DEUX CENT NEUVIÈME JOURNÉE.
Jeudi 22 août 1946.

Audience de l’après-midi.

LE PRÉSIDENT

En ce qui concerne le premier groupe de documents à propos desquels le Ministère Public soviétique avait présenté des objections, voici l’opinion du Tribunal : étant donné que ces documents taisaient partie du dossier des SA et que l’affidavit 82 a été autorisé par la commission, ces documents, bien que se rapportant à une époque déjà éloignée du Procès, seront autorisés. Ce sont les documents 285, 286, 287, 132 et 82.

En ce qui concerne les onze, ou plus exactement, les douze affidavits déposés par le Ministère Public britannique, le Tribunal a repris en considération les notes de Sir David Maxwell-Fyfe des 9, 14 et 15 août ; ces notes précisaient qu’à cette époque il n’y avait pas d’objection à la présentation de ces documents. Le Tribunal doit encore considérer le fait de savoir si ces documents peuvent être admis à titre de preuves contraires. Considérant la nature de leur contenu, il estime qu’ils ne peuvent être admis à ce titre et qu’ils doivent être refusés. Ils comprennent tous les affidavits, à l’exception de celui de Kurt Ehrhardt, qui fait partie d’une autre catégorie. En considération de son contenu, cet affidavit est accepté.

J’ai terminé.

M. BÖHM

Monsieur le Président, je voudrais vous prier de bien vouloir m’écouter encore un instant. J’ai évité, au cours de l’exposé de mes documents, de procéder à des citations extraites de mon livre de documents, mais ce matin, le représentant du Ministère Public a comparé, en les juxtaposant, le document SA-156 (Instructions du département SA pour l’université de Munich.) et le même document pour l’université de Cologne. Je voudrais faire remarquer qu’au paragraphe 3 de ces deux documents, est mentionné le même décret du 7 février 1937 qui dit, dans les deux cas : « Le service dans les SA est rendu obligatoire pour tous les étudiants allemands ». Pour faire comprendre pourquoi le Ministère Public a cru devoir interpréter différemment ces deux textes, je dois citer la dernière phrase du paragraphe 3 du document émanant des services de Cologne.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal décidera de l’interprétation à donner à ce texte. Nous comprenons très bien que d’un côté vous contestiez que le service dans les SA ait été obligatoire et que le Ministère Public prétende le contraire, et que les documents dont vous parlez renforcent votre point de vue. Ce n’est pas le moment de discuter là-dessus.

M. BÖHM

Je voulais simplement ajouter quatre mots à la dernière phrase de l’alinéa 3 : « ou de ne pas étudier ». Ensuite le Ministère Public russe a déclaré aujourd’hui que le document 91...

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous dire qu’il y a dans le document une erreur d’impression ?

M. BÖHM

Non, Monsieur le Président, je voulais...

LE PRÉSIDENT

Donc, vous discutez simplement de l’interprétation d’un mot. Je vous ai dit que le Tribunal décidera lui-même.

M. BÖHM

Oui, Monsieur le Président. Je dois cependant citer encore le document suivant dont le Ministère Public a prétendu que je ne l’ai présenté qu’en raison du dernier alinéa du texte. Ce n’est pas exact. Le dernier document, Allgemieine SA-91, je ne l’ai pas présenté en raison du dernier alinéa, mais du premier. Cela se rapporte à la prise de position du Procureur Général près l’Oberlandsgericht à Brunswick.

LE PRÉSIDENT

Très bien. Nous comprenons que vous comptez avec le premier paragraphe et non avec le dernier.

M. BÖHM

Oui, Monsieur le Président, je vous remercie.

M. PELCKMANN

Plaise au Tribunal. J’ai présenté hier pour la défense des SS, un résumé de 136.213 affidavits.

Je prie le Tribunal de bien vouloir ne pas confondre ce résumé avec la statistique dont j’ai dit simplement hier, à la fin de l’audience, que je la versais au dossier sans commentaire.

Tout ce que j’ai dit hier au sujet des déclarations et de l’attitude des SS se rapporte exclusivement à ces 136.000 affidavits, dépositions absolument indépendantes et dont le texte est au complet.

Quant à la statistique à laquelle j’ai fait allusion à la fin, elle est le résultat d’un questionnaire et ne doit pas être confondue avec les 136.000 affidavits.

Ce questionnaire n’a pas été fait par moi. Je ne lui attache aucune valeur, pas plus qu’aux réponses qui ont été faites. Je n’ai versé ce document au dossier que pour me débarrasser de tout le matériel que j’avais reçu. Ce questionnaire n’a pas été fait sur mon initiative. Je ne suis pas le défenseur ni le conseil des SS mentionné dans l’affidavit de M. Kurt Ehrhardt. C’est un fait bien connu du Tribunal que l’avocat de la Défense a été changé entre temps. Mais je voudrais cependant...

LE PRÉSIDENT

Très bien, nous comprenons parfaitement que cette statistique n’est pas votre œuvre. Nous en prenons acte.

M. PELCKMANN

Mais je voudrais établir d’une manière tout à fait claire que l’affirmation de M. Ehrhardt ne se rapporte pas aux 136.000 affidavits, mais à la réponse à un questionnaire : cette .statistique, que j’ai remise au Secrétariat général en l’accompagnant seulement de trois mots de commentaire. Je n’attribue aucune valeur probatoire à cette statistique.

LE PRÉSIDENT

Docteur Pelckmann, vous allez prendre la parole dans quelques jours. N’est-ce pas une affaire dont vous pourrez vous occuper à ce moment-là ? Vous pourrez alors faire la critique de l’affidavit Ehrhardt. Pour l’instant, nous n’avons pas de temps pour cela.

M. PELCKMANN

Monsieur le Président, je crois qu’il est de mon devoir, lorsque le Ministère Public présente un affidavit bien que l’audition des preuves soit terminée, je crois qu’il est de mon devoir de prendre position.

LE PRÉSIDENT

Docteur Pelckmann, je vous ai déjà dit que vous pourriez vous occuper de cela quand vous plaiderez. Le Tribunal ne désire rien entendre à ce sujet pour l’instant.

M. PELCKMANN

Pour répondre à cet affidavit de M. Ehrhardt, bien que je n’attache aucune valeur à cette statistique, je demande à faire citer deux témoins, anciens internés de ce camp, car je ne peux naturellement pas...

LE PRÉSIDENT

Si vous voulez présenter une requête, vous le ferez par écrit. Maintenant, Docteur Servatius...

COLONEL L. N. SMIRNOV (Avocat général soviétique)

Monsieur le Président, j’ai deux courtes requêtes à vous présenter au nom du Ministère Public soviétique.

La première concerne le procès-verbal de l’audience du matin du 23 avril 1946 et de l’audience du soir du 23 avril 1946 et la discussion...

LE PRÉSIDENT

N’allez pas si vite ; quel jour d’avril ?

COLONEL SMIRNOV

23 avril, Monsieur le Président, audience du matin et audience du soir. Il s’agit de la discussion à propos de l’annexe officielle au rapport de la République polonaise. Je veux parler des instructions de la Section de propagande en Pologne. Le témoin qui a parlé ici, Bühler, a émis des doutes sur l’authenticité du document en se basant sur le fait que certaines expressions lui ont semblé n’être pas du tout allemandes et même étrangères au génie de la langue allemande. Après enquête, il nous est apparu que le témoin n’avait pas eu en main le document original, mais une traduction polonaise. Cette annexe avait été traduite de l’allemand en polonais, du polonais en anglais, et de nouveau de l’anglais en allemand. Cela a naturellement apporté une certaine confusion dans l’expression. Autant que je sache, le Dr Seidl, défenseur de Frank, connaissait ce document et, quand il a été retiré du procès-verbal, il n’a pas précisé que c’était à cause des erreurs de traduction. Tous les documents utiles ont été déposés au Secrétariat général. J’ai terminé ma première requête. La seconde...

LE PRÉSIDENT

Sans en être très sûr, je crois bien que nous nous sommes déjà occupés de cette question et le Dr Seidl avait retiré son objection. Vous pourriez peut-être vous assurer que nous nous sommes bien occupés de cette question. Un document nous a été présenté par le Dr Seidl. Ce dernier nous a affirmé qu’il avait été vérifié et que tout était en règle.

COLONEL SMIRNOV

Monsieur le Président, autant que je sache, le Dr Seidl n’a pas d’objection à ce que cette partie soit exclue du procès-verbal, car la confusion a été causée par une erreur de traduction.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous dire que vous demandez l’exclusion sur témoignage de Buhler ?

COLONEL SMIRNOV

Oui, pour la partie qui se rapporte à ce document.

LE PRÉSIDENT

Nous examinerons votre demande, colonel Smirnov.

COLONEL SMIRNOV

La deuxième requête que j’avais à présenter au Tribunal, Monsieur le Président, est la suivante : Le rapport du Gouvernement polonais’, dans un certain nombre de cas, ne donne pas le chiffre exact des pertes supportées par la Pologne au cours de la guerre. Cela vient de ce qu’au moment où le rapport a été rédigé, les statistiques n’étaient pas encore terminées.

