DEUX CENT DOUZIÈME JOURNÉE.
Mardi 27 août 1946.

Audience de l’après-midi.

Dr LATERNSER

Mais, c’est par l’incorporation de Himmler dans ce groupe des officiers de la Wehrmacht qu’est le mieux illustrée toute l’invraisemblance de cette expérience de groupe. C’est un fait bien connu que Himmler était l’ennemi mortel de l’Armée de terre et qu’entre les chefs de la Wehrmacht et ceux des Waffen SS il n’existait, en dehors des rapports purement militaires nécessités par le combat au front, aucune relation. C’est justement l’incorporation de Himmler et de quelques chefs des Waffen SS qui constitue la preuve convaincante de l’impossibilité d’une telle formation.

L’élément « temps » ne permet pas non plus d’admettre une organisation. Les chefs militaires n’étaient pas à leurs postes en même temps, ils ne les occupèrent souvent qu’à des périodes si éloignées l’une de l’autre que, seuls quelques-uns seulement d’entre eux auraient pu, à quelque moment que ce fût, avoir été membres au même moment. Cela ressort très clairement des tableaux qui ont été présentés au Tribunal. Selon ces documents, il n’y avait dans les postes visés par l’Accusation, en 1938 que sept généraux, le 1er septembre 1939 que 22 généraux, le 22 juin 1941 que 31 généraux et en novembre 1944 que cinquante-deux généraux, c’est-à-dire, et de loin, même pas la moitié des officiers accusés.

L’ensemble de ces cent vingt-neuf officiers n’avait pas de volonté homogène. Chacun d’eux était soumis à une volonté unique qui lui était supérieure, mais simplement dans le sens militaire et non pas en vue de l’existence d’une collusion concernant l’organisation. Comment ces officiers auraient-ils pu, à un moment quelconque, fonder pour exprimer leur volonté des organismes qui leur fussent propres ? Les changements permanents dans les services considérés excluaient déjà une possibilité de ce genre. Seuls, neuf généraux et amiraux ont été pendant toute la durée de la guerre titulaires de postes pour lesquels ils pourraient être comptés au nombre des membres du groupe ; le 4 février 1938, seuls six généraux se trouvaient à de tels postes. Vingt et un généraux ont été au plus pendant deux ans ou deux ans et demi à des postes considérés comme appartenant au groupe. Soixante et un officiers sont comptés à ce groupe qui n’ont même pas occupé pendant un an des fonctions de ce genre.

De même que manquaient des organismes propres, manquait également une constitution ou un statut qui eût réglé l’accession ou le départ des membres, la compétence ou l’activité des organismes, leur élection ou leur nomination. Il n’y eut absolument aucune disposition particulière écrite ou orale qui se rapportât à une communauté constituée comme à l’ordinaire. C’est pourquoi l’Accusation n’a pu produire aucune pièce écrite qui prouvât l’existence d’un groupe ou d’une organisation.

Les déclarations sous la foi du serment soumis au Tribunal par le Ministère Public et qui devaient, sur la base des déclarations des généraux von Brauchitsch, Halder et Blaskowitz, prouver l’existence d’un groupe, se sont révélées, à la suite des mises au point qui ont eu lieu, comme totalement impropres à cet objet. Les dépositions du Generalfeldmarschall von Brauchitsch devant le Tribunal et du Generaloberst Halder devant la commission ont montré que les deux affidavits concordant mot pour mot des deux généraux étaient le résumé, formulé par écrit par l’officier chargé de l’interrogatoire, et qui leur avait été soumis pour être signé, de plusieurs conversations qui avaient eu lieu auparavant. Ces explications écrites n’étaient pas compréhensibles dans tous leurs points décisifs sans les éclaircissements que les témoins y avaient ajoutés avant de les signer. C’est pourquoi le sens que tente de donner l’Accusation à ces explications est faux. Les mises au point qui ont eu lieu depuis, et qui n’ont pas été contredites, ont ainsi privé l’Accusation de son principal soutien et de la preuve de la constitution d’un groupe.

Cela vaut également pour la déclaration sous la foi du serment du Generaloberst Blaskowitz, soumise au Tribunal au cours de l’exposé des preuves, qui a également fait l’objet d’un éclaircissement et d’une mise au point totale, par l’affidavit n° 55. Ainsi donc, les conclusions de l’Accusation se sont, dans ce cas également, révélées fausses. On n’a pu prouver en aucun cas non plus une action de groupe qui aurait pu être considérée comme l’expression d’une volonté collective de l’organisation. La production d’une telle preuve est également impossible, étant donné que ce cercle d’officiers n’avaient aucune possibilité d’action, ni juridiquement ni effectivement, et ne peut par conséquent avoir commis aucune action de groupe. Ces officiers n’ont pas non plus tenu de réunions dont on puisse tirer des conclusions quant à l’existence d’une organisation de quelque nature qu’elle soit. L’Accusation pense, tout à fait à tort, pouvoir avancer pour preuve les entretiens militaires chez Hitler et quelques réunions de commandants en chef du front. Si, à diverses reprises, ont eu lieu des conversations du Commandant en chef de l’Armée de terre avec les commandants en chef des groupes d’armées ou des armées, leur motif était toujours purement militaire et la conversation avait pour seul but la discussion de problèmes militaires. Le seul fait que les commandants en chef exerçaient leur activité sur les théâtres d’opérations les plus différents et très éloignés les uns des autres, ainsi que leur forte mise à contribution au point de vue militaire, excluent a priori, le fait qu’ils aient pu se rencontrer pour des raisons autres que des raisons purement militaires. Pour les mêmes raisons, il n’existait même pas de contact étroit entre les chefs militaires supérieurs, d’autant plus que l’ordre du Führer n° 1, qui a souvent été mentionné ici, limitait à son domaine le plus étroit les connaissances de chaque commandant en chef, quelle que soit la position qu’il occupât. Étant donné que les trois branches de la Wehrmacht, en dehors des cas isolés de collaborateurs en vue des opérations, étaient totalement indépendantes, il ne pouvait, pour cette raison, être que très rarement question de conversations communes entre les commandants en chef provenant des différentes parties de la Wehrmacht. Si l’Accusation s’est référée à un affidavit du Generaloberst Blaskowitz comme preuve contraire, il a été prouvé par l’affidavit n° 55 qui le complète que, sur ce point également, il avait été mal compris. De fréquentes réunions de grands généraux, au sens où l’entend l’Accusation, n’ont jamais eu lieu. L’Accusation a mal interprété les événements qui relevaient de la conduite d’affaires purement militaires. Les conversations bien connues chez Hitler peuvent d’autant moins être considérées comme la preuve de l’existence d’une formation analogue à une organisation que — comme on l’a dit maintes fois au cours de ce Procès — elles n’avaient pour but que l’audition d’une allocution de Hitler et la réception des ordres qui la suivaient et par conséquent avaient, du point de vue des commandants en chef, un caractère purement militaire. Je résume :

1. Les cent vingt-neuf officiers visés constituent une simple réunion de personnes qui n’avait, ni en droit ni en fait, aucune possibilité d’action et ne peut donc être l’objet d’un jugement particulier et encore bien moins d’un jugement pénal.

2. La désignation « État-Major général et OKW » est trompeuse et erronée.

3. Le cercle d’officiers dont il s’agit n’était ni un groupe ni une organisation ni une formation ressemblant à une organisation.

4. Le cercle des membres constaté auprès de chaque organisation doit être d’abord longuement commenté ici.

5. Aucun des officiers n’a jamais déclaré adhérer à une organisation, ni eu seulement le sentiment d’y avoir adhéré ou appartenu. Les prétendus « membres » ne se connaissaient pour la plupart même pas personnellement, leurs positions vis-à-vis du système politique en vigueur étant très différentes.

6. Il n’y a jamais eu d’organisme actif d’association, jamais de constitution ou de statut ; jamais une action collective n’a été discernable.

7. Les officiers visés, et dont les noms et le nombre sont exactement connus, ne peuvent être appelés à rendre de comptes qu’individuellement et seulement pour des crimes qu’ils ont personnellement commis. Ils ne furent jamais considérés comme groupes en collectivité et ne peuvent l’être davantage maintenant uniquement pour faciliter une sanction.

Déjà dans l’Antiquité, après la bataille d’Aegos-Potamos, des généraux ont dû être condamnés collectivement pour une sorte de crime contre l’Humanité. Ils n’avaient pas enterré leurs morts. Alors Socrate se leva au cours de la délibération du Tribunal, se défendit passionnément contre cette manière d’agir et exigea du Tribunal le respect de la foi fondamentale qui est la condition indispensable d’une sentence juste, c’est-à-dire : que tout général devait être accusé individuellement et condamné dans la mesure de sa faute personnelle. En ce temps-là, Socrate fit prévaloir son avis. Le Tribunal maintint ce principe, malgré l’opinion publique contraire, et se refusa à prononcer une condamnation collective. Les temps modernes jetteraient-ils avec tant de facilité par-dessus bord un principe juridique fondamental qui date de deux mille ans ?

Je crois qu’une accusation et une condamnation collectives sont impossibles ; le Tribunal sera obligé de rejeter la proposition de déclarer le prétendu groupe État-Major général-OKW comme organisation criminelle pour les raisons précédemment exposées.

Si cependant on continue à suivre la thèse de l’Accusation sans l’adopter, on devrait soumettre à un examen la criminalité de l’ensemble des cent vingt-neuf officiers. C’est-à-dire qu’il faudrait établir s’ils ont commis dans leur ensemble des crimes au sens de l’article 6 du Statut. Je réponds négativement à cette question !

Le grief fait par l’Accusation aux chefs militaires de s’être associés, à une époque quelconque, au parti nazi pour l’élaboration d’un plan commun ayant pour but des guerres d’agression, des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité, permet de supposer qu’un tel plan d’ensemble existait, qu’il était connu de tous et enfin que les chefs militaires, collectivement, l’avaient adopté. L’Accusation a soulevé ces griefs contre le cercle des personnes accusées comme collectivité. Mais, comme je crois l’avoir déjà prouvé, une telle organisation ou un tel groupe de ces personnes n’existait pas comme unité agissante. L’Accusation tourne cette difficulté qui apparaît fatalement en affirmant que : 1. Le caractère et les actions de cinq principaux accusés militaires sont significatifs pour l’ensemble des cent vingt-neuf officiers ; 2. Par ailleurs, il n’y a aucun doute sur le caractère criminel de l’ensemble.

Si le Procureur Général américain a exposé dans son réquisitoire que les actions humaines qui font l’objet de ce Procès sont considérées comme crimes depuis le temps de Caïn, je lui oppose cette phrase : depuis le temps de Caïn, on a toujours demandé que dans l’expiation des crimes les justes ne soient pas exterminés avec les impies ! L’exigence d’une expiation individuelle, pour des crimes commis, appartient à l’héritage le plus ancien de la morale européenne.

Je pense qu’il ne serait pas difficile pour les quatre grandes nations victorieuses de statuer pratiquement dans cent sept procédures individuelles sur la culpabilité ou l’innocence de ces cent sept hommes en vie, exactement de la même manière que cela se fait pour les cinq principaux accusés. Où trouve-t-on la justification intime et la nécessité juridique d’une procédure collective contre ces hommes ? Un individu innocent est anéanti trop facilement par une sentence collective préconçue.

L’opinion de l’Accusation suivant laquelle les pensées et les actions des cinq principaux accusés sont avec complète certitude également typiques pour les autres membres du prétendu groupe, et par là même pour le caractère criminel du groupe entier, est en contradiction avec les faits réels. L’appartenance au groupe ne repose que sur certaines fonctions déterminées. Seul le titulaire d’une fonction typique peut être considéré comme typique par le groupe. Étant donné que 95% des officiers en question étaient commandants en chefs d’armée ou de groupes d’armées, les titulaires de ces postes pourraient être considérés comme typiques pour le groupe, mais en aucun cas les cinq accusés principaux, dont aucun n’a jamais occupé aucune de ces fonctions.

Inversement, il est d’autant moins possible de ramener les cinq accusés principaux à un type connu que leurs postes ne se reproduisent pour aucun autre membre du groupe. Dans celui-ci, il n’y a pas de second chef de l’OKW ou de second chef de l’État-Major d’opérations de la Wehrmacht, pas de second Commandant en chef de la Marine de guerre et, à plus forte raison, pas de second Reichsmarschall ! Étant donné que les accusés principaux sont, pour ainsi dire, placés à un niveau plus élevé que les chefs militaires ordinaires, leur situation est différente dans les cas décisifs. Si l’un ou l’autre des accusés principaux avait peut-être, en théorie, la possibilité d’agir sur les décisions militaires de la Direction suprême, cette possibilité théorique n’existait pas pour le membre type du groupe. Si les accusés principaux, tout au moins dans leur ressort, avaient ou pouvaient avoir connaissance des rapports existant entre les ordres donnés ainsi que de leurs mobiles, ce n’était pas le cas pour les membres typiques du groupe. S’il était inévitable que les accusés principaux, en tant que détenteurs de fonctions élevées, eussent un contact avec la politique, ce contact manquait totalement aux commandants du front. Ce court aperçu montre d’une manière particulièrement nette tout l’arbitraire de l’Accusation, lorsqu’elle réunit des éléments hétérogènes et qu’elle étend à la totalité de ces éléments hétérogènes les reproches qu’elle croit pouvoir élever à tort ou à raison contre les accusés principaux pris en particulier.

Je ne puis pas suivre l’Accusation sur cette voie et je ne vais donc pas considérer dans mes explications les accusés principaux, qui ne sauraient être ramenés à un type, mais uniquement ceux des membres qui pourraient être considérés comme caractéristiques de la plus grande partie du groupe. Seule la manière dont ceux-ci se sont comportés en face des prétendus plans nazis, seul ce qu’ils ont su de ces plans et la mesure où il y ont collaboré pourraient conduire à une charge du groupe, dans le sens de l’Accusation.

