DEUX CENT DIXIÈME JOURNÉE.
Vendredi 23 août 1946.
Audience de l’après-midi.
Monsieur le Président, j’ai entendu dire que les interprètes n’étaient pas en possession de la traduction française de ma plaidoirie. Dans leur intérêt, je parlerai donc plus lentement. Je viens d’ailleurs de supprimer seize pages de cette plaidoirie afin d’en avoir terminé dans le temps qui m’a été imparti.
Votre plaidoirie sera naturellement traduite ultérieurement, et nous pourrons ainsi prendre connaissance de ces pages.
J’en étais resté aux déclarations du témoin Naujocks relatives à l’attaque de la station d’émission, de Gleiwitz et du groupe de Hohenlinden. Naujocks déclara que ce n’était naturellement pas la tâche de l’Ami IV du RSHA de mettre en scène des incidents de frontière. Müller n’a pas, pour l’exécution du dernier incident de frontière cité, choisi des membres de l’Amt IV, mais uniquement des personnes qui avaient sa confiance, étant donné que Heydrich n’avait pas confiance dans la Gestapo et estimait qu’elle n’était pas indiquée pour assurer le secret et la sécurité. Naujocks déclare textuellement : « Je ne peux pas identifier Müller avec l’organisation de la Gestapo ». Donc les incidents de frontière ne furent pas, dans la mesure où Müller a participé à l’action, une affaire de la Gestapo, mais une affaire personnelle de Heydrich. On n’a pas prétendu que la Gestapo eût commis d’autres crimes contre la paix.
Crimes de guerre. Un des reproches les plus graves adressés à la Gestapo concerne le meurtre en masse de la population civile des pays occupés par ce qu’on appelle les Einsatzgruppen. Non seulement la Défense, mais le peuple allemand tout entier se séparent des cruautés inhumaines commises par les Einsatzgruppen. Ceux qui se sont rendus responsables de telles atrocités, et ont ainsi jeté la honte sur le nom allemand, doivent rendre des comptes.
Des membres de la Gestapo ont également participé aux actions des Einsatzgruppen. Mais on me permettra d’examiner dans quelle mesure l’organisation de la Gestapo, dans sa totalité, peut être rendue responsable des actes criminels des Einsatzgruppen.
Les Einsatzgruppen devaient remplir à l’arrière du front les tâches du chef de la Sipo et du SD, donc elles devaient garantir à l’arrière des troupes combattantes le calme, la sécurité et l’ordre. Elles étaient subordonnées à l’autorité des armées, auxquelles ; étaient attachés des officiers de liaison. Les Einsatzgruppen étaient des unités qui avaient été créées pour des buts déterminés. Elles se composaient de membres du SD, des SS, de la Kripo et de la Gestapo, de la Police d’ordre, de requis et enfin de forces indigènes. Les membres du SD, de la Kripo et de la Gestapo furent engagés sans considération de leur ancienne appartenance à leur branche. Du point de vue purement personnel, il s’agissait donc d’une mise en œuvre de toute la Police et du SD et non d’une mise en œuvre de la Gestapo. La participation numérique de la Gestapo aux Einsatzgruppen s’élevait à environ 10%. Elle était donc infime par rapport au nombre total des fonctionnaires de la Gestapo. La mutation de ses membres dans les Einsatzgruppen eut lieu sans qu’ils y fussent pour rien, très souvent même contre leur volonté, sur l’ordre du RSHA. Lors de leur nomination dans les Einsatzgruppen, ils quittaient l’organisation de la Gestapo. Ils étaient exclusivement soumis à la direction de l’Einsatzgruppen qui recevait ses ordres directement en partie du chef supérieur des SS et de la Police, en partie de l’État-Major de l’Armée, en partie du RSHA. Les relations avec les services du pays et par là avec l’organisation de la Gestapo étaient presque entièrement résolues par l’utilisation dans les Einsatzgruppen. Ils ne pouvaient recevoir de la Gestapo un ordre quelconque, ils étaient soustraits à la sphère d’influence de la Gestapo.
Ces principes réglementant les Einsatzgruppen étaient particulièrement en vigueur dans les Einsatzgruppen de l’Est auxquelles, on le sait, on a reproché les crimes les plus nombreux et les plus graves. A elles aussi s’appliquait le fait que la mise en œuvre à l’Est n’était une mise en œuvre de la Gestapo ni au point de vue de la composition personnelle, ni au point de vue des tâches, mais la mise en œuvre d’un groupement d’unités diverses formé spécialement dans ce but. Le témoin Ohlendorf l’a également attesté.
Du fait que le personnel de la Gestapo y a participé, on ne peut conclure à sa responsabilité d’actes commis par les Einsatzgruppen. Il ne change rien non plus de savoir que le chef de l’Amt IV, Muller, c’est-à-dire le chef de la Gestapo au sein du RSHA, a participé du fait de son autorité à la transmission de tous les ordres. Il agissait ici directement au nom de Himmler et de Heydrich. L’activité de Müller ne peut être décisive eu égard au fait que la majorité, de beaucoup prépondérante, des fonctionnaires qui lui étaient subordonnés ne connaissait nullement les événements. Si c’était le cas, il faudrait également rendre responsable de la même façon la Kripo ou la Police d’ordre, dans leur ensemble, de ces événements. Mais pas davantage que la Kripo, dont le chef Nebe était d’ailleurs lui-même chef d’une Einsatzgruppen à l’Est, n’a été rendue responsable des exécutions en masse entreprises par les Einsatzgruppen en raison de la participation de son chef et de quelques-uns de ses membres, pas davantage la Gestapo ne peut être déclarée criminelle en raison de la position de Muller dans les Einsatzgruppen. Les meurtres en masse de la population civile, comme toutes les autres atrocités commises par les Einsatzgruppen, ne peuvent être imputées à la Gestapo en tant que telle.
L’autre accusation concerne l’exécution de prisonniers indésirables du point de vue politique et racial dans des camps. Je vous demande d’en prendre connaissance ainsi que du troisième point de l’accusation selon lequel la Gestapo aurait, en liaison avec le SD, ramené dans des camps de concentration des prisonniers de guerre évadés qui avaient été repris.
Ici l’accord du 16 juillet 1941, que l’on appelle l’ordre des commissaires (UHSS-114), conclu entre le chef de la Sipo et du SD, d’une part, et l’OKW de l’autre, fait autorité. Des directives du 17 juillet 1941 données par Millier, le chef de l’Amt IV, 11 ressort avec quelle importance numérique et de quelle façon la Gestapo a participé aux commandos d’extermination dans les camps de prisonniers.
Au cours des dernières semaines le Ministère Public a produit la correspondance concernant l’activité des services de la Gestapo de Munich, Ratisbonne et Nuremberg dans le domaine de la sélection des prisonniers de guerre soviétiques (USA-910). Il en ressort que la sélection faite par les Sonderkommandos (commandos spéciaux) de la Sipo eut lieu d’après les directives du chef de la Sipo et du SD, mais que les exécutions dans les camps de concentration, où les prisonniers sélectionnés étaient conduits, n’étaient pas du ressort de la Gestapo.
D’après les dépositions des témoins Warlimont (PS-2884) et Lahousen, il ressort clairement que le projet de ces mesures fut élaboré par l’OKH sur l’ordre de Hitler sans la participation de la Police de sûreté. Je renvoie à l’instruction de l’OKH en date du 12 mal 1941, concernant le traitement des détenteurs de souveraineté politique soviétiques qui fait état d’un ordre du 31 mars 1941 (RF-351). Une rébellion contre cet ordre était, comme il ressort de la description du témoin Lahousen, inutile même pour les services militaires supérieurs. Eu égard aux motifs ajoutés à l’ordre, en particulier aux directives pour la sélection des prisonniers de guerre soviétiques (URSS-14), le fonctionnaire de la Gestapo pris individuellement pouvait croire à la légitimité des ordres.
On reproche en outre à la Gestapo d’avoir interné dans des camps de concentration, en liaison avec le SD, des prisonniers de guerre évadés et repris. Il s’agit ici du fameux Kugel-Erlass., d’après lequel tout officier en fuite repris et tout sous-officier ne travaillant pas — excepté les prisonniers de guerre britanniques et américains — devaient être remis au chef de la Sipo et du SD avec le mot de code « Degré III ». La recherche des prisonniers de guerre évadés et le transport des prisonniers repris étaient la tâche de la Kripo. Le service central compétent était celui des « Recherches de guerre » au service de la Police criminelle du Reich.
D’après le document USA-246 (BF-1449), cet ordre monstrueux a été communiqué dans une ordonnance de l’OKW. On n’a pu établir dans quels cas la Gestapo a été utilisée pour de telles tâches, surtout pour l’exécution des prisonniers repris. Le témoin Straub et l’affidavit n° 75 ont prouvé que Müller a déclaré au cours d’une discussion que la désignation Kugel-Erlass n’avait rien à faire avec les exécutions. On devait plutôt éviter que les détenus ne s’échappent en leur fixant un boulet de ter au pied. SI cette explication de Müller n’est pas exacte, on devrait pourtant en tenir compte aux fonctionnaires qui n’avaient pas de raison de douter de leur supérieur hiérarchique.
A ce propos, il faut citer un cas très important ; l’exécution des officiers aviateurs britanniques évadés du camp de Sagan en mars 1944. Ce cas provient d’un ordre spécial de Hitler et doit être considéré comme un cas spécial. On mésusa d’un service de la Gestapo pour l’exécution de cet ordre. Des fonctionnaires de la Gestapo de Breslau ont dû amener les officiers aviateurs de Sagan qui auraient été repris, dans le camp où ils furent fusillés. On a pourtant aussi peu établi que cet acte fut accompli par les fonctionnaires de la Police d’Etat que si ceux-ci savaient d’une façon générale que les officiers devaient être fusillés.
Cet ordre spécial et l’ordre Kugel ou Kugel-Erlass sont parmi les événements les plus regrettables et les plus infâmes qui se sont produits durant la guerre, en général, dans l’Allemagne nazie, et font rougir de honte tout Allemand honnête et particulièrement tout ancien combattant.
En tant que défenseur de la Gestapo, je me sens cependant obligé, en dépit de toute répulsion personnelle devant de tels événements, d’indiquer que peu de gens seulement de la Gestapo ont été mêlés à de tels méfaits, qu’ils ont agi sur un ordre dont ils ne pouvaient vérifier les motifs et la légitimité, que l’ordre et son exécution ont été tenus strictement secrets et que, pour ces raisons, les crimes qui ont eu lieu ici ne peuvent être attribués à l’ensemble de la Gestapo en tant que forme d’expression typique d’une activité criminelle.
Je continue à la page 38 de mon exposé et dois, en outre, m’occuper des camps de concentration.
Le Ministère Public américain dit à ce sujet que la Gestapo et le SD portent la responsabilité de la fondation et de la répartition des camps de concentration et du transfert des personnes indésirables du point de vue racial et politique dans les camps de concentration et d’extermination pour le travail obligatoire et l’exécution en masse. La responsabilité de l’exploitation des camps de concentration aurait été légalement transmise à la Gestapo, qui aurait eu les pleins pouvoirs pour mettre les gens en détention de protection et pour exécuter les ordres de détention de protection dans les camps de concentration de l’État. La Gestapo aurait promulgué les ordres pour la fondation des camps de concentration, pour la transformation des camps de prisonniers de guerre en camps de concentration et pour la fondation des camps d’éducation de travailleurs.
A propos de ce point de l’accusation, il faut s’opposer à l’erreur répandue suivant laquelle les camps de concentration étaient une institution de la Gestapo. En réalité, les camps de concentration n’ont à aucun moment été institués et administrés par la Gestapo. Certes, dans le paragraphe 2 de l’ordonnance pour l’exécution de la loi sur la Gestapo en date du 10 février 1936 — document Gestapo n° 8 — il est stipulé que le service de la Gestapo administre les camps de concentration. Cependant cette ordonnance n’a figuré que sur le papier et n’a jamais été mise en vigueur dans la pratique. Le responsable des camps de concentration était plutôt la Reichsführung SS qui désignait un inspecteur des camps de concentration dont les attributions sont passées plus tard au groupe D du Service principal de l’économie et de l’administration (WVA) des SA.
Ce fait est sans conteste confirmé, entre autres, par les témoins Ohlendorf et Best et un grand nombre de documents, et je vous demande de comparer les deux documents Gestapo-40 et 45.
Après la prise du pouvoir par Hitler en 1933, les SA et les SS ont institué de leur propre autorité divers camps pour les détenus politiques. La Gestapo s’éleva elle-même contre ces camps de concentration « non réguliers », les élimina et libéra les détenus. Le chef de la Gestapo, le Dr Diels, s’attira par là le reproche de soutenir les communistes et de saboter la révolution (cf. affidavit n° 41, déposition des témoins Vitzdamm et Grauert).
Les camps de concentration ne furent donc jamais soumis à la Gestapo. L’inspection des camps de concentration et le Service principal de l’économie et de l’administration restèrent des services indépendants et leurs chefs étaient directement subordonnés à Himmler.
De même l’ordonnance contenue dans le document USA-492 n’intervient pas dans l’administration des camps, de concentration, mais règle — du moins dans l’intérêt des détenus — l’envoi des détenus dans les différents camps, afin que les détenus politiques ne soient pas envoyés dans des camps qui, d’après leur structure et leur forme de travail, étaient destinés à des criminels qui avaient commis des fautes graves.
Du grand nombre de documents qui prouvent la non-participation de la Gestapo à l’administration des camps de concentration, je voudrais en citer encore un : le document Gestapo n° 38. Il en ressort que toutes les personnes qui n’y sont pas indiquées, et, par conséquent, tous. les fonctionnaires de la Gestapo, quels que soient leur grade et leur service, avaient besoin pour visiter un camp de concentration, d’après cette ordonnance, d’une autorisation écrite et expresse de l’inspecteur des camps de concentration. Si les camps de concentration avaient été soumis à l’autorité de la Gestapo, on n’aurait certainement pas eu besoin de cette autorisation écrite.