Je demande au Tribunal la permission de lui ajouter un mémorandum officiel de la Présidence du conseil de Pologne, Section des réparations. Ce mémorandum donne le chiffre total des pertes subies par la Pologne pendant la deuxième guerre mondiale. Le texte de ce document a été traduit en quatre langues : anglais, russe, français et allemand.

C’est la deuxième requête que j’avais à présenter au Tribunal. Je n’ai plus rien à demander.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous dire que vous refusez cette preuve ?

COLONEL SMIRNOV

Non, Monsieur le Président, c’est une inexactitude de la traduction. C’est un document qui complète le rapport polonais, le rapport du Gouvernement de la République polonaise, par les chiffres exacts des pertes supportées par la Pologne pendant la guerre. C’est une nouvelle preuve et non une réfutation de preuve.

LE PRÉSIDENT

Colonel Smirnov, le document est daté du 29 janvier 1946 et aujourd’hui, à la fin d’août, à la fin du Procès, vous demandez à le présenter comme preuve ?

COLONEL SMIRNOV

Monsieur le Président, ce document n’a été transmis à la Délégation soviétique que ces tous derniers temps. Il a fallu le traduire en quatre langues et cela après un certain temps. En tout cas, nous venons seulement de le recevoir.

LE PRÉSIDENT

Je ne voulais pas vous blâmer, colonel Smirnov. Mais le Tribunal estime que ce document ne peut être déposé aussi tardivement. Il est établi depuis longtemps et, même si vous ne l’avez reçu que depuis peu, il ne peut être déposé à cette époque du Procès.

COLONEL SMIRNOV

Monsieur le Président, j’ai présenté ce document uniquement parce que les données qu’il contient me paraissent apporter des précisions intéressantes sur les pertes subies par la République polonaise. Je croyais possible de compléter ainsi la documentation et c’est dans cet esprit que j’ai présenté ma requête au Tribunal.

LE PRÉSIDENT

Vous avez eu raison, colonel Smirnov, mais le Tribunal ne peut faire état de votre requête. En effet, elle est faite à une date si tardive que nous n’aurions pas le temps de vérifier le contenu des documents et que la Défense n’aurait pas, peut-être, la possibilité de rassembler les éléments, d’une réfutation.

Le Tribunal examinera les autres points sur lesquels vous avez attiré son attention.

Dr OTTO NELTE (avocat de l’accusé Keitel)

Monsieur le Président étant donné que mon confrère le Dr Servatius a été invité à prononcer sa plaidoirie, je pense que l’audition des preuves, en ce qui concerne le procès des organisations, doit être considérée comme close.

Je voudrais cependant demander au Tribunal quel sera le moment opportun pour présenter un certain nombre de preuves qui ne l’ont pas encore été. Cela concerne des accusés isolés qui, au cours de l’exposé des preuves dans le procès des organisations, ont fait des demandes de preuves ou déposé des affidavits. Puis-je le faire maintenant et, si je ne le peux, quand, cela doit-il être fait ?

LE PRÉSIDENT

Docteur Nelte, le Tribunal comprend que vous avez des preuves à déposer, preuves pour lesquelles vous avez déjà fait une demande. Les documents sont-ils prêts ?

Dr NELTE

Certainement. D’ailleurs, j’ai déjà présenté ce document au Ministère Publie et j’en ai fait part au Tribunal par écrit le 9 août.

Il s’agit pour moi de savoir à quel moment je puis présenter mes documents... Il s’agit de trois affidavits.

LE PRÉSIDENT

Vous avez ces affidavits ici ?

Dr NELTE

Oui.

LE PRÉSIDENT

Bien, Docteur Nelte ; nous pensons que vous pourriez déposer ces affidavits maintenant, à moins que le Ministère Public s’y appose.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

II n’y a pas d’objection de ma part ni, autant que je sache, de celle de M. Dodd. Je n’ai rien entendu dire à mes collègues à ce sujet, mais je ne les ai pas entendu formuler d’objection.

LE PRÉSIDENT

Vous pouvez donc déposer. En ce qui concerne les autres accusations...

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je vous prie de m’excuser : aucune objection n’a été élevée.

LE PRÉSIDENT

En ce qui concerne les autres accusés, il est bien entendu que si la Défense a des preuves supplémentaires à présenter à la décharge des organisations, elle devra le faire pendant la plaidoirie ou immédiatement après. Aucune demande de preuve présentée par la suite ne sera prise en considération. Docteur Nelte, nous sommes prêts à vous entendre.

Dr NELTE

Ces affidavits ne sont pas encore traduits car je ne pouvais en demander la traduction qu’après avoir reçu l’accord du Ministère Public. Je demande la permission de présenter...

LE PRÉSIDENT

Vous demandez que votre dépôt soit retardé jusqu’à ce que les traductions soient prêtes ?

Dr NELTE

Oui, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

Dr SAUTER

Monsieur le Président, j’ai encore à remettre deux questionnaires qui avaient été approuvés par le Tribunal, qui sont arrivés entre temps et que j’ai déjà déposés dans les délais prescrits.

Il s’agit du questionnaire n° 137 Baldur von Schirach. (Documents von Schirach-137). C’est l’interrogatoire d’un certain Gunther Kauffmann qui se trouvait sous les ordres de von Schirach à l’État-Major de la Direction de la Jeunesse du Reich.

Ce questionnaire traite essentiellement de l’attitude de von Schirach en ce qui concerne la guerre, la politique extérieure, le traitement des populations des pays de l’Est, la question juive et, en dernier lieu, la propagande à l’étranger. Ce questionnaire porte le numéro 137 du recueil de documents von Schirach.

Le questionnaire suivant (von Schirach-138) et un questionnaire russe du témoin Ida Vasseau — je répète : Ida Vasseau — qui a été interrogée entre temps une fois de plus. Je n’utiliserai de ce questionnaire que deux phrases qui se trouvent aux pages 4 et 5 et que j’ai marquées, dans la marge, d’un trait de crayon rouge. Ce questionnaire porte, comme je l’ai déjà dit, le numéro von Schirach-138.

Enfin, je dois encore indiquer le numéro d’un autre document du 11 juillet 1946. J’ai déposé devant le Tribunal l’original d’un journal, Rhein-Neckar-Zeitung , du 6 juillet 1946, accompagné d’une note écrite. Ce document prouvait que le témoin Lauterbacher, interrogé ici même dans l’affaire von Schirach, avait été acquitté entre temps par la Cour suprême britannique dans l’affaire où un certain Kremer avait accusé « le Gauleiter Lauterbacher d’avoir ordonné l’assassinat des détenus de la maison d’arrêt de Hameln.

Cet article, dans son texte original, vous a déjà été présenté le 11 juillet 1946. Il portera le numéro Schirach-139.

M. DODD

Monsieur le Président, cette question a été soulevée tant de fois par le Dr Sauter qu’à mon avis elle doit être tirée au clair. Quand ce document se trouvait entre nos mains, j’ai proposé qu’il en soit tenu compte dans l’interrogatoire du témoin Lauterbacher. Le Tribunal s’y est opposé, considérant que le document ne pouvait être retenu comme preuve. J’ai insisté à ce moment, je le dis sincèrement. Mais comme ce document avait été connu après coup, le Tribunal a refusé d’en tenir compte. Si le Dr Sauter veut y revenir maintenant, je n’y vois pas d’objection mais cela ne rendra pas grand service au Tribunal et je ne vois pas la nécessité de revenir toujours sur la même chose.

Dr SAUTER

Monsieur le Président, l’article de journal que j’ai présenté le 11 juillet date du 6 juillet 1946, sixième jour du septième mois de cette année, donc à un moment qui est postérieur à l’interrogatoire de Lauterbacher. Il est évident que ce texte n’a pas pu être considéré lors de cet interrogatoire ; cependant il pourrait être utile pour apprécier la valeur du témoignage de Lauterbacher. C’est justement M. Dodd — le Tribunal s’en souvient peut-être — qui a soulevé, en son temps, cette question de la prison de Hamein. Interrogé, Lauterbacher a nié, sous la foi du serment. Mais ce Kremer a accusé Lauterbacher dans un affidavit. Kremer a été condamné entre temps tandis que Lauterbacher a été acquitté. Je crois donc devoir porter ces faits à la connaissance du Tribunal ; cela peut lui être utile pour apprécier le crédit à apporter au témoignage de Lauterbacher.

M. DODD

Monsieur le Président, je retire mon objection. Si le Dr Sauter veut prouver que ce monsieur n’est pas un bourreau, je n’ai pas d’objection à faire. Je ne pense pas que cela ait une grande importance. Je ne m’oppose pas non plus à ce qu’il prouve que ce personnage n’a empoisonné ni pendu personne. Von Schirach a rejeté le document et le Dr Sauter veut prouver qu’il n’a, en aucun cas, été un bourreau. Je ne vois pas que nous ayons la moindre raison de nous y opposer.

Dr SAUTER

Monsieur le Président, je ne veux pas démontrer que Lauterbacher n’est pas un bourreau, car jusqu’à présent le Ministère Public lui-même n’a pu le prétendre sérieusement. Tout ce que je veux prouver, c’est que le témoin qu’a présenté le Ministère Public d’ans un affidavit, à savoir ce Dr Kremer, n’est pas un témoin à qui on puisse accorder du crédit et que c’est lui qui a menti. Sur cette question de la confiance à lui accorder, on a vu ici même ce qu’il fallait penser d’une part, de l’affidavit de Kremer et, d’autre part, du témoin Lauterbacher.