Hitler étant mort, l’Accusation laisse sa personne à l’arrière-plan et cherche d’autres responsables. Mais personne ne peut nier que Hitler était le seul à détenir entre ses mains la puissance du Reich et qu’il avait ainsi la responsabilité unique et totale. L’essence de toute dictature réside en dernière analyse dans le fait que la volonté d’un homme est toute puissante, que sa volonté décide en tout. Dans aucune dictature ce principe ne s’est développé dans un sens aussi exclusif que dans celle de Hitler. Si tous les militaires et tous les hommes politiques ne cessent de le répéter, on ne peut pas supposer que chacun d’eux manque de perspicacité, mais les faits ont bien dû être tels ! Le dictateur usait de la puissance qui lui était donnée avec une force de volonté confiant au diabolique. A côté de lui il n’y avait pas de volonté, pas de plan, pas de conspiration ! Pour les soldats, il était d’une importance particulière que Hitler eût encore été appelé au pouvoir par le Président du Reich von Hindenburg et qu’il fût devenu ensuite chef absolu de l’État en vertu d’une loi du Reich et d’un plébiscite. Le caractère légal, la régularité de la forme de transfert du pouvoir législatif et du pouvoir de commandement ont amené les soldats à se soumettre aussi à la personne de Hitler. Il s’ajoutait à cela qu’il s’entendait à jouer de l’un contre l’autre, mais de même qu’il n’avait pour prendre ses décisions capitales aucun conseiller, il ne tolérait pas de plans indépendants des siens.

La figure de Hitler peut vraiment être comparée à celle de Lucifer ! De même que celui-ci gravit, à une vitesse déconcertante, avec un élan prodigieux sa voie resplendissante, atteint la hauteur suprême et tombe ensuite dans l’obscurité la plus profonde, ainsi en a-t-il aussi été de Hitler. Qui a jamais entendu dire qu’un Lucifer eût eu besoin d’aides, de conseillers et d’instigateurs dans son ascension foudroyante ? N’entraîne-t-il pas plutôt par la puissance de son apparition tous les autres avec lui jusqu’aux plus hauts sommets, pour retomber ensuite avec eux au plus profond de l’abîme ? Peut-on penser qu’un homme de cette nature puisse préparer un plan de longue main, s’entourer d’un cercle de conspirateurs et chercher auprès d’eux aide et conseil pour son ascension ?

Puisse ce tableau ne pas passer pour une tentative d’éluder la responsabilité ! Tout général allemand est suffisamment homme pour répondre de ses faits et gestes. Mais si l’on doit rechercher le Droit, on doit reconnaître les circonstances véritables, telles qu’elles étaient vraiment, et la découverte du Droit doit être placée à la base de la procédure. La meilleure preuve à rencontre de la participation des généraux à ses plans résulte toutefois de la parole de Hitler lui-même : « Je ne demande pas que mes généraux comprennent mes ordres, mais qu’ils les exécutent ».

Ainsi que pour l’État-Major à la fin de la première guerre mondiale, il devient aussi fatal cette fois-ci pour les chefs militaires — de nouveau rassemblés sous le concept global trompeur d’État-Major — que pèse sur l’officier allemand le préjugé qu’il est animé non pas d’un esprit de soldat, mais d’un esprit militariste. La littérature et la presse du monde entier affirment à l’envi que l’officier allemand ne s’acquitte pas de son métier militaire uniquement comme d’un devoir, mais que pour lui la guerre est au centre de toutes ses préoccupations et constitue la valeur suprême de toute vie personnelle et nationale. Le Procureur Général américain exprime ce point de vue en disant que, pour les Allemands, la guerre est une occupation noble et nécessaire. Une telle glorification de la guerre doit avoir amené, depuis des générations, la pensée du corps des officiers allemands à se diriger exclusivement vers l’agression, la conquête, l’esclavage et la brutalité envers les autres peuples. S’il est souvent difficile de contredire des préjugés, il n’y a que peu de difficultés à démontrer que ce mot est absurde et sans justification. L’attitude et l’esprit qui ont donné à l’État-Major général sa forme caractéristique ont reçu, ainsi qu’il est notoire, l’empreinte de Frédéric le Grand, de Scharnhorst, de Moltke, de Schlieffen et de Seeckt. Si l’on recherche dans la vie et dans l’œuvre de ces hommes des preuves d’esprit militariste, le résultat est absolument négatif. Presque jamais un monarque n’a trouvé d’apologistes aussi enthousiastes que le Grand Frédéric chez l’Anglais Thomas Carlyle et l’Américain Georges Bancroft, qui déclare dans l’Histoire des États-Unis que le Grand Frédéric n’a pas moins fait pour la liberté du monde que Washington et Pitt. Helmut von Moltke, qui a formé l’officier d’État-Major allemand comme personne ne l’a fait avant et après lui, appelle expressément la guerre le dernier moyen pour affirmer l’existence, l’indépendance et l’honneur d’un État. Il déclare plus loin : « Il faut espérer que ce dernier moyen sera employé de plus en plus rarement grâce au progrès de la civilisation. Qui pourrait contredire que toute guerre, même victorieuse, est un malheur même pour le peuple vainqueur, parce qu’aucune acquisition de territoires, aucun milliard, ne peuvent remplacer des vies humaines et compenser le deuil des familles. »

Le plus célèbre des successeurs de Moltke, le comte Schlieffen, a été l’auteur du slogan si souvent mal compris : « Plutôt être que paraître », qui réclame de tout officier d’État-Major, modestie, travail tranquille et renonciation absolue à toute situation personnelle dans la vie publique.

Est-il possible d’exprimer plus nettement, en peu de mots, la différence fondamentale qui existe entre une telle attitude et l’attitude nationale-socialiste ?

Lorsque l’État-Major allemand a affronté en 1914 sa grande épreuve du feu, il y avait dans Moltke junior un homme fait de résignation à son poste suprême et qui, en tant qu’anthroposophe, était encore plus éloigné de pensées militaristes que tous ses prédécesseurs. En ce qui concerne enfin le Generaloberst von Seeckt, créateur de la Reichswehr, ses directives contenues dans l’article programme paru en 1929 sur le thème « Homme d’État et général », sont telles que cet exposé pourrait être immédiatement pris sans changement essentiel dans tout manuel pour l’officier britannique, américain ou français. Pour terminer ce tour d’horizon, je veux encore présenter une citation extraite des penséees du Feldmarschall von Mackensen, un homme qui doit notoirement passer, avec Hindenburg, pour le représentant principal du corps d’officiers de Guillaume II. Le jour où il signait les ordres de la grande offensive de Gorlice, — c’était le 28 avril 1915 — il écrivait ce qui suit :

« Aujourd’hui mes pensées se concentrent sur un combat homicide. On attend de moi un grand succès, un succès décisif et, en temps de guerre, les grands succès ne peuvent être obtenus la plupart du temps qu’avec de grandes pertes. Combien de condamnations à mort mon ordre d’attaque contient-il ? C’est cette pensée qui m’oppresse avant tout ordre, mais je donne mon ordre sous l’empire d’une nécessité inéluctable. Combien des vigoureux et alertes jeunes gens qui ont défilé hier et aujourd’hui devant moi en montant au front, vont être couchés dans peu de jours sur le champs de bataille pour leur dernier repos. Bien des yeux brillants dans lesquels je pouvais regarder seront bientôt éteints. C’est le côté douloureux du poste du chef ! »

Tels sont donc les faits ! Qu’ils sont peu nombreux les hommes dirigeants de i’État-Major allemand qui ont été formés d’après l’image qu’une propagande défavorable, tendancieuse ou mal informée a projeté d’eux dans le monde ! Je tiens pour mon devoir d’établir clairement ces faits dans ce Procès unique dans l’Histoire.

Le corps des officiers allemands, en particulier des généraux, a-t-il changé depuis 1933 ? S’est-il, sous le régime de Hitler, en devenant infidèle à ses maîtres, laissé entraîner par un courant « militariste » ? L’esprit d’un Moltke, d’un Schlieffen, d’un Seeekt était-il mort en eux ? Les généraux ont-ils été attirés par un plan criminel nazi et y ont-ils participé activement ? Je crois que les faits parlent ici de façon suffisamment éloquente.

Le plan général, la conjuration, ayant pour but une augmentation de puissance qui devait finalement mener à la guerre, avait avant tout comme but, ainsi que le fait toujours ressortir à nouveau l’Accusation, l’asservissement du peuple et l’extermination de tout élément réfractaire. Il s’agissait, en outre, d’acquérir ainsi les éléments de base et les expériences nécessaires pour l’établissement des plans d’asservissement et d’extermination d’autres peuples.

Or, un plan ayant une telle envergure impliquait fatalement un accord tacite des chefs militaires sur ces prétendus buts et principes.

Quels étaient les faits ? Les relations entre le corps des officiers et le Parti n’étaient rien moins que cordiales. Lorsque le Parti fut chargé de la direction dans tous les domaines de la vie publique et de l’organisation du contrôle totalitaire dans le domaine économique, le corps des officiers n’eut pas voix au chapitre. Le corps des officiers ne prit part à aucune décision politique. Abus de hauts fonctionnaires du Parti, méthodes terroristes du Parti, action contre les Juifs, éducation politique de la jeunesse et attitude du Parti contre l’Église sous la direction de Himmler et de Bormann furent violemment rejetés. Les tentatives faites par les SA pour prendre la place de la Wehrmacht et celles des SS pour former une seconde puissance armée à côté de la Wehrmacht se heurtèrent à une très forte résistance.

C’est donc là la mentalité typique des chefs militaires ! Où donc était la base idéologique qui, elle seule, aurait pu permettre d’établir un plan général ? La personnalité de Hitler excluait toute conspiration et tout projet entrepris sous lui, à côté de lui ou même avec lui. Pour les chefs militaires, il n’existait déjà pas de place, ni constitutionnellement ni effectivement, pour défendre des buts politiques ou des plans politiques. En outre, des rangs des officiers tombant sous le coup de l’accusation, une mise en garde s’éleva contre la politique suivie depuis 1935 et qui se révéla plus tard comme une politique de faillite. Le chef de l’État-Major général employa l’influence de sa situation et de sa personne pour modérer l’activité fatale d’un Chef d’État décidé à tout entreprendre. Dans les mêmes milieux on tenta finalement, en pleine guerre, un coup d’État. Qui peut alors prétendre sérieusement que toute la mentalité de ces hommes, toute leur pensée, toute leur attitude n’aient été portées que vers la guerre et vers le soutien d’une politique qui avait pour but la guerre d’agression ? Il me semble que poser cette question, c’est, en même temps, lui donner une réponse négative. Lorsque le chef de l’État-Major américain Marschall, dont le service de renseignements était indiscutablement excellent, exprime lui-même dans son rapport au Président américain ses convictions qu’il n’existait aucun plan général entre l’État-Major et le Parti, mais que, bien au contraire, il y aurait eu plus souvent de violentes oppositions entre les deux, c’est alors vraiment une preuve prépondérante et concluante à laquelle je n’ai plus rien à ajouter.

Je prends maintenant position vis-à-vis du reproche de l’Accusation qui veut que les chefs militaires aient commis en totalité le crime de préparation et d’exécution d’une guerre d’agression, et cela sciemment, intentionnellement et perfidement.

Les hésitations juridiques graves lors de la définition de la guerre d’agression comme un crime à rencontre du Pacte Kellogg, ont été exposées si souvent par la Défense que je peux m’y référer. Je renvoie surtout à l’exposé du Professeur Jahrreiss ; j’attire uniquement, dans cet ordre d’idées, l’attention du Tribunal sur le fait qu’il s’agit, à propos de toutes les personnes que je représente, non pas d’hommes politiques, ni d’hommes d’État, ni de juristes de Droit international, mais uniquement de soldats.

Veut-on exiger des soldats d’un pays qu’ils réussissent là ou les diplomates et les juristes de la SDN ont échoué pendant les vingt dernières années ? Le soldat juge en général d’après son entourage. Dans trois cas au moins, au cours de ces dix dernières années, le soldat a vu que le prétendu crime d’une guerre d’agression n’a pas été poursuivi. Ni après la guerre de l’Italie contre la Grèce, ni après la guerre d’Abyssinie, ni après la guerre de l’Union Soviétique contre la Finlande, les soldats de ces États n’ont été traduits devant les Tribunaux.

Le seul qui existe, c’est que les soldats projettent uniquement des guerres, mais jamais des guerres d’agression. La qualification d’une guerre n’a rien à voir avec la stratégie défensive ou offensive, ainsi que l’Accusation le reconnaît elle-même. Même d’après l’Accusation, il est permis de préparer des plans militaires offensifs, de les mettre à exécution et finalement de participer à la guerre. La qualification d’une guerre comme guerre d’agression est un jugement purement politique. Le fait de projeter ’des guerres d’agression pour les soldats n’est possible que s’ils entrent dans le domaine politique. Ce qui est décisif, par conséquent, c’est que l’officier qui a participé à des préparatifs savait qu’il s’agissait d’un plan politique en vue d’une guerre d’agression déterminé, que cette guerre d’agression constituait une injustice et qu’il en commettrait une lui-même en, y participant.

Or, comment se présente pour les chefs militaires l’histoire des dernières années avant la seconde guerre mondiale ? Non pas telle qu’elle peut être distinguée clairement dans son évolution, aujourd’hui après la guerre et la défaite, mais telle qu’elle s’est dessinée à ce moment-là au chef militaire allemand type ; c’est cela qui est décisif pour les conclusions qu’il convient d’en tirer sur la culpabilité ou l’innocence.

Chaque fois que le monde a été secoué par des guerres graves, apparaît la nostalgie de la paix éternelle. Cette nostalgie est ressentie surtout par ceux qui ont fait les sacrifices les plus grands pendant la guerre. Ce fut le cas, pendant la première guerre mondiale, des familles d’officiers allemands d’où proviennent la plupart des chefs accusés. Celui qui a vu la disparition de sa propre génération ne se soucie pas de sacrifier ses propres enfants dans une nouvelle guerre. Et ce serait précisément ces hommes qui auraient été portés vers une guerre d’agression ?

Ce n’est pas dans le fait de faire la guerre, mais dans celui d’éduquer la jeunesse dans une mentalité saine, une conduite irréprochable, l’honnêteté et la camaraderie, que l’officier voyait son vrai devoir.

