DEUX CENT QUATORZIÈME JOURNÉE.
Jeudi 29 août 1946.

Audience du matin.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Monsieur le Président, au moment où l’audience a été levée hier, je m’occupais de quelques points de la plaidoirie du Dr Klefisch. Je poursuis mes explications sur ce sujet : Le Dr Klefisch et tous les avocats de la Défense ont beaucoup insisté sur les graves conséquences qui résulteront pour les personnes touchées par la déclaration de culpabilité, non seulement pour ceux contre lesquels des poursuites ultérieures peuvent être exercées, mais aussi pour les autres. Il est dit « que la flétrissure infligée aux membres des organisations déclarées criminelles » serait indélébile... Des millions de membres des organisations déclarées criminelles resteraient marqués du sceau de l’infamie pour le reste de leur vie. On les montrerait du doigt en disant : « Regarde, voilà un criminel SA ». Mais s’ils sont coupables, s’ils ont secondé et aidé un système qui a conduit à jeter le monde dans la guerre, faire revivre les horreurs de l’esclavage, de la persécution et des exécutions en masse, ne doivent-ils pas être ainsi flétris ? Ce ne peut être de l’injustice : c’est moins — infiniment moins — qu’ils ne méritent. C’est le seul espoir pour l’Allemagne et le monde que son peuple se rende compte et se repente de sa responsabilité pour ce qui est arrivé. Le Dr Servatius vous a demandé d’excuser les Ortsgruppenleiter parce qu’ils étaient membres de la petite bourgeoisie qui manquait d’expérience politique. Se peut-il réellement que seuls les milieux supérieurs de la nation allemande puissent reconnaître une guerre d’agression faite en vue de dominer le monde, d’établir l’esclavage, le meurtre et la persécution, comme des crimes ?

Cependant, il y a peut-être plus de vérité dans ceci qu’on n’ose le penser. Vous venez de voir et d’entendre de nombreux témoins qui — certains de leur propre aveu — ont été eux-mêmes intimement mêlés à des crimes hideux. Avez-vous pu discerner un sentiment de culpabilité de honte ou de repentir ? C’est toujours celui qui a donné les ordres qui est à blâmer, jamais celui qui a mis ces ordres à exécution. C’est toujours quelque autre organisme de l’État qui est responsable : aider cet État et coopérer avec ces organismes n’entraîne pas la critique. Si c’est ce que pensent ces gens aujourd’hui, aucun besoin plus pressant, aucune honte ne sont nécessaires pour déclarer criminels ces coupables.

J’ai l’intention de discuter les données des preuves qui concernent ces trois organisations pour lesquelles la Délégation britannique a pris une responsabilité particulière et qui, suivant la thèse des quatre Ministères Publics, sont criminelles. Mais avant de m’occuper de ce point, je pense que le Tribunal acceptera que je fasse une ou deux remarques générales sur la défense qui a été présentée en faveur de ces organisations. En faisant allusion aux paroles du Dr Böhm, je tiens à expliquer que personne ne pourra dire que toute facilité ne leur a pas été donnée pour leur défense. Une procédure très minutieuse a été élaborée pour obtenir et placer devant vous leur témoignage. 102 témoins ont été entendus par vos commissaires, témoins choisis par la Défense parmi plusieurs milliers de membres de ces organisations qu’on avait sous la main. Vous avez les procès-verbaux de leurs dépositions. Parmi ces témoins, la Défense en a choisi vingt qui ont témoigné devant ce Tribunal et que vous avez vus et entendus vous-mêmes. En plus de ce témoignage oral, on vous a également soumis la teneur de pas moins de 136.213 affidavits pour les SS, 155.000 pour les chefs politiques, 2.000 pour la Gestapo, 10.000 pour les SA et 7,000 pour le SD, ce qui fait un total de 310.213. On a également présenté à vos commissaires, soit en résumé soit en entier, 1.809 autres affidavits dont la plus grande partie se trouve maintenant dans le procès-verbal des débats des commissaires. En présence de ces faits, le témoignage présenté par presque tous les témoins appelés à comparaître devant les commissaires est inexact. Vous avez vous-mêmes vu et entendu quelques-uns d’entre eux, choisis par la Défense probablement parce qu’on pensait qu’ils étaient les plus sûrs et les plus susceptibles de vous impressionner. Leur témoignage n’est pas meilleur.

Vous vous rappelez Sievers, témoin des SS, qui nia avoir connu les expériences faites sur les êtres humains et y avoir participé et auquel on a présenté un dossier de sa propre correspondance qui le condamne formellement.

Le témoin Morgen a décrit le music-hall, le cinéma, la bibliothèque et autres agréments de Buchenwald. Dachau, a-t-il dit, était un camp de repos.

Brill, qui servit comme Obersturmbannführer dans la division SS Leibstandarte de juin à août 1941 sur le front Est, ne savait rien des Einsatzgruppen, du massacre des Juifs dans les territoires de l’Est ou du traitement infligé aux populations de Pologne et de Russie, emmenées en captivité pour le travail forcé. Les conditions étaient-elles tellement différentes en juin de ce qu’elles avaient été deux mois auparavant, quand Himmler avait dit à tous les officiers de cette division :

« Les membres des Waffen SS pensent très souvent à la déportation de ces gens-ci. Cela me vient à la pensée aujourd’hui lorsque je vois le travail très délicat accompli ici par la Sûreté aidée de vos hommes qui lui ont été d’un puissant secours. Exactement la même chose s’est passée en Pologne par une température de 40° au-dessous de zéro, où nous devions en transporter des milliers, des dizaines de milliers, des centaines de milliers ; où nous devions avoir la dureté — vous devez écouter ceci mais aussi l’oublier immédiatement — de fusiller des milliers de Polonais influents. »

Le général Hauser, qui fut commandant de la division SS « Das Reich » et, par la suite, commandant d’un corps, d’une armée et d’un groupe d’armées, ne savait rien des atrocités commises par les SS. Il n’avait jamais entendu parler du massacre de Lidice.

Le Gauleiter Hoffmann, qui a déposé devant votre commission pour essayer d’expliquer son ordre du 25 février 1945 encourageant le lynchage des pilotes alliés, dit que l’ordre « glissa » de son poste de commandement après qu’il eût refusé de publier le projet que lui avait soumis son officier d’État-Major.

Hupfauer, du Front du Travail allemand, qui surveillait le travail de cette organisation à Essen pendant la dernière partie de la guerre et était personnellement responsable de la transmission des ordres de Himmler en vue d’assurer « la discipline et le rendement des travailleurs étrangers », a nié avoir eu connaissance du traitement brutal des travailleurs forcés.

Rathcke, cité devant votre commission pour les SA, a décrit comment « au printemps 1933, les SA de toutes les localités se rendaient en masse à l’église ».

Schneider, autre chef politique, âgé de cinquante-cinq ans, cité devant votre commission, nia avoir jamais entendu parler du boycottage d’avril 1933.

Best, le négrier du Danemark, témoigna devant vous pour la Gestapo. Après avoir vu les documents qui lui furent présentés au cours du contre-interrogatoire, pouvez-vous croire un seul mot de ce qu’il a dit ?

Des exemples de témoignages de cette sorte pourraient être tirés du procès-verbal pour presque tous les témoins qui ont été cités pour défendre ces organisations.

Considérons ce témoignage sous un autre angle. Nous savons que des « manifestations » furent organisées et réalisées dans tout le Reich, contre les Juifs, dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, au cours desquelles trente-cinq Juifs furent assassinés, 20.000 arrêtés et incarcérés sans avoir commis d’autres crimes que celui d’être Juifs ; nous savons que 177 synagogues furent détruites par le feu ou démolies, que 7.500 magasins lurent détruits et que le montant des dommages causés par bris de vitres seulement s’élevait à 6.000.000 de Reichsmark. Le tribunal suprême du Parti rapporta même ce qui suit :

« Le public, jusqu’au dernier homme, se rend compte que les attaques politiques comme celles du 9 novembre furent organisées et dirigées par le Parti, qu’on l’admette ou non. Quand toutes les synagogues brûlent en une nuit, ce ne peut être l’œuvre que du Parti. »

« Qu’on l’admette ou non ! » Pouvez-vous trouver, parmi les 102 témoins qui ont été cités au nom des organisations du Parti, un seul homme qui soit prêt à l’admettre, ou quoi que ce soit qui ressemble à un aveu ? Pouvez-vous trouver un mot d’aveu dans les affidavits qui ont été soumis par plus de 312.000 membres de ces organisations du Parti ? Si ce n’étaient pas les chefs politiques, si ce n’étaient pas les SA ou les SS, si ce n’était pas la Gestapo ou le SD, qui, au nom du bon sens, organisa et dirigea ces manifestations ?

Nous savons qu’on utilisait des travailleurs forcés et qu’on les maltraitait brutalement dans toute l’Allemagne. Nous savons qu’en 1943 il devint même nécessaire — nécessaire uniquement pour accroître la production et non pour des raisons d’humanité — de modifier « le traitement des travailleurs de l’Est appliqué jusqu’alors » et la chancellerie du Parti et le RSHA durent ordonner à tous les chefs politiques, jusqu’aux Ortsgruppenleiter et probablement à tous les postes du SD et de la Gestapo, « de cesser les injustices, les insultes, les fourberies, les mauvais traitements, etc. Les châtiments corporels sont interdits. » PS-205 (GB-538).

Mais pouvez-vous trouver un seul individu, parmi les 102 témoins et les personnes qui ont confirmé leur affidavit sous la foi du serment, qui ait vu ou entendu parler des mauvais traitements infligés aux travailleurs étrangers, à l’exception d’un ou deux exemples exceptionnels ?

Tous ont présenté les mêmes témoignages. On leur demande s’ils savaient quelque chose de la persécution et de l’anéantissement des Juifs, de la terreur provoquée par la Gestapo, des atrocités commises dans les camps de concentration, des mauvais traitements des travailleurs forcés, de l’intention de faire une guerre d’agression et de sa préparation, de l’assassinat de braves soldats, marins et aviateurs. Et ils répondent par « un éternel non ». Vous pouvez vous souvenir des paroles d’un grand Irlandais : « Le faux a un éternel printemps ».

Passons à l’examen des trois organisations contre lesquelles je suis chargé de requérir : le Corps des chefs politiques, les SA et les SS.

Les avocats et les témoins de la Défense ont fait ressortir certains arguments d’ordre général qu’il convient de mentionner avant de s’occuper des preuves.

On prétend que les Zellenleiter et Blockleiter ne doivent pas être compris dans les chefs politiques, qu’ils n’ont jamais été regardés comme tels et n’avaient ni autorité ni fonctions politiques, qu’ils étaient subordonnés au personnel de l’Ortsgruppe, que le Ministère Public a consenti à exclure de l’Accusation, qu’ils étaient complètement sans importance et, en pratique, un peu moins que le garçon de course de leur Ortsgruppenleiter.

Nous prétendons qu’il y a des preuves accablantes du fait qu’il n’en était pas ainsi. Quand vous examinez les témoignages, vous les trouvez impliqués dans les activités criminelles de diverses natures. Je vous demanderai de garder particulièrement présent à l’esprit que c’était le processus normal dans le Corps des chefs politiques de ne rien transmettre par écrit au-dessous du rang d’Ortsgruppenleiter. Le livre d’organisation du Parti prescrivait :

« En principe, le Blockleiter réglera ses affaires officielles verbalement, il recevra les messages verbalement et les transmettra de la même façon. La correspondance ne sera utilisée qu’en cas de nécessité absolue et lorsque ce sera possible. » Le témoin Meyer-Wendebom a confirmé que cela se passait bien ainsi en pratique :

« Entre les Blockleiter et Zellenleiter d’un côté, et les Ortsgruppenleiter et le personnel d’un autre côté, il ne devait pas y avoir d’instructions écrites afin de ne pas donner trop de travail à ces gens de rang ou de position inférieure. »

Étant donné cela, vous pouvez, à juste titre, trouver remarquable que nous ayons pu découvrir tant de documents écrits, comme nous en avons, qui impliquent directement les Zellenleiter et Blockleiter. En traitant de la question des preuves, j’attirerai votre attention sur ces documents. Mais je voudrais aussi insister sur l’autre preuve que vous avez du rôle d’une importance capitale joué par les Zellenleiter et Blockleiter.

On a soutenu qu’ils n’étaient pas Hoheitsträger comme le suggère le Ministère Public, et différents documents ont été présentés par la Défense à l’appui de cette affirmation. Que ce soit vrai ou faux, cela n’a guère d’importance. Vous vous souviendrez qu’ils sont compris en tant que Hoheitsträger dans le livre d’organisation du Parti qui dit :

« Parmi les chefs politiques, les détenteurs de la souveraineté occupent une position spéciale. »

On répond que le livre d’organisation est inexact. On dit la même chose du journal Le SA, publication également gênante pour les membres des SA. Y a-t-il une publication officielle quelconque, publiée par les éditeurs officiels du Parti, qui soit exacte ?

Le fait est que sous quelque titre qu’ils aient pu être connus, les Zellenleiter et Blockleiter ont formé la base essentielle de tout le système du Parti. Le Gauleiter Kaufmann a admis que « les Blockleiter et Zellenleiter étaient les organes exécutifs des Ortsgruppen-leiter ». On demanda au Zellenleiter Schneider :

« Seriez-vous d’accord avec moi pour dire que, sans les Zellenleiter et les Blockleiter, les Ortsgruppenleiter n’auraient jamais pu exécuter les tâches qu’ils avaient à accomplir ? »

Et il répondit :

« Oui, c’est exact. »

Ils étaient bien plus que les garçons de course qu’ils prétendent maintenant avoir été. Hirth a déclaré que seules les personnes « sur lesquelles on pouvait entièrement compter du point de vue politique » étaient nommées soit hauts fonctionnaires dans les Gaue, Kreise et Ortsgruppen ou Zellenleiter ou Blockleiter et que ceux qui occupaient les postes de Zellenleiter et Blockleiter semblaient être les soutiens du parti nazi. Le témoignage montre la nature de la tâche qui leur était confiée, qui impliquait la responsabilité d’aider à la formation du « jugement politique » des habitants de leur zone. On a prétendu que les chefs politiques — particulièrement en temps de guerre — étaient contraints, contre leur gré, d’assurer leurs fonctions. Mais toute la base du système était le service volontaire, payé ou non payé, et ceci est confirmé par leur propre témoin Meyer-Wendebom. Laissez-moi citer son contre-interrogatoire fait devant la commission :

« Question — Puis-je en déduire que ces chefs politiques occupaient tous volontairement leurs postes ?

« Réponse

Oui.

« Question

Et cela s’applique aussi, n’est-ce pas, aux Zellenleiter et Blockleiter ?

« Réponse

Les Zellenleiter et Blockleiter étaient nommés par rOrtsgruppenleiter après entretien avec ses collaborateurs. Cependant, si quelqu’un ne se sentait pas à la hauteur de la tâche ou était- incapable de faire le travail ou n’en avait pas le temps, nous en cherchions un autre.

« Question

Et il dépendait uniquement des Zellenleiter et Blockleiter d’accepter ou non le poste ?