LE PRÉSIDENT

Quelle est la nature du document que vous désirez déposer ? Est-ce un article de journal ?

Dr SAUTER

Le journal — je l’ai déjà dit — est le Rhien.-Neckar-Zeitung du 6 juillet 1946 ; et j’ai présenté ce document au Tribunal le 11 juillet 1946, selon les règles, avec un formulaire.

C’est tout ce que j’avais à dire, Monsieur le Président. Je vous remercie beaucoup.

LE PRÉSIDENT

Très bien, nous prendrons votre demande en considération. Maintenant, au Dr Servatius.

Dr SERVATIUS

Monsieur le Président, les traductions anglaises devaient être prêtes ce matin. Il est possible qu’elles le soient à l’heure qu’il est, mais je n’en suis pas sûr. Je n’ai donc ici que le texte allemand et j’en ai remis un exemplaire aux interprètes.

Monsieur le Président, Messieurs les juges, le Ministère Public a demandé que le « Corps des chefs politiques » soit déclaré criminel. De quoi les personnes groupées sous ce titre sont-elles accusées ?

L’enquête a porté sur la persécution des Juifs et la lutte contre l’Église, ainsi que sur la dissolution des syndicats ; l’ordre de lyncher les aviateurs forcés d’atterrir, les mauvais traitements infligés aux étrangers, l’arrestation des adversaires politiques et les méthodes policières de surveillance et de dénonciation.

Il convient d’abord de se demander quel est le véritable sens juridique de l’accusation : toutes les actions énumérées ont-elles été menées en commun par les membres du Corps des dirigeants politiques dans le but de déchaîner une guerre d’agression, ou bien cette organisation a t elle été constituée dans le but de commettre des crimes de guerre ?

Pour commencer, il faut préciser que toutes les actions qui ne s’expliquent pas par ces motifs ou qui n’appartiennent pas, en tant qu’actions séparées, au plan commun de la conspiration, ne sont pas retenues par l’Accusation.

Les plus grands crimes, tels que l’extermination des Juifs et la mise à mort des adversaires politiques dans des camps de concentration, ne sont pas des crimes contre l’Humanité dans l’esprit du Statut, et les mesures de moindre importance telles que le mouchardage ou le truquage des élections sont en elles-mêmes, par rapport à ce Procès, négligeables, s’il ne peut pas être prouvé qu’elles ont eu pour but les crimes définis par l’article 6 du Statut : crime contre la Paix et crimes de guerre selon le Droit international.

J’ai déjà exposé ce point de vue juridique sans rencontrer d’objection. Pour étayer mon opinion, je me reporterai au protocole de Berlin, du 6 octobre 1945, rectifiant le Statut. Il s’agit d’un accord entre les quatre puissances signataires du Statut, accord se rapportant à un seul point : le changement d’un point-virgule en virgule. Cet accord concerne la correction du texte de l’article 6, c qui est séparé en deux parties, dans les textes français et anglais, par un point-virgule ; dans ce cas, les crimes contre l’Humanité devenaient passibles de poursuites, même s’ils n’accompagnaient pas les crimes contre la Paix ou les crimes de guerre, lesquels étaient de la compétence du Tribunal. Cette possibilité d’intervenir dans les affaires intérieures d’un État, sans relation avec la guerre, disparaît quand on interprète le texte de l’article 6, c en se conformant au texte russe. Toute possibilité d’intervention motivée par des considérations humanitaires se trouve alors exclue pour le Tribunal.

Le Ministère Public, dans toutes ses déclarations de principe, a eu la préoccupation constante de rattacher toutes les accusations aux crimes contre la Paix et aux crimes de guerre, et d’apporter la preuve du complot.

A qui s’applique l’accusation portée contre le Corps des dirigeants politiques ?

En vertu du Statut, il appartient au Ministère Public de délimiter l’ensemble de personnes qui, en tant qu’organisation ou groupe, doit être déclaré criminel. Ici, l’accusation est dirigée contre le Corps des chefs politiques, suivant la terminologie nationale-socialiste.

Malgré cette désignation qui semble faire allusion à une organisation cette dernière n’a pas existé. L’ordonnance de Hess, représentant du Führer dans le Parti, en date du 27 juillet 1935 — document n° 12 — avait expressément interdit la désignation d’« organisation politique » pour désigner un ensemble de personnes. La raison donnée était qu’il ne pouvait y avoir d’organisation particulière au sein du Parti. Effectivement, il ne s’agit pour cet ensemble de personnes que de fonctionnaires tels qu’en possède chaque parti dans ses organismes dirigeants.

Mais il est incontestable qu’on se trouve en présence d’un certain nombre de personnes que leur titre permet de désigner comme dirigeants politiques.

Il ne s’agit pas d’un groupe qui s’est formé de sa propre initiative : on n’entrait pas dans le cercle des dirigeants politiques en donnant son adhésion, mais à la suite d’une nomination où la personne nommée n’avait aucune part, en vertu d’un acte de souveraineté.

La situation juridique de ces personnes était celle de tout fonctionnaire que sa nomination fait entrer dans les cadres de la hiérarchie. Comment un ensemble hiérarchisé de fonctionnaires pourrait-il être assimilé à une organisation politique ? Eh dehors de cela, le dirigeant politique a le droit de porter l’uniforme de sa charge. Il prête un serment analogue à celui que prêtent les fonctionnaires et les soldats, rédigé sous une forme identique.

Par contre, les devoirs et les activités des membres du Corps des dirigeants politiques sont extrêmement variés en nature et en importance. L’activité de certains d’entre eux était consacrée à des organismes tels que le Front du Travail allemand ou l’Assistance Publique. Leur rôle était purement administratif et ils ne portaient l’uniforme que pour des raisons de décorum. C’étaient les membres des diverses associations affiliées qui, à ma connaissance, ne sont pas impliquées dans l’accusation.

Les autres dirigeants politiques tenaient les commandes de la machine politique proprement dite ; ce sont les hauts dignitaires et les membres des états-majors politiques qui ont été désignés par l’Accusation par les noms de « top leaders » (chefs suprêmes) ou « main leaders » (chefs principaux).

Il ressort de l’exposé des charges de l’Accusation que par ces mots « Corps des dirigeants politiques », le Ministère Public n’entend désigner que les membres mentionnés en dernier lieu. Ceux-ci s’échelonnent du Reichsleiter au Blockleiter.

Dans les associations affiliées, les chefs politiques ne sont impliqués que dans la mesure où leur activité s’est manifestée au sein des états-majors politiques groupés autour des Hoheitsträger.

Ce groupe de personnes ne peut être considéré comme un groupe particulier, définissable, que dans la mesure où il existe entre les personnes certains rapports dans la subordination, le pouvoir disciplinaire, la marche des affaires.

Le nombre des personnes ainsi visées a été évalué par l’Accusation, d’après le nombre des services existant en 1934, à environ 600.000. D’après le document utilisé par l’Accusation (document 2958), les services des États-Majors ne sont pas compris dans ce chiffre ; les calculs montrent qu’outre les hauts dignitaires il y avait, en comprenant les Zellenleiter et les Blockleiter, 475.000 postes environ occupés par les dirigeants politiques des États-Majors. Pour l’année 1939, le nombre des dirigeants politiques des États-Majors politiques s’élève à environ 1.000.000. On peut déduire de la statistique du Parti qu’en raison de l’importance des mouvements de personnel, leur nombre s’accroît en douze ans d’une fois et demie, donc a fini par s’élever à environ 2.500.000. Au début, le nombre des postes atteignait un chiffre d’eux fois moins élevé. En laissant de côté les membres des Ortsgruppenstäbe, on arrive au chiffre de 1.500.000.

Dans ces chiffres ne sont pas compris les fonctionnaires des États-Majors qui n’ont pas été nommés chefs politiques et ceux qui, pendant la guerre, occupant des emplois secondaires, remplissaient à titre honorifique des fonctions de dirigeants politiques ; pendant la guerre, ceux-là étaient surtout des Blockleiter et Zellenleiter ; d’après les déclarations des témoins, on peut estimer leur nombre à 600.000. Si, avec le Ministère Public, on inclut ces personnes dans l’ensemble des dirigeants politiques, le chiffre total des intéressés atteindra 2.100.000. Ce nombre s’augmente encore du fait qu’il y avait dans les États-Majors un certain nombre de personnes qu’on ne peut ranger sous la dénomination de dirigeants politiques. Du fait que la demande du Ministère Public se limite aux dirigeants politiques, un certain nombre de personnes des États-Majors politiques ne peut être visé : il s’agit de ceux qui, bien que n’ayant pas été nommés dirigeants politiques, en remplissaient un emploi. On ne saurait après coup étendre l’accusation à ces personnes sans causer de préjudice aux intéressés, car ils n’auraient pas eu la possibilité de demander à être entendus lors de la première annonce du Tribunal.