La disparition du Traité de Versailles n’était pas le but particulier des généraux allemands, mais le but national naturel de la politique allemande, tout simplement. Le Chancelier du Reich Bruning, qui ne peut certainement pas être suspecté, constate le 15 février 1932 : « L’exigence de l’égalité des droits et de la sécurité est voulue par tout le peuple allemand. Tout Gouvernement allemand sera obligé de défendre cette exigence ».

Je laisse de côté les pages suivantes, jusqu’à la page 39 : elles traitent de la répartition des forces et des questions d’armement.

L’effort pour rentrer en possession des territoires allemands perdus n’était pas une affaire qui regardait les généraux seulement, mais il était le bien commun de tous les Allemands et n’était certainement pas immoral. Je signale seulement le même effort de la France en ce qui concerne l’Alsace-Lorraine après 1870-1871 Lorsque Hitler, a la tribune du Kelchstag, renonça définitivement à l’Alsace et à la Lorraine, les généraux considérèrent également cette déclaration comme une nécessité politique et turent tout à tait d’accord avec cette preuve de la volonté de ne pas commencer de guerre. L’effort en vue d’une rectification des frontières à l’Est était l’idée commune de tout le peuple allemand. La séparation de Dantzig et la création du Corridor furent considérés par l’Allemagne entière comme Inadmissibles, et furent du reste également fortement critiquées, après 1918, par des hommes d’Etat alliés.

L’Anschluss de l’Autriche était une idée qui partit d’abord d’Autriche ; c’était une idée dont la justification dans la voie de la spontanéité ne peut pas être contestée. Le soldat sensé comprenait mieux que quiconque que ces buts ne pouvaient pas être atteints par la force et la guerre. Mais. si l’on ne tait pas un crime au soldat russe de la conquête de parties de la Finlande, de la Pologne et de la Bessarabie, comment pourrait-on alors faire au soldat allemand un reproche de s’être assigné comme but l’amélioration de la situation internationale de l’Allemagne par la voie pacifique ? Comment pourrait-on justifier, dans cet état d’esprit, la conclusion qu’il n’aurait tenté de réaliser ce but que par la voie d’une guerre d’agression ? Je résume : Les chefs militaires, accusés dans leur ensemble, ne voulaient pas se débarrasser du Traité de Versailles pour faire la guerre, mais pour donner à l’Allemagne l’égalité des droits et la sécurité. Ils ne voulaient pas conquérir la moitié du monde, mais corriger une frontière Impossible, aussi bien du point de vue moral que du point de vue militaire ou économique. Ils ne voulaient pas faire a tout prix des guerres d’agression, des guerres tout simplement, mais Ils considéraient la guerre comme tout les soldats du monde, c’est-à-dire comme une décision dernière inévitable, lorsque tous les autres moyens sont épuisés. D’après l’Accusation, le plan d’une guerre ultérieure d’agression trouve déjà sa preuve dans le réarmement et l’occupation de la Rhénanie. Le Ministère Public se sert encore du slogan du « militarisme » allemand, qui est d’essence propre et plus ancien que le Parti et qui, même avant la prise du pouvoir, travaillait déjà dans le sens des plans ultérieurs de Hitler.

Comment se présentait la situation militaire effective aux environs de 1935 ?

L’Allemagne avait une force armée de 250.000 hommes au maximum, y compris les réservistes ; elle n’avait pas d’armes modernes, pas de canons dépassant le calibre de 105 mm, pas d’armée aérienne et des fortifications complètement démodées. La Marine ne comptait que 15.000 hommes et ne pouvait avoir de navires dépassant 10.000 tonnes. Elle ne possédait pas de sous-marins.

Les garde-frontières qui dépassaient les clauses militaires du Traité de Versailles, étaient tellement insignifiantes d’après leur organisation, leur armement et leur dotation en munitions, qu’elles n’auraient été utilisables pour la défense que pour un temps limité et que leur valeur militaire devait être mise sur le même pied que celle d’une milice insuffisamment Instruite. La « Reichswehr Noire », dont il a été si souvent question dans la propagande, avait déjà été dissoute en 1923. A ce Reich si faiblement armé s’opposaient : la France, avec 600.000 hommes en temps de paix, et 1.500.0000 sur le pied de guerre, la Tchécoslovaquie, avec 600.000 hommes en cas de guerre, la Pologne, avec 1.000.000 d’hommes en cas de guerre. Tous ces Etats avaient un armement, des forces aériennes et des formations blindées des plus modernes. Un homme peut-il vraiment voir dans ces modestes mesures allemandes d’armement, ridicules par rapport aux exigences de la guerre moderne, — s’il les compare à celles des autres nations — la préparation et la base de guerres ultérieures d’agression ?

Toute la doctrine des sphères militaires allemandes d’alors était aussi exclusivement orientée vers la défensive. Dans l’instruction des troupes, le but recherché était de former des chefs subalternes qui devaient suffire à tripler l’Armée en cas de conflit. Au mieux, cela eu à peine suffi pour se défendre contre l’un des adversaires possibles. Dans l’instruction sur le combat, la forme du combat défensif de longue durée prit la plus grande place. De même, l’instruction des cadres prévoyait seulement la défense ou l’arrêt temporaire d’une attaque ennemie en général, seulement à l’intérieur de l’Allemagne. Lorsque, le 1er avril 1930, on envisagea pour la première fois une mise sur pied de guerre avec un triplement approximatif de l’Année de terre en cas de guerre, les stocks d’armes étaient nettement insuffisants pour l’armement. Jusqu’en 1935, on ne n’occupa aucunement d’élaborer des plans de progression hors des frontières. Que l’on n’oppose pas à cela que ces mesures déjà modestes étalent parfaitement superflues, même comme mesures de défense, puisque l’Allemagne n’était menacée par personne.

C’est seulement sur une forte pression anglo-américaine que la France s’est laissée aller à l’abandon de la rive gauche du Rhin. La Tchécoslovaquie éleva des revendications concernant le haut plateau de Glatz et la Lausitz. En Pologne, on demanda ouvertement l’annexion de la Haute-Silésie.

Où peut-on trouver trace seulement d’un « militarisme » allemand, cause première et préparatoire des plans d’agression de Hitler ? Les officiers d’alors ont travaillé uniquement dans l’esprit de la paix et de l’humanité, afin de rendre la défense possible en cas d’agression ennemie.

Les chefs militaires n’ont eu aucune part dans les événements politiques des années 1935 à 1937, c’est-à-dire l’annulation effective du Traité de Versailles et le rétablissement de la souveraineté militaire. La déclaration de Hitler, qu’il respecterait les frontières territoriales du Traité de Versailles et qu’il tiendrait les engagement de Locarno, fut acceptée aussi bien par les chefs militaires que par la totalité du peuple allemand et par le reste du monde. Les points que l’Accusation passe sous silence parce qu’ils ne cadrent pas avec l’image qu’elle se fait de la conspiration : l’abandon des revendications sur l’Alsace-Lorraine, le traité avec la Pologne et la Convention navale avec l’Angleterre, signifiaient pour le soldat la fin du cauchemar des coalitions. Seul l’éloignement croissant de la Russie fut considéré avec souci. La réoccupation de la Rhénanie était pour le soldat un fait moral tout naturel qui découlait de la position de l’Allemagne comme Etat souverain et égal en droits. Malgré cela, le Commandant en chef de l’Armée de terre intervint si énergiquement que le nombre des garnisons Installées sur la rive gauche du Rhin fut limité à trois bataillons seulement.

Les chefs militaires touchés par l’Accusation, dans leur ensemble, étaient sans aucune influence sur la marche des événements ; ils furent même surpris par ces derniers. Si pendant toutes ces années les actes de Hitler ont été acceptés par l’étranger et s’ils ont au moins été reconnus de facto , cela peut tenir, comme dit M. Justice Jackson, au fait qu’à l’étranger des « Gouvernements faibles » détenaient le pouvoir. Un fait existait et restait : la reconnaissance par toutes les nations. Si l’étranger n’a pas reconnu dans tout cela un début d’exécution de guerres d’agression, comment les chefs militaires allemands, considérés comme un ensemble, auraient-ils pu obtenir la connaissance de ces plans de Hitler ? Pour le spécialiste militaire, le dernier doute concernant l’intention des chefs militaires disparaît quand il étudie les projets militaires de cette époque ; ces projets ne contenaient que des mesures de défense pure. Significatif à cet égard est le discours final du Generaloberst Beck devant une assemblée d’officiers supérieurs après une manœuvre sur la carte dont le thème était : « Combat avec la Tchécoslovaquie ». S’il y soulignait avec une gravité extraordinaire, comme résultat de cette étude, que l’Allemagne pourrait certes écraser l’Armée tchèque en quelques semaines, mais non pas opposer une résistance sérieuse aux forces françaises déferlant par-dessus le Rhin sur l’Allemagne méridionale et centrale, de sorte que le succès de début contre la Tchécoslovaquie devait se transformer dans ses conséquences ultérieures en une immense catastrophe pour l’Allemagne, on ne doit pas y voir un signe de l’ardeur belliqueuse des généraux, ni un signe d’approbation des plans d’agression possibles de Hitler.

Par la suite aussi, les chefs militaires soulignèrent toujours avec gravité que la politique allemande — quels que soient les buts poursuivis — ne devait jamais amener une situation entraînant une guerre sur deux fronts. Ainsi, toute pensée de guerre d’agression était exclue en principe, devant le grand nombre de pactes d’assistance, d’engagements de garantie et d’alliances conclus entre tous les voisins de l’Allemagne.

L’Histoire a donné raison aux généraux. Hitler n’a pas prêté l’oreille à leurs avertissements, mais s’est écrié, outré : « Que sont ces généraux que je dois, comme Chef de l’État, pousser vers la guerre ! Si tout était normal, je ne devrais pas pouvoir échapper à leurs menées en faveur de la guerre ». Seul, celui qui ne veut pas voir la vérité peut passer outre à ces faits. Si jamais il y a eu unanimité entre les chefs militaires, ce n’aura pas été dans le projet de guerre d’agression, mais bien par suite de la connaissance claire des dangers et des suites qu’aurait toute guerre pour l’Allemagne, et dans le refus opposé à de semblables plans du Chef de l’État. Hitler, l’homme qui devait le savoir mieux, jugeait que ces hommes n’étaient pas aptes à « participer » à ses projets et les révoqua. Aucun officier de ce qu’on appelle le groupe des conspirateurs ne lui semblant indiqué pour devenir commandant suprême et pour participer dans l’avenir à des projets éventuels, il assuma lui-même la Direction suprême de la Wehrmacht et devint ainsi son chef militaire direct. Ses désirs et des directives prirent désormais pour la Wehrmacht le caractère d’un ordre militaire. Il est vrai qu’on pouvait encore faire certaines objections. Mais si celui qui donnait l’ordre persistait dans sa conception, il ne restait plus aux subordonnés que le devoir d’obéir. C’est bien le principe de toutes les armées du monde.

Il faut que je parle ici d’un document dont le Ministère Public se sert tout particulièrement comme preuve des projets de l’organisation criminelle : c’est le procès-verbal « Hossbach » de l’entretien du 5 novembre 1937. Que s’est-il passé en réalité ?

Ce n’est pas un groupe influent de conspirateurs nazis qui s’est réuni pour examiner la situation avec Hitler, mais c’est Hitler qui, en tant que Chef de l’État, convoqua quelques chefs militaires et le ministre des Affaires étrangères. Il exposa ses idées. Il déclara tout d’abord que les problèmes de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie devraient être résolus de 1943 à 1945 ; puis il désigna la Pologne comme agresseur possible. Il n’y fut fait aucune mention de la solution du problème du Corridor ou de conquêtes à l’Est ou d’autres questions.

En ce qui concerne la recevabilité du procès-verbal, il ressort clairement de l’affidavit n° 210 du général Hossbach que j’ai soumis que Hossbach n’a pas pris le discours au moment où il fut prononcé, mais qu’il en a reproduit le texte par écrit, de mémoire, quelques jours plus tard. Qui ne sait qu’à l’occasion de telles reproductions, on commet facilement, par l’emploi d’expressions personnelles ou par des oublis, des erreurs qui changent l’aspect réel de l’événement ?

Il est en tout cas certain que :

1° Le ministre de la Guerre du Reich et le Commandant en chef de l’Armée de terre ont non seulement, désapprouvé un projet de guerre quelconque, mais ils ont encore souligné sérieusement et énergiquement le danger représenté par l’Angleterre et la France, en faisant ressortir la faiblesse de l’Allemagne.

2° Quel qu’ait pu être le sens de l’allocution de Hitler, tous les autres militaires n’ont absolument rien appris des idées exprimées par Hitler. Le Generaloberst von Fritsch n’en a même pas informé son successeur au moment de sa révocation.

3° Même si un officier quelconque avait appris l’objet d’e cette entrevue, on ne pourrait en tirer une conclusion pour l’ensemble des chefs militaires. Si Hitler faisait entrevoir la possibilité d’une guerre dans six ou huit ans, il n’y avait encore aucune raison de s’inquiéter. De nombreuses solutions politiques pouvaient se présenter dans un si long laps de temps. D’ailleurs, cette allocution pas plus que les autres ne permettait de se rendre compte des véritables pensées de Hitler.

4° Les quelques officiers présents devaient, pour le moins, tirer de cette allocution la conclusion positive que Hitler lui-même ne songeait pour les années antérieures à 1943 qu’à un développement absolument pacifique.

Où est donc la preuve de la participation des généraux aux projets de Hitler ? Le Ministère Public veut tirer aussi de l’attitude des généraux à l’égard de l’annexion de l’Autriche et de la question tchèque des déductions sur leur attitude vis-à-vis du plan d’ensemble. L’importance, sur laquelle ou a particulièrement insisté, de la participation de certains officiers à l’entrevue de février 1938 entre Hitler et les hommes d’État autrichiens à l’Obersalzberg, s’explique parfaitement bien par cette parole que Hitler prononça plus tard : « Je me suis servi de ceux de mes généraux à l’aspect le plus brutal, comme figurants, pour prouver à Schuschnigg la gravité de la situation ».

