DEUX CENT DIXIÈME JOURNÉE.
Vendredi 23 août 1946.

Audience du matin.

L’HUISSIER AUDIENCIER

Plaise au Tribunal. Les accusés Hess et von Papen ne comparaîtront pas à l’audience.

Dr SERVATIUS

Monsieur le Président, Messieurs les juges. Hier, j’ai parlé des crimes de guerre en particulier ; maintenant, j’en arrive à l’activité de l’État-Major spécial de Rosenberg (Einsatzstab), page 39 de mon texte.

L’activité de l’État-Major spécial de Rosenberg (Einsatzstab) n’était pas une affaire officielle du Parti. Comme l’a déjà exposé le défenseur de l’accusé Rosenberg, il s’agit ici d’un ordre de Hitler qui conférait à Rosenberg une tâche personnelle et non un poste dans le Parti. Cela ressort du document PS-136 qui est une lettre de Hitler du 29 janvier 1940, et du décret du Führer du 1er mars 1942, document PS-149. Ce fait est confirmé par les déclarations faites devant la commission par le témoin, le Dr Müller, et le comte von Rödem. Un affidavit du témoin Künzler (n° 58-o) abonde dans le même sens, qui rapporte que les services du trésorier du Reich avaient appris qu’il existait une mission purement personnelle de Rosenberg.

En fait, l’Einsatzstab de Rosenberg n’était nullement une organisation du Parti. Les membres étaient des savants et des spécialistes qui n’avaient rien à voir avec le Parti, et étaient en partie des étrangers. Tous avaient été incorporés en raison de la mobilisation des services. Le chef de l’État-Major spécial à Paris n’était pas un chef politique. Leur position particulière en dehors du Parti était également reconnaissable extérieurement à leur uniforme distinct.

Le Ministère Public a conclu du financement de l’État-Major spécial Rosenberg par le trésorier général du Parti à la participation des chefs politiques. Mais il ressort du document PS-145 que ce n’était qu’une avance et que le ministère Rosenberg, en tant que service public, devait en couvrir les frais. Le témoin Künzler, fonctionnaire éminent de l’Administration générale des finances du Parti, l’a affirmé dans l’affidavit 58-a ; le témoin Dr Müller, spécialiste des questions de fonds, a témoigné dans le même sens devant la commission.

Comme preuve de la participation directe des chefs politiques, l’Accusation s’est référée ensuite au document PS-071, d’après lequel le règlement définitif des réquisitions effectuées par l’État-Major spécial Rosenberg devait être fait par les Gauleiter. Mais le document se rapporte, ainsi qu’il ressort de son introduction, aux réquisitions à entreprendre sur le territoire du Reich chez les adversaires idéologiques. Cela se rapporte au document PS-072 qui contient uniquement une proposition touchant la question religieuse. Cette proposition ne tendait pas à faire réquisitionner des biens par les Gauleiter ; elle devait plutôt faire administrer ces biens par d’autres services pour éviter des destructions jusqu’au moment de la saisie prescrite. Les documents ne peuvent se rapporter à des spoliations à l’étranger, car il n’y avait là aucune Gauleitung à qui les ordres étaient adressés.

En conclusion, donc, aucune instruction n’a été donnée sur la destination définitive des biens culturels. Le témoin Muller interrogé devant la commission et le témoin Künzler ont déclaré que l’affectation des biens devait être discutée au cours des conférences de paix.

En outre, il y a encore l’action concernant le mobilier, mentionnée par l’Accusation, par laquelle, entre autres, 70.000 installations avaient été enlevées en France. Ce fut l’œuvre du ministère des Territoires de l’Est qui fit exécuter ce travail par son propre personnel (document L-188).

En ce qui concerne les prisonniers de guerre, d’autres défenseurs ont déjà élucidé la situation juridique d’après laquelle les chefs politiques n’ont pas été mêlés à cette action.

Mais le Ministère Public a présenté aux chefs politiques le document PS-656 (USA-339). C’est un ordre de l’OKW datant de 1944. Il accorde au personnel de garde le droit de se défendre, en se basant sur la propagande ennemie qui invitait les prisonniers de guerre à employer la force. En cas de nécessité absolue, on autorise l’usage des armes. Les chefs politiques n’ont rien à voir avec cet ordre ni avec son exécution.

J’ai déjà pris position sur la question des ouvriers étrangers, en qualité de défenseur de Sauckel. Le témoin Hupfauer a fait des déclarations devant la commission et devant le Tribunal sur l’état de choses. Je me réfère, en outre, aux affidavits 55-a à d, et à l’affidavit 59 qui se compose de 15.000 attestations sous la foi du serment ; ils donnent une image certaine des conditions de travail et d’existence des ouvriers étrangers. Tout parle contre une négligence systématique et contre un mauvais traitement ou une approbation générale de ces conditions, ainsi qu’on le prétend.

Il est nécessaire de prendre spécialement position sur le document EC-68. Il s’agit ici d’une instruction de la Landesbauernschaft de Bade du 6 mars 1944 sur le traitement des travailleurs polonais.

C’est une mesure individuelle et elle date d’une époque précédant l’accord concernant la main-d’œuvre. Elle n’émane pas d’une formation du Parti ; la Landesbauernschaft est une organisation professionnelle, indépendante des formations du Parti. Ces instructions elles-mêmes ont été rapportées à la suite des accords ultérieurs concernant tous les travailleurs étrangers. La présentation des preuves a toutefois fait ressortir que ces instructions n’ont pratiquement pas été appliquées avec le consentement des chefs politiques. On se réfère en cela aux déclarations de plusieurs chefs politiques du Gau de Bade, qui sont réunies dans l’affidavit n° 68. Je me réfère, en outre, aux déclarations du témoin Mohr (Landesbauernschaft de Bavière) qui a été entendu devant la commission le 3 juillet 1946, ainsi qu’aux déclarations du 17 juillet 1946 du Gauleiter Wahl pour le Gau de Souabe, et de l’Ortsgruppenleiter Wegscheider pour l’Allgäu devant la commission et le Tribunal, les 16 et 31 juillet 1946.

En ce qui concerne les avortements pratiqués sur des ouvrières étrangères, il ressort des informations confidentielles de la Chancellerie du Parti du 9 décembre 1943 qu’une intervention n’avait lieu que si l’intéressée en exprimait le désir. L’état joint au document démontre qu’une intervention constituait une exception (affidavit Haller 56-a).

Le dernier crime de guerre qui charge tout particulièrement les chefs politiques, c’est le reproche du lynchage des aviateurs ayant fait un atterrissage forcé. Il ne s’agit pas ici de savoir si les attaques des aviateurs contre la population civile étaient légales et si l’indignation de la population était justifiée, mais on se trouve plutôt en présence du fait que l’exécution de ces aviateurs a été faite par la population, sans jugement préalable.

LE PRÉSIDENT

Docteur Servatius, comme vous passez du traitement des travailleurs étrangers à une autre partie de votre plaidoirie, le Tribunal aimerait savoir quelle est votre opinion sur le traitement des travailleurs étrangers prescrit par les chefs politiques, ou si vous estimez qu’ils ne sont pas intervenus dans l’affectation et le contrôle des travailleurs étrangers amenés en Allemagne conformément au programme du travail forcé.

Dr SERVATIUS

Je conteste que les chefs politiques aient participé au recrutement et au rassemblement des ouvriers étrangers. Ils avaient simplement à surveiller leur traitement et je prétends qu’ils ont rempli ce devoir.

LE PRÉSIDENT

Vous êtes donc d’accord sur le fait qu’ils se sont chargés de la surveillance des travailleurs ?

Dr SERVATIUS

Oui. Il y a eu une série de Gauleiter qui ont été entendus et qui ont dit qu’ils avaient été chargés de mission pour la mobilisation de la main-d’œuvre et qu’ils avaient rempli leurs obligations d’assistance.

Je viens d’apprendre que je n’aurais pas compris votre question. Il s’agit de la garde, Monsieur le Président. Ma réponse concernait-elle la garde des ouvriers étrangers ?

LE PRÉSIDENT

Les termes que j’ai utilisés reviennent à savoir si vous prétendez que vous n’aviez rien à voir avec l’affectation et le contrôle des travailleurs étrangers amenés en Allemagne conformément au programme de travail.

Dr SERVATIUS

Oui, j’ai donc bien compris Monsieur le Président, et ma réponse restera la même que celle que j’ai donnée.

LE PRÉSIDENT

Dans ce cas, vous êtes donc d’accord. Bien que vous disiez qu’ils ne soient pas intervenus dans le recrutement et l’arrestation des travailleurs destinés à l’Allemagne, les chefs politiques ont cependant participé à leur surveillance et à leur contrôle.

Dr SERVATIUS

Oui, ils ont eu la surveillance supérieure en tant que chargés de mission pour la main-d’œuvre. Ils devaient donc contrôler si le Front du Travail et les chefs d’entreprises remplissaient leurs obligations ; mais ils n’avaient pas d’autre responsabilité directe qu’un devoir de surveillance complémentaire en tant qu’organisme de Sauckel, qui voulait contrôler la bonne application de ses ordonnances.

LE PRÉSIDENT

Et vous prétendez qu’ils ne savaient pas que les travailleurs étaient venus en Allemagne involontairement ?

Dr SERVATIUS

Je ne conteste pas qu’ils y aient été obligés. Je vous accorde que les Gauleiter ont su et devaient savoir que la majorité des ouvriers étrangers venaient sur la base d’une obligation.

LE PRÉSIDENT

Je vous remercie. Nous en sommes maintenant au bas de la page 44.

Dr SERVATIUS

J’en étais arrivé à la question de la justice du lynch.

LE PRÉSIDENT

Page 44 du texte anglais.

Dr SERVATIUS

J’en étais arrivé à la page 44. Je me demandais s’il s’agissait de tirer au clair si, après cela, ces crimes de guerre avaient été tolérés et favorisés d’une façon générale par les chefs politiques.

A ce propos, cinq documents ont été présentés par l’Accusation. D’abord une ordonnance du 13 mars 1940 de Hess, représentant du Führer dans le Parti, document PS-062 (USA 646). Il concerne une ordonnance secrète sur l’attitude de la population envers les appareils qui ont dû atterrir et les chasseurs parachutistes, et il contient, au sujet de ces derniers, l’ordre de les arrêter ou de les mettre « hors d’état de nuire ».

Pour comprendre ce mot, aujourd’hui équivoque, il faut partir du point de vue qu’il s’agit ici de soldats ennemis qui avaient été détachés pour une mission spéciale ; leur capture est à peine possible de la part de la population civile, par conséquent il faut comprendre l’expression de la façon suivante : d’autres mesures de sécurité devaient être prises pour éviter des dommages.

Il est indispensable pour l’interprétation de savoir qu’en 1940 la situation aérienne était telle qu’on ne pouvait, en fait, compter que théoriquement sur de tels incidents ; c’était une mesure de précaution qui, d’après la lettre elle-même, suivait les prescriptions françaises. La mesure particulière de silence exigée dans le document s’explique peut-être par le fait que d’une façon générale la population civile recevait une instruction qui pouvait en faire des combattants.

En fait, à cette époque, on ne connaît aucun cas de violation du Droit international contre des aviateurs. « L’information confidentielle de la Chancellerie du Parti » du 4 décembre 1942 (PL-94) s’élève clairement aussi contre une telle mesure. Une procédure contre les aviateurs, comme il y en a eu au Japon, y est expressément écartée.

Il faut juger autrement les documents ultérieurs qui favorisent ouvertement le crime de guerre et y incitent. L’examen des documents tend ici à établir dans quelle mesure les dirigeants politiques ont, d’une manière générale, eu connaissance de ces faits, ou y ont participé.

L’ordonnance de Himmler du 10 août 1943, document R-110 (USA-333), s’adresse aux chefs suprêmes des SS et de la Police. Les Gauleiter compétents devaient ensuite être informés ; mais n’étaient compétents que ceux qui remplissaient des fonctions publiques, par conséquent les commissaires pour la Défense du Reich et les Reichsstatthalter. Le fait de déployer une activité poussée dans un secteur politique n’était pas, par suite, lié à cela. La chancellerie du Parti eût été compétente pour une telle exigence. Il faut en déduire que tous les Gauleiter n’étaient pas informés, non plus que les Kreisleiter et les services du Parti subordonnés. Je renvoie à la déposition du témoin Hoffmann lors de son interrogatoire du 2 juillet 1946. C’est ainsi que les autres Gauleiter ont également affirmé qu’ils n’ont eu connaissance des ordonnances de Himmler aux services de Police qu’en leur qualité de commissaires à la Défense du Reich. La circulaire de Bormann du 30 mai 1944 (document PS-057) était destinée à informer tous les chefs politiques de tolérer le lynchage des aviateurs. Elle est la conséquence de l’article de presse que Goebbels avait écrit la veille.

LE PRÉSIDENT

Je ne suis pas très sûr de comprendre votre argumentation sur ce point. Est-ce que vous dites que dans le document 110 les Gauleiter compétents ne comprenaient pas tous les Gauleiter ?

Dr SERVATIUS

Je parle seulement de ceux qui étaient commissaires à la Défense du Reich. Ils recevaient les nouvelles des services de Police, tandis que les autres, les Gauleiter qui n’avaient pas cette position dans l’État — et il y en avait beaucoup — ne recevaient pas ces informations. Un Gauleiter, en sa qualité de commissaire à la Défense du Reich, n’informait pas ses subordonnés politiques, de telle sorte qu’un Kreisleiter ne recevait pas d’information à ce sujet.

LE PRÉSIDENT

Prétendez-vous que les Gauleiter cessaient d’avoir un contrôle sur leur Gau, à moins qu’ils ne fussent nommés commissaires à la Défense du Reich, ou Reichstatthalter ?

Dr SERVATIUS

Les services étaient séparés et les instructions de service n’allaient aux Kreisleiter que lorsqu’il s’agissait d’ordonnances du Parti, si bien que...

LE PRÉSIDENT

Ce n’est pas une réponse à ma question. Je vous ai demandé si vous prétendiez que les Gauleiter avaient perdu leur autorité dans leur Gau ?

Dr SERVATIUS

Non, ce n’est pas ce que je veux dire. Je veux seulement dire que ces instructions n’ont pas été transmises par les voies habituelles de service et j’ai donné des preuves qu’en réalité les Kreisleiter n’ont pas eu connaissance de ces instructions. Il est possible qu’ils aient su ou dû, plus tard, avoir connaissance des dernières instructions, mais non de ces instructions de Himmler.

LE PRÉSIDENT

Très bien ; continuez.

’Dr SERVATIUS

J’en arrive à la lettre suivante : C’est la circulaire de Bormann du 30 mai 1944 (document PS-057) destinée à informer tous les chefs politiques de tolérer le lynchage des aviateurs. Elle est la suite de l’article de Goebbels de la veille dans lequel celui-ci s’adressa directement à la population.

Il est essentiel pour la Défense d’établir comment les chefs politiques y ont collaboré et si ces crimes de guerre ont été partout commis avec la bienveillance générale et l’approbation des chefs politiques.