« Réponse

Oui. »

Si l’on a exercé une pression sur quelques-uns comme l’insinue le témoin Hirth, cela n’a pu avoir lieu que dans des cas très exceptionnels. Si l’on exigeait des titulaires de ces postes qu’ils fussent « complètement dignes de confiance du point de vue politique », il serait singulier de trouver parmi eux de nombreux adversaires du Parti obligés d’agir contre leur gré.

On a dit également qu’à la différence de ce qui se passait en temps de paix, leur nomination n’était pas confirmée, qu’on ne leur faisait prêter serment qu’à intervalles irréguliers et qu’ils ne recevaient pas d’uniformes, qu’ils n’étaient pas, selon les termes du Ministère Public, « d’après la terminologie nazie courante, chefs politiques d’un grade ou rang quelconque ».

Je prétends qu’il ne peut y avoir aucun fond dans un tel argument. Ils accomplissaient les mêmes tâches, étaient considérés comme les mêmes fonctionnaires et avaient la même autorité et la même influence que les autres.

On prétend qu’il n’existait aucun « corps » ou organisation de chefs politiques, mais ces témoignages montrent que les Politische Leiter de toutes classes formaient un corps fermé et bien déterminé. Ils sont indiqués comme « un corps » dans le livre d’organisation. Ils avaient ensemble un but commun : « Imprégner complètement la nation allemande de l’esprit national-socialiste ». Ils avaient le même uniforme. Ils recevaient la même carte d’identité, la même pour eux tous, mais différente de celle du reste de la population.

Ils prêtaient un serment commun à leurs chefs chaque année :

« Je jure fidélité éternelle à Adolf Hitler. Je lui jure obéissance sans condition ainsi qu’aux chefs nommés par lui. »

Et ainsi que le livre d’organisation le dit de chacun d’eux :

« Le chef politique est indissolublement lié à l’idéologie et à l’organisation de la NSDAP ».

Je désirerais donner un mot d’explication sur une autre question. Il a été prétendu par la Défense qu’un grand nombre d’Amtsleiter du personnel des divers Hoheitsträger ne devraient être compris dans aucune déclaration de criminalité que vous prononceriez contre le Corps des chefs politiques. De même qu’on déclarait les Blockleiter des innocents, des messagers inoffensifs, de même façon aussi on prétend que ces Amtsleiter étaient d’inoffensifs et innocents conseillers experts de leurs Gauleiter, Kreisleiter ou Ortsgruppenleiter respectifs. Ils peuvent avoir été d’adroits conseillers, mais ils étaient bien autre chose et n’étaient certainement ni innocents, ni inoffensifs. Ils étaient régulièrement nommés chefs politiques ; c’étaient des personnes qui étaient « tout à fait dignes de confiance en matière politique » et des soutiens du parti nazi. Comme les Hoheitsträger eux-mêmes, tous prêtaient leur serment annuel de fidélité qui les engagegait à une obéissance aveugle envers leur Führer. Bien qu’ils reçussent, naturellement, du service de l’État auquel ils appartenaient, les ordres concernant leur domaine particulier d’activité, tous étaient, néanmoins, soumis aux ordres de leur Hoheitsträger pour toutes les questions politiques et toutes les questions de discipline du Parti. Vous pouvez penser que ces hommes exerçaient une influence aussi dangereuse que celle de n’importe quel autre chef politique, parce qu’entre eux, ils avaient des relations étroites avec toutes les classes de la société et toutes les professions et industries. Nous n’avons pas de documents impliquant directement chaque catégorie de ces gens qu’on appelait chefs politiques, non politiques, mais une grande partie d’entre eux sont directement impliqués par les documents que vous avez vus. Je ne les énumérerai pas maintenant. J’attirerai votre attention sur eux lorsque je discuterai les preuves. Le Ministère Public pense que de ces preuves et des preuves générales sur la situation en Allemagne et sur l’influence des chefs politiques, vous avez le droit et êtes vraiment obligés de reconnaître que, si le but et les activités de cette organisation étaient criminels, alors chaque membre du personnel du Gau, du Kreis et des Ortsgruppen devrait être compris dans l’Accusation. Ne croyez pas, parce que nous avons délibérément exclu les membres appartenant au personnel de l’Ortsgruppenleiter, que nous avons agi ainsi en raison de leur innocence. Cette décision a été prise pour des raisons de convenance plutôt que pour d’autres raisons et il se peut bien que cette décision soit une erreur.

Il a été suggéré par la Défense qu’il y avait, dans les différentes organisations du Parti telles que DAF, NSV, les organisations d’étudiants et de femmes, des chefs qui étaient également connus sous la désignation de chefs politiques. Ils auraient été 1.500.000. Permettez-moi de souligner une fois de plus que si de tels chefs politiques ont existé, le Ministère Public ne cherche pas à obtenir une déclaration de criminalité contre eux. Nous n’englobons que les Reichsleiter, Gauleiter, Kreisleiter, Ortsgruppenleiter ainsi que les Amtsleiter ou chefs des bureaux des états-majors de la Reichsleitung, de la Gauleitung et de la Kreisleitung. Ce sont les chefs politiques dont l’organisation était basée sur la géographie et qui étaient responsables du contrôle politique du peuple ainsi que de l’exécution et de l’administration de la politique nazie. Tous les autres sont exclus.

Vouz avez une liste qui vous montre les chiffres des intéressés. D’après le livre d’organisation du Parti, ils se montent pour 1943 à 600.000. La Défense prétend que ce chiffre ne permet aucun remplacement et que le nombre total de tous ceux qui, à un moment quelconque, ont occupé ces postes, est beaucoup plus grand. A ce propos, je fais deux remarques. D’abord, les chiffres mentionnés dans le livre d’organisation indiquent le personnel maximum autorisé pour chaque Gau et Kreis. En pratique, tous ces postes n’étaient pas occupés dans les districts urbains ; il n’y avait pas d’Amt agricole ; dans les Gaue où il n’y avait pas d’université, il n’existait pas d’Amtsleiter politique pour les professeurs d’universités. Ensuite, le chiffre de 1943, 600.000, comprend les chefs politiques de neuf Gaue étrangers, six autrichiens, deux polonais, et un dans le Sudetenland aucun n’avait existé avant 1938 ; de telle sorte que, pendant les cinq premières années du régime nazi, le nombre total possible de chefs politiques dut être considérablement inférieur à 600.000. L’extrait de la brochure Der Hoheitsträger soumis par la Défense illustre l’accroissement qui se produisit chez les seuls Hoheitsträger entre 1935 et 1939 ; les chiffres passèrent de 291.671 à 581.650. Étant donné ces considérations, nous prétendons que, compte tenu des remplacements, le nombre total des personnes qui occupèrent à un moment quelconque ces postes dans le Corps des chefs politiques que nous englobons en vue d’une déclaration de criminalité ne peut avoir dépassé de beaucoup le chiffre de 600.000 que nous avons indiqué. Et ce sont ces hommes et ces femmes qui ont constitué le noyau même du national-socialisme qui a conduit les 48.000.000 de votants d’Allemagne dans la voie et à la fin que nous avons vues.

Examinons les preuves apportées contre eux d’après les principaux chapitres. Nous y verrons non seulement comment ils participèrent eux-mêmes directement au crime, mais aussi comment ils aidèrent activement et en connaissance de cause les autres organisations et coopérèrent avec elles à l’accomplissement de leur but criminel commun.

Bormann, écrivant aux Gauleiter en juin 1941, déclarait : « Pour la première fois dans l’Histoire de l’Allemagne, le Führer a en mains la direction consciente et absolue du peuple ». D-75 (USA-348).

Les témoignages sur l’activité des chefs politiques pendant les élections de 1936 et de 1938 nous montrent l’une des manières dont le Corps des dirigeants aida à mettre la direction du peuple entre les mains du Führer et nous montrent la participation des chefs politiques de tout rang.

Nous avons le dossier complet du Kreis d’Erfurt, en Thuringe, sur le plébiscite de 1938. Les Stützpunktleiter devaient signaler d’avance toutes les personnes de leur district dont ils pouvaient supposer avec certitude qu’elles voteraient « non ». Les ordres furent donnés par le SD à la fois aux Stützpunktleiter et aux spécialistes du service de sécurité. Les chefs de section devaient, autant que possible, aider les Stützpunktleiter locaux. La Défense a expliqué que les Stützpunktleiter dont il était question dans ce dossier étaient les Stützpunktleiter du SD et non de la Direction politique. Même si vous acceptez cette explication, cela ne change rien car il était expressément indiqué que toute l’affaire devait être menée avec la collaboration très étroite des Orstgruppenleiter du Parti. Les chefs politiques pouvaient difficilement avoir quelques doutes sur ce qui était réservé aux personnes qu’ils signalaient quand les ordres contiennent le paragraphe significatif :

« L’énorme responsabilité qui incombe aux Stützpunktleiter, en particulier pour cette dénonciation, est soulignée une fois de plus. Les Stützpunktleiter doivent clairement comprendre les conséquences qui sont possibles pour les personnes qu’ils signalent dans leur rapport. »

Le Tribunal se rappellera les rapports fournis par le SD après le plébiscite qui indiquaient les moyens par lesquels les bulletins de vote des personnes suspectes avaient été vérifiés avec du lait écrémé et des machines à écrire aux caractères incolores. Vous vous rappellerez également les méthodes employées pour obliger les adhérents douteux au Parti à voter : « La femme du Juif Bielschowski qui a été traînée juste avant l’heure de la clôture a voté « non », comme on peut le prouver.

« On dut demander encore au manœuvre Otto Wiegand de voter le jour des élections et il ne vota finalement que sous la contrainte... »

« Le mari... . vota. Sans aucun doute, il ne le fit que par crainte d’une nouvelle arrestation. » (D-902).

Et voici encore ce qui est peut-être l’un des plus terribles documents de tout ce Procès :

« Le témoin de Jéhovah, Robert Siering, et sa femme, déposèrent leurs votes après que la Police de Griefstedt les eût tous les deux avertis que leur devoir était de voter, en les menaçant de leur enlever leur enfant en cas de non-participation. » (D-897).

Personne ne peut prétendre que ces choses ne se passaient qu’à Erfurt Dans le Gau de Coblence, le Kreisgeschäftsführer de Kochem « où un contrôle de surveillance avait été ordonné dans plusieurs Ortsgruppen », affirma au SD que c’était surtout des femmes qui avaient voté « non » ou émis un vote nul. R-142 (USA-481).

A Rottenburg, le Parti procéda à des manifestations contre l’évêque qui avait refusé de voter, manifestations que M. le juge Jackson a si brillamment décrites dans son exposé introductif.

Ce ne fut pas seulement lors du plébiscite de 1938 que les chefs politiques furent actifs. On se rappellera qu’à Brème, les Kreisleiter, Ortsgruppenleiter et Stützpunktleiter eurent à fournir des rapports sur tous les fonctionnaires qui n’avaient pas voté lors des élections du 29 mars 1936.

Le Dr Servatius écarte ces témoignages avec un commentaire sans la moindre preuve à l’appui. Il dit :

« On sait que l’organisme principal du Parti n’entra nullement en jeu. Il y eut seulement des mesures individuelles prises par d’autres organismes. On ne saurait conclure de ce fait à aucune pratique courante ni à aucune connaissance générale. »

Je n’ai pas besoin d’en dire davantage.

Le contrôle et la surveillance du peuple allemand rentraient aussi bien dans les fonctions des chefs politiques que dans celles du SD et de la Gestapo. De tous les chefs politiques, les Blockleiter étaient les plus importants dans ce but. Ils gardaient leurs fiches pour tous les chefs de famille, fiches qui constituaient la base du « jugement politique », que les Blockleiter, Zellenleiter et Ortsgruppenleiter, en coopération mutuelle, devaient prononcer. A plusieurs reprises, la Défense tant devant la commission que devant le Tribunal s’est élevée contre la suggestion qu’elle a repoussée que les Blockleiter étaient employés comme espions. Mais qu’étaient-ils d’autre quand ils devaient compléter leurs fiches par des informations « qu’ils avaient suffisamment l’occasion d’obtenir au moyen de conversations avec les citoyens ». Eux aussi étaient obligés de contrôler l’exactitude de leurs rapports.

Il y a une autre preuve qui montre le rôle pernicieux joué par les Blockleiter. Dans le livre d’organisation du Parti, les directives du Blockleiter sont les suivantes :

« Sa tâche est de découvrir les personnes qui répandent des bruits préjudiciables et de signaler ces personnes aux Ortsgruppen pour qu’elles puissent être indiquées aux autorités compétentes de l’État. »

Nous le voyons encore espionner quand nous examinons les preuves sur la participation des chefs politiques à la persécution des Églises. En coopération avec la Gestapo et le SD, les chefs politiques du plus grand au plus petit ont pris une part active à la suppression de l’influence des Églises.

Comment pouvons-nous douter que c’était une politique acceptée généralement par tous les chefs politiques, quoi que Hitler eût pu dire dans le programme du Parti sur un christianisme positif, quand Bormann écrivait en 1941 aux Gau-leltier après sa dénoncration connue du christianisme : Les conceptions nationales-socialistes et chrétiennes sont inconciliables. Le Gauleiter Kaufmann se donna beaucoup de mal pour expliquer que cette directive avait été rapportée une semaine plus tard. Mais, dans une lettre du SD sur ce sujet, écrite six mois plus tard, en décembre 1941, on ne parle pas de ce retrait. Et vous pouvez penser que cela ressemble remarquablement à la politique du représentant du Führer, Hess, telle qu’il l’avait expliquée à Rosenberg, deux mois plus tôt, en avril 1941 :

« Nous incitons de plus en plus les écoles à réduire et à abolir les services religieux du matin. De même les prières confessionnelles et les prières générales ont déjà été remplacées par des devises nationales-socialistes dans les écoles du Reich.

Il y a de nombreux autres témoignages de la politique poursuivie par les chefs politiques de haut grade vis-à-vis de l’Église, avec lesquels je n’ai pas besoin d’importuner le Tribunal.

Permettez-moi de m’en tenir aux rangs subalternes, les Ortsgruppenleiter, les Blockleiter et les Zellenleiter. Vous vous rappelez le dossier des rapports de février 1939 de l’Ortsgruppenleiter de Darmstadt sur les questions ecclésiastiques :

« Le Blockleiter et membre du Parti Kiel m’informe que des réunions du front confessionnel ont à nouveau lieu. » D-901 (GB-536). Et un autre se rapportant à un pasteur Strack :

« On devait réellement donner une bonne fois sur les doigts à ce monsieur. » (D-901).

Vous vous souvenez aussi de l’action entreprise par le Kreisleiter après ces rapports. Le SD et la Gestapo furent informés des réunions du front confessionnel signalées par les Blockleiter. Il en fut de même pour l’infortuné pasteur Strack qui était « suffisamment connu et mûr pour le camp de concentration ou le tribunal spécial ».

Pouvez-vous douter que les Blockleiter et Zellenleiter en Thuringe eussent dû faire les rapports demandés sur la façon dont les résultats du plébiscite de 1938 étaient accueillis par les gens « notamment dans les petites villes et les villages. » (D-897).

