à ce sujet ?
Le transfert de la garde n’a pas eu lieu à cause d’insuffisances ou de défauts constatés, mais parce qu’après le 30 juin, il était réservé aux SS de diriger ces camps de concentration. Ce fut le Reichsführer SS Himmler qui a pris en charge les camps de concentration et les a dirigés avec ses hommes. Donc, après 1934 les SA n’avaient plus rien à voir avec ces camps de concentration...
Je voudrais encore vous demander ceci : avez-vous eu à sévir contre les hommes du service de garde en raison d’excès qu’ils auraient commis ?
Les excès étaient naturellement punis et, s’ils semblaient importants, j’étais tenu d’en informer le service dont je dépendais, c’est-à-dire dans ce cas l’État. J’ai dû faire des rapports de ce genre contre deux Sturmbannführer et un Sturmführer qui m’étaient affectés. Tous trois furent immédiatement relevés de leurs fonctions et poursuivis.
Avez-vous infligé vous-même des punitions et lesquelles ?
N’a-t-il pas été déjà question de cela devant la commission ?
En partie, Monsieur le Président.
Vous parlez maintenant du cas de trois officiers. Ou on en a parlé devant la commission ou bien on en n’a pas parlé.
II en a déjà été fait mention devant la commission. Ce qu’il y aurait à ajouter aujourd’hui, ce serait la question de savoir s’il n’y a pas eu, outre ces trois officiers, des miliciens SA punis et renvoyés.
Alors, vous pouvez passer sur cette affaire des trois officiers.
Est-il exact qu’outre ces officiers dont vous avez parlé devant la commission, il y a eu aussi des miliciens SA renvoyés à ce même sujet ?
Oui.
Est-il exact qu’en raison de votre direction bien régulière du camp d’Oranienbourg, vous êtes devenu chef du service pénitentiaire du ministère de la Justice du Reich ?
Je suis entré en 1934 au service de l’administration prussienne de la Justice. Je ne suis pas devenu chef du service pénitentiaire du Reich, mais j’ai pris la direction de la section la plus importante de ce service, les installations d’Ems, dont je fus commandant. Je devins ensuite, au cours de l’année, directeur d’établissement pénitentiaire, et je suis resté dans le service pénitentiaire.
A ce sujet, il est peut-être nécessaire d’examiner ce que vous entendiez par Police auxiliaire SA.
La Police auxiliaire SA était, comme le nom l’indique, une aide de la Police. Afin de pouvoir, selon l’ordre donné, accomplir la révolution sans verser de sang, il était naturellement nécessaire d’exercer une surveillance renforcée. Comme les forces de Police dont on disposait n’étaient pas suffisantes, l’État se servait d’un nombre relativement petit de miliciens SA qui pouvaient prouver par certificat de police une réputation particulièrement bonne et qui devaient avoir mené jusqu’alors une existence irréprochable. Ils étaient initiés à leur service par des policiers anciens et expérimentés, et ils ont ensuite fait leur service en commun avec les policiers dans le cadre des obligations générales de la Police. Mais ce ne fut là qu’une mesure passagère.
Que considériez-vous comme votre tâche, étant commandant du camp d’Oranienbourg ?
J’avais pour tâche d’abord de diriger le camp du point de vue propreté et correction et en outre de surveiller les mesures prises contre les détenus.
Monsieur le Président, c’est avec la plus grande répugnance que j’interromps l’interrogatoire du Dr BÖHM, mais je constate qu’il ne s’est pas tenu aux instructions que vous avez données à la Défense en diverses occasions pendant la dernière semaine. Ce témoin a fait devant la commission des déclarations que j’ai devant moi. Ce matin, le Dr Böhm traite de ces choses beaucoup plus en détail que devant la commission. Si j’ai bien compris la décision du Tribunal, le défenseur ne doit pas répéter ce qui a déjà été traité devant la commission, mais il doit choisir les points importants, les traiter et donner ainsi au président et au Tribunal l’occasion de juger le témoin et d’apprécier quelle créance il mérite.
Monsieur le Président, je vous prie de bien vouloir, contrairement aux règles de ce Haut Tribunal, limiter un peu cet interrogatoire très étendu.
Docteur Böhm, si vous ne respectez pas en cette affaire la décision du Tribunal, le Tribunal sera obligé de suspendre l’audition de ce témoin, ne l’oubliez pas.
Le Tribunal suspend maintenant l’audience et espère qu’après la reprise vous respecterez les ordres, sinon, comme je l’ai dit, nous arrêterions l’audition de ce témoin.
Monsieur le Président, j’ai réfléchi à la décision du Tribunal ordonnant que les témoins doivent être interrogés sur les sujets qui n’ont pas été traités devant la commission. Mais le questionnaire pour ce témoin s’est un peu étendu parce qu’il fallait parler des points Seger qui n’ont été connus que tout récemment, et parce que le témoin Diels a fait une affirmation sous serment sur laquelle il fallait que le témoin se prononçât. Au moment de l’audition de ce témoin devant la commission, le questionnaire et l’affirmation sous serment déposée par Diels n’étaient pas encore connus.
II n’y avait pas d’objection à l’interroger sur l’affidavit, car cela n’avait pas été traité en commission, seulement nous ne voulons pas entrer encore une fois dans tous les détails déjà traités devant la commission.
Je n’ai plus maintenant qu’environ encore dix questions à poser à ce témoin, et je prierai le témoin d’y répondre le plus brièvement possible. (Au témoin.) Témoin, y avait-il, au temps où vous étiez commandant d’Oranienbourg, une surveillance d’État sur ce camp ?
Oui, le camp d’Oranienbourg était surveillé par le Regierungspräsident de Potsdam, par le Polizeipräsident Helldorf et par des fonctionnaires supérieurs et de très hauts fonctionnaires du ministère prussien.
L’autorité de police de cercle avait-elle aussi un droit de surveillance ?
Oui, également le Landrat de l’arrondissement de Barnim.
Ces autorités ont-elles effectivement procédé à des contrôles et à des inspections ?
II y a eu souvent des contrôles et même très poussés.
Des étrangers et d’autres personnes marquantes ont-elles eu l’occasion de visiter le camp d’Oranienbourg et de parler à des détenus ?