On pourrait établir le contraire. Les trois Gauleiter interrogés devant la commission ont déclaré d’un commun accord qu’ils ont reconnu les effets de la circulaire et, à l’encontre des ordonnances, ne l’ont pas transmise aux Kreisleiter. Ainsi s’expriment les témoins Hoffmann, Kaufmann, Wahl, qui sont Gauleiter. Les Gauleiter de Mecklembourg, de Weser-Ems et du Tyrol ont fait des déclarations analogues (affidavit 61-e, 61-h et 61-g ).

On a agi de la même façon dans d’autres Gaue ; cela ressort forcément du fait que la plupart des Kreisleiter n’ont pas eu connaissance du décret de Bormann ; pour autant qu’ils ont reçu le décret, ils ne l’ont pas fait appliquer dans leur Kreis et ne l’ont pas transmis en raison du danger qu’il présentait. (Témoignages de Meyer-Wendeborn du Kreis d’Oldenburg, de Kühl, Kreisleiter de Hanovre-Est, de Biedermann Gau de Thuringe de Bruckmann, Kreisleiter en Hesse-Nassau, de Naumann, Kreisleiter en Saxe, d’Eber, du Gau de Westmark, du témoin Haus, Kreisleiter de Wetzlar.) Parmi les témoins qui confirment que cette ordonnance n’a pas été transmise se trouve aussi le témoin Hoffmann déjà mentionné ; le 25 février 1945, donc neuf mois plus tard, l’admissibilité du lynchage a été transmise dans son district. Ce qui caractérise l’attitude des dirigeants politiques dans cette affaire, c’est le fait que le témoin a hésité si longtemps pour agir dans le sens de Bormann et de Himmler. Au cours de son interrogatoire devant la commission, le témoin a dit qu’il avait retiré son projet et que la transmission s’était effectuée à son insu. En vérité, dans son Gau, on n’agissait pas au vu de cette ordonnance (affidavit de Scholtis).

Quant à l’ensemble des dépositions des Gauleiter et des Kreisleiter, il est à relever que peu nombreux ont été les témoins entendus, et peu nombreuses les déclarations faites sous la foi du serment qui ont pu être choisies dans l’abondance du matériel existant.

Mais il paraît être acquis qu’en général les dirigeants politiques ne suivaient pas cette proposition criminelle. Malgré l’amertume, la misère et le désespoir à cause de la destruction de tant de vies humaines, la violation du droit de la guerre fut évitée.

Dans l’affidavit 61, sont groupées environ 11.000 déclarations séparées ; ces déclarations certifient non seulement un refus passif de la méthode dangereuse, mais confirment en beaucoup de cas l’intervention active pour protéger les aviateurs contre la population excitée.

L’Accusation reproche enfin aux dirigeants politiques d’avoir travaillé comme Cinquième colonne à l’étranger par l’intermédiaire de l’organisation du Parti à l’étranger. Aucune preuve n’en a été fournie, ni pendant les interrogatoires devant le Tribunal lors du cas Hess, ni pendant les interrogatoires devant les commissions. L’organisation à l’étranger servait uniquement au groupement des membres allemands du Parti à l’étranger et devait maintenir chez eux la compréhension de l’idée allemande. Il était expressément interdit aux membres de l’organisation à l’étranger de faire de la propagande pour l’idéal national-socialiste parmi les habitants du pays de leur résidence, et de collaborer avec des groupes politiques de l’étranger, même s’ils épousaient des idées nationales-socialistes ou fascistes (documents PL-57, 58, 59). C’est pour cette raison que la coopération avec la Ligue des Allemands d’Amérique leur a été défendue ; cette interdiction a été strictement observée (voir l’audition du témoin von Rödern).

En raison des expériences, faites précisément par les Allemands à l’étranger, pendant la première guerre mondiale, ils étaient opposés à toute politique d’expansion, comme l’a déclaré le témoin von Rödern lors de son interrogatoire devant la commission. Ils n’avaient d’autre but que le maintien de la paix par tous les moyens. C’est pourquoi ils ne rentraient pas en ligne de compte pour une activité de Cinquième colonne. Toute coopération avec le service d’espionnage allemand a été interdite aux membres de l’organisation à l’étranger par son chef Bohle. Si des membres isolés de l’organisation à l’étranger ont enfreint cette interdiction, ils ne l’ont pas fait sur ordre de l’organisation, mais bien à rencontre de ses instructions formelles. Cela ressort du fait que les États étrangers en question, par exemple l’Angleterre, n’ont pas interdit l’organisation à l’étranger, malgré de tels incidents ; au contraire, le caractère légal de l’organisation à l’étranger a été à plusieurs reprises reconnu expressément par des États étrangers. Que l’organisation à l’étranger ne déployait aucune activité sous forme d’une Cinquième colonne, cela ressort aussi du fait qu’elle subsista jusqu’à la fin dans des pays neutres, donc encore à une époque où ce fait n’aurait causé aucune difficulté diplomatique à ces États s’ils avaient interdit l’organisation à l’étranger.

J’ai envisagé les différents points reprochés et maintenant la question se pose de savoir quelle est la vue d’ensemble qui en résulte. On doit examiner si les cas analysés ont été des faits isolés ou s’ils sont retenus par un lien commun et démontrent ainsi le caractère criminel des dirigeants politiques.

Le Ministère Public a souligné qu’il a présenté des preuves particulièrement nombreuses. Il faut avouer que du fait de l’occupation de toute l’Allemagne et de l’activité des autorités, tout a été fouillé jusqu’au dernier recoin et que des preuves ont été apportées. Mais c’est précisément pour cela que le matériel, lorsqu’on l’examine de près, étonne par son insuffisance ; et l’on voit qu’il ne couvre pas l’étendue de la demande du Ministère Public. Ce n’est pas une preuve fragmentaire, mais uniquement un système de preuves qui pourrait convaincre que des faits qui se sont passés à un moment donné dans une région, se sont déroulés nécessairement dans toutes les autres régions sans interruption. Les faits isolés ne pourraient être groupés en système que par le « complot »,, qui en révèle le caractère criminel. Mais c’est précisément le complot qui doit être prouvé par ces faits sans lien entre eux.

Aux documents de l’Accusation s’opposent les déclarations des témoins de la Défense. Le Ministère Public a fait valoir contre le crédit à accorder aux témoins, qu’ils sont tous témoins dans leur propre cause. On leur a reproché d’être restés en fonctions jusqu’à la fin.

Si l’on voulait suivre ce raisonnement, la possibilité juridique de se faire entendre qui est offerte par le Statut aux membres, serait démunie de toute espèce de sens. Les témoins ne déposent précisément pas dans leur propre cause, mais en témoins qui ont une connaissance générale des événements et des circonstances qui le peuvent être éclaircies que par des membres de l’organisation elle-même ; leur crédit doit résulter de la concordance du nombre de déclarations.

On ne peut pas réfuter en bloc un témoignage, si le but exprès de la procédure est d’exclure des débats à venir des preuves concernant ces points. Chaque personne pourrait citer des témoins pour prouver la justesse de sa déclaration, mais il serait trop tard. Si une déclaration manque de crédibilité, il faut le prouver dans chaque cas isolé. Mais on ne peut pas établir la preuve qu’on fait tirer au témoin des conclusions qu’il ne peut pas tirer d’une façon exacte du fait qu’il n’a pas une vue d’ensemble et des connaissances suffisantes.

Quelques rares témoins ont été entendus devant la commission et le Tribunal. Les dépositions de témoins isolés manquent de force pour établir le caractère criminel d’une organisation. Sur l’ensemble les circonstances qui doivent être prouvées, le témoin ne peut déclarer la plupart du temps que peu de choses. Même lorsqu’il a une connaissance plus complète des choses, ses dépositions restent des fragments. Seule une constatation d’ensemble peut apporter l’éclaircissement. Le Ministère Public avait une bonne occasion de le faire dans les camps. L’examen de tous les internés a eu lieu. Les procès particuliers qui ont été faits à la suite de cet examen le démontrent. Mais le crime, phénomène général, n’a pas pu être constaté.

La Défense, de son côté, a groupé tout le matériel de preuves qu’elle a pu se procurer par une sorte d’enquête. Dans la procédure devant le Tribunal, les enquêtes sont admises en principe, en forme de rapports du Gouvernement. Pour prouver des événements d’un caractère général, on ne peut pas non plus se passer d’elles.

Les côtés faibles de l’enquête sont connus ; son danger principal réside dans le choix des témoins. Dans le cas présent, le cercle des témoins est pourtant déterminé par les internés. Les déclarations présentées, faites sous la foi du serment, par environ 38.000 personnes, ne constituent pas un choix fait dans les camps, mais bien un résumé.

La seconde difficulté de l’enquête consiste dans l’impossibilité où se trouve une personne étrangère aux faits de les contrôler en raison de leur importance. Mais précisément ce contrôle est assuré dans les circonstances actuelles. Les conditions de tous les témoins dans les camps sont exactement connues et confirmées par des recherches. Les dépositions des témoins peuvent être contrôlées à tout moment. L’établissement des chambres de dénazification démontre qu’un tel contrôle est possible.

Si l’on nie absolument la valeur probatoire des déclarations des témoins et des affidavits dans leur ensemble, sans avoir examiné leur valeur réelle, cette procédure ne pourra pas aboutir à un résultat équitable. Si l’on n’attribue qu’une portée limitée aux preuves fournies par des déclarations des témoins, l’image homogène sur laquelle l’Accusation a fondé sa demande est détruite.

Une autre question est celle de savoir si une responsabilité collective peut naître de la responsabilité de tous les dirigeants politiques en raison de leurs fonctions ou en raison de leurs connaissances et de leur consentement. La question pratique est de savoir si un Kreisleiter à la campagne peut être touché par les événements qui se sont déroulés dans un groupe d’une grande ville, et si une personne qui a été un dirigeant politique en 1930 peut être atteinte par des événements qui ont eu lieu pendant la guerre. La question est de savoir si un Blockleiter est mis en cause par le fait qu’à la suite d’un ordre secret, des hommes ont été soumis à l’euthanasie.

Il est évident que des distinctions doivent être faites ici. D’abord, une distinction dans le temps. D’après les explications du Procureur soviétique, le complot qui réunit les actions isolées ne peut être constaté avec certitude avant 1935. D’après l’annexe A de l’exposé des charges contre les organisations, le Gouvernement du Reich n’est tenu responsable d’un complot qu’après l’année 1934. Des documents qui ont été présentés contre les dirigeants politiques, un seul concerne l’année 1933 : c’est le document PS-374. Il a trait à un boycottage local des Juifs. Tous les autres documents traitent des événements à partir de 1938. Le plus grand nombre des documents se rapporte seulement à la période de la guerre. Si l’on veut déterminer la période à incriminer, un cas isolé ne peut être décisif, mais seulement des événements qui, à leur époque, avaient un caractère général. Il est insoutenable que le Ministère Public maintienne ses réquisitions pour toute la durée de l’existence du Parti. On ne peut pas non plus admettre la pensée que des Blockleiter honoraires soient responsables dans la même mesure qu’un Reichsleiter ou un Gauleiter. Il faut établir une discrimination en raison de la fonction exercée. Un Gauleiter avait d’autres possibilités de prendre connaissance des événements ; son expérience et ses renseignements étaient plus complets que ceux d’un Ortsgruppenleiter. Un dirigeant politique qui exerce ses fonctions à titre professionnel doit être jugé différemment de celui qui n’agit qu’à titre honorifique. Seule la preuve d’un complot en commun les placerait sur un pied d’égalité. Mais précisément, il faut encore prouver l’existence de ce complot.

Si l’on étudie les documents à charge, on voit clairement la diversité des responsabilités. Il y a des ordonnances, promulguées par les hautes sphères, dont seul un cercle des plus restreints a pris connaissance ; il y a des ordonnances qui sont parvenues aux dirigeants politiques pour leur information générale, mais qui cependant n’ont pas été transmises par la voie hiérarchique ; il y a des ordonnances qui ont été publiées pour une partie du territoire du Reich, d’une façon indépendante, mais que les autres Gaue ont ignorées. Il existe des mesures qui ont été exécutées par les hauts chefs politiques, mais qui leur ont été transmises en raison de leur situation spéciale dans l’État, et qui, par conséquent, n’ont aucune relation avec l’appareil du Parti. Le Ministère Public a pris en considération cette différence entre les fonctions et exclu des débats les membres des États-Majors des Ortsgruppen et les auxiliaires des Zellenleiter et des Blockleiter.

On doit, en suivant cette idée, examiner le degré de responsabilité des autres groupes. Le fait que les Zellenleiter et les Blockleiter sont encore compris dans la procédure, tandis que les membres des États-Majors des Ortsgruppen qui ont une position égale ou supérieure ne le sont pas, repose sur la considération que, dans le livre d’organisation, les Zellenleiter et les Blockleiter sont désignés comme détenteurs de souveraineté.

Le Ministère Public méconnaît la signification du livre d’organisation. Ce livre était un ouvrage théorique désigné comme tel par le propre conseiller du Reichsorganisationsleiter Ley.

La désignation de détenteurs de souveraineté ou « Hoheitsträger » avait été attribuée aux Zellenleiter et Blockleiter pour des raisons purement constructives, afin de permettre une classification d’ordre territorial. Cette construction conduit à considérer un Blockleiter comme un détenteur de souveraineté important, tandis qu’un Reichsleiter ne possède pas cette qualité ; pour cette raison, le Blockleiter, en tant que détenteur de souveraineté du Reich, se trouve dans la catégorie du Führer. Je renvoie aux affidavits Hederich n° 27, Schmidt n° 25 et Förtsch n° 26. Ce sont des témoins qui étaient chefs de l’organisation.

Par conséquent, dans le livre publié en 1940 par le Dr Lingg, Oberbereichsleiter, sous le titre L’administration de la NSDAP, les Zellenleiter et les Blockleiter ne figurant pas parmi les détenteurs de souveraineté. Cette désignation s’arrête au bas de l’échelle, aux Ortsgruppenleiter (document PL-1).

De la même manière, un arrêté de la chancellerie du Parti en date du 8 octobre 1937 ne fait pas figurer les Zellenleiter et les Blockleiter parmi les détenteurs de souveraineté (document n° 2). Cet arrêté ne mentionne que quatre catégories de dignitaires qui s’arrêtent à l’Ortsgruppe. Enfin, une proclamation de Hitler du 23 avril 1941 sur l’autorisation de se rendre sur les lieux sinistrés après les attaques aériennes (document PL-4), ne place pas les Zellenleiter et les Blockleiter parmi les détenteurs de souveraineté.

De même, la revue Der Hoheitsträger qui a été présentée par le Ministère Public sous le n° PS-2660 pour apporter la preuve du caractère spécial des Zellenleiter et Blockleiter, démontre que la répartition de ce périodique n’avait lieu que jusqu’aux Ortsgruppenleiter (document PL-25).

L.E PRÉSIDENT

Docteur Servatius, les pages que vous lisez sont-elles les mêmes que les pages anglaises ?

Dr SERVATIUS

Je n’ai pas vérifié. Il doit s’agir des mêmes. Je suis à la page 54.