Dans tous les camps de concentration se trouvait ce qu’on appelait une « section politique », dont la position dans le camp et dont les rapports avec la Gestapo sont sujets à controverse. Dans cette section politique, il y avait de un à trois fonctionnaires de la Police criminelle établis par la Gestapo ou même par la Kripo. Ces fonctionnaires n’étaient pas un service de la Gestapo ou de la Kripo, mais ils avaient été rattachés au commandant du camp comme spécialistes de la Police pour des tâches policières qui, de temps en temps, s’imposaient pour les internés. Avant tout, ils devaient interroger les détenus contre lesquels, une procédure devant les tribunaux ordinaires était en cours, sur les ordres du tribunal de Droit commun, de la, Gestapo ou de la Police criminelle. Au point de vue commandement, ils étaient exclusivement soumis aux commandants des camps de concentration. Ils n’avaient aucune influence sur l’administration et l’exploitation des camps, sur le transfert, la libération, la punition et l’exécution d’internés.
Les camps de concentration n’étaient donc pas des institutions propres de la Gestapo, mais ; plutôt des institutions qui servaient ses buts pour l’exécution de ses tâches policières. Ils étaient pour la Gestapo ce que les établissements pénitentiaires sont pour les tribunaux ou les Ministères Publics, c’est-à-dire des institutions d’exécution pour la détention de protection ordonnée par la Gestapo et dont je vais m’occuper maintenant.
Je ne lis pas les explications qui suivent sur la détention de protection et prie le Tribunal de bien vouloir en prendre connaissance.
On prétend couramment qu’un membre de la Gestapo pouvait envoyer les gens dans les camps de concentration si bon lui semblait. Ce n’est pas exact. Ce n’est que par la détention de protection précédée d’une procédure soumise à des règles qu’une personne pouvait être envoyée dans un camp de concentration. L’ordonnance du Président du Reich en date du 28 février 1933 constitue la base juridique de la détention de protection. C’est sur elle que se fonda l’ordre de détention de protection publié par le ministre de l’Intérieur du Reich qui contenait des directives précises pour les conditions à remplir en vue d’une mise en détention, sur sa durée et sa procédure formelle. Dans l’ordre de détention de protection qui a été présenté au Tribunal comme document Gestapo-36, il est expressément stipulé dans le paragraphe 1 au sujet de l’admissibilité de la détention de protection :
« La détention de protection peut être ordonnée comme mesure coercitive de la Gestapo en vue de parer à toutes les intentions hostiles au peuple et à l’État contre les personnes qui mettent en danger par leur conduite l’existence et la sécurité du peuple et de l’Etat. La détention de protection ne doit pas être ordonnée pour des buts pénaux ou venir se substituer à une détention pénale. »
Dans le paragraphe 2 il est stipulé :
« Le service de la Gestapo est exclusivement compétent pour ordonner la détention de protection. Les propositions pour ordonner la détention de protection doivent être adressées au service de la Gestapo par les services de direction de la Police d’État ou simplement par les services de la Police d’Etat. Chaque proposition doit être motivée en détail. »
Enfin le paragraphe 5 stipule textuellement que la détention de protection a lieu sur un ordre de détention de protection écrit du service de la Gestapo.
La décision sur la détention de protection provenait, comme l’établissait le texte législatif relatif à cette mesure, du RSHA — Amt IV — à Berlin. Les membres de la Police d’Etat s’occupaient uniquement de l’enquête. Après la conclusion des enquêtes, on vérifiait si les dossiers du Ministère Public devaient être soumis ou si l’ordre de détention de protection devait être proposé. D’après les diverses dépositions des témoins (voir en particulier le témoin Albath), il n’y a presque pas eu d’autorité d’Etat qui ait instruit ses fonctionnaires avec autant d’insistance à intervalles réguliers sur le devoir de procéder à une enquête objective que la Gestapo. En cas de charge grave contre l’accusé qui ne pouvait être supprimée par un avis, un avertissement ou une amende, le fonctionnaire chargé de l’enquête ne savait jamais si le service de la Gestapo ordonnerait la remise du dossier à la Justice ou déciderait la détention de protection. La nécessité de remettre le dossier au service de la Gestapo exigeait déjà une enquête plus minutieuse ; car aucun fonctionnaire n’avait intérêt à ce qu’on lui demandât des comptes pour une instruction défectueuse, non plus que pour la façon incorrecte de traiter un prévenu en cas d’une réclamation de l’inspecteur du service.
La procédure de détention de protection était en même temps légalement liée à une procédure de vérification d’arrestation. A certaines brèves périodes, il fallait, sur ordre du service, vérifier si les conditions de la détention existaient encore. Mais là aussi le service de la Gestapo prenait la décision définitive.
Ce n’est que vers la fin de la guerre que les services de la Gestapo obtinrent l’autorisation de mettre des gens en détention de protection d’eux-mêmes, sans ordre de détention du service de la Gestapo. Cette détention était aussi réglée par des lois précises ; sa durée était tout au plus de 21 jours ; plus tard, elle a été portée à 56 jours. Plus tard, les envols en masse de détenus dans un camp de concentration ne furent plus ordonnés par le chef de l’Amt IV Millier, mais directement par Himmler. Dans le document USA-248, il est dit que sur l’ordre du Reichsführer SS et Chef de la Police allemande tous les détenus faisant l’objet de cette mesure et qui devaient être transférés dans un camp de concentration seront transférés dans un groupe pénitentiaire spécial. De même l’envoi de 35.000 Juifs aptes au travail dans des camps de concentration, ordonné dans le document USA-219 fut décrété par le ReichsFührer SS et chef de la Police allemande, mais non point par l’Amt IV du BSHA. L’affirmation du Ministère Public selon laquelle, aux termes du document USA-497, la Gestapo a ordonné le transfert à vie dans des camps de concentration des Polonais et Juifs qui étaient libérés des établissements pénitentiaires de la Justice, n’est pas exacte non plus. Ce document est une lettre du ministre de la Justice du Reich en date du 21 avril 1943. Il se réfère à un ordre du RSHA du 11 mars 1943. Cet ordre n’émane pas non plus de l’Amt IV, mais comme son numéro de référence il A 2 No. 100/43 le montre, de l’Amt II du BSHA.
Enfin il faut prendre en considération qu’au moins la moitié des mises en détention de protection eut lieu non point en raison d’un délit politique ou de motifs politiques ou raciaux mais parce qu’il s’agissait de criminels professionnels et de récidivistes Mais ces gens-là furent envoyés dans des camps de concentration par le service de la Police criminelle (cf. affidavits 49, 50 et 86).
Peut-on reprocher à la Gestapo l’envoi dans les camps de concentration alors que la Gestapo a considéré l’institution de la détention de protection et des camps de concentration comme illégale et contraire au Droit International et connaissait les mauvais traitements, les tortures et les assassinats commis dans les camps ?
La détention de protection était sans nul doute chargée d’imperfections. Avant tout, sa réglementation n’a pas été appréciée par un Tribunal de Droit commun. Malgré cela, les nombreux ordres du RSHA prouvent qu’on a aspiré à une procédure de détention de protection réglée et légale et que l’arbitraire devait être exclu. Le règlement strict de la procédure de détention de protection n’a sûrement pas fait naître chez les fonctionnaires de la Gestapo l’impression qu’il s’agissait là d’une mesure arbitraire contraire à la loi. Du reste, l’application de la détention de protection a été relativement rare.
Si l’on se donme la peine d’examiner la question de savoir dans quelle proportion numérique étaient utilisés les moyens à la disposition de la Gestapo, avis, avertissement, amende et détention de protection, lorsque cette dernière était mise en application d’une façon pratique, on constatera que l’internement dans les camps de concentration était le moyen le moins employé. Au début de la guerre, il y avait environ 20.000 détenus de protection dans les camps de concentration ; parmi ceux-ci, la moitié environ était des criminels de Droit commun, l’autre moitié des détenus politiques. A la même époque, dans les prisons de la justice, il y avait environ 300.000 condamnés, dont 1/10 à peu près, donc 30.000 en chiffre rond, étaient condamnés pour délits politiques.
Quelle est la preuve de ces chiffres ?
Le Dr Best a fait ces déclarations devant la commission, le 6 juillet 1946.
Le nombre des internés des camps de concentration s’éleva fortement du fait du transfert des criminels professionnels et éléments asociaux, en particulier des gens qui avaient été condamnés par les tribunaux à un avertissement de sécurité, mesure dont l’initiative et l’exécution n’incombaient pas à la Gestapo (voir témoin Hoffmann).
D’après l’affidavit Gestapo n° 86, les chiffres maxima des détenus envoyés par la Gestapo dans les camps s’élevaient au début de 1945 à environ 30.000 Allemands, 60.000 Polonais, 50.000 ressortissants d’autres pays.
Tous les autres détenus — le Ministère Public a affirmé le 19 décembre 1945 qu’il y avait au 1er août 1944 524.277 détenus dans les camps de concentration — ont été internés non seulement par la Gestapo, mais par la Police criminelle, la justice et divers services des pays occupés.
Je laisserai de côté ces explications qui concernent les camps de concentration, mais vous demande de bien vouloir en prendre connaissance.
Les conditions d’existence dans les camps de concentration ne pouvaient pas non plus être considérées par la Gestapo comme illégales et contraires au Droit international. Le camp de concentration n’est pas une invention nationale-socialiste, mais était déjà connu avant 1933. Ainsi l’Autriche en 1933 a introduit la détention de protection sous le nom de Anhaltehaft et en usa abondamment contre les communistes, les nationaux-socialistes et les sociaux-démocrates (cf. la déposition de Kaltenbrunner). En Allemagne aussi la détention de protection existait avant 1933 ; à l’époque, les communistes et nationaux-socialistes étaient écroués par la Police. Dans le IIIe Reich, les camps de concentration furent institués sur la base d’une ordonnance légale en accord avec la Constitution. Dans ces circonstances, les fonctionnaires de la Gestapo ne pouvaient considérer les camps de concentration comme illégaux et contraires au Droit international.
Or, pour autant que les détenus dans les camps de concentration furent maltraités et exécutés, on ne peut en rejeter la responsabilité sur la Gestapo que si elle avait connaissance de telles condition, » néfastes et de tels crimes. Comme il ressort du document Gestapo n° 39, il était d’abord interdit aux fonctionnaires de la Gestapo d’entrer dans un camp. Il n’est nullement incroyable que les fonctionnaires de la Gestapo n’aient pas non plus été informés de ce qui se passait dans les camps de concentration. Je me référe ici à l’ordre fondamental de Hitler (document Gestapo n° 26) d’après lequel aucun service ne pouvait savoir d’un fait qui devait rester secret plus qu’il n’était requis pour l’exécution de sa tâche. Les services de la Gestapo n’avaient rien à faire avec l’administration des camps de concentration. Donc ils n’étaient pas informés non plus de ce qui se passait dans les camps. En outre, un silence strict était imposé aux détenus, et en fait les détenus libérés semblent n’avoir jamais parlé des conditions existant dans les camps, tout au moins vis-à-vis de la Gestapo. Pour la plupart des Allemands les révélations sur les camps de concentration faites après la défaite et en particulier au cours de ce Procès furent une monstrueuse surprise. Des déclarations concordantes ont été faites d’une façon continue au Tribunal : « Je n’en ai rien su ; je n’ai appris cela qu’après la défaite ». Il n’est donc pas du tout incroyable, et l’on peut, étant donné les innombrables déclarations sous serment et dépositions de témoins, admettre comme établi que les différents fonctionnaires de la Gestapo, surtout la grande masse des petits fonctionnaires exécutifs, ne savaient en réalité rien de ce qui se passait dans les camps de concentration.
Au contraire, en 1933 et 1934, la Gestapo s’est opposée à tout traitement inhumain dans les camps de concentration ; ce fait est prouvé par son action déjà mentionnée contre les camps de concentration « irréguliers » qui ont en partie été éliminés par la force.
Comment les fonctionnaires de la Gestapo devaient-ils savoir ce qui se passait derrière les barbelés des camps de concentration, comment pouvaient-ils connaître les exécutions, les exterminations par le gaz et les mauvais traitements infligés aux détenus, alors qu’aucun fonctionnaire de la Gestapo n’avait accès à ces camps et alors que la Gestapo n’avait rien à faire avec l’administration des camps ? Or, si la Gestapo n’avait aucune connaissance des conditions abominables régnant effectivement dans les camps, elle ne peut pas non plus être tenue pour responsable de toutes les atrocités qui s’y sont produites. Elle a envoyé les détenus dans les camps de concentration sur la base d’ordonnances légales et en toute bonne foi, croyant qu’il s’agissait uniquement d’une privation de liberté justifiée et temporaire dans le cadre de la loi.
En ce qui concerne l’utilisation des citoyens des territoires occupés pour le travail obligatoire et la surveillance des travailleurs requis, il faut faire la remarque suivante : l’Accusation fait une discrimination entre l’utilisation des travailleurs étrangers arrachés à leur patrie et la surveillance des travailleurs dans le territoire du Reich.