L’invasion effective et l’occupation de l’Autriche étaient une mesure politique dont l’ensemble des généraux ne connaissait pas les vrais motifs. L’officier voyait seulement que ses troupes étaient partout couvertes de fleurs au moment de leur arrivée et qu’elles étaient accueillies avec enthousiasme par des centaines de milliers de gens et qu’on ne tirait pas un seul coup de feu.

Le plan d’invasion « Grün » concernant la Tchécoslovaquie, évoqué par le Ministère Public, n’était pas la conséquence de l’entrevue du 5 novembre 1937, mais une simple mesure de précaution pour le cas d’une guerre avec la France ; et il était déjà prêt depuis le 1er octobre 1937, donc avant l’entrevue à l’État-Major général.

Bien que, dans ce cas aussi, on arriva à un accord, dans lequel fut prévue l’invasion par les troupes allemandes, le chef de l’État-Major général, le Generaloberst Beck, mit en garde, dans un mémoire approuvé par le Commandant en chef de l’Armée de terre, contre une politique qui pouvait mener à un conflit armé. Il y soulignait que toute guerre déclenchée par l’Allemagne en Europe devait mener en dernier ressort à une guerre mondiale avec une issue tragique pour l’Allemagne. Le Generaloberst Beck fut révoqué. Lorsque Hitler, le 10 août 1938, s’adressa directement au chef de l’État-Major des armées, manifestement dans l’espoir de venir à bout par ce moyen de la résistance des vieux chefs militaires, on lui fit de telles réflexions qu’il devint encore plus méfiant à l’égard des généraux. Où était l’enthousiasme des généraux pour les plans de Hitler ? Où était leur participation à ces plans ?

Les déclarations de Hitler, constamment changeantes, sur la question des Sudètes, ne donnaient certes pas aux chefs militaires l’idée qu’il pouvait s’agir sérieusement d’une guerre. Le 5 novembre 1937. il déclara qu’il résoudrait la question tchèque en 1943-1945. Le 20 mai 1938, dans une instruction militaire, il déclara : « Il n’est pas dans mon intention de réduire dans un avenir prochain la Tchécoslovaquie par une action militaire engagée sans provocation ». Le 30 mai 1939, il envoya les instructions suivantes à la Wehrmacht : « C’est mon intention inébranlable de réduire dans un avenir prochain la Tchécoslovaquie par une action militaire ». Le 18 juin 1938. on relève ceci dans un autre ordre : « Le but direct qu’il faut atteindre est la solution de la question tchèque et ceci par ma libre décision ». Le 24 août 1938, comme condition d’une attaque allemande, il décida de créer un « incident » avec la Tchécoslovaquie. Le 16 septembre 1938 commencèrent les préparatifs militaires à la frontière, mais en même temps commencèrent également les négociations politiques.

Le 1er octobre 1938, à la suite de l’accord politique intervenu, les territoires concédés furent occupés pacifiquement.

L’installation du Protectorat sur la Tchécoslovaquie fut une mesure purement politique et les chefs militaires eurent seulement l’ordre de réaliser une avance pacifique.

Lorsqu’on décembre 1938 il fut ordonné à l’Armée, dans un ordre écrit envoyé à l’OKH, de se consacrer jusqu’en 1945 uniquement à son organisation et à son instruction et d’écarter toute espèce de préparatifs de ’guerre y compris les préparatifs de renforcement de la sécurité à la frontière, les chefs militaires acquirent la ferme conviction que les événements se dérouleraient de façon pacifique. Lequel ’de ces événements peut faire supposer que les chefs militaires ont participé à un plan commun de guerres d’agression ? Dans tous les cas, les chefs militaires n’ont pas fait autre chose que d’exécuter les ordres strictement militaires qui leur ont été donnés, une fois prises les décisions politiques.

L’évolution politique qui conduisit à la guerre avec la Pologne a été suffisamment examinée au cours de ce Procès. Il ne me reste ici qu’à exposer comment elle fut considérée par les chefs militaires. Quels étaient les rapports de Hitler avec ses généraux à son sujet ? Il était le Commandant suprême de la Wehrmacht, c’est-à-dire le chef militaire direct des généraux. Leurs scrupules politiques s’étaient partout révélés absurdes, au cours de l’occupation de la Rhénanie, de l’annexion de l’Autriche, dans la question des Sudètes, au moment de l’instauration du Protectorat.

En sachant ce qu’on sait maintenant, il est facile de nier ce fait, mais à cette époque, la foi en Hitler et son destin politique était une réalité tangible chez la majorité des citoyens et des soldats. Et tous ses succès, il ne les avait obtenus que par la politique, en aucun cas par la guerre ! Pour que les chefs militaires s’aperçussent qu’il allait entraîner l’Allemagne dans une guerre d’agression contre la Pologne, il eût fallu qu’ils fussent des voyants ! Comment auraient-ils pu reconnaître les buts qu’il poursuivait ? Il était interdit aux Affaires étrangères de donner aux chefs militaires des renseignements sur la situation politique. Ils ne pouvaient participer aux décisions politiques ni isolément, ni comme corps constitué. Les propositions faites, en octobre 1938, par le ministre des Affaires étrangères du Reich, devant l’Ambassadeur de Pologne, les entretiens de Hitler lui-même avec le ministre des Affaires étrangères de Pologne et les conversations du ministre des Affaires étrangères du Reich à Varsovie ne pouvaient être jugées par des soldats que comme des tentatives pour arriver à une solution politique du problème polonais et certainement pas comme les préparatifs d’une guerre d’agression.

Le premier ordre militaire donné en avril 1939 n’était rien de plus qu’un préparatif pour parer à une éventualité. Tout chef militaire raisonnant froidement ne pouvait considérer que comme une absurdité une guerre d’agression quelconque, après les promesses d’assistance faites par l’Angleterre et la France à la Pologne.

L’entretien du 23 mai 1939 fut une allocution adressée par le Commandant suprême aux chefs militaires, placés sous ses ordres. Lorsque Hitler y déclarait expressément : « Il faudrait que je sois idiot pour me laisser entraîner à une guerre mondiale pour cette misérable question du Corridor, comme les incapables de 1914 », et quand, sur la remarque du Feldmarschall Milch disant que la production de bombes lourdes était absolument insuffisante en cas de guerre et devait être immédiatement augmentée, Hitler répondait qu’on avait tout le temps pour prendre ces mesures, les chefs militaires étaient obligés de conclure que Hitler ne faisait de préparatifs militaires que pour soutenir les mesures politiques qu’il prenait, mais qu’il ne se risquerait, en aucun cas, à un conflit armé avec la Pologne.

De même, l’entretien du 22 août 1939 ne fut pas une consultation de conseillers, mais une allocution du Commandant suprême aux chefs militaires placés sous ses ordres. Quand Hitler employait ces mots : « Nous n’avons pas d’autre choix, nous devons agir », il ne disait pas comment il entendait ce mot « agir ». En tout cas, les chefs militaires n’avaient pas encore l’impression que la guerre contre la Pologne était une chose décidée. Au contraire ; le soulagement visible avec lequel Hitler leur fit savoir qu’un traité de commerce venait d’être conclu avec l’Union Soviétique laissa aux participants l’impression très nette qu’on pourrait trouver une solution de la question polonaise sur le terrain diplomatique. Hitler avait été, jusque là, un maître pour saisir l’occasion favorable. Personne n’a su manier le bluff avec plus de virtuosité que lui. Mais le bluff et la pression militaire sont des moyens autorisés en politique. En tirer la conclusion que celui qui se sert de l’un ou le soutient approuve ainsi une guerre d’agression est complètement erroné. Si Hitler avait réellement conçu longtemps auparavant un plan d’agression contre la Pologne, les chefs militaires n’auraient jamais pu connaître ce plan en tant que tel. En définitive, ils furent eux-mêmes trompés.

Quand les dés furent jetés, que devaient-ils faire ? Devaient-ils, peut-être, déclarer : « Nous ne vous suivons pas » ou refuser d’entrer en scène ? Ils devaient faire leur devoir. Ils étaient exactement dans la même situation que les ; chefs d’armées russes, lorsqu’ils reçurent aussi quelques jours plus tard l’ordre de pénétrer en Pologne. Une fois la guerre commencée, ils devaient agir eux aussi, suivant les paroles de Napoléon : « Remarquez bien, Messieurs, que dans la guerre, l’obéissance est une vertu plus grande que le courage ».

D’après le Ministère Public, la responsabilité des chefs militaires ne s’étend pas seulement à l’ouverture des hostilités, mais aussi à l’extension et à la conduite de la guerre.

Les motifs de nature politique ou militaire qui ont provoqué l’extension de la guerre et la forme des opérations de guerre ont été discutés au cours de ce Procès si souvent et sous tant d’aspects, que je dois renoncer ici — en raison surtout du peu de temps dont je dispose — à les discuter encore une fois d’un point de vue plus large.

Pour les chefs militaires, les mobiles politiques profonds de la deuxième guerre mondiale étaient les conséquences évidentes de la situation créée par le Traité de Versailles. Ainsi, en définitive, l’agression allemande contre la Pologne leur semblait moralement justifiée. Ce sont les généraux allemands, qui ont le moins souhaité la guerre à l’Ouest. Si l’Angleterre et la France ont déclaré la guerre, ce n’est certainement pas l’œuvre des chefs militaires allemands. Les extensions de la guerre qui se produisirent ultérieurement au cours des opérations ne peuvent pas davantage être considérées comme la conséquence de décisions prises librement où à la suite d’un plan prémédité. Une fois la guerre commencée, seule la nécessité du combat pour la victoire ou la défaite dicte aux États la voie à prendre. Le soldat n’est plus autre chose que l’épée qui doit frapper et le bouclier qui pare les coups, pour préserver de la mort son propre peuple. L’audition des preuves, dans le cas Raeder, a établi de façon concluante quelles furent les considérations qui dominèrent dans le cercle restreint des officiers qui préparèrent l’occupation du Danemark et de la Norvège. Nous savons que, sur ce point, le Reich allemand ne devança que de peu une opération alliée. Si le Commandant en chef de la Marine acquit lui-même la conviction qu’il s’agissait d’une nécessité urgente, afin de détourner de l’Allemagne un grave danger, comment des commandants appartenant au prétendu groupe auraient-ils pu être d’avis qu’un péril si sérieux n’était pas à redouter ? Les chefs d’Etat-major et les chefs des troupes alliées auraient-ils eu un droit ou une possibilité quelconque de refuser rembarquement de leurs troupes, effectué pour la même raison et antérieurement à l’action allemande ? En outre, il n’y avait que peu de chefs militaires au courant de cette opération. Tous les autres officiers visés par le Ministère Public n’apprirent cette opération que par la radio. Comment peut-on, par conséquent, les accuser d’avoir participé à l’établissement des plans contre ces pays ?

Les motifs et les conditions préliminaires de la campagne à l’Ouest sont également examinés à fond. L’attitude des .généraux est ici tout particulièrement significative à rencontre de ce que suppose l’Accusation. L’OKH s’éleva violemment contre la décision de Hitler d’attaquer à l’Ouest, en particulier contre la violation de neutralité projetée. Les heurts avec Hitler étaient tellement graves que Hitler, au cours de son allocution du 23 novembre 1939 adressée aux commandants en chef, dirigea des attaques particulièrement violentes contre les généraux, leur reprocha leur ignorance en matière de politique extérieure et parla d’une « caste retardataire » qui « avait déjà fait faillite en 1914 ». Le soir même, le Commandant en chef de l’Armée de terre annonça sa démission, qui ne fut, toutefois, pas acceptée.

Si donc l’OKH s’est énergiquement opposé aux plans de Hitler, s’il y a eu de graves divergences de vues entre Hitler et les généraux et si, finalement, le Commandant en chef de l’Armée de terre a donné sa démission, quelle autre attitude pourrait-on encore exiger des généraux ? Auraient-ils dû se mutiner en présence de l’ennemi ? Une telle attitude eût été, en raison de la forte situation de Hitler qui était victorieux à l’époque, sans le moindre effet vis-à-vis du peuple allemand.

En outre, toujours dans l’espoir qu’il pourrait quand même encore se trouver une possibilité de paix, l’OKH recula jusqu’au commencement du printemps 1940 le début de l’offensive. Si même, du point de vue juridique, le passage par la Belgique et la Hollande représente une violation réelle de neutralité, les chefs militaires durent pourtant considérer ces mesures comme une nécessité imposée par la guerre et justifiée suivant les informations qui leur étaient parvenues, par la violation imminente de neutralité de la part des Alliés. D’autant plus qu’ils ne leur était pas possible d’avoir une vue d’ensemble de la situation politique et qu’ils n’auraient pu avoir aucune influence sur la décision de franchir la frontière.

Les raisons qui ont motivé l’intervention allemande en Yougoslavie et en Grèce ressortent suffisamment de l’audition des preuves de Göring, Keitel et Jodl. La guerre contre la Grèce fut la conséquence fatale de l’intervention décidée uniquement par l’Italie ; la guerre contre la Yougoslavie, la suite du brusque coup d’État à Belgrade. En ce qui concerne les chefs militaires, ils n’avaient même pas envisagé la possibilité d’une guerre dans les Balkans ; à plus forte raison, ils ne sauraient en porter une responsabilité quelconque.

Les chefs militaires n’envisageaient aucunement, au début de la guerre, d’avoir à se tourner contre l’Union Soviétique. Aucune disposition n’avait été prise par eux en prévision de cette éventualité ; les cartes nécessaires n’existaient même pas à l’OKH ! Lorsque Hitler ’demanda plus tard d’établir ces plans, il justifia cette mesure par la nécessité de devancer une intervention imminente de la Russie dans la guerre. Les agissements russes contre la Finlande, les Pays baltes et la Bessarabie semblaient confirmer l’exactitude de cette façon de voir. Des informations dignes de foi sur des concentrations massives de troupes russes étaient d’autres indices pour eux de l’imminence d’un danger. Comme il ressort des déclarations du Feldmarschall von Rundstedt et du général Winter, l’avance allemande se heurta à d’importants préparatifs de concentration ’de troupes russes, qui ne purent que confirmer les chefs militaires dans la conviction que Hitler, lorsqu’il avait déclaré qu’il s’agissait d’une guerre préventive, avait eu raison.

L’organisation des aérodromes de l’Aviation soviétique avait été poussée si près de la frontière que ce seul fait permettait déjà de conclure avec certitude à une intention offensive de la Russie. On a pu constater alors la présence die dix mille engins blindés soviétiques, de cent cinquante divisions soviétiques et une augmentation de vingt à cent des aérodromes dans la seule Pologne orientale. Si les chefs militaires ont considéré qu’une telle situation justifiait au point de vue militaire la décision de Hitler de procéder à une guerre préventive, leur participation à cette guerre dans l’accomplissement de leur devoir militaire n’a jamais été un crime. Le plan militaire connu sous le nom de « Barbarossa », qui est considéré par le Ministère Public comme le plan d’une guerre d’agression, a été jusqu’à la fin conçu comme ne s’appliquant qu’à un cas purement éventuel, comme une mesure de précaution, pour le cas où l’Union Soviétique en viendrait à changer son attitude. Même après le mois de février 1941, seuls 18 des 128 chefs militaires accusés, en dehors des personnalités dirigeantes du Commandement supérieur de la Wehrmaicht, du Commandement supérieur de l’Armée de Terre et du Commandant en chef de la Luftwaffe avaient connaissance de ce plan et, pour préciser, uniquement comme d’un plan prévu pour un cas éventuel. Le Commandant en chef de l’Armée de terre, le Feldmarschall von Brauchitsch, avait aussi prévenu Hitler pour ce cas éventuel, en le mettant au courant de graves inquiétudes militaires. La masse des officiers visés ici n’en a eu connaissance qu’immédiatement avant le commencement de la guerre, alors que les dés étaient déjà jetés, en recevant leurs ordres.

Comment les dix-huit officiers qui ont eu connaissance du plan auraient-ils pu s’opposer avec succès aux intentions de Hitler ? Les raisons données par Hitler légitimaient la guerre. Attendre que la menace soviétique se fût transformée en une attaque effective aurait conduit, en jugeant les choses d’un point de vue militaire, à l’anéantissement du Reich. Pour les autres chefs militaires, il n’existait absolument aucune possibilité de rejeter la décision de Hitler.

Le début de la guerre contre les États-Unis a de même été déjà examiné. Elle a été déclarée sans que les chefs supérieurs en aient entendu parler auparavant. Si le Haut Commandement de l’Armée de terre a été lui-même mis en présence du fait accompli, comment les autres chefs militaires auraient-ils su quelque chose de l’intention de Hitler de commencer cette guerre ?

Pour la Marine de guerre qui était la seule sur laquelle pesait la charge de la conduite de la guerre dans la mesure où les forces de terre et de l’air des États-Unis n’intervenaient pas en Europe et en Afrique, il est établi que les hostilités a valent déjà été ouvertes, longtemps avant la déclaration de la guerre, par l’ordre de tirer donné par Roosevelt, bien que les forces allemandes eussent toujours respecté strictement la limite de trois cent miles marins non justifiée en Droit international. L’audition des preuves de Raeder et de Dönitz a permis de conclure nettement que tous les ordres du Commandement supérieur de la Marine de guerre avaient pour but d’éviter à tout prix un conflit avec les États-Unis.

J’en viens à la conclusion de ce chapitre.

Quelle faute portent les cent vingt-neuf officiers, visés par l’Accusation en tant que groupe, dans l’extension de la guerre ?

Je crois qu’ils n’ont pas commis d’autre faute que celle dont est coupable tout soldat qui combat en temps de guerre, pour sa patrie, là où on le lui commande.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal suspend l’audience.

(L’audience est suspendue.)
Dr LATERNSER

J’en arrive maintenant au chapitre : « Crimes contre le droit de la guerre et contre l’Humanité ».

L’accusation portée contre les chefs militaires d’avoir pris part à la préparation et l’exécution d’une guerre criminelle et totale, particulièrement aussi d’avoir participé aux crimes commis contre les armées ennemies et contre les prisonniers de guerre ainsi que contre la population dans les territoires occupés, atteint avec une force particulière les généraux allemands. Pour les généraux, il ne s’agit pas de diminuer une faute propre quelconque, mais d’établir la vérité historique.

Si l’on veut apprécier équitablement les terribles événements de la dernière guerre mondiale, il faut se représenter que les actes et les omissions de chaque individu comme des peuples ne sont pas seulement le produit du libre arbitre ou d’un bon ou mauvais esprit. Ils proviennent bien davantage des bases spirituelles de l’époque aux influences desquelles personne ne peut se dérober.

Dès le début du XIXe siècle, les peuples ont dû se débattre avec le problème de la puissance sous toutes ses formes. Les différentes doctrines, l’attitude matérialiste que l’on ’peut constater depuis la deuxième partie du XIXe siècle et finalement aussi l’importance capitale du sentiment national que l’on a pu remarquer sur le, continent, sont des manifestations qui, bonnes ou mauvaises, ne sont pas restées sans influence sur les sentiments et les actes des peuples. Même si ces idées ne devaient pas forcément conduire aux résultats devant lesquels nous nous trouvons aujourd’hui, elles sont cependant, tout compte fait, le point de départ idéologique qui a provoqué l’éclosion de la deuxième guerre mondiale avec ses suites.

Un autre point de vue qui, pour juger de façon équitable l’ensemble des faits, en particulier les ; énormes sacrifices humains, ne doit pas être négligé, est la dévalorisation de l’homme. Elle se fonde sur la « tendance à se grouper » constatée depuis le XIXe siècle dans les nations civilisées. Plus la population augmente, plus la valeur de l’individu diminue de façon regrettable. C’est avant tout le développement sans cesse accru de la technique qui a contribué considérablement à cette dévalorisation. Lorsque la technique moderne met entre les mains de l’homme le moyen d’anéantir d’un seul coup 10.000 vies humaines, lorsqu’une attaque aérienne d’une seule nuit provoque un sacrifice humain de 200.000 personnes — comme à Dresde — lorsqu’une ou deux bombes atomiques suffisent à supprimer 100.000 hommes, la valeur humaine ne peut que diminuer. Ce phénomène s’est déjà présenté pendant la première guerre mondiale, comme dans la révolution russe ou dans la guerre civile espagnole. Les chefs militaires allemands se sont dressés contre cette évolution mais — fils de leur temps — ils ne pouvaient se soustraire à l’esprit de leur époque pas plus que les soldats des autres pays.

La deuxième guerre mondiale n’était pas une guerre purement militaire, mais, en outre, surtout même, dans ses conséquences, une guerre d’idéologies. Chaque fois que les idéologies se sont heurtées, la lutte est devenue une lutte de destruction, une lutte totale. De tout temps, les combats idéologiques firent couler des flots de sang et furent la cause d’horreurs inimaginables. Qu’on se souvienne des guerres de religion et qu’on pense aux victimes et aux cruautés des grandes révolutions. C’est ainsi que la deuxième guerre mondiale fut conduite comme un conflit idéologique par les deux camps avec une fermeté et une endurance qui conduisit finalement à l’épuisement total des forces humaines et des moyens matériels des propres peuples, c’est-à-dire « à la guerre totale » dans le plus vrai sens du mot. Si, en outre, la notion de guerre totale fut étendue par les politiciens des deux côtés dans le sens d’une suppression totale de l’idéologie adverse, cela montre ce que signifie un conflit idéologique.

Quelle était l’attitude des généraux vis-à-vis de ces problèmes ? Le groupe ’des généraux visés par l’Accusation comprenait exclusivement des hommes qui avaient choisi la profession militaire comme la tâche de leur vie. C’étaient ides hommes mûrs ayant acquis l’expérience de la vie et qui avaient revêtu l’uniforme bien avant le régime national-socialiste. C’est justement l’homme mûr qui a un sentiment plus fort de la tradition, du droit, et de la loi que l’homme jeune. C’est ainsi que l’on vit, peu après le début de la guerre, que les chefs militaires n’approuvaient en aucune façon les idées révolutionnaires de Hitler sur les méthodes de la conduite de la guerre et refusèrent de les adopter. Les généraux étaient fermement décidés à mener la lutte suivant la vieille tradition en observant exactement les règles de la guerre. Le reproche fait par Hitler aux généraux en novembre 1939 sur « les conceptions arriérées de la guerre chevaleresque » est un langage clair. Leur attitude n’a pas changé, même plus tard ; il en est une preuve : dans le cours ultérieur de la guerre, une grande partie des généraux accusés ici furent relevés à cause de cette attitude et malgré leurs succès militaires.

Devant le Tribunal, trois Feldmarschälle se sont présentés comme témoins. A-t-on eu l’impression qu’ils étaient des criminels ayant violé les règles du droit de la guerre et de l’humanité ? Ces officiers savaient par la première guerre mondiale que des infractions au droit de la guerre se retournent toujours contre les soldats de ceux qui les ont commises. Ils ont mené jusqu’au bout la lutte contre les forces armées adverses, d’après les règles du droit de la guerre.

Les généraux eurent aussi la même attitude envers la population civile et dans l’administration des territoires ennemis occupés.

Lie chef militaire responsable du combat au front n’a qu’un intérêt, c’est que la paix règne derrière ses lignes.

Pour cette seule raison, il fera tout ce qui est possible pour éviter que la population ne sorte de son calme. Il sait trop que toute mesure inutile de coercition ne peut conduire qu’à des réactions hostiles et celles-ci à des représailles plus dures, et ces représailles à une nouvelle rébellion. Si l’on ne veut plus croire à l’honneur militaire et à la mentalité chrétienne des chefs militaires, on pourrait au moins croire que la raison les a conduits à traiter conformément au Droit international la population des territoires occupés, à respecter la propriété privée et à soutenir dans la mesure du possible les efforts pacifiques de cette population. Il est évident, d’autre part, qu’une résistance ouverte s’exerçant dans le dos d’une armée occupante ne peut être tolérée, et que des contre-mesures ont été prises dans ce cas par les chefs militaires. Les sévères menaces que les gouvernements militaires alliés font peser aujourd’hui sur tout membre d’un mouvement et sur tous les détenteurs d’armes en Allemagne, alors que le combat est terminé, le prouvent suffisamment.

Une des conséquences du double caractère de cette deuxième guerre mondiale — le militaire et l’idéologique — a été de délimiter de façon très stricte le domaine de la guerre depuis les services les plus élevés placés immédiatement sous l’autorité de Hitler jusqu’aux organes d’exécution inférieurs.

Seule la direction des affaires strictement militaires incombait à la Wehrmacht, alors que tout ce qui était en rapport avec le combat idéologique parallèle était l’affaire des services politiques et de leurs organes d’exécution.

Ainsi, contrairement aux précédentes coutumes, les territoires conquis par la Wehrmacht ont été, en principe, immédiatement après l’occupation, soustraits au pouvoir territorial de l’autorité militaire et placés sous l’autorité des dirigeants politiques.

C’est pourquoi tous les crimes quelconques qui ont été commis dans des territoires qui n’étaient pas placés sous la souveraineté territoriale du cercle des personnes mises en accusation n’entrent pas en question dans ce Procès en ce qui concerne la responsabilité de ce qui constitue ce « groupe ».

Le Protectorat et le Gouvernement Général, la Norvège, la Belgique et le Nord de la France, le reste de la France occupé par les troupes allemandes, le Luxembourg et l’Alsace-Lorraine, la Croatie, la Yougoslavie et la Grèce, la Hongrie et l’Italie n’étaient pas placés du point de vue territorial, sous l’autorité des chefs militaires.

Dans l’Union Soviétique, les territoires d’opérations ont été, à priori, sur l’ordre de Hitler, délimités aussi étroitement que possible. C’est pourquoi ils ne comprenaient que les régions entourant directement la zone d’opérations militaires, jusqu’à ce qu’en fin’ de compte, la souveraineté territoriale eût été réduite à la seule zone de combat, c’est-à-dire a un territoire allant jusqu’à environ dix kilomètres en arrière des premières lignes. En dehors de ce territoire, c’était la souveraineté administrative des services politiques qui s’exerçait.

Les reproches adressés ici au Militärbefehlshaber ou au Wehrmachtsbefehlshaber dans les différents pays et territoires occupés sont sans fondement, car ces officiers ne rentrent pas dans le groupe visé par l’Accusation.

Ce règlement de l’administration ’démontre que Hitler, par méfiance envers les chefs militaires à cause de leur opinion sur les questions de la conduite de la guerre et celles de l’humanité, s’en remit pour la lutte de politique idéologique, entièrement aux services politiques et à leurs organes d’exécution.

Donc, du point de vue territorial, les commandants en chef n’avaient l’autorité que dans la mesure et aussi, longtemps que ces territoires en pays ennemi appartenaient au théâtre d’opérations, et ils n’en portaient la responsabilité qu’à l’intérieur de ces limites.

Mais, même à l’intérieur des territoires d’opérations, toutes les tâches qui n’étaient pas en relation immédiate avec le combat, étaient soustraites à l’influence de la Wehrmacht et confiées à l’exécution des services politiques responsables complètement autonomes, par exemple toutes les mesures de politique policière, d’exploitation économique des territoires occupés, les mesures d’ordre culturel et celles de l’emploi de la main-d’œuvre fournie par la population. Il ne restait donc aux commandants en chef comme tâches, en dehors des opérations purement militaires sur le front, que la sécurité militaire et l’installation des administrations locales à l’intérieur des territoires d’opérations. D’ailleurs ils étaient, ’dans le territoire d’opérations, extrêmement absorbés par les devoirs de la conduite des opérations, du ravitaillement de leurs troupes et par les tâches de sécurité militaire, de sorte qu’ils ne pouvaient s’occuper eux-mêmes d’autres tâches. Leur place était dans le secteur de combat des unités placées sous leur commandement. Leurs soucis et leurs plans devaient, en premier lieu, être consacrés au combat incessant et à leurs troupes. Tout cela est la simple explication du fait que beaucoup de choses et de mesures prises par d’autres services que ceux de la Wehrmacht pouvaient être tenues secrètes même dans les territoires d’opérations et ne venaient pas à la connaissance du Commandant en chef.

Les unités des Waffen SS étaient placées sous l’autorité du commandement ’de la Wehrmacht comme troupe de combat, exclusivement pour le combat lui-même et en ce qui touchait le ravitaillement. Aussi bien du point de vue organisation que du point de vue personnel, disciplinaire et judiciaire, seul le Reichsführer SS Himmler avait pouvoir de commandement. Toutes les autres organisations hitlériennes, par exemple les Einsatzgruppen, la Police, le SD, l’organisation Todt, etc., recevaient leurs ordres et leurs instructions exclusivement de leurs propres services supérieurs et non du commandant en chef du secteur d’opérations.

Par cette réglementation du commandement et ce partage des responsabilités, les commandants en chef étaient pratiquement réduits à la conduite des troupes sous leurs ordres dans le territoire d’opérations.

Après cette mise en lumière du ressort des responsabilités des commandants militaires en chef, je vais traiter quelques points spéciaux et je dois faire remarquer tout d’abord, en ce qui concerne les documents utilisés par l’Accusation, que des extraits d’ordres allemands ne permettent souvent pas sans le contexte de reconnaître le sens véritable de ces ordres et peuvent conduire à des déductions fausses. Dans ’d’autres documents, particulièrement ceux de l’Accusation russe, il s’agit en partie de constatations de commissions quelconques. Personne ne peut vérifier si les nombres contenus dans ces documents, par exemple en ce qui concerne le nombre de personnes assassinées, sont exacts, d’autant plus que toutes les indications détaillées concernant la date de la perpétration de ces crimes et autres éléments de fait font défaut. Ce n’est pas le nombre réel des morts qui suffit à prouver qu’il s’agit de personnes assassinées par les Allemands.

Ainsi, après un examen serré, les preuves de l’Accusation, qui paraissaient si écrasantes, s’effondrent, surtout lorsqu’on tient compte du fait que ces preuves ont été rassemblées par de nombreuses commissions dans tous les pays et par des centaines de témoins au cours d’un travail qui dura des mois, et qu’il embrassa des événements qui ne se sont pas passés dans un seul et étroit secteur de commandement, mais dans des espaces énormes et pendant un long laps de temps.

Malgré les grandes difficultés auxquelles se heurta la défense pour établir sa documentation, j’ai ’déposé devant le Tribunal, lors de mon exposé des preuves, un dossier extrêmement vaste de documents à décharge et j’ai fourni des explications nécessaires pour autant que l’occasion m’en a été donnée.

Le temps, limité maintenant aussi, me met dans l’impossibilité d’exploiter ici même complètement les éléments de réfutation.

Je prends seulement quelques cas isolés auxquels j’attribue une importance particulière : « L’ordre des commissaires », qui ordonnait l’exécution immédiate des commissaires politiques, joue un rôle important. Quand Hitler, en mars 1941, fit connaître, d’abord de vive voix, cet ordre dont il avait pris tout seul la décision il se heurta aussitôt à une vive désapprobation personnelle de la part de tous les généraux présents, en raison de leurs convictions militaires et humaines. Après l’échec de toutes les tentatives des généraux de l’OKH et de l’OKW pour empêcher la publication de cet ordre de Hitler, quand il fut publié quelque temps plus tard, sous sa forme écrite, les commandants des groupes d’armées et ides armées ou bien ne transmirent même pas cet ordre à leurs troupes, ou bien prirent la responsabilité de l’éluder. Ils le firent en pleine connaissance du danger qu’ils couraient d’être sévèrement condamnés pour désobéissance ouverte à un ordre du Commandant suprême en temps de guerre. L’ordre sur le maintien de la discipline, publié à la suite de l’ordre des commissaires par le Commandant en chef de l’armée de terre, eut le résultat prévu. Il fournissait aux commandants du front le moyen d’agir suivant leurs conceptions. C’est ainsi que les chefs militaires réussirent à empêcher d’une façon générale, la mise à exécution de l’ordre des commissaires dans les armées et groupes d’armées. Enfin, grâce à l’énergique intervention du chef d’État-Major général Zeitzler, l’ordre des commissaires fut rapporté.

LE PRÉSIDENT

Existe-t-il une preuve de la suppression de cet ordre ?

Dr LATERNSER

Oui, Monsieur le Président. Cette preuve ressort des affidavits que j’ai présentés, et le document 301 b prouve en particulier ce que je viens de dire.

LE PRÉSIDENT

Vous estimez qu’il a existé un ordre écrit du chef de l’État-Major général, Zeitzler, rapportant cet ordre ?

Dr LATERNSER

Je crois qu’on m’a mal compris. D’après le dernier paragraphe que je viens de lire, Monsieur le Président, le chef de l’Etat-major, Zeitzler, a obtenu par son attitude d’opposition en face de Hitler que cet ordre soit rapporté. C’est ce que prouve le document 301 b que j’ai déposé devant le Tribunal. Ce document a également été traduit.

Que pouvait-on exiger de plus de la part des chefs militaires ? L’ordre n’émanait pas d’eux ; ils ne l’ont ni transmis, ni exécuté, ils ont essayé de le faire rapporter et y ont réussi. En ceci, ils étaient tous d’accord et unanimes, et précisément cette attitude à l’égard de l’ordre des commissaires est un certificat extrêmement probant de l’attitude irréprochable des généraux.

De même, l’ordre sur la restriction de la compétence de la juridiction militaire dans l’Est se heurta, dès que Hitler l’énonça, à l’opposition des chefs présents. C’est à leur attitude ’de désapprobation qu’il faut attribuer le fait que Hitler ait renoncé à son plan primitif de supprimer complètement la juridiction militaire dans l’Est, en se contentant de la restreindre.

A ce sujet précisément, l’ordre complémentaire du Commandant en chef de l’Armée de terre sur le maintien de la ’discipline prend une très grande importance. Les commandants en chef des armées et groupes d’armées suivirent toutes les prescriptions de cet ordre complémentaire et punirent sévèrement tous les abus de membres de la Wehrmacht vis-à-vis de la population civile. Dans les cas graves, ils firent prononcer et exécuter des condamnations à mort. On poursuivit même des soldats devant les tribunaux militaires pour de simples accidents de voiture au cours desquels des Russes avaient été blessés, et les coupables furent rendus responsables. Ces faits sont prouvés notamment par la déposition du Generalfeldmarschall von Leeb. Dans ce cas également, ce sont précisément les officiers visés par l’Accusation qui ont veillé à ce qu’un ordre de Hitler, contraire à leur conviction intime, ne fût pas exécuté complètement.

L’attitude des chefs militaires à l’égard de l’ordre des commandos de Hitler était d’avance tellement hostile que Hitler dut, non seulement rédiger personnellement cet ordre, mais se vit en outre obligé d’appliquer des sanctions sévères et inhabituelles, pour le cas où on ne l’observerait pas. Malgré cela, le Commandant en chef de l’armée d’Afrique, le Generalfeldmarschall Rommel, personnellement hostile à cet ordre, le rejeta dès sa réception. Le Commandant en chef des forces de l’Ouest, le Feldmarschall von Rundstedt, veilla à ce que cet ordre ne fût pas exécuté mais tourné. Le Commandant en chef des forces du Sud^Ouest, le Feldmarschall Kesselring, donna des instructions complémentaires visant à ce que les troupes des commandos continuent à être traitées comme des prisonniers de guerre. Pour le théâtre d’opérations « Est », cet ordre n’avait, de toute manière, aucune importance.

Ces exemples démontrent clairement que, là aussi, les chefs militaires ont de nouveau trouvé les voies et moyens d’empêcher l’exécution de l’ordre des commandos qui répugnait à leurs conceptions de soldats. Les cas isolés mentionnés par le Ministère Public doivent rester en dehors de ces débats, car il ne s’agit ici que d’actes isolés qui ont déjà été instruits au cours de procédures particulières ou qui le seront par la suite, mais ils n’indiquent nullement l’attitude-type des chefs militaires, la seule qui devrait importer dans ce Procès. Sur ce point, les questions suivantes me paraissent encore être d’importance : Les chefs militaires pouvaient-ils ne pas croire que les constatations réelles contenues dans cet ordre correspondaient à la vérité ? Ne devaient-ils pas supposer que l’ordre, avant d’être donné, avait été examiné du point de vue du Droit international ? Cet ordre est-il absolument insoutenable au point de vue du Droit international ? Est-ce encore une mesure de représailles licite ?

C’est ce que le Tribunal devra décider s’il attribue une certaine importance à cet ordre de Hitler pour juger les personnes que je représente.

D’ans la question du traitement des prisonniers de guerre, on a seulement à examiner si, en exécution d’un plan d’ensemble, les commandants en chef ont ordonné ou toléré de manière coupable quelque mauvais traitement à l’égard des prisonniers dans les zones d’opérations.

Si, dans les premiers temps de la campagne de Russie, les prisonniers russes n’ont pu être logés et nourris conformément à la convention de Genève, cela doit être imputé uniquement au fait que certaines difficultés sont absolument inévitables lorsqu’il s’agit de centaines de milliers de prisonniers. Si, à la fin de la guerre, les mêmes difficultés se sont présentées également aux Alliés du fait de l’afflux subit de prisonniers de guerre allemands, ils n’admettront certainement pas qu’on le leur reproche comme un crime de lèse-humanité ! Les cas particuliers énoncés par le Ministère Public ont d’ailleurs été affaiblis ou contredits par les réfutations fournies sur tous les théâtres d’opérations. Les chefs militaires ont prévenu par des ordres, sur tous les théâtres d’opérations, les abus commis contre les prisonniers de guerre et, en cas de violation de ces ordres, en ont fait rendre compte aux coupables. Aucun mauvais traitement ou même mise à mort de prisonniers de guerre n’a été ordonné ou sciemment toléré par eux.

La guerre de partisans, considérée comme une forme illégale d’un nouveau genre de la conduite de la guerre, tut déclenchée par des débris d’armées ou des groupements séditieux ennemis soutenus par leurs gouvernements. Cette guerre ne fut pas menée, selon les usages de la guerre ouverte, par les armes, mais clandestinement, par tous les moyens de camouflage. Les instructions russes sur la conduite de la guerre de partisans constituent un témoignage probant à cet égard. Les partisans ne pouvaient, en conséquence, invoquer à leur profit lia disposition protectrice des articles 1 et 2 de la Convention de la Haye sur la guerre sur terre. Les contre-mesures allemandes énergiques sous forme de représailles étaient donc exigées par les nécessités de la guerre.

C’est ainsi que furent publiées par les Allemands en 1942 et, dans une nouvelle édition, en 1944, des prescriptions concernant la lutte contre les partisans. Les ordres donnés par ailleurs à cet égard et dans lesquels il est question de la sévérité la plus énergique ou de l’anéantissement de l’adversaire, c’est-à-dire de sa force combative, étalent la conséquence du combat perfide des partisans : ils n’avalent en vue que l’énergique sévérité militairement permise, et non des cruautés et l’arbitraire. Le fait que des excès aient été commis également dans des cas isolés par des troupes allemandes, ne peut être considéré que comme une réaction inévitable devant les assassinats féroces de soldats allemands.

Mais quand le Ministère Public affirme, en outre, que les chefs militaires ont mis à profit la lutte des partisans pour exterminer la population civile des territoires occupés, cette affirmation est dénuée de tout fondement. L’affidavit n° 15 du général Rottiger sur lequel s’appuie le Ministère Public et qu’il a rédigé lui-même, a été expliqué sans équivoque par l’interrogatoire contradictoire. Le témoin n’a jamais reçu d’ordres contraires au Droit international pour la lutte contre les bandes de partisans ; il confirme en outre le respect des règles militaires même dans ce genre de combat.

La lutte contre les partisans devait être, il est vrai, en raison de leurs procédés de combat illicites, menée sévèrement, mais ne pouvait l’être qu’avec les moyens permis. Il s’agissait là de mesures défensives’ allemandes nécessaires qui n’étaient dirigées en aucune façon contre la population civile des territoires occupés en tant que telle et avaient encore moins pour but son extermination.

La plus grave accusation résulte de l’affirmation du Ministère Public que les commandants en chef étaient parfaitement au courant des missions et de l’activité des Einsatzgruppen qui leur étaient soi-disant subordonnés, et qu’ils ont non seulement toléré, mais soutenu activement l’exécution de leurs missions.

Le Ministère Public s’appuie sur les dires des chefs SS Ohlendorf, Schellenberg et Rhode ainsi que sur le document L-180. N’est-ce pas là des éléments de preuve dont il faut se défier au plus haut point ? Peuvent-ils réellement convaincre le Tribunal que les généraux de l’Armée allemande ont prêté la main aux plus effroyables massacres ? A ces questions, je réponds par la négative, selon ma plus intime conviction. La déposition du témoin Ohlendorf, sur l’ordre duquel des milliers de Juifs ont été assassinés, est contredite par celle du général Woehler sur tous les points essentiels. Schellenberg, qui a occupé l’un des postes les plus importants au sein de l’autorité la plus mal famée d’Allemagne — le RSHA — un ami de Himmler, ne peut fournir aucun élément positif et n’apporte que des suppositions. Il croit pouvoir supposer que le général Wagner a été informé en juin 1941 par Heydrich des massacres projetés. Quand le témoin forme-t-il cette supposition accablante ? A la fin de l’année 1945, alors qu’il a été arrêté et cherche à se créer des avantages. Il ne peut, questionné ensuite par mes soins lors d’un interrogatoire contradictoire, indiquer aucun fait de 1941 qui puisse étayer cette supposition ; il la formule pourtant, et cela pour la première fois en 1945. Et le général Wagner, officier particulièrement qualifié, qui a donné sa vie le 20 juillet 1944 dans le combat contre le national-socialisme, n’aurait rien dit de cet effroyable exposé à son supérieur direct, le Generalfeldmarschall von Brauchitsch, dont il était l’ami intime depuis de longues années et chez lequel il avait accès à tout moment en sa qualité de Generalquartiermeister ? Cette hypothèse est inadmissible et c’est ce qu’a aussi confirmé à la barre des témoins le Generalfeldmarschall von Brauchitsch.

Schellenberg croit, en outre, pouvoir émettre la supposition que les officiers du service de renseignements ont été informés, au cours d’un congrès en juin 1941, des tâches des Einsatzgruppen dans les massacres. Il ne s’en tient d’ailleurs pas à cette supposition. Il y ajoute celle que ces officiers de renseignements en ont informé les commandants en chef. Ainsi deux suppositions de Schellenberg doivent apporter la preuve du fait que les commandants en chef ont eu connaissance du projet des ces massacres !

Quelle est maintenant l’attitude de Schellenberg lors du contre-interrogatoire à l’égard des hypothèses qu’il a présentées ?

Je lui soumets une déclaration sous la foi du serment d’une personne ayant participé à ces réunions d’officiers de renseignements, le général Kleikamp, qui déclare expressément qu’il n’a pas été question de massacres organisés, ce qui doit faire s’écrouler l’édifice de mensonges édifié par Schellenberg.

Il répond qu’il n’a pas à se prononcer sur la valeur des deux prestations de serment. Il place ainsi sa pure hypothèse contraire, qui n’est fondée sur aucun fait, — car il n’a pu en indiquer au cours du contre-interrogatoire — sur le même plan que la déposition positive d’un participant à la réunion, qui soutient qu’il n’a pas été donné d’informations au sujet de massacres organisés !

Mais en voilà assez au sujet de la déposition Schellenberg. Je prie le Tribunal de prendre complètement connaissance du procès-verbal du contre-interrogatoire de ce témoin devant la commission.

Le témoin Rhode, également chef supérieur SS, veut aussi apporter des charges. Il prétend que les Einsatzgruppen étaient entièrement soumis à l’autorité des commandants en chef ; mais il restreint cette déclaration en ajoutant : « ...pour autant que je le sache ». Par là, ce témoignage perd de sa valeur pour l’Accusation.

Passons maintenant au document L-180 d’après lequel le Commandant en chef du 4e groupe blindé, le général Hoeppner, aurait collaboré de façon particulièrement étroite avec les Einsatzgruppen.

N’y a-t-il pas un grand danger pour la recherche de la vérité dans l’utilisation d’un pareil rapport, surtout quand il ne contient que l’opinion de l’auteur ? Il ne contient d’ailleurs aucune indication pour savoir en quoi consistait cette collaboration et à quoi elle se rapportait. Les Einsatzgruppen et Einsatzkommandos avaient, comme on l’a démontré, des tâches de surveillance et de vérification qui étaient seules connues des commandants en chef. Si une collaboration quelconque a existé, elle n’a jamais pu porter sur les exécutions massives de Juifs. Le général Hoeppner, qui a été victime du 20 juillet 1944, aurait été le dernier à donner la main à une extermination massive. Peut-on vraiment croire qu’un général voulant supprimer un régime, au risque de sa vie, surtout à cause de ses méthodes, aurait participé auparavant à ces exterminations massives ? Je regrette infiniment de ne pouvoir appeler les généraux Wagner et Hoeppner à la barre des témoins. Ni l’un ni l’autre n’avaient conspiré avec le régime, mais plutôt contre lui, et tous deux ont sacrifié leur vie dans ce but. Il est curieux que le Ministère Public, qui devient si facilement ironique quand les accusés se réfèrent pour leur décharge à des témoins qui sont morts, veuille lui-même étayer le fait que les chefs militaires ont eu connaissance des exécutions en masse et ont participé à celles-ci en s’appuyant sur la déclaration de morts qui, malheureusement, ne peuvent plus se défendre.

A cette présentation des preuves du Ministère Public qui ne sont nullement concluantes, j’ai opposé de nombreux affidavits qui prouvent :

1° Que les Einsatzgruppen n’étaient pas placées sous les ordres des chefs militaires, ce qui ressort avec une particulière évidence du document PS-447 de l’Accusation.

2° Que le général Wagner l’a déclaré devant le Juge général Mantel.

3° Que les chefs militaires n’ont jamais été informés des exterminations massives projetées.

C’est au Haut Tribunal de décider maintenant s’il doit ajouter plus de crédit aux déclarations des chefs SS Schellenberg, Ohlendorf et Rhode, qui, une dernière fois, essaient, dans leur haine, d’entraîner les chefs militaires dans leur propre perte, ou à celles des officiers que le Tribunal a pu lui-même apprécier.

En ce qui concerne les autres points de l’Accusation, comme les traitements infligés à la population civile, les destructions et les pillages, je renvoie aux preuves que j’ai données lors de ma présentation des preuves sur ces points ; elle démontrent clairement que, dans tous les cas contraires à la loi parvenus à leur connaissance, les chefs militaires sont intervenus de la façon la plus énergique.

L’Accusation n’a pas produit de preuves convaincantes en ce qui concerne la participation des chefs militaires aux déportations de travailleurs. La question des otages qui ont été fusillés doit rester en dehors du cadre de la présente procédure, car les commandants militaires territoriaux des pays occupés — pour autant qu’ils aient réellement ordonné de fusiller des otages — ne figurent pas parmi les personnes que je représente.

Si, en raison du temps limité dont je dispose, j’arrête ici mon exposé relatif aux crimes de guerre et aux crimes contre l’Humanité, il y a néanmoins une chose qui s’est manifestée très nettement : les chefs militaires n’ont pas agi en exécution de plans quelconques ayant eu pour but de commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité. Ils ont fait plutôt la guerre en soldats honnêtes, d’une façon chevaleresque, et ils ont su empêcher l’exécution pratique de tous les ordres de Hitler qui ne répondaient pas à leur propre façon de voir.

Il peut paraître surprenant peut-être que, dans toutes mes explications, je me sois occupé uniquement des commandants en chef de l’Armée de terre et de la conduite de la guerre sur terre, et non pas des généraux de l’Armée de l’air et des amiraux, bien que ces derniers soient pourtant réputés faire partie également du prétendu groupe. Je ne puis défendre que ce qui est attaqué. Or, aucune des affirmations de l’Accusation sur les crimes de guerre et les crimes contre l’Humanité qui ont été commis, ne concerne les commandants en Chef de la Marine ou de la Luftwaffe. L’unique reproche qui soit fait à la Marine de guerre, celui qui concerne les ordres qui ont été donnés pour la guerre sous-marine s’adresse uniquement aux deux Grands-Amiraux de’ la flotte, qui ont du reste endossé toute la responsabilité sur ce point, tandis que les commandants en chef des opérations de la Marine n’avaient absolument rien à y voir.

En ce qui concerne les commandants en chef de la Luftwaffe, on ne leur a pas adressé le moindre reproche. Si dix-sept amiraux et quinze généraux de l’Armée de l’air ont été compris, uniquement à cause de leur situation, dans le prétendu groupe, alors que l’Accusation ne les charge même pas de reproches faits au groupe, ce fait constitue la meilleure preuve contre la thèse de l’existence de ce groupe et il rend inutile toute défense spéciale des amiraux et des généraux de l’Armée de l’air.

Le dernier reproche de l’Accusation d’après lequel les chefs militaires porteraient une co-responsabilité du fait qu’ils auraient toléré, dans la pratique, les plans et les actes de Hitler au lieu de s’y opposer, nous ramène à ce qui constitue proprement dit le problème central de l’ensemble du Procès contre les militaires, au problème du devoir d’obéissance.

On a discuté à plusieurs reprises sur île fait que l’ordre du Führer n’était pas seulement un ordre militaire mais avait en outre la valeur d’une loi. Les chefs militaires ne devaient-ils donc pas simplement obéir à la loi ? Si le devoir d’obéissance tombe à l’égard d’un acte qui a pour but un crime civil, la raison en est que l’ordre exige un acte dirigé contre la puissance de l’État, Mais peut-on considérer qu’il y a crime quand l’ordre exige une action qui ne va pais à rencontre de la puissance de l’État, mais est précisément exigé par elle ? Et même si l’on répond à cette question affirmativement, quel citoyen au monde pourrait alors reconnaître la nature criminelle de son action ?

Il ne suffit pas, pour établir l’évidence d’une culpabilité, que l’Accusation énonce ce que les accusés n’auraient pas dû faire ; elle devrait plutôt exposer en même temps ce qu’ils eussent pu et dû faire. Car toute interdiction légale doit comporter en elle-même un commandement. Si l’on suppose maintenant qu’en dépit du maintien de la souveraineté des différents États, souveraineté fondée sur le Droit international et la loi morale, il existait pour les généraux une obligation légale d’agir même contre la loi de leur propre État, cette obligation ne pourrait cependant être affirmée que si cette action offrait une chance de succès ! Car enfin, se faire pendre pour se dérober simplement à ses devoirs et trahir son pays sans espoir de changer les choses, c’est ce qu’aucune morale ne pourrait exiger. Personne n’est obligé, en fin de compte, de devenir un martyre !

Quelles possibilités de résistance active ou passive contre l’ordre ou la loi s’offraient-elles d’ailleurs aux généraux accusés ? Quelles étaient les chances de succès ? Le simple refus d’exécuter des plans ou des ordres contraires au Droit, refus qui aurait été entraîné par un esprit de contradiction, pour mettre en garde, pour exposer des doutes ou pour toute autre raison, était, il est vrai, possible, mais il restait sans aucun succès dans la pratique. Bien souvent, il était fait échec à cette possibilité du seul fait que les généraux n’étaient pas mis au courant de nombre de choses auxquelles il eût fallu s’opposer. Dans le combat politico-idéologique, les méthodes furent si soigneusement cachées aux généraux qu’ils n’ont jamais rien appris des exécutions en masse et n’auraient pu, à plus forte raison, les empêcher. Dans le secteur militaire de la conduite de la guerre, les collaborateurs les plus intimes de Hitler ont pu être entendus sur le comment de l’exécution militaire d’une décision, mais jamais sur la décision elle-même. Les chefs militaires accusés ici n’en apprenaient quelque chose la plupart du temps qu’au moment où il leur fallait exécuter militairement et en leur qualité de soldats les décisions définitives. Ils soulevaient des objections ; dans la mesure du possible. Le Commandant en chef de l’Armée de terre, le baron von Fritsch, mit en garde contre l’occupation de la Rhénanie, contre une politique susceptible de conduire à une guerre sur deux fronts, contre l’armement, et fut déplacé. Le chef d’État-Major général Beck donna des avertissements politiques, et fut remercié. Le Generaloberst Adam se prononça également contre la politique adoptée, et fut renvoyé. L’OKH prit position contre l’offensive à l’Ouest et les violations de neutralité, et fut écarté. Le Commandant en chef de l’Armée de terre intervint contre les empiétements occasionnels en Pologne, ce qui entraîna l’exclusion des services militaires de l’administration des territoires occupés.

Avertissements, scrupules, objections techniques n’avaient jamais aucun effet et ne servaient la plupart du temps qu’à confirmer Hitler dans ses intentions et à le faire s’obstiner à les transformer en réalité. Si les démarches des chefs suprêmes restaient elles-mêmes sans succès, qu’eussent pu faire, en ce domaine, les chefs subalternes également visés par l’Accusation ?

Un politicien démocrate dira qu’ils auraient dû se retirer. C’est ce que peut faire un ministre parlementaire dans un pays démocratique. Un officier allemand ne le pouvait pas ! Il était lié par le serment au drapeau qui représentait pour le vieil officier, encore plus que pour tout autre, le devoir suprême. Le général allemand ne pouvait que demander l’autorisation de se retirer. Le succès de cette demande ne dépendait pas de lui. De plus, en temps de guerre, Hitler interdisait toute requête de ce genre et assimilait une démission presque à la désertion. Une demande collective de démission — pratiquement déjà inexécutable — aurait été considérée comme une mutinerie et n’aurait eu comme résultat que de donner la direction à des éléments dévoués au régime, sans jamais impressionner Hitler au point de lui faire changer sa politique, ses ordres ou ses méthodes. Les essais effectifs de démission de certains Feldmarschälle et particulièrement celle du Commandant en chef de l’Armée de terre en novembre 1939, amenèrent un refus net. Le congé donné par la suite le fut sur une décision propre de Hitler. Malgré cela, la démission des commandants en chef du front aurait été un devoir naturel et aurait dû être obtenue par tous les moyens si ces chefs avaient été mis une fois devant des tâches, dans lesquelles — suivant leur conception — l’honneur du peuple allemand aurait été en jeu. Mais c’est justement, ces tâches — parmi lesquelles je compte les extermination massives et les atrocités commises dans les camps ’de concentration — dont les généraux n’ont pas été chargés, et ce sont justement ces choses-là que l’on tenait soigneusement secrètes devant eux.

La désobéissance ouverte aurait-elle été plus facilement possible et plus sûre du succès ? A ce sujet, le Procureur Général américain dit dans son rapport du président des USA :

« Si un soldat est, par suite de ses obligations militaires, affecté à un peloton d’exécution, il ne peut être tenu pour responsable de la validité juridique des jugements qu’il exécute. Mais là où un homme — par suite de son rang ou par suite de la possibilité d’étendre les ordres qui lui ont été donnés — peut agir selon son propre jugement, le cas se pose tout autrement, »

Les généraux ne partagent pas ce point de vue. Au contraire, la désobéissance du simple soldat sera facilement éliminée dans ses effets par la punition, mais la désobéissance d’un haut chef militaire ébranle le corps entier de l’Armée ou même de l’État auquel il appartient. Si quelque chose dans le monde ne se partage pas, c’est bien l’obéissance militaire !

Personne n’a mieux décrit le sens et le caractère du devoir militaire d’obéissance que le maréchal britannique Lord Montgomery. Il dit, dans son discours du 26 juillet 1946 à Portsmouth :

« Au service de la nation, l’Armée est au-dessus de la politique et il faut que cela reste ainsi. Son dévouemenit est au service de l’État, et ce n’est pas au soldat de modifier son dévouement à cause de son opinion politique. Il doit être clair que l’Armée n’est pas un rassemblement d’individus, mais une arme combattante, formée par la discipline et contrôlée par les chefs. L’essence de la démocratie est la liberté, celle de l’Armée c’est la discipline ! Le soldat n’a rien à dire, quelque intelligent qu’il soit. L’Armée abandonnerait la nation à elle-même si elle n’était pas habituée à obéir immédiatement aux ordres. Le difficile problème d’obtenir l’obéissance stricte aux ordres donnés ne peut être résolu dans une ère démocratique que si l’on se pénètre de trois principes :

« 1. La nation est quelque chose qui mérite des sacrifices ;

« 2. L’Armée est l’arme nécessaire de la nation ;

« 3. Il est du devoir du soldat d’obéir sans poser de questions à tous les ordres que lui donne l’Armée, c’est-à-dire la nation. »

Quant aux généraux allemands, il auraient dû, à en croire le Ministère Public, non seulement poser des questions lorsqu’ils obéissaient au Chef suprême et à la nation, mais encore se révolter ouvertement.

Pour répondre équitablement à cette question, il aurait fallu être commandant d’une armée en temps de guerre, et en particulier sur le front, dans des circonstances particulièrement difficiles. Car il y a une grande différence entre celui qui, commandant sur un front où l’on se bat durement, a la responsabilité de la vie et de la mort de centaines de milliers de soldats, et un officier qui n’a pas la responsabilité sur un front ou qui n’a cette responsabilité que dans un secteur calme. Si malgré tout les chefs militaires n’ont jamais cessé de lutter pour leurs conceptions militaires et s’ils ont agi d’après elles, dans la mesure du possible, cela n’a eu d’autre résultat que l’élimination de ces chefs à la fin de la guerre. Un bref regard sur le sort des chefs militaires le prouve : Des dix-sept Feldmarschälle qui servaient dans l’Armée de terre, dix ont été relevés de leur commandement au cours de la guerre, trois perdirent la vie en raison des événements du 20 juillet 1944, deux tombèrent au champ d’honneur, un fut fait prisonnier. Un seul resta en service jusqu’à la fin de la guerre sans avoir encouru de sanctions. Sur trente-six généraux d’armées, vingt-six furent éloignés de leur poste, trois furent exécutés en relation avec les événements du 20 juillet 1944, deux furent mis à la retraite comme sanction, sept tombèrent au champ d’honneur et trois seulement restèrent en service jusqu’à la fin de la guerre sans sanctions. Les officiers victimes de mesures disciplinaires étaient des chefs parfaitement compétents et avaient fait leurs preuves au front.

Je résume :

1. La désobéissance militaire est et reste une violation du devoir, un crime puni de mort en temps de guerre.

2. Il n’existe pour nul soldat au monde le devoir de désobéir, aussi longtemps qu’il y a des États à souveraineté propre.

3. Durant la dictature de Hitler, la désobéissance ouverte n’aurait amené que l’anéantissement du subordonné, mais n’aurait jamais entraîné l’annulation des ordres donnés.

4. Nul corps plus que celui des officiers accusés ici n’a sacrifié autant de victimes prises dans les milieux dirigeants pour la défense de ses conceptions hostiles aux méthodes de Hitler.

Étant donné l’impossibilité ou l’inefficacité de tout moyen passif, il ne serait resté que la voie de la force, de la révolution et du coup d’État. Celui qui envisageait de suivre une telle voie, devait comprendre qu’il n’arriverait à ses fins qu’en éliminant Hitler et les personnalités dirigeantes du Parti et cela de façon telle que ces hommes soient exterminés. Il y avait donc à l’origine de tout coup d’État la nécessité inéluctable d’éliminer Hitler et les personnalités dirigeants du Parti. Pour un soldat, cela signifiait assassinat et parjure. Même si l’on prétend que les généraux auraient dû sacrifier leur honneur personnel et militaire à une morale universelle supérieure, où auraient-ils pu trouver une raison légitime d’accomplir un tel fait contre la volonté du peuple, et à quel moment ce fait aurait-il pu être exécuté avec une chance de succès et pour le bien du peuple ? Après l’incorporation du Protectorat, Hitler était au comble de ses succès et passait aux yeux du peuple allemand pour le plus grand des Allemands. Lorsque Churchill disait de lui le 4 octobre 1938 : « Notre Gouvernement doit avoir au moins une parcelle de l’esprit de ce caporal allemand qui, alors que tout autour de lui était tombé dans les décombres, que l’Allemagne paraissait avoir sombré à tout jamais dans le chaos, n’a pas hésité à marcher contre la puissante ligne de bataille des nations victorieuses », ces mots ne prouvent-ils pas suffisamment qu’une tempête du peuple allemand aurait balayé les généraux qui s’en seraient pris à Hitler ? Les généraux auraient-ils dû écarter Hitler à un moment où une solution pacifique était encore possible avec la Pologne, lorsque le peuple allemand ne pouvait pas prévoir que la guerre éclaterait effectivement, ni quelles formes elle aurait, comme cela est clair aujourd’hui aux yeux de tous ?

La guerre est venue ensuite et elle a enchaîné d’une manière décisive les chefs militaires. Toute insurrection en temps de guerre aurait signifié la catastrophe pour le Reich. Tant que les victoires ont duré, toute chance de succès d’un coup d’État était compromise de toutes les façons. Mais lorsqu’il apparut clairement, après Stalingrad, qu’il fallait désormais se battre pour défendre l’existence même du peuple allemand, les chefs militaires n’avaient absolument plus le droit moral de provoquer l’effondrement du front et de l’arrière par un coup d’État. Une grande partie du peuple allemand croyait encore à ce moment à Hitler. Les chefs militaires n’auraient-ils pas été rendus responsables de tout ce qui est ressenti aujourd’hui si péniblement par le peuple allemand comme une conséquence de la capitulation ? Peut-on considérer au cours d’une guerre qui met en jeu la vie et la mort du peuple que le coup d’État, le parjure et l’assassinat constituent réellement le devoir de conscience d’un soldat ? Comme l’a dit le Feldmarschall von Rundstedt à la barre des témoins : « Cela n’aurait rien changé pour le peuple allemand. Mais mon nom serait entré dans l’Histoire comme celui du plus grand des traîtres ».

L’insuccès de l’attentat du 20 juillet 1944 démontre combien toute tentative de cette nature était condamnée à l’échec. Même la préparation de cet attentat durant des années, la participation d’hommes provenant de tous les milieux, n’ont pas conduit à un succès. Comment les cent vingt-neuf officiers accusés ; auraient-ils donc pu perpétrer un coup d’État avec succès ?

Assurément, s’ils avaient été le groupe cohérent que le Ministère Public aimerait tant voir en eux, un plan commun de renversement du régime par la force aurait peut-être pu être envisagé. Mais comme ils ne constituaient pas une organisation cohérente, comme ils n’étaient pas dies hommes politiques mais uniquement des soldats, ils ne pouvaient rien faire par eux-mêmes pour amener un changement dans la situation ; ils ne pouvaient, malgré leur connaissance de la situation militaire, qu’obéir jusqu’au dernier !

Les chefs militaires allemands se trouvaient pris entre le Droit en tant qu’hommes et le Devoir en tant que soldats.

Comme citoyens, ils auraient pu revendiquer pour eux le droit de refuser de servir un chef et un système qui, à mesure que la guerre se prolongeait, se montraient plus néfastes. Ils se seraient ainsi soustraits à leur responsabilité personnelle, ils auraient, comme le dit le procureur, sauvé leur tête. Peut-être ne seraient-ils pas maintenant devant ce Tribuna.1. Mais par cette décision, ils auraient en même temps laissé dans la difficulté leurs soldats qui avaient confiance en eux, et dont ils se sentaient responsables. Il ne leur restait donc, comme soldats, que le devoir de combattre. Ce devoir aurait pu aussi consister, au sens noble, à renverser le système. Mais en temps de guerre, cela n’aurait pratiquement rien signifié d’autre que de provoquer la défaite.

Pas un soldat ne pouvait prendre sur lui de le faire. On ne demande pas durant des années à des soldats de sacrifier leur vie pour ensuite mettre bas les armes et entrer dans l’Histoire comme traîtres à leur peuple.

C’est ainsi qu’il ne restait aux chefs militaires allemands que le devoir de combattre jusqu’au bout contre l’ennemi. Placés devant un dilemme tragique entre le droit personnel et le devoir militaire, ils se sont ’décidés pour le devoir et ils ont agi ainsi dans le sens de la morale du soldat. Était-ce là un crime ? N’était-ce pas, au contraire, du plus profond tragique ? Quels moyens leur restaient encore d’écarter d’eux et de leurs soldats les actions criminelles ?

Il n’y avait qu’une seule possibilité, celle de tourner les ordres criminels, de les éluder ou de les transformer par des ordres complémentaires, de façon telle que le résultat correspondît au sentiment du Droit et aux convictions des soldats. Cela, ils l’ont fait jusqu’à la limite extrême du possible, pour conduire la guerre militaire, dont ils étaient chargés, conformément aux exigences du droit des gens et de l’Humanité. Si, à côté de cela, la guerre politique et idéologique a été menée avec des méthodes qui ont amené aujourd’hui le mépris du monde sur le peuple allemand, les généraux allemands en leur totalité n’ont pris aucune part à cette partie de la guerre.

J’arrive à la fin de mon exposé.

Je crois avoir prouvé que :

1. Les cent vingt-neuf chefs militaires que l’Accusation veut frapper n’ont en aucun cas constitué une organisation ou un groupe et encore moins une volonté unique pour l’accomplissement d’actes criminels. Ces hommes ne sont pas une bande de criminels !

2. Le fait de comprendre tous les officiers dans une même catégorie appelée État-Major général et Haut Commandement de la Wehrmacht, comme le fait l’Accusation, est en réalité une classification toute arbitraire de chefs de services différents, ayant fait partie à des époques tout à fait différentes de branches de la Wehrmacht foncièrement différentes. Choisie sans aucune justification intérieure et sans nécessité légale, cette classification ne peut servir qu’à diffamer l’organisation d’un État-Major général que beaucoup d’États ont pris comme modèle. Quel slogan pour la presse mondiale :

« L’État-Major général allemand, une organisation de criminels ! »

Je crois avoir prouvé, en outre, que les chefs militaires dans l’État de Hitler n’ont même pas eu la possibilité de collaborer à un plan politique, à une conspiration politique ayant pour but une guerre d’agression, et à plus forte raison, d’y avoir participé activement. Ils ont toujours mis en garde, renouvelé sans cesse leur avertissement et ont été débordés par la direction politique elle-même.

Je crois avoir enfin prouvé qu’après le déclenchement de la guerre, les chefs militaires ont résisté passivement aux méthodes de Hitler qui méprisaient les lois de la guerre et de l’Humanité. Ils ont ainsi empêché, dans la mesure du possible, les crimes contre les lois de ]a guerre et contre l’Humanité et défendu le christianisme en soldats.

Si quelques-uns parmi les intéressés ont manqué à leur devoir, ils sauront répondre de leur faute. L’ensemble n’est pas responsable des crimes commis. Au contraire : ce milieu était encore un des remparts de la pensée et de l’action correctes, humaines et chrétiennes ; on y cultivait encore l’idée de véritable humanité et de christianisme. Seul, celui qui a vu de près la situation extrêmement difficile dans laquelle se trouvait chacun de ces hommes peut rendre justice à leur attitude. Ils étaient obligés de mener seuls leur lutte intérieure et ne pouvaient, dans leur détresse et leurs scrupules, chercher appui auprès des députés d’un parlement, des directeurs d’une presse libre ou auprès d’hommes influents quelconques de la vie publique comme pouvaient le faire les chefs militaires de l’adversaire, par exemple !

Ce sont justement ces hommes-là qui étaient ridiculisés et haïs ; on les considérait ouvertement et encore plus, intérieurement, comme « généraux réactionnaires », comme des « chevaliers poussiéreux qui avaient de l’honneur une conception moyenâgeuse ». Ce n’est pas le « grand Hitler », mais eux qui étaient responsables de tout échec militaire ; ils étaient les traîtres et les saboteurs qui portaient la responsabilité de tout le malheur. Sans eux, Hitler aurait gagné sa guerre !

La haine profonde des assassins de l’entourage de Himmler les poursuit jusque dans cette salle et cherche à les entraîner dans l’abîme avec eux par des mensonges et des déformations. Et le Ministère Public ne voit pas qu’en défendant la thèse selon laquelle Hitler a été entraîné de plus en plus par les instigateurs et les conseillers, les généraux étant, en définitive, responsables de tout, il contribue à faire renaître éventuellement l’auréole de Hitler et à le faire passer un jour non pas pour un criminel politique et un homme plusieurs fois assassin, mais pour un héros tragique que ses éminences grises ont précipité dans l’abîme. Le Ministère Public veut-il vraiment provoquer ainsi le jugement de l’Histoire ?

L’Histoire doit porter son propre jugement. La manière sommaire dont il faut juger ici est pour ainsi dire unique dans l’Histoire mondiale. Il n’y a, à vrai dire, qu’un seul exemple de ce qui doit mettre en garde et servir de leçon en même temps. Le 16 février 1568 une décision de la Curie condamna à mort comme hérétiques tous les habitants des Pays-Bas, à l’exception de quelques rares personnes nommément désignées. Le duc d’Albe — obéissant aveuglément et fanatiquement à son royal maître — reçut l’ordre d’exécuter ce verdict collectif. On connaît le jugement porté par l’Histoire sur cette première manifestation de l’idée de faute collective !

L’Histoire prononcera aussi son propre jugement sur les chefs militaires dont il est question ici, et les généraux allemands croient pouvoir affronter ce jugement. Or, il s’agit aujourd’hui du jugement de ce Tribunal Militaire International. Puisse le Tribunal ne pas oublier que ces hommes, lorsqu’ils prirent les décisions dont on les rend responsables aujourd’hui, n’avaient pas de ce qui se passait — du déroulement des choses et de leurs vrais motifs — la connaissance qu’ils en ont aujourd’hui.

Ces hommes ne craignent pas pour leur vie, mais pour la justice ! Puisse, comme je l’ai dit en commençant, être prononcé ici à Nuremberg à leur égard un jugement que les passions de la vie quotidienne n’effleureront pas et qui, loin du désir aveugle de la vengeance et des représailles, pur et sincère, inspiré ’du sentiment de l’éternité et d’un meilleur avenir de l’humanité, ne soit seulement que l’expression de la justice !

LE PRÉSIDENT

L’audience est levée.

(L’audience sera reprise le 28 août 1946 à 10 heures.)