LE PRÉSIDENT

Je voudrais que vous reveniez à la page 53. Je n’ai pas bien compris votre raisonnement. Voici ce que j’ai dans le texte anglais :

« La désignation de « Hoheitsträger » avait été attribuée aux Zellenleiter et Blockleiter pour des raisons purement constructives » — je ne sais pas ce que « constructives » veut dire — « afin de permettre une classification d’ordre territorial. Cette construction conduit à considérer un Blockleiter comme un détenteur de souveraineté important, tandis qu’un Reichsführer ne possède pas cette qualité. »

Qu’entendez-vous par Reichsführer ? Est-ce la même chose que Reichsleiter ?

Dr SERVATIUS

Reichsleiter ? Oui, il doit s’agir de Reichsleiter.

LE PRÉSIDENT

Vous dites ensuite, page 54, au troisième paragraphe, qu’un arrêté de la chancellerie du Parti en date du 8 octobre 1937 ne fait pas figurer les Zellenleiter et les Blockleiter parmi les Hoheitsträger (document PL-2). Cet arrêté ne mentionne que quatre catégories de dignitaires qui s’arrêtent à l’Ortsgruppe. Ce qui veut dire, n’est-ce pas, que les Reichsleiter étaient des Hoheitsträger ?

Dr SERVATIUS

Non ; sur le plan du Reich, il n’y a qu’un Hoheitsträger, c’est le Führer Adolf Hitler lui-même, et les Reichsleiter ne sont pas des Hoheitsträger, parce qu’ils n’ont aucune compétence territoriale. C’est ce qu’a exigé le Führer Adolf Hitler. Et c’est ainsi qu’on est parvenu à cette construction : le Reich, le Führer, les Gauleiter, les Kreisleiter et les Ortsgruppenleiter au bas de l’échelle. Il n’y a dans ce livre aucun pouvoir pour les Blockleiter et Zellenleiter.

LE PRÉSIDENT

Je vois.

Dr SERVATIUS

Je continue au dernier paragraphe : « Le 7 décembre 1943, la chancellerie du Parti avait publié une ordonnance dans laquelle les Blockleiter et les Zellenleiter n’étaient pas cités parmi les détenteurs de souveraineté. » (Document PL-24.)

Ce n’est pas seulement par leur désignation mais aussi par leur activité que les Zellenleiter et Blockleiter n’étaient pas des gens dotés de prérogatives et de pouvoirs particuliers ; leur activité a été décrite par les témoins interrogés devant le Tribunal ; elle consistait en une aide pratique. Ces chefs politiques s’occupaient de l’administration du Parti ou, durant la guerre, de tâches sociales, d’une façon toujours croissante, pour le soulagement de la misère, après les attaques aériennes. A cela s’ajoutait l’aide pratique lors des transplantations de population et la protection contre les dommages lors des alertes. C’était une activité fatigante et une œuvre de dévouement qui était exigée de ces gens.

Les chefs politiques n’étaient pas particulièrement instruits dans leurs fonctions. Le document PL-9 annexé à la proclamation du représentant du Führer du 12 juillet 1940 est riche d’enseignements. Il en ressort que, contrairement aux détenteurs de souveraineté proprement dits, la fidélité politique des Zellenleiter et Blockleiter devait encore être vérifiée s’ils sollicitaient un prêt au mariage ou des subsides quelconques.

Il est certain que ces gens ne peuvent, d’une façon générale, être considérés comme qualifiés pour un service de mouchardage.

Il en résulte aussi qu’ils n’avaient aucune obligation de direction politique ; c’étaient, pour la plupart, des gens simples qui n’avaient pour cela ni temps ni connaissances. Le fait que quelques personnes issues d’une éducation supérieure aient été destinées à devenir Blockleiter, montre bien que leurs capacités politiques ne devaient pas être utilisées dans ce domaine.

A ce propos, le document qui vient d’être mentionné, PL-24, sur « les directives de la chancellerie du Parti » semble particulièrement important. Ces directives sont, comme on le dit dans ce document, transmises pour l’information rapide des Hoheitsträger (donc des Gauleiter, Kreisleiter et Ortsgruppenleiter) et pour leur permettre leur travail de direction. Pour l’information des chefs des organisations et associations affiliées, les Hoheitsträger doivent, dans les régions placées respectivement sous leur juridiction (Gau, Kreis, Ortsgruppe), porter les instructions politiques à la connaissance des chefs des organisations et associations en question.

Les Blockleiter et Zellenleiter n’étaient donc nullement prévus comme destinataires ordinaires des directives politiques et les Ortsgruppenleiter ne devaient pas les porter à leur connaissance. Cela prouve que les Zellenleiter et Blockleiter étaient exclus de l’information politique qui devait être obtenue par ces directives et qu’ils n’avaient aucun travail de direction ou, du moins, des travaux de direction si infimes, que l’on ne considérait pas comme utile de les assister dans leur tâche par les directives politiques.

Le fait que les Zellenleiter et Blockleiter aient été en particulier nommés à leur service durant la guerre, s’élève aussi contre la signification politique de leur fonction.

La tentative faite à de nombreuses reprises durant la guerre pour écarter l’acceptation d’un tel poste, prouve en même temps une forte pression du Parti exercée en vue de l’acceptation de ce poste. Mais, d’autre part, il en est résulté que le refus n’est pas intervenu du fait que l’on considérait les tâches à remplir comme criminelles ; la peine et les tâches absorbantes, à coté d’une activité professionnelle déjà dure, ont été, durant la guerre, des motifs de refus.

Il est une erreur que le Ministère Public tire du livre d’organisation si l’on admet qu’un Zellenleiter ou Blockleiter possédait une autorité de commandement ou disciplinaire, ou qu’il avait des pouvoirs analogues à ceux de la Police (cf. Les informations officielles du Parti, document n° 29). Il n’est pas exact non plus qu’il ait eu le droit de faire appel aux SA, aux SS ou à la Jeunesse hitlérienne. La présentation des preuves devant la commission a élucidé ce point. Je renvoie à l’interrogatoire des témoins Hirth, Engelbert, Schneider et Kühn. D’autres affirmations sous la foi du serment le confirment. Cela est conforme aux ordonnances officielles du Parti (documents 26 et 27).

En raison de sa position réelle, un Zellenleiter ou Blockleiter ne pouvait avoir aucune connaissance d’événements qui sont criminels aux yeux du Ministère Public ; une activité générale en ce sens n’a pas non plus été prouvée. La connaissance d’un simple chef politique n’était pas plus approfondie que celle d’un quelconque membre du Parti (document PL-47). Son obligation d’assister le Parti et l’État n’était pas plus importante que celle de tout fonctionnaire (document PL-37). Qu’il y ait eu des actions isolées de la part de chefs politiques qui les chargent gravement, tous ceux qui ont vécu en Allemagne le savent. Mais ils savent aussi qu’il ne s’agissait pas d’une attitude typique de la majorité des Blockleiter.

Du point de vue du temps, également, ce groupe avait besoin d’une considération particulière. Jusqu’au 1er décembre 1933, tout membre du Parti, isolément, était engagé envers le Parti à obéir à la sommation d’accepter un service dans ce Parti.

Dès la promulgation de la loi sur l’unité du Parti et de l’État du 1er décembre 1933 (PS-1395), cette obligation à la collaboration lui, jusqu’ici, relevait du Droit privé, devenait une obligation légale vis-à-vis de l’État. Au cas de violation de cette obligation, l’article 5 de cette loi menaçait les délinquants de détention et d’internement, donc de peines qui, d’après le Droit allemand, ne pouvaient être infligées que lors des violations de lois.

Par le paragraphe 1, alinéa 3, de l’ordonnance d’application de la loi assurant l’unité du Parti et de l’État, le statut de la NSDAP obtenait un caractère de Droit public. De ce fait, le paragraphe 4, alinéa 2 b du Statut prenait également caractère de disposition de droit public et devenait la base de l’obligation d’assumer une fonction dans le Parti, obligation qui, jusqu’alors, relevait du Droit privé. Que l’obligation d’assumer une fonction du Parti soit devenue, dès le moment de la mise en vigueur de la loi du 1er décembre 1933, une obligation légale, ressort aussi comme argument à contrario du fait que le paragraphe 20 de la loi sur le service du travail dans le Reich du 26 juin 1935 (PS-1389) déclarait expressément que les membres du Service du travail du Reich pouvaient refuser d’assumer une activité honorifique au service du parti. Point n’aurait été besoin d’une disposition spéciale légale prévoyant la libération des membres du Service du travail du Reich de l’obligation d’assumer un service dans le Parti, si l’obligation le collaborer dans le Parti n’avait pas été une obligation légale.

L’obligation de collaborer avait, en pratique, l’effet d’une contrainte. Celui qui se serait refusé de donner suite à la demande de se charger d’un service, aurait été exclu sans aucun doute du parti, par le tribunal du Parti. Être exclu du Parti aurait signifié la perte de l’existence avec tout ce que cela comportait. De plus, le membre du Parti qui refusait de se charger d’un service devait même s’attendre à être puni d’une peine privative de liberté (document PL-63). La contrainte d’assumer un office dans le Parti était, de ce fait, en même temps une contrainte physique. Celui qui travaillait pour le Parti avant la prise du pouvoir le faisait généralement pour des raisons idéalistes. Celui qui fut chargé d’un emploi après la prise du pouvoir l’accepta dans la plupart des cas sans enthousiasme, d’autant plus qu’il n’assumait, ce faisant, comme l’a démontré la présentation des preuves, que des charges et des inconvénients mais sans en tirer en même temps des avantages. Il ne fait pas de doute que tous ceux qui, plus ou moins sans exception, sont devenus des fonctionnaires après le commencement de la guerre, n’avaient assumé des fonctions du Parti qu’en raison des obligations existantes. Les hommes qui n’avaient pas été mobilisés dans la Wehrmacht étaient ou des infirmes ou tellement surchargés dans leurs professions respectives qu’ils n’avaient ni le temps, ni envie de se charger d’un emploi dans le Parti. Ainsi s’explique le fait que les ordonnances du Führer et de la chancellerie du Parti, par lesquelles les services du Parti étaient informés d’appeler les membres du Parti à collaborer, devenaient de plus en plus rigoureuses et contenaient même la sommation d’ouvrir une procédure devant le tribunal du Parti dans le cas où quelqu’un se refusait à collaborer avec lui (voir documents 61 et 62 ). Pendant la guerre, la contrainte légale et physique de collaborer dans le Parti n’est pas restée lettre morte ; mais, au contraire, un usage très large a été réellement fait de cette possibilité. Le document n° 8 le prouve.

On peut donc considérer comme acquis que lorsque quelqu’un devenait pendant la guerre détenteur d’un service et dirigeant politique, c’était régulièrement le résultat d’ordonnance ayant force de loi, ainsi que de menaces d’ouverture d’une instruction devant le tribunal du Parti. C’est pratiquement vrai pour tous les Blockleiter, Zellenleiter et membres des états-majors des Qrtsgruppen, nommés pendant la guerre.

A cela, le Ministère Public a opposé que la contrainte à la collaboration dans le Parti était uniquement la conséquence de l’entrée volontaire dans le Parti. Ce qui conduirait à la conclusion que le fait d’être membre du Parti entraînerait déjà une sanction. Mais on ne peut non plus, comme cela a été le cas, argumenter en déclarant que les membres du Parti en question auraient pu éviter la contrainte à la collaboration dans le Parti ; ils auraient dû assumer en temps utile une fonction dans l’une des organisations affiliées, par exemple la NSV. Le manque de pertinence de cette opinion se manifeste en ce qu’elle recommande de collaborer dans le Parti, mais seulement à une autre place.

Pour les fonctionnaires, s’ajoutait encore une contrainte : la pression exercée par les ministères et services supérieurs (voir les documents 67 à 70 ).

Ces arrêtés étaient le moyen de contraindre également les fonctionnaires à collaborer dans le Parti. Si un fonctionnaire se refusait à donner suite à cette sommation, il devait s’attendre à des conséquences fâcheuses ; il devait craindre qu’une enquête disciplinaire ne fût ordonnée contre lui par le service dont il dépendait, enquête qui pouvait entraîner la perte de sa situation et ainsi la misère de toute sa famille. Voulait-il éviter ce danger en quittant préalablement le Parti ? Il perdait également sa situation (document PL-71). Les fonctionnaires se trouvaient donc dans une situation spécialement difficile en raison de la contrainte.

Etant donné ces circonstances, ce cercle de personnes ne peut pas être considéré comme un groupement essentiellement volontaire.

Les tâches des Zellenleiter et des Blockleiter ont différé également d’après les époques, et aussi l’importance de leur situation

Celui qui était Zellenleiter et Blockleiter avant la prise du pouvoir en 1933, a été politiquement plus actif que celui qui assumait cette fonction lorsqu’il ne s’agissait plus que d’accomplir des tâches pratiques.

Pendant la guerre, la même place a été occupée par des personnes qui, en raison de leur âge ou de leur profession, n’accomplissaient pas de service militaire et qui étaient employées comme personnel de secours. Il est évident que ces personnes n’étaient pas des troupes d’élite du Parti, destinées à semer la peur et la terreur, et qui se comportaient en petits Césars. En ajoutant à cela la différence qui existait entre la situation de la ville et celle de la campagne, on ne peut pas arriver au résultat que ces 1.200.000 personnes qu’englobe ce groupe ont été essentiellement criminelles.

Le Ministère Public a exclu de la procédure les membres de l’État-Major des Ortsgruppen. On a estimé qu’en leur qualité d’auxiliaires honorifiques de l’Ortsgruppe, ils occupaient un poste moins en vue.

Reste à examiner si du même point de vue également les membres des états-majors des Kreis et des Gaue peuvent être exclus. Leurs rapports avec les Hoheitsträger influents les rendent plus suspects. La nature de ces rapports est à examiner.

Les services suivants de direction politique existaient dans les états-majors : le Propagandaamt (service de propagande), le Schulungsamt (service d’instruction), l’Organisationsamt (service d’organisation) et le Personalamt (service du personnel.) Ces services étaient assurés par des personnes rétribuées dont cette fonction constituait la profession. Un autre membre de l’État-Major était le caissier ; il n’était pas subordonné au Hoheitsträger mais au trésorier général (document PL-73).

La direction financière du Parti avait créé un organisme indépendant de comptabilité et de contrôle qui n’avait qu’une activité bureaucratique et n’était point politique. Il englobait environ 70.000 dirigeants politiques. A côté des services politiques se trouvaient les dirigeants politiques de caractère consultatif. C’étaient les quatre catégories suivantes : un représentant des formations féminines, de la ligue des professeurs et de la ligue des étudiants nationaux-socialistes ; une représentation des ligues d’assistance (NSV, ligue nationale-socialiste des victimes de la guerre) ; les chefs des organisations professionnelles des instituteurs, fonctionnaires, techniciens, médecins et juristes ; enfin les représentants des services spéciaux : Front allemand du Travail, commerce et artisanat, politique agraire et autres.

Pour obtenir une vue d’ensemble de l’étendue de ces services, je souligne qu’ils ne possédaient pas — dans la plupart des cas — leur propre personnel et, très souvent, pas de locaux de service.

Quelquefois, ils ne se trouvaient pas au siège de l’état-major lui-même, mais en étaient éloignés.