II y a eu des visites de ce genre sur une très grande échelle à Oranienbourg et avec la participation de la presse étrangère, de la presse allemande, de personnalités privées de l’étranger en assez grand nombre qui ont eu aussi l’occasion de s’entretenir avec les détenus dans une entière franchise, à l’intérieur du camp et sur les lieux de travail.
Est-il exact qu’à l’occasion d’une de ces visites, on vous a fait cette réflexion : « Vous n’allez nous montrer de ce camp que ce que nous devons voir, et tout le reste nous demeurera caché » ?
C’est exact, on m’a fait cette remarque et là-dessus j’ai fait en sorte que les intéressés pussent ouvrir eux-mêmes les portes qu’ils désiraient ouvrir. Il n’y avait rien à cacher à Oranienbourg, et par conséquent rien à taire. Les intéressés pouvaient se faire eux-mêmes un jugement, l’occasion leur en était donnée.
Donnez-nous brièvement des indications sur le régime alimentaire dans ce camp.
L’alimentation des détenus était bonne, comme le prouve le fait que tous augmentaient de poids. Du reste, on avait fait tout ce qui était nécessaire pour tenir les internés dans des conditions dignes d’un être humain. Ils avaient même leur propre cantine où ils pouvaient acheter pour leurs besoins quotidiens.
Et maintenant encore quelques questions sur les camps pénitentiaires de la région d’Ems. Pourquoi ces camps ont-ils été créés ?
II y avait en 1933 encombrement dans les établissements pénitentiaires d’Allemagne, ce qui provenait sans doute pour la plus grande part de la grande détresse sociale qui avait régné alors en Allemagne. Le président du conseil Göring désirait tout spécialement, à cette époque, que des détenus prissent part aux grandes cultures dans la région d’Ems, et les SS avaient été alors chargés d’établir quelques grands camps pour y rassembler les détenus participant à ces travaux. Mais la large amnistie de Noël du ministre président a mis en question cette tâche, et on a alors accordé au ministre de la Justice de Prusse, Kerrl, la possibilité d’emplir les camps avec des criminels et c’est ce qui a été fait.
La Direction suprême des SA avait-elle autorité de commandement sur les camps de la région d’Ems ?
Non, c’était uniquement un camp d’État, qui ne dépendait que de l’administration de la Justice du Reich.
Vous avez précédemment dit que ce camp était peuplé de criminels de Droit commun qui travaillaient là-bas ?
Oui.
Et maintenant, je voudrais vous poser encore une dernière question Combien de miliciens SA ont été occupés dans le camp de concentration d’Oranienbourg comme gardiens et comme fonctionnaires de la Police allemande ?
Au début du camp, il y en avait environ trente à quarante, au moment des plus forts effectifs, environ quatre-vingt-dix.
Pouvez-vous me dire qui, dès le début du camp de Dachau, a fourni dans ce camp les équipes de gardiens ?
Pour autant que je sache, Dachau était un camp purement SS. Jamais les SA n’ont été employés à Dachau.
Je n’ai plus actuellement d’autres questions à poser à ce témoin, Monsieur le Président.
Témoin, vous savez probablement déjà, mais si vous ne le savez pas vous pouvez m’en croire, que pendant les huit derniers mois, ce Tribunal a entendu une grande quantité de preuves au sujet des camps de concentration. Niez-vous maintenant que, dès l’année 1933, les camps de concentration ont été considérés avec terreur dans toute l’Allemagne ?
Monsieur le Procureur, je n’ai pas entièrement compris cette question.
Je vais la répéter : niez-vous que, dès 1933, les camps de concentration ont été considérés avec terreur dans toute l’Allemagne ?
Naturellement, celui qu’on arrête éprouve toujours de ce fait une frayeur personnelle, car la privation de la liberté est à elle seule quelque chose qui l’oblige à éprouver un tel sentiment, mais il n’y avait aucune raison à ce moment-là d’éprouver une terreur devant cet internement.
Vous avez parlé ce matin au sujet de M. Gerhard Seger, député au Reichstag. Il a écrit un livre sur le camp d’Oranienbourg. Je ne parlerai pas actuellement du livre, mais vous vous rappelez que le titre était. Un peuple terrorisé. Vous rappelez-vous ce titre ?
Non, Monsieur le Procureur.
Considérez-vous que ce soit là un titre qui convient pour un livre sur Oranienbourg ?
Non.
Aurait-ce été un titre convenable pour les camps de concentration de Wuppertal ou de Hohnstein ?
Je ne peux pas me prononcer là-dessus. Je n’ai pas connu Wuppertal et Hohnstein, je sais seulement qu’on y a exercé une extrême sévérité quand des abus ont été constatés et j’ai appris plus tard que les dirigeants du camp de concentration de Hohnstein avaient été punis de très longues peines de travaux forcés et d’emprisonnement.
Mais vous savez aussi que ces peines sévères, dans les cas les plus graves, ont été réduites à environ la moitié. Vous le savez ?
Non, je n’en ai pas connaissance.
Mais vous savez aussi que le nombre des condamnés de Hohnstein était de vingt-cinq et que le communiqué officiel à ce sujet déclarait que ce n’étaient pas tous ceux qui avaient pris part aux excès commis, mais seulement les dirigeants. Saviez-vous cela ?
Cela ne m’est pas connu dans les détails. Je sais seulement qu’à ce moment-là on a pris des mesures très rigoureuses et énergiques.
Et aviez-vous alors connaissance des atrocités de Wuppertal et de Hohnstein ? A ce moment-là vous connaissiez ces atrocités, n’est-ce pas ?
Non.
Vous saviez — ou en tout cas vous le savez maintenant — que ces camps étaient dirigés par les SA, est-ce exact ?
Non, cela non plus je ne l’ai pas su.
Vous ne saviez pas que les SA les dirigeaient ?
Non, je ne le sais pas. 102
Regardez un document, témoin. C’est le PS-787, dans le livre 16 A, à la page 16, Monsieur le Président. C’est une lettre du Dr Gürtner, ministre de la Justice du Reich, adressée à Hitler, et au début de cette lettre il décrit les mauvais traitements infligés à des prisonniers, à Hohnstein, y compris les tortures par un appareil à gouttes. Si vous regardez la fin de cette lettre, environ dix lignes avant la fin, vous verrez qu’au sujet du milicien SA, principal coupable, un certain Vogel, il dit : « Par sa manière d’agir, il a soutenu dans leurs procédés les chefs et miliciens SA condamnés... »
Cela montre que les excès commis à Hohnstein ont été perpétrés par des hommes des SA, n’est-ce pas ?