Qui d’autre que les Blockleiter et les Zellenleiter aurait été utilisé pour découvrir ce que les clergés catholique et protestant disaient de l’Anschluss pendant leurs services ? Qui d’autre qu’eux était placé pour signaler &i l’on avait sonné les cloches, le soir, après le discours de l’Anschluss à Vienne ? (D-897).

Enfin, sur ce sujet, vous avez la preuve des manifestations organisées pour interrompre le service religieux dans l’église de Freising en 1935, auxquelles la Kreisleiterin de l’organisation des femmes du parti nazi prit une part prépondérante. PS-1507 (GB-535).

Ce fut seulement en obtenant le contrôle absolu de l’État et du peuple que le Gouvernement nazi eut la possibilité d’exécuter ses desseins criminels. Les chefs politiques furent un élément essentiel pour l’obtention de ce contrôle. Ils soutinrent et exécutèrent les ordres d’un Gouvernement qui, ils le savaient depuis le début, poursuivait une politique injuste par des méthodes criminelles. Tous connaissaient la Gestapo, les camps de concentration et la pratique nazie d’arrestation et d’incarcération sans jugement. Ils continuèrent cependant à apporter une aide effective au Gouvernement et à renforcer son emprise sur le peuple allemand. L’ensemble de l’argumentation du Dr Servatius a l’égard de la position des chefs politiques après 1933 montre l’étau dans lequel le cadre de fer du Parti serrait l’Allemagne, une « vierge de fer » politique qui serrait le peuple jusqu’à l’étouffer.

J’en arrive aux Juifs. Lorsque la persécution des Juifs fut une politique et une pratique du parti nazi ouvertement reconnues, le fait que des hommes servirent volontairement leur Parti dans un poste de direction est suffisant en lui-même pour prouver leur participation à l’activité criminelle. Mais nous avons des preuves concrètes de la participation directe des chefs politiques à la persécution des Juifs, et même de chefs politiques de tous rangs. Moins d’un an après la venue au pouvoir du Gouvernement nazi, il existe des preuves montrant que le Corps des chefs politiques incitait le peuple allemand à la persécution des Juifs. Il est à peine possible d’imaginer que dans un État civilisé, en 1933, des instructions intitulées « Lutte contre les Juifs » aient été données aux chefs politiques. Et pourtant c’était la réalité. Les Kreisleiter du Gau de Coblence devaient recenser les listes de sociétés et d’affaires juives de leur district. Une fois de plus, l’importance de la précision est soulignée. Des commissions devaient être réunies dans les différents Kreise, Ortsgruppen et Stützpunkten qui avaient pour mission de diriger et de surveiller les communautés en vue de la lutte contre les Juifs. Elles devaient continuer la politique qui avait été inaugurée avec le boycottage par le Parti en avril de la même année :

« Le Kreisleiter insistera dans toutes les réunions de membres ou dans toutes les réunions publiques sur le fait que, dans tous les pays, le Juif mène une sourde attaque qui est très nuisible pour l’Allemagne. Il faut faire clairement comprendre aux masses qu’aucun Allemand ne doit rien acheter à un Juif. » (PS-374).

Au vu de cette preuve, au vu de l’aveu du Dr Servatius qui admet que les chefs politiques ne se sont pas opposés aux lois de Nuremberg et ont consenti aux mesures qui devaient limiter l’influence des Juifs, au vu du rôle qu’ils ont joué, comme nous le savons, dans les démonstrations de l’année 1938, peut-il subsister le moindre doute sur le fait qu’ils aient pris part avec zèle à la campagne de dénigrement et de persécution des Juifs ? Si nous considérons l’ordre de Heydrich qui a été diffusé aux SD dans la nuit du 5 au 10 novembre 1938, nous pourrions considérer comme singulière cette hypothèse qu’en réalité ce n’était pas le cas :

« Les chefs de la Police d’État ou leurs adjoints doivent entrer en contact téléphonique avec les chefs politiques (Gauleitung ou Kreisleitung) qui ont autorité sur leurs districts et doivent organiser une réunion commune avec l’inspecteur ou le commandant de l’Ordnungspolizei intéressé afin de discuter l’organisation de la manifestation. Lors de ces discussions, les chefs politiques doivent savoir que la Police allemande a reçu du Reichsführer SS les instructions suivantes d’après lesquelles les chefs politiques devront accorder leurs propres mesures. » PS-3051 (USA-240).

Il est en effet curieux que ces instructions aient été données si tous les Gauleiter s’étaient montrés aussi fortement opposés à ces mesures que les Gauleiter Kaufmann, Streicher, Sauckel et Wahl prétendent l’avoir été.

Quoi qu’aient dit ces témoins que vous avez entendus sur l’attitude des chefs politiques lors de ces manifestations, nous savons que trente-six Juifs ont été tués. PS-3058 (USA-508). Sur ces trente-six, quatre furent assassinés par des Ortsgruppenleiter ou par des Blockleiter. C’était un tribunal composé de Gauleiter et d’autres chefs politiques qui jugeait bon de ne prononcer que des peines légères ou avec sursis pour tous les meurtres commis au cours de ces manifestations effectuées par des membres du Parti, des SS, des SA et du Corps des chefs politiques. Et pour quelles raisons ? Je cite :

« Dans le cas où des Juifs étaient tués sans ordre ou contrairement aux ordres, l’on ne pouvait l’imputer à des motifs ignobles. Ces hommes étaient convaincus du fond de leur cœur qu’ils avaient rendu service à leur Führer et au Parti. » PS-3063 (USA-332).

Si les témoins de la Défense que vous avez entendus ici n’ont pas compris qui était responsable de ces manifestations, la chose était parfaitement claire pour les membres de la cour suprême du Parti.

En France, des listes de Juifs en vue « d’expatriation collective » — ce qui naturellement signifiait déportation vers l’Est — furent dressées, en accord avec les Hoheitsträger. Mais il n’y avait pas que les chefs politiques de France qui étaient au courant de ces déportations et du traitement des Juifs dans les territoires occupés. L’édition d’août 1944 de la circulaire d’information Die Lage contenait des détails précis sur ce qui se passait en Hongrie.

« Il était évident que les services allemands, en Hongrie, firent tout ce qu’ils pouvaient après le 19 mars pour éliminer l’élément juif aussi rapidement et complètement que possible. A cause de la proximité du front russe, ils commencèrent par le nettoyage de la région nord-est, où l’élément juif était le plus nombreux. Les Juifs furent ensuite ramassés dans les autres provinces hongroises et transportés en Allemagne ou dans des territoires placés sous le contrôle allemand... 100.000 Juifs restèrent aux mains des Hongrois pour être employés dans des bataillons de travail. Au jour dit, le 9 juillet, les provinces hongroises se trouvèrent vides de Juifs. On a fait preuve ici dans le plus bref délai d’une suite dans les idées et d’une sévérité étonnantes. D-908 (GB-534).

Nous ne savons pas qui reçut des exemplaires de ce journal, mais nous savons par contre que Dônitz y contribua et qu’il est possible que le Gauleiter Kaufmann « l’ait reçu ». De plus, l’exemplaire que nous possédons montre qu’il est parvenu à la NSDAP dans le village de Höchen, prés d’Aix-la-Chapelle. Dönitz dut en connaître le contenu, de même que tout autre haut fonctionnaire nazi. Kaufmann et tous ses collègues Gauleiter ne savaient-ils rien de cette ignoble politique que poursuivait le Gouvernement nazi ? Ils l’affirment, mais ils mentent. Voyez le document 49 du livre de documents qui a été soumis pour la défense du Corps des chefs politiques. C’est un bulletin d’informations confidentiel édité par le parti nazi et provenant de la chancellerie du Parti à la date du 9 octobre 1942. Il traite des mesures préparatoires à une solution finale de la question juive en Europe et des bruits concernant les conditions de vie des Juifs à l’Est. C’est un document qui porte en marge la remarque « A n’ouvrir que par G et K » ce qui peut signifier Gau et Kreis. Mais il montre, au delà de toute discussion, que la connaissance de ces faits allait bien plus bas que le Kreis. Écoutez ce qu’il dit :

« Tandis que la solution finale de la question juive est en cours d’élaboration, des discussions se poursuivent depuis quelque temps parmi la population de diverses régions du territoire du Reich à propos de « mesures très sévères » prises contre les Juifs, particulièrement ceux des territoires de l’Est. Des enquêtes ont montré que de telles déclarations — pour la plupart déformées ou exprimées sous une forme exagérée — ont été transmises par ’des hommes en permission provenant de diverses unités employées dans l’Est et qui eurent personnellement l’occasion d’observer ces mesures. »

Vous pourrez penser, après ce que vous avez entendu dire, qu’il n’était pas possible d’exagérer les « mesures très sévères » dont parlaient les soldats de l’Est en permission, et dont ils ont dû discuter continuellement depuis septembre 1941 dans tout village et toute ferme d’Allemagne. Mais même si elles furent exagérées, elles ne sont pas démenties. L’article que j’ajoute en annexe mentionne cinq points principaux : a) Les mesures prises jusqu’à cette date, à savoir : l’élimination des Juifs des différentes couches du peuple allemand et l’expulsion complète des Juifs du territoire du Reich n’étaient plus possibles par émigration ; b) La génération suivante ne considérera plus cette question comme tellement vitale. C’est pourquoi le problème doit être traité par cette génération ; c) La ségrégation et l’élimination complètes des millions de Juifs demeurant dans le domaine économique européen reste une nécessité impérative de la lutte pour l’existence du peuple allemand ; d) En commençant par le territoire du Reich et en continuant ensuite par les autres pays européens compris dans la solution finale, les Juifs seront, conformément à un plan définitif, envoyés dans l’Est dans de vastes camps... d’où ils seront, soit utilisés pour des travaux, soit envoyés encore plus loin dans l’Est ; e) Ces problèmes très ardus ne seront résolus qu’avec une sévérité impitoyable. »

S’ils continuent à nier avoir eu connaissance du sort réel qui attendait ces Juifs, pas un des accusés, pas un des témoins qui ont déposé devant vous ou devant votre commission, pas un des membres de ces organisations ne peuvent nier avoir eu connaissance de leur déportation. Et qu’auraient-ils pensé de la signification de la phrase : « Leur élimination complète n’est plus possible par émigration » ? Interprété de la façon la plus bénigne, ce traitement des Juifs en territoire occupé est un crime de guerre. Le Corps des chefs politiques est mobilisé pour s’assurer que l’opinion publique. non seulement n’excusera pas, mais secondera et encouragera ce crime de guerre. S’il n’y avait rien d’autre, cela le marquerait du signe criminel. Mais les choses ne s’arrêtent pas là.

Dans les territoires occupés, le Corps des chefs politiques a été aussi responsable que tout autre des crimes commis contre la population locale. Le 16 décembre 1941, Frick, en donnant à Rainer ses instructions lors de sa nomination de Gauleiter de Carinthie, l’incita dans les termes les plus énergiques à germaniser les Slovènes en territoire incorporé et à faire disparaître la langue Slovène.

Monsieur le Président, nous contestons énergiquement la déclaration du Dr Servatius selon laquelle il était admissible de germaniser... les anciens peuples germaniques. Il suffit de mentionner la prétention à germaniser les Slaves du vieil empire allemand pour en faire apparaître le ridicule. Les Gauleiter ne pouvaient pas exécuter ces ordres eux-mêmes. Leurs subordonnés devaient jouer leur rôle. Vous vous rappellerez les instructions données, le 30 avril 1942, par le Kreisleiter de Pettau à tous les Ortsgruppenleiter pour que soient enlevées toutes les inscriptions Slovènes de tous les édifices religieux et laïcs (URSS-143).

Nous savons que les affaires débattues aux conférences des Gauleiter, à Marbourg, comportaient le transfert en Serbie de 2.000 Juifs, l’envoi de centaines de personnes en camp de concentration et les exécutions de représailles. En juin 1942, lorsqu’il a été question de l’évacuation de la prison de Cilli, on établit que les prisonniers devaient être transférés ou fusillés pour laisser la place nécessaire pour une opération de grande envergure. Le 13 juillet, la moitié des 400 personnes arrêtées devaient être rendues inoffensives en les envoyant dans un camp de concentration ou en les fusillant. Un incident analogue comportant, cette fois, l’exécution d’un prêtre, est raconté dans le compte rendu du mois de mars.

En Pologne aussi, les chefs politiques collaboraient à l’effroyable traitement des populations locales. Une lettre du RSHA de novembre 1942, adressée aux chefs et aux inspecteurs du SD, les informe de l’accord inique conclu entre Himmler et Thierack par lequel on refuse une procédure régulière aux Polonais, nationaux de l’Est, Juifs et Bohémiens. Il est basé sur la théorie éhontée selon laquelle ce sont des peuples inférieurs, vivant sur le territoire du Reich allemand. Ce qui est intéressant dans cet argument, c’est qu’on ne doit pas hésiter à informer le Gauleiter. Quel besoin pouvait-il y avoir d’informer ce dernier si ce n’est qu’on pouvait avoir besoin de son aide et de sa coopération ?

Je passe à l’examen des témoignages ayant trait au travail forcé qui montrent peut-être plus clairement que ceux que nous avons sur tout autre crime particulier à quel point chaque branche du Corps des’ chefs politiques y était profondément mêlée. Tous les témoins qui ont été cités par la Défense ont nié toute connaissance des mauvais traitements infligés aux travailleurs étrangers ou toute participation à ces traitements ; mais que vaut un tel témoignage quand on considère les documents qui ont été présentés ? On peut se rendre compte, d’après les instructions données aux Kreisbauernschaften de Karlsruhe en mars 1941, du traitement des travailleurs agricoles polonais dont le soin incombait particulièrement aux Bauernführer du personnel des Gaue, Kreise et Ortsgruppen. Ces instructions ont été données à la suite de négociations entre le ministère du Ravitaillement, association des paysans du Bade et le chef supérieur des SS et de la Police de Stuttgart ; elles ont été reçues avec « grande satisfaction ». Le travailleur polonais n’avait plus désormais aucun droit de se plaindre ; on lui interdisait les transports, les distractions, le culte religieux ; on lui interdisait de changer d’emploi ; il ne devait y avoir aucune limite à ses heures de travail. Je cite :

« Tout employeur a le droit d’appliquer des châtiments corporels aux travailleurs agricoles de nationalité polonaise... L’employeur ne peut pas être officiellement tenu responsable dans de tels cas. Les travailleurs de nationalité polonaise doivent, si possible, être retirés de la communauté familiale et ils peuvent être logés dans des étables, etc. Aucun remords quel qu’il soit ne doit entraver cette action. » EC-68 (USA-205).