Avant de traiter de la question de savoir si le groupe ainsi défini doit être déclaré criminel, il y a lieu de se demander si l’accusation est valable du point de vue du Droit international.

D’après l’article 50 de la Convention de La Haye, les sanctions collectives contre la population ne sont pas admises, à moins que toute la population ne puisse être considérée comme coupable d’un acte déterminé. Ceci demeure une mesure exceptionnelle pour le cas où la protection des forces d’occupation devrait être assurée.

Entre temps, il est interdit de prendre une semblable mesure pour des considérations politique générales. On ne peut pas punir un groupe parce qu’on attribue à ses membres la responsabilité de la guerre ou celle de la résistance morale. On ne peut pas arrêter tous les « commissaires politiques » ou tous les Juifs à cause de leur attitude politique. La décision de la Convention de La Haye est basée sur le principe individuel de la loi criminelle démocratique qui n’a pas encore perdu son prestige.

Il reste à examiner officiellement si la demande du Ministère Public est légitime ou si le Statut annule l’article 50 de la Convention de La Haye.

Si le chef d’accusation est recevable, il faut examiner si la complicité du groupe peut être prouvée. Ni la Convention de La Haye, ni le Statut ne précisent de quelle manière cette preuve doit être fournie.

On peut appliquer deux principes : celui du Droit ou celui de l’utilité.

Le principe du Droit exige qu’on fasse la preuve de la culpabilité individuelle et qu’on ne condamne pas un groupe « même quand, parmi ses membres, on ne compte qu’un seul juste ».

Dans le principe d’utilité est inclus, à l’égard des innocents, un principe majoritaire, de telle sorte qu’on punit des innocents plutôt que de ne pas poursuivre les coupables.

Le Ministère Public a déclaré à plusieurs reprises qu’il punirait les coupables mais qu’en aucun cas il ne visait ni à tendre des pièges aux innocents, ni à les prendre au filet.

Ces déclarations sont basées sur le principe du Droit, mais la demande elle-même, affirmant que le groupe est criminel, est basée sur des considérations d’utilité. Cette contradiction apparente ne peut être résolue que si la décision du Tribunal peut être considérée comme un moyen de procédure destiné à remédier à l’absence de preuves.

L’instruction préliminaire a mis en cause un certain nombre d’innocents, mais ceux-ci ont le droit, au cours des procès ultérieurs, « d’élever leurs objections », comme l’a déclaré Justice Jackson.

Dans sa décision du 13 mars 1946 concernant le règlement de la présentation des preuves, le Tribunal a déclaré possible l’application du principe majoritaire ; une base déterminée concernant la décision elle-même ou son effet définitif sur les procès individuels ultérieurs n’a pas été définie.

La décision du Tribunal à ce point de vue doit dépendre essentiellement des effets à attendre de son jugement.

C’est pour cette raison que la loi n° 10 du Conseil de contrôle du 20 décembre 1945 est de la plus grande importance. D’après texte de cette loi, il semble que le simple fait d’appartenir à une organisation ou à un groupe déclaré criminel est passible de condamnation. Si tel était le cas, la mise en cause des innocents dans le présent Procès constituerait une grave rupture du principe de la faute personnelle qui forme la base du Droit pénal moderne.

Une telle interprétation ne serait pas compatible avec le texte du Statut. Il est dit, à l’article 10, que l’objection selon laquelle l’organisation n’aurait pas été criminelle n’est pas recevable ; mais il est laissé à chacun la possibilité de faire valoir qu’il n’avait pas eu connaissance de son caractère criminel.

De même il ressort de l’article 11 du Statut qu’une condamnation n’est prévue qu’en cas de « participation à une activité criminelle ».

La presse d’information et la radio s’expriment aussi dans ce sens.

Ici se pose la question suivante : sur quels éléments se fonder pour apprécier le caractère criminel d’un groupe, appréciation décisive pour pouvoir porter un jugement.

Le point de vue du Tribunal est exprimé dans la décision du 13 mars 1946. Le point essentiel est celui de la participation au complot. Celle-ci suppose le groupe formé dans le but de commettre un acte déterminé, criminel au sens de l’article 6 du Statut. Mais, pour chacun des conspirateurs pris en particulier, la complicité ne peut être établie que s’il a une connaissance concrète du crime envisagé. Selon l’avis du Ministère Public, cette connaissance est fondée sur le caractère de notoriété des faits incriminés ou sur l’information complète et particulière des dirigeants politiques. La persécution des Juifs et la lutte contre l’Église étaient notoires en tant que tendances générales. Par contre, les excès criminels qui en résultaient étaient ignorés.

Il y a plus important encore dans cet ordre d’idées : la notoriété des faits incriminés doit s’accompagner de la notoriété des motifs.

Dans la mesure où il ne s’agit pas de véritables crimes de guerre :, le motif de la guerre d’agression doit être connu ; les actions doivent pouvoir être reconnues comme les premières manifestations d’une guerre d’agression. Dans ce cas seulement, on peut parler de participation à un complot criminel.

Or, le Ministère Public conclut que ces motifs découlaient, pour les personnes en cause, de la doctrine même du national-socialisme ; les buts qu’elle fixait devaient nécessairement conduire à la guerre d’agression ; s’il en est ainsi, l’organisation du Parti, le recrutement de ses membres, la prise du pouvoir, deviennent des actions criminelles commises en vue d’une guerre d’agression.

On affirme l’existence d’une association qui avait pour but de mener à une guerre d’agression ou de commettre des crimes de guerre. Cette affirmation est-elle fondée ?

Les directives que devaient suivre les dirigeants politiques étaient contenues dans le programme du Parte et dans Mein Kampf. Le programme du Parti avait été vivement attaqué par les adversaires sur le plan de la politique intérieure, mais non pas critiqué par les services de politique étrangère. En 1925, la Haute commission interalliée pour la Rhénanie, à Coblence, avait approuvé le programme du Parti pour la Rhénanie ; plus tard, la Société des Nations l’avait approuvé pour Dantzig. Le Parti fut admis et, avec lui, son idéologie formulée dans le livre Mein Kampf. On savait en outre que Hitler, sur divers points, avait désavoué son livre.

Il est juste d’affirmer que les buts poursuivis par le Parti pouvaient conduire à la guerre et il est évident qu’une guerre dont le but est de s’approprier les biens d’autrui comporte nécessairement une agression contre ces biens.

Mais les slogans : « Lebensraum » (espace vital) et « Los von Versailles » (libérons-nous de Versailles) ne devaient pas nécessairement conduire à une guerre d’agression, pas plus que n’y conduit nécessairement le mot d’ordre « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ». La voie des négociations est toujours ouverte par l’appel au bon sens. De même qu’à l’intérieur d’un État la grève, l’émeute et la révolution peuvent être justifiées de la part des ouvriers s’ils défendent leur droit à la vie, de même la guerre est justifiée quand les peuples ont à défendre leur droit à la vie. Mais la voie normale est celle des négociations. Sinon chaque membre d’un parti d’opposition pourrait être poursuivi pour haute trahison.

Le fait en soi de la guerre d’agression — qu’il ne faut pas confondre avec la notion technique d’ouverture des hostilités — a été contesté avec d’importants arguments à l’appui par un grand nombre des accusés principaux, au cours du Procès devant ce Tribunal.

Si Hitler a réclamé le droit à l’espace vital, le résultat de la guerre démontre que d’autres États en ont excipé sans en condamner le principe qui est censé, en tant que « loi vitale », être la cause de cette guerre. Les archives mondiales restent fermées.

Pour la Défense, il n’importe pas tant de prouver qu’il y ait eu ou non-guerre d’agression ; il s’agit de savoir si les dirigeants politiques étaient au courant du fait et s’il avait pour eux un caractère d’évidence absolu.

Contre la notoriété des intentions d’agression, les faits parlent avec éloquence. Tout dirigeant politique devait se sentir impressionné par la volonté de Hitler de désarmer jusqu’à la dernière mitrailleuse, ainsi que par ses déclarations réitérées selon, lesquelles le malheur des autres peuples ne pourrait assurer le honneur du sien, et que le bien-être universel était à la base de la vie des peuples. Impressionnants aussi devaient être l’accord naval avec l’Angleterre, la déclaration faite à la France de ne plus vouloir élever de revendications territoriales, l’accord de Munich et, finalement, le Pacte d’amitié avec l’Union Soviétique. Celui-ci souleva une tempête de joie parce qu’il paraissait devoir amener la paix avec un adversaire considéré jusqu’alors comme le pire ennemi de l’Allemagne. Il est aussi la preuve qu’il est impossible de voir dans Mein Kampf une ligne de conduite pratique.

En ce qui concerne l’appréciation des dirigeants politiques sur le réarmement de l’Allemagne, elle fut influencée au premier chef par les explications réitérées de Hitler, selon lesquelles la « possibilité d’une alliance devait être créée par l’égalité des armements ». Il était impossible de contrôler l’importance des armements par rapport à ceux des adversaires ; d’ailleurs, Hitler lui-même avait déclaré que c’eût été pure folie pour un petit État de défier le monde entier.