Monsieur le Procureur, il ne m’est naturellement pas possible, en une courte minute, de lire un document de cinq pages. Je voudrais seulement déclarer à ce sujet que j’ai su plus tard qu’on a pris contre les chefs et hommes des SA qui s’étaient mal conduits à Hohnstein, les mesures énergiques qui convenaient. Mais je voudrais aussi faire remarquer que c’est le ministre de la Justice du Reich, le Dr Gürtner lui-même, qui m’a pris dans son service pénitentiaire comme étant un chef SA connu de lui. Il n’a donc pas généralisé ce qu’il a porté à la connaissance du Führer dans sa lettre comme un cas particulier. Il ne s’agit que de cas particuliers qui ont été punis en conséquence.
Témoin, quand vous dites que vous ne saviez pas ce qui se passait alors à Hohnstein et à Wuppertal, laissez-moi vous poser cette question : vous connaissiez assez bien Gürtner, n’est-ce pas ?
Oui.
Et vous connaissiez aussi assez bien Kerrl, n’est-ce pas ?
Oui.
Kerrl était l’oncle de Lutze ? (Pas de réponse.) Kerrl n’était-il pas l’oncle de Lutze ?
Je sais qu’il avait un lien de parenté avec Lutze, mais lequel, je l’ignore.
Et en outre, c’était un nazi très enthousiaste que ce Kerrl, n’est-ce pas ?
Oh oui !
N’avez-vous pas parlé avec Kerrl de ces camps de concentration, de ces autres camps de concentration ? Vous étiez commandant du premier camp de concentration à Oranienbourg, ne parliez-vous pas avec lui des autres camps qui surgirent soudain à cette époque ?
Non.
En avez-vous parlé avec Gürtner ?
II n’y avait pas de raison non plus, mais je voudrais dire à ce sujet que c’est principalement le ministre prussien de la Justice Kerrl qui, dans ses visités répétées à Oranienbourg, m’a choisi parce qu’Oranienbourg semblait propre et bien dirigé, et c’est lui qui m’a nommé commandant des camps pénitentiaires.
Nous allons y arriver dans une minute. Je prétends que c’est précisément parce que Kerrl s’intéressait à vous qu’il vous a en effet chargé plus tard de ce poste. C’est précisément pour cela que je prétends que vous avez probablement parlé avec lui de tout ce problème. Oui ou non ?
Seulement dans la mesure où cela concernait le camp de concentration d’Oranienbourg.
Certainement.
Je me souviens...
Avez-vous parlé avec le Polizeipräsident comte Helldorf du problème général des camps de concentration ?
Là encore, seulement dans la mesure où cela concernait Oranienbourg ; mais sur ce sujet, nous avons parlé en détail.
Ah ! Ah ! Et vous dites qu’aucune de ces atrocités ne s’est passée à Oranienbourg, n’est-ce pas ?
Oui.
Eh bien, j’ai ici une affirmation sous serment de Rudolf Diels : il a juré ce matin quand vous avez commencé votre déclaration. Je voudrais en lire un petit passage et vous pourrez dire si c’est vrai ou non.
Monsieur le Président, c’est le document D-976, qui devient GB-595. Rudolf Diels dit :
« ... J’ai reçu de divers côtés. .. des plaintes sur de mauvais traitements infligés par des hommes des SA dans des camps de concentration. J’ai appris que les gardiens SA au camp de concentration d’Oranienbourg auraient gravement maltraité les personnes suivantes : M. Ebert, fils de l’ancien président du Reich, Ernst Heilmann, chef des sociaux-démocrates prussiens, Paul Loebe, président du Reichstag et l’Oberpräsident Lukaschek. »
Et plus loin :
« J’ai moi-même constaté les mauvais traitements lors d’une inspection d’Oranienbourg. Le commandant était alors le chef SA SCHÄFER. Après mon intervention,, la situation s’est améliorée pour un moment, ensuite elle s’est de nouveau aggravée. Je n’ai pas réussi à éliminer SCHÄFER parce que la direction des SA le couvrait. »
Est-ce vrai ou non ? Vos hommes ont-ils maltraité M. Ebert, M. Heilmann, Paul Loebe et Lukaschek. Les ont-ils maltraités ou non ?
Je demande l’autorisation de donner à ce sujet l’explication suivante...
Répondez oui ou non.
Je ne peux pas.
Veuillez bien donner une explication.
Je ne peux la donner sous cette forme. M. Loebe n’a jamais été détenu à Oranienbourg. M. Lukaschek également n’a, à ma connaissance, jamais été détenu à Oranienbourg. Là, M. Diels est donc très nettement dans l’erreur. Il est exact que le fils du président Ebert y était, ainsi que Heilmann, mais je voudrais déclarer brièvement que ces deux hommes, Ebert comme Heilmann, ont été maltraités après leur entrée au camp par des codétenus, et qu’ensuite j’ai moi-même fait en sorte qu’ils fussent séparés de ces prisonniers qui les avaient maltraités. Ebert lui-même a été relâché de bonne heure, peu de semaines après son internement. Ebert et Heilmann ne m’ont jamais personnellement présenté de plaintes. Les mauvais traitements infligés par leurs codétenus ont été portés à ma connaissance par des tiers et j’y ai immédiatement mis bon ordre.
Témoin, vous avez dit devant la commission que vous vous étiez efforcé de faire en sorte que la vie des détenus fut digne d’êtres humains. Vous rappelez-vous avoir dit à la commission : « Une existence digne d’êtres humains ». Et est-ce bien l’existence que vous avez faite à Ebert et à Heilmann ? (Pas de réponse.) Je suppose que la réponse est oui, n’est-ce pas ?
Monsieur le Procureur, je ne peux pas répondre à cette question d’une façon si simple. Je n’ai pas fait de déclaration disant que j’avais placé Ebert et Heilmann dans des conditions dignes d’êtres humains, mais je me rappelle très bien avoir dit que j’ai pris soin qu’ils ne fussent pas exposés de nouveau à des mauvais traitements de la part de leurs codétenus.