Très souvent la collaboration effective avec la direction des Gaue et des Kreis fut réduite. Une série de déclarations sous la foi du serment confirment que ces services furent très rarement visités par des Hoheitsträger (affidavit PL n° 39) ou qu’ils n’ont pas été invités à une collaboration (affidavits n° 48 à 50).

Pendant la guerre déjà, un certain nombre de ces services furent liquidés comme superflus, par exemple, en 1942, le « Rechtsamt » (service juridique) et, en 1943, l’« Amt für Beamte » (service des fonctionnaires).

La tâche de ces services était au premier chef, d’ordre technique ; les fonctionnaires de ces services recevaient donc leurs instructions du service technique hiérarchiquement supérieur et non des Hoheitsträger (document PL n° 72). En ce qui concerne l’activité des membres de ces états-majors, le Ministère Public n’a pas élevé directement une accusation contre eux.

Des médecins ont été accusés à propos de l’euthanasie et des horreurs commises dans les camps de concentration. Mais ce ne sont pas des médecins du service de la santé publique.

On a mentionné des accords conclus par le ministre de la Justice du Reich avec Himmler et Goebbels au sujet d’un Droit pénal spécial et de l’extermination par le travail ; les services juridiques des Kreis et des Gaue n’ont rien à voir avec ces accords.

Il est certain que ces services ont représenté dans les états-majors l’idéologie nationale-socialiste, car c’était leur tâche ; mais ici, il s’agit de savoir dans quelle mesure les dirigeants politiques ont participé en dehors de leur activité professionnelle à un complot en vue d’une guerre d’agression ou en vue de commettre des crimes de guerre.

On ne peut pas dire qu’ils soient criminels en se basant sur la supposition générale d’après laquelle ils auraient pu avoir une connaissance quelconque des faits incriminés. Il y a tout d’abord le devoir important d’éclaircir les faits, tâche qui ne peut être transmise à un tribunal destiné à siéger ultérieurement.

La décision du Tribunal signifie la condamnation des 2/3 des intéressés ; il est à craindre que les tribunaux qui fonctionneront ultérieurement et se baseront sur la supposition d’une culpabilité générale, admettront par trop facilement la culpabilité personnelle des individus. En jugeant les services techniques, on ne doit pas perdre de vue qu’il s’agit là d’environ 140.000 personnes qui ont exercé leur activité à titre honorifique.

LE PRÉSIDENT

Quelle est la preuve de votre affirmation qui vous fait dire que 140.000 personnes ont mené une activité honorifique ?

Dr SERVATIUS

II s’agit des membres des services techniques qui se trouvent dans les états-majors de Gaue, Kreise et Ortsgruppen ; en ce qui concerne les derniers, le Ministère Public a exclu les intéressés des poursuites, mais je veux préciser que ces personnes, dans les états-majors supérieurs, exerçaient également une activité honorifique de spécialistes et n’ont pas participé aux crimes commis contre la paix et à la préparation d’un complot pour une guerre d’agression. Elles ne dépendaient pas du Gauleiter, mais recevaient leurs instructions de représentants techniques qui étaient leurs supérieurs. Leur activité semble sans doute très fortement...

LE PRÉSIDENT

Docteur Servatius, vous n’avez pas répondu à ma question. Et je voudrais savoir ce que vous voulez dire par « activité honorifique » ?

Dr SERVATIUS

Ce sont les personnes qui ne sont pas payées pour leur activité ; honorifique veut dire sans traitement.

LE PRÉSIDENT

Vous avez dit que c’étaient des experts techniques.

Dr SERVATIUS

Oui, ils travaillaient dans leur activité spéciale ; par exemple, instituteurs, médecins, juristes, et chacun était un spécialiste dans son domaine, approvisionnement, Front du Travail, etc, et était appelé à titre consultatif sur une base honorifique.

LE PRÉSIDENT

Et je vous demande à nouveau la preuve que vous aviez de cette affirmation, qu’il y en avait 140.000 ?

Dr SERVATIUS

Ce nombre a été soigneusement calculé d’après le livre d’organisation. Je puis ultérieurement vous en donner les détails. Cela nous conduirait trop loin maintenant et je ne suis pas en mesure non plus de les donner pour l’instant. J’ai simplement donné le nombre des intéressés afin qu’on ait un aperçu général.

LE PRÉSIDENT

Continuez.

Dr SERVATIUS

II reste à examiner le groupe des Hoheitsträger proprement dits, qui forment le noyau du Parti. Leur position spéciale et leurs compétences politiques les séparent nettement des autres dirigeants politiques. Mais leurs positions sont très différentes les unes des autres.

Tandis que l’Ortsgruppenleiter est limité dans l’exercice de son droit au cercle des membres du Parti de son groupe local, la compétence des « dirigeants supérieurs du Parti » dépasse le cadre du Parti et empiète sur les droits de ceux qui n’appartiennent pas au Parti.

Seuls, les Kreisleiter et les Gauleiter possèdent le droit de formuler un jugement politique sur ceux qui se trouvent en dehors du mouvement et de décider ainsi de leur sort ; ils exercent en même temps une très grande influence sur la vie de la collectivité. Les décisions qu’ils prennent dépendent entièrement de leur propre appréciation ; c’est le signe de leur responsabilité personnelle. L’Ortsgruppenleiter est uniquement invité à fournir des éléments permettant de former le jugement. Il n’est qu’un organe exécutif et un homme sans indépendance.

Extérieurement, cette différence est caractérisée par le fait que Ortsgruppenleiter n’exerce son activité qu’à titre honorifique, sans rémunération. L’exercice de sa propre profession l’empêche de s’occuper de façon vraiment approfondie de tous les événements. Ce fut le cas, notamment pendant la guerre qui, par les misères qu’elle entraîne, fait converger toutes les forces et toutes les pensées sur les souffrances de l’individu.

Les 70.000 Ortsgruppenleiter étaient des petits bourgeois qui n’avaient exercé dans le passé aucune activité politique et qui manquaient d’expérience dans ce domaine dangereux. La plupart des Ortsgruppen se trouvaient à la campagne où le travail agricole se poursuivait avec la vie coutumière. La déposition du témoin Wegscheider devant le Tribunal en a donné une image frappante. La fonction de Ortsgruppenleiter devient particulièrement claire si l’on compare sa responsabilité à celle des chefs supérieurs du Parti qui étaient nommés directement par Hitler.

Par suite de la liaison avec la direction supérieure, la probabilité d’une connaissance plus approfondie des chefs supérieurs du Parti est plus sûre.

La procédure a prouvé que la séparation des ressorts et la scission artificielle de l’administration et de la Police ont joué un rôle important. Mais, par suite de la liaison de nombreuses fonctions et en raison du fait que de nombreux fils se rejoignaient en une seule main, les chefs supérieurs du Parti pouvaient du moins reconnaître si quelque chose n’était pas exact dans les points critiques. La question est de savoir si un Gauleiter ou un Kreisleiter peut se contenter du fait que tout est en ordre chez lui et que l’événement suspect s’est déroulé en dehors de sa circonscription ou de son domaine. On doit le nier. Il doit savoir précisément, eu égard à son pouvoir ; car il a privé les autres dans une large mesure de la possibilité de prendre soin des affaires. Il a le droit et même le devoir d’agir d’office. Il est devenu le seul politicien et, pour cette raison, il doit également faire de la politique.

En effet, les Gauleiter et Kreisleiter qui ont été interrogés se sont occupés aussi des affaires courantes. Ils ont suivi la trace de la déportation des Juifs, ils se sont efforcés d’aller dans les camps de concentration et ont contrôlé les conditions d’existence des travailleurs étrangers. Ils ont formulé des scrupules et élevé des remontrances.

II faut ici approfondir la question du partage des responsabilités. Il n’est pas possible que tous se soient souciés de tout. Les services subordonnés ont des soucis pratiques de caractère local et ne peuvent pas se mêler des soucis des services supérieurs. La moindre vibration ne peut pas être transmise à tout l’appareil. On devra justement, dans l’état dictatorial, tenir compte de cette séparation au Kreisleiter qui transmet au Gauleiter les événements isolés. Mais il doit aussi se soucier du résultat de ses remontrances et en tirer les conclusions.

Cela vaut dans une mesure encore plus large pour le Gauleiter dans ses rapports avec ses supérieurs. Il y a une limite où touchent les principes moraux et où la routine quotidienne n’est pas en question. Lorsqu’on abordait le domaine de Himmler, devait-on avancer alors sans considérer ce qui arriverait par la suite ? On a déjà cherché à diverses reprises une réponse à cette question Faut-il exiger une action immédiate et sans compromis ? Est-ce « tout ou rien » ? Peut-on attendre la maturation des choses, ou est-ce « maintenant ou jamais » ? Suffit-il, si l’on désapprouve ou veut empêcher quelque chose de pire, que l’on reste à son poste ; ou se rend-on compte, si l’on reste et maintient l’apparence extérieure ? Est-il justifié celui qui « ne se lasse jamais dans son effort » ? Doit-il entreprendre la lutte contre les oppositions, même si sa propre vie semble être mise en jeu vainement ? Ou doit-il supporter et s’en remettre au sort ? « Être ou ne pas être, telle est la question ».

On ne peut trouver de réponse sans examiner avec précision les fondements juridiques de la culpabilité : la connaissance, le consentement et la négligence coupable.

Si le caractère criminel du groupe doit être établi, ces questions doivent être réglées au préalable. Un tel examen ne peut avoir lieu que dans un cas isolé. Il est pratiquement possible pour un groupe de 2.000 Kreisleiter et Gauleiter. Ces personnes sont connues, leurs actions se sont déroulées publiquement et ne sont pas difficiles à élucider.

Il reste encore le groupe des Reichsleiter. Pour eux valent les mêmes considérations que pour les Gauleiter. Himmler n’en fait pas partie, car il ne possédait que le rang d’un Reichsleiter (document PL-59 a). Leur position a, cependant, de l’importance du point de vue de la procédure pour l’ensemble des dirigeants politiques, car parmi eux se trouvent les principaux accusés et la condamnation du groupe peut seule être prononcée, d’après l’article 9 du Statut, en liaison avec les actes de ceux-ci.

Dans l’exposé écrit des charges, seuls Rosenberg et Bormann sont énumérés à cet effet. Ce n’est que l’annexe B du supplément de l’exposé des charges qui a ajouté quatre autres Reichsleiter, y compris les Gauleiter Sauckel et Streicher. Frick aussi n’avait que le rang d’un Reichsleiter, ce qui s’oppose à l’appréciation directe de ses actes.

Quant aux autres accusés principaux, il faut examiner s’ils ont commis, en tant que dirigeants politiques, ou en, une autre qualité, les actes qu’on leur impute. Le Ministère Public a reconnu l’importance juridique de cette distinction, en se référant dans le résumé de l’exposé des charges uniquement aux actions de Rosenberg et de Bormann, qui leur sont reprochées en leur qualité de dirigeants politiques (exposé des charges, page 75).

On ne peut pas non plus faire abstraction de ce caractère : la stipulation de l’article 9 du Statut n’est pas une condition purement formelle du Procès. Son importance consiste dans la délimitation objective de l’étendue des groupements criminels.

Le groupe ne doit pas être construit par l’Accusation d’une manière arbitraire, sans limitation, mais il faut qu’entre lui et l’activité d’un accusé principal il existe encore un lien. Cela n’est possible que lorsqu’un accusé principal a agi au sein du Corps des dirigeants politiques. Le lien n’existe pas non plus là où l’effet de l’action d’un accusé principal ne s’étend pas à toutes les couches des dirigeants politiques ; c’est à considérer lors du jugement des échelons inférieurs.

Le lien manque en ce qui concerne les accusés principaux que le Ministère Public n’a mis en rapport avec les dirigeants politiques qu’ultérieurement, sauf pour Hess.

En ce qui concerne Rosenberg, les actions qu’on lui reproche se situent essentiellement dans le secteur étatique, où il a agi comme ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est.

Les actions de Bormann, en tant que chef de la chancellerie du Parti depuis 1941, sont importantes au premier chef pour juger les dirigeants politiques. En l’absence de cet accusé principal, il est dangereux de baser la condamnation du groupe sur ses actes, puisque l’examen plus minutieux des événements fait défaut. En ce qui concerne les reproches les plus graves, il faudrait tirer au clair si Bormann a agi comme chef de la chancellerie du Parti ou comme secrétaire du Führer en dehors de l’appareil du Parti, ou s’il a agi arbitrairement, à rencontre de toute instruction (document 53).

Il est remarquable que Hess, le supérieur de Bormann, ne soit pas mentionné dans le premier exposé des charges, bien qu’il fût, jusqu’en 1941, le remplaçant du Führer dans le Parti. Probablement, à ce moment-là, le Ministère Public était d’avis qu’on ne pourrait lui reprocher des actes en rapport avec le Corps des ’dirigeants politiques et dont résulterait le caractère criminel. C’est un point de vue d’importance pour le jugement d’ensemble du groupe dans le temps.

Les actions des Gauleiter Sauckel et Streicher ne peuvent être déterminantes pour la totalité des dirigeants politiques. En tant que Gauleiter, ils ne pouvaient agir que dans leur domaine. Les actions qui leur ont été reprochées au cours du Procès, ils les ont commises en dehors de leurs fonctions de dirigeants politiques, c’est-à-dire en tant que délégué à la main-d’œuvre ou éditeur de journal.

Je veux encore présenter deux points de vue juridiques qui peuvent être importants pour le jugement. L’un porte sur la rétroactivité du jugement. Je ne veux pas l’attaquer comme étant inadmissible du point de vue juridique, puisque le Statut l’a décrété. Mais, comme le jugement est à la discrétion du Tribunal, on, peut ici tenir compte de l’équité. La rétroactivité dans un procès contre un individu peut trouver sa raison dans le fait que l’auteur du crime a été mis en garde et a dû la reconnaître ; mais c’est toute autre chose lorsqu’il s’agit du grand nombre des petits dirigeants politiques, qui ne peuvent être rendus responsables d’un complot qu’indirectement, par le truchement de leurs chefs.

Le deuxième point de vue est le fait de ne pas pouvoir se faire entendre devant le Tribunal. Dans cette procédure devant le Tribunal, une décision préliminaire sera prise qui sera décisive pour chaque membre de l’organisation. C’est pour cette raison que le droit était donné à quiconque de demander à être entendu devant le Tribunal. Peu nombreux, relativement, sont ceux qui ont fait usage de ce droit. On est obligé de supposer que beaucoup n’ont pas eu connaissance de leur droit ou n’ont pas eu la possibilité de faire parvenir leur requête au Tribunal. Environ un tiers seulement des camps des zones anglaise et américaine ont fait parvenir des requêtes ; la zone française, de deux camps seulement. Mais il faut attirer l’attention spécialement sur quelques territoires fermés qui n’ont pas du tout été atteints. Aucune requête n’a été présentée provenant d’Autriche et aucun camp n’a pu y être visité. L’autorisation des organismes militaires a été accordée, mais le Conseil de contrôle n’a pas donné son assentiment. C’est important, puisqu’il s’agit ici de circonstances spéciales qui pourraient éventuellement décharger les membres ; un traitement et un jugement séparés, en particulier au point de vue du temps, s’imposent.