Mais un fait essentiel, sans cesse rappelé aux esprits, était la véritable pierre angulaire de la conviction des dirigeants politiques : c’était que Hitler avait été au front comme soldat pendant la première guerre mondiale, et qu’il n’y avait donc pas lieu de s’attendre à ce qu’il déchaînât les souffrances d’une nouvelle guerre.

C’est ainsi que Hitler, lors du congrès du Parti, en 1936, à Nuremberg, déclara textuellement dans un appel qui s’adressait exclusivement aux dirigeants politiques assemblés :

« Pendant toutes ces longues années, nous n’avons jamais fait d’autre prière que celle-ci : « Seigneur, donne à notre peuple la paix intérieure ; donne-lui et conserve-lui la paix extérieure. Nous avons, dans notre génération, tant vécu de combats que nous n’aspirons plus — cela est compréhensible — qu’à la, paix... Nous voulons penser à l’avenir des enfants de notre peuple, travailler pour leur avenir, non seulement pour mettre leur vie à l’abri, mais aussi pour la leur rendre facile. Nous avons vu des temps très difficiles : nous ne pouvons adresser qu’une seule prière à la Providence clémente et bienveillante : épargne à nos enfants de souffrir ce que nous avons souffert. Nous ne demandons pas d’autre récompense à notre travail que la tranquillité et la paix. » (Document PL 41-a ).

Ces mots s’adressaient aux hommes qui, aujourd’hui en leur qualité de dirigeants politiques, sont accusés par le Ministère Public !

Aux idées de guerre s’opposait une politique de paix fondée sur des bases solides.

Le fait que Hitler était un ancien ouvrier influençait fortement les convictions de tous ceux qui luttaient pour le socialisme et croyaient à la réalisation des plans pacifiques. La plus grande œuvre de paix paraissait être la suppression du chômage ; un succès qui achevait de persuader tous ceux qui, de nouveau, touchaient un salaire. Ce n’est pas le génie démoniaque de Hitler qui a séduit 7.000.000 de chômeurs et autant d’ouvriers travaillant au ralenti, ainsi que leurs familles : c’est bien plutôt le fait de leur avoir procuré de nouveau du travail et du pain qui a conquis les masses.

Il est incontestable que le niveau de vie des ouvriers s’est élevé bien au-dessus de ce qui est simplement nécessaire à l’existence et que leur position sociale s’est améliorée. Au commencement de la guerre une grande œuvre sociale était en voie de réalisation : l’assurance générale pour la vieillesse. Pour les dirigeants politiques, cela n’avait pas de rapport avec une guerre d’agression.

Il y avait de plus une raison importante à ce qu’aucune publicité ne fût donnée aux événements et à leurs causes : c’est le système du secret. Les moyens employés pour garder le secret ont été exposés devant le Tribunal lors de la présentation des preuves.

Je voudrais mettre en évidence un autre point de vue : celui de la confiance dont jouissait Hitler et qui a beaucoup contribué à faire accepter la notion de conservation du secret. Cette confiance était alimentée par une immense réserve née du sentiment de réussite dû à la suppression du chômage, ce chômage qui avait amené les hommes au bord du désespoir. A cela venaient s’ajouter les succès patents de la politique étrangère.

Tout cela était étayé par l’autorité grandissante de l’État et par le rappel constant de la tradition ; ce sont là deux choses propres à influencer fortement les sentiments populaires.

A cela s’ajoutait encore une sincérité d’expression inconnue jusqu’alors sur le chapitre de la politique étrangère, sincérité que M. le Procureur français a qualifiée de « naïveté ». Au point de vue de la politique intérieure, cela eut le résultat d’affermir la conviction que Hitler ne nourrissait aucun dessein secret. Pour les millions d’adhérents, la dernière touche était apportée au tableau par le prestige, fait d’autorité et de dignité, dont Hitler avait été auréolé par son entourage, par ceux-là même de qui on aurait attendu la première critique, le premier avertissement.

Tout cela montre que les dirigeants politiques ne pouvaient pas avoir connaissance de projets d’agression.

De même, la thèse du Ministère Public selon laquelle aurait fonctionné un service de renseignements spéciaux sur les plans ne saurait être retenue ; le Procès lui-même l’a prouvé. La thèse du Ministère Public est née vraisemblablement de la supposition préalable qu’il aurait été normal de tenir au courant tous les hauts dignitaires ; or, il est maintenant bien établi qu’un très petit nombre de personnes était informé.

La situation est différente en ce qui concerne les crimes de guerre ; il ne s’agit plus ici de prouver l’existence de motifs à des événements connus, mais de prouver la connaissance des faits eux-mêmes.

Il est certain que les crimes de guerre, étant donné les motifs méprisables qui les provoquaient, étaient tenus secrets.

Le Tribunal a pu se rendre compte, lors de la présentation des preuves, de l’épaisseur du rideau de silence qui était tiré sur les pires atrocités. D’autres crimes de guerre ont été évoqués qui sont des cas isolés ; ils ne parvenaient pas à la connaissance du public. Ici, il faut prendre une position sur chacun en particulier des points précisés par l’Accusation.

Le Ministère Public a évoqué une série de faits qui, d’après le Statut lui-même, ne constituent pas des actions criminelles. J’ai montré la genèse de la structure du Parti, de la prise et du maintien du pouvoir. Les faits n’ont, en général, pas été contestés. La création d’un état dictatorial et l’interdiction de tout autre parti sont des mesures de politique intérieure que n’importe quel État a le droit de prendre s’il le juge à propos. C’est dénaturer les faits que d’affirmer que le but de ces méthodes était la guerre d’agression et que, par conséquent, elles étaient criminelles. Une telle interprétation ne saurait être soutenue.

La structure dictatoriale d’un État peut être considérée comme nécessaire à la préparation d’une guerre d’agression comme la mise en œuvre des doctrines socialistes. Ainsi, la direction de l’Économie peut servir le bien autant que le mal.

Le Ministère Public britannique s’est placé à un point de vue différent. Il a déclaré qu’il était possible d’envisager une intervention dans le but de protéger les ressortissants d’un État contre leur propre Gouvernement ; ainsi, il devient possible d’engager une guerre pour des raisons humanitaires.

Comme nous l’avons déjà remarqué, ce droit d’intervention ne figure pas dans le Statut. Et, jusqu’à présent, le Droit international ne connaît pas non plus ce droit d’intervention basé sur des raisons morales. Les croisades ne sont pas autorisées.

Quand on a pris position ici à l’égard de ce qu’on a appelé les méthodes du Parti, on l’a fait parce que les abus ont été assimilés aux crimes définis dans le Statut. Quatre documents ont été présentés qui se rapportent aux dirigeants politiques et à l’influence exercée sur des élections.

Le plus important est le document D-43 de l’année 1936. Il se réfère à une demande d’information du ministre de l’Intérieur du Reich, au sujet des fonctionnaires qui n’auraient pas satisfait à leur devoir d’électeur. Les Orsrtgruppenleiter étaient invités, en l’occurrence, à prendre position. C’est une note de la Kreisleitung de Brème. Un autre Kreisleiter, le témoin Kühl, a déclaré devant la commission qu’il n’avait pas eu connaissance d’une demande de ce genre, ce qui permet de mettre en doute le caractère général d’une telle demande d’information.

Un document, R-142, de l’année 1938, est d’une importance purement locale ; il provient du service SD de Coblence. Il mentionne la déclaration d’un chargé d’affaires régional (Kreisgeschäftsführer) sur les causes du résultat peu satisfaisant des élections influencées par des conflits personnels.

Ces deux notes traitent du résultat des élections après qu’elles ont eu lieu.

Deux autres documents, D-897 et D-902, de l’année 1938, sont des notes échangées entre les services subordonnés du SD à Erfurt sur le contrôle des élections. Une collaboration étroite avec l’Ortsgruppenleiter était ordonnée à ce propos.

En ce qui concerne la procédure à adopter envers les dirigeants politiques, il est à remarquer qu’en aucun cas ces ordres n’ont été transmis par la voie hiérarchique du Parti. Les services ont agi en toute indépendance les uns des autres.

On ne peut donc conclure à une pratique et à une connaissance des faits, d’un caractère général.

Une autre accusation se rapporte au mouchardage.

Le point de départ en est un passage du livre d’organisation (page 101 de l’édition de 1940 ) d’après lequel les propagateurs de rumeurs défaitistes devaient être signalés par les Blockleiter. Il faut rattacher à cette mesure celle de l’établissement des fichiers familiaux dont la nature posait, dans le district de Cologne, des problèmes de surveillance étendus.

La question est de savoir si ces mesures étaient adoptées d’une façon générale par les dirigeants politiques et si elles correspondaient aux instructions du Parti.

Les instructions du Parti destinées aux dirigeants politiques ordonnent le contraire. Ainsi le décret n° 127 du 5 octobre 1936, dans les ordonnances du représentant du Führer (document PL-34).

Les témoins entendus sur cette question ont attesté que les instructions avaient été suivies et que les fichiers par eux connus ne présentaient aucun caractère de mouchardage. Ce qui confirme que l’exemple du district de Cologne est un cas isolé et qu’aucune instruction de ce genre n’a été donnée aux autres districts ; c’est donc une mesure qui ne présentait pas un caractère général.