Je n’ai pas demandé ce que vous avez déclaré ici. J’ai demandé ce que vous avez dit devant la commission. Et vous avez dit devant la commission que vous vous étiez efforcé de donner aux internés une existence digne d’être humains, n’est-ce pas ?
Naturellement.
Vous souvenez-vous avoir dit cela ?
Oui.
Eh bien ! Avez-vous fait à Heilmann et à Ebert une existence digne d’êtres humains ?
Oui.
Réellement ?
Je ne leur ai jamais refusé quoi que ce fut touchant à la dignité humaine. Ils ont naturellement mené l’existence que tout interné mène forcément dans un pareil camp.
Mais vous avez dit...
C’est bien compréhensible, Monsieur le Procureur...
D’après vos propres dires, vous savez que c’était un camp pour un nombre considérable de personnalités marquantes. Vous avez dit que vous vouliez leur faire à tous une existence digne d’êtres humains. Mais ne perdons pas de temps à cela. Laissez-moi vous montrer votre propre livre.
Monsieur le Président, c’est PS-2824 (USA-423). Le livre est écrit par le témoin lui-même et porte comme titre : Le camp de concentration d’Oranienbourg. Il a été publié en 1934. (Au témoin.) Témoin, je voudrais que vous regardiez d’abord la page 23.
Oui, j’ai la page.
Eh bien, à cette page vous parlez sur un ton assez sarcastique des gens qui arrivaient dans les camps. Voyez le passage très court où vous dites — et je pense que cela résume toute votre attitude à l’égard de votre camp : « Le moment était enfin venu où nos vieux miliciens SA pouvaient rafraîchir la mémoire à quelques-uns de ces excitateurs qui avaient été au premier plan de la politique. » Voyez-vous cela ? (Pas de réponse.) La traduction peut n’être pas très exactement concordante avec votre livre. Mais voyez ce passage, il est marqué entre crochets.
J’ai ce passage, oui.
Et bien, que voulez-vous dire par ces mots que vos vieux miliciens SA rafraîchissaient la mémoire de ces excitateurs ? Je croyais que vous veniez de dire que c’étaient d’autres internés qui leur rafraîchissaient la mémoire ? Mais n’étaient-ce pas vos propres hommes des SA qui ont rafraîchi la mémoire d’Ebert et de Heilmann ?
A ce sujet, je voudrais...
Enfin, vous l’avez écrit ! Laissez-moi rafraîchir un peu votre mémoire. Regardez page 173.
Monsieur le Président, je regrette beaucoup que ces passages n’aient pas été traduits. Je ne les ai relevés que ce matin.
Vous devriez le laisser répondre à l’autre question que vous lui avez posée sur la page 23.
Je vous demande pardon, Monsieur le Président, je n’ai pas remarqué que le témoin voulait dire quelque chose.
Témoin, vous vouliez dire quelque chose au sujet du passage de la page 23, n’est-ce pas ?
Oui, oui. Cette phrase de M. le Procureur est séparée du contexte. Pour pouvoir la bien comprendre il faudrait naturellement lire tout le paragraphe, car ainsi séparée — je prie qu’on me comprenne bien — elle tourne dans votre sens, c’est-à-dire dans le sens de l’Accusation, naturellement...
Eh bien ! Indiquez brièvement au Tribunal le sens du contexte.
Je ne peux naturellement pas exposer ici tout le contexte après que l’Accusation a cité une telle phrase isolée. Mais je puis vous dire qu’en parlant de dignité humaine je n’ai pas parlé à double sens ; et que la phrase ici, séparée du contexte, ne prouve pas le contraire.
Bien, je passe sur cette citation. Prenez, je vous prie, la page...
Que voulez-vous dire quant au contexte ? De quel contexte est-ce extrait ? Qu’entendez-vous par rafraîchir la mémoire ?
Permettez, Monsieur le Président, que peut-être pour moi seul je relise brièvement le contexte. Je n’ai naturellement plus mon livre si présent à la mémoire. Pour pouvoir répondre à cette question, il faut que je relise tout le passage, alors je pourrai peut-être donner la réponse que M. le Président souhaite.
Ainsi, vous dites que vous ne savez pas ce que vous entendiez par « rafraîchir la mémoire » ?
Oui.
Laissez-moi vous aider un peu en vous renvoyant à un autre passage pas bien éloigné. Ouvrez page 25 ; vous y voyez un passage entre crochets :
« Rarement j’ai vu des éducateurs aussi merveilleux que mes vieux miliciens SA qui, issus en partie du milieu prolétarien s’occupaient avec un dévouement extraordinaire de ces bagarreurs communistes aux manières de rustres. »
Le rafraîchissement de la mémoire des provocateurs — c’est-à-dire en réalité l’éducation — n’est-il pas précisément la merveilleuse éducation que leur donnaient vos vieux miliciens SA ? Qu’est-ce que cette éducation, si vous ne savez pas ce que vous entendiez par « rafraîchissement de leur mémoire » ? Qu’entendiez-vous par « éducation merveilleuse » ?
Monsieur le Procureur, je sens ce que vous voulez dire. Vous voulez sans doute m’entendre déclarer ici que des mauvais traitements ont eu lieu. Je vous ai donc, sans doute, bien compris, mais je voudrais déclarer ici...
Répondez à la question, je vous prie. Cette question est : qu’entendez-vous par l’éducation dont vous avez parlé ?
Une éducation par l’exemple personnel, Monsieur le Président, c’est cela que je veux dire, et non une éducation par de mauvais traitements ou d’autres excès.
Regardez encore la page 23. Il y a là un autre passage entre crochets. L’avez-vous ?
Oui.
Ce passage dit :
« Il serait insensé de taire que quelques-uns des intéressés n’avaient pas été traités trop doucement et ce serait du reste tout à fait incompréhensible, car un pareil traitement répondait à une nécessité urgente. »
Quelle était donc la nécessité urgente de traitement pas trop doux des prisonniers ? Voulez-vous dire que c’était un traitement purement disciplinaire ? Cela se trouve à la même page dont je vous ai lu d’abord un passage, à la même page où il est question de « rafraîchir leur mémoire ». Bien, je vais quitter ce passage et passer à la page 173.