De même, aucune requête provenant de la zone soviétique n’a été présentée, bien que l’on eût communiqué officiellement la chose. Il y a peu de temps seulement, j’ai eu moi-même l’occasion de visiter deux camps. Les internés ont déclaré qu’ils ne savaient rien de leur droit d’être entendus. Tous ne voulaient pas adresser des requêtes.

C’est pourquoi la Défense s’est trouvée manquer de preuves pour ces territoires. Pour ces zones, on a pu toucher quelques chefs politiques dans les camps britanniques ou américains. Si l’on peut de cette façon se faire une certaine idée, la présentation des preuves devant la commission a cependant montré qu’il peut y avoir des témoignages qui sont importants pour la Défense.

C’est ainsi qu’un Kreisleiter de l’Ouest a pu attester que la construction de la ligne Siegfried avait convaincu les gens de ces régions des intentions défensives de Hitler. Un Kreisleiter du Nord a fait allusion à l’accord naval avec l’Angleterre qui a été particulièrement considéré par la population côtière comme un signe de volonté pacifique. D’autres témoins parlant de la confession religieuse à laquelle appartenaient les dirigeants politiques de leur district, en ont tiré des conclusions importantes.

La signification réelle de la limitation ne pourrait être jugée qu’après l’audition, si bien qu’un jugement ne paraît pas souhaitable pour l’instant.

Mais la question a également une importance considérable au point de vue de la procédure. Le Statut a accordé la possibilité d’être entendu. Toute prescription de forme a son sens profond et sa signification fondamentale. Le droit d’être entendu est opposé ici, comme principe démocratique, aux méthodes de police que l’on rejette. Ce principe a été posé en commun par les puissances signataires et le Tribunal doit veiller à ce qu’il soit observé.

LE PRÉSIDENT

M. Biddle aimerait savoir exactement ce que vous voulez dire par ces deux dernières phrases ?

Dr SERVATIUS

Je n’ai pas entendu ce que vous avez dit.

LE PRÉSIDENT

M. Biddle voudrait savoir ce que vous voulez dire par ces deux dernières phrases : « Le droit d’être entendu est opposé ici, comme principe démocratique, aux méthodes de police que l’on rejette. Ce principe a été posé en commun par les puissances signataires et le Tribunal doit veiller à ce qu’il soit observé ». Qu’entendez-vous par là ?

Dr SERVATIUS

Je voulais dire que je ne peux pas renoncer à faire valoir cela. Je veux dire que le droit d’être entendu n’a pas été observé pour certains pays, en particulier l’Autriche et la zone soviétique. C’est une objection à laquelle je ne peux pas renoncer, mais qui doit être prise en considération.

LE PRÉSIDENT

Continuez.

Dr SERVATIUS

A un autre point de vue, il paraît encore nécessaire d’indiquer cette diversité dans l’application pratique de l’article 9 du Statut. C’est le danger d’une différence d’interprétation et d’application d’une décision prononcée par le Tribunal contre les organisations. Outre la détermination du cercle des personnes impliquées par la décision du Tribunal contre les organisations, il faudrait apporter des éclaircissements sur les éléments de faute qui resteront à prouver au cours des procès ultérieurs. L’échelle des peines est également inconnue. Le cadre pénal, établi dans la loi n° 10 du Conseil de contrôle, qui va jusqu’à la peine de mort, ne présente aucune garantie légale si la gravité de la peine est laissée à la libre appréciation des tribunaux futurs des diverses nations. De la décision du Tribunal peut naître de nouveaux malheurs. C’est ici précisément que le Tribunal doit faire valoir le but qu’il poursuit en rendant son jugement. Il ne faut pas qu’une sanction puisse devenir une vengeance. Il ne faut pas que la mesure de l’expiation puisse être dominée par la pensée qu’aux millions de victimes devraient aussi nécessairement correspondre des millions de coupables qui devraient expier.

Si la pensée fondamentale du jugement est l’intimidation, il faut prendre en considération les remarques suivantes : Nul ne s’est présenté devant ce Tribunal pour justifier les crimes qui constituent l’objet de ce Procès. Tous ceux qui se sont présentés ici, se sont éloignés de ces crimes. Personne n’a déclaré que l’extermination des Juifs eût été nécessaire ou qu’une guerre d’agression fût un but désirable et qu’on ne pût renoncer à la persécution de l’Église et aux atrocités des camps de concentration. Si cela avait été le cas, ce Procès eût été intenté au nom d’une idéologie à supprimer.

C’est pour cela aussi que nous n’avons point entendu le représentant typique d’une idéologie déclarer : « Des millions d’hommes se tiennent derrière moi », ou : « Je ne puis rien d’autre, que Dieu me protège ».

C’est pour un autre but qu’on a combattu, qu’on a soulevé des millions d’êtres. Il ne s’agissait pas du monde des crimes, mais bien de la lueur dorée du socialisme. Après l’époque de misère, les masses voyaient le miracle de l’essor et se fortifiaient dans leur foi. Elles sont prêtes à croire à nouveau. Le fondement de cette foi, c’est la justice dans le jugement qui sera porté sur ces organisations et qui englobe la population tout entière.

Ce jugement doit inaugurer l’ère d’un nouveau Droit international et punir les responsables de la guerre. Il ne sera justifié que lorsque le vieux Droit se retirera de la scène de l’Histoire, ce Droit par lequel le peuple entier est puni d’annexion et de contributions par les traités de paix sans qu’il soit tenu compte de sa culpabilité.

Aujourd’hui, il existe une menace double et triple : le traité de paix, la loi n° 10 du Conseil de contrôle et la loi de dénazification.

L’état de guerre règne encore, et on a fait de ce Procès la continuation des efforts de guerre.

Mais c’est la paix qu’il nous faut, et « si la guerre ne cesse pas déjà pendant la guerre, d’où pourra alors venir la paix » ?

LE PRÉSIDENT

Docteur Servatius, le Tribunal observe avec satisfaction que vous vous êtes maintenu dans les limites demandées ; le Tribunal espère que tous les défenseurs des organisations en feront autant. Vous avez prononcé votre plaidoirie en une demi-journée. Certaines autres plaidoiries déposées pour la traduction, semblent être beaucoup plus longues que la vôtre et le Tribunal désire que je signale à ces défenseurs qu’ils devront également les prononcer dans une demi-journée.

Le Tribunal va maintenant suspendre l’audience.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Je donne la parole au Dr Merkel.

Dr MERKEL

Monsieur le Président, Messieurs les juges. Au cours du Procès contre les accusés individuels, les actions des individus ont fait l’objet des débats. Au cours du Procès contre les organisations, il s’agit de savoir si l’on doit introduire un nouveau principe dans le Droit universel. La conception du Ministère Public selon laquelle la Gestapo fut l’instrument essentiel du pouvoir du régime hitlérien confère au Procès contre la Gestapo sa signification.

Si je dois défendre la Gestapo, je sais qu’une terrible renommée est liée à ce nom, que l’épouvante et la terreur émanent de lui et qu’une vague de haine vient se briser contre lui.

Je prendrai la parole sans me soucier de l’opinion publique, car j’espère pouvoir fournir les éléments positifs et juridiques qui permettront au Tribunal :

1. De vérifier si une condamnation, des organisations introduira une évolution juridique contribuant au progrès de l’humanité.

2. De découvrir la vérité sur la Gestapo.

3. Et ainsi d’arracher des innocents, qui ont été autrefois membres de la Gestapo, à un sort malheureux.

Les deux premières tâches exigent la réponse à une question préalable au problème de la Gestapo dans son ensemble.

Parmi les paroles du Ministère Public, peu de chose m’a plus impressionné que le jugement du Procureur Général britannique : Après six ans de domination nazie, les Allemands sont devenus un peuple corrompu par la disparition de la morale chrétienne, par l’idolâtrie du Führer et par le culte du sang. Si ce jugement devait s’avérer exact, il est un autre élément extraordinaire, à part celui mentionné, qui a contribué au résultat, un élément d’un caractère si extraordinaire que l’Histoire le connaît à peine : le caractère démoniaque, la tendance démoniaque de Hitler, et l’infiltration démoniaque de son régime et des institutions qu’il a créées et employées.

Jusqu’à quel point Hitler fut démoniaque, le mot de Goethe dans Poésie et Vérité, que mon collègue le Dr Dix a déjà cité, le met en évidence :

« ... Une force prodigieuse émane d’eux (les hommes démoniaques). Toutes les forces morales réunies ne peuvent rien contre eux. Ils attirent la masse et c’est sans doute de telles remarques qui sont à l’origine de cette formule étrange, mais prodigieuse : Nemo contra deum, nisi deus ipse (Personne ne peut rien contre Dieu si ce n’est Dieu lui-même). »

L’action exercée par la tendance démoniaque dans le monde entier vous est manifestement apparue à la lumière de quelques cas des accusés individuels. Dans le cas de la Gestapo, vous verrez comment un gouvernement démoniaque a diversement abusé d’une institution d’État. Ici, dans la discussion de la question préalable surgit un autre point : l’intérêt de la signification juridique du caractère démoniaque dans ce Procès. Une deuxième courte citation de Goethe nous permet de satisfaire à cet intérêt :

« Le démoniaque constitue un obstacle à l’ordre éthique universel, même en admettant qu’il ne se dresse pas absolument contre lui. »

D’après ce jugement, le point décisif réside en ceci : deux puissances régissent l’Histoire du monde dans le conflit — ainsi que l’a dit M. Jackson en accord avec Goethe — et jouent un rôle important dans l’Histoire du monde ; ce sont l’ordre éthique universel et le démoniaque. Après réflexion, la valeur juridique du jugement est la suivante dans notre cas : l’ordre éthique universel était représenté par des méthodes transmises. Hitler constituait, vis-à-vis de ces méthodes, l’obstacle sinon la force diamétralement opposée. Il nous appartient dans ce Procès de réduire à néant les restes de la puissance démoniaque. Cela doit-il et peut-il être fait juridiquement d’après les principes transmis de l’ordre éthique universel victorieux ou cela doit-il être fait d’après d’autres méthodes ?

Nous avons clairement devant nous ici l’alternative juridique du Procès, et cela dans les plus grandes perspectives possibles, c’est-à-dire en considérant l’opposition entre l’ordre éthique universel et le caractère démoniaque.

Des points de vue contradictoires dominent la façon que l’on avait jusqu’alors de considérer les choses. D’une part, le Statut a décidé en faveur des propres principes transmis de l’ordre éthique universel. Il veut voir juger par une décision équitable les représentants du démoniaque, les accusés individuels et les organisations, selon une procédure normale, avec une Accusation normale et des avocats nommés d’office. D’autre part, la loi du Statut est, selon les propres paroles de M. Jackson, « une loi nouvelle basée sur des principes qui sont en contradiction avec les antiques conceptions juridiques ». Je cite comme exemple l’idée d’une responsabilité collective et l’application de lois à effet rétroactif.

Cela fait ressortir que les hautes pensées qui régissent le Procès se contredisent. Toute notre tâche consiste à le reconnaître et à arriver ensuite, par un commun effort du Ministère Public, de la Défense et du Tribunal, à une concordantia discordantium , à un nivellement des opinions contradictoires.

Le point le plus important, en ma qualité de défenseur de la Gestapo, concerne la question de savoir comment comprendre la prescription du Statut d’après laquelle le Tribunal, dans le procès contre Göring, Kaltenbrunner et Frick, peut déclarer que la Gestapo était une organisation criminelle.

Il me faut revenir une fois de plus à l’idée fondamentale : Si deux puissances décident de l’Histoire du monde, l’ordre éthique universel et le démoniaque, il faut que le monde soit épuré et que l’ordre éthique universel remporte la victoire. Mais l’ordre éthique universel est-il en droit de mener la lutte contre son adversaire avec des moyens d’exception qui s’écartent eux-mêmes des principes de l’ordre éthique universel ? L’ordre éthique universel ne peut lutter pour la pureté de son existence et la pureté de sa victoire qu’avec son impératif catégorique, absolument sans compromis. C’est ainsi que les adversaires de Hitler ont lutté pendant six ans de guerre sans s’écarter des principes de la Charte de l’Atlantique ; devraient-ils maintenant, en leur qualité de représentants déclarés de l’ordre moral universel, après la fin de la lutte par les armes, pouvoir poursuivre avec des moyens d’exception la fin de la lutte totale contre le démoniaque ? Ce serait impossible. On aurait alors l’impression que les puissances victorieuses, précisément sur le terrain éthique, n’auraient pas une confiance suffisante en elles-mêmes.

Dans l’esprit des générations futures resterait gravée l’idée suivante : « Est juste ce qui sert au vainqueur ». Ce serait le règne de l’impitoyable vae victis, tandis que les vainqueurs ont précisément souligné avoir entrepris la lutte pour la justice et pour une cause juste.

C’est avec l’impératif « justice » que les puissances victorieuses ont créé le Tribunal, en stipulant dans l’article premier du Statut :

« Un Tribunal Militaire International sera créé pour juger de façon appropriée... »

Elles ont conféré de l’importance à l’impératif « justice » en donnant le titre suivant à la partie IV du Statut : « Procès équitable des accusés ». De plus, elles ont pris la précaution de stipuler dans les articles 9 et 10 uniquement des dispositions conditionnelles qui ne comprendraient pas le désir des vainqueurs de voir déclarer criminelles des organisations ayant une réputation telle que celle de la Gestapo ; mais elles se sont gardées de conférer aux articles 9 et 10 un caractère de dispositions obligatoires. Ainsi la justice est devenue le but suprême du Tribunal. Dans ses limites, la disposition conditionnelle des articles 9 et 10 doit être interprétée comme si la disposition tout entière avait le texte suivant : « Si le Tribunal le juge équitable, il pourra déclarer l’organisation en question criminelle ».

Ainsi, toute la décision dépend de la notion de justice.

La justice représente — à un plus haut degré — une qualité de Dieu. « Dieu est juste », cette pensée est entrée dans notre conscience, en ce sens que Dieu ne demande des comptes qu’aux vrais coupables, conformément aux paroles de justice ; « Je t’ai appelé par ton nom ».

Ainsi se trouve posé le principe des considérations avec lesquelles les organisations et leurs membres doivent être traités. Dans l’essentiel, il s’agit de deux choses : des membres des organisations, qui, avec leurs familles, représentent au moins 15.000 000 d’hommes ; et de décider par un jugement de ne pas confirmer cette curieuse mais monstrueuse sentence, à savoir que : « Personne ne peut rien contre l’ordre moral universel que l’ordre moral universel lui-même ».

Pour ma plaidoirie, il en résulte la conclusion suivante : On doit répondre à la question posée par le Statut au Ministère Public, à la Défense et au Tribunal, de savoir si des règles d’exception sont admissibles ou non, si les organisations peuvent être considérées comme collectivement responsables, si des lois peuvent être appliquées avec effet rétroactif, en principe par la négative.

A la question opposée de savoir si, dans l’avenir, le monde peut être protégé en partant du terrain du système individualiste, contre les catastrophes sataniques et si la catastrophe provoquée par Hitler ne prouve pas le contraire, je réponds que le fait d’épargner au monde de telles catastrophes n’est pas une question de système, mais celle d’hommes décidés, qui s’appuient solidement sur l’ordre moral universel.