Je me réfère particulièrement ici à la déposition du Dr Kühl qui, en tant que conseiller à la Cour d’appel, était le rapporteur compétent de la loi sur les activités subversives, au ministère de la Justice. Le témoin a attesté dans son interrogatoire du 10 juillet 1946 que les actions introduites se rapportaient, pour la plupart, à des indications de voisins hostiles et de dénonciateurs quelconques, et ne provenaient que très rarement des dirigeants politiques. La seule indication concrète sur le mouchardage est contenue dans le document D-901, présenté par le Ministère Public, dans lequel un Blockleiter, en même temps concierge de la mairie, fait une communication sur une réunion privée des membres d’une confrérie religieuse dans son bâtiment.

L’accusation de mouchardage se rattache à celles de l’abus de la prison préventive et de l’internement dans les camps de concentration. Considérer les adversaires politiques comme des ennemis de l’État et les arrêter comme tels semble être une coutume dont l’usage a fait un droit et que les politiciens se sont arrogé. Elle repose sur la réciprocité et se présente comme une compensation des pertes subies dans la, lutte politique.

Il n’y a là aucun rapport avec une guerre d’agression. Donc, l’accusation devra porter sur la pratique abusive de ces mesures ayant pour conséquences les abus et les atrocités.

Dans ce domaine, le Parti n’était pas compétent, mais bien les organismes de l’État.

D’après l’ordonnance du chef de la Police de sécurité et du SD du 10 mars 1940 (document PL-100 ), les arrestations étaient exclusivement du ressort de la Gestapo. Il était absolument interdit aux dirigeants politiques de s’en mêler (document PL-29 ). De cette façon, le secret était, dès le début, assuré.

La réalité, en ce qui concernait les camps de concentration, restait cachée aux dirigeants politiques car les prisonniers politiques, même après leur libération, étaient étroitement surveillés. C’est le document PL-100 dont, aujourd’hui, la lecture suscite l’étonnement. En ce qui concerne la connaissance des conditions de vie dans les camps de concentration, le témoin comte von Rödern, entendu devant la commission, a déclaré qu’au début de 1943 les Landesgruppenleiter de l’organisation du Parti à l’étranger avaient visité le camp de concentration de Sachsenhausen ; ils avaient alors eu l’impression que toutes les rumeurs qui circulaient à l’étranger à propos des camps de concentration étaient dénuées de fondement.

L’affidavit PL-57 du témoin Sieckmeier révèle que ce dernier avait visité le camp de concentration de Buchenwald, au printemps 1939, en compagnie de 150 invités américains. Dans l’affidavit PL-578, le témoin Wünsche assure qu’il avait visité le camp de concentration de Sachsenhausen avec une classe de l’école des douaniers de Berlin en juin 1939. Tous deux déclarent que le logement, ainsi que la nourriture, étaient satisfaisants. Trente-cinq autres déclarations émanant de dirigeants politiques qui ont visité des camps ont été recueillies dans les affidavits collectifs ; les témoins s’expriment tous dans le même sens.

Il résulte de 14.000 déclarations réunies dans l’affidavit PL-57 que les dirigeants politiques ne connaissaient rien des conditions de vie dans les camps de concentration, et à des questions posées par eux, dans sept cas ils ne purent recevoir aucune réponse ; par contre, dans cent deux cas, les réponses avaient été satisfaisantes.

J’en arrive aux documents à charge traitant de l’euthanasie.

Il apparaît qu’il ne s’agit pas là de mesures exécutées avec l’aide des dirigeants politiques et que ceux-ci n’ont pas eu, en général, connaissance de leur exécution.

Le document PS-630, une note de Hitler en date du 1er septembre 1939, montre qu’il s’agissait là de ce qu’il appelle un. « ordre spécial secret » qui fut donné directement au Reichsleiter sans portefeuille, Bouhler, et au Dr Brandt. Ni les Reichsleiter, ni les Gauleiter, ne furent mis au courant d’un tel « ordre spécial secret ». (C’est ce que montre le document 59-a, affidavit Hederich .)

D’après le document D-906, n° 3 et 6, la commission médicale désignée paraît, pour des cas individuels, s’être mise en rapport avec les directions des Gaue et des Kreise. Il est à remarquer, cependant, que précisément dans ce dernier document il est spécifié que les hauts dignitaires ne doivent pas être mis au courant, le règlement ne l’ayant pas prévu.

Cet état de choses est confirmé par l’affidavit collectif PL-59 du témoin Karl Richard Adam ; il confirme que 7.642 dirigeants politiques ont déclaré sous la foi du serment n’avoir jamais reçu d’ordres de ce genre et n’avoir jamais été chargés de participer à leur exécution.

D’autres mesures étaient prises pour que le secret soit gardé sur cette manière de faire dont on apprenait ça et là l’existence et sur laquelle circulaient des rumeurs variées. On le voit par les annotations variées qui, en marge des documents incriminés, recommandent le secret. Le témoin Meyer-Wendebom a déclaré devant le Tribunal qu’il avait demandé des éclaircissements ; on lui avait répondu qu’il s’agissait de rumeurs dénuées de fondement. Le Dr Engel (PL-59 b) ainsi que le Dr et Kreisleiter Dietrich (PL-59 c), confirment le démenti officiel des expériences d’euthanasie.

Ces mesures avaient-elles un rapport avec la conduite de la guerre ?

En fait, l’euthanasie avait déjà fait l’objet d’une discussion en 1934, comme le prouve le document M-152.

Dans la presse paraissaient des articles prudents qui, se plaçant au point de vue de l’eugénique, développaient cette idée et faisaient allusion à la sélection des forts par l’exposition des nouveaux-nés en usage dans la Grèce antique.

En tout cas, il est difficile de voir là une relation avec des intentions de guerre même si, dans le document D-906, un membre de l’État-Major d’un Gau, pendant la guerre, désigne l’euthanasie comme une mesure de guerre.

J’en arrive maintenant aux événements qui se produisaient ouvertement : la dissolution des syndicats, la persécution des Églises et la persécution des Juifs.

La « destruction » des syndicats indépendants est un fait connu. C’était un acte révolutionnaire. Il était légal ou illégal, comme tout acte révolutionnaire. Il s’agit d’un fait unique pour lequel les responsabilités sont bien établies. Les dirigeants politiques n’ont pas pris part directement à son exécution mais ils l’ont connue et approuvée.

Il y a lieu de vérifier si cette mesure était prise en prévision d’une guerre ou si elle a été déterminée par d’autres motifs.

Les cent cinquante syndicats, grands et petits, qui comprenaient 50% des ouvriers, étaient à bout de forces avant même leur dissolution. Du point de vue économique, ils étaient pour la plupart à la veille de la faillite.

Le chômage qui durait depuis des années avait vidé les caisses et augmenté les besoins d’argent. Les partis politiques qui dominaient les syndicats s’étaient trouvés désemparés devant la crise ; ils n’avaient rien pu faire contre Hitler et s’étaient résignés. Les démissions en masse de fin 1932 et début 1933 avaient fait de ces syndicats des organisations fantômes. D’autre part, les ouvriers passaient à la NSBO. Ils adhéraient ainsi à l’idée de la paix dans le travail et de la communauté qui ouvrait la voie à une solution de la crise économique. Dans le même sens, les associations de patrons furent également obligées de se conformer à la paix dans le travail et furent dissoutes.

Cette suppression de toutes les organisations visait à l’unification du travail et du capital ; le concept de la lutte des classes fut remplacé par ceux de prévoyance sociale et de fidélité. L’accomplissement de ces derniers devenait la clé qui fermerait la porte à la misère économique.

L’événement a été ainsi compris et approuvé par les ouvriers ; la collaboration sans heurts qui s’ensuivit le prouva et justifia par la suite l’action politico-économique.

Nous en arrivons à la question de l’Église.

C’est un fait connu que le national-socialisme était en lutte avec l’Église. On ignore cependant les origines de cet antagonisme : le fait que l’Église se montrait l’adversaire d’une guerre d’agression voulue et préparée.

Après les différends du début ayant trait à la puissance politique, ce furent ultérieurement des raisons de morale chrétienne qui incitèrent d’une façon croissante l’Église à la lutte contre le national-socialisime. L’Église a toujours été indifférente à l’égard de, la politique étrangère en vertu du principe : « Rendre à l’État ce qui est à l’État ». La lutte contre l’Église était en contradiction avec le programme du Parti, et Hitler lui-même ne l’a jamais prêchée ; il aurait préféré de beaucoup gagner l’Église à sa cause. Il l’a essayé avec le Concordat et il a obtenu certains succès, notamment : la déclaration de la conférence des évêques à Fulda et celle des évêques autrichiens après l’Anschluss.

La propagande contre l’Église était limitée et dirigée strictement contre le clergé faisant de la politique. Il n’y avait pas de lutte organisée contre l’Église. La séparation de l’Église et de l’État était désirable car elle devait supprimer la scission provoquée dans le peuple par les différentes confessions.

C’est ainsi que tout de suite après la prise du pouvoir en 1933, Hitler déclara au témoin comte Wolff-Metternich. qu’on ne pouvait prendre la responsabilité de combattre l’Église chrétienne (affidavit PL-62 c), et le témoin professeur de théologie Fabricius confirme cette prise de position (affidavit PL-62 a).