J’aurais volontiers répondu encore à cela, Monsieur le Procureur. J’ai, dans ce livre, écrit très franchement sur ces choses et je n’hésite pas à déclarer que, dans quelques cas individuels, il était devenu nécessaire de traiter certains prisonniers d’une manière répondant à leur attitude. Je n’ai pas de raisons de taire — et je ne l’ai pas fait dans mon livre — que ces incorrigibles bagarreurs — je n’ai pas d’autre nom pour les désigner — devaient être rappelés à l’ordre en conséquence.
Vous avez écrit votre livre dans une sorte d’enthousiasme pour une Allemagne nazifiée en l’année 1934, n’est-ce pas ? Regardez maintenant à la page 173.
Je voudrais dire quelque chose à ce sujet...
Le Tribunal voudrait savoir comment vous avez traité les gens. Vous avez dit que dans certains cas, il fallait traiter les détenus « en conséquence » ; « en conséquence » veut dire sans doute « pas trop doucement ». Voilà sans doute ce que vous voulez dire ?
Monsieur le Président, la réponse à cette question est simplement celle-ci : quand un interné croyait encore devoir faire sa volonté par la brutalité — et il y a eu des cas de cette sorte — alors il était de mon devoir de lui rappeler expressément qu’à ce moment il n’en avait pas le droit.
Expliquez donc au Tribunal aussi brièvement que possible ce que vous aviez précisément contre Ebert et Heilmann. Qu’aviez-vous donc à leur reprocher qui rendît nécessaire un pareil traitement ?
Ebert et Heilmann n’ont pas subi de traitement spécial en ce sens. Nous n’avions du reste aucune raison de les traiter spécialement en quoi que ce fut. Et ils n’ont pas été traités spécialement, ainsi que je l’ai déjà déclaré, mais...
Continuez.
Ils ont été tous deux normalement traités, et ils ne peuvent déclarer d’aucune manière avoir été traités autrement. En tout cas je n’en sais rien.
Voyons un peu ce qu’était le traitement normal. Reportez-vous à la page 173. Avez-vous la page 173 ? Lisez la partie entre crochets.
Oui.
Je lis la traduction :
« Et puis, le lendemain, en pantalons de treillis et veste, Ebert avec une pelle et Heilmann avec un balai dans la cour d’entrée du camp, prêts au travail. Rien n’était si bienfaisant pour les détenus du camp que la vue de leurs principaux chefs qui, maintenant, mis à égalité avec eux, suivaient le même chemin, la même rue, se rendant au travail. »
C’est ce que vous appelez le même traitement, le traitement normal, n’est-ce pas ?
Monsieur le Procureur, chaque interné du camp, afin de ménager ses propres effets d’habillement, recevait pour le travail un pantalon de treillis et une veste. C’est ce que recevait chacun, et nous ne pouvions faire aucune exception pour Ebert et Heilmann. Du reste, tous les deux, autant qu’il m’en souvienne aujourd’hui, demandèrent à participer au travail corporel, ce qui leur a été accordé.
Vous savez, je suppose, que Heilmann, mutilé, est finalement décédé dans un camp de concentration, n’est-ce pas ?
Non, je ne le sais pas.
Vous et vos miliciens SA avez créé et dirigé le camp d’Oranienbourg sur un ordre primitivement donné par Göring, ministre de l’Intérieur de Prusse, n’est-ce pas ? Vos ordres venaient de là par la voie hiérarchique des SA ?
Oui.
Et vous avez raconté au Tribunal que les SA qui s’occupaient du camp sous votre direction étaient sous les ordres de la Police, et qu’à cet effet ils étaient devenus policiers auxiliaires. C’est ce que vous avez déclaré ?
Oui.
Dites-moi ceci : pourquoi, à votre avis, Göring a-t-il choisi des miliciens SA pour cette tâche ? Était-ce parce que la Police régulière ne voulait pas s’en charger ?
Non, Monsieur le Procureur. J’ai précédemment exposé que les forces de Police dont on disposait n’étaient pas suffisantes pour assurer l’exécution de l’ordre du Führer qui était de faire une révolution non sanglante. C’est à cet effet que le ministère de l’Intérieur de Prusse utilisait comme Police auxiliaire les miliciens SA sélectionnés.
Eh bien, admettons que la Police régulière eût été suffisante. Voulez-vous déclarer au Tribunal que si la Police régulière avait eu sous ses ordres les camps d’Oranienbourg, de Wuppertal et de Hohnstein, ces excès se seraient produits ? Auriez-vous même eu les quelques incidents dont vous avez parlé, si la Police régulière les avait dirigés ?
A Oranienbourg, Monsieur le Procureur, il y a eu dès le premier jour des fonctionnaires de Police. Comment était-ce à Wuppertal ? Je l’ignore. Mais je déclare ici qu’aucun chef ou milicien des SA qui s’est rendu coupable d’excès dans un cas particulier n’a agi d’après un ordre quelconque. Il a agi ainsi de son propre mouvement. Mais dès lors aucun ordre ne le protégeait et son acte ne le protégeait pas d’une punition qui lui était infligée.
Je prétends, témoin, que si les SA ont été choisis pour diriger le camp d’Oranienbourg, ce fut pour cette raison bien simple que c’était aux SA seuls que le mouvement pouvait se fier pour agir avec assez de brutalité dans ce camp. Êtes-vous en cela d’accord avec moi ou non ?
Non, je ne peux pas être d’accord avec vous.
Si vous avez oublié ce que Göring pensait alors de la Police régulière, je voudrais vous lire une brève citation d’un discours prononcé par lui le 3 mars 1933. Ce devait être justement au moment où il donnait l’ordre de fonder le camp d’Oranienbourg.