Par le décret du Führer du 30 septembre 1942 (document Gestapo-51) Fritz Sauckel fut nommé plénipotentiaire pour le service du travail. Par cet ordre, il avait seul l’autorité pour prendre toutes les mesures dans toutes les affaires du service du travail aussi bien dans le territoire du Reich que dans les territoires occupés par l’Allemagne. Ainsi naquit avec le temps une série de services dans les pays occupés qui étaient tous subordonnés au plénipotentiaire ou à l’administration militaire allemande. Ces services n’avaient rien à faire avec l’organisation de la Gestapo, d’autant plus que le rassemblement et le transport de la main-d’œuvre dans le Reich était une affaire essentiellement étrangère à la Police. Les services du travail devaient aussi s’occuper de l’exécution des transports de la station de départ jusque dans le Reich. C’est à la Police de sécurité qu’incombait uniquement la vérification de la main-d’œuvre déjà saisie ; en d’autres termes, les services de la Police de sûreté devaient contrôler les listes qui leur étaient présentées par les services du travail pour voir si parmi les travailleurs requis ne se trouvaient pas des gens dont l’envoi dans le Reich ne convenait pas pour des raisons de sécurité. Les forces de la Gestapo dans les territoires occupés étaient si infimes qu’elles ne suffisaient même pas à remplir les tâches purement policières. Avec une organisation aussi faible, déjà accablée par ses propres tâches, il aurait été impossible de mener encore à bonne fin le rassemblement de la main-d’œuvre étrangère. C’est en ce sens que s’est également exprimé Kaltenbrunner lors d’une discussion de chefs le 11 juillet 1944 et aussi Sauckel dans une lettre adressée à Hitler le 17 mars 1944 (document Gestapo-53).
Le témoin Dr Knochen, qui était en France commandant de la Sipo et du SD, l’a confirmé pleinement pour la France. Pour autant qu’occasionnellement des membres de la Police d’État, et non de la Gestapo ont été assignés au maintien de l’ordre lors des transports des travailleurs étrangers, cela ne change en rien le fait que la responsabilité de toute l’action n’incombait pas à la Police allemande, encore moins à la Gestapo. On ne connaît aucun cas où ces transports furent accompagnés par des membres de la Gestapo.
S’il est dit, dans la lettre de Sauckel aux présidents des services du travail régionaux du 26 novembre 1942 (USA-177) que l’évacuation des Juifs du Reich et leur remplacement par des Polonais transplantés du Gouvernement Général déviaient avoir lieu en accord avec le chef de la Police de sûreté et du SD », il n’en ressort nullement que l’organisation de la Gestapo y ait coopéré. L’accord du chef de la Sipo et du SD était seul requis pour des raisons de sécurité (cf. affidavit Gestapo n° 83).
A ce sujet, le témoin Dr Ehlich dans son interrogatoire devant la commission et le témoin Fromm dans l’affidavit SD n° 56 ont attesté que seul le chef supérieur des SS et de la Police dans le Gouvernement Général était responsable de cette mesure et que la Police de sûreté et le SD n’ont coopéré en aucune manière dans le Gouvernement Général.
De même pour le service du travail en Allemagne ce n’était pas les services de la Gestapo, mais les Gauleiter qui étaient délégués pour le service du travail dans leur Gau. En échange, la Police avait un droit de surveillance et de contrôle en vue de parer à l’espionnage et d’assurer le secret des exploitations (voir témoignage Sauckel). Seules les mesures de sécurité relatives à la main-d’œuvre amenée dans le Reich étaient du ressort de la Police.
Comme Sauckel l’a exposé, la tâche originale de la Gestapo dans le domaine du service des travailleurs étrangers dans le Reich était la lutte contre les actes de sabotage des travailleurs étrangers. Les services de la Gestapo purent bientôt constater que des cas de sabotage dans le travail et dans l’exploitation, malgré l’utilisation en masse de travailleurs étrangers, et des actes de sabotage, effets d’une mentalité hostile à l’Allemagne, étaient des cas tout à fait exceptionnels. Les actes de sabotage qui aboutirent au remaniement de la Police d’Etat s’avérèrent généralement être non-politiques. Les services locaux de la Gestapo purent se limiter, à des mesures préventives en dehors du traitement administratif des travailleurs étrangers. Dans le même but, ils furent intéressés à leur entretien auquel ils collaborèrent avec les autorités du travail et le Front du Travail allemand.
Les services de la Gestapo s’occupèrent du logement des ouvriers étrangers qui était lié à des conditions déterminées. Ils exécutaient des contrôles en matière de logement dans les exploitations. Ce contrôle s’étendait au ravitaillement, au traitement dans l’exploitation, etc. A l’instigation des services de la Gestapo, on s’arrangea pour donner la possibilité aux exploitations de se procurer des vivres supplémentaires pour le ravitaillement des ouvriers étrangers. La Gestapo informa des services du Front du Travail allemand, dans des discussions courantes, du traitement des ouvriers étrangers et en particulier leur rappela l’interdiction des mauvais traitements et autres violations. En cas d’infraction, on menaçait le chef d’exploitation de mesures de Police d’Etat ou de la perspective de poursuites par les tribunaux ordinaires. Je me réfère à ce propos aux dépositions de Straub et du Dr Hoffmann.
Il faut souligner que ces mesures de la Gestapo furent prises pour les considérations de Police les plus raisonnables. Car dans ce domaine comme dans tous les autres, la Gestapo, en tant que Police politique, avait le plus grand intérêt à ce que soient créées et maintenues des circonstances susceptibles de lui épargner le plus possible une intervention énergique contre de nombreuses personnes — ici les ouvriers étrangers. Ce n’est pas comme « association d’assistance » que la Gestapo doit être considérée, mais comme une Police politique experte et prévoyante qui désire non pas le plus mais le moins possible de motifs de mesures de répressions et — lorsqu’elle le peut — prévient ces motifs autant qu’il est possible, à leur source.
C’est pourquoi la Gestapo s’est chargée également de la protection personnelle des travailleurs étrangers. C’est grâce à elle qu’ont été supprimées les causes de réclamations justifiées. Des procès furent intentés contre des chefs de camps, des employeurs, des surveillants qui maltraitaient les ouvriers étrangers ou les exploitaient à l’excès, ou bien, selon : la gravité du cas, la Police d’Etat intervenait. Des procédures criminelles furent menées sans ménagement contre de mauvais chefs de camps du Front du Travail allemand et de camps d’entreprises (cf. affidavit Gestapo n° 65, 66 et 67).
Par de telles mesures préventives et policières, les ruptures de contrat de travail, les flâneries dans le travail et le sabotage pouvaient être, dans une très large mesure, arrêtés. Mais si de telles mesures devaient être prises eu égard à l’utilisation massive croissante des ouvriers étrangers, on pouvait aussi employer progressivement ; 1° l’avis ; 2° l’avertissement ; 3° l’arrestation de peu de durée, jusqu’à trois jours, exécutée par la Police locale ; 4° les camps d’éducation de travail ; 5° les camps de concentration.
L’envoi dans un camp de concentration n’a été proposé au RSHA que pour les individus qui n’étaient pas susceptibles d’amendement, et à titre d’exception, en cas de négligences répétées dans le travail.
Il est exact que la Gestapo a institué, entretenu ces camps d’éducation de travail et à procédé à l’envoi dans ces camps.
On dit dans la revue La Police allemande (pièce Gestapo n° 59) au sujet du but d’un camp d’éducation de travail :
« Les camps d’éducation de travail ont pour but d’instruire les éléments qui n’observent pas leur contrat de travail ou sont paresseux dans la discipline du travail, et après avoir atteint le but éducatif, de les ramener à leur ancien lieu de travail. L’envoi a lieu exclusivement par l’intermédiaire, des services de la Police d’Etat. La détention n’a pas une valeur de punition, mais de mesure éducative. »
L’affirmation du Ministère Public qui prétend que seuls les travailleurs étrangers auraient été mis dans les camps d’éducation de travail n’est pas exacte. Ils avaient été institués de même façon pour les Allemands, aussi bien que pour les travailleurs étrangers, et aussi pour les employeurs qui avaient mal agi envers les membres de leur entreprise. La durée la plus longue de l’internement, qui n’avait lieu qu’après un examen approfondi du cas, était d’abord de 21 jours, puis de 56 jours, par opposition aux jugements de la Justice qui, pour rupture du contrat de travail, infligeaient une peine d’au moins trois mois de prison à un an. Celui qui violait un contrat de travail et était interné dans un camp d’éducation de travail était, à tous points de vue, dans une meilleure situation que celui qui était remis à la Justice pour être jugé. L’internement n’était pas non plus porté sur le casier judiciaire, et le logement, la nourriture et le traitement étaient en général également meilleurs qu’en prison. La nourriture était celle des prisonniers avec, en outre, le supplément donné aux travailleurs de force ; elle était soumise à un contrôle permanent en ce qui concernait l’abondance, la qualité et la saveur, comme il ressort du document Gestapo’ n° 58.
Le nombre de calories par jour s’élevait à environ 3.500 à 4.000, donc à un nombre bien supérieur à celui dont dispose aujourd’hui la population civile allemande. Le salaire, déduction faite des frais de détention, était payé aux internés. Les mauvais traitements des internés étaient interdits de la façon la plus formelle (document Gestapo n° 55, affidavit Gestapo n° 11 et 60).
Étant donné cet état de choses, il n’est pas possible d’imputer à la Gestapo la surveillance des ouvriers étrangers, et surtout la fondation des camps d’éducation de travail et l’internement dans ces camps, comme un crime ou même comme un crime typique.
Des membres isolés de la Gestapo ont également commis des abus, mais de même qu’on ne peut rendre responsable presque toute la classe paysanne si quelques paysans ont maltraité leurs travailleurs, de même on ne peut rendre responsable toute la Gestapo des excès commis par quelques-uns.
Exécutions de commandos et de troupes de parachutistes. Dans la chaîne des crimes capitaux imputés à la Gestapo apparaît un chaînon suivant de l’Accusation : La Gestapo et le SD exécutèrent les commandos et parachutistes faits prisonniers et protégèrent les civils qui avaient lynché des aviateurs des puissances alliées. Que doit-on répondre à cela ?
Dans le document USA-500, qui est un ordre secret de l’OKW en date du 4 août 1942 sur les mesures de représailles contre les chasseurs parachutistes, la lutte contre les troupes aéroportées et chasseurs parachutistes est désignée exclusivement comme étant l’affaire de la Wehrmacht, mais la lutte contre « des parachutistes isolés » est laissée au chef de la Police de sûreté et du SD. Cette dernière tâche ne consistait pas à exécuter ces parachutistes ; elle avait simplement pour but de découvrir quelques ordres de sabotage de ces parachutistes et d’obtenir des informations sur les intentions de l’ennemi.
Le 18 octobre 1942, Hitler ordonna (USA-501) d’abattre tous les groupes de commandos. Cet ordre n’était pas adressé à la Police allemande, mais à la Wehrmacht allemande. Sous le chiffre 4 de l’ordre, il était décrété que tous les membres de commandos de ce genre qui tomberaient entre les mains de la Wehrmacht devaient être remis au SD. Il n’est pas établi que la Gestapo ait participé aux mesures contre les commandos de sabotage. Mais si la Gestapo devait y avoir participé, c’était une tâche étrangère à la Police qui lui avait été transmise, dont l’exécution, en raison du nombre infime sans aucun doute et dans toutes les circonstances, des individus qui y participaient, ne peut être imputée à l’ensemble de la Gestapo.
Du reste, il faut encore indiquer quelque chose : Comme Rudolf Mildner l’a exposé dans sa déclaration sous serment du 16 novembre 1945 (PS-2374), un ordre fut donné en été 1944 aux commandants et inspecteurs de la Sipo et du SD, aux termes duquel tous les membres des Commandos américains et anglais devaient être livrés à la Sipo pour être interrogés et fusillés. C’est peut-être la preuve que, du moins jusqu’à cette époque, la Sipo n’avait fusillé aucun groupe de commando, sinon cet ordre n’aurait pas eu d’objet. Comme l’atteste encore Mildner, l’ordre devait être immédiatement détruit ; donc, en d’autres termes, seuls les commandants et inspecteurs de la Sipo devaient en prendre connaissance. Par suite de l’invasion qui à cette époque avait commencé depuis longtemps et de l’avance impétueuse des Alliés en France, cet ordre ne pouvait pratiquement plus être mis à exécution, car en raison de l’éloignement continu du front allemand il ne restait plus aucun service de la Sipo sur le théâtre des opérations. Il est également invraisemblable que l’ordre mentionné, qui émanait probablement de Himmler, ait été connu d’une façon générale par la masse des membres de la Gestapo.
Le Ministère Public s’appuie en premier lieu sur un ordre de Himmler en date du 10 août 1943 (document USA-333) déclarant que ce n’était pas la tâche de la Police de se mêler aux explications entre des allemands et les aviateurs terroristes anglais et américains abattus, et en tire la conclusion que la Gestapo a protégé la justice du lynch. Mais il est important de savoir que cet ordre de Himmler était adressé à toute la Police allemande, et en premier lieu à la Police d’ordre. Car lorsque des équipages d’avions alliés sautaient en parachute, ce n’était pas d’ordinaire des fonctionnaires de la Gestapo qui apparaissaient, mais des membres de la Police d’ordre, de la gendarmerie ou de la Police locale. Ce n’est qu’à ces branches de la Police qu’incombaient les patrouilles de rues, et non à la Gestapo’.
D’après les nombreuses déclarations sous la foi du serment, les membres de la Gestapo ne furent nullement informés de cet ordre ; beaucoup n’ont eu connaissance de ces ordonnances que par les déclarations de Goebbels à la radio.
La déposition du témoin Ernst von Brauchitsch, officier d’ordonnance auprès du Commandant en chef de la Luftwaffe, est caractéristique du fait que l’ordre a été en général saboté. Il dit :
« Au printemps 1944, les pertes parmi la population civile ont brusquement augmenté du fait des attaques par les armes de bord. Cela doit avoir incité Hitler à donner des ordres en vue de mesures à prendre contre les aviateurs eux-mêmes en plus des ordres de défense. Autant que je le sache, Hitler demanda les mesures les plus sévères. La justice du lynch devait avoir libre cours. Le Commandant en chef et le chef de l’État-Major général ont, il est vrai, condamné de la façon la plus sévère les attaques contre .la population civile ; mais malgré cela aucune mesure particulière ne devait être prise contre les aviateurs ; la justice du lynch et le refus de protéger les équipages abattus ne devaient pas être admis ». Et la déclaration suivante est d’une importance particulière :
« Les mesures ordonnées par Hitler n’ont pas été exécutées par la Luftwaffe. La Luftwaffe n’a reçu aucun ordre de fusiller les aviateurs ennemis ou de les livrer au SD ».
En fait, les fonctionnaires de la Gestapo, dans les quelques cas où par hasard des membres de la Gestapo étaient présents à l’atterrissage d’aviateurs alliés, non seulement ne les ont pas tués, mais les ont protégés contre la population (voir affidavit Gestapo-81) et, lorsqu’ils étaient blessés, leur ont fait donner des soins médicaux. Les quelques cas où des services supérieurs de la Gestapo ont ordonné et exécuté l’extermination d’équipages abattus, ont déjà été équitablement sanctionnés par les tribunaux des puissances occupantes. Il n’est donc pas justifié de rendre l’ensemble de la Gestapo et toute son organisation responsables de ces actes.
Le point suivant de l’Accusation affirme que la Gestapo et le SD ont amené en Allemagne des civils des territoires occupés pour les traduire devant des tribunaux secrets et les juger.
Le 7 décembre 1941 Hitler promulgua ce qu’on appelle le décret « Nacht und Nebel ». Il ordonnait que les personnes qui, dans les territoires occupés, commettaient des actes contre le Reich ou les troupes d’occupation fussent amenées dans le Reich pour des raisons d’intimidation et traduites devant un tribunal spécial. Au cas où ce n’était pas possible pour une raison quelconque, ces personnes devaient être envoyées par un ordre de détention de protection dans un camp de concentration pour la durée de la guerre.
Comme il ressort du schéma de répartition du document PS-833, cet ordre ne fut donné qu’aux services de la Wehrmacht et non aux services de la Gestapo, en dehors de l’Amt IV du RSHA lui-même. L’exécution de ce décret n’était, en effet, pas la tâche de la Gestapo, mais celle de la Wehrmacht. D’après les instructions contenues dans le document PS-833, les services de contre-espionnage devaient fixer la date de l’arrestation de ceux qui étaient suspects d’espionnage et de sabotage.
C’est donc la Wehrmacht qui devait exécuter cet ordre puisque, dans les territoires de l’Ouest, ceux-ci seuls étaient en question ; elle exerçait les fonctions de Police par ses propres forces et celles de la Police de sûreté qui était directement subordonnée aux commandants de la Wehrmacht. Ce n’est que dans cette mesure que la Police de sûreté a participé à l’exécution de cet ordre. La Gestapo qui dans les territoires occupés de l’Ouest était numériquement très faible, n’intervint que dans la mesure où le RSHA avait désigné un service de la Police d’État pour se charger des détenus.
Ces services de la Police d’État fixaient, en accord avec le service de contre-espionnage compétent, les détails du transport vers l’Allemagne, en particulier, examinaient si le transport devait être effectué par la Police secrète de campagne, la Feldgendarmerie ou la Gestapo. La Gestapo n’avait pas d’autre tâche sur la base du décret « Nacht und Nebel ». La mesure dans laquelle les fonctionnaires ou services de la Gestapo ont contribué effectivement à l’exécution de ce décret, n’a pas été établie au cours de ce Procès. Par contre, d’après la déposition du témoin Hoffmann, il est certain que le décret n’a pas été admis par l’Amt IV et que, par exemple, il n’a pas été appliqué au Danemark.
Mais on peut admettre avec certitude que, conformément aux instructions très strictes sur le secret, d’autant plus que l’ordonnance émanait du service supérieur de la Wehrmacht, seul un cercle très restreint de personnes directement intéressées à ce travail technique connaissait le contenu de cet ordre et sa signification. Les fonctionnaires des services de la Police d’État destinés au transport des détenus recevaient les directives leur assignant la tâche de prendre soin du transport des détenus vers un lieu déterminé d’Allemagne, sans qu’on leur communiquât en vertu de quel décret et dans quel but l’arrestation avait eu lieu. Mais s’il en était ainsi, et l’on n’a rien établi d’autre, on ne peut alors rendre la totalité de la Gestapo responsable du fait que des prisonniers furent livrés à quelques services dans les territoires occupés pour les envoyer en Allemagne selon les ordres donnés.
Je laisse de côté la déportation de ressortissants étrangers en Allemagne pour les soumettre à des procédures sommaires et la responsabilité familiale. Je vous demande de bien vouloir en prendre connaissance.
Un autre point de l’Accusation concerne l’arrestation et le jugement, c’est-à-dire, en règle générale, l’exécution des ressortissants des pays occupés, au cours de procès sommaires.
Nous ne connaissons ici que les accords qui, en septembre 1942, ont été conclus entre le Reichsführer-SS, le ministère de la Justice du Reich et le représentant du RSHA (USA-218). Ils concernent uniquement les peuples de l’Est. Le dernier paragraphe de cet accord est essentiel (14) :
« On est d’accord sur le fait, en ce qui concerne les buts proposés par le Gouvernement du Reich en vue du règlement de la question de l’Est, qu’à l’avenir les Juifs, Polonais, Tziganes, Russes et Ukrainiens ne seront plus jugés par les tribunaux ordinaires…, mais que leur situation sera réglée par le Reichsführer-SS. »
Cela signifie donc que le Reichsführer-SS avait le dernier mot et prenait la décision définitive. La Police, et en premier lieu les autorités de Police du Kreis et de l’Ort et les gendarmeries, menaient l’enquête et remettaient ensuite l’affaire entre les mains de la Gestapo. Le fonctionnaire de la Gestapo devait transmettre les communications et rédiger le rapport pour le RSHA ; il n’avait rien à faire avec la décision elle-même. On ne peut exiger du fonctionnaire de la Gestapo qu’il contrôle et reconnaisse la légitimité et l’efficacité juridique des mesures conclues et décidées entre les services compétents du Reich, et finalement qu’il se refuse à les mettre à exécution. De même qu’on ne pouvait sérieusement exiger de lui cette première activité, de même il ne pouvait s’opposer à l’exécution de ces ordres sans risquer sa propre tête. Je m’expliquerai encore plus loin sur la question de savoir dans quelle mesure la grande majorité des fonctionnaires de la Gestapo ont eu connaissance de ces événements. Etant donné ces circonstances, j’en viens au résultat : tout l’ensemble de la Gestapo ne peut être chargé de l’ensemble de l’accusation qui pèse sur elle ici.
En outre, le Ministère Public rend la Gestapo et le SD responsables de la solidarité de la famille dans la responsabilité des crimes commis. Il cite comme preuve deux documents : une lettre du commandant de la Sipo et du SD de Radom en date du 19 juillet 1944 (USA-508) et le dossier sur la déportation de ressortissants luxembourgeois en camp de concentration de Sachsenhausen en 1944 (USA-243).
En ce qui concerne le dernier événement, il faut le séparer de l’ensemble de la question de la responsabilité solidaire des familles. Il est relatif à une ordonnance d’un Einsatzkommando au Luxembourg décrétant d’interner certaines personnes dans le camp de concentration de Sachsenhausen, parce qu’elles étaient apparentées à des déserteurs, et qu’on pouvait donc s’attendre à ce qu’elles missent en danger les intérêts du Reich allemand, au cas où on leur permettrait de rester en liberté. Il en ressort irréfutablement qu’ici ce n’était pas la famille qui devait être atteinte pour porter une co-responsabilité ou expier les fautes de certains de ses membres, mais uniquement le fait que les parents constituaient personnellement un danger pour la sécurité du Reich.
Par contre, le cas d’une véritable responsabilité solidaire de la famille apparaît dans le premier document cité (USA-506). Comme il le montre, l’ordonnance qu’il contient provient d’un ordre du Reichsführer-SS qui avait décidé que dans tous les cas où des attentats ou des tentatives d’attentats contre des Allemands auraient lieu et ou des saboteurs détruiraient des installations vitales, il ne faudrait pas arrêter seulement les auteurs intéressés, mais aussi en outre tous les hommes de la famille, pour les exécuter. Quant aux femmes de plus de 16 ans, elles devaient être envoyées dans un camp de concentration. En même temps, le document fait mention d’une pratique qui existait déjà à la fin de 1939 dans les nouveaux territoires de l’Est, en particulier dans le Warthegau, et qui aurait « eu les meilleurs résultats ». On n’a jamais démontré si cette pratique avait effectivement existé. Etant donnée la pratique manifestée déjà à l’époque par les dirigeants du système nazi, il est tout à fait possible qu’elle ait été inventée pour des raisons de pure propagande.
Je dois renoncer ici à parler de la signification au point de vue de la politique répressive et de l’admissibilité de la responsabilité solidaire de la famille, de son histoire et de son application chez les différents peuples. Je ne pense pas défendre la responsabilité solidaire de la famille que je tiens pour immorale. Mais qu’il me soit permis d’indiquer ici deux faits : D’innombrables familles allemandes doivent aujourd’hui souffrir du fait que leur chef a été membre du parti hitlérien. La confiscation des maisons, la réquisition des objets de ménage, les mesures de détention et autres ont été décidées sans égard pour les membres innocents des familles. Elles atteignent même des femmes et des enfants, si hostiles peut-être qu’ils aient pu se montrer à l’égard du nazisme. N’est-ce pas aussi une responsabilité solidaire de la famille ?
Voici un deuxième fait : Si le début de l’ordre du chef supérieur des SS et de la Police en date du 28 juin 1944 (USA-506) stipule : « La situation de la sécurité a empiré au cours des derniers mois dans le Gouvernement Général à tel point que désormais il faut prendre les mesures les plus énergiques, à l’aide des moyens les plus radicaux, contre les agresseurs et saboteurs étrangers », et si à la fin du même ordre il est question de l’effet préventif de ce procédé, on exprime ainsi que la mesure envisagée est un moyen extrême pour protéger la situation de la sécurité du Reich gravement menacée. Il n’est pas besoin ici d’examiner le degré dans lequel la mesure ordonnée en raison de la situation d’exception du Reich sort du domaine du crime ; car comment le petit fonctionnaire d’exécution peut-il reconnaître l’illégalité d’une telle action, alors qu’elle lui est présentée comme une mesure indispensable pour l’Etat, alors qu’elle est ordonnée par les services supérieurs, alors qu’il est lui-même journellement menacé des attaques des terroristes et se trouve personnellement dans un danger permanent ? Comment un individu pourrait-il s’opposer à l’exécution d’un ordre donné par un service supérieur, auquel on ne peut opposer aucun « mais », et encore moins un « non » ?
Enfin il faut constater que l’ordre ci-dessus mentionné du 28 juin 1944 est le seul cas où, dans un territoire occupé, la responsabilité solidaire de la famille a été ordonnée comme moyen de lutte contre les attentats.
Mais pour la Gestapo, il faut encore ajouter le fait que l’exécution des prescriptions sur la responsabilité de la famille ne se trouvait pas du tout en premier lieu entre les mains de la Gestapo, mais entre les mains de la Kripo et du service de patrouilles de la Wehrmacht qui se trouvaient dans tous les centres assez Importants.
Dans le domaine de la Gestapo, il n’y eut aucune ordonnance générale motivant la responsabilité des parents comme mesure de répression et, en fait, il n’est nullement question de la Gestapo dans l’ordre qui a été cité ici à plusieurs reprises du commandant de la Sipo et du SD à Radom en date du 19 juillet 1944 (USA-506).
Comme il ressort des rapports de la presse et de la radio, les membres des familles devaient être arrêtés sur l’ordre de Hitler à la suite des événements du 20 juillet 1944. Mais on sait que Himmler s’était réservé d’ordonner la responsabilité solidaire de la famille dans chaque cas particulier. Vous pouvez conclure de mes explications que l’ensemble de la Gestapo ne peut pas non plus être rendu responsable du crime désigné sous le nom de responsabilité solidaire de la famille.
Le point suivant concerne l’assassinat des prisonniers à l’approche des troupes alliées.
Le document USA-291, du 21 juillet 1944, présenté pour étayer l’accusation est une ordonnance du commandant de la Sipo et du SD pour le district de Radom, dans laquelle il porte à la connaissance des services placés sous sa direction l’ordonnance du Commandant en chef de la Sipo et du SD dans le Gouvernement Général, stipulant de liquider les détenus des prisons au cas d’une évolution surprenante de la situation qui rendrait impossible un transport des internés.
On n’a pu éclaircir la question de savoir dans quelle mesure de tels ordres ont existé et ont été connus à l’époque, dans quelle mesure de tels ordres ont été exécutés, et la question principale, pour moi, de savoir dans quelle mesure la Gestapo y a participé. D’après les déclarations sous la foi du serment qui sont sous mes yeux et d’après les dépositions des témoins Straub et Dr Knochen, la Gestapo ne disposait que dans très peu d’endroits de prisons qui lui étaient propres. Dans la majorité des cas il n’y avait qu’une prison de Police qui devait être utilisée par tous les services de Police de l’endroit. L’administration et la surveillance de ces prisons de la Police étaient soumises à l’autorité de l’administrateur local de la Police, et, en partie également dans les territoires occupés, à la Wehrmacht. En tout cas, la Gestapo n’avait aucun droit quelconque d’intervention dans les affaires concernant les prisonniers. Il n’est pas probable non plus que ce soit la Gestapo qui ait commis le meurtre des prisonniers lors de l’approche de l’ennemi. D’autre part, il est certain que, dans beaucoup d’endroits, lors de l’occupation de la localité par les troupes alliées, les prisonniers ont été soit libérés, soit remis à celles-ci (cf. les affidavits Gestapo n° 12, 63 et 64).
Du reste, permettez-moi de prendre deux cas tirés du résultat des débats de ce Procès : Le témoin Hartmann Lauterbacher a fait état d’un ordre d’après lequel les détenus de la maison de correction de Hameln en Westphalie devaient être tués lors de l’approche de l’ennemi. Mais celui qui donna l’ordre n’était pas un membre du service de la Gestapo, mais le Kreisleiter de Hameln, qui, pour cette raison, a été condamné par le tribunal de la Ve division britannique à sept ans de prison. Ceux qui devaient exécuter l’ordre n’étaient pas des fonctionnaires de la Gestapo, mais les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire qui, il est vrai, se refusèrent à s’y conformer.
Le deuxième cas concerne les camps de Mühldorf, Landsberg et Dachau en Bavière. Je me réfère ici aux déclarations ; du témoin Bertus Gerdes, ancien chef du service de l’État-Major du Gau sous les ordres du Gauleiter Giesler à Munich (USA-291). D’après lui, les internés du camp de concentration de Dachau et des deux camps de travail juifs de Mühldorf et Landsberg devaient, en avril 1944, être liquidés sur l’ordre de Hitler, c’est-à-dire tués. Il est certain que l’ordre n’a pas été donné à la Gestapo, et surtout que les deux actions n’ont pas été mises à exécution par suite de l’attitude de refus de la Luftwaffe et du témoin Gerdes ; et c’est tout à leur honneur. Ainsi, du moins ici, des crimes n’ont pas été commis dont le projet scélérat seul nous fait frémir intérieurement. Mais ce qui est important pour l’organisation de la Gestapo que je défends et ce sur quoi, en tant que défenseur de cette organisation, je suis obligé d’attirer votre attention, est le point suivant : l’ordre fut donné au Gauleiter compétent de Munich qui devait en discuter avec le chef du service de l’État-Major du Gau et les Kreisleiter compétents. Il n’a nullement été question que la Gestapo soit utilisée.
Je vous demande de prendre connaissance du point suivant qui concerne la saisie et la répartition de biens publics et privés.
Le Ministère Public affirme d’autre part que la Gestapo et le SD ont pris part à la réquisition par la force et à la répartition de la propriété publique et privée.
On a utilisé ici deux faits particuliers : la confiscation de toute la propriété privée jusqu’aux vêtements des personnes exécutées au cours du programme d’extermination des Juifs et des fonctionnaires communistes, et d’autre part la saisie des œuvres scientifiques, religieuses et artistiques.
Si dans le document SD-58 présenté par le défenseur du SD on parle de la saisie de n’importe quel objet par la Gestapo au profit du Reich, cela a été fait en vertu de prescriptions légales par lesquelles la Gestapo, non seulement pouvait s’en emparer, mais aussi était obligée de le faire.
La saisie de la propriété personnelle eut lieu à la suite de l’exécution par les Einsatzkommandos des personnes intéressées. Ce que j’ai déjà exposé sur l’activité des Einsatzkommandos intervient donc ici pour décharger l’ensemble de la Gestapo.
C’était, on le sait, l’Einsatzstab du Reichsleiter Rosenberg qui était chargé de la saisie des biens culturels, matériel de recherche, installations scientifiques, etc., dans les territoires occupés. Je renvoie ici au document Gestapo n° 58, 59. Comme il ressort du document USA-371 présenté par le Ministère Public, et qui est une lettre de Rosenberg à Bormann en date du 23 avril 1941, les réquisitions doivent être faites par le SD ou par la Police. La lettre exprime que la Police ne doit conserver et utiliser que ce qui semble d’importance pour les tâches policières, mais que les objets destinés aux travaux de recherche doivent être laissés à l’Einsatzstab Bosenberg. La Gestapo n’est nullement citée. Il n’est donc pas certain que des membres de la Gestapo aient pris part à ces actions. C’est pourquoi une accusation de l’ensemble de la Gestapo doit, pour cette raison, être écartée, abstraction faite que l’on peut à peine prouver que quelques rares fonctionnaires de la Gestapo ont agi avec le sentiment qu’ils commettaient une action criminelle. Pour être complet, il faut indiquer que pour l’exécution de l’ordonnance sur la saisie des meubles et objets d’art en France et dans les autres territoires de l’Ouest, qui devait avoir lieu chez tous les gens qui n’avaient pas rejoint leur domicile, les fonctionnaires de la Gestapo n’ont pas été utilisés ; ce fait ressort des déclarations des témoins Dr Knochen et Straub.
Le Ministère Public reproche à la Gestapo d’avoir utilisé les interrogatoires au troisième degré. J’en ai déjà parlé lorsque j’ai discuté la question de savoir si les moyens utilisés par la Gestapo étaient criminels. J’ai ici les réponses suivantes à donner au Ministère Public. Les documents qu’il a présentés permettent indubitablement de reconnaître que les interrogatoires au troisième degré ne devaient être employés que par exception, uniquement en observant certaines prescriptions de protection, et sur l’ordre des services supérieurs. De plus, ils ne devaient pas être utilisés pour extorquer des aveux, mais seulement en cas de refus de donner des renseignements importants pour l’État, et enfin pour l’établissement de certains faits. Des services entiers de la Gestapo, comme la Police de contre-espionnage ou la Police des frontières, n’ont jamais fait usage de l’interrogatoire au troisième degré. Dans les territoires occupés, où les troupes d’occupation étaient journellement menacées d’attentats, les interrogatoires au troisième degré furent autorisés lorsqu’on croyait pouvoir protéger la vie des soldats et des fonctionnaires allemands contre les attentats qui les menaçaient. Aucune torture quelle qu’elle soit n’a jamais été autorisée dans le service.
Des déclarations sous la foi du serment, par exemple des n° 2, 3, 4, 61 et 63, et des dépositions des témoins Knochen, Hoffmann, Straub, Albath et Best, il faut conclure que les fonctionnaires de la Gestapo ont subi des cours à certaines époques et d’une façon continue pour leur apprendre que tout mauvais traitement lors d’interrogatoires, tout mauvais traitement de détenus surtout, étaient interdits. Des violations de ces ordonnances ont effectivement été sévèrement punies par les tribunaux ordinaires, puis par les Tribunaux des SS et de la Police (cf. entre autres l’affidavit Gestapo n° 76).
Une déclaration accablante en ce sens du témoin Rudolf Höss (USA-819), commandant du camp d’Auschwitz, ai été rectifiée d’une façon digne de foi par le témoin Rudolf Midlner, ancien chef du Service central de la Gestapo à Katowice, qui a assuré sous la foi du serment (cf. affidavit Gestapo n° 28) que dans chaque camp de triage un fonctionnaire de la police d’État ou de la Kripo expert en matière criminelle était délégué avec des tâches tout à fait précises ; mais les interrogatoires au troisième degré ne faisaient pas partie de ces tâches.
De même le témoin Rudolf Bilfinger, qui occupa jusqu’à la fin une fonction supérieure au service du RSHA, a attesté sous la toi du serment qu’il n’avait aucune connaissance d’un ordre permettant les mauvais traitements au cours des interrogatoires, et que, durant son séjour en France en 1943, il n’avait rien appris au sujet des mauvais traitements infligés par la Police allemande. Il n’entendit parler que de brutalités exercées par des groupes composés de Français qui remplissaient des tâches quelconques au nom d’un quelconque service allemand.
Par contre, d’autres témoins et déclarations sous la foi du serment ont affirmé que des brutalités avaient été commises par la Gestapo. Le Dr Gessler, ancien ministre de la Défense du Reich allemand, parle de la torture qu’il a subie durant sa détention de la part de la Gestapo et qui avait eu lieu sur l’ordre formel de Hitler. Le baron von Weizsäcker, ancien ambassadeur auprès du Vatican à Rome, a répondu par l’affirmative sous sa forme générale à la question posée par M. le représentant du Ministère Public, de savoir si la Police allemande avait laissé derrière elle en Italie un record de terreur et de brutalités.
Je crois pouvoir conclure d’après ces dépositions contradictoires qu’en dehors des interrogatoires au troisième degré légalement admis et soumis à un règlement strict, les excès, tortures et autres supplices non seulement n’étaient pas autorisés, mais étalent formellement interdits, sous peine de châtiment grave. Si malgré cela ils ont été infligés, et même en nombre relativement important, il ne peut s’agir que d’infractions commises par quelques individus. Ce qui amène à penser que vers la fin de la guerre, dans toute la Police allemande, il y avait plus de gens qui n’étaient pas des policiers que des policiers en activité. De nombreux jugements des tribunaux SS et de la Police qui ont été confirmés par des témoins prouvent que l’on a agi sévèrement à l’encontre de telles infractions. Si nombreux qu’aient pu être, peut-être, les cas d’infractions, les chuchotements et murmures sur la Gestapo dont Heydrich parlait ont encore fortement augmenté leur nombre. De même la connaissance de telles infractions n’était pas répandue d’une façon générale ; cette constatation ne peut en rien être modifiée non plus par la déclaration contradictoire du témoin Dr Gisevius qui, selon son propre témoignage, a travaillé quatre mois à la Gestapo et par conséquent pour cette seule raison, abstraction faite d’autres motifs, ne peut être considéré comme une caution entièrement valable.
La Gestapo fut en premier lieu, avec le SD, ainsi que l’affirme le Ministère Public, l’instrument de la persécution contre les Juifs. Le régime nazi aurait considéré les Juifs comme l’obstacle principal à l’institution d’un État policier à l’aide duquel il aurait eu l’intention de mener ses guerres d’agression. La persécution et l’extermination des Juifs auraient également servi ce but. Les chefs nationaux-socialistes auraient utilisé l’antisémitisme comme l’étincelle psychologique qui devait enflammer le peuple. Les actions anti-juives auraient mené au meurtre d’environ 6.000.000 d’hommes.
Accusation bouleversante en réalité. Ce qui a été établi d’après le sens de ce Procès, ce qui a été confirmé par les témoins Höss et Ohlendorf, motive une responsabilité qui hélas, sera toujours attachée au nom de l’Allemagne. Après cette triste constatation, il me reste à vérifier dans quelle mesure la Gestapo a participé à la persécution et à l’extermination des Juifs.
Mais une prise de position menant à des résultats exacts n’est possible que si l’activité de la Gestapo en ce sens est chronologiquement différenciée,
Depuis la prise du pouvoir, le Gouvernement hitlérien avait promulgué une série de lois qui concernaient les Juifs. Pour autant que ces ordonnances légales contenaient des dispositions pénales et exigeaient une certaine contrainte de la part de la Police, la Gestapo s’en est occupée dans ces circonstances. Les fautes commises par les Juifs à rencontre de ces lois pénales étaient relativement peu nombreuses, et ce n’est qu’en 1935 que la publication des lois de Nuremberg déclencha une recrudescence d’activité de la part de la Police, mais au début tous les cas étaient soumis au jugement des tribunaux ordinaires. Ce n’est que dans les dernières années de la guerre qu’un changement se produisit. Que la Gestapo ait eu une activité dans ces cas, on ne peut lui en faire un reproche, car celle devait se ranger à ces lois de l’État, elle devait donc obéir aux ordres de l’État, comme le soldat doit obéir aux ordres qu’il reçoit.
Du reste, d’autres administrations, comme l’administration intérieure, l’administration des Finances du Reich et les administrations communales, ont agi dans une beaucoup plus large mesure que la Gestapo contre les Juifs, et cela aussi bien en ce qui concernait leur statut juridique personnel qu’en ce qui concernait leur fortune, leurs maisons, etc. Elles ne sont pas pour autant accusées ici.
Les excès de novembre 1938 provoquèrent une aggravation importante de la question juive. Il est irréfutablement établi que cette action honteuse n’émana pas de la Gestapo. Le Ministère Public accuse seulement la Gestapo de n’être pas intervenue. Des explications ont été données à ce sujet dans la déposition du témoin Vitzdamm, d’après laquelle Heydrich, lors de la discussion avec les chefs de la Gestapo qui eut lieu le 9 novembre 1938 au soir à Munich, déclara tout à fait ouvertement que cette action n’émanait pas de la Gestapo. Il a en outre interdit à la Gestapo de prendre part à l’action et a informé les chefs de la Police d’État présents de retourner immédiatement à leurs services et d’entreprendre tout ce qui était possible pour arrêter l’action. La contradiction entre la déclaration et le contenu du télétype de Heydrich qui fut envoyé cette nuit-là à tous les postes de la Police d’État (document USA-240), peut s’expliquer par le fait qu’entre la discussion, avec les chefs de la Gestapo et la promulgation de l’ordre, une évolution s’était produite qui ne pouvait plus qu’être limitée, mais non point empêchée. Lorsque les services de la Gestapo reçurent la circulaire de Heydrich, l’orgie de destruction insensée s’était déjà déchaînée sur l’Allemagne. Il ne restait donc plus qu’à éviter d’autres excès, et c’est ce qui s’est produit.
A ce propos également, je me réfère à la déclaration sous la foi du serment n° 5 présentée par la défense des SS, d’après laquelle Himmler lui-même dicta le contenu de l’ordre aux services de la Police d’État et fit connaître sa conversation avec Hitler, d’où il ressortait que Hitler ordonnait à la Gestapo de mettre en sécurité les biens juifs et de protéger les Juifs. On agit effectivement conformément à cet ordre, comme l’a attesté le témoin Vitzdamm et comme l’ont exposé d’une façon concordante d’autres services de la Police d’État du Reich dans de nombreuses autres déclarations sous la foi du serment. Je me réfère aux affidavits Gestapo n° 5, 6, 7 et 8. L’arrestation de 20.000 Juifs à la suite de ces abus eut lieu sur l’instigation de Himmler (document USA-240) et fut opérée pour la plus grande part par les autorités de la Police départementale et locale. La plus grande majorité des Juifs ne fut toutefois pas internée dans des camps de concentration et fut libérée peu à peu. C’est ce que confirme pour tout le territoire du Reich l’affidavit Gestapo n° 8.
Lors de l’arrestation des Juifs en novembre 1938, la Gestapo fut chargée pour la première fois, dans une assez grande mesure, d’une tâche qui lui était étrangère. Comme il ressort des déclarations des témoins Best et Hoffmann, cette arrestation qui était considérée comme inutile du point de vue policier n’eut jamais été entreprise ou proposée par la Gestapo de son propre mouvement. Les Juifs arrêtés furent bientôt relâchés ; ce fait devait justifier chez les fonctionnaires de la Gestapo l’hypothèse qu’il s’agissait d’un geste unique de la direction de l’État et non d’un acte initial menant à des actions pires.
La question juive soulevée par le Gouvernement national-socialiste dans un point de son programme devait, à l’origine, être résolue par l’émigration des Juifs. Dans ce but, le Service central de l’émigration juive, qui fut fondé en 1938 à Vienne, réussit, à faire émigrer un grand nombre de Juifs. Même durant la guerre, les émigrations se poursuivirent méthodiquement, comme il ressort des documents USA-304 et USA-410 ; en outre, les évacuations de Juifs commencèrent : elles furent exécutées d’après un décret conçu jusque dans ses détails par le chef de la Police allemande. D’après ce décret, les services locaux de la Police d’État devaient préparer l’évacuation et la collaboration avec la communauté juive. En particulier ces services s’occupaient des fournitures pour ceux qui devaient être évacués : habits, chaussures, outils, etc. Lors des transports, il n’y avait la plupart du temps aucun fonctionnaire de la Gestapo ; le personnel accompagnant le convoi était composé de membres de la Police d’État, de la Police criminelle et de la gendarmerie. Le lieu de destination n’était pas indiqué la plupart du temps. Les évacuations se faisaient sans frictions et sans duretés inutiles.
Si sévèrement qu’on puisse condamner les évacuations de Juifs du point de vue humanitaire, l’activité de la Gestapo se limita, en tout cas, à exécuter les décrets et ordres qui venaient de la direction supérieure. En somme, on n’a pas attribué au domaine d’activité de la Gestapo, en ce qui concerne la question juive, l’importance qu’on admet d’une façon générale. Dans le bureau de la Gestapo qui s’occupait des questions juives comme dans le RSHA et dans les services différents de la Gestapo, il n’y avait que très peu de fonctionnaires.
En 1941, Himmler décida que les Juifs d’Allemagne devaient être isolés jusqu’à la fin de la guerre dans des ghettos en Pologne. Cette transplantation des Juifs était l’affaire du chef supérieur des SS et de la Police et fut principalement exécutée par la Police d’ordre.
Si la politique de Hitler à l’égard des Juifs jusqu’à 1941 environ n’avait pour but que l’éloignement des Juifs d’Allemagne sous la forme de leur émigration et plus tard de leur évacuation, la politique antisémite de Hitler s’aggrava à vue d’œil après l’entrée en guerre de l’Amérique. Hitler ordonna en avril 1942 la « solution définitive de la question juive » c’est-à-dire la destruction physique, l’assassinat des Juifs. Les débats ont montré dans quelle terrible mesure cet ordre a été exécuté. L’instrument que Hitler et Himmler cherchaient pour l’accomplissement de cet ordre fut le SS-Obersturmbannführer Adolf Eichmann qui, avec son service des questions juives, était annexé, il est vrai, du point de vue organisation, à l’Amt IV du RSHA, mais qui, en fait, avait une fonction absolument indépendante et autonome avec son service spécial qui, avant tout, était tout à fait indépendant de la Gestapo. La préparation et l’exécution de l’ordre pour l’extermination des Juifs furent tenues strictement secrètes. L’ordre n’était connu dans toute sa portée que de peu de gens. Même les membres du service d’Eichmann furent laissés dans l’ignorance de cet ordre et ne l’ont connu qu’en partie et peu à peu. Eichmann fit exécuter l’évacuation et l’envoi dans les camps d’extermination par des commandos spéciaux. Ceux-ci se composaient de la Police locale et presque uniquement de la Police de l’ordre. Cette Police ne devait pas avoir accès dans les camps mais était immédiatement relevée après l’arrivée à la gare de destination. Dans les camps eux-même le cercle des personnes qui exécutaient les ordres d’assassinat était maintenu dans des limites étroites. Tout fut fait pour cacher ces crimes,
Cette description qui s’appuie principalement sur les déclarations des témoins Knochen, Wisliceny et Dr Hoffmann est complétée d’une façon surprenante par l’interrogatoire du Dr Morgen. Il déclara que trois personnes étaient chargées de l’extermination des Juifs : Wirth, Höss et Eichmann.
Wirth, l’ancien commissaire criminel de la Police criminelle à Stuttgart, qui était désigné sous les termes de « commissaire sanguinaire pour les méthodes d’enquête sans scrupules », avait le siège de la mission spéciale qui lui était attribuée, ainsi que son état-major, à la Chancellerie de Hitler. Sa mission portait d’abord sur la destruction en masse des aliénés en Allemagne, puis sur l’anéantissement des Juifs dans les pays de l’Est. Le commando que Wirth organisa pour la destruction des Juifs agissait sous le nom de code « d’action Reinhardt » et était invraisemblablement faible numériquement. Avant le début de l’action, Himmler assermenta lui-même les membres et déclara textuellement que toute personne qui dirait quoi que ce soit mourrait. Ce commando Reinhardt se trouvait en dehors d’un service policier, ne faisait donc pas partie de la Gestapo et ne portait un uniforme et des papiers de services de la Sipo que pour que les membres du commando pussent circuler dans les territoires à l’arrière du front. Ce commando commença son activité par l’extermination des Juifs en Pologne et étendit plus tard son œuvre satanique aux autres territoires de l’Est, en instituant des camps d’extermination spéciaux dans des endroits excentriques et fit exploiter ces camps par les Juifs eux-mêmes en application d’un système de duperie qui n’avait encore jamais existé. Il faut souligner que c’est la Sipo de Lublin qui indiqua au service de la Police criminelle du Reich l’attitude de Wirth et, par là, rendit possible la découverte de ces crimes épouvantables. Ce fait rectifie également la déclaration de Höss selon laquelle les camps d’extermination de Maidanek et Treblinka auraient été soumis à l’autorité de la Sipo ; ils étaient, en fait, soumis à l’autorité de Wirth.
D’après la déposition du Dr Morgen, Höss a coopéré à une époque ultérieure à l’extermination en masse des Juifs au camp d’Auschwitz. En raison de ses méthodes, Wirth l’aurait désigné comme son élève peu doué.
De ces deux commandos était séparée — toujours selon le Dr Morgen — l’organisation Eichmann, dont la tâche consistait à transporter les autres Juifs européens dans les camps d’extermination. D’après la déposition du témoin Wisliceny, Eichmann, en raison des pleins pouvoirs qui lui avaient été personnellement conférés, était également responsable de l’exécution de l’ordre d’extermination. Il organisa dans les pays occupés des commandos spéciaux. Ceux-ci, il est vrai, étaient, au point de vue économique, subordonnés aux commandants de la Police de sûreté, mais ceux-ci ne pouvaient donner aux commandos des instructions et des ordres concrets.
Or les deux organisations d’Eichmanm et de Wirth fusionnèrent, mais de sorte que seul le cercle étroit qui entourait Eichmann l’apprit. De cette façon et du fait que l’intervention du service de collaboration juif restreignit la connaissance de ces assassinats à une poignée d’Allemands, le secret fut gardé.
Or si les descriptions des témoins et déclarations sous la foi du serment diffèrent dans les détails sur l’organisation du programme d’extermination, un fait est cependant irréfutablement établi, c’est que la Gestapo, dans son ensemble, n’a pas pris part à ce crime terrible et ne pouvait rien en savoir et n’en sut rien, à quelques rares exceptions près ; car les quelques initiés à leur poste dirigeant, comme Eichmann, Müller, Himmler, ont gardé le silence le plus strict sur leurs tâches et intentions et emporté leur secret avec eux dans la tombe. C’est ce qui explique clairement la déposition du Dr Morgen. Car comment la limitation au cercle de personnes déjà nommées pouvait-elle être plus clairement prouvée que par le fait que c’était la Kripo elle-même qui faisait l’enquête et constatait les crimes et que le chef de la Sipo lui-même ne pouvait discuter avec Nebe, alors que Müller semblait initié comme son attitude le donne à entendre. Mais comment peut-on admettre devant un tel état de choses que les fonctionnaires de la Gestapo aient eu vent de ce secret ?
En ce qui concerne la persécution des Églises et les exécutions d’otages par la Gestapo, je vous demande de vous référer à ma plaidoirie écrite.
Enfin on reproche à la Gestapo et au SD d’avoir été les services qui ont dirigé la persécution des Eglises.
Ici, il faut dire que la Gestapo n’avait aucune espèce d’initiative dans les discussions de politique intérieure ; elle n’avait qu’à prendre connaissance des prescriptions légales en vigueur dans le Reich. Celles-ci ne mentionnaient nulle part que les Eglises devaient être persécutées en raison de leurs pratiques religieuses, mais que le mauvais usage des chaires en vue d’attaquer l’État devait être proscrit, donc qu’il fallait intervenir contre des particuliers.
Les prescriptions légales étaient constituées par le paragraphe 130 a relatif aux Eglises du RSTGB qui remonte à l’époque de Bismarck, et par une ordonnance de Police du président du Conseil de Prusse de 1934 qui interdisait aux Églises toute activité politique.
On n’a pas encore reproché à aucune autorité de Police d’aucun pays d’avoir pris en considération les lois existantes. Mais ici il s’agit de savoir si le fonctionnaire moyen de la Gestapo pouvait se douter que la politique de son gouvernement poursuivait des buts criminels envers les Eglises.
Je demande que l’on déduise des affidavits Gestapo n° 43, 44, 57, 58 et 59 dans quelle mesure une lutte contre les Eglises a été imputée à tort à la Gestapo. Je me réfère également aux affidavits 42 et 91, qui décrivent comment le décret « Crucifix », une ordonnance promulguée par l’administration d’un Land, non seulement n’a pas été soutenu par la Gestapo, mais a été complètement saboté.
Dans la série des sombres tableaux, les exécutions d’otages ont également passé devant nos yeux. Toute la Police de sûreté, et par conséquent la Gestapo, n’a rien eu à faire avec les exécutions d’otages. Elles furent ordonnées par le chef supérieur des SS et de la Police et exécutées par la Police d’ordre. Du reste, il faut indiquer qu’il s’agissait là presque exclusivement de personnes qui étaient déjà condamnées à mort par un conseil de guerre (cf. affidavits Gestapo n° 9, 71 et 90, de même que les déclarations du Dr Knochen, de Straub, du Dr Hoffmann et de l’accusé Seyss-Inquart). Il va de soi qu’il faut éliminer des accusations portées contre la Gestapo les exécutions qui avaient leur origine dans la décision d’un tribunal.
J’ai traité à grands traits les crimes individuels reprochés à la Gestapo en tant qu’organisation par le Ministère Public. Quant à la question de savoir si les crimes, pour autant qu’ils ont été commis par des membres de la Gestapo, doivent être imputés à l’ensemble de la Gestapo, j’en viens, dans la mesure où cela n’a pas encore été déjà fait lors de l’examen des crimes individuels, au résultat suivant : La Gestapo était une autorité officielle du Reich liée dans ses buts et son activité par la loi. On a trop peu tenu compte du fait que durant les douze années d’existence de cette institution les fonctionnaires de la Gestapo exécutèrent principalement un travail normal de Police. Le jour de travail de la plupart des fonctionnaires de la Gestapo était rempli d’affaires de service qui n’avaient aucun rapport avec les crimes dont il est question ici. Seule une partie infime des fonctionnaires utilisèrent les interrogatoires au troisième degré ; le décret qui les prévoyait était déposé dans le coffre-fort du chef de service comme une « affaire très secrète du Reich ». Ainsi la vie ordinaire du fonctionnaire de la Gestapo offrait une tout autre image que celle qu’on se représente. Cependant elle a été également, par le jeu du devoir traditionnel d’obéissance, forcée par des services supérieurs du Gouvernement à prendre, avec la participation de ses fonctionnaires, des mesures qui dépassaient les bornes propres de son activité.
Ici il est d’une importance décisive de noter que seule une petite partie des fonctionnaires de la Gestapo prit part à ces tâches étrangères à la Police. Étant donné que les plus graves accusations contre la Gestapo se rapportent à son activité dans les territoires occupés, il en ressort que seul un pourcentage relativement faible, tout au plus 15% des fonctionnaires d’exécution, mais non pas l’ensemble de la Gestapo, peut en être chargé.
A ce sujet, selon l’opinion généralement admise, un fait particulièrement important consiste à savoir si les buts, tâches, et méthodes de l’organisation ou groupe étaient notoires. La publicité ou, en d’autres termes, la connaissance générale, doit comprendre deux choses : la connaissance du fait positif des actions criminelles et la connaissance de leur caractère illégal et criminel. Le jugement appréciant si cette connaissance existait dans ce double domaine doit se régler sur le bon sens. Il faut également constater si des membres isolés de l’organisation ne savaient rien des événements criminels.
Qu’on me permette encore d’ajouter quelques faits fondamentaux à ce que j’ai déjà exposé pour les crimes individuels.
La raison pour laquelle l’ensemble de la Gestapo n’avait aucune connaissance des crimes capitaux commis réside dans le fait suivant : depuis le début, Hitler a entendu s’entourer du voile du mystère, cacher ses vraies intentions, veiller à ce qu’aucun ministre, aucun ressort, aucun fonctionnaire n’en apprenne trop d’une tierce personne. Le célèbre ordre n° 1 du Führer déposé sous le n° Gestapo-25 ne fait que traduire dans les faits une pratique depuis longtemps confirmée.
Était-il étonnant que devant l’influence démoniaque exercée par Hitler, devant le sentiment d’intangibilité de ses décisions que l’on ne peut expliquer que par son caractère démoniaque, et devant la crainte des suites néfastes, que l’exécution d’un tel ordre eût amené pour la vie même des intéressés, cette consigne du silence eût été si minutieusement observée ?
En effet, il est possible de croire que presque tous les accusés et témoins entendus ici n’ont eu connaissance que maintenant de tous ces grands crimes. Il est caractéristique que le chauffeur d’une voiture « spéciale » a été condamné à mort par le Tribunal des SS et de la Police à Minsk, parce qu’il avait parlé de l’usage de sa voiture alors qu’il était en état d’ébriété, et ce, malgré l’ordre qui lui avait été donné (affidavit Gestapo-47). Même un Dr Gisevius a dû admettre que Heydrich s’efforçait de dissimuler ses actions et ce qui est le plus frappant c’est que l’accusé Jodl lui-même a décrit le système du secret en ces termes : le secret a été un chef-d’œuvre de l’art du camouflage de Hitler et un chef-d’œuvre de tromperie de la part de Himmler.
C’est un principe juridique connu que l’ignorance négligente d’un crime ne suffit pas : il est donc nécessaire pour déclarer une organisation criminelle que les membres de cette organisation aient en fait connu et approuvé les buts ou méthodes criminels. Mais cela ne peut être prouvé dans notre cas et ne doit pas être admis non plus d’après toutes les constatations faites au cours de ce Procès, si étrange que puisse paraître l’hypothèse contraire à celui qui regarde en arrière et ne peut se rendre compte des conditions qui régnaient en Allemagne.
A la question de savoir si les crimes terribles qui ont réellement été commis doivent être imputés à la Gestapo dans son ensemble, il ne faut pas omettre de tenir compte du fait que les membres de cette organisation agissaient non de leur propre initiative mais sur ordre. Les intéressés affirment et peuvent prouver grâce à des témoins qu’en cas d’un refus d’obéir aux ordres reçus ils auraient été menacés non seulement d’une procédure disciplinaire, de la perte de leurs droits de fonctionnaires et autres inconvénients de ce genre, mais aussi des camps de concentration et, en temps de guerre, d’un jugement d’un conseil de guerre suivi d’une exécution. N’est-ce pas invoquer par là des motifs qui excluent la culpabilité ?
Cette question doit être examinée à la lumière de l’état de nécessité professionnel. L’état de nécessité professionnel n’est pas un article de la loi. Il représente plutôt une notion dont on ne peut se passer dans la vie juridique. Là où la loi écrite, comme c’est le cas pour l’état de nécessité dont nous nous occupons, est insuffisante, des considérations raisonnables et pratiques doivent remplir les lacunes. L’opinion publique approuve et la jurisprudence et la science juridique ont reconnu ce que l’on appelle l’état de nécessité comme excuse absolutoire. C’est exact) : paresse n’est pas vertu, mais il est également exact que l’héroïsme et le martyre constituent une exception dans le monde des hommes. Les membres de la Gestapo doivent-ils constituer cette exception ? Pouvait-on, du point de vue purement humain, attendre réellement d’eux d’endurer la perte de leur existence, la misère de leur famille, le camp de concentration et peut-être une mort injurieuse ? Du reste, les mouvements de résistance dans les territoires occupés se sont toujours, à propos de leurs assassinats de membres des forces occupantes allemandes, référés aux ordres de leurs supérieurs et à l’état de nécessité dans lequel se trouvaient les terroristes soumis à ces ordres.
C’est pourquoi je voudrais considérer qu’est pleinement réalisé dans notre cas le danger immédiat pour l’intégrité physique et la vie de l’auteur, au sens de l’article 54 du code pénal allemand. C’est ce que le juge Jackson a appelé la contrainte physique.
A cela s’ajoutait qu’en Allemagne tout fonctionnaire était et est formé dans la conception du devoir d’obéissance le plus strict aux ordres et instructions de l’autorité. Peut-être le fonctionnaire en Allemagne est il rempli de la pensée de l’autorité comme nulle part ailleurs au monde. Il a été formé dans la conception exacte en soi qu’un État se désagrège lorsque les ordres qui émanent de lui ne sont plus suivis et que la dénégation de l’autorité de l’État a pour suite logique l’anarchie.
C’est à cette attitude profondément enracinée que mena l’atmosphère démoniaque qui ne fit pas des petits fonctionnaires, par un pouvoir de pure hypnose, un instrument sans volonté. Ces motifs menèrent aux menaces et le tout engendra une situation critique de la profession à tel point opprimante que chez les fonctionnaires de la Gestapo pris individuellement, la liberté de la volonté ne subsistait plus pour contrôler la valeur juridique et morale d’un ordre criminel et refuser d’y obéir. De même, eu égard à ces circonstances, les crimes prouvés ne peuvent toutefois pas être imputés à l’ensemble de la Gestapo, ce qui aurait pour conséquence de déclarer la Gestapo criminelle.
Les représentants du Ministère Public affirment — et c’est le sens profond et la cause première de l’Accusation — que dans tous les crimes il s’agit non point d’actions isolées, commises indépendamment les unes des autres, mais de parties ou de manifestations partielles d’une politique criminelle, fut-ce en tant que but d’un plan concerté ou en tant que moyen pour l’exécution de ce plan concerté ; mais le plan aurait été fondé sur le déchaînement et la conduite d’une guerre d’agression, au début encore indéterminée quant à son objectif, plus tard déterminée ; de nouveau cette guerre aurait eu pour but l’assujettissement de l’Europe et des peuples européens en vue d’acquérir l’espace vital Tout ce qui s’est passé de plus important au sein de la société des conjurés, telle que l’a décrite le Ministère Public, n’aurait servi qu’un seul et unique but, celui d’assurer à l’État nazi une place au soleil en repoussant dans l’ombre tous les autres adversaires aussi bien intérieurs qu’extérieurs. Le noyau du crime individuel résiderait dans la participation consciente à l’élaboration et à l’exécution du plan. Le crime de l’individu consisterait dans le fait qu’il se serait rallié au plan concerté criminel du complot. Le plan et le but de ce complot auraient été connus d’une façon générale ; personne ne pourrait donc parvenir à nous convaincre d’avoir agi dans l’ignorance du complot.
Ces buts du Ministère Public s’appliquent en premier lieu aux accusés pris individuellement, mais ils peuvent également s’appliquer aux organisations accusées. Le rôle qui aurait échu à la Gestapo dans le complot, aurait consisté à aider à créer pour les conspirateurs un État policier qui devait briser toute résistance, exterminer les Juifs et les chrétiens fidèles à d’Église et les indésirables du point de vue politique comme principaux agents du mouvement de résistance, faire des esclaves des ressortissants des pays étrangers aptes au travail, et éliminer et réprimer par la cruauté et la terreur tout ce qui s’opposait à la soif de conquête allemande sur le territoire du Reich et dans les territoires occupés.
Si nous examinons une fois de plus les crimes individuels pour voir s’ils doivent être considérés comme des éléments de la conspiration contre la paix mondiale, il faudra prendre à cœur de rechercher quelle a été l’activité de la Gestapo avant la guerre et durant la. guerre à la lumière des remarques indiquées. Sans me répéter plus qu’il n’est absolument nécessaire, je crois pouvoir dire que les tâches et méthodes de la Gestapo avant la guerre étaient la manifestation et l’expression d’une institution d’État existant dans tous les pays civilisés, qui ne peut absolument pas être conçue en dehors de l’État sans que pour cela il soit question d’une guerre d’agression quelconque ou de tout autre complot contre la paix mondiale. Le fonctionnaire de la Gestapo remplissait son devoir comme il avait appris à le faire en sa qualité de fonctionnaire. De même dans les classes supérieures du fonctionnariat de la Police politique aucune autre pensée n’a dominé que celle de garantir la paix et la sécurité de l’État. La Gestapo, ne doit pas être identifiée avec les connaissances et les agissements de Himmler et de Heydrich, qui étaient des supérieurs hiérarchiques étrangers à la Police. Si ces hommes devaient n’avoir agi que selon des vues politiques, on ne peut en accuser les services qui leur étaient subordonnés. En raison du système bien connu du secret, le fonctionnaire de la Gestapo et la grande majorité de tous les membres de la Gestapo ne pouvaient avoir la moindre idée que leur activité dût avoir pour but de préparer une guerre d’agression et d’aider à créer une base pour celle-ci. Je crois qu’une telle assertion est incompréhensible pour tout fonctionnaire de la Gestapo lorsqu’il l’entend ou lorsqu’on l’interroge sur ce qu’il savait de l’attaque contre la paix mondiale.
Les crimes commis par des membres de la Gestapo durant la guerre ou les crimes auxquels ils ont participé ne peuvent être imputés à l’ensemble de la Gestapo que si ces crimes — abstraction faite de leur connaissance générale — ont été consommés avec la conscience de participer ainsi à un plan et de mener également la guerre d’agression vers son but victorieux, à tout prix, d’une façon criminelle et contraire au Droit international. On ne peut pas prouver cela non plus. La condition serait une fois de plus nécessaire : les fonctionnaires de la Gestapo qui avaient pris part aux crimes savaient que la guerre dans laquelle nous nous trouvions était une guerre d’agression. Or nous savons tous qu’une propagande magistralement organisée jusque dans les villages les plus éloignés ne parla jamais que d’une guerre qui nous était imposée d’une manière criminelle, que Hitler parla toujours de la guerre que les autres avaient voulue et non nous. Si dans l’esprit d’un homme réfléchi qui n’a pas entièrement perdu sa propre faculté de jugement, le doute a pu se faire jour et la pensée poindre que notre Gouvernement n’était pas innocent dans la guerre qui nous était imposée, il n’est pas impossible, devant la très grande vraisemblance du contraire, d’établir que cette opinion ou même la certitude de ce fait a saisi et rempli tous les membres de la Gestapo.
A mon avis, le Ministère Public admet à tort que toute activité du Parti, mais avant tout sa lutte contre les Juifs, ses adversaires politiques, et contre les Églises, ont émané de l’intention et du plan d’écarter tous les courants qui s’opposaient au dessein d’une guerre d’agression. La lutte nationale-socialiste contre les Juifs provint de l’antisémitisme soulevé comme un des points du programme et qui voyait dans tous les Juifs un élément destructeur de l’État. Parce que cette lutte était immorale, les Églises chrétiennes se sont à juste titre soulevées contre elle. C’est ainsi que s’explique — du moins pour la plus grande part — la lutte du Parti contre l’Église. De même les procédés du Parti contre les adversaires politiques, notamment contre les communistes, se donnèrent libre cours en premier lieu pour le maintien et la protection de l’État. C’est ainsi du moins que le peuple allemand et aussi les fonctionnaires de la Gestapo considéraient cet état de tension. Il ne vint à l’esprit de personne d’y voir l’émanation d’un complot contre la paix mondiale.
Mais un dernier point, et peut-être le plus important, ne doit pas être omis. Le soldat allemand, le fonctionnaire et l’ouvrier allemand et tout homme de nationalité allemande savaient que la guerre nous avait mis dans une situation qui signifiait la lutte à la vie et à la mort. Le cours graduel de la guerre dévoila avec une netteté effrayante qu’il s’agissait d’être ou de ne pas être. Certes, c’est méconnaître l’âme du peuple allemand que de ne pas voir que tout Allemand honnête, lorsqu’il commencerait à se rendre compte de cette terrible réalité, se sentirait obligé de faire tout ce dont on le chargerait pour sauver sa patrie. C’est également à la lumière de ces faits qu’il faut juger l’attitude du peuple allemand et aussi de la Police politique pour rendre justice à leurs procédés.
Le Ministère Public a déclaré que le Tribunal est en état de faire intervenir une réserve à propos de la décision prise sur la déclaration collective des organisations, soit du point de vue de certains groupements subalternes, soit du point de vue du temps. La structure, la diversité des groupes de personnes actives au sein de la Gestapo et les résultats de l’admission des preuves concernant les assertions de l’Accusation sur une activité criminelle de la Gestapo constituent la base des limitations personnelles et temporaires dont je prie de tenir compte au cas où le Tribunal devrait prononcer un jugement de condamnation.
Une participation coupable aux crimes ne peut être imputée sans aucun doute aux groupes de personnes suivants, d’après l’article 6 du Statut, parce qu’ils n’ont pas commis ces crimes eux-mêmes et n’ont pas envisagé et encore moins réalisé une perpétration commune de crimes et qu’ils n’ont pu avoir connaissance, et en fait ne l’ont pas eue, des plans et activités criminels.
1° Les fonctionnaires d’administration : Ils ne recevaient pas leurs instructions concrètes du service de la Gestapo ou de l’Amt IV du RSHA, mais des services I et II du RSHA dont les membres ne tombent pas sous l’accusation contre la Gestapo. Les locaux des fonctionnaires d’administration étaient tout à fait séparés de ceux des fonctionnaires d’exécution. Ils n’avaient aucune espèce d’aperçu sur l’activité de ceux-ci, en partie en raison de l’obligation au secret déjà plusieurs fois mentionnée et particulièrement observée dans la Gestapo, en partie parce que les fonctionnaires n’étaient considérés que comme faisant formellement partie de la Gestapo, et par conséquent étaient traités avec une réserve sensible. Il faut indiquer les désignations distinctives de service comme par exemple inspecteur de Police chez les fonctionnaires d’administration de la Police par opposition à inspecteur criminel du service exécutif, pour élucider la diversité fondamentale de ces deux catégories de fonctionnaires, diversité qui n’est pas écartée du fait de l’activité dans l’une ou l’autre des autorités.
Si le Ministère Public donne comme argument que l’activité des fonctionnaires d’administration était une condition de l’activité des fonctionnaires d’exécution, cette démonstration est aussi peu solide que si j’affirmais que l’activité des fonctionnaires du ministère des Finances du Reich qui procuraient les moyens financiers pour les traitements et les dépenses concrètes de la Gestapo a été la cause de l’activité des fonctionnaires d’exécution.
2° Les employés et salariés : M. le Juge Jackson, dans son discours du 1er mars 1946, a exclu deux groupes de personnes de l’accusation contre les organisations, à savoir, outre la réserve des SA, les employés de bureaux, les sténographes et le petit personnel d’entretien de la Gestapo. Si par conséquent une partie déjà des groupes de personnes dont je discute maintenant ne sont plus compris dans l’accusation, je considère comme de mon devoir d’indiquer également pour ma part que ce groupe de personnes a été exclu de l’accusation d’une façon tout à fait équitable aussi bien en raison de son utilisation dans des postes subalternes qu’en raison de l’impossibilité déjà prouvée ici d’acquérir une connaissance plus approfondie de l’activité de la Gestapo. En outre, je pars de la conception que tous les employés et salariés, dont faisaient partie par exemple les chauffeurs, pour autant qu’ils n’étaient pas fonctionnaires, les télétypistes, les téléphonistes, les dessinateurs, les interprètes, doivent être incorporés dans ce groupe d’exception, même si l’adhésion à la Gestapo reposait sur la conclusion d’un contrat de travail libre ou si les prescriptions du service du travail autorisaient le choix d’un autre service.
3° Le témoin Hedel a donné des explications détaillées sur l’activité du personnel d’information technique. Il en ressort clairement qu’il n’avait pas le moindre rapport avec le service d’exécution, qu’il ne pouvait avoir la moindre connaissance de l’activité du service exécutif et qu’il ne l’avait pas et qu’en raison de sa propre activité il ne pouvait avoir conscience qu’il faisait partie d’une organisation dont l’activité pouvait, peut-être, être criminelle. L’existence de ce cercle de personnes justifie également un traitement d’exception.
4° La même chose vaut pour tous les groupes de personnes qui, de 1942 à 1945, en vertu d’un ordre supérieur, ont été mutés en bloc à la Gestapo. Ce sont les 51 groupes de la Police secrète de campagne et le service de contre-espionnage militaire auprès des services de contrôle de la correspondance étrangère et ides télégrammes, qui furent mutés à la Gestapo par la Wehrmacht, et la protection des frontières douanières qui venait du ministère des Finances du Reich.
Docteur Merkel, vous venez de parler de 51 groupes. Pouvez-vous indiquer au Tribunal où il en a été fait mention ? Dans quel document ?
Dans la déposition de Krichbaum qui a été entendu devant la commission. Pour ces groupes aussi il est absolument hors de doute que ne s’appliquent à eux ni le fait ide l’adhésion volontaire, ni celui de la connaissance des buts et activités criminels, comme le prétend l’Accusation, ni l’élément d’entente en vue d’un complot. L’individu, quelque fût son rang, était impuissant contre la mutation en bloc en vertu d’un ordre qui émanait des services supérieurs de la Wehrmacht et de l’État. Au cas où, en raison de désertion ou de désobéissance militaire, cet ordre n’aurait pas été exécuté, il eût été sanctionné par la peine de mort.
5° II reste encore le groupe des fonctionnaires d’exécution. Le personnel des sections politiques des préfectures de Police d’avant 1933 constituait le noyau des fonctionnaires d’exécution. Ces fonctionnaires qui, en partie déjà avant 1914 et de façon permanente jusqu’en 1933, avaient lutté contre les divers adversaires de la politique intérieure des divers systèmes de gouvernement et des gouvernements en activité, furent pris dans la Police politique du nouveau régime presque sans exception. N’étaient absolument exclus que les fonctionnaires qui s’étaient montrés particulièrement actifs comme adversaires du national-socialisme. Mais ceux-ci aussi n’étaient congédiés qu’en de rares cas. La plupart du temps ils étaient mutés dans la Police criminelle.
On combla les rangs du personnel de la Gestapo de façon telle que les fonctionnaires et candidats d’autres branches de la Police furent mutés dans la Gestapo, sans qu’ils en aient eux-mêmes présenté la demande.
De même des fonctionnaires de valeur qui avaient servi longtemps dans la Police d’État et qui voulaient rester dans la Police, furent mutés après neuf ans de service dans la Police criminelle ou dans la Police d’État, sans qu’ils pussent exercer une influence sur leur utilisation dans l’un ou l’autre service.
En ce qui concerne les exemples de la Police du contre-espionnage ou des frontières, je puis préciser que les membres de ces groupes de personnes, qui furent mis au nombre des fonctionnaires d’exécution de la Gestapo ne purent avoir une part quelconque aux crimes que l’Accusation impute à la Gestapo. La Police du contre-espionnage exerçait une activité policière semblable à celle que la Police ou des organisations affiliées exerçaient d’une façon tout à fait analogue dans tout État civilisé. De la déposition de Best et des affidavits Gestapo n° 39, 56 et 89, il ressort clairement que la Police du contre-espionnage avait un personnel très stable ayant le devoir absolu de tenir secret ce qui avait un grand intérêt pour la défense nationale ; il ne changeait pas et on n’admettait pas les mutations dans d’autres sections de Police. A l’intérieur des sections de la Gestapo, la Police du contre-espionnage était plutôt isolée, ce qui excluait des relations de service avec d’autres sections. Les cas traités par la Police du contre-espionnage ont toujours été soumis aux tribunaux ordinaires pour décision.
L’activité de la Police des frontières entre les années 1933 et 1945 fut la même que celle des années antérieures, et elle est encore exercée aujourd’hui par les fonctionnaires de la Police des frontières. Les fonctionnaires de la Police des frontières n’ont jamais procédé à des interrogatoires au troisième degré et ils n’ont jamais fait de demandes d’internement dans un camp de concentration. Ils n’ont pas participé aux persécutions des Juifs ni à d’autres crimes qui ont été imputés à la Gestapo, en raison de leur utilisation spéciale et de longue durée dans la Police des frontières.
Ces deux groupes de personnes à l’intérieur ide la Gestapo s’élevèrent à 5.000 ou 6.000 hommes. Me basant sur les chiffres cités plus haut des groupes de personnes de la Gestapo, j’arrive à un nombre total de 75.000 personnes pour la période de sa plus grande expansion. Les fonctionnaires d’exécution qui étaient au nombre de 15.000 ne représentent qu’environ 20% de la force totale. Si l’on en déduit encore les 5.000 à 6.000 de la Police de contre-espionnage et de surveillance ’des frontières, il ne reste que 9.000 à 10.000 hommes, c’est-à-dire 12% à 130 /0 du personnel au total.
Je crois avoir déjà prouvé que la Gestapo ne peut point être condamnée parce qu’elle représente un organisme secondaire dans l’État, et pour des raisons qui tiennent au Droit naturel et au Droit général international. Mais même en négligeant ces considérations juridiques, une condamnation de la Gestapo ne peut avoir lieu car les critères positifs d’une criminalité telle que celle définie par M. Jackson le 28 février 1946 ne sont pas réunis dans le cas de la Gestapo. Et même si l’on ne veut pas tenir compte de cet argument, je pose la question : une organisation peut-elle être déclarée criminelle parce qu’une partie de ses membres peut être éventuellement rendue responsable de crimes ? On inclurait ainsi ceux qui n’ont commis aucun crime et qui n’en avaient même pas connaissance. Je me réfère à l’ensemble des déclarations sous la foi du serment qui ont été faites par un grand nombre des anciens membres de la Gestapo gardés dans des camps d’internement. Je ne voudrais pas manquer non plus d’indiquer les nombreuses actions, attestées également sous la foi du serment dans ces déclarations des fonctionnaires d’exécution, qui servirent au sabotage de certains ordres funestes donnés par le Chef de l’État.
Si je me tourne maintenant vers la question d’une limitation dans le temps, en suivant une argumentation prévoyante qui est le devoir sérieux de tout défenseur, je puis me résumer ici bien davantage.
On ne peut parler d’une direction unifiée de la Gestapo dans le Reich entier et, partant, d’une manifestation unique de la volonté, au moins jusqu’au moment de la nomination de Himmler au poste de chef adjoint de la Gestapo prussienne, c’est-à-dire jusqu’au printemps 1934. En Prusse, le conseiller ministériel Diels faisait fonction de chef adjoint de la Gestapo sous les ordres de Göring. Diels ne peut être mis en cause en raison des tendances criminelles qui ont apparu à la suite de la révolution nationale-socialiste ; devant le manque de temps, je ne peux désigner les coupables, des excès qui ont eu lieu (cf. affidavit n° 41).
En tant qu’institution de l’État, la Gestapo n’a pas participé aux événements du 30 juin 1934. Dans la période suivante, jusqu’au 9 novembre 1938, la Gestapo n’a pas agi sous une forme qui pût justifier une déclaration de criminalité. L’arrestation de 20.000 Juifs qui fut ordonnée à la Gestapo, était une affaire étrangère à la Police, comme le témoin Best l’a déclaré. Ainsi disparaît également la possibilité de déterminer une date pour le début d’une activité criminelle de la Gestapo. Il faut dire qu’au moins jusqu’au début de la guerre on ne peut guère démontrer une criminalité de la Gestapo.
Pendant la guerre, les bases de jugement sont-elles différentes ? J’ai déjà démontré que l’activité des Einsatzgruppen et des services de la Sipo dans les territoires occupés ne peut être citée à la charge de la Gestapo, car la direction, l’organisation, la composition du personnel et les voies suivies par les ordres de ces services n’admettent pas de discrimination de la Gestapo.
Il n’y a pas le moindre doute qu’en cas de condamnation de la Gestapo des limitations importantes au point de vue du temps doivent être faites. J’ai déjà brièvement esquissé à quelles difficultés presque insurmontables se heurterait une telle délimitation dans le temps.
Messieurs les juges, je veux terminer ainsi mes développements sur les charges portées contre la Gestapo. Je n’ai pas vu mon devoir dans le fait d’embellir des crimes et des méfaits et de blanchir des individus qui ont méprisé les lois de l’humanité. Mais je veux sauver des innocents. Je veux frayer un chemin à un jugement qui détrônera le démoniaque et rétablira l’ordre éthique universel.
Si nous feuilletons l’histoire européenne des dernières décades et des derniers siècles, nous relisons encore et toujours que la force a primé le droit chez les peuples, que l’esprit de vengeance a séduit les sens des hommes. Une paix conclue n’existait que sur le papier et ne vivait pas dans les cœurs. De traités furent conclus en toute solennité, pour être violés ensuite. Des promesses furent données, et non tenues. Nous lisons dans ce livre l’histoire de révolutions des peuples, de la détresse économique, d’une misère indicible. Les dernières pages de ce livre sont écrites avec du sang, le sang de millions d’hommes innocents. Elles décrivent des atrocités inimaginables, un mépris sans limite des droits sacrés de l’homme, des assassinats en masse au cours desquels les peuples d’Europe ont souffert. Messieurs les juges, vous aurez à écrire avec votre jugement le dernier chapitre de ce livre, un chapitre qui doit être un début et une fin parce que votre jugement tire le trait final de la lutte horrible du démoniaque contre l’ordre éthique universel, et un début parce que votre jugement doit mener à un monde nouveau de liberté et de justice.
Cette justice, je l’espère, animera le jugement comme il est écrit en lettres d’or sur le sol du Palais de la Paix à La Haye : Sol justitiae illustra nos . Ne jugez pas seulement avec la froide logique de votre entendement pénétrant mais aussi avec l’ardent amour d’un cœur prophétique. Cela vaut spécialement pour le jugement des organisations, car une décision qui condamne doit être injuste parce que parmi les millions qu’elle vise, il y a aussi des millions d’innocents. Ils seront la proie du désespoir, tous seront marqués du sceau de la honte et expulsés de la société et estimeront peut-être heureuses les victimes du national-socialisme qui reposent maintenant dans leurs tombes.
Le monde actuel a besoin de paix, rien que de la Paix. Les conséquences d’une condamnation qui engloberait une grande partie du peuple allemand qui est innocent agiraient à l’encontre de la paix mondiale qui n’est déjà pas si solide et, ainsi, justifieraient les idées de Hitler sur la punition collective et l’extermination d’un peuple, le peuple Juif. A cette injustice à l’encontre des commandements de Dieu et de la nature se sont opposés la révolte de la créature torturée et le droit de demander des comptes aux criminels. C’est pour Hitler et son régime que s’est confirmé l’adage : Hodie mihi, cras tibi.
L’histoire des Juifs, l’Ancien Testament, nous rapportent que Dieu n’aurait pas détruit Sodome si un seul juste y avait habité. Cette tradition ne contient-elle pas la vérité divine suivant laquelle on ne doit pas punir une collectivité si un seul de ses membres n’est pas coupable ?
Ainsi, Messieurs les juges, vous inscrirez votre nom au bas d’un jugement qui subsistera devant l’Histoire et devant le Tribunal du monde. Inscrivez votre nom au bas d’un jugement qui sera considéré comme le début d’une nouvelle ère de justice et de paix, comme un pont d’or vers un avenir meilleur et plus heureux.
L’audience est levée.