L’importance et les conséquences de la demande présentée par le Ministère Public en vue de déclarer des organisations criminelles ont une portée extraordinaire. C’est une raison suffisante pour que le défenseur soit obligé d’examiner consciencieusement, à fond et sous tous les points de vue, s’il existe des bases permettant de maintenir une accusation dans le sens de la justice de l’ordre moral universel, si lourde de conséquences.

Je voudrais déclarer ici avec insistance que le premier et le plus important résultat de mon examen est le suivant : une collectivité ne peut être déclarée coupable, car une culpabilité criminelle signifie la réalisation d’un acte punissable non seulement d’après le côté objectif, mais aussi du côté subjectif. En d’autres termes : un crime ne peut être commis qu’en connaissance du caractère criminel de l’acte, c’est-à-dire avec intention ; mais selon des notions naturelles, on ne peut parler d’intention que pour les individus et jamais pour une collectivité. Et si l’on en parle, en se référant à la législation étrangère, cela signifie en dernier ressort une confusion avec la volonté concordante de plusieurs individus dirigée vers un but déterminé.

Cependant le problème de la responsabilité collective est plus profond. La pensée de repousser la culpabilité collective plonge ses racines dans les temps les plus éloignés. L’origine de cette idée remonte à l’Ancien Testament ; elle s’est répandue dans le monde entier par les voies de l’hellénisme et du christianisme et est devenue ainsi l’éthique du Droit pénal dé l’ensemble de l’ordre moral universel. Le Droit romain contient très clairement ce principe : Societas delinquere non potest (Une collectivité ne peut pas être coupable). L’époque moderne a maintenu cette conception de la culpabilité individuelle. Le Pape déclarait encore, dans son allocution radiodiffusée du 20 février 1946, que ce serait une erreur d’affirmer que l’on puisse traiter comme criminel et comme responsable un individu par le seul fait qu’il ait appartenu à une certaine collectivité, sans que l’on se donne la peine d’examiner si la personne en question s’est rendue personnellement coupable en commettant un acte ou en s’abstenant de le commettre ; ce serait une immixtion dans les droits de Dieu.

Dans le même esprit, la Convention de la Haye de 1907, relative à la guerre sur terre, défend explicitement dans son article 50 l’application de sanctions collectives pour des actes commis par des individus, actes pour lesquels la population ne peut être considérée comme responsable.

Enfin, l’ancien secrétaire d’État K. H. Frank a été condamné à mort et exécuté, entre autres, pour avoir fait exterminer le village de Lidice à cause de l’attitude de plusieurs centaines de ses habitants. Le fait qu’il a admis une responsabilité collective et qu’il a appliqué une sanction collective au village avait été retenu contre lui comme un crime. Ainsi, il ne peut pas être juste non plus, dans le cas qui nous intéresse, de punir collectivement des organisations entières en tant qu’entités pour les crimes commis par des membres individuels.

Je pense avoir prouvé, par ces courtes remarques, que la base de l’accusation contre les organisations n’est pas solidement fondée. Je ne suis d’accord avec l’exposé juridique de M. Jackson que jusqu’au point où il conclut ses déclarations d’ordre juridique par cette affirmation : « Qu’il est insupportable de rejeter une impunité personnelle par une interprétation au pied de la lettre de la loi ». L’impunité personnelle des membres individuels d’une organisation pour les actes criminels commis à l’intérieur de l’organisation ne peut pas être déduite du fait qu’une culpabilité collective a été refusée ; on pourrait souligner davantage la culpabilité individuelle pour des actes contraires à la loi qui sont commis par l’individu.

La base légale sur laquelle est fondé tout ce Procès contre les individus et les organisations accusés est le Statut créé par les nations alliées ? La Défense a eu l’occasion d’émettre des doutes à l’encontre de ce Statut. C’est à ces doutes que je me réfère.

Je voudrais, encore une fois, mettre en évidence un seul point. Si l’on déclarait criminelle une organisation et que les membres en soient punis pour le fait d’y avoir adhéré, ils seraient donc punis pour un acte qui était légal à l’époque où il a été commis. Donc le Statut établit des normes à effet rétroactif. Mais, le principe juridique qui interdit des lois rétroactives est une acquisition solidement établie dans toutes les nations civilisées.

Dans le même sens, l’Assemblée constituante française a décidé le 14 mars 1946 de placer en exergue de la Constitution de la République Française une nouvelle édition de la « Déclaration des droits de l’homme » dont l’article 10 dit : « Personne ne peut être condamné ou puni sauf par une loi votée et promulguée avant que l’acte ait été commis ».

En accord avec une telle conception du Droit international, le Gouvernement militaire américain en Allemagne a aussi ordonné par la loi n° 1, article 4 : « Les accusations ne peuvent être portées, les peines infligées que si la loi, au moment où l’acte a été commis, déclarait expressément que cet acte était punissable. » La même loi interdit l’application de l’analogie ou du bon sens populaire ; oui, le Gouvernement militaire américain a considéré ce point de vue comme si important qu’il a envisagé de sanctionner sa violation par la peine de mort. Enfin, il a été admis dans l’article 43 de la Convention de la Haye, de l’année 1899, par laquelle les États-Unis d’Amérique, l’Angleterre et la France ont pris des engagements vis-à-vis des autres pays et de l’Allemagne, qu’en cas d’occupation d’un pays étranger, et tant qu’il n’y aurait pas d’obstacle insurmontable, ils maintiendraient les lois de ce pays.

Les Nations Unies ont posé, comme but de ce Procès, qu’elles agiraient en considération de la justice et du Droit international pour servir ainsi la paix mondiale. Elles se sont référées aux droits fondamentaux de l’homme et ont reconnu les règles de base du Droit international. Le fait d’être qualifié de criminel pour des anciennes opinions politiques légales ne serait propre qu’à limiter cet aveu et à ébranler la confiance dans le Droit international fondamental. Un tel jugement pourrait avoir comme précédent des conséquences désastreuses pour l’idée de justice et l’idée de liberté individuelle.

Mes déclarations précédentes concernaient la pertinence de l’accusation contre toutes les organisations ; quant à la Gestapo, il vient s’y ajouter deux cas particuliers.

La Gestapo était une institution d’Etat, un ensemble de services d’État. Une autorité, contrairement à une association ou à une organisation privée quelconque,, ne poursuit pas des buts choisis par elle-même, mais ordonnés par l’État, et cela, non par ses propres moyens, mais par les moyens de l’État. Elle remplit sa fonction dans le cadre de l’ensemble des activités de l’État et ses actions ou les mesures qu’elle prend sont des actes administratifs de l’État. Il s’agit d’une autorité d’État et on ne peut pas dire qu’il y ait soumission à une volonté commune ; on ne peut pas davantage parler d’une réunion contractuelle en vue d’un but commun. Ainsi disparaît l’hypothèse du concept d’organisation ou de groupe et de l’adhésion au sens du Statut. Si des organisations privées ne peuvent plus être considérées comme coupables et punissables, à plus forte raison des autorités d’État et des services administratifs le seront encore moins. Seul l’État lui-même pourrait, si cela pouvait avoir lieu d’une façon générale, être rendu responsable, du point de vue pénal, de ses institutions, mais l’institution elle-même ne peut être rendue responsable.

L’institution de la Police, même de la Police politique, fait partie des affaires intérieures d’un État. Mais un principe juridique international reconnu interdit l’intervention d’un État dans les affaires intérieures légales d’un pays étranger. Et c’est ainsi qu’en ce sens les scrupules résistent à l’accusation contre la Gestapo et je considère de mon devoir de défenseur de les indiquer.

Pour terminer, il y a encore une autre question à examiner. Si la Gestapo est reconnue criminelle, un des principaux accusés devrait nécessairement être un fonctionnaire de la Gestapo. Mais un des principaux accusés fut-il jamais un fonctionnaire et en conséquence un membre de la Gestapo ? Il apparaît comme très douteux que la base de la procédure soit ainsi fournie, car Göring, en sa qualité de Président du conseil de Prusse, était chef de la Gestapo prussienne et pouvait lui donner des ordres mais n’en faisait pas partie. Sa position, en tant que chef de la Gestapo était résolue par le fait qu’il était chef de la Police allemande et par le fait que la Police secrète prussienne a été intégrée dans le Reich en 1936 et 1937.

Frick, ministre de l’Intérieur, s’occupait de la Police à ce titre, mais n’était pas fonctionnaire de la Police ; Kaltenbrunner a dit qu’en ses qualités de chef de la Police de sûreté et du SD, il n’était pas chef de la Gestapo ; il n’était pas non plus devenu ce que Heydrich était depuis 1934, le chef du service de la Police secrète. Même au point de vue du budget, le chef de la Police de sûreté et du SD ne dépendait pas de la Gestapo mais du ministère de l’Intérieur.

Pour le cas où l’on admettrait des poursuites et une condamnation de la Gestapo, je me demande s’il existe les. preuves nécessaires. En d’autres termes, il faut rechercher si la Gestapo constituait, au sens du Statut, une organisation ou un groupement criminel. Pour étudier la question, je m’en tiendrai aux conclusions que le Tribunal a considérées comme probantes dans sa décision du 13 mars 1946.

Avant de traiter cette question, il me faut signaler ici une erreur d’ordre général concernant le genre et l’étendue de l’activité de la Gestapo. Parmi le peuple allemand et peut-être plus encore à l’étranger, on avait l’habitude d’attribuer à la Gestapo toutes les mesures de police, en tant qu’elles avaient un caractère tant soit peu politique, toutes les entraves à la liberté, tous les actes de terrorisme et les exécutions. Elle était devenue le bouc émissaire de tous les crimes en Allemagne et dans les territoires occupés et on entend aujourd’hui lui en faire supporter toute la responsabilité. Pourtant, rien n’est plus faux que cela. L’erreur repose sur le fait que toutes les polices, Police criminelle, Police de la Wehrmacht, Police politique ou SD étaient, sans distinction de l’action des différentes formations, considérées comme Gestapo.

Lorsque Heydrich disait, le jour de la Police allemande en 1941 que « la Gestapo, la Police criminelle et le SD étaient entourés d’un secret absolu de roman policier », cela représente l’atmosphère presque légendaire dans laquelle se trouve encore aujourd’hui la Gestapo. Il correspondait vraisemblablement à la tactique de Heydrich de faire en sorte que les personnes, à l’étranger comme à l’intérieur, considèrent la Gestapo comme un instrument de terreur et cela pour répandre l’épouvante et, par conséquent, éviter les attentats contre l’État.

Ce fait que l’on a attribué à la Gestapo beaucoup de crimes qu’elle n’a pas commis, je désire le montrer par quelques exemples. Un des plus honteux crimes individuels que l’on a vus pendant la guerre est l’assassinat du général français de Boisse ( Ce n’est pas le général de Boisse, mais le général Mesny qui fut assassiné. (Documents PS-4059 et PS-4069. )) commis à la fin de 1944 ou au début de 1945. Sur la base des documents PS-4048 à 4052, le Ministère Public français le met à la charge de la Gestapo. D’après le document PS-4050, le nommé Panzinger était alors chef de l’Amt V du RSHA, c’est-à-dire du service de la Police criminelle du Reich. Le nommé Schulze mentionné dans le document PS-4052 faisait également partie de la Police criminelle du Reich. D’après le dossier V, le document PS-4048 a également été rédigé par le service de la Police criminelle du Reich, par l’Amt V du RSHA. L’amt IV du RSHA, le service de la Gestapo, n’a donc pas pris part à cela mais uniquement le service de Police criminelle dans lequel se trouvait le service des prisonniers de guerre. Himmler qui, en sa qualité de chef de l’armée de réserve, s’occupait aussi de la section des prisonniers de guerre, s’est mis en rapport directement avec Panzinger à ce sujet. L’amt IV n’a eu à aucun stade connaissance de ce fait ; si Kaltenbrunner en savait quelque chose, c’est à lui de l’expliquer.

Ces faits sont prouvés par l’affidavit Gestapo-88.

Dans le rapport du Ministère Public russe sur le jugement des participants à ides crimes de guerre allemands dans la ville de Krasnodar (URSS-55), on attribue sans autre motif sérieux ces terribles crimes à la Gestapo. Il s’agit ici en réalité de l’activité d’un Einsatzkommando, mais non de la Gestapo. Voir à ce sujet l’affidavit Gestapo-45. Je me réfère aussi aux déclarations du témoin Dr Knochen et de Franz Straub ; par ces témoignages, il est prouvé que, là comme partout, aussi bien en Belgique qu’en France, on attribue à tort beaucoup de crimes à la Gestapo.

Par différents témoignages (Dr Knochen, Straub, Kaltembrunner), il est clairement établi que fréquemment dans les territoires occupés et en Allemagne même des calomniateurs ou tous autres éléments troubles se sont donnés à tort comme fonctionnaires de la Gestapo. Himmler lui-même demanda l’internement de ces faux fonctionnaires de la Gestapo dans des camps de concentration (document Gestapo-37, affidavit Gestapo-68).

Ainsi qu’on l’a déjà dit le chef principal de la Gestapo, Heydrich, n’était pas pour rien dans ces faux bruits qui couraient sur la Gestapo. C’est ainsi qu’il fit courir le bruit que la Gestapo savait tout ce qui était dit au point de vue politique, étant donné qu’elle espionnait la population. Le fait que ce qui vient d’être dit ne peut être exact est prouvé, étant donné que 15.000 à 16.000 fonctionnaires de la Gestapo étaient en cause et qu’ils n’auraient pas pu espionner la population, leur nombre n’étant pas suffisamment élevé (déclaration du Dr Best).

En ce qui concerne les membres de la Gestapo qui ont effectivement commis des crimes, ils ne doivent être excusés en aucun cas. Il est tout à fait sûr qu’il s’est produit des faits pour lesquels les fonctionnaires de la Gestapo n’étaient pas responsables et qu’en général on ne cherchait pas à savoir si ces faits ou ces crimes étaient réellement commis par la Gestapo, par la Kripo, les SS, le SD ou par des auteurs indigènes. Il est possible qu’il soit dans l’intérêt de la lutte contre le crime qu’un jugement pénal établisse une sorte d’option vis-à-vis du fait, en ce sens qu’une peine peut être infligée bien que le fait tombe sous telle ou, telle loi pénale. Mais une telle option ne peut se faire quant à la personne de l’auteur ; autrement dit, il ne serait pas juste d’attribuer à la Gestapo des faits pour lesquels la participation de ses membres n’est pas établie sans restriction.

Ainsi que je l’ai déjà dit, la Gestapo n’était pas un ensemble de personnes, ni au sens grammatical, ni au sens du Statut. Sa constitution, ses buts, ses tâches, les méthodes qu’elle appliquait, ne peuvent d’emblée être considérés comme criminels. La position de la Police politique, ses tâches particulières et les mesures qu’elle avait à prendre demandaient évidemment une forme d’organisation tout à fait particulière. A ce propos, je considère une présentation, concise il est vrai, mais vaste cependant, de la structure d’organisation et du dispositif du personnel de la Gestapo comme d’autant plus importante que le Tribunal, dans ses décisions du 14 janvier et du 13 mars 1946, a donné à entendre qu’il attribue une importance décisive à l’explication de cette question, le cas échéant.