Monsieur le Président, c’est le document PS-1856, registre des documents 16-A, page 28, USA-437. (Au témoin.) Ce que disait Göring, précisément au moment où il vous donnait l’ordre de fonder Oranienbourg, c’était ceci :
« Mes camarades allemands, les mesures que je prendrai ne seront affadies par aucun scrupule juridique, elles ne seront affadies par aucune bureaucratie. Ici, je n’ai pas à exercer la justice, j’ai seulement à détruire et à extirper, c’est tout ! Ce combat sera une lutte contre le chaos et je ne le mènerai pas avec les moyens de Police. Un État bourgeois a pu faire ainsi. Certainement j’utiliserai aussi les moyens dont disposent l’État et la Police, et jusqu’à l’extrême, Messieurs les communistes, afin que vous ne tiriez pas ici des conclusions fausses, mais la lutte à mort dans laquelle je vous mets le poing à la nuque, je la mènerai avec ceux-là, là-bas : ce sont les chemises brunes. »
Avez-vous jamais lu ce discours, ou en avez-vous entendu parler ? Il ne semble pas que Göring ait tenu la Police régulière en haute considération quand il a ordonné la fondation d’Oranienbourg, n’est-ce pas ? Voulez-vous raconter au Tribunal que Göring, après ce discours, a voulu créer un camp aussi doux, humain et juste que vous essayez de le décrire dans votre déclaration ?
Je ne connais pas ce discours, Monsieur le Procureur, mais je lis qu’il a été prononcé le 3 mars 1933. A cette époque, le camp d’Oranienbourg n’existait pas et n’était d’aucune manière en train de s’établir ou en projet.
II a été créé dans ce même mois.
Oui, fin mars.
Eh bien, témoin, je vais vous dire en une phrase la vérité sur Oranienbourg. Quand vous avez tout d’abord installé le camp d’Oranienbourg, c’était un camp de concentration SA ordinaire, brutal. Mais à la fin de l’été 1933, vous vous êtes décidé à l’utiliser comme camp de concentration modèle, afin de montrer à l’étranger combien le système des camps de concentration était doux et juste ; est-ce exact ou est-ce faux ?
Non, Monsieur le Procureur, cela n’est pas exact. Cela n’est exact sur aucun point, et je pourrais ajouter — et dans ma situation c’est extrêmement probant quand je le dis publiquement — je pourrais citer ici les premiers prisonniers du camp d’Oranienbourg qui ont vécu alors là-bas sous ma direction, pour témoigner que je n’aurais pas été disposé à créer un camp modèle pour la simple impression extérieure ; c’était pour moi un besoin profond que la conduite correcte d’un tel camp, et je vous prie de prendre connaissance du fait que ce n’était pas pour moi une chose dictée par la raison, mais qui tenait au sentiment profond. Je voudrais encore ajouter que pour moi, qui sortais de la lutte politique alors très rude en Allemagne, il était devenu clair qu’on ne renforce pas sa propre position en faisant des martyrs. Logiquement, je ne pouvais pas avoir et n’ai pas eu intérêt à faire des martyrs.
N’avez-vous pas écrit votre livre en partie avec l’idée de convaincre les étrangers grâce à votre camp modèle ? N’est-ce pas là, pour une part, l’idée de fond de votre livre ? Il a été écrit pour convaincre des étrangers, n’est-ce pas ? Vous l’avez dit devant la commission : vous le savez bien.
C’est très exact, je l’ai dit... Je demande pardon, je voudrais achever cette explication. J’ai dit alors, comme je le dis aujourd’hui : ce livre a été consciemment écrit par moi pour réfuter, comme c’était mon devoir, les rapports mensongers — je ne puis les désigner autrement — qui avaient paru à l’étranger sur ce camp. C’était, me semble-t-il, mon droit qu’il m’était permis de revendiquer.
Qui vous a chargé d’écrire ce livre ? Était-ce Göring ? Göring vous a-t-il proposé de l’écrire ?
Je peux déclarer en toute franchise que je n’ai reçu d’aucun côté mission d’écrire un livre, mais...
En avez-vous parlé avec Göring ?
Non, je crois que M. Göring me voit aujourd’hui pour la première fois, et je le vois aussi pour la première fois à cette distance. Nous n’avons jamais parlé de ces choses.
Avez-vous consulté le ministre de la Justice de Prusse, quand vous avez écrit votre livre ?
Non, j’ai déjà déclaré nettement, Monsieur le Procureur, que je ne me suis entretenu de ce livre avec aucun tiers et que je l’ai écrit après avoir reçu une quantité d’informations de presse, et parce que je voulais, par moi-même, apporter une justification pour le camp d’Oranienbourg. J’ai considéré aussi qu’il était de mon devoir...
Et bien, parlez-nous de ces comptes rendus de presse. Étaient-ce des critiques concernant seulement Oranienbourg ou bien sur d’autres camps aussi. Oranienbourg était-il le seul critiqué ? Peut-être était-ce ainsi ?
Les articles ? Je n’ai pas entendu dans mon écouteur la première déclaration, Monsieur le Procureur.
Vous nous avez parlé de nombreux articles hostiles qui exigeaient une réfutation. Étaient-ils hostiles seulement à Oranienbourg ou bien à d’autres camps aussi ?
Naturellement, je n’ai répondu qu’aux articles qui concernaient Oranienbourg. Je ne me suis pas occupé d’autres camps.
Ce n’est pas ce que je vous ai demandé. Y avait-il d’autres articles sur d’autres camps ? Avez-vous vu des articles concernant d’autres camps ?
Je ne me rappelle pas. On ne m’envoyait que les articles concernant Oranienbourg.
Qui vous les envoyait ? Göring ?
Ils venaient de toutes les couches possibles de la population et en partie aussi d’étrangers qui avaient intérêt à me montrer leurs notes de presse.
Eh bien, l’un de ces articles a paru dans le journal quotidien anglais Times. Est-ce exact ? Vous l’avez reproduit dans votre livre. Cet article était très hostile à Oranienbourg.
Monsieur le Président, des extraits de cet article se trouvent dans le registre des documents 16-A, page 35. C’est la pièce PS-2824-a. (Au témoin.) Je veux seulement vous montrer deux ou trois courts extraits parce que j’affirmerai qu’ils correspondent absolument à la vérité ; c’est, je crois, à la page 112 de votre livre.