Peut-il être réellement possible que des instructions de cette nature aient été données à Karlsruhe et nulle part ailleurs ? Est-il possible que, tandis que les Polonais du Bade étaient traités comme des animaux, ils aient été acceptés comme membres de la famille dans le Gau voisin ? Voici le témoignage du témoin Mohr cité pour les Bauernführer devant la commission :

« Dans tous les cas, pratiquement, à très peu d’exceptions près je crois, le travailleur étranger était accepté dans le groupe de famille du fermier. Il mangeait avec la famille et évoluait dans le cercle de la famille du fermier. »

Dans les régions industrielles, la responsabilité du soin des travailleurs étrangers incombait aux chefs politiques de la DAF. Sauckel avait décrété en mars 1942 :

« L’approvisionnement des travailleurs de l’industrie de passage dans le Reich est la tâche de la DAF. Ce sera la DAF qui s’occupera des travailleurs étrangers employés dans le Reich dans le cas de travailleurs non agricoles... La DAF s’occupera de tous les camps de travailleurs non agricoles, quelle que soit la personne qui approvisionne ou entretienne les camps... Dans les Gaue allemands, les Gauleiter auront le droit d’inspecter et de contrôler l’exécution de ces ordres. » PS-3044 (USA-206).

Il n’est pas nécessaire de vous rappeler les effroyables conditions dans lesquelles les travailleurs d’Essen parvenaient tout juste à vivre. D-382 (USA-897). Une fois encore, je demande : est-il possible que les Gauleiter, Kreisleiter, Ortsgruppenleiter, Zellenleiter et Blockleiter et les chefs politiques de la DAF d’Essen aient ignoré ces conditions alors que les baraquements dans lesquels vivaient les travailleurs et les cachots dans lesquels ils étaient enfermés et torturés sont situés, comme le montre la photographie, sur le terrain même des fonderies et des ateliers Krupp, avec le chemin de fer de service qui passait à quelques mètres de leurs portes, avec les grues Krupp qui s’étendaient presque au-dessus de leurs toits ?

On dit que si, en effet, de telles conditions existaient réellement à Essen, elles étaient exceptionnelles et dues seulement au chaos causé par les bombardements alliés. Mais il n’en est pas ainsi. Avant qu’ait commencé le bombardement d’Essen, le chef du service des constructions de locomotives Krupp se plaignait en ces termes :

« Les gens arrivaient le matin sans pain ni outils. Pendant les deux interruptions de travail, les prisonniers de guerre se faufilaient vers les travailleurs allemands et mendiaient du pain, montrant pitoyablement leur faim. » D-361 (USA-893).

Il alla aux cuisines pour essayer de leur trouver de la nourriture.

Étant donné que quelques Russes s’étaient déjà évanouis, je téléphonai à Mademoiselle Block pour qu’on augmentât la portion de nourriture, la ration spéciale ayant cessé à partir du deuxième jour. Comme ma conversation téléphonique fut sans succès, je ma rendis de nouveau personnellement auprès de Mademoiselle Block. Mademoiselle Block refusa de façon très brusque de donner aucune autre ration spéciale.

Mademoiselle Block ne laissa pas l’affaire en rester là. Elle en rendit compte à la DAF qui convoqua le chef de service de Krupp. Le délégué de la DAF m’accusa, en gesticulant de façon très insolente, disant que l’avais pris parti pour les Bolcheviques d’une façon trop apparente. Il me renvoya aux paragraphes de la loi du Gouvernement du Reich qui s’élevaient contre cela... J’essayai ensuite d’expliquer avec une Insistance particulière que les prisonniers de guerre russes nous étalent assignés comme travailleurs et non comme Bolcheviques. Ces gens étalent affamés et n’étalent pas en mesure d’accomplir le dur travail de construction de chaudières que l’on attendait d’eux.

Vous pouvez, Messieurs, constater comment ce chef de service a essayé de procurer du pain à ses ouvriers. Je vous demande de passer au haut de la page 29, à la dernière phrase de cette citation qui est typique. Les deux dernières phrases s’expriment ainsi :

« Les gens malades sont une charge et non une aide pour notre production. A cette remarque, Herr Prior déclara que si l’un ne valait rien, un autre valait quelque chose, que les Bolcheviques étaient des gens sans âme et que si 100.000 d’entre eux mouraient, 100.000 autres les remplaceraient. » D-361 (USA-893).

Il ne peut pas être vrai non plus que ces conditions et ce traitement aient été limités uniquement à Essen. En mars 1943, Goebbels estima nécessaire de tenir une conférence sur la question de l’augmentation de la production. Le procès-verbal de cette conférence dit :

« Le traitement des travailleurs de l’Est jusqu’ici en vigueur a conduit non seulement à diminuer la production mais à influencer de façon très désavantageuse l’orientation politique du peuple dans les territoires conquis de l’Est et a abouti aux difficultés bien connues rencontrées par nos troupes. Le traitement des travailleurs qui, jusqu’à maintenant, était notablement différent pour les sujets des pays de l’Ouest et de l’Est, sera unifié, autant que possible ; en particulier, le standard de vie des travailleurs de l’Est sera élevé. » PS-315 (GB-537).

D’après ce procès-verbal, nous voyons l’attitude de la chancellerie du Parti, la chancellerie du Parti dont le Corps des chefs politiques recevait ses ordres. Son délégué « signala les inconvénients qui se font déjà jour et qui résulteraient pour la population allemande si l’on accordait plus ’de liberté aux étrangers. » (PS-315).

Mais le besoin d’une production de guerre accrue était de plus haute importance et, en dépit des craintes qu’avait exprimées son représentant lors de la réunion de mars, le 5 mai 1943, Bormann envoya de la chancellerie du Parti un mémorandum à tous les Reichsleiter, Gauleiter, Verbändeführer, Kreisleiter et Ortsgruppenleiter. On leur recommanda de faire en sorte que le traitement des travailleurs étrangers devînt plus humain, bien qu’au même moment il fût « demandé aux membres de la famille allemande d’observer la différence entre eux et les nationaux étrangers, comme un devoir patriotique... Les injustices, insultes, brimades, mauvais traitements, etc., doivent cesser. La bastonnade esit interdite. » (PS-205).

Ce document n’illustre-t-il pas le mensonge absolu que chacun de ces témoins de la Défense a prononcé ? Ne montre-t-il pas, plus clairement peut-être que tout autre document, la sauvage brutalité avec laquelle les chefs politiques du parti national-socialiste encourageaient le peuple allemand ? N’est-il pas presque incompréhensible pour nous qu’en ces jours de lumière, dans un grand pays civilisé, des ordres du Gouvernement adressés à ses chefs politiques aient dû être nécessaires pour faire cesser les mauvais traitements des hommes et des femmes qu’ils avaient déportés et mis en esclavage ? N’est-il pas inconcevable qu’il ait dû être nécessaire d’interdire aux chefs politiques et aux employeurs de frapper les hommes et les femmes qui travaillaient pour eux ?

Et en dernier lieu, au sujet de cet aspect de la question, vous vous rappellerez les instructions données par le Gaustabsamtsleiter de Strasbourg au Gau de Bade-Alsace. Les travailleuses étrangères qui avaient été amenées à avoir des rapports sexuels avec les Allemands devaient être mises provisoirement en détention de sécurité et ensuite envoyées sur un autre lieu de travail.

« Dans d’autres cas, les travailleuses étrangères seront envoyées dans un camp de concentration pour femmes. » (D-884 a).

Leurs enfants, s’ils convenaient du point de vue racial et étaient sains du point de vue héréditaire, devaient leur être enlevés immédiatement après la naissance pour « aller dans des établissements pour enfants étrangers où l’organisation nationale-socialiste d’assistance devait prendre soin d’eux ».

Les stipulations de cet ordre ne font qu’ajouter un détail de plus aux preuves que nous avons déjà de l’impitoyable brutalité qui était prescrite par le Parti pour le traitement des travailleurs étrangers. Mais c’est un document important parce qu’il montre combien de branches des chefs politiques ont été impliquées dans ce trafic d’esclaves. Les Kreisleiter et le Kreisobmann du Front du Travail allemand devaient rapporter les cas de grossesse. En fait, comme on pouvait s’y attendre, c’étaient les Ortsgruppenleiter qui faisaient les enquêtes nécessaires. En dehors de la DAF et du NSV, l’ordre était distribué au chef de la propagande du Gau, au chef de la presse du Gau, aux Gauamtsleiter pour la politique raciale, pour la Santé Publique, pour les paysans, pour l’Assistance nationale, pour les questions de race, au chef politique du Gau de l’organisation féminine nationale-socialiste et aux fonctionnaires analogues des services des Kreisleiter. Il vaut peut-être la peine de noter l’action — ou pour être plus juste, le manque d’action — de l’organisation nationale-socialiste d’assistance.

LE PRÉSIDENT

Sir David, pouvez-vous nous dire ce que signifie le terme « Kreisobmann » ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

C’est le représentant du Front du Travail à l’état-major du Kreisleiter.

LE PRÉSIDENT

Vous pouvez continuer.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Je cite :

« Dans la mesure où je peux l’établir maintenant », rapporte le Kreisleiter de Villigen, « il y a eu environ vingt et une grossesses. Quatre avortements dit-on ont été opérés, au cours desquels deux des femmes moururent. Sur les dix-sept naissances restantes, cinq furent des morts-nés. Le NSV n’a exercé ses soins nulle part. » (D-884 a).

Vous voyez une fois encore le Corps des chefs politiques travaillant la main dans la main avec la Police de sécurité et le SD et le Commissaire du Reich pour la consolidation de la race allemande, une autre institution dont Himmler était le maître suprême. Sur ce sujet, il suffirait presque de dire que le Dr Servatius admet que les chefs politiques savaient que la plupart des travailleurs étaient des travailleurs forcés. Nous émettons l’opinion qu’ils contrôlaient les conditions de ce travail. Après cela, res ipsa loquitur.

L’Avocat Général vous a déjà dit sur quelle échelle l’assassinat de malades et de vieillards a été exécuté. Cette « action » débuta au cours de l’été 1940, mais bien avant, comme conséquence de sa politique raciale, le Gouvernement nazi avait pris des mesures pour l’amélioration de la race allemande. Un document que nous possédons, qui date du mois de janvier 1937, met en lumière le rôle que l’on attendait des chefs politiques. C’est une lettre du Gauleiter de Westphalie du Sud accompagnant le décret de Hess du 14 janvier 1937. L’hygiène raciale qui convenait aux buts du Parti ne saurait être mieux décrite :

« La question de savoir si une personne est simple d’esprit, ne peut pas être établie uniquement en faisant passer un test d’intelligence, mais elle réclame une estimation détaillée de la personnalité tout entière de l’être humain. Cet examen ne doit pas seulement prendre en considération la science et les capacités intellectuelles du simple d’esprit, mais aussi son attitude éthique, morale et politique. Un certain nombre de docteurs de l’administration ont, jusqu’à maintenant, attaché peu d’importance à l’examen de la personnalité dans son ensemble. Ils n’ont, jusqu’à maintenant, presque jamais demandé ou utilisé un renseignement concernant la conduite politique du prétendu patient. Maintenant que le Parti, en vertu du décret du ministre de l’Intérieur de Prusse et du Reich, est consulté, dans la question des maladies héréditaires, sur la marche à suivre contre les membres du Parti, il est du devoir de tous les Gauleiter de s’assurer que la loi concernant la santé héréditaire est en fait appliquée dans le sens prévu... Ils doivent procéder à une enquête afin de savoir si la personne qu’on stérilise s’est acquise une valeur particulière pour le mouvement national-socialiste. Si le Gauleiter acquiert cette conviction et pense qu’il doit user de son influence pour empêcher la stérilisation, il en rendra compte à ce service. » D-181 (GB-528).

Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour voir les abus auxquels un décret comme celui-ci peut exposer, abus qui pouvaient bien s’avérer une arme commode pour le parti nazi. Cette lettre qui provient d’un Gauleiter a été adressée à tous les Gauamtsleiter, inspecteurs de Gau et Kreisleiter de son Gau. Du fait que les services du ministère de la Santé Publique avaient à préparer les cas à soumettre au Gauleiter, il est évident que les Amtsleiter de ces services étaient aussi étroitement impliqués dans cette affaire.

Monsieur le Président, j’ai condensé les moyens de preuve sur l’euthanasie, car le Tribunal en a été suffisamment entretenu par le Ministère Public sur ce point qui a fait l’objet des explications de mon collègue, le colonel Griffith-Jones.

En juillet 1940, l’évêque Wurm écrivait à Frick. En août, il écrivait au ministre de la Justice. En septembre, comme il n’avait pas obtenu satisfaction, il écrivait encore à la fois à Frick et au ministre de la Justice.

L’évêque Wurm parlait d’événements dans le Wurtemberg. Ils n’étaient pas limités au Wurtemberg, à Stuttgart et à Nauenbourg. A plusieurs centaines de kilomètres, les mêmes événements se passaient à Stettin, ainsi que l’indiquent les lettres de l’inspecteur de Stettin au ministère de la Justice et à Lammers du 6 septembre 1940 et la lettre de Lammers au ministère de la Justice du 2 octobre 1940. Au mois d’août de l’année suivante, la même Chose se produisait aux environs de Wiesbaden, comme nous le voyons par la lettre de l’évêque de Limbourg adressée à Frick, au ministre de la Justice, et au ministre des Cultes. Elle se produisant également en Franconie, et nous avons un dossier qui montre le rôle joué par les chefs politiques de Franconie. Lorsque l’on lit ces lettres, peut-on douter que la même chose se soit passée dans chacune des autres réglons d’Allemagne où opéraient ces commissions meurtrières. Bormann écrit le 24 septembre 1940 au Gauleiter de Franconie et à un de ses Kreisleiter : Il est naturel que les représentants de l’Idéologie chrétienne parlent contre les mesures des commissions ; il doit être également naturel que tous les services du Parti soutiennent-, dans la mesure nécessaire, le travail de la commission."

Comment le Dr Servatius, parlant de ces témoignages, peut-il dire que ceux-ci montrent que les chefs politiques n’ont pas participé à l’exécution de ces mesures et n’en avaient pas connaissance ? Cette phrase seulement de la lettre de Bormann suffit à Justifier une déclaration de criminalité contre le Corps des chefs politiques, ce corps qui a fourni les chefs des services du Parti qui devaient donner leur appui à ces commissions.

Au cours du contre-interrogatoire des témoins de la Défense pour le Corps des chefs politiques, on a soulevé la question de savoir si le crime d’euthanasie tombait sous la compétence de ce Tribunal, conformément à l’article 6 du Statut. Certainement, il ne peut y avoir aucun doute sérieux que le meurtre de 270.000 personnes soit un crime contre l’Humanité ; 270.000 cadavres peuvent sembler Insignifiants à côté des massacres dans les territoires occupés et les camps de concentration ; c’est néanmoins un crime commis dans des proportions presque inimaginables. De même, il ne peut pas y avoir de doute que ce fut un crime commis en corrélation avec la guerre d’agression. Par la lettre de l’évêque Wurm adressée à Frick le 19 juillet 1940, nous apprenons que ces meurtres avalent eu lieu sur les ordres du Conseil de la défense du Reich. Göring, Keitel, Frick, Raeder, Funk, Hess et Ribbentrop étaient membres du Conseil de défense du Reich. Lorsque l’évêque écrivit de nouveau le 5 septembre 1940, il déclara : Si la direction de l’État est convaincue qu’il s’agit d’une mesure de guerre inévitable, pourquoi ne promulgue-t-elle pas un décret ayant force de loi ? •

Le but de ces crimes est clair, comme il était clair pour la population catholique d’Absberg qui déclarait après le communiqué de l’Ortsgruppenleiter : L’Etat doit être sur une mauvaise pente, sinon il n’aurait pu se faire que ces pauvres gens dussent être simplement envoyés à la mort uniquement pour que les ressources qui, jusqu’alors, avaient été utilisées pour leur entretien puissent être rendues disponibles pour la poursuite de la guerre.