Monsieur le Président, pour ne pas importuner le Tribunal avec les explications sur la structure de l’organisation et du personnel de la Gestapo, je ne lis pas les neuf pages suivantes, mais vous demande d’en prendre connaissance. A ce propos, j’attire tout spécialement l’attention du Tribunal sur les pages 20 à 24. Elles traitent des différences de principe entre fonctionnaires d’administration et fonctionnaires d’exécution, du personnel technique, des fonctionnaires admis par nécessité et des groupes intégrés dans la Gestapo tels la Police secrète de campagne, la protection douanière, le service de contre-espionnage militaire et les groupements affiliés.

Dans l’évolution de la Police politique allemande de 1933 jusqu’à la fin de la guerre, on constate trois périodes au point de vue de l’organisation :

1. La période s’écoulant depuis ce qu’on appelle la prise de pouvoir jusqu’à la nomination de Himmler au poste de chef de la Police allemande, c’est-à-dire jusqu’en juin 1936. A ce propos, je me réfère au document PS-2073, Gestapo-12. La caractéristique de cette période de développement qui ne s’est pas déroulée partout régulièrement, fut la souveraineté de la Police dans certaines réglons isolées du Reich allemand, résultat de l’Indépendance politique de ces régions. Cette décentralisation disparut il est vrai, partiellement, lorsqu’on 1933 et au début de 1934 Himmler devint peu à peu commandant de la Police politique de tous les Lander du Reich allemand, à l’exception de la Prusse.

Au printemps 1934. Himmler fut également nommé chef adjoint de la Gestapo prussienne ; ainsi, Himmler avait étendu sa sphère d’influence à la Gestapo de tous les Lander du Reich allemand. Du point de vue budgétaire, la Gestapo émargea jusqu’en juin 1936 au budget des Lander.

2.. La deuxième période est introduite par la nomination de Himmler au poste de chef de la Police allemande, survenue le 17 juin 1936. Quelques jours plus tard eut lieu la nomination du SS-Gruppenführer Heydrich au poste de chef de Police de sécurité qui englobait la Gestapo et la Police criminelle, tandis que le général de Police Daluege était nommé chef de la Police d’ordre qui englobait la Police d’Etat, la gendarmerie et la Police municipale. Ainsi fut réalisée l’unification nationale de la Police allemande.

Le siège central de la Gestapo pour tout le territoire du Reich était le service de la Gestapo à Berlin, auquel étaient subordonnés tous les services de la Gestapo dans le Reich tout entier. Ces services subordonnés étaient des services administratifs de la Gestapo auprès des sièges des gouvernements des provinces ; il y avait des services de la Gestapo auprès de presque tous les Regierungspräsidenten et des services administratifs similaires de Prusse et des Länder.

3. La troisième et dernière période s’ouvre par la création du Service principal de sécurité du Reich (RSHA) promulguée le 27 septembre 1939. Le chef de la Police de sécurité Heydrich réalisa avec la concentration des organisations du Parti et des autorités de Police d’Etat, donc d’éléments hétérogènes, un plan entretenu depuis longtemps dans le RSHA, et il est exact que pour un étranger il était totalement impossible de distinguer si Heydrich agissait dans un cas Isolé en tant que chef d’une autorité d’Etat ou en tant que chef d’un service du Parti.

Le Service principal de sécurité du Reich (RSHA) englobait dans sa structure la plus large les services suivants : Amt I. Personnel (autorité d’État) ; Amt II. Administration (autorité d’Etat) ; Amt III. SD Intérieur du pays (organisation du Parti) ; Amt IV. Gestapo (autorité d’Etat) ; Amt V. Police criminelle du Reich (autorité d’Etat) : Amt VI. SD Etranger (organisation du Parti) auquel s’ajouta encore en 1S44 le service de renseignements militaire ; Amt VII. SD Exploitation scientifique (organisation du Parti) ; Amt N. Coordination des renseignements techniques (autorité d’État).

Le Service principal de sécurité du Reich (RSHA) n’était donc pas une autorité homogène, mais la désignation collective de divers services qui ne furent pas modifiés dans leur structure juridique. Les différentes parties du RSHA restèrent, après comme avant, ce qu’elles avaient été : a) Pour autant que les différents services émanaient du ministère de l’Intérieur du Reich, comme l’Amt 1 : Personnel et l’Amt II : Administration, ils restèrent une subdivision de ce ministère ; b) Les Amter IV et V, donc le service de la Gestapo et le service de la Police criminelle du Reich, conservèrent la même autorité après comme avant ; c) Les services émanant de l’ancien service principal du SD, les Amter III, VI, VII restèrent après comme avant une organisation des SS et du Parti.

Leurs tâches n’ont pas changé, non plus leur caractère d’éléments de l’État ou du Parti. Ce n’est pas le RSHA, en tant que tel, qui était un service principal des SS, mais seulement les services de celui-ci qui étaient issus de l’ancien service principal du SD.

L’Amt IV du RSHA, donc le service de la Gestapo, dont le SS-GruppenFührer Heinrich Müller était le chef, fut plusieurs fois transformé dans sa structure au point de vue de ses attributions dans la période de 1939 à 1945 ; il englobait à la fin de 1944 les domaines suivants : IV A 1 Opposition de gauche et de droite ; IV A 2 Lutte contre le sabotage ; IV A 3 Contre-espionnage ; IV A 4 Les Juifs, les Eglises ; IV A 5 Missions spéciales ; IV A 6 Détention de protection ; IV B 1 Territoires occupés de l’Ouest ; IV B 2 Territoires occupés de l’Est ; IV B 3 Territoires occupés du Sud-Est ; IV B 4 Service des passeports et laissez-passer ; IV Ba A Questions fondamentales de l’emploi de la main-d’œuvre étrangère ; IV G Protection des frontières douanières, inspections des frontières.

Dans la structure d’organisation des services subordonnés, donc des services administratifs de la Gestapo près des gouvernements des Lander et des provinces les plus importantes de Prusse comme des services de la Gestapo en général, rien d’essentiel n’a été changé à la disposition antérieure à 1939.

De l’organisation ainsi décrite, 11 faut distinguer les Einsatzgruppen et les Einsatzkommandos de la Police de sécurité formés pour le cas de guerre.

Le concept de Police de sécurité qui, en temps de paix, n’était apparu que dans les titres du chef de la Police de sécurité, a reçu en eux une incarnation qui se distinguait par sa nature des branches de la Gestapo et de la Kripo qui avalent fourni une partie du personnel.

Dans l’utilisation de la Police de sécurité et du SD dans les territoires occupés, 11 faut distinguer entre :

a) L’utilisation de la Sipo et du SD dans des unités militaires, donc dans les Einsatzkommandos, sous l’autorité de la Wehrmacht, et

b) L’utilisation après l’organisation d’une administration militaire ou éventuellement civile. Les services stationnés étaient subordonnés aux chefs supérieurs des SS et de la Police, qui pouvaient donner des ordres très étendus aux commandants de la Sipo et du SD qui leur étalent subordonnés. Les chefs des SS et de la Police auxquels étaient subordonnés ces commandants, venaient ensuite dans l’ordre hiérarchique. En bien des cas, les Commissaires du Reich, par exemple, un Terboven en Norvège, un Bürckel en Lorraine, jouaient le rôle d’intermédiaires dans la transmission des ordres. Je dois aussi rappeler que les chefs supérieurs des SS et de la Police informaient souvent directement Himmler et recevaient des ordres de celui-ci par l’intermédiaire du Chef de la Sipo et du SD.

Les services de la Sipo et du SD dans les territoires occupés étaient en rapport avec les Amter III ou VI (SD), IV (Gestapo) et V (Police criminelle) ; cependant, l’occupation personnelle aussi bien que l’activité des différentes parties d’un service étaient subordonnés aux difficultés provoquées par la guerre. Ainsi, des membres de la Police criminelle furent chargés de tâches concernant la Police d’Etat et inversement des membres de la Gestapo accomplirent des tâches qui concernaient uniquement la Police criminelle. La nécessité créée par le manque de spécialistes qui força à prendre dès 1942, sur une échelle toujours plus grande, des membres de la Police secrète de campagne de la Wehrmacht en tant que requis dans les services de la Police de sécurité, bien qu’ils apportassent des connaissances techniques en matière de police pratiquement nulles — outre les requis du Reich et les employés recrutés dans les pays intéressés — doit être mentionnée ici pour pouvoir estimer équitablement l’activité de la Police de sécurité dans les territoires occupés.

Cet aperçu concis de la structure de l’organisation par rapport à une description de la structure personnelle ne fournit que les bases nécessaires au jugement. D’après leur formation et leur utilisation, on trouve dans le personnel de la Gestapo les groupes des personnes suivants :

1. Les fonctionnaires d’administration. Ils n’étalent pas des fonctionnaires de la Police au sens de la loi allemande sur les fonctionnaires de Police.

Le paragraphe 1 de cette loi, document Gestapo n° 9, stipule que la loi sur les fonctionnaires d’exécution de la Police d’Etat, de la Police criminelle, de la gendarmerie et de la Gestapo est applicable. Les fonctionnaires d’administration des branches de police susnommées n’avaient pas une formation de Police criminelle ou de Police d’Etat, et n’ont pas été utilisés non plus, même par exception, dans le service d’exécution. Ils n’étaient pas non plus des auxiliaires du Ministère Public. Leur formation et leur activité de fonctionnaires d’administration comprenaient : les questions de personnel, les questions économiques telles que projets budgétaires, logement, habillement, caisses et comptabilité, etc. De même dans l’organisation à l’étranger, les fonctionnaires n’avaient pas d’autres tâches. Ils étaient ce que dans la Wehrmacht, et cela aussi bien au front que dans les services spéciaux, étaient les Intendants et trésoriers. Le nombre des fonctionnaires d’administration s’élevait à la fin de 1944 à environ 3.000 et constituait environ 10 % du personnel régulier de la Gestapo. Pour preuve des faits précédents je me réfère aux affidavits présentés sous les numéros Gestapo-17, 10, 19, 20, 31, 34 et aux dépositions des témoins Oldach, Albath, Tesmer, Hoffmann et Best faites devant la commission ou devant le Tribunal.

2. Le deuxième groupe de personnes est formé par les fonctionnaires d’exécution qui, à la fin de 1944, constituaient environ 40 à 45 % du personnel régulier de la Gestapo. Ils comprenaient : Fonctionnaires du service supérieur : à partir du Regierungsrat et du Kriminalrat ; Fonctionnaires du service : à partir de l’inspecteur de police ; Fonctionnaires du service intermédiaire : à partir de l’assistant de police.

Les fonctionnaires d’exécution étaient utilisés dans les rapports de la Police politique proprement dite, comme je l’ai montré dans ma description de l’organisation de l’Amt IV du RSHA.

La Police de l’Abwehr comptait aussi au nombre des agents d’exécution de la Gestapo. Celle-ci, d’abord service III du service de la Gestapo, puis IV A 3 de l’Amt IV du RSHA, avait la tâche de découvrir les affaires de Police criminelle et d’élucider tous les crimes de haute trahison.

Dans l’affidavit Gestapo-89, le nombre des membres de l’Abwehrpolizei est estimé à environ 2.000 ou 3.000.

3. De même, la Police des frontières fait partie des services d’exécution de la Gestapo. Les tâches et positions personnelles de la Police des frontières ont été clairement montrées par les dépositions et affidavits des témoins Best et Goppelt (affidavit 22) et par le document Gestapo n° 18. L’effectif approximatif devait atteindre le chiffre de 3.000 qui est inclus dans le total des fonctionnaires d’exécution.

4. Faisaient en outre partie de la Gestapo ses employés et salariés qui — y compris les requis par le service du travail pour travailler avec la Gestapo, qu’on appelait les recrues par nécessité — s’élevaient à environ 13.500 personnes et atteignaient donc presque le chiffre des fonctionnaires d’exécution.

5. La Gestapo avait en outre un service spécial parmi le personnel d’informations techniques qui comptait en chiffre rond 500 membres qui s’occupaient de l’installation, de l’entretien et du service des installations téléphoniques et télégraphiques.

6. Si j’ai parlé plus haut du personnel régulier de la Gestapo, les groupes de personnes dont je vais parler maintenant appartenaient formellement à la Gestapo, mais leur incorporation dans la Gestapo durant la deuxième moitié de la guerre avait eu lieu dans des circonstances qui ne peuvent laisser le moindre doute sur leur adhésion involontaire. J’en reparlerai plus tard à un autre sujet.

a) Pour des raisons de chronologie, je nommerai d’abord les requis par nécessité que j’ai déjà mentionnés. Comme le témoin Krichbaum l’a exposé, à partir de 1942, d’abord 23 groupes en France, puis 8 en Belgique, un au Danemark, un en Serbie et 18 à l’Est, donc en tout 51 groupes comprenant au moins 5.500 hommes, furent libérés de la Wehrmacht sur ordre de l’OKW pour être utilisés dans la Police de sécurité des territoires occupés, comme recrues de nécessité. Ces requis furent utilisés dans toutes les branches de la Police de sécurité, donc dans la Gestapo, le SD et la Police criminelle qui n’est pas accusée ici.

b) L’organisation militaire de l’Abwehr à l’OKW fut transférée au printemps 1944 sur l’ordre de Hitler à la police de sécurité ou au SD, et ainsi la section défense de l’Abwehr fut annexée à l’Amt IV, c’est-à-dire à la Gestapo, tandis que les autres parties constituaient dans le RSHA, sous la désignation Amt Mil, un service particulier. Le nombre des gens ainsi transférés s’éleva globalement à environ 4.000 à 5.000. Combien d’entre eux furent utilisés dans le cadre de l’Abwehr, c’est-à-dire dans l’Amt IV, n’a pu être découvert avec précision, mais leur nombre n’a pas dû être d’une importance décisive.

En même temps, les services de contrôle de la correspondance étrangère et de contrôle des télégrammes à l’étranger qui, jusque là, étaient subordonnés à l’Abwehr militaire, furent transférés à la Police de sécurité. Ici, il s’agit d’environ 7.500 personnes qui, sur la base d’un ordre, entrèrent dans un service subordonné de la Police de sécurité (affidavit Gestapo n° 19).

c) Comme dernier groupe de personnes, à partir de l’automne 1944, donc dans la dernière phase de la guerre, une partie de la protection des frontières douanières fut incorporée dans la Gestapo ; jusqu’alors elle avait fait partie de l’administration des finances du Reich. Après l’incorporation, il n’y eut de changement ni dans l’organisation ni dans les tâches de la protection des frontières douanières. L’effectif des éléments incorporés dans la Gestapo s’élevait, d’après l’affidavit Gestapo n° 31, à environ 45.000 hommes.