« ... Nous arrivons au camp de concentration à Oranienbourg. Il nous a fallu rester plus de trois heures en rang au garde à vous ; quiconque voulait s’asseoir recevait des coups... chacun reçut un petit récipient avec du café et un morceau de pain noir, notre première nourriture ce jour-là. »
Et un peu plus bas :
« Les prisonniers de marque étaient battus plus souvent que les autres ; mais chacun recevait sa pleine ration de coups... »
Et encore un peu plus bas :
« Ils arrivaient même à les enduire complètement de cirage noir et le lendemain ils s’assuraient si tout était bien lavé. »
Et enfin :
« La plupart des prisonniers avaient interdiction de dire un mot des coups reçus ; mais toutes les nuits nous pouvions entendre leurs cris. Ceux qu’on relâchait du camp avaient à signer deux papiers : un papier blanc disant que le traitement au camp était bon et un papier bleu... »
Cet article cite encore parmi d’autres détenus bien connus un certain Dr Lévy. Est-ce exact ? Vous rappelez-vous le Dr Lévy ?
Oui.
Dans votre livre, vous avez publié, après l’article du Times, une lettre adressée par le Dr Lévy au Times le 25 septembre 1933 et dans laquelle le Dr Lévy — environ six jours après la parution de cet article — niait qu’il y eût eu aucune atrocité à Oranienbourg. Pouvez-vous trouver cette lettre ?
Oui.
Cette lettre du Dr Lévy a été écrite à Potsdam ? Est-ce exact ? Au-dessous de l’adresse on lit « Potsdam ».
Oui, je vois qu’il y a dans le livre : « Potsdam 25 septembre ». Mais je demande l’autorisation d’expliquer quelque chose, Monsieur le Procureur. Dans l’article dont vous venez de lire des extraits, il s’agit de jeunes dont s’occupait la communauté culturelle juive de Berlin et qui furent alors amenés à Oranienbourg. Il s’agissait d’éléments nettement criminels dont la communauté juive s’était débarrassée en plaçant ces garçons dans des asiles d’éducation après avoir versé une somme d’argent correspondante. Il est absolument inexact...
Qu’est-ce que tout cela a de commun avec le Dr Lévy ? Je disais : la lettre du Dr Lévy est-elle écrite de Potsdam ? Voulez-vous raconter au Tribunal que cette lettre a été écrite volontairement ? Ou l’avez-vous obtenue par des menaces ? Vous pouviez facilement l’avoir obtenue de lui par des menaces ? Vous le pouviez ou vous ne le pouviez pas ?
Monsieur le Procureur, je vous prie d’écouter mes explications jusqu’au bout. J’en viens immédiatement au Dr Lévy. C’est le Dr Lévy — je peux donner ici cette affirmation publiquement — qui s’est alors personnellement présenté à moi, et m’a demandé de vouloir bien faire en sorte que les pupilles qui ne se conduisaient pas bien fussent placés dans une section à part.
M. le docteur Lévy était un avocat pénal connu qui avait été interné à Oranienbourg. Il a été relâché peu après son arrivée. Moi-même je me souviens que le docteur Lévy, avant de quitter Oranienbourg, a pris cordialement congé de moi. Je ne suis pas du tout d’avis qu’il ait été d’aucune manière contraint à écrire cet article ou cette lettre adressée à moi et qui parurent dans le Times. Au contraire, je penserais que le docteur Lévy a écrit Potsdam en haut de la lettre pour faire une distinction, car le nom de Lévy n’était pas rare en Allemagne à cette époque. Peut-être a-t-il voulu indiquer par là qu’il s’agissait de l’avocat Lévy de Potsdam. Je ne peux pas imaginer d’autre explication. Je suis fermement convaincu qu’aujourd’hui encore on pourrait réussir à interroger M. le docteur Lévy. C’était alors un homme dans la force de l’âge et il doit être encore vivant. Il doit être possible de l’entendre à ce sujet. Mais je ne pourrais jamais croire que le docteur Lévy se soit laissé contraindre à écrire un tel article. Si l’on suppose qu’il en ait été ainsi, Monsieur le Procureur, qui donc aurait contraint le Times à publier ce témoignage s’il ne correspondait pas à l’opinion du journal ?
Je n’en discuterai pas avec vous. Mon affirmation est parfaitement claire : la lettre du docteur Lévy était une tentative transparente faite par vous pour réfuter l’article du Times dont vous saviez qu’il était vrai. Nous n’en discuterons pas davantage. Vous n’êtes évidemment pas d’accord avec moi, mais vous reconnaîtrez sans doute que dans son livre, le docteur Seger est apparemment d’accord avec l’article du Times. Dans son livre Une nation terrorisée il défend avec vigueur les mêmes opinions que l’article du Times. Regardez maintenant une autre lettre dans votre livre.
Monsieur le Procureur, une réponse sur ce point aussi. Le livre de Seger ne s’intitule pas Une nation terrorisée, mais Oranienbourg et M. Seger, je veux le déclarer tout de suite, a commis consciemment un parjure lorsqu’au début de son livre il a placé la formule du serment devant les tribunaux allemands et qu’il lui a fallu ensuite se voir réfuté sur toute la ligne.
Je comprends votre position à cet égard et le Tribunal, j’en suis certain, vous comprendra aussi. Mais regardez encore, avant que j’en termine, une autre lettre de votre livre. Ouvrez page 241. Y êtes-vous ? Au bas de la page se trouve une lettre d’un prisonnier que vous avez publiée à peu près comme celle du Dr Lévy, afin de montrer combien les conditions étaient bonnes, et si vous tournez la page 242, la lettre dit :
« Cher Monsieur SCHÄFER... que les journées d’Oranienbourg seront toujours parmi les meilleurs souvenirs de ma vie... »
Vous voyez ce passage : « Les journées d’Oranienbourg seront toujours parmi les meilleurs souvenirs de ma vie » ?
Oui.
Ne croyez-vous pas que c’est trop beau pour être vrai ? Ou maintenez-vous cela aujourd’hui encore ?
Monsieur le Procureur, je dirai à ce sujet ceci : assurément je reconnais que cette lettre a été écrite dans la joie débordante d’être libre, mais je ne doute pas que l’auteur ait été sincère en m’écrivant. Il faudrait l’entendre lui-même à ce sujet.
II peut avoir eu les meilleures intentions, mais pourquoi aurait-il dit que les journées d’Oranienbourg, où il était privé de sa liberté, étaient parmi les meilleurs souvenirs de sa vie ? Se peut-il qu’aucun homme...