Pour les dirigeants politiques, la situation était claire : en effet, dès avant 1933, de nombreux étudiants en théologie, professeurs de théologie et hommes d’Église, avaient adhéré au Parti. Après 1933, un fort mouvement de retour dans le sein de l’Église se dessina parmi ceux qui l’avaient quittée sous l’influence du marxisme. Il s’ensuivit de nombreux mariages religieux et baptêmes (voir affidavit PL-62 a et 62 b).

Le témoin Schön confirme dans l’affidavit PL-62 que, sur 500 dirigeants politiques dont il a examiné les déclarations, 42% occupaient des fonctions ecclésiastiques. Les témoins Wegscheider et Kaufmann, interrogés par le Tribunal, indiquèrent que de nombreux dirigeants politiques avaient une fonction religieuse. Les évêques Dr Gröber et Dr Borning avaient été appelés au conseil d’État (affidavit comte Wolff-Metternich, PL-62 c).

La physionomie réelle de la question est fournie par le résumé d’affidavits du témoin Schoen qui, lors de l’examen de 21.131 affidavits, a constaté que dans les Ortsgruppen la vie religieuse restait inchangée et que le Parti prenait part de temps à autre officiellement et parfois même en uniforme à cette même vie religieuse. Dans les différents Ortsgruppen, les fonctionnaires entretenaient avec le clergé de bons rapports, qui s’exprimaient publiquement à l’occasion des fêtes.

Par contre, il y a lieu de signaler la lutte menée par un petit groupe anticlérical. Son activité et ses déclarations sont en contradiction avec les directives générales du Parti.

Le chef de ce groupe était Bormann. Sur vingt-trois documents présentés par l’Accusation contre les dirigeants politiques — documents relatifs à la question des Églises — il n’en est pas moins de neuf qui sont constitués par des déclarations de Bormann : sept documents concernent les SS, le S.D et la Gestapo ; quatre documents concernent trois événements locaux, et un document exprime l’opinion personnelle du Gauleiter Florian. Suit une citation prise du Mythe et un document émanant du Service du Travail du Reich.

Tous ces documents ne prouvent pas que les dirigeants politiques, dans leur ensemble, aient pris part à une lutte contre l’Église.

J’examinerai chaque document en particulier : Le document contenant les charges les plus graves est l’ordonnance secrète de Bormann, adressée aux Gauleiter, concernant le « National-socialisme et le Christianisme » (document 75). A ce sujet, il existe un affidavit du témoin Hederich, de la chancellerie du Parti (PL-620). D’après cet affidavit, Bormann avait promulgué arbitrairement cette ordonnance et Hitler lui intima alors l’ordre de la rapporter et de détruire la circulaire. Le témoin, Gauleiter Kaufmann, a confirmé ici devant la commission que ce décret a été retiré. Ceci ressort également de la déposition du témoin Hoffmann devant la commission le 3 juillet 1946.

Dans l’affidavit PL-62 b, le témoin Buth assure que l’accusé Rosenberg, lui aussi, s’était opposé à la promulgation du décret et préparait une protestation.

Le document PS-098 est une note de Bormann à Rosenberg et s’occupe d’un livre dit Catéchisme national-socialiste. C’est un exposé de vues personnelles de Bormann. On n’a pas’ trouvé de réponse de Rosenberg.

Dans cette lettre, une réunion des Reichsleiter a été proposée. L’affidavit du témoin Hederich confirme qu’une telle séance n’a jamais eu lieu.

Suit une série de documents relatant les retours à la charge continuels de Bormann dans le sens d’une séparation de l’Église et de l’État. C’est dans ce sens qu’est conçu le document PS-070 concernant les prières dans les écoles, le document PS-840 concernant l’admission des théologiens dans le Parti, et le document PS-107 contenant les directives pour la participation du RAD (Service du Travail du Reich) aux fêtes religieuses.

Les documents suivants, PS-100 et PS-101, sont des lettres de Bormann adressées à Rosenberg, exprimant le désir qu’une littérature spéciale soit créée pour les soldats. Rosenberg y est attaqué à cause de son parti pris en faveur d’un livre à tendance religieuse de l’évêque du Reich Müller. Cela établit le caractère purement personnel de l’activité de Bormann.

Dans le même sens est conçu le document PS-064, encore une lettre de Bormann à Rosenberg. Ce document demande à Rosenberg de prendre position au sujet d’une lettre jointe du Gauleiter Florian. Celui-ci avait formulé des objections à l’égard d’une brochure religieuse du général Rabenau. C’est là une opinion personnelle, nullement typique de l’attitude générale des dirigeants politiques.

Une démarche ultérieure de Bormann est mise en lumière par le document PS-116, une lettre adressée à Rosenberg, datée du 24 janvier 1939, concernant les mesures restrictives imposées aux facultés de théologie. Ici, Rosenberg ne recevait pas l’ordre d’appliquer les mesures restrictives, comme l’affirme à tort l’Accusation, mais dans la lettre on le prie simplement de donner son opinion au sujet des mesures en question.

La continuité des efforts de Bormann pour gagner Rosenberg à sa cause apparaît dans une lettre à Rosenberg datée du 17 mai 1939 (document PS-112). Ici, Bormann transmet un plan du ministre de l’Éducation du Reich, relatif à la limitation des facultés de théologie, et demande encore à Rosenberg de lui faire connaître son opinion à ce sujet ; contrairement à ce qu’a déclaré l’Accusation, il ne s’agit pas de faire immédiatement mettre les mesures envisagées à exécution.

De plus, c’est l’activité de la Gestapo qui est imputée ici aux dirigeants politiques, en vertu des procès-verbaux d’une assemblée des experts de la Gestapo en matière ecclésiastique (document PS-1815). Il n’y a pas à en tirer des preuves de l’attitude antireligieuse d’es dirigeants politiques.

En ce qui concerne la saisie des biens de l’Église, les dirigeants politiques n’y ont pas non plus de responsabilité directe.

Le document présenté sous le numéro R-101 (correspondance du RSHA) relate la saisie effectuée par les Reichstatthalter et Gauleiter et par l’Ostdeutsche Landwirtsdiaftsgesellschaft (Société agricole allemande de l’Est), société à responsabilité limitée dans le Warthegau. Ils ont agi tous deux en qualité de services d’État ; il ne s’agit pas là d’une mesure générale prise avec l’aide matérielle du Parti et connue par tous les dirigeants politiques.

Dans le document PS-072, lettre de Bormann à Rosenberg de 1941, il est expressément souligné que ce n’est pas l’affaire des dirigeants politiques de saisir les biens de l’Église.

Suivent les actions menées ouvertement contre l’Église, qui ont été énumérées par l’Accusation : les documents PS-848 et PS-849, concernant les manifestations contre l’évêque Sproll à Rothenburg. Il appert que ces actions ont été menées par des éléments étrangers à la section locale du Parti.

Le document PS-1507 traite des événements survenus lors d’un sermon du cardinal Faulhaber à Freistnig. Il ressort de ces documents que les dirigeants politiques avaient expressément reçu l’ordre de ne pas empêcher le service religieux, même si le cardinal devait prêcher contre le national-socialisme. Et, en effet, les dirigeants politiques n’ont apporté aucun trouble dans le déroulement du service religieux. Il est à remarquer que, selon ces documents, le cardinal Faulhaber s’est déclaré disposé à officier quelques mois plus tard dans la même église, et ceci « par l’entremise du bourgmestre Lederer, de Freising, qui était en même temps Kreisleiter et Standartenführer des SA ».

Il apparaît donc que ces mesures avaient moins d’importance et étaient moins généralement appliquées qu’on ne l’a affirmé, et que les dirigeants politiques ne pouvaient s’en faire, en particulier, une image exacte.

Le Mythe ne pouvait pas, non plus, leur donner une explication sur la question religieuse. Ce livre était difficilement compréhensible et n’avait jamais obtenu l’autorisation officielle du Parti (affidavit PL-62 e). Le témoin comte Wolff-Mettemidi a déclaré que Hitler considérait ce livre comme une œuvre personnelle de Rosenberg et qu’il n’était pas de son goût (PL-62 c).

La persécution des Juifs constitue le fait le plus marquant de ce Procès. Il y a lieu de l’expliquer, elle aussi, en la détachant de la guerre d’agression. Les faits sont connus :

Élimination économique des Juifs, diffamation par le port de l’étoile de David, éviction de la vie sociale, promulgation des lois de Nuremberg, évacuation vers l’Est et, finalement, extermination. Dans quelle mesure les dirigeants politiques ont-ils pris une part active à ces actions ? Ont-ils pu se rendre compte de leur nature et de leur portée ? C’est ce qu’il s’agit d’établir ici.

Les mesures légales ont été décrétées sans que les dirigeants politiques aient été consultés. Dans la mesure où elles visaient à l’élimination de l’influence des Juifs, elles reçurent leur approbation et correspondaient au programme ’du Parti.

Les lois de Nuremberg ne rencontrèrent pas non plus de résistance de leur part. Mais le port de l’étoile de David fut considéré comme une mesure humiliante. Toutefois, la vraie résistance ne commença à se manifester que lors de la saisie des biens et de l’évacuation.