Je rappelle simplement au Tribunal en termes très brefs les remarques de Bormann à propos des lettres similaires adressées à diverses familles à propos du Gaustabsamtsleiter de Nuremberg qui demandait un avis sous une forme plus adroite, alors que 30.000 avalent déjà été envoyés et que quatre fois autant attendaient ; à propos des doutes du Kreisleiter d’Erlangen ; à propos des graves difficultés que rencontra le Kreisleiter d’Ansbach du fait de ces notifications. Ni les Kreisleiter ni les autres ne semblent s’être inquiétés du fait qu’ils soutenaient eux-mêmes activement une administration dirigeant l’assassinat en masse. Si leur serment de fidélité à leur Führer les dégageait des scrupules de conscience, peut-il aussi les dégager d’une culpabilité morale ou criminelle ?

Monsieur le Président, je continuerai ensuite à la page 35, ligne 6. Je voudrais vous montrer qu’il s’agit des groupes inférieurs de chefs politiques dont nous traitons en. ce moment et comment, après avoir dans des rapports divers soulevé diverses objections au meurtre de 270.000 personnes, ils ont pris l’excuse de cette euthanasie. Je continue : Les Kreisleiter de toute la Franconie faisaient des rapports en termes similaires. Le Kreisleiter de Lauf écrivait au Gaustabsamtsleiter :

« Le docteur m’a aussi annoncé que l’on savait fort bien que la commission se composait d’un docteur SS et de plusieurs docteurs subalternes, que les malades n’étaient même pas examinés et que les docteurs ne prononçaient la décision que conformément aux antécédents médicaux indiqués. »

Madame Marie Kehr perdit ainsi deux de ses sœurs et écrivit au ministre de l’Intérieur pour demander en vertu de quel décret elles avaient été tuées. Le service de Frick soumit l’affaire au Gaustabsamtsleiter de Nuremberg :

« Je demande que vous recherchiez si les Kehr sont dignes de confiance en matière politique, notamment s’ils n’ont pas de rapports avec l’Église. Au cas où il en serait ainsi, je ne verrais, pour ma part, aucun inconvénient à ce que vous donniez verbalement à Kehr le renseignement demandé. »

Le Gaustabsamtsleiter transmit la lettre au Kreisleiter. Le Kreisleiter la transmit à l’Ortsgruppenleiter qui rapporta « qu’on pouvait renseigner Madame Kehr. Elle était calme et raisonnable ».

En février 1941, l’Ortsgruppenleiter d’Absberg fit un rapport sur les « scènes les plus sauvages qu’on puisse imaginer », et qui avaient eu lieu dans son village quand le sanatorium avait été vidé de ses malades. Vous pouvez croire que son attitude représentait celle de tous les chefs politiques :

« Ces incidents au cours de cette opération, qui est après tout nécessaire, doivent être condamnés d’autant plus que, même les membres du Parti eux-mêmes n’hésitèrent pas à se joindre aux lamentations des autres spectateurs en larmes. On a même raconté que ces malheureuses victimes — c’est ainsi que les considèrent le clergé et les fidèles d’Absberg — furent emmenées à l’église catholique peu de temps avant leur départ pour y être confessées et communier. Il paraît absolument ridicule de vouloir supprimer par une confession verbale les péchés possibles de gens dont certains ne possèdent absolument aucune faculté mentale. » (D-906.)

Il est devenu évident au cours de ces débats que d’autres chefs politiques partageaient l’opinion de cet Ortsgruppenleiter sur l’absurdité de toute confession verbale.

Il n’est pas nécessaire que je vous rappelle les autres rapports, si ce n’est pour mentionner qu’en plus des Gaustabsamtsleiter, Kreisleiter et Ortsgruppenleiter, le Gauorganizationleiter est également compromis. Le Corps des dirigeants s’est plongé jusqu’au cou dans cette affaire sanglante.

Le Corps des chefs politiques prend sa part de responsabilité dans les mauvais traitements infligés aux prisonniers de guerre. En septembre 3941, Bormann communique aux Gauleiter et aux Kreisleiter les règlements de l’OKW pour le traitement des prisonniers de guerre soviétiques. D’après le cachet de réception de ce document, il apparaît que le Gauschulungsleiter était le fonctionnaire du Gau spécialement chargé de ces questions. Vous vous rappelez les directives contenues dans ces règlements. Elles étaient basées sur le fait que :

« Le bolchevisme est l’ennemi mortel de l’Allemagne nazie... Le soldat bolchevique a donc perdu tout droit du traitement dû à un ennemi honorable suivant la Convention de Genève... Le sentiment de fierté et de supériorité du soldat allemand chargé de garder les prisonniers de guerre soviétiques doit constamment être visible, même en public. L’ordre d’agir durement et énergiquement doit être donné au moindre signe d’insubordination, surtout quand il s’agit de bolcheviques fanatiques... Avec les prisonniers de guerre soviétiques, il est déjà nécessaire, pour des raisons de discipline, que l’emploi des armes soit rigoureux. » PS-1519 (GB-525).

Vous vous rappellerez les Einsatzgruppen spéciaux institués par le SD pour trier les prisonniers de guerre soviétiques dans les camps afin de découvrir et éliminer leurs chefs et leur élite. Ces ordres transmis aux Gauleiter et aux Kreisleiter expliquent les buts et les méthodes de travail de ces unités spéciales et déclarent :

« Les Forces armées doivent se débarrasser de tous ces éléments, parmi les prisonniers de guerre, qu’on doit considérer comme la force dirigeante du bolchevisme. Les conditions spéciales de la campagne à l’Est exigent des mesures également spéciales qui peuvent être exécutées sous leur propre responsabilité, libre de l’influence de la bureaucratie et de l’administration. » PS-1519 (GB-525).

Aucun Gauleiter, aucun Kreisleiter, ne peut prétendre devant ce Tribunal qu’il ignorait que les prisonniers de guerre soviétiques allaient être tués. Ce n’était pas seulement pour leur information que les chefs politiques recevaient ces instructions. Bormann, quand il écrivait à tous les Reichsleiter, Gauleiter, Verbändeführer et Kreisleiter, en septembre 1944, soulignait :

« La coopération du Parti dans la façon de disposer des prisonniers de guerre est inévitable. Les officiers chargés de l’organisation des prisonniers de guerre ont donc reçu l’ordre de coopérer très étroitement avec les Hoheitsträger ; les commandants des camps de prisonniers de guerre doivent immédiatement détacher des officiers de liaison auprès des Kreisleiter. L’opportunité sera ainsi offerte aux Hoheitsträger de diminuer les difficultés existant localement, d’exercer une influence sur la conduite des unités de garde et de mieux adapter l’affectation des prisonniers de guerre aux besoins politiques et économiques. »

Ce devait être le rôle des dirigeants politiques de renseigner les gardiens et les propriétaires d’usines « à maintes reprises politiquement et idéologiquement », et cela devait être fait en coopération avec la DAF.

Il n’est pas nécessaire de répéter les témoignages sur le traitement infligé aux prisonniers de guerre russes et autres employés par Krupp. Les dirigeants politiques étaient aussi durs pour leurs prisonniers de guerre esclaves quand ils mouraient, qu’ils l’avaient été lorsqu’ils vivaient. Gauleiter et Kreisleiter recevaient de Bormann les instructions de Frick pour l’enterrement ’des prisonniers de guerre soviétiques. Du papier goudronné devait servir de cercueil, aucune cérémonie ou décoration des tombes n’était admise, les dépenses devaient être aussi réduites que possible.

« Le transfert et l’enterrement doivent être exécutés discrètement ; si l’on doit se débarrasser d’un grand nombre de corps, l’inhumation se fera dans une fosse commune. » D-163 (USA-694).

Qu’importaient au Gouvernement nazi et aux dirigeants politiques les derniers honneurs à ceux qu’ils avaient fait travailler jusqu’à la mort ? Ils s’en souciaient aussi peu que d’aucune autre règle de simple décence ou d’honneur.

Dès mars 1940, Hess avait communiqué aux chefs politiques des directives concernant la façon d’agir au cas d’atterrissages d’avions ou de parachutistes ennemis. Vous devez vous rappeler l’ordre :

« De même, les parachutistes ennemis doivent être immédiatement arrêtés ou rendus inoffensifs ».

Étant donné les ordres moins ambigus qui devaient suivre et les précautions extraordinaires prises pour tenir cet ordre secret, pouvez-vous maintenant avoir un doute sur ce que cette phrase, quelque peu ambiguë, devait faire comprendre ? Vous vous rappelez qu’elle ne devait être communiquée oralement qu’aux Kreisleiter, Ortsgruppenleiter, Zellenleiter et Blockleiter. Il était interdit de transmettre cet ordre par voie officielle, affiches, journaux, radio, et comme autre mesure de sécurité, on déclarait que c’était un document secret d’État. Vous vous rappelez également qu’en plus de tous les Hoheitsträger à informer, l’ordre avait été transmis à la Direction de l’organisation du Reich, à la Direction de la propagande du Reich et à la Direction des étudiants du Reich qui, tous, avaient leur représentant auprès des services de l’Amtsleiter du Gau, du Kreis et de l’Ortsgruppe. Cet ordre avait été adressé aussi au Gruppenführer SS Heydrich.

LE PRÉSIDENT

Sir David, il serait temps de suspendre l’audience.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

L’audience est suspendue.

(L’audience est suspendue.)
SIR DAVID MAXWELL-FYFE

En août 1943, Himmler dit à la Police que ce n’était pas son rôle d’intervenir dans les conflits entre Allemands et aviateurs terroristes. R-110 (USA-333). Les Gauleiter en ont été informés verbalement.

En mai 1944, Goebbels écrivait dans le Völkischer Beobachter qu’il était inadmissible que la Police allemande servît à protégea-des assassins. PS-1676 (USA-334). Le lendemain, Bormann dit à tous les Gauleiter, Verbändeführer, Kreisleiter et Ortsgruppenleiter que plusieurs cas s’étaient produits où des équipages d’avions, qui avaient sauté en parachute ou avaient effectué des atterrissages forcés, avaient été lynchés sur-le-champ :

« Aucune mesure de Police ni procédure criminelle n’ont été entreprises contre les civils allemands qui avaient pris part à ces incidents. » (PS-057).

Nous n’avions pas besoin, pour comprendre l’objet de cette lettre, de nous emparer de l’ordre d’un Gauleiter qui avait profité de l’invitation de Bormann. En février 1945, le Gauleiter de Westphalie méridionale donna expressément l’ordre à ses Kreisleiter d’encourager le lynchage des aviateurs alliés :

« Les pilotes de bombardiers », écrivait-il, « qui sont abattus ne doivent pas, en principe, être protégés contre la population indignée.

Je compte sur tous les postes de police pour refuser de protéger ces espèces de gangsters ». (L-154).

Vous devez avoir lu la déposition sur ce sujet du Gauleiter Hoffmann devant la commission et vous lui accorderez l’attention que vous jugerez convenable.

Permettez-moi de conclure cet aperçu des témoignages contre le Corps des dirigeants politiques en vous remettant en mémoire la déposition de deux témoins appelés pour la défense des organisations, l’un, Eberstein, dont vous avez vous-même entendu la déposition pour les SS et l’autre, Wahl, un Gauleiter qui a déposé devant vos commissaires.

Vous connaissez les dépositions faites par tous les chefs politiques sur les camps de concentration. Ils n’avaient rien à voir avec eux, ne savaient rien de ce qui se passait à l’intérieur. Mais qu’est-ce que le témoin Eberstein vous a dit ? Je cite un extrait de sa déposition :

« Au début de mars 1945, Giesler, Gauleiter et commissaire à la Défense du Reich, à Munich, me donna l’ordre de me rendre auprès de lui, me pria d’agir sur le commandant du camp de Dachau pour que, lorsque les troupes américaines approcheraient, les prisonniers (il y en avait 25.000 à cette époque) fussent fusillés.

« Je repoussai cette demande avec indignation, et fis remarquer que je ne pouvais pas donner d’ordres au commandant ; sur quoi, Giesler me dit que lui, en tant que Commissaire à la Défense du Reich, veillerait à ce que le camp fut bombardé par nos propres forces. Je lui dis que je considérai comme impossible qu’un commandant d’aviation allemand acceptât de le faire. Giesler dit alors qu’il veillerait à ce que l’on mît quelque chose dans la soupe des prisonniers. C’est-à-dire qu’il menaçait de les empoisonner. De ma propre initiative, j’envoyai, par télétype, une demande de renseignements à l’inspection des camps de concentration, lui demandant d’obtenir une décision de Himmler sur ce qu’on devait faire des prisonniers en cas d’approche des troupes américaines. Peu après, parvint la nouvelle que les camps devaient se rendre à l’ennemi. Je la montrai à Giesler. Il se montra indigné que j’eusse fait échouer ses plans. »

Et, en dernier lieu, le témoin Wahl, Gauleiter de Souabe, a fait cette déposition :

« Question

Témoin, je vous interrogeais au sujet de la conversation que vous aviez eue avec votre femme sur la question de savoir si, oui ou non, vous abandonneriez votre position de Gauleiter. La conclusion à tirer de cette conversation n’est-elle pas que vous aviez honte de ce que faisaient d’autres Gauleiter et que, tout autour de vous, vous voyiez se dérouler des choses que vous désapprouviez et que vous désiriez vous en dégager ?

« Réponse

Oui.

« Question

C’est exact, n’est-ce pas ?

« Réponse

Oui, c’est exact. »

Et, en réponse à une autre question, il a dit :

« Je désire faire remarquer que ce n’est ni mon rôle ni mon désir de justifier ici tous les Gaue. Parmi les Gauleiter se trouvaient, comme partout ailleurs, des maniaques et des fous assoiffés de sang. »

J’en viens aux SA. Avant d’aborder les témoignages contre cette organisation, je voudrais dire un mot sur la question de l’adhésion volontaire. L’avocat des SA a prétendu que l’adhésion n’était pas volontaire ; on a dit qu’une grande pression avait été exercée sur les Allemands pour les obliger à joindre l’une ou l’autre des organisations du parti nazi et que, dans le cas de certaines unités des SA, non seulement une pression avait été exercée mais que l’adhésion avait été rendue obligatoire par décret. Au vu des preuves que je vous exposerai, vous pouvez bien penser que si, dans certains cas, une pression a sans aucun doute été exercée sur les individus pour qu’ils se joignent au Parti et dans certains cas, peut-être, pour qu’ils se joignent à cette organisation particulière, les conséquences du refus telles qu’elles ont été décrites par la Défense sont très exagérées. J’émets l’opinion que même si vous acceptez sans restriction la déposition de quelques-uns de ces témoins sur certains cas particuliers de contrainte, les témoignages que vous possédez concernant l’organisation dans son ensemble, sont parfaitement clairs : l’adhésion a été volontaire, depuis le début jusqu’à la fin. Jamais à aucun moment il n’y eut de contrainte soit physique soit résultant de prescriptions législatives.

Le Droit anglais, d’après lequel la contrainte physique constitue une condition suffisante pour excuser un crime, a été clairement défini depuis de nombreuses années et est établi dans lies Halsbury’s Laws of England (Edition Hallsham, volume 9, pages 23, 24, paragraphe 20) en ces termes : Une personne obligée par contrainte physique à commettre un acte qui, s’il était commis » volontairement serait un crime, est libérée de la responsabilité criminelle, mais la personne qui l’a contrainte est responsable du crime.

« L’usage des menaces pour persuader quelqu’un, par la crainte actuelle de la mort, de se joindre à des rebelles, est, semble-t-il, une excuse, aussi longtemps que la personne est sous l’influence de cette crainte.

« A part cette exception, une personne qui commet un crime, lorsqu’elle est influencée par des menaces ou « une force morale, ou par l’emprisonnement de sa personne ou par une violence n’allant pas Jusqu’à une contrainte réelle, n’est pas excusable.

« La nécessité, dans le sens de la contrainte provenant de la faim ou d’un danger imminent pour la propre vie ou pour les biens de cette personne, n’est pas une excuse d’un crime. »

Permettez-moi de discuter les preuves sur ce point. Les règlements de service général pour les SA, publiés en 1933, posent en principe que :

« Celui qui ne peut pas ou ne veut pas se soumettre lui-même ne convient pas aux SA et doit se retirer. » PS-2820 (USA-427).

Le livre d’organisation de 1940 déclare :

« Le service dans les SA est et reste volontaire... Pour le recrutement des SA, aucun avantage ne peut être promis et aucune pression ne peut être exercée. Le SA doit avoir la possibilité de se retirer. »

Le témoin Jüttner reconnaît que la déclaration est exacte. On lui demanda : « Le principe fondamental resta-t-il toujours pour les SA que l’adhésion devait être volontaire ? » Et il répondit :

« Ce fut toujours le principe admis par la direction. ». On lui demanda alors : « Si un homme n’était plus d’accord avec les idées des SA, s’attendait-on à ce qu’il s’en allât ? » Et il répondit : « De nombreux hommes ont quitté les SA pour diverses raisons ».

Aucun effort d’imagination ne peut fournir la preuve que le Reiterkorps exerçait une contrainte physique ou résultant d’un décret. Il est vrai que les organisations d’équitation à l’origine furent amalgamées d’une façon arbitraire aux SA, mais, comme le témoin Wahl, appelé au nom de cette branche des SA, l’a lui-même admis :

« L’adhésion aux SA était volontaire en 1933 et ceci n’a pas changé... Un homme pouvait donner sa démission du Reiterkorps, mais il devait renoncer à son sport, étant donné que les manèges n’étaient plus à sa disposition. »

« L’association des cavaliers », a-t-il dit « s’est inclinée devant l’unification, parce qu’elle lui permettait de poursuivre son activité sportive. »

Vous pouvez penser que ce fut pendant les années 1933 et 1934 que l’activité des SA fut pour les Allemands plus manifestement criminelle qu’à aucun autre moment. Comment alors la perte de l’« activité sportive » peut-elle constituer une contrainte et apporter une excuse au fait d’être membre ? Le risque de perdre cheval et écurie doit-il être considéré comme la justification légale de la participation à un assassinat ?

On doit se souvenir aussi qu’à la fois dans le cas du Reiterkorps et du Stahlhelm, bien que ces organisations aient pu être amalgamées aux SA par un décret légal ; il n’y a pas de preuve pour vous que les décrets aient contenu un mot qui eût pu être interprété comme une contrainte individuelle pour un membre afin de l’obliger à devenir membre des SA.

Le Stahlhelm est dans la même situation que le Reiterkorps, sauf que le témoignage donné par Jüttner devant la commission est encore plus clair. Permettez-moi de citer un extrait du procès-verbal de son témoignage :

« Question

Il n’y avait rien, n’est-ce pas, qui empêchât un membre du Stahlhelm de se retirer des SA quand les deux organisations furent réunies en 1933 ?

« Réponse

Pour autant qu’il s’agisse de mon district, aucun membre du Stahlhelm n’aurait été obligé de se joindre aux SA contre son gré.

« Question

Et ceci s’applique à toute l’Allemagne, n’est-ce pas ?

« Réponse

On mentionne des cas où les membres du Stahlhelm n’acceptèrent ce transfert que parce qu’il était ordonné.

« Question

Mais il n’y a pas l’exemple qu’un homme eût été forcé d’adhérer ou de continuer à adhérer ?

« Réponse

Non, Monsieur le Président. »

Un témoignage presque pathétique a été donné du sort qui attendait les fonctionnaires s’ils refusaient d’adhérer non pas seulement aux SA mais à toute organisation du Parti. Mais le témoin Boley qui fit lui-même cette déposition montra combien c’était exagéré lorsqu’il concéda au commissaire que dans les bureaux où lui-même était employé, 18% seulement des fonctionnaires étaient devenus membres, soit du Parti, soit d’une de ses organisations. Et ces bureaux étaient le ministère des Finances et la Chancellerie du Reich, cœur même du Gouvernement nazi.

Le témoin baron von Waldenfels est un autre exemple frappant du fait qu’un Allemand qui avait le courage de défendre ce qu’il croyait être juste pouvait continuer à agir dans ce sens sans conséquences désastreuses. Fonctionnaire lui-même et membre dirigeant du Stahlhelm en 1933, il démissionna lors de sa réunion aux SA, refusa d’adhérer aux SA, au Parti ou à toute autre organisation du Parti, et cependant continua néanmoins à occuper son poste jusqu’à la fin de la guerre.

La Défense a apporté la preuve du fait que les étudiants de l’université furent contraints par décret à devenir membres des SA. Cette prétention a été appuyée par un ordre de la section SA de l’université de Munich, du 16 avril 1934, qui se trouve dans le livre de documents des SA. A propos de ce document, je tiens à souligner les deux points suivants. Tout d’abord, les références au « service SA » n’impliquent pas l’adhésion aux SA mais à une séance d’entraînement sous les directives des SA ; ensuite, la phrase dans le paragraphe 3 disant que « les étudiants nouvellement inscrits sont par conséquent forcés d’adhérer aux SA » n’est pas en accord avec la politique de la direction des SA et ne représente pas la pratique généralement en usage dans les universités.

Nous vous avons soumis un autre ordre similaire promulgué deux jours plus tôt par la section SA de l’université de Cologne. Si cet ordre est lu en même temps que l’ordre de Munich, il devient clair que notre prétention est bien fondée. Le premier paragraphe est identique dans les deux ordonnances. Tous les étudiants doivent être « enrôlés dans la section SA de l’université afin d’être entraînés physiquement et moralement dans l’esprit de la révolution nationale-socialiste ». Dans le paragraphe 2, il est expressément stipulé qu’il est sans importance qu’ils appartiennent aux SA ou non. Le paragraphe 3, bien que la forme soit la même dans les deux ordonnances, est essentiellement différent. Dans les deux cas, les ordonnances sont sensées être basées sur le même décret de la Direction suprême des SA en date du 27 mars 1934. Nous n’avons pas vu ce décret, mais le paragraphe 3 de l’ordonnance de Cologne montre clairement que l’adhésion aux SA n’était pas sensée être obligatoire comme le suggère l’ordonnance de Munich. Il est également évident que le service SA auquel ont trait ces deux ordonnances est quelque chose de différent et d’indépendant de l’adhésion à l’organisation. Comment le « service SA » obligatoire peut-il signifier l’adhésion obligatoire aux SA alors qu’il est expressément stipulé que sauf pendant les onze jours, entre le 25 avril et le 5 mai, il y a eu une interdiction d’enrôlement de nouveaux membres ? Les mots suivants marquent dans les deux ordonnances la différence essentielle entre elles. A Munich, les étudiants « sont par conséquent forcés d’adhérer aux SA », tandis qu’à Cologne « on leur fournit par suite la possibilité d’adhérer aux SA ». Si le service SA qui devait être obligatoire pour tous les étudiants allemands impliquait l’adhésion aux SA, il ne pourrait être question de leur « offrir » la « possibilité » d’adhérer. Vous pouvez penser qu’à Munich, le cœur du national-socialisme, le décret de la Direction suprême des SA du 27 mars fut délibérément mal interprété pour répondre au désir d’un Sturmführer particulièrement fanatique. Les documents montrent que tout ce qui arrivait à Munich n’était pas la caractéristique de toute autre université d’Allemagne.

Jüttner confirme les prétentions du Ministère Public. Il déclare :

« J’ai déjà dit que, dans certains cas, une pression avait été exercée par des organisations en dehors des SA, par exemple dans le cas d’étudiants et dans le cas des écoles des finances. »

Mais en réponse à la question : « N’y a-t-il rien qui pût obliger un étudiant à adhérer aux SA s’il désapprouvait ce que représentaient les SA ? », il dit : « Je partage aussi cette opinion ».

Le fait est tel qu’il l’a expliqué là où des organisations étaient fusionnées avec les SA « la grosse majorité des hommes étaient fiers des SA et fiers de servir dans les SA ». Si l’on désire de plus amples preuves du caractère volontaire de cette organisation, à la fois en théorie et en pratique, on peut les trouver dans les mesures qui ont été prises par la direction des SA elle-même pour réduire le nombre de ses membres après la grande affluence de 1933 et 1934, par suite de l’incorporation d’organisations telles que le Stahlhelm et le Reiterkorps et du grand nombre de candidats qui accouraient’ en foule vers toutes les organisations du Parti après la saisie du pouvoir par les nazis. De 4.500.000 en 1934, le nombre de membres des SA était tombé à 1.500.000 au début de la guerre, en 1939. Jüttner expliqua les causes de cette réduction. Elle était due en partie au fait que le Kyffhäuserbund — une autre organisation d’anciens combattants — fut exclue des SA. Mais elle était due aussi au fait qu’on soumettait les membres à des examens et que l’échec entraînait le renvoi et au fait que ceux qui « en raison de leurs occupations n’étaient pas en mesure de nous rendre service et, en conséquence, de continuer volontiers à nous servir dans les SA » avaient également été renvoyés. Une telle élimination et réduction de 4.500.000 à 1.500.000 en cinq années sont difficilement compatibles avec l’histoire selon laquelle toute la jeunesse allemande, toute l’administration et la population allemandes étaient obligées d’entrer dans cette organisation. C’est, à mon avis, la preuve concluante du caractère volontaire de cette organisation.

Comment peut-on soutenir que tous les fonctionnaires dont le nombre fut estimé à 3.000.000 par le témoin Boley, 1.000.000 de membres du Stahlhelm, 100.000 étudiants, 200.000 membres du Reiterkorps et d’autres encore furent tous contraints d’adhérer aux SA alors que le nombre total de membres de cette organisation n’atteignait que 1.500.000 en 1939 ?

Il peut se faire qu’une pression ait été exercée par une petite minorité rétive et que les conséquences d’un refus auraient été graves. Mais cette question doit être réglée d’après des principes de lois reconnus et établis. Même s’il n’en était pas ainsi, pourrions-nous éprouver de la compassion pour ces gens ? Ont-ils montré de la compassion pour les milliers de leurs compatriotes qui ont été envoyés vers les épouvantables horreurs des camps de concentration Ont-ils compati aux malheurs des milliers de Juifs qui ont été calomniés et persécutés sans répit pendant des années ?

Vous vous souvenez qu’en février, lorsque certaines questions qui intéressaient les organisations ont été discutées devant vous, je déclarai au nom du Ministère Public que nous ne demandions pas une déclaration de criminalité contre certaines sections des SA. Nous excluions :

1. Tous les porteurs de l’insigne sportif des SA qui n’étaient pas, au sens strict du mot, membres des SA.

2. Les membres des Wehrmanschaften SA qui n’étaient pas autrement membres des SA. Vous pourriez penser, après avoir entendu les preuves des crimes commis en Pologne et dans les territoires de l’Est, que cette branche des SA ne devrait pas être exclue. Néanmoins, nous avons le sentiment que de nombreux membres des unités qui furent mêlés à ces atrocités étaient également membres des SA proprement dites, et, en conséquence nous émettons respectueusement l’opinion que notre déclaration première peut, à bon droit, subsister.

3. Les membres de la réserve des SA qui, à aucun moment, n’ont servi dans une autre formation de l’organisation.

4. La Ligue nationale-socialiste des victimes de la guerre.

Il a été répété à diverses reprises que le Ministère Public ne cherche à obtenir une déclaration de criminalité que contre ceux qui assument une responsabilité importante dans les crimes qui ont été commis. Pour cette raison et en considération des témoignages qui vous ont été présentés depuis février, nous vous demandons respectueusement de procéder à de nouvelles exclusions parmi les membres généraux de cette organisation.

Premièrement. Le nombre total des SA en 1934 vous a été indiqué par Jùttner comme s’élevant à 4.500.000. Ce chiffre comprenait 1.500.000 membres du Kyffhàuserbund. Peu après la fusion de cette organisation avec les SA en 1933, les deux furent à nouveau séparées. Nous recommandons respectueusement l’exclusion de tous ceux des membres du Kyffhäuserbund qui n’ont pas conservé leur situation de membres des SA après cette séparation.

Deuxièmement. Nous nous croyons justifiés à demander l’exclusion de certaines sections du Stahlhelm. Pour vous permettre de comprendre les raisons de cette recommandation, il peut être utile que je vous rappelle brièvement la structure et l’historique de cette organisation. Elle se composait :

1. Du « Scharnhorst » qui était l’organisation de jeunesse du Stahlhelm pour les garçons de moins de quatorze ans, forte d’environ 500.000 membres.

2. Du « Wehrstahlhelm » qui comprenait le « Jungstahlhelm » (garçons de quatorze ans à vingt-quatre ans) et les formations sportives du Stahlhelm (hommes de vingt-quatre ans à trente-cinq ans). L’effectif total du Wehrstahlhelm était de 500.000 membres.

3. Du Kemstahlhelm, qui se composait d’hommes entre trente-six ans et quarante-cinq ans. Ses effectifs étaient de 450.000.

Le nombre total du Stahlhelm approchait donc de 1.500.000 hommes et jeunes gens.

En 1933, le Stahlheim passa sous le contrôle du parti nazi. Le Scharnhorst passa à la Hitler-Jugend, le Wehrstahlhelm aux SA proprement dites et le Kemstahlhelm à la réserve des SA. Comme nous avons déjà exclu la réserve SA, il nous reste seulement à nous occuper de cette partie du Stahlhelm qui a été incorporée aux SA proprement dites, soit les 500.000 membres du Wehrstahlhelm.

Vous avez. la preuve, tant par les témoins que par le livre de documents de la Défense, que beaucoup de ces 500.000 membres du Stahlhelm. étaient hostiles à leur transfert aux SA et à la politique et aux buts des SA et du parti nazi. Beaucoup, parmi lesquels le témoin von Waldenfels, refusèrent de se joindre aux SA. C’est une hypothèse possible que beaucoup d’autres, bien qu’opposés à la politique des SA, étaient prêts à y entrer en raison de l’assurance qui leur avait été donnée qu’ils conserveraient leur indépendance, leur personnalité et leurs chefs, comme l’avait fait le Reiterkorps, et qu’on ne leur demanderait pas de s’associer de façon effective aux SA proprement dites. Il ne saurait, d’autre part, y avoir aucun doute que beaucoup entrèrent de bon gré dans les SA et prirent une part considérable à leurs activités criminelles. Jüttner lui-même en est un exemple et il a déclaré qu’il n’était nullement le seul. Rappelez-vous sa déposition :

« De nombreux SA qui avaient fait partie du Stahlheim vinrent me trouver dans les premiers mois ; comme moi, ils regrettaient que leur belle ancienne organisation n’existât plus, mais comme moi ils saluaient le fait qu’ils pouvaient mainitenant participer à cette grande communauté des SA. »

Parlant de sa région, il disait :

« Après 1935, l’organisation de mon vieux Stahlheim devint vraiment le noyau des SA. Cependant, beaucoup des membres du Stahlheim restèrent dans les SA. »

Exclure tout le Stahlheim entraînerait à exclure des gens comme Jûttner et de nombreux autres membres du Stahlheim qui devaient former le noyau des SA.

Nous croyons qu’une distinction juste et pratique peut être faite entre ces deux classes. En juillet et août 1935, l’assurance qu’on avait donnée aux membres du Stahlheim qu’ils conserveraient leur indépendance tout en étant membres des SA fut supprimée. L’organisation du Stahlheim fut finalement dissoute, ses uniformes, ses réunions et toutes ses activités précédentes interdits. A dater de ce moment, les membres du Stahlhelm qui restèrent dans les SA ne se distinguèrent plus du reste de ce corps. Ils s’étaient joints aux SA en 1933, connaissant, ainsi que l’a déclaré un de leurs témoins, la nature criminelle et les activités des SA. Maintenant, en 1935, ils ne pouvaient avoir aucun doute que, restant membres, on attendrait d’eux qu’ils soutinssent cette politique et prissent part à ces activités. Aucun de ceux qui restèrent membres après cette date ne peut se dégager d’une responsabilité majeure pour les crimes des SA et du Gouvernement nazi dont les SA étaient l’un des bastions essentiels. Nous vous demandons donc, respectueusement, d’examiner si tous ces membres du Stahlhetm qui démissionnèrent ou furent expulsés des SA antérieurement au 31 décembre 1935 devraient aussi être exclus. Nous sommes d’avis que les autres sont, à juste titre, compris dans l’organisation criminelle des SA.

Vous apprécierez l’effet de ces exclusions sur les nombreux membres des SA impliqués dans ces débats. La seule exclusion des 1.500.000 membres du Kyffhâuserbund et des 500.000 du Kernstahl-heim réduit le chiffre total de Jüttner à 2.500.000, et ce chiffre ne tient pas compte des autres exclusions proposées par le Ministère Public.

Enfin, je voudrais dire un mot du Reiterkorps. J’ai déjà expliqué qu’il n’existe aucune base légale pour suggérer que l’adhésion eût été forcée. Le Ministère Public reconnaît cependant que, tant que le Reiterkorps conserva son organisation particulière de club d’équitation, sa propre personnalité et ses chefs, on peut trouver qu’il occupe une position quelque peu particulière, si l’on tient compte de la responsabilité criminelle des SA. Le Tribunal a naturellement la possibilité, s’il le désire, de faire entrer en ligne de compte cette position particulière du Reiterkorps. Vous vous rappellerez que le nombre de ses membres s’élevait à 200.000.

Je devrais peut-être dire un mot d’un autre point soulevé par la Défense. Le SA, auquel l’Accusation a fait appel pour une petite part de son témoignage contre cette organisation, est inexact et ne représente vraiment ni la politique, ni les activités des SA. Vouz avez entendu les témoignages pour et contre cette proposition. Il me suffira de vous rappeler que le journal était publié par la maison d’édition officielle du parti nazi, la société Eher, qui éditait également Mein Kampf, les livres d’organisation, les ordres et décrets du Gouvernement nazi et toutes les autres publications officielles nazies.

LE PRÉSIDENT

Avant de passer à la question suivante, est-ce que le chiffre de 2.500.000 que vous avez donné comprend les remplaçants ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Monsieur le Président, le même chiffre s’appliquerait aux remplacements. Il faut compenser un nombre très élevé de pertes pendant les années de guerre. Nous avons les effectifs pour une période de cinq ans, depuis la déclaration de guerre. Pendant cette période, les 4.500.000 se sont réduits à 1.500.000. Après cela, les remplaçants ont été compensés par les pertes dues à la guerre. Ce que nous essayons de faire, c’est de prendre le chiffre à l’origine qui était de 4.500.000. Ce chiffre a dû être réduit très rapidement à 2.500.000. Si vous voulez bien admettre les réductions que nous avons suggérées à propos du Kyffhàuserbund et du Kemstahlhelm, ce sera de ce seul fait une diminution de 2.500.000. Ensuite, il faut prendre en considération les exclusions que nous avons suggérées pour les membres du Stahlhelm qui ont démissionné avant 1935. Nous laissons à l’appréciation du Tribunal la question du Reiterkorps.

Après ces opérations, vous arrivez à un chiffre qui est d’environ 2.000.000 ; au cours des cinq années, ce chiffre est descendu jusqu’à 1.500.000, comme Jùttner l’a déclaré.

Je parlais du SA Mann et je continue. Sous son titre, il porte l’indication : « Organe officiel de la Direction suprême des SA ». Son rédacteur en chef, écrivant à Rosenberg, le décrit sans ambiguïté comme « le journal de combat et l’organe officiel de la Direction suprême du Parti », avec un tirage d’e 750.000 exemplaires. Lutze lui-même, dans son instruction annuelle sur l’entraînement pour 1939, le recommande comme une « aide officielle pour la préparation et la pratique de l’entraînement ». Je soutiens devant vous qu’en présence de cette preuve, les dépositions des témoins de la Défense sur cette question ne doivent pas être acceptées.

Voulez-vous examiner tous les écrits que vous avez vus sur cette organisation ? Tout est pareil, tout parie de guerre, de violence sans frein, de haine raciale. Il n’y a pas un seul mot sur les questions ordinaires de mode de vie honnête, des intérêts, des activités et des façons de vivre de citoyens normalement honnêtes, civilisés, pacifiques et respectueux des lois. Comparez la littérature des SA avec celle de n’importe quelle organisation ou société dans tout autre pays d’Europe. Les SA, l’organisation qui s’enorgueillissait d’être chargée de l’éducation et de la formation des hommes d’Allemagne, ne parlaient que de militarisme, d’arrogance, de brutalité et de haine. Quel en eût été le besoin si leur but avait été ce qu’ils prétendent ?

J’en viens à examiner les preuves sur lesquelles nous basons notre thèse selon laquelle cette organisation était criminelle. Les bute des SA étaient les buts du parti nazi lui-même. L’entraînement dans les SA est ainsi décrit dans le livre d’organisation :

« Une éducation selon les doctrines et les buts du Führer tels qu’ils sont énoncés dans Mein Kampf et dans le programme du Parti pour toutes les phases de notre vie et notre idéologie nationale-socialiste. »

Lutze, chef des SA, parlant au Corps diplomatique et à la presse étrangère en 1936 leur disait :

« Quand je déclare au début que les obligations des SA sont celles du Parti et vice versa, je veux seulement dire que les SA considèrent le programme du Parti comme le leur. Les SA ne peuvent être indépendantes du mouvement national-socialiste, mais ne peuvent exister que comme une partie de celui-ci. Dans le cadre du Parti, les SA sont ses troupes de protection, ses troupes combattantes de choc, auxquelles appartiennent les membres les plus actifs du mouvement, politiquement parlant. La tâche des SA est celle du Parti et vice versa. Elle est donc de politique intérieure. »

Pour gagner du temps, je ne me propose pas d’insister sur les preuves concernant la manière dont cette organisation a rempli son rôle comme « troupes de protection » et « troupes combattantes de choc du Parti ». Tout cela peut déjà fort bien être considéré comme un fait historique. Pour reprendre les termes de l’Accusaition, les SA « ont été formées par les conspirateurs nazis, avant leur accession au pouvoir, en une gigantesque armée privée, utilisées dans le but de créer du désordre et de terroriser et éliminer les adversaires. On a prétendu que l’activité violente et criminelle de ses membres, si, en fait, une telle activité a existé, était purement défensive et lui était imposée pour les protéger avec les chefs du Parti contre la violence des communistes et autres partis politiques. C’est à vous de juger la valeur de ce témoignage. En faisant ainsi, vous garderez présent à l’esprit que toutes les preuves documentaires concernant la question, qui vous ont été présentées dans le livre de documents de la Défense, sont d’origine et d’auteurs nazis. Vous pouvez reconnaître que cette description des SA comme organisation défensive, est entièrement incompatible avec les témoignages que vous avez eus des témoins Severing, Gisevius et avec l’affidavit du consul américain, Geist.

Monsieur le Président, je laisse une partie de ces preuves que je n’ai pas’ l’intention de lire à nouveau au Tribunal. Je voudrais simplement vous rappeler ce que Severing vous a dit de ces bandes brutales et de leur arrogance. Je vous demande de vous reporter à la citation du début de la page 52.

« L’observation de ce qu’on appelait les organisations armées fut l’un de mes plus importants travaux, pendant les années où j’ai occupé mon poste. Les SA s’avérèrent être la plus forte de ces organisations ; et l’arrogance avec laquelle ils chantaient leurs chansons, les taisait s’imposer dans les rues. Ils dégageaient les rues pour eux-mêmes et n’y rencontraient aucume opposition... Partout où les SA pouvaient exercer librement la terreur, ils agissaient de la même façon.

« Pendant la bataille électorale, il ne s’agissait pas de petites luttes ordinaires entre les adversaires politiques. C’était la terreur organisée. »

Gruss, témoin du Stahlhelm, a confirmé le témoignage de Severing :

« Je crois », a-t-il dit, « que, dans l’ensemble, Severing a fait une description exacte. »

Je prétends que la preuve de la criminalité des SA pendant les années 1933-1934 depuis l’arrivée au pouvoir du Gouvernement nazi jusqu’à la purge de Rôhm est bien établie et, de ce fait, leur cas peut être réglé rapidement. La même violence, la même méprise de la loi et des droits et privilèges de tous, sauf d’eux-mêmes, ont persisté. Il suffit de vous rappeler ce que Gisevius disait de l’intervention de la Police de secours des SA dans les arrestations :

« Les SA organisaient d’immenses raids. Les SA fouillaient les maisons, les SA confisquaient les biens, les SA interrogeaient les gens. Les SA emprisonnaient. En résumé, les SA s’étaient promus poMse auxiliaire et n’avaient de considération pour aucune des coutumes db la période du système libéral... Malheur à quiconque tombait entre leurs griffes. De cette époque date le Bunker, cette épouvantable pnson privée, et chaque Sturmtruppe SA devait en avoir au moins un. L’enlèvement devint le droit inaliénable des SA. La valeur d’un Standartentuhrer se mesurait au nombre d’anrestialtions qu’il avait faites et la bonne renommée d’un SA était basée sur l’efficacité avec laquelle il « instruisait » ses prisonniers.

« On ne pouvait plus organiser de bagarres comme lorsqu’on luttait pour le pouvoir ; cependant la lutte continuait ; seulement les coups étaient maintenant portés dans la pleine jouissance du pouvoir. »

Gisevius continue en décrivant avec plus de détails les arrestations illégales des adversaires politiques par des membres des SA, les prisons qu’ils créaient et les traitements qu’ils appliquaient à leurs victimes.

« Ce fut la bestialité tolérée pendant les premiers mois qui, plus tard, encouragea les assassins sadiques des camps de concentration. »

Après avoir entendu le contre-interrogatoire de Schäfer, commandant du camp d’Oranienburg, avez-vous encore le moindre doute sur le fait que des atrocités étaient commises par les SA dans ce camp ? Vous avez le témoignage du témoin Joël aux termes duquel les SA établirent un camp de concentration à Wuppertal sur l’initiative du chef SA local ; à Hohnstein et à Bredow, les gardes SA torturèrent et assassinèrent aussi leurs prisonniers. Vous vous souviendrez de la lettre écrite en juin 1935 par le ministre de la Justice à Hitler lui-même :

« Dans le camp, de mauvais traitements graves ont été appliqués aux prisonniers, sans interruption depuis l’été 1933. Les prisonniers n’ont pas seulement été frappés à coup de fouet et d’outils jusqu’à perdre connaissance et sans aucune raison, comme dans le camp d’internement de sécurité de Bredow près de Stettin, mais ont aussi été torturés d’autre façon. »

Il est inutile de commenter cela, si ce n’est pour souligner que le sadiLsme et les arrestations illégales de cette espèce étaient pratiqués et exécutés par les SA à travers tout le Reich :

« Dans les six semaines de la montée au pouvoir des nazis, en janvier 1933, les journaux allemands se référaient aux sources officielles pour déclarer que 18.000 communistes avaient été emprisonnés tandis que parmi les 10.000 prisonniers dans les geôles prussiennes on comptait de nombreux socialistes et intellectuels. »

Sollmann, membre social-démocrate du Reichstag, devait être emmené à la Maison Brune de Cologne pour y être torturé, frappé et battu à coups de pieds pendant plusieurs heures. A Nuremberg, un homme appelé Pflaumer devait être frappé sur la plante des pieds jusqu’à la mort. A Munich, le Dr Aloïs Schlögl, ancien rédacteur du journal Le Paysan de Basse-Bavière, vit sa maison détruite et fut lui-même maltraité. Ce ne sont là que quelques-uns des incidents de cette espèce dont le premier ministre de Bavière dit que leur nombre total ne peut être apprécié dans toute l’Allemagne. Ce n’était pas une révolution politique. Ce n’était pas non plus une protection légitime contre l’opposition communiste. Ces hommes servaient le Gouvernement en sachant parfaitement que toutes les branches du Gouvernement — la presse, la Justice et la Police — avaient reçu des ordres pour les excuser et leur prêter leur concours. Ils ne couraient aucun risque : il n’y avait aucun tribunal, aucun recours auxquels leurs victimes pouvaient faire appel. Ce n’était que pur sadisme, brutalité criminelle, encouragés par les dirigeants du Parti et des SA. Vous avez le témoignage du consul américain Geist :

« Je peux prouver moi-même que la Police avait reçu ordre de ne pas intervenir... Ces agents m’ont dit qu’eux-mêmes et tous les autres policiers avaient reçu l’ordre de ne pas intervenir contre les SA, les SS ou la Jeunesse hitlérienne. »

Parlant le 3 mars 1933, Gôring » décrivit le rôle que les SA devaient jouer désormais. Il déclara que les communistes seraient supprimés par les Chemises brunes. La Police n’aurait pas le même emploi que dans une démocratie bourgeoise. Je cite :

« Je n’ai pas à rendre la justice ; mon seul but est de détruire et d’exterminer, rien d’autre... Le combat à mort dans lequel mon poing serrera vos cous, je le mènerai avec eux, avec les Chemises brunes. »

Permettez-moi de parler plus en détail des activités des SA pendant ces années qui ont suivi 1934. On a prétendu qu’après le putsch de Röhm, les SA diminuèrent en nombre et en importance et que l’activité criminelle de leurs membres cessa. Le fait que le nombre en ait diminué est indéniable ; j’en ai donné les raisons. Qu’ils aient décru en importance est également vrai, en. raison de la faveur officielle de plus en plus accordée aux SS pour des raisons qui sont bien connues. Néanmoins les SA restèrent politiquement et militairement aux yeux de leurs propres dirigeants, de leurs membres et des autorités du parti nazi, une force vitale importante.

Vers juin 1934, les adversaires politiques du parti nazi avaient été supprimés ou incarcérés. Il n’est donc pas étonnant que nous ayons moins de preuves sur les incidents de « la maîtrise des rues » qui ont rempli l’histoire de l’Allemagne au cours des dernières années. Mais les buts de l’organisation restèrent les mêmes : aide fanatique à la politique du Gouvernement nazi, suppression de ce qui restait d’opposition, en particulier des Églises et des Juifs. Et, en plus, une préparation intensive à la guerre d’agression.

Les SA et les SS avaient d’éjà été employés pour supprimer les syndicats. L’Église et les Juifs restaient un problème toujours actuel. J’ai déjà rappelé la politique du parti nazi de suppression de toute influence de l’Église et je vous rappellerai le rôle joué par les SA dans cette lutte pendant les années qui suivirent 1934. Vous vous souvenez de l’incident de l’église de Freising, en février 1935, où la Kreisleiterin donna l’ordre à toutes les femmes nazies d’accompagner les SA Sturmtruppen pour assister au service religieux de Freising. Ce sont les SA qui, par la suite, ont emmené Hans Hiedi dans un champ, le soir, et qui l’ont frappé impitoyablement pour avoir montré sa colère au moment de l’intervention pendant le service

« Le chef prit un mouchoir dans sa poche et me bâillonna. Puis il me jeta par terre et me maintint pendant que les deux autres commençaient à me trappper. Ils me donnèrent quinze à vingt violents coups environ, du postérieur jusqu’à la cheville du pied gauche. Le bâillon se relâcha et ]e criai à tueitête. Ills me laissèrent alors aller et m’aidèrent à me relever. Ils me donnèrent l’ordre formel de ne rien dire de cet incident à qui que ce soit, si je voulais garder mon travail. Puis il me donnèrent un coup de pied et me dirent : « Maintenant rentre Chez toi et au trot, faux frère. »

Êtes-vous impressionnés par l’argument de la Défense que ce n’était qu’un cas isolé ? Lorsque vous étudiez les témoignages d’actes généralisés et étendus de violence qui ont été la marque des SA aux yeux de toute l’Allemagne et du monde pendant les années de lutte nazie, pouvez-vous douter que de tels incidents aient eu lieu dans toute l’Allemagne en 1935 et plus tard, toutes les fois que l’occasion s’en présentait ? La véritable nature d’une organisation telle que celle-ci change-t-elle en quelques mois ?

Si la nature et les buts des SA avaient changé, pourquoi le SA-Mann a-t-il publié des articles en 1937 et 1938 dénigrant l’Église dans des articles comme « Mes chers Franciscains, un noir bilan : le catholicisme politiques, « L’Église veut faire la loi à l’État », « Le catholicisme politique démasqué » et « Le Vatican veut-il la guerre ? »

Si les manières violentes des SA ont été changées pendant ces années, pourquoi l’organe officiel de sa Direction suprême aurait-il répété l’histoire de leurs premières batailles ? Leurs titres se passent de commentaires.

« Nous subjuguons la terreur rouge. Combats de rues nocturnes à la frontière tchèque. Les SA brisent la terreur rouge. Dimanche sanglant à Berlin. »

Et cette description du « 9 novembre 1933 à Nuremberg » quand, au cours des troubles, quelqu’un cria : « Les maisons des Juifs seront pillées ! Dehors les Juifs ! »

Le rôle joué par les SA dans la persécution toujours plus violente des Juifs écarte tous les doutes qu’on pourrait avoir sur la criminalité ininterrompue de cette organisation pendant les années postérieures à 1934. En ce qui concerne le boycottage d’avril 1933, Goebbels écrit dans sa biographie :

« 1er avril 1933. Tous les magasins juifs sont fermés. Des sentinelles SA gardent leurs portes. »

Ce n’est qu’un exemple de la façon dont, dans toute l’Allemagne, les SA fournissaient au Gouvernement nazi des moyens de mettre sa politique à exécution. Les instructions données par Streicher et son comité ordonnaient :

« Les SA et les SS ont reçu des instructions pour empêcher, au moyen de piquets de garde, la population d’entrer dans les entreprises juives aussitôt que le boycottage aura commencé. »

Vous avez le témoignage de Kurt Schmidt, ministre de l’Économie et membre du Cabinet du Reich jusqu’en janvier 1935 :

« Je dois dire que les SA ont gagné une influence de plus en plus désastreuse dans les questions juives en tant qu’élément destructeur de l’économie juive. »

Vous avez le témoignage de leur propre témoin, le baron von Waldenfels, à qui l’on a demandé : « Les SA ont-ils pris une part active à lia persécution des Juifs, après 1934 ? » et qui a répondu :

« D’après ce qu’on m’a raconté, oui. J’ai vu moi-même les boutiques livrées au pillage à Munich, mais je ne pourrais dire si c’était le résultat d’un ordre ou d’initiatives individuelles ».

Il essaye de réduire la signification des SA après 1934, mais son témoignage était très clair.

« Question

Dans leur rôle d’une importance diminuée, continuèrent-ils à pratiquer la politique qu’ils avaient menée auparavant, la persécution des Juifs ? »

« Réponse

Il n’y a pas de doute. »

Goebbels parlant aux SA en octobre 1935 leur rappela qu’ils étaient le « bras le plus fort du mouvement » et que le Gouvernement nazi était un « Gouvernement antisémite ». PS-324 (USA-419).

Si la persécution active des Juifs n’était pas la mission permanente des SA, après 1934, pourquoi Lutze, chef d’état-major des SA, parlant au corps diplomatique et aux représentants de la presse étrangère, en janvier 1936, aurait-il dû expliquer le terme dont la presse étrangère flétrissait si souvent les SA : « Les soutiens d’une lutte raciale barbare et sauvage » ? Pourquoi ces articles ont4ls paru presque chaque mois pendant les années 1935 à 1939 avec un libellé qui ressemblait à celui adopté par le Stürmer . Les titres suffisent à en indiquer la nature :

« L’assassinat, la solution du problème juif. »

« La révolution mondiale juive vient des USA. »

« Fossoyeurs de la culture mondiale ». PS-3050 (USA-414).

Et si les membres des SA n’ont pas, en fait, persécuté activement et de façon continue les Juifs après 1934, comment est-il possible de justifier le rôle qu’ils ont joué dans les démonstrations de novembre 1938 ? Vous vous souviendrez des instructions reçues par la 50e brigade SA de Darmstadt, au début de la matinée du 10 novembre :

« Sur l’ordre du Gruppenführer, toutes les synagogues juives situées sur le secteur de la 50e brigade doivent être démolies ou incendiées immédiatement. L’opération doit être effectuée en civil. » PS-1721 (USA-425).

Vous vous souviendrez également des rapports des différents Führer SA au Quartier Général SA de lia circonscription électorale du Palatinat : dans le secteur de la 50e brigade, trente-cinq synagogues dynamitées, détruites par le feu ou démolies ; à Mannheim, vingt et une synagogues, églises ou locaux de réunions ; dans le secteur de la Standarte 174 de la 151e brigade, toutes les synagogues détruites et les Juifs arrêtés ; dans le secteur de la Standarte 250, onze synagogues détnuites, toutes les vitrines des magasins ]uifs brisées, le Rabbin et plusieurs Juifs éminents arrêtés par la Gestapo pour leur propre sécurité ; l’infâme Rabbin Neuburger », qui était connu à cause de ses relations avec l’étranger, arrêté sur l’instigation des SA ainsi que tous les Juifs masculins des différents villages ; dans le secteur de la Standarte 17, deux synagogues complètement incendiées et plusieurs magasins : juifs démolis ; et le rapport de la 51e brigade : « La question des synagogues est réglée. Tout a été exécuté Jusqu’à Rölsheim. »

Ces événements de la région de Mannheim ne peuvent pas avoir été, comme la Défense voudrait vous le faire croire, une exception à la politique de la direction SA et à la conduite générale des membres SA dans le reste de l’Allemagne. En tout, 267 synagogues ont été détruites cette nuit-là. Nous pouvons demander à juste raison pourquoi les 50e , 51e et 151e brigades auraient été les seules à recevoir des instructions pour détruire toutes les synagogues. Pourquoi Jüttner lui-même aurait-il donné à toutes les unités SA les ordres venant de Hess aux termes desquels tous les services diu Parti et ses subdivisions, qui avaient souvent gardé des biens de valeur, devaient les remettre au service de la Gestapo le plus proche ?

Nous vous demandons de dire que la preuve est concluante en elle-même. Néanmoins, vous avez eu en plus le rapport sur les débats du tribunal suprême du Parti relatifs aux assassinats de Juifs qui ont eu lieu au cours de ces manifestations. Quinze SA commirent des assassinats. Ils le firent dans toute l’Allemagne, dans la Prusse de l’Est, à Dessau, dans le Hanovre, à Brème, en Saxe et à Munich. Était-ce, là aussi, des incidents isolés ?

Le biographe de Göring écrit sur les SA en 1937 :

« La réorganisation actuelle de la Police de sûreté est à peine remarquée du public. Ses rangs sont renforcés par les SA, l’instrument le plus sûr du mouvement. » PS-3252 (USA-424).

Une organisation pourrait difficilement être l’objet d’un jugement plus accablant.

J’en arrive à la préparation à la guerre et à l’activité en temps de guerre.

Dès que le parti nazi fut au pouvoir, les SA devinrent l’embryon d’armée avec laquelle les nazis commencèrent leur préparation à la guerre d’agression. Le consul américain Geist vous dit :

« Particulièrement pendant les années 1933 et 1934, des bandes de troupes de choc SA pratiquaient, au vu et au su de tous, des exercices militaires. On était en train de les transformer en organisation militaire. Je rencontrais fréquemment les troupes de choc, déployées dans les champs et les forêts, se livrant à des exercices techniques militaires. Cela faisait partie d’un plan général pour préparer les effectifs de l’Allemagne à la guerre. » PS-1759 (USA-240).

Les explications de Geist sont confirmées par Lutze lui-même qui écrit en 1939 :

« Mais déjà en 1920, en créant les associations sportives nationales-socialistes, le Führer établissait la mission considérable de ces SA. Les SA devront être les dépositaires de la pensée militaire d’un peuple libre. Dans le même sens, le Führer a dit dans son livre Mein Kampf : « Donnez à la nation allemande 6.000.000 d’êtres « aux corps parfaitement entraînés aux sports, tous inspirés « fanatiquement de l’amour de la patrie et dotés du moral le plus « intensément élevé et, avec eux, un État national-socialiste aura, « si c’est nécessaire, créé une armée en moins de deux ans. »

« Les hommes n’oublient jamais que la mission du Führer est d’exiger un entraînement militaire de l’Allemand et de reformer l’esprit militaire dans le peuple allemand. » PS-3215 (USA-426).

A quoi sert alors que les témoins SA viennent maintenant dire à ce Tribunal que :

« Les SA n’avaient aucun caractère militaire et ne désiraient pas en avoir... »

« Les SA ont toujours conservé le caractère non militaire de leur programme d’entraînement. »

Il y a une quantité abondante d’autres témoignages du caractère et des buts militaires des SA aussi bien que de leur entraînement intensif et de leurs préparatifs en vue de la guerre. Le Dr Ernst Bayer, se référant aux ordres du Quartier Général suprême en 1938, exprimait encore, par écrit, les buts des SA :

« Les SA ont reçu mission de créer un accroissement de la puissance guerrière et de la conserver, ainsi qu’un esprit combattit, expression d’une attitude agressive. » PS-2168 (USA-411).

Dès mai 1933, von Reichenau proposa que le commandement suprême des SA fût représenté au Conseil de défense du Reich. Et une note au crayon portée sur ce document montre que c’était déjà fait. PS-2822 (GB-205). Un officier de carrière fut nommé auprès des SA pour aider à leur instruction « militaire ». « Dans un but de camouflage, il devait porter un uniforme SA ». Nous savons quelle forme avait pris l’instruction de 1933 à 1939, d’après les directives pour l’entraînement et autres documents, dont certains avaient été donnés par Lutze lui-mêmes : tir, lancer de grenades, évaluation des distances, lecture de la carte et marche. Nous savons également que, dès juillet 1933, les SA avaient formé des unités spécialisées, telles que compagnies de transmissions, unités motorisées et escadres aériennes séparées. Le commandement SA insistait vivement sur la nécessité de garder le secret dans le cas de toutes les publications « qui pourraient laisser aux autres pays une possibilité de présenter cela comme des infractions aux clauses du Traité de Versailles de la part des Allemands. » D-44 (USA-428).

La publication d’images permettant « aux autres pays de prouver la formation d’unités de troupes techniques » fut interdite. Il n’est guère nécessaire de citer à nouveau le Dr Ernst Bayer pour voir le but de ces unités techniques. Je le cite cependant :

« On crée, dans ces unités techniques de SA, une troupe entraînée dont les possibilités et les connaissances ne sont pas les dernières dans les éléments d’une grande valeur pour le service de la défense du pays. » PS-2168 (USA-411).

De même, il écrivait en parlant du Reiterkorps :

« A présent, les SA peuvent fournir chaque année à notre Wehrmacht des milliers de jeunes cavaliers entraînés. » PS-2168 (USA-411).

Pouvons-nous douter que chacun des membres des SA ignorait à quoi tout cela conduisait, quand le chef d’Etat-major lui-même disait publiquement que le principe de l’entraînement des SA était

« toujours la pratique spirituelle, morale et physique de la militarisation de toute la nation allemande » ? PS-3050 (USA-414).

En mars 1934, une liaison permanente entre les SA et le ministère de la Défense du Reich avait été établie en corrélation avec toutes les missions « A ». Jüttner a expliqué ce qu’étaient ces missions « A » : « entraînement et protection des frontières ». Protection des frontières signifiait-il préparatifs pour la conquête militaire de la Rhénanie, de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie ?

Dans ce même mois de 1934, les SA étaient, en fait, en train de former un état-major armé avec une compagnie de mitrailleuses lourdes. D-951 (GB-607).

Au début die 1934, les SA faisaient aussi des plans. « Pour que les formations autrichiennes de Bavière avancent en Autriche vers le 8 ou le 9 février. Alors, la dictature militaire serait proclamée. » PS-4013 (GB-608).

Vous avez devant vous le compte rendu du rôle joué par les SA dans le putsch manqué contre Dollfuss. Lorsque le moment de l’Anschluss arriva, les unités SA furent les premières à pénétrer en Autriche. PS-3050 (USA-414).

LE PRÉSIDENT

Sir David, il serait temps de lever l’audience.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)