Monsieur le Procureur, permettez-moi de dire qu’avant ces camps de concentration, il y avait eu des hommes — j’ai été l’un d’eux — qui faisaient la queue devant les bureaux où l’on timbrait les cartes de chômage : ils avaient souffert la plus dure misère et pour la première fois ils pouvaient, au camp de concentration, manger à leur faim. Voilà ce que je voulais faire ressortir ici.
Ils avaient suffisamment à manger, et vous vous souvenez que vous avez dit à la commission que vous les faisiez peser et que tous avaient augmenté de poids.
Si vous voulez regarder les deux dernières pages de votre livre, vous y trouverez un tableau de l’augmentation de poids des prisonniers pendant leur séjour au camp. Y êtes-vous ?
Monsieur le Président, c’est PS-2824, page 17, je crois... Page 32, immédiatement après l’article du Times. (Au témoin.) Et bien, c’est une liste indiquant les noms des détenus, ou plus exactement leur prénom et les initiales de leur nom, avec leur poids à un certain jour, et l’augmentation du poids au bout d’un certain temps. Or, je voudrais vous faire observer que ces augmentations de poids sont si fantastiques qu’elles ne peuvent pas être vraies. Regardez, il y en a même que vous avez fait imprimer en caractères plus gras que les autres. Regardez Hermann H., de Wriezen. Y êtes-vous ?
Oui.
Le 26 juin il pesait cinquante-quatre kilos, le 6 septembre soixante-huit kilos. Il avait donc augmenté de quatorze kilos en deux mois et demi. Et puis Erich L., qui a augmenté de quinze kilos en six mois. Plus bas Paul S., qui a augmenté de quinze kilos en quatre mois. Et puis vous verrez à la page suivante Fritz T. qui pesait d’abord cinquante-cinq kilos et qui en trois mois augmenta de presque la moitié de son poids, dix-neuf kilos en trois mois.
Ne croyez-vous pas que ces chiffres sont assez fabuleux et incroyables ? Je veux m’exprimer autrement. Je vais vous faire une autre proposition et vous verrez si vous acceptez cette explication. Si l’article du Fîmes sur la situation générale et alimentaire lamentable était vraie, et si mon affirmation, selon laquelle vous vous êtes résolu plus tard à créer un camp modèle et à améliorer les conditions, est exacte, alors cette liste des poids ne semble-t-elle pas indiquer que sous l’influence des mauvaises conditions du camp les prisonniers avaient d’abord subi des pertes de poids et qu’ensuite ils ont rapidement augmenté quand vous avez amélioré les choses. Cette explication vous plaît-elle ? Je ne dis pas qu’elle soit exacte, mais c’est une explication. Ou bien, maintenez-vous que ces chiffres sont exacts ?
Oui.
Mais je remarque que le poids du docteur Lévy ne figure pas sur votre tableau. Vous ne citez pas davantage celui du docteur Seger. Ou bien avaient-ils peut-être diminué de poids ?
Mais peut-être ont-ils conservé leurs poids. C’est seulement une liste de poids, un extrait des augmentations de poids. Je voudrais encore une fois expliquer, Monsieur le Procureur. Vous supposez d’emblée qu’il s’agit là de chiffres fabuleux. Je dis par contre que je soutiens aujourd’hui encore ce que contient ce livre. Cette liste est exacte et je vous prie d’interroger un médecin — cela dépend de vous naturellement — sur les possibilités d’augmentation de poids chez un être humain épuisé et à bout de forces par suite d’un chômage de plusieurs années, et qui se trouve mis à un régime où il reçoit tous les jours des aliments substantiels et suffisants. Mais je ne suis pas médecin, et je crois, Monsieur le Procureur, qu’un médecin pourra vous confirmer sans hésiter qu’un homme peut en quatre mois augmenter d’autant. Moi-même j’ai,, en mai de cette année, par suite de la faim, diminué de cinquante livres au camp. J’ai, au cours...
Je suppose que les gens ont été terriblement déçus lorsqu’ils furent si largement amnistiés à Noël.
Vers Noël 1933, l’état de choses en Allemagne s’était déjà beaucoup modifié et je crois pouvoir dire qu’il était bien meilleur que l’année précédente.
Je n’ai pas d’autres questions à poser, Monsieur le Président.
Avez-vous encore des questions à poser au témoin, Docteur BÖHM ?
Témoin, Hohnstein était-il un camp prussien ?
Non, autant que je sache — j’espère que je n’ai pas perdu mes notions de géographie — Hohnstein se trouve en Saxe.
Wuppertal était-il un camp d’État ?
Je l’ignore.
Savez-vous que Vogel, précédemment nommé, était fonctionnaire de la Gestapo pour la Saxe ?
Non, j’ai entendu ce nom aujourd’hui pour la première fois. Il ne m’est pas connu.
Savez-vous que ce n’est pas en qualité de membre des SA, mais comme fonctionnaire de la Gestapo, qu’il a demandé l’abolition de la procédure pénale ?
Je viens de lire dans cette lettre, que je n’ai eu que très peu de temps sous les yeux, qu’il a agi en qualité de fonctionnaire.
Savez-vous que dans la lutte pour le pouvoir, les SA ont eu trois cents morts et 40.000 blessés ?
Le nombre des morts m’est connu, mais pas le nombre exact des blessés. Je sais seulement qu’il y en eut beaucoup plus de 10.000.
N’est-il pas possible, peut-être, qu’au moment où on amenait les adversaires politiques au camp d’Oranienbourg, plus d’un milicien SA ait pensé à ces trois cents camarades morts et aux 40.000 blessés ?
Cela n’est pas contestable. Mais ils ne devaient pas en tirer des conséquences que leur interdisait d’emblée l’ordre du Führer. Cependant, on ne doit pas méconnaître que la révolution s’est produite à un moment où les tensions politiques étaient au maximum.
Aviez-vous reçu d’un côté quelconque la mission ou l’ordre d’écrire le livre Oranienbourg ?
Non, je l’ai déjà déclaré précédemment. Il n’y a eu ni ordre ni mission.
Monsieur le Président, je n’ai plus d’autres questions à poser à ce témoin.
Le Tribunal suspend l’audience.