L’histoire du 9 novembre 1938 est connue du Tribunal par les dépositions. Ce fut une manœuvre de surprise effectuée par Goebbels à un moment où les Gauleiter étaient absents de leurs Gaue. Comme on craignait une certaine résistance, on n’eut pas recours au mécanisme habituel employé par le Parti là où les dirigeants politiques avaient la possibilité d’intervenir, nombre de Gauleiter refusèrent de s’associer à ces mesures ou donnèrent des contre-ordres. Le témoin Gauleiter Kaufman est affirmatif à ce sujet en ce qui concerne Hambourg ; le témoin Gauleiter Wahl a déposé dans le même sens devant la commission en ce qui concerne le Gau de Souabe, et l’attitude analogue du Gauleiter de Coblence et de Trêves est confirmée par l’affidavit PL-54 ;f.

Sur le plan des Kreisgruppenleiter et Ortsgruppenleiter, l’Accusation n’a pu établir une mise en œuvre systématique des dirigeants politiques. Toutes les dépositions des témoins mentionnent le caractère de surprise des mesures, le refus de les appliquer, le manque d’unité dans l’action.

Hitler refusait, Göring refusait, Heydrich lui-même déclarait le 20 novembre 1938 aux Gauleiter et Gaurichter que les sanctions les plus énergiques seraient prises contre ceux qui appliqueraient les mesures en question (affidavit PL-54 d et e ).

Le rapport du juge suprême du Parti, Buch, document PS-3035 (USA-332 ) présenté par l’Accusation, rapport qui laissait dégénérer la punition en farce, resta inconnu. L’insignifiance des peines citées dans le rapport était justifiée par cette considération qu’on ne pouvait condamner les subordonnés alors que le responsable, Goebbels, resterait impuni (affidavit Buch PL-54 ).

Le refus de commettre des actes de violence porta à admettre la question des évacuations qui n’était en réalité que le prélude de l’extermination. On ignore à quel moment a été prise la décision d’anéantissement. Un affidavit du témoin Albert (PL-54 h) assure que Himmler, en 1942, dans un mémorandum, prétendait rechercher une solution légale et humaine de la question juive moyennant une dépense de 25.000.000.000 à 30.000.000.000 de Mark.

Ce qui était à l’origine de toutes ces mesures, ce n’était pas la conduite de la guerre, mais exclusivement la théorie raciale.

Le véritable aspect des événements qui se déroulaient à l’Est n’était connu que par de faibles rumeurs auxquelles leur atrocité même empêchait qu’on ajoutât foi ; elles étaient considérées comme une manifestation de la propagande ennemie. L’explication donnée à cet égard par la chancellerie du Parti le 9 octobre 1942 (document PL-49) est tout à fait significative. Les atrocités étaient officiellement démenties auprès des dirigeants politiques.

Le document D-908, le périodique Die Loge,, du 23 août 1944, contient une allusion au problème juif tel qu’il se posait en Hongrie, mais il ne donne aucune précision touchant la réalité des faits. Eu égard à son tirage insignifiant et au fait que cette information n’a été publiée que vers la fin de la guerre, l’article en question n’apporte pas une raison suffisante pour que soit modifiée l’appréciation de principe en ce qui concerne l’attitude générale.

La position de la masse des dirigeants politiques de tous rangs et dans tous les domaines vis-à-vis de la question juive est nettement mise en lumière par l’affidavit PL-54 qui est le résumé de 26.674 affidavits.

La question à examiner maintenant est celle de l’imputation des crimes de guerre aux dirigeants politiques.

La question juive reparaît ici au premier plan, dans le cas où des Juifs étrangers ont été mis en cause.

Les dirigeants politiques, pour la plupart, n’ont pas eu connaissance des événements qui se déroulaient en dehors du territoire du Reich. On savait, par des nouvelles de presse, que les Gouvernements d’autres pays tels que la Hongrie, la France, l’Italie prenaient les mêmes mesures que les autorités allemandes. Ce qui se passait en réalité demeurait inconnu en Allemagne. Le document PL-49 est une note d’informations confidentielles de la chancellerie du Parti (9 octobre 1942) sur des « rumeurs concernant la situation des Juifs à l’Est », informations qui devaient servir à voiler les choses et à les nier.

En ce qui concerne la germanisation de territoires slaves, trois documents ont été présentés au témoin Hirth devant le Tribunal.

Le document URSS-143 se rapporte à l’enlèvement des noms de rues en slovène et à l’usage de la langue allemande imposé aux fonctionnaires. Un examen plus approfondi montre qu’il s’agit ici d’une mesure prise par la Ligue patriotique styrienne. La Ligue patriotique styrienne n’était pas une organisation du Parti (affidavit von Rödern 6-7 ). Les événements ont eu lieu dans la petite ville de Pettau qui avait été habitée par des Allemands avant le Traité de paix de 1918.

Le document URSS-449 se réfère également à la récupération, en Carinthie et en Carniole, des territoires colonisés dans le passé par les Allemands, et le document URSS-191 montre qu’il s’agit de mesures prises par le SD dans les régions frontalières de Styrie.

De tous ces documents, il ne ressort pas de preuve suffisante pour en déduire que les dirigeants politiques ont pu avoir connaissance de mesures dont personne, en général, n’avait entendu parler.

Les critiques adressées aux dirigeants politiques en ce qui concerne l’administration des territoires de l’Est occupent une place importante dans l’Accusation. Il n’est pas possible d’établir sur la base des débats qui ont eu lieu jusqu’ici si ces critiques sont ou ne sont pas justifiées. Mais il est possible d’examiner dans quelle mesure les dirigeants politiques ont pu avoir connaissance des événements et dans quelle mesure ils en sont responsables.

Le document PS-1058 contient le discours de Rosenberg avant la campagne de l’Est, au sujet duquel son défenseur a longuement développé son point de vue. Ce discours a été tenu secret et connu uniquement d’un cercle restreint de personnes.

Le document L-221 du 16 juillet 1941 concerne la Crimée. Il contient des notes secrètes de Bormann sur une conférence faite au Grand Quartier Général du Führer.

Il n’a pas été donné une plus grande publicité à un mémorandum sur un entretien de Rosenberg avec Hitler au sujet de la Crimée (document PS-1517 ).

Le document PS-2233, extrait du journal de Frank, accuse les dirigeants politiques d’être responsables de la mauvaise situation alimentaire dans le Gouvernement Général. Le document n’apporte aucune preuve qui permette de conclure à une connaissance particulière de ce fait par les dirigeants ; politiques : en effet, en 1941, 40% de la population était sous-alimentée. D’ailleurs, on pouvait avoir connaissance des difficultés alimentaires dans les pays limitrophes ; ces difficultés pouvaient avoir été provoquées, après une guerre perdue, par des causes nullement imputables aux dirigeants politiques.

Le document R-36 montre l’horrible point de vue de Bormann sur le traitement des populations dans les territoires de l’Est. C’est une prise de position du Dr Markull, du ministère pour les territoires occupés de l’Est, dans une lettre adressée à Rosenberg en date du 19 août 1942. Le langage en est franc et rude, le refus indigné qu’il exprime montre que les idées de Bormann n’étaient pas approuvées par tous et que l’on n’a pas suivi ses directives. Précisément, le fait d’en avoir appelé librement à Rosenberg prouve que son opinion devait différer de celle de Bormann.

Il est d’autres événements auxquels une publicité plus étendue a été donnée.

Le document PS-1130 contient le discours, cité à plusieurs reprises, du Reichsleiter Koch à Kiev, du 1er avril 1943, sur la « race des seigneurs ». Le fait que Koch savait lui-même que ses vues n’étaient pas partagées ressort des documents d’après lesquels il avait déclaré que ses chefs de sections pouvaient être classés en deux groupes : ceux qui travaillaient ouvertement contre lui, et ceux qui le faisaient en secret.

Le document R-112 contient des ordonnances de Himmler en sa qualité de Commissaire du Reich pour la consolidation de la race allemande, de février et de juin 1942. Elles ont pour objet la re germanisation — qui, en soi, n’est pas inadmissible — d’anciens Allemands des territoires de l’Est. Une de ces ordonnances est, entre autres, adressée aux Gauleiter pour information. Elle ne contient aucune mention permettant de conclure à des mesures criminelles.

Le Ministère Public, en s’appuyant sur le document PS-327, arrive à la conclusion que les Gauleiter auraient été mêlés à la liquidation de « biens considérables » à l’Est. Il ressort de l’examen qu’il s’agit ici d’un règlement de comptes de firmes allemandes érigées en entreprises d’État, pour un prix de revient considérable. Par une lettre du 17 octobre 1944, les Gauleiter sont simplement invités à ne pas s’immiscer dans le règlement effectué entre temps en territoire allemand.

Il ressort de tout cela que les dirigeants politiques n’ont pu, dans l’ensemble, avoir connaissance d’actions criminelles.

LE PRÉSIDENT

Docteur Servatius, avant de suspendre l’audience je tiens à vous faire savoir que demain, vendredi, l’audience sera suspendue à 16 heures.

( L’audience sera reprise le 23 août 1946 à 10 heures.)