Je continue au haut de la page 24 : L’organisme d’État de la Police politique qui vient d’être décrit était, en tant que branche de l’administration de l’État, en dehors de la structure de la NSDAP et de ses organisations. La Gestapo ne fut pas dominée par le Parti ; au contraire, son indépendance à l’intérieur de l’État et à l’extérieur de la structure du Parti devait précisément servir à s’opposer aux erreurs commises par les membres du Parti par les moyens de l’État. Si Himmler, en sa qualité de Reichsführer SS depuis 1933, devint le chef de la Police politique dans tous les Länder et plus tard dans le Reich tout entier, les autorités des polices locales n’eurent aucune influence sur cette décision. D’abord cela ne changea, en substance, rien de leur activité. Les polices politiques des Länder allemands, lors de leur remaniement en 1933, ont été pourvues pour l’essentiel de fonctionnaires qui avaient appartenu jusqu’alors aux autorités de Police ; les fonctionnaires dirigeants n’étaient même pas partout des membres du Parti. Plus tard même, les fonctionnaires qui avaient été pris dès le début ne furent pas remplacés par des membres du Parti. Ce n’est que dans une mesure infime et presque seulement en tant qu’employés et salariés des services techniques, chauffeurs, télétypistes, auxiliaires, etc., que l’on prit des gens du : Parti, des SS ou des SA.

La prétendue assimilation de la Gestapo aux SS semble contredire la séparation du Parti et de ses ramifications. Cette assimilation signifiait seulement une jonction purement nominale avec les SS. Le motif de cette assimilation était le suivant : dans la Gestapo, le fonctionnariat professionnel avait été introduit et maintenu. Mais, en général, le Parti ne tenait pas particulièrement compte du passé politique ou non politique des fonctionnaires. Pour renforcer leur autorité lors de l’exécution de leurs tâches et précisément vis-à-vis des nationaux-socialistes, ils devaient porter l’uniforme, comme l’a attesté le témoin Dr Best, qui s’est désigné comme le promoteur de l’assimilation. Avec l’assimilation les fonctionnaires de la Gestapo comme du reste également les fonctionnaires de la Police criminelle qui devaient de même être assimilés, se trouvèrent de fait dans la formation du SD des SS, mais ils restèrent uniquement soumis à leurs supérieurs hiérarchiques et ne participèrent aucunement au service des SS ou du SD. L’assimilation ne se fit en outre que lentement et dans une mesure infime. Lors de la déclaration de la guerre en 1939, parmi les quelque 20.000 membres de la Gestapo et de la Kripo, 3.000 seulement en chiffre rond avaient été assimilés. Il est caractéristique que Himmler ne voyait nullement d’un bon œil la Gestapo sous l’uniforme SS, comme le montre le document USA-447.

Durant la guerre, des non-assimilés travaillant dans certaines organisations durent aussi porter l’uniforme SS, sans pourtant en être membres. Du reste, les SS n’ont pas contrôlé la Police et n’ont eu aucune influence quelconque sur son activité ; ce n’est que dans la personne de Himmler que se trouvait une union personnelle des directions des deux services. A ce propos, je renvoie au témoin Dr Best.

La Gestapo, en tant qu’ensemble, n’avait de même rien à faire avec le SD qui, comme on le sait, était purement une organisation du Parti. Ce n’est que dans la personne du chef de la Sipo et du SD, Heydrich, et plus tard Kaltenbrunner, que se trouvait une union personnelle qui était fortuite et ne constituait aucun rapport d’organisation ou de fonction. Le SD n’était nullement lié à la Gestapo par un système de police. Le SD n’avait pas à assister la Gestapo dans ses tâches, il ne remplissait d’une façon générale aucune fonction policière. Les fonctionnaires de la Gestapo ne se sentaient nullement membres d’une organisation unie aux SS et au SD. Chaque membre de ces trois institutions savait qu’il appartenait à une organisation autonome poursuivant des buts indépendants.

Si la Gestapo n’était nullement liée au Parti, soit par son organisation, soit simplement par son activité, elle n’était cependant pas, en tant qu’autorité de l’État, éliminée de la structure générale de l’administration de l’État ; bien plus, sur tous les plans, il y avait des engrenages qui la liaient à l’administration générale et intérieure. Les autorités administratives supérieures : les ministres de l’Intérieur des Länder, les Oberpräsidenten et les Reigierungspräsidenten avaient le droit de recevoir des rapports et des instructions. De même la présentation des preuves a montré que la plus grande partie des actions de la Police d’État avait été exécutée par les autorité de la Police du Kreis ou de l’Ort et par la gendarmerie. Ces faits, précisément, donnent une idée de la difficulté et des scrupules qu’on peut avoir à accuser la Gestapo en tant qu’institution d’État. Car, en toute logique, les fonctionnaires des autorités administratives mentionnées, pour autant qu’ils ont eu une activité de Police d’État, devraient également être mis en accusation avec la Gestapo.

Si, pour ces raisons, on ne peut parler pour la Gestapo d’un ensemble de personnes, donc d’une association au sens de l’Accusation, l’exigence d’une adhésion volontaire est encore moins remplie. Aucun des témoins interrogés n’a pu d’une façon quelconque justifier cette prétention du Ministère Public ; bien plus, tous les témoins ont dû attester qu’en principe l’adhésion à la Gestapo ne reposait pas sur une base volontaire. L’incorporation des fonctionnaires dans la Gestapo eut lieu la plupart du temps de la façon suivante : ils étaient mutés de leur poste dans un service de la Gestapo. Ils devaient obéir à l’ordre de mutation, car la législation des fonctionnaires les y contraignait. Un refus aurait entraîné de graves désavantages de service, probablement la perte de leur poste ; et si le refus était tout à fait fondé, en ce sens que le fonctionnaire n’était pas en accord avec l’activité de la Gestapo pour des raisons de conscience, il eût été entraîné — comme d’ailleurs tout autre fonctionnaire dans un cas analogue — dans une instance devant un conseil de discipline, ou même dans une procédure criminelle ordinaire, eût perdu sa situation et ses droits acquis et eût en outre été interné dans un camp de concentration.

Le recrutement des fonctionnaires dans la Gestapo était ainsi réglementé que, d’après la loi sur les fonctionnaires de police, 90 % étaient d’anciens fonctionnaires ; de la Police d’État qui désiraient devenir des fonctionnaires de la Police criminelle, et seulement 10% pouvaient être nommés librement. Les candidats venant de la Police d’État ne pouvaient cependant se décider librement pour la Gestapo ou pour la Kripo ; ils étaient plutôt désignés par le bureau de placement de la Police de Potsdam, selon les besoins de la Gestapo ou de la Kripo, et cela contre leur volonté. Il s’agissait d’ailleurs ici de fonctionnaires de la Police d’État ayant huit à douze années de service ; donc, de vieux fonctionnaires de police, qui, avant 1933, étaient déjà dans la Police.

La cessation de fonctions des fonctionnaires de la Gestapo était, abstraction faite des raisons de départ ordinaires comme par exemple : décès, maladie, renvoi pour manquements aux devoirs, pratiquement impossible. Pendant la guerre, la Gestapo, comme toute la Police, était considérée comme en service actif et était soumise au Droit pénal militaire, si bien qu’une démission était tout à fait impossible. Il était même interdit de se porter volontaire pour le front.

Les mêmes principes pour l’admission et le congé s’appliquaient pour les institutions subordonnées à la Gestapo, comme la Police des frontières, l’Abwehr, la protection des frontières douanières, sans oublier les nombreuses recrues de nécessité durant la guerre, qui, par moments, constituèrent presque la moitié ;du personnel.

De ces explications qui s’appuient sur les dépositions et déclarations sous la foi du serment, avant tout des témoins Best, Knochen et Hoffmann, il ressort que la Gestapo était un ensemble d’autorités d’État. Mais dans le cas d’une autorité, on ne peut parler des membres d’une autorité comme des membres d’une organisation privée. Il n’y avait pas non plus d’adhésion dans la Gestapo et encore moins d’adhésion volontaire ; il y avait plutôt simplement une situation de fonctionnaire publique et légale.

De même à la question de savoir si le but et les tâches de la Gestapo étaient criminels, il faut répondre par la négative. Le but de la Gestapo, comme de toute police politique, était la protection du peuple et de l’État contre les attaques hostiles à l’État menées contre son existence et son libre développement. La tâche de la Gestapo est ainsi esquissée dans le paragraphe 1 de la loi du 10 février 1936, document Gestapo n° 7 :

« La Gestapo a la tâche de rechercher toutes les intentions qui mettent l’État en danger, et de lutter contre elles, de rassembler et d’exploiter le résultat des enquêtes, d’informer le Gouvernement, de tenir les autres autorités au courant des constatations importantes pour elles et de leur fournir des impulsions. »

Ces tâches de la Gestapo étaient, quant à leur fond, les mêmes que celles de la Police politique avant 1933 et que celles de toute autre police politique à l’étranger. Ce qu’on entend par intentions mettant l’État en danger, dépend de la structure politique de chaque État. Une modification dans la direction politique ne peut rendre rétroactivement illégale l’activité antérieure d’une police politique dirigée contre des forces considérées comme hostiles à l’État. L’activité de la Gestapo était réglée politiquement par des prescriptions légales. Ses tâches consistaient en premier lieu et principalement dans la recherche des activités politiques répréhensibles suivant les lois pénales générales. Les fonctionnaires de la Gestapo agissaient comme auxiliaires du Ministère Public et ils prenaient, d’autre part, des mesures préventives en vue d’empêcher de telles actions.

Or, à la vérité, les méthodes de la Gestapo lui sont gravement reprochées en raison d’une triple tendance, et même considérées comme criminelles. L’une de ces méthodes concerne la détention de protection et l’envoi dans des camps de concentration. Je sais : lorsque je ne fais que prononcer ces noms, il en émane un froid souffle de sépulcre. Quoi qu’il en soit, même l’ordre de détention de protection était réglé par des prescriptions précises. La détention de protection qui, en outre, n’était nullement une invention spécifiquement allemande ou spécifiquement nationale-socialiste, a été reconnue légale dans plusieurs jugements ; de la cour du Reich et du tribunal .administratif suprême de Prusse, donc de tribunaux conformes à la Constitution.

Une deuxième méthode, celle que l’on appelle l’interrogatoire au troisième degré, doit à la vérité donner lieu au bas mot à de pénibles scrupules. Cependant cette méthode fut rarement appliquée (voir en particulier le témoin Dr Best), uniquement sur l’ordre des services supérieurs et jamais pour extorquer un aveu. Cette méthode aussi, dont il sera question encore plus loin à propos de la discussion des crimes individuels, était légalement réglée, et cela même encore durant la guerre (cf. document Gestapo n° 60).

Enfin le Ministère Public reproche encore particulièrement à la Gestapo de n’avoir pas été liée par la loi, mais plutôt d’avoir agi tout fait arbitrairement. Il faut dire à ce propos que si dans deux lois (sur l’annexion de l’Autriche et du territoire des Sudètes) il est prescrit que le chef de la Police allemande peut prendre des mesures en dehors des lois ordinairement en vigueur, l’arbitraire de la Police ne doit pas en être déduit pour cela : il s’agissait plutôt d’un transfert légal typique du pouvoir d’établir une juridiction de police. Par mesures, au sens de ces lois, on n’entendait pas des initiatives personnelles, mais des ordonnances d’ordre général qui pouvaient être promulguées, même si dans les pays annexés il n’y avait pas encore de loi pour cela, mais qui alors, parce que le pouvoir était conféré par le Chef supérieur de l’Etat, liaient la population et les forces d’exécution de la Police. Il était établi de façon absolue qu’aucune initiative personnelle ne pouvait être exécutée arbitrairement, mais que pour tous les actes d’exécution, des prescriptions précises devaient être en vigueur et observées (témoin Dr Best).

Les fonctionnaires de la Gestapo ne pouvaient pas du tout — du moins avant la guerre — avoir l’idée que des procédés arbitraires leur seraient reprochés par l’étranger. Les tâches et méthodes de la Gestapo qui étaient manifestes et juridiquement limitées non seulement pour les membres de la Gestapo, mais pour le monde entier, ne peuvent être considérées comme criminelles par un monde qui non seulement a reconnu formellement le Gouvernement allemand comme seul responsable en cette matière, mais a exprimé manifestement à diverses reprises au peuple allemand sa reconnaissance de ce Gouvernement. Si les pays étrangers avaient été choqués par les buts poursuivis par la Gestapo, il n’eût pas été concevable que d’innombrables organisations de police étrangères travaillassent en collaboration directe et étroite, et non pas par l’intermédiaire de la diplomatie, avec la Gestapo allemande, et que des fonctionnaires -de police étrangers eussent rendu visite à la Gestapo allemande dans le but évident de prendre des leçons (cf. affidavit Gestapo n° 26 et 89). En tout cas, le fonctionnaire isolé de la Gestapo devait en conclure que son activité était reconnue du point de vue international.

Les buts, tâches et méthodes de la Gestapo sont également restés en principe les mêmes durant la guerre. Pour autant que des actions autres que celles qui ont été décrites lui ont été attribuées, elles doivent être considérées comme des actions étrangères à la Police et extérieures à l’organisation. En particulier, on parlera plus tard des Einsatzgruppen, de leur composition, de leur activité et de leurs relations avec la Gestapo.

Je devrais maintenant, selon la structure de l’Accusation, m’occuper de la question de savoir si la Gestapo a participé à un plan concerté en vue de commettre des crimes, si elle a coopéré en tant que partie consciente du tout à ce que l’Accusation appelle la conspiration nazie. Mais pour pouvoir traiter cette question, il semble nécessaire de rechercher d’abord quels crimes peuvent effectivement être prouvés contre la Gestapo.

Pour déclarer une organisation criminelle, de même que pour caractériser un individu, seules des manifestations typiques peuvent être considérées, c’est-à-dire seulement les actions et traits caractéristiques correspondant à la nature, au caractère de l’organisation en question. On ne peut donc utiliser des événements qui se sont, il est vrai, déroulés au sein de l’organisation, mais qui doivent être considérés comme étrangers à l’organisation, en l’espèce comme étrangers à la Police, encore moins des actions qui ont été commises seulement par des membres isolés. Pour déterminer si ces manifestations peuvent être considérées comme criminelles, il faut se référer au Droit allemand qui, du reste, ne diffère pas de la conception des autres pays civilisés quand il s’agit de caractériser ce qui est généralement criminel.

Me référant à la classification faite par le Ministère Public, je répartirai de même les crimes imputés à la Gestapo en crimes contre la paix, crimes de guerre, et crimes contre l’Humanité.

a) Crimes contre la paix. L’Accusation a pour objet le reproche suivant lequel la Gestapo, en collaboration avec le SD, a créé des incidents de frontière pour donner à Hitler un prétexte de guerre contre la Pologne. Deux incidents de frontière ont été cités ; l’attaque contre la station émettrice de Gleiwitz et une attaque simulée contre un groupe de Polonais près de Hohenlinden.

L’attaque contre la station de Gleiwitz n’a pas été faite avec la participation de fonctionnaires de la Gestapo. Le témoin Naujocks, qui était le chef de cette opération et cependant ne faisait pas partie de la Gestapo, a clairement confirmé qu’aucun membre de la Gestapo n’a coopéré à cette action. L’ordre concernant cette opération émanait directement de Heydrich et fut transmis par celui-ci directement et verbalement à Naujocks.

L’ordre concernant l’attaque simulée de Hohenlinden fut transmis par Müller, chef de l’Amt IV du BSHA, à Naujocks. Cependant celui-ci, qui dirigea aussi cette opération, a expressément contesté la participation de l’Amt IV.

LE PRÉSIDENT

Docteur Merkel, je crois qu’il serait temps de suspendre l’audience.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures).