DEUX CENT ONZIÈME JOURNÉE.
Lundi 26 août 1946.

Audience de l’après-midi.

M. PELCKMAN

Je disais, Messieurs les juges, que, malheureusement, le monde n’avait rien fait pour ébranler cette croyance en Adolf Hitler.

Ce que je vais établir maintenant n’a pas pour but de déclarer coupables d’autres hommes ni d’absoudre ceux qui sont responsables, s’ils le sont vraiment. Non, ces constatations doivent servir à éclaircir de quelle manière nous tous, le monde entier — en partie trompés sur le vrai danger, en partie dans l’espoir de nous en rendre maîtres — avons fait quelque chose qui, dans ses répercussions sur le peuple allemand, devait nécessairement être considéré par les partisans de Hitler et les hommes des SS comme une preuve de la justesse et de la légalité de sa volonté et de ses actes.

Je comprends que cette preuve ait été déclarée irrecevable pour la défense de la plupart des accusés individuels, puisqu’on leur reproche précisément d’avoir sciemment trompé le monde. On ne peut, par conséquent, considérer l’attitude du monde comme un indice de leur bonne foi. Pour les organisations, le problème est différent.

L’Accusation ne peut pas reprocher sérieusement à la masse de leurs membres, ni à la masse de leurs chefs, et ne pourra à plus forte raison pas prouver qu’ils avaient connaissance des intentions et des buts criminels de Hitler. Je viens de montrer de quelle manière le SS devait se représenter les événements jusqu’aux environs de 1934-1935. Ainsi tombe pour l’organisation que je défends l’objection, soutenue par le Ministère Public, et très importante pour les principaux accusés, selon laquelle ils n’auraient pas pu être renforcés dans leur erreur.

Quelle était alors la situation ? Je cite, pour l’essentiel, l’ouvrage de Jasper : La question de la responsabilité , pages 82-83 :

« Au début de l’été 1933, le Vatican signa un concordat avec Hitler. Ce fut Papen qui mena les négociations. C’était la première importante confirmation du régime de Hitler, qui y gagna un prestige considérable.

« Tous les États reconnaissaient le régime de Hitler. On entendait des voix d’admiration. En 1935, l’Angleterre signa l’accord naval avec Hitler par l’intermédiaire de Ribbentrop. En 1936, les Jeux Olympiques se déroulèrent à Berlin. Le monde entier y afflua. En 1936, Hitler occupa la Rhénanie. La France n’intervint pas. Au printemps 1938, acclamé par la plus grande partie de la population — fait resté indéniable — Hitler entra en Autriche. En 1938, une lettre ouverte de Churchill à Hitler parut dans le Times ; on y trouvait des phrases comme celle-ci : « Si l’Angleterre devait sombrer dans un malheur national comparable à celui de l’Allemagne en 1918, je prierais Dieu de nous envoyer un homme de votre volonté et de votre force spirituelle ».

Comment est-il possible que, durant toutes ces années, des diplomates et des dirigeants étrangers, respectueusement accompagnés par des SS au cours de leurs entretiens confidentiels, aient, aux congrès du Parti, à la Chancellerie du Reich et dans les ministères, serré la main à des criminels et à des incendiaires. Quel pouvait être l’effet de cette attitude sur la conscience des SS qui ne pouvaient considérer ces mains que comme propres et loyales ?

La situation générale des années 1933-1939 est caractérisée par Röpke dans son livre La question allemande , publié en Suisse. En raison du manque de temps, je renonce à donner lecture de cet extrait et je prie le Tribunal d’en prendre connaissance.

« La catastrophe mondiale d’aujourd’hui est le prix gigantesque que le monde doit payer parce qu’il s’est montré sourd à tous les signaux d’alarme qui, de 1930 à 1939, ont annoncé, sur un ton toujours plus strident, l’enfer que les puissances sataniques du national-socialisme devaient déchaîner d’abord sur l’Allemagne même, puis sur le reste du monde. Les horreurs de cette guerre sont exactement celles que le monde a tolérées en Allemagne, tandis qu’il allait jusqu’à maintenir des relations normales avec les nationaux-socialistes et organisait avec eux des fêtes et des congrès internationaux. »

A cette époque, le monde considérait encore ce qui se passait dans un autre État comme une chose qui ne le regardait pas. Ce n’est qu’à la suite des enseignements du régime hitlérien et de cette seconde guerre mondiale que la solidarité des grands États — et peut-être un jour celle des Nations Unies — veille à ce que les dictatures et les méthodes anti-démocratiques ne posent pas dans tous les pays les bases de nouveaux conflits mondiaux. Je rappellerai les représentations faites il y a quelques mois par les États-Unis en raison de la situation politique intérieure en Argentine.

Avant d’en venir aux actes criminels dont le Ministère Public accuse les SS, je voudrais interrompre l’examen et l’appréciation de cette quantité de preuves documentaires par quelques considérations sur le Droit du Statut et sur les principes de la procédure. Je n’ai pas voulu importuner le Tribunal en commençant par ce sujet, mais créer d’abord une atmosphère dans laquelle les arguments juridiques gagneraient en force. J’exposerai mes arguments aussi brièvement que possible, car mes confrères ont déjà longuement parlé de cette question. Je crains qu’on en parle encore, et le Tribunal connaît également le mémorandum de mon confrère le Dr Klefisch. Puisse mon exposé avoir pour effet d’éclaircir ce que j’ai déjà expliqué et puisse-t-il donner une vue générale et établir une direction dans l’ensemble inextricable que constitue cette petite section de l’immense matériel documentaire, que je pourrai présenter au cours de ce qui me reste des trois heures qui m’ont été accordées.

Il s’agit d’éclaircir la nature juridique de l’accusation portée contre les organisations et de déterminer si une organisation peut vraiment être criminelle. Le Tribunal connaît les déclarations générales de la Défense sur la possibilité de délit des organisations. Je les considère comme justes et valables. Pourtant je dois demander qui est véritablement accusé, selon l’article 9 du Statut ? Sont-ce réellement les organisations en tant qu’anciennes personnes juridiques ou bien ne sont ce pas plutôt en vérité les millions de leurs membres individuels, uniquement représentés par un des accusés principaux et par les organisations disparues, qui se trouvent au banc des accusés ? En fait, ce sont bien les membres individuels qui sont accusés. Cela ressort de toutes les considérations auxquelles on peut se livrer sur ces questions. Ce Procès ne décide pas du sort des anciennes organisations, qui n’existent plus et ne peuvent plus jamais devenir dangereuses, mais sur le sort de leurs nombreux membres. Un coup d’œil sur la loi n° 10 et les conséquences terribles de la déclaration de criminalité le confirme. La déclaration de criminalité crée une décision préliminaire de culpabilité inattaquable, pour les accusations possibles, en vertu de la loi n° 10.

Certes le principe d’opportunité vaut pour les procès à venir, c’est-à-dire qu’il appartient à l’Accusation de décider si elle considère comme opportun de mettre en accusation les membres individuels. Mais cela ne change rien au fond.

La déclaration de criminalité porte donc absolument le caractère d’une déclaration de culpabilité préjudiciable à chaque membre de l’organisation. Si l’un de ces individus n’est pas mis en accusation par la suite, il n’encourra certes aucune sanction, mais il sera néanmoins un criminel du point de vue légal. Cette déclaration de criminalité n’atteint donc pas les organisations en tant que telles, puisqu’elles n’existent plus, mais uniquement leurs anciens membres. Ici, devant vous, Messieurs les juges, se déroule un procès contre chacun de ces membres. Il s’agit d’établir l’action criminelle qu’il a commise en en devenant membre. C’est là qu’est établie, contre chaque individu, la déclaration de culpabilité la plus importante. Mais dans tous les États civilisés du monde, le concept de culpabilité est toujours lié, du point de vue juridique, à l’acte individuel de l’homme. Il n’y a jamais eu de culpabilités collectives. Personne ne pourrait s’opposer à ce qu’on déclarât criminels les buts et les desseins d’une organisation, si on n’atteignait pas ainsi les individus. Mais dès que la déclaration de criminalité des organisations équivaut à la condamnation d’individus, il faut consciencieusement déterminer la culpabilité individuelle de chacun.

On arrive également à cette conclusion pour une autre raison : d’abord, que comprend cette notion d’organisation ? Il est clair qu’une organisation est un groupement de personnes. Il semble clair également qu’un tel groupement poursuit — tout au moins dans les grandes lignes — les mêmes buts et les mêmes intentions, et qu’il possède un statut à cet effet. Par contre, il paraît très douteux que le caractère volontaire de l’adhésion intervienne ici. Personne ne contestera que l’Armée allemande ait été une organisation, bien que l’on ne puisse parler d’adhésion volontaire, pas même dans la majorité des cas. Pensons aussi aux associations professionnelles, aux écoles, ou même, aux corporations obligatoires pour lesquelles il ne peut être question d’adhésion volontaire et qui n’en sont pas moins des organisations. Cependant le mémorandum de Klefisch, de même que l’ordonnance du Tribunal en date du 13 mars 1946 (paragraphe 6, chiffre 2) introduisent la notion du volontariat dans leurs définitions. A juste raison, me semble-t-il. Mais pourquoi ? Au fond, pour la simple raison que, dans le cas contraire, le fait de déclarer criminelles les organisations paraîtra injuste, eu égard aux conséquences que cela entraînera envers leurs membres. Quelle est la conclusion ? Elle est considérable ! On voit clairement une fois de plus qu’en vérité, il ne s’agit pas du tout des organisations, mais de leurs membres. La décision du 13 mars 1946 ne considère comme pertinente que la question de savoir si l’adhésion des membres était en général volontaire, admettant ainsi que des membres involontaires puissent être impliqués. Mais eu égard aux conséquences de la loi n° 10, ceci n’est pas compatible avec l’idée de justice.

Le statut, les buts, ou les activités de l’organisation — qu’ils reposent ou non sur la base du volontariat — sont criminels lorsqu’ils remplissent les conditions posées à l’article 6, c’est-à-dire s’ils menaient à l’accomplissement de crimes contre la paix, de crimes de guerre, ou de crimes contre l’Humanité. Outre le chiffre 6 de l’ordonnance du 13 mars 1946, il y a lieu d’examiner attentivement les différents points de l’article 6 du Statut. Il faut, par exemple, se demander si les statuts, le but ou l’activité des SS tendaient à l’élaboration, la préparation, le déclenchement et la conduite d’une guerre d’agression, à la violation des lois de la guerre ou bien au meurtre, à l’extermination, à la réduction en esclavage, etc.

Mais ces derniers crimes définis par le paragraphe 10 de l’article 6 du Statut ne sont punissables que s’ils ont été commis en exécution de ou en rapport avec (in exécution or in connection ) un autre crime, punissable d’après le Statut, c’est-à-dire en relation avec des crimes contre la paix ou des crimes de guerre. C’est ainsi que l’explique aussi l’auteur du Statut, Justice Jackson, dans la déclaration jointe au texte du Statut dans le Department of State Bulletin du 12 août 1945, page 228 : « We have taken another step forward in recognizing an international accountability for persecutions, exterminations, and crimes against humanity, when associated with attacks on the peace of the international order ». (Nous avons fait un autre pas en avant en reconnaissant une responsabilité internationale pour les persécutions, les exterminations et les crimes contre l’Humanité quand ils sont commis en liaison avec des attaques contre la paix de l’ordre international.)

J’ai déjà exposé en détail qu’en examinant les charges contenues dans les chefs d’accusation, relativement à l’article 6, le jugement devra tenir compte de la période à laquelle se place le point correspondant du programme ou l’action considérée comme criminelle.

Après avoir constaté les crimes qui ont été manifestement commis, il faudra, pour prononcer la criminalité de l’organisation en tant que telle, établir combien — ou plutôt, en considérant ses millions de membres — combien peu de membres des SS ont participé à ces crimes. Était-ce vraiment l’organisation qui agissait ou n’était-ce pas plutôt un nombre relativement faible de membres, qui peut-être — pour exposer le paradoxe — n’étaient souvent même pas entrés volontairement aux SS.

Déjà par sa décision du 14 janvier 1946, le Tribunal a confirmé que pour ces constatations il faut considérer l’époque à laquelle ces crimes individuels ont été commis. Il est tout à fait possible que l’organisation ou une partie seulement de l’organisation n’ait été criminelle qu’à certaines époques. Des cadres formés à un moment donné peuvent peut-être, à la suite d’abus commis postérieurement, être considérés comme criminels bien qu’à l’origine ils n’aient pas eu pour but de l’être. Une hache qui quitte l’enclume du forgeron ne sait pas si elle rend des services à l’humanité ou ai elle sera utilisée comme un instrument de meurtre, ne serait-ce, en poussant cette image, qu’à l’aide de son manche.

Que de telles restrictions, au point de vue du temps ou au point de vue personnel, soient nécessaires, cela ressort de l’exemple suivant : L’Acte d’accusation mentionne à la page 5 qu’entre 1933 et 1935 des membres ont été exclus. Ils étaient environ 50.000, c’est-à-dire un sixième de l’effectif — et cela ressort des différentes déclarations et des affidavits — qui, à la suite de leur activité politique, n’avaient cherché qu’un camouflage ; certains étaient également d’anciens condamnés ou d’autres éléments suspects. Ces personnes même ne sont pas exclues par l’Accusation et tombent sous le coup de la déclaration. Un résultat aussi grotesque ne peut pas avoir été voulu.

Enfin, conformément au chiffre 6, a, paragraphe 3, de la décision du 13 mars 1946, il faut examiner le résultat des preuves en vue de savoir jusqu’où allaient les connaissances des membres individuels. Cette question ne sera pas la moins décisive en vue du jugement prononcé sur la masse des SS.

J’ai dit tout à l’heure que si c’est bien officiellement l’organisation des SS — cette organisation qui n’existe plus — qui est accusée, l’accusation est cependant pratiquement dirigée contre chacun de ses membres pris individuellement. Si donc l’on veut démontrer le caractère criminel de l’organisation au moyen des crimes commis individuellement par ses membres, il est nécessaire que le membre qui est censé avoir commis ces crimes particuliers puisse être traduit devant vous, Messieurs les juges. Si cela n’est pas possible, le Tribunal ne pourra pas déterminer objectivement si les accusations sont vraies. Comment se développe la procédure selon le Droit pénal anglo-saxon relatif aux associations ?

Le président et les membres sont longuement entendus au sujet des griefs particuliers qui leur sont faits ; le tribunal ne juge pas d’après des déclarations de témoins à charge sans que les chefs et les membres des sociétés, que ces déclarations chargent personnellement, aient pu prendre position à leur sujet. L’expérience étonnante que j’ai faite le 7 août 1946 avec le témoin Israël Eisenberg (procès-verbal du 7 août après-midi) montre la fragilité d’un jugement dans lequel le Tribunal s’appuierait uniquement sur des témoignages, sans entendre également, sur un cas concret, le ou les accusés. J’ai présenté à ce témoin deux photographies (documents SS n° 2 et 3) tirées d’un document de l’accusation (PS-867) rédigé en langue polonaise et détachées de leur légende. Le témoin déclara que les deux hommes reproduits par les photographies étaient des SS et indiqua leurs grades SS. Il identifia ces grades uniquement d’après les épaulettes et un insigne sur la manche. Le témoin Morgen, expert en la matière, interrogé par moi le 8 août 1946, reconnut immédiatement que les hommes en question ne portaient pas d’uniforme SS, n’étaient pas des SS. Il précisa que ces photos montraient justement les épaulettes de la Police et sur la manche, l’insigne de la Police. Sur la photographie SS n° 3 on peut voir distinctement sur la casquette l’insigne de la Police : l’aigle entièrement encadré d’une couronne de feuilles de chêne de forme ovale. On n’aperçoit nulle part l’insigne SS. De même, toutes les autres photographies de ce livre ne montrent que des uniformes de la Police et des insignes de la Police. Mais le témoin ne s’est pas aperçu de tout cela. Il a pris ces gens pour des SS. Ceci n’est qu’un petit exemple destiné à montrer les capacités d’observation des témoins en ce qui concerne les uniformes.

Pensez aussi que la différence entre l’uniforme des SS et celui du SD est minime (un simple petit rectangle sur la manche) et que des gens qui n’étaient pas membres des SS portaient ces uniformes (cf. les déclarations du Dr Best et de Reinecke devant la commission), que précisément dans la zone située à l’arrière des armées, c’est la Police qui était en fonctions, tandis que les SS se trouvaient au front, que la suggestion de masse, déformant les souvenirs, fait croire aux témoins que les SS sont coupables. Appréciez alors, Messieurs les juges, la vraie valeur des déclarations de témoins qui ne sont pas allemands et qui, pour désigner les coupables de crimes quelconques commis en territoire occupé, disent simplement : « Ce sont les SS ».

L’imperfection d’une accusation collective telle qu’elle est portée ici pour la première fois dans l’histoire du Droit repose tout particulièrement sur la difficulté qu’il y a à mener honnêtement la présentation des preuves concernant l’organisation accusée. Cette difficulté résulte nécessairement du caractère particulier de la procédure et en particulier du fait qu’il est techniquement difficile, à moins d’entreprendre un procès qui durerait des années, d’éclaircir d’une manière satisfaisante toute charge concrète, en entendant les membres de l’organisation qui sont touchés par elle en particulier, et de constater si elle est justifiée ou non.

Tant que, dans un tel Procès, la défense n’a pas la possibilité de faire venir immédiatement chaque membre isolé de l’organisation que chargent des témoignages ou des documents et de l’amener à prendre concrètement position, ce qui suppose l’audition de nouveaux témoins pour ce cas précis, ce Procès reste imparfait et ne contribue pas au prononcé d’un jugement équitable.

Il résulte nécessairement de cette situation que, pour une grande part, la présentation des preuves de l’Accusation et celle de la Défense passent l’une à côté de l’autre sans pouvoir donner au Tribunal une représentation authentique des faits considérés par une partie importante de l’accusation. C’est là la seule raison pour laquelle nous avons pu voir ce tableau grotesque qui n’a cessé de se présenter au cours de la présentation des preuves de la Défense : Un témoin de la Défense décrivait son activité et celles des unités et des SS qui étaient sous ses ordres. Elle s’étendait à des domaines aussi grands que possible du point de vue des compétences et des territoires, car le Tribunal n’autorisait qu’un nombre infime de témoins par rapport au nombre total des membres, et le témoignage individuel d’un homme sans importance n’était pas autorisé, d’après la décision du 13 mars 1946. Il aurait fallu que l’Accusation tentât d’ébranler les déclarations du témoin au cours du contre-interrogatoire ; la méthode la plus sûre et la plus simple à employer aurait été de mettre en doute la crédibilité du témoin, en établissant par exemple qu’il avait lui-même commis un crime ou que des gens placés sous ses ordres s’étaient rendus coupables.

Bien que le Ministère Public ait eu des semaines à sa disposition pour contrôler ses fichiers et ceux de tous les alliés, fichiers qui existent depuis des mois et même des années, et bien que ces 29 témoins entendus devant la commission et devant le Tribunal aient occupé des postes d’importance moyenne ou de grande et très grande importance, le Ministère Public n’a rien pu prouver de tel à leur sujet. Ce fait n’est-il pas déjà la meilleure réfutation de l’affirmation du caractère criminel de l’organisation des SS ? N’est-il pas symptomatique que le Ministère Public n’ait pas réussi à accuser d’avoir commis ou toléré des crimes ni à confondre un des généraux les plus hauts placés des Waffen SS combattantes, un chef très important des Allgemeine SS qui était en même temps chef supérieur des SS et de la Police et Polizeipräsident — cas extrêmement rare — de la troisième ville d’Allemagne, un officier d’État-Major de l’administration des Waffen SS qui se trouva au front, à plusieurs reprises, et deux juges SS haut placés ? Je parlerai encore du cas unique du témoin Sievers, qui est différent. Le Ministère Public n’avait donc plus qu’une chose à faire ; il apporta, intentionnellement, des documents et des affidavits destinés à prouver qu’on avait commis des crimes, avec lesquels cependant ces témoins SS eux-mêmes n’avaient précisément rien à voir, de l’avis même de l’Accusation. Elle a cependant demandé à ces témoins s’ils connaissaient les faits décrits dans ces documents. En se servant d’une telle méthode, contribuait-elle à la recherche de la vérité pour laquelle cette présentation des preuves était faite, ou bien voulait-on seulement introduire de cette façon de nouveaux documents à charge à un moment où la présentation des preuves de l’Accusation était déjà terminée ? Ces documents sont en grande partie des rapports de gouvernement sur des enquêtes qui n’ont pas encore abouti à aucun procès et, par conséquent à aucun jugement, en particulier dans le domaine concernant la guerre des partisans de Yougoslavie, domaine qu’il est très difficile de juger. Leur valeur probatoire est donc sans doute, très faible.

Les nouveaux documents et affidavits qui ont été déposés en quantité énorme permettent-ils au Tribunal de répondre objectivement à la question de savoir si ces actes ont réellement été commis, et par-là de déterminer si les SS sont criminelles ? Ne faudrait-il pas que le Tribunal entende les accusés, c’est-à-dire les SS qui sont désignés dans les documents ou les membres et officiers des unités de SS accusées ? On a vu à quel point le témoin Eisenberg était capable de distinguer des uniformes : est-il convaincant que des gens disent : « C’étaient des SS » ? ou bien étaient-ce des policiers ou des membres du SD et de la Gestapo ? De telles erreurs résultent visiblement en partie des documents eux-mêmes. Mais je ne puis ni ne veux contester que, d’après quelques ; documents peu nombreux, des crimes terribles sont établis, et qu’ils sont nombreux. Ne faudrait-il pas que l’Accusation ait suffisamment l’occasion de se prononcer au sujet de ces documents et de ces affidavits ainsi qu’au sujet du matériel à charge que le Ministère Publie a présenté en novembre, décembre et janvier ? Ne faudrait-il pas lui accorder quelques mois ? Je ne méconnais pas que mes exigences signifieraient une prolongation de plusieurs mois pour le Procès tout au moins en ce qui concerne l’accusation relative aux organisations. Mais si, pour des raisons quelconques...

LE PRÉSIDENT

Docteur Pelckmann, le Tribunal a déjà décidé que le Procès devait maintenant se terminer ; aussi, tout argument relatif à une prolongation de trois mois est absolument sans intérêt et ne peut être entendu. Le Statut prévoit qu’il appartient au Tribunal de déterminer comment, les individus doivent être représentés et nous avons procédé de cette manière, dans la mesure où cela nous a été possible.

M. PELCKMANN

Mais si, pour ces raisons, le verdict ne peut être retardé plus longtemps, il faut certes qu’il soit prononcé maintenant, mais, du fait que le nouveau matériel de preuves du Ministère Public ne peut être utilisé, à mon avis, que sous ces réserves, il ne peut consister que dans un rejet des demandes faites par l’Accusation.

Il faut que j’ajoute encore quelque chose : Je me suis demandé si je devais m’occuper de l’affidavit Erhardt, D-973, du camp de Neuengamme. Cela est cependant nécessaire, car ce document est typique de l’administration des preuves du Ministère Public dans cette dernière phase du Procès. Cela est nécessaire à la dernière minute, à un moment où la Défense n’a plus la possibilité de se renseigner sur les lieux, à la suite de la décision du Tribunal du 1er août 1946, qui n’autorise pas la Défense à continuer la visite des camps, contrairement à ce qui se passe pour le Ministère Public, dont l’appareil administratif...

LE PRÉSIDENT

Docteur Pelckmann, si vous avez l’intention de discuter des ordonnances prises par le Tribunal au sujet des interrogatoires individuels, le Tribunal ne vous entendra pas. Le Tribunal a fait de son mieux pour permettre les interrogatoires individuels et ne désire pas vous entendre critiquer ce qu’il a fait.

M. PELCKMANN

Je crois qu’il y a un malentendu, Monsieur le Président. Je ne critique pas. Je discutais de l’affidavit Erhardt, de l’appréciation de ce témoignage.

LE PRÉSIDENT

Très bien, continuez.

M. PELCKMANN

Cet affidavit ne peut ébranler la valeur des affidavits des membres des SS. Il ne se rapporte qu’à un questionnaire qui n’est pas de moi et dont je n’utilise pas les réponses (il n’y en a d’ailleurs que 40.000). J’ai présenté au Tribunal 135.000 affidavits détaillés, que j’ai résumés. Les méthodes indiquées par Erhardt n’ont pas pu être utilisées dans leur cas. Pour le prouver, je vous demanderai de bien vouloir lire non seulement le résumé, mais aussi quelques-uns de ces affidavits très consciencieux et évocateurs. L’affidavit Erhardt lui-même est plein de contradictions, d’invraisemblances et d’exagérations. Erhardt était un SS et se trouve maintenant au service des autorités britanniques. Il ne veut, bien entendu, pas perdre son poste. Il a donc toutes les raisons de se faire bien voir. Un seul affidavit, se rapportant à la prétendue situation qui régnait dans un seul camp et dont les raisons effectives et psychologiques sont si douteuses, peut-il ébranler la valeur probatoire de 135.000 déclarations détaillées ? Non, Messieurs les juges, cette tentative faite par le Ministère Public en vue d’ébranler la valeur probatoire de l’audition légale de témoins, garantie par le Statut, ne peut rester qu’une tentative. C’est un caractère propre à la Défense, dans ce Procès, comme je l’ai déjà montré, que de ne pas avoir, malheureusement, la possibilité de déceler ni de critiquer de telles sources d’erreurs dans la masse des documents rassemblée par le Ministère Public.

N’est-il pas curieux — et je voudrais à ce propos traiter d’un des points de l’accusation à l’occasion de cette discussion sur des questions de procédure et de preuves — que seuls deux jugements au total aient été prononcés sur les méthodes de guerre inhumaines des SS, par exemple l’exécution de prisonniers : ce sont les jugements prononcés contre le général des SS Kurt Meyer, du front de Normandie, et le général des SS Sepp Dietrich et 73 officiers et soldats de son armée. Voici, Messieurs les juges, le résultat des efforts de tous les Ministères Publies alliés depuis plus d’un an et dont on comprend l’intérêt du point de vue de l’accusation. Ne doit-on pas en conclure que les Ministères Publics alliés n’ont pas pu, malgré le temps dont ils disposaient, établir sur la base d’un jugement la preuve d’un plus grand nombre de crimes. Meyer qui était condamné à mort a été gracié. Le procès contre Sepp Dietrich et ses hommes, dont je n’ai pas pu obtenir le procès-verbal, s’est bien terminé par 43 condamnations à mort, mais il est remarquable que les chefs supérieurs n’aient pas été condamnés à cette peine. Ceci amène à conclure qu’il n’existait pas de tels ordres criminels émanant d’eux, et qu’il n’existait pas non plus d’organisation criminelle ; la Défense a également élevé des objections sérieuses contre les méthodes d’enquête et d’administration des preuves ;. Mais je vous prie, Messieurs les juges, de considérer un autre point : ces événements se situent dans les derniers six mois, dans la période la plus acharnée de la guerre, et ne concernent qu’un très petit nombre de membres des Waffen SS. Je vous demande de penser aussi, dans le même temps, aux preuves contraires apportées par la Défense au moyen de témoins ou d’affidavits, précisément en ce qui concerne le point de l’accusation « Préparation et exécution loyale de la guerre et excès commis par l’adversaire », preuves qui avaient pour simple but de prouver que l’on ne peut pas, en se basant sur des excès occasionnels qui se sont produits pendant le combat, conclure à l’existence d’un système criminel.

Je vous prie de me permettre de traiter à ce propos d’une règle concernant l’administration des preuves, règle qui, à mon sens, doit constituer la base de l’appréciation des preuves dans ce Procès : là où peuvent apparaître des doutes au sujet de la démonstration de l’exactitude des différents points de l’accusation à l’aide des moyens de preuve dont je viens de montrer la faiblesse, mais aussi, et en particulier, là où apparaissent des doutes au sujet de crimes isolés, dont la commission a été démontrée, quand il s’agit de savoir s’ils peuvent être considérés comme typiques et si, pour cette raison, toute l’organisation, c’est-à-dire tous les membres peuvent être déclarés criminels, là donc où, en particulier, une seule preuve contraire ou un seul indice sont apportés contre 10 ou 100 preuves ou indices apportés par l’Accusation, le Tribunal ne peut, j’en suis convaincu, faire aucune constatation qui suffise à prononcer une condamnation dans le sens de l’accusation. Ceci est la conséquence logique qui résulte, en toute honnêteté, du caractère particulier de ce Procès. L’Accusation a tiré, de la masse énorme des preuves qui sont à sa disposition, quelques faits à charge et les a présentés. Elle a ensuite affirmé que c’étaient là des cas typiques, qu’il en avait été ainsi partout, que cette manière d’agir des SS était typique etc. Comme je l’ai montré plus haut, la seule tâche de la Défense, c’est de décharger les accusés. Et c’est ici que commencent les difficultés de la défense des organisations, en particulier des SS. Les organisations sont dissoutes, elles n’existent plus. Au moment où nous avons apporté nos preuves, la plupart de leurs membres étaient en prison, et beaucoup de leurs membres et tous leurs chefs y sont encore. L’ensemble des écrits, tous les dossiers contenant les renseignements personnels, les correspondances, les dispositions et ordres ont été mis en lieu sûr par les autorités d’occupation. Il est vrai que nous avons pu parler à une grande partie des détenus ; mais les enquêtes ne pouvaient être qu’imparfaites après tant d’années et sur des points aussi détaillés ; elles n’ont pu être faites qu’en avril ou mai, compte tenu du déroulement des débats. Nous n’avons pas toujours pu atteindre les personnes compétentes. A ce propos, je prie le Tribunal de considérer, au sujet de l’audition des témoins, que nous n’avons aucune pièce émanant de SS se trouvant en Autriche et dans la zone d’occupation soviétique. On n’a pu, pour des raisons de sécurité, nous permettre de faire des enquêtes sur documents au cours desquelles nous aurions examiné les centres de documents des Alliés où tous les documents saisis sont classés d’après leur objet. On n’a pas pu remédier à cette carence en se servant de désignations approximatives de documents, faites d’après certaines suppositions. Mais si, dans ces conditions, la Défense réussit à apporter, ne serait-ce que l’ombre d’une preuve pour appuyer ses affirmations, cela doit suffire pour considérer que la présentation des preuves contraires a été faite avec succès. Et maintenant, Messieurs les juges, en raison du manque de temps, je passerai deux pages — les pages 32 et 33, pour les interprètes — et je traiterai de la participation des SS au pogrom du 9 novembre 1938. Les quatre pages qui suivent traitent de ce sujet, et, par manque de temps, je dois aussi les passer. Ce sont les pages 33 à 36. Je prie le Tribunal de bien vouloir en prendre connaissance.

Avant de commencer mes considérations sur le Statut et la procédure, j’ai tenté de réfuter le point de l’accusation selon lequel les membres des SS se seraient rendus coupables des événements du 30 juin 1934. Même les membres, peu nombreux, de la Leibstandarte, qui ont participé directement à l’affaire, ne peuvent avoir eu conscience de commettre un crime en tuant des personnes que l’on désignait comme coupables de haute trahison.

En ce sens, c’était une nouvelle et définitive confirmation de la légalité des intentions de Hitler dans la pensée des Allemands et de la masse des SS, trompés de main de maître, lorsque Hitler, après ; le référendum de l’été 1934 — dont personne à l’époque ne savait qu’il avait été truqué — déclara que la lutte pour le pouvoir était désormais terminée (document SS-106). Il semblait bien qu’il en fût ainsi. Le décret sur les lois de Nuremberg, qui surprirent aussi bien les SS que la plupart des Allemands, ne sembla lui-même qu’une confirmation du programme du Parti, dont on a dit plus haut qu’il était absurde, mais non pas criminel au sens du Statut, une confirmation, en particulier, de la politique proclamée officiellement par Frick dès 1934 et qui contestait en particulier son intention de procéder à une déportation forcée (document SS-93).

Un fait est caractéristique, c’est qu’en dehors des camps de concentration, pour la période qui va jusqu’en 1938, c’est-à-dire trois ou quatre ans, le Ministère Public ne peut porter de griefs concrets contre les Allgemeine SS. Les mesures antisémites qui avaient secrètement cours dans le Parti lui-même ou dans d’autres organisations, n’avaient aucun écho dans les Allgemeine SS. Ce n’est qu’en novembre 1938 que l’antisémitisme reçut une nouvelle impulsion officielle de caractère criminel.

L’Accusation reproche aux SS d’avoir participé à la préparation et à l’exécution des opérations menées contre les Juifs dans le Reich les 9 et 10 novembre 1938. Elle s’appuie, pour en taire la preuve, sur les documents USA-240, PS-3051 et PS-374, documents qui, en liaison avec les témoignages, démontrent précisément le contraire. De très nombreux Allemands, pour avoir assisté, révoltés, à ces événements, savent que ce sont justement d’autres organisations du Parti, parfois en civil, qui ont participé à ces excès. C’est pourquoi je tiens à rétablir la vérité historique : Le soir du 9 novembre 1938, prenant pour prétexte l’assassinat du secrétaire de légation vom Rath, Goebbels prononça dans la salle des fêtes du vieil hôtel de ville de Munich, un discours violemment antisémite qui eut pour résultat de provoquer dans tout le Reich des manifestations et des excès anti-juifs tels que ceux qui ont été révélés au cours du Procès, et qui, manifestement, ne se sont pas seulement produits spontanément, mais avaient été préparés au moyen de mesures prises par le ministre de la Propagande du Reich. D’après l’affidavit SS-5, Schallermeier, et suivant le témoignage de von Eberstein, ni Hitler ni Himmler n’avalent entendu le discours de Goebbels. Hitler s’était retiré de bonne heure dans ses appartements, Himmler se trouvait chez lui. D’après les preuves présentées, il ne me paraît pas invraisemblable que Himmler tout au moins ait été lui-même surpris de cette opération. Les déclarations Eberstein et Schallermeier (affidavit SS-5) ont établi que Heydrich ne fut mis au courant de l’opération, déjà commencée à Munich, que vers 23 h. 15 par l’intermédiaire de la direction de la Police d’État de Munich, que Himmler n’a pu être informé que peu de temps avant le début de la cérémonie de prestation de serment, vers minuit, et que c’est seulement après la fin de cette cérémonie, donc vers 1 heure, que Himmler a pu prendre des décisions et les a effectivement prises.

Quelle était la situation à ce moment là ? Après la fête de Munich et de toutes les garnisons où des prestations de serment de SS avaient eu lieu, les SS défilèrent ; ils avaient, comme tous les ans, reçu pour instructions de se rendre directement dans leurs locaux, étant donné le caractère particulièrement solennel de la manifestation qui venait d’avoir lieu. Cependant, l’opération antisémite continuait déjà depuis plusieurs heures. Elle avait été déclenchée, comme nous le savons par le document USA-332, le rapport du juge du Parti Buch, par des instructions données oralement par le chef de la Propagande du Reich, instructions qui furent transmises immédiatement par téléphone, donc longtemps avant l’envol du premier télégramme de la Gestapo, par une grande partie des nationaux-socialistes présents et transmises aux services de leurs Gaue. Les chefs du Parti qui étaient présents ont conclu, des instructions de Goebbels, que le Parti ne devait pas passer apparemment pour avoir provoqué ces manifestations, mais qu’en réalité il devait les organiser et les mener à bien. Il est hors de doute que, pour ces raisons purement chronologiques, les SS ne peuvent avoir participé, jusqu’à ce moment-là, à ces événements odieux. Entre temps, Himmler était arrivé à 1 heure du matin à l’hôtel vier Jahreszeiten, à Munich. Selon l’affidavit Schallermeier, déjà mentionné, et dont l’exactitude est confirmée par d’autres documents tels que l’affidavit von Bassewitz-Behr, SS-9, et par le témoignage von Eberstein, Himmler donna deux ordres. Le premier fut donné a 1 h. 20 et transmis par l’intermédiaire de Heydrich à tous les services de la Gestapo. Il vint après que le malheur était déjà fait, mais il exigeait ; pour des raisons de sécurité, que ces services entrassent en liaison immédiate avec les services politiques au sujet de l’exécution de manifestations, demandait que la vie et la propriété des Allemands fussent protégées et prévoyait des mesures en vue de l’arrestation de Juifs. Le contenu et les destinataires de l’ordre montrent clairement qu’il s’agit exclusivement de mesures de police. Dans tous les cas, ces instructions données à la Police ne peuvent pas être imputées à la charge des organisations SS que j’ai à défendre, car Heydrich, qui n’avait de fonctions ni dans les Allgemeine SS ni dans la troupe de réserve (Verfügungstruppe), ne pouvait donner aucun ordre (témoin Norbert Pohl). Le deuxième ordre de Himmler fut donné oralement aux Oberabschnittsführer des Allgemeine SS rassemblés à l’hôtel Vier Jahreszeiten. Il contenait l’instruction, adressée aux services des Allgemeine SS, de soutenir, le cas échéant, la Police d’État dans la protection des biens Juifs contre les pillages de toute nature. Il tenait donc visiblement compte de la conception selon laquelle il s’agissait d’événements indignes et méprisables auxquels les SS devaient, par principe et selon les instructions formelles de Hitler, éviter d’être mêlées. La seule tâche des Allgemeine SS était de tempérer, le cas échéant, les conséquences de cette opération. L’ordre fut aussitôt transmis de Munich, télégraphiquement, par les Oberabschnittsführer aux garnisons locales. Ceci ressort clairement de l’affidavit Schallermeier. Le contenu du rapport d’information que, selon l’affidavit de Schallermeier, Himmler rédigea sur les événements, gagne sous cet aspect, en vraisemblance. Mais en aucun cas, l’affirmation de l’Accusation selon laquelle Himmler et Heydrich auraient sciemment mis les SS à la disposition des organisateurs de l’opération des 9 et 10 novembre 193S, ne peut être considérée comme démontrée. C’est le contraire qui me paraît exact.

Jetons maintenant, à ce propos, un coup d’œil sur la participation effective des SS dans le Reich. Pour la région de Munich, le témoin von Eberstein a clairement décrit les événements. Nulle part dans le Reich, les SS ne reçurent l’ordre de participer aux excès, et aucune unité des Allgemeine SS n’y participa de son propre mouvement. Ce fait est démontré, pour toutes les régions du Reich, par de nombreux affidavits tels que ceux de Rödern, Kaufmann, Lott, Enzner, Eschscholtz, Fischer et Kampp-Franz (SS-7, 8, 104, 6, 105, 10 et 70).

D’après l’affidavit Kampp-Franz, on a établi au camp 73 environ 200 affidavits pour prouver que, dans aucune région du Reich, les SS n’avaient participé à cette opération. D’après ces documents, à Munich comme partout ailleurs en Allemagne, les unités des Allgemeine SS et la plupart des membres des SS logés en caserne avaient prêté serment. Les témoignages sont unanimes pour dire que les membres des SS sont rentrés chez eux après la cérémonie, sans savoir quoi que ce soit de l’opération. Dans la mesure où l’opération fut connue pendant la prestation de serment (toujours selon l’affidavit Kampp-Franz), il fut expressément interdit d’y participer. La majorité des SS ne fut mise au courant de l’opération que dans la matinée du 10 novembre 1938, en se rendant au travail ou en recevant un ordre d’alerte. Les éléments des Allgemeine SS qui avaient été alertés par l’ordre de Himmler adressé aux Oberabschnittsführer furent utilisés au cours de la journée du 10 novembre, dans quelques localités, pour assurer la sécurité de synagogues, par exemple à Offenburg, en Bade (affidavit SS-104, Lott) ; voir aussi 4.407 déclarations sous la foi du serment dans l’affidavit collectif n° 119 à 122.

Ces affidavits montrent que les Allgemeine SS ont, dans de nombreux cas, empêché de nouveaux excès, et que, dans les rangs des SS, cette opération indigne a été désapprouvée dès le début. Le document US-332 qui est un rapport sur la procédure engagée devant le tribunal du Parti, dans lequel quatre ou six SS sont nommés, ne contredit pas ces faits. Car, dans le cas d’excès massifs de ce genre commis dans tout le Reich, la participation d’individus isolés, malgré un ordre supérieur, ne peut jamais être évitée complètement. Mais elle ne peut être considérée, sans autre preuve, comme symptomatique du caractère criminel des SS.

LE PRESIDENT

Docteur Pelckmann, dites-vous que vous n’en êtes qu’aux pages 32 et 33 ?

M. PELCKMANN

Je suis au début de la page 36 ; mais autant que je sache, Monsieur le Président, votre exemplaire est plus long que le mien. Je suis déjà plus loin.

LE PRÉSIDENT

Je n’ai aucun exemplaire ; mais je ne comprends pas comment vous pensez pouvoir terminer votre plaidoirie si, comme on me le dit, elle comporte 100 pages.

J’ai essayé de vous faire remarquer tout à l’heure que vous pouviez passer sur certains points qui nous sont familiers et vous m’avez répondu : « Je vais abréger mon exposé ; j’ai fait en sorte de l’abréger ».

Nous devons maintenant constater que vous parlez depuis près de deux heures et que vous avez à peine dépassé la page 33. Je pense que vous comprenez qu’il ne vous sera pas accordé plus d’une demi-journée.

Voulez-vous continuer maintenant, je vous prie ?

M. PELCKMANN

J’avais donc, dans les pages que je viens de passer, traité des événements du 9 novembre 1938. J’ajouterai qu’en ce qui concerne les arrestations, opérations de police confiées à la Gestapo, il est possible que certains policiers aient porté des uniformes noirs, ce qui ne signifie pas que cette opération ait été le fait des SS. Les fonctionnaires de la Gestapo, eux aussi, portaient des uniformes noirs. On assisterait là à une de ces généralisations typiques et absolument erronées dues à la fascination exercée par l’uniforme noir et par l’insigne SS et dont l’importance, dans la mesure où elles faussent la vérité et la mémoire, ne doit pas être sous-estimée dans ce Procès contre les SS.

Cet insigne, d’une agressivité impertinente pour la vue et l’ouïe, n’a pas seulement été dangereux dans le passé par sa force d’attraction, parce que le redoublement d’une rune (sic) germanique qu’il constituait éveillait chez l’Allemand des ressentiments qui avaient leur origine dans le romantisme historique, mais aujourd’hui encore, après la destruction de tous les mythes qui l’enveloppaient, il a la propriété particulière d’empêcher la formation de concepts clairs. Ces deux lettres « SS » se prononcent si facilement, sans provoquer de représentation claire de ce qu’elles signifient réellement. Le danger subsiste de voir naître un mythe historique reposant, comme tous les mythes de ce genre, sur l’ignorance des faits, ou, ce qui est pire, sur une connaissance partielle. Nous qui luttons contre le mythe hitlérien là où nous le pouvons, et nous l’avons fait aussi en présentant nos preuves au Tribunal, nous ne voulons pas que le mythe se crée autour d’un certain nombre de personnes sous le slogan « SS », autour de coupables et d’innocents ; nous ne voulons pas, dans l’intérêt d’une propagande néo-fasciste, contribuer à créer de soi-disant martyrs.

C’est pourquoi nous devons clairement poser la question et y répondre : que signifient les lettres « SS » ?

L’erreur capitale de l’Accusation, c’est de considérer tous les domaines d’activité de Himmler, ou tout au moins, tous ceux qui sont essentiels, comme des activités des SS. Sans tenir compte de l’origine et des attributions des nombreux services et unités placés sous les ordres de Himmler, sans se préoccuper de savoir s’il a jamais existé entre eux des rapports d’organisation, l’Accusation groupe les Allgemeine SS, les Waffen SS, le SD, la Police, les camps de concentration, les affaires du Commissaire du Reich pour l’affermissement de la race allemande, l’activité du chef de l’administration des prisonniers de guerre et d’autres encore, en une unité imaginaire : les « SS ». Il faut qu’elle parte d’une telle unité pour se procurer les bases lui permettant de démontrer que, dans le cadre d’un prétendu complot, tous les secteurs de la vie publique dans l’Etat, dans le Parti et dans la Wehrmacht, étaient noyautés par ces SS qui avait étendu leurs tentacules sur l’Allemagne et l’Europe. C’est seulement jusqu’en 1933 ou 1934 qu’il est exact de dire que l’activité de Himmler a été l’activité des SS. C’est seulement jusqu’à cette époque qu’il y a eu une organisation SS unifiée et c’est à cette époque que l’Accusation, méconnaissant la véritable évolution des choses, a emprunté l’idée de l’unité de tout ce qu’elle appelle SS. Ses SS étaient alors un élément des SA et par conséquent une organisation de la NSDAP. Mais la prise du pouvoir ouvrit une période où une grande partie de tous les postes dirigeants ou moyens de l’État furent occupés par les chefs du Parti. A partir de ce moment, Himmler suit son propre chemin à côté des SS, observant tout d’abord une réserve complète, si on la compare aux autres camarades du Parti, mais devenant ensuite de plus en plus ambitieux.

Ici, ce fut surtout la personne de Heydrich qui orienta Himmler vers le domaine des affaires de l’État, vers le domaine de la politique de force. Himmler était devenu en 1933 Polizeipräsident, comme cela avait été le cas pour beaucoup de chefs des SA et avait été nommé à Munich. Il devint bientôt chef de la Police politique en Bavière, puis dans d’autres régions de l’Allemagne à l’exception de la Prusse. C’est Göring qui, dans ce dernier pays, était encore chef de la Gestapo. Mais Himmler devint bientôt son remplaçant et Heydrich devint ainsi chef du Service central de la Gestapo à Berlin. Les efforts de Himmler tendirent de plus en plus clairement à l’accroissement de sa puissance dans l’État, ce que ne pouvait lui offrir les SS. Son but, c’était le ministère de l’Intérieur. Dès 1936, devenu chef de la Police allemande, il rassembla entre ses mains tout le pouvoir de Police du Reich, qui jusque là avait été confié aux différents pays. Il était ainsi devenu non seulement le Chef suprême de la Gestapo et de la Police criminelle, que l’on rassemble sous la désignation unique de Police de sécurité, mais encore de toute la Police régulière à l’intérieur de l’Allemagne. C’est à ce moment-là seulement qu’il se trouva placé à un poste de première importance, et ceci par Hitler et non par les SS, et encore moins grâce à elle ou à cause d’elle. Ces polices avaient, et je prie le Tribunal de prendre ce fait en considération, déjà existé indépendamment à côté des SS, avant que Himmler fût devenu leur chef. En 1939, il devint Commissaire du Reich pour l’affermissement de la race allemande et fut chargé ainsi d’une nouvelle fonction à l’échelle du Reich : le rapatriement. En 1943, il fut effectivement nommé ministre de l’Intérieur du Reich.

Grâce à son dévouement personnel à Hitler duquel il acceptait, sans discuter, n’importe quelle nouvelle mission, il réussit à acquérir la confiance de Hitler et agrandit ainsi, pas à pas, sa position personnelle dans le Reich. C’était un caractère original de ce Reich que la réunion par Hitler, entre les mains d’une seule personne qui avait toute sa confiance, d’un nombre incalculable de fonctions et de missions. Je n’ai besoin de citer ici en exemple que la personnalité de Göring. Et c’est justement dans la mesure où Göring perdait peu à peu la confiance de Hitler que le pouvoir de Himmler grandissait à vue d’œil. Mais cette position, il l’avait acquise tout seul, pour sa propre personne et sans ses SS et aussi tout à fait indépendamment du fait qu’il en était le Reichsführer. C’est ce que les témoins Grauert, Reinecke, et Pohl ont expliqué en détail.

De fait, les SS, autrefois liées étroitement à Himmler, avaient suivi, dans la multitude des éléments qui les constituaient et que l’on peut facilement distinguer les uns des autres, une évolution indépendante. Il ne m’est malheureusement pas possible, étant donné le peu de temps dont je dispose, de montrer cette évolution avec tous les détails qui seraient nécessaires, bien que cela soit d’une très grande importance pour l’ensemble de la Défense.

L’Accusation, voulant prouver cette prétendue unité, déclare que les Allgemeine SS ont été le noyau d’où sont sorties, en les complétant, toutes les organisations.

Le seul fait que près de 1.008.000 d’hommes aient passé par les Waffen SS, tandis que les Allgemeine SS ne comptaient au total que 250.000 hommes, permet de réfuter cette affirmation. J’ai montré comment les diverses organisations se sont formées, complétées et ont évolué selon leurs lois propres. Les Allgemeine SS ne sont pas la source d’où ont pris naissance les autres organisations, mais un résidu qui s’est tout d’abord maintenu, mais qui, déjà pendant la guerre, avait diminué parce qu’il devait nécessairement diminuer du fait qu’il n’avait aucune mission à accomplir (témoins Eberstein, Hinderfeld, Jüttner, Norbert Pohl).

Mais l’Accusation n’a pas mentionné le point qui est le plus important. C’est un point qui, à mon avis, est particulièrement propre à apporter la lumière dans les questions obscures qui ont trait à l’unité imaginaire des SS : où était le pouvoir exécutif de l’État ? Seul, un instrument disposant de moyens d’action quelconques au sein de l’État, possédant un pouvoir exécutif étatique, pouvait être utilisé comme l’instrument d’un prétendu complot. Ni les Allgemeine SS ni les Waffen SS n’étaient des organisations de ce genre. A aucun moment de son existence, un chef ou un homme des Allgemeine SS n’a eu des droits plus étendus que n’importe quel autre citoyen allemand dans le domaine du Droit public et en particulier dans le domaine de la Police. Il n’a jamais pu opérer d’arrestations ni de perquisitions, ou du moins ne les a jamais opérées sans être puni (témoins Reinecke et Eberstein). Le fait que des excès révolutionnaires se soient produits immédiatement après la prise du pouvoir ne change rien à cet état de choses. D’ailleurs, ces excès ont été aussitôt combattus efficacement, comme l’a montré le témoignage de Grauert. Aucun membre des Waffen SS n’a jamais eu de droits plus étendus que n’importe quel soldat de la Wehrmacht (témoin Hauser). Et, de fait, le pouvoir exécutif du Reich était aux mains de la seule Police, de la Police d’État, de la Police criminelle (rassemblées sous le terme de Police de sûreté) et de la Police régulière. C’est sur elles seulement que, logiquement, une politique de force, au sens d’un prétendu complot, aurait pu s’appuyer.

Le témoignage de Grothmann, personnage de l’entourage de Himmler, est particulièrement concluant en ce qui concerne les activités des SS que l’on doit considérer comme étant en rapport avec le pouvoir exécutif. Son témoignage n’a rien de particulier dans la mesure où il dit que les questions relatives aux Waffen SS devaient être transmises à Himmler par l’adjoint des Waffen SS, celles relatives à la Police par l’adjoint de la Police, tandis que les autres questions, relatives aux Allgemeine SS devaient être transmises par le Secrétariat général. Du reste, ici aussi, apparaît la séparation très nette des différents domaines. Mais ce qui est important, c’est que le domaine des camps de concentration ainsi que celui du SD, d’un caractère tout différent, n’incombaient pas à l’adjoint des SS, mais à l’adjoint de Police de Himmler en ce qui concernait l’élaboration des rapports et leur présentation. Le témoignage de Reinecke est ainsi confirmé une fois de plus : en effet, partant du domaine de la juridiction, Reinecke avait conclu à la division de l’activité de Himmler en cinq domaines indépendants, à savoir : Allgemeine SS, Waffen SS, SD, camps de concentration et Police.

Le pouvoir exécutif est en effet la clé permettant de comprendre le point de vue de l’Accusation et d’apprécier l’affaire en toute justice. Au début de l’évolution, Himmler s’était trouvé au côté de ses SS et avait évolué avec elles. Après avoir pris pour lui-même le pouvoir policier dans le Reich, il ne vivait plus que dans cette sphère, celle du pouvoir exécutif. Dans la transformation rapide de l’Allemagne en un État policier, il joua le rôle dirigeant. Il abandonna bientôt ses derniers scrupules à l’égard de toutes les institutions constitutionnelles. Mais à côté de cela, il continuait dans la voie qu’il avait suivie pour ses organisations, les Allgemeine SS et les Waffen SS et cachait aux yeux de ces organisations, comme au yeux du peuple entier, les monstruosités de son activité policière, sous le voile épais du secret. On ne peut comprendre tout cela si l’on ne considère pas que Himmler cachait en une seule et même personne deux êtres totalement contraires. D’un côté, il prêchait et recommandait les valeurs humaines telles que la probité, la. discipline virile et la dignité. C’est ici qu’il jouait sur l’instrument de ses organisations, les Allgemeine SS et les Waffen SS. De l’autre côté, il utilisait ses nombreux pouvoirs pour des ordres et des mesures policières inexorables. Nous ne ferons que mentionner, pour l’instant, les camps de concentration, les exécutions en masse sans jugement, les Einsatzgruppen. Ici, ici seulement, il jouait sur l’instrument du pouvoir exécutif du Reich. Un abîme sépare ces deux domaines. Rien d’étonnant, dans ce cas, qu’il se soit heurté à l’opposition des chefs et de la troupe des Waffen SS lorsqu’il prononça, pendant la guerre, les quelques discours dans lesquels il exprimait avec plus d’insistance que jamais ses pensées d’avenir concernant les troupes de la Police d’État ; car tous ces hommes étaient devant l’ennemi. Il est compréhensible que l’Accusation n’ait vu dans ce premier aspect de Himmler que le paravent du second. Mais rien n’est plus faux. Et ce n’est pas un hasard que l’accusé Seyss-Inquart, partant de l’exacte connaissance de cette évolution, et les témoins Hauser et Reinecke, qui en raison des postes importants qu’ils occupaient alors et des connaissances qu’ils ont aujourd’hui, ont une vue très large des choses, décrivent Himmler comme un homme à deux visages totalement différents. Et ils sont ici en bonne compagnie ; le comte Bernadotte, dans son livre déjà cité : Le rideau tombe , se basant sur de nombreuses conversations qu’il eut avec Himmler, dit la même chose. Himmler n’est donc pas les SS. Le fait qu’il soit toujours désigné dans les lois et ordonnances faisant connaître qu’il était chargé de quelque tâche nouvelle, sous le nom de Reichsführer SS, n’y change rien. Comme les témoins Reinecke et Kubitz l’ont dit très exactement, il s’agit ici d’une désignation de service, de son titre, qui, dans la vie publique, avait pratiquement remplacé son propre nom. Les domaines spéciaux de la Police et du Commissariat du Reich pour l’affermissement de la race allemande, ou les postes de commandant en chef de l’Armée de réserve et de chef du service des prisonniers de guerre ne sont pas devenus des affaires des SS du fait qu’ils ont été confiés au Reichsführer SS, c’est-à-dire, en fait, à Himmler. C’est cependant ce qu’affirme l’Accusation, et pour appuyer ses vues, elle ajoute que Himmler, après avoir pris en charge de nouvelles fonctions, avait aussitôt entrepris d’y faire entrer des membres des SS. Ceci est également inexact. Les témoins Zupke et Bader ont confirmé qu’une partie des membres de la Police régulière avaient été acceptés dans les Allgemeine SS, sans que l’inverse soit vrai. Il n’y a donc pas eu d’infiltration dans la Police. Pour ce qui est de la Police de sûreté, il ressort du décret de Himmler en date du 23 juin 1938 (document PS-1637) que les fonctionnaires et les employés de la Police de sûreté ont été repris par l’organisation du SD et en même temps ont reçu les grades SS qui correspondaient à leur situation dans la Police — mais l’inverse n’est pas vrai — sans qu’ils aient participé au service des Allgemeine SS, ne fût-ce qu’un seul jour.

L’interrogatoire du témoin Zupke devant la commission, le 20 mai 1946, et l’affidavit SS-82, montrent qu’environ vingt catégories de membres de la Police régulière sont devenues formellement membres des SS du fait que, par décret ministériel, on leur avait conféré des grades SS correspondant à leur rang dans La Police, le seul qui ait une signification. Mais cette opération, appelée « Assimilation de grade », ne conférait pas le titre de véritable membre, car les policiers intéressés ne prêtaient pas le serment SS, ne payaient pas de cotisation, n’avaient pas de fonctions dans les SS, n’avaient pas de service SS à accomplir, ne pouvaient tirer aucun privilège ni aucun avantage d’aucune sorte du fait qu’ils recevaient ce grade, et ne portaient même pas l’uniforme SS. Leur service policier restait sans changement.

On opéra de façon analogue dans les autres domaines de la vie publique. Ce n’est pas les SS qui occupaient les positions-clés et les autres postes importants, mais c’est, à l’inverse, ceux qui occupaient ces postes qui furent acceptés par Himmler dans les SS à titre de chefs honoraires. Les affidavits Führer SS-63 et Wunder SS-42 traitent, sur des exemples concluants, de la création des chefs honoraires ; les affidavits SS-49 et Bethke SS-48 rapportent que, de cette manière, Kreisbauernführer et Ortsbauernführer (chefs de la paysannerie dans les localités et les cercles) furent acceptés en totalité dans les Allgemeine SS ; les affidavits SS-97 et 98 traitent de l’admission des chefs du Reichskriegerbund. Ce n’est donc pas les SS qui ont noyauté l’État, mais ce sont des éléments étrangers aux SS qui ont été repris par les organisations. Mais la masse est restée ce qu’elle était, c’est-à-dire une association de paysans, d’artisans, d’étudiants, d’ouvriers et de représentants de toutes les professions. Ceci ne changeait rien aux tâches des Allgemeine SS.

Après ces considérations, il apparaît clairement à quel point manque de fondement l’affirmation de certains avocats des accusés individuels et des organisations, affirmation selon laquelle, pendant la guerre, les SS auraient possédé en Allemagne le pouvoir de gouvernement. De nombreux témoins et affidavits ont montré que, depuis le début de la guerre, l’activité des Allgemeine SS, dont on peut dire qu’elle est typique de celle d’une association, devint de plus en plus réduite, pour cesser complètement au cours de la guerre.

Les Waffen SS étaient au front et comptaient de plus en plus d’éléments incorporés. Elles dépendaient du Commandement suprême de la Wehrmacht. Ces deux parties des SS ne pouvaient donc pas exercer d’influence en Allemagne pendant la guerre. Le WVHA, qui s’occupait des camps de concentration, appartenait, certes, nominalement aux SS, ainsi que je le montrerai encore, mais il n’avait aucun pouvoir administratif sur d’autres institutions en Allemagne, quelles qu’elles soient. Il est vrai qu’un régime de terreur pouvait être exercé au moyen d’arrestations et de déportations dans des camps de concentration. Mais ce n’était pas non plus l’affaire d’une partie quelconque de l’organisation SS, c’était l’affaire du ministère de l’Intérieur, de la Police et du RSHA (Gestapo). L’institution des chefs supérieurs des SS et de la Police ne change rien non plus à ces constatations, car leur désignation est véritablement une source d’erreur. Ils n’avaient aucun pouvoir de commandement sur la Police et les Waffen SS. Ce n’est que dans les cas très rares, où, comme le Reichsführer SS, ils occupaient en même temps, par union personnelle, un poste d’État dans la Police, par exemple Polizeipräsident, qu’ils étaient habilités à donner des ordres à la Police, mais ceci uniquement en raison de leur fonction dans l’État et non pas en qualité de chefs SS. Dans les territoires occupés de l’Est, ceci était encore plus net, car il n’y avait pas là-bas des Allgemeine SS. Les chefs supérieurs des SS et de la Police n’y avait aucun pouvoir de commandement sur les Waffen SS, de sorte qu’ils n’exerçaient qu’une fonction policière d’État. Je rappelle les déclarations du témoin baron von Eberstein et les affidavits SS-86 et 87. Nous voyons donc que Himmler a bien vu sa puissance augmenter considérablement pendant la guerre ; mais cet accroissement de puissance n’a pas touché les SS. Ce n’est pas par suite de sa position de Reichsführer SS qu’il a obtenu ce pouvoir et il ne pouvait pas non plus l’exercer par le moyen des SS, mais uniquement par des organismes d’État, c’est-à-dire la Police, de toutes catégories. Tous les autres pouvoirs qui n’appartenaient pas à l’État, et avec lequel Himmler était en concurrence, étaient exercés par le Parti (Reichsleitung, Gauleitung, Kreisleitung).

Toutes les parties des SS se trouvaient en dehors de cette lutte pour le pouvoir entre Himmler et Bormann. Pour conclure, il résulte de mon exposé ce qui suit : 1. Il ne peut pas être question, pour toutes les institutions rassemblées sous le nom de SS, d’un tout homogène constituant l’instrument d’un complot ; 2. Le Tribunal ne peut examiner la question du caractère criminel que séparément pour chaque partie de l’organisation.

Les griefs de l’Accusation, dont je dois encore traiter après ces considérations de caractère général — et, en raison du temps très court qui m’est imparti, ce ne sera que d’une partie, la plus importante — deviennent de plus en plus graves au fur et à mesure que nous approchons de la guerre et, au cours de celle-ci, que nous approchons de l’effondrement.

L’un des points les plus graves et les plus étendus des accusations portées contre les SS est désigné sous le terme de « germanisation ». Ceci, Messieurs les juges, fera l’objet des cinq pages suivantes, pages 46 à 50, et je passerai sur la question de l’esclavage ; les quatre pages suivantes, 50 à 53, traitent de la déportation en vue du travail forcé ; les pages 54 et 55 traitent des Einsatzgruppen, et enfin trois pages, 55 à 57, de la lutte contre les partisans. Je ne peux pas, pour des raisons de temps, en faire l’exposé, et je prie le Tribunal de bien vouloir en prendre connaissance.

On ne peut pas entendre par germanisation la déportation de fractions entières de peuples, leur transplantation du sol qui était jusque là leur patrie dans un autre pays, car, actuellement, il se produit quelque chose d’analogue dans les territoires autrefois allemands de Silésie et de Tchécoslovaquie, situés entre l’Oder et la Vistule, et attribués à la Pologne. Pour en établir le caractère criminel, il faut donc qu’il s’y ajoute des éléments essentiels : le plan, la méthode d’exécution et la liaison avec la guerre d’agression.

Le caractère contradictoire déconcertant des ordres de Hitler n’apparaît nulle part plus clairement que dans l’ensemble de questions que l’Accusation réunit sous le terme de « germanisation ». Une seule chose est tout à fait évidente : ces ordres, dont quelques-uns revêtent la forme de lois, ne s’adressaient pas aux SS. Le décret du 7 octobre 1939 (PS-686), si souvent cité, est fondamental. Mais aucun juriste ne pourra lui trouver une signification autre que la création d’une nouvelle autorité d’État, le « Commissaire du Reich pour l’affermissement de la race allemande ». Himmler réussit à devancer les autres concurrents qui visaient ce poste. C’est lui qui devint « Commissaire du Reich ». Dans ce décret, qui n’est pas signé par un service du Parti, mais par le Gouvernement du Reich, Himmler est désigné sous son autre titre de « Reichsführer SS ». S’il avait été général dans la Wehrmacht, il aurait été désigné par le titre de « Generalleutnant », par exemple ; s’il avait été fonctionnaire, il l’aurait été sous celui de « ministre ». On ne peut déduire de cette nomination, que les SS aient été chargées d’une mission en tant qu’organisation. C’est le Reich qui payait cette nouvelle autorité. Ses collaborateurs étaient des fonctionnaires pris dans les autres services les plus divers, et non pas seulement dans les SS. Certes, on y trouvait aussi des SS, mais ils n’étaient pas les plus nombreux et n’occupaient pas les postes les plus importants. Je renvoie aux affidavits SS-113, 110, 111, 43, 73 et 75. Le Commissariat du Reich pour l’affermissement de la race allemande dépendait de Himmler personnellement, mais aucun chef d’e service du Commissariat n’avait de pouvoir de commandement sur des services ou des membres des SS à moins que ceux-ci ne lui fussent subordonnés en tant que fonctionnaires.

C’est sous les ordres du Commissariat à l’affermissement de la race allemande que travaillait la Volksdeutsche Mittelstelle dont l’Accusation s’est occupée à plusieurs reprises. Elle avait pour mission de taire revenir en Allemagne les Allemands qui, jusque-là, n’avaient pas la nationalité allemande. Elle réunissait les fonds (Mittel) nécessaires à ce rapatriement. Voilà quelle est la signification de cette désignation d’un service, désignation qui n’a pas toujours été traduite correctement « Mittel » signifie « argent ou objets ayant une valeur monnayable ». La Mittelstelle se procurait et encaissait les devises nécessaires. Les autres tâches du Commissariat du Reich pour l’affermissement de la race allemande, qui, dans l’ordonnance mentionnée, sont désignées sous le nom d’élimination des influences nuisibles de minorités étrangères, ne regardaient pas la Volksdeutsche Mittelstelle. Ces missions étaient menées à bien par Heydrich et les sections de Police du BSHA. Elles étaient traitées exactement comme la déportation des Juifs vers l’Est, par exemple dans les camps de travail ou à Theresienstadt. Ici encore, ce sont exclusivement Heydrich et les sections de Police du RSHA qui étalent compétents.

Sur ces accusations prises isolément, le témoin Kubitz s’est exprimé devant la commission, de même que les affidavits Creutz, Greifelt et Golling (SS-115, 72, 79, 80, 71, 112, 113, 114, 77, 73 et 76.) Seul Göring, avec le plan de quatre ans, pouvait exercer une influence sur l’utilisation des moyens de production, mais non pas le Commissaire du Reich pour l’affermissement de la race allemande ou les SS ; cela a été suffisamment exposé devant ce Tribunal (Golling SS-73).

Les déplacements volontaires d’Allemands se trouvant à l’étranger, en particulier en URSS, réalisés par la Volksdeutsche Mittelstelle à la suite d’accords conclus avec l’Union Soviétique, ne peuvent pas être considérés comme une mesure de déportation et d’évacuation au sens de l’Accusation (Greifelt II, SS-76). L’Accusation tire du fait que de nombreux hommes revêtus de l’uniforme SS auraient participé à cette activité, la conclusion que les SS y ont participé. La déclaration de Kubitz a montré qu’il ne s’agissait pas là de membres des SS, ni de missions des SS. En ce qui concerne les détails de ces événements, je me permets de renvoyer une fois encore à l’annexe que j’ai remise.

Les évacuations de Polonais habitant les anciennes provinces allemandes de l’Est, étaient presque déjà terminées avant la création du Commissaire du Reich pour l’affermissement de la race allemande (Creutz, SS-72, Golling SS-71). Elles avaient été réalisées auparavant par les chefs des administrations civiles et non par les SS.

Dans le Gouvernement Général, la situation juridique était particulière, de sorte que le Stabshauptamt et la Volkdeutsche Mittelstelle ne pouvaient pas intervenir ni ne peuvent être rendus responsables de la situation locale.

Les évacuations à l’Ouest furent exécutées par les chefs des administrations civiles, exclusivement sous leur propre responsabilité (déclaration Kubitz, affidavit Bruckner, SS-74, Edgar Hoffmann SS-75, Creutz II SS-80).

L’attribution de la citoyenneté allemande aux personnes de l’ancienne minorité allemande des provinces autrefois polonaises n’a pas été faite par le Commissaire du Reich pour l’affermissement de la race allemande, mais par le ministère de l’Intérieur et les autorités administratives qui en dépendaient et ceci déjà à une époque à laquelle Himmler n’occupait pas encore ce ministère. Le procédé de la Volksliste (Liste populaire) dont on donne une traduction prêtant à confusion (Registre racial), fut utilisé par le ministère de l’Intérieur du Reich. Il n’avait donc rien à voir avec le Commissaire du Reich pour l’affermissement de la race allemande, ni avec l’idéologie raciale des SS (Gollin I, SS-71).

La réquisition de propriétés agricoles faite par le Commissaire du Reich pour l’affermissement de la race allemande, reposait sur le décret du Gouvernement du Reich du 8 octobre 1939, d’après lequel les territoires annexés à l’Est étaient déclarés territoires du Reich, ainsi que sur une ordonnance publiée conformément aux lois en vigueur et concernant la réquisition, loi qui ne porte même pas la signature du Commissaire du Reich pour l’affermissement de la race allemande (livre de documents SS-13). Du reste, un examen approfondi de cette ordonnance montre que les réquisitions opérées avaient déjà été annoncées avant que le Commissaire du Reich pour l’affermissement de la race allemande eût commencé son activité. Elles se bornaient à prononcer la saisie et à effectuer un contrôle (Creutz SS-72, Golling, SS-71). On ne peut parler d’une réquisition effectuée par le Commissaire pour l’affermissement de la race allemande ou par les SS, au profit de personnes de race allemande ou de nazis ayant fait leurs preuves, car la réquisition opérée par le Commissaire du Reich pour l’affermissement de la race allemande n’était pas destinée à acquérir des terres pour une colonisation, ou à chasser de leurs fermes les paysans (Golling SS-71, Greifelt I, SS-73, 76, 78, Creutz SS-79). Pour cette raison, il n’y a pas eu de colonisation quelconque, avec transfert de propriété, opérée par le Commissaire du Reich pour l’affermissement de la race allemande. Les commissaires qui administraient des fermes abandonnées furent simplement remplacés par des commissaires pris parmi les colons. La conception du Ministère Public. PS-1352, qui est en opposition avec ces faits, s’appuie sur des propositions faites de son propre mouvement par un employé subalterne du nom de Kusche qui n’appartenait même pas aux SS et dont les erreurs ont été rectifiées, ainsi qu’il ressort du document lui-même et de l’affidavit Golling, SS-71. Mais : le cas Kusche est caractéristique, en ce qui concerne le Commissaire du Reich pour l’affermissement de la race allemande, car cet employé fut renvoyé de son service en raison de ses conceptions complètement erronées (Golling SS-71). On ne peut d’ailleurs déceler de plan unitaire dans cette prétendue germanisation. Les Chefs de l’administration civile procédaient dans leurs territoires à des évacuations, chacun pour des motifs et au moyen d’ordres différents (Brückner, SS-2, Edgar Hoffmann SS-75). Les services du Commissaire du Reich pour l’affermissement de la race allemande et le Stabshauptamt n’approuvaient pas ces évacuations, et, bien qu’ils ne pussent pas les faire cesser en empêchaient l’exécution dans la mesure où ils en étaient capables et les paralysaient pratiquement (déclaration Kubitz, affidavit Bruckner, Edgar Hoffmann). Ainsi, Himmler ne savait pas quels étaient les projets de Bürckel ou de Hitler. A Poznan (Prusse Orientale) la population polonaise fut évacuée, tandis qu’elle resta en Haute-Sllésie. Le transfert des Allemands des Pays baltes fut décidé en quelques heures, mais une incertitude absolue subsistait au sujet de la réalisation d’une colonisation ou de l’établissement des populations transférées (Kubitz). Le commissaire du Reich pour l’affermissement de la race allemande transféra à Poznan des personnes de race allemande habitant Lublin, et le Gouverneur Général y remit des Allemands, PS-2916, PS-910, Creutz SS-72. On ne cessait de procéder à des rapatriements d’Allemands se trouvant à l’étranger, faisant ainsi rentrer dans le Reich des centaines de milliers de personnes, alors que, depuis des années, plus d’un demi-million de personnes attendaient dans des camps qu’on leur donnât un logement (Lubitz).

La propriété polonaise fut successivement confisquée par le Plan de quatre ans, par le Service principal des commissaires à l’Est et par le ministère du Ravitaillement du Reich (Reichsgesetzblatt 1940, pages 353, 1270).

Si l’on considère cette confusion que je n’ai fait qu’effleurer à titre d’exemple, on ne peut parler d’un plan de germanisation conçu par le Commissariat du Reich et moins encore par les SS.

Je passerai maintenant à un autre point de l’Accusation : Déportation pour le travail forcé. Parmi les crimes commis dans les territoires occupés contre la population civile, la déportation de civils pour le travail forcé, en particulier vers l’Allemagne, constitue un domaine important de l’Accusation.

Cette accusation est surtout dirigée contre l’accusé Sauckel. Son défenseur le docteur Servatius, a pris position en détail en ce qui concerne le résultat de la présentation des preuves et l’appréciation juridique de la notion d’e travail forcé. Je ne fais qu’y renvoyer pour le moment.

Le Ministère Public et, en partie, le docteur Servatius lui aussi, sont cependant d’avis que les SS partagent également la responsabilité de ces crimes. On ne peut approuver cette opinion, du moins dans la mesure où il s’agit des Allgemeine SS et des Waffen SS.

Les Allgemeine SS avaient pratiquement interrompu leur activité au début de la guerre, ainsi que je l’ai déjà montré. Aucun des nombreux documents présentés ne montre qu’une unité quelconque des Allgemeine SS se soit occupée de la déportation de la population civile pour le travail obligatoire.

Il en est de même pour les Waffen SS, qui n’ont jamais eu d’influence sur les mesures prises par Sauckel pour le recrutement de la main-d’œuvre et qui n’ont jamais été utilisées non plus, en tant que telles, pour l’exécution des mesures prises par Sauckel. La réquisition de la main-d’œuvre étrangère pour le travail obligatoire dans le Reich était uniquement l’affaire de l’administration. C’étaient les commissaires du Ketch des territoires occupés qui effectuaient le recrutement de la main-d’œuvre pour l’organisation Sauckel et se servaient à cet effet de leurs organes administratifs, les commissaires généraux, etc. Ceux-ci, à leur tour, avaient recours, le cas échéant, à la Police régulière et à la Police de sûreté, sur la base des prescriptions légales relatives à l’assistance à apporter à l’administration, tandis que les SS et en particulier les Waffen SS qui n’étaient pas à la disposition des commissaires généraux, n’avaient absolument rien à voir avec toutes les opérations de réquisition de la main-d’œuvre (affidavit Bomhard, SS-108).

Cette réglementation n’a pas non plus été modifiée dans les domaines particuliers. Les Waffen SS et les Allgemeine SS n’ont pas aidé à déporter les détenus dans les camps de concentration, ni à les y faire travailler Comme on le sait, seule la Gestapo était compétente pour l’internement dans un camp de concentration. Elle s’occupait aussi de l’internement des nouveaux détenus. Ceci a également été établi par M. le Procureur anglais Farr. C’est ce qu’ont montré aussi des documents isolés, tels que le document L-61, dans lequel on déclare que des Polonais criminels ou asociaux ont été internés en camp de concentration sur l’ordre du chef de la Police de sûreté et du SD. Le même document montre, en outre, que l’échange de main-d’œuvre juive contre de la main-d’œuvre polonaise dans le territoire du Reich se faisait exclusivement sur la base d’un accord entre le service de Sauckel et le chef de la Police de sûreté. Les SS, donc Waffen SS et Allgemeine SS, n’avaient pas à s’occuper de ces questions, contrairement à ce qui est dit dans le procès-verbal. Il en est de même de l’internement d’autres groupes de personnes dans les camps de concentration et de leur utilisation dans des usines d’armement. Ces opérations ont été exclusivement le fait de la Gestapo. Ceci concerne aussi bien l’internement de Français (cf. plaidoirie Servatius) que l’internement de partisans, PS-744 (USA-445). Mais ces cas, eux non plus, ne peuvent être imputés à charge aux Allgemeine SS et aux Waffen SS, parce que l’arrestation de ces groupes de personnes et leur envoi dans un camp de concentration n’a pas eu lieu en vue du recrutement de la main-d’œuvre, mais pour des raisons de police. L’ordre de Himmler contenu dans le document PS-744 a pour origine une directive de l’OKW (Keitel), qui ordonnait que, dans la guerre de partisans, les prisonniers fussent considérés comme prisonniers de guerre, envoyés dans des camps et mis à la disposition de Sauckel par l’intermédiaire des offices de placement. Il s’agissait donc là d’un groupe de personnes qui auraient dû normalement être traduites devant une cour martiale pour activité de francs-tireurs et pour lesquels l’Internement éventuel dans un camp de concentration constituait un adoucissement de leur peine. Mais si les Allgemeine SS et les Waffen SS ne s’occupaient pas des internements dans les camps de concentration, ce n’est pas parce que ces détenus ont travaillé par la suite dans les camps de concentration qu’on peut accuser ces organisations du crime de déportation pour le travail forcé. Voici ce qui peut être dit à ce propos.

1. Les camps de concentration n’étaient pas, comme je le montrerai ensuite, des institutions des Allgemeine SS et des Waffen SS. Ils étaient une organisation d’Etat (affidavit SS-100, Fanslau).

2. Le chef du WVHA, Pohl n’avait sous ses ordres que l’administration des camps de concentration. Le produit du travail des détenus était attribué au Reich de la même manière que le produit du travail des détenus de droit commun. Les salaires étaient encaissés directement par une caisse du Reich installée dans chaque camp de concentration. Cette caisse était, comme toutes les autres caisses du Reich, soumise au contrôle de la cour des comptes du Reich (affidavit Frank SS-99).

3. Les détenus étaient principalement mis à la disposition des usines d’armement privées et publiques, et des entreprises économiques de Himmler (affidavit SS-99, Frank et SS-100 Fanslau). Ces entreprises étaient donc dans la même situation que d’autres usines d’armement, auxquelles étaient attribuées des travailleurs en provenance des territoires de l’Est ou d’autres ouvriers étrangers, par le canal des services de Sauckel. L’emploi de ces détenus au profit du Reich et pour le compte du Reich ne peut, pour cette raison, permettre de tirer des conclusions à la charge des Allgemeine SS et des Waffen SS. Le témoin Jüttner et les affidavits SS-99, Frank et SS-100 Fanslau ont réfuté l’affirmation de l’Accusation, selon laquelle le produit de ce travail entrait directement dans les caisses des Waffen-SS.

C’est au cours de la campagne de l’Est qu’apparaît pour la première fois l’activité des Einsatzgruppen A, B, C et D de la Police de sûreté et du SD. C’étaient des formations de la Police de sûreté, de caractère spécial, donc des formations du pouvoir exécutif du Reich. Je n’ai pas besoin de discuter des autres missions de ces unités. Il n’est question ici que de l’affreuse activité dont a parlé le témoin Ohlendorf et en particulier de la part qu’ont prise les Waffen SS à cette affaire.

Les déclarations Rhode et Ohlendorf ont démontré que les Einsatzgruppen n’ont jamais été tactiquement sous les ordres de services directeurs, quels qu’ils soient, des Waffen SS. Il apparaît que ces unités étaient au contraire sous les ordres des groupes d’armées de la Wehrmacht. Il n’y a jamais eu de groupes d’armées des Waffen SS. Ce qui peut être imputé aux Waffen SS, c’est le fait qu’il a fallu adjoindre à ces unités trois ou quatre compagnies de Waffen SS, c’est-à-dire au total un bataillon, sans l’état-major de bataillon correspondant. J’ai dit « -il a fallu », car les instructions sont venues directement de Himmler (témoin Jüttner et Ruoff). Le document L-190 démontre qu’il y avait dans l’Einsatzgruppe A par exemple, sur 999 hommes, 340 soldats des Waffen SS. L’effectif total des SS détachés à cet effet atteignait 600 à 700 hommes.

Le fait que des hommes des Waffen SS aient été utilisés pour accomplir des missions relevant de la Police de sûreté semble contredire le fait, démontré par moi, que la Police de sûreté et les Waffen SS aient été deux organisations entièrement différentes. Mais il n’en est rien : la déclaration de Jüttner montre que Himmler ordonna l’envoi de trois ou quatre compagnies en précisant expressément que ces hommes devaient servir d’unités de protection et de surveillance dans des commandos de police mobiles, qui devaient suivre les troupes combattantes. Il est évident que ces commandos de Police étaient nécessaires dans les territoires occupés. Et on ne pouvait s’étonner qu’ils eussent besoin d’une protection militaire, puis qu’ils suivaient directement les troupes combattantes. Il n’avait nullement été question pour les Einsatzgruppen de procéder à des exterminations de grand style ni pour les hommes des Waffen SS, d’y participer, contrairement à la mission de protection qui leur avait été confiée expressément. Aucun soupçon ne pouvait s’exercer dans ce sens (témoin Jüttner). Plus tard même, les services directeurs des Waffen SS n’eurent jamais connaissance du fait qu’on ait utilisé abusivement ces hommes pour des missions de ce genre (témoin Ruoff). Le témoin Blume, de la section d’organisation des Waffen SS, a déclaré que ces trois ou quatre compagnies, contrairement à ce qui se passait pour toutes les autres unités des Waffen SS n’ont jamais adressé au Service central de la direction, quelque rapport que ce soit sur la situation. Elles étaient pratiquement détachées des Waffen SS. Ainsi s’explique aussi ce tait qu’aucun des témoins des Waffen SS ayant occupé des postes dirigeants ou d’Importance moyenne, n’ait eu connaissance de l’activité des Einsatzgruppen, tenue strictement secrète, ni en particulier de la participation des soldats SS quels qu’ils soient.

Ce détachement de moins de mille hommes, qui a tant fait parler de lui, n’a en tout cas rien changé à la nature et aux tâches de l’organisation des Waffen SS qui comprenait des millions d’hommes.

Quand il a été question des Einsatzkommandos, les représentants du Ministère Public ont parlé le plus souvent, au cours de la présentation des preuves, de ce que l’on a appelé les Sonderkommandos à l’Est. Comme il s’agit ici d’une question concernant uniquement la Police de sûreté, et avec laquelle les hommes des Allgemeine SS ou des Waffen SS n’ont jamais eu de rapports, je puis me dispenser de prendre position à cet égard.

Lutte contre les partisans : l’affirmation du témoin von dem Bach-Zelewski, ainsi qu’une déclaration contenue dans l’affidavit du témoin Rhode, présenté par le Ministère Public sont à l’origine de l’interprétation complètement erronée qui a fait établir un lien entre la notion de lutte contre les partisans en Russie et celle de l’extermination systématique des Juifs. Ces deux témoins avaient prétendu qu’en considérant les choses après coup, ils avaient acquis la conviction que la lutte contre les partisans en Russie n’avait été que le prétexte de l’extermination de la population civile. Cette affirmation inouïe a été entre temps rectifiée par le contre-interrogatoire du témoin Rhode devant la commission. L’officier qui interrogeait Rhode avait, comme le montre la déclaration Rhode, parlé de la lutte contre les partisans et en même temps des activités des Einsatzgruppen et Einsatzkommandos delà Police de sûreté, avant que l’affidavit présenté par l’Accusation eût été rédigé. La remarque de Rhode se rapportait uniquement à l’activité des Einsatzgruppen, dont les missions ont souvent été mises en liaison de façon erronée, avec le terme de lutte contre les partisans par l’officier qui interrogeait Rhode.

En réalité, la lutte contre les partisans était une guérilla menée à l’arrière du front, forme de combat que les Soviets avaient particulièrement développée pendant cette guerre et qui ne cessait d’augmenter ; par les effets qu’elle exerçait sur les lignes de ravitaillement, elle créait des difficultés aux troupes combattantes, tout autant que par ses effets directs sur les unités de l’arrière. Cette manière de faire la guerre était d’autant plus dure que les partisans savaient qu’ils pouvaient être traités en francs-tireurs d’après le Droit international et luttaient avec d’autant plus d’acharnement.

La division administrative des territoires situés à l’arrière du front en zone de l’arrière des Armées, et en territoire de l’administration civile fait que la lutte contre les partisans incombait soit à la Wehrmacht soit à la Police. Le témoin Hauser a dit le 6 août 1946, au début de son interrogatoire : « C’était une tâche à la fois militaire et policière » et non pas une tâche à la fois politique et militaire, comme le dit par erreur la traduction anglaise. C’était donc les autorités policières des territoires occupés, c’est-à-dire les chefs supérieurs des SS et de la Police et le chef des unités de lutte contre les bandes de partisans, qui avaient à exécuter ces missions à l’aide d’unités de Police. Le fait qu’on ait utilisé occasionnellement des unités de la Wehrmacht et, une seule fois, une unité des Waffen SS (une brigade de cavalerie) ne change rien à la nature de cette activité ; il ne permet pas non plus d’établir de liens d’organisation quelconques entre la lutte contre les partisans dans les territoires de la Police situés à l’arrière, et les Waffen SS (témoins Jüttner, Ruoff, Grothmann). Le seul point que l’on puisse retenir de la déclaration du témoin von dem Bach-Zelewski qui a déjà été confondu par les inexactitudes les plus diverses contenues dans sa déclaration (témoins Grothmann, Reinecke, Jüttner, Ohlendorf), est l’affirmation selon laquelle on aurait choisi des troupes de valeur inférieure pour la lutte contre les partisans. Comme les Waffen SS n’ont jamais comporté, d’après la déclaration du témoin Hauser, d’unités de valeur inférieure, bien au contraire, on ne peut pas établir un rapport entre la déclaration Bach et les Waffen SS. L’unité Dirlewanger était, d’après l’exposé du témoin Grothmann, une troupe disciplinaire de détenus, comme on en utilise dans toutes les armées du monde. Ce qui est essentiel ici, c’est seulement le fait qu’elle n’a jamais été une unité des Waffen SS, et, encore moins, comme von dem Bach l’a prétendu, en contradiction avec les faits, une unité des Allgemeine SS (témoin Grothmann). Elle n’aurait d’ailleurs jamais été suffisante pour mener la lutte contre les partisans.

L’affirmation du Ministère Public, selon laquelle la lutte contre les partisans n’aurait été qu’un prétexte à l’extermination de la population civile, est ainsi réfutée et ainsi est faite la preuve que les Waffen SS n’y ont participé en aucune manière.

Je parlerai maintenant du grave problème des camps de concentration. Dès le début du régime hitlérien, il y a eu des camps de concentration. On ne peut imaginer l’État hitlérien sans eux. Des centaines de milliers de détenus ont passé par ces camps, ils y ont été humiliés et maltraités, plus de 100.000 y sont morts ou y ont été assassinés.

On ne peut nier que le nom des SS soit lié à ces meurtres et à ces excès. Cela, il faut, dans ce Procès le reconnaître à la face du monde. Et de même que tout Allemand rougit à la pensée que dans son pays des choses aussi terribles et aussi inhumaines aient été possibles, tout SS devrait faire son examen de conscience et examiner dans quelle mesure il se sent coupable de ces choses, politiquement et moralement. Il ne devrait pas penser seulement à se défendre contre l’Accusation, selon laquelle tout SS est devenu désormais un criminel en raison de ces crimes, mais il devrait, une fois encore, se remémorer toute sa vie et examiner quand, où et comment il s’est écarté, ne fût-ce peut-être que par la pensée, de la voie de la véritable humanité. Il peut, il doit même le faire, même s’il conteste sa culpabilité pénale, même s’il dit qu’il a été pendant quatre ans au front, engagé dans le plus acharné des combats,, croyant en l’Allemagne et en la justesse de sa cause. Et s’il éprouve de la honte, une honte authentique, si petite soit-elle, alors son examen de conscience, alors ce Procès n’auront pas été vains, alors existera le sentiment purifiant de la faute, celui auquel songeait le pasteur Niemöller qui a été si mal compris. Mais même si ce SS s’acharnait à croire à son bon droit, même si tous ces SS restaient les mêmes malgré ces expériences, et je sais, pour avoir visité les camps, qu’il n’en est pas ainsi, même alors, il nous faudrait continuer à servir la justice de ce monde, il nous faudrait examiner si, en raison de ces camps de concentration et d’autres atrocités, les SS sont une organisation criminelle, si tous les SS sont par là devenus des criminels.

C’est pourquoi il faut que nous nous occupions des détails de ces choses, même si des millions d’hommes pleurent les victimes des camps de concentration, si des centaines de milliers de détenus qui ont survécu souffrent encore des conséquences de leur internement, même si tout un monde accuse les SS et pousse un cri de vengeance.

Lorsqu’au début de mars j’ai été chargé de la défense des SS, l’Accusation avait déjà réuni un nombre imposant de documents à charge : témoignages déposés au cours des débats, ainsi que de nombreux documents, réunis pour la plupart dans le livre de documents « camps de concentration ».

Mais d’autre part, en réfléchissant froidement et je devais le faire malgré tout — on voyait clairement que si la situation dans les camps de concentration avait été, pendant toute la période précédant la guerre et pendant la guerre, celle que présentait par exemple le film sur les camps de concentration, on n’aurait pas pu libérer des centaines et des milliers de personnes, on n’aurait pas pu les faire travailler comme on l’a fait au cours de la guerre et qu’enfin cette situation n’aurait pas pu rester cachée aux yeux de la masse du peuple, non plus qu’à la masse des SS internés que j’ai interrogés.

Il y avait des contradictions insolubles : dans le rapport américain. sur l’évolution du camp de Buchenwald de 1937 à 1945, rapport dont je ne connais pas les bases, on peut lire, dans une lettre du WVHA en date du 28 décembre 1942, placée en annexe : dans tous les camps de concentration, les entrées, dans les six mois, ont atteint le chiffre de 136.000. Pendant la même période 70.000 personnes sont mortes. Bien qu’il fût clair que ce n’était pas la moitié de ces nouveaux arrivants qui étaient morts, mais que néanmoins en six mois, sur un total de plusieurs centaines de milliers de détenus 70.000 étaient morts, ce chiffre de mortalité était terriblement élevé.

L’affirmation du Ministère Public semblait donc justifiée, selon laquelle les détenus étaient systématiquement exterminés ou du moins anéantis par le travail.

Cela ne concordait cependant pas avec les instructions données également dans la circulaire du 28 décembre 1942 du WVHA, selon laquelle les médecins des camps devaient faire en sorte, avec tous les moyens mis à leur disposition, que la mortalité des camps diminuât et que la capacité de travail demeurât aussi élevée que possible, en exerçant un contrôle sur le ravitaillement et sur les conditions de travail, et en établissant des propositions d’amélioration, propositions qui, toutefois, ne pouvaient pas toujours figurer sur le papier. Enfin, cela ne concordait également pas avec le fait, confirmé à plusieurs reprises, selon lequel, au cours des visites effectuées, dans les camps par des commissions allemandes et étrangères, les installations et les hommes eux-mêmes avaient fait bonne impression. J’étais persuadé, et je le suis encore, en ma qualité de juriste et de défenseur que je ne pouvais pas me satisfaire du nombre énorme des victimes, ni de l’affirmation, prononcée par le monde entier, selon laquelle ils avaient été maltraités et assassinés par l’organisation SS. Car, sur ce point décisif où nous nous trouvons en présence d’une opinion formée par l’action réciproque des foules, c’est-à-dire par la suggestion de masse typique de l’opinion publique, il n’y a pas de « faits juridiquement établis » ; il s’agit uniquement, sans passion, d’établir des faits indubitables. Ces faits étaient importants pour répondre aux questions suivantes : quels sont les auteurs de chacun de ces crimes qui ont formé le nombre infini de ces atrocités anonymes commises dans les camps de concentration ? Comment ces crimes ont-ils été commis ? Sur ordre ou sur des initiatives individuelles ? Leurs auteurs appartiennent-ils à des groupements criminels caractérisés, et lesquels, afin que l’on puisse déterminer une culpabilité collective ? Quels rapports avaient-ils avec l’ensemble de l’organisation SS et avec les dizaines et les centaines de ses membres qui ne travaillaient pas aux camps de concentration et prétendent ne rien savoir de ces crimes ?

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal suspend l’audience ;

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Docteur Pelckmann, vous parlez déjà depuis deux heures et vingt-huit minutes, de sorte qu’il vous reste encore exactement vingt-deux minutes.

M. PELCKMANN

J’avais en dernier lieu posé les questions qui me paraissaient nécessaires pour éclaircir les rapports entre les SS et les crimes commis dans les camps de concentration. J’avais espéré que ces questions dont l’éclaircissement pouvait certainement contribuer à amener une condamnation plus rapide de tous les coupables, trouveraient une réponse devant les tribunaux alliés qui, depuis l’année dernière, ont mené les procès des camps de concentration. C’est pourquoi, Messieurs les juges, j’ai demandé qu’on mît à ma disposition les dossiers de tous ces procès afin que je puisse les examiner. Ils m’auraient permis de constater tout ce qui, au cours des dernières semaines seulement, est devenu clair à mes yeux et à ceux du public.

Je n’ai cependant rien négligé pour me rapprocher, malgré tout de la vérité. La demande que j’ai faite pour obtenir les dossiers administratifs des camps de concentration a été faite à une époque relativement tardive. Mais il ne m’était plus besoin d’insister, car j’avais réussi enfin, au début du mois de juillet, à trouver un témoin qui, j’en suis convaincu, apportait des éléments décisifs, sous de nombreux rapports pour la recherche de la vérité, de la vérité qui importe à ce Procès, de la vérité historique. Ce témoin, c’était le docteur Morgen. Nous devons à ce témoin la justification claire de trois faits importants et reconnus :

1. Les raisons ultimes des exécutions faites dans les camps de concentration étaient : le fait qu’aucune loi ne protégeait les détenus, la toute puissance de la Police (Gestapo) et l’impuissance de la justice.

2. Les ordres d’extermination massive de Juifs dans des camps spéciaux appelés « camps d’extermination », et l’exécution de ces mesures reposent sur des ordres venant directement de Hitler. Un très petit nombre d’initiés les a exécutés.

3. Un secret absolu, maintenu par les mesures de camouflage les plus subtiles permettait d’éviter que les conditions régnant dans les camps de concentration et d’extermination fussent connues du public et des autorités de la justice pénale. Je n’oublierai jamais la première rencontre que j’eus avec ce témoin, le docteur Morgen. Il y avait dans cet homme géant, penché en avant sur son siège une force qui le poussait à s’épancher, à exprimer ce qu’il savait depuis deux ans environ, ce qu’il avait appris et vécu en approchant les détenus et le personnel, en vivant pendant des mois à l’intérieur de ces lieux d’épouvanté.

Je passe la phrase suivante.

Par deux fois déjà il avait rédigé des rapports détaillés adressés, la première fois aux services allemands compétents, afin qu’ils remédient à cette situation, une seconde fois, en 1945, aux autorités américaines procédant aux enquêtes sur les atrocités des camps de concentration. Mais à chaque fois, ses révélations ne furent pas prises en considération.

Conservant malgré tout un espoir, le docteur Morgen fit un troisième, rapport par lequel il voulait, cela avait toujours été son intention, aider à trouver les coupables, à protéger les innocents et à montrer au peuple allemand et au monde la culpabilité dans les meurtres les plus terribles de l’histoire du monde, d’une gestion criminelle. Il y a réussi.

Je saute le paragraphe suivant, qui traite des débuts des’ camps de concentration et de la part qu’y ont prise les SS.

Les débuts des camps de concentration sont caractérisés par une absence absolue de dispositions légales. Cette carence se manifeste déjà par l’arrestation, sans aucune raison légale, sur la base de considérations purement politiques. Or, celles-ci caractérisent depuis toujours ce moyen d’action qui, depuis le début de ce siècle jusqu’à nos jours, est utilisé par de nombreux États civilisés, en particulier dans les périodes de tension politique, et sous les désignations les plus diverses. Si l’on ne peut donc pas voir, dans l’usage international de camps de ce genre et l’internement de détenus, un élément contraire au Droit, on est cependant obligé de reconnaître que, tout de suite après la prise de pouvoir, en 1933, 1934, l’utilisation de ce procédé a été accompagnée d’atrocités et de meurtres nombreux. Les documents PS-1216 et D-926 parlent un langage terrible. Et il existe des preuves, en nombre suffisant, qui montrent que des membres des SS en sont aussi responsables.

Mais bientôt, l’institution des camps de concentration et leur surveillance furent légalisées. A partir de 1933-1934, ils furent imputés aux budgets des différents Länder et administrés par la Police politique. En sa qualité de chef de la Police politique de tous les Länder, à l’exception de la Prusse, Himmler en réglementa en 1934, la surveillance. Reprenant une partie des anciens surveillants — des hommes des SS et des SA — il créa les unités « Tête de mort » et les compléta par des volontaires en provenance de toutes les couches de la population sans tenir compte de leur appartenance au Parti ou aux SS. Ces troupes étaient maintenant exclusivement destinées à surveiller les camps de concentration et comprenaient, en 1936, 400 hommes pour le personnel de commandement et 3.600 hommes pour les troupes de surveillance. Celles-ci assuraient la surveillance d’environ 10.000 à 12.000 détenus, répartis en cinq camps de concentration dans toute l’Allemagne. Je prie le Tribunal de comparer ces chiffres aux effectifs des Allgemeine SS, très élevés à cette époque.

C’est aussi en 1936 que les camps de concentration et leur surveillance furent imputés au budget du Reich, séparément pour le commandement et les troupes de surveillance. Au début de la guerre, le personnel de commandement s’élevait à 600 hommes et les troupes de surveillance comprenaient 7.400 hommes. Dans toute l’Allemagne, il n’y avait que six camps de concentration — et il n’y avait pas encore de camps de travail ou de camps extérieurs — avec un total de 21.300 détenus. A cette époque, les Allgemeine SS comptaient environ 240.000 hommes. Les Waffen SS n’existaient pas encore. Les unités « Tête de mort » créées en 1934 pour servir de troupes spéciales de l’État, n’étaient pas payées par le Parti, mais par le Reich, et j’ai montré dans mon exposé relatif à l’organisation que je dépose en annexe, qu’elles n’avaient de commun avec les Allgemeine SS que les lettres « SS » et leur chef Himmler. Cela ressort en particulier du décret confidentiel de Hitler en date du 17 août 1938 et du document SS-84.

Un point important, Messieurs les juges, me paraît être constitué par les modifications suivantes, qui ont eu lieu après le début de la guerre, à un moment où la vague d’extermination commençait à grossir lentement dans les camps de concentration :

6.500 hommes des équipes de surveillance furent envoyés au front avec une division nouvellement formée. Ces hommes abandonnaient ainsi définitivement toute activité dans les camps de concentration. Or, au cours de toute la guerre, environ 30.000 hommes furent employés dans les camps de concentration, en tenant compte des départ et des arrivées : c’est ce qui ressort des déclarations de Brill et de l’affidavit 68 (Kaindl). Ils se répartissaient de la façon suivante : 1.500 hommes de l’équipe primitive des unités « Tête de mort » et 4.500 hommes originaires des Allgemeine SS ; ces 4.500 hommes étaient une partie des 36.000 membres des Allgemeine SS, qui, jusqu’en 1940, avaient été mobilisés par une ordonnance d’appel et étaient devenus membres des Waffen SS. Les autres 24.000 hommes des équipes des camps de concentration, c’est-à-dire 80 %, n’avaient à l’origine pas de rapport nominal avec les SS. C’étaient 7.000 étrangers de race allemande qui avaient été mobilisés, 10.000 Allemands du Reich qui s’étaient engagés volontairement dans les Waffen SS pour aller au front et 7.000 hommes de l’Armée ou de la Luftwaffe. Parmi les volontaires, il y en avait beaucoup qui venaient des SA, de l’Association des anciens combattants (Reichskriegerbund), du Parti et d’organisations analogues. Tous, à l’exception du personnel primitif comprenant 1.500 hommes, avaient été envoyés contre leur volonté pour surveiller les camps de concentration sur l’ordre de Himmler, sans que la direction des Waffen SS fût intervenue.

Ce n’est qu’au cours de la guerre que Himmler, abusant de ses pouvoirs, reprit nominalement ces unités de surveillance et d’administration dans les Waffen SS. Il le fit pour empêcher que le personnel des camps de concentration soit constamment touché par le service militaire, donc, pratiquement pour tenir en échec les dispositions de contrôle militaire. Après les déclarations très claires des témoins Reinecke, Jüttner, Ruoff, Brill et de beaucoup d’autres, il n’est pas douteux que rien n’était changé par là au caractère policier de tout ce qui touchait aux camps de concentration et qu’en particulier, les camps de concentration ne devenaient pas pour autant le domaine des Waffen SS. Et de fait, même après cette reprise, de caractère formel, des équipes par les Waffen SS, les camps de concentration ne furent pas dirigés par les services directeurs de cette organisation, mais par un service tout à fait distinct, l’Amtsgruppe D du WVHA (témoin Stein, affidavits Fanslau, SS-41, SS-100, Frank, SS-99).

Je prie maintenant le Tribunal de bien vouloir prendre connaissance des trois pages suivantes, qui traitent en détail de l’activité bien délimitée de l’Amtsgruppe D, ainsi que d’une partie de la déposition Morgen, relative aux camps d’extermination et des dépositions Wirth et Höss, traitant des mêmes sujets.

Cet Amtsgruppe D, qui, au point de vue de l’organisation, du personnel et aussi localement, était nettement séparé, non seulement des autres Amter SS, mais encore des autres sections du WVHA (cela ressort des affidavits SS-66, Kaindl et SS-99, Frank), dirigeait et contrôlait les équipes de surveillance et le personnel de commandement. Toutes les recettes provenant des camps de concentration, en particulier le produit du travail des détenus, étaient comptabilisées à l’Amtsgruppe D, mais au titre du Reich et ne profitaient dont pas aux Waffen SS. Le budget des Waffen SS était conçu exactement de la même manière que celui de l’Armée. Il n’était pas lié à celui de l’Armée, mais il était établi de la même manière ; les mêmes fonctionnaires du ministère de l’Intérieur le faisaient concorder avec celui de l’Armée.

Jamais, et je tiens à insister encore sur ce fait, une unité homogène des Waffen SS n’a été détachée pour la surveillance des camps de concentration.

Je vous ai ainsi expliqué, Messieurs les juges, les questions de compétence concernant le personnel de commandement et de surveillance, et l’administration des camps, et j’ai délimité cette compétence par rapport aux Allgemeine SS et aux Waffen SS.

La délimitation des compétences était encore plus marquée en ce qui concerne, les autorités habilitées à décider de l’internement ou de la libération des détenus ou même de leur mise à mort. Ici, seule, la Gestapo était compétente.

Dans ces conditions, il n’est pas douteux que les coupables directs ou indirects de tous les actes inhumains et de tous les meurtres qui ont été commis dans les camps de concentration, doivent être recherchés à la tête de ces deux services ou parmi leur personnel, et parmi le personnel des camps de concentration.

D’autre part, le docteur Morgen et de nombreux affidavits concernant les camps de concentration insistent sur le fait — il me faut d’ores et déjà indiquer la nouvelle délimitation — que les équipes de surveillance n’avaient absolument rien à voir avec l’administration interne des camps, que l’entrée dans le camp proprement dit leur était interdite et qu’elle était impossible. Les exécutions faites sur ordre du KSHA et à plus forte raison celles faites en vertu des droits attribués au commandant, étaient faites par un commando de l’État-Major du Commandement, et non pas par l’équipe de surveillance.

Il faut bien distinguer entre camps de concentration et camps d’extermination. Ces derniers apparaissant à partir de 1942, c’est-à-dire à l’époque où Hitler a déclaré la guerre aux Etats-Unis et veut se venger de cette évolution de la guerre, dont il rend responsables les Juifs du monde entier. Les descriptions horribles des témoins Höss et Morgen nous ont rappelé la technique de ces tueries massives.

Les déclarations et affidavits de Höss et de Morgen et l’interrogatoire de Wisliceny devant le Tribunal et devant la commission nous ont donné un tableau complet de tout ce système d’assassinat. Hitler et certains services de la Chancellerie du Führer, ayant acquis une certaine expérience du meurtre grâce à la pratique de l’extermination des aliénés, se servaient de deux spécialistes, le médecin du Reich Dr. Grawitz et le commissaire de Police criminelle Wirth. L’un s’occupait, dans le domaine médical de découvrir les meilleures méthodes d’assassinat, l’autre de mettre au point la meilleure technique d’exécution en trompant les victimes et le public.

En dehors de Wirth, chef du camp d’extermination situé près de Lublin, il y avait encore Höss, chef du camp d’extermination d’Auschwitz, ou plus exactement de Monowitz et en même temps chef du camp de concentration d’Auschwitz. Un des pourvoyeurs de victimes était Eichmann, qui était intégré à la Gestapo et qui, jusqu’à l’ordre de Hitler sur la "solution finale", entendez l’assassinat, déportait les Juifs dans des camps situés à l’Est.

Les convois n’étaient accompagnés que par des détachements de Police, parfois aussi de Police slovaque et hongroise, comme l’a déclaré Wisliceny devant la commission les 5, 6 et 7 juin ; ils ne le furent qu’une seule fois par des SS qui. avaient été mobilisés, parce que Hongrois de race allemande.

Toutes ces installations d’extermination étaient dues à des ordres spéciaux de Hitler et de la Chancellerie du Führer et sortaient du cadre du système normal des camps de concentration. Aussi ne dépendaient-elles pas de la voie hiérarchique normale, ni des cadres normaux de l’organisation. Wirth était commissaire de Police criminelle, sans être membre des SS ; Höss ne recevait les ordres d’extermination, uniquement que d’Eichmann personnellement, si l’on met à part Himmler, sans avoir le droit d’en informer son supérieur direct, l’inspecteur des camps de concentration Glücks. C’est ce qu’a déclaré Höss le 15 avril. Que résulte-t-il donc, pour l’accusation portée contre les SS, de ces faits horribles qui ont commencé par les atrocités des camps de concentration, ont continué par les Einsatzgruppen pour finir par les exécutions massives par les gaz ? Le Ministère Public prétend que tous les crimes dont il a parlé ont été commis en si grand nombre et à une échelle si considérable, qu’ils ne peuvent pas ne pas avoir été connus de chaque membre, de même que les méthodes et les buts criminels.

Il dit, suivi sur ce point par la décision du Tribunal du 13 mars 1946, que la connaissance des faits criminels est la condition indispensable de la condamnation.

L’affirmation du Ministère Public se base sur le raisonnement suivant : les informations données par la presse et la radio, les déclarations de personnalités officielles et des publications de tout genre dans les pays alliés, avant et surtout pendant la guerre, ont instruit le public de ces pays des atrocités commises dans les camps de concentration ainsi que des autres crimes. Dans ces conditions, il semble presque évident que, si ces crimes étaient presque universellement connus dans ces pays, il devait en être de même à plus forte raison, en Allemagne et en particulier dans les SS. Les affidavits collectifs qui ont été déjà présentés et qui sont pour une part fondés sur des détails précis, montrent que la masse des SS conteste avoir eu une connaissance quelconque de ces faits. D’autre part, la Défense a opposé aux allégations : du Ministère Public, une affirmation de même importance : les crimes commis dans les territoires contrôlés par l’Allemagne ont été exécutés sous la protection d’un système conçu jusque dans les plus petits détails pour garder le secret, à tel point que non seulement la masse des SS n’a rien su de ces crimes, mais encore qu’elle n’en pouvait absolument rien savoir. Tandis que les allégations du Ministère Public ne peuvent être rendues vraisemblables qu’au moyen de conclusions dont la valeur juridique est douteuse, l’affirmation de la Défense peut supporter la preuve par les faits. Et cette preuve, Messieurs les juges, j’estime que la Défense l’a apportée.

Prenons tout d’abord les camps de concentration. Dans les pages suivantes, dont je prie le Tribunal de prendre connaissance, j’expose comment l’épais rideau du secret, les nombreux règlements et diverses circonstances empêchaient que ces événements fussent connus à l’extérieur.

Le voile épais du secret et le camouflage organisé apparaissent de bonne heure lorsqu’on jette un coup d’œil en arrière. A cette époque, il y avait dans toute l’Allemagne cinq à six camps comprenant environ 12.000 détenus en 1936 et 21.000 en 1939. Il est évident qu’en ce qui concerne cette époque, l’affirmation du Ministère Public, selon laquelle tout Allemand qui voyageait passait à côté de nombreux camps de concentration, n’est pas exacte. D’autre part, le nombre relativement restreint, quelques milliers seulement, de personnes employées dans les camps de concentration, semble indiquer que les informations sur la situation régnant dans les camps de concentration ne pouvaient guère être répandues. La plus grande partie de ce personnel, c’est-à-dire les équipes de surveillance n’avait pas le droit de pénétrer dans le camp proprement dit.

Ce qui montre bien comment on a trompé le public, ce sont les déclarations que Himmler fit au cours de la visite dans un camp de concentration d’officiers de la Wehrmacht, déclarations qui sont contenues dans la collection National-Politischer Lehrgang (document BS-1992 a).

Les détenus comprenaient des communistes et des criminels de droit commun qui avaient été internés soit pour quelques mois, soit pour une période plus longue. Il parle de la propreté qui règne dans le camp, du lavage fréquent du linge et de l’usage de brosses à dents. Ainsi, les visiteurs devaient avoir l’impression que dans le cas des criminels de Droit commun, il s’agissait véritablement d’éléments asociaux, qui, dans le camp, avaient une vie supportable. De nombreux affidavits déclarent que ceux qui, parmi les visiteurs, venaient justement des milieux SS, par exemple dans le cas de visites organisées pour les écoles de cadres, trouvaient une situation correcte et des détenus bien nourris.

Tout dans le camp est tenu secret. Non seulement les exécutions officielles de condamnations à mort prononcées par les tribunaux, mais aussi les instructions qui furent envoyées par le RSHA en vue des exécutions à partir du début de la guerre, et à plus forte raison les assassinats exécutés sur un ordre personnel du commandant, n’avaient pas lieu publiquement. Le docteur Morgen décrit cela en détail dans son affidavit SS-66. Au cours de son interrogatoire, il a décrit les méthodes raffinées qu’on utilisa pour camoufler des assassinats en morts naturelles et tromper ainsi la juridiction civile et, à partir de 1940, la juridiction des SS.

Je vous prie de considérer. Messieurs les juges, à propos de ces questions, que des cas mortels et des mauvais traitements n’ont commencé à se produire en grand nombre qu’au début de la guerre. L’obligation absolue de garder le secret ne touchait pas seulement le personnel, mais encore était imposée aux détenus libérés. Les affidavits émanant d’anciens détenus et présentés par le Ministère Public insistent fréquemment, il est vrai, sur cet ordre de garder le secret, mais ce qui est curieux, c’est qu’ils n’affirment pas eux-mêmes avoir violé cet ordre (par exemple document PS-2334). D’après les expériences que nous avons faites dans notre profession, cet ordre de garder le secret a exercé une influence extraordinaire, malgré les rapports rie confiance les plus étroits. C’est que la peur d’être obligé de retourner dans le camp à la suite d’une indiscrétion quelconque était trop grande.

Depuis la création en 1934, des unités « Tête-de-mort » comme personnel des camps, les Allgemeine SS et plus tard les Waffen SS n’ont plus rien eu à voir avec la surveillance des camps de concentration et encore moins avec le personnel de commandement, ni au point de vue du personnel, ni au point de vue juridique.

L’Amtsgruppe D du WVHA et son petit groupe d’environ 30.000 hommes de ce qu’on appelait les Waffen SS nominales étaient devenus un système fermé sur lui-même et strictement coupé des autres, possédant ses propres réseaux de téléphone et de télégraphe et ses propres courriers. Seule la Gestapo était en liaison avec les camps, parce qu’elle avait accès à ce qu’on appelait la section politique, qu’elle dirigeait, et qui était le plus souvent placée sous les ordres d’un secrétaire de Police criminelle. Là non plus, il n’existait pas de liaison avec le reste des SS.

Il y a un autre fait important pour la question du secret ; c’est que, comme Kaindl le dit dans l’affidavit SS-68, les états-majors de commandement ont été jusqu’au milieu de l’année 1942, occupés presque exclusivement par le même personnel qu’au début de la guerre, de sorte que même avant 1942, aucune information sur la situation régnant dans les camps ne pouvait être répandue. Et à ce propos, il faut toujours considérer, au point de vue psychologique, que les responsables qui donnaient ou recevaient des ordres n’avaient aucune raison de parler de leurs menées obscures.

Étant donné le peu de temps dont je dispose, je passerai les pages qui suivent, et je prie le Tribunal d’en prendre connaissance. Elles ont trait à la contre-propagande faite du côté allemand et apportent à ce sujet des preuves précises tirées d’affidavits et de dépositions de témoins devant la commission. Il en est de même pour les camps d’extermination d’Auschwitz, Monowitz, Treblinka, etc.

Le témoin Morgen, s’aidant d’exemples très vivants a, selon moi, montré avec beaucoup de vraisemblance combien il était difficile de percer le secret des choses. Il a montré avec précision comment, grâce à la coopération entre le commandant, le médecin et le directeur du camp, souvent en accord avec des « kapos » dévoués, il était possible de camoufler tous les crimes, à tel point que ni les autorités de justice jusqu’en 1939, ni plus tard la juridiction SS, ni les autres détenus n’ont rien remarqué.

Cette situation est à l’origine d’assassinats et de mauvais traitements terribles, mais je suis obligé dans l’intérêt de la vérité objective et d’une appréciation de ces faits à la lumière de la question de la culpabilité collective, d’accorder une valeur à la constatation qu’a faite le docteur Morgen, qui a connu des commandants de camps et des médecins qui ont fait tout ce qui était humainement possible en faveur des détenus.

A ce propos, je me permets de rappeler la réponse qu’a faite M. le Président à M. Dubost au cours de l’audience du 18 janvier 1946 : il disait qu’il faudrait interroger des détenus de tous les camps si l’on voulait prouver que les assassinats et les mauvais traitements avaient été pratiqués partout sur la même échelle.

Je n’ai pas l’intention ici de défendre la juridiction SS. Il ne s’agit pas pour l’instant de son destin. Mais n’est-il pas curieux qu’elle ait reconnu, quoiqu’on 1943 seulement et cela par hasard, que les cas mortels si bien camouflés, étaient en réalité des assassinats ? N’est-il pas curieux de considérer la résistance opposée par des personnalités dirigeantes telles que Pohl, Kaltenbrunner, Millier, résistance qui allait si loin que, pendant les enquêtes Pohi adressa à tous les commandants un ordre suivant lequel l’accès dans les camps de concentration ne devait être autorisé à tous les juges des SS qu’avec son autorisation expresse ?

Le Ministère Public n’a absolument pas essayé d’ébranler les déclarations que le docteur Morgen a faites sur ce point important du secret. Et il ne peut visiblement pas le faire, bien qu’il soit en possession de tous les dossiers du WVHA et sans doute aussi de ceux du Service judiciaire SS puisqu’il a même publié textuellement, dans une brochure, la déclaration que Madame Eléonore Hodys a faite contre Höss à l’automne 1944 devant l’ancien juge d’instruction Morgen. Le Ministère Public n’a absolument pas la possibilité de réfuter la déclaration du docteur Morgen et pour le montrer, il me suffira de dire qu’il a essayé de mettre fin à l’interrogatoire que je faisais subir au témoin docteur Morgen, en prétendant que je n’agissais, dans cet interrogatoire, qu’au profit de l’Accusation, puis, en contradiction avec cette affirmation, a renoncé au contre-interrogatoire de ce témoin en disant que sa déclaration était réfutée par tous les documents présentés jusqu’ici.

Non, il n’est pas douteux pour moi que les dirigeants s’efforçaient de tout leur être de rendre de plus en plus épais le secret qui entourait les crimes qu’ils avaient commis précisément dans les camps de concentration et je croîs pouvoir démontrer qu’ils y ont réussi.

Il fallait, dans le cas des assassinats en masse procéder avec une prudence toute particulière. Les déclarations de Höss, Wisliceny et Morgen concordent ici sur les points essentiels. Les ordres qui partaient de la Chancellerie du Reich pour atteindre Wirth ou de Himmler pour atteindre Eichmann et Höss, passaient par une voie hiérarchique particulière. Les trois témoins sont d’accord pour dire que seul, un très petit nombre de personnes était utilisé et initié. Höss parle d’environ soixante personnes à Auschwitz, le docteur Morgen parle dans l’affidavit n° 65 de quelques centaines pour tout le système d’extermination. Wisliceny confirme lui aussi le nombre d’une centaine pour l’action Eichmann.

La fiction du transfert, c’est-à-dire de la déportation, maintenue du début à la fin chez les Juifs et le personnel convoyeur et l’utilisation de personnes de confiance choisies parmi les victimes, rend possible cette chose inimaginable : l’assassinat de centaines de milliers de personnes, sans que rien ne filtre à l’extérieur. Les environs sont comme le disent tous les témoins, déserts, vastes et semés de cheminées d’usines. Je me dispenserai d’énumérer toutes les ruses horribles qu’on employait pour tromper les victimes d’abord, et aussi le monde extérieur et le personnel lui-même.

Je me permets de mentionner à cet égard la déclaration du témoin von Thadden qui, sur l’ordre du ministère des Affaires étrangères, a visité des camps accompagnés de nombreux étrangers, afin que ceux-ci et lui-même puissent se persuader que les plaintes étaient sans fondement. Theresienstadt fut également l’objet d’une visite ; ce camp devait être le modèle d’une de ces colonies fermées que l’on avait prévues pour les Juifs, et on y a trouvé tout en bon ordre, comme l’a confirmé le témoin. En 1942 fut publiée une loi sur la création d’une colonie à Theresienstadt dans le Protectorat (document SS-95). Tout le monde était bien obligé d’admettre que ce que l’on disait au sujet du transfert, était exact. Pourquoi n’en aurait-il pas été de même pour le SS qui n’avait rien à voir avec ces choses par son service et n’en savait pas plus que les autres ? Le fait que ce prétendu transfert et, qui était à proprement parler une déportation, soit à lui seul un crime au sens du Statut, est une autre question, qui sera traitée plus tard.

Il ne faut en tout cas pas oublier qu’on était en guerre. Les hommes des Waffen SS étaient, dans leur grande majorité, constamment au front. Les témoins Brill et Blume ont indiqué le chiffre d’environ 580.000 pour les effectifs à la fin de la guerre.

Occupés complètement par leurs tâches militaires, ils ne savaient rien de ce qui se passait dans leur dos. En admettant qu’ils aient su que des hommes portant le même uniforme assuraient le service des camps de concentration, ils se sentaient complètement étrangers à ces gens et n’avaient aucun rapport avec eux, ni intérieur, ni extérieur (témoin Hauser, affidavit Gille, affidavit Steiner). Il était très rare que des membres du personnel des camps de concentration fussent envoyés au front.

Le fait qu’il n’existât pas en Allemagne d’information libre, trouvait son complément nécessaire dans l’interdiction, sous peine de sanctions graves, de l’importation de journaux étrangers et de l’écoute de postes émetteurs étrangers. Cette mesure gouvernementale fut en général appliquée avec succès. Les affirmations officielles selon lesquelles les services d’information étrangers n’utilisaient que des mensonges de propagande trouvaient également un écho dans les Waffen SS, car il avait été possible de constater, que certaines informations ennemies étaient contraires à la vérité. C’est ce que l’accusé Fritzsche a montré.

Ce système d’interdiction fut complété par une propagande allemande officielle, positive et bien calculée. Himmler lui-même, en 1942, déclara dans un discours prononcé à l’École de cadres de Tölz, que dans les camps de concentration ne se trouvaient, la plupart du temps, que des éléments criminels qui devaient être éduqués par un travail positif et qui, grâce à un traitement correct, devaient devenir utiles à leur peuple (affidavits SS-119 à 122 von Saucken). Cette affirmation était d’autant plus vraisemblable que le manque d’hommes, qui se faisait de plus en plus sentir en Allemagne obligeait à épargner soigneusement chaque vie humaine et à utiliser toute la main-d’œuvre disponible. L’affidavit Rothemund (affidavit SS-12) offre un exemple manifeste, montrant comment les raisons invoquées apparaissaient comme particulièrement valables aux services intéressés parce qu’elles inspiraient confiance. Ce témoin a déclaré qu’il avait été adjoint du chef du service du personnel SS auprès du RSHA, Amt IV et du WVHA, Amtsgruppe D, et qu’en cette qualité, il avait demandé, à la fin de 1943, si les bruits concernant l’assassinat des Juifs étaient exacts. On lui répondit qu’il s’agissait d’un thème caractérisé de propagande ennemie. Le WVHA ajouta que les détenus étaient une main-d’œuvre Indispensable à l’industrie d’armement et à laquelle l’Allemagne ne pouvait renoncer.

Les services les plus hauts placés dans le Reich ne pouvaient pas eux-mêmes se renseigner sur ces faits. Le témoin von Thadden a montré en détail avec quel raffinement Eichmann, jonglant avec la vérité et le mensonge, avait su tromper le ministère des Affaires étrangères. Les visites que fit le témoin dans- les camps de Juifs, soit seul, soit en compagnie de représentants des pays neutres et de la Croix-Rouge, ne firent naître aucun soupçon au sujet des exécutions massives. Eichmann sut empêcher que de nouvelles enquêtes eussent lieu dans d’autres camps où on avait réellement exterminé des Juifs en affirmant, sans crainte d’être contredit, que dans ces camps, on travaillait à des commandes de l’industrie d’armement qui devaient être gardées strictement secrètes, à savoir la construction d’armes de représailles et que par conséquent, on ne pouvait avoir accès dans les camps.

J’ai, de plus, apporté des preuves selon lesquelles la Gestapo communiqua, en 1942 ou 1943, au ministère de la Justice que les bruits concernant l’extermination des Juifs dans les territoires de l’Est étaient pure invention ; cette communication fut faite à Kuhn, chargé des poursuites pénales contre les personnes répandant des bruits, en réponse à une demande officielle. L’affidavit a été rejeté par la commission parce qu’il ne concernait pas les SS. Je demande que le document soit autorisé ultérieurement.

L’accusé Fritzsche a également donné au cours de sa déposition de nombreux exemples montrant comment, ayant, grâce à son poste élevé, eu connaissance de bruits concernant l’extermination des Juifs, ne réussit pas à en obtenir confirmation ; bien au contraire, ses enquêtes le firent aboutir à la conclusion inverse.

Rien n’a jusqu’ici prouvé que la masse des SS ait eu connaissance de l’activité des Einsatzkommandos.

Et pour réfuter l’affirmation selon laquelle ils auraient connu les expériences biologiques poursuivies dans les camps de concentration je n’ai besoin que de renvoyer au fait, qui me paraît grotesque, qu’on a procédé ici à une audition des preuves sur la connaissance qu’en avait l’accusé Göring. Je pourrais exposer à ce sujet que ces expériences n’ont eu lieu que dans quelques camps, que, selon quelques affidavits, elles ne furent faites qu’avec le consentement des détenus. Je ne le ferai pas, car je ne veux pas du tout défendre cette entreprise et je ne veux pas éveiller non plus l’impression que je veux le faire. Il me suffit de renvoyer à la discussion sur les connaissances qu’en avait Göring ou son ignorance de ces faits et à la question des preuves apportées ou non en faveur de SS inconnus. Il ne me semble pas douteux que l’entreprise d’expériences criminelles et la connaissance qu’en avait le chef administratif de l’Ahnenerbe, le témoin Sievers, ne peuvent être imputées à la charge des membres et des’ collaborateurs de l’Ahnenerbe, ces expériences représentant 1 % peut-être de l’ensemble des recherches effectuées par cet institut.

Enfin, à propos de ces questions de la connaissance des crimes je voudrais encore citer ce que j’ai lu dans les Berliner Blätter , cahier 1, 1946, dans un article d’Oscar Goetz situé à la page 54 et intitulé « Le Juif dans le IIIe Reich ».

« Les exécutions par les gaz à Auschwitz, les autres atrocités commises dans les camps de la mort de Mauthausen, Maidanek, Ravensbrück et Buchenwald n’étaient considérées dans le camp de Theresienstadt par exemple, que comme des bruits sur des faits démesurément grossis. Nous n’avons appris à Theresienstadt qu’au printemps de 1945 ce qui s’était réellement passé à Auschwitz, lorsque quelques rares survivants revinrent chez nous après la dissolution d’Auschwitz. Il faudra être objectif et vouloir l’être pour juger équitablement les hommes. Aucun coupable ne doit échapper à la peine, mais aucun innocent ne peut être chargé d’une faute.

« Et pour calmer les esprits à l’avenir, il serait urgent ici de montrer plus d’objectivité. »

Je souhaiterais que cet exemple d’objectivité dont fait preuve un homme qui a été humilié par le régime nazi, y compris les SS, puisse être suivi.

Si l’on arrivait donc à la conclusion qu’à part les coupables qui peuvent être déterminés sûrement ou approximativement — le témoin docteur Morgen a indiqué certains milieux de coupables dans les camps :de concentration — la grande masse des SS n’a pas eu d’idée concrète sur des crimes, mais qu’elle a été, dans son ensemble, au courant de déportations par exemple — comme les autres Allemands — ce fait même ne serait alors criminel, au sens de l’article 60 du Statut que s’il s’était produit en liaison avec une guerre d’agression. J’ai déjà dit que la masse des SS n’avait pas conscience de mener une guerre d’agression. Messieurs les juges, le Président Roosevelt, le 25 octobre 1941, à la suite d’exécutions d’otages par les autorités allemandes d’occupation, a déclaré dans un discours :

« Les nations civilisées reconnaissent depuis longtemps le principe selon lequel personne ne peut être puni pour les actes d’un autre. »

Le 28 février 1946, Justice Jackson a dit : « Le but à atteindre en déclarant criminelles les organisations, est de sanctionner l’aide apportée à ces crimes, bien que les coupables proprement dits ne puissent jamais être trouvés ni identifiés. »

Est-il vraiment impossible de les trouver ? Le grand nombre de procès menés par les tribunaux militaires alliés pour les crimes commis dans les camps de concentration et qui ont abouti à cent cinquante-trois condamnations à mort sur deux cent quarante et un accusés, ne prouvent-ils pas le contraire ? L’Accusation peut-elle prétendre qu’elle n’a pas encore trouvé les véritables criminels bien qu’elle ait pu disposer, de toutes les personnes qui ont été mêlées aux événements des camps de concentration et qui sont depuis plus d’un an en prison, à titre de membres d’organisations ou à titre individuel, et les utiliser comme témoins ? Tous les dossiers et documents sont également aux mains des Alliés.

Malgré cela et malgré le désaccord entre ces deux citations — Roosevelt-Jackson — je me placerai un moment au point de vue de l’Accusation et admettrai l’existence de cette criminalité collective. Mais dans ce cadre même, il faut observer le principe suivant lequel personne ne peut être puni pour une action qu’il n’a pas commise. Cela signifie en effet que dans ce cas, le cercle des accusés doit être restreint le plus possible.

Cette limitation peut avoir lieu dans deux directions, soit au choix, soit de manière simultanée :

1. Au point de vue de l’étendue de la responsabilité, c’est-à-dire du poste occupé ou du grade.

2. Au point de vue des subdivisions de l’organisation désignée habituellement sous le nom de SS.

A mon avis, le Ministère Public a déjà fait cette première délimitation pour l’accusation portée contre le Parti et le Gouvernement. Dans le Parti, seuls les dirigeants politiques doivent être condamnés et au sein du pouvoir exécutif de l’État allemand, seul le Gouvernement du Reich. Mais à propos die la délimitation des responsabilités, il faut bien distinguer entre responsabilité morale et responsabilité juridique. Il faut poser la question suivante : qu’aurait dû faire un individu détenant une fonction officielle dans le cas où il commettait des crimes sur ordre ou, plus simplement était au courant de la commission de crimes ? Que pouvait-on attendre de lui ? La délimitation d’après les subdivisions de l’organisation correspond au fait que j’ai signalé dans mon exposé — et dont je prie le Tribunal de prendre connaissance, puisque j’ai dû sauter certains passages — à savoir que ces subdivisions avaient des domaines d’activité complètement séparés les uns des autres et qui, aussi, en ce qui concerne la connaissance des activités ou des crimes, différaient sensiblement les uns des autres.

On pourrait aussi imaginer une classification d’après le début et la fin de l’appartenance au Parti et ceci permettrait en même temps d’excepter collectivement les membres incorporés. Mais même dans le cas d’une condamnation limitée de cette manière, il me paraît absolument nécessaire, étant donné les graves conséquences de la loi n° 10, d’exprimer dans le jugement ou dans l’exposé des motifs l’accompagnant, que le membre individuel a le droit d’élever toute objection, à l’exception de celle prévue par l’article 10. Je voudrais enfin indiquer un obstacle formel qui s’oppose à la condamnation demandée : le sens du caractère accessoire die la condamnation d’un membre d’une organisation en tant qu’accusé individuel de cette organisation d’après l’article 9, me paraît être le suivant : une organisation ne doit être rendue responsable de l’activité d’un accusé individuel qui en était membre, que si, entre l’acte de l’accusé individuel et son organisation, il existe un lien tel que, pour des raisons juridiques, il semble nécessaire de rendre responsable en même temps l’organisation. Un tel lien causal n’existe que si l’accusé individuel a commis l’acte en tant que membre de l’organisation, que ce soit en réalisant ainsi les buts de l’organisation ou en se servant de l’organisation pour l’exécution de cet acte. Justice Jackson a dit le 28 février 1946 :

« Les accusés individuels au moins : l’un d’entre eux, doivent avoir été membres de l’organisation et être condamnés pour un acte au moyen duquel le caractère criminel de cette organisation peut-être établi. »

Si cela est appliqué à l’organisation SS que je représente, cela signifie : une organisation SS ne peut être déclarée criminelle que si l’un au moins des accusés en a été membre et a été condamné pour un crime qui a ou été exécuté à l’aide de son organisation, ou bien peut être considéré comme une conséquence des buts fixés à son organisation et a été commis pour les réaliser.

A part une exception dont je parlerai encore, les accusés individuels ont été traduits devant le Tribunal pour des actes qu’ils ont commis en leur qualité de chefs des postes les plus importants de l’État et du Parti, mais non pas de postes SS, ni dans l’exercice de leurs fonctions dans cette organisation. Le fait que quelques uns d’entre eux aient eu accessoirement des grades honorifiques dans l’une ou l’autre des organisations SS ne suffit pas pour rendre responsables les organisations SS de faits à l’exécution desquels elles n’ont nullement participé et qui ne faisaient pas non plus partie de leurs tâches. L’accusé Kaltenbrurmer pourrait constituer une exception. En sa qualité de chef de la Police de sûreté, c’est-à-dire de la Police criminelle et de la Gestapo, et du SD, il est accusé pour des actes qui ont été commis à l’aide du SD. Mais on ne peut en accuser les organisations SS, La Police criminelle n’est pas accusée. La Gestapo fait l’objet d’une accusation particulière. Il faut aussi considérer comme indépendante l’accusation portée contre le SD. Il est vrai qu’à l’origine elle était liée à celle portée contre les SS, mais le SD a bientôt obtenu un défenseur et a été traité, pendant tout le Procès de manière distincte. Au point de vue de l’organisation, le SD et les SS étaient séparés depuis 1934. En admettant qu’au point de vue formel, une condamnation de Kaltenbrunner permette tout au plus la condamnation des organisations Gestapo et SD, — sur la défense desquelles je ne veux pas anticiper — elle ne permettrait pas pour autant celle des SS. Au point de vue de la technique de la procédure, je me permets d’indiquer encore qu’il n’a jamais été demandé aux accusés si, et jusqu’à quel point, ils avaient commis les actes qui leur sont reprochés pour le compte des SS ou en tant que membre des SS. Cela me semble constituer une lacune.

J’arrive à la fin de ma plaidoirie, Messieurs ; les juges, et vous demande un instant encore d’attention : je disais dans mon introduction que ce Procès était le plus grand des procès criminels mais il n’en est pas moins un procès criminel. Et c’est pourquoi je pose cette question : quels peuvent être, quels seront au point de vue juridique les buts d’une condamnation ? La réponse est la réponse traditionnelle : représailles et intimidation.

Certes, il est nécessaire d’intimider le peuple allemand et en particulier les anciennes- formations nazies, mais aussi tous les peuples du monde qui pourraient un jour succomber à la tentation de la dictature et des méthodes anti-démocratiques et de leur montrer les conséquences graves de la violation du Droit international, du Droit universel nouveau qui est maintenant établi par le Statut. Ce Procès doit être un dernier avertissement à tous ceux qui ne veulent pas entendre l’exigence du monde et de tous ces citoyens pacifiques qui demandent la liberté de parole et de religion, la liberté contre la misère et la peur. La guerre, les conséquences terribles de la défaite, l’arrestation de centaines de milliers de personnes en dehors des prisonniers de guerre, les mois douloureux des délibérations de ce Tribunal, le contrôle et les limitations politiques, tous ces faits s’imposent à nous de telle manière qu’ils auront pour tous l’effet que nous espérons.

Mais avant tout, Messieurs les juges, vous dont les Armées ont libéré l’Allemagne de la tyrannie du nazisme, libérez maintenant le monde de la malédiction de la vengeance. Le monde ne peut guérir que si l’on en finit une bonne fois avec les mots d’ordre de haine contre les races, les peuples, les classes ou les partis.

Je dis cela, bien que je sache qu’il y a, aussi bien que du côté des Alliés, de nombreux SS qui ne comprennent pas le sens de mes paroles. Mais eux aussi reconnaîtront un jour la vérité éternelle de ces mots : « Ce n’est pas pour haïr, mais pour aimer que nous existons. »

Et je voudrais ainsi résumer la défense des SS : j’accuse chacun des meurtriers et des criminels qui ont appartenu à cette organisation ou à une de ses parties et ils sont nombreux. Je demande l’acquittement des milliers, des centaines de milliers d’hommes qui ont servi en toute bonne foi et qui ont été trompés moralement et métaphysiquement, mais ne sont pas coupables au point de vue criminel de la faute qui pèse aujourd’hui lourdement sur le peuple allemand. Mais je lance un avertissement, un avertissement au monde et à ses juges, afin qu’ils ne commettent pas une injustice massive ayant forme légale, afin qu’ils ne créent pas une masse de damnés et de réprouvés au cœur de l’Europe. Je lance cet avertissement, afin que les aspirations de tous les peuples et de tous les hommes soient exaucées. Dieu bénisse votre jugement !

LE PRÉSIDENT

Je crois que c’est le tour du SD.

Dr GAWLIK

Je me conformerai strictement aux décisions du Tribunal et ne lirai qu’une partie de mes déclarations. Monsieur le Président, Messieurs les juges, je ne considère pas comme de mon devoir, en tant que défenseur du SD de trouver des excuses aux injustices qui ont été commises ni de soustraire aux sanctions ceux qui en sont responsables.

Dans la procédure engagée contre le SD il n’importe pas de savoir si des individus, doivent être punis pour des crimes qu’ils ont commis, mais bien plutôt de décider si à la lumière des preuves produites ; 3.000 fonctionnaires officiels et 30.000 personnes occupant des postes purement honorifiques et qui se trouvaient groupées sous la désignation SD dans les services III et VI, peuvent être considérés comme criminels.

Je n’ai à m’occuper que de cette seule question. J’ai à examiner si le réquisitoire qui a été dressé par l’Accusation contre le SD est justifié sur la base du Statut et, dans la mesure où ce dernier le permet, sur la base du Droit international des Droits nationaux et des principes de Droit développés par la jurisprudence.

Je prendrai d’abord position sur les problèmes de Droit pour discuter ensuite, dans la deuxième partie de mon exposé, de la situation de fait réelle, en tenant compte des résultats de l’examen des preuves.

La première partie se décompose en deux sections : je traiterai en premier lieu des questions juridiques matérielles et en second lieu des questions juridiques relatives au Procès.

Dans la partie traitant des questions juridiques matérielles, j’examinerai d’abord la notion des organisations et des groupes par rapport au SD. Je passerai ensuite en revue a) les conditions qui doivent être remplies, afin qu’une organisation ou un groupe puisse être déclaré criminel ; b) les conséquences qui résultent de ces constatations. Enfin j’examinerai : c) Si le principe nulla pœna sine lege s’oppose à une condamnation du SD.

1. Je commencerai par tirer au clair le mot « SD » service de sûreté. Ce mot n’avait pas de signification précise. On entendait d’abord par SD : a) Le SD en tant que formation SS : b) Les offices III, VI et VII. •

C’étaient là deux groupes de personnes totalement différents, comme il ressort de l’audition du témoin Hoeppner.

a) Appartenaient au SD en tant que formation SS tous les membres des SS ou les aspirants SS qui avaient une occupation à la Police de sûreté ou dans d’autres organisations de caractère policier telles que la protection douanière ou dans le service d’informations du SD. Ce SD, formation SS, n’avait ni missions, ni buts. Il n’exerçait non plus aucune activité en vue d’atteindre un but commun. Ses membres ne se réunissaient jamais dans un service ou pour toute autre activité commune. Ils n’avaient aucun sentiment de cohésion puisqu’ils accomplissaient leur service indépendamment les uns des autres dans différentes organisations. Je me réfère à ce sujet aux déclarations du témoin Hoeppner devant la commission et devant le Tribunal.

Il s’agissait d’une simple liste d’ensemble de membres des SS et d’aspirants SS qui appartenaient à certains groupes professionnels.

Les membres de cette formation particulière SS qu’était le SD portaient l’uniforme SS avec l’insigne « SD » sur la manche gauche.

On ne pouvait donc les distinguer extérieurement, suivant les différentes sections auxquelles ils appartenaient.

b) En ce qui concerne les offices : les offices III, VI et VII étaient : le service de renseignements intérieur, le service de renseignements extérieur et la recherche scientifique. Ils formaient, à l’office principal de sûreté du Reich (RSHA) créé en 1939, les offices SD par opposition à ceux de la Police de sûreté, IV et V. L’office VI fut rattaché le 12 novembre 1944, avec le service du contre-espionnage militaire, au service secret d’informations allemand unifié. Je me réfère sur ce point au document SD-1 et à l’affidavit Schellenberg, SD-62.

En outre existait le service de sûreté du Reich qui était autre chose et avait pour charge de constituer l’escorte des dirigeants de l’État. Cette organisation ne dépendait pas du RSHA et n’était pas non plus une organisation SS. Le service de sûreté du Reich était sous les ordres du Brigadeführer Rattenhuber, dont Himmler était le supérieur immédiat.

Sont accusés les offices III et VI de l’Office principal de sûreté du Reich, les services de renseignements intérieur et extérieur.

Bien que compris avec les offices III et VI dans : le SD, l’office VII n’est pas accusé. Je me réfère sur ce point au procès-verbal de la commission du 23 juillet 1946. Quand je parlerai désormais du SD, j’entendrai uniquement par-là les offices III et VI sur lesquels porte l’Accusation.

Les offices III et VI du RSHA n’ont été créés qu’en septembre 1939. Formellement l’Accusation ne peut donc partir que de cette époque. En contradiction avec ce fait, des accusations ont pourtant été élevées contre le SD pour la période qui précède. C’est pourquoi, contrairement au texte formel de l’Accusation, je mentionnerai également dans mon exposé la période antérieure.

Les offices III et VI n’ont pas été accusés individuellement mais en tant que partie des SS.

Le Ministère Public considère par conséquent les SS comme une organisation ou un groupe selon l’article 6 du Statut et le SD comme une partie de cette organisation ou de ce groupe.

Est-ce juste ?

Pour répondre à cette question il est nécessaire de considérer les définitions d’organisation et de groupe au sens du Statut.

Les Procureurs Généraux américain et anglais, dans leur exposé du 28 février 1946, ont considéré les conditions suivantes comme nécessaires pour la détermination du concept d’organisation : 1. Une union de personnes ayant entre elles un lien reconnaissable ; 2. Un but général collectif ; 3. Une adhésion volontaire.

Cette définition qui correspond également à la jurisprudence allemande, constituera la base de la suite de mes explications. La décision revient donc à savoir si, entre SS et SD existaient : a) Un lien reconnaissable ; b) Un but général collectif.

On peut y répondre affirmativement pour la période allant jusqu’à fin 1933, début 1934. A ce sujet j’attire particulièrement votre attention sur la déposition du témoin Hoeppner.

Pour cette période, les déclarations du défenseur des SS valent également pour le SD, et c’est pourquoi je ne ferai aucune déclaration de principe pour cette époque.

C’est pourtant par la négative qu’on doit répondre pour l’époque ultérieure à la question de savoir, si un lien reconnaissable existait entre SS et SD. Le RSHA n’était pas, comme l’a affirmé le Ministère Public, un des services du commandement suprême SS. Il n’est pas non plus exact que le service central de sûreté du Reich fût un service des SS. Sur ce point l’Accusation se contredit elle-même car la Police secrète d’État, l’office IV du RSHA est accusé non comme appartenant aux SS, mais à titre particulier.

Lorsque, dans l’Acte d’accusation contre les SS, page IX, il est exposé que le SD est une section d’espionnage des SS il s’agit vraisemblablement, dans la mesure où il est question d’un service des SS, d’une confusion avec la formation spéciale SD des SS.

Il n’y eut après 1934, pour le SD et les SS, aucun commandement suprême commun. Ce lien entre les SS et le SD essentiel au concept d’organisation, n’a pas non plus été réalisé dans la personne de Himmler, car sinon ce lien reconnaissable aurait dû exister également avec la Police et même, depuis 1944, avec l’Armée de réserve.

Il est exact que Himmler s’efforçait de réunir SS, SD et Police par la création d’un corps de protection de l’État. Il s’agit pourtant là de projets d’avenir qui n’ont pas été réalisés.

Ce lien nécessaire n’a pas été établi non plus par les chefs supérieurs des SS et de la Police, car les chefs supérieurs des SS et de la Police ne disposaient en aucune manière du droit de donner des ordres aux fonctionnaires des services III et VI et cela aussi bien en matière technique qu’en matière disciplinaire.

Le lien reconnaissable nécessaire au concept d’organisation ne pouvait pas avoir existé depuis 1934, pour la simple raison que 10% seulement des membres actifs et honoraires de l’organisation du SD étaient membres des SS. 90% n’étaient pas membres des SS et ne portaient donc pas l’uniforme SS de la formation spéciale SD, avec l’insigne SD. Pendant la guerre environ 50% des membres du SD étaient des femmes.

Abstraction faite du lien reconnaissable nécessaire entre SS et SD il n’existait pas après 1934 un but collectif général. Je me réfère à ce sujet à la déposition du témoin Hoeppner. Ainsi ce n’est que jusqu’en 1934 que le SD constitua une partie des SS en tant qu’organisation, au sens de l’article 9 du Statut. Après cette date, SS et SD n’étaient plus réunis en une même organisation au sens du Statut. Les SS et le SD ont-ils, à partir de 1934, formé un groupement au sens de l’article 9 du Statut ?

On peut se demander si le législateur a vraiment voulu établir une distinction juridique entre « groupe » et « organisation ». La teneur de l’article 9 du Statut pourrait s’opposer à une telle différenciation. Il y est dit que les groupes et organisations peuvent être déclarés organisations criminelles. Le groupe doit donc être également déclaré organisation criminelle.

Si l’on admet cependant une différence il convient de préciser ce qui suit : L’Accusation a indiqué que la notion de « groupe » était empruntée au langage courant. Pour l’interprétation de cette notion c’est également au simple bon sens qu’il faut faire appel. Dans le langage courant, on entend par groupe une communauté de personnes numériquement faible. On parle de groupe lorsqu’il s’agit de quinze à vingt personnes et non quand il s’agit d’associations plus importantes. On dit qu’au sein d’un parti, d’une association, des groupes peuvent se former. Dans le langage courant, le groupe constitue une partie d’une organisation. Le groupe est donc un élément de l’organisation.

A ce sujet je voudrais rappeler une décision de la cour suprême du Reich du 8 mai 1922. Dans cette décision il est précisé que parmi les membres d’un grand rassemblement de personnes poursuivant le même but, il peut se former un groupe, qui s’est fixé pour tâche de poursuivre un but déterminé. Ceci peut se produire, en particulier, quand un grand rassemblement de personnes poursuit, avec des moyens licites, des buts licites, mais qu’une partie des membres — - peut-être sans que les autres en aient connaissance — se sont réunis en vue de tenter par des moyens illicites d’atteindre les buts poursuivis, par la totalité.

L’article 9 du Statut pourrait donc être interprété comme suit : Peuvent, être déclarés criminels : 1. Une organisation ou, 2. Un groupe en tant que fraction d’une organisation.

Depuis 1934, le SD ne pourrait être considéré comme un groupe que s’il avait constitué une partie des SS. Comme je l’ai déjà dit. il n’en est rien.

Conclusion. Le SD ne constituait pas, depuis 1934, une partie des SS, en tant qu’organisation ou groupe, au sens de l’article 9 du Statut.

J’arrive à une autre question : Les offices III et VI constituaient-ils une organisation ou un groupe homogène ou étaient-ils deux organisations séparées, au sens du Statut ?

Les offices III et VI n’avaient entre eux ni lien reconnaissable, ni but général commun. Ceci vaut aussi bien pour la période postérieure à 1939, où les offices III et VI étaient rattachés au RSHA que pour la période précédant cette date où ils étaient rattachés au service principal du SD. L’office III était le service de renseignement intérieur, l’office VI le service de renseignement pour l’étranger. Sur la base des documents produits, on peut considérer comme prouvé que les buts, les tâches, l’activité et les méthodes des offices III et VI n’avaient rien de commun.

La réunion des offices III et VI au sein du RSHA ne suffit pas pour établir un lien reconnaissable et une communauté de tâches générales entre les deux services. La Gestapo, Amt IV, et la Police criminelle, Amt V faisaient également partie du RSHA. La Gestapo est considérée à juste raison par le Ministère Public, comme une organisation autonome et est accusée comme telle. L’Accusation adopte manifestement le même point de vue en ce qui concerne la Police criminelle qui n’est pas accusée. Si la Gestapo et la Police criminelle n’ont pas perdu leur caractère d’autonomie par leur réunion au RSHA, la réunion des services III et VI au sein, du même organisme ne constitue pas le lien reconnaissable établissant la preuve de l’existence d’une tâche commune à ces deux services. Le RSHA n’était que la désignation du service. Je me réfère sur ce point à la déposition du témoin Best.

Le SD n’était donc pas une organisation homogène au sens du Statut, mais au contraire les services III et VI ne pourraient avoir été que deux organisations distinctes, si l’autre condition préliminaire, c’est-à-dire la liberté d’adhésion était remplie.

Selon l’exposé du Ministère Public il n’est pas indispensable que chaque membre ait été volontaire. Le Ministère Public considère comme sans importance le fait qu’une petite fraction ou un faible pourcentage n’ait pas adhéré volontairement. Je rappelle à ce sujet que cette conception du Droit ne concorde pas avec la jurisprudence allemande. Dans une décision prise en 1928, le tribunal du Reich a exigé pour l’association, qui pourrait correspondre à l’idée d’organisation au sens du Statut, la réunion volontaire et contractuelle de tous ses membres.

Je ne m’attacherai pas au point de savoir si on peut considérer existante une organisation dans le cas où un faible pourcentage de ses membres n’y a pas adhéré volontairement et sur la base d’un contrat, étant donné que ce fait n’intéresse pas le SD.

L’examen des preuves a établi que pendant la guerre l’appartenance au SD d’une partie considérable de ses membres n’était pas volontaire, mais reposait sur des dispositions légales telles que le travail obligatoire (Dienstverpftichtung — Notdienstverpflichtung). Je me réfère à la déposition du témoin Hoeppner qui a déclaré que pendant la guerre, approximativement 50% à 60% des membres du SD appartenaient à cet organisme, en vertu d’une ordonnance légale.

Ces indications sont confirmées par les déclarations sous la foi du serment desquelles ressortent en moyenne, pour les services les plus différents, les mêmes pourcentages. A ce sujet j’attire l’attention du Tribunal sur la liste d’ensemble des déclarations sous la foi du serment que j’ai ’déposée.

Les dispositions légales, sur lesquelles reposent le travail obligatoire depuis 1939, ressortent des documents SD 65 à 69 que j’ai déposés. A ce sujet, j’attire en particulier l’attention sur le document SD-65 qui reproduit la circulaire du 16 octobre 1940 dans le décret du 1er juillet 1942. Cette circulaire précise formellement que les sections directrices du SD peuvent exiger pour leurs besoins la mise à leur disposition de main-d’œuvre de remplacement, et de complément.

Même les adhérents volontaires du SD n’avaient pas au cours de la guerre la possibilité de démissionner. Je me réfère sur ce point à l’affidavit SD-22. Il est, donc inexact, de la part du Ministère Public, de déclarer que l’adhésion au SD était volontaire.

En se basant sur la conception de Droit que représente le Ministère Public, on ne saurait considérer les offices III et VI, pour la durée de la guerre, comme des organisations au sens du Statut.

Ils n’étaient pas davantage des groupes au sens du Statut parce que, même pour le groupe en tant que partie d’une organisation les caractéristiques de l’organisation et par conséquent le caractère volontaire de l’adhésion à l’organisation sont nécessaires.

On peut donc conclure ce qui suit :

1. Jusqu’en 1934 le SD était un élément des SS ; 2. Pendant la période de 1934 à 1939 les services de renseignements intérieur et extérieur étaient deux organisations séparées ; 3. Depuis 1939, ils n’étaient plus des organisations ou des groupes au sens du Statut parce que l’appartenance d’une grande partie des membres reposait sur un ordre légal.

J’en viens maintenant à la question de savoir quelles conditions doivent être remplies pour qu’une organisation puisse être déclarée criminelle.

1. Le Ministère Public a exposé que l’organisation doit poursuivre : a) Soit un but condamnable aux termes de l’article 6 du Statut ; b) Soit un but licite, mais à l’aide de moyens punissables aux termes de l’article 6 du Statut.

Le Ministère Public exige en outre la preuve de la culpabilité des membres ; c’est-à-dire que les membres doivent avoir su que les organisations poursuivaient des buts condamnables aux termes de l’article 6 ou des buts licites mais à l’aide de moyens punissables aux termes de l’article 6.

D’après l’exposé du Ministère Public, toutefois, une organisation peut également être déclarée criminelle lorsqu’une partie seulement de ses membres était instruite de ses buts criminels.

Cette opinion ne peut être admise.

M. le professeur Dr Exner a exposé d’une manière détaillée et convaincante, dans sa plaidoirie pour l’accusé Jodl, que l’acte en soi n’est pas un crime et qu’il faut que la faute s’y ajoute. Sans faute pas de peine. A ce propos, le professeur Dr Exner a établi que cette phrase se rencontrait également dans des verdicts étrangers. Je me réfère donc à ces déclarations du professeur Dr Exner et ne ferai que renvoyer à la loi américaine du 28 juin 1940 déjà mentionnée et citée par le Ministère Public pour prouver que des organisations peuvent être déclarées criminelles. Cette loi requiert expressément la connaissance des buts illégaux.

Dans le Droit anglais également, c’est une règle générale qu’une personne ne peut faire l’objet de poursuites pénales quand on ne peut pas prouver qu’il y a faute.

Le point de vue du Ministère Public, selon lequel la connaissance d’une partie des membres suffit à faire condamner l’organisation, pourrait être soutenu si la loi n° 10 était différemment conçue, c’est-à-dire dans le cas où la procédure permettrait d’établir, en vertu de la loi n° 10, si les membres individuels avait connaissance des buts et activités criminels de l’organisation.

Ce n’est toutefois pas le cas. D’après la loi n° 10 tout membre sera puni pour le seul fait d’avoir appartenu à une organisation déclarée criminelle. Ils ne pourront donc, dans les procès suivants faire valoir qu’ils n’auraient pas été au courant des ; buts et intentions criminelles. Le point de vue représenté par le Ministère Public conduirait ainsi à ce que, dans les procès suivants, des personnes soient condamnées qui n’ont eu aucune connaissance des buts ou activités criminelles.

Ceci contredirait le principe juridique élémentaire énoncé par les différents Droits pénaux du monde entier et selon lequel, pour infliger une peine, la preuve de faits objectifs ne suffit pas : la preuve de la faute est nécessaire elle aussi. Aussi, puisque dans les procès suivants on ne pourra plus procéder à l’examen de la culpabilité, il faudrait, au cours du présent Procès, établir devant le Tribunal Militaire International la preuve de la culpabilité de tous les membres. Ce n’est que dans la mesure seulement où cette culpabilité sera établie que l’on pourra déclarer criminelle l’organisation ou des groupes isolés considérés comme parties constituantes de l’organisation.

Pour qu’il y ait faute, il faut aussi qu’il y ait conscience de l’illégalité. Sur ce point également je me réfère à l’exposé du professeur Dr Exner qui a montré de façon convaincante que tout crime grave — et c’est uniquement de crimes graves qu’il s’agit ici — ne comporte pas la conscience de commettre un acte répréhensible, mais qu’il est injuste d’agir ainsi. Le coupable devrait avoir conscience de contrevenir à une loi ou du moins de mal agir d’une manière générale. Le professeur Dr Exner a établi aussi que ce n’étaient pas là des pensées qui dominaient le seul code pénal allemand et il a cité nombre d’exemples tirés du Droit anglais.

Les membres ne doivent donc pas seulement avoir été instruits des buts ou des méthodes des organisations remplissant les conditions de l’article 6 du Statut, ils doivent encore avoir eu conscience que ces buts ou ces méthodes relevaient de l’illégalité ou tout au moins de l’injustice. A ce propos se pose de nouveau la question de savoir s’il est nécessaire que tous les membres ou une partie seulement d’entre eux en aient eu conscience. Pour les raisons que j’ai déjà données, seul peut être puni celui qui a eu ce sentiment de l’illégalité, or dans les procès suivants, on ne pourra plus examiner si ce sentiment a existé ; il faut donc que cela soit établi pour tous les membres au cours de ce Procès, sinon, en vertu de la loi n° 10, des membres qui n’ont pas éprouvé ce sentiment pourraient être punis. Renoncer aux critères de cette conscience de l’illégalité serait poser des conditions par trop sévères aux simples membres de ces organisations.

La conscience de l’illégalité peut faire défaut, du fait que le coupable obéissait à un ordre reçu.

Les dispositions de l’article 8 du Statut rejettent uniquement l’ordre reçu comme motif général de non-condamnation. Toutefois, dans certains cas particuliers, le fait d’avoir reçu un ordre peut exclure la conscience de l’illégalité. Celui qui a reconnu l’illégalité de son acte ne peut, aux termes de l’article 8, se réclamer d’un ordre reçu. Toutefois, si le coupable tient pour conforme à la loi et à l’équité l’acte qu’il a commis en exécution d’un ordre reçu, il doit bénéficier de l’impunité. La disposition de l’article 8 du statut ne peut avoir que ce sens et cette signification.

La question de savoir si le fait de se réclamer d’un ordre supérieur est un motif de non-condamnation a soulevé des controverses dans la littérature internationale. L’article 8 du Statut résout cette question litigieuse dans ce sens : le coupable ne peut pas se réclamer d’un ordre reçu. C’est pourquoi je ne considérerai pas de plus près cette question litigieuse. Mais tous les auteurs qui s’occupent de cette question partent du principe que le subordonné savait que l’ordre qu’il a reçu était contraire à la loi et illégal. Ils s’occupent simplement de la question de savoir si le subordonné, tout en sachant ce qui vient d’être exposé, bénéficie d’un motif excluant toute condamnation.

Il faut en conclure que s’il n’a pas cette connaissance, qui peut également reposer sur un ordre, le coupable ne sera pas puni.

Le Procureur Général français a déclaré également que l’ordre supérieur ne couvre pas un acte qui tombe de toute évidence sous le coup de la loi pénale.

On arriverait à un résultat illogique si on voulait également considérer comme inadmissible le fait de se référer à un ordre pour prouver qu’on ne saurait parler en l’espèce d’un acte contraire à la loi.

Celui qui a exécuté un acte sans ordre ne serait pas punissable s’il n’avait pas eu conscience d’avoir commis un acte contraire à la loi. Mais dans le cas où il aurait commis le même acte en vertu d’un ordre, il devrait être puni, si on ne partage pas l’opinion que je viens d’exposer. Une telle interprétation irait à rencontre du sens et du but du Statut.

Mais ces ordres peuvent également placer le coupable dans une situation de contrainte et exclure de ce fait la culpabilité.

C’est une règle générale du Droit anglais que celui qui a commis des crimes sous la contrainte, c’est-à-dire ne résultant pas d’une manifestation de sa volonté propre et délibérée n’encourt aucune peine. D’après le Droit anglais, cette protection devient également effective dans les relations officielles, telles qu’il en existe par exemple entre le pouvoir de l’État et ses sujets : l’obéissance vis-à-vis du pouvoir existant est considérée comme une excuse, lorsqu’il y a contrainte corporelle effective ou contrainte imminente.

J’arrive par conséquent à la conclusion suivante : une organisation ne pourrait être déclarée criminelle, que : 1. Si ses buts ou ses moyens remplissent les conditions édictées par l’article 6 du Statut ;

2. Si tous ses membres ont connu ces buts et ces moyens et ; 3. Si tous les membres avaient la conscience que ces buts étaient contraires à la loi ou injustes.

A ce point se posent deux autres questions :

1. L’une juridique, à savoir si la condamnation prononcée contre une organisation doit être prononcée en harmonie avec les principes généraux du Droit international et des droits nationaux.

2. L’autre de fait, à savoir si l’existence des éléments constitutifs de l’infraction peut être établie à l’égard de tous les membres du Service de sûreté et s’il est en ce cas possible d’avoir recours à une procédure de ce genre.

Avant de commencer la discussion de la question de Droit, je me permets d’attirer l’attention du Tribunal sur le fait que les dispositions de l’article 9 ne constituent pas une prescription impérative, mais simplement facultative. Même si toutes les conditions permettant de déclarer une organisation criminelle sont réunies, le Tribunal peut y renoncer. Il y a tout lieu de penser que le législateur a poursuivi un but déterminé en ne prescrivant pas de façon impérative la condamnation des organisations — même au cas où toutes les conditions sont réunies. On est ainsi amené à supposer que le législateur qui a rédigé le Statut voulait soumettre le paragraphe 9 à un examen, du point de vue des principes du Droit international.

Le rédacteur du Statut voulait ainsi, de toute évidence reconnaître aux juges du Tribunal Militaire International le droit de procéder à cet examen à l’égard de l’article 9 ; je spécifie expressément, pour éviter tout malentendu, qu’il ne s’agit que de l’article 9, car le Statut constitue à tous autres égards une norme impérative. Le Tribunal Militaire International devait donc apprécier si cette disposition constituait une extension des principes du Droit international et des Droits nationaux, ou si elle se trouvait en contradiction avec ces principes. Le fait qu’il s’agisse, avec l’article 9, d’une règle inconnue du Droit antérieur devrait être particulièrement en faveur d’une intention de ce genre. Cette question — à savoir si un Droit formel se trouve en contradiction avec d’autres lois — ne peut être résolue dès la publication de la loi. Ce n’est que par l’application pratique de la loi et grâce aux recherches auxquelles se livre la science que ceci peut être établi.

Le Droit public anglais, caractérisé par sa conception particulière de la constitution, ne reconnaît pas au juge le droit d’appréciation de la légalité d’un texte, pas plus d’ailleurs que celui de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques. En France, le droit de contrôle par le juge de la légalité d’un texte de loi est nié par la jurisprudence. Il est, en revanche, presque unanimement affirmé par la doctrine. Aux États-Unis, le droit de contrôle juridictionnel est unanimement reconnu. Les tribunaux des États-Unis doivent comparer à la constitution les lois publiées et rechercher l’intention véritable des deux droits.

Je crois que la communauté internationale des peuples se rapproche du régime fédéral des États-Unis, et que le Tribunal Militaire International a le droit de contrôler le rapport existant entre les dispositions de l’article 9 du Statut et les principes de Droit international généralement reconnus, ainsi que le Droit national des États, lesquels doivent, selon l’exposé de Justice Jackson, constituer en même temps le fondement juridique de la décision.

A cela s’ajoute, en ce qui concerne l’article 9, qu’il s’agit d’une prescription inconnue des droits antérieurs. On peut donc tout naturellement supposer — et ceci se passe de toute autre justification — que les États qui ont rédigé le Statut voulaient procéder à une extension des principes en vigueur du Droit international et leur donner une forme légale et qu’ils ne désiraient en aucune façon se mettre en contradiction avec les principes du Droit international.

Tout droit écrit suppose cependant une pénétration et un examen minutieux et scientifique, qui rendent possible son application raisonnable dans la pratique. Ce n’est qu’à cette condition que les tribunaux sont en état de prononcer des décisions réellement conformes aux faits.

Le Tribunal Militaire International devra donc, en vertu du droit de contrôle juridictionnel qui lui appartient, apprécier le rapport entre l’article 9 du Statut et les principes juridiques généraux du Droit international et ceux des Droits nationaux des États civilisés.

Il faut partir à cet égard de la signification juridique de la déclaration, admise par l’article 9 du Statut, suivant laquelle une organisation est criminelle.

Les dispositions de l’article 9 se distinguent de façon radicale du Droit pénal des associations tel qu’il a été introduit dans le Droit anglais, par exemple par la section 2 de Y Interpretation Act de 1889. La peine, conformément au Droit pénal des associations, frappe l’association. La condamnation fondée sur l’article 9 ne peut plus frapper les organisations, puisque celles-ci ont été entre temps dissoutes et n’existent plus. La condamnation est bien plutôt dirigée contre les membres pris individuellement, car la sentence du Tribunal constitue le fondement des instances ultérieures, en vertu de La loi n° 10. Il faut encore signaler deux autres différences importantes :

1. Selon le Droit pénal concernant les associations, en particulier le Droit anglais, aucune peine privative de liberté n’est admise. La condamnation aux termes de l’article 9 doit cependant servir de base à des sentences entraînant la privation de liberté, voire la peine de mort qui sont prévues par la loi n° 10.

2. Aucun crime et aucun délit ne peuvent être punis en application de la loi pénale des associations du Droit anglais. Si l’on considère la jurisprudence anglaise, il en ressort que des sociétés ont été punies seulement pour contravention en particulier pour infraction aux règlements publies, par exemple : non-entretien de la chaussée ou de ponts, bien qu’elles eussent de telles obligations, barrage d’une rue par une compagnie de chemins de fer ou publication d’une diffamation. L’article 9 du Statut, par contre, a pour objet les crimes les plus graves. L’article 9 du Statut ne signifie donc pas l’introduction du Droit pénal des associations dans le Droit pénal international.

Le Ministère Public a cité une quantité de lois étrangères d’après lesquelles il serait admis qu’une organisation fût déclarée criminelle : d’après le Droit américain, la loi du 28 juin 1940 et le « California Act », d’après le Droit anglais le « British India Act n° 30 » du 14 novembre 1936 ; d’après le Droit français la loi du 18 décembre 1893, l’article 265 du Code pénal français, l’article 1er de la loi du 26 août 1944 et deux dispositions du Droit russe.

LE PRÉSIDENT

Docteur Gawlik, je crois que vous lisez trop vite.

Dr GAWLIK

D’autre part, il a été fait allusion aux lois allemandes suivantes :

1. Les dispositions des paragraphes 128, 129 du Code pénal allemand de 1871 ; 2. La loi du 22 mars 1921 ; 3. La loi du 21 juillet 1922.

Sur ce point il faut néanmoins considérer, que d’après toutes ces lois, seuls des individus peuvent être accusés et que dans la procédure contre les individus accusés il peut être établi, sans effet juridique pour les associés non accusés, que l’organisation a un caractère criminel. On peut donc constater dans la procédure introduite contre quelques membres de l’association, que l’organisation poursuivait des buts contraires à la loi, et, dans une autre procédure intentée à d’autres membres, cette question peut faire l’objet d’une réponse négative. Ce qui est cependant décisif c’est la non-extension de l’effet de la chose jugée sur les membres non accusés, qui distingue ces lois de l’article 9 du Statut.

La décision prise en vertu de l’article 9 du Statut est, contrairement aux lois citées par le Ministère Public, impérative dans la procédure engagée contre les membres isolés, devant les tribunaux militaires et la condamnation des organisations par le Tribunal Militaire International ne contient pas seulement la constatation effective, en droit, des éléments constitutifs du délit mais en outre pour tous les membres, la constatation de leur culpabilité ainsi que de la connaissance qu’ils avaient de l’illégalité, c’est-à-dire des conséquences juridiques d’une importance inconnue jusqu’à présent en Droit pénal.

Par conséquent, il ne s’agit, dans la décision prise d’après l’article 9, ni d’une évolution du Droit pénal des associations, ni d’une condamnation d’individus à cause de leur appartenance à une association criminelle de personnes, mais d’une condamnation de tous les membres des organisations parce que pour tous les’ membres les éléments constitutifs essentiels du délit sont juridiquement constatés, et constituent d’après la loi n° 10 la base des jugements des procès ultérieurs. Dans les prochaines procédures la question de la qualité de membre pourra seule être étudiée. En d’autres termes : il s’agit d’une condamnation collective de tous les membres de l’organisation.

Quelle est l’attitude adoptée par la doctrine du Droit international au sujet de la condamnation collective ?

La majorité des spécialistes du Droit international américains, anglais et français rejettent la condamnation collective comme « arbitraire et contraire aux principes élémentaires de l’équité » — ainsi Garner, le Droit international et la guerre mondiale, volume I, page 154. Le professeur de Droit international bien connu, Garner, constate à juste titre que la condamnation collective, même si elle est appliquée dans la forme la plus douce, implique nécessairement la condamnation de personnes innocentes. Garner expose ensuite qu’on ne devrait pour cette raison jamais user de la condamnation collective si l’on peut atteindre les mêmes buts au moyen d’autres mesures conformes à la justice. Les juristes français Bonfils et de Martens ont condamné, dans des exposés pénétrants, le principe de la punition collective et exprimé l’espérance que la condamnation collective disparaîtrait complètement,

Leurs déclarations devraient être unanimement approuvées. La procédure engagée contre les organisations doit permettre de faire expier les crimes commis. Mais pour atteindre ce but il n’est pas nécessaire de faire ce détour par le moyen de la condamnation des organisations. Ce but peut être atteint si l’on engage des actions contre les individus qui ont participé à ces crimes, ainsi que cela s’est passé dans un grand nombre de cas.

Sur la base des principes généraux du Droit international et des Droits nationaux des États civilisés, on pourrait donc faire usage de la prescription facultative de l’article 9 et se dispenser de déclarer coupables les organisations accusées. Les responsables des crimes peuvent être punis dans une procédure individuelle.

Il se pose maintenant une nouvelle question : celle de savoir s’il est possible de déterminer dans cette procédure les éléments constitutifs du délit.

Cela semble impossible. Il serait impossible d’apporter la simple preuve que tous les membres du SD ont eu connaissance de buts criminels quels qu’ils soient. Toute culpabilité est liée à un individu.

Si de nombreux individus ont participé à un délit ou à un crime, le juge doit entendre individuellement tous les participants, pour déterminer d’une manière concrète et délimiter nettement la culpabilité, l’innocence ou la complicité des accusés individuels.

Mais il paraît cependant absolument impossible de prouver que tous les membres avaient conscience de l’illégalité et de l’iniquité des buts et des tâches des organisations.

On doit aussi examiner à ce propos quel pouvait être pour les membres du SD le critère de l’illégalité ou de l’illégitimité des buts ou des moyens. D’après le Droit allemand en vigueur au moment de l’existence des organisations, leurs buts et leurs moyens, comme je l’ai montré dans la partie consacrée aux faits, étaient licites. On peut concéder que les mesures législatives allemandes étaient en partie en contradiction avec les lois internationales et qu’ainsi les buts et les méthodes, bien que n’étant pas illégaux ni illégitimes aux yeux du Droit de l’État allemand, n’en doivent pas moins êtres considérés comme illégaux et illégitimes au sens du Droit international. Cela n’est cependant pas décisif. Il s’agit bien plutôt de savoir si les membres et plus précisément tous les membres avaient connaissance du caractère illégal et illégitime des buts et de méthodes qui étaient conformes au Droit au regard des lois allemandes.

Le professeur de Droit international bien connu, Oppenheim, a exposé que le Droit ne peut pas exiger que l’on punisse un particulier pour un fait qu’il a été contraint de commettre en vertu d’une loi.

Si les théoriciens les plus connus du Droit international ne sont pas d’accord sur ce qui est légitime ou non, pourra-t-on demander à de simples membres des organisations de le savoir ?

Pour les crimes capitaux dont il a été traité au cours de la procédure, par exemple l’extermination des Juifs et les traitements inhumains dans les camps de concentration, il n’est pas besoin de discuter de justice et d’injustice. Cependant on a reproché aux organisations un grand nombre de faits punissables pour lesquels il n’est pas possible, sans plus d’information, de répondre affirmativement à la question de savoir si les coupables et en outre tous les membres avaient connaissance du caractère illégal et illégitime.

Précisément pour les actes qui ont été commis pendant la guerre, il peut être difficile de décider si l’illégalité et l’illégitimité des actes étaient connues. En temps de paix chacun sait qu’il n’a pas le droit de tuer son prochain et que la propriété est inviolable. Mais en temps de guerre ces actes sont en partie licites. Le soldat peut tuer l’ennemi. L’appropriation de biens étrangers est permise dans des conditions déterminées. L’individu qui commet l’infraction, ainsi que les membres n’ont donc, pour les actes qui ont été commis en temps de guerre, conscience de leur caractère illégal que s’ils connaissent les limites posées par le Droit.

En ce qui concerne les organisations, il est particulièrement nécessaire de procéder à un examen très strict, car il s’agit, pour la plus grande partie de leurs membres, de personnes n’ayant aucune connaissance de la loi ni des limites du Droit des gens.

Je crois que c’est aussi l’opinion de M. le Procureur Général américain qui dans son exposé fondamental du 20 novembre 1945 a déclaré qu’un soldat commandé pour un peloton d’exécution ne peut pas faire une enquête sur la légalité de l’exécution.

En examinant si les membres avaient connaissance de l’illégalité et de l’illégitimité des actes considérés, il ne faut pas commettre l’erreur de supposer que de simples membres de l’organisation aient pu avoir à cette époque les connaissances que nous avons acquises maintenant, au cours de ce Procès, en étudiant les documents des archives secrètes.

C’est précisément dans la procédure contre le SD qu’on a présenté une grande quantité de lettres secrètes, de documents et de dispositions qui ne concernaient que l’activité interne de services isolés. Le contenu de ces lettres indique évidemment qu’elles n’étaient pas adressées à tous les membres, mais seulement à un petit cercle bien déterminé. A ce sujet, je ne donnerai comme exemple que le document L-180 bien connu, le rapport de Stahlecker sur l’activité de l’Einsatzgruppe A.

On constate donc dès maintenant qu’une grande partie des preuves présentées par le Ministère Public pour la condamnation collective des membres du SD n’atteint pas son but. Les documents eux-mêmes n’apportent pas la preuve que les coupables avaient conscience de l’illégalité d’e leurs actes, car il faudrait pour cela, connaître les circonstances précises de ces actes. De plus il faudrait encore prouver que les membres du SD : a) avaient connaissance de ces actes et, b) savaient que ces actes étaient illégaux ou au moins illégitimes.

Je considère qu’il n’est pas nécessaire que je soulève cette question, dans la seconde partie de mon exposé, à propos de chacune des actions imputées au SD, mais je pense qu’il me suffit de poser le problème d’une façon générale et de laisser le Tribunal examiner les cas particuliers. Cependant, pour aucun des cas. particuliers imputés à charge au SD, ni pour aucun des documents présentés contre lui, le Tribunal...

LE PRÉSIDENT

Ne serait-il pas temps de suspendre l’audience ?

(L’audience sera reprise le 27 août 2946 à 10